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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 35e Législature,
Volume 135, Numéro 38

Le mardi 1er octobre 1996
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mardi 1er octobre 1996

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

 

VISITEURS DE MARQUE

La délégation de parlementaires sud-africains

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je vous signale la présence à notre tribune d'une délégation du Parlement de la République sud-africaine. La délégation comprend des membres des deux Chambres, soit le Sénat et l'Assemblée nationale, qui représentent sept partis différents. Nous sommes heureux de les accueillir à la tribune du Sénat cet après-midi.

Des voix: Bravo!

 


DÉCLARATION D'UN SÉNATEUR

Les Nations Unies

Sixième anniversaire du Sommet mondial
pour les enfants

L'honorable Landon Pearson: Honorables sénateurs, c'était hier le sixième anniversaire du Sommet mondial pour les enfants.

Le 30 septembre 1990, 71 chefs d'État et de gouvernement et les hauts représentants de 88 autres pays se sont réunis aux Nations Unies pour signer une Déclaration et un Plan d'action visant le bien-être des enfants du monde entier.

Dans le plan d'action, il y avait une liste de buts précis à atteindre avant l'an 2000. L'un de ces buts visait l'immunisation de 90 p. 100 des enfants dans le monde, l'éradication de la polio, la réduction à 70 par millier du taux de mortalité avant l'âge de cinq ans, l'accès universel à l'enseignement primaire et à de l'eau salubre, ainsi que la ratification par tous les États membres de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Six ans ont passé et plus de 100 pays en développement ont réalisé des progrès mesurables dans la poursuite de ces buts. La malnutrition a été réduite; une centaine de pays ont réalisé 80 p. 100 du programme d'immunisation; la polio est disparue sur une grande partie du globe; on est en train de venir à bout des troubles dus à une carence en iode et en vitamine A; On recourt de plus en plus à la réhydratation par voie orale, empêchant la mort de plus de un million d'enfants chaque année; la proportion des enfants qui fréquentent une école primaire a augmenté passant de moins de la moitié à plus des trois quarts; enfin, 187 des 193 pays membres ont ratifié ou signé la Convention relative aux enfants.

Le Canada contribue à ce progrès par l'intermédiaire de l'Agence canadienne de développement international, en consacrant 1,8 million de dollars par jour à des programmes qui touchent directement ou indirectement les enfants. En plus de deux ans, l'ACDI a dépensé plus de 5,8 millions de dollars pour lutter contre les troubles dus à une carence en iode, qui est la principale cause d'arriération mentale dans le monde, surtout en Érythrée, au Ghana et au Sénégal, où se trouvent de vastes marais salants. D'après l'UNICEF, en 1995 seulement, l'aide canadienne a sauvé plus de trois millions d'enfants de la déficience intellectuelle. Les fonds de l'ACDI ont aussi servi à venir en aide aux enfants réfugiés du Rwanda qui étaient traumatisés et non accompagnés.

Dans le discours du Trône de février dernier, le gouvernement libéral a fait des droits de l'enfant une priorité au Canada. En célébrant l'anniversaire du Sommet mondial pour les enfants, pensons qu'en travaillant ensemble pour atteindre des buts communs et quantifiables, tous les pays peuvent améliorer le bien-être des enfants du monde entier.

Il reste encore tellement à accomplir. C'est tragique, mais les enfants continuent d'être pris au piège de l'industrie du sexe, exploités pour leur main-d'oeuvre, victimes de la violence et privés d'instruction, surtout les filles. Toutefois, le message est clair: si nous le voulons, nous pouvons changer les choses.

 


AFFAIRES COURANTES

Le commissaire à la protection
de la vie privée

Dépôt du rapport annuel

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport annuel du commissaire à la protection de la vie privée pour la période se terminant le 31 mars 1996.

 

L'ajournement

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)(h) du Règlement, je propose:

Que lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, ce soit à demain, le mercredi 2 octobre 1996, à 13 h 30.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, est-ce d'accord?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

 

L'Association parlementaire
canadienne de l'OTAN

Dépôt du rapport de la délégation canadienne
à la réunion de Bruxelles

L'honorable Bill Rompkey: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer le troisième rapport de la délégation canadienne à l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN qui a représenté le Canada à la réunion conjointe des comités de la défense et de la sécurité, de l'économie, et de la politique de l'Assemblée de l'Atlantique nord, tenue à Bruxelles, en Belgique, les 18 et 19 février 1996.

 

  • (1410)

Le Groupe interparlementaire Canada-Japon

Dépôt du rapport de la septième réunion annuelle
du Forum parlementaire de l'Asie-Pacifique

L'honorable Dan Hays: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation canadienne à la septième réunion annuelle du Groupe interparlementaire Canada-Japon, qui a eu lieu à Toronto, Montréal et Ottawa du 1er au 5 septembre 1996, de même que le rapport de la réunion du comité exécutif du Forum parlementaire de l'Asie-Pacifique, qui s'est tenue à Ottawa du 6 au 8 septembre 1996.

La région de l'Asie-Pacifique devient de plus en plus importante pour le Canada. Le Japon est maintenant notre deuxième partenaire commercial en importance et l'Asie est devenue la deuxième région en importance pour le commerce avec le Canada. Honorables sénateurs, la septième réunion annuelle du Groupe interparlementaire Canada-Japon qui a eu lieu récemment a été consacrée à nos relations bilatérales de plus en plus intenses et harmonieuses. Les discussions ont porté sur la coopération bilatérale et multilatérale dans un monde en rapide évolution.

Le Canada sera l'hôte de la cinquième réunion annuelle du Forum parlementaire de l'Asie-Pacifique, qui se tiendra en janvier à Vancouver. La réunion récente du comité exécutif du FPAP a permis d'approuver les arrangements pour la réunion de Vancouver. L'association est impatiente de recevoir les participants à cette réunion et de lancer l'année canadienne de la région Asie-Pacifique.

[Français]

 

Transports et communications

La sécurité des transports-Avis de motion autorisant
le comité à entreprendre une étude comparative des considérations techniques et des structures juridiques

L'honorable Lise Bacon: Honorables sénateurs, je donne avis que mercredi le 2 octobre 1996, je proposerai:

Que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à examiner, afin de présenter des recommandations, l'état de la sécurité des transports au Canada et à mener une étude comparative des considérations techniques et des structures juridiques et réglementaires, dans le but de vérifier que la sécurité des transports au Canada est d'une qualité telle qu'elle répondra aux besoins du Canada et des Canadiens au prochain siècle;

Que le Comité soit autorisé à permettre la diffusion de ses délibérations publiques par les médias d'information électroniques, de manière à déranger le moins possible les travaux;

Que le Comité présente son rapport au plus tard le 31 décembre 1997.

[Traduction]

 


PÉRIODE DES QUESTIONS

L'UNITÉ NATIONALE

Le renvoi à la Cour suprême du Canada-
Les déclarations récentes du ministre de la Justice-
La position du gouvernement

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, ma question découle de la décision fédérale de saisir la Cour suprême du Canada de certaines questions constitutionnelles. Je n'entends pas discuter du bien-fondé de cette initiative. J'espère que l'occasion nous sera donnée d'en débattre.

Je voudrais toutefois demander au leader du gouvernement au Sénat des éclaircissements sur deux déclarations que le ministre de la Justice a faites lorsqu'il a informé la Chambre des communes de sa décision sur le renvoi à la Cour suprême.

Le ministre de la Justice a dit:

Les principales personnalités politiques de toutes nos provinces et le public canadien ont convenu depuis longtemps que le pays ne restera pas uni à l'encontre de la volonté clairement exprimée des Québécois. Notre gouvernement est d'accord sur cette position.

Ce n'est pas une phrase lancée négligemment. Cette position a été mûrement réfléchie avant de devenir la politique du gouvernement. Qu'est-ce qu'on entend au juste par «volonté clairement exprimée des Québécois»?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je vais devoir demander une réponse précise au ministre de la Justice. Je le ferai le plus rapidement possible.

L'honorable Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, il s'agit de la politique du gouvernement. J'ai du mal à accepter que, sur une question essentielle comme l'avenir de notre pays, la ministre qui doit expliquer au Sénat la politique du gouvernement réponde seulement qu'elle ira aux renseignements.

En tout cas, je voudrais demander une explication plus nette d'une autre déclaration que le ministre de la Justice a faite au même moment:

Nous avons dit que, s'il y a un autre référendum, le processus devra être démocratique, que nous nous assurerons que la question soit claire.

La question qui se pose est évidente: quelle participation le gouvernement fédéral prévoit-il pour lui-même dans l'élaboration de la question à poser aux Québécois sur l'avenir de leur province en tant que partie intégrante - ou en tant qu'entité distincte - du Canada?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, la réponse se trouve dans les mesures prises par le gouvernement fédéral. Le ministre de la Justice a dit qu'il consulterait la Cour suprême du Canada. En sa qualité de ministre et au nom du gouvernement, il demande des éclaircissements aux tribunaux. On espère que cette démarche va donner à l'ensemble des Canadiens une indication claire comme quoi l'avenir de leur pays doit se décider avec une certaine participation de leur part, en fonction de la question posée à un éventuel référendum qui énoncerait clairement les intentions du gouvernement québécois.

Le sénateur a cité la déclaration que le ministre a faite ce jour-là. Il doit aussi savoir que, dans les propos que le ministre a tenus alors et par la suite, il a été souligné que la priorité du gouvernement était toujours de susciter dans tout le pays un renouveau qui rendra inutiles tous les échanges comme celui que nous avons en ce moment. Il n'y aurait pas, alors, de troisième référendum.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est l'une des déclarations les plus présomptueuses que j'ai entendues de la part d'un ministre. On agit comme si le gouvernement du Canada pouvait tout à coup retirer à une province le droit de tenir un référendum.

Le sénateur Fairbairn: Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous pourriez alors peut-être préciser votre pensée.

Le sénateur Fairbairn: Je le ferai volontiers. Ce n'est pas du tout le message que je voulais transmettre. Nous consulterons tous les deux les bleus et, si je me suis montrée aussi bornée, je m'en excuserai.

La priorité du gouvernement du Canada consiste à respecter les promesses qu'il a faites au cours de la campagne référendaire et qu'il a confirmées dans le dernier discours du Trône, à savoir qu'il prendra des mesures positives et avantageuses pour l'ensemble des Canadiens, y compris les Québécois, afin de les inciter à demeurer au sein du Canada.

Pour y arriver, il faut unir nos efforts. Le gouvernement fédéral ne peut pas y parvenir tout seul. Je dis simplement à mon honorable collègue que nous avons pris un engagement, le Parlement a pris l'engagement de prendre des mesures pour garder notre pays uni. Voilà exactement ce qu'ont l'intention de faire le ministre de la Justice, le premier ministre et tous ceux qui se penchent quotidiennement sur ces questions.

 

  • (1420)
Je ne propose, en aucun cas, pas plus que le ministre de la Justice, de brimer les droits démocratiques.

Il l'a d'ailleurs très bien précisé. Notre responsabilité consiste à adopter des politiques et des mesures nationales qui montreront aux Québécois et à tous les Canadiens que la meilleure chose à faire pour le Canada et pour l'unité de notre pays est, évidemment, de demeurer ensemble et de créer un climat où la tenue d'un troisième référendum, il faut l'espérer, ne sera plus souhaitée.

Voilà le point que je tenais à faire valoir, sénateur Lynch-Staunton, certainement pas dans le but de paraître présomptueuse, mais plutôt pour faire preuve d'optimisme. J'espère que nous saurons, en tant que parlementaires, gouvernement et citoyens, agir de façon à ce que les Québécois se sentent bien au Canada et désirent y demeurer.

Des voix: Bravo!

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, j'aurais aussi applaudi si le ministre de la Justice avait bien dit cela. Toutefois, le ministre de la Justice a dit ceci: «Je crois qu'il y aura un autre référendum et je m'adresse à la Cour suprême parce que je m'attends non seulement à ce que qu'il y ait un autre référendum, mais à ce qu'il soit en faveur de la séparation. J'ai donc besoin que la Cour suprême nous dise comment il faudrait réagir à une telle décision».

Le gouvernement n'assume plus son devoir historique fondamental qui est d'essayer de garder notre pays uni et il dit aux Canadiens qu'il faut se préparer à la séparation. Non seulement cela, mais il dit aux Québécois, qui devront se prononcer au prochain référendum-que le gouvernement fédéral admet comme probable-qu'il va décider de la question. Voilà ce que je demande à la ministre de me dire, et non des discours creux sur la nécessité de garder notre pays uni.

Comment le ministre de la Justice a-t-il pu dire ceci à la Chambre des communes, le 27 septembre:

Nous avons affirmé distinctement hier que nous devrons respecter la décision de la majorité de la population du Québec [...]

Ce qu'il dit là, c'est qu'il y aura un autre référendum et que nous en respecterons le résultat, quel qu'il soit. Il poursuit en ces termes:

[...] lorsque celle-ci se prononcera sur une question claire et nette, portant sur la séparation complète et non sur une situation mitoyenne comme un partenariat ou autre chose du genre. Voulez-vous la séparation ou non? Voilà la question honnête qu'il faudra poser.

Nous sommes tous d'accord là-dessus, mais comment le gouvernement fédéral peut-il se substituer à l'Assemblée nationale et tenter ainsi de dicter la question aux Québécois?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, d'abord, le désir de garder notre pays uni n'a rien de creux. Je ne mets pas en doute le fait que le sénateur souhaite vivement ce résultat et je ne veux pas que l'on qualifie de creux ou de peu sincère le désir du gouvernement ou de qui que ce soit ici que le Canada demeure uni et indépendant.

Le ministre de la Justice ne dit rien de ce que lui impute mon collègue. Il ne dit pas: «Oui, il y aura un autre référendum et nous allons nous en mêler et supplanter l'Assemblée nationale du Québec». Il ne dit rien de tel.

La question de l'unité nous occupe intensément au Canada depuis un an. Un certain nombre de questions ont été soulevées, non seulement dans le cadre du référendum, mais encore par la suite, des questions auxquelles doivent répondre non seulement les Québécois, mais aussi les Canadiens des autres provinces, qui estiment avoir un rôle à jouer. Les Canadiens veulent répondre par la persuasion, et non de façon non démocratique ou dictatoriale, pour garder le Québec dans la famille canadienne. Voilà pourquoi le gouvernement demande des éclaircissements à la Cour suprême du Canada.

La priorité absolue du gouvernement est d'offrir ses activités, politiques, programmes et sentiments au Québec et aux citoyens canadiens qui y résident de telle sorte qu'on ne souhaite pas vivement la tenue d'un troisième référendum. Notre gouvernement ne considère pas du tout un tel référendum comme inévitable.

 

Le renvoi à la Cour suprême du Canada-Les implications de l'avis de la Cour-La position du gouvernement

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, j'aurais une question complémentaire. Madame le leader du gouvernement pourrait-elle préciser si, lorsqu'il connaîtra l'avis de la Cour suprême du Canada, le gouvernement du Canada a l'intention d'y donner suite?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, nous avons demandé l'avis de la Cour suprême sur trois questions et il nous faudra certainement attendre de connaître celui-ci avant que je sois en mesure de répondre aux questions de mon honorable collègue. Comme l'ensemble des Canadiens, nous attendrons certainement de connaître l'opinion de la Cour suprême. Les gens souhaitent évidemment obtenir des réponses à ces questions.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous vous donnerons les réponses maintenant, si vous le voulez.

Le sénateur Fairbairn Sénateur Lynch-Staunton, ce serait très utile, j'en suis certaine. Je suis également sûre que vos opinions seraient grandement respectées.

Le gouvernement fédéral a toutefois le droit de consulter la Cour suprême du Canada, et c'est précisément ce qu'il fait.

Le sénateur Kinsella: Madame la ministre est-elle en train de dire au Sénat que le gouvernement n'a pas idée de ce qu'il fera des interprétations ou avis qu'il recevra de la Cour suprême du Canada? Le nombre de possibilités n'est pas infini. Un gouvernement qui a à coeur l'intégrité de notre pays a certainement prévu des plans d'urgence pour toutes les réponses que pourrait fournir la Cour suprême.

Madame la ministre pourrait-elle aussi réfléchir un instant et nous dire combien de pays qui ont décidé récemment de se séparer accordent beaucoup de valeur ou d'importance aux décisions rendues par les institutions du pays dont ils se sont séparés?

Le sénateur Fairbairn: Je respecte énormément les deux questions de mon collègue et ses connaissances, mais je n'ai absolument pas l'intention de m'engager dans un dialogue sur le sort que connaîtra le Canada une fois que la Cour suprême se sera prononcée ou après un référendum, ni sur les opinions d'un éventuel Québec séparé.

La priorité du gouvernement actuel, c'est de faire tout ce qui est humainement possible pour éviter pareille éventualité. Le gouvernement tente d'obtenir toute l'information possible pour pouvoir prendre des décisions raisonnées et sensées. Il ne dit pas aux Canadiens qu'il y aura un référendum. Il leur dit qu'il souhaite avoir cette information et qu'il agira de manière à ce que nos concitoyens qui vivent au Québec veuillent demeurer au sein du Canada.

[Français]

 

La place du Québec au sein de la Fédération-
La position du gouvernement

L'honorable Jean-Claude Rivest: Honorables sénateurs, de quoi parle exactement le leader du gouvernement? À l'occasion du dernier référendum, 50 p. 100 des Québécois, 60 p. 100 des francophones ont fait cette distinction. Cinquante pour cent des Québécois ont choisi de se désengager du Canada.

