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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 35e Législature,
Volume 135, Numéro 39

Le mercredi 2 octobre 1996
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mercredi 2 octobre 1996

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.

Prière

[Traduction]

 

Nouveau sénateur

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de vous informer que le greffier a reçu du registraire général du Canada le certificat établissant que Wilfred P. Moore a été appelé au Sénat.

 

PRÉSENTATION

Son Honneur le Président informe le Sénat qu'un sénateur attend à la porte pour être présenté:

L'honorable sénateur suivant est présenté, puis remet les brefs de Sa Majesté l'appelant au Sénat. Le sénateur, en présence du greffier, prête le serment prescrit et prend son siège:

L'honorable Wilfred P. Moore, de Chester, Nouvelle-Écosse, présenté par l'honorable Joyce Fairbairn et l'honorable B. Alasdair Graham.

Son Honneur le Président informe le Sénat que l'honorable sénateur susmentionné a fait et signé la déclaration d'aptitude prescrite par la Loi constitutionnelle de 1867, en présence du greffier du Sénat, commissaire chargé de recevoir et d'attester cette déclaration.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je suis très heureuse d'accueillir notre plus récente recrue, le sénateur Wilfred Moore.

Depuis 1974, année où il a fait ses débuts sur la scène politique comme conseiller municipal à Halifax, il met sont énergie et son talent au service de la population de cette ville et de la Nouvelle-Écosse. Il le fait avec autant de détermination que son collègue, le sénateur Graham, qui se vante d'avoir joué un rôle dans les débuts de la vie politique du sénateur Moore.

 

  • (1340)
Le sénateur Moore a obtenu un baccalauréat en commerce à l'Université St. Mary's, dont il a été membre du conseil d'administration. Diplômé en droit de l'Université Dalhousie, il s'est lancé dans la profession juridique, qu'il exerce encore aujourd'hui.

Le sénateur Moore a surtout fait carrière au service de la communauté. Il a non seulement siégé comme conseiller municipal, mais il a également été président de la commission d'appel en matière d'aide sociale de Halifax et Dartmouth et directeur du centre métropolitain de Halifax.

En 1994, le premier ministre John Savage a demandé au sénateur Moore d'accepter le poste de président du Bluenose II Preservation Trust. Secondé par un groupe de collaborateurs, il a supervisé les travaux qui ont permis de restaurer le Bluenose II dans toute sa gloire en tant que réplique du navire original qui a défait tous ses adversaires dans les courses en haute mer. Voilà l'esprit qui caractérise le nouveau sénateur.

Pendant toute sa vie, il a grandement contribué à la vie politique. J'ai éprouvé du respect pour le sens de l'engagement dont il a fait preuve aux dernières élections fédérales. Pour lui, le processus démocratique est fondamental, la politique est un plaidoyer en faveur de la fierté et il y a toujours participé avec détermination et beaucoup de bonne humeur. Les habitants de la Nouvelle-Écosse trouveront en la personne du sénateur Moore un représentant actif, dévoué et franc qui n'hésitera jamais à défendre leurs intérêts.

Sénateur Moore, au nom de vos nouveaux collègues, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes impatients de bénéficier de votre dynamisme. Nous souhaitons également la bienvenue à votre épouse Jane qui, du haut de la tribune, partage avec vous cette journée spéciale.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, encore une fois, nous avons le plaisir d'accueillir parmi nous un nouveau collègue qui, et ce n'est qu'une de ses nombreuses activités communautaires, a fait activement campagne pour le Parti libéral dans sa province.

Comme je l'ai mentionné la semaine dernière dans le cas du sénateur Mercier, il y en a toujours qui se drapent dans leur vertu et déplorent le fait que les nominations au Sénat sont parfois accordées à des personnes qui se trouvent appuyer le premier ministre du jour et son parti. De tels commentaires, aussi bien intentionnés soient-ils, témoignent d'une incompréhension totale de notre système parlementaire. Le Sénat est une Chambre politique - pas trop partisane, espérons-le. Tout sénateur qui, comme le sénateur Moore, lui apporte une expérience politique, quel que soit le niveau, a un avantage qui peut être profitable à tous ses collègues.

Le sénateur Moore apporte à cette Chambre deux qualités essentielles: la prudence et la discrétion. En effet, je n'ai pas pu trouver d'écrits de sa main, comme dans le cas du sénateur Whelan, que j'aurais pu citer dans mes propos de bienvenue d'aujourd'hui.

Ceci dit, sénateur Moore, mes collègues de ce côté-ci se joignent à moi pour vous adresser tous nos voeux de succès dans vos nouvelles fonctions.

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, quand le magnifique Bluenose II est fièrement entré dans le port de Halifax pendant le sommet du G-7, avec ses voiles majestueusement déployées dans le vent, personne ne pouvait être plus fier et s'attribuer plus de mérite que notre nouveau collègue, le sénateur Wilfred Moore.

On a déjà dit que Wilfred Moore était président du fonds de préservation du Bluenose II. Ce que l'on n'a pas dit, toutefois, c'est que c'est lui qui a créé le fonds, qui l'a mis en valeur, qui a fait en sorte que ça marche. Plus que quiconque, c'est lui qui a assuré la réincarnation spectaculaire et la préservation de cet édifice de voiles dont les habitants de la Nouvelle-Écosse et, bien sûr, tous les Canadiens, sont si fiers. Je crois pouvoir dire sans me tromper que, sans le leadership et la détermination du sénateur Moore, le Bluenose II ne naviguerait pas aujourd'hui, et qu'il aurait peut-être été remisé pour toujours.

Parmi ceux qui étaient si excités à la vue de cette reine de la mer fraîchement restaurée, rares devaient être ceux qui savaient que son nom lui vient probablement des pommes de terre MacIntyre Blue. En effet, les cargaisons de ces pommes de terre qu'on acheminait dans des lieux comme la Nouvelle-Angleterre étaient identifiées comme des «blue noses» sur la facture.

Ainsi, ce merveilleux vaisseau qui a déjà sillonné avec grâce tous les océans du monde tiendrait son nom, selon certains, de ce modeste tubercule peu distingué, mais si essentiel au régime alimentaire et à la subsistance de millions de familles et de collectivités. Pour la plupart des gens, évidemment, c'est le Bluenose I qu'on identifiera comme la goélette de pêche la plus rapide qui ait jamais fendu les mers.

Quelle que soit l'origine de son nom, ce qui est intéressant, c'est de voir à quel point le sénateur Moore est resté fidèle à ses racines, aux gens et aux collectivités qu'il aime. Il a passé la plus grande partie de sa vie au service des Canadiens ordinaires et de leur famille.

Le sénateur Moore est cependant bien plus que l'ancien président de la commission d'appel de l'aide sociale à Halifax et à Dartmouth, adjoint du maire de Halifax, président du Metro Centre et membre du conseil d'administration de la Saint Mary's University. C'est un homme qui donne le ton à son entourage. Il a des convictions bien arrêtées et nous nous apercevrons bientôt qu'il n'a pas peur de les exprimer.

Notre Chambre bénéficiera de la loyauté inébranlable du sénateur Moore envers les traditions et le valeureux patrimoine de notre pays, et nous en avons besoin plus que jamais à notre époque. Ce qui est tout aussi important, c'est sa façon d'être au service des gens, des familles et des collectivités, parce que c'est de là que nous viennent le pain et le beurre de notre nation.

Sa présence au Sénat sera pour nous tous un rappel quotidien que cette magnifique Chambre rouge est en réalité un atelier au service de la population, et que c'est, pour les artisans que nous sommes, le plus grand honneur et le plus grand privilège que nous ayons pu espérer dans notre vie que de pouvoir y travailler.

Nous souhaitons chaleureusement la bienvenue à notre collègue et ami de Nouvelle-Écosse, à sa femme Jane et à sa famille.

Willy, j'ajoute en passant que notre nouvelle collaboration ajoutera, pour nous deux, un peu de piquant à la partie de football qui se jouera entre Saint FX et Saint Mary's, plus tard au cours de la saison.

L'honorable John Buchanan : Honorables sénateurs, nous accueillons un autre fils de la Nouvelle-Écosse en cette Chambre rouge chargée d'histoire. Je vous avertis que les Néo-Écossais, sous la direction de personnes telles que le sénateur Moore et moi-même, sont sur le point d'investir cet endroit complètement!

Je tiens à féliciter mon ami de sa nomination au Sénat et certainement de la restauration de notre bien-aimé Bluenose II si cher à tous les Néo-Écossais.

Le sénateur Graham a mentionné le nom «Bluenose». L'origine de ce dernier se perd dans la nuit des temps et il n'était pas loin quand il a parlé de la pomme de terre du même nom. À Sambro, un vieux loup de mer m'a raconté une histoire à ce sujet. Je m'étonne toujours des multiples péripéties de ces histoires.

Lorsque j'étais à Boston dans les années 80, nous y faisions venir le Bluenose pour emmener des gens d'affaires et autres personnes s'occupant de promotion touristique en Nouvelle-Écosse faire un petit tour dans le port de Boston. Un jour, à l'occasion d'un de ces petits voyages sur le Bluenose, une jeune femme avec qui je m'entretenais m'a demandé d'où venait ce nom. Je ne savais pas qui elle était, mais elle n'arrêtait pas de prendre des notes. Je lui ai demandé pourquoi elle prenait des notes, ce à quoi elle m'a répondu que c'était pour son usage personnel. Je lui ai alors expliqué que l'origine du nom Bluenose se perdait dans la nuit des temps. Toutefois, la version que je préfère veut que, dans les années 20 et 30, époque où le Bluenose original passait de longues périodes sur les Grands Bancs, en plein hiver, les marins portaient des gros chandails en laine bleu marine. Lorsqu'ils avaient la goutte au nez, ils s'essuyaient sur leur chandail et quand ils revenaient enfin à terre, ils avaient le nez tout bleu, ce qui leur valut le surnom de «bluenosers».

 

  • (1350)
Je n'en suis pas revenu lorsque, une quinzaine de jours plus tard, Freddie Dickson, un de mes amis qui est également un ami de Willy, m'a demandé ce que j'avais raconté à Boston au sujet du Bluenose. Quand je lui ai répondu que je ne savais pas de quoi il parlait, il m'a dit que je ferais bien de lire le Cape Breton Post et les journaux de Lunenburg qui m'attribuaient l'histoire selon laquelle le nom «Bluenose» venait des marins qui portaient un chandail de laine. L'auteur de l'histoire était une journaliste du Gloucester Times au Massachusetts.

Certains autres honorables sénateurs savent peut-être exactement pourquoi ce navire s'appelle le Bluenose, mais c'est l'une des diverses histoires qu'on entend et elle est plutôt amusante.

