Journaux du Sénat
48 Elizabeth II, A.D. 1999, Canada
Journaux du Sénat
2e session, 36e législature
Numéro 2 - Annexe
Le mercredi 13 octobre 1999
14h00
L'honorable Gildas L. Molgat, Président
Le trés honorable Jean Chrétien, c.p.
Premier ministre du
Canada
À l'occasion de l'installation de la Gouverneure générale Adrienne Clarkson
7 octobre 1999
Ottawa (Ontario)
Votre Excellence Madame Adrienne Clarkson,
Il me fait grand plaisir de vous offrir les meilleurs voeux du gouvernement, du Parlement et du peuple canadien au moment où vous prêtez le serment d'office.
Je tiens aussi à exprimer ma reconnaissance au très honorable Roméo LeBlanc et à Madame Fowler LeBlanc.
Avec une dignité tranquille et une grâce sans faille, ils ont laissé une empreinte ineffaçable sur cette haute fonction. Je pense notamment à la création du Prix du Gouverneur général pour l'entraide, qui rend enfin hommage à nos bénévoles - ces innombrables Canadiens dont les actes quotidiens de générosité et de compassion représentent si bien notre caractère national.
Lors de sa nomination en 1995, ce fier Canadien est devenu le premier fils de l'Acadie à occuper la fonction de Gouverneur général. Aussi, je sais combien cela a dû lui faire chaud au coeur, à la toute fin de son mandat, de participer au VIIIe Sommet de la Francophonie dans son Nouveau-Brunswick natal.
J'ai été ému par la fierté dont il rayonnait lors de la rencontre historique entre le Président français Jacques Chirac et notre communauté acadienne. J'ai aussi été marqué par l'émotion avec laquelle M. Chirac a renouvelé le lien fraternel qui unit pour toujours les Acadiens au foyer de nos ancêtres, de même que par l'éloge que le Président français a fait des réalisations exemplaires du Canada.
Je sais que, pour M. LeBlanc, il s'agissait vraiment d'un instant à savourer dans une longue carrière au service du peuple canadien, laquelle a été marquée par de très nombreux moments forts.
Mesdames et messieurs, nous voici rassemblés pour rendre hommage à une personne dont le talent, le discernement et les réalisations commandent l'admiration. Et qui représentera désormais notre chef d'État au Canada. Son accession au poste de gouverneur général n'est en fait qu'une étape remarquable de plus dans un parcours personnel extraordinaire. Celui-ci remonte au jour où, toute petite, elle s'est embarquée à bord d'un bateau de réfugiés à destination du Canada, chassée de son foyer par les privations et la cruauté d'une guerre terrible.
Après des débuts aussi peu propices, sa vie a tracé un arc nettement ascendant. Un arc parallèle au développement du Canada tel que nous le connaissons aujourd'hui.Un pays cosmopolite. À l'aise dans sa diversité. Entièrement disposé à reconnaître pleinement les droits de tous ses citoyens, autant dans ses lois que dans ses institutions. En pratique aussi bien qu'en théorie.
Elle et sa famille ont d'abord été refoulées lorsqu'elles ont cherché refuge au Canada, parce qu'elles étaient d'origine chinoise. Sa présence ici aujourd'hui montre combien nous avons fait de chemin comme nation. Une nation bâtie par les immigrants. Par ceux qui ont été attirés ici par un rêve national, et par un refuge sûr.
Je n'ai pas besoin de dire aux Canadiens ce qu'ils savent déjà de Madame Clarkson. La liste de ses réalisations comme journaliste et commentatrice parle d'elle-même. J'aimerais quand même dire quelques mots au sujet de la qualité particulière qui la rend si digne d'accéder à cette fonction à cette époque de notre histoire.
Nous vivons à l'ère de la mondialisation. À l'ère du village planétaire, où les personnes et les nations se rapprochent comme jamais auparavant. Par-delà les fuseaux horaires, les frontières et les cultures. Et où nous nous demandons quelle place cela laissera pour la diversité. Quel espace nous aurons pour assurer la protection et le rayonnement de nos propres moyens d'expression et de nos propres expériences.
