Débats du Sénat (Hansard)
Débats du Sénat (hansard)
1re Session, 38e Législature,
Volume 142, Numéro 80
Le lundi 4 juillet 2005
L'honorable Daniel Hays, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- ORDRE DU JOUR
- Projet de loi autorisant le ministre des Finances à faire certains versements
- Projet de loi sur le mariage civil
- Projet de loi sur les motomarines
- La Loi sur la gendarmerie royale du Canada
- L'étude des questions relatives au taux de productivité
- Le rapport d'étape sur les soins de fin de vie de qualité
- Les travaux du Sénat
LE SÉNAT
Le lundi 4 juillet 2005
La séance est ouverte à 16 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
LIVE 8
L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour rendre hommage aux organisateurs, aux artistes et au public de la série de concerts Live 8. D'une façon plus importante, je prends la parole à titre de Canadienne d'origine africaine pour attirer l'attention sur l'important message véhiculé par cet événement, qui a été mis sur pied par sir Bob Geldof et par Bono, du groupe U2 — qui sont tous deux Irlandais — ainsi que par de nombreux autres artistes du monde entier.
Dans l'édition de vendredi dernier du Globe and Mail, John Doyle mentionne de façon éloquente les défis qu'a eu à relever le peuple irlandais durant la grande famine qui a sévi au milieu du XIXe siècle. Il a écrit :
Ce qui s'est produit lors de la famine des années 1840 en Irlande a été enclenché par une force de la nature, mais a été exacerbé par la politique économique et la philosophie politique. C'est précisément la raison pour laquelle le souvenir de cet événement incite Geldof et Bono à agir au nom des personnes qui vivent dans des pays du tiers monde et qui sont non seulement victimes de désastres naturels, mais aussi à la merci de politiques et de gouvernements étrangers qui sont loin d'eux.
En tant que personne originaire de l'Afrique, je peux dire aux sénateurs que tout ce qui peut contribuer à sensibiliser les gens est une bonne chose. Je joins ma voix à celle des milliers de Canadiens qui disent qu'il faut une approche globale pour régler ces problèmes, et non pas y aller au cas par cas.
À titre d'envoyée du Canada pour la paix au Soudan, j'ai été très attristée en 2001 lorsque j'ai été informée de la perte de 2 millions de vies humaines dans le sud du Soudan et du déplacement de 4 millions d'autres personnes, qui ont dû quitter leurs maisons pendant que la communauté internationale restait passive.
Depuis quelques années, le Canada est présent au Soudan et il fournit des ressources pour aider à forger la paix. Toutefois, pendant que notre attention était tournée vers le conflit dans le sud du Soudan, le monde ne s'est pas occupé des problèmes au Darfour, qui ont entraîné des souffrances inutiles pour un grand nombre d'hommes, de femmes et d'enfants de cette région. Encore maintenant, au moment où nous apportons une aide au Darfour, des problèmes se manifestent dans l'est du Soudan. Des combats ont eu lieu entre les forces gouvernementales, le mouvement des Lions libres et le parti Congrès Béja. Cette situation illustre le fait que lorsqu'on s'occupe des problèmes au cas par cas, les souffrances continuent.
J'étais récemment dans l'est du Soudan. Tous les soirs, lorsque je me couche, je me rappelle comme si c'était hier de cette mère enceinte, entourée de ses trois jeunes enfants, qui m'a saisi les poignets pendant que je marchais dans Kassala. Elle avait entendu dire que j'étais l'envoyée du Canada et elle m'a montré les camions qu'on chargeait pour envoyer des denrées et d'autres produits au Darfour. Il était évident que ces enfants et elle n'avaient pas mangé depuis des jours et elle m'a supplié de lui dire quand ses enfants allaient pouvoir enfin manger. Je n'avais pas de réponse et je n'en ai toujours pas.
Honorables sénateurs, il est important de prendre à coeur le message du concert Live 8. Nous avons le pouvoir de nous attaquer à ces questions dans leur ensemble. J'exhorte tous les sénateurs à joindre leurs voix à celles de tous les Canadiens pour aider à éliminer la pauvreté.
LA COMMISSION DE LA DÉMOCRATIE ET DES DROITS DE L'HOMME DE L'UNION INTERPARLEMENTAIRE
L'honorable Sharon Carstairs : Honorables sénateurs, depuis un an environ, j'ai le privilège de siéger à la Commission de la démocratie et des droits de l'homme de l'Union interparlementaire, et c'est la raison pour laquelle j'ai dû m'absenter pour une période d'environ dix jours. J'étais au Samoa dans le cadre d'une mission de l'Union interparlementaire. En effet, le chef de l'opposition officielle avait formulé une plainte au sujet de problèmes dans ce pays et j'ai donc été envoyée là-bas pour faire enquête.
Je ne crois pas que de nombreux honorables sénateurs aient une bonne idée de la nature du travail de cette commission des droits de l'homme et je vais donc vous l'expliquer. L'UIP est formée de 143 pays et elle est appelée parfois les Nations Unies des parlementaires. Tous les parlementaires qui, pour une raison quelconque, pensent qu'on les a privés de certains droits peuvent s'adresser à cette commission pour obtenir une enquête. La commission s'occupe du cas de parlementaires qui ont littéralement disparu de la surface de la planète. Nous nous occupons de parlementaires qui sont incarcérés depuis très longtemps. Nous nous penchons sur le cas de parlementaires qui jugent ne pas pouvoir faire entendre leur voix dans l'assemblée législative ou le Parlement où ils ont été élus.
Honorables sénateurs, le Canada est un pays chanceux. Nous avons l'occasion de servir comme membres de telles commissions, afin de pouvoir aider les parlementaires de pays comme la Birmanie, l'ancienne Afrique du Sud et le Zimbabwe, où les parlementaires ne peuvent faire reconnaître leurs droits par les partis au pouvoir. Ainsi, c'est un grand honneur et un immense privilège de siéger à cette commission, de représenter le Canada qui a tant et d'aider ainsi ceux qui ont si peu.
[Français]
LA FÊTE DU CANADA
L'honorable Marie-P. Poulin : Honorables sénateurs, vendredi dernier, j'étais à Sudbury pour fêter, tout comme vous, la Fête du Canada. Ce fut une belle célébration. Le succès de cette célébration s'explique en grande partie par la générosité des nombreuses minorités visibles de Sudbury. Cette fête m'a rappelé que le visage du Canada et de nos régions est en plein changement.
J'ai déposé en cette Chambre une motion visant la création d'un comité chargé d'examiner l'écart entre les régions et les centres urbains. Dans le contexte de la mondialisation et en raison de notre désir d'augmenter notre productivité, il est important qu'en tant qu'institution, nous prenions le temps de prendre du recul face à notre pays, face à l'équilibre que nous voulons assurer entre nos grands et moins grands centres et face à nos régions, où se retrouvent toutes nos ressources naturelles.
Honorables sénateurs, en cette journée où nous célébrons la fête de nos voisins, les États-Unis, nous devons saisir l'occasion pour leur offrir nos meilleurs voeux, mais également pour nous dire qu'ensemble, à titre de partenaires en Amérique du Nord, nous devons jouer un très grand rôle dans le contexte de la mondialisation d'aujourd'hui.
(1610)
LE SITE DE L'HÔPITAL PÉDIATRIQUE DES SHRINERS
L'honorable Marcel Prud'homme : Honorables sénateurs, je ne voudrais pas jeter une pierre dans cette foire d'applaudissements, mais les deux derniers sénateurs qui ont pris la parole ont soulevé deux questions qui m'intéressent particulièrement, dont une portant sur l'Union interparlementaire.
Par un jeu de passe-passe extraordinaire, on a réussi à éliminer les sénateurs indépendants de cette association, alors que j'ai donné 40 ans de ma vie à l'Union interparlementaire. Je vous en parlerai lorsque je participerai au débat sur l'Union interparlementaire. Je vous raconterai de belles histoires, dont quelques-unes que j'appellerais des histoires d'horreur.
Il y en a une question qui me fait vraiment râler, au moment même où nous célébrons nos amis des États-Unis, où je serai dans quelques instants, car j'y fête toujours la fête des États-Unis.
Je trouve déplorable cette chicane entre l'Ontario et le Québec, entre deux premiers ministres, pour l'hôpital des Schriners. Vraiment, cela me dégoûte, cela m'écoeure et cela me fait vomir. On fait tout pour sauver le Canada, et parfois je me demande quand c'est important, le beau et grand Canada, d'un océan à l'autre!? Je me demande quand, honorables sénateurs, est important ce vaste pays? Est-ce lorsque M. Charest se promenait au Québec, la veille du référendum, la main sur la poitrine en parlant du passeport canadien? C'est important cela, la veille du référendum!
Et voilà qu'au moment où nous allons encore affronter toutes sortes de crises au Québec, deux premiers ministres se chicanent pour un hôpital qui devrait être situé à Montréal. Je trouve que c'est un spectacle affolant que de voir deux premiers ministres, et ce grand niaiseux de premier ministre de l'Ontario, se mêler de cette question!
J'ai entendu la bobine de London, Ontario. Je l'ai entendue à Radio-Canada. Vraiment, honorables sénateurs, si vous pensez que c'est ainsi qu'on va sauver ce beau, grand et noble pays qui s'appelle le Canada, je peux vous dire ce n'est pas avec ce que j'ai entendu à Radio-Canada, pour vanter la beauté de London contre Montréal, que cela va se faire!
Que cela se soit fait avec l'appui du premier ministre de l'Ontario, je trouve cela vraiment révoltant. Et ces gens vont venir encore, la main sur le cœur, à la veille des prochains référendums au Québec, pour nous dire tout leur grand amour, pour l'oublier immédiatement dès le lendemain! Ces deux premier ministres auraient dû rester à l'écart du débat : M. McGuinty par sa provocation et la provocation naturelle de la réponse de M. Charest.