Je tiens à souhaiter la bienvenue au sénateur Moore, un éminent membre du Barreau de la Nouvelle-Écosse. Au cours des années, tous nos échanges juridiques ont été des plus cordiaux, professionnels et agréables. J'ai eu l'honneur de signer, en 1983, le décret par lequel Wilfred Moore a été nommé conseil de la Reine, l'un des juristes érudits de Sa Majesté. Il ne s'agissait pas du tout d'une nomination politique. Wilfred Moore a été nommé parce qu'il était, et est toujours, un éminent membre du Barreau de la Nouvelle-Écosse.

Comme on l'a déjà dit, Wilfred Moore était aussi membre du conseil municipal de Halifax, conseiller municipal et maire adjoint. Je me souviens très bien d'une certaine photographie prise il y a 20 ans. Je l'ai retrouvée ici, à la Bibliothèque du Parlement. On y voit le maire de Halifax qui observe alors que Sa Majesté la Reine signe le livre d'or de l'hôtel de ville de Halifax. En arrière-plan, on peut voir Son Altesse Royale le Prince Philip bavarder avec le conseiller Wilfred Moore.

Je prierais l'un des pages de bien vouloir apporter la copie que voici de cette photographie à notre nouveau et distingué collègue, le sénateur Moore.

Le sénateur Moore est un ami de longue date et je l'appelle affectueusement «Willy», quoique c'est sans doute la première et la dernière fois que j'utiliserai ce nom en cette Chambre. Je suis ici depuis un certain temps, mais je ne sais pas si l'on peut s'adresser aux autres honorables sénateurs par leur prénom. À l'assemblée législative provinciale, où j'ai siégé pendant 24 ans, on n'acceptait pas une telle familiarité. Ce sera donc la première et la dernière fois que j'utiliserai son prénom, mais je désire souhaiter la plus sincère des bienvenues à mon ami Willy Moore, le sénateur Moore, qui se joint à nous en cette historique Chambre rouge.

Je tiens aussi à souhaiter la bienvenue à son épouse Jane et à leur famille.

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, lorsqu'on est né la même année que lui à Halifax, qu'on grandit ensemble dans le même quartier et qu'on fréquente les mêmes écoles que lui, on ne s'adresse pas à lui en l'appelant le sénateur Wilfred Moore, on l'appelle «Willy», tout simplement.

Le sénateur Wilfred Moore a été un camarade d'école de mon frère David et a siégé au même conseil municipal que mon frère Dennis. Le week-end dernier, il y a eu un rassemblement des Connolly à Fredericton, à l'occasion du mariage d'un autre membre de la famille. Nous étions tous assis ensemble pour le brunch, dimanche matin, et avons porté un toast au nouveau sénateur Wilfred Moore.

Au nom de toute la famille Connolly, bienvenue au Sénat, Willy.

[Français]

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, je n'ai pas l'honneur de connaître le sénateur Moore. Je veux me faire l'interprète des sénateurs indépendants pour lui souhaiter la plus cordiale bienvenue.

[Traduction]

Je n'ai pas l'honneur de connaître le nouveau sénateur, mais il doit être quelqu'un de très spécial pour l'avoir remporté sur un si grand nombre de concurrents, comme nous l'avons lu tous les jours dans le journal.

Rien ne me ferait plus plaisir que de faire votre connaissance, sénateur Moore, le plus tôt sera le mieux, et de vous dire que, si jamais vous vous sentez déprimé ou dégoûté de la majorité ou de l'esprit de parti, il y aura toujours de la place pour un nouveau sénateur indépendant.

[Français]

 

Feu l'honorable Robert Bourassa,
B.A., LL.B, M.A

Hommages

L'honorable Lise Bacon: Honorables sénateurs, d'une manière courte et simple, comme il le voudrait, j'aimerais rendre hommage à un grand Québécois et à un grand Canadien. L'ancien premier ministre du Québec, M. Bourassa, a su bien servir tous les Québécois et les Québécoises de toute allégeance avec une détermination à toute épreuve et une loyauté inébranlable.

En tant qu'homme public, Robert Bourassa a travaillé pendant près de trois décennies à bâtir un Québec moderne, fort, fier et canadien.

Économiste de formation, il était conscient que l'importance de la présence du Québec dans l'économie mondiale était, et est encore aujourd'hui, la priorité pour un Québec prospère. Il savait qu'avec une économie saine, le Québec pouvait se donner des politiques culturelles et sociales généreuses et une meilleure qualité de vie.

Avec lui, j'ai partagé pendant plus de 30 années la vie politique québécoise, avec tout ce que cela comporte comme risques mais également comme défis. J'ai toujours admiré sa capacité de prendre les décisions qui s'imposaient, dans un contexte parfois difficile, sans hésiter un seul instant sur ses préoccupations personnelles.

Robert Bourassa ne nous laisse pas seulement des souvenirs, mais plus encore, il nous lègue un héritage. Le meilleur hommage que l'on puisse lui rendre consiste à s'inscrire comme des porteurs de sa pensée politique, de sa vision qu'il avait d'un Québec qui aurait toujours sa place au sein du Canada.

À Andrée Bourassa, qui a toujours respecté l'engagement de son mari, à ses enfants François et Michèle, j'offre mes plus sincères condoléances et mon amitié.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, autant le décès de tout personnage politique, quelle que soit son allégeance, suscite toujours une grande tristesse de la part de ceux et celles qui oeuvrent dans le même domaine, autant cette tristesse est encore plus profonde de la part de ces mêmes personnes qui ont connu le défunt dans sa vie privée.

J'ai connu Robert Bourassa au collège Jean de Brébeuf. Nous nous sommes revus occasionnellement alors que j'étais membre du conseil municipal de la Ville de Montréal, et qu'il était nouvellement élu à l'Assemblée nationale. Par la suite, nous nous sommes rencontrés lors des conflits de travail extrêmement litigieux à Montréal. Ces dossiers ont mené à des rencontres avec lui et ses conseillers, pas toujours faciles, loin de là.

Je laisserai à d'autres le soin d'apprécier Robert Bourassa, l'homme public. Celui que je pleure aujourd'hui, c'est Robert Bourassa le confrère de collège et connaissance de longue date.

[Traduction]

Alors que M. Robert Bourassa semblait détaché, même lointain, son véritable caractère était tout à fait à l'opposé de cela; il était accueillant et avait un sens aigu de l'humour. C'était un homme dévoué à sa famille et qui s'inquiétait toujours beaucoup du bien-être personnel de tous, ses amis comme ses ennemis. Il s'acquittait de ses lourdes responsabilités avec un mépris total pour son propre bien-être.

C'était un citoyen extraordinaire de ce pays et de sa province et il avait un attachement profond aux deux. C'est une grande perte pour tous les Canadiens et la perte de Robert Bourassa est particulièrement triste pour tous ceux qui avaient le privilège de le connaître. Je peux simplement espérer que savoir que leur peine est partagée par tant de gens apportera un peu de réconfort à sa veuve et à sa famille. Je leur présente mes très sincères condoléances.

[Français]

 

  • (1400)
L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, je veux tout simplement rendre un hommage personnel et des plus respectueux à la mémoire de M. Bourassa. J'ai eu l'occasion pendant cinq ans d'apprécier son dévouement dans cette entreprise noble qu'est la réconciliation du Québec avec le reste du Canada. Cette grande entreprise, vous l'aurez reconnue, c'était les négociations de l'Accord du lac Meech auxquelles M. Bourassa a consacré la majeure partie de ses deux derniers mandats comme premier ministre.

Je me rappelle tout particulièrement son chagrin et sa grande déception devant l'échec de l'Accord du lac Meech en 1990, lorsque nous n'avons pas réussi à trouver une solution au problème découlant du rapatriement de la Constitution sans l'assentiment du Québec en 1982. Nous avons été incapables d'établir les conditions constitutionnelles qui auraient permis au Québec de s'épanouir dans toute sa spécificité au sein de la confédération canadienne.

M. Bourassa souhaitait ardemment que nous tournions alors la page de la Constitution et que nous consacrions nos efforts au redressement de l'économie. Il craignait que, autrement, le sentiment de frustration devant la situation économique du Canada vienne renforcer la cause des souverainistes. Malheureusement, il semble qu'il ne se soit pas trompé.

Honorables sénateurs, l'histoire sera l'ultime juge de Robert Bourassa et de son oeuvre. Pour ma part, je suis convaincu que l'histoire lui donnera raison. Ce fut un homme de vision, un homme d'État d'un rare talent et d'une grande perspicacité.

Je me souviens, en juin 1990, au cours des toutes dernières discussions sur l'Accord du lac Meech, ici même dans le Centre des conférences d'Ottawa, M. Bourassa avait regardé les autres premiers ministres réunis avec lui et avait dit: «je sais que certains d'entre vous, pour des motifs politiques, vous montrez réticents à appuyer Meech, mais, croyez-moi, ce n'est rien à côté de ce que le Canada va subir comme bouleversement politique si cet accord échoue».

Aujourd'hui j'aimerais exprimer mes condoléances les plus profondes à sa famille, bien sûr, et également à certains de nos collègues du Sénat qui sont particulièrement attristés par la disparition prématurée de leur ancien chef.

Je pense surtout à son ancienne vice-première ministre, l'honorable Lise Bacon, à son ancienne ministre, l'honorable Thérèse Lavoie-Roux, à l'ancien secrétaire général du gouvernement du Québec, l'honorable Roch Bolduc et, de façon toute spéciale, à son très proche ami et collaborateur, son conseiller politique, l'honorable Jean-Claude Rivest.

Dans ses multiples réalisations, comme dans ses échecs, qui sont les nôtres aussi, Robert Bourassa livrera à ceux et à celles qui voudront bien s'en inspirer un précieux enseignement.

L'honorable Louis J. Robichaud: Honorables sénateurs, une chose qui ne me répugne pas nécessairement, mais que je ne n'aime pas faire, c'est de rendre hommage à ceux qui nous quittent, forcément à l'âge de 75 ans, ou à des amis qui nous quittent à cause d'un décès.

La radio et la télévision nous ont depuis ce matin annoncé le décès d'un ancien confrère que j'ai très bien connu comme premier ministre, M. Robert Bourassa, un grand Canadien et un grand Québécois.

M. Robert Bourassa possédait énormément de qualités. Les journaux et les médias vont nous donner tout cela. Je n'ai pas besoin de jouer ce rôle aujourd'hui. Je voudrais tout simplement vous dire comment la vie se poursuit.

Dans ma courte vie, j'ai bien connu, certains premiers ministres du Québec: Maurice Duplessis, Adélard Godbout, Paul Sauvé, Antonio Barrette, Jean Lesage, Daniel Johnson, Jean-Jacques Bertrand, Robert Bourassa, ensuite, René Lévesque, Pierre-Marc Johnson, Daniel Johnson fils, Robert Bourassa, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard. Dans ma courte vie, j'ai connu tous ces hommes, je leur ai parlé.

