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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 38e Législature,
Volume 142, Numéro 91

Le mardi 25 octobre 2005
L'honorable Daniel Hays, Président


LE SÉNAT

Le mardi 25 octobre 2005

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

LA RÉUNION INTERNATIONALE DES MINISTRES DE LA SANTÉ SUR UNE PANDÉMIE DE GRIPPE

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, l'honorable Ujjal Dosanjh, ministre de la Santé, ainsi que l'honorable Carolyn Bennett, ministre d'État (Santé publique) et l'honorable Aileen Carroll, ministre de la Coopération internationale, sont les hôtes depuis hier d'une conférence internationale des ministres de la Santé pour se préparer à une pandémie de grippe. Des représentants d'une trentaine de pays et de cinq organisations multinationales se rencontrent à Ottawa pour discuter de collaboration et de coopération mondiales, en prévision d'une pandémie éventuelle de grippe.

Un communiqué qui sera diffusé plus tard aujourd'hui doit exposer les secteurs d'action prioritaires par l'entremise d'une coopération internationale. Quatre principaux thèmes soulèvent des préoccupations : la relation entre la grippe aviaire et la santé humaine et animale; une surveillance dans les pays en développement; la mise au point et la distribution de vaccins et d'antiviraux; et la communication sur les risques et l'évaluation des risques.

Les initiatives du Canada dans la préparation à une pandémie tiennent compte des propositions des États-Unis en vue d'un partenariat international officiel pour accroître la collaboration mondiale; du travail de l'Organisation mondiale de la santé au sujet d'un plan stratégique de préparation à une pandémie; de la stratégie de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture pour freiner la grippe aviaire; des plans de l'Organisation mondiale de la Santé en vue d'une rencontre des pays donateurs et d'une conférence pour les annonces de contributions plus tard cette année; et du colloque de la Coopération économique de la zone Asie-Pacifique, l'APEC, sur la grippe aviaire. Elles tiennent également compte des plans de l'Union européenne en vue d'un atelier sur la préparation à une pandémie; des efforts bilatéraux déployés par des pays pour réunir des ressources en Asie du sud-est; et de la nomination d'un groupe d'experts pour le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé.

Ces dernières années, le Canada a collaboré de près avec l'Organisation mondiale de la santé. L'Agence de la santé publique du Canada a expédié un laboratoire mobile au Vietnam et a fourni des connaissances en épidémiologie et en santé publique à la Thaïlande, au Vietnam et à la Chine.

Dans le dernier projet de loi budgétaire, le C-43, le Canada a prévu 34 millions de dollars sur cinq ans pour aider à l'élaboration et à la mise à l'essai d'un prototype de vaccin contre la pandémie de grippe. Nous avons également affecté 24 millions de dollars pour établir des stocks nationaux d'antiviraux, afin de prévenir et de traiter une nouvelle souche de grippe aviaire. Pour accroître la surveillance en Asie du sud-est et en Chine, L'Agence canadienne de développement international, l'ACDI, finance un projet de 15 millions de dollars qui sera administré par l'Agence de santé publique du Canada.

Le Canada continuera d'être un chef de file dans la lutte contre une pandémie possible de grippe aviaire. L'Organisation mondiale de la santé continue de reconnaître le leadership du Canada et de soutenir ses initiatives. Espérons que la conférence d'aujourd'hui sera un succès total en matière de coopération et de coordination, tout en gardant à l'esprit que cette conférence n'est qu'une étape pour ce qui est de relever les défis auxquels nous serons peut-être confrontés.

LES NATIONS UNIES

LE SOIXANTIÈME ANNIVERSAIRE

L'honorable Consiglio Di Nino : Honorables sénateurs, au moment où nous marquons dans le monde entier la Journée des Nations Unies et le soixantième anniversaire de l'organisation, j'interviens pour féliciter les nombreux esprits éclairés qui ont créé un organisme mondial qui, au fil des ans, a contribué à la paix et à la stabilité dans le monde.

Née des cendres de la Société des Nations, qui a essayé de corriger ses lacunes et de se transformer radicalement pendant que la Seconde Guerre mondiale faisait rage, l'Organisation des Nations Unies a cherché à devenir un symbole de paix et de coopération pour tous les peuples de la planète et, dans l'ensemble, elle a atteint son objectif.

Malheureusement, je ne suis pas si confiant quant à son avenir, car je crains qu'elle soit devenue trop bureaucratique et souvent désorganisée, et elle est maintenant tiraillée par les intérêts très divergents de ses membres.

Nous avons sans aucun doute besoin d'une organisation mondiale efficace — et c'est le mot clé — pour assurer à l'avenir la paix, la coopération et la stabilité. J'espère qu'une réforme sérieuse des Nations Unies et de ses organismes se poursuivra pour éviter d'autres cas d'abus comme ceux que nous avons pu constater.

Honorables sénateurs, les anniversaires servent non seulement à marquer le passage du temps, mais c'est également l'occasion de réfléchir à nos actions, à nos objectifs et à nos projets d'avenir. J'exhorte les Nations Unies et tous les États membres à justement faire cela. L'ONU est une organisation dont l'objectif avoué était d'offrir une tribune où les nations pourraient se réunir pour aider les citoyens de la planète à mieux vivre, en éliminant la pauvreté et les maladies, ainsi que de mettre un terme à la folie de la guerre et de favoriser le respect des droits et des libertés de chacun. L'ONU doit réévaluer son bilan à tous les niveaux et reconnaître, comme la Société des Nations l'a fait, qu'elle doit

maintenant procéder à une réforme en profondeur pour mieux représenter les nations du monde et les aider à atteindre les objectifs très honorables que sont la paix et la coopération.

Honorables sénateurs, je suis heureux de me joindre à d'autres pour souhaiter à l'ONU un joyeux anniversaire et tout le succès possible dans son projet de réforme. J'exhorte le Canada à assumer un rôle de premier plan dans la définition de l'ONU de demain.

[Français]

VISITEURS DE MARQUE

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de signaler la présence à notre tribune d'une délégation du Cameroun, composée de Martin Mpana, haut-commissaire intérimaire du Cameroun au Canada, M. Samson Ename Ename, secrétaire général de l'Assemblée nationale, l'honorable Matta Joseph Roland, député, et M. Ahmadou Ndottiwa, chef de service des cérémonies et des missions.

Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

(1410)

[Traduction]

LA SEMAINE DE LA PETITE ET MOYENNE ENTREPRISE

L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, j'ai eu le plaisir d'assister la semaine dernière, qui était la Semaine de la PME, au sixième Colloque annuel des femmes d'affaires qui s'est tenu à Mill River, à l'Île-du-Prince-Édouard. La conférence était parrainée par l'Association des femmes d'affaires de l'Île-du-Prince-Édouard, qui est l'une des associations professionnelles les plus influentes de la province, de concert avec l'Agence de promotion économique du Canada atlantique et Expansion des affaires de l'Île-du-Prince- Édouard. Le colloque de cette année, qui réunissait plus de 135 déléguées, présentait toute une série d'ateliers, de discussions de groupe, de conférenciers d'honneurs et autres en vue de venir en aide aux nouvelles femmes entrepreneures qui songent à établir une entreprise et pour accroître les connaissances et les compétences des femmes entrepreneures déjà établies dans la province. Cet événement a été couronné de succès.

J'ai eu l'occasion de rencontrer Mme Melody Dover, conceptrice graphique, qui a reçu la semaine dernière, comme lauréate de l'Île- du-Prince-Édouard, le Prix aux jeunes entrepreneurs décerné par la Banque de développement du Canada. J'aimerais féliciter Melody et tous les autres entrepreneurs des autres provinces et territoires qui ont reçu ce prix insigne. Ces jeunes entrepreneurs canadiens représentent l'avenir de nos entreprises canadiennes.

Honorables sénateurs, nous connaissons tous les importantes répercussions que les petites et moyennes entreprises ont sur l'économie de notre pays. Les entrepreneurs et les succès qu'ils remportent sont à la base de la croissance économique du Canada. Il est donc tout naturel que l'on consacre une semaine pour reconnaître ces entrepreneurs et leurs contributions et que l'on encourage les autres à réaliser leurs rêves sur le plan commercial. Dans le cadre de la Semaine de la petite et moyenne entreprise, j'aimerais féliciter tous les entrepreneurs et les propriétaires de petite entreprise du Canada qui participent à la croissance de notre économie grâce à leurs efforts soutenus, à leur détermination et à leurs idées innovatrices.

LE COURS HUMANITIES 101 À HALIFAX

L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, j'ai assisté lundi dernier, le 17 octobre, au lancement du cours Humanities 101 à Halifax, un cours de sciences humaines Clemente. Le Clemente Course, créé par Earl Shorris aux États-Unis, tente de briser le cycle de la pauvreté grâce à l'éducation. Il s'est répandu dans le monde entier. Toutes les universités de Halifax ont donné du temps d'enseignement, et des dons en argent ont été versés par la Fondation McLean, la Fondation McCain, la Fondation de la Banque Royale du Canada, le club Rotary de Halifax et des d'autres Canadiens, afin de financer la location des locaux et l'achat de matériel d'enseignement, d'approvisionnements et de nourriture. Des services de garde étaient même prévus pour ceux qui en avaient besoin.

La pauvreté n'est ni facile à vivre ni facile à surmonter. Ces étudiants veulent un coup de main, pas une aumône. Le Clemente Course est un cours d'histoire, d'art et de culture qui vise avant tout à ouvrir l'esprit à de nouvelles idées, à de nouveaux thèmes et à de nouveaux buts. Les participants, qui vivaient dans la rue, sont maintenant professeurs, dentistes, conseillers ou infirmières.

Honorables sénateurs, la paroisse St. George et le révérend chanoine Gary Thorne ont communiqué avec moi l'année dernière pour me demander conseil quant à la façon de mettre ce projet en branle. Les membres de la Friends of Clemente Society de l'église St. George ont travaillé sans relâche à la réalisation de ce rêve. Je les félicite de leurs efforts et il me tarde de voir de visu les résultats de leur travail.

J'ai toujours cru que l'éducation était la voie vers l'éradication de la pauvreté. Ce nouveau programme offert à Halifax en fera la preuve.

[Français]

LE MARATHON DE L'ESPOIR DE TERRY FOX

LE VINGT-CINQUIÈME ANNIVERSAIRE

L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, j'aimerais aujourd'hui souligner qu'un anniversaire très spécial a eu lieu pendant le congé parlementaire de l'été. Il s'agit du 25e anniversaire du Marathon de l'espoir de Terry Fox. Quand je suis à Ottawa, je passe presque tous les jours devant le monument dédié à la vie et au dynamisme de Terry Fox. Il est situé de l'autre côté de la rue, tout juste en face de la salle du Sénat.

Je dis toujours avec une immense fierté que le créateur de cette statue, John Hupper, vient de ma ville natale, Hampton, au Nouveau-Brunswick. Toutefois, je suis aussi très fier, en tant que Canadien, que Terry Fox ait choisi de nous faire un don exceptionnel d'une façon aussi sincère et aussi publique : le don de l'espoir.

[Traduction]

Terry Fox est né à Winnipeg, au Manitoba, et il a grandi à Port Coquitlam, en Colombie-Britannique. Adolescent s'adonnant à plusieurs sports, Terry n'était âgé que de 18 ans lorsqu'il apprit qu'il était atteint d'un cancer des os. En 1977, on a dû l'amputer d'une jambe six pouces au-dessus du genou. À l'hôpital, Terry a été tellement renversé de voir tant de souffrances autour de lui, chez les autres patients atteints du cancer, dont bon nombre étaient de petits enfants, qu'il a décidé d'apporter sa contribution à la cause des cancéreux. Il a entrepris la traversée du Canada d'un océan à l'autre afin de recueillir des fonds pour la recherche sur le cancer. Il a baptisé sa course de fond le Marathon de l'espoir.

Pendant sa préparation, qui a duré 18 mois, il a couru plus de 5 000 kilomètres. Le 12 avril 1980, âgé de 21 ans, Terry Fox a commencé sa course à St. John's, à Terre-Neuve, en trempant sa jambe artificielle dans l'océan Atlantique. Au début, il a été difficile d'attirer l'attention, mais l'enthousiasme a vite grandi et de plus en plus d'argent a pu être recueilli. Il a couru au moins 42 kilomètres par jour, ce qui est plus long qu'un marathon, et a traversé les provinces atlantiques, le Québec et l'Ontario. C'est un exploit que les Canadiens n'ont jamais oublié. Cependant, le 1er septembre 1980, après 143 jours et 5 373 kilomètres, Terry a été forcé d'arrêter sa course juste avant d'entrer à Thunder Bay, en Ontario, parce que le cancer s'était attaqué à ses poumons. Tout un pays a été frappé et attristé. Terry est mort le 28 juin 1981, à l'âge de 22 ans. Un héros canadien mourait, mais nous commencions à peine à recueillir son héritage. Jusqu'à maintenant, 360 millions de dollars ont été recueillis partout dans le monde pour la recherche sur le cancer au nom de Terry grâce à la course Terry Fox, qui a lieu au Canada et partout dans le monde.

Je suis convaincu que les honorables sénateurs uniront leur voix à la mienne pour remercier les centaines de participants et de volontaires qui ont contribué à faire de la course Terry Fox un grand succès encore cette année, qui marquait son 25e anniversaire.

LE DÉCÈS DE DAME CICELY SAUNDERS

L'honorable Sharon Carstairs : Honorables sénateurs, dame Cicely Saunders, fondatrice du mouvement en faveur des soins palliatifs modernes en hospice, est décédée plus tôt cette année à Londres, à l'âge de 87 ans. Dame Saunders, une Britannique, était infirmière et médecin. C'est elle qui a fondé l'hospice St. Christopher en 1967, à Londres, en Angleterre.

Les hospices remontent à l'époque médiévale, mais il n'y a pas eu de véritables efforts pour améliorer les soins aux malades en phase terminale au cours de la dernière moitié du XXe siècle. Lorsque Cicely Saunders a fondé St. Christopher, elle a utilisé l'expression « médecine palliative » pour décrire une méthode de traitement des malades en phase terminale qui préserverait leur dignité tout en allégeant leur douleur avec des médicaments comme la morphine. Ses méthodes ont ensuite été adoptées progressivement partout dans le monde. Dame Saunders a enseigné et a beaucoup écrit sur les soins palliatifs dans le monde. Elle a impressionné bien des gens par sa passion pour l'allégement de la souffrance.

Au début des années 1970, Paul Henteleff et Balfour Mount, deux médecins canadiens, qui avaient visité St. Christopher et y avaient travaillé, ont décidé d'importer ce modèle de soins de fin de vie au Canada. En 1974, la première unité de soins palliatifs a été inaugurée à l'hôpital général Saint-Boniface, à Winnipeg, et, un mois plus tard, c'était au tour de l'hôpital Royal Victoria, à Montréal, d'inaugurer son unité.

Plus tôt ce mois-ci, soit le 8 octobre, nous avons célébré la Journée mondiale des soins palliatifs, une nouvelle journée d'action pour célébrer et appuyer les soins palliatifs partout dans le monde et pour amener la population à comprendre la nécessité et l'importance des soins palliatifs. Par le truchement d'activités comme celle-ci et comme la Marche pour les soins palliatifs et la Semaine nationale des soins palliatifs, la voix de dame Saunders continuera de se faire entendre pendant que nous veillons à ce que tous les Canadiens et les gens partout dans le monde aient accès aux meilleurs soins possibles à la fin de leur vie.


AFFAIRES COURANTES

LE BUDGET PRINCIPAL DES DÉPENSES DE 2005-2006

DÉPÔT DE LA RÉPONSE DU GOUVERNEMENT AU DEUXIÈME RAPPORT INTÉRIMAIRE DU COMITÉ DES FINANCES NATIONALES

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, conformément au paragraphe 131(3) du Règlement du Sénat, j'ai l'honneur de déposer deux exemplaires de la réponse du gouvernement aux recommandations contenues dans le onzième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

(1420)

[Français]

GÉNOME CANADA

DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL DE 2004-2005

L'honorable Bill Rompkey : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de Génome Canada pour l'année 2004-2005.

[Traduction]

LA COMMISSION DES REVENDICATIONS DES INDIENS

DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL DE 2003-2004

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, deux exemplaires du rapport annuel de la Commission des revendications des Indiens de 2003-2004.

LA LOI SUR LES TÉLÉCOMMUNICATIONS

PROJET DE LOI MODIFICATIF—PREMIÈRE LECTURE

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi sur les télécommunications.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous ce projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Tardif, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

PROJET DE LOI MODIFICATIF—PREMIÈRE LECTURE

L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition) présente le projet de loi S-45, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous ce projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Kinsella, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)

[Français]

AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

AVIS DE MOTION VISANT À AUTORISER LE COMITÉ À REPORTER LA DATE DE LA PRÉSENTATION DE SON RAPPORT FINAL SUR L'ÉTUDE SUR LE STATUT BILINGUE DE LA VILLE D'OTTAWA

L'honorable Lise Bacon : Honorables sénateurs, je donne avis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l'ordre du Sénat adopté le mercredi 13 avril 2005, la date de présentation du rapport final du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur les pétitions déposées durant la troisième session de la trente-septième législature, demandant au Sénat de déclarer Ottawa ville bilingue et d'examiner le bien-fondé de modifier l'article 16 de la Loi constitutionnelle de 1867, soit reportée du 27 octobre 2005 au 30 juin 2006.

AVIS DE MOTION VISANT À REPORTER LA DATE DE LA PRÉSENTATION DE SON RAPPORT FINAL SUR L'ÉTUDE DES DISPOSITIONS NON DÉROGATOIRES CONCERNANT LES DROITS ANCESTRAUX ET ISSUS DE TRAITÉS EXISTANTS DES PEUPLES AUTOCHTONES

L'honorable Lise Bacon : Honorables sénateurs, je donne avis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l'ordre du Sénat adopté le mercredi 3 novembre 2004, la date de présentation du rapport final du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur les conséquences de l'inclusion, dans la loi, de dispositions non dérogatoires concernant les droits ancestraux et issus de traités existants des peuples autochtones du Canada aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, soit reportée du 31 octobre 2005 au 30 juin 2006.

SÉCURITÉ NATIONALE ET DÉFENSE

AVIS DE MOTION VISANT À AUTORISER LE COMITÉ À DÉPOSER TOUT RAPPORT AUPRÈS DU GREFFIER PENDANT L'AJOURNEMENT DU SÉNAT

L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, je donne avis, au nom de l'honorable sénateur Kenny, que, à la prochaine séance du Sénat, il proposera :

Que le Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer tout rapport auprès du greffier du Sénat si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

LE SÉNAT

LA LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1867—LE DROIT DES SÉNATEURS D'AVOIR UNE DOUBLE CITOYENNETÉ

L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Il sait sans doute que, dans les médias, on s'interroge sur l'application du paragraphe 31(2) de la Loi constitutionnelle. Pour la gouverne de tous les sénateurs, présents et futurs, le ministre peut- il nous dire s'il a l'intention de demander un avis auprès du conseiller juridique de l'État? Le cas échéant, aura-t-il l'obligeance de nous en faire part?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Kinsella de sa question et de m'exposer ainsi les faits.

Comme l'a dit le sénateur, on a parlé de cette question hier dans les journaux, notamment dans un article de Jack Aubry dans l'Ottawa Citizen. Les problèmes constitutionnels sont généralement très complexes, et s'ils touchent par surcroît la citoyenneté, alors il se peut qu'ils soient un peu plus difficiles à saisir pour le grand public. C'est que certains aspects de cette question concernent à la fois la Constitution et la citoyenneté.

Nous connaissons tous les exigences relatives à la nomination des sénateurs prévues à l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1867. Par exemple, le sénateur mandé doit être âgé de 30 ans révolus, être domicilié dans la province pour laquelle il est nommé, avoir dans cette province des propriétés d'une valeur d'au moins 4 000 $ et être sujet-né ou sujet naturalisé de la reine.

L'article 23 ne dit pas que les sénateurs ne doivent pas être sujets- nés ou sujets naturalisés de tout autre pays, mais stipule seulement que les sénateurs doivent être sujets-nés ou sujets naturalisés de la reine. Il n'y est pas fait mention de la double citoyenneté.

Les honorables sénateurs connaissent également les articles 30 et 31, qui prescrivent les cas dans lesquels les sièges des sénateurs deviendront vacants. Aux termes de l'article 31 :

Le siège d'un sénateur deviendra vacant [...] :

2. S'il prête un serment, ou souscrit une déclaration ou reconnaissance d'allégeance, obéissance ou attachement à une puissance étrangère, ou s'il accomplit un acte qui le rend sujet ou citoyen, ou lui confère les droits et les privilèges d'un sujet ou citoyen d'une puissance étrangère.

En clair, cela signifie que, pour que son siège devienne vacant, le sénateur devra accomplir une action dans l'avenir, soit, plus précisément, prêter serment ou souscrire une déclaration ou encore accomplir un acte qui le rendra citoyen d'un autre pays.

Dans le libellé du paragraphe 31(2), il n'est pas dit qu'un sénateur sera démis de ses fonctions en raison d'un statut permanent dont il jouissait déjà. En effet, le paragraphe 31(2) dit plutôt que le sénateur sera démis de ses fonctions s'il accomplit un acte qui le rend sujet ou citoyen d'une puissance étrangère.

En ce qui me concerne, il ne fait donc aucun doute que si un sénateur jouissait déjà de la double citoyenneté avant sa nomination, alors il ne pourra être démis de ses fonctions du seul fait qu'il avait au préalable la double citoyenneté. Ce que je comprends, donc, c'est que le sénateur ne pourra être démis de ses fonctions que s'il devient sujet ou citoyen d'une puissance étrangère après sa nomination.

(1430)

Comme les honorables sénateurs le savent, les règles régissant la citoyenneté étrangère couvrent une vaste gamme de possibilités. Ainsi, des enfants nés au Canada d'un parent ayant la citoyenneté d'un autre pays peuvent être admissibles à la citoyenneté de ce pays ou, dans certains cas, devenir automatiquement citoyens de ce pays.

Je crois aussi comprendre que certains pays imposent des restrictions lorsqu'il s'agit de renoncer volontairement à sa citoyenneté. Par conséquent, même si on décidait de donner du paragraphe 31(2) une interprétation inexacte en considérant qu'il exige la renonciation à la citoyenneté étrangère, ce pourrait être difficile à obtenir dans certains cas.

Un certain nombre de situations hypothétiques pourraient survenir en raison d'une citoyenneté obtenue préalablement. Par exemple, si un sénateur qui a la double citoyenneté commence à recevoir une pension d'un pays étranger, c'est-à-dire un avantage que celui-ci confère généralement à ses nationaux, est-ce à dire qu'il accomplit un acte qui « lui confère les droits et les privilèges d'un sujet ou citoyen d'une puissance étrangère »? Ce pourrait être le cas, par exemple, d'un jeune Canadien qui sert dans les forces armées d'un autre pays, comme les États-Unis.

Nous faisons face à cette situation depuis la Confédération. À ce chapitre, nous avons interprété la Constitution de manière sensée : un siège ne devient pas vacant parce qu'un sénateur détenait préalablement la double citoyenneté, et le sénateur n'est pas obligé de renoncer à sa double citoyenneté.

Je ne connais pas de sénateur qui ait acquis une double citoyenneté après avoir été nommé au Sénat, mais nous savons tous que certains sénateurs ont été nommés à la Chambre haute alors qu'ils détenaient préalablement la double citoyenneté. Il y a actuellement huit sénateurs qui sont aujourd'hui au service de la Chambre haute et qui ne sont pas nés au Canada.

À ma connaissance, aucun sénateur ne laisse entendre que cela a nui à la conduite des travaux du Sénat.

Je tiens aussi à signaler qu'en raison du nombre croissant de Canadiens qui sont nés à l'extérieur du Canada, on risque fort de voir, dans l'avenir, un nombre accru de personnes ayant la double citoyenneté parmi celles qui seront nommées au Sénat. C'est le reflet de la diversité canadienne, une des forces de notre pays. Je pense que le fait de nommer au Sénat des personnes de tous les horizons canadiens continuera d'enrichir notre institution.

Comme les honorables sénateurs le savent, aux termes de la Charte des droits, il n'est pas nécessaire d'être citoyen canadien pour se prévaloir des droits qui y sont garantis.