Nous, Canadien français, essayons de bâtir ce pays; nous essayons de le bâtir avec nos amis de l'Alberta et nous essayons d'en faire un exemple pour le reste du monde entier, comme nous en a parlé madame le sénateur Carstairs. Et voilà que deux — j'allais presque dire deux morons — s'affrontent pour un hôpital qui devrait rester pour toujours à Montréal!
[Traduction]
L'ÉLIMINATION DES SUBVENTIONS AGRICOLES
L'honorable Mac Harb : Ma déclaration d'aujourd'hui sera inhabituelle car je veux rendre hommage à George Bush, président des États-Unis. Je veux lui rendre hommage en tant que libéral et, par extension, en tant que démocrate, internationaliste et capitaliste à tendance sociale. Je tiens à féliciter le président des États-Unis pour avoir déclaré récemment que les pays riches devaient éliminer les subventions à l'industrie agricole.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Harb : Je crois que c'est, et de loin, la déclaration la plus audacieuse jamais entendue d'un grand pays comme les États-Unis. Honorables sénateurs, si nous sommes vraiment sérieux lorsque nous disons vouloir aider les pays les moins développés, il nous faut abattre les barrières commerciales pour que ces pays puissent vendre leurs produits sur nos marchés. Par conséquent, si nous commencions en éliminant les 350 milliards de dollars américains versés en subventions aux agriculteurs de l'Union européenne, des États-Unis de même que du Canada et du Japon, nous ferions beaucoup pour aider les pays les plus pauvres à lutter contre la pauvreté.
De plus, honorables sénateurs, j'ajouterai que les pays riches doivent aller encore plus loin et traduire leurs paroles en gestes concrets. Les dispositions préventives sont des barrières commerciales qui n'ont pas nécessairement une existence officielle, mais qui existent néanmoins en raison des défauts du système de l'Union européenne et, dans une large mesure, des États-Unis. Elles doivent être éliminées. Dans la situation actuelle, les producteurs agricoles des pays pauvres sont pénalisés par des mesures qui ne sont pas prévues par la loi. J'espère donc que les dirigeants de l'Union européenne et ceux d'ici, au Canada, de même que ceux du Japon, feront leur la déclaration du président des États-Unis et la mettront en oeuvre, ce qui nous rapprocherait de l'établissement des mêmes règles pour tous, partout dans le monde.
Cela, honorables sénateurs, m'amène à une autre étape. Lorsque je dis qu'il faut traduire les discours par des mesures concrètes, je veux rendre hommage au gouvernement du Canada qui vient tout récemment d'éliminer les barrières commerciales sur tous les biens et produits qui viennent des pays les moins développés, ce qui a permis à un pays comme le Bangladesh de quadrupler ses exportations vers le Canada. Grâce à cette mesure, près de 1,8 million de personnes, des jeunes femmes pour la plupart, ont pu garder leur emploi et soutenir leur famille.
L'HONORABLE LANDON PEARSON
FÉLICITATIONS À L'OCCASION DE SON INCLUSION DANS LE GROUPE DE 1 000 CANDIDATES POUR LE PRIX NOBEL DE LA PAIX 2005
L'honorable John G. Bryden : Honorables sénateurs, j'aimerais souligner brièvement le fait que ma voisine de pupitre, madame le sénateur Landon Pearson, a été choisie candidate pour le prix Nobel de la paix 2005, en compagnie de 1 000 femmes de partout dans le monde.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Bryden : Le choix du sénateur Pearson découle de ses efforts, tant au Canada qu'à l'étranger, visant à protéger et à promouvoir les droits des enfants, de son engagement à long terme envers les droits des enfants et de sa compréhension profonde de cette cause. Intervenante active dans les politiques publiques liées aux enfants depuis les années 60, le sénateur Pearson a été le cofondateur d'un programme de prévention des maladies mentales chez les enfants à Ottawa, au Canada, en 1974. À titre de vice- présidente de la Commission canadienne pour l'Année internationale de l'enfant, elle a parcouru le Canada de 1978 à 1980 afin de consulter les Canadiens en vue de l'élaboration du plan d'action national sous le gouvernement du premier ministre Pierre Elliott Trudeau. Madame le sénateur Pearson a réussi à convaincre la Commission de l'importance de consulter également les enfants et les jeunes, bien avant que le droit de participation des enfants ne soit consacré par l'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant.
Tout comme nous sommes tous fiers d'être un des 105 sénateurs choisis pour siéger en ce lieu, je crois que nous sommes tous aussi fiers que madame le sénateur Pearson fasse partie des 1 000 femmes en lice pour le prix Nobel de la paix.
(1620)
ORDRE DU JOUR
PROJET DE LOI AUTORISANT LE MINISTRE DES FINANCES À FAIRE CERTAINS VERSEMENTS
DEUXIÈME LECTURE—SUITE DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Eggleton, C.P., appuyée par l'honorable sénateur Baker, C.P., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-48, Loi autorisant le ministre des Finances à faire certains versements.
L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, nous avons eu un bon débat approfondi sur ce projet de loi jeudi dernier, et un certain nombre de questions ont été soulevées. J'ai eu l'occasion d'étudier ces questions et d'examiner la transcription des délibérations et j'ai pensé que je pourrais peut-être en aborder quelques-unes durant le temps qui m'est alloué dans le cadre du débat sur ce projet de loi en particulier, le projet de loi C-48.
Les honorables sénateurs s'en souviennent sans doute, le projet de loi C-48 est intitulé « Loi autorisant le ministre des Finances à faire certains versements ». Normalement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales examine un projet de loi comme celui-ci, c'est-à-dire un projet de loi qui autorise des versements ou vise à le faire, pour voir s'il contient une recommandation royale. Comme ce projet de loi contient une recommandation, il semble donc être conforme aux règles.
La recommandation dit ceci :
Son excellence la Gouverneure générale recommande à la Chambre des communes l'affectation de deniers publics dans les circonstances, de la manière et aux fins prévues dans une mesure intitulée « Loi autorisant le ministre des Finances à faire certains versements ».
Honorables sénateurs, ce projet de loi comporte trois dispositions et tient sur deux pages. La première partie du projet de loi autorise le ministre à faire certains versements. En ce qui concerne la seconde partie, j'aimerais attirer votre attention sur le paragraphe 3, qui précise ce qui suit :
3. Pour l'application de la présente loi, le gouverneur en conseil peut, selon les modalités qu'il juge indiquées, autoriser tout ministre...
Le projet de loi prévoit ensuite que le gouverneur en conseil peut autoriser tout ministre « à élaborer et à mettre en oeuvre des projets ou programmes ». Parmi les questions soulevées jeudi, il y a eu celle- ci : Doit-il s'agir de nouveaux programmes ou les fonds prévus dans ce projet de loi peuvent-ils servir à augmenter le financement de programmes existants? Le premier alinéa est ainsi libellé :
a) à élaborer et à mettre en oeuvre des projets ou programmes;
Le gouverneur en conseil peut autoriser un ministre à conclure des accords « avec des gouvernements provinciaux, des municipalités, des organismes ou des personnes ». Il y a ici une similitude avec plusieurs accords qui ont été conclus relativement à des provinces. Cette disposition vise à couvrir les choses comme le nouveau pacte à l'intention des municipalités, les modalités concernant le remboursement de la TPS et d'autres paiements de transfert.
L'alinéa c) est ainsi libellé :
c) à octroyer des subventions, à fournir des contributions ou à effectuer d'autres paiements;
L'autorisation de faire des paiements vient du gouverneur en conseil. Même si le ministre des Finances est autorisé par ce projet de loi à débloquer ces fonds, il est en quelque sorte assujetti à une forme de surveillance étant donné que le gouverneur en conseil doit donner son autorisation pour que les subventions, les contributions ou les autres paiements soient octroyés.
Finalement, l'alinéa d) prévoit ceci :
d) sous réserve de l'approbation du Conseil du Trésor, à majorer les sommes déjà affectées par le Parlement;
C'est la réponse au deuxième volet de la question soulevée l'autre jour. Doit-il s'agir d'un nouveau programme ou peut-il s'agir d'un programme qui serait un complément à un programme existant? La réponse est claire. Selon le troisième alinéa, ce peut être l'un ou l'autre. Il appartiendrait alors au ministre des Finances, de concert avec le gouverneur en conseil, de prendre la décision à cet égard, après consultation de tous les groupes concernés dans ce secteur particulier.
Les honorables sénateurs se souviendront que la limite maximale prévue dans le projet de loi C-48 est de 4,5 milliards de dollars. Il y a toutefois d'autres exigences à respecter. Ces dispositions sont valides sur une période couvrant deux exercices financiers. Au cours du premier exercice, il faut enregistrer un excédent supérieur à deux milliards de dollars avant que le projet de loi puisse s'appliquer. Le projet de loi C-48 prévoit que, sur la période couvrant les deux exercices financiers, il faut enregistrer des excédents de 4 milliards de dollars pour que des fonds soient versés. Le gouvernement a, de tout temps, utilisé une partie de l'excédent. Il y a un usage tacite selon lequel jusqu'à 50 p. 100 de l'excédent d'un exercice est appliqué au remboursement de la dette accumulée. Les honorables sénateurs peuvent constater que le gouvernement doit d'abord s'employer à enregistrer un excédent avant que le projet de loi puisse s'appliquer.
Le libellé du projet de loi précise d'autres exigences. Ces initiatives doivent avoir lieu dans certains domaines, qui sont tous assujettis à certaines limites. Les honorables sénateurs se souviendront qu'il y a 900 millions de dollars pour l'environnement; 1,5 milliard de dollars pour la formation et l'éducation postsecondaire; 1,6 milliard de dollars pour le logement et 500 millions de dollars pour l'aide à l'étranger. Ce sont là des dépenses autorisées par voie législative.
Nous avons étudié le projet de loi de crédits il y a deux semaines, qui est un autre moyen pour le Parlement d'autoriser le gouvernement à affecter et à dépenser des sommes. Le projet de loi dont nous sommes maintenant saisis autorise des dépenses par voie législative et, si toutes les autres conditions sont remplies, il permettra au ministre de dépenser les sommes prévues.