Robert Bourassa, je l'ai dit, a été un grand Canadien, un unificateur comme il y en a trop peu. J'aimerais qu'il y en ait d'autres comme lui au Québec et ailleurs.

Je me rappelle surtout l'héroïsme déployé par Robert Bourassa lorsque son collègue et grand ami Pierre Laporte a été assassiné. Il était le grand patron de Pierre Laporte. Il était un grand ami, mais comme un solide Canadien, un solide Québécois, il a surmonté la crise.

 

  • (1410)
Je pourrais vous raconter un petit épisode qui s'est produit tout de suite après les funérailles du défunt Pierre Laporte, à Montréal, en présence du maire à ce moment-là, M. Jean Drapeau, de Lucien Saulnier, le bras droit de Jean Drapeau, et de Robert Bourassa et du premier ministre du Canada, M. Pierre Elliott Trudeau. J'y étais parce que les premiers ministres et ou les procureurs généraux des provinces avaient été convoqués à une réunion. M. Robert Bourassa nous a dit:

Il faut prendre des mesures pour contrecarrer ce que l'on est en train de faire au Québec.

Tout le monde est tombé d'accord. Ce qui a résulté de tout cela, ce sont malheureusement les mesures de guerre.

J'ai beaucoup admiré et j'admire encore la carrière de Robert Bourassa. Je veux exprimer à son épouse, Andrée, à ses enfants et ses petits-enfants toutes mes condoléances. Je souhaite qu'ils se rappelleront de leur père, de l'époux, d'une façon aussi émotive que je me rappellerai toujours de lui.

L'honorable Thérèse Lavoie-Roux: Honorables sénateurs, ce n'est pas sans émotion que je me lève aujourd'hui pour rendre hommage à un homme de grand courage et d'une dignité exceptionnelle.

Tout le monde connaît de M. Bourassa sa carrière comme économiste, même à titre de premier ministre, tellement le développement économique et la prospérité du Québec lui tenaient à coeur. Il n'a toujours eu qu'un objectif: la prospérité du Québec qui, par son développement économique, pouvait assurer le bien-être de tous ses concitoyens.

L'on oublie davantage, parce qu'il n'y a pas eu de livre publié dans ce domaine, sa contribution au développement social du Québec. C'est sous le règne de M. Bourassa que nous avons établi au Québec le régime de l'assurance-maladie ou le système de santé que l'on connaît. C'est sous son règne également que l'on a connu les plus grandes réalisations dans le domaine de l'éducation, avec ce que l'on a appelé la démocratisation de l'enseignement.

Tout cela a été mis de l'avant à l'époque connue sous le nom de révolution tranquille. Mais il reste que c'est M. Robert Bourassa qui a mené toutes ces opérations à terme.

J'ai eu davantage à travailler avec lui sur des dossiers d'ordre social, qu'il s'agisse de santé, de services sociaux, d'éducation. Je peux vous assurer qu'en toutes circonstances, il avait une écoute extraordinaire et sa sensibilité aux problèmes que les gens ordinaires devaient vivre était très grande, surtout quand il y avait des difficultés économiques; toujours, j'ai senti que ses concitoyens passaient en premier et jamais, il ne s'est démenti quant à la nécessité de tenter de donner à tous les citoyens du Québec la meilleure qualité de vie possible.

Au plan politique, je veux simplement aborder, brièvement, la question constitutionnelle - tout le monde sait que je ne suis pas une spécialiste de la question. Et à ce sujet, en dépit de rumeurs que l'on entendait à l'effet que M. Bourassa était ou non un vrai fédéraliste, je ne dirai qu'une chose: si nous n'avions pas eu Robert Bourassa, le Canada serait déjà divisé.

Les discussions entourant l'Accord du lac Meech ou la commission Bélanger-Campeau n'ont été que quelques-unes des difficultés innombrables qu'il a rencontrées. Le sénateur Bacon s'en rappellera. Même à ce moment, on a tenté d'exercer une certaine séduction sur M. Bourassa. S'il y allait pour la souveraineté, il passerait à l'histoire, il serait l'homme qui aurait créé le nouveau pays. Mais M. Bourassa a toujours cru que l'avenir du Québec était le mieux assuré à l'intérieur du Canada. Il n'a cédé d'aucune façon; au contraire, il s'est toujours battu et a défendu l'intégrité de notre pays. Il a toujours été un grand Québécois et un grand Canadien.

Le drame qu'il a vécu au moment de l'échec de l'Accord du lac Meech - sans pointer personne -, nous pouvons nous demander où nous en serions aujourd'hui si l'Accord du lac Meech était passé, plutôt que de nous retrouver vis-à-vis un éternel recommencement sur cette question si importante pour notre avenir.

Je pense qu'il faut reconnaître que c'est grâce à M. Bourassa que nous sommes encore ici aujourd'hui. Il y a bien d'autres choses que l'on pourrait dire des réalisations de M. Bourassa. C'est sous le règne de M. Bourassa que la Charte des droits et libertés de la personne a été adoptée à l'Assemblée nationale. Une foule de mesures d'ordre social, qui ont assuré le progrès social des Québécois, ont été adoptées sous le règne de M. Bourassa.

Tout le monde sait cela aujourd'hui au Québec. Je parlais il y a quelques instants avec Mme Solange Chaput-Rolland, notre ex-collègue, qui disait: «Je suis triste. Je suis triste, mais tout le monde est triste au Québec, aujourd'hui.»

M. Bourassa, nous allons tenter de continuer l'9uvre qui a été la vôtre pendant tant d'années et que vous avez accomplie avec tant de dévouement et d'oubli de vous-même et de vision pour l'avenir de vos concitoyens.

Mme Bourassa a dû, pendant toutes ces années, d'une certaine façon, s'effacer et se sacrifier pour les exigences de la vie politique. Elle l'a fait elle aussi pour le Québec. À elle et à ses enfants, j'offre mes très vives condoléances.

L'honorable Joyce Fairbairn, (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le Canada et la province de Québec perdent aujourd'hui un citoyen remarquable en la personne de Robert Bourassa.

Il a consacré sa vie au service de sa chère province et du Canada.

[Traduction]

Bien entendu, au Sénat, nous connaissons les rigueurs et les défis de la vie politique et savons qu'être élu premier ministre du Québec à pas moins de quatre reprises est en soi une remarquable réalisation. De plus, il fut, à 36 ans, le plus jeune premier ministre de la province.

Au milieu des hommages émouvants et sincères qui ont été rendus aujourd'hui, le souvenir de la mort atroce de M. Pierre Laporte, l'ami de M. Bourassa, que le sénateur Robichaud a évoqué, m'est allé droit au coeur. Je me suis alors rappelée que c'est il y aura tout juste 26 ans dans quelques semaines que je me suis entretenue avec Robert Bourassa pour la première fois. C'est ce fatal samedi soir, peu de temps après l'annonce du décès de M. Laporte, qu'il a appelé pour faire part de ses réflexions et de ses suggestions au premier ministre de l'époque, M. Trudeau. J'étais la personne chargée des communications avec lui. Ce sont des moments qui ont mis à l'épreuve les politiciens de l'ensemble du pays et qui, j'en suis convaincue, ont marqué leur mentalité collective avec la réalité de leurs fonctions, ainsi que les pressions et les risques qui en découlent.

La stature de M. Bourassa en tant que symbole politique du Québec est demeurée intacte après qu'il a pris sa retraite en septembre 1993. Car depuis lors, il n'a eu de cesse d'exprimer ses opinions qui étaient fort prisées, d'ailleurs.

Le premier ministre, M. Chrétien, a déjà évoqué aujourd'hui les réalisations de M. Bourassa et son amour indéfectible pour la politique. Je voudrais me faire l'écho de ces sentiments et ajouter ma voix au concert de louanges qu'on ne manquera pas de prodiguer dans les jours qui viennent.

 

  • (1420)
Honorables sénateurs, une des mesures de son influence est qu'il est très peu d'ouvrages politiques contemporains qui ne fassent pas état de sa participation, à un degré ou à un autre, à tant de grands événements politiques qui ont jalonné le dernier quart de siècle. Il a contribué à conférer à tous les Québécois l'accès à des services sociaux, éducatifs et de santé qui ont été pour la province une source d'espoir, de fierté et de confiance. Comme plusieurs l'ont mentionné, le rôle qu'il a joué sur le plan constitutionnel s'inscrit dans l'histoire contemporaine de notre pays.

[Français]



Ses dernières paroles à l'Assemblée nationale du Québec en 1993 ont été pour célébrer le Canada et pour inviter les Québécois à demeurer dans la Confédération. Je cite:

La prudence est innée en nous. Nous ne sommes pas une nation de martyrs. Si notre situation était intenable, peut-être le risque de briser la fédération serait-il justifié, mais, ce n'est pas le cas et nous le savons. Nous savons aussi que nous pouvons agir.

[Traduction]

Dans sa vie politique, il n'a pas eu peur de faire face aux questions difficiles. C'était un lutteur acharné. En même temps, on le considérait comme une personne énigmatique en public. Il est vraiment tragique que les derniers jours et les dernières années de sa vie publique aient été ombragés par sa lutte contre le cancer, lutte qu'il a menée avec la force et le grand courage qui le caractérisaient.

Dans sa vie privée, il consacrait son temps à sa famille, sa femme Andrée, ses enfants, François et Michelle, ses petits-enfants, Mathieu et Simon, à qui il manquera beaucoup. Les Québécois qu'il aimait tant et les Canadiens de tout le pays partagent leur peine.

L'honorable John Buchanan: Honorables sénateurs, j'ai eu le privilège de connaître Robert Bourassa pendant quelque 20 ans. Comme dans le cas de tous ceux qui l'ont connu, je suis attristé par la mort de ce mari, ce père, ce superbe homme politique, ce grand économiste qui a été, chose certaine, l'un des grands premiers ministres provinciaux de notre époque.

Comme les sénateurs Lavoie-Roux et Bacon le savent, Robert Bourassa et moi-même sommes devenus rapidement des amis au fil des ans. C'était un homme très secret, plutôt timide parfois, mais lorsqu'on le connaissait bien, on s'apercevait qu'il était probablement une des personnes les plus chaleureuses et les plus sympathiques que j'aie jamais connues et, à tous les égards, une parfait gentilhomme. J'ai été honoré de siéger avec lui à des conférences fédérales-provinciales, des conférences des premiers ministres provinciaux, des conférences des premiers ministres de l'Atlantique et des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre. Qu'il s'agisse d'une conférence sur l'économie, la Constitution, le commerce interprovincial, le commerce avec les États-Unis ou les relations avec les États-Unis, ses contributions ont toujours été positives, bien accueillies et réfléchies.