L'honorable Jacques Hébert: Vingt-huit pour cent ont pensé qu'ils restaient au Canada quand même !

Le sénateur Rivest: Le problème est là. Il s'agit de convaincre les 28 p. 100 dont parle notre collègue le sénateur Hébert. Ce sont des gens aussi intelligents que lui et qui ont très bien compris la question, autant que lui.

Le sénateur Hébert: Ce n'est pas ce que disaient les sondages.

Le sénateur Rivest: Depuis le référendum, c'est la question à laquelle on doit répondre, convaincre les Québécois de la valeur de l'option canadienne, en particulier ceux qui ont choisi au dernier référendum de voter pour le OUI. Or, la manière de les convaincre, au lieu de flirter avec la partition, les questions linguistiques, la légalité du processus, les modalités de la sécession qui sont toutes des conséquences, mais la cause réelle c'est l'appartenance et la volonté d'appartenance des Québécois à l'ensemble canadien. Quand donc votre gouvernement va-t-il définir quelle est sa vision de la place du Québec au sein de la fédération canadienne?

Je signale à madame la ministre que le résultat de la politique du gouvernement canadien a divisé les forces fédéralistes au Québec, autant au niveau du Parti libéral du Québec que du Parti conservateur. S'il est besoin de vous convaincre, vous avez votre propre collègue, le sénateur Pietro Rizzuto, qui s'est associé à un groupe de leaders de la communauté italienne, majoritairement fédéraliste et qui disent ceci: ce n'est pas aux tribunaux, mais au peuple du Québec de décider de son avenir.

Voyez-vous le résultat, peu importe les opinions des uns et des autres. Vous avez eu des rapports. Les hommes d'affaires ont fait des colloques, les universitaires ont publié des documents. Le gouvernement n'a rien retenu de cela. Il joue avec les conséquences et les modalités d'une sécession. Nous n'en sommes pas encore au niveau de la sécession. Nous en sommes à convaincre les Québécois de la valeur de l'option canadienne. Pourquoi ne pas vous intéresser à la vraie question, qui est la place du Québec au sein de la fédération au lieu de commencer à jouer avec des conséquences qui n'existeront pas si vous réglez vos problèmes?

N'est-ce pas là le sens des responsabilités premières dont on devrait s'attendre de la part d'un gouvernement? Combien de Québécois qui ont voté OUI vont voter NON au prochain référendum parce qu'il y aurait des problèmes juridiques ou autres? Ils seront perdus à la cause si vous ne répondez pas aux vrais problèmes.

Un de ces vrais problèmes, c'est la place du Québec au sein de la fédération.

[Traduction]

(1430)

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je suis tout à fait d'accord avec le sénateur Rivest. C'est exactement ce que le gouvernement tente de faire et c'est exactement ce que le gouvernement et nous tous devons faire. Cela peut sembler insignifiant à certains sénateurs d'en face, mais très peu de temps après la tenue du référendum l'an dernier, le gouvernement a pris des mesures pour remplir les promesses que le premier ministre a faites à l'occasion de ce référendum.

Le sénateur Lynch-Staunton: Non. Il a dit que ce serait constitutionnalisé.

Le sénateur Fairbairn: Le premier ministre et ses collègues travaillent - peut-être pas de la manière frénétique que souhaiterait le sénateur - au renouvellement de la fédération canadienne afin que le Québec dispose des pouvoirs nécessaires pour s'occuper de ses affaires au sein du pays d'une manière, comme l'a dit le sénateur, significative et acceptable pour cette province aussi bien que pour les autres.

C'est ce que les dirigeants du Canada tentent de faire. En fait, le premier ministre l'a dit de façon suffisamment claire. Tous les jours, dans tous ses actes, le gouvernement travaille au renouvellement de la fédération canadienne, qui comprendrait une province de Québec fière et forte.

[Français]

 

La formation d'un comité spécial-
La position du gouvernement

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, dans ce débat passionnant et très intéressant, tout le monde semble de bonne foi. Tout le monde veut sauver le Canada, se pencher sur la place du Québec, de mon Québec, de la place du peuple canadien-français à l'intérieur du Canada.

La ministre pourrait-elle nous dire si, dans ce cas, elle n'envisagerait pas de demander à ses collègues que l'on institue la motion numéro 22 au nom du sénateur Beaudoin telle qu'elle apparaît au Feuilleton des avis? Pourquoi persiste-t-on à ne pas donner au Sénat le mandat tel que bien exprimé par le sénateur Beaudoin et le sénateur Lynch-Staunton?

Est-elle oui ou non favorable, elle et ses collègues, elle et le Cabinet, elle et le caucus libéral du Canada, que je connais si bien, dont je pourrais parler tellement longuement? Est-ce qu'elle pourrait permettre qu'un comité spécial du Sénat soit formé pour examiner, afin d'en faire rapport, la question de l'unité nationale, plus précisément la question de la reconnaissance du Québec, la formule d'amendement et le pouvoir fédéral de dépenser dans les domaines provinciaux? Pourquoi le Sénat n'entreprendrait-il pas cette étude? C'est une excellente activité pour le Sénat.

[Traduction]

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, cette question figure au Feuilleton d'aujourd'hui. Elle a suscité beaucoup d'intérêt et a fait l'objet de discussions. Les sénateurs des deux côtés ont des points de vue différents et je ne doute pas que nous les entendrons lorsque nous débattrons de la question.

 

L'assurance-emploi

Les changements apportés au système
par voie réglementaire-Demande de précisions
sur les consultations

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, ma question concerne les nouveaux règlements en matière d'assurance-emploi déposés récemment par le gouvernement. Ces règlements ont une incidence sur le gagne-pain des familles de pêcheurs du Canada et sur la vie de localités entières, particulièrement au Québec et au Canada atlantique.

Par suite de ces nouveaux règlements, les prestations aux pêcheurs seront réduites de 33 millions de dollars par année. Pourtant, ces règlements ont été déposés sans examen parlementaire et sans débat. Dans l'étude d'impact qui accompagnait les règlements, le gouvernement prétendait avoir fait de vastes consultations. Il disait plus précisément:

Un document d'information décrivant les changements proposés au Règlement sur l'assurance-emploi dans le secteur des pêches a été distribué aux localités de pêcheurs, aux associations, aux syndicats, aux conseils des pêches, aux ministères provinciaux qui s'occupent des pêches et aux députés fédéraux.

Des séances d'information devaient être données sur demande.

La ministre pourrait-elle nous donner des détails sur ces consultations, y compris la liste des organisations qui ont été contactées et les dates auxquelles elles ont été contactées? Le gouvernement pourrait-il également nous fournir une copie du document d'information en question ainsi que des détails sur toute séance d'information qui a été donnée sur le sujet?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, comme le sénateur Comeau le sait, je cherche à obtenir des réponses à ses questions précédentes. Il me demande aujourd'hui d'autres détails, que je vais essayer d'obtenir pour lui le plus rapidement possible. Il faudra peut-être mettre un peu d'ordre dans tout cela, mais je vais ajouter sa question d'aujourd'hui à ses autres questions. En fait, je crois que la question d'aujourd'hui reprend un peu ses questions précédentes. J'essaierai cependant de répondre à l'essentiel de ses questions.

Le sénateur Comeau: Comme la ministre le sait, jeudi est la date limite pour tout débat parlementaire concernant ces changements. La loi prévoit que le débat parlementaire sur le règlement modificatif ne peut avoir lieu qu'à la Chambre des communes; pour une raison ou une autre, le Sénat a été exclu. Étant donné le délai très court dont nous disposons, je saurais gré à la ministre de me communiquer ces renseignements le plus rapidement possible.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je suis consciente de ce que dit mon collègue. Je tiens aussi à lui dire que le Sénat peut débattre toute question qu'il veut débattre ou presque. Si les honorables sénateurs veulent que nous débattions cette question, il est possible de le faire.

(1440)

Je sais que mon collègue désire recevoir certains des documents qui ont été distribués et je vais voir à ce que mon bureau fasse de son mieux pour les lui transmettre.

[Français]

 

Modifications à la réglementation-
Traitement différent accordé à certaines industries-
La position du gouvernement

L'honorable Jean-Maurice Simard: Honorables sénateurs, ma question a trait également à la réglementation de l'assurance-emploi. On sait que lors de l'étude du projet de loi C-12, il s'est avéré que l'on n'a pas pu trouver un sénateur libéral pour bloquer ce projet de loi. À l'article 153(4), il était prévu dans le projet de loi C-12 qu'une motion ne pourrait pas être débattue pour annuler et amender au Sénat la réglementation à venir.

J'aimerais mentionner que l'ancien gouvernement conservateur en 1992, lorsque l'on a étudié le Special Economics Measures' Act, entériné le 4 juin 1992, il s'avérait dans ce projet de loi qu'un débat était prévu dans les deux Chambres concernant l'adoption des règlements. Alors autant en faire notre deuil, nous n'aurons pas un débat intelligent au Sénat au sujet de ces règlements.

Madame la ministre a suggéré que l'on pourrait commencer un débat au stade des interpellations. Je prétends qu'une telle interpellation équivaudrait à parler au mur. Un débat de cette sorte ne nous conduirait nulle part et les règlements seront en vigueur à partir de jeudi prochain.

La Chambre des communes n'a pas agi. Nous n'avons pas pu trouver 30 députés libéraux à travers le Canada pour s'assurer que ce débat ait lieu et, plus important encore, que ces mauvais réglements soient amendés.

Quelle est la différence dans le traitement que l'on réserve aux banquiers, aux actionnaires dans l'industrie du tabac, d'une part, et, d'autre part, le traitement que le gouvernement libéral réserve aux pêcheurs? Il doit y avoir une différence. Il est bien connu sur la colline parlementaire, et partout au Canada, que le gouvernement ne veut pas déranger les banques qui font des profits considérables. Nous avons eu une preuve cette semaine que le gouvernement ne dérangera pas les compagnies de l'industrie du tabac parce qu'il y aurait des liens privilégiés entre certains sénateurs de cette Chambre et l'industrie du tabac et l'industrie des banques.

Comment ce gouvernement peut-il traiter différemment les pêcheurs qui seront pénalisés, punis et privés de 33 millions de dollars l'an prochain dans les régions de l'Atlantique surtout? Quelle est l'explication que ce gouvernement peut présenter à la population du Canada du traitement deux poids deux mesures, alors que l'on punit et pénalise les pêcheurs de la région de l'Atlantique du Canada?

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, est-ce que le sénateur Simard pourrait poser sa question, s'il vous plait?

Le sénateur Simard: ...alors que l'on laisse aller les banques et l'industrie du tabac?

L'honorable Jean Robert Gauthier: Ne lui demandez pas de poser une question, il n'en a pas.

[Traduction]

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je dois faire savoir au Sénat que la période des questions prendra fin immédiatement après la réponse de l'honorable sénateur Fairbairn.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je ne me lancerai pas dans un débat avec l'honorable sénateur pour comparer la situation des banquiers et des sociétés productrices de tabac à celle des pêcheurs. Il ne fait aucun doute que le gouvernement a élaboré très soigneusement la réforme très difficile et très progressiste du régime d'assurance-emploi et on espère que le nouveau régime durera longtemps. Les pêcheurs canadiens ont été traités avec respect et considération par les ministres les plus directement touchés par leur situation.

De toute évidence, les conclusions auxquelles est arrrivé le gouvernement depuis plusieurs mois n'ont pas reçu l'appui de mon vis-à-vis. Cependant, le gouvernement s'engage, au fait il s'est déjà engagé à travailler en très étroite collaboration avec les pêcheurs des deux côtes du Canada pour leur garantir le meilleur accès possible aux prestations.

[Français]

Le sénateur Simard: Honorables sénateurs, j'aimerais ...

Son Honneur le Président: Je regrette, honorables sénateurs, la période réservée aux questions est déjà passée depuis cinq minutes, c'est terminé.

Le sénateur Simard: J'en appelle à votre autorité.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Simard, asseyez-vous. Quand le Président se lève, on s'assoit. Asseyez-vous sénateur Simard.

Le sénateur Simard: Vous penchez toujours du même côté.

Le sénateur Gauthier: Vous n'avez pas de respect pour la présidence.

[Traduction]

 

RÉPONSES DIFFÉRÉES À DES QUESTIONS ORALES

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai la réponse différée à la question que l'honorable sénateur St. Germain a posée au Sénat le 20 mars 1996 au sujet des propositions de modification concernant les pensions alimentaires pour enfants.

 

Le budget

Les pensions alimentaires pour enfants-
Les modifications aux lignes directrices-
La prétendue amélioration de la situation financière
des familles touchées-Demande de statistiques

(Réponse à la question posée par l'honorable Gerry St. Germain le 20 mars 1996)

Les modifications d'ordre fiscal ne constituent qu'un élément d'un ensemble complet de réformes. Les nouvelles règles fiscales vont de pair avec les nouvelles lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, la bonification du supplément au revenu gagné sous forme de prestation fiscale pour enfants et les nouvelles mesures d'exécution.

Nous avons comparé les résultats des nouvelles règles fiscales, des lignes directrices et du supplément au revenu gagné à un échantillon d'ordonnances rendues en 1992 à différents endroits au Canada, et nous avons constaté que dans plus de 85 p. 100 des cas, les nouvelles mesures amélioreraient la situation financière des parents gardiens et de leurs enfants. Seuls les montants de base donnés dans les tables ont été utilisés pour établir cette comparaison. Les résultats auraient été encore meilleurs si nous avions tenu compte des montants additionnels qui peuvent être obtenus pour les frais de garderie, les soins de santé, les études et les activités parascolaires.

Il demeure que des pensions alimentaires plus élevées n'aideront les enfants que si elles sont effectivement payées. C'est précisément le but visé par nos mesures d'exécution. L'ensemble des mesures augmentera le montant de la pension alimentaire que reçoivent les parents gardiens et leurs enfants.

En ce qui concerne l'application des nouvelles mesures par rapport au régime fiscal actuel des parents gardiens à faible revenu, il y a deux points à retenir. Premièrement, bien que le régime fiscal actuel offre un avantage au parent qui paie la pension, en pratique, l'enfant ne bénéficie de l'allégement fiscal que si la pension alimentaire accordée est assez élevée pour lui assurer un montant plus que suffisant pour satisfaire les besoins et payer les impôts sur la pension que le parent gardien doit verser. En pratique, le parent gardien n'obtient souvent pas tout ce qu'il devrait lors de négociation de la séparation. Si le montant accordé ne couvre pas la totalité de l'impôt exigible, ce parent devra payer l'impôt en le prélevant sur l'argent destiné à subvenir aux besoins de l'enfant. En pratique, l'enfant ne profite donc pas toujours de cet avantage théorique.

Deuxièmement, les changements d'ordre fiscal ne constituent qu'un élément d'un ensemble de réformes. Les nouvelles règles fiscales vont de pair avec les nouvelles lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, la bonification du supplément au revenu gagné sous forme de prestation fiscale pour enfants et les nouvelles mesures d'exécution. L'impact de la stratégie en matière de pensions alimentaires pour enfants doit être évalué globalement.

Cet ensemble de mesures fournit une aide beaucoup plus élevée aux familles à faible revenu que le régime actuel, et ce, de façon mieux ciblée et plus efficace.

Le ministère des Finances a estimé les recettes fiscales additionnelles qui découleront du changement de régime fiscal à environ 200 millions de dollars au cours des trois premières années. Au cours de ces trois mêmes années, les familles de travailleurs à faible revenu recevront 565 millions de dollars de plus qu'auparavant en raison de la bonification du supplément au revenu gagné. En juillet 1998, lorsque le supplément au revenu gagné aura été bonifié au maximum, les familles de travailleurs à faible revenu toucheront des prestations additionnelles de 250 millions de dollars chaque année.

Le gouvernement a aussi réaffecté un montant de 96 millions de dollars destiné à d'autres dépenses gouvernementales pour financer la mise en oeuvre des lignes directrices et des mesures d'exécution au cours des cinq prochaines années. Ce montant comprend une aide de 68 millions de dollars pour permettre aux provinces d'effectuer la transition au nouveau régime et de renforcer leurs régimes d'exécution. Un meilleur régime d'exécution et une gestion plus efficace des dossiers en matière de pensions alimentaires profitent directement aux parents séparés et à leurs enfants.

Il est clair que les sommes investies par le gouvernement dans ce projet, au profit de nos enfants, excèdent de beaucoup les recettes additionnelles qui pourraient résulter du changement de politique fiscale.

 

Les statistiques sur les questions encore inscrites
au Feuilleton-Demande de mise à jour

L'honorable Eric Arthur Bernston (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, je voudrais poser une question à l'honorable sénateur en face. Nous sommes certes heureux de recevoir la réponse différée à une question qui remonte à mars 1996, mais de nombreuses autres questions sont inscrites au Feuilleton depuis mars, avril et mai. Quand pouvons-nous espérer recevoir des réponses à ces questions?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, comme le chef adjoint de l'opposition le sait, nous nous efforçons assidûment et tous les jours de répondre aux questions posées par les honorables sénateurs de l'autre côté. Je tenterai de lui faire dès demain un rapport complet sur l'état de ces questions.

 

La défense nationale

Le programme de remplacement des hélicoptères
de recherche et de sauvetage-Demande de réponses aux questions inscrites au Feuilleton

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, j'invoque le Règlement. Je voudrais savoir si le leader du gouvernement pourrait, afin d'accélérer les choses, examiner les questions encore inscrites au Feuilleton et qui concernent le remplacement des hélicoptères, compte tenu des difficultés que nous avons éprouvées cet été et qui subsistent. Ces questions sont au Feuilleton depuis maintenant plus d'un an.