On a demandé s'il s'agissait d'initiatives nouvelles ou si celles-ci viendront s'ajouter à des programmes existants. J'en ai brièvement parlé. On peut en trouver la réponse à l'alinéa c) de l'article 3 du projet de loi. On a demandé comment déterminer s'il y avait un excédent et s'il fallait attendre la fin de l'exercice financier, en mars. Quand on aura une idée de toutes les factures à payer, en septembre ou en octobre, c'est alors que le gouvernement pourra se faire une idée générale du montant de l'excédent ou du déficit. La vérificatrice générale a déclaré qu'il faut clore l'exercice en cours avant d'en entamer un nouveau. Disons que de septembre à la fin mars, environ, les fonds pourraient être déboursés. Il y a un écart de six mois entre cette période et le nouvel exercice.
Aucune disposition dans le projet de loi n'interdit le déboursement de sommes avant cette période, mais il faudrait que le ministre des Finances soit très sûr de lui pour affirmer avoir un excédent de plus de 2 milliards de dollars et débourser ces sommes avant que le ministère des Finances n'ait déterminé s'il y a effectivement un excédent.
(1630)
La réponse est oui. Les fonds peuvent être dépensés avant la fin de l'exercice financier. Toutefois, il est probable qu'ils ne seront pas entièrement dépensés. Je pense que le ministre voudra faire preuve de prudence à cet égard.
Bon nombre de questions ont été soulevées au sujet des plans précis en matière d'environnement. D'autres portaient sur des plans précis concernant la formation, les habitations à loyer modéré et l'éducation postsecondaire pour les Autochtones.
Honorables sénateurs, ce sont toutes des questions très pertinentes. Toutefois, à mon humble avis, elles devraient être posées aux témoins qui comparaîtront devant le comité. Nous imaginons que le projet de loi sera renvoyé au Comité sénatorial permanent des finances nationales. Voilà le genre de questions que nous pourrons poser aux témoins.
Comme nous en sommes à la deuxième lecture du projet de loi, nous l'étudions sous l'angle de sa structure. Est-il accompagné d'une recommandation royale? Oui. Nous examinons également les principes contenus dans cette mesure législative. En règle générale, les principes font l'objet d'un débat à l'étape de la deuxième lecture.
Les honorables sénateurs appuient certainement les principes mis en avant dans cette mesure législative qui prévoit un financement accru pour les initiatives environnementales, l'éducation postsecondaire, le logement abordable et l'aide étrangère. Comme l'honorable sénateur Dyck l'a déclaré dans cette Chambre le 30 juin :
Le projet de loi contient des éléments que personne au Sénat ne dénoncerait. Ce sont des éléments qui tombent sous le sens. Les questions portent sur le processus et le plan.
Honorables sénateurs, je ne conteste pas ces observations. Les questions portant sur le processus et sur le plan sont traitées au comité et il vaut mieux les poser au comité où il sera possible de les étudier.
Je suis d'avis qu'il faut renvoyer ce projet de loi au comité. En général, le Comité sénatorial permanent des finances nationales siège les mardis et les mercredis, et le comité est impatient de s'attaquer à ce projet de loi. J'estime que le moment est venu de renvoyer ce projet de loi de trois articles au comité pour qu'il puisse étudier les questions portant sur le plan et sur le processus que tant d'honorables sénateurs ont soulevées.
L'honorable Donald H. Oliver : Honorables sénateurs, je voudrais féliciter le sénateur Day pour ses remarques concernant cet important projet de loi. Je souligne toutefois que nombre de ses remarques portaient sur les attributs du pouvoir exécutif alors que peu de ses remarques portaient sur ceux du pouvoir législatif, notamment en ce qui concerne la responsabilisation. C'est d'ailleurs à ce sujet que j'aimerais faire quelques remarques à l'occasion de ma première intervention dans le cadre du présent débat.
Nous avons devant nous le projet de loi C-48, qui vise à autoriser le ministre des Finances à faire certains versements. Par ce projet de loi, on veut que le gouvernement fédéral puisse dépenser jusqu'à 4,5 milliards de dollars dans des buts précis, au cours des deux prochaines années financières. Cet argent proviendra des excédents financiers non prévus, au-delà d'un excédent de 2 milliards de dollars, tel qu'indiqué par le sénateur Day.
Conformément à l'article 2(1) du projet de loi, les nouvelles dépenses devront être faites dans les domaines suivants : 1,6 milliard de dollars pour le logement abordable; 1,5 milliard de dollars pour les études postsecondaires et la formation professionnelle; 900 millions de dollars pour l'environnement, y compris le transport en commun et un programme d'amélioration de l'efficacité énergétique des habitations à loyer modique; 500 millions de dollars pour l'aide à l'étranger.
Même si le projet de loi C-48 propose des dépenses publiques importantes, il souffre de nombreuses lacunes. Je trouve inquiétant que le projet de loi C-48 ne contienne aucune explication sur les mécanismes de dépense. On n'y trouve aucune obligation de rendre compte. Rien n'y est prévu pour que le Parlement puisse exercer une surveillance adéquate. Je crains que ce projet ne pose des problèmes en matière de responsabilité financière.
Je vais maintenant parler en détail de chacun des problèmes. On ne sait pas vraiment comment l'argent sera affecté. Par exemple, comment la somme de 1,6 milliard de dollars pour le logement abordable sera-t-elle dépensée? Sera-t-elle investie dans les villes, dans les petits villages ou dans les collectivités éloignées? De nouveaux programmes verront-ils le jour ou se bornera-t-on à augmenter le financement des programmes existants? Le nouvel investissement contribuera-t-il à réduire le sans-abrisme au Canada? Le projet de loi C-48 ne fournit aucune réponse à ces questions.
Le projet de loi C-48 ne décrit pas non plus les mécanismes qui permettront d'investir dans le domaine des études postsecondaires et de la formation professionnelle. De quelle manière l'argent frais s'ajoutera-t-il aux mesures existantes, par exemple dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé, et de quelle manière s'ajoutera-t-il à l'aide aux étudiants? Qui, parmi les Canadiens, bénéficiera plus particulièrement du nouvel investissement? Comment l'argent leur sera-t-il alloué et selon quels critères? Quelle proportion des nouvelles sommes d'argent servira à aider les étudiants venant de familles à faible revenu? Quel type d'aide à la formation professionnelle prévoit-on accorder?
Le projet de loi C-48 n'est tout simplement pas suffisamment détaillé pour donner des réponses claires à ces questions qui, selon le sénateur Day, doivent être soulevés non pas au Sénat, mais au comité. Pourquoi cette information n'était-elle pas dans le projet de loi au départ?
Et qu'en est-il des mesures environnementales visant les transports publics? Quel ministère fédéral assurera l'administration des 900 millions de dollars proposés?
Également, pour ce qui est de l'aide à l'étranger, prévoit-on affecter les 500 millions proposés à une initiative précise, ou à un pays ou une région en particulier? Si tel est le cas, quel ministère ou quel organisme assurera l'administration des montants?
On ne fournit aucune information aux parlementaires pour leur permettre de se former une opinion éclairée. Aucune réponse n'est donnée à ces questions. La mesure proposée ne dit rien sur la meilleure façon de donner suite à ces engagements.
On ne voit pas clairement à l'heure actuelle si cela sera établi par des consultations avec les intéressés et les divers ministères participants ou si le gouvernement agira unilatéralement. Autrement dit, honorables sénateurs, on nous demande de voter au sujet d'une mesure législative dont le budget totalise 4,5 milliards de dollars en ne nous donnant pratiquement aucune information sur le mode d'exécution, les destinataires et les ministères responsables de la gestion financière.
Voilà qui ne ressemble en rien au processus du Budget des dépenses et au contenu des documents budgétaires, qui nous donnent des détails complets sur les dépenses de chaque ministère. À mon avis, le fait de ne pas donner de détails concernant les programmes ou leur administration constitue une gestion irresponsable des deniers publics. Les Canadiens s'attendent à une gestion responsable et transparente des deniers publics et ils ne méritent pas moins.
Sur cette question de la responsabilité, honorables sénateurs, il faut dire que non seulement nous demande-t-on de voter sur un projet de loi qui propose des dépenses sans fournir l'information pertinente, relative, par exemple, aux conditions de paiement et aux détails des programmes particuliers, mais encore devons-nous voter sur un projet de loi qui ne comporte aucune disposition concernant la vérification, l'évaluation et les rapports. Autrement dit, le projet de loi C-48 ne contient aucune mesure claire en matière de responsabilité gouvernementale.
Avec le projet de loi C-48, le gouvernement fédéral veut obtenir le pouvoir de dépenser 4,5 milliards de dollars sans fournir de plan et sans fournir au Parlement l'information nécessaire concernant les responsabilités de l'exécutif. À titre de président du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je suis fort inquiet de cette insuffisance dans l'obligation de rendre des comptes.
Pour ce qui est de l'insuffisance de la surveillance du Parlement, le projet de loi C-48 donne au ministre des Finances le pouvoir de dépenser en partie ou en totalité un montant pouvant aller jusqu'à 4,5 milliards de dollars et ce, à la discrétion de ce dernier.
De plus, le paragraphe 2(2) du projet de loi contient ce passage vague : « Le gouverneur en conseil peut préciser les fins particulières... » En d'autres termes, les « fins particulières » ne sont pas définies, pour ce qui est de l'affectation des fonds, pas plus que n'est défini « le montant de ces versements pour l'exercice en question ». Autrement dit, le Cabinet peut décider de dépenser l'argent comme bon lui semble. Par conséquent, on a sacrifié le contrôle parlementaire. On peut difficilement prétendre que c'est, de la part du ministre des Finances, un comportement responsable sur le plan financier.