Pour vous donner une idée de l'homme, en Nouvelle-Écosse, à l'occasion du banquet de fermeture de la conférence des premiers ministres qui se tenait à Halifax, en 1987, j'ai présenté les premiers ministres provinciaux du Canada. Lorsque je suis arrivé à Robert Bourassa, j'ai dit de lui qu'il était l'architecte d'une nouvelle ère au Canada. J'ai rappelé que, en 1986, à la conférence des premiers ministres provinciaux, il était venu défendre cinq points, qui avaient été acceptés à l'unanimité par tous les premiers ministres provinciaux, et qui ont été, en 1987, acceptés à l'unanimité et paraphés par tous les premiers ministres provinciaux et le premier ministre du Canada au lac Meech. J'ai dit de Robert Bourassa que c'était un Québécois à toute épreuve, un fervent Canadien. Il a reçu à l'époque une ovation debout longue et bruyante. Pour vous donner une idée de cet homme, lorsqu'il s'est levé, il m'a regardé et m'a dit que j'étais peut-être allé un petit peu trop loin. Nous n'oublierons pas la contribution qu'il a apportée au Canada.

Honorables sénateurs, une des choses dont je me rappelle de Robert Bourassa du point de vue personnel, c'est une constatation que j'ai faite à la première conférence fédérale-provinciale à laquelle nous avons participé, lui et moi. J'ai remarqué immédiatement, comme beaucoup de ceux qui le connaissaient bien, qu'il adorait boire du lait. Il avait toujours un verre de lait frais devant lui. Étant donné que j'ai été pendant de nombreuses années un buveur de lait moi-même, j'ai compris alors que je ne me sentirais pas seul lorsque j'aurais devant moi un verre de lait à ces conférences.

Honorables sénateurs, Robert Bourassa manquera beaucoup au Québec, à tout le Canada et à tous ceux qui le connaissaient bien.

Au nom de mon épouse Mavis et de moi-même, j'adresse mes sincères condoléances à madame Bourassa et à sa famille.

L'honorable Nicholas W. Taylor: Honorables sénateurs, permettez-moi de rappeler le souvenir que je garderai de Robert Bourassa.

Comme le sénateur Lynch-Staunton l'a souligné, Robert Bourassa était un être chaleureux et bon. Bien des Canadiens, surtout dans l'Ouest, ne le percevaient pas ainsi. Pendant près de 14 ans, j'ai dirigé le Parti libéral de l'Alberta. À chacune de ses visites dans l'Ouest, M. Bourassa a pris le temps de venir converser avec moi, peu importe que mon parti soit représenté ou non à l'assemblée législative. Nous pouvions avoir un entretien et même dîner ensemble. Ces occasions voulaient dire beaucoup pour moi parce qu'elles étaient motivées par la gentillesse, une grande attention et un intérêt à l'égard du libéralisme, surtout quand je me disais qu'il y avait bien des gens qui partageaient les mêmes convictions politiques, mais qui, une fois arrivés au haut de l'échelle, étaient beaucoup trop occupés pour aller saluer le chef d'un parti qui n'avait qu'un député en Alberta ou même pas du tout. Peu importe si M. Bourassa dirigeait un gouvernement majoritaire avec 102 députés ou non, il a toujours pris le temps de converser avec moi et de prendre des nouvelles tant de ma famille que de l'Alberta.

M. Bourassa avait une conscience sociale, comme l'a souligné le sénateur Lavoie-Roux, et c'est une qualité que la plupart des gens de l'Ouest ne lui connaissent peut-être pas. Je me souviens que, il y a quelques années, au moment où M. Bourassa a souffert du cancer, les quotidiens de Calgary et d'Edmonton ont fait paraître une caricature montrant un castor qui, une carte de voeux de prompt rétablissement sous le bras, frappait à une porte où figurait le nom «Robert Bourassa». Cela traduisait bien l'attitude de nombreux Canadiens de l'Ouest à son endroit.

Malgré nos nombreuses discussions concernant la place du Québec dans la Confédération, nous avons toujours su que M. Bourassa était un homme extrêmement perspicace et courageux, mais, avant toute chose, que c'était un Canadien.

Je sais qu'il y a peu de paroles qui peuvent alléger le deuil de ses proches, c'est-à-dire sa femme et ses enfants, mais j'espère qu'ils trouveront quelque consolation dans le fait que des centaines de milliers de Canadiens sont d'avis que, grâce à Robert Bourrassa, le Canada est un meilleur pays.

[Français]

L'honorable Roch Bolduc: Honorables sénateurs, j'ai connu M. Bourassa il y a au-delà de 30 ans. En fait, il était alors, en 1963-1964, un jeune économiste qui travaillait à la Commission provinciale sur la fiscalité, présidée par M. Marcel Bélanger. Puis je l'ai vu ensuite évoluer comme jeune député et finalement, comme jeune premier ministre.

 

  • (1430)
C'était un gentilhomme, un monsieur très courtois avec ses interlocuteurs et aussi très délicat avec son personnel. Sa formation en droit et en économie politique l'a bien servi dans l'examen des dossiers de la politique publique. Il adorait parler, entre autres, des finances publiques et il se sentait à l'aise aussi bien dans les questions de taxation que dans celles des budgets de dépenses.

Très perspicace dans l'observation de la dynamique de la nature humaine, il avait cette habileté de convaincre, qui révélait une intelligence vive, un jugement sûr et un bon sens de l'humour.

M. Bourassa ne disait pas non très souvent, mais chacun se devait d'interpréter ses fines observations toutes pleines de nuances. Il avait aussi, comme naturellement, la tolérance que les vrais politiciens professionnels finissent par acquérir en ce qui regarde les attitudes et les comportements de ses collègues dans l'arène politique.

C'était un nationaliste, comme beaucoup de gens de chez nous, mais un modéré, c'est-à-dire quelqu'un de raisonnable. Un certain détachement lui donnait aussi de la perspective et une grande largesse de vue. Par exemple, il a vite saisi que la mondialisation de l'économie marquait les années 80, et que l'entente de libre-échange avec les États-Unis serait préférable au protectionnisme pour l'économie canadienne et pour tous les Canadiens.

Il a manifesté une grande continuité dans la quête historique du Québec pour une fédération canadienne plus décentralisée qui seule, à mon avis, peut rendre le Québec heureux dans le Canada.

Il s'amusait aussi avec les journalistes quelquefois, comme il se plaisait à la période des questions en Chambre, où il était devenu un parlementaire agile et remarquable.

Quatorze ans comme premier ministre du Québec, c'est tout un mandat! Sa sagesse naturelle, enfin, lui permettait d'apprécier les limites du pouvoir et les limites de la politique. Pressé de défendre une position difficile au gouvernement, parce que cela est toujours plus facile quand on est dans l'opposition, il utilisait souvent une répartie pleine d'humour dite avec un sourire moqueur et quelques railleries à l'occasion. C'était son arme favorite contre ses adversaires qui pouvaient manifester un peu rudement leur frustration ou leur inexpérience.

Je garde de lui le souvenir d'un homme attachant par son humanisme et sa modestie et aussi par son sens unique du service à la patrie.

En mon nom et en celui de ma femme, je transmets à madame Bourassa mes meilleurs sentiments.

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Honorables sénateurs, M. Robert Bourassa est entré vivant dans l'histoire du Québec et du Canada. Il a vécu les grands moments de notre récente histoire constitutionnelle, souvent comme acteur principal pour le Québec. Il y a une constante chez M. Bourassa. Il était profondément Québécois et il voulait aussi que le Québec demeure dans la fédération canadienne.

Son 9uvre sera analysée par les historiens. Il a vécu une époque survoltée: la crise d'octobre de 1970, la Charte de Victoria, les premières tentatives du rapatriement de la Constitution. Il laisse des réalisations remarquables: la Baie de James, bien sûr, la Charte québécoise des droits de la personne et l'assurance-maladie.

Revenu au pouvoir en 1985, il eut une activité intense. L'Accord du lac Meech, la Commission Bélanger-Campeau, l'Entente de Charlottetown, et, il ne faut pas oublier, le libre-échange. Il y était très favorable.

Aucun premier ministre au Québec n'aura eu un règne aussi mouvementé. Il fut longtemps au pouvoir. Il a été élu quatre fois premier ministre. Il est revenu en 1985. Il y a peu de précédents de cette sorte. Il avait un style bien à lui.

J'ai eu la chance de le connaître à la faculté de droit de l'Université de Montréal. Il était toujours très fort en thème, comme l'on dit; il était toujours premier. Il fut fonctionnaire à Ottawa un certain temps. La grande ambition de sa vie, c'était la politique. Il était juriste et économiste. Il fut, certes, l'une de nos grandes figures. Il était un homme affable, courageux, dévoué et surtout un grand démocrate. Je l'ai vu à l'9uvre dans les grandes conférences constitutionnelles. Comme législateur et premier ministre, il fut exceptionnel, à mon avis. Il connaissait bien l'âme du Québec.

Il faut un certain recul pour juger à son mérite un homme qui a été premier ministre durant une si longue période. Il était favorable à un fédéralisme souple, rentable. Il fut sans contredit une grande figure.

Le Québec lui doit beaucoup!

À son épouse, Andrée, à ses enfants, à ses petits-enfants, à ses proches, j'offre mes plus vives sympathies. Le Québec est en deuil. Le Canada perd un homme politique de grand talent.

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, je préfère retarder à un peu plus tard l'hommage que je veux rendre à M. Robert Bourassa que je connais depuis plus de 30 ans.

Je veux, toutefois, offrir mes plus sincères sympathies à son épouse, Andrée, et à sa famille que je connais bien et les assurer de mes prières.

 


[Traduction]

 

AFFAIRES COURANTES

Règlement de l'assurance-emploi concernant les pêches

Dépôt de documents:

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je dépose aujourd'hui une partie de l'information que le sénateur Comeau a demandée ces derniers jours au sujet des dispositions du règlement de l'assurance-emploi concernant les pêches. La liste n'en est pas aussi complète qu'il le souhaitait, car les représentants du secteur, de même que les fonctionnaires concernés dans la région de l'Atlantique, dépassent la centaine. Il nous faut plus de temps pour recevoir des bureaux régionaux tous les noms qu'il voulait obtenir.

L'information qui est déposée aujourd'hui a été rendue publique en juillet et de nouveau en septembre.

 

Régie interne, budgets et administration

Dépôt du onzième rapport du comité

L'honorable Colin Kenny, président du comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, dépose le onzième rapport du comité au sujet du budget du comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 1997.

(Sur la motion du sénateur Kenny, l'étude du rapport est inscrite à l'Ordre du jour de la prochaine séance.)

 

  • (1440)

Affaires sociales, sciences et technologie

Avis de motion autorisant le comité à étudier le Règlement de l'assurance-emploi concernant les pêches

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, je donne avis que, jeudi prochain, le 3 octobre 1996, je proposerai:

Que le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à examiner le Règlement de l'assurance-emploi concernant les pêches pris en vertu de l'article 153 de la Loi de l'assurance-chômage et approuvé le 17 septembre 1996, et toute question connexe, et

Qu'il présente son rapport au plus tard le 30 novembre 1996.