Enfin, d'après l'article 33 de la Loi constitutionnelle de 1867, toute question relative aux qualifications d'un sénateur ou à une vacance au Sénat « sera entendue et décidée par le Sénat ». À ma connaissance, aucun fait pouvant déclencher l'application de l'article 33 n'a été reproché à un sénateur quelconque.

Les articles parus dans la presse semblent suggérer que la double citoyenneté doit automatiquement entraîner l'exclusion. Cela n'est vrai ni sur le plan juridique ni sur le plan constitutionnel. Je regrette vraiment que l'Ottawa Citizen ait publié son article sous le titre « Les sénateurs ayant une double nationalité manquent aux règles ». Cela n'est tout simplement pas le cas. Je regrette tout autant l'éditorial paru aujourd'hui dans le Calgary Herald et qui commence par ces mots : « On ne peut pas plaider l'ignorance de la loi. » Je crois que les auteurs de ces articles devraient réexaminer leur propre compréhension de la loi.

Je remercie le sénateur Kinsella de m'avoir donné l'occasion de faire cette déclaration.

Des voix : Bravo!

LA SANTÉ

LA CONFÉRENCE DES PREMIERS MINISTRES—LES POINTS DE REPÈRE RELATIFS AUX TEMPS D'ATTENTE

L'honorable Wilbert J. Keon : Honorables sénateurs, ma question au leader du gouvernement au Sénat concerne les résultats de la réunion fédérale-provinciale tenue en fin de semaine par les ministres de la Santé au sujet des points de repère relatifs aux temps d'attente.

Comme les honorables sénateurs le savent, j'ai eu l'honneur d'assister à la partie de la réunion qui a traité de la santé mentale. Je ne suis pas au courant des détails précis de l'entente concernant les points de repère.

Si j'ai bien compris, il a été convenu d'établir une première série de repères fondés sur des données concrètes d'ici la fin de cette année, ce qui signifie que les ministres pourraient établir un point de repère pour un seul type de traitement dans chacun des cinq secteurs prioritaires définis dans l'accord sur la santé. Cette entente semble donc promettre des temps d'attente définis pour cinq interventions ou tests.

Le leader du gouvernement au Sénat peut-il nous dire quand des mesures concrètes seront prises? Autrement dit, cette entente sera-t- elle accompagnée d'un plan de mise en œuvre déterminant à quel moment les points de repère seront établis?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, d'après les observations formulées par le ministre de la Santé, l'honorable Ujjal Dosanjh, les participants ont réalisé des progrès en ce qui concerne la définition des critères scientifiques pour l'établissement des points de repère. Je crois savoir que les provinces ne voient pas d'inconvénient à aller de l'avant pour la mise en place des repères, conformément aux décisions prises lors de la réunion des premiers ministres sur la santé, l'année dernière. Les ministres tiennent cependant à ce que les repères soient établis sur une base objective fondée sur des données scientifiques. Il y a des experts du domaine. Nous avons discuté la semaine dernière de l'opinion d'un expert qui pensait que quelques repères de certaines catégories pourraient être mis en place avant la fin de l'année.

Le sénateur Keon : Honorables sénateurs, le communiqué publié par la réunion des ministres de la Santé n'indique ni combien de repères seront inclus dans la première série ni quand nous pouvons nous attendre à avoir une série complète. Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il se renseigner à cet égard? Je comprends bien qu'il ne dispose pas de la réponse aujourd'hui, mais peut-il aller aux renseignements pour nous dire combien de temps il faudra, d'après le gouvernement fédéral, pour établir une série complète de repères concernant les temps d'attente? Y a-t-il maintenant une nouvelle date cible pour atteindre ce résultat?

Le sénateur Austin : Je suppose que le sénateur Keon parle des temps d'attente dans les cinq secteurs prioritaires dont il a été question. Je vais me renseigner. J'espère obtenir des réponses plus précises pour l'honorable sénateur.

LES RELATIONS CANADO-AMÉRICAINES

L'ACCORD SUR LE BOIS D'ŒUVRE RÉSINEUX

L'honorable Donald H. Oliver : Honorables sénateurs, ma question au leader du gouvernement au Sénat porte sur le bois d'œuvre résineux. Elle se subdivise en trois parties distinctes.

D'abord, quand le premier ministre a-t-il l'intention de défendre les intérêts du Canada dans le différend relatif au bois d'œuvre résineux d'une façon pouvant aboutir à des résultats concrets?

Ensuite, quand le premier ministre a-t-il l'intention de développer auprès de notre partenaire commercial le plus important le genre d'influence qu'exerçait l'ancien premier ministre Brian Mulroney?

Enfin, qu'est-ce que le leader peut nous dire au sujet de la déclaration attribuée au ministre Jim Peterson dans le National Post d'aujourd'hui, selon laquelle le gouvernement aimerait trouver des moyens de lier nos exportations d'énergie aux États-Unis pour régler le différend relatif au bois d'œuvre résineux?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, les questions posées par l'honorable sénateur Oliver sont en fait des déclarations politiques. Les assertions sur lesquelles se fondent les questions sont inexactes. Le premier ministre défend les intérêts du Canada comme aucun premier ministre récent ne l'a fait.

Le sénateur Oliver ne suit pas vraiment les affaires publiques, ou bien alors il était à l'étranger parce que le premier ministre a établi clairement qu'il défend les intérêts du Canada.

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur Oliver : Encore un coup bas.

Le sénateur Austin : Hier encore, le premier ministre disait que le fait de défendre les intérêts du Canada ne pouvait pas nuire aux relations bilatérales avec les États-Unis et que cela fait partie de ses fonctions.

Je n'ai pas de commentaire à formuler sur les relations entretenues par l'ancien premier ministre Mulroney avec les États-Unis, tout simplement parce que cela incite à faire des comparaisons qui n'ont pas leur place aujourd'hui.

Pour ce qui est de M. Peterson, il n'a pas établi de lien entre le commerce, l'énergie et le différend relatif au bois d'œuvre résineux.

(1440)

Le sénateur Oliver : C'est justement ce qui ressort de la citation, mais je ne m'attendais pas à ce que le leader l'accepte.

Ma question complémentaire est la suivante : lorsque le premier ministre Martin a nommé Frank McKenna, du Nouveau- Brunswick, ambassadeur aux États-Unis, les libéraux y ont vu le début d'une nouvelle ère dans les rapports diplomatiques entre le Canada et ce pays. Cependant, M. McKenna n'a pas répondu aux attentes. On peut même dire que, plus le temps passe, plus l'exercice de ses fonctions comme ambassadeur du Canada auprès des États- Unis suit la courbe du rendement décroissant.

La question complémentaire que j'adresse au leader du gouvernement au Sénat a trait en partie aux commentaires récents de l'ambassadeur, qui a parlé de dysfonctionnement pour qualifier le système politique américain. Ainsi, compte tenu de l'incapacité de M. McKenna d'exercer une influence véritable dans son rôle actuel, comme en témoigne la frustration qu'il a manifestée dans son dérapage verbal récent, le gouvernement actuel est-il disposé à envisager la proposition fort raisonnable du Parti conservateur de nommer un envoyé spécial chargé exclusivement de résoudre le différend concernant le bois d'œuvre?

Le sénateur Austin : Honorables sénateurs, les fabulations politiques qui entourent la question du sénateur Oliver me divertissent au plus haut point. Il faut dire, cependant, que l'ambassadeur McKenna effectue un travail exceptionnel en tant que représentant du Canada aux États-Unis.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Austin : Je pense que le sénateur Oliver et certains de ses collègues de l'autre côté ne savent pas faire la différence entre le fait de représenter le Canada avec vigueur et intégrité et le fait de se plier aux exigences des États-Unis. Ils estiment peut-être que telle est la meilleure façon de représenter les intérêts du Canada aux États- Unis. Il suffit pour cela d'analyser les déclarations faites par le chef de l'opposition à l'autre endroit concernant les intérêts canadiens, notamment pour ce qui est de sa propension à appuyer les États- Unis dans leur politique visant l'Irak.

Honorables sénateurs, sans vouloir devenir tendancieux au sujet du rôle de l'ambassadeur McKenna, je tiens à dire que la secrétaire d'État des États-Unis, Condoleezza Rice, est à Ottawa depuis hier pour des discussions bilatérales concernant un certain nombre de questions portant sur les rapports entre le Canada et les États-Unis. L'ambassadeur McKenna joue un rôle dans ce contexte, tout comme l'ambassadeur des États-Unis, et les discussions se déroulent de façon constructive et efficace. Il ne correspond pas à l'intérêt national du Canada de poser des questions comme celles que pose le sénateur Oliver, à moins que ce dernier n'ait quelque chose de précis à reprocher à l'ambassadeur McKenna.

[Français]

L'honorable Jean-Claude Rivest : Honorables sénateurs, le ministre a fait référence à la visite de la secrétaire d'État du gouvernement américain. S'il est vrai que l'honorable premier ministre défend les intérêts du Canada face aux États-Unis, le ministre peut-il, d'une façon concrète et immédiate, pour illustrer son affirmation de la qualité de la défense des intérêts du Canada à laquelle se livre le premier ministre du Canada, confirmer que Mme Rice aurait remis au gouvernement canadien les trois ou quatre milliards de dollars que les États-Unis doivent au Canada en vertu de l'accord de libre- échange dans le dossier du bois d'œuvre?

[Traduction]

Le sénateur Austin : Honorables sénateurs, je ne demanderais pas mieux que de confirmer que les entretiens entre la secrétaire d'État, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères ont abouti à une capitulation totale des États-Unis dans le dossier du bois d'oeuvre, mais je ne crois pas que quiconque s'attende de façon réaliste à ce que je puisse le faire.

Quant à la première partie de la question de l'honorable sénateur, je me demande s'il est au courant que le premier ministre a pris la parole devant l'Economic Club de New York au cours des trois dernières semaines et a fait clairement valoir le point de vue du Canada sur l'ALENA et le dossier du bois d'oeuvre, ainsi que sur les obligations des États-Unis aux termes de l'ALENA.

L'EFFICACITÉ DES INITIATIVES DIPLOMATIQUES

L'honorable David Tkachuk : Honorables sénateurs, j'en reviens à la question du sénateur Oliver. Il ne fait de bien à personne de critiquer la façon dont le sénateur Oliver qualifie l'attitude du Canada envers les États-Unis. Il n'est guère utile au Sénat que le leader laisse entendre que le Canada n'a pas remporté une victoire dans le dossier des pluies acides ou que le premier ministre Mulroney n'a pas défendu les intérêts du Canada, car il l'a toujours fait. En ce qui concerne l'Afrique du Sud, le premier ministre Mulroney a tenu tête aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, il a tenu tête à d'autres dirigeants conservateurs de toute la planète à ce propos. Il a aussi tenu bon dans le dossier du bouclier antimissile et celui de la souveraineté dans l'Arctique.

Tous ceux qui siègent de ce côté-ci ont les intérêts du Canada à coeur, non ceux du Parti libéral. À bien des reprises, les premiers ministres Chrétien et Martin n'ont pas joué franc jeu avec les Américains. Je me souviens de l'attitude du premier ministre dans le dossier de l'Irak. Le gros problème, ce n'était pas nos divergences de vues. C'est plutôt le fait que le premier ministre a dit que l'administration pouvait connaître notre point de vue en écoutant CNN. Ce n'est pas une façon de traiter des voisins. Ce n'est pas ainsi que je traiterais un voisin. Ce n'est pas comme cela que les sénateurs de ce côté-ci traiteraient un voisin. Le premier ministre peut continuer à se comporter de la sorte et croire qu'il finira par l'emporter, mais il se trompe.

Le sénateur Austin : C'est une question ou un discours?

Le sénateur Tkachuk : J'essaie de faire valoir un point que vous avez vous-même abordé.

Le sénateur LeBreton : Vous n'arrêtez pas de faire des discours.

Le sénateur Tkachuk : Vous en avez fait un, et je vais faire le mien.

Le sénateur Austin : Vous ne faites que poser des questions, et j'y réponds.

Le sénateur Tkachuk : Vous pouvez commenter, si vous le souhaitez.

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Merci. Je m'empresse d'intervenir pour commenter le discours du sénateur Tkachuk.

D'abord, je tiens à lui dire mon admiration pour l'adresse avec laquelle il sait prononcer un discours pendant la période des questions.

Le sénateur LeBreton : Vous excellez dans cet art-là.

Le sénateur Austin : J'admire également sa capacité de rappeler dans son discours une série de politiques du gouvernement Mulroney. En fait, il n'y avait dans mon intervention aucune raison pour qu'il se lance dans ce discours. J'ai simplement dit que je n'entendais pas aborder la question en me reportant au premier ministre Mulroney parce que son époque et celle-ci sont différentes.

Le sénateur LeBreton : Vérifiez la transcription.

Le sénateur Tkachuk : Ne la modifiez pas.

Le sénateur Austin : C'est tout ce que j'ai dit à propos du premier ministre Mulroney.

Je comprends que le rôle du sénateur Tkachuk est de justifier sans cesse le passé.

Le sénateur LeBreton : Vous en avez fait vos délices pendant des années.

Le sénateur Austin : Je n'ai d'opinion défavorable sur aucune des politiques que le sénateur a énumérées. D'une façon ou d'une autre, l'histoire jugera des réalisations du gouvernement Mulroney.

Le sénateur LeBreton : C'est déjà fait.

Le sénateur Austin : Les éditoriaux des sénateurs ne changeront rien, ni en bien ni en mal, à ce jugement.

Je tiens à dire clairement aux honorables sénateurs que, à notre époque, le Canada et les États-Unis ont d'excellentes relations. Nous avons des entretiens de haut niveau sur toute une série de dossiers. Toutefois, je veux aussi clairement faire comprendre que le Congrès américain réagit en fonction de sa perception de questions qui se posent à l'échelle mondiale. Les Américains ont des politiques sur le commerce, ils en ont sur la délocalisation de l'activité manufacturière. Il y a des politiques intérieures aux États-Unis. Ce n'est plus l'ère Mulroney, mais une ère différente. Nous devons tenir compte des divergences de vues, et il nous faut aussi exiger que les États-Unis honorent leurs obligations lorsque la dernière instance de l'ALENA rend son jugement. Telle est la position du gouvernement du Canada sur la question du bois d'oeuvre, et c'est à partir de cette position que nous voulons entamer des négociations avec les États-Unis.

(1450)

FINANCES NATIONALES

L'INVITATION ADRESSÉE AU PRÉSIDENT À PRONONCER UN DISCOURS SUR LA PRÉSENCE DES MINORITÉS VISIBLES DANS LA GRANDE ENTREPRISE

L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au sénateur Oliver, président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je crois savoir que son comité poursuivra des travaux qui l'amèneront en Irlande et au Royaume-Uni au cours des prochains jours. Une heureuse occasion se serait présentée lorsque le haut-commissaire du Canada à Londres a envoyé une invitation à l'honorable sénateur pour qu'il prononce un discours public sur la diversité, ce qui est tout à l'honneur du Sénat. Est-ce bien exact, et l'honorable sénateur reçoit- il de l'aide pour faire ce voyage?

L'honorable Donald H. Oliver : Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Oui, c'est exact. Je suis très honoré de cette invitation. J'aimerais vous lire le texte de l'avis qui a été diffusé par le haut- commissariat du Canada, tel que rédigé par le haut-commissaire du Canada à Londres :

Le haut-commissariat du Canada à Londres, conjointement avec l'opération Black Vote, aimerait vous inviter cordialement à assister à une table ronde avec l'honorable sénateur Don Oliver, le lundi 7 novembre à 18 heures, à la Maison du Canada, située à Trafalgar Square, à Londres.

Le sénateur Oliver a joué un rôle important dans les efforts en vue de sensibiliser les grandes entreprises canadiennes à l'absence des minorités visibles parmi leurs cadres supérieurs.

Déjà, son rapport novateur, intitulé Maximizing the Talents of Visible Minorities — An Employer's Guide, a eu un effet important dans le monde des affaires.

Lors de la table ronde, le sénateur Oliver donnera un aperçu du rapport et répondra aux questions, mais il souhaite également écouter ce qu'ont à dire les membres de la minorité noire et des minorités ethniques au Royaume-Uni. Il souhaite s'enrichir de leur expérience. Ce sera l'occasion pour des activistes, des politiciens et des gens d'affaires de nouer des relations avec des partenaires potentiels au Canada.

La réunion durera au plus une heure et demie. Un goûter et des rafraîchissements seront servis.

On me dit que le leader du gouvernement au Sénat s'oppose à ce que j'accepte cette invitation.

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Pourrais-je savoir qui a raconté une chose pareille au sénateur Oliver?

Le sénateur Oliver : Le leader du gouvernement nie-t-il qu'il a essayé de m'empêcher de prononcer ce discours?

Le sénateur Austin : Absolument. Pourquoi voudrais-je empêcher l'honorable sénateur de prononcer un discours? Qui vous a raconté une chose pareille? C'est absolument faux.

Le sénateur Rompkey : Rétractez-vous!

Le sénateur Stratton : Il vous traite de menteur.

Le sénateur Rompkey : Rétractez-vous.

Son Honneur le Président : Sommes-nous prêts à passer à l'ordre du jour?

L'honorable Terry Stratton (leader adjoint de l'opposition) : Non, non et non. Je ne peux pas laisser passer cela, même si le sénateur Oliver, lui, le peut. Je demande au leader du gouvernement au Sénat de retirer cette affirmation jusqu'à ce qu'on ait élucidé cette affaire.

Le sénateur Austin : C'est hors de question. Rien ne permet de croire, de quelque façon que ce soit, que j'ai mentionné que le sénateur Oliver ne devrait pas prendre la parole là où il le désire, et sur le sujet de son choix. C'est une affirmation inadmissible.

Le sénateur Stratton : Vous ne semblez pas hésiter à le traiter de menteur.

Le sénateur Austin : J'ai dit ce que je voulais dire. Si vous voulez poursuivre cette dispute, vous être libre de le faire, et ce, de la manière qui vous conviendra.

Je tiens à préciser que je n'ai jamais eu de conversation avec le sénateur Oliver à propos du lieu, du moment ou du sujet de ce discours. C'est inadmissible.

[Français]

RÉPONSES DIFFÉRÉES À DES QUESTIONS ORALES

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de présenter deux réponses différées à des questions orales posées au Sénat. La première réponse différée concerne une question posée le 20 octobre 2005 par le sénateur Tkachuk au sujet de l'enregistrement de M. David Dingwall comme lobbyiste.

[Traduction]

La seconde est une réponse à une question orale posée le 18 octobre 2005 par le sénateur Murray concernant la Société Radio- Canada.

L'INDUSTRIE

M. DAVID DINGWALL—L'ENREGISTREMENT COMME LOBBYISTE POUR BIONICHE LIFE SCIENCES INC.

(Réponse à la question le 20 octobre 2005 posée par l'honorable David Tkachuk)

Le ministère, d'après les travaux des vérificateurs externes, a déterminé que l'entreprise avait manqué à certaines de ses obligations aux termes des ententes de contribution de PTC. Par suite de cette détermination, le ministère a adressé un avis de défaut à Bioniche.

Le gouvernement et Bioniche ont par la suite convenu de corriger la situation.

Un rapport provisoire, rendu public en septembre, a confirmé que des entreprises ne s'étaient pas conformées aux modalités relatives au paiement d'honoraires proportionnels aux résultats et au recours à des lobbyistes non inscrits. Ces pratiques sont interdites, et le ministère a immédiatement pris des mesures.

Lorsque les entreprises ont été jugées en rupture de leur entente, nous avons demandé et obtenu des paiements correspondant aux montants payés ou payables par les entreprises à leurs lobbyistes, et recouvré les coûts liés à la vérification. Le vérificateur général approuve notre démarche. Les intérêts des contribuables sont protégés.

LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

LE LOCK-OUT—LA PARTICIPATION DU CONSEIL D'ADMINISTRATION

(Réponse à la question posée le 18 octobre 2005 par l'honorable Lowell Murray)

  • En tant que société d'État, la CBC/Radio-Canada est un organisme autonome du gouvernement, responsable de l'administration de ses opérations et de ses activités quotidiennes, y compris celles liées notamment à la négociation de contrat avec les syndicats.

  • La question soulevée par l'honorable sénateur portant sur le rapport entre le conseil d'administration et les cadres supérieurs de la CBC/Radio-Canada relativement à la récente interruption de travail est du ressort de la CBC/ Radio-Canada.

  • Le conflit de travail a été réglé grâce à la négociation collective entre la Guilde canadienne des médias et la CBC/Radio-Canada et avec l'aide du Service fédéral de médiation et de conciliation, organisme désigné par l'honorable Joseph Frank Fontana, ministre du Travail et du Logement. Il était, et serait, inopportun de la part du gouvernement d'intervenir dans ce dossier.

  • Un exemplaire du profil du conseil d'administration de la CBC/Radio-Canada est mis en annexe.

(L'exemplaire du profil figure à l'annexe, p. 1996.)


ORDRE DU JOUR

PROJET DE LOI SUR LA PROTECTION DES FONCTIONNAIRES DIVULGATEURS D'ACTES RÉPRÉHENSIBLES

DEUXIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable David P. Smith propose : Que le projet de loi C-11, Loi prévoyant un mécanisme de divulgation des actes répréhensibles et de protection de divulgateurs dans le secteur public, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, le projet de loi C-11, intitulé « Loi prévoyant un mécanisme de divulgation des actes répréhensibles et de protection de divulgateurs dans le secteur public », porte le titre abrégé de Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles. Bref, tout ce projet de loi traite de la transparence, de l'obligation de rendre compte, de la responsabilité financière et de l'éthique au sein du secteur public fédéral.

Honorables sénateurs, il arrive à l'occasion qu'un projet de loi finisse par être l'objet d'un consensus. C'est le cas de ce projet de loi. Je ne voudrais pas laisser entendre que le consensus existait au départ, mais je crois qu'il s'est fait. Cela n'arrive pas souvent. Quand cela se produit, ce n'est pas parce que le gouvernement qui présente le projet de loi, peu importe le parti qui forme le gouvernement, est la source de toute sagesse sur la question, même si l'on voudrait bien le croire. Je doute toutefois que ce soit le cas. À mon avis, il faut que plusieurs éléments entrent en jeu pour qu'un projet de loi finisse par faire consensus.

Premièrement, il doit y avoir un véritable besoin de légiférer sur le sujet. La protection des divulgateurs est difficile à contester. Deuxièmement, le projet de loi doit reposer sur des éléments solides, pas nécessairement parfaits pour commencer, mais solides. Je dirais que ces éléments sont les suivants : une raison d'être, des objectifs et des mécanismes raisonnables et pratiques permettant d'atteindre ces objectifs.

Si, au départ, le projet de loi peut vraiment être qualifié de solide sans être parfait, que faut-il encore pour qu'il fasse consensus? Premièrement, il doit y avoir la participation des autres parties parlementaires et non parlementaires. Je dirais que, dans ce cas particulier, cela s'est produit. Deuxièmement, une écoute associée à une ouverture d'esprit est nécessaire des deux côtés au Sénat, et j'insiste sur l'« ouverture d'esprit ». Comment peut-on savoir quand on est en présence de ces quatre éléments : la raison d'être, un cadre solide, des participants de bonne foi et une écoute associée à une ouverture d'esprit?

Permettez-moi de suggérer quelques tests déterminants. Au départ, il est important de comprendre que le projet de loi C-11 a été précédé d'une autre mesure : le projet de loi C-25. Le sénateur Kinsella avait aussi parrainé un projet de loi qui portait sur le même sujet. Les deux projets de loi du gouvernement ont été présentés en 2004, l'un avant les élections et l'autre après. Les chiffres que je vais citer se rapportent aux deux projets de loi, mais les deux avaient été présentés la même année.

Premièrement, en ce qui concerne les audiences, le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes a tenu 33 réunions sur le sujet des divulgateurs.

(1500)

Il y a eu 27 réunions à propos du projet de loi C-37, soit celui que nous étudions, et 6 à propos de son prédécesseur, le projet de loi C- 25, pour un total de 33 réunions.

Sur la question des divulgateurs, on a entendu au total 113 témoins, dont 82 ont parlé du projet de loi C-11 et 31 du projet de loi C-25. Parmi les témoins, il y a eu des représentants de 76 organisations et 37 personnes ont comparu à titre individuel.

On a adopté 52 amendements, y compris des amendements proposés par des députés de l'opposition et dont certains avaient une importance fondamentale.