Rares sont ceux qui, comme Madame Clarkson, ont perçu l'harmonie profonde de cet ensemble de moyens d'expression et d'expériences, qui confère à la culture canadienne sa saveur sans pareil. Douée d'une intuition extraordinaire, elle a su mettre ses talents au service de la création de lieux d'expression pour nos artistes, nos musiciens et nos auteurs. Des quatre coins de notre grand pays. De toutes les origines et de tous les milieux.
Un tel dévouement au service de la collectivité, de telles preuves d'affection à l'égard de son pays d'adoption, font d'elle une candidate éminemment qualifiée pour les fonctions qu'elle s'apprête à assumer.
Par-dessus tout, je considère que le choix de Madame Clarkson pour la fonction de gouverneur général contient un message frappant. Il exprime clairement notre volonté collective de faire en sorte que nos auteurs, nos artistes et nos oeuvres continuent d'enrichir notre expérience commune. Et de rayonner dans l'ensemble du village planétaire.
Mesdames et messieurs, le 20e siècle qui s'achève a été celui de la grandeur et de l'horreur. Des rêves lumineux et des sombres cauchemars. Nous avons souvent eu des raisons de croire qu'il ne restait pas d'espoir pour le monde.
Selon moi, le succès du Canada a été de prouver, à nous-mêmes et au monde entier, qu'il y a toujours de l'espoir. L'espoir de lendemains plus heureux, de perspectives meilleures, de tolérance et de bonne entente. Madame Clarkson, vos expériences et votre succès me confirment dans ma conviction.
Au nom de tous les Canadiens, je vous remercie d'avoir accepté ces nouvelles responsabilités. J'adresse mes remerciements et mes meilleurs voeux à M. Saul aussi. Je sais qu'il sera pour vous un compagnon idéal au cours des jours à venir.
Je vous souhaite tout le succès possible au service du meilleur pays au monde.
Son Excellence
la très honorable Adrienne Clarkson
Gouverneure
générale du Canada
Discours d'installation
Le Sénat
le jeudi 7 octobre 1999
Monsieur le Premier
ministre,
Vous m'avez exprimé l'affection, la loyauté et l'estime du peuple canadien, des sentiments que j'aurai l'honneur de communiquer à notre gracieuse souveraine, la Reine Élizabeth II. Je suis heureuse d'accepter la responsabilité de représentante de Sa Majesté au Canada, avec tout ce que cela implique sur le plan historique et dans notre tradition. Mieux que quiconque, je connais mes faiblesses et j'assume cette tâche avec humilité, en vous demandant, à vous et au peuple du Canada, de m'aider à la réaliser.
Je deviens le 26e Gouverneur général du Canada depuis la Confédération, pleinement consciente des racines profondes de cette fonction, et ce, en remontant dans le passé jusqu'aux gouverneurs de la Nouvelle-France et jusqu'au premier d'entre eux, Samuel de Champlain. Dans un lieu qui nous enchante, la baie Georgienne, située sur la route qu'il a suivie depuis la Rivière des Français jusqu'à la Huronie, il y a une plaque commémorative placée sur un îlot entre un court de tennis et le Champlain's Gas Bar & Marina, et qui rappelle son passage avec une citation tirée de son journal:
«Samuel de Champlain
en canöe
1615
Quant à moi, je fais toujours en sorte de préparer la route de ceux qui voudront suivre.»