 

Transports et communications

Avis de motion autorisant le comité
à siéger en même temps que le Sénat

L'honorable Richard J. Stanbury: Honorables sénateurs, au nom du sénateur Bacon, je donne avis que, jeudi prochain, le 3 octobre 1996, je proposerai:

Que le comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à siéger le mercredi à 15 h 30 pour toute la durée de son étude sur la situation concurrentielle du Canada sur le marché international des communications en général, ainsi que de son examen de l'importance économique, sociale et culturelle des communications pour le Canada, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

 


PERIODE DES QUESTIONS

Réponse différée à une question orale

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai la réponse à une question que le sénateur Di Nino a posé le 5 juin au Sénat au sujet de la ratification de la Convention de l'Organisation des États américains.

 

Les droits de la personne

La signature de la Convention de l'Organisation des États américains-La position du gouvernement

(Réponse à la question posée par l'honorable Consiglio Di Nino le 5 juin 1996)

Le gouvernement poursuit activement sa revue de la législation et ses consultations avec les provinces et les territoires en vue de permettre l'adhésion du Canada, dans les plus brefs délais, à la convention américaine relative aux droits de la personne.

Le gouvernement prend très au sérieux ses obligations internationales en matière de droits de la personne. C'est pour cela qu'il examine avec toute l'attention nécessaire la Convention de l'Organisation des États américains.

 


ORDRE DU JOUR

La Loi sur les juges

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture

L'Ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Bryden, appuyé par l'honorable sénateur Roux, portant deuxième lecture du projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les juges et une autre loi en conséquence.-(Décision du Président).

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, hier, durant le débat en deuxième lecture du projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les juges et une autre loi en conséquence, une objection a été soulevée demandant une décision du Président. Le sénateur Kinsella m'a demandé en tant que Président de déterminer si le projet de loi C-42 était un projet de loi d'intérêt public ou d'intérêt privé. Sa demande faisait suite aux déclarations du sénateur Cools à l'effet que certains éléments du projet de loi semblaient avoir un caractère essentiellement privé. En appuyant la requête du sénateur Kinsella, le sénateur Cools a demandé que ses remarques durant le débat en deuxième lecture soient prises en considération. Elle m'a aussi suggéré de lire un article qui a paru dans un journal. Le sénateur Kinsella m'a demandé, en outre, de déterminer si le projet de loi contrevenait à un article quelconque de la Constitution.

[Français]

Après avoir revu ces déclarations, de même que les remarques formulées durant le débat en deuxième lecture, examiné le projet de loi et étudié les ouvrages qui font autorité, je suis prêt à me prononcer sur le rappel au Règlement soulevé par le sénateur Kinsella.

En somme, la question qu'on nous demande de trancher en est une de définition: qu'est-ce qu'un projet de loi d'intérêt public et qu'est-ce qu'un projet de loi d'intérêt privé? Le commentaire 623 de Beauchesne, 6e édition, page 198, pose que:

[Traduction]

Le projet de loi d'intérêt public est l'expression de la politique du gouvernement, tandis que le projet de loi d'intérêt privé traite de questions qui présentent un intérêt ou un avantage particuliers pour une ou plusieurs personnes. Un projet de loi renfermant le genre de dispositions qui caractérisent essentiellement un projet de loi d'intérêt privé ne peut être déposé à titre de projet de loi d'intérêt public. Le projet de loi qui a pour objet de soustraire une personne à l'application d'une loi est un projet de loi d'intérêt privé; il ne saurait être dit d'intérêt public.

[Français]

Et au commentaire 1053, pages 295 et 296, Beauchesne explique que:

La loi d'intérêt privé, d'une nature toute particulière, a pour objet de conférer à certaines personnes ou à certains groupes, qu'il s'agisse de particuliers ou de sociétés, des pouvoirs ou des avantages exceptionnels, plus étendus que ceux dont ils sont normalement investis sous le régime du droit commun.

[Traduction]

À partir de ces définitions, il me semble évident, pour que le projet de loi C-42 soit considéré comme un projet de loi d'intérêt privé, qu'il faudrait que ses dispositions ne visent aucunement les affaires publiques, mais confèrent plutôt des avantages particuliers à certaines personnes ou les soustraient à l'application du droit commun. Pour évaluer cette question, j'ai étudié les dispositions du projet de loi. J'ai également examiné les déclarations du sénateur Cools, de même que les remarques de sénateur Bryden, l'auteur du projet de loi, et les observations en guise de réponse du sénateur Berntson lorsque l'adoption en deuxième lecture a été proposée le 19 juin.

Il ressort des débats qui ont eu lieu jusqu'à maintenant que le projet de loi C-42 entend accomplir un certain nombre d'objectifs. Premièrement, il établit un mécanisme pour permettre aux juges de demander un congé sans traitement afin de participer à des activités internationales ou à des programmes internationaux d'assistance technique, à certaines conditions. Deuxièmement, il transfère du Cabinet aux juges en chef le pouvoir d'accorder des congés d'une durée maximale de six mois. Troisièmement, il autorise la nomination d'un juge à la Cour d'appel de l'Ontario et de deux juges à la Cour de la Colombie-Britannique. Quatrièmement, le projet de loi ajoute le juge en chef de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada à la liste des juges faisant partie du Conseil canadien de la magistrature. Enfin, le projet de loi apporte un changement à l'admissibilité à la pension des juges dans certaines circonstances et prévoit l'allocation de frais de représentation au juge en chef de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada, ainsi qu'aux juges en chef des cours d'appel du territoire du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Bien que certains de ces changements visent actuellement des personnes reconnaissables, leur application sera durable. Par conséquent, ils ne constituent aucunement une exemption au droit commun, mais une modification à celui-ci. Compte tenu de cette interprétation, il me semble clair que le projet de loi C-42 est un projet de loi d'intérêt public et non d'intérêt privé.

Je renvoie en outre les honorables sénateurs au commentaire 1055 de Beauchesne, à la page 286, où sont expliqués les quatre principes utilisés pour déterminer si un projet de loi présenté comme un projet de loi d'intérêt privé devrait, en réalité, être traité comme un projet de loi d'intérêt public. L'application de ces principes au présent projet de loi afin d'en évaluer le caractère public ou privé confirmera, je pense, mon évaluation du projet de loi C-42 en tant que projet de loi d'intérêt public. Comme je l'ai déjà indiqué, le sujet de ce projet de loi relève de l'intérêt public; il propose également de modifier ou d'abroger une loi d'intérêt public, et il a comme objet un domaine essentiellement public.

Je dois conclure, par conséquent, que le projet de loi C-42, qui a été présenté à l'autre endroit par un ministre de la Couronne comme une question d'affaires publiques et qui était accompagné d'une recommandation royale, est un projet de loi d'intérêt public.

Quant à la deuxième question posée par le sénateur Kinsella, à savoir si ce projet de loi contrevient aux dispositions de la Loi constitutionnelle, je dois répondre que, depuis toujours, la tradition et la pratique interdisent au Président de prendre part à des questions constitutionnelles ou juridiques. À l'appui de cette position, je renvoie les honorables sénateurs au commentaire 168(5) de Beauchesne, page 51, qui pose que:

Le président ne décide d'aucune question d'ordre constitutionnel ou juridique, bien qu'il soit permis de soulever une question de ce genre par rappel au Règlement ou sous forme de question de privilège.

Nous reprendrons maintenant les débats où nous les avons laissés hier.

L'honorable A. Raynell Andreychuck: Honorables sénateurs, ayant déjà siégé à titre de juge, je sais toute l'importance de l'indépendance judiciaire des juges. La question de la liberté et de la capacité des juges à agir indépendamment du gouvernement suscite discussions et débats depuis des décennies. En outre, le rôle du juge en chef est très important pour les juges.

Si je prends aujourd'hui la parole au sujet de l'indépendance des juges, ce n'est pas dans l'intérêt des juges, mais dans celui de la population. Le pouvoir judiciaire doit être indépendant du gouvernement et les juges doivent être libres de penser et d'agir indépendamment du gouvernement pour que la population soit protégée. Nous devons pouvoir être sûrs, en régime démocratique, que les personnes qui comparaissent devant les tribunaux ont une chance de se faire entendre. La question de l'indépendance des juges fait l'objet de discussions au Canada et, de façon louable, nous avons décidé d'assurer cette indépendance.

Au fil des décennies, nous en sommes venus à ce que les juges soient examinés par leurs pairs et par la population. Il a aussi été décidé que les nominations de juges feront l'objet d'un examen qui tient compte de l'influence et du jugement des pairs fondés

non seulement sur l'opinion publique, mais aussi sur la qualité et de la compétence d'une personne à siéger en tant que juge.

Ce processus soustrait aussi dans une certaine mesure la nomination des juges au népotisme. Ces mesures ont été prises à juste titre pour préserver l'indépendance des juges. Je ne sais pas très bien pourquoi ce projet de loi a été présenté, mais je sais qu'on ne peut pas le traiter comme une mesure d'ordre administratif. Il peut y avoir des raisons pour que des juges siègent à des tribunaux internationaux et agissent dans un contexte international, mais cela doit être fait avec prudence et jamais aux dépens de l'indépendance des juges.

Je vois à prime abord dans ce projet de loi un retour à la pratique voulant que les juges en chef nomment les personnes qui siègent à ces tribunaux internationaux, et cela, sans autre examen ni dispositions habilitantes. Cette pratique est contestable et diffère de celle que l'on essaie de mettre en place au plan national à l'égard des juges. En outre, le fait que le gouverneur en conseil ait le pouvoir de faire ces nominations sans préciser comment ni quand va complètement à l'encontre de ce que nous essayons de faire au Canada. Il n'est pas plus plausible qu'un juge assume des fonctions autres que judiciaires sur une tribune internationale - aussi louables que soient les raisons - qu'il ne le fasse au Canada au sujet d'une question d'intérêt national.

Par conséquent, je ne peux pas considérer le projet de loi C-42 comme une simple mesure d'ordre administratif qui devrait être lue pour la deuxième fois. S'il y a le moindre risque que cette mesure législative porte atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire ou qu'elle réduise la capacité d'un juge d'agir de manière indépendante, nous ne devrions pas lui faire franchir l'étape de la deuxième lecture. Ayant moi-même siégé comme juge - et connaissant les pressions que l'opinion publique, l'administration ou le gouvernement peuvent exercer ou sembler exercer sur un juge -, je ne puis accepter cela.