(1640)
Honorables sénateurs, j'estime que la rédaction du projet de loi C- 48 laisse à désirer. Le gouvernement peut agir à sa guise. On ne demande aux parlementaires que d'approuver sans discussion le projet de loi. Ce n'est pas ainsi qu'on est censé élaborer des budgets. D'habitude, les décisions en matière de dépenses reposent sur des priorités bien établies. Pour chaque décision, chaque initiative, il y a débat à l'interne, dans les ministères et au Cabinet, et il y a de larges consultations au sein des comités parlementaires. Il n'y a rien eu de tel dans le cas du projet de loi C-48. Il n'y a guère eu de possibilités de tenir un débat ouvert. Le manque de participation du Parlement au processus budgétaire qui a abouti au projet de loi C-48 est flagrant.
Comme je l'ai dit plus tôt, les 4,5 milliards de dollars de nouvelles dépenses prévues dans le projet de loi C-48 ne seront débloqués que s'il y a un excédent d'au moins 2 milliards de dollars au cours des deux prochains exercices. Dans le cas contraire, cet argent ne sera pas dépensé. Le sénateur Eggleton l'a dit clairement à plusieurs reprises dans sa présentation du projet de loi à l'étape de la deuxième lecture.
Autrement dit, le gouvernement fédéral doit avoir la garantie que le seuil de 2 milliards de dollars sera atteint avant de pouvoir faire quelque paiement que ce soit aux termes du projet de loi C-48. Cela soulève trois principaux points. Le premier porte sur les dépenses de fin d'année. Je crois comprendre que le gouvernement ne prévoira aucune dépense tant que l'argent ne sera pas disponible. Le ministre des Finances ne sera pas en mesure de verser les sommes prévues à l'article 2 du projet de loi C-48, en tout ou en partie, tant qu'il ne connaîtra pas le montant exact de l'excédent, ce qui, selon le sénateur Day, devrait être environ six mois avant la fin de l'exercice financier. Je ne sais pas comment cela peut se faire. Cela pourrait encore une fois donner lieu à des dépenses irresponsables en fin d'exercice, les ministères ayant peu de temps pour dépenser ce qui reste de leur budget.
Le deuxième point a trait aux promesses non tenues. Qu'arriverait-t-il si on n'atteignait pas les deux milliards d'excédent? Quelle serait alors la priorité du gouvernement? Privilégierait-il l'environnement ou l'éducation postsecondaire? Les dépenses proposées seraient-elles réparties alors entre les divers secteurs définis dans le premier article du projet de loi C-48? Les montants accordés seraient-ils proportionnels à ce qui est prévu dans le projet de loi? Nous n'en savons rien. Rien ne garantit que le gouvernement fédéral respectera son engagement. Bon nombre de Canadiens, particulièrement ceux qui ont besoin d'un logement abordable et les étudiants de familles à faible revenu pourraient voir leurs espoirs disparaître si le seuil de 2 milliards de dollars n'était pas atteint.
Le troisième point que je tiens à souligner, c'est que le projet de loi C-48 est unique, en ce sens que c'est la première fois qu'un pouvoir de dépenser serait lié à l'existence d'un excédent financier minimum. Est-ce vraiment là une approche prudente à la gestion financière? Dans son mémoire présenté au Comité des finances de la Chambre des communes, Michael Murphy, premier vice-président, Politiques, de la Chambre de commerce du Canada, a dit :
Le projet de loi C-48 ... a été élaboré rapidement et sans que l'on ait tenté de déterminer si les nouvelles initiatives stimuleront la productivité et la croissance économique à long terme. Il reflète un manque évident de planification et de réflexion stratégique à long terme de la part du gouvernement fédéral.
Honorables sénateurs, je suis d'avis que la mesure législative proposée rendra très difficile la poursuite des mesures de réduction de la dette et d'allégement fiscal qui sont essentielles à la prospérité économique. Les sénateurs doivent savoir que tous les excédents non prévus qui sont enregistrés à la fin de l'exercice financier sont automatiquement consacrés à la réduction de la dette. Au cours des deux prochains exercices financiers, une bonne partie de tout excédent enregistré servira à financer les nouvelles initiatives contenues dans ce projet de loi, qui se chiffrent à 4,5 milliards de dollars. La dette sera donc remboursée moins rapidement.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-48, tel qu'il est actuellement rédigé, ressemble peut-être à un énoncé de grandes généralités. Or, il soulève de nombreuses préoccupations parce que la reddition de comptes y est absente et, surtout, parce que des parlementaires comme nous n'ont pas la possibilité de l'examiner quelque peu. En outre, il limite la planification à long terme qui est nécessaire pour tenir un gouvernement financièrement responsable et il crée de l'incertitude au sujet de la réduction de la dette et des impôts.
Le projet de loi C-48 présente de nombreux problèmes. Nous devons particulièrement nous demander s'il crée un dangereux précédent pour le Canada, car il confère au gouvernement fédéral le pouvoir et la latitude nécessaires pour dépenser, à son gré et sans examen parlementaire, sans la transparence et la reddition de comptes qui s'imposent, jusqu'à 4,5 milliards de dollars au cours des deux prochaines années.
Honorables sénateurs, lorsque ce projet de loi sera renvoyé à un comité, comme le sénateur Day l'a proposé, j'espère que le comité entendra de nombreux témoins qui aborderont bon nombre des questions demeurées sans réponse que soulève ce projet de loi adopté précipitamment. Je ne donne aucunement à entendre qu'il reviendra au comité permanent de présenter des amendements visant à modifier ce projet de loi budgétaire. Cependant, il ne faut pas que la violation d'importantes notions de transparence et de reddition de comptes, de l'examen parlementaire et de mécanismes systématiques de paiement se reproduise. J'ose donc espérer que le comité sénatorial envisagera au moins de rédiger des observations qui accompagneront le rapport et qui souligneront que le Sénat désapprouve le fait qu'un tel pouvoir discrétionnaire de dépenser soit conféré à l'exécutif.
L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, je me demande si l'honorable sénateur accepterait de répondre à une ou deux questions.
Le sénateur Oliver : Oui, je vais essayer.
Le sénateur Kinsella : Est-ce que l'honorable sénateur nous rappellerait le coût du budget néo-démocrate? Une fois qu'il nous aura donné le montant en cause, pourrait-il dire au Sénat combien de pages comporte ce projet de loi?
Le sénateur Oliver : Honorables sénateurs, le montant prévu dans le projet de loi C-48 est de 4,5 milliards de dollars et le projet de loi comporte approximativement deux pages.
Le sénateur Kinsella : Honorables sénateurs, manifestement, cela doit représenter un record dans le domaine de la planification financière au Canada. Je ne sais pas, mais je suis certain que les sénateurs seraient d'accord pour dire que, que ce soit dans leur propres budgets domestiques ou dans des budgets dont ils se sont occupés dans d'autres rôles qu'ils ont joués dans l'ensemble de leur carrière respective, rien n'est aussi irresponsable que ce type de planification.
L'autre jour, j'ai posé une question au sénateur Eggleton, le parrain du projet de loi. Je m'intéressais aux 900 millions de dollars qui, selon lui, seraient mis à disposition des transports en commun aux termes du budget du NPD. Compte tenu de sa carrière distinguée, le sénateur Eggleton s'intéresse à une grande collectivité métropolitaine. Le sénateur Oliver vient de la ville de Halifax. Peut- il nous dire s'il y a quoi que ce soit dans ce projet de loi qui puisse donner confiance à la population de Halifax en ce qui concerne les fonds disponibles pour les besoins de l'amélioration des transports en commun à Halifax?
Le sénateur Oliver : C'est une excellente question. Malheureusement, toutefois, ce projet de loi ne donne aucune indication que ce soit pour ce qui est de l'aide aux transports en commun qu'il pourrait y avoir pour les régions rurales ou les villes de plus petite taille. Ce qui va probablement se passer, c'est que la plus grande partie de ces fonds iront aux villes de plus grande taille, comme la ville de Toronto.
Le sénateur Kinsella : J'ai une autre question pour le sénateur Oliver, qui préside avec tant de compétence le Comité des finances nationales, un comité qui reçoit souvent le ministre des Finances en tant que témoin. D'après l'expérience du sénateur Oliver, n'est-il pas vrai que le ministre des Finances, lorsqu'il comparaît, est très bien informé, qu'il est capable de commenter avec force détails les divers dossiers que le comité s'apprête à examiner? D'après l'honorable sénateur, comment le ministre des Finances, intellectuellement et d'après sa remarquable performance antérieure, pourrait-il consentir à ce que ce type d'exposé budgétaire soit soumis au Parlement?
Le sénateur Oliver : Voilà une autre excellente question.
Le ministre des Finances a effectivement déjà comparu devant le Comité des finances nationales à quelques reprises. Il a abordé les projets de loi gouvernementaux à la fois directement et précisément, et de manière très concise. Antérieurement, le ministre des Finances a détenu un certain nombre d'autres portefeuilles et, d'après ce qu'on en apprend par les médias, il les a gérés de façon détaillée.
(1650)
Le projet de loi C-48 ne concorde pas avec ce que ce ministre a l'habitude de présenter, lui qui fournit détails, précision et réponses dans ses projets de loi, pour éviter le genre de questions que les deux côtés de cette Chambre se posent depuis quelques jours dans le cadre du présent débat.
À mon avis, ce chef-d'oeuvre de deux pages ne porte pas clairement la marque du ministre des Finances, contrairement à ce qu'on voyait avant.
Son Honneur le Président : J'ai le regret d'annoncer au sénateur Oliver que son temps de parole est écoulé.
Le sénateur Day : Honorables sénateurs, le sénateur Oliver pourrait-il demander une prolongation pour que je puisse lui poser une question?
Le sénateur Oliver : Je serais heureux d'entendre la question de mon érudit collègue, le sénateur Day.
L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, je crois que vous constaterez qu'il y a consentement pour prolonger le temps de parole du sénateur de cinq minutes.
Des voix : D'accord.
Le sénateur Day : Honorables sénateurs, je poserai ma question après un court préambule. Le sénateur, je pense, a affirmé que j'avais dit plus tôt que l'excédent pouvait être déterminé six mois avant la fin de l'exercice.