Vingt amendements ont fait l'objet de votes, mais n'ont pas été adoptés. On peut supposer que cela a donné lieu à de vifs débats. Ce chiffre n'inclut pas les amendements retirés. Six n'ont pas été proposés formellement et un a été jugé inadmissible. Au bout du compte, 52 amendements qui avaient été présentés par les diverses partis ont été adoptés.

Ce processus n'est pas sans précédent, mais il n'est certainement pas courant. Les critères que je considère pertinents — le besoin, les éléments de base, la participation et une grande ouverture d'esprit de la part de tout le monde — étaient tous là. Comment savons-nous que nous avons dépassé ce seuil? Le projet de loi a été adopté à l'unanimité à la Chambre des communes. Cela n'arrive pas souvent. Au départ, un consentement unanime aurait été impossible. L'unanimité est donc le résultat du processus que j'ai mentionné.

Je devrais peut-être préciser que rien de ce que j'ai dit ne vient d'un ministère fédéral. Ce sont mes propres perceptions de la façon dont ce projet de loi controversé qui traite d'un sujet important a été adopté à l'unanimité.

Je voudrais maintenant aborder les éléments de base du projet de loi.

Le projet de loi C-11 est important, tant par son contenu que par le processus démocratique qui a présidé à son élaboration. S'il est adopté, il donnera au Canada l'un des cadres législatifs les plus forts à l'appui d'une conduite éthique dans le secteur public fédéral. Il contribuera à établir dans le secteur public un climat dans lequel les employés peuvent honnêtement et ouvertement exprimer des préoccupations au sujet d'éventuels actes répréhensibles, sans craindre des représailles. Il encouragera les fonctionnaires à divulguer de tels actes, tout en assurant un processus équitable aux personnes mises en cause.

Il est essentiel que les gens comprennent que la protection de ceux qui font des dénonciations dans l'intérêt public ne peut pas être efficace si les plaintes ne sont pas faites de bonne foi. Une plainte peut se fonder sur des faits erronés. Cela est acceptable, mais si elle est présentée dans un but malveillant ou diffamatoire, alors les protections mentionnées dans le projet de loi ne sont pas garanties, et ne devraient pas l'être. Il est important d'agir d'une façon équilibrée.

Le projet de loi dont nous sommes saisis est le fruit d'un débat public ouvert et énergique. Comme je l'ai dit, tous les partis y ont contribué.

Passons en revue quelques caractéristiques du projet de loi. Tout d'abord, il s'applique non seulement à la fonction publique, mais aussi à l'ensemble du secteur public fédéral, y compris les ministères, les organismes fédéraux distincts et les sociétés d'État. Il s'applique également aux membres de la GRC. Je devrais peut-être préciser que cette modification a été proposée par un député conservateur et appuyée par un député libéral. Il est juste de dire que, dans ce cas particulier, les députés ont mis de côté les divergences partisanes.

Les organismes expressément soustraits à l'application du projet de loi — le Centre de la sécurité des télécommunications, le SCRS et les Forces canadiennes — n'en sont pas totalement exemptés. Chacun de ces organismes doit établir son propre régime de divulgation et de protection contre les représailles, sur le modèle de celui du projet de loi, et persuader le Conseil du Trésor qu'il l'a fait d'une manière satisfaisante.

Deuxièmement, le projet de loi donne une définition assez large de l'expression « acte répréhensible », de façon à y inclure toute activité de l'administration publique ou relative à l'administration publique. La définition n'est pas limitée aux activités des fonctionnaires. Un acte répréhensible comprend une violation de la loi, l'utilisation abusive de fonds publics, une mauvaise gestion grave, le fait de mettre en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens ou de l'environnement et un manquement sérieux à un code de conduite. De plus, toute forme de représailles — et c'est là le plus important —faisant suite à une divulgation constitue un acte répréhensible. C'est l'une des protections importantes contenues dans le projet de loi. Je parlerai en détail de ces protections.

Troisièmement, le projet de loi permet de divulguer des renseignements au sujet d'un acte répréhensible possible. Autrement dit, les fonctionnaires n'ont pas à être absolument certains pour divulguer un acte répréhensible. Je souligne encore une fois, cependant, qu'on suppose qu'ils agissent de bonne foi. Autrement, ils ne bénéficient pas de cette protection.

Quatrièmement, même si le projet de loi vise les fonctionnaires, le commissaire à l'intégrité du secteur public sera habilité à ouvrir une enquête par suite d'une dénonciation reçue d'une personne autre qu'un fonctionnaire. Si le commissaire reçoit une dénonciation, il peut instituer une enquête.

Cela m'amène à une importante caractéristique du projet de loi, dont les honorables sénateurs ont peut-être entendu parler. Il s'agit bien sûr de l'établissement d'un nouveau commissariat à l'intégrité du secteur public, à titre de tierce partie neutre chargée de recevoir les divulgations. Je ne crois pas que cette disposition faisait partie du projet de loi parrainé par le sénateur Kinsella. Il n'a pas pu l'inclure parce qu'une telle nomination aurait nécessité le consentement royal.

Bien sûr, le sénateur Kinsella peut en parler lui-même, mais je crois qu'il conviendra que le résultat final de ce processus est satisfaisant parce que nous avons maintenant une disposition prévoyant la nomination d'un commissaire à l'intégrité du secteur public.

Le commissaire recevrait les divulgations dans l'administration publique, les soumettrait à une enquête et présenterait son rapport. Il aurait des pouvoirs d'enquête et d'autres pouvoirs équivalant à ceux des autres mandataires du Parlement, comme les commissaires à l'information et à la protection de la vie privée et la vérificatrice générale. Il ou elle — je ne peux m'empêcher de mentionner que les notes initiales disaient « elle », ce qui, j'en suis sûr, n'était pas accidentel — présenterait directement son rapport au Parlement sur une base annuelle ou à tout autre moment si c'est nécessaire.

Même si la nomination d'un mandataire du Parlement — une personne indépendante — constitue un aspect important du projet de loi, pour que cette mesure soit efficace, les fonctionnaires doivent être certains que leur divulgation n'entraînera pas de représailles.

Le défi, dans une mesure de ce genre, est d'en arriver à un équilibre adéquat entre l'ouverture et la transparence, d'une part, et la protection des divulgateurs, de l'autre. Au cours des derniers mois, cette question a fait l'objet d'un grand débat. Des améliorations ont été apportées au projet de loi pour en arriver à l'équilibre voulu. Je crois qu'on a réussi en prévoyant de rendre publics les documents relatifs aux divulgations, en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, dans un délai raisonnable, soit cinq ans. Entre-temps, les documents, le processus d'enquête et l'identité des divulgateurs seraient protégés. Ainsi, ces personnes auront suffisamment confiance pour divulguer les actes répréhensibles dont elles sont témoins.

Le projet de loi C-11 comporte de fortes garanties de la confidentialité et une bonne protection contre les représailles pour les fonctionnaires divulgateurs. Ceux-ci sont tout d'abord libres de faire une divulgation dans leur propre organisme ou de s'adresser au commissaire à l'intégrité du secteur public. Ils ont le choix. Ensuite, leur identité est protégée dans la mesure du possible. Enfin, si malgré tous les efforts, leur identité est révélée, le projet de loi permet de les muter temporairement s'ils craignent des représailles.

(1510)

Si des fonctionnaires croient avoir été victimes de représailles malgré les mesures dont je viens de parler, ils doivent porter plainte en conséquence aux conseils des relations de travail qui ont le pouvoir de remédier à la situation et d'ordonner notamment le versement d'une indemnisation. Ils disposent également d'un délai raisonnable pour présenter leurs plaintes. Toutes ces dispositions visent à donner aux fonctionnaires une meilleure confiance s'ils ont des actes répréhensibles à divulguer.

Je voudrais également préciser quelques points qui ont été soulevés au cours des débats publics et parlementaires. Je tiens à souligner une fois de plus sans aucune équivoque que les fonctionnaires peuvent s'adresser directement au commissaire pour divulguer des actes répréhensibles. Comme je l'ai déjà dit, ils peuvent également recourir à un mécanisme interne s'il s'agit d'une question qu'ils préfèrent soulever à l'intérieur de leurs propres organisations.

Je souligne aussi que le projet de loi vise tout d'abord à prévenir les actes répréhensibles, puis à gérer les cas d'actes répréhensibles réels ou présumés le plus rapidement et le plus simplement possible. Il s'agit selon moi d'implanter une nouvelle culture.

Ainsi, l'objet des enquêtes du commissaire, aux termes du projet de loi C-11, est de signaler les actes répréhensibles aux administrateurs généraux et de formuler des recommandations pour qu'ils puissent prendre des mesures correctives, car il leur appartient de gérer leurs organisations.

Certains soutiennent que le projet de loi n'est pas assez fort. Il importe de signaler que, si le commissaire n'est pas satisfait de la réponse d'un administrateur général à ses recommandations, il peut saisir de la question le ministre ou, s'il s'agit d'une société d'État, le conseil de direction. Comme je l'ai dit plus tôt, le commissaire peut également remettre au Parlement, au besoin, un rapport spécial distinct de son rapport annuel. Ce processus ne veut aucunement dire qu'il n'y a pas de sanctions ni de conséquences qui découlent d'actes fautifs.

En plus de toutes les sanctions déjà prévues dans la loi ou des conséquences de manquements à des lois ou règlements, toutes les sanctions administratives disponibles dans le processus disciplinaire ordinaire peuvent s'appliquer aux fonctionnaires, ce qui peut aller jusqu'au renvoi.

Certains ont aussi demandé que les divulgateurs soient récompensés, citant en exemple le système américain. Il en a été question, mais c'est une erreur de croire que les fonctionnaires américains sont récompensés monétairement lorsqu'ils dénoncent des actes répréhensibles. Je le répète, c'est une erreur. Aucune récompense n'est prévue par le Whistleblower Protection Act.

Les citoyens peuvent intenter des poursuites au nom du gouvernement contre des particuliers ou des sociétés qui ont fraudé le gouvernement, auquel cas ils peuvent conserver une partie du produit aux termes du False Claims Act. Les fonctionnaires américains ne reçoivent aucune récompense monétaire pour leurs dénonciations. C'est une voie dans laquelle le Canada ne veut pas s'engager, je crois. Honorables sénateurs, il serait contraire à nos valeurs de le faire.

S'il est vrai que personne ne devrait avoir à subir un préjudice parce que, de bonne foi, il a essayé de protéger l'intégrité d'institutions du secteur public, nous ne voulons pas vivre non plus dans une société qui doit proposer des avantages monétaires pour que ses membres fassent ce que dicte leur devoir.

Voilà qui m'amène au grand objectif général du projet de loi C-11 : instaurer un climat favorable à l'expression des valeurs de service public. L'objectif est un climat, dans le secteur public, qui favorise et appuie un comportement constructif, et dans lequel ce comportement constitue une norme; un climat dans lequel les fonctionnaires sont à l'aise pour parler des problèmes et les surveillants sont également à l'aise pour s'y attaquer avant qu'ils ne deviennent graves.

Voilà pourquoi le projet de loi exige que le ministre chargé de l'Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada fasse la promotion de pratiques éthiques dans le secteur public et d'un climat propice à la divulgation des actes répréhensibles. C'est pourquoi, dans le projet de loi, le gouvernement s'engage à créer une charte des valeurs du service public qui énoncera les valeurs qui doivent guider les fonctionnaires dans leur travail et leur comportement professionnel.

Enfin, c'est pour cette raison que le Conseil du Trésor doit établir un code de conduite du secteur public et que les dirigeants des organisations du secteur public doivent également établir des codes de conduite propres à leurs organisations, mais fidèles au code du Conseil du Trésor.

Ce sont là les éléments principaux du projet de loi proposé sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles. Le projet de loi prévoit un large régime de divulgation des actes répréhensibles, suffisamment large pour englober toutes les situations qui pourraient surgir. Cette mesure repose sur de solides protections et d'autres dispositions qui encouragent les fonctionnaires à signaler tout ce qui peut être un acte répréhensible, et elle se situe dans un cadre législatif qui appuie les solides valeurs de service, d'intégrité et d'honnêteté que des centaines de milliers de Canadiens ont exprimées comme fonctionnaires depuis que le Canada est né.

Les origines du projet de loi C-11 remontent à 2003. Il est l'aboutissement d'un projet de loi antérieur sur la divulgation qui avait fait l'objet de bien des interventions, sur lequel le comité avait beaucoup travaillé et que l'autre endroit avait longuement débattu, mais dont l'étude n'a pas abouti à cause des élections déclenchées au printemps 2004. Ce projet de loi antérieur, c'est bien entendu le projet de loi C-25.

Le projet de loi a été révisé à la lumière des points de vue recueillis pendant son étude à l'autre endroit, et il a été présenté de nouveau en octobre 2004.

Je tiens également à signaler aux honorables sénateurs que, quand le projet de loi sera adopté, s'il l'est, notre participation à cette loi sur la divulgation ne sera pas terminée. Nous aurons l'occasion et la responsabilité de vérifier comment la loi est appliquée.

Par exemple, comme je l'ai dit il y a un moment, le projet de loi exige que le Conseil du Trésor établisse, en consultation avec les syndicats des employés et les agents de négociation, un code de conduite du secteur public. Il ne faut pas sous-estimer l'importance de ce code. Aux termes de la loi proposée un manquement sérieux au code est considéré comme un acte répréhensible grave. Le code une fois élaboré, les parlementaires pourront l'étudier, car il sera déposé dans les deux Chambres au moins 30 jours avant son entrée en vigueur.

De plus, si le projet de loi est adopté, il faudra choisir et nommer un commissaire à l'intégrité du secteur public. La nomination sera approuvée par les deux Chambres, ce qui nous permettra de participer au choix du bon candidat pour occuper ce poste important.

Bien sûr, à titre de mandataire du Parlement, le nouveau commissaire ne relèvera pas d'un ministre, mais devra rendre comptes directement au Parlement. Il lui remettra un rapport annuel et, comme je l'ai déjà dit, il lui sera possible de présenter des rapports spéciaux au besoin.

Enfin, le projet de loi C-11 exige aussi un examen de la loi proposée cinq ans après son entrée en vigueur. Cette exigence est incluse dans le projet de loi. Cet examen permettra au Parlement d'évaluer le fonctionnement de la mesure législative et de déterminer si elle a des conséquences imprévues et si des changements s'imposent.

En conclusion, lorsque le projet de loi sera adopté, le cas échéant, les membres de cette assemblée joueront un rôle important, soit veiller à ce qu'il soit bien appliqué. Nous aurons la responsabilité de voir à ce que le projet de loi aide véritablement à rétablir la confiance des Canadiens dans leurs institutions publiques, en améliorant la transparence et la responsabilisation de la gestion publique.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-11 représente la conciliation des divergences partisanes. Les quatre partis ont manifestement réussi à s'entendre à la Chambre des communes, ce qui était très rafraîchissant à voir. Le projet de loi C-11 est aussi synonyme de l'accomplissement d'un travail difficile, mais enrichissant, qui consiste à collaborer et à créer la meilleure mesure législative possible dans l'intérêt des Canadiens.

Bien plus, le projet de loi C-11 valorise le rôle important que joue la fonction publique dans nos institutions démocratiques. Il vise à créer au sein de la fonction publique un climat — je dirais plutôt une culture — qui permette à la majorité de fonctionnaires honnêtes et dévoués de continuer à faire de leur mieux pour servir le gouvernement et les Canadiens, et qui les encourage à continuer.

Son Honneur le Président : Accepterez-vous de répondre à une question, sénateur Smith?

Le sénateur Smith : Oui.

L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition) : Tout d'abord, honorables sénateurs, je veux féliciter le sénateur Smith pour son explication du principe qui sous-tend le projet de loi C-11. Le Sénat connaît le dossier, car il l'a examiné en principe. Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a étudié le projet de loi C-11 attentivement et il a entendu des témoignages sur quelques autres projets de loi sur la dénonciation dont nous avons été saisis. Je suis conscient des progrès faits, et j'ai la conviction que les efforts consentis par tous les honorables sénateurs ont facilité l'étude du projet de loi dans ses différentes versions avant de l'amener jusqu'à l'étape actuelle.

(1520)

Le sénateur Smith a bel et bien admis que le projet de loi n'était pas parfait, qu'il pouvait présenter certaines lacunes. Notre rôle, en tant que sénateurs, consiste justement à vérifier si les mesures législatives proposées comportent des lacunes et à suggérer des amendements en vue de les combler.

Le sénateur Smith possède une vaste expérience et une grande connaissance des parlementaires, et j'ai la certitude qu'il se rappellera la promesse du livre rouge de 1993 et les écrits de son chef à l'époque. Pourquoi, selon lui, a-t-il fallu tant d'années pour que la Chambre des communes adopte un projet de loi en matière de divulgation d'actes répréhensibles alors que le chef du Parti libéral d'alors, M. Chrétien, avait promis au début des années 1990 que ce projet de loi compterait parmi les premiers à être déposés par son parti s'il était élu? Je me demande, en tant qu'historien, pourquoi il a fallu tant de temps.

Le sénateur Smith : Honorables sénateurs, je suis certain que la question a été posée en toute objectivité et en toute bonne foi, alors je tenterai d'y répondre en faisant preuve aussi d'objectivité et de bonne foi. La réponse, la voici : je ne sais pas.

Le sénateur Di Nino : C'est une réponse honnête. Bravo.

Le sénateur Smith : Je suppose qu'il devait toujours y avoir des affaires plus pressantes à régler. Oui, je dois l'admettre, il aurait été préférable de s'occuper de ce dossier plus tôt. Je pense aussi que le projet de loi d'intérêt privé du sénateur Kinsella a permis d'établir, sur la Colline du Parlement, un consensus favorable à l'idée qu'il était temps de faire avancer la question. Lorsque le projet de loi a été mis aux voix à la Chambre des communes — j'y ai consacré pas mal de temps aujourd'hui —, il a fait l'unanimité. C'est une occasion bien rare. Je dois néanmoins admettre que cela a pris trop de temps.

Le sénateur Kinsella : Ma deuxième question à l'intention du sénateur Smith est la suivante : l'honorable sénateur a suivi le débat de façon assidue, et je suis forcé d'avouer que je n'ai pas assisté tous les jours aux délibérations de la Chambre des communes ou de son comité. Comme il l'a expliqué, le projet de loi a fait l'objet d'une foule d'amendements, dont bon nombre ont été proposés par des collègues de mon propre parti à l'autre endroit. En conséquence, le projet de loi qui nous vient de l'autre endroit constitue, en quelque sorte, un projet de loi consensuel.

Beaucoup de témoins ont été entendus par le comité de la Chambre des communes, après quoi des amendements ont été proposés. Bon nombre d'entre eux ne reconnaîtraient plus le projet de loi sur lequel ils ont été appelés à témoigner devant le comité. Ai- je raison de penser, à l'examen du compte rendu de l'autre endroit, qu'une bonne partie de ces témoins — les « parties intéressées », comme on les appelle — n'ont pas vraiment eu la chance de se prononcer sur le projet de loi C-11 tel qu'il nous parvient de l'autre endroit?

Le sénateur Smith : Honorables sénateurs, je devrais repasser soigneusement toute la liste pour être en mesure de bien répondre à cette question. Je pense que, dans certains cas, les mêmes témoins sont venus exposer leur point de vue sur le projet de loi C-25, puis, après les élections, sur le projet de loi C-11.

Pour en revenir à la question que m'a posée le sénateur plus tôt, je ne peux m'empêcher de faire remarquer que nous avons l'occasion, en tant qu'institution, de démontrer que nous sommes capables de nous acquitter de notre tâche avec la diligence qu'il fallait.

Le sénateur Kinsella : J'en arrive ainsi à formuler un argument que je considère extrêmement important et qui, je l'espère, gagnera l'appui de tous les sénateurs. Ces nombreux témoins ont une longue expérience à partager concernant toute la question des divulgateurs, y compris le fait d'avoir subi des représailles lorsqu'ils avaient courageusement divulgué des actes répréhensibles présumés. Les sénateurs qui siègent à notre comité étudieront soigneusement ce projet de loi et, au cours de cette étude, nous entendrons ces témoins. Nous prendrons notre temps. Nous ferons une étude sérieuse. En particulier, nous entendrons les nombreux témoins qui n'ont pas pu faire part aux parlementaires de leur opinion sur le projet de loi tel qu'il a été présenté au Sénat. En effet, le projet de loi a été considérablement modifié à l'étape de l'étude en comité à l'autre endroit.

Le sénateur sait-il si un premier document a été rédigé concernant les questions que pose la Charte et qui peuvent toucher les fonctionnaires et, si c'est le cas, a-t-il vu ce document?

Le sénateur Smith : Je sais qu'on a beaucoup discuté de ce sujet, mais je n'ai pas vu de tel document.

Je suis d'accord sur les observations qu'a faites le sénateur plus tôt. Je crois également que la plupart des sénateurs souhaitent que ce projet de loi soit adopté avant les prochaines élections. Nous y parviendrons si nous mettons l'épaule à la roue, avec la diligence voulue.

L'honorable Marcel Prud'homme : Honorables sénateurs, je suis heureux de participer brièvement en posant une question. Comme tout sénateur devrait le faire, j'ai écouté attentivement les observations du sénateur. Quand le projet de loi sera étudié au comité, je me pencherai sur l'exception qu'il prévoit. Le sénateur pourrait-il parler de cette exception?

Le sénateur Smith et moi nous connaissons depuis longtemps. Nous nous connaissions il y a 45 ans, comme jeunes libéraux; il en va de même du sénateur Grafstein et de quelques autres. Nous sommes toujours ici.

Le SCRS et la GRC sont exclus des dispositions de ce projet de loi. Cependant, ils devront mettre en place des mécanismes de divulgation et de protection contre les représailles qui satisferont le Conseil du Trésor. Je ne suis pas de ceux qui tremblent dans leurs souliers à l'idée d'approcher le SCRS et la GRC, ayant traité avec ces deux organismes à diverses occasions. Cependant, je voudrais être certain de ce qu'on entend faire. J'assisterai aux réunions du comité chargé d'étudier le projet de loi pour savoir pourquoi ces organismes sont exclus. Le Conseil du Trésor va-t-il simplement se déclarer satisfait parce que le SCRS et la GRC lui auront dit que les divulgateurs ne seront pas punis? S'il y a un endroit où la divulgation règne de nos jours, c'est bien le SCRS. Pourtant, ces deux organismes sont exclus des dispositions du projet de loi.

Le sénateur Smith : Au départ, la GRC ne devait pas être exclue, mais par suite d'un amendement proposé par un député conservateur et appuyé par un député libéral, la GRC est maintenant incluse. Les organismes exclus sont le Centre de la sécurité des télécommunications, le SCRS et les Forces canadiennes. Ces organismes sont tenus de mettre en place leurs propres mécanismes de divulgation et de protection contre les représailles, conformément aux exigences du Conseil du Trésor. La GRC est incluse. Je suis certain que le sénateur connaît la mentalité des établissements de la défense et de la sécurité. Ils devront se doter de mécanismes qui leur seront propres et qui seront compatibles.

(1530)

Le sénateur Prud'homme : À cause justement de leur mentalité, je pense que nous devrions nous pencher là-dessus au comité.

L'honorable Serge Joyal : Pourrais-je poser une autre question?

Le sénateur Spivak : Je voudrais proposer l'ajournement du débat et intervenir sur cette question demain.

Le sénateur Joyal : Le sénateur a dit dans son exposé que le commissaire à l'intégrité du secteur public serait un mandataire du Parlement. Sauf erreur, c'est l'expression qu'il a utilisée.

En parcourant rapidement le projet de loi — je remercie le sénateur Robichaud de m'en avoir fourni un exemplaire —, j'ai noté aux articles 38 et 39 qu'il semble exister une certaine confusion au sujet de l'expression « mandataire du Parlement ». Je m'explique.

L'honorable sénateur se souviendra que lorsque nous avons adopté récemment le projet de loi créant la fonction de conseiller sénatorial en éthique, il y était clairement dit que le conseiller était un mandataire du Parlement. Le projet de loi précisait en outre qu'il exerçait ses responsabilités au sein de l'institution du Sénat et qu'il jouissait du privilège du Sénat et des sénateurs. Pour moi, ce projet de loi était clair. Il n'y a aucun doute que le conseiller est un mandataire du Parlement, c'est-à-dire un prolongement du Sénat. Le conseiller exerce un pouvoir du Sénat, soit le pouvoir disciplinaire que lui a reconnu la Cour suprême. C'est au sein de cette assemblée que le conseiller exerce son rôle et ses responsabilités.