À mon avis, il n'arrive pas souvent au Canada que des pressions réelles ou des méthodes inopportunes soient utilisées, mais le public ne peut comprendre pourquoi le juge A a une certaine chance, et pas le juge B. Dans de telles circonstances, lorsqu'un juge prend la parole à l'extérieur de la cour, le public peut-il vraiment comprendre à quel titre il le fait?

Il est très important que nos juges puissent, à l'extérieur de la cour, parfaire leurs connaissances et leur expérience, comme le font leurs collègues dans le monde entier, mais il faut le faire prudemment et non pas aveuglément, car une fois qu'elle est perdue, il est impossible de rétablir l'indépendance du pouvoir judiciaire.

Je veux signaler deux articles du projet de loi C-42. L'un concerne la nomination d'un juge à un tribunal ou à des fonctions auprès d'un organisme international. J'ai déjà mentionné la disposition du projet de loi qui permet au juge en chef d'affecter un juge à de telles fonctions pour une période de six mois et qui prévoit l'intervention du gouvernement pour les périodes plus longues, disposition que je considère inacceptable. Il y a aussi une disposition bizarre qui permet à un juge ayant obtenu un congé non rémunéré de toucher, durant cette période, une rémunération d'une organisation internationale d'États ou d'une de ses institutions. Je ne connais aucun principe du droit international qui définisse pareille situation et je suis déconcertée quand je pense au genre d'organisation avec laquelle un juge pourrait être associé à l'échelle internationale.

Je respecte énormément tous les juges au Canada et je pense que la plupart d'entre eux feraient preuve de sagesse tant dans le choix de l'organisation à laquelle ils seraient associés que pour ce qui est d'une rémunération raisonnable. Mais il suffit d'une seule remarque d'un juge pour porter préjudice à tout l'appareil judiciaire.

Honorables sénateurs, il est très facile pour le public de perdre confiance dans une institution. Dans le contexte de la mondialisation, l'information en provenance du monde entier franchit les frontières presque instantanément. Par conséquent, un juge qui exerce des fonctions au sein d'une organisation internationale doit faire attention à ce qu'il fait et aux conséquences que cela pourrait avoir pour l'ensemble de la magistrature lorsqu'il siégera à nouveau au Canada, le cas échéant. Ses remarques ou opinions - peu importe qu'elles soient exprimées avec sérieux et à juste titre au sein de cette organisation - pourraient être mal interprétées ou mal comprises et communiquer un message tout à fait différent dans le contexte national.

Je ne sais pas si ceux qui ont élaboré le projet de loi dont nous sommes saisis ont sérieusement pris en considération toutes les ramifications de l'indépendance judiciaire. Le cas échéant, j'espère que le comité des affaires juridiques et constitutionnelles ne se laissera pas convaincre de la nécessité d'adopter le projet de loi dans sa forme actuelle.

Par conséquent, j'expose certains problèmes. J'exprime aussi certaines de mes réserves par rapport au fait qu'un juge peut ou devrait pouvoir décider de travailler à l'extérieur du tribunal en obtenant uniquement l'autorisation d'un juge en chef ou du gouvernement alors au pouvoir. S'il ne s'agit pas là d'un conflit d'intérêts, cela pourrait certainement en avoir l'apparence et cela pourrait porter atteinte aux fondements mêmes de notre démocratie.

Il y a deux aspects qui laissent à désirer et qui n'ont pas été réglés à ma satisfaction. Premièrement, en quoi ce projet de loi renforce-t-il l'indépendance du pouvoir judiciaire au lieu de l'affaiblir? Je ne suis absolument pas convaincue que son adoption améliorerait la crédibilité de l'appareil judiciaire et l'opinion que le public a de la magistrature. Toutefois, même si l'on peut surmonter ce premier obstacle, je ne crois toujours pas que les dispositions aient été mûrement réfléchies. Je crois que la Loi sur les juges a été mise en oeuvre après bien des discussions et des négociations, non seulement avec les juges et les juristes, mais encore avec nombre de gens qui ont affaire aux tribunaux de façon quotidienne. Je ne pense pas que les dispositions proposées sont le résultat d'une mûre réflexion, ni qu'elles prévoient des mesures qui préviendront les abus et ce que le public pourrait considérer comme des abus.

Si ce projet de loi va en deuxième lecture, il faudrait demander à ceux qui l'ont rédigé s'ils ont pensé sérieusement non seulement qu'il était dans notre intérêt, sur le plan international, de participer à certaines de ces activités, mais aussi à la manière selon laquelle une mesure de ce genre peut renforcer notre démocratie chez nous ainsi que nos institutions. En fait, ce projet de loi semble résulter d'une priorité de l'ACDI et du gouvernement en matière de politique étrangère dans ses efforts en vue de renforcer nos institutions démocratiques. Toutefois, nous ne pouvons pas aller dans des pays dits du tiers monde et parler d'indépendance judiciaire en tant que pierre angulaire de nos démocraties pour ensuite adopter des projets de loi comme le projet de loi C-42 sans une réflexion sérieuse au préalable et sans prévoir les sauvegardes que nous exigerions de tout pays du tiers monde ou de toute nouvelle démocratie. Nous ne devrions pas établir des normes moins strictes pour nous que celles que nous fixerions pour les autres.

J'espère que mes observations seront utiles au comité - c'est-à-dire si le projet de loi doit être adopté en deuxième lecture et renvoyé à un comité - en ce qui concerne les questions fondamentales au Canada et la réputation du Canada à l'étranger quand il est question du renforcement de la démocratie et de mesures liées à la démocratie.

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, avant la conclusion du débat de deuxième lecture, je voudrais faire quelques observations parce que, de façon générale, le débat de deuxième lecture porte sur le principe du projet de loi. Dans les interventions d'hier et de cet après-midi, on a fait ressortir un certain nombre de principes sur lesquels, il me semble, est fondée la loi principale, la Loi sur les juges, principes qui vont à tout le moins à l'encontre du ou des principes sous-jacents d'une partie du projet de loi C-42, mesure tendant à modifier la même loi, la Loi sur les juges. Voilà qui nous place un peu dans un dilemme en ce sens que si nous sommes d'accord sur cette motion visant à renvoyer le projet de loi à un comité pour l'étude article par article et une analyse détaillée, il serait consigné au compte rendu que nous avons adopté le projet de loi à l'étape de la deuxième lecture et, partant, que nous sommes d'accord sur son principe. Cela place dans un dilemme ceux d'entre nous qui estiment qu'il y a une contradiction sur le plan des principes.

 

  • (1500)
Je parle ici du principe de l'indépendance des tribunaux, un principe inscrit dans les instruments internationaux de même que dans les instruments nationaux. Hier, notre collègue, le sénateur Nolin, a attiré notre attention sur un instrument national, soit la Charte canadienne des droits et libertés, qui donne à un accusé le droit d'être jugé par un tribunal impartial. Ce même principe se retrouve dans la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies ainsi que dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lui aussi des Nations Unies. Comme le disait le sénateur Andreychuk, lorsque la communauté internationale, sous l'égide des Nations Unies, demande à des juges canadiens de participer à différentes activités, les Nations Unies ont leurs propres instruments et ceux-ci attachent une grande importance à l'indépendance des tribunaux.

Nous voulons sans aucun doute que le projet de loi soit étudié en détail afin d'obtenir les réponses aux nombreuses questions soulevées par le sénateur Cools et par d'autres sénateurs au cours de notre débat en deuxième lecture. Par ailleurs, comment pouvons-nous adopter le projet de loi en deuxième lecture si cela signifierait que nous en appuyons le principe?

Cela étant dit, nous sommes devant un autre petit problème. Je viens toutefois de faire cette mise au point.

L'honorable John G. Bryden: Honorables sénateurs...

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, si l'honorable sénateur Bryden prend la parole maintenant, son discours aura pour effet de mettre fin au débat sur la motion portant deuxième lecture de ce projet de loi.

Le sénateur Bryden: Honorables sénateurs, je n'ai pas l'intention d'expliquer à nouveau la position que j'ai présentée au début du débat. J'aimerais pouvoir renvoyer le projet de loi au comité permanent.

Son Honneur le Président: Il est proposé par l'honorable sénateur Bryden, appuyé par l'honorable sénateur Roux, que le projet de loi soit lu une deuxième fois. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: Non.

Des voix: Oui.

L'honorable Pierre Claude Nolin: Avec dissidence.

Son Honneur le Président: Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

 

RENVOI AU COMITÉ

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Bryden, le projet de loi est renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)

 

Terre-Neuve

Modification du système scolaire-Modification de la clause 17 de la Constitution-Rapport du comité-
Motion d'amendement-Décision du Président

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Rompkey, c.p., appuyée par l'honorable sénateur De Bané, c.p., tendant à l'adoption du treizième rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve avec le Canada figurant à l'annexe de la Loi sur Terre-Neuve), déposé auprès du Greffier du Sénat le 17 juillet 1996.

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Doody, appuyée par l'honorable sénateur Kinsella, que le rapport ne soit pas adopté maintenant, mais qu'il soit modifié par substitution aux mots «sans amendement, mais avec une opinion dissidente», des mots:

avec l'amendement suivant:

Supprimer le passage de l'alinéa b) de la clause 17 qui précède le sous-alinéa (i) et le remplacer par les mots «là où le nombre le justifie: ».-(Décision du Président).

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, hier après-midi, on a soulevé une question à savoir si j'avais dit ou non «adopté, carried». Nous avons eu une discussion sur ce point, et il a été convenu que la transcription serait examinée. Après la séance d'hier, nous avons obtenu la bande, et j'ai consulté des représentants des deux côtés, qui sont venus à mon appartement pour écouter l'enregistrement. Par la suite, j'ai fait écouter la bande au sénateur Prud'homme, le seul sénateur indépendant présent, et je crois que tout le monde a conclu que je n'avais pas dit «adopté, carried». Les sénateurs doivent donc se prononcer maintenant sur la motion d'amendement proposée par le sénateur Doody et appuyée par le sénateur Kinsella.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion d'amendement?

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, en commençant cet après-midi mon intervention sur l'amendement proposé par le sénateur Doody, je veux remercier le sénateur Rompkey et le sénateur Doody des remarques bienveillantes qu'ils ont faites au sujet du processus d'audiences publiques sur la clause 17. Le personnel, sous la direction efficace et excellente de madame Heather Lank, greffière du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, a fait preuve d'un professionnalisme qui fait honneur à notre institution.

Le processus lui-même, honorables sénateurs, a également fait honneur à notre institution. J'ai reçu des lettres et des appels téléphoniques et, lorsque je suis allée à Terre-Neuve, j'ai entendu des commentaires de gens qui disaient que, quelle que soit la décision que prendra le Sénat au sujet de la clause 17 ou de toute modification à cette clause, ils avaient l'impression qu'on les avait enfin écoutés.

Ils étaient extrêmement reconnaissants et ont voulu exprimer leur gratitude à tous les sénateurs pour avoir permis la tenue de ces audiences publiques.