Ceux qui ont voulu suivre ont représenté l'institution incarnée par le gouverneur général de façons qui ont démontré l'évolution et la constante réaffirmation du pays. Les institutions du Canada n'ont jamais été immobiles. Elles sont organiques; elles évoluent et elles grandissent de manières qui nous surprennent, qui nous étonnent même. En trente ans à peine, de 1952 à 1982, la fonction de gouverneur général et notre constitution ont été rapatriées; nous avons choisi un drapeau, nous avons consigné formellement notre compréhension des droits fondamentaux et nous avons renforcé et élargi la nature bilingue de notre pays. Le gouverneur général est un fil dans le tissu de ce qu'Eugene Forsey a appelé notre démocratie «souveraine et indépendante».
Il y a eu bien des activistes parmi les successeurs de Champlain. Lord Elgin, qui a aidé Baldwin et Lafontaine à enraciner le modèle démocratique canadien en 1848, a bien saisi l'originalité du pays qui mettait de l'avant un tel projet. Il aimait beaucoup se balader à pieds dans le peu de petites villes que nous avions alors, prenant plaisir aux tempêtes de neige, fuyant la formalité de ses fonctions et parlant avec admiration de «ce superbe pays» et «de ses citoyens totalement indépendants». Il a aussi dit que pour chercher à comprendre le futur des nations, il fallait venir ici.
Vincent Massey, notre premier gouverneur général canadien, a lancé les fondements de la plupart de nos institutions culturelles modernes: le Conseil des Arts, le Centre national des Arts, l'Ordre du Canada, entre autres. Et mon prédécesseur, Roméo LeBlanc, a donné une énergie nouvelle à l'élément central que représente le Canada français à travers tout le pays, aboutissant au succès du Sommet du mois dernier qui a placé le Nouveau- Brunswick et l'Acadie au milieu même de la réalité francophone. Cela a eu lieu à peine cinquante ans après que le grand peintre Paul-Émile Borduas ait incité les Québécois, et, par implication, nous tous, à abandonner «les murs lisses de la peur» en refusant «d'être sciemment... au-dessous de nos possibilités psychiques et physiques».
Permettez-moi quelques réflexions personnelles. La famille Poy, arrivée ici comme réfugiés en 1942, était composée de mes parents, de mon frère et de moi-même. Nous sommes trois dans cette Chambre aujourd'hui. Nous ne sommes pas arrivés dans le cadre d'une procédure d'immigration habituelle. Il n'y en avait pas à l'époque pour une famille chinoise.
L'amour fervent et attentif de ma mère est présent en esprit ici aujourd'hui. Mon frère, le Dr Neville Poy, avait sept ans quand nous sommes venus. Et mon père, Bill Poy, est ici, extraordinaire avec ses 92 ans. Le Lance-caporal Poy, estafette dans le Corps de Volontaires de Hong Kong, a reçu la Médaille militaire pour son courage lors de la bataille de Hong Kong. Comme bien des soldats, il ne parle jamais de ces choses, mais sa bravoure est le pivot de la vie de ses enfants. D'être élevés par des parents courageux et affectueux a été un don qui a remplacé tout ce que nous avions perdu.
Comme je l'ai déjà dit, la ville d'Ottawa était, dans le temps, petite et blanche, comme presque tout le Canada, et une bonne partie de son esprit tenait à ce que Mavis Gallant a décrit comme les sombres rejetons des vieux pays: «la méfiance vis-à-vis la pitié, le mépris devant la faiblesse, la peur de la franchise du coeur». Mais c'est aussi la ville où notre famille s'est liée d'amitié avec les Molot, propriétaires de la pharmacie, avec les Marcotte et avec les Proulx, qui vivaient aussi dans la basse-ville, et avec nos anges gardiens, les Potters.
Parce que mon père travaillait au ministère du Commerce et parce que nous vivions dans un milieu canadien-français, j'ai, dès l'âge de cinq ans, développé une passion pour apprendre à parler français. Je me souviens du jour où, avec mes souliers vernis et ma robe rose, mes parents m'ont emmenée, près de la maison, au couvent Sainte-Jeanne-d'Arc où une dame gentille, le visage entouré de blanc, m'a posé des questions tandis qu'un grand et terne crucifix rayonnait dans l'ombre. En rentrant à la maison, il y avait un sentiment de tristesse et de déception dans l'air. On avait expliqué à mes parents qu'à Ottawa il n'était pas possible pour une protestante d'aller à l'école en français. Ces choses ont tellement changé depuis lors qu'il n'est pas nécessaire d'en parler. Mais cette première impression que certaines choses n'étaient pas possibles, même si ça n'avait aucun sens, m'a donné une volonté de fer.