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Oui, honorables sénateurs, cette question sera traitée en priorité.

 


(1450)

 

ORDRE DU JOUR

PROJET DE LOI DE CRÉDITS NO 2 POUR 1996-1997

Troisième lecture

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement) propose: Que le projet de loi C-56, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l'administration publique fédérale pendant l'exercice se terminant le 31 mars 1997, soit lu une troisième fois.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu une troisième fois, est adopté.)

 

La loi sur les juges

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Recours au Règlement-Ajournement du débat dans l'attente de la décision de la présidence

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Bryden, appuyé par l'honorable sénateur Roux, portant deuxième lecture du projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les juges et une autre loi en conséquence.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole à l'occasion du débat de deuxième lecture du projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les juges et une autre loi en conséquence. Ce projet de loi contient des propositions tout à fait nouvelles qui sont incompatibles et contraires aux dispositions de la Loi sur les juges, qu'il modifie. Il contredit la politique qui est énoncée dans la Loi sur les juges et que le Parlement et les électeurs ont approuvée à plusieurs reprises et va à l'encontre des articles 99 et 100 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-42 est une feinte. Premièrement, il se prétend une loi ordinaire. Pas du tout. C'est un amendement constitutionnel. Il modifie les articles 99 et 100 de la Loi constitutionnelle de 1867, par le seul Parlement, en l'absence des autres parties à la Constitution. Deuxièmement, il se prétend une simple modification technique de la Loi sur les juges. Pas du tout. Il promulgue une proposition entièrement nouvelle, qui annulerait les articles essentiels de la Loi sur les juges. Il comporte même une clause de dérogation qui invaliderait ces articles. Troisièmement, il modifierait et réduirait le rôle constitutionnel du Gouverneur général du Canada pour ce qui est de la révocation des juges. Enfin, il se prétend un projet de loi d'intérêt public quand, en fait, c'est un projet de loi privé qui a pour but de promouvoir les intérêts personnels de certains juges.

Honorables sénateurs, les fonstionnaires de la Justice appellent le projet de loi C-42 l'amendement Arbour, l'amendement Strayer et l'amendement Tremblay-Lamer, Lamer.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-42 est premièrement un amendement constitutionnel, car il propose de faire ce que la Loi constitutionnelle de 1867 et le Parlement disent qu'il ne faut pas faire et que c'est contraire à l'intention de la Constitution et du Parlement. Le paragraphe 99(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 dispose que:

[...] les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes.

L'article 100 dispose que:

Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures [...] seront fixés et payés par le Parlement du Canada.

Honorables sénateurs, ces deux dispositions ont été inscrites directement dans notre Constitution par les pères de la Confédération qui l'ont puisée dans l'Act of Settlement de 1701, article 7, du Royaume-Uni, et donnaient au Parlement un pouvoir de surveillance sur les juges et sur les rapports de l'exécutif avec les juges. L'article 100 dispose que le Parlement fixe et paie les salaires des juges de sorte que la sécurité financière des juges ne soit pas assujettie à une action arbitraire de la part de l'exécutif ou des ministres de la Couronne; et l'article 99 a pour but d'assurer la permanence des juges en investissant le Parlement, et le Gouverneur général en particulier, du pouvoir de surveillance sur l'exécutif pour ce qui est de la révocation des juges pour quelque motif que ce soit. En d'autres termes, il n'existe pas de révocation temporaire. Le projet de loi C-42 propose le contraire. Il propose que le Parlement ne fixe plus et ne paie plus les salaires des juges et que les juges soient révoqués pour des périodes non déterminées et indéfinies, pour des motifs à la fois arbitraires et subjectifs.

Honorables sénateurs, l'indépendance des juges est une convention constitutionnelle adoptée par les politiciens en vertu de laquelle nous, parlementaires, avons décidé que le Parlement surveillerait les questions du traitement et de l'inamovibilité des juges. Le Parlement du Canada, la Constitution du Canada et cette convention politique ont permis de protéger les juges contre les décisions arbitraires sur ces deux aspects. Les nouvelles propositions présentées dans le projet de loi C-42 vont à l'encontre de la Constitution du Canada, du Parlement et de la Loi sur les juges.

Honorables sénateurs, mon deuxième argument, c'est que le projet de loi C-42 n'est pas une simple modification administrative de la Loi sur les juges. C'est une négation des dispositions législatives qu'il prétend modifier. Il annule et remplace la loi originale. Il y a un principe établi au Parlement selon lequel un amendement ne peut annuler ce qu'il vise à modifier. L'annulation d'une mesure doit être la conséquence de la volonté du Parlement, exprimée clairement, soit par abrogation ou au moyen d'un vote direct et sans équivoque. Le commentaire 578(1) de Beauchesne, dans sa 6e édition, affirme:

Un amendement qui constitue une négation directe de la motion principale, même s'il est paré de verbiage, n'est pas conforme au Règlement.

En 1920, l'autre endroit a rejeté un amendement du Sénat sur une motion du ministre Newton Rowell qui disait:

Qu'un tel amendement était incompatible [...] et contraire à la politique [...] qui a reçu plusieurs fois l'approbation du Parlement du Canada et de l'électorat.

L'article 5 du projet de loi C-42 accorde un pouvoir sans précédent au ministre de la Justice et aux juges en chef, leur permettant de priver les juges de leur traitement et de les suspendre de leurs fonctions pour un temps indéterminé sans avoir à en préciser les raisons. Depuis la Confédération, le Parlement a toujours fait en sorte d'empêcher l'exécutif de prendre des décisions arbitraires privant les juges de leur traitement ou les suspendant de leurs fonctions, même dans les cas de mauvaise conduite, en laissant ces questions sous l'étroite surveillance du Parlement. Celui-ci, en fixant les salaires des juges, qui sont d'ailleurs excellents, a établi dans la loi que les juges visés par l'article 96 devaient avoir une indépendance complète pour pouvoir exercer leurs fonctions. Il a fallu 130 ans au Parlement pour bien définir tous ces facteurs et ces motifs de préoccupation.

De par la loi, les juges ne peuvent pas avoir d'autres occupations et ne peuvent pas recevoir d'émoluments autres que ceux fixés et fournis par le Parlement. Le Parlement protège les juges de l'indignité, de la corruption, des trafics d'influence et autres tentations financières et politiques, en prélevant ces excellents salaires sur le Trésor et en exigeant que le gouvernement du Canada soit leur seul maître payeur.

Honorables sénateurs, j'ai des opinions bien arrêtées sur certaines de ces questions.

Les dispositions de la Loi sur les juges comprennent l'article 54 qui limite les congés; l'article 55, qui concerne l'exclusivité des fonctions judiciaires; l'article 56, qui limite les activités des juges aux questions relevant «de la compétence législative du Parlement» - et les activités de Madame le juge Arbour ne relèvent pas de cette compétence - et l'article 57, qui interdit toute rémunération supplémentaire. Le principe était qu'une magistrature protégée est une garantie de liberté pour le public. Le projet de loi C-42 vient contredire la Loi sur les juges qu'il modifie, et va à l'encontre de ce principe.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-42 confirme la récente tendance, délibérée, à concentrer le pouvoir dans le bureau des juges en chef. Cette concentration des pouvoirs inquiète de nombreux juges. Le juge David Marshall de l'Ontario disait:

Toute augmentation des pouvoirs d'un juge en chef peut être vue comme une menace à l'indépendance judiciaire.

De plus, le juge John Bouck de la Colombie-Britannique disait:

Ils ne sont responsables devant personne [...]

Et le juge Timothy Daley de la Nouvelle-Écosse disait:

Il existe des possibilités d'ingérence en raison de la nature unique de l'autorité administrative du juge en chef et de ses fonctions en matière d'enquête, de discipline et de supervision.

Les conséquences du rôle accru des juges en chef dans la magistrature et dans le système judiciaire canadien exigent une étude en profondeur du Parlement.

Honorables sénateurs, mon troisième point, c'est que le projet de loi C-42 modifie le rôle du Gouverneur général. Une disposition du projet de loi enlève au Gouverneur général son rôle constitutionnel de révoquer des juges. L'article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 lui donnait ce rôle et ne prévoyait pas de révocation temporaire. Toute révocation, que ce soit pour quelques mois, quelques années ou de nombreuses années, se fonde sur l'article 99 et relève du Gouverneur général du Canada. La condition prévoyant la nomination «durant bonne conduite» ne prévoit absolument pas l'abandon des fonctions judiciaires. J'insiste sur le fait qu'absolument aucun abandon des fonctions judiciaires ne devait être toléré. Une absence injustifiée ou inappropriée ou une négligence des fonctions de magistrat sont, et ont toujours été, un motif de révocation par le souverain. En rédigeant l'article 99, sir John A. Macdonald et lord Carnavon, alors secrétaire aux colonies, considéraient la situation constitutionnelle et politique au Royaume-Uni et dans le Canada d'avant la Confédération et également les problèmes judiciaires particuliers au Canada. Cet article de la loi constitutionnelle, qui s'adressait délibérément au Gouverneur général du Canada et non pas à Sa Majesté la Reine d'Angleterre, au gouverneur en conseil du Canada ou au Conseil privé d'Angleterre, confiait un rôle constitutionnel particulier au Gouverneur général du Canada. La nouvelle proposition contenue dans le projet de loi C-42 restreint ce rôle constitutionnel.

 

  • (1500)
Honorables sénateurs, en ce qui concerne mes trois premiers points, le projet de loi C-42 propose des modifications à la Constitution qui ne respectent pas la procédure prescrite, c'est-à-dire la présentation d'une proposition au Sénat, à la Chambre des communes et aux assemblées législatives provinciales pertinentes. Politiquement, une telle proposition équivaudrait à consulter les Canadiens au sujet des occupations et du traitement des juges et des conditions y afférentes. Les Canadiens qui souhaitant la responsabilité judiciaire s'inquiètent de l'état de notre système de justice et sont peu réconfortés par la rhétorique des juges et des politiciens au sujet de l'indépendance judiciaire.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-42 modifierait la Loi sur les juges et permettrait aux juges canadiens de se retirer du banc pour aller travailler à l'étranger, être embauchés et rémunérés par des organisations internationales et accomplir des tâches non judiciaires et memer des activités internationales. Il répond plus précisément aux besoins très médiatisés du nouveau poste international confié à madame la juge Louise Arbour de la Cour d'appel de l'Ontario. Cependant, le projet de loi ne définit pas les activités en cause. Le 29 février 1996, madame la juge a accepté d'agir à titre de procureur pour le tribunal international qui poursuivra en justice les criminels de guerre de l'ex-Yougoslavie. De toute évidence, honorables sénateurs, en vertu du projet de loi C-42, un autre juge canadien pourrait être nommé avocat de la défense pour ces mêmes criminels de guerre poursuivis par Mme Arbour. Il est vraiment embarrassant de penser que deux juges canadiens pourraient travailler comme mercenaires, l'un à titre de procureur de la poursuite et l'autre à titre d'avocat de la défense, devant un tribunal qui prête à controverse politique et juridique. Selon le vieil adage, un juge demeure toujours un juge et s'il veut devenir avocat de la poursuite ou de la défense, il doit d'abord se retirer.

Ce genre d'activité est inapproprié pour un juge en exercice. Les honorables sénateurs devraient penser à ce qui se passerait si la compagnie IBM pouvait engager un juge canadien pour travailler pour elle à l'étranger. Une charge judiciaire n'est pas conciliable avec un congé en vue d'occuper un autre poste ou de rechercher la gloire ou la fortune. Si les juges en exercice veulent se lancer dans une autre carrière ou entreprendre d'autres activités professionnelles, ils doivent renoncer à leur poste. Une charge judiciaire est un mandat solennel conféré par lettre patente royale à une personne prête à accepter cette nomination conformément aux impératifs et aux limitations juridiques et constitutionnels inhérents à une telle charge.

Honorables sénateurs, il existe un principe parlementaire selon lequel un juge ne doit être animé ni par l'ambition personnelle, ni par l'appât du gain, et ne devrait pas présenter de projet de loi au Parlement dans son intérêt propre. C'est un vieux principe parlementaire. À ce propos, M. William MacLean, député dans l'autre endroit, a dit en 1905 à l'occasion d'un débat maintenant célèbre:

[...] un juge ne devrait pas chercher à faire de sa promotion le sujet d'accords spéciaux ou d'une mesure législative spéciale en sa faveur lorsqu'on propose de le muter d'un poste à un autre.

Le juge en chef James McRuer, de la haute Cour de l'Ontario, a émis l'avertissement suivant, en 1968, dans le rapport d'enquête de la commission royale sur les droits de la personne de l'Ontario:

Si un juge ou un magistrat se servait de sa charge judiciaire à des fins politiques pour faire avancer sa carrière, il se rendrait coupable de corruption.

Honorables sénateurs, comme je le disais, le projet de loi C-42 n'est pas un projet de loi d'intérêt public. C'est en fait un projet de loi d'intérêt privé. Dans la 6e édition de Beauchesne, on peut lire le commentaire 623 suivant:

Le projet de loi d'intérêt public est l'expression de la politique du gouvernement, tandis que le projet de loi d'intérêt privé traite de questions qui présentent un intérêt ou un avantage particuliers pour une ou plusieurs personnes. Un projet de loi renfermant le genre de dispositions qui caractérisent essentiellement un projet de loi d'intérêt privé ne peut être déposé à titre de projet de loi d'intérêt public.

En acceptant, de façon très médiatisée, un poste non judiciaire, sachant pertinemment que c'est une pratique interdite au Canada, la juge Arbour bafoue publiquement le Parlement et le force à se prononcer, et ce sénateur n'aime pas ça. Ce sénateur n'aime pas être forcé de voter dans un sens ou dans un autre, même par un juge. Ce comportement provocateur est répréhensible. Elle a violé la Loi sur les juges et maintenant, le Cabinet cherche notre appui pour adopter ce projet de loi dans les plus brefs délais.

On me dit que la juge Arbour est à l'emploi des Nations Unies à titre privé, au terme d'un accord privé entre elle et le secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali. En outre, on me dit que la juge Arbour est en Europe, à La Haye, au service des Nations Unies depuis des mois.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Cools, j'hésite à vous interrompre, mais votre temps de parole est expiré.

Honorables sénateurs, accordez-vous votre permission?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Cools: Je vous remercie, honorables sénateurs.

Comme je l'ai dit, je suis informée. J'ai fait des recherches très approfondies sur tout ce dont je parle. Je suis informée que madame le juge Arbour est déjà aux Nations Unies à la Haye depuis plusieurs mois. De toute évidence, cela signifie que mon vote ici est absolument sans conséquence. Il s'agit d'un juge.

Je remarque que le projet de loi C-42 n'a été introduit au Sénat que le 18 juin 1996, soit deux jours avant que le Sénat ne s'ajourne pour l'été.

Passons maintenant, honorables sénateurs, à l'amendement Barry Strayer. L'article 6 du projet de loi C-42 modifie le paragraphe 59 (1) de la Loi sur les juges pour accroître le nombre des membres du Conseil canadien de la magistrature en y ajoutant le nom du juge de la Cour fédérale Barry Strayer, qui est également le juge en chef de la Cour d'appel des cours martiales. Le paragraphe 2(3) lui accorde, sans qu'il ait à en rendre compte, une indemnité pour frais de réception, pour lui-même et son épouse. À l'origine, la Cour d'appel des cours martiales, qui s'appelait le Tribunal d'appel des cours martiales, avait à sa tête un président et était composé de juges des Cours fédérale et supérieures. En 1984, on est passé de «président» à «juge en chef». Cette manipulation a évidemment pour but de conférer au titulaire les parures de juge en chef.

Les honorables sénateurs ne sont pas sans savoir que c'est la Cour fédérale du Canada qui remplit les fonctions administratives et infrastructurelles d'une cour d'appel des cours martiales. Celle-ci n'est pas une vraie cour au même titre que la Cour suprême ou la Cour fédérale. En témoigne le fait qu'au cours de l'exercice 1995-1996 les juges de la Cour d'appel des cours martiales ont rendu 14 décisions. Les cours martiales, en raison de leur petit nombre, devraient pouvoir faire appel à la Cour fédérale ou à la Cour suprême du Canada, comme c'est le cas pour l'ensemble des affaires fédérales.

Le 2 août 1996, dans l'Ottawa Citizen, le ministre de la Défense, David Collenette, a fait valoir la nécessité d'un examen du système de justice militaire par un comité parlementaire. Il semble prématuré et peu sage de modifier la Loi sur les juges pour élever le juge Strayer à un rang supérieur alors même que le ministre a insisté pour que le Parlement se penche sur la justice militaire.

Honorables sénateurs, examinons maintenant l'amendement Tremblay-Lamer, Lamer. L'article 44 de la Loi sur les juges interdit aux conjoints survivants de juges de recevoir plus d'une pension. L'article 3 du projet de loi C-42 permettra au conjoint survivant de recevoir plus d'une pension. Je me suis renseignée au sujet du nombre de juges et de cas touchés par cet amendement. On m'a informée qu'il n'y a qu'un cas et un mariage, celui du juge en chef Antonio Lamer et de Mme la juge Danielle Tremblay-Lamer. Ils se sont mariés en 1987, et Mme Tremblay-Lamer a été nommée juge à la Cour fédérale du Canada le 16 juin 1993.