Honorables sénateurs, je veux d'abord répéter le dicton selon lequel ceux qui ne connaissent pas l'histoire sont condamnés à répéter les erreurs du passé. C'est le thème de mon discours d'aujourd'hui sur la motion d'amendement proposée par le sénateur Doody parce que je crois que l'histoire risque dangereusement de se répéter si nous adoptons cette modification à la clause 17. Malheureusement, je ne crois pas que l'amendement du sénateur Doody corrige la situation.

Honorables sénateurs, l'une des forces de notre pays, c'est que nous avons un bilan remarquable en ce qui concerne la protection des droits des minorités. Il est vrai que nous avons commis quelques erreurs en cours de route. Ce n'est pas à moi de juger les actions de ceux qui nous ont précédés, car on voit toujours plus clair avec du recul. Il suffit de dire que ce que je dois faire du mieux que je peux en tant que Canadienne, c'est examiner dans quelles circonstances ces erreurs ont été commises dans le passé afin que je puisse empêcher que des erreurs semblables ne soient commises de nouveau à l'avenir.

Je regrette profondément que, dans l'histoire du Canada, nous ayons fermé nos portes aux immigrants sikhs en 1915 simplement parce qu'ils étaient sikhs. Je regrette profondément que nous ayons imposé une taxe d'entrée seulement aux immigrants chinois. Je crois qu'il est profondément regrettable que nous ayons fermé nos portes aux immigrants juifs qui fuyaient l'holocauste en 1939. C'est certainement une page sombre de notre histoire, tout comme l'internement des Canadiens d'origine japonaise.

En 1970, lorsque nous avons imposé la Loi sur les mesures de guerre dans la province de Québec, je croyais à l'époque, au meilleur de ma connaissance, que c'était la bonne chose à faire. Maintenant, je ne suis plus certaine que nous avons bien agi en 1970.

 

  • (1510)
Par conséquent, quand j'examine une modification constitutionnelle, quelle qu'elle soit, je le fais dans une perspective humaine et historique. J'essaie d'évaluer les décisions à la lumière de décisions similaires qui ont été prises dans le passé. C'est dans cet esprit que j'ai examiné la clause 17 et l'amendement proposé par le sénateur Doody.

L'amendement proposé par le sénateur Doody vise à insérer les mots «lorsque là où le nombre le justifie» dans la clause 17 proposée par le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador. Si vous croyez que la clause 17 est une infraction aux droits des minorités - et je crois que c'en est une -, en quoi pensez-vous que l'ajout des mots «lorsque là où le nombre le justifie» va l'améliorer?

En 1949, lorsque Terre-Neuve et le Labrador se sont joints à la Confédération, la clause 17 protégeait sept confessions religieuses, qui avaient chacune des écoles à Terre-Neuve et auxquelles l'adhésion de la province à la Confédération garantissait qu'elles pourraient continuer d'en avoir en vertu de la Constitution.

L'une de ces confessions était l'Église adventiste du septième jour. Bien qu'elles aient eu plus d'écoles à Terre-Neuve qu'elles n'en ont aujourd'hui, elles en ont toujours une. Durant les audiences publiques, Colin Irving, un avocat catholique romain, a fait valoir au comité des affaires constitutionnelles que nous devrions insérer les mots «lorsque là où le nombre le justifie» dans la clause 17. Quand je lui ai demandé expressément quel serait l'avantage pour les écoles adventistes, il a reconnu que cela ne leur assurerait aucune protection. En fait, il a admis que, selon toute vraisemblance, elles disparaîtraient. Les catholiques, qui se soucient manifestement de veiller à la protection de leurs droits, ne se sont montrés, en la personne de leur avocat, peu ou pas préoccupés à l'égard de la protection des droits des autres minorités. Honorables sénateurs, ce n'est assurément pas ce que nous entendons par protection des droits des minorités.

Je sais très bien que l'expression «lorsque le nombre le justifie» se trouve dans la Charte. À l'alinéa 23(3)b), on peut lire:

comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans les établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.

Honorables sénateurs, c'est une disposition de la Constitution de 1982 qui accorde de nouveaux droits; les droits accordés en vertu de la clause 17 sont des droits anciens. Je prétends que, si l'on considère la clause 17 comme une atteinte aux droits des minorités, l'expression «lorsque le nombre le justifie» n'améliore pas les choses.

Dans le cas des Adventistes du septième jour, ils ont le droit d'éduquer leurs enfants dans leurs propres écoles depuis 1949, et l'adoption de cette modification reviendrait à leur enlever ce droit. Je soupçonne que ce qui se passera, pour les Adventistes du septième jour, c'est ce qui s'est déjà passé à Terre-Neuve. Comme de moins en moins de leurs adhérents désirent envoyer leurs enfants à l'école de leur confession, par attrition naturelle, cette école va disparaître et c'est ainsi qu'elle devrait disparaître. Elle ne devrait pas disparaître parce que nous avons permis, en apportant une modification constitutionnelle, qu'elle disparaisse.

Je vous ai dit plus tôt, honorables sénateurs, que je pensais que nous devrions nous souvenir de l'histoire. Par conséquent, avant que vous ne considériez l'amendement du sénateur Doody et avant que vous ne considériez la clause 17, je voudrais vous demander de vous souvenir un peu de l'histoire du Manitoba.

Honorables sénateurs, le peuplement du Manitoba a commencé avec la Compagnie du Nord-Ouest et la Compagnie de la Baie d'Hudson, cette dernière venant de la baie d'Hudson, tandis que la première venait par voie terrestre. Le résultat, c'est que deux groupes ethniques se sont développés parallèlement. D'une part, les Français, qui se mélangeaient volontiers à la population indienne, ce qui a donné naissance à la population métis, et, d'autre part, les Anglais, qui ont amené des colons, comme les colons de Selkirk.

En 1869, lorsqu'il est devenu clair que la Compagnie de la Baie d'Hudson allait transférer son contrôle des terres au gouvernement du Canada nouvellement formé, celui-ci a envoyé des arpenteurs. Les arpenteurs condamnaient la population métis du sud du Manitoba, parce qu'elle n'avait pas la notion de propriété des terres, contrairement à d'autres dans ce pays en développement. Les Métis n'avaient pas enregistré leurs terres au Bureau d'enregistrement des droits fonciers. Les terres étaient détenues en commun. On y chassait, on y trappait et on y faisait même des cultures. Tout d'un coup, ils ont craint l'arrivée d'un groupe d'individus envoyé par le nouveau gouvernement central, qui n'était pas leur gouvernement, pour quadriller toutes les terres selon un modèle qu'ils ne comprenaient pas. Vous vous souviendrez que cela a conduit à la rébellion Riel, puis, en 1870, à la création de la province du Manitoba, une province grande comme un timbre-poste, si l'on regarde une carte du Manitoba de l'époque. C'était juste une petite superficie qui entourait la ville de Winnipeg.

La Loi sur le Manitoba, qui a fait entrer le Manitoba dans la Confédération, avait deux dispositions importantes. Nous ne les avons pas appelées les conditions d'adhésion du Manitoba, nous les avons appelées des articles, les articles 22 et 23.

L'article 22 garantissait le droit des catholiques et des anglicans de continuer à éduquer leurs enfants dans des écoles financées par les fonds publics. Il y aurait donc un système scolaire public - contrairement à Terre-Neuve qui n'a jamais eu de système public - mais les catholiques et les anglicans qui avaient créé leurs propres écoles avant l'entrée dans la confédération seraient protégés.

L'article 23 contenait une deuxième disposition garantissant aux francophones le droit de s'exprimer dans leur langue devant les tribunaux et à l'Assemblée législative du Manitoba. Cette garantie constitutionnelle a été acceptée par le Parlement canadien. En fait, le Parlement canadien est autorisé à ordonner au Manitoba de se conformer si cette province contrevenait à cet article.

Entre 1870 et 1890, beaucoup de choses ont changé au Manitoba. La population qui, jusqu'en 1870, était en majorité métis n'était plus majoritairement francophone. En 1890, les Manitobains étaient beaucoup plus anglais - écossais, si vous préférez - que français.

En 1890, deux simples lois de l'Assemblée législative du Manitoba ont réussi à abolir, l'une, le droit aux services en français devant nos tribunaux et à l'assemblée législative et l'autre, le droit des Manitobains à un enseignement catholique ou anglican. Bien sûr, les gens ont déclenché des contestations judiciaires qui ont donné lieu à un certain nombre de procès. Une partie des décisions furent favorables aux catholiques et aux anglicans et les autres ne le furent pas.

Honorables sénateurs, je dois préciser qu'à cette époque, il était impossible de séparer les catholiques des francophones. Ils formaient un seul groupe. Par conséquent, on touchait deux fois les mêmes personnes en abolissant le droit aux services en français devant les tribunaux et le droit à l'enseignement confessionnel dans les écoles.

Finalement, le gouvernement conservateur d'alors à Ottawa a tenté d'ordonner au gouvernement manitobain de rétablir les droits qu'il avait abolis.

Eh bien, honorables sénateurs, le gouvernement conservateur a été défait en 1896.

 

  • (1520)
Sir Wilfrid Laurier et les libéraux ont été élus et sir Wilfrid Laurier est parvenu à un compromis avec Thomas Greenway, qui était alors premier ministre du Manitoba. Selon le compromis, les écoles catholiques pourraient continuer d'exister, à condition qu'elles répondent à un certain nombre d'exigences, en ce sens que l'enseignement religieux pourrait être offert dans ces écoles. Selon un autre compromis, s'il y avait plus de 10 enfants, une langue autre que l'anglais pouvait être utilisée comme langue d'enseignement.

Pour être juste envers les auteurs du compromis, je suis certaine qu'ils pensaient que le français serait la seule autre langue d'enseignement. Mais, encore une fois, entre 1890 et 1916, des choses fort remarquables se sont produites au Manitoba. C'est à cette époque que les vagues d'immigrants de l'Europe de l'Est - notamment de l'Ukraine et de la Pologne - ont commencé à déferler sur le Manitoba. En 1916, il a été décidé que seule la langue anglaise serait utilisée dans le système scolaire du Manitoba.

Alors, lorsqu'on me dit que les droits de ces minorités seront désormais protégés par les provinces, je songe à ma province et je me dis: où était cette protection pour les francophones du Manitoba? Où était cette protection pour les enfants catholiques du Manitoba?

Quelle est la situation actuelle de l'enseignement dans les écoles catholiques et les écoles anglicanes et des services en français au Manitoba? Beaucoup d'entre vous savent que nous avons livré de grands combats sur ces questions dans ma province. Ce n'est pas un épisode dont nous avons toujours eu lieu d'être fiers.