Farley Mowat a fait la remarque que quelques infortunes pendant l'enfance étaient une bonne chose pour les animaux, y inclus les humains. Notre famille, comme bien d'autres familles, avait beaucoup perdu mais nous avions aussi gagné énormément: un pays avec des lacs, avec de la pêche à l'achigan, où l'éducation publique est gratuite. Nous avons pris un goût démesuré pour la nature puisque, comme dit Pierre Morency, «le Nord n'est pas dans la boussole; il est ici.»
Comme l'a écrit John Ralston Saul, «la qualité première de l'État canadien est sa complexité.» C'est une force, et non une faiblesse, que nous soyons une expérience toujours incomplète basée sur une fondation triangulaire autochtone, francophone et anglophone. Il ne faut pas tomber dans le piège de croire que tout est nouveau et simple dans un monde nouveau et simple. Nous continuons de poursuivre aujourd'hui le projet politique commencé il y a 450 ans, quand les premiers Français ont rencontré les premières nations. C'est une expérience de longue date, certes, c'est complexe et, globalement, c'est en grande partie réussi. À travers vents et marées, nous avons poursuivi la création d'une civilisation canadienne.
Ce que nous construisons ici est différent. Comme le dit Jean-Guy Pilon dans l'un de ses poèmes:
«Racines tordues à vaincre le feu
À cracher au visage
des étoiles
C'est ici que respirent, grandissent
les
constructeurs».
L'occasion est bonne de laisser derrière soi les inutiles pulsions anciennes quand on arrive dans une nouvelle contrée qui s'étend vers l'infini. Wilfrid Laurier l'a bien compris. «Nous avons fait, a-t-il dit, une conquête plus grande et plus glorieuse que celle d'un territoire, nous avons conquis nos libertés.»
On dirait qu'il y a deux types de société dans le monde de nos jours. Peut-être qu'il n'y en a toujours eu que deux: les sociétés qui punissent et les sociétés qui pardonnent. Une société comme la canadienne, avec ses quatre siècles où chacun y met du sien, accepte le compromis et reconnaît l'erreur et sa correction, est fondamentalement une société qui pardonne. Nous tentons, nous devons tenter, de pardonner ce qui est passé. La société qui punit n'oublie jamais le mal passé. La société qui pardonne se tourne vers le futur. Une société qui pardonne favorise le respect mutuel, permet d'être toujours prêts à recommencer, pour construire dans l'espérance et dans l'amour.
Nous savons qu'en nous joignant à la société canadienne nous pourrons accepter l'invitation lancée en 1970 par le grand chef John Kelly: «Avec les années, le cercle des Ojibway s'agrandit de plus en plus. Des Canadiens de toutes les couleurs et de toutes les religions entrent dans le cercle. Vous pensez que vous avez des racines ailleurs, mais en fait, vous êtes ici avec nous.» Que le cercle des premières nations s'agrandisse pour nous accueillir, autochtones et immigrants, venus par navire ou par avion vers ces vastes et splendides terres fait la preuve, selon Michael Ondaatje, d'une vision de la nature qui dépasse l'égo de l'homme. Ceci est un lieu, selon lui, fixé par la vision préoccupante de personnages qui voyagent à travers leur passé et le portent sur leur dos... nous sommes toujours en train d'arriver. Des Filles du Roy jusqu'aux nouveaux Canadiens de Dionne Brand, il n'y a qu'un pas.
Il ne faut pas oublier que cette complexité affecte l'ensemble. Complexité ne veut pas dire fragmentation. C'est là le paradoxe et le génie de notre civilisation canadienne.