Quand l'honorable sénateur dit que le commissaire à l'intégrité du secteur public est un mandataire du Parlement, je reconnais qu'aux termes du paragraphe 39(1), il est nommé après approbation de la nomination par résolution du Sénat et de la Chambre des communes. Je reconnais que, d'après le paragraphe 38(5), le commissaire dépose un rapport annuel au Parlement, auprès de l'honorable Président. Toutefois, on se rend compte à la lecture d'autres dispositions du projet de loi que le commissaire a le rang et les pouvoirs d'un administrateur général de ministère. C'est au paragraphe 39.1(1). De plus, d'après le paragraphe 39.2(3), il est réputé être employé de la fonction publique aux fins de la Loi sur la pension de la fonction publique. On a donc l'impression qu'il porte deux chapeaux différents.

L'honorable sénateur conclut dans son exposé que le nouveau commissaire est un mandataire du Parlement. Nous devons donc considérer qu'il constitue un prolongement du Sénat. Il exerce le pouvoir du Sénat, probablement avec la protection que cela lui assure. En même temps il semble faire partie de la fonction publique, ce qui le place, non au Sénat, mais dans l'administration. La distinction est peut-être mince, mais elle est importante si cette personne doit agir au nom du Sénat et jouer le rôle de mandataire du Parlement.

Lorsque le commissaire exerce ses fonctions aux termes de la loi, il semble, d'après la façon dont ces fonctions sont décrites, qu'il agirait au nom du Sénat et non pour le compte de l'administration. Il y a une petite distinction entre les deux, honorables sénateurs. Je sais que vous ne voudrez pas répondre en détail, mais je crois que le comité devrait examiner cette question. Nous devons vraiment comprendre la situation de ce poste et son indépendance par rapport à l'administration. En effet, le commissaire a la responsabilité, qui est en même temps celle du Sénat, de veiller à protéger tout membre de l'administration qui pourrait faire l'objet de représailles de la part de ses supérieurs par suite de la divulgation d'un acte répréhensible.

Je crois qu'il y a une petite différence entre les deux, que je ne vois pas dans le projet de loi, à moins que je ne me trompe. Il y a ici une certaine confusion.

Le sénateur Smith : C'est une question précise, qui mérite une réponse bien pensée.

Je comprends où l'honorable sénateur veut en venir. Je ne crois pas qu'en précisant le rang d'un mandataire du Parlement, on porte atteinte à son titre de mandataire du Parlement. Je crois que notre conseiller en éthique a un rang semblable. Bien sûr, les mandataires du Parlement peuvent être révoqués sur adresse conjointe du Sénat et de la Chambre des communes.

Ce sont des questions qui relèvent de l'interprétation juridique, mais elles sont très importantes. Je suis sûr que le comité s'en occupera. Je souhaite en tout cas qu'il le fera.

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'ai écouté ce débat avec un certain intérêt. Ayant fait beaucoup de recherches sur l'histoire des mandataires du Parlement, j'ai découvert qu'il s'agit d'une notion relativement récente.

On trouve dans l'histoire du Parlement beaucoup de mandataires de la Chambre des communes ou du Sénat. Par exemple, notre greffier, M. Bélisle, est un mandataire du Sénat, de même que notre conseiller en éthique, qui est lui aussi un mandataire du Sénat et non, comme l'a dit le sénateur Joyal, un mandataire du Parlement.

Je tiens à le préciser parce que je suis par ailleurs bien d'accord avec le sénateur Joyal : le comité sénatorial doit faire toutes les recherches nécessaires afin de s'assurer que les moyens constitutionnels appropriés sont utilisés pour créer ce nouveau poste. J'exhorte les membres du comité — je constate que son président est absent pour le moment — à étudier très soigneusement ce point particulier.

Pendant que nous procédions à l'examen d'un projet de loi ou d'une autre question, il y a quelques années, un témoin a comparu devant nous, le professeur Smith si ma mémoire est bonne, qui a affirmé dans son témoignage ne pas avoir pu trouver grand-chose sur les mandataires du Parlement. Je pense, et je devrais le vérifier, que le terme « mandataire du Parlement » a fait son apparition dans l'histoire parlementaire canadienne au moment de l'élaboration de la nouvelle Loi sur le vérificateur général, il y a bien des années, à la suite de toute cette crise entourant le vérificateur général James MacDonnell et de la création subséquente de la nouvelle Loi sur le vérificateur général.

Je ne suis pas totalement convaincue que ce soit un instrument constitutionnel approprié ou souhaitable et que nous devions l'utiliser dans le cadre de ce qu'on appelle la loi sur les dénonciateurs. Il est possible que les résultats de l'enquête et de l'étude du comité suffisent pour me convaincre que c'est la bonne façon de procéder. Cependant, si je soulève ce point, c'est pour mettre en lumière l'importance de cette position sur le plan constitutionnel.

Ce n'est pas mon style d'utiliser en anglais un mot argotique comme « whistleblower ». Cependant, nous devons être sûrs que nous sommes sur la bonne voie. Dans le cas contraire, nous engendrerons une entité qui sera une nouvelle créature constitutionnelle ne figurant pas dans la Constitution. Cette créature causera sans aucun doute une série de problèmes et de troubles que personne d'entre nous n'a encore pu contempler ou même imaginer.

(1540)

La question que je veux poser à l'honorable sénateur concerne précisément le point que je viens de soulever, en gardant à l'esprit le caractère éphémère de l'existence constitutionnelle de ces mandataires du Parlement. Le sénateur pourrait-il nous dire pourquoi il a été convenu qu'un mandataire du Parlement pourrait s'acquitter des fonctions définies dans le projet de loi?

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'informe le sénateur Smith que son temps de parole est écoulé. L'honorable sénateur souhaite-t-il demander la permission de continuer?

Le sénateur Smith : Bien entendu. Je me ferai un plaisir d'essayer de répondre à la question de l'honorable sénateur Cools.

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Ce côté-ci est d'accord pour accorder au sénateur la permission de continuer cinq minutes.

Le sénateur Smith : Je crois comprendre que l'autre endroit a fixé son choix sur un mandataire du Parlement en concluant que ce rôle et cette fonction devraient être confiés à une personne qui relèverait du Parlement plutôt que de l'administration uniquement. Je suis d'accord avec ce raisonnement. Le témoin que madame le sénateur Cools a mentionné était bel et bien le distingué professeur David Smith de l'Université de la Saskatchewan.

Le sénateur Cools : Peu de personnes semblent être au courant du fait que la reine est le chef du Parlement. Celui-ci n'a pas le pouvoir de créer ses propres postes de mandataires. C'est la raison pour laquelle je soulève cette singularité. Chaque chambre du Parlement a ceci de particulier que ses mandataires sont nommés par la prérogative royale de Sa Majesté. La Chambre des communes et le Sénat n'ont pas le pouvoir de nommer leurs mandataires, greffiers et juristes ni de créer de tels postes, alors je ne vois pas comment le Parlement entend s'y prendre. J'ai fait beaucoup de recherche, et j'aimerais qu'on m'éclaire. L'honorable sénateur Smith sait-il si, du côté du gouvernement, en proposant cette mesure législative, on a tenu compte de ces questions constitutionnelles épineuses? Je sais que le gouvernement a tendance à dire « il en est ainsi » et que, par conséquent, la loi dit ce que le gouvernement dit. Eh bien, je ne suis pas toujours d'accord avec cette façon de voir les choses. Le gouvernement s'est-il penché sur la question épineuse de la création d'un tel poste de mandataire du Parlement chargé de travailler dans ce genre de situations?

Le sénateur Smith : Je répondrai brièvement oui, le gouvernement a examiné la question. Si cela peut la consoler, je dirai à madame le sénateur Cools que je crois au régime monarchique et que je l'appuie, mais si cela signifie tenir le gouvernement enfermé dans un carcan de sorte qu'il ne puisse plus bouger, alors je devrai y repenser. Je ne crois pas que le régime monarchique nous impose un carcan. Quand une méthode cadre avec les principes de saine gestion des affaires publiques et qu'il y a une volonté d'agir, alors on trouve toujours les moyens. Je pense que les députés, dans l'autre endroit, ont trouvé les bons moyens.

Le sénateur Cools : Je vois que l'honorable sénateur a ses propres convictions, qu'il nous a exposées, mais je crois que la loi transcende les convictions. Quel pouvoir constitutionnel autorise la création de ce poste de mandataire du Parlement?

Le sénateur Smith : Ces questions sont étudiées sous tous les angles par les autorités compétentes au Conseil privé, dont les capacités inspirent peut-être des réserves chez madame le sénateur. Néanmoins, ces personnes sont très sensibilisées aux questions soulevées par l'honorable sénateur. La méthode décrite dans le projet de loi cadre avec les principes de saine gestion des affaires publiques.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, le débat est ajourné.)

LE CODE CRIMINEL

PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Mobina S. B. Jaffer propose : Que le projet loi C-49, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, c'est avec grand plaisir, mais aussi avec une certaine tristesse, que j'interviens aujourd'hui pour appuyer fermement le projet de loi C-49, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes). D'une part, je suis très heureuse que les Canadiens prennent les mesures nécessaires pour faire cesser ce crime haineux qu'est la traite des personnes. D'autre part, je suis extrêmement triste de savoir que ce genre d'activité déplorable a lieu dans le monde, surtout à l'intérieur même de nos frontières.

Honorables sénateurs, la semaine dernière, j'étais à Abuja, au Nigeria, où j'ai rencontré les représentants de l'agence nigériane nationale pour la prohibition de la traite des personnes, ou NAPTIP. J'ai également rencontré neuf jeunes filles, âgées de 12 à 15 ans, qui, il y a quelques jours à peine, ont été rescapées dans une gare d'autobus. Ces jeunes filles étaient avec une femme — au Nigeria, ces femmes sont appelées des «Madams» — qui s'apprêtait à les vendre comme domestiques à Lagos et, plus tard, lorsqu'elles seraient un peu plus âgées, pour servir d'esclaves sexuelles en Italie. Toutes ces jeunes filles fréquentaient l'école, mais leurs parents les avaient vendues à une maquerelle nigériane.

Lors de mon entretien avec ces jeunes filles, je me suis vraiment prise d'affection pour une fillette de 12 ans qui était d'une grande innocence. Nombre de jeunes filles comme elle ne sont pas rescapées. Je me sens vraiment privilégiée de pouvoir appuyer le projet de loi C-49 parce qu'il vise à défendre des fillettes comme ma petite amie nigériane.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-49 est important non seulement parce qu'il prévoit de nouvelles dispositions contre la traite des personnes, mais aussi à cause des valeurs qui le sous- tendent.

[Français]

Il témoigne des idéaux et des valeurs de la société canadienne en ce qu'il vise à interdire les violations criminelles des droits fondamentaux de la personne. Il témoigne de l'engagement du gouvernement vis-à-vis de ces valeurs. Il donne effet à l'engagement pris par le gouvernement lors du discours du Trône de proposer des modifications au droit pénal en vue de lutter plus efficacement contre la traite des personnes.

[Traduction]

Pour comprendre l'importance de ce projet de loi, les sénateurs doivent connaître les conséquences dévastatrices que peut avoir le trafic d'êtres humains sur ceux qui en sont victimes. Je vais vous lire l'histoire d'une femme appelée Neary, qui figure dans le rapport sur le trafic d'êtres humains de 2005 des États-Unis.

Neary a grandi au Cambodge, à la campagne. Ses parents sont morts lorsqu'elle était toute jeune et, afin de lui assurer une vie meilleure, sa sœur lui a trouvé un mari lorsqu'elle avait 17 ans. Trois mois plus tard, Neary et son mari sont allés visiter un village de pêcheurs. Son mari a loué une chambre dans ce que Neary croyait être une auberge. Quand elle s'est réveillée le lendemain matin, son mari était parti. Le propriétaire de la maison lui a dit que son mari l'avait vendue pour 300 $ et qu'elle était dans un bordel.

Pendant cinq ans, Neary a été violée par cinq à sept hommes tous les jours. En plus de souffrir d'agressions sexuelles et physiques brutales, Neary a été infectée par le VIH et a contracté le sida. Le propriétaire du bordel l'a jetée à la rue quand elle a commencé à être malade, et elle s'est retrouvée dans un refuge local. Elle est morte du VIH-sida à l'âge de 23 ans.

Neary a été victime du trafic d'êtres humains. Elle vivait au Cambodge, mais elle aurait tout aussi bien pu subir le même sort si elle avait vécu ailleurs dans le monde, y compris au Canada. Le projet de loi C-49 s'adresse à des gens comme Neary, ma jeune amie nigériane et bien d'autres.

(1550)

C'est une mesure qui concerne les gens. Elle concerne la protection des valeurs fondamentales que sont la sécurité et la dignité humaines et auxquelles nous tenons en tant que Canadiens. À l'étape de la troisième lecture de ce projet de loi à la Chambre des communes, le ministre de la Justice a dit :

... la véritable mesure de l'engagement d'une société à l'égard des principes de l'égalité et de la dignité humaine se traduit dans la façon dont elle protège ses membres les plus vulnérables. Voilà l'objet du projet de loi C-49. Ce dernier vise à définir plus clairement la traite des personnes comme une attaque persistante et répandue contre les droits de la personne, et à la dénoncer.

Ce sont là les principes fondamentaux qui servent de point de départ au débat sur le projet de loi C-49.

[Français]

Malheureusement, la traite des personnes n'est pas un phénomène nouveau. Tout au long de l'histoire, des personnes ont été vendues et achetées ou échangées comme si elles étaient des marchandises, en violation flagrante de leur dignité humaine et pour le seul avantage de ceux qui cherchaient à les exploiter.

La traite des personnes d'aujourd'hui a beaucoup de points communs avec ces faits historiques, ce qui explique pourquoi elle est souvent appelée la « nouvelle traite internationale des esclaves ».

Alors que les États de la planète s'efforcent de bien saisir le caractère omniprésent de cette activité clandestine, ce que nous en savons est bouleversant et tout simplement incompréhensible.

[Traduction]

Dans un rapport publié en mai 2005, l'Organisation internationale du travail a estimé que, à tout moment, il y a au moins 2,45 millions de personnes qui se trouvent dans des situations de travail forcé à cause du trafic d'êtres humains. Les Nations Unies ont dit que le nombre de personnes qui faisaient l'objet d'un trafic international pouvait atteindre 700 000. De la même façon, les États-Unis, dans leur rapport annuel sur le trafic de personnes, ont situé ce nombre entre 600 000 et 800 000 personnes par année.

Lorsqu'on entend parler de millions, il est difficile de se rappeler que chacune des personnes en cause est un être en chair et en os. Qui sont ces victimes de trafic? Ce sont les marginalisés, les personnes privées de leurs droits, bref, les êtres les plus vulnérables de notre société.

Ce type de crime touche de façon disproportionnée les femmes et les enfants. Ce sont eux qui, régulièrement, sont victimes des pires inégalités juridiques, sociales, économiques et politiques dans le monde entier. Le trafic humain est vraiment un crime qui exploite l'inégalité et qu'encourage la cupidité de ses auteurs.

Le trafic humain prend autant de formes que ses auteurs peuvent en concevoir. L'Organisation internationale du travail estime que 43 p. 100 de tout le travail obtenu au moyen du trafic humain correspond à une exploitation sexuelle commerciale et 32 p. 100 à une exploitation économique. Quant aux 25 p. 100 restants, ces personnes vouées au travail forcé sont soumises à la fois à une exploitation économique et à une exploitation sexuelle commerciale, ou bien elles font l'objet d'un trafic à des fins qu'on n'arrive pas à déterminer.

Les personnes exploitées dans l'industrie du sexe sont forcées d'offrir des services sexuels dans des salons de massage, dans des bordels ou dans la rue. Cette composante du travail forcé est particulièrement importante dans les pays industrialisés, où l'industrie du sexe est un secteur énorme qui est évalué à 12 milliards de dollars par année.

La demande la plus forte se manifeste dans le monde industrialisé. L'OIT estime que, dans les pays industrialisés, la proportion du travail forcé que représente l'exploitation sexuelle peut atteindre 72 p. 100.

Honorables sénateurs, j'ai pris récemment la parole lors d'une conférence sur le trafic humain sous les auspices de l'European Women's Lobby, à Londres. L'accent a été mis sur la demande de trafic, et on s'est préoccupé de la façon dont les grandes manifestations sportives et culturelles dans le monde industrialisé ont favorisé le trafic des femmes et des jeunes filles pour l'exploitation sexuelle dans les pays industrialisés.

L'an prochain, par exemple, lorsque l'Allemagne sera l'hôte de la Coupe mondiale de football de 2006, on estime que de 30 000 à 40 000 femmes seront dirigées vers Cologne pour être vouées à la prostitution pendant une période de quatre semaines. Un mouvement de cette ampleur exige certainement le recours au trafic.

L'exploitation économique peut comprendre le travail forcé comme domestique dans une maison privée ou encore le travail dans les secteurs de l'agriculture, de la construction, du vêtement et de la transformation des aliments. Ce peut être aussi la mendicité forcée ou la participation à des activités illicites comme le transport de drogues.

[Français]

De plus, les types de travaux et de services exigés varient en fonction du lieu où la personne est victime de traite.

Par exemple, les travaux forcés impliquant de l'exploitation sexuelle commerciale sont plus fréquents dans les pays industrialisés, tandis que dans les économies en transition ou en développement, les travaux forcés à des fins d'exploitation économique sont plus courants.

[Traduction]

De plus, dans certaines régions du monde, les enfants courent le risque d'être victimes de traite comme enfants soldats. Il suffit de penser aux pratiques terribles de groupes comme l'Armée de résistance du Seigneur, qui opère dans le nord de l'Ouganda et enlève des enfants, les forçant à servir dans cette armée rebelle, pour prendre conscience de la portée des conséquences négatives de ce crime.

J'ai rencontré certains des enfants qui avaient été enlevés dans le nord de l'Ouganda et ensuite placés dans des centres de détention à Gulu. Les horreurs auxquelles ils ont été soumis sont inimaginables. On leur a lavé le cerveau pour qu'ils fassent du tort à leur propre famille. Ils ont coupé les lèvres ou les oreilles de leur mère et de leurs soeurs. Aujourd'hui, ils sont hébergés dans des centres de détention, car même leur mère et leurs parents ne veulent pas qu'ils rentrent à la maison.

Le plus souvent, ce sont les femmes et les enfants qui sont victimes de ce crime. On a estimé que la moitié de toutes les victimes de la traite d'êtres humains sont des enfants — leur nombre pourrait atteindre 400 000 par année. L'OIT estime dans son rapport que 98 p. 100 des personnes soumises de force à une exploitation sexuelle commerciale sont des femmes et de jeunes filles. Des enfants qui devraient être à l'école et jouer avec leurs amis sont au contraire assujettis à des crimes terribles que nous avons du mal à comprendre. Les femmes et les jeunes filles représentent également 56 p. 100 des personnes qui se retrouvent de force dans une situation d'exploitation économique.

Dans un pays qui s'enorgueillit des mesures qu'il prend pour protéger les personnes vulnérables, ces statistiques constituent un appel. Je crois, honorables sénateurs, que le projet de loi C-49 répond clairement à cet appel et traduit l'engagement du gouvernement de protéger les plus vulnérables.

[Français]

Le projet de loi C-49 propose de modifier le Code criminel et de créer trois nouvelles infractions criminelles afin de mieux lutter contre la traite des personnes.

Ces nouvelles infractions définiront plus clairement cette conduite criminelle et la dénonceront; de plus, elles responsabiliseront davantage les auteurs de ces infractions en leur infligeant des peines plus sévères.

[Traduction]

Même si nos valeurs canadiennes exigent que nous réagissions face à la traite des personnes, il ne faut jamais oublier que notre pays ne fonctionne pas en vase clos. Le Canada participe aux efforts internationaux visant à combattre la traite des personnes et le projet de loi C-49 constitue une mesure importante à cet égard.

Ce projet de loi respecte le cadre international global du Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Le Canada a été l'un des premiers pays à ratifier ce protocole, en mai 2002. Le projet de loi C-49 permettra au Canada de continuer d'être au nombre des pays qui font preuve de leadership à l'échelle internationale dans la lutte contre ce crime terrible.

L'infraction principale de « traite des personnes » proposée dans le projet de loi C-49 interdirait expressément à quiconque de poser des actes précis tels que le recrutement, le transport et l'hébergement d'une autre personne, ou le contrôle de ses déplacements, dans le but d'exploiter cette personne ou de faciliter son exploitation. Cette infraction serait passible d'une lourde peine d'emprisonnement à perpétuité lorsqu'elle comprendrait l'enlèvement, des voies de fait graves ou une agression sexuelle grave, ou qu'elle entraînerait la mort de la victime. Elle serait passible d'une peine maximale de 14 ans d'emprisonnement dans tous les autres cas.

(1600)

[Français]

En plus de l'infraction principale, le projet de loi C-49 propose la création d'une deuxième infraction criminelle visant à décourager ceux qui cherchent à tirer profit de l'exploitation d'autres personnes. Aux termes de cette infraction, il sera illégal de tirer un avantage financier ou autre avantage matériel provenant de la traite des personnes. Cette infraction conduirait à une peine maximale de dix ans d'emprisonnement.

[Traduction]

Il est très important d'inclure cette infraction. Elle vise plusieurs éléments clés de la traite des personnes, qui sont peut-être moins évidents que ceux que comprend la principale infraction, mais sans lesquels la traite des personnes ne serait pas aussi répandue qu'elle l'est à l'heure actuelle.

Premièrement, cela permettrait aux policiers de mieux cibler ceux qui profitent de la traite des personnes même quand ils ne prennent pas part aux actes physiques que suppose ce crime.

Deuxièmement, on s'attaquerait ainsi à une des principales raisons pour lesquelles la traite non seulement persiste, mais prend de l'ampleur; à savoir qu'elle constitue une importante source de revenus. En effet, selon des estimations établies récemment à l'échelle internationale, les profits tirés de cette activité se chiffrent dans les milliards de dollars, ce qui en fait l'une des trois activités les plus rentables pour le crime organisé.

La dernière infraction que crée le projet de loi C-49 est aussi importante parce qu'elle s'attaque au comportement qui est connu comme étant un élément qui aide à perpétuer la traite des personnes. Il arrive fréquemment que les trafiquants retiennent ou détruisent les documents personnels de leurs victimes, notamment leurs passeports, visas ou autres papiers. Il s'agit simplement d'une autre façon pour ceux qui commettent ce crime odieux de contrôler la vie de leurs victimes.

Cette troisième infraction que propose le projet de loi C-49 interdirait la rétention ou la destruction de documents de voyage ou d'identité en vue de perpétrer ou de faciliter la traite des personnes. Cette nouvelle infraction entraînerait une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement.

Les infractions prévues par le projet de loi C-49 ont pour objet de s'attaquer à la racine même de la traite des personnes et à la raison pour laquelle ce crime est si révoltant — l'exploitation des victimes. Peut-être qu'avant tout autre chose, l'exploitation est au coeur de ce comportement criminel. Même si elle représente une partie de notre sujet de discussion, la traite des personnes est plus qu'un simple recrutement et un déplacement illégal de personnes; c'est réellement le fait de s'engager dans cette voie dans le but d'exploiter des victimes. C'est de cette exploitation que ceux qui s'adonnent à la traite des personnes tirent leurs profits, et c'est l'exploitation des victimes qui rend cette activité si déplorable.

Pour paraphraser le groupe d'experts de la traite des personnes de l'Union européenne, je dirai que c'est l'aspect forcé du travail ou des services, y compris la prostitution forcée, qui est l'élément clé de la définition du terme « traite des personnes » qui figure dans le protocole sur cette question. Je dirais que c'est également l'élément clé du projet de loi C-49, et je considère que c'est spécialement réjouissant.

En vertu du projet de loi C-49, le terme « exploitation » décrit le fait d'amener une autre personne à fournir ou offrir de fournir son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s'attendre à ce qu'ils lui fassent croire qu'un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d'une personne qu'elle connaît; ainsi que le fait de l'amener, par la tromperie ou la menace ou l'usage de la force ou de toute autre forme de contrainte, à se faire prélever un organe ou des tissus. Cette définition est large, et avec raison, parce qu'on sait que la traite des personnes peut prendre de nombreuses formes.