 

  • (1510)
Honorables sénateurs, l'Agence canadienne de développement international et sa participation dans l'appareil judiciaire, sous la direction du commissaire de la magistrature fédérale, avec la collaboration du président du Conseil de la magistrature, devraient faire l'objet d'un examen par le Parlement. Le financement par l'ACDI de séjours de juges canadiens à l'étranger, le rôle du président du Conseil de la magistrature, le juge en chef Lamer, et le rôle du commissaire de la Magistrature fédérale, Guy Goulard, dans ces initiatives internationales, soulèvent tous de sérieuses questions au sujet de l'indépendance du pouvoir judiciaire au Canada. La Loi sur les juges ne prévoyait aucun rôle dans les affaires étrangères ou sur la scène internationale pour le Conseil de la magistrature, son président ou le commissaire de la Magistrature fédérale. En outre, la Loi sur les juges ne prévoit aucun financement des juges par l'ACDI. Les conséquences pour les juges et pour le système de justice sont sérieuses.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-42 est imparfait sur le plan de la probité et de la forme, et n'est pas un projet de loi ordinaire. Il modifie considérablement les relations entre le pouvoir judiciaire et la Constitution et ne favorise ni l'administration de la justice ni l'intérêt public. Les auteurs de la Constitution canadienne avaient compris le tort que pouvait causer à quelque pays que ce soit des dispositions permettant de laisser les juges se substituer au Parlement, fussent-ils des juges en chef, et il est de notre devoir de faire échec à ce projet de loi qui n'est pas ce qu'on prétend. À l'article 5, l'utilisation de l'expression «autorisation du gouvernement du Canada», et non du gouverneur en conseil, porte à croire que les bureaucrates et les fonctionnaires peuvent intervenir dans le travail des juges. Que représente le «gouvernement du Canada» dans cet article? Le projet de loi laisse à désirer, sans compter que l'article 7 prévoit même un effet rétroactif concernant certains paiements déjà effectués. Sachant qu'il n'y a aucune limite à la sagesse ou à la déraison du Parlement, je considère que le projet de loi C-42 est mauvais. Son caractère imprécis exige l'attention de tous les honorables sénateurs. Les intérêts du Parlement à l'égard de la sécurité financière, de l'inamovibilité et de l'indépendance des juges sont en jeu, tout comme l'indépendance des juges et la justice même.

Je tenais à signaler aux honorables sénateurs des problèmes que je juge extrêmement graves. Je supplie les sénateurs d'étudier ce projet de loi attentivement. Comme je l'ai déjà dit, pour ma part, je m'oppose catégoriquement à ce projet de loi. Au Sénat, nous étudions de nombreux projets de loi, en particulier en provenance de ce ministère, qui n'apportent, à ce qu'on dit, que des modifications de nature technique. Des légistes expérimentés savent pertinemment que le moyen le plus rapide de provoquer l'indifférence et l'inattention des sénateurs consiste à déclarer qu'une modification est de «nature technique». Je répète qu'il n'y a rien de tel qu'une modification de nature technique. Comme je l'ai signalé, le projet de loi C-42 n'est pas une modification technique.

Enfin, permettez-moi de rappeler ce qui s'est produit en juin 1993, pendant que je siégeais dans l'opposition. Je suivais celui qui était mon chef à l'époque, le sénateur MacEachen, au cours du débat sur la motion du sénateur John Stewart sur l'ALENA. Le projet de loi C-115 de mise en oeuvre de l'ALENA prévoyait dans son article 218 que les groupes spéciaux de règlement des différends soient formés de juges. Sauf erreur, tous mes collègues se sont unanimement opposés à cet article. Nous avons tenté de le rejeter, si je me souviens bien. Notre opposition reposait sur la nécessité de protéger la magistrature du Canada et de maintenir une attitude pure à l'égard du recours aux juges.

Je remercie les honorables sénateurs pour leur attention.

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, le sénateur Cools a fait allusion à la question constitutionnelle. Je me demande si elle a lu l'article 11 de la Charte des droits et des libertés qui stipule ceci:

Tout inculpé a le droit:

(d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

L'honorable sénateur a-t-elle réfléchi à cette disposition de la Charte? A-t-elle quelque chose à dire à ce sujet? Pense-t-elle que le projet de loi C-42 contrevient à cette disposition de la Charte des droits et des libertés?

Le sénateur Cools: Je remercie l'honorable sénateur de sa question. L'article 11 de la Charte est fréquemment cité par les juges qui s'appuient sur cette disposition en y voyant un gage constitutionnel moderne de leur indépendance.

Quinze minutes, c'est bien court pour développer des sujets aussi vastes et aussi complexes, mais il est clair que si, comme je le prétends, cela compromet l'indépendance des juges sur ces points-là, ça la compromet sur tous les autres points.

Comme je l'ai déjà dit aux honorables sénateurs, les juges partout au Canada nous regardent étudier le projet de loi C-42. Quand quelqu'un au Canada entre dans la salle d'un tribunal et comparaît devant un juge pour quelque raison que ce soit, il a droit à l'assurance que la personne devant laquelle il comparaît agit à l'abri des bureaucrates, des politiciens et des juges en chef.

Pour répondre directement à la question de l'honorable sénateur, je dirai oui.

L'honorable David Tkachuk: Honorables sénateurs, j'ai beaucoup apprécié l'exposé du sénateur Cools. Elle a parlé d'un juge, dont je n'ai pas bien saisi le nom, qui a quitté le Canada à l'invitation de Boutros Boutros-Ghali pour siéger au tribunal de La Haye cet été. Ce juge se fait-elle payer par l'ONU ou l'un de ses organismes en plus de toucher un chèque du gouvernement canadien?

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, il serait préférable que le sénateur Tkachuk adresse sa question au chef de mon parti. Je crois cependant comprendre que le gouvernement du Canada a trouvé un moyen de satisfaire aux besoins de ce juge.

Le sénateur Tkachuk: Honorables sénateurs, cela me dérange un peu. Si le projet de loi n'est pas adopté, cela placera-t-il ce juge en infraction à la loi?

Le sénateur Kinsella: Elle est déjà en infraction.

Le sénateur Cools: Je dirais que ce juge est déjà en infraction à la Loi sur les juges.

Le sénateur Tkachuk: L'objet du projet de loi est-il de lui éviter de contrevenir à la loi?

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, nous devons revenir sur les 130 ans d'histoire qui ont abouti à la formulation actuelle de l'article 55, qui est très clair:

Les juges se consacrent à leurs fonctions judiciaires à l'exclusion de toute autre activité, qu'elle soit exercée directement ou indirectement, pour leur compte ou celui d'autrui.

Des exceptions sont prévues plus loin, permettant de nommer des juges membres d'une commission royale ou de les désigner en vertu de la Loi sur les enquêtes. Aux termes de l'alinéa 56(1)a):

Les juges ne peuvent faire fonction [...] que sur désignation expresse par une loi [...]

Il faut donc invoquer une loi fédérale ou un décret.

 

  • (1520)
L'alinéa 56(1)b) précise que, lorsqu'un juge remplit des fonctions légèrement différentes, ce doit être:

[...] par une loi provinciale [...] s'il s'agit d'une question relevant de la compétence législative de la législature d'une province [...]

Il est évident que le Parlement du Canada est en cause. La question est de savoir si les activités menées à La Haye relèvent de l'autorité législative du Canada.

Honorables sénateurs, si on revoit les débats sur la sécurité financière et la rémunération des juges qui ont eu lieu ces dernières années, on constate que tout a débuté par la loi dite Act of Establishment, mais le mouvement ne s'est vraiment dessiné que des années plus tard, lorsqu'est apparu le Fonds du revenu consolidé, ou Trésor.

Il ne faut pas oublier que la question de la rémunération des juges suscite toujours des débats considérables. Les juges ont toujours insisté pour dire qu'ils ne sont pas de simples fonctionnaires et pour ne pas être traités comme tels. Autrement dit, ils sont nommés selon certaines modalités et jouissent d'un statut particulier.

Le projet de loi C-42 rabaisse les juges au rang de simples fonctionnaires, qui pourront prendre des congés de deux à cinq ans. Voilà pourquoi le projet de loi C-42 est rétrograde. Il vise en fait à biffer 130 ans d'histoire.

Le sénateur Tkachuk: Honorables sénateurs, si un juge veut servir à l'étranger, cela pourrait-il comprendre des fonctions au sein d'une société privée ou cela se limiterait-il à des missions auprès d'autres gouvernements? Par exemple, un juge pourrait-il demander un congé pour se rendre aux États-Unis et gagner beaucoup d'argent en travaillant pour IBM?

Le sénateur Cools: L'un des aspects les plus inquiétants du projet de loi C-42 est son caractère vague et mal défini. La formulation de la mesure législative est un modèle d'imprécision et de manque de netteté. Les questions que vous posez restent sans réponse dans le projet de loi.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce un projet de loi d'Allan Rock?

Le sénateur Kinsella: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Alors là, la question commence vraiment à m'intéresser.

Le sénateur Cools: L'article 5 du projet de loi ne précise pas les activités auxquelles peuvent participer les juges.

L'article 5 est un exemple majestueux d'imprécision. On y dit.

La loi est modifiée par adjonction, après l'article 56, de ce qui suit:

56.1(1) Par dérogation à l'article 55 [...]

C'est donc dire que l'article 5 du projet de loi modifie les articles 55 et 56 de la loi. Dans ces dispositions de la loi, on explique très clairement ce que le gouvernement et le Parlement du Canada ont toujours considéré comme des fonctions appropriées pour les juges.

L'article 5 est un exemple majestueux de ce qui est illusoire et insaisissable. Il annule ce que disent les articles 55 et 56 de la loi. Voici ce que dit le paragraphe 56.1(1):

Par dérogation à l'article 55 [...]

C'est nouveau, cela: «par dérogation à l'article 55». Si ce projet de loi est adopté, je prédis qu'on nous présentera une autre modification de forme qui abrogera complètement l'article 55. Nous en sommes à l'étape de transition. Si on suit l'évolution de ces modifications, on verra que tout l'article finira par disparaître complètement.

Le point essentiel, c'est que le projet de loi C-42 est vague à bien des égards. Tout d'abord, il s'agit de savoir qui donne l'autorisation. Il dit:

Par dérogation à l'article 55, le juge peut, avec l'autorisation du gouvernement du Canada [...]

Je le répète, on ne dit pas qui est au juste le gouvernement du Canada, et c'est extrêmement détestable.

Le projet de loi poursuit:

[...] participer à des activités internationales, à des programmes internationaux d'assistance technique ou aux travaux d'une organisation internationale d'États ou d'une de ses institutions [...]

Toutefois, il ne dit pas ce que sont ces activités internationales, ces programmes internationaux d'assistance technique, ni même ce qu'est une organisation internationale d'États. Par exemple, il pourrait arriver qu'un juge canadien aille travailler pour les Nations Unies - pour quelque chose comme ce qui arrive à l'heure actuelle entre Israël et la Palestine - et qu'un autre juge canadien soit engagé par la Ligue arabe unie. Ils pourraient alors s'affronter.

L'honorable sénateur demande si cette disposition peut être interprétée de manière à comprendre une société internationale. Je l'ignore. Je me suis posé les mêmes questions que lui. J'en suis arrivée à la conclusion que le caractère vague du projet de loi n'est pas accidentel, mais délibéré. C'est mon devoir de le contester.

Je sais que les êtres humains ne sont pas parfaits et chercheront toujours à repousser les limites. Je ne doute nullement que le vide que crée le caractère vague du projet de loi sera automatiquement rempli.

Pour répondre à la question de l'honorable sénateur, je dirai que le projet de loi laisse à désirer parce qu'il n'établit pas clairement en quoi consistent les activités ou les organisations internationales, qui peut y participer et qui peut autoriser qui. Tout cela me rend extrêmement méfiante et craintive.

Honorables sénateurs, je n'ai jamais beaucoup parlé de ma vie personnelle, mais j'ai été élevée dans une société coloniale assujettie à l'énorme influence des anciens libéraux britanniques du XIXe siècle. Je me considère comme une libérale britannique du XIXe siècle. Je connais le travail qu'ils ont accompli au fil des ans pour protéger le pouvoir judiciaire.

Honorables sénateurs, vu mes origines, je déteste voir les gens tripatouiller des principes importants et des dispositions législatives primordiales, exercice qui pourrait simplement se traduire par des voyages aux frais de la princesse.

Les honorables sénateurs comprennent sûrement pourquoi cette question me tient à coeur. Je pense personnellement que le pouvoir judiciaire a mis des années à devenir ce qu'il est. Nous sommes aujourd'hui saisis d'une question très importante.

Je lis ce projet de loi et je n'y vois que fragilité et faillibilité humaines.

Si nous voulons maintenir la tradition judiciaire telle que nous l'imaginons et la concevons, nous devons être vigilants et bien examiner le projet de loi C-42. Celui-ci comporte bien d'autres aspects douteux. Je ne les ai même pas tous mentionnés.

Comme je l'ai dit, honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir permis de soulever ici ces questions, aujourd'hui.

 

  • (1530)
Franchement, je m'attendais à devoir me battre très fort pour prononcer mon discours. Je remercie les sénateurs de l'intérêt dont ils ont fait preuve.

S'il est si difficile pour les parlementaires de comprendre cette question à fond, c'est qu'elle est d'une grande complexité et qu'elle est très vaste. Je ne doute pas que les rédacteurs des textes de loi en sont conscients, et qu'ils en profitent pour éviter que les parlementaires se penchent longuement sur ce projet de loi.

Je prononce pas mal de discours d'un bout à l'autre du pays et la vérité, c'est que les Canadiens savent qu'il y a vraiment quelque chose qui cloche dans le système judiciaire. Ils ne savent pas avec précision quel est le problème. J'estime qu'en tant que parlementaires, nous avons l'obligation d'accorder à cette question toute l'attention qu'elle requiert.

Enfin, c'est donner un très mauvais exemple que de dire au public que les juges ne sont pas tenus de respecter la loi. À mon point de vue, c'est là l'aspect le plus troublant de ce projet de loi.

Il semble qu'un article ait paru dans le Globe and Mail d'aujourd'hui, le 1er octobre, à ce sujet. Je n'en ai entendu parler qu'à l'heure du déjeuner, mais comme j'essayais de mettre la dernière main à mon discours, je n'ai pas pu le lire. Étant donné que la question est si difficile, je dois être prudente. Nous avons si peu de temps pour parler. Quinze minutes, ce n'est pas beaucoup, et il faut travailler fort pour réussir à tout placer dans un exposé aussi court.

L'honorable C. William Doody: Honorables sénateurs, je ne veux vraiment pas interrompre madame le sénateur Cools dans son envolée oratoire. Elle a assez bien capté notre attention à tous, et elle semble prête à la conserver pendant encore un bon bout de temps. Cependant, le Règlement limite les interventions à 15 minutes, après quoi le Sénat peut accorder du temps supplémentaire, le tout étant suivi d'une période réservée aux questions et aux observations. Si nous ne nous limitons pas de cette façon, les choses vont nous échapper complètement de sorte que nous devrons écouter des dialogues savants et intéressants entre divers sénateurs, lesquels, je n'en doute pas, enrichiront le débat public. Entre-temps, toutefois, d'autres sénateurs - et j'en suis - voudront sûrement intervenir. C'est pourquoi je vous demande un peu de considération.

Comme je ne suis plus aussi jeune et que je commence à être un peu fatigué, j'en appelle à l'indulgence des sénateurs plus jeunes pour qu'ils permettent au Sénat de poursuivre ses travaux. Peut-être qu'il vaudrait mieux qu'une bonne partie des questions dont nous avons été saisis aujourd'hui au Sénat soient discutées en comité. Les longues questions qui ont été posées et les réponses détaillées qui ont été données conviennent vraiment mieux aux comités plutôt qu'au Sénat.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, en réponse à la demande du sénateur Doody, à l'expiration du temps de parole de madame le sénateur Cools, je me suis levé, cette dernière a demandé la permission du Sénat, laquelle a été donnée. En vertu du Règlement, je n'ai pas le pouvoir de demander de nouveau la permission du Sénat.

Le sénateur Doody: Très bien, Votre Honneur. Je regrette d'avoir donné la mauvaise impression. Ce n'est pas contre la prolongation du temps de parole que j'en ai, mais contre la prolongation de la période des questions après la prolongation du temps de parole. Il faut se fixer des limites. Peut-être pourrions-nous soumettre la question au comité du Règlement. Il est évident qu'il faut qu'il y ait une période de questions et de réponses après l'exposé d'un sénateur, mais nous devons fixer des limites raisonnables à ces périodes, sans quoi nos débats dégénéreront en un dialogue intéressant, informatif et relevé, mais ce n'est pas le but de ces périodes.

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, ma question est brève et je suis convaincu que la réponse pourra être aussi brève. Pendant que l'honorable sénateur parlait, j'ai tenté de prendre des notes. Ai-je bien entendu l'honorable sénateur demander si le projet de loi nous avait été soumis dans les formes? Ai-je entendu l'honorable sénateur affirmer que le projet de loi allait à l'encontre de la Loi sur les juges et d'une disposition de la Loi constitutionnelle? L'honorable sénateur a laissé entendre qu'il s'agissait d'un projet de loi que l'on faisait passer pour quelque chose qu'il n'est pas, mais je n'ai rien pu trouver à ce sujet dans le Beauchesne.