Le sénateur Oliver : Ce serait en septembre.
Le sénateur Day : J'aimerais préciser que j'ai dit l'inverse, que l'excédent serait déterminé six mois après la fin de l'exercice. Je n'ai peut-être pas été suffisamment clair.
Le sénateur est-il d'accord avec moi maintenant? Croit-il, comme moi, que le gouvernement peut savoir, environ six mois après la fin de l'exercice, à quoi son excédent ressemblera?
Le sénateur Oliver : Je suis tout à fait d'accord avec l'honorable sénateur. Je suis désolé si j'ai mal compris. Je pensais avoir entendu le sénateur Day dire que les gouvernements examinent sans cesse leurs dépenses et que, si le budget sort en mars, eh bien six mois plus tard, soit en septembre de la même année, ils ont une bonne idée de ce qu'il leur restera pour finir l'exercice, c'est-à-dire pour se rendre en mars de l'année d'après. Ainsi, ils peuvent commencer à dépenser en septembre, avant la fin de l'exercice en cours. C'est ce que j'ai entendu le sénateur dire. S'il n'a pas dit cela, je suis profondément désolé.
Le sénateur Day : Je vous prie de m'excuser de mon manque de clarté, mais étant donné que nous siégeons au sein du même comité, nous nous comprenons mutuellement.
Voici la question que j'ai à poser au sénateur : en tant que président du Comité sénatorial permanent des finances nationales, peut-il dire si les rapports ministériels sur le rendement, qui sont présentés par tous les ministères, permettent au Parlement d'exercer la surveillance des dépenses?
Le sénateur Oliver : Il s'agit assurément d'une forme de surveillance. Comme les sénateurs le savent, le Comité sénatorial permanent des finances nationales a pour mandat d'examiner les prévisions budgétaires et les budgets des dépenses du gouvernement ainsi que le rapport présenté par la vérificatrice générale du Canada. Si cette dernière effectuait une vérification des dépenses qui sont prévues dans le projet de loi C-48 et présentait un rapport à ce sujet, nous pourrions l'inviter à comparaître, comme nous le faisons chaque année, afin d'entendre ses observations. C'est un autre moyen dont nous disposons.
Toutefois, d'autres moyens plus directs auraient été appropriés, comme les consultations prébudgétaires, par exemple.
L'honorable John G. Bryden : Je suis curieux de connaître la provenance de ces 4,5 milliards de dollars. Le sénateur a dit qu'en tant que président du Comité des finances il pouvait permettre d'épargner des milliards de dollars de fonds publics. A-t-on épargné suffisamment pour verser un ou deux des 4,5 milliards en question?
Le sénateur Oliver : C'est une excellente question. Comme le sénateur le sait, le gouvernement lui-même, par l'intermédiaire du Conseil du Trésor, a mis sur pied le nouveau Comité d'examen des dépenses, que préside le ministre McCallum et qui a analysé les dépenses de plusieurs ministères. Au cours de sa première année d'existence, le Comité d'examen des dépenses a trouvé plus de 5 milliards de dollars susceptibles d'être réalloués. Il s'agit d'un processus interne dont la conduite est assurée par le gouvernement, ce qui montre bien qu'il est possible d'épargner des milliards de dollars. Le comité continue son travail dans ce sens.
Le sénateur Bryden : Le comité dégage le sénateur de la responsabilité de l'épargne de milliards de dollars. Il assume la responsabilité à sa place.
Le sénateur Oliver : Je ne crois pas qu'il nous dégage de cette responsabilité. Le comité est chargé d'examiner les budgets des dépenses et les dépenses du gouvernement. C'est un processus continu.
L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'interviens dans le débat de deuxième lecture du projet de loi C-48, mesure autorisant le ministre des Finances à faire certains versements, ce qui est contraire aux habitudes de l'actuel ministre des Finances, selon le sénateur Oliver. C'est une idée intéressante dont nous pourrions peut-être parler à un moment donné.
Je prends la parole pour formuler mes objections relativement au projet de loi, à la façon dont celui-ci a été élaboré et à son but.
Je veux d'abord signaler que, il y a quelques instants, le sénateur Day a fait allusion, dans le cadre de ses remarques, à la recommandation royale, qui est l'exigence prévue à l'article 54 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. J'espérais et je croyais que le sénateur Day nous expliquerait comment il se fait que le chef d'un parti marginal, le quatrième parti à la Chambre des communes, ait pu influencer la Gouverneure générale et obtenir une recommandation royale. En effet, comme nous savons, le chef d'un parti marginal à la Chambre des communes n'est pas censé joué un rôle relativement à ce que nous appelons les initiatives financières de la Couronne. Le sénateur Oliver fait souvent allusion à la « transparence et à la surveillance parlementaire ». L'expression qu'on m'a enseignée et que j'ai l'habitude d'employer est le « contrôle des deniers publics ». Il y a une grande différence entre la « surveillance » et le « contrôle ».
Honorables sénateurs, le projet de loi C-48 est une entente budgétaire qui a été forgée d'une façon cynique par un gouvernement minoritaire libéral en train de sombrer, dans un effort visant à obtenir un appui.
Le 23 février 2005, le ministre des Finances avait présenté sa véritable loi budgétaire, soit le projet de loi C-43, à l'autre endroit et, à cette occasion, il avait fait mention des exigences et des priorités financières du gouvernement. Quelques mois plus tard, le 6 mai 2005, le projet de loi C-48, dont nous sommes maintenant saisis, franchissait l'étape de la première lecture à la Chambre des communes. Il faisait état des nouvelles exigences et des nouveaux besoins financiers du gouvernement, qui se chiffrent à 4,6 milliards de dollars. À mon avis, cette situation découlait d'une entente étrange, bizarre et faisant fi de tout principe, conclue par le premier ministre et le chef du quatrième parti.
Honorables sénateurs, il y a quelques instants je faisais allusion à la taille du projet de loi. Je tiens à signaler que le projet de loi C-48 renferme exactement trois articles. Selon mes calculs, chaque article représente des coûts de 1,5 milliard de dollars. Je me demande s'il y a souvent des articles de projet de loi aussi coûteux.
Honorables sénateurs, comme je l'ai dit, ce projet de loi fait état des nouvelles exigences et des nouveaux besoins financiers du gouvernement, de l'ordre de 4,6 milliards de dollars, et cette mesure est le résultat d'une entente bizarre conclue entre le premier ministre du Canada, Paul Martin, et Jack Layton, le chef du Nouveau Parti démocratique, le NPD, qui est le parti à la Chambre des communes ayant obtenu le moins de votes lors des élections de 2004.
Par conséquent, le projet de loi C-48, manifestation parlementaire de l'entente intervenue entre le premier ministre et Jack Layton, mine notre principe parlementaire d'initiative financière de la Couronne. Le projet de loi C-48 a en outre nui au ministre des Finances et, ce qui est plus grave, il a nui au Parlement et il mine le principe constitutionnel selon lequel le Parlement contrôle les deniers publics.
(1700)
Honorables sénateurs, le principe d'initiative financière de la Couronne exige que l'affectation de dépenses publiques soit effectuée à l'initiative de la Couronne, c'est-à-dire à l'initiative des ministres. M. Jack Layton, chef du quatrième parti, et non chef de l'opposition, n'a aucun rôle à jouer en la matière. J'espère que le sénateur Day ou le sénateur Austin vont nous expliquer comment une telle bizarrerie a pu survenir. C'est pour le moins étrange, sans précédent et inapproprié.
Honorables sénateurs, j'estime que le projet de loi C-48 est inapproprié et antiparlementaire. J'invoque l'autorité constitutionnelle relative au principe d'initiative financière de la Couronne et cite le commentaire 595 de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, 6e édition :
Représentante du pouvoir exécutif, la Couronne a la responsabilité des rentrées et des sorties d'argent. Par l'entremise de ministres responsables, elle fait part des besoins financiers de l'État aux Communes,...
Nulle part est-il indiqué que Jack Layton peut déterminer ses propres besoins financiers.
Toujours dans la même veine, je cite Marleau et Montpetit. Dans La procédure et les usages de la Chambre des communes, à la page 697, on dit :
En tant que pouvoir exécutif, la Couronne est responsable de la gestion de toutes les recettes de l'État, y compris les coûts des services publics. La Couronne, sur l'avis des ministres, fait connaître les besoins financiers du gouvernement à la Chambre des communes qui, de son côté, autorise les « aides » (impôts) et les « crédits » (sommes allouées) nécessaires.
Honorables sénateurs, les budgets gouvernementaux sont de très sérieuses entreprises réalisées par le gouvernement pour le Parlement et les habitants du Canada. Ce ne sont pas des ententes qu'on conclut en vitesse pour assouvir ses ambitions et ses désirs de pouvoir. L'ouvrage de Marleau et Montpetit nous précise l'objectif et la fonction des budgets gouvernementaux à la page 699 :
Le Budget fait état des politiques et des priorités budgétaires, sociales et économiques du gouvernement...
Le projet de loi C-48 a été conçu dans des circonstances qui ne répondent pas aux principes et aux maximes d'un processus budgétaire convenable lancé en vertu des initiatives financières de la Couronne.
Honorables sénateurs, les initiatives financières de la Couronne constituent la plus grande responsabilité du gouvernement, avec la notion de la responsabilité ministérielle envers le Parlement, et donc envers les Canadiens.
Les exigences et les besoins qui ont motivé le projet de loi C-48 ne faisaient pas partie du processus budgétaire adopté dans l'intérêt de tous les Canadiens; ils étaient ceux de M. Paul Martin et de son gouvernement, qui voulaient rester au pouvoir.