[Français]

Les nouvelles infractions proposées conduiraient à des peines sévères. Ces peines sont conformes non seulement au Code criminel, mais aussi aux peines prévues dans les autres pays dans le cadre de leurs lois visant à lutter contre la traite des personnes.

[Traduction]

Après tout, la traite des personnes est un problème mondial. César Chelala, expert-conseil en matière de santé publique internationale, a dit ceci dans l'édition d'hier du Globe and Mail :

Chaque année, des milliers de femmes et filles vietnamiennes sont transportées en Chine. On fait croire à la plupart d'entre elles qu'elles pourront y trouver un bon emploi et un mari. Une fois arrivées en Chine, cependant, beaucoup d'entre elles finissent par mendier, faire du travail forcé ou se prostituer.

Il est important de mentionner que le projet de loi C-49 n'existera pas en vase clos; il s'inscrit dans le cadre législatif que le Canada a élaboré pour protéger les victimes de l'exploitation. Par exemple, en 2002, on a modifié la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la LIPR, pour y ajouter une infraction précise relative à la traite des personnes. Cette infraction vise la traite des personnes qui implique l'entrée illégale et organisée de personnes au Canada. En avril dernier, c'est la Gendarmerie royale du Canada qui s'est pour la première fois servie de l'infraction relative à la traite des personnes prévue par la LIPR pour traduire en justice un propriétaire de studio de massage.

Certaines infractions prévues par le Code criminel sont aussi utilisées pour traduire en justice les auteurs de certains actes souvent associés à la traite des personnes, comme l'enlèvement, les voies de fait, les agressions sexuelles et les infractions impliquant le crime organisé. Le projet de loi C-49 vient renforcer ces dispositions en veillant à ce que les différentes façons dont on peut commettre ces crimes notamment, la traite des personnes qui a entièrement lieu sur le territoire canadien soient couvertes.

En d'autres mots, le projet de loi C-49 mettra de nouveaux outils fort utiles à la disposition des policiers et des procureurs pour que nos lois s'attaquent efficacement à la traite des personnes, quelle que soit la forme que prenne cette activité criminelle au Canada ou son objet.

Les victimes de la traite bénéficieront aussi d'autres récentes réformes du droit pénal. Le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables), a reçu la sanction royale le 20 juillet 2005. Il entrera en vigueur à une date qui reste à déterminer. Ce projet de loi réforme le droit pénal de manière à ce que le système de justice soit plus sensible aux réalités des victimes vulnérables.

[Français]

L'honorable Fernand Robichaud (Son Honneur le Président suppléant) : Sénateur Jaffer, je m'excuse de vous interrompre, mais des terminaux mobiles BlackBerry semblent créer de l'interférence dans le système de son. Je prierais donc les sénateurs qui en font usage actuellement de les fermer afin que nous puissions écouter de façon convenable madame le sénateur Jaffer.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : Par conséquent, les victimes de la traite des personnes peuvent maintenant témoigner avec l'aide d'outils, comme des écrans et des téléviseurs en circuit fermé, ou de personnel de soutien.

[Français]

Honorables sénateurs, le projet de loi C-49 s'inscrit dans la foulée des efforts entrepris par le Canada en vue de lutter contre la traite des personnes. Cela dit, nous sommes conscients que les modifications législatives ne peuvent à elles seules faire échec au fléau que constitue la traite des personnes.

[Traduction]

C'est pourquoi je suis heureuse de savoir que le projet de loi C-49 s'inscrit dans une initiative canadienne plus vaste visant à lutter contre la traite des personnes, à protéger les victimes et à poursuivre les responsables. Le ministre de la Justice a surnommé cette approche les « trois P » : prévenir, protéger et poursuivre. Ce sont les trois piliers de la réaction de la communauté internationale à ce crime.

Le gouvernement a pris des mesures en appui aux trois P, y compris la sensibilisation de la population par l'entremise d'un site Internet, d'affiches et d'un dépliant, qui est offert en 14 langues et qui a été distribué à grande échelle au Canada et à l'étranger, par les ambassades du Canada. L'objectif est de prévenir les gens qui pourraient être exposés à cette forme d'activité criminelle.

Le gouvernement a également appuyé la tenue de tribunes publiques et a offert de la formation professionnelle aux agents de police, toujours dans le but de sensibiliser la population et les milieux professionnels à la traite des personnes et aux stratégies de lutte contre ce crime.

Je crois comprendre que les efforts constants que déploie le gouvernement fédéral pour lutter contre la traite des personnes sont toujours coordonnés par le Groupe de travail interministériel sur la traite des personnes, coprésidé par les ministères de la Justice et des Affaires étrangères, qui s'affaire actuellement à élaborer une stratégie fédérale de lutte contre la traite des personnes.

(1610)

Bref, j'exhorte tous les sénateurs à appuyer ce projet de loi qui va clairement et énergiquement dénoncer ce crime, assurer une protection accrue aux personnes vulnérables et augmenter la responsabilité de ceux qui y participeront.

Honorables sénateurs, je crois que le projet de loi C-49 est une nouvelle affirmation des valeurs fondamentales pour lesquelles le Canada est respecté dans le monde entier. Ces valeurs sont la liberté, l'égalité et la justice. J'espère que tous les honorables sénateurs se joindront à moi pour appuyer vigoureusement l'adoption rapide de ce projet de loi.

[Français]

Son Honneur le Président suppléant : Consentez-vous, sénateur Jaffer, à répondre à une question?

Le sénateur Jaffer : Oui, bien sûr.

[Traduction]

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein : Honorables sénateurs, je crois qu'il s'agit d'un excellent projet de loi. Nous qui avons participé aux activités de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, dont le Canada et les États-Unis sont membres, et avons suivi cette question pendant plus de cinq ans, sommes particulièrement heureux que nos efforts et ceux des Nations Unies ont fini par donner des résultats qui sont incarnés par ce projet de loi.

J'ai quelques questions à poser à l'honorable sénateur au sujet du projet de loi. Je voudrais savoir si sa portée est suffisante, non pas du point de vue de l'application, mais de celui de la protection.

Comme les sénateurs le savent, l'un des problèmes du trafic des êtres humains, c'est que la victime est doublement victime. Les victimes qui sont entraînées dans le processus — une personne, homme ou femme, mais le plus souvent une femme avec des enfants et parfois sans — proviennent des quatre coins de la planète. L'Europe, le Canada et les États-Unis constituent le marché cible. De 15 000 à 20 000 victimes de ce trafic passent par le Canada chaque année. De toute évidence, ce projet de loi a une portée à la fois internationale et intérieure.

Lorsqu'une personne — notamment une femme jeune et vulnérable — est entraînée dans ce processus, pour se libérer de cette prison économique dans laquelle on l'a enfermée, elle se heurte à un problème, celui de sa protection personnelle. Elle est sans papiers, et la question suivante se pose : si elle se révolte contre le système et ceux qui l'ont placée dans cette situation, celle de la traite des personnes, le projet de loi assurera-t-il sa protection, à titre de victime qui a dénoncé cette situation, et lui garantira-t-il un traitement équitable dans le cadre de notre système d'immigration, maintenant qu'elle est ici?

Le sénateur Jaffer : Lorsque j'ai participé au groupe de pression des femmes en Europe, il a été beaucoup question du fait qu'en Europe, en Amérique du Nord et au Canada, on ne fait pas toujours la distinction entre la traite des personnes et l'immigration. J'ai déjà fait valoir un certain nombre de ces cas. Grâce à la Loi sur l'immigration et aux raisons d'ordre humanitaire que prévoit notre système d'immigration, nous avons pu défendre ces femmes qui se sortent de cet enfer. Il reste toutefois beaucoup de travail à faire. Je suis certaine que le comité se penchera sur la question. Outre l'examen de cette question en comité, il s'agit ici de la première étape, des assises. Dans un deuxième temps, nous devrons veiller à ce que notre système d'immigration protège ces femmes.

Le sénateur Grafstein : Je suis heureux de l'entendre. J'espère que le comité examinera cette question et qu'il présentera des preuves nationales et internationales à l'appui de cela parce que les pouvoirs étendus ne donneront rien si les femmes ou les enfants qui sont victimes de cette situation ne croient pas qu'ils seront complètement protégés comme témoins et en raison de leur situation. Sans cette protection, les pouvoirs étendus seront sans effet en raison de la confidentialité et de l'intimidation des victimes.

J'espère que le gouvernement acceptera d'élargir ce projet de loi pour assurer une protection suffisante aux personnes qui sont des victimes. Je ne doute pas que l'éminent sénateur veillera à ce que cet aspect soit pleinement examiné à l'étape de l'étude en comité.

L'Université de Chicago a tenu, sur cette question, un excellent atelier. J'étais un des conférenciers invités. Je serais heureux d'envoyer à l'honorable sénateur une copie du discours que j'ai prononcé sur toutes ces questions.

Le sénateur Jaffer : Je remercie le sénateur de ses observations. Il ne s'agit pas seulement de femmes qui font l'objet de la traite des personnes, mais aussi, en vertu de notre projet de loi en matière d'immigration, de femmes qui sont emmenées au Canada dans le cadre du Programme concernant les aides familiaux résidants. De plus, les femmes qui viennent au Canada pour un mariage par correspondance ou pour un mariage arrangé sont parfois victimes d'une foule de mauvais traitements. Ce sont là tous les défis auxquels nous sommes confrontés, et cela nous permettra d'examiner les étapes suivantes.

L'honorable Serge Joyal : Madame le sénateur accepterait-elle de répondre à une autre question?

Le sénateur Jaffer : Oui.

Le sénateur Joyal : Honorables sénateurs, j'étais de ceux qui pensaient que le tristement célèbre programme des danseuses exotiques était une honte pour le Canada. La plupart de ces personnes ont été recrutées sous le faux prétexte qu'elles travailleraient dans les industries hôtelière et touristique. On leur a fait valoir, bien sûr, qu'elles toucheraient des salaires élevés et qu'elles pourraient même se marier et fonder une famille au Canada de façon permanente. C'est une initiative horrible dans le cadre de laquelle, pour répondre aux besoins du « marché du travail », le Canada a été complice de l'industrie du sexe. Une fois qu'elles étaient au Canada, il semble que personne n'était responsable du sort de ces femmes.

J'ose espérer, honorables sénateurs, que les modifications apportées à l'article 279.01 du Code criminel, grâce à ce projet de loi, sont formulées de manière à empêcher la poursuite de cet horrible programme qui n'aurait jamais dû exister. Si les Canadiennes ne veulent pas de ces postes, c'est qu'elles auraient honte de les occuper. Pourquoi devrait-on maltraiter une étrangère qui fait ce qu'aucune Canadienne ne veut faire? On amène ces femmes ici et on les laisse à elles-mêmes. Elles deviennent victimes de chantage de la part de leurs employeurs.

Honorables sénateurs, si le projet de loi C-49 permet de trouver une solution à la situation dénoncée par madame le sénateur Pépin dans une déclaration qu'elle a faite l'an dernier, je crois que nous devons l'appuyer sans réserve.

Le sénateur Jaffer : Nous pouvons certainement tirer un enseignement de cette situation et une leçon d'humilité de ce qui est arrivé à ces danseuses exotiques. Des situations de ce genre se produisent même dans notre pays et nous ne devrions pas relâcher notre vigilance en nous disant que cela n'arrive pas chez nous.

L'un des problèmes auxquels les femmes sont confrontées lorsqu'elles veulent venir au Canada, c'est le système de pointage injuste. Il arrive que ces horribles programmes de traite soient la seule façon pour ces femmes d'entrer au pays. Lorsque ce projet de loi aura été adopté, nous devrons nous pencher sur la Loi sur l'immigration et sur le traitement inégal qu'elle réserve aux femmes.

L'honorable Gerard A. Phalen : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour appuyer le projet de loi C-49, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes).

Son Honneur le Président : Avant d'accorder la parole au sénateur Phalen, comme nous en sommes à la deuxième intervention à l'étape de la deuxième lecture, nous devrions normalement passer à un orateur de l'autre côté de la Chambre, puisqu'une période de 45 minutes est prévue pour le deuxième discours et qu'elle n'est pas accordée automatiquement. Elle est seulement donnée au deuxième orateur. En général, nous prenons certaines dispositions spéciales et quelqu'un prend la parole pour proposer l'ajournement. Nous pourrions alors obtenir le consentement et je pourrais alors donner la parole au sénateur Phalen.

L'honorable Marjory LeBreton : Honorables sénateurs, nous avons accepté d'accorder la parole au sénateur Phalen à la condition que les 45 minutes du sénateur Andreychuk ne soient pas entamées.

Son Honneur le Président : Il a été accepté que je revienne ensuite au sénateur LeBreton pour l'ajournement.

Le sénateur Phalen : Honorables sénateurs, je voudrais aujourd'hui réciter quelques vers d'un poème publié sur Internet par un poète appelé Munda, qui a visité notre glorieux pays.

Canada oh Canada
Que m'as-tu fait
Dès que je ferme les yeux
Mon coeur vole vers toi [...]

Des champs dorés de blé ondulent
Chantent une douce berceuse
Pendant que se couche le soleil
Au bout de ton ciel immense [...]

Canada oh Canada
Que m'as-tu fait
Je t'entends dans mon âme
Je rêve d'être près de toi [...]

Je vois tes enfants jouer
Dehors sur un étang gelé
Balles de neige et hockey
Magie de l'hiver blanc

Le souvenir des jours passés
Sont gravés dans mon âme
Je retournerai te voir un jour
Car c'est toujours mon but

Canada oh Canada
Que m'as-tu fait
Tu m'attires et me tentes
Je veux te retrouver

(1620)

Ce poème montre clairement le Canada magnifique qu'a connu ce visiteur. Malheureusement, ce n'est pas tout le monde qui a la chance de voir le Canada comme un pays aussi merveilleux.

Je vais maintenant vous lire un extrait d'une histoire parue dans le magazine Maclean's. Il y en a beaucoup d'autres comme celle-là, mais c'est celle qui semble le mieux résumer la situation. C'est l'histoire d'une jeune Hongroise qui est arrivée au Canada il y a un certain nombre d'années.

Cette jeune femme, diplômée universitaire au chômage, a répondu à une annonce dans un magazine d'emploi populaire de Budapest. L'annonce disait qu'une famille canadienne cherchait une bonne d'enfants parlant le hongrois. Terri dit qu'elle a rencontré à Budapest une femme qui affirmait que son entreprise souhaitait l'engager. Elle ajoute que cette femme savait exactement comment diriger la conversation, qu'elle lui a demandé des détails sur sa vie, notamment sur l'emploi de sa mère et sur son adresse en cas d'urgence. Elle reconnaît elle-même qu'elle a répondu très naïvement et franchement aux questions.

À son arrivée à Toronto, la description de travail de Terri avait beaucoup changé. Il n'y avait pas de poste de bonne d'enfants. Au lieu de cela, la petite jeune femme aux cheveux roux s'est retrouvée tout à coup dans un club d'effeuilleuses et on lui a demandé de se livrer à des danses lascives sur la scène et à des actes illégaux dans des salons privés réservés aux invités de marque. Ses employeurs lui ont pris son passeport et son permis de travail, afin qu'elle ne puisse plus quitter le pays, et ils ont conservé ses pourboires et ses salaires, lui disant qu'elle leur devait 1 600 $ par semaine pour lui avoir trouvé un emploi. Un garde du corps escortait Terri du club jusqu'à la chambre d'hôtel qu'elle partageait avec d'autres femmes de l'Europe de l'Est. On ne lui donnait rien à manger, sinon des sandwiches aux oeufs, et elle a été violée par un de ses patrons, qui l'a menacée de s'en prendre à sa famille à Budapest si elle ne faisait pas toutes ses volontés.

Après six semaines de cette existence, Terri s'est enfuie avec l'aide d'un disc-jockey du club d'effeuilleuses et elle travaille maintenant comme serveuse en attendant de témoigner contre ses anciens patrons. « Est-ce que je vis dans la peur », demande-t-elle? « Plus maintenant. Je vis dans la dépression. On m'a volé ma vie et je ne pourrai jamais la retrouver. »

À l'instar de centaines et peut-être même de milliers d'autres, cette jeune femme n'a jamais connu le merveilleux Canada décrit par le poète que j'ai cité plus tôt. Ce poème m'a touché, car il décrit très bien le magnifique pays dans lequel j'ai eu la chance de vivre. Je suis persuadé que Terri ne croit pas que ce poème décrit le Canada qu'elle a connu, et c'est la raison pour laquelle, honorables sénateurs, cette mesure législative est si importante.

Le projet de loi C-49 constitue une stratégie à trois volets visant à régler l'atroce problème de la traite des personnes. Selon les Nations Unies, plus de 700 000 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, sont victimes chaque année de la traite des êtres humains. Le projet de loi C-49 interdirait à quiconque d'exploiter une personne ou de faciliter son exploitation, et tout contrevenant qui aurait enlevé une personne, se serait livré à des voies de fait graves ou une agression sexuelle grave sur elle ou aurait causé sa mort serait passible d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité.

Au Canada, il n'existe pratiquement pas de statistiques fiables sur ce problème. Selon la GRC, 800 victimes de la traite arriveraient chaque année du Canada, par contre, les ONG croient plutôt que le nombre des victimes de la traite pourrait atteindre 16 000 personnes.

Indépendamment des chiffres, la traite des personnes commence dans des pays où les gens recherchent désespérément des occasions d'améliorer leur situation économique. Pour les Canadiens que nous sommes, il est presque impossible de comprendre la vulnérabilité des populations vivant dans des pays pauvres où l'espoir a disparu. Par exemple, jusqu'à 400 000 Ukrainiennes auraient été victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle au cours de la dernière décennie. En Côte d'Ivoire, on peut, dit-on, acheter une petite fille comme esclave au prix de 7 $, et une cargaison d'enfants maliens qu'on destine au travail dans les plantations de cacao coûte environ 420 $. Près de 90 p. 100 des jeunes filles vivant dans les zones rurales de l'Albanie ne fréquentent pas l'école, par crainte de se faire enlever et vendre à des fins de servitude sexuelle.

Les organisations criminelles font payer à ces gens désespérés des milliers de dollars pour les transporter jusqu'au Canada, souvent sous de fausses promesses d'emploi. On les remet plutôt à des souteneurs dans des salons de massage, où on les oblige à travailler pour payer leur dette. Les méthodes employées par ces trafiquants pour forcer les victimes à se plier aux ordres vont de la réclusion et des raclées jusqu'aux menaces contre leur famille.

Dans d'autres pays, comme le Nigeria, les trafiquants sont même allés jusqu'à forcer les jeunes femmes à s'engager sous serment à rembourser des dettes à des sorciers qui prennent une mèche de leur cheveu ou un morceau de leur ongle d'orteil et les avertissent que la mort les attend si elles violent leur serment.

Le projet de loi C-49 interdirait aussi à toute personne de recevoir des avantages matériels, notamment pécuniaires, provenant de la perpétration de l'infraction de traite des personnes.

La traite des êtres humains est tellement rentable que, dans un rapport rendu public en 1999, la GRC arrivait à la conclusion que la traite de migrants est si lucrative au Canada que des bandes criminelles rivales mettent de côté leurs divergences afin de partager des installations secrètes, des titres de voyage illégaux et des moyens de faire entrer illicitement des gens dans notre pays.

La traite de personnes est plus rentable que le trafic de drogues. Selon un responsable de l'ONU en matière d'immigration, la situation est la suivante :

Nous assistons à une transition à l'échelle mondiale; des organisations criminelles qui font le trafic de drogues et d'armes se tournent maintenant vers ce nouveau trafic, la traite des personnes. Certains disent que le commerce des immigrants illégaux est maintenant plus intéressant pour les gangs de malfaiteurs parce que les peines prévues pour traite des personnes sont moins sévères que celles qui sont imposées pour le trafic de drogues.

Le rapport intitulé United States Trafficking in Persons, qui a été publié récemment, dit que, selon le FBI, la traite des personnes rapporte des recettes annuelles d'environ 9,5 milliards de dollars.

Le troisième objectif du projet de loi C-49 est d'interdire la destruction ou la rétention de documents, comme des documents d'identification ou de voyage, en vue de faciliter ou de commettre l'infraction de traite des personnes.

Dans presque tous les cas, la première chose que font les passeurs est de retenir les passeports, les visas ou d'autres documents de voyage de leurs victimes. Selon une récente étude fédérale sur le renseignement qu'a obtenue l'agence Presse canadienne, 12 p. 100 des personnes qui arrivent au Canada sans documents appropriés sont associés à un passeur ou à un accompagnateur. Il est également intéressant de noter que, en 2000, la GRC a saisi 966 documents de voyage contrefaits ayant une valeur de revente de 13 millions de dollars.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-49 constitue une excellente mesure pour punir ceux qui font la traite des personnes. Le site Web du gouvernement fédéral sur la traite des personnes, ainsi que la distribution, dans les missions et les ONG à l'étranger, de brochures et d'affiches publiées dans jusqu'à 17 langues, constituent également des mesures bienvenues pour la lutte contre la traite des personnes.

Selon le rapport américain de 2005, les risques de devenir victime de la traite peuvent amener des groupes vulnérables comme les enfants et les jeunes femmes à se cacher, ce qui nuit à leur scolarisation et à la structure familiale. La perte de scolarisation réduit leurs perspectives économiques et augmente leur vulnérabilité face à la possibilité de redevenir des victimes de la traite. Les victimes qui peuvent retourner dans leur collectivité sont souvent stigmatisées ou ostracisées. C'est un cercle vicieux.

C'est pourquoi j'estime que la lutte contre ce fléau qu'est la traite des personnes doit également englober le soutien de la victime. La GRC dit que seule une victime sur 10 signale ce crime à la police. À défaut des mesures appropriées pour protéger les victimes de la traite, le taux de victimes qui dénoncent les délinquants continuera d'être faible au Canada.

Honorables sénateurs, imaginez-vous un instant dans la peau de personnes victimes de traite qui ont été obligées de se prostituer au Canada. Elles ne parlent pas la langue, leur niveau d'éducation est peut-être nul, elles n'ont ni famille ni réseau social sur lesquels compter, elles ont peut-être été victimes de violence physique ou mentale, les proches dans leur pays font l'objet de menaces et on leur a dit qu'elles seraient expulsées si elles se plaignaient aux autorités. Ces pauvres êtres ne savent probablement même pas comment faire pour prendre l'autobus local, et pourtant notre système judiciaire compte sur eux pour qu'ils dénoncent les trafiquants de personnes.

Honorables sénateurs, ce problème nécessite une approche axée sur la victime. Chose curieuse, les femmes qui sont accusées au criminel pour immigration illégale ou prostitution ne peuvent pas revendiquer le statut de réfugié au Canada.

(1630)

J'espère que le gouvernement poursuivra le travail dans la veine du projet de loi C-49 et qu'il présentera un projet de loi renfermant des dispositions semblables à celles prévues dans la loi américaine sur la protection des victimes de traite. En vertu de cette loi, les victimes de traite qui coopèrent aux efforts d'application de la loi en ce qui a trait à la poursuite des trafiquants peuvent présenter des demandes de visa spécial à titre de victimes et bénéficier des avantages accordés aux réfugiés tels que la protection médicale, les programmes d'emploi, l'aide financière et les services de conseil et d'aide juridique.

Honorables sénateurs, je vous invite à appuyer le projet de loi C- 49 et à continuer de vous battre contre la traite des personnes.

(Sur la motion du sénateur Andreychuk, le débat est ajourné.)

LA LOI SUR LES ALIMENTS ET DROGUES

PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein propose : Que le projet de loi S- 42, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (eau potable saine), soit lu pour la deuxième fois.—(L'honorable sénateur Grafstein)

— Honorables sénateurs, nous y revoilà. Il y a à peine quatre ans, les Canadiens se sont réveillés un bon matin devant une série d'événements tragiques survenus d'un bout à l'autre du Canada. D'abord, à Walkerton, en Ontario; puis, à North Battleford, en Saskatchewan; ensuite, à Charlottetown, à l'Île-du-Prince-Édouard. La qualité de l'eau potable était devenue un enjeu national de premier plan. Soudainement, les médias nationaux se sont réveillés et ont commencé à donner les innombrables avis de santé publique concernant l'eau dans toutes les régions du pays, du Québec à Terre- Neuve, au Manitoba, en Alberta, en Colombie-Britannique et dans les collectivités autochtones du Nord et partout au Canada. Aucune région du pays n'a été épargnée. Comment cela est-il possible?