Je suis devenue chef du Parti libéral de ma province en 1984, en même temps qu'on y parlait de la «question de la langue française». Je dois dire que c'est avec beaucoup de fierté que je me suis rendue dans chaque circonscription du Manitoba, où des libéraux m'ont dit que les francophones de ma province avaient effectivement des droits et qu'il fallait les rétablir.

Malheureusement, ce n'était pas une décision de l'assemblée législative. Même si le gouvernement en place a proposé une solution, cette dernière a été rejetée par l'opposition, qui a utilisé ses tactiques. Au bout du compte, la décision finale a dû être imposée au Manitoba par la Cour suprême du Canada. Les services en français ont donc été rétablis dans les tribunaux.

Son Honneur le Président: Sénateur Carstairs, je regrette de vous interrompre, mais la période de 15 minutes est écoulée. Autorise-t-on l'honorable sénateur à continuer?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Carstairs: Merci, honorables sénateurs.

Les services en français ont été rétablis à l'Assemblée législative du Manitoba et je suis fière d'y avoir pris la parole en français chaque fois que j'en ai eu l'occasion.

Toutefois, nous avons été loin d'être aussi généreux à l'égard des écoles du Manitoba. Peu après la décision rendue par la Cour suprême du Canada sur les droits du français au Manitoba garantis par l'article 23, j'ai demandé à un constitutionnaliste d'examiner l'article 22 qui garantit les droits en matière d'éducation. Il m'a dit qu'à son avis, les dispositions de l'article 22 étaient aussi contraignantes que celles de l'article 23, et que si la Cour suprême du Canada était saisie d'une cause à cet égard, il faudrait recommencer à financer les écoles catholiques et les écoles anglicanes dans la province du Manitoba.

Il m'a donc paru bon de trouver un compromis. J'ai travaillé avec l'actuel premier ministre Gary Filmon et d'autres pour tâcher d'en arriver à ce compromis. Le compromis auquel nous avons réussi à parvenir, au Manitoba, est fondé sur le caractère oecuménique des confessions religieuses. Les écoles catholiques ne sont pas complètement subventionnées au Manitoba, mais elles reçoivent la moitié de tous les fonds, qu'ils proviennent du niveau provincial ou du niveau municipal. Les catholiques n'obtiennent pas d'argent pour bâtir leurs écoles. Nous avons adopté au Manitoba une approche qui nous est propre, en mettant les écoles anglicanes, les écoles mennonites, les écoles juives et toutes les écoles indépendantes sur le même pied que les écoles catholiques. Je dirai que c'est grâce à la décision des catholiques du Manitoba de partager avec les adeptes des autres confessions religieuses que nous avons maintenant un système de soutien en place.

Cela nous a cependant pris presque un siècle, honorables sénateurs. Les gens qui avaient perdu leurs droits en 1890 les ont recouvrés en 1988. Lorsque j'examine la clause 17 et la proposition d'amendement du sénateur Doody, je me dis que nous pouvons sûrement trouver une solution autre qu'une modification constitutionnelle. Nous pouvons sûrement le faire en n'établissant pas de critères artificiels. Nous pouvons sûrement le faire en disant aux Terre-Neuviens qu'ils conservent encore aujourd'hui les droits qui leur ont été donnés en 1949.

L'honorable Marcel Prud'homme: L'honorable sénateur Carstairs accepterait-elle de répondre à une question?

Le sénateur Carstairs: Oui.

Le sénateur Prud'homme: Je m'excuse d'avoir raté une partie de l'intervention de l'honorable sénateur, mais je suis convaincu qu'elle connaît l'intérêt que je porte à ce débat.

Pense-t-elle que nous avons encore le temps de convaincre le premier ministre de Terre-Neuve d'essayer de nouveau d'en arriver, sans modification à la Constitution, à ce qu'il souhaite, soit un bon système d'éducation qui protège les droits des minorités? Pense-t-elle que le temps ne lui permet plus d'annoncer une telle décision?

Le sénateur sait très bien convaincre les gens de son parti. Je pense que cette mesure aura des résultats désastreux. Il n'y en a pas beaucoup qui semblent comprendre, mais ce qu'elle a dit en a secoué quelques-uns.

Pense-t-elle qu'il est trop tard pour convaincre le premier ministre d'essayer encore de faire ce qu'il veut sans recourir à cette mesure disproportionnée, dont les répercussions se feront sentir dans de nombreux secteurs de notre pays? Elle constituera un précédent aux conséquences imprévisibles et peut-être sans fin.

Le sénateur Carstairs: Je suis toujours optimiste, sénateur Prud'homme. Je suppose que c'est pour cela que j'ai choisi cette carrière. Je ne pense pas qu'on puisse être un politicien sans être optimiste. Il m'est cependant impossible de répondre à cette question. Je ne sais pas s'il est trop tard pour persuader le premier ministre de Terre-Neuve. Je sais seulement que chacun d'entre nous ici devra, selon sa conscience, faire du mieux qu'il peut pour régler ce problème, et voter selon sa conscience quand le moment sera venu.

L'honorable C. William Doody: Honorables sénateurs, lorsqu'on dit que les négociations sont la clé, cela m'intéresse beaucoup, car je suis tout à fait d'accord. Mais madame le sénateur Carstairs ne conviendrait-elle pas que le ministre Roger Grimes a dit avec une clarté absolue aux participants à toutes les séances sur l'accord-cadre qui ont réuni les diverses confessions et le gouvernement de Terre-Neuve que, peu importe le nombre de concessions qu'elles feraient, le gouvernement terre-neuvien insisterait quand même pour que cette modification de la clause 17 soit adoptée?

Par ailleurs, les représentants des catholiques et des pentecôtistes ne se sont pas cachés pour dire qu'ils feraient tout leur possible pour empêcher l'adoption de cette modification.

 

  • (1530)
Je crois comprendre que telles sont toujours les positions des parties. Même si les groupes confessionnels visés cèdent sur toute la ligne - ils ont déjà cédé sur 90 p. 100 de ce que le gouvernement réclame -, les autorités provinciales insisteront quand même pour que la clause 17 soit modifiée, ce qui réduira les droits des minorités en cause. N'est-ce pas le message que nous avons reçu, sénateur Carstairs?

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, je suis tout à fait d'accord. C'est le message du ministre de l'Éducation. Mais l'espérance ne meurt jamais. On peut toujours espérer, surtout si notre assemblée lance un message très net, que les autorités finiront par se raviser.

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, des collègues ont déjà souligné la façon équitable et efficace dont le sénateur Carstairs a présidé le comité chargé d'étudier cette question. Je me joins à mes collègues pour la féliciter.

Je voudrais obtenir de l'honorable sénateur des précisions sur un sujet. Le sénateur Rompkey a affirmé que nous ne savons pas au juste si les catholiques croient que leurs droits qui sont actuellement protégés dans la Constitution devraient leur être retirés au moyen de la disposition à l'étude.

L'honorable sénateur a entendu le témoignage qu'a livré l'archevêque catholique romain devant le comité. N'est-il pas vrai qu'il a bien précisé que l'Église catholique désire conserver ses droits et que, en tant qu'archevêque catholique romain, il était la personne morale aux termes du droit civil et le chef de son Église aux termes du droit ecclésiastique, et se devait donc de faire savoir qu'il n'y avait aucun doute quant à la position des fidèles catholiques, qui ne veulent pas que leurs droits actuels soient abrogés?

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, il faut toujours faire la distinction entre la tête et les membres d'un groupe religieux. En toute justice pour le sénateur Rompkey, telle est la comparaison qu'il essaie d'établir. Je vais donner une autre comparaison.

J'ai été élevée dans la religion catholique. Je pouvais envoyer mes enfants à l'école catholique en Alberta, mais je ne l'ai pas fait parce que j'ai estimé que l'école de mon quartier, qui n'était pas une école catholique, était tout à fait indiquée. Toutefois, je défendrais à la mort le droit des catholiques d'envoyer leurs enfants à l'école catholique. Les disciples d'une religion et les porte-parole de l'Église ne sont pas nécessairement d'accord les uns avec les autres.

Le sénateur Kinsella: L'autre groupe minoritaire intéressé, soit celui de la Pentecôte, représente 7 p. 100 de la population. Ses représentants ont comparu devant notre comité. D'après le sénateur, ont-ils déclaré catégoriquement que leur groupe souhaitait perdre ce droit? N'ont-ils pas dit dans leur témoignage que nous avions un recensement complet dans ce cas parce que plus de 85 p. 100 des membres de leur groupe ont écrit des lettres en ce sens?

Le sénateur Carstairs: La question est beaucoup plus claire dans le cas des pentecôtistes. Je crois qu'il serait juste de dire que les pentecôtistes de tout le Canada sont de plus fervents pratiquants que beaucoup d'entre nous, qui avons été élevés dans la foi catholique romaine. Nous sommes catholiques de coeur et nous le serons toujours. La plupart d'entre nous finiront enterrés dans des cimetières catholiques, mais cela ne veut pas dire que nous allons à la messe tous les dimanches. Cela semble être le cas de bien des catholiques au Canada aujourd'hui.

Mais je ne crois pas que ce soit le cas des pentecôtistes. Lorsque des dirigeants pentecôtistes disent parler au nom d'autres adhérents, ils semblent le faire avec plus d'autorité que, disons-le franchement, le clergé catholique romain.

Le sénateur Kinsella: Le Sénat n'est pas étranger à la notion de personne morale. Cela a fait l'objet d'un débat il n'y a pas si longtemps. N'est-il pas vrai que l'archevêque catholique romain est la personne morale?

Le sénateur Carstairs: Il ne fait aucun doute qu'un archevêque catholique romain le soutiendrait.

(Sur la motion du sénateur Forest, le débat est ajourné.)

 

Les Travaux du Sénat

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, compte tenu des horaires des comités, les sénateurs accepteront probablement de reporter tous les articles à l'ordre du jour à l'exception de la motion no 59, inscrite au nom du sénateur Bacon. Après le débat sur cette motion, nous pourrons ajourner s'il y a consentement unanime

La sécurité des transports

Autorisation au comité des transports et des communications d'étudier les questions techniques, juridiques et réglementaires et d'en faire rapport

L'honorable Lise Bacon, conformément à l'avis donné le mardi 1er octobre 1996, propose:

Que le comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à examiner, afin de présenter des recommandations, l'état de la sécurité des transports au Canada et à mener une étude comparative des considérations techniques et des structures juridiques et réglementaires, dans le but de vérifier que la sécurité des transports au Canada est d'une qualité telle qu'elle répondra aux besoins du Canada et des Canadiens au prochain siècle;

Que le comité soit autorisé à permettre la diffusion de ses délibérations publiques par les médias d'information électroniques, de manière à déranger le moins possible les travaux;

Que le comité présente son rapport au plus tard le 31 décembre 1997.

(La motion est adoptée.)

(Le Sénat s'ajourne à 14 heures demain.)

 


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