J'estime que le premier ministre a abusé de ses pouvoirs en vertu des initiatives financières de la Couronne afin de se livrer à un échange de faveurs politiques intéressées et survivre à des votes de défiance sur le projet de loi budgétaire à la Chambre des communes. M. Martin a assujetti les finances du pays à la vanité du chef d'un parti marginal, le quatrième parti en importance à l'autre endroit. Cet acte indigne et antiparlementaire a mis en valeur la pauvreté morale et intellectuelle qui caractérise le gouvernement. Paul Martin a mis en gage le résultat des votes sur les questions financières auprès de M. Layton. Je n'aurais jamais cru qu'un premier ministre puisse agir de façon si indigne et hâtive au Parlement. Aucun premier ministre ne devrait mettre le Parlement en gage comme on l'a fait. C'est inouï, et il est très difficile de trouver des cas documentés de telles actions.
Honorables sénateurs, dans le document intitulé The Opinions of Sir Robert Peel Expressed in Parliament and in Public, qui a été publié en 1843, sir Robert Peel, le premier ministre du Royaume- Uni, a décrit ce phénomène des promesses et des engagements faits par un premier ministre au sujet des décisions et des actions du Parlement. Sir Robert Peel, qui voulait ainsi condamner les promesses parlementaires, a déclaré :
Dans l'abstrait, et de façon générale, je m'oppose à ce qu'on s'engage de façon prospective à ce que la Chambre suive une voie en particulier à l'avenir. Je me suis toujours opposé à cela. J'ai du mal à me rappeler un seul cas où j'ai donné mon aval à un engagement voulant que la Chambre adopte une mesure donnée à l'avenir. [...] Je m'oppose à cette façon de procéder. En effet, je pense qu'il est inapproprié, pour se sortir de difficultés actuelles, de prendre des engagements, lorsqu'on n'a pas les modalités détaillées permettant de tenir cet engagement. De toute l'histoire du Parlement, la tendance a été de décourager l'adoption hâtive d'engagements de cette nature.
Honorables sénateurs, j'ai remarqué que très peu de critiques ont été formulées à l'égard du fait que le premier ministre s'est engagé à tenir un vote au Parlement en fonction des caprices du chef d'un parti marginal. S'il était vraiment courageux, pourquoi n'a-t-il pas défendu ses idées dans le cadre d'amendements de sa propre initiative au projet de loi C-43 pour voir jusqu'où il pouvait aller? Pas très loin, selon moi. C'est vraiment une abomination sur le plan parlementaire.
Honorables sénateurs, depuis deux ans, en raison des travaux de la Commission Gomery, on parle beaucoup de corruption. Cela conduit donc les Canadiens à croire que la corruption est toujours liée à l'argent, à l'escroquerie et à des malversations. Or, la corruption a un sens beaucoup plus large et plus profond sur le plan parlementaire. Il s'agit dans ce cas de corrompre les délibérations et les processus et de leur enlever toute légitimité. Voici comment Le Petit Robert définit le verbe « corrompre » :
1. Altérer (ce qui est sain, honnête) dans l'âme. [...] avilir, dénaturer, dépraver, pervertir, souiller, tarer [...]. 2. Engager (qqn) par des dons, des promesses ou par la persuasion à agir contre sa conscience, son devoir. [...] acheter, circonvenir, gagner, soudoyer, stipendier, suborner [...].
Honorables sénateurs, des délibérations parlementaires ont été corrompues, à l'instar de nombreux processus.
Honorables sénateurs, j'en viens à ma conclusion en parlant de la question de confiance, surtout la confiance des Chambres du Parlement dans le gouvernement. Pour soutenir mon opinion au sujet de la confiance, je voudrais noter la réaction du ministre des Finances à la reformulation de son projet de loi budgétaire, le projet de loi C-43, et à la création du même coup d'un projet de loi budgétaire supplémentaire, le projet de loi C-48, dont nous sommes maintenant saisis.
Dans l'édition du 28 avril 2005 du Toronto Star, le ministre des Finances, Ralph Goodale, a tenu les propos suivants à l'égard du prétendu arrangement intervenu entre le premier ministre et M. Jack Layton :
Ce n'est pas une situation idéale; ce n'est pas non plus mon premier choix ou ma préférence.
Honorables sénateurs, c'est à ce ministre lui-même que cette mesure législative est destinée. Elle est intitulée Loi autorisant le ministre des Finances à faire certains versements.
Toujours lors de cette même entrevue avec le Toronto Star, M. Goodale a ajouté :
Compte tenu de la prise de position de M. Harper, il est évident que nous avons dû prendre des décisions pour trouver de nouveaux appuis afin de pouvoir faire adopter le budget.
Honorables sénateurs, le premier ministre et le ministre des Finances devraient, s'ils les ont déjà apprises, revoir les notions fondamentales concernant le fonctionnement du Parlement, notamment le processus entourant l'élaboration et la formulation du budget ainsi que sa présentation au Parlement pour demander de l'appui. Ils devraient également réexaminer les milliers et les centaines de maximes et de principes à respecter et au nombre desquels la vanité et l'ambition ne devraient surtout pas figurer. Je comprends que l'être humain est forcément humain et que la vanité et l'ambition sont toujours présentes, mais de très importants principes doivent en restreindre les élans.
Honorables sénateurs, le premier ministre a complètement modifié les exigences et les besoins financiers du gouvernement, que le ministre des Finances avait exposés dans le premier budget, en l'occurrence le projet de loi C-43, et, pour se maintenir au pouvoir, il les a remplacés par les priorités et les besoins financiers du quatrième parti. Les honorables sénateurs d'en face qui appuient cette décision ne se rendent peut-être pas compte à quel point elle est erronée, extrêmement erronée. Pour se maintenir au pouvoir, le premier ministre a troqué les objectifs du gouvernement et du ministre des Finances pour ceux d'un parti politique qui a recueilli la plus faible portion du vote populaire lors des dernières élections fédérales.
(1710)
Honorables sénateurs, le drame, dans tout cela, c'est que le premier ministre peut compter, à la Chambre des communes et ici, sur une cohorte de partisans qui sont prêts à voter en faveur de tout ce qu'il leur propose. Ils ne semblent pas comprendre que c'est leur devoir de remettre des choses en question, de faire respecter des principes et, au besoin, de dénoncer ce qui est proposé. Notre assemblée devrait condamner carrément ce que le gouvernement a fait, car c'est totalement inadmissible.
Honorables sénateurs, je parlais de la confiance. Le gouvernement actuel, plus que tout autre gouvernement antérieur, a beaucoup contribué — et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai quitté les banquettes de mes collègues d'en face — à corrompre la notion de responsabilité ministérielle et à changer la façon dont le public et les parlementaires actuels interprètent la confiance de la Chambre. Le gouvernement semble vouloir réduire la question de confiance à un seul vote qui a lieu un jour donné, mais c'est une erreur. Si on passait en revue les gestes qui ont été posés et si on examinait les déclarations du ministre des Finances, il serait d'une clarté aveuglante que la Chambre des communes, et non notre assemblée, est depuis des mois dans une situation où la confiance n'existe pas. C'est tout à fait inadmissible et malhonnête.
Honorables sénateurs, pour conclure, je voudrais me reporter à deux autorités en matière de confiance, notamment sir Robert Peel. Mais avant de passer à cet auteur, je voudrais citer William Hearn, l'un des grands esprits du siècle dernier. Il s'agit de son livre intitulé The Government of England, its Structure and its Development, publié en 1886.
Son Honneur le Président : J'ai le regret d'informer madame le sénateur Cools que ses 15 minutes sont écoulées.
Le sénateur Cools : Honorables sénateurs, il me faudrait encore quelques minutes. Je demande la permission de poursuivre.
Le sénateur Rompkey : Je crois qu'il y aurait accord général pour permettre au sénateur Cools de conclure en cinq minutes.
Le sénateur Cools : Honorables sénateurs, ces derniers mois, j'ai reçu, au sujet de cette question de confiance, plus d'appels téléphoniques des quatre coins du Canada que je n'en ai reçu sur à peu près n'importe quelle autre question, et j'ai consacré beaucoup de temps à expliquer la question et à indiquer de nombreuses sources à ceux qui cherchaient à se renseigner.
Dans un chapitre intitulé « The Controlling Power of Parliament », William Hearn écrit :
C'est habituellement la conduite du Parlement, et non des déclarations, qui indique quel est le niveau de confiance du Parlement.
Honorables sénateurs, il fut un temps où, si un ministre ou un premier ministre perdait la confiance du Parlement, il démissionnait avant même la tenue d'un vote. La question était réglée, car les travaux de la Chambre et les conditions générales qui y prévalaient indiquaient le niveau de confiance. Je ne suis même pas convaincue que la Gouverneure générale sache cela aujourd'hui.
M. Peel en connaissait un bout sur la confiance. Il a été renversé, et a lui-même renversé plusieurs gouvernements. Cette déclaration est tirée du même livre que j'ai mentionné plus tôt :
Une déclaration de confiance de la Chambre des communes envers le gouvernement exécutif ne doit être ni demandée, ni faite, sauf en cas extrême. La confiance découle de l'appui général de la Chambre au gouvernement exécutif, de la façon dont elle aborde les mesures législatives proposées par le gouvernement, plutôt que d'une déclaration abstraite d'opinion.
Autrement dit, la confiance ou la défiance s'exprime dans les travaux de la Chambre sur une certaine période, et non lors d'une journée donnée.
Je crois sincèrement, honorables sénateurs, que le Parti libéral, tel que je l'ai déjà perçu, était un grand défenseur de la notion de dépense modérée des deniers publics. En particulier, le grand parlementaire lui-même, l'ancien premier ministre libéral du Royaume-Uni, M. William Gladstone, a élaboré et énoncé bon nombre de ces principes. Je crois que Gladstone est celui qui a présenté la motion visant à mettre sur pied le premier Comité des comptes publics à la Chambre des communes. Il est possible que je me trompe, mais je peux vérifier pour confirmer. Je crois qu'un grand nombre de Canadiens ont été déçus de voir à quel point le Parti libéral du Canada et son caucus ont abandonné tous ces principes. De toutes façons, comme je l'ai dit plus tôt, je crois que ce projet de loi est une abomination parlementaire et une bien triste et pathétique tentative de compromis.