À l'école, nous avons appris que le Canada avait hérité des plus grandes réserves du monde en eau douce potable. Pourtant, nous avons découvert que l'eau douce du Canada, cette vaste et précieuse ressource, cet héritage commun, était non seulement menacée, mais que, en outre, la pollution s'y attaquait quotidiennement.

Que peut-on faire quand notre plus précieuse ressource, en l'occurrence l'eau potable, est au cœur d'une crise nationale en matière de santé publique, dans toutes les régions du Canada? Où étaient les médias nationaux? Un examen attentif a révélé que lorsque les médias locaux ont signalé les problèmes avec l'eau potable, la question avait échappé à l'attention nationale. C'était considéré comme un problème local. Les médias nationaux dressent rarement un tableau global des nombreux problèmes locaux concernant l'eau potable. Ils n'ont commencé à s'intéresser à la question qu'après qu'un incident scandaleux eut frappé la conscience publique de la nation.

La crise nationale de l'eau potable insalubre n'a pas retenu l'attention des médias et continue de rester en arrière plan de la scène médiatique nationale. Après tout, même si l'eau potable est à la base de l'alimentation quotidienne des Canadiens et que les experts du domaine médical affirment qu'il faut boire au moins huit verres d'eau pure par jour, la crise n'a été ni détectée ni mise au grand jour.

C'était difficile de trouver des statistiques nationales et encore plus de les compiler. Les autorités fédérales et provinciales et les nombreux organismes dont la tâche principale est de recueillir des statistiques n'ont ni regroupé ni fait la synthèse des données sur l'ampleur du problème de l'eau potable ou sur le coût qu'il entraîne pour les budgets de santé publique des municipalités, des provinces ou du gouvernement fédéral. Nous n'avons pas pu trouver l'information et la regrouper pour avoir une vue d'ensemble.

Par conséquent, à l'invitation pressante de nos collègues autochtones ici au Sénat, j'ai décidé, en tant que sénateur de l'Ontario, de me pencher sur le problème. Mes découvertes ont été étonnantes et très préoccupantes. Au cours de ce processus, j'ai présenté le projet de loi S-18, qui est identique au projet de loi S-42 dont vous être maintenant saisis, honorables sénateurs.

Le projet de loi S-18 a été lu une première fois le 20 février 2001. Puis, il a été lu une deuxième fois et renvoyé au Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, le 24 avril 2001. Le comité a fait rapport du projet de loi sans proposition d'amendement, le 10 mai 2001; tout allait bien. Puis, à l'étape de la troisième lecture, le projet de loi a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, le 13 juin 2002, pour ensuite mourir au Feuilleton.

On m'a dit que le gouvernement présenterait une politique dynamique sur l'eau afin de corriger la situation et que je devrais attendre calmement la nouvelle politique. Malheureusement, honorables sénateurs, quatre ans ont passé sans que cela se produise.

Encore une fois, le projet de loi S-18, qui a été présenté il y a quatre ans, était identique à l'actuelle mesure modificative, le projet de loi S-42. Je l'ai présenté de nouveau et c'est le sujet de mon intervention aujourd'hui.

Si les sénateurs veulent connaître le contexte historique de cette mesure, je les renvoie au compte rendu du débat sur le projet de loi S-18. Ils verront qu'il y a eu bien peu de changement en quatre ans, sauf que la santé publique s'est détériorée.

Le gouvernement de l'époque était opposé à cette mesure. C'était une mesure réparatrice et, en raison de sa portée, elle était simple et clinique. Elle devait modifier la Loi sur les aliments et les drogues en ajoutant l'eau potable comme objectif pour que l'agence fédérale déjà chargée de réglementer la distribution d'eau potable en bouteille, les cubes de glace et les boissons gazeuses assure également la réglementation des réseaux de distribution d'eau potable.

À l'étape de la troisième lecture, le projet de loi S-18 a pris du retard à cause de partisans du gouvernement qui s'y opposaient. Un fervent opposant était notre ancien collègue, le savant Dr Morin, qui a vigoureusement appuyé la position du gouvernement, soutenant à l'étape de la troisième lecture que, d'après ses connaissances médicales, puisque l'eau ne contenait pas d'éléments nutritifs, elle ne pouvait être considérée comme un aliment aux termes de la Loi sur les aliments et les drogues. Il avait donc déclaré que les réseaux de distribution d'eau potable se situaient hors de la portée de la Loi sur les aliments et les drogues.

Peu avant son départ, le sénateur Morin m'a dit qu'il appuierait le projet de loi s'il était présenté de nouveau. Il était clair pour moi à l'époque, et ce l'est encore aujourd'hui, que l'eau potable renferme des éléments nutritifs. À l'extérieur du Sénat, des médecins et des scientifiques me l'ont affirmé. Ainsi, l'opposition du savant médecin n'était pas fondée sur un fait scientifique. Pendant ce temps, la santé de milliers de Canadiens dans toutes les régions continue de se détériorer.

Le gouvernement précédent avait soulevé des objections d'ordre constitutionnel, de telle sorte que le projet de loi avait été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Le gouvernement actuel craint aussi que le projet de loi ne soit considéré comme un empiètement dans un domaine de compétence provinciale.

De toute évidence, le gouvernement fédéral a un pouvoir de réglementation sur l'eau : l'eau embouteillée, l'eau potable dans les parcs nationaux, dans les avions et les trains, et, bien sûr, l'eau dans toutes les collectivités autochtones non urbaines. D'ailleurs, les autorités en matière d'aliments et de drogues, de concert avec les provinces, ont fait paraître des recommandations facultatives sur la qualité de l'eau potable, dont se servent certaines provinces.

Le juge O'Connor, de l'Ontario, dans son rapport qui a fait date et qui portait sur l'eau potable et le lien avec la tragédie de Walkerton, a clairement décrit la portée de la compétence fédérale. Personne n'a contesté le point de vue constitutionnel du juge O'Connor selon lequel le gouvernement fédéral avait et acompétence à cet égard.

En vertu de la Constitution, le gouvernement fédéral exerce aussi la responsabilité souveraine de voir à ce que soient traitées les questions de santé publique qui touche l'ensemble du pays.

Le gouvernement soutient aussi que ce projet de loi risque d'entraîner des coûts additionnels pour l'infrastructure servant au traitement de l'eau. Les récents budgets du gouvernement fédéral prévoient déjà des sommes importantes pour l'infrastructure des provinces en matière d'eau potable.

Il y a une longue liste de domaines où le gouvernement fédéral investit fréquemment dans l'infrastructure pour des questions depuis longtemps considérées comme étant de compétence provinciale, mais qui peuvent avoir un effet sur la santé des Canadiens ou sur l'économie canadienne dans son ensemble. Le gouvernement fédéral pourrait économiser des milliards de dollars au chapitre des coûts de la santé préventive si les réseaux de distribution d'eau potable n'étaient plus une menace pour la santé publique et pour les milliers de Canadiens; cela ne fait aucun doute, à mon avis.

(1640)

Le gouvernement et le Sénat n'étaient pas favorables à cette mesure lorsqu'elle a été présentée pour la première fois. Le gouvernement continue de s'opposer à ce projet de loi. Permettez- moi d'expliquer quelles sont ses objections.

L'Agence canadienne d'inspection des aliments, l'ACIA, qui est responsable de l'application réglementaire de la Loi sur les aliments et drogues, deviendrait responsable de l'inspection des systèmes d'approvisionnement communautaire en eau potable, tel que prévu par l'amendement. Les fonctionnaires du gouvernement croient, cependant, que cela constituerait un empiètement sur les champs de compétences des provinces et des territoires, qui pourraient s'y opposer. Le mot « empiètement » n'est-il pas une douce réponse à l'inaction bureaucratique? D'aucuns prétendent que l'adoption de ce projet de loi par le Parlement mettrait en péril la relation de collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux dans le domaine de la salubrité de l'eau potable.

On nous a dit que le gouvernement avait déjà une stratégie en ce qui a trait à l'eau potable des Premières nations. Les fonctionnaires nous disent que des règlements et des mesures de conformité seraient nécessaires, ce dont je conviens parfaitement. Nous avons donc une preuve indépendante que la stratégie actuelle sur l'eau potable des Premières nations ne fonctionne tout simplement pas.

Que s'est-il passé depuis Walkerton, en Ontario, en 2002, et North Battleford, en Saskatchewan? Je vais résumer rapidement la situation actuelle.

Bien que les provinces aient commencé à améliorer l'eau potable des collectivités par l'entremise de lois et d'investissements, pas une seule province ni une seule collectivité n'a pleinement mis en oeuvre les 93 recommandations du juge O'Connor, notamment en ce qui a trait aux analyses de la qualité de l'eau et au droit à l'information sur la salubrité de l'eau potable dans chacune de nos collectivités, d'un bout à l'autre du Canada. Aucune province, pas même l'Ontario ni aucun territoire. Les provinces, qui manquent systématiquement de ressources et qui ont un pouvoir discrétionnaire, sont trop souvent en retard, faute de pression populaire relativement à la santé publique. En raison de l'absence de statistiques actualisées, rien ne pousse la population à faire pression ou à obliger les gouvernements provinciaux à rendre des comptes afin d'inciter ces derniers à agir.

Il n'y a également aucune corrélation établie entre la piètre qualité de l'eau potable et les effets sur les budgets des provinces et des territoires en matière de santé. On peut formuler des hypothèses et échafauder des modèles statistiques, mais en fin de compte, on ne sait rien. Je pose la question aux honorables sénateurs : pourquoi nos responsables de la santé n'ont-ils pas établi ces corrélations entre les chiffres disponibles sur l'eau potable?

Statistique Canada a indiqué que, pendant l'exercice 1999-2000, plus de 2 150 enfants sur 100 000 ont montré des signes de lambliase, une maladie causée par l'eau potable insalubre. Il semble que même ces chiffres impressionnants avaient été sérieusement sous-estimés à l'époque.

En Alberta, le quart de l'eau potable contient des traces de pesticides. En Colombie-Britannique, Sierra Legal a récemment publié un rapport intitulé « Watering Down » concernant 28 poussées épidémiques de maladies d'origine hydrique en octobre 2003 et l'organisme évalue que 10 p. 100 des systèmes d'aqueduc de la Colombie-Britannique ont été visés par un avertissement de faire bouillir l'eau. En 2002, le Manitoba a adopté une loi sur l'eau potable. Depuis, on a découvert que dans la ville de Winnipeg, la ville de notre ancien leader, on trouve des concentrations de sous- produits de désinfectants...

Le sénateur Rompkey : La ville du leader adjoint de l'opposition.

Le sénateur Grafstein : Le sénateur Stratton devrait écouter ceci. On a découvert dans l'approvisionnement en eau potable de Winnipeg des concentrations de sous-produits de désinfectants considérés cancérigènes. À Portage la Prairie, les concentrés de plomb dépassent les lignes directrices canadiennes en matière d'application volontaire. Je me demande parfois si la hausse du cancer au Manitoba, à Winnipeg en particulier, est directement liée à la consommation d'eau contaminée. Nous ne le savons pas.

Au Nouveau-Brunswick et au Québec, particulièrement dans les régions rurales du Québec, et à l'échelle de Terre-Neuve, principalement dans les petits villages isolés, on n'applique même pas les lignes directrices fédérales minimales dans de nombreuses collectivités. Bien des petites collectivités au Canada font régulièrement bouillir leur eau pour leur usage quotidien. Imaginez-vous, comme je l'ai dit en 2001, une femme ayant sept ou huit enfants dans un petit village isolé de Terre-Neuve qui doit faire bouillir son eau tous les jours pour s'assurer que sa famille demeure en santé — au Canada, au XXIe siècle.

Malheureusement, honorables sénateurs, bien peu de choses ont changé depuis que j'ai présenté mon projet de loi il y a quatre ans, du moins si l'on pense aux améliorations importantes. Oui, il y a eu des améliorations. Oui, les provinces ont pris des mesures. Cependant, il y a toujours une crise invisible dans le secteur de la santé publique. Les Canadiens continuent de boire de l'eau contaminée dans de nombreuses collectivités et dans toutes les régions du Canada.

Les Américains, au moins, ont adopté leur Clean Water Act en 1972 pour permettre une surveillance réglementaire fédérale de l'eau potable. Même les Américains ont fait cela. Un résultat positif de la loi américaine est que les citoyens américains, en consultant le site web de leur gouvernement fédéral, peuvent obtenir les plus récents avertissements sur l'eau dans toutes les collectivités de toutes les régions. En tapant leur numéro de téléphone et leur indicatif régional, ils ont accès aux plus récents avertissements dans leur collectivité.

Je crois, honorables sénateurs, comme me l'a appris ma défunte mère, que mieux vaut prévenir que guérir. Le coût pour la santé publique dépasse de loin le coût de la prévention. En notre qualité de sénateurs représentant les différentes régions du Canada, appuyons cette solution plutôt « septique » à l'un des plus grands dangers invisibles qui menace la santé au Canada, c'est-à-dire l'eau contaminée.

Enfin, honorables sénateurs, permettez-moi de me reporter au témoignage de Johanne Gélinas, commissaire à l'environnement et au développement durable, la semaine dernière, le 18 octobre 2005, au Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Comme vous le savez, honorables sénateurs, la commissaire relève du Bureau du vérificateur général du Canada et est par conséquent un mandataire du Parlement. Permettez-moi de citer certains points évoqués dans la déclaration de style télégraphique qu'elle a présentée au comité sénatorial :

L'un des besoins essentiels de la vie quotidienne est l'accès à une eau potable salubre. Dans un pays comme le nôtre, nous supposons tous que l'eau que nous buvons est d'excellente qualité.

Mais, en réalité, dans certaines régions de compétence fédérale, les Canadiens ne sont pas tous certains de la salubrité de leur eau potable. Cette situation touche le demi-million de Canadiens qui vivent dans les collectivités des Premières nations.

Le gouvernement sait depuis des années que la majorité des réseaux d'approvisionnement en eau des Premières nations posent des risques à la santé. Entre 1995 et 2003, près de 2 milliards de dollars ont été dépensés pour construire et exploiter des réseaux d'approvisionnement en eau potable et des systèmes d'égouts pour les Premières nations. Entre 2003 et 2008, une somme additionnelle de 1,8 milliard de dollars sera consacrée à de tels projets.

À moins de mesures radicales, il est peu probable que cet argent, ainsi que les 600 millions de dollars investis dans la Stratégie de gestion de l'eau des Premières nations, permette d'améliorer la salubrité de l'eau.

Ce sont ses propres paroles.

Parmi les principaux problèmes, mentionnons l'absence de lois et de règlements sur l'approvisionnement en eau potable dans les collectivités des Premières nations, et l'absence de soutien technique adéquat pour les activités d'exploitation et d'entretien.

La commissaire dit qu'il n'y a ni règlement ni service pour l'exploitation et l'entretien.

Le gouvernement fédéral doit également s'assurer que l'eau potable est salubre ailleurs au Canada, notamment dans les bases militaires, les parcs nationaux et les installations fédérales.

Les lignes directrices établies par le gouvernement fédéral, de concert avec les provinces et les territoires, fixent les normes obligatoires pour l'eau potable à ces endroits. Les provinces se servent aussi de ces lignes directrices à diverses fins, qui vont de la définition d'une orientation générale à l'adoption de normes obligatoires en vertu de la loi.

Les méthodes de réglementation au Canada relativement à l'eau potable forment un ensemble très disparate.

Même si un processus valable est en place pour l'établissement de lignes directrices visant les niveaux de contamination admissibles pour l'eau potable, l'élaboration et la mise à jour de ces lignes directrices prennent trop de temps.

Le gouvernement affirme que nous disposons de lignes directrices facultatives. Le problème, c'est qu'elles ne sont pas à jour et que leur élaboration est trop longue. Même les lignes directrices facultatives ne sont pas appliquées entièrement comme elles le devraient.

Le processus prend souvent de quatre à huit ans, alors qu'il devrait en prendre deux ou trois.

Voici la question que je pose aux honorables sénateurs : que se passe-t-il entre-temps? La santé publique, la santé de nos enfants, s'affaiblit.

Il se peut qu'il faille dix ans pour rattraper un retard dans l'établissement des lignes directrices sur les contaminants de l'eau. Les compressions budgétaires de 20 p. 100 qui ont été appliquées entre 2002 et 2005 et qui ont touché l'équipe de Santé Canada chargée d'élaborer les lignes directrices n'ont pas aidé.

Nous avons appliqué une réduction budgétaire même à ce budget-là!

Le gouvernement fédéral est également responsable des trains de voyageurs, des avions et des navires de croisière qui font des déplacements interprovinciaux et internationaux.

Santé Canada inspecte l'eau des navires de croisière et des trains de voyageurs, mais non celle des avions. Les voyageurs canadiens ne peuvent donc pas être certains que l'eau à boire et l'eau servant à la préparation des aliments en avion sont salubres.

Je suis commissaire à l'environnement et au développement durable depuis cinq ans. J'ai pu constater que le rendement du gouvernement fédéral en matière de création et de mise en œuvre d'une approche de développement durable était très inégal.

(1650)

En réponse à sa déclaration, le chef Phil Fontaine s'est dit d'accord et a affirmé que plus de 100 réserves n'avaient pas d'eau potable et avaient été avisées de faire bouillir l'eau.

La semaine dernière, d'autres cas d'infection à l'E. coli ont été signalés dans le Nord de l'Ontario, dans la réserve Kashechewan. Le gouvernement fédéral s'est empressé de corriger la situation en envoyant 26 000 litres d'eau en bouteille. Le chef de la réserve aurait dit que ce n'était pas assez pour rouvrir les écoles ou même laver les malades.

Permettez-moi de citer brièvement le Dr Murray Thrussler, médecin-chef de l'hôpital général Weeneebayko, à Moose Factory, qui dessert cette réserve dont la population est de 1 200 à 1 900 personnes. Je n'ai pas de chiffres exacts parce qu'ils ont tendance à varier.

Dans un article paru dans le Globe and Mail d'hier, il a dit :

[...] à cause des problèmes liés à l'E. coli, la teneur en chlore de l'eau, qui est normalement déjà très élevée, a dû être augmentée à des « niveaux chocs ». Cela a aggravé les maladies de la peau, qui sont endémiques à Kashechewan.

Le Dr Trussler a dit que la teneur élevée en chlore :

[...] ne fait qu'irriter et assécher la peau encore plus, exacerbant les démangeaisons et poussant les gens à se gratter, ce qui favorise la propagation de maladies comme la gale ou l'impétigo.

On peut lire plus loin dans le même article :

Il a dit avoir examiné deux enfants qui, depuis plus d'un an, souffrent d'impétigo, une maladie de la peau d'origine bactérienne qui entraîne la formation de pustules et une croûte jaunâtre épaisse sur la peau, souvent sur le visage.

Il dit aussi avoir vu des cas de gastro-entérite, probablement causés par l'E. coli, un diagnostic que seuls des tests pourront confirmer.

Le Dr Trussler a dit :

Nous avons vu une dame qui aurait contracté l'hépatite A. C'est un virus. Nous ne faisons pas normalement de test pour déceler la présence de ce virus. Quand nous prenons un échantillon d'eau, nous vérifions les taux d'E. coli et de coliformes, mais nous ne cherchons pas de virus.

L'article se poursuit :

Il a dit que lorsqu'il a demandé qu'on protège les gens contre l'hépatite A, l'Ontario a offert 100 000 doses d'un vaccin contre cette maladie, mais le gouvernement fédéral a refusé, disant qu'il n'y avait pas de problème d'hépatite A dans le Nord du Canada.

Le docteur a répondu ceci :

C'est de la foutaise. Il y a actuellement au Canada 100 communautés autochtones où les gens sont obligés de faire bouillir leur eau. Chaque fois qu'on doit demander aux gens de faire bouillir leur eau, on risque de se retrouver tôt ou tard avec un problème d'hépatite A.

Il semblerait que les habitants de cette réserve et de bien d'autres réserves sont obligés de faire bouillir leur eau depuis plus de deux ans. Imaginez, les habitants de réserves fédérales sont obligés de faire bouillir leur eau depuis plus de deux ans!

Les sénateurs se souviendront que j'ai donné l'exemple de la réserve de Grassy Narrows, dans le Nord de l'Ontario, il y a quatre ans, lorsque je me suis rendu là-bas. J'ai découvert que les femmes qui habitaient cette réserve et qui voulaient donner naissance à des bébés en bonne santé avaient décidé qu'il leur fallait quitter cette réserve en Ontario, au XXIe siècle, parce qu'elles craignaient que si elles ne nettoyaient pas leur ventre pendant une période de deux ou trois ans, elles ne pourraient pas donner naissance à des bébés en bonne santé.

Je prie instamment les sénateurs d'appuyer cette modification à l'étape de la deuxième lecture pour permettre à un comité sénatorial d'en examiner les détails et de faire une analyse coût-avantage d'une mesure correctrice le plus rapidement possible. La vie de milliers d'enfants et d'adultes canadiens en dépend.

Je suis ravi que le président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, notre éminent collègue, le sénateur Banks, ait déjà invité des témoins à venir parler au comité de l'état de l'eau potable au Canada.

Honorables sénateurs, n'est-il pas paradoxal que nous puissions transporter des systèmes permettant d'approvisionner en eau potable les populations de régions en difficulté partout dans le monde, mais que nous n'ayons pas encore été capables de régler le problème de l'eau qui n'est pas bonne à boire dans diverses régions du Canada, particulièrement dans les réserves des Premières nations? N'est-ce pas paradoxal?

Honorables sénateurs, je suis reconnaissant envers le Sierra Legal Defence Fund, le programme sur les questions relatives à l'eau du Munk Centre for International Studies, qui fait partie du Trinity College de l'Université de Toronto, et la Bibliothèque du Parlement, qui m'ont aidé à comprendre ces questions. Toutes les conclusions que j'ai énoncées dans mon discours sont évidemment les miennes.

Honorables sénateurs, j'espère avoir été en mesure de vous convaincre qu'il y a une crise de santé dans chacune des régions du pays que représentent les sénateurs. Il revient maintenant aux fonctionnaires du gouvernement de réfuter ces étonnants énoncés des faits. Confions le projet de loi à un comité du Sénat dans les meilleurs délais afin d'avoir l'occasion d'approfondir la question et de désamorcer cette bombe à retardement en matière de santé, si nous en sommes capables.

Poursuivons le travail. Je vous demande de m'appuyer pour assurer l'approbation rapide de ce projet de loi modificatif à l'étape de la deuxième lecture, honorables sénateurs.

L'honorable Madeleine Plamondon : Je souhaite poser une question.

Son Honneur le Président : Accepterez-vous une question, sénateur Grafstein?

[Français]

Le sénateur Plamondon : Honorables sénateurs, le sénateur Grafstein croit-il que le Canada devrait reconnaître l'eau potable comme étant un droit humain et non ce qu'on appelle en anglais « a commodity », à savoir que nous n'avons pas à payer pour l'avoir? Le Canada devrait-il reconnaître que le droit à l'eau potable est un droit humain?

[Traduction]

Le sénateur Grafstein : Je remercie le sénateur de sa question, si telle est sa question.

Le sénateur Plamondon : C'est la question, en effet. Estimez-vous que le Canada doit reconnaître que l'eau potable est un droit humain et non pas une marchandise?

Son Honneur le Président : Je donne la parole au sénateur pour qu'il réponde.

Le sénateur Grafstein : Honorable sénateur, je suis ici depuis plus de 20 ans et j'ai participé à l'un des grands débats constitutionnels de tous les temps, portant sur la Charte des droits de la personne. Je dois dire qu'il n'a pas du tout été facile de décider de modifier notre Constitution pour traiter des droits. Je m'intéresse à l'heure actuelle au fait d'apporter des correctifs à notre droit pour régler ce que je considère être un grave problème de santé.

En effet, j'estime que l'eau potable est un droit humain. Je ne crois pas que l'eau potable soit tout simplement une marchandise puisque nous en avons besoin tous les jours. Tous les Canadiens doivent boire chaque jour huit verres d'eau potable pour être en bonne santé.

Cela dit, j'estime en effet qu'il s'agit d'un droit humain. Je ne crois pas qu'il s'agit d'une marchandise. Notre problème, honorables sénateurs, consiste à convaincre le gouvernement fédéral et les provinces de régler ce problème avec rapidité, perspicacité et efficacité.