Ai-je raison, sénateur Cools? Avez-vous posé cette question?

Le sénateur Cools: Oui, c'est exact.

Le sénateur Kinsella: Vous demandez si c'est un projet de loi d'intérêt public ou d'intérêt privé. Avez-vous soutenu que, à votre avis, il s'agissait d'un projet de loi d'intérêt privé parce qu'il allait bénéficier aux quelques personnes que vous avez nommées? Vous avez aussi cité le commentaire 578 du Beauchesne, qui porte sur les situations où un projet de loi constitue une négation directe d'une loi permanente qu'il vise à modifier. Je crois que vous avez cité le commentaire 623 du Beauchesne sur la question de savoir si un projet de loi était d'intérêt privé ou public.

À la page 2, notre Règlement définit ce qu'est un projet de loi d'intérêt privé et un projet de loi d'intérêt public. Il me semble que l'honorable sénateur a soulevé un certain nombre de questions sur les principes du projet de loi difficiles à trancher. C'est une chose. Cependant, ce qui a retenu mon attention - et j'espère que c'est le cas de tous les sénateurs - c'est que l'honorable sénateur semble faire, sans le dire, un très sérieux rappel au Règlement. L'honorable sénateur veut-elle invoquer le Règlement?

Le sénateur Cools: Je remercie l'honorable sénateur pour sa question.

Ce ne sera pas long, sénateur Doody.

J'ai écouté très attentivement le sénateur Kinsella, qui a répété ce que j'ai dit avec exactitude. Oui, j'ai soulevé ces questions, j'ai cité le Beauchesne et le reste.

L'honorable sénateur me demande si j'invoque le Règlement. Ce n'était pas mon intention. J'exprimais mes doléances au sujet des principes. J'ai également dit que le projet de loi était vicié quant à la forme. Il est vrai que j'ai demandé si oui ou non il nous avait été soumis selon les règles et s'il était recevable. Je n'invoquais cependant pas le Règlement.

 

Recours au Règlement

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, j'ai le plus grand respect pour la présidence et pour les décisions qu'elle rend. Je crois qu'il s'agit là d'une question sérieuse et, si le sénateur Cools ne la soulève pas sous forme de rappel au Règlement, il incombe au Président de nous aider à déterminer si ce projet de loi est ou non entaché d'irrégularité. Il y a maintenant un doute dans mon esprit.

Il y a deux points sur lesquels je demanderais au Président de se prononcer afin de déterminer si ce projet de loi est ou non entaché d'irrégularité. Premièrement, s'agit-il d'un projet de loi d'intérêt public ou d'un projet de loi d'intérêt privé? Le sénateur Cools a présenté des arguments à cet égard et cité un commentaire de Beauchesne dans son discours de deuxième lecture. Deuxièmement, est-ce que ce projet de loi, qui vise à modifier la Loi sur les juges, est contraire aux dispositions de la Loi constitutionnelle et est donc entaché d'irrégularité? Ou encore est-il entaché d'irrégularité parce qu'il constitue un rejet de la loi principale, en l'occurrence la Loi sur les juges? Le commentaire pertinent de Beauchesne est le commentaire 578, que je n'ai pas besoin de lire.

Je demanderais à la présidence d'aider notre assemblée en déterminant si ce projet de loi, dont nous sommes saisis, est ou non entaché d'irrégularité pour les raisons énoncées.

Le sénateur Cools: Je voudrais ajouter ...

Son Honneur le Président: Avant que le sénateur Cools ne continue, le sénateur Kinsella a soulevé un rappel au Règlement, demandant au Président de rendre une décision. J'entendrai les sénateurs qui voudraient parler au sujet de ce rappel au Règlement.

Le sénateur Cools: Je ne m'attendais pas à ce que cette situation se produise, honorables sénateurs. Toutefois, dans la mesure où nous sommes maintenant devant les faits, j'appuie le rappel au Règlement du sénateur Kinsella. Je demanderais que tous les arguments que j'ai présentés tout à l'heure soient considérés par la présidence dans l'examen qu'il fera du rappel au Règlement du sénateur Kinsella.

 

  • (1540)
Son Honneur le Président: Y a-t-il d'autres sénateurs qui voudraient parler au sujet du rappel au Règlement du sénateur Kinsella?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, au sujet de ce rappel au Règlement, je crois comprendre que les rappels au Règlement doivent être soulevés à la première occasion, et une période de temps considérable s'est écoulée depuis...

Le sénateur Berntson: Depuis juin.

Le sénateur Graham: ... depuis que le projet de loi a été présenté au Sénat au mois de juin. Je demanderais à la présidence d'en tenir compte. Nous siégeons depuis la semaine dernière, et je crois qu'on a eu amplement le temps de soulever ce rappel au Règlement auparavant. Je crois que ce n'est plus le moment de le faire.

L'honorable Eric Arthur Bernston (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, je ne désire pas m'engager dans un débat sur la recevabilité du rappel au Règlement eu égard au moment où elle a été soulevée, mais si vous examinez attentivement le Règlement, vous constaterez que c'est la question de privilège qui doit être soulevée à la première occasion. Un rappel au Règlement doit être fait lorsqu'il devient évident, ce qui est maintenant le cas.

L'honorable Marcel Prud'homme: Nous pourrions tenir un long débat sur le sens de l'expression «à la première occasion». La première occasion survient-elle lorsque quelqu'un découvre une erreur, ou quand un sujet est porté à son attention? Cette expression a toujours fait l'objet d'un débat. Si on m'insultait aujourd'hui et que je revenais au Sénat à plusieurs reprises par la suite sans soulever la question, je n'aurais pas saisi la première occasion pour le faire.

Dans le cas soulevé par l'honorable sénateur Kinsella, la première occasion pourrait bien correspondre à la description qu'il en a faite. Sans vouloir compliquer la décision de la présidence, il y aura peut-être deux décisions à prendre: la première sur la question soulevée par le sénateur Kinsella et la seconde sur la sous-question soulevée par le sénateur Graham. Je crois qu'il suffira d'examiner une question, soit celle du sénateur Kinsella. J'ai tendance à pencher en sa faveur et à proposer la tenue d'un débat général sur la question du sens de l'expression «première occasion», soulevée par notre très estimé collègue le sénateur Graham.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, je n'ai pris connaissance du débat sur le caractère privé ou public du projet de loi que ce matin, en lisant dans le Globe and Mail un article sur madame le juge Arbour. Je me trouvais alors dans l'avion qui me ramenait de ma province, le Nouveau-Brunswick, à Ottawa.

Comme on peut le lire dans Beauchesne, selon les règles et la pratique canadiennes, il n'existe que deux genres de projet de loi: public et privé. Le projet de loi hybride reconnu en Grande-Bretagne ne l'est pas au Canada. Un projet de loi public concerne des questions d'intérêt public, tandis qu'un projet de loi privé vise des questions présentant un intérêt ou un avantage particulier pour une ou des personnes.

Je n'ai peut-être pas accordé toute l'attention voulue à ce projet de loi, mais j'ignorais que cet aspect du projet de loi avait attiré l'attention du public ce matin. La chose est devenue explicite pendant que je prenais des notes sur le discours du sénateur Cools. Le critère selon lequel il faut saisir la première occasion possible de soulever une question a été respecté.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, je voudrais appuyer le sénateur Prud'homme sur la question du sens de «première occasion». Je crois comprendre que cette expression est tirée des articles du Règlement concernant les questions de privilège. Pour moi, la question de privilège et celle du rappel au Règlement sont deux choses très différentes.

J'aimerais faire remarquer aux honorables sénateurs que la plupart des pays, que ce soit l'Angleterre, l'Australie et - je crois - la Nouvelle-Zélande ont recommandé l'abandon de l'expression, même telle qu'elle s'applique dans son sens le plus étroit aux questions de privilège. S'arrêter sur la question de la première occasion ne servira pas à grand-chose.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, j'ai un autre rappel à faire en ce qui concerne la question de temps. Je citerai la remarque que mon collègue d'en face, le chef adjoint de l'opposition, a faite le 19 juin, à l'étape de la deuxième lecture de ce projet de loi. Il a conclu son excellente intervention en disant:

Honorables sénateurs, je ne crois pas que ce projet de loi pose de gros problèmes. Pour nous, de ce côté-ci de la Chambre, son principe est très clair, et nous l'appuyons. Il y a peut-être des points à examiner en comité et c'est là que cela doit se faire.

Le sénateur Berntson: Je n'en disconviens pas, mais on m'a convaincu.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est un homme à l'esprit ouvert; c'est pour ça que ce n'est pas un libéral.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Peut-être le sénateur Cools voudra-t-elle bien autoriser quelques questions supplémentaires ?

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous en sommes actuellement à un rappel au Règlement.

Son Honneur le Président: Votre question a-t-elle trait au rappel au Règlement?

Le sénateur Grafstein: Non.

Son Honneur le Président: Nous devons d'abord conclure avec le rappel au Règlement. Y a-t-il d'autres sénateurs qui veulent prendre la parole sur le rappel au Règlement?

Le sénateur Cools: Oui, Votre Honneur. Quand le sénateur Kinsella a soulevé cette objection, j'ai cru qu'elle était valide et que je devais m'y plier, mais lorsque la présidence a examiné ce que j'ai dit et ce qu'ont dit les autres sénateurs, elle devrait être au courant de l'existence d'un article du Globe and Mail auquel nous nous reportons tous. Selon moi, cet article est pertinent à l'étude que la présidence fera des questions de probité, de formes, d'admissibilité et du principe sur la question des projets de loi d'intérêt public et d'intérêt privé. Cet article a paru dans le Globe and Mail du mardi 1er octobre 1996, dans lequel madame le juge Arbour discute passablement du rôle qu'elle jouera dans ses nouvelles fonctions.

Je voudrais que Son Honneur prenne en considération cet article dans son examen de la question.

Son Honneur le Président: Si aucun autre sénateur ne veut prendre la parole sur le rappel au Règlement, je vais me retirer pour étudier la question, lire attentivement l'article en question et consulter les textes et les experts.

Malheureusement, sénateur Grafstein, aucune question ne peut être admise avant que j'aie rendu ma décision.

(Le débat est ajourné dans l'attente de la décision de la présidence.)

 

terre-neuve

Modification de la clause 17 de la Constitution-Étude du rapport-Recours au Règlement-Ajournement du débat dans l'attente de la décision de la présidence

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Rompkey, c.p., appuyé par l'honorable sénateur De Bané, c.p., tendant à l'adoption du treizième rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve avec le Canada figurant à l'annexe de la Loi sur Terre-neuve), déposé auprès du greffier du Sénat le 17 juillet 1996.

L'honorable C. William Doody: Honorables sénateurs, je vais essayer de me limiter à moins de 15 minutes, et si quelqu'un me pose des questions, je tâcherais d'être succinct et précis.

Avant d'aborder le rapport proprement dit, j'aimerais féliciter le sénateur Carstairs qui a présidé les travaux du comité, tant à Ottawa qu'à St. John's, à Terre-Neuve, avec équité et savoir-faire. Elle a fait preuve de bon sens et de professionnalisme et je l'en remercie.

Je remercie le Sénat qui, contrairement à l'autre endroit, a permis au comité de se rendre à St. John's pour écouter les préoccupations des personnes touchées au premier chef par cette modification de la Constitution.

Le personnel qui, sous la houlette du sénateur Carstairs et de son comité de direction, a rédigé le rapport original, rapport équilibré et équitable, mérite également nos félicitations. Malheureusement, le rapport dont nous sommes saisis ne ressemble en rien au rapport original, mais les responsables y ont travaillé très fort, pendant de longues heures, et leur dévouement doit être signalé. Je les en remercie.

 

  • (1550)
Ce rapport majoritaire que nous avons n'est pas le résultat des délibérations du personnel du comité directeur, il a été délivré sous la forme que vous voyez par le sénateur Rompkey. Je suppose qu'il a été aidé dans la préparation par son camarade et entraîneur, M. Ed Roberts, un ancien ministre de la Justice de Terre-Neuve. Je crois savoir que les services de M. Roberts ont été, ou sont, retenus par le ministère des Pêches et Océans moyennant des honoraires qui seraient de 1 000 $ par jour, pour travailler à faire adopter cette modification à Ottawa.

On n'a pas encore expliqué pourquoi on devrait utiliser des fonds publics provenant du budget du ministère des Pêches et Océans pour payer un lobbyiste afin de faire adopter un amendement constitutionnel qui porte atteinte aux droits des minorités au nom d'un gouvernement provincial. Je voudrais dire au leader du gouvernement au Sénat que je vais lui poser une question à ce sujet et je lui demande de prendre note qu'elle a été posée.

Selon la presse, le ministre des Pêches et Océans aurait dit que: «Les fonds pour ce lobbyiste ont été prélevés sur les fonds du sous-ministre des Pêches et Océans.» Qu'est-ce que le sous-ministre des Pêches et Océans a à faire avec un amendement constitutionnel pour la province de Terre-Neuve, je n'en sais absolument rien. Nous en reparlerons un autre jour, honorables sénateurs. Peut-être que le leader du gouvernement au Sénat pourrait nous l'expliquer.

Pendant les audiences à Terre-Neuve, le comité a entendu plus de 40 témoins et reçu des présentations et des mémoires de quelque 50 autres particuliers ou organismes. De plus, quelque 60 personnes ont donné leur point de vue au comité et exprimé leurs inquiétudes en tant que témoins sans rendez-vous. Beaucoup venaient de très loin. Ils venaient du Labrador, de la péninsule du Nord, de Stephenville et de la côte sud. Certains avaient fait plus de 600 milles pour dire aux sénateurs combien ils craignaient les changements radicaux au système d'enseignement religieux qui allaient découler des modifications proposées à la clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada.

En toute justice, je dois dire que les témoignages n'étaient pas tous opposés à la modification proposée. Certains témoins, par exemple les représentants de groupes comme le système scolaire intégré de Terre-Neuve, les églises anglicane et presbytérienne, l'Armée du salut et l'Église unie, ne semblaient pas défavorables aux changements. Sans partager tous le même enthousiasme, ils semblaient plutôt en faveur de la nouvelle clause 17.

Néanmoins, ces groupes ont renoncé à leurs droits, ou du moins n'ont pas exercé leurs droits, à des écoles séparées. Ils l'ont fait volontairement dans les années 60. Ce droit à des écoles séparées existe encore et demeurera en vigueur jusqu'à ce que cette modification de la clause 17 ne soit adoptée.

Certains autres témoins entendus, comme les représentants du comité «Yes means yes», semblaient penser que la nouvelle clause 17 ne modifie pas suffisamment le système d'enseignement. Et enfin, il existe une minorité importante qui ne pense pas de la sorte, qui ne veut pas renoncer à ses droits, aux droits qui lui ont été conférés en 1949, dans les Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada.

Les porte-parole de ces gens, qui représentent près de 45 p. 100 de la population, soit les catholiques romains, les pentecôtistes et les adventistes du septième jour, constituaient la majorité des témoins entendus. Le rapport majoritaire que nous étudions maintenant ne tient pas compte de la passion et du dévouement de ces gens. Un lecteur peu averti pourrait croire, en lisant ce rapport, qu'ils n'existent même pas.

Les politiciens n'ont pas à se demander pourquoi on nous respecte si peu. La distorsion des témoignages entendus est tout à fait scandaleuse. Les témoins ont fait état de véritables préoccupations qui n'ont été rapportées ni dans le rapport du sénateur Rompkey, ni dans le communiqué de presse du premier ministre Tobin émis par la suite.

Honorables sénateurs, qui essaie-t-on de tromper ainsi, à votre avis? Le dossier était grand ouvert. La télévision, la presse écrite et la radio, les comptes rendus du comité, tout cela a contribué à faire connaître les sentiments des gens qui ont comparu.

Permettez-moi de lire le communiqué de presse que le premier ministre Tobin a donné après la publication du rapport du comité. Le premier ministre Tobin a déclaré ceci:

Je me suis réjouis d'apprendre que le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles a dûment recommandé que le Sénat approuve la résolution portant modification de la clause 17 à la demande du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador, résolution qui a déjà obtenu l'appui de la Chambre des communes.

Cette déclaration a été faite, honorables sénateurs, en dépit du fait que le comité a voté six contre cinq.

Le premier ministre Tobin a poursuivi:

[...] C'est encourageant de constater que le comité sénatorial a conclu que le processus auquel le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador a eu recours pour produire cette modification était équitable. Le rapport du comité dit que chacune des minorités protégées dont les droits étaient touchés ont eu amplement l'occasion de participer au débat public qui a conduit à la formulation de cette modification, y compris les audiences de la Commission royale sur l'éducation, le référendum et les élections générales de 1996.

Accordez-moi une minute, je vous en prie, honorables sénateurs, afin que je puisse toucher un mot sur les trois piliers du premier ministre Tobin, qui, à son avis, ont légitimé cette affaire.

Premièrement, il y a le rapport Williams. Je suppose que c'est à ce rapport que le premier ministre Tobin faisait allusion. Le rapport Williams, ou la Commission royale Williams, c'est environ 1 041 exposés écrits et verbaux, représentant 3 677 particuliers et 384 groupes et organismes de 173 localités situées un peu partout à Terre-Neuve et au Labrador. Sur ce nombre, 75 p. 100 se sont dits en faveur du système actuel, alors que seulement 9 p. 100 se sont opposés à l'école confessionnelle. Cet appui au système actuel ne signifiait pas qu'il ne fallait pas procéder à la réforme. Il s'agissait de reconnaître le droit des parents à faire éduquer leurs enfants dans un milieu baigné de foi chrétienne. Environ 16 p. 100 de ces gens ne se sont pas prononcés là-dessus.