Dans la contemplation de ce que nous sommes, repose l'importance symbolique du gouverneur général: l'identification de ce poste avec l'inclusion, la capacité d'accueillir et d'intégrer qui est au coeur de la société canadienne dans ce qu'elle a de meilleur. C'est là l'essence de ce qu'on appelle notre honnêteté notoire, notre fameux désir de faire le bien. Et n'oublions pas qu'à travers les grandes vagues d'immigration il y a eu, dès le départ, un sentiment sous-jacent que les abandonnés, les rejetés d'autres contrées, ceux qui rêvaient d'une autre vie, viendraient ici et participeraient à notre projet.
Dans une photographie qui date de 1913, on voit un groupe d'immigrants scandinaves à Larchmont, en Ontario, rassemblés devant un tableau noir où on peut lire ces mots:
Devoirs d'un citoyen
1. comprendre le fonctionnement du gouvernement
2. prendre une part active à
la politique
3. aider à toutes les bonnes causes
4. diminuer
l'intempérance
5. travailler au bien des autres
On pourrait facilement s'entêter à ne voir que les embûches et les préjugés qui ont, bien sûr, parsemé ce chemin pavé de bonnes intentions. Mais au vu de l'intention initiale, on en sent bien la présomption principale. On s'attend à ce que l'immigrant, comme tout le monde, participe au développement de la société, une société à la fois coopérative, démocratique et ouverte à l'autre. Qu'il ait fallu cinquante ans pour que cette capacité d'intégration perde ses préjugés de couleur veut simplement dire qu'il a fallu cinquante ans. Trop long, bien sûr; bien trop long. Mais dans d'autres pays il faudrait cent ans. Dans certains pays, ce jour n'est jamais venu.
L'essence de l'inclusion est que nous faisons partie d'une société où la langue, la couleur, l'éducation, le sexe et la fortune ne devraient pas nous diviser mais plutôt nous rendre plus sensibles et conscients de la différence.
J'ai appris à être canadienne grâce à une collection de maîtresses d'écoles parfaitement virginales qui m'ont toujours traitée comme une bonne élève tout court et non comme une bonne élève chinoise. C'était principalement des femmes de l'Ontario rural qui, dans une certaine perspective, auraient pu paraître étroites d'esprit; mais qui, sans aucune exception, étaient douées d'une capacité d'ouverture vers l'autre et comprenaient instinctivement la nécessité de la compassion et la force de la curiosité humaine.
Je crois que mes parents, comme bien d'autres immigrants, ont par la force de leur rêve fait de leurs enfants des Canadiens. Et tandis que les explorateurs repoussaient chaque jour la limite de leurs connaissances, est-ce que Cavelier de La Salle, La Vérendrye, Hearne et Mackenzie n'ordonnaient pas à leur propre imagination d'embrasser ces étonnants espaces? Ce fut notre chance à tous de venir en des terres où les Autochtones ont toujours rêvé la vie.
Il est habituel de dire que les immigrants travaillent beaucoup et qu'ils sont très ambitieux, mais ceux d'entre nous qui avons vécu ce phénomène savons que c'est surtout le rêve qui compte.
Et je ne parle pas ici de phantasmes. Je parle d'un vrai rêve qui est saisi quelque part entre les puissances du passé et les forces du futur. C'est quelque chose qui nous anime tous, même si nous ne le disons pas. C'est ce qui donne à une nation comme la nôtre sa résonnance, sa profondeur, sa force.
Le rêve nous rassemble et nous transforme en Canadiens. Le rêve nous permet de nous libérer des stéréotypes du passé ou des attentes des autres. Le rêve est un facteur d'ouverture et d'aventure et, bien sûr, il est porteur de douleur et de confusion. Mais, comme dit Leonard Cohen: «Il y a une fissure dans toute chose. C'est ainsi qu'entre la lumière.»