Nous nous inquiétons beaucoup du coût croissant des soins de santé, mais nous contribuons à cette augmentation en ne portant pas une attention suffisante à la prévention des maladies. À mon avis, la prévention des maladies nous ferait économiser de l'argent et, dans cet ordre d'idées, tous les Canadiens devraient pouvoir consommer huit verres d'eau potable par jour. Je considère que c'est un droit.

Le sénateur Plamondon : Je suis heureuse que le sénateur reconnaisse que l'eau potable est un droit fondamental, car le Canada n'a pas reconnu ce droit sur la scène internationale.

Le sénateur croit-il qu'il faudrait enquêter sur l'industrie de l'eau embouteillée, qui appartient à quatre grandes compagnies — Nestlé, Pepsi Cola, Coke et Danone? Trouvez-vous normal que les Canadiens doivent acheter de l'eau embouteillée lorsque la vente de cette eau procure autant d'argent à ces compagnies?

Le sénateur Grafstein : Nous voilà à fond dans le sujet de l'économie. Madame le sénateur a raison. C'est amusant de voir que nous importons des bouteilles d'eau potable de Fidji.

Il y a deux jours, j'étais à une soirée à Toronto, où l'on servait de l'eau de Fidji. Or, l'eau potable de Toronto est meilleure que celle de Fidji. L'eau est très bonne à Toronto.

Si l'industrie de l'eau embouteillée a pu croître si rapidement au Canada, c'est précisément parce qu'on a déconseillé de boire l'eau du robinet sans la faire bouillir au préalable. Les honorables sénateurs se rappelleront qu'il y a 30 ans, nous étions fiers de pouvoir boire l'eau du robinet, alors qu'en Europe, on devait boire de l'eau embouteillée. Aujourd'hui, lorsque nous allons au restaurant, le serveur commence par nous apporter une bouteille d'eau, et non une bouteille de vin ou un verre de scotch. La croissance du secteur de l'eau embouteillée n'a rien à voir avec ce dernier, mais a tout à voir avec le droit qu'on nous refuse de protéger cette ressource naturelle précieuse.

(1700)

Le sénateur Plamondon : Le projet de loi a-t-il pour but de garantir l'approvisionnement en eau potable pour qu'elle coule dans tous les robinets ou vise-t-il plutôt la croissance des entreprises d'eau embouteillée pour vendre de l'eau aux Américains?

Le sénateur Grafstein : Il est clair que le projet de loi vise à modifier la Loi sur les aliments et drogues de manière à ce que la définition comprise dans cette loi englobe l'eau potable consommée localement, ce qui permettra à l'organisme de réglementation fédéral d'exercer la surveillance nécessaire sur cette eau. Nous n'essayons pas, ni directement, ni indirectement, d'inviter les provinces ou les municipalités à facturer ce qu'elles feraient normalement en ce qui a trait à l'eau. Il ne s'agit pas non plus d'essayer d'aider les entreprises d'eau embouteillée, mais plutôt le contraire. Lorsque les gens ouvrent leurs robinets chez eux, à Terre- Neuve, dans le Nord du Québec, dans le Nord de l'Ontario, au Manitoba ou en Colombie-Britannique, ils devraient voir couler de l'eau potable. C'est un droit qu'ont les Canadiens à titre de propriétaires de cette eau.

L'honorable Terry Stratton (leader adjoint de l'opposition) : Bref, pour éclaircir un point, d'après ce que j'entends, l'eau potable de Winnipeg ne serait pas bonne à boire. Pourtant, ce n'est pas le cas, et j'en bois tout le temps. Je bois l'eau du robinet à Winnipeg, et non de l'eau embouteillée. L'eau potable de Winnipeg est bonne à boire.

Le sénateur Grafstein : Renvoyons la question à un comité pour qu'il l'étudie.

(Sur la motion du sénateur LeBreton, le débat est ajourné.)

LES INSUFFISANCES DU PROGRAMME POUR L'AUTONOMIE DES ANCIENS COMBATTANTS

INTERPELLATION—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Callbeck, attirant l'attention du Sénat sur les insuffisances actuelles du programme pour l'autonomie des anciens combattants.—(L'honorable sénateur Di Nino)

L'honorable Consiglio Di Nino : Honorables sénateurs, il est tout à l'honneur du sénateur Callbeck d'avoir attiré notre attention par son interpellation. J'ai parlé avec elle de cette question au cours des deux ou trois dernières semaines.

La semaine dernière, lorsque je n'ai pu être au Sénat parce que je voyageais avec le Comité des affaires étrangères, il y a eu une certaine confusion quant à savoir si un sénateur de ce côté-ci devait intervenir au sujet de l'interpellation du sénateur Callbeck. Apparemment, la question n'a pas été abordée. Toutefois, j'aimerais le faire, même si je ne suis pas prêt aujourd'hui. Par conséquent, si les sénateurs y consentent, je demande qu'on recommence le compte des jours pour que la question reste au Feuilleton. Je serai prêt à aborder la question la semaine prochaine.

Des voix : D'accord.

(Sur la motion du sénateur Di Nino, le débat est ajourné.)

LES TRAVAUX DU SÉNAT

L'honorable Eymard G. Corbin : Honorables sénateurs, le Sénat a reporté le débat sur les questions nos 17 et 26. Comme elles sont toutes deux inscrites depuis quinze jours, elles sont rayées du Feuilleton. Est-ce exact?

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Oui.

[Français]

LE RÔLE DE LA RADIODIFFUSION PUBLIQUE

INTERPELLATION—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Marie-P. Poulin, ayant donné avis le 18 octobre 2005 :

Qu'elle attirera l'attention du Sénat sur la question de la radiodiffusion publique au Canada, en vue de lancer des discussions sur son rôle comme service d'intérêt public.

— Honorables sénateurs, j'aimerais attirer votre attention sur la nécessité pour le Canada de posséder un système national de radiodiffusion public, fort, vigoureux, diversifié et autonome. Au lendemain du conflit de travail qui s'est produit à la CBC, il me paraît opportun de discuter de l'avenir des réseaux publics de radio et de télévision. La proposition n'est pas nouvelle. Depuis la création de la CBC/Radio-Canada, il y a 70 ans, la radiodiffusion publique a connu plus d'un cycle d'introspection. Des changements ont eu lieu, de nouvelles politiques ont été adoptées. On a même promulgué une loi habilitante, modifiée en 1991, pour redéfinir la rôle de notre radiodiffuseur public, mais rien de tout cela ne s'est produit dans un contexte aussi exceptionnel que celui de la conjoncture médiatique actuelle.

(1710)

Une époque caractérisée par Internet, la fibre optique, les technologies de pointe, les canaux multiples et une vaste industrie de l'information et du divertissement transforment de fond en comble la culture comme nous l'avons toujours comprise.

Mes propos d'aujourd'hui ne tombent pas du ciel. La réflexion qui les anime prend forme depuis de nombreuses années, mais le récent conflit de travail à la CBC l'a cristallisée dans l'esprit de la population canadienne. Pendant ces sept semaines de conflit de travail, la plupart des Canadiens et des Canadiennes en Ontario et dans les provinces de l'Ouest ont pu se tourner vers les diffuseurs du secteur privé, mais certaines régions ont été condamnées au silence total, comme entre autres la région arctique, qui dépend entièrement du réseau public de radio et de télévision.

Le conflit a poussé un professionnel des relations publiques de Calgary à m'écrire. Il m'a posé une question très pertinente, et je la cite telle qu'il me l'a acheminée :

[Traduction]

Pensez-vous que la SRC trouvera finalement sa vraie place sur la scène canadienne ou qu'elle disparaîtra tout simplement dans l'ombre de l'univers à canaux multiples en pleine croissance?

[Français]

Voilà la question que se posent bon nombre de Canadiens et de Canadiennes.

Ensemble, rappelons-nous d'abord quelques faits. Pendant une bonne partie de l'histoire du Canada, la radiodiffusion a joué un rôle de premier plan. Le tout premier signal transatlantique de télégraphie sans fil, en provenance de Cornouailles, en Angleterre, a été capté à Terre-Neuve en 1901. L'année suivante, la première station radiotélégraphique a été créée à Glace Bay, en Nouvelle- Écosse. Dans les années 1920, le CN a commencé à offrir un service ferroviaire de radio et, sous la bannière CN Radio, a réalisé la première diffusion de portée nationale, le 1er juillet 1927, à l'occasion du Jubilé de diamant de la Confédération. De ces humbles origines est née la CBC/Radio-Canada, constituée en société de la Couronne en 1936. Au fil des ans, la société s'est forgée un destin journalistique, culturel et technologique impressionnant.

Aujourd'hui, la CBC/Radio-Canada rejoint les Canadiens et les Canadiennes par ses stations régionales de radio et de télévision, de Vancouver à St. John, à Iqaluit, et par ses affiliés, ses huit réseaux nationaux de radio et de télévision et ses sites Web à service complet.

La CBC/Radio-Canada a conclu des alliances avec d'autres diffuseurs publics et s'inscrit dans le secteur des services spécialisés privés. Par exemple, la Société Radio-Canada fait partie d'un consortium de diffuseurs publics qui offre une programmation en français à la Francophonie internationale. Comme vous le savez, ce consortium se nomme TV5.

La CBC/Radio-Canada est donc devenue un géant du monde des communications et c'est très bien ainsi, car le Canada couvre un territoire immense. Nous sommes le deuxième pays au monde du point de vue de la superficie, mais notre population est de faible densité : environ 32 millions d'habitants, dont une bonne partie est concentrée dans les grands centres, et les autres disséminés sur près de 10 millions de kilomètres carrés.

Pour mettre les choses en perspective, rappelons-nous que le Canada compte environ trois habitants au kilomètre carré contre 29 aux États-Unis et un impressionnant nombre de 387 aux Pays-Bas. Les Canadiens et les Canadiennes ont donc absolument besoin d'un réseau national et public de radiodiffusion, ne serait-ce que pour les maintenir en contact avec leur propre pays, qu'ils vivent à Vancouver, à Calgary, à Sudbury, à Chicoutimi, à Moncton, à Toronto ou à Montréal, ce qui ne diminue en rien le rôle des radiodiffuseurs privés et des câblodiffuseurs qui exploitent leur propre créneau. Ils ajoutent à la variété de la programmation, mais ne font pas double emploi avec le diffuseur public. Ils n'ont pas le même mandat que la CBC/Radio-Canada et ils ne peuvent offrir toute la gamme des émissions quotidiennes d'information en radio et en télévision qui doivent conjuguer avec le point de vue régional, provincial, canadien et international.

Bien que 60 p. 100 des foyers canadiens soient abonnés au câble, un grand nombre de ménages ne le sont pas, par choix ou pour des raisons de coût ou parce qu'ils vivent hors des zones desservies par les câblodiffuseurs. Autrement dit, ces gens s'en remettent à la transmission traditionnelle de la télévision par ondes hertziennes et, pour la plupart, les seuls services de télévision auxquels ils ont accès sont la chaîne de CBC Television et la chaîne de télévision de la Société Radio-Canada.

Heureusement, la CBC/Radio-Canada a mis en place au fil des années une infrastructure de télécommunication comprenant des centaines, voire des milliers d'émetteurs afin de rejoindre la population canadienne par la radio et la télévision, en français, en anglais et dans huit langues autochtones.

Honorables sénateurs, dans un monde où la radio et la télévision sont, pour plusieurs d'entre nous, accessibles sur de petits bidules qui tiennent dans le creux de la main, la question se pose : le Canada a-t-il besoin d'un système public de radiodiffusion?

Depuis sa création en 1936, de solides arguments sociaux ont été avancés pour en justifier la raison d'être. Le système public de radiodiffusion est le lien, le fil qui unit quotidiennement les Canadiens et les Canadiennes. Il constitue un service essentiel pour les collectivités dans lesquelles les diffuseurs privés n'arriveraient pas à survivre, que l'on soit anglophone à Gaspé ou francophone à Edmonton.

C'est un service public où les émissions et le journalisme sont de très grande qualité. Ce lien est d'ailleurs exprimé clairement dans le texte de sa loi habilitante, la Loi sur la radiodiffusion, qui définit l'essence même du mandat de la CBC/Radio-Canada, qui est de renseigner, d'éclairer et de divertir.

Plus précisément, l'une des exigences fondamentales faites à la CBC/Radio-Canada dans la loi habilitante est de refléter la globalité canadienne et de rendre compte de la diversité régionale du pays, tout en répondant aux besoins particuliers des régions. Voilà un objectif clé qu'il ne faudrait jamais perdre de vue.

La loi habilitante englobe d'autres aspects essentiels du mandat de la CBC/Radio-Canada, soit de contribuer activement à l'expression culturelle et à l'échange des diverses formes qu'elle peut prendre et de contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales.

Honorables sénateurs, j'estime qu'en cette époque de mondialisation, il importe plus que jamais de valoriser de tels objectifs, de préserver de tels principes, de les traduire en émissions, de radio et de télévision en anglais et en français de qualité et ainsi, d'offrir un service public essentiel au Canada.

Le Canada est dans un tournant historique, et nous avons besoin de nous ancrer dans une notion claire de qui nous sommes, d'où nous venons et où nous allons. La semaine dernière, Mme Carole Taylor, ancienne présidente du conseil d'administration de CBC/ Radio-Canada, aujourd'hui ministre des Finances en Colombie- Britannique, a écrit dans le Globe and Mail :

(1720)

Un diffuseur public doit être pertinent. Il doit être impliqué. Il n'a pas à rivaliser avec les cotes d'écoute; il doit rivaliser sur le plan des idées. Il ne doit pas s'enliser dans le confort et l'autosatisfaction. Il doit mettre au défi, secouer, poser des questions et se mettre à l'écoute des voix du Canada. CBC/ Radio-Canada doit oser risquer et ne pas craindre la controverse.

Honorables sénateurs, réfléchissons au rôle clé que la CBC/ Radio-Canada doit jouer auprès des futurs Canadiens, les immigrants que nous accueillons et qui désirent se renseigner sur leur pays d'adoption, sur notre histoire, nos coutumes, nos différences régionales, nos sports, notre musique, nos chanteurs, notre actualité, notre vie politique, et j'en passe.

La radiodiffusion publique doit rendre compte de l'essence même de notre identité. La CBC/Radio-Canada doit non-seulement témoigner de nos opinions et de nos valeurs, mais aussi faire entendre nos voix dans la communauté internationale.

Les Canadiens méritent d'être entendus. Il faut donc faire l'effort de les écouter et découvrir ce qu'ils pensent et ce qu'ils font dans leur région respective. La CBC/Radio-Canada doit tout faire pour mettre en valeur le talent de nos auteurs, de nos interprètes, de nos producteurs, afin qu'ils contribuent pleinement à écrire l'histoire du Canada.

Il faudra revenir à l'époque glorieuse des émissions pour enfants qui ont connu de si beaux jours : nos futurs premiers ministres, ministres, politiciens, médecins et enseignants les ont regardées attentivement.

Je constate avec plaisir que dans les fonds octroyés cette année par le gouvernement, 60 millions de dollars sont prévus expressément à cette fin et que l'accent est mis sur les dramatiques, les documentaires et les émissions culturelles et artistiques.

Cependant il faudrait envisager de nouvelles alliances avec des organismes comme l'Office national du film, le Centre national des arts, nos salles de concert et nos salles de théâtre partout au pays.

Je suis convaincue que les Canadiens et les Canadiennes accueilleraient favorablement ce genre d'initiatives, même si elles devaient leur coûter quelques dollars de plus par année.

Honorables sénateurs, la question n'est pas de savoir si nous avons les moyens de nous offrir la CBC/Radio-Canada, mais plutôt si nous avons les moyens de nous en passer.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Poulin : Ce qui nous amène à la question des sommes nécessaires. En 2004-2005, les ventes de publicité et d'émissions ont rapporté 332 millions de dollars, ce qui équivaut environ au tiers des crédits parlementaires de 966 millions de dollars, le reste des revenus de près de 1,4 milliard de dollars de la Société Radio-Canada provenant d'autres sources.

Compte tenu de mon expérience, tant dans le secteur privé que dans le secteur public de la radiodiffusion, j'estime qu'il s'agit là d'une contradiction entre la notion d'un radiodiffuseur public et le fait qu'en réalité, il tire une bonne partie de ses revenus de la publicité commerciale. Une hausse des crédits publics, comme le recommande le Comité des finances de la Chambre des communes, pourrait être une possibilité envisageable. Je dis cela parce que les promoteurs de la radiodiffusion publique estiment qu'il ne s'agit pas d'une simple question d'argent ou, pour dire les choses autrement, que l'enjeu va bien au-delà des 30 dollars par année que coûte la CBC/Radio-Canada à chaque citoyen du Canada.

Il est intéressant de relire aujourd'hui les résultats du sondage réalisé au printemps 2004 par le groupe Friends of Public Broadcasting : 71 p. 100 des Canadiens estiment que la CBC fait bon usage de l'argent des contribuables. Quatre-vingt-cinq pour cent pensent que la CBC/Radio-Canada contribue à distinguer le Canada des États-Unis et que son rôle devrait être accru à l'échelle régionale, partout au pays.

Il incombe au gouvernement fédéral d'encadrer les activités de la société d'État par une loi habilitante et par l'attribution des crédits, et il revient à son conseil d'administration d'élaborer la stratégie qui permettera à la CBC/Radio-Canada de remplir les objectifs identifiés dans sa loi habilitante.

Mais les principaux intervenants restent les Canadiens et les Canadiennes eux-mêmes, dont les impôts rendent possible l'existence même d'un réseau national et public de radiodiffusion.

Permettez-moi d'ajouter qu'en raison de son réseau national d'émetteurs, de stations et de personnel, la CBC/Radio-Canada est en mesure de jouer un rôle crucial au chapitre de la sécurité nationale et de la défense civile. Les signaux du radiodiffuseur public sont captés même dans les régions les plus éloignées du Canada et peuvent donc servir à alerter et à guider les Canadiens en cas de catastrophe.

Honorables sénateurs, la CBC/Radio-Canada est un organisme public qui, pendant la plus grande partie du XXe siècle, a su s'imposer comme une figure emblématique dans notre pays. Elle a su témoigner des rêves et des ambitions d'une nation en pleine croissance.

Honorables sénateurs, notre pays mérite une Société Radio- Canada revitalisée, forte et autonome.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Son Honneur le Président : Certains sénateurs interviennent pour poser des questions. Accepteriez-vous de répondre à des questions, sénateur Poulin?

Le sénateur Poulin : Oui.

Son Honneur le Président : Demandez-vous plus de temps? Il vous reste une minute.

Le sénateur Poulin : Mes collègues me donneraient-ils plus de temps?

Son Honneur le Président : Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Rompkey : Cinq minutes.

Le sénateur Kinsella : Six minutes.

[Français]

L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Il y a des millions de Canadiens qui voyagent et qui travaillent à l'extérieur de notre pays.

J'ai été des leurs pendant de nombreuses années et souvent on se sent isolé de notre pays à cause d'un manque de communication de la part des médias. Je me rappelle m'être senti isolé du Canada durant l'année au cours de laquelle j'étais à Harvard, à Boston. Il n'y avait aucune communication canadienne par les satellites, le câble ou les journaux.

Radio-Canada International, joue, selon moi, un rôle de premier plan pour tenir au courant les gens qui voyagent à l'extérieur du Canada des événements qui se produisent au Canada.

Radio-Canada International devrait-il jouer un rôle très spécifique, soit oeuvrer dans le contexte de cet instrument public du gouvernement canadien?

Le sénateur Poulin : Vous avez tout à fait raison, sénateur Dallaire. Radio-Canada International diffuse, en ce moment, dans plus de 25 langues dans le monde entier pour apporter le Canada aux Canadiens et aux Canadiennes qui vivent à l'étranger, mais aussi pour ceux et celles qui s'intéressent au Canada.

J'ai parlé brièvement de TV5. Ce serait extraordinaire si la CBC pouvait créer un consortium pour qu'il y ait aussi une télévision internationale en langue anglaise, comme c'est le cas pour TV5.

Vous avez raison lorsque vous dites que Radio-Canada International joue un rôle clé dans le monde entier.

(1730)

L'honorable Jean Lapointe : Honorables sénateurs, je dois vous dire que j'ai beaucoup aimé l'allocution du sénateur Poulin. Cependant, si je comprends bien, elle est favorable à une augmentation des budgets pour la CBC et Radio-Canada. Je dois vous dire que je suis complètement contre.

Pour ce qui est de la CBC, je suis tout à fait d'accord. Mais pour ce qui est de Radio-Canada, madame le sénateur nous dit qu'elle est prête à augmenter les budgets alors que Radio-Canada et le Réseau de l'information nous assomment quotidiennement.

Prenez par exemple trois ou quatre émissions, ou encore l'émission Tout le monde en parle en particulier, où les deux animateurs se sont affichés comme des séparatistes et des indépendantistes invétérés et invertébrés, pour utiliser un autre terme, et essayez de trouver trois animateurs à Radio-Canada ou au Réseau de l'information qui ne soient pas indépendantistes. Si vous réussissez, j'applaudirai à tout rompre et je serai d'accord avec vous, mais je vous mets au défi d'en nommer trois.

Les fédéralistes qui sont là ne sont pas nombreux, mais les indépendantistes s'affichent comme tels, sauf M. Maisonneuve. On sait qu'il a une tendance plutôt indépendantiste, mais il ne l'affiche pas comme tel. Par contre, le fou du roi et son patron l'affichent quotidiennement et ils choisissent des invités qui pensent comme eux.

Si madame le sénateur est prête à donner des crédits et des subventions afin qu'ils crachent sur Ottawa, et sur le Parti libéral en particulier, et les autres aussi — ce sont des antifédéralistes dans l'âme — je regrette, mais je suis totalement contre.

Je sais que nous n'avons pas le pouvoir d'augmenter les budgets au Sénat, mais je pense que nous avons les moyens de les diminuer et j'irais dans ce sens.

Le sénateur Poulin : Je remercie le sénateur Lapointe de sa question. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il vient de témoigner par son intervention que nous aurons un débat très intéressant sur la question du radiodiffuseur public. J'ai cité à maintes reprises la législation habilitante afin de nous rappeler le mandat de l'entreprise et de rappeler au conseil d'administration sa responsabilité.

L'honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, le sénateur Lapointe a soulevé un bon point en rapport avec le mandat de Radio-Canada. Les employés doivent se conformer à ce mandat.

Le mandat dit : « Contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales ». Voilà le mandat. Il faut remarquer, toutefois, que ce mandat a été modifié pendant les années 1980. Je pense que madame le sénateur Poulin est une experte dans le domaine de la radiodiffusion publique et qu'elle peut sûrement nous expliquer la différence dans les mandats et leur rapport avec la question soulevée par le sénateur Lapointe.

Le sénateur Poulin : Honorables sénateurs, lorsque j'ai préparé mon interpellation d'aujourd'hui, j'ai fait de la recherche dans les législations habilitantes. J'ai remarqué qu'il y avait eu une évolution ou un changement dans les législations. Vous avez raison de dire que, depuis 1991, nous lisons à l'alinéa 3m)(x) : « contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales », tandis que dans la loi habilitante de 1985, avant les changements, on lisait à l'alinéa 3g)(iv) : « contribuer au développement de l'unité nationale et témoigner constamment de la spécificité canadienne ».

Honorables sénateurs, il faudrait savoir quelles étaient les intentions quand les changements à la législation ont été apportés. Pour ce faire, il faudrait lire les discours à la Chambre des communes et au Sénat et il faudrait faire une recherche approfondie pour mieux comprendre. Mais Radio-Canada et son conseil d'administration sont toujours responsables de remplir de remplir ces objectifs très clairement stipulés dans la loi habilitante de 1991.

Son Honneur le Président : Je regrette, sénateur Poulin, mais votre temps de parole est écoulé.

(Sur la motion du sénateur LeBreton, le débat est ajourné.)