M. Williams et les autres membres de la commission ont préféré ne pas tenir compte de l'avis des auteurs de ces mémoires, pour la bonne raison, semble-t-il, qu'ils étaient favorables au système actuel. Il a laissé entendre que cette position rendait leurs témoignages sujets à caution. Je renvoie les honorables députés à la page 67 du rapport. Un sondage a été mené auprès de 1 001 personnes. Ce sondage limitait le nombre de participants qui étaient assez convaincus pour intervenir directement dans le débat. Bien qu'il ait jugé le sondage fiable, il a inséré l'avertissement suivant: «Sujet à interprétation du sens des questions et des réponses». C'est à la page 68 du rapport.

J'ai ici beaucoup d'informations au sujet du rapport Williams qui ajoutent à la confusion et soulèvent d'autres questions, mais je crois avoir été assez clair. Les sénateurs qui veulent en savoir plus peuvent toujours consulter eux-mêmes le rapport.

La vérité, c'est que les conclusions et les recommandations de ce rapport reposent sur des données contestables. Néanmoins, les confessions en question ont approuvé plus de 90 p. 100 des recommandations faites dans ce rapport.

Nous avons déjà parlé du référendum. Il n'était pas nécessaire et, si nous en examinons bien les résultats, le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador vous dira qu'il n'était pas obligé de le tenir. Il a raison. Il n'était pas obligé. On a déjà discuté du nombre peu élevé de votants, de la faible majorité en faveur de la «Réforme du système d'éducation» et de la question proprement dite. Quoi qu'il en soit, dans tout référendum, c'est toujours la majorité qui l'emporte. La clause 17 des Conditions de l'union n'avait pas pour objet de protéger les droits de la majorité, mais bien de protéger les droits de la minorité et, dans un vote libre, la minorité est toujours perdante.

Le sénateur Prud'homme: Bien sûr!

Le sénateur Doody: J'ai traité de cela dans mes observations précédentes et je ne me répéterai pas encore une fois.

Les élections générales de 1996 constituent le troisième pilier qui confère une légalité à ce processus, aux yeux du premier ministre de Terre-Neuve et du Labrador.

 

  • (1600)
La simple vérité, c'est que les modifications de la clause 17 n'ont pas été discutées en détail pendant les élections. Les autorités scolaires catholiques romaines ont dit qu'elles avaient une entente avec le gouvernement de Terre-Neuve selon laquelle il laisserait tomber les modifications, de sorte qu'elles n'ont pas soulevé la question. Le premier ministre Tobin a dit qu'il n'existait aucun accord de ce genre. Je ne doute pas qu'il ait raison. Le premier ministre Tobin est un politicien très astucieux et je ne doute pas un seul instant qu'il ne conclurait jamais un tel accord. Cependant, M. Fallon, secrétaire général de l'autorité scolaire catholique romaine, insiste pour dire qu'il avait cette entente.

Je présume qu'il existe une différence entre un accord et une entente. Peut-être un politicien pourrait-il trouver la nuance entre les deux plus facilement que le surintendant d'un conseil scolaire.

Il est plus révélateur de lire une déclaration qui figure dans le mémoire que les représentants pentecôtistes ont soumis à notre comité concernant les élections de 1996, et dont voici un passage:

Les pentecôtistes n'ont pas fait de la modification constitutionnelle proposée un enjeu des élections parce que, dans leur programme, les libéraux: 1) n'ont mentionné aucune modification constitutionnelle; 2) se sont engagés à procéder à des consultations avant d'effectuer une réforme; 3) ont promis de maintenir le partenariat avec les églises en matière d'éducation; 4) ont convenu de ne pas faire d'une modification constitutionnelle un enjeu électoral et qu'il y aurait de nouvelles discussions après les élections afin de trouver une solution à cette question.

Les honorables sénateurs jugeront eux-mêmes des mérites des positions défendues des deux côtés. À mon avis, la clause 17 n'a pas été un enjeu au cours des élections provinciales, que j'ai d'ailleurs suivies très attentivement.

Dans son communiqué, le premier ministre Tobin déclare ce qui suit:

Les sénateurs conviennent qu'au bout du compte, les droits des minorités protégées seraient suffisamment garantis par la modification proposée.

Il y a un sénateur - et il n'est pas le seul - qui n'est pas du tout convaincu que les droits des minorités seront garantis par les modifications proposées à la clause 17 et ce, pour une raison: l'alinéa a) de la nouvelle clause 17 qui est proposée dispose que:

a) Sauf dans la mesure prévue aux alinéas b) et c) [...] les écoles [conservent] le droit d'assurer aux enfants qui y appartiennent l'enseignement religieux...

C'est très bien. Voyons maintenant l'alinéa b), qui est le suivant:

b) Sous réserve du droit provincial d'application générale prévoyant les conditions de la création ou du fonctionnement des écoles.

«Sous réserve du droit provincial», les droits aux écoles confessionnelles seront maintenus. Je vous le demande, honorables sénateurs, quel réconfort les minorités de Terre-Neuve peuvent-elles tirer du fait que leurs droits aux écoles confessionnelles sont assujettis au droit provincial? Aucun. Ils sont plutôt plongés dans la crainte, l'inquiétude, les préoccupations.

Si incroyable que cela puisse paraître, personne, en dehors du gouvernement de Terre-Neuve, n'a vu ces dispositions cruciales auxquelles les droits seront assujettis. Personne ne sait quels critères s'appliqueront. Quelles zones géographiques seront visées? Combien de personnes, et de quelles confessions, seront visées ou protégées? Quels seront les chiffres, les pourcentages? Quelle sera la réglementation sur le transport scolaire? Quels critères régiront l'enseignement? Personne ne sait. Mais le droit provincial primera.

Personne ne peut, de façon réaliste, s'attendre à ce que cette assemblée législative ou une autre abolisse une garantie constitutionnelle et la remplace par une garantie provinciale prévue par une loi que personne n'a vue. Nous connaissons tous le problème des règlements. Qui sait quels règlements on prendra périodiquement en application de cette loi que personne n'a vue?

Si les droits pouvaient être protégés par une loi, le gouvernement du Canada n'aurait jamais éprouvé le besoin de présenter la Charte des droits et des libertés. La Déclaration des droits de M. Diefenbaker aurait suffi amplement à protéger tous les droits des Canadiens d'un océan à l'autre. Le gouvernement de l'époque a cependant jugé bon de consacrer ces droits dans la Constitution, et c'est pourquoi nous les y trouvons consacrés.

La même chose est aussi vraie à propos des droits à l'enseignement confessionnel pour les catholiques romains, les pentecôtistes, les adventistes du septième jour et d'autres membres de confessions religieuses à Terre-Neuve qui souhaitent cette protection. En vertu de cette modification, la protection que leur assure la Constitution leur sera enlevée pour être confiée aux législateurs de la Chambre d'assemblée logée dans l'immeuble de la Confédération à St. John's, et cela, honorables sénateurs, n'est pas correct.

Je ne veux pas répéter tout ce que j'ai dit lors de ma première intervention dans ce débat. J'y renvois ceux qui veulent connaître le contexte de cette question.

Honorables sénateurs, étant donné que le Sénat possède uniquement un veto suspensif de six mois, il me semble bien que, quoi que nous fassions ici, la Chambre des communes réussira à imposer sa volonté en décembre prochain. Je propose d'essayer de convaincre les honorables sénateurs ici et, espérons-le, les législateurs de l'autre endroit, qu'il est souhaitable de modifier à tout le moins cette monstruosité jusqu'à un certain point.

Les autorités provinciales de Terre-Neuve affirment sans cesse qu'il est économiquement indispensable d'approuver cette modification constitutionnelle malgré le fait qu'elle empiète sur les droits de très importantes minorités dans la province - des droits que ces gens croient passionnément être essentiels à leur mode de vie et au bon développement moral, éthique et spirituel de leurs enfants. Ces minorités, qui forment presque la moitié de la population de la province, invoquent la protection de la Constitution pour préserver ces droits.

Son Honneur le Président suppléant: À l'ordre. Je dois informer le Sénat que les 15 minutes allouées au sénateur Doody sont expirées. Le sénateur peut poursuivre avec le consentement unanime du Sénat.

Y a-t-il consentement unanime?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Doody: Je remercie les sénateurs.

Je me permets de revenir à l'aspect économique de cette question, honorables sénateurs. C'est la grande solution de rechange de Terre-Neuve après toutes les discussions, critiques et objections concernant cette Clause 17. Elle concerne l'économie. Permettez-moi de citer des exemples de ce qui a été accompli depuis 1967. En fait, la plupart des doubles emplois - ce mythe qu'on ne cesse de nous servir - ont été supprimés du système. On collabore sans cesse pour purger le système de tout excès.

Il y a aujourd'hui des écoles dans 293 localités, alors qu'il y en avait dans 800 localités en 1967. Il y a aujourd'hui moins de 480 écoles, alors qu'il y en avait plus de 1 046 en 1967. Aujourd'hui, 260 localités, ou 89 p. 100 des localités de la province, ont un système scolaire unique. Aujourd'hui, 33 localités, ou 11 p. 100 des localités de la province, ont plus d'un système scolaire. Il y a aujourd'hui 27 conseils scolaires, alors qu'il y en avait 270 en 1967. Je sais que cela paraît absurde, mais pas si l'on songe aux conditions de transport et de communication à Terre-Neuve avant 1965.

Bien des sénateurs se souviendront du slogan de M. Smallwood aux élections de 1965: «Nous terminerons la route en 1965, grâce à M. Pearson».

C'est alors que l'autoroute transcanadienne a été terminée, et qu'une route a pour la première fois traversé notre province. Les routes secondaires menant aux petites localités et aux petits villages isolés revenaient à de simples pistes et étaient pratiquement inexistantes. Plus que l'amalgamation des quatre confessions dont j'ai parlé tout à l'heure, la route a contribué à rationaliser le système.

Et cela continue: avec l'accord des diverses confessions, les 27 conseils scolaires ont été réduit à 10 conseils multiconfessionnels. Il y a maintenant 30 ententes officielles de service commun. Ces ententes prévoient que deux conseils scolaires ou plus conviennent d'exploiter ensemble une seule école.Ces accords ont mené au regroupement de 77 écoles. Seul le manque de financement public empêche le regroupement de plus de services scolaires. Le gouvernement de Terre-Neuve n'est toutefois pas à blâmer. Il n'a pas l'argent pour le faire. Toutefois, ce n'est pas en retirant des droits aux minorités qu'on donnera plus d'argent au gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador.

(1610)

Dans les circonstances, honorables sénateurs, il faut songer à des réformes et à des améliorations à apporter. Les églises ont appuyé toutes les initiatives gouvernementales concernant la rentabilité et la qualité de l'éducation. Par conséquent, elles ne croient pas qu'une modification constitutionnelle est essentielle à la réforme du système.

On passe à côté de l'essentiel lorsqu'on aborde cette question simplement du point de vue économique. Il est vrai que les considérations économiques, surtout pour une petite province comme Terre-Neuve, sont cruciales. Personne au Sénat n'est plus conscient que moi des limites financières de Terre-Neuve et des compressions qui s'imposent. J'ai occupé pendant quelque temps le poste de ministre des Finances de cette province de même que le poste de président du Conseil du Trésor. Je sais ce qu'il en était à l'époque et je sais que la situation est encore plus difficile de nos jours.

Je le répète, on a déjà beaucoup fait pour réformer le système et économiser de l'argent, sans avoir recours à la modification constitutionnelle draconienne et inutile dont nous sommes saisis aujourd'hui.

Évidemment, il y a toujours place à l'amélioration. Les intervenants à Terre-Neuve ont affirmé qu'ils étaient disposés à unir leurs efforts pour poursuivre sur leur lancée, mais aucun gouvernement ne devrait avoir le droit d'abolir, de réduire ou de miner les droits des minorités sans le consentement des minorités visées.

Je suis conscient des pouvoirs limités du Sénat dans le domaine constitutionnel - un veto suspensif de six mois -, mais j'ai le sentiment que, si nous le voulions, le Sénat pourrait mettre ce projet de modification constitutionnelle aux oubliettes, comme il se doit.

Je vais faire une brève digression, honorables sénateurs, et mentionner un aspect positif qui est ressorti de tout cela, c'est-à-dire le fait que la province de Terre-Neuve ait enfin décidé d'établir une commission scolaire francophone. Je dois féliciter le sénateur Simard et d'autres sénateurs francophones qui ont travaillé très fort pour que cela se fasse. En fait, le sénateur Simard a assisté à la rencontre à laquelle le premier ministre Tobin a convié les sénateurs de Terre-Neuve pour discuter de la modification de la clause 17. Le sénateur Simard a alors défendu énergiquement la position de la communauté francophone de Terre-Neuve. Je me réjouis que cet objectif louable ait été atteint, en partie ou entièrement, grâce à ses efforts. Cela dit, je dois ajouter que ce nouveau droit sera soumis aux caprices des législateurs de la province, comme le sera dorénavant tout autre droit en matière d'éducation dans cette province, si cette mesure est adoptéé.

Malgré la création d'une commission scolaire francophone, ce dont je me réjouis grandement, il n'y aura plus de commission scolaire catholique romaine ou pentecôtiste si la modification est adoptée. Je ne trouve toutefois rien à redire puisque ces groupes ont, comme il se doit, donné leur accord.

Honorables sénateurs, pour revenir à la principale question dont nous sommes maintenant saisis, je vais lire un passage d'une brochure publiée par le gouvernement de Terre-Neuve durant la campagne référendaire dont nous avons tellement entendu parler - le gouvernement de Terre-Neuve qui, selon les autorités de cette province, n'a pas participé à la campagne référendaire. Je serai heureux de fournir une copie de la brochure, sur demande. On y dit ceci:

La clause modifiée préservera le droit à l'éducation religieuse dans toutes les écoles. La nouvelle clause n'assurera plus le maintien des commissions scolaires confessionnelles séparées; elle permettra toutefois les commissions confessionnelles séparées là où le nombre le justifie et l'élection, conformément aux groupes confessionnels, de deux tiers des membres des commissions scolaires.

Honorables sénateurs, l'existence de commissions scolaires confessionnelles séparées est une chose du passé, et cela a été fait avec l'accord de tous les intéressés. Comme je l'ai déjà dit, il y aura maintenant dix commissions scolaires multiconfessionnelles. Les deux tiers des commissaires seront sans doute élus. Ce sera une bonne chose, à condition que tous les partenaires soient d'accord, ce qui semble être le cas.

Peut-être que l'information contenue dans l'extrait que je viens de citer pourrait passer pour une erreur typographique ou d'impression, mais j'en doute.

J'ai également en ma possession un compte rendu, que je suis également disposé à déposer, d'une entrevue que le premier ministre Tobin a donnée à Jason Moscovitz, du réseau CBC, le samedi 18 mai 1996, à 10 heures, et au cours de laquelle Jason Moscovitz a demandé ceci au premier ministre:

Vous ne vous débarrassez pas des écoles catholiques?

Ce à quoi le premier ministre Tobin a répondu:

Non, là où le nombre le justifie en vertu de la modification, si les parents le décident. Ce sont donc les parents qui décident en dernière analyse, et même la Conférence des évêques catholiques du Canada ne vous contredira pas là-dessus. Les parents, qu'ils soient catholiques ou non, ont leur mot à dire dans le genre d'éducation que devraient avoir leurs enfants.

C'est sûrement un engagement du premier ministre de la province.

Le ministre fédéral de la Justice, M. Allan Rock, nous a également donné l'assurance «qu'il y aura des écoles uniconfessionnelles si les parents le demandent et s'il y a assez d'élèves pour que les écoles soient viables.»

Pour aider le gouvernement de Terre-Neuve et pour rendre plus certain l'engagement du premier ministre d'autoriser des écoles confessionnelles si le nombre d'élèves le justifie, je propose de présenter un amendement.

Je propose aussi la suppression de l'allusion au fait que la clause constitutionnelle est «assujettie aux lois provinciales».

Nous proposerons également un court amendement qui aura pour effet que les confessions auront leur mot à dire dans la prise de décisions. Un de mes collègues soulèvera cette question bientôt.

Honorables sénateurs, en modifiant ces propositions de modification constitutionnelle, nous ferons en sorte qu'elles seront renvoyées à l'autre endroit. J'espère que cela donnera aux députés l'occasion de lire le compte rendu des délibérations des audiences du comité du Sénat et d'autres documents présentés au comité pour analyser les témoignages et prendre une décision sur l'opportunité de laisser cette terrible proposition de modification de notre Constitution devenir loi.

Si la Chambre des communes ne rejette pas l'article 17 proposé - mais j'espère sincèrement qu'elle le fera - elle pourrait à tout le moins, après mûre réflexion et après étude des témoignages, adopter les amendements raisonnables proposés par les sénateurs.

Je prie humblement mes collègues d'appuyer ces amendements pour leur mérite intrinsèque et également pour l'effet qu'ils auraient sur des demandes visant à amoindrir les droits des minorités dans d'autres situations dans d'autres provinces.

Honorables sénateurs, je propose, appuyé par l'honorable sénateur Kinsella:

Que le rapport ne soit pas adopté maintenant, mais qu'il soit modifié par substitution, aux mots «sans amendement, mais avec une opinion dissidente», des mots:

avec l'amendement suivant:

Supprimer le passage de l'alinéa b) de la clause 17 qui précède le sous-alinéa (i) et le remplacer par les mots «là où le nombre le justifie:».