Grâce à la lumière qui est en nous, nous avons créé un lieu de dynamisme innovateur. Innovation dans les structures politiques. De nouvelles manières d'approcher les relations sociales, de définir le rôle du citoyen. Innovation militaire dans le maintien de la paix. Innovation économique dans les industries de pointe, depuis les chemins de fer d'il y a 150 ans jusqu'à l'aéronautique de nos jours.
Nous ne devons pas nous voir comme un petit pays de trente millions d'habitants qui vogue sur un grand territoire. Nous comptons parmi les peuples ayant la meilleure santé et la meilleure éducation au monde, et de grandes richesses naturelles. Nous avons deux des plus grandes langues au monde.
Nous ne devons pas nous voir comme un peuple qui réagit aux tendances, mais comme un peuple qui les lance.
Nous ne devons pas nous voir comme un peuple qui réagit, mais comme un peuple qui agit.
Notre histoire démontre que nous avons l'assurance qui mène à l'action, à une action que le succès couronne. Quand nous avons confiance en nous-mêmes, nous pouvons saisir l'énergie positive issue de notre choix de vivre ici et de poursuivre ce qui continue d'être un projet sans précédent.
Le tramway que notre famille prenait souvent le dimanche après-midi pour aller au parc Rockcliffe passait devant les grilles closes de Rideau Hall. Je suis tellement heureuse que cela ait changé! Je suis enchantée des foules qui passent maintenant par les jardins et le Centre des visiteurs. Je compte bien continuer la tradition d'accueillir les Canadiens venus à ce qui est, en fait, votre maison nationale.
Mais nous ne serons pas toujours à Ottawa. John et moi avons l'intention de voyager et de parcourir encore tout ce pays en avion, en train, en voiture, en canoë et en kayak. Et nous pensons établir la pratique de recevoir le public lors d'un lever dans chacune des provinces et des territoires que nous visiterons. Vous y êtes tous invités. Dans dix jours, nous serons en Alberta, pour notre première visite officielle dans une province. Notre premier lever aura donc lieu le samedi 16 octobre à 16 heures, au Museum of the Regiments, à Calgary. En novembre, nous irons en Colombie-Britannique et le lever aura lieu le dimanche 21 novembre, à Vancouver.
Nous voulons rencontrer le plus grand nombre possible d'entre vous, non seulement lors d'occasions spéciales à Rideau Hall ou à la Citadelle, mais là où vous demeurez, là où vous faites votre vie.
Nous amenons à ces tâches un engagement profond dans la relation entre les francophones et les anglophones, une relation essentielle et une clé de voûte de notre histoire politique. Nous avons de longue date exprimé notre intérêt dans l'immersion scolaire en français, les problèmes d'habitation des membres les plus vulnérables de notre société et les droits de la personne. Et je ne suis pas moins engagée que je l'ai toujours été dans l'affirmation et l'avancement de la pleine expression de la moitié de l'humanité à laquelle j'appartiens, ce groupe qu'on nomme modestement les femmes. Nous sommes aussi depuis longtemps intéressés et passionnés par les arts. La beauté et l'excellence ne sont pas la propriété d'un groupe restreint. L'expression artistique est la manière par laquelle nous témoignons avec le plus de profondeur de notre société et elle appartient à chacun d'entre nous.
Au moment d'assumer ces fonctions, je vous demande de m'accompagner. J'espère qu'ensemble nous allons jouir de la qualité que les Inuit appellent isuma, soit le type d'intelligence qui inclut le sens de sa propre responsabilité envers la société. Les Inuits croient que cette qualité grandit à son propre rythme, qu'elle grandit parce qu'elle est cultivée. Mon voeu est qu'avec l'aide de Dieu nous, en tant que Canadiens, puissions tracer avec notre vie ce que Stan Rogers appelait «un trait chaleureux à travers ce pays, si farouche, si sauvage».
Et quant aux traces de Samuel de Champlain, je suis prête à les suivre.