[Traduction]

LE SÉNAT

MOTION VISANT À PRESSER LE GOUVERNEMENT D'INTERVENIR POUR ATTÉNUER LES DIFFICULTÉS LIÉES AUX COÛTS ÉLEVÉS DU CARBURANT—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition), conformément à l'avis du 28 septembre 2005, propose :

Que le Sénat exhorte le gouvernement à venir en aide aux contribuables canadiens par l'entremise du régime fiscal de manière à ce que le coût du carburant ne pose pas un obstacle aux personnes qui conduisent pour se rendre au travail, notamment par l'instauration d'une exemption fiscale pour déplacements personnels de 1 000 $;

Que le Sénat exhorte le gouvernement à agir pour faire en sorte que les frais de chauffage résidentiels toujours croissants ne constituent pas un fardeau trop lourd à supporter pour les personnes à faible ou à moyen revenu cet hiver et pour les hivers à venir;

Que le Sénat exhorte le gouvernement à favoriser l'utilisation du transport en commun par l'instauration d'une déduction fiscale applicable aux laissez-passer mensuels ou annuels;

Qu'un message soit envoyé à la Chambre des communes réclamant que la Chambre se joigne au Sénat pour appuyer les propositions ci-dessus.

— Honorables sénateurs, j'ai soulevé cette motion inscrite à mon nom durant une séance précédente. Je voudrais vérifier auprès du Sénat s'il appuie cette motion. Si je constate que c'est le cas, il sera inutile pour moi d'utiliser les 45 minutes à ma disposition puisque nous devrions alors ne pas tenir compte de l'heure. Ainsi, dans l'esprit du dernier débat sur l'autre point à l'ordre du jour, je serai heureux de mettre la question aux voix. Cependant, je ne veux pas risquer de perdre l'occasion de partager avec les honorables sénateurs certaines explications sur les raisons pour lesquelles cette motion est solide et devrait obtenir l'appui de tous les sénateurs. Dans la motion, le Sénat invite le gouvernement à faire trois choses.

Honorables sénateurs, nous savons tous ce qu'il est advenu des prix de l'énergie ces derniers temps, et ces prix causent des difficultés bien réelles à de nombreux Canadiens, peu importe leur situation économique. Dans la majeure partie des régions de notre pays, des stations-service réclamaient déjà 1 $ le litre dans les jours qui ont précédé le passage de l'ouragan Katrina. À la fin du printemps dernier, le mazout de chauffage coûtait déjà 27 cents de plus que l'année précédente.

La réponse du gouvernement a été loin d'être satisfaisante. Malheureusement, le ministre des Finances est heureux de percevoir des dizaines de millions de dollars au titre de la TPS chaque fois que le prix de l'essence grimpe d'un cent, mais il hésite à alléger les difficultés financières que bon nombre connaissent.

Les sénateurs qui ont participé à des délégations parlementaires ont pu, c'est intéressant, remarquer le prix du litre d'essence sur le continent européen. Il y avait autrefois un écart important entre le prix du litre d'essence au Canada et son prix en Europe, que nous estimions alors très élevé. Cet écart s'est maintenant amenuisé et, malheureusement, nous payons presque le même prix que les Européens.

Par cette motion, le Sénat exhorte le gouvernement à faire trois choses. Premièrement, venir en aide aux contribuables canadiens par l'entremise du régime fiscal de manière à ce que le coût du carburant ne pose pas un obstacle aux personnes qui conduisent pour se rendre au travail, notamment par l'instauration d'une exemption fiscale pour déplacements personnels de 1 000 $. J'aurais voulu présenter un projet de loi à ce sujet, mais il aurait dû faire l'objet d'une recommandation royale parce qu'il se serait agi d'un projet de loi de finances.

(1740)

Nous devons donc le faire en présentant une motion exhortant le gouvernement à présenter un projet de loi qui accorderait une exemption de 1 000 $ s'ajoutant à l'exemption personnelle de base. Cela compenserait les frais supplémentaires que doivent engager les gens qui conduisent pour se rendre au travail et en revenir. Tous les honorables sénateurs connaissent des Canadiens qui ne vivent pas à proximité de leur lieu de travail. Souvent, ils travaillent dans un centre urbain, mais le coût de la vie y est trop élevé pour des gens qui gagnent le salaire minimum ou un peu plus. Par conséquent, s'ils doivent parcourir de plus grandes distances pour se rendre au travail et que leur salaire est modeste, ils ont absolument besoin d'aide pour pouvoir se rendre au travail en voiture. On se servirait ainsi de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les indemniser un peu à la suite de la hausse du prix du carburant.

Dans un deuxième temps, il est proposé d'agir pour faire en sorte que les frais de chauffage résidentiels toujours croissants ne constituent pas un fardeau trop lourd à supporter pour les personnes à faible — ou à moyen — revenu cet hiver et pour les hivers à venir.

Le troisième élément de la motion exhorte le gouvernement à favoriser le transport en commun par l'instauration d'une déduction fiscale applicable aux laissez-passer mensuels ou annuels.

La motion propose aussi qu'un message soit envoyé à la Chambre des communes réclamant que la Chambre se joigne au Sénat pour appuyer ces propositions.

J'ai proposé cette motion parce que ces derniers mois, nous avons été témoins d'une augmentation marquée du coût de l'énergie qui a des conséquences réelles sur chacun des Canadiens vivant, travaillant et élevant une famille dans un pays nordique où 32 millions de personnes peuplent la deuxième masse terrestre du monde.

Le gouvernement a réagi en annonçant récemment son propre train de mesures — une ensemble dénué de vision qui est loin de donner un véritable allégement face au niveau élevé des coûts de chauffage, de contrebalancer les incidences du prix de l'essence sur les Canadiens qui travaillent et leur famille, ou d'encourager nos concitoyens à utiliser davantage le transport en commun. La réaction du gouvernement se résume à trois paragraphes dans un communiqué.

Le premier concerne une aide aux personnes gagnant un faible revenu et, malheureusement, elle ne profite qu'à beaucoup trop peu de gens, elle exclut certains des plus pauvres parmi nous et n'offre rien aux Canadiens à revenu modeste.

Le deuxième concerne une aide visant à rendre les maisons plus éconergétiques et à accélérer le déblocage des fonds déjà annoncés pour le transport en commun. Le programme d'accroissement de l'efficacité énergétique des maisons est assorti d'une attrape, bien sûr. De nombreux Canadiens, particulièrement ceux qui ne gagnent que des revenus faibles ou modestes, ne seront peut-être pas en mesure de se payer un nouvel appareil de chauffage plus écoénergétique, même s'ils reçoivent une subvention gouvernementale, quand ils auront fini de payer les factures de chauffage de cette année.

Le gouvernement demande-t-il au Parlement, par l'intermédiaire du projet de loi C-66, d'affecter sur cinq ans un bloc de crédits à ce programme, parce qu'on ne s'attend pas à ce que beaucoup de gens se précipitent pour s'en prévaloir cet hiver?

Une partie de la solution, honorables sénateurs, consiste à encourager les Canadiens à utiliser en plus grand nombre le transport en commun; un crédit d'impôt pour le transport en commun serait une façon positive d'encourager davantage de Canadiens à recourir à ce service. J'y reviendrai sous peu.

Toutefois, les honorables sénateurs voudront peut-être prendre note d'un résultat indirect de l'annonce, soit que les crédits mis de côté pour le transport en commun dans le budget du NPD seraient débloqués. Le gouvernement sera maintenant en mesure de faire une cascade d'annonces en mars prochain sans attendre pour voir si l'excédent budgétaire serait suffisamment substantiel, comme l'exige le projet de loi C-48. Ferais-je preuve de cynisme si l'objectif réel n'était pas de favoriser le développement du transport en commun, mais de multiplier les occasions de séances de photo avant le déclenchement des prochaines élections?

Il y a un troisième volet de mesures que le gouvernement décrit comme étant destiné à « accroître la transparence du marché et la reddition de comptes ». L'expression est jolie. Je vais résister à la tentation de passer les 20 prochaines minutes à rappeler au Sénat à quel point le gouvernement actuel est horripilé par la transparence et la reddition de comptes. En réalité, cette rubrique accrocheuse concernant la transparence et la reddition de comptes se résume à l'intention d'augmenter les amendes prévues dans la Loi sur la concurrence, même si on n'a jamais réussi à avoir gain de cause dans une poursuite aux termes de cette loi, et à créer un organisme gouvernemental de surveillance des prix et des marges bénéficiaires, organisme déjà largement critiqué par ailleurs en raison de la faiblesse de ses moyens d'intervention.

Je ne m'attends guère à ce que l'une ou l'autre de ces mesures entraîne une réduction des prix, et je doute que quiconque du côté des ministériels en attendent davantage. Comment ce nouvel organisme va-t-il traiter des deux principaux facteurs qui ont entraîné les prix de l'essence à la hausse au cours de la dernière année?

En premier lieu, le prix mondial du brut ne baissera pas du fait qu'un organisme gouvernemental canadien surveille le prix de l'essence au détail. En deuxième lieu, ce nouveau bureau de surveillance ne modifiera en rien la capacité de raffinage, qui est la principale cause de l'augmentation importante des prix après l'ouragan Katrina. Bref, les prix de l'essence ne vont pas fléchir parce qu'un organisme gouvernemental les affiche sur son site web. Il se peut que l'on veuille réglementer l'industrie et accepter les coûts d'une telle réglementation. Alors, qu'on le fasse. Il ne serait pas facile cependant d'obtenir l'assentiment des provinces et d'éviter le genre de réaction systémique qui a suivi le Programme énergétique national, dont la seule mention donne de l'urticaire aux Canadiens de l'Ouest, un quart de siècle plus tard. De plus, ce nouvel organisme ne réduira en rien le prélèvement du gouvernement fédéral aux points de vente au détail, à savoir environ 17 cents le litre, à l'heure actuelle, ni ne mettra fin à la pratique d'imposer une taxe sur une taxe.

L'objectif de cet organisme semble être en quelque sorte de faire honte aux sociétés pétrolières pour qu'elles réduisent leurs prix. Si tel est le cas, il pourrait peut-être publier périodiquement des chiffres qui refléteraient la crainte du gouvernement devant les prix au détail et pourrait ainsi lui faire suffisamment honte pour qu'il décide de venir en aide aux Canadiens à faible revenu.

Parallèlement à la volonté soudaine du gouvernement de contrôler les prix du carburant, nous avons vu certains de ses députés proposer la perspective, non pas de prix de l'énergie qui seraient à la portée des Canadiens à revenu faible et moyen, mais de prix encore plus élevés. Selon le Calgary Herald du 24 août 2005, en effet, le ministre de l'Environnement, Stéphane Dion, a déclaré que, en réalité, les prix élevés de l'essence étaient avantageux pour le Canada, à moyen et à long termes. Nous lisons dans le numéro du 17 août du Hamilton Spectator que John Efford, ministre des Ressources naturelles à l'époque, a dit que les Canadiens devaient s'habituer au prix élevé du carburant.

Ce sont les membres du parti ministériel, jusqu'aux députés d'arrière-ban, qui véhiculent cette vision sur l'augmentation des prix de l'énergie. Dans son numéro du 11 septembre, le Sun de Toronto rapporte les paroles du député de Ajax—Pickering, M. Holland, qui aurait dit :

Cela a eu des répercussions importantes sur les consommateurs, mais nous devons nous rendre compte que le temps du pétrole à bon marché est pour ainsi dire terminé [...] Bon nombre d'analystes affirment que le prix de l'essence devrait bientôt atteindre 1,50 $ le litre.

Honorables sénateurs, sur quoi est-ce que je m'appuie pour proposer des mesures d'allègement fiscal? Le ministre John Godfrey, de la région de Toronto, aurait dit, selon un article publié dans le National Post du 8 septembre dernier, que la solution à l'augmentation vertigineuse du prix de l'essence passait par la promotion du transport en commun.

Le transport en commun répond en partie à ce problème et je parlerai dans quelques instants d'un crédit d'impôt pour l'achat de cartes d'abonnement de transport en commun. Toutefois, je ne prétends pas un seul instant que le transport en commun permettra de remplir les réservoirs d'essence des camionneurs indépendants qui transportent du bois entre l'intérieur de la Colombie- Britannique et Vancouver, des pièces d'auto entre Brampton et Oshawa ou du lait entre les laiteries des Cantons de l'Est et les épiceries de Montréal. Je ne prétends pas non plus que le transport en commun pourra aider les agriculteurs des Prairies à faire fonctionner leurs moissonneuses-batteuses cet automne et à transporter leurs produits vers les marchés. Je ne crois pas non plus que le transport en commun permettra à Mary MacDonald de se rendre de sa ferme située près de Skinner's Pond jusqu'à Charlottetown pour aller voir le médecin.

Le gouvernement ne se préoccupe-t-il pas du tout des problèmes que l'augmentation vertigineuse du prix de l'essence cause aux camionneurs et aux Canadiens des régions rurales? Dans son numéro du 24 septembre, le Toronto Star rapportait les propos de ce même M. Godfrey, qui disait :

La seule solution sera d'offrir un bon système de transport en commun et d'encourager les gens à vivre dans des endroits développés où la population est plus concentrée et les transports en commun plus facilement accessibles.

(1750)

Est-ce que c'est cela la réponse du gouvernement aux Canadiens des régions rurales dont le seul moyen de transport est leur voiture : déménagez à Toronto et vivez dans un milieu plus concentré? J'espère bien que non.

Honorables sénateurs, les effets sur les Canadiens ordinaires sont réels. Ce ne sont pas tous les Canadiens qui vivent à Toronto ou qui veulent y vivre. Même les habitants des grandes villes ont besoin de leur voiture pour vaquer à leurs activités quotidiennes et élever leur famille.

Pensez à Joe LeBlanc pendant quelques instants. Cet homme vit à environ 30 kilomètres à l'extérieur de Moncton, au Nouveau- Brunswick. Il était agriculteur à plein temps, mais n'arrivait pas à joindre les deux bouts, de sorte qu'il continue de travailler tous les jours de la semaine à Moncton, consacrant ses fins de semaine à l'exploitation de sa ferme avec un peu d'aide de sa femme. Les transports en commun ne représentent pas maintenant une option pour Joe, et ne le seront jamais, pour la même raison qu'ils ne sont pas une option pour la plupart des habitants des régions rurales. Il n'y aura jamais assez d'usagers pour amortir ne serait-ce qu'une infime partie de ce qu'il en coûte pour assurer des services dans des secteurs où il n'y a qu'une maison à chaque demi-mille.

Nous ne parlerons pas de l'essence que Joe utilise sur sa ferme, mais elle lui coûte aussi beaucoup plus cher que dans le passé. Joe fait 60 kilomètres en auto à chaque jour pour se rendre au travail et en revenir. Étant donné que son employeur est ouvert jusqu'à 18 heures pour servir les clients, les heures de travail de Joe ne lui permettent pas de faire du covoiturage avec des voisins qui terminent leur journée de travail une heure avant lui.

Soixante kilomètres par jour représentent 300 kilomètres par semaine. Joe utilise environ 10 litres d'essence pour parcourir 100 kilomètres, soit 30 litres par semaine. Il paie maintenant environ 20 cents de plus pour un litre d'essence qu'il ne le faisait il y a quelques années. Cela représente 6 $ de plus par semaine. Par conséquent, si Joe travaille 48 semaines par année, son essence lui coûte donc 288 $ de plus par année. À un dollar le litre, Joe dépense 1 440 $ par année pour aller au travail et en revenir.

Et ceci ne tient même pas compte de tous les autres déplacements qu'une personne effectue lorsqu'elle vit en milieu rural. Le magasin d'alimentation local, que ce soit Sobeys ou Co-op, est probablement à 10 milles de là. Il faut parfois se rendre dans plus d'une collectivité pour obtenir tout ce qui figure sur notre liste. Vos adolescents ne peuvent prendre le bus pour se rendre au centre commercial; vous devez les y conduire. Si votre enfant tombe malade à l'école, vous devez peut-être conduire une demi-heure pour aller le chercher.

La famille LeBlanc effectue probablement autant de kilomètres après le travail et pendant les week-ends que M. LeBlanc n'en fait pour aller au travail et en revenir. L'augmentation de 20 cents du coût du litre d'essence entraînera probablement une dépense supplémentaire annuelle d'au moins 500 $ pour eux, tandis que le total de la facture d'essence va sans doute dépasser 3 000 $. Mon ami Joe est coincé par un gouvernement qui ne se soucie pas du sort des familles à modeste revenu dans les régions rurales du Canada.

Les ministres de l'Infrastructure et de l'Environnement risquent d'être surpris, mais ceux qui vivent dans des zones urbaines et qui ont accès aux transports en commun ont quand même besoin de leur voiture. Il est fréquent de voir des utilisateurs des transports en commun descendre de l'autobus à la fin de leur journée de travail pour ensuite passer leurs soirées et leurs fins de semaine dans leur voiture pour s'acquitter de leurs tâches de parents responsables.

Prenons l'exemple de la famille Smith, qui vit à Ottawa, le quatrième centre urbain en importance au pays, une ville qui est mieux desservie par les transports en commun que bon nombre de plus petites agglomérations urbaines. Supposons donc que les Smith commencent à prendre l'autobus pour se rendre à leur travail au centre-ville d'Ottawa.

Honorables sénateurs, c'est une chose d'utiliser l'autobus à l'heure de pointe pour se rendre au travail. C'en est une autre de conduire les enfants aux activités des guides et des scouts, aux cours de piano et aux pratiques de hockey le soir et les fins de semaine. Il faut une voiture parce qu'il est impossible d'être à deux endroits à la fois. Les Smith ont besoin d'une voiture pour que les enfants puissent souper à table en famille ou aller au lit à une heure décente les soirs où ils ont des activités, car les soirées sont trop courtes pour faire autrement.

M. Smith conduit sa fille aux cours de patinage parce que, s'il ne prenait pas son auto, il lui serait impossible de passer prendre son fils après la pratique de hockey qui doit avoir lieu à la même heure à 8 kilomètres, dans la direction opposée.

Les fins de semaine, les Smith se rendent à l'église en auto, à plusieurs kilomètres de distance. Je ne pense pas que même le ministre de l'Infrastructure s'attendrait à ce que les Smith se convertissent à une autre religion pour trouver un lieu de culte situé le long du parcours de l'autobus.

M. Smith est en train d'aménager le sous-sol de façon à ce que les enfants aient leur propre espace dans la maison. Cela signifie plusieurs visites chez Home Depot ou chez Rona pour acheter des matériaux de construction qu'il faut rapporter à la maison. Il est difficile de transporter du placoplâtre en autobus.

Il n'est pas vraiment pratique de transporter en autobus tous les produits d'épicerie qui sont nécessaires pour nourrir toute une semaine une famille de quatre personnes. Une fois par semaine, Mme Smith sort avec ses amies et, comme beaucoup de femmes, elle n'aime pas attendre un autobus à minuit. Je ne la blâme pas.

La mère de Mme Smith vit en banlieue et sa santé est chancelante. Mme Smith prend donc l'auto et fait beaucoup de kilomètres pour aller la voir et l'aider de son mieux.

Au bout du compte, honorables sénateurs, même si les membres de la famille Smith se rendent au travail en autobus, l'odomètre de la voiture enregistre quand même 20 000 kilomètres de plus par année et ce, chaque année. Celle-ci consomme environ 10 litres d'essence aux 100 kilomètres, soit quelque 2 000 litres par année. En supposant que le prix de l'essence se situe autour de 1 $ le litre, cela fait des coûts annuels en carburant de 2 000 $. Une augmentation de 20 cents du prix de l'essence à la pompe se traduit par des dépenses supplémentaires de 400 $ par année pour cette famille à revenu modeste, même si ses membres prennent l'autobus pour aller travailler.

Il est très facile au gouvernement fédéral d'imposer une taxe sur l'essence, mais il lui est très difficile d'accepter de réduire cette taxe ou, à tout le moins, d'arrêter de systématiquement prélever une taxe sur une taxe ou encore d'accorder des allègements d'impôt pour compenser ces hausses de prix.

Honorables sénateurs, les coûts élevés de l'énergie étranglent les Canadiens à revenu modeste, ceux-là même aux dépens de qui le gouvernement a accumulé un excédent après l'autre. Ceux-ci ont payé plus que leur part à un gouvernement qui n'est pas le moindrement intéressé à les aider à faire face à la hausse du prix du carburant et qui évalue les propositions en fonction du nombre de séances de photo qu'il pourra en tirer.

Les Canadiens sont déjà en difficulté, et leur endettement ne cesse d'augmenter. L'effet combiné de la hausse du prix de l'essence, l'augmentation de ce qu'il en coûte pour chauffer nos maisons et la hausse annoncée des taux hypothécaires vont assener un dur coup à un bon nombre de familles canadiennes à revenu modeste.

En effet, le Conference Board du Canada a rapporté le mois dernier que la flambée des prix de l'énergie et la crainte des taux d'intérêt minaient déjà la confiance des consommateurs. Pour assumer ces coûts, de nombreux Canadiens dépenseront moins et retarderont d'importants achats.

Trop de Canadiens à revenu faible ou modeste ont déjà du mal à boucler leur budget. Nous ne pouvons rien faire au sujet du cours mondial du pétrole, mais nous pouvons aider à contrebalancer cet effet en accordant un allègement fiscal pour rétablir le pouvoir d'achat perdu.

Il y a eu lieu d'accorder de l'aide pour atténuer les coûts de chauffage et je suis sûr que les autres honorables sénateurs qui prennent part au présent débat aborderont ce dossier.

Il est encore plus facile de justifier les laissez-passer de transport en commun, particulièrement dans les grands centres urbains.

Honorables sénateurs, la motion dont nous sommes saisis est très raisonnable. Nous proposons que notre honorable assemblée demande au gouvernement de prendre des mesures proactives pour atténuer la crise actuelle qui découle de la hausse du prix de l'essence.

Pour conclure, honorables sénateurs, l'actuel gouvernement est au pouvoir depuis une douzaine d'années, mais il n'a pas encore établi un cadre énergétique canadien exhaustif. Il est devenu très clair qu'il ne se soucie pas des Canadiens à revenu modeste qui ont du mal à assumer la hausse des prix de l'énergie. Le mieux que ce gouvernement peut offrir, c'est une approche ponctuelle fondée davantage sur les relations avec les médias que sur un désir réel de trouver des solutions. Il est temps de défendre les intérêts des Canadiens à revenu modeste qui font face à des factures de chauffage et d'essence plus élevées.

En fait, quand le Canadien moyen, qui consomme du pétrole pour pour se rendre au travail en voiture ou pour chauffer sa maison l'hiver, paye un prix excessif à la pompe, c'est parce qu'on permet que la politique de ce gouvernement, qui consiste à les exploiter, soit maintenue.

L'engagement du Canada dans le cadre du Protocole de Kyoto doit être renforcé, compte tenu que nous n'avons pas de plan pratique décrivant des initiatives claires pour trouver des formes d'énergie plus économiques et plus propres qui remplaceraient les millions de barils de pétrole que nous consommons quotidiennement pour conduire nos voitures, chauffer nos maisons et produire de l'électricité.

(1800)

Le gouvernement a réservé des fonds, lui permettant ainsi de se vanter de sommes qu'il compte dépenser dans les prochaines années dans le dossier de l'environnement. Cependant, il n'a toujours pas établi de stratégie...

[Français]

Son Honneur le Président suppléant : Honorables sénateurs, je vois maintenant que l'horloge indique 18 heures. À moins qu'il y ait consentement pour que la présidence ne voie pas l'horloge, je dois quitter le fauteuil pour revenir à 20 heures. Est-ce qu'il y a consentement?

[Traduction]

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Il est convenu de ne pas tenir compte de l'heure, Votre Honneur.

Le sénateur Kinsella : Honorables sénateurs, j'encourage le Sénat à appuyer cette motion, puisqu'elle enverrait le message clair que nous appuyons tout allégement fiscal qui aidera les familles canadiennes à assumer les coûts énergétiques croissants, ainsi que toute mesure appropriée qui permettra aux Canadiens de chauffer leur maison, non seulement cet hiver mais aussi tous les hivers suivants. La motion affirme aussi que le Sénat estime qu'on devrait utiliser des incitatifs positifs comme les crédits d'impôt pour les laissez-passer de transport afin d'encourager les gens à emprunter les transports en commun.

(Sur la motion du sénateur Rompkey, le débat est ajourné.)

CONFLITS D'INTÉRÊTS DES SÉNATEURS

AUTORISATION AU COMITÉ D'ENGAGER DU PERSONNEL

L'honorable Serge Joyal, conformément à l'avis du 20 octobre 2005, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des conflits d'intérêts des sénateurs soit habilité à retenir les services de conseillers, de techniciens, d'employés de bureau ou d'autres personnes pour examiner les questions qui lui sont renvoyées par le Sénat ou dont il sera saisi en vertu du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs.

(La motion est adoptée.)

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 26 octobre 2005, à 13 h 30.)

ANNEXE


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