Je remercie les honorables sénateurs pour leur attention et leur patience.

Son Honneur le Président: Les honorables sénateurs ont entendu la motion. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la proposition d'amendement?

Des voix: D'accord.

L'honorable P. Derek Lewis: Le sénateur Doody accepte-t-il que je lui pose une question? Il a dit plus tôt que si la proposition d'amendement [...]

Le sénateur Doody: Puis-je demander à la présidence de nous dire ce qui en est de la proposition d'amendement? Si j'ai bien compris, elle a été adoptée. Je crois que le Président a dit qu'elle était adoptée. Lorsque cela sera réglé, je serai heureux de répondre à la question.

Son Honneur le Président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion d'amendement?

Le sénateur Berntson: Vous avez déjà demandé cela.

Son Honneur le Président: Je ne suis pas allé plus loin que cela.

Des voix: Non.

Des voix: Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez dit que l'amendement était adopté. Votre Honneur, vous avez dit «adopté».

Son Honneur le Président: Je n'ai pas dit cela.

Le sénateur Kinsella: Demandez à voir les bleus.

Son Honneur le Président: J'ai posé la question habituelle: «Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?»

Des voix: Non.

Son Honneur le Président: J'ai ensuite attendu pour voir si quelqu'un allait demander la parole. Si personne ne demande la parole, je dois mettre la motion aux voix.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez déjà mis la motion aux voix.

Son Honneur le Président Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion d'amendement?

Le sénateur Kinsella : Vous ne cessez pas de mettre la motion aux voix.

Des voix: Non.

[Français]

(1620)

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, j'aimerais invoquer le Règlement. Je comprends que certains sénateurs n'ont peut-être pas réalisé l'importance de leur adhésion, mais vous avez très clairement dit adopté à deux ou trois reprises.

[Traduction]

Cela me fait penser au référendum québécois: il suffit de poser la question jusqu'à ce qu'on obtienne la réponse voulue.

Je vous fais respectueusement remarquer que vous avez dit: «L'amendement est-il adopté?». Personne ne semble avoir bougé. J'ai bien entendu depuis ma place et je me trouve très loin. C'est comme si vous demandiez aux sénateurs s'ils sont bien sûrs que c'est ce qu'ils veulent. Après examen et réflexion, la motion a été adoptée d'après moi.

Je laisse à d'autres le soin d'en débattre. Je vous ferais humblement remarquer, Votre Honneur, que vous n'avez pas à vous mettre à genoux devant les sénateurs pour leur demander s'ils ont suivi le débat et s'ils ne veulent pas réexaminer leur décision.

La question a été clairement mise aux voix et acceptée. Le sénateur Lewis a demandé une précision au sénateur Doody. C'est ce que j'ai constaté de cette extrémité éloignée.

Le sénateur Kinsella: Les délibérations sont consignées dans le hansard. Si le Président désire le consulter, il voudra peut-être suspendre la séance jusqu'à ce qu'il en obtienne une copie.

J'ai entendu clairement, depuis ma place, ce qui a été dit et le sénateur Prud'homme, dont le siège est très éloigné, l'a confirmé. Il faudrait les deux tiers des voix pour renverser la décision.

Le sénateur Bernston: Honorables sénateurs, outre ce qui a déjà été dit, le sénateur de Terre-Neuve a été autorisé à poser une question au sénateur Doody, ce qui me donne à penser que l'affaire a été réglée. Quand il a obtenu la parole pour la première fois, vous lui avez dit de se rasseoir jusqu'à ce que la question soit réglée. Ensuite, il a obtenu la parole pour la deuxième fois, de sorte que c'est manifeste que la question a été réglée et adoptée.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je trouve difficile de faire adopter un amendement à ce stade étant donné qu'il n'y a rien d'officiel.

Je me suis entretenu plus tôt aujourd'hui avec le chef adjoint de l'opposition au sujet de l'étude de tout amendement que pourrait proposer l'opposition. Nous avions cru comprendre, au départ, que deux sénateurs de l'opposition, le sénateur Doody et le sénateur Cogger, proposeraient chacun un amendement aujourd'hui.

Le sénateur Berntson: Non, non.

Le sénateur Graham: Il avait été convenu entre le chef adjoint de l'opposition et moi-même que ces amendements seraient examinés simultanément et feraient l'objet d'un vote après le débat.

Le sénateur Prud'homme: Je soulève une question de privilège sur ce point.

J'en ai passablement assez d'être consulté quand cela fait l'affaire, et de ne pas l'être dans le cas contraire. Je ne marche pas. Cela me rappelle la décision que nous avons dû prendre, la semaine dernière, lorsqu'il a été question d'accueillir un invité de marque devant prendre la parole dans cette enceinte. J'ai tout de suite dit oui, que ce serait très bien pour le Sénat. La discussion a eu lieu entre les deux partis. L'un était bien informé, l'autre ... peut-être qu'il y a eu un manque de communication. Je me demande si tous les sénateurs ont été informés de cette entente entre les deux leaders.

Une chose dont je puis vous assurer, c'est que je n'en ai pas été informé. On ne m'a pas convoqué. J'ignorais que deux sénateurs seulement prendraient la parole aujourd'hui. J'ignorais qu'il y avait eu une entente. Je suis surpris car en principe, dans le cas d'affaires très importantes comme celle-ci, il y a toujours un sénateur qui se lève pour dire qu'il n'est pas d'accord.

Si vous demandiez le consentement unanime aujourd'hui sur quelque question que ce soit, même si nous étions jeudi et que vous aviez convenu de ne pas revenir la semaine prochaine, je vous assure que je ne vous donnerais pas le mien. Dans l'état où je suis, vous n'obtiendrez pas mon accord. Est-ce bien clair ?

Je ne suis pas ici pour approuver automatiquement tout ce qu'il faudra. J'ai été patient pendant trois ans. J'ai été gentil, j'ai souri, j'ai demandé à siéger aux comités. J'ai beaucoup à offrir. Ce n'est pas de la prétention, j'ai vraiment beaucoup à offrir, mais on joue au plus fin. Tout le monde est gentil, mais on me dit: «Marcel, vous n'allez pas faire couler la galère.»

Je me dis toujours que, un bon jour, je pourrais bien me servir du livre. J'ai lu le livre rouge, pas celui auquel vous pensez, mais le Règlement du Sénat. Si vous voulez que je m'y tienne en tout temps, vous savez, cela pourrait causer bien des problèmes.

Je vais me retrouver tout seul dans mon petit cagibi, en bas, mais ça ne me fait rien. Je peux vivre seul. Je ne veux pas démolir une entente. Mais je dois dire que je n'étais pas au courant de cette entente. Tous les sénateurs peuvent parler. Est-ce que chacun d'entre nous était au courant? Sénateur Simard, saviez-vous que deux personnes seulement pourraient prendre la parole sur cette question aujourd'hui?

Le sénateur Simard: Non.

Le sénateur Prud'homme: J'aimerais savoir si le sénateur Forest et le sénateur Léonce Mercier, un bon ami à moi qui vient d'arriver au Sénat, savaient que seulement deux sénateurs prendraient la parole. Le sénateur Mercier a suivi ce débat de près. Le sénateur Taylor s'y intéresse beaucoup également.

Nous avons une Constitution. Si nous ne la respectons pas, c'est l'anarchie. J'ai siégé trop longtemps de l'autre côté pour accepter tout bonnement cette petite entente sur une question aussi importante que les droits des minorités.

Que faites-vous de vos droits, en tant que minorité, sénateur Watt, sénateur Adams, sénateur Simard, sénateur Corbin, sénateur Landry? Nous parlons de droits des minorités. Il ne s'agit pas seulement des minorités francophones et anglophones. Il y a aussi les droits des minorités religieuses.

[Français]

C'est une manière de penser, une manière d'agir, et puis on va arriver comme cela tranquillement. Faites ce que vous voulez. Mais si vous demandez un consentement unanime aujourd'hui sur n'importe quel sujet, je regrette, mais je dirai non, même si cela vous paraissait raisonnable.

[Traduction]

Son Honneur le Président: Je crois qu'on s'écarte un peu de la question. La question qui se pose est de savoir si j'avais déclaré la motion adoptée ou non.

Honnêtement, honorables sénateurs, je ne crois pas l'avoir fait. Toutefois, si je l'ai fait, je suis prêt à m'en tenir au hansard et à la transcription.

Pourquoi ne pas laisser l'affaire en suspens pour le moment et reporter l'affaire jusqu'à demain telle qu'elle figure aujourd'hui au Feuilleton en attendant de pouvoir consulter la transcription? Est-ce d'accord?

Le sénateur Prud'home: C'est très raisonnable.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs ...

L'honorable Sharon Carstairs: Ça fait cinq fois que j'essaie de prendre la parole.

Le sénateur Kinsella: Je suis prêt à céder la parole au sénateur Carstairs.

Le sénateur Carstairs: Merci. J'ai deux questions que je voudrais poser au sujet de la procédure. Je pensais que ce que j'appuyais, c'était le droit du sénateur Doody de présenter sa motion.

Je suis entièrement d'accord avec ce que le sénateur Doody a dit aujourd'hui. Toutefois, je ne suis pas d'accord avec cet amendement.

Je ne savais pas que je votais en faveur de cet amendement. Je pensais que je votais pour le droit du sénateur Doody de nous présenter sa motion.

Je dois être honnête avec vous. Je suis ici depuis deux ans et je n'ai jamais compris pourquoi nous nous levons pour proposer des motions puis nous nous assoyons. Ensuite, nous nous levons à nouveau pour parler de ces motions et après, nous votons sur ces motions. Ce n'est certainement pas la procédure à laquelle j'ai été habituée mais, de toute évidence, c'est la procédure du Sénat. Comment se fait-il que nous le fassions parfois, alors que d'autres fois, c'est différent?

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, je demande simplement que des copies du hansard et de l'enregistrement soient fournies aux deux côtés de la Chambre dans leur état brut, c'est-à-dire non éditées.

Son Honneur le Président: Je suis tout à fait d'accord et je pense que c'est la meilleure façon de résoudre la question. La transcription parlera d'elle-même.

Est-ce que la question est reportée à demain?

 

Recours au Règlement

L'honorable Bill Rompkey: J'invoque le Règlement, honorables sénateurs. Je me demande ce que nous acceptons de reporter. Est-ce que nous acceptons de reporter une décision qui a déjà été prise? Je ne serais certainement pas d'accord avec cela. Si je comprends bien, un amendement a été proposé.

Nous n'avons même pas vu cet amendement avant aujourd'hui. Nous venons d'en prendre connaissance. Nous demander de porter jugement sur un amendement que l'on n'a pas vu, encore moins débattu, cela ne me semble pas normal. Si on nous demande d'accepter que la question soit reportée, cette question étant une décision pour ou contre un amendement, alors je ne suis pas d'accord pour que ce soit reporté.

Je vous demande une décision, Votre Honneur. Si je comprends bien, un amendement a été déposé pour être débattu et, à un moment donné, être mis aux voix. Il me semble que nous devons l'examiner et en débattre avant de l'accepter.

Son Honneur le Président: Je vais essayer de clarifier la situation. L'honorable sénateur Doody a proposé un amendement. Il l'a lu. Comme le Règlement le veut, il a été communiqué à la présidence. J'ai lu l'amendement. La question normale était alors: «Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion d'amendement?» C'est la question normale. Je n'ai pas entendu de réponses. Je m'attendais à ce que quelqu'un se lève pour parler. Je ne pense pas avoir dit «adopté». Certains sénateurs pensent que je l'ai dit. Il est certain que l'amendement a été présenté au Sénat. La seule question est: est-ce que j'ai dit «adopté» après avoir lu la motion ou pas? Si la transcription montre que j'ai dit «adopté», alors, à mon avis, il est adopté parce que personne ne s'est levé pour dire non.

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Je tiens à rappeler aux honorables sénateurs et au Président que, lors d'un débat antérieur, son Honneur le Président a convenu que, dorénavant, il demanderait toujours si un autre sénateur voulait prendre la parole avant de procéder à un vote définitif. Je crois que cela est consigné au compte rendu. Le sénateur Lewis se levait pour poser une question. Il avait l'intention de proposer l'ajournement si aucun autre sénateur ne demandait la parole.

Le sénateur Berntson: Certainement.

Le sénateur Lynch-Staunton: Il peut encore le faire.

Le sénateur Graham: Malgré tout le respect que je porte au sénateur Prud'homme, il a été convenu que tous les sénateurs désirant participer au débat ou traiter d'un amendement quelconque seraient invités à le faire.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous auriez dû en parler au Président.

Le sénateur Lewis: J'avais l'intention de me lever. J'ai supposé que le débat suivrait. J'ai cru que je poserais une question et que le débat sur la motion se poursuivrait ensuite.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous sommes à la merci du Président. Nous respectons ses décisions.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, est-il nécessaire de tout répéter?

Le sénateur Lynch-Staunton: Non.

Son Honneur le Président: La question peut-elle être reportée à demain, lorsque nous aurons eu la possibilité de lire le compte rendu?

Des voix: D'accord.

(Le débat est ajourné dans l'attente de la décision de la présidence.)

 

LA LOI ÉLECTORALE DU CANADA

Projet de loi modificatif-Troisième lecture

L'honorable Nicholas W. Taylor propose: Que le projet de loi C-243, Loi modifiant la Loi électorale du Canada (remboursement des dépenses d'élection), soit lu une troisième fois.

L'honorable Marcel Prud'homme: Sénateur Taylor, je voudrais m'assurer de plusieurs choses avant que ce projet de loi ne soit adopté. Pour ma gouverne et pour celle des honorables sénateurs, pourriez-vous donner quelques explications sur le projet de loi dont nous sommes saisis? Je sais bien qu'il a déjà franchi l'étape de la deuxième lecture et qu'un député de la Chambre des communes a comparu devant notre comité. Ce projet de loi est important. Je pense que nous pouvons dire «oui» au projet de loi tout de suite, mais il soulève des questions importantes. Si personne ne veut prendre la parole, je vais le faire.

Pendant 30 ans, j'ai fait partie de divers comités qui ont étudié la Loi sur les dépenses électorales, la Loi électorale du Canada, et la Loi référendaire, entre autres. Le comité qui a étudié ce projet de loi était présidé, de main de maître, par le sénateur Carstairs. Elle s'est montrée juste. Un seul témoin a demandé à comparaître, le Parti de la loi naturelle, qui sera pénalisé par ce projet de loi. Je vais vous expliquer ce que je veux dire par là, mais pas un membre du comité ayant le droit de vote n'a jugé opportun de permettre à ce parti de venir témoigner. Il a dépensé plus de 3 millions de dollars et n'a été remboursé que de 700 000 $ - je n'ai pas les chiffres exacts devant moi aujourd'hui - et dorénavant on refusera que ses dépenses soient payées par les contribuables.

Ce projet de loi est présenté par le Parti réformiste. Il importe que les sénateurs des deux côtés de cette Chambre le sachent. Le Parti de la loi naturelle n'a recueilli que six dixièmes d'un pour cent et ne sera donc jamais admissible. Les sénateurs aimeront savoir que dorénavant les partis devront recueillir au moins deux pour cent des suffrages à l'échelle nationale pour qu'une partie de leurs dépenses leur soit remboursée. Nous ne parlons pas de candidats, mais bien de partis.

Pour des raisons que j'ignore, quelqu'un au Parti de la loi naturelle m'a contacté pour me dire que ce dernier voulait comparaître. Je lui ai expliqué - je crois avoir été juste envers le comité - que les membres du comité avait lu sa lettre et n'avaient pas jugé bon d'inviter un de ses représentants à comparaître.

Dès lors, deux partis qui ont reçu un remboursement lors des dernières élections n'y auront pas droit aux prochaines parce qu'ils n'ont pas obtenu 2 p. 100 des voix à l'échelle nationale ou 5 p. 100 dans les districts où ils ont présenté des candidats. Voilà ce dont il est question dans ce projet de loi. C'est une mesure législative très importante pour ce qui concerne les dépenses électorales. Il s'agit d'un projet de loi très important dans la perspective des prochaines élections.

Honorables sénateurs, il se peut que l'on conteste le caractère constitutionnel de ce projet de loi devant les tribunaux. Ç'a été le cas d'autres dispositions de la loi. Dans leur sagesse, les membres du comité - je vois quelques-uns d'entre eux m'approuver de la tête - ont décidé qu'il fallait obligatoirement obtenir 2 p. 100 des voix.

 

  • (1640)
Je vous signale officiellement que ça me semble raisonnable à moi aussi. J'étais simplement en train d'examiner notre position quand un projet de loi a été présenté à l'étape de la troisième lecture. Je signale aussi, pour que cela figure au compte rendu, vu que bien des gens lisent nos procès-verbaux, qu'ils constateront que nous avons adopté en troisième lecture un projet de loi concernant les dépenses électorales des partis politiques. Or, les honorables sénateurs devraient comprendre que les gens qui lisent le hansard ne lisent pas le projet de loi. Ils sauront qu'un projet de loi a été adopté à l'étape de la troisième lecture, mais ignoreront de quoi il s'agit. Je me permets de suggérer que la troisième lecture d'un projet de loi est peut-être l'occasion de toucher un mot sur sa portée.

Quant à moi, si vote il y avait, et je ne crois pas à cette éventualité, je voterais pour.