Sir Robert Peel a déclaré ce qui suit au sujet du compromis :
« Je n'aime pas les compromis. En plus de ne pas gagner la confiance de leurs adversaires, ceux qui font des compromis perdent celle des hommes qui sont habitués de les suivre et de se fier sur eux. »
J'espère que le comité sénatorial rendra justice à ce projet de loi et qu'il l'étudiera comme il mérite de l'être. J'espère qu'il se renseignera sur l'élaboration et l'origine de ce projet de loi. J'espère qu'il examinera la notion des initiatives financières de la Couronne. J'espère que, en faisant tout cela, il comprendra que, en 1867, année de l'adoption de la Loi sur l'Amérique du Nord britannique, les Pères de la Confédération voulaient que le Sénat soit investi de plus vastes pouvoirs que la Chambre des lords sur ces questions financières et que le Sénat soit une Chambre fonctionnelle d'interpellation et de réflexion. J'invite les sénateurs à s'acquitter de cette tâche.
Le sénateur Day dit que le projet de loi devrait être renvoyé au comité. Je veux que le sénateur Day sache que le comité est le serviteur du Sénat, et non le contraire. Le vrai débat devrait avoir lieu ici. Je l'exhorte à confirmer ces grandes traditions anciennes qui ont été énoncées par le grand avocat surnommé « Great Commoner ». J'invite le sénateur à défendre ces traditions.
Le sénateur Kinsella : Madame le sénateur Cools voudrait-elle répondre à une question?
Le sénateur Cools : Avec plaisir.
Son Honneur le Président : Les cinq minutes qui ont été accordées plus tôt sont écoulées.
Le sénateur Rompkey : Je sais que le leader de l'opposition a une question sérieuse et profonde à poser, et je serais heureux de donner mon consentement.
Le sénateur Kinsella : Honorables sénateurs, madame le sénateur Cools a manifestement fait beaucoup de recherche dans ce domaine. Je me demandais si elle s'est renseignée sur la question du secret budgétaire, qui constitue une importante convention. Lors de la rédaction du projet de loi budgétaire, le projet de loi C-48, dont nous sommes actuellement saisis, s'est-on assuré qu'aucune connaissance d'initié ne serait utilisée? Comme on l'a dit, le chef du parti qui a participé aux négociations avec le premier ministre n'est pas un membre du Cabinet et n'est donc pas lié par le secret. Quelle garantie y a-t-il que le secret budgétaire, qui est si important, sera protégé? Comme nous le savons, et la recherche qu'a effectuée madame le sénateur Cools a peut-être porté également sur cette question, des gouvernements et des ministres ont démissionné lorsque le secret budgétaire a été violé.
Le sénateur Cools : Dans ma recherche, qui a été axée sur les questions que j'ai mentionnées, je me suis attardée à ce que je qualifierais non seulement de la question du secret, mais aussi de la procédure et du protocole entourant l'élaboration du budget par le gouvernement. Je m'intéressais à la façon dont on traitait ces questions. M. Layton, par exemple, n'est pas membre du Conseil privé, mais M. Harper l'est. Le système ne s'attend pas à ce que M. Layton ait un rôle de ce type à jouer, tandis qu'on s'attend, dans le cadre du processus, à ce que le chef de l'opposition — bien qu'on dise « officielle », il n'y a qu'une opposition — s'entretienne à un moment ou à un autre avec le premier ministre de choses, pour dire les choses franchement, qui relèvent du conseil. Cela m'a beaucoup inquiétée, tout comme la totalité du processus, mais je n'ai pas exploré la question du secret.
(1720)
À toutes fins utiles, M. Layton a été traité comme un membre en règle du gouvernement de Sa Majesté. Cela est strictement interdit et extrêmement erroné. Je trouve que cela est gênant et déplacé, et constitue un affront au Parlement. Il n'est pas ministre; il ne saurait être un pseudo-ministre et il ne peut prétendre au statut de ministre. Cela ne semble pas déranger les honorables sénateurs de l'autre côté, mais, chose certaine, cela me dérange. Si j'avais siégé à l'autre endroit, j'aurais remis en question le fait que ce projet de loi soit présenté à la Chambre des communes, car il ne provenait pas d'un membre du Conseil privé de Sa Majesté ou d'un membre du Cabinet de Sa Majesté.
Je vois le sénateur Day sourire, mais cette question est grave et le Sénat devrait entreprendre de l'étudier. Je crois que la plupart des Canadiens et des parlementaires connaissent mal les rouages du Parlement et ses principes. Voilà pourquoi le gouvernement actuel peut agir de la sorte impunément. Le Sénat doit veiller à ce que le processus d'élaboration du projet de loi C-48 soit bien consigné dans nos délibérations. Étant une Chambre de la Couronne, le Sénat exercera ainsi le rôle qui est le sien à l'égard des initiatives financières de cette dernière.
(Sur la motion du sénateur LeBreton le débat est ajourné.)
PROJET DE LOI SUR LE MARIAGE CIVIL
DEUXIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT
L'honorable Serge Joyal propose : Que le projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil, soit lu une deuxième fois.
— Honorables sénateurs, essentiellement, le projet de loi C-38 établit la capacité juridique des personnes de même sexe de contracter un mariage civil. En rendant le mariage civil accessible aux personnes de même sexe, le projet de loi C-38 reconnaît que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle est une forme d'exclusion sociale dégradante pour les personnes concernées et inacceptable dans une société libre et démocratique, et ce, en raison de l'égalité constitutionnelle de tous devant la loi et de l'accès égal de tous aux avantages qu'elle confère. Cette reconnaissance, comme l'a noté la Cour suprême en décembre dernier, découle de la Charte canadienne des droits et libertés. Le projet de loi C-38 vise à rétablir la dignité humaine pleine et entière pour une minorité qui a longtemps fait l'objet de persécution, de marginalisation et d'indignation. Il s'agit d'une question de droit des minorités.
Le discours que je souhaite partager avec les honorables sénateurs cet après-midi comporte trois aspects. Le premier a trait aux principes constitutionnels qui sous-tendent la création du mariage civil prévu au projet de loi C-38. Le deuxième aspect porte sur le processus judiciaire et parlementaire qui a mené à la présentation du projet de loi C-38. Le troisième aspect vise les différences entre la primauté du droit et les normes religieuses relatives au mariage dans notre société contemporaine.
Honorables sénateurs, la question de la protection des droits des minorités remonte presque aux premiers jours du Canada. Je rappelle aux sénateurs que la Cour suprême du Canada a eu, à maintes reprises, l'occasion de se pencher sur la question suivante : quelle est l'importance de la protection des droits des minorités dans la Constitution? J'aimerais citer une décision du Comité judiciaire du Conseil privé datant de 1932, qui indique clairement que :
Dans la mesure où l'Acte (la Constitution de 1867) renferme un compromis en vertu duquel les provinces primitives consentaient à se fédérer, il est important de ne pas perdre de vue que le maintien des droits des minorités était une des conditions auxquelles ces minorités consentaient à entrer dans la fédération et qu'il constituait la base sur laquelle toute la structure allait par la suite être érigée.
Il y a deux aspects : premièrement, la base de la structure de notre système parlementaire et, deuxièmement, les motifs pour lesquels les quatre premières parties de la Conféderation — les provinces primitives — se sont regroupées pour former un nouveau pays.
Honorables sénateurs, il s'agit d'un principe extrêmement important qui constitue l'un de motifs clés du jugement rendu en 1998 par la Cour suprême dans une affaire célèbre dont beaucoup se souviendront, soit le Renvoi relatif à la sécession du Québec. Lorsque la Cour suprême s'est prononcée là-dessus, elle a établi quatre principes constitutionnels sous-jacents à la Constitution du Canada. Le premier est le fédéralisme; le second, le constitutionnalisme; le troisième, la primauté du droit; et le quatrième, la protection des minorités. Je cite la décision rendue par la Cour suprême en 1998, par rapport à ces quatre principes sous-jacents. Le paragraphe 80 de la décision indique ce qui suit :
Nous soulignons que la protection [des] droits [des minorités] est elle-même un principe distinct qui sous-tend notre ordre constitutionnel. Ce principe se reflète clairement dans les dispositions de la Charte relatives à la protection des droits des minorités.
Au paragraphe 81 de la décision, on peut lire ce qui suit :
Le souci de nos tribunaux et de nos gouvernements de protéger les minorités a été notoire ces dernières années, surtout depuis l'adoption de la Charte. Il ne fait aucun doute que la protection des minorités a été un des facteurs clés qui ont motivé l'adoption de la Charte et le processus de contrôle judiciaire constitutionnel qui en découle [...]. De fait, la protection des droits des minorités a clairement été un facteur essentiel dans l'élaboration de notre structure constitutionnelle, même à l'époque de la Confédération [...]. Le principe de la protection des droits des minorités continue d'influencer l'application et l'interprétation de notre Constitution.
Honorables sénateurs, il est évident que la protection des droits des minorités est au coeur même de notre système gouvernemental et de la structure de notre parlement. Les honorables sénateurs savent bien que le Sénat a été conçu de façon à prévoir la protection des minorités. Par exemple, comme vous le savez, au moment de la Confédération, le Québec a été la seule province à obtenir 24 circonscriptions sénatoriales, et ce dans le but de protéger les minorités anglophones du Québec qui n'avaient pas la même religion que la majorité francophone.
(1730)
Nous le savons. Nos nominations au Sénat tiennent compte de cela. Aussi, lorsque le gouverneur général nomme un sénateur au Québec, c'est pour représenter une circonscription sénatorial particulière, contrairement à ce qui se passe dans les neuf autres provinces.
Honorables sénateurs, la Cour suprême du Canada l'a souligné très clairement en 1980 dans une décision bien connue appelée Renvoi sur le Sénat. Il est très important de le rappeler, parce que le Sénat s'intéresse tout particulièrement au sort des minorités. En fait, dans le même renvoi sur la sécession du Québec que je citais tout à l'heure, la Cour a mentionné tout particulièrement le cas des peuples autochtones. Ce n'est bien sûr pas de cela dont nous discutons aujourd'hui, mais la Cour a clairement reconnu que, depuis l'adoption de la Charte, le Parlement a une responsabilité particulière à l'égard de la protection des peuples autochtones. C'est ce qu'on peut lire au paragraphe 82 de la décision de la Cour suprême. C'est donc un élément essentiel, honorables sénateurs, qui est à l'origine même de ce projet de loi.
Le second élément, qui est selon moi à l'origine de ce projet de loi, c'est la nature évolutive de la Constitution du Canada. C'est un fait fondamental reconnu par les Pères de la Confédération, puis plus récemment par les rédacteurs de la Constitution — et je fus l'un de ceux-là comme le furent d'autres sénateurs, dont les sénateurs Austin, Corbin, De Bané, Hervieux-Payette, Watt et même notre leader de l'opposition, le sénateur Kinsella, qui a comparu devant le comité qui a rédigé la Loi constitutionnelle. Sa nature évolutive est donc un de éléments clés de la Charte. Aucun article de la Charte n'est plus éloquent que l'article 15. De quoi traite cet article? Je vais vous le lire, honorables sénateurs, étant donné que c'est la clé de la décision rendue par la Cour suprême en décembre dernier. Voici :
La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
Je souligne dans la liste des motifs de discrimination interdits — en particulier dans la version française — le mot « notamment », qui signifie que les motifs cités sont des exemples de motifs interdits parmi d'autres.
En fait, ce fut la question clé sur laquelle s'est penché un comité parlementaire mis sur pied en 1985. Avant de parler de ce comité, je saisis l'occasion qui m'est offerte cet après-midi de rappeler aux sénateurs comment nous en sommes arrivés à ébaucher l'article 15 de la Loi constitutionnelle. Certains d'entre vous, dont le sénateur Corbin en particulier, ont participé à ce processus. Le procès-verbal de la réunion tenue par le comité le 28 janvier 1981 indique que le sénateur Corbin a proposé la dernière version de l'article 15, y compris la deuxième partie de cet article, portant sur le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi. À l'époque, le sénateur Corbin était député dans l'autre endroit alors que le sénateur Austin et moi-même étions déjà sénateurs. Il y eut d'amples discussions au sein du comité pour que nous allongions la liste des motifs interdits, et nous avons accepté de le faire. Un député de l'époque, M. David Crombie, a présenté un amendement visant à inclure les déficiences mentales ou physiques à la liste des motifs de discrimination interdits. Nous avons accepté de le faire.
À l'époque, il s'agissait d'un tout nouveau motif interdit. L'année 1981 avait été l'Année internationale des personnes handicapées. Par ailleurs, un comité parlementaire réunissant des représentants de tous les partis a recommandé l'ajout de ce motif à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous avons accepté ce motif au sein du comité mixte en 1981.
Il y a eu bien d'autres propositions visant à interdire d'autres motifs de discrimination. En fait, il y en a eu cinq. L'une d'elles concernait l'orientation sexuelle. Le comité a discuté de cela. Celui qui était alors le ministre de la Justice, Jean Chrétien, a parlé dans son témoignage de chacun de ces motifs, notamment parce que certains découlaient de nouveaux instruments internationaux — par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que le deuxième protocole. Certains membres du comité ont alors exprimé leurs préoccupations par rapport au fait qu'il fallait essayer de ratisser le plus large possible afin que la Charte soit la plus valable et la mieux adaptée possible à d'éventuelles situations.
Nous étions aux prises avec ce dilemme. Celui qui était alors le ministre de la Justice, M. Chrétien, a dit que si nous ajoutions les cinq nouveaux motifs à la liste, cela serait opportun à ce moment-là, mais que, dans 10, 20 ou 30 ans, il y aurait peut-être d'autres motifs de discrimination qui sembleraient alors inacceptables à la société de l'époque. Il a donc dit qu'il valait mieux avoir une liste ouverte et laisser aux tribunaux du moment le soin de décider si, conformément à l'article 1 de la Constitution, dans une société libre et démocratique, ces motifs seraient acceptables ou non. Voilà comment nous avons résolu le problème de l'article 15 et pourquoi cet article est ouvert.
Le Parlement a toutefois eu un deuxième problème à résoudre. Je reviens au comité spécial. L'article 15 ne devait entrer en vigueur que trois ans après la proclamation de la Constitution parce qu'il s'agissait d'une nouvelle loi et que le Parlement n'était pas prêt à l'accepter immédiatement. Il y a eu un délai de trois ans devant permettre au gouvernement fédéral de changer et de modifier toute loi susceptible d'être couverte par la protection prévue à l'article 15. Que s'est-il passé? Comment le Parlement a-t-il réglé la question du délai de trois ans?
J'ai vérifié mes dossiers de l'époque et j'ai découvert qu'en 1985, le ministre de la Justice, M. John Crosbie, a rendu public un document, une sorte de livre blanc, intitulé « Les droits à l'égalité et la législation fédérale : un document de travail ». À la page 10 de ce document de travail, il était clairement question de la liste ouverte de motifs de discrimination interdits visés à l'article 15.
Qu'a fait le premier ministre du Canada à l'époque? Le très honorable Brian Mulroney a créé le Comité parlementaire sur les droits à l'égalité, présidé par un homme très compétent, Patrick Boyer, alors député d'Etobicoke-Lakeshore. Je tiens à rappeler aux honorables sénateurs les noms de certains membres du comité. M. Boyer était épaulé par Pauline Browse, Maurice Tremblay, Roger Clinch, Mary Collins, Svend Robinson et Sheila Finestone.
Le comité a publié, vers la fin de 1985, un rapport unanime intitulé « Égalité pour tous ». Qu'ont dit les membres de ce comité à propos de l'article 15? Ils ont dit ceci : « Nous avons, par conséquent, conclu que l'esprit général de l'article 15 de la Charte permet de comprendre `l'orientation sexuelle' au nombre des motifs de discrimination interdits par la Constitution. »
Autrement dit, trois ans après l'adoption de l'article 15, le Comité parlementaire sur l'égalité des droits recommandait, dans un rapport unanime publié en octobre 1985, que l'article 15 soit considéré comme incluant l'orientation sexuelle au nombre des motifs de distinction illicite.
(1740)
Qu'est-il arrivé par la suite? Il est étrange de constater que cela a pris de nombreuses années au Parlement du Canada pour agir dans ce dossier. En fait, les provinces étaient bien plus enclines à reconnaître l'orientation sexuelle dans leurs codes provinciaux des droits de la personne que ne l'était le Parlement canadien dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il a fallu dix ans avant que le Parlement fédéral ne modifie la Loi canadienne sur les droits de la personne pour donner suite à la conclusion du rapport du Comité sur l'égalité des droits auquel j'ai fait allusion plus tôt.
Honorables sénateurs, il est à l'honneur du Sénat de rappeler qui sont les personnes qui ont contribué à faire modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne pour que l'orientation sexuelle figure au nombre des motifs de distinction illicite. L'ouvrage Protéger la démocratie canadienne : Le Sénat en vérité... comporte un chapitre rédigé par M. C.E.S. Franks, qui a enseigné à l'Université Queen's pendant 35 ans. Cet éminent spécialiste a témoigné à de nombreuses occasions tant en cet endroit qu'à l'autre endroit.
Que dit le professeur Franks à propos du rôle du Sénat dans la modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Je vous lis ce qui est écrit à la page 174 :
Projets de loi sur l'orientation sexuelle. Les dispositions des lois fédérales concernant la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle existent uniquement grâce à six années d'efforts soutenus de la part du Sénat. Lorsque la Cour d'appel de l'Ontario a statué, dans l'affaire Haig and Birch, que le motif de l'orientation sexuelle devait être ajouté à la Loi canadienne sur les droits de la personne, le sénateur Kinsella, un conservateur qui n'était pas d'accord avec la position de son propre gouvernement selon laquelle ce genre de mesure législative était inutile, a présenté le projet de loi S-15 au Sénat pour faire ajouter « l'orientation sexuelle » au nombre des motifs prévus dans la loi.
Et le chapitre se poursuit. J'en recommande la lecture aux sénateurs parce que, sans la persévérance du sénateur Kinsella, qui a présenté ce projet de loi trois fois — sous trois numéros différents, c'est-à-dire S-15, S-2 et S-5 —, nous ne bénéficierions aujourd'hui ni de la protection de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ni des avantages qui nous sont accordés en tant que Canadiens.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Joyal : Honorables sénateurs, je voudrais dire que, par courtoisie, j'ai informé le sénateur Kinsella que je citerais cet extrait de l'ouvrage. Je n'ai pas lu cet extrait pour mettre le sénateur dans l'embarras. Au contraire, je pense que cet extrait rend hommage au Sénat, et nous le devons au sénateur Kinsella.
Je reviens maintenant à mon argument initial, qui est le caractère évolutif du concept des droits de la personne au Canada. L'une des caractéristiques principales de notre Constitution est qu'elle n'est pas coulée dans le béton. Elle évolue autant que la société canadienne. Cet aspect essentiel de la Constitution nous a été rappelé en décembre dernier. J'aimerais citer encore la Cour suprême, qui déclare ce qui suit au paragraphe 22 de son Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe :
Le raisonnement fondé sur l'existence de « concepts figés » va à l'encontre de l'un des principes les plus fondamentaux d'interprétation de la Constitution canadienne : notre Constitution est un arbre vivant qui, grâce à une interprétation progressiste, s'adapte et répond aux réalités de la vie moderne.
Honorables sénateurs, il n'y a pas d'exemple plus frappant de l'évolution de la Constitution canadienne, sur le plan des concepts, que le changement de la définition de la personne qui s'est produit en 1930, afin d'inclure les femmes. Ce changement a nécessité un véritable combat, et le Sénat y a participé. Le gouvernement s'opposait à ce qu'on interprète le mot « personne », dans la Constitution, de manière à ce que ce mot inclue les femmes. À l'époque, le gouvernement du Canada s'est battu jusque