L'honorable Sharon Cairstairs: Je voudrais expliquer un peu les activités du comité chargé d'étudier ce projet de loi, car le sénateur Prud'homme y a fait allusion, et j'estime nécessaire de donner quelques explications à cet égard.

Ce projet de loi a été proposé par un député réformiste de Calgary, M. McClelland. Nous avons écrit à tous les partis politiques enregistrés au Canada et leur avons demandé de présenter au comité un mémoire indiquant tous les arguments en faveur ou contre ce projet de loi qu'ils voulaient que le comité recueille. Nous avons reçu deux mémoires: l'un du Parti de la Loi naturelle et l'autre du Parti marxiste-léniniste. Il est vrai que le Parti de la Loi naturelle a également demandé à comparaître devant le comité. Dans son mémoire, il avait expliqué de façon assez détaillée la raison pour laquelle il s'opposait au projet de loi. Ses raisons étaient fort simples: bien qu'il recueillait moins que les 2 p. 100 du nombre des votes que prévoit le projet de loi, il dépensait beaucoup d'argent.

Une des raisons pour lesquelles ce projet de loi a été déposé, c'est que le député qui en est l'auteur et M. Kingsley, notre directeur général des élections, craignaient que des personnes ne bénéficient de l'argent des contribuables du Canada pour avoir dépensé de très grosses sommes d'argent. Une des dispositions du projet de loi exigeait qu'un parti dépense 10 p. 100 du plafond, soit environ 10 millions de dollars s'il avait 295 candidats, pour obtenir un remboursement. Bon nombre des petits partis qui sont enregistrés dans le pays ne peuvent même pas dépenser les 10 p. 100, de sorte qu'ils ne sont jamais autorisés à obtenir un remboursement. Ils ne peuvent pas dépenser les 10 p. 100 parce qu'ils ne peuvent pas réunir le montant d'un million qui est nécessaire.

Il faut également se rappeler que, si l'on est candidat, on a des limites de dépenses, mais il faut recueillir 15 p. 100 du vote populaire pour obtenir tout remboursement du Trésor fédéral. Cependant, le parti pourrait obtenir un remboursement s'il dépensait 10 p. 100 de sa limite autorisée et qu'il n'y avait aucun plafond de pourcentage. Cette disposition introduira en fait un seuil de 2 p. 100 sur le plan national et de 5 p. 100 dans une circonscription précise pour que le parti, et non le candidat, obtienne un remboursement. Soit dit en passant, il s'agit d'une recommandation du directeur général des élections du Canada. Elle a été présentée par le biais d'un projet de loi d'initiative parlementaire et le comité l'a approuvée à l'unanimité.

Le sénateur Taylor: Je n'ai rien à ajouter à l'explication fournie par le président du comité. Toutefois, je rappelle à l'honorable sénateur qui a soulevé la question deux choses: j'ai présenté le projet de loi en juin. L'honorable sénateur m'a vraiment mis dans l'embarras. J'avais jeté tous mes papiers en juin, parce qu'il y a une limite à tous les documents qu'un sénateur peut accumuler dans son bureau. J'ai cru inutile de classer les discours que j'avais prononcés en juin. En réalité, certains m'accusent de fournir trop d'explications. Si l'on voulait des précisions, on n'avait qu'à les demander en juin, quand j'ai présenté le projet de loi. Cet automne, le président du comité a encore fourni des explications.

Je n'ai pas l'intention de donner une conférence, étant donné que nous venons de traiter un recours au Règlement. D'une façon générale, le Beauchesne prévoit qu'à l'étape de la troisième lecture d'un projet de loi, il convient de le reporter à plus tard ou de le rejeter. Il y a peu de débat. Selon le Beauchesne, les amendements sont généralement débattus aux étapes de la deuxième lecture et de l'étude au comité. On peut toujours reprendre le débat une troisième fois. Comme il est possible que des sénateurs soient absents pendant la deuxième lecture, on devrait répéter ses arguments trois fois, mais je ne croyais pas que c'était nécessaire dans ce cas-ci.

Le sénateur Prud'homme: Honorables sénateurs, je ne voulais pas mettre le sénateur Taylor dans l'embarras. Cependant, je suis heureux d'avoir soulevé la question afin de permettre au...

Son Honneur le Président: Est-ce que vous posez une question à l'honorable sénateur Taylor?

Le sénateur Prud'homme: Oui. L'honorable sénateur a peut-être raison en ce qui concerne ce qui est dit dans Beauchesne, mais il n'a rien dit à propos de l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-17. L'étape de la troisième lecture n'est peut-être qu'une formalité, mais j'en doute fort. À l'étape de la troisième lecture, on peut amender le projet de loi. On peut le reporter de six mois. Les amendements sont limités à l'étape de la troisième lecture, mais il peut y avoir un débat complet, sénateur.

Le sénateur Taylor: Cela répond à la question. Je ne voulais certainement pas étouffer une lecture en direct. Il se trouve simplement que l'ouvrage de Beauchesne prévoit, en général, la présentation en première lecture, un débat en deuxième lecture, des propositions d'amendement à l'étape du comité et, à l'étape de la troisième lecture, on peut intervenir de nouveau à ce sujet. Cela ne fait aucun doute. Surtout quand on n'a pas réussi à faire triompher sa position, on veut une autre chance de la défendre.

Quand l'honorable sénateur a demandé une explication, j'ai dit qu'on l'avait déjà donnée deux fois auparavant. Tâchez de ne pas me comprendre de travers, honorable collègue. Chaque fois que vous me demandez une explication, vous serez toujours assuré de recevoir un torrent de paroles.

Son Honneur le Président: L'honorable sénateur Taylor, appuyé par l'honorable sénateur Mercier, propose: Que le projet de loi soit maintenant lu une troisième fois. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu une troisième fois, est adopté.)

 

La Loi sur la radiodiffusion

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-
Ajournement du débat

L'honorable Eugene Whelan propose: Que le projet de loi C-216, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion (politique canadienne de radiodiffusion), soit lu une deuxième fois.

- Honorables sénateurs, ce projet de loi a été lu une première fois le 24 septembre 1996.

Bon nombre d'entre vous se rappelleront la grande révolte des abonnés du câble, en janvier 1995. Les consommateurs se sont élevés contre l'abonnement par défaut, pratique scandaleuse des câblodistributeurs. L'élément central de la protestation était l'exigence, par les consommateurs canadiens, que les législateurs mettent un terme à cette pratique une fois pour toutes.

En réalité, rien n'a changé depuis. Même après cette révolte, après les plaintes adressées au CRTC, les appels et les lettres aux députés, les monopoles du câble ont conservé l'abonnement par défaut pour mettre sur le marché la dernière série de canaux spécialisés. Il incombe toujours au consommateur d'annuler le service avant qu'il ne lui soit facturé.

En septembre dernier, le CRTC a accordé des licences à 23 nouveaux canaux spécialisés, parmi les 40 qui étaient proposés, notamment un canal sur le jardinage, un canal diffusant des dessins animés, un autre entièrement consacré aux chevaux. La question demeure: qui protégera les consommateurs des abus des câblodistributeurs? La réponse est simple. Nous allons les protéger en adoptant le projet de loi C-216 et en faisant enfin régner l'équité entre l'industrie, l'organisme de réglementation et le consommateur.

 

  • (1650)
Le projet de loi C-216 ne s'applique qu'aux services non obligatoires de télévision payante ou spécialisée. Le CRTC va continuer à décider si un canal est obligatoire ou non. Ce projet de loi ne touche pas aux canaux existants comme RDI, SRC, CTV, TSN ou MuchMusic. Les petits câblodistributeurs - ayant moins de 2 000 abonnés qui sont principalement en région rurale - ne sont pas assujettis à ce projet de loi. Celui-ci n'empêche par les câblodistributeurs de substituer un canal à un autre, pourvu que le prix n'augmente pas. Le CRTC a accordé une licence à sept nouveaux canaux de télévision spécialisée qui vont prendre l'antenne en septembre 1997.

La politique canadienne en matière de radiodiffusion est en mutation. Personne ne sait quelles seront au juste les limites une fois que l'appel d'offres pour les services de programmation sera lancé aux compagnies de téléphone, de radiodiffusion directe à domicile par satellite et de télédistribution sans fil. Avec le projet de loi C-216, nous pourrons protéger les consommateurs en ajoutant quatre petits mots à l'article de la Loi sur la radiodiffusion qui concerne la politique, à savoir: «n'ait consenti au préalable». Songez que, si ce projet de loi est adopté, un câblodistributeur ou une autre entreprise de distribution devra obtenir le consentement préalable du consommateur avant de lui facturer le nouveau service.

Pour terminer, j'invite les sénateurs à étudier et à adopter rapidement le projet de loi C-216 et à le renvoyer au plus tôt au comité où nous pourrons l'examiner de plus près dans son rôle de protection des consommateurs.

(Sur la motion du sénateur Bolduc, le débat est ajourné.)

[Français]

 

Le Code criminel du Canada

L'article 43-interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Carstairs, attirant l'attention du Sénat sur l'article 43 du Code criminel du Canada.

L'honorable Rose-Marie Losier-Cool: Honorables sénateurs, il me fait plaisir de participer au débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Carstairs au sujet de l'article 43 du Code criminel. Le débat qui entoure cette question nous touche tous et toutes d'une façon ou d'une autre. Nous ne pouvons demeurer insensibles à l'enfant qui reçoit une fessée injuste ou à ces souvenirs de jeunesse lorsqu'un professeur infligeait une forme de punition corporelle qui laissait un goût amer. Des épisodes de la sorte s'imprègnent dans notre mémoire et nous laissent un pincement de coeur.

Honorables sénateurs, le temps est venu, encore une fois, d'examiner de plus près la question de l'article 43 du Code criminel canadien. Le Canada est reconnu partout sur la terre comme étant le pays où il fait le mieux vivre, un pays où les conditions de vie sont de très haut calibre. Nous sommes toujours fiers de le dire et de l'afficher lorsque l'occasion se présente.

Toutefois, lorsque l'on constate que 75 p. 100 des parents canadiens se servent d'une mesure de discipline physique, plus communément appelée punition corporelle dans leur démarche pour contrôler ou changer le comportement de leur enfant, l'on peut se poser de sérieuses questions.

Cette pratique continue d'être utilisée malgré un nombre croissant d'études qui prouve qu'elle n'a pas d'effets positifs sur les enfants. Les enfants sont trop souvent à risque lorsque cette pratique est utilisée.

Honorables sénateurs, je crois que les aspects de cette question relèvent du manque d'information et d'éducation auprès des parents, des futurs parents et du public en général. La population canadienne, en général, est à court de méthodes alternatives pour élever ses enfants et pour modifier certains comportements inappropriés. Un grand nombre de parents utilisent cette méthode qui leur a été imposée alors qu'ils étaient eux-mêmes enfants. Ils se servent donc des pratiques qu'ils ont vécues et apprises au cours de leur enfance.

Comme le dit Joan Durrant, au chapitre deux, dans le livre Readings in Child Development: A Canadian perspective de K. Covell...

[Traduction]

Si les enfants sont considérés comme des êtres foncièrement mauvais qui ont besoin d'être châtiés pour apprendre à vivre en société, le conflit se réglera probablement en faveur du droit des parents d'infliger des châtiments corporels. Par contre, si les enfants sont considérés comme des êtres foncièrement vulnérables qui ont besoin d'une protection spéciale, le droit des enfants à l'intégrité physique primera probablement.

Il existe des solutions de rechange. Dans son édition du 27 mai 1996, l'Ottawa Citizen publiait un article montrant que la demande pour un dépliant prouvait que les parents cherchaient des solutions de rechange aux châtiments corporels. Le dépliant en question a été corédigé par le professeur Joan Durrant, de l'Université du Manitoba. Mme Durrant, spécialiste en la matière, affirmait que la demande pour ce document prouve que les parents cherchent des solutions de rechange aux châtiments corporels. Elle déclarait:

L'intérêt manifesté est assez étonnant. Nous savions depuis longtemps que ce n'était pas salutaire (de donner une fessée aux enfants). Les renseignements à ce sujet n'avaient toutefois jamais été diffusés à la population.

Dans la brochure intitulée Spanking: Should I or Shouldn't I, on dit ceci:

...le châtiment corporel cause des problèmes de comportement et rend les enfants plus agressifs.

En matière d'éducation, cette excellente initiative, qui est financée par Santé Canada et par des organismes sans but lucratif, prouve que certaines personnes cherchent des solutions de rechange au châtiment corporel.

Les conclusions de deux enquêtes menées, en 1992, par le même spécialiste canadien étaient troublantes. Une minorité de 30, 4 p. 100 des répondants de la région urbaine de Winnipeg ont appuyé l'idée que le Canada adopte une loi comme celle que la Suède s'est donnée en 1979 et qui rend illégal le châtiment corporel. S'il était prouvé que la loi suédoise a réduit les blessures chez les enfants, 65, 4 p. 100 des répondants seraient en faveur de l'adoption d'une telle loi.

[Français]

Honorables sénateurs, après l'adoption de la loi qui ne permettait plus d'utiliser la punition corporelle en 1979, la Suède a lancé des mesures éducatives de grande envergure pour informer la population des effets négatifs de cette pratique et des mesures alternatives qui peuvent être employées pour élever leurs enfants.

[Traduction]

Selon le Journal of Comparative Family Studies:

L'objectif principal de la loi semble être d'établir une norme interdisant toute forme de châtiment corporel, ce qui dissuaderait les parents de recourir à pareille méthode.

[Français]

Celles-ci s'étant avérées efficaces à long terme, elles ont réussi à informer et à changer l'opinion du public face à leurs croyances et à leurs pratiques sur la punition corporelle.

De 1965 à 1968, la proportion des Suédois qui estimait que la punition corporelle était nécessaire est passée de 53 à 42 p. 100 mais en 1994, cette proportion chutait à 11 p. 100. Comme vous pouvez le constater, la vaste campagne d'éducation lancée par la Commission suédoise des droits de l'enfant a porté des fruits. Au Canada, une campagne d'information a grandement besoin d'être lancée pour amener le public à mieux comprendre le tort que la violence cause chez les enfants et l'inutilité d'avoir recours à la violence pour modifier les comportements.

(1700)

Ce n'est pas en changeant simplement la loi actuelle que nous allons offrir des méthodes alternatives aux parents qui veulent modifier un comportement chez leur enfant.

L'acquisition de nouvelles habiletés pour élever des enfants doit précéder la criminalisation de méthodes que l'on juge inacceptables ou inappropriées.

Si l'on jette un coup d'oeil dans les écoles canadiennes selon l'article 43 du Code criminel, un instituteur, tout comme un parent ou un tuteur, peut et je cite:

Employer la force pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable.

La Colombie-Britannique est la seule province canadienne qui ne sanctionne pas la punition corporelle. Au Nouveau-Brunswick, la loi scolaire interdit la punition corporelle bien qu'elle n'en donne pas la définition. Selon le paragaphe 70. (2), et je cite:

Un enseignant ne peut punir un élève en lui donnant une punition corporelle.

L'association des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick a comme position qu'elle ne favorise pas la punition corporelle. La plupart des associations enseignantes canadiennes n'appuient pas l'utilisation de la punition corporelle. Un nombre grandissant d'écoles s'efforcent d'implanter des programmes aux méthodes alternatives qui outilleront nos enfants à réagir de manière calme, pacifique et réfléchie dans les situations de conflit ou de malentendu.

Au Nouveau-Brunswick, par exemple, les écoles francophones de cette province sont de plus en plus nombreuses à mettre sur pied et à adopter des méthodes de résolution de conflit gérées par les élèves et les instituteurs dans les classes. Ils adoptent des mesures qui ont fait leurs preuves comme étant efficaces et enrichissantes pour les élèves et pour les instituteurs.

En avril 1994, lors de sa comparution devant le comité de la justice et des questions juridiques, pour discuter du budget des dépenses principal, le ministre de la Justice a affirmé que son ministère, de pair avec d'autres ministères fédéraux et les associations de femmes, examinait la question du recours à la force pour châtier les enfants, la punition corporelle.

Honorables sénateurs, les Canadiens ont souvent tendance à se percevoir plus humains, plus progressistes au niveau social que les Américains. Toutefois, si nous regardons de plus près la loi canadienne qui traite de la punition corporelle, cette différence de valeur n'est pas telle que nous la percevons.

Le Sénat, de concert avec le gouvernement fédéral, se doit d'examiner de plus près la question de l'article 43 du Code criminel et de porter des mesures qui abrogeront un aspect qui touche un très grand nombre d'enfants canadiens. Le modèle suédois a fait ses preuves en implantant des mesures éducatives, les parents ont trouvé d'autres moyens que la punition corporelle pour discipliner leurs enfants.

[Traduction]

N'oubliez pas que les enfants sont des êtres humains. Faisons en sorte de protéger leurs droits.

Son Honneur le Président: Si aucun autre honorable sénateur ne veut prendre la parole, le débat sur cette interpellation est considéré comme terminé.

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): J'attire l'attention des honorables sénateurs sur le fait que l'article était inscrit au nom du sénateur Cools. Selon nos règles de procédure et par courtoisie, elle est considérée comme ayant cédé la parole au sénateur Losier-Cool. S'il y a consentement unanime, le débat sera ajourné au nom du sénateur Cools.

Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(Sur la motion du sénateur Graham, au nom du sénateur Cools, le débat est ajourné.)

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 2 octobre 1996, à 13 h 30.)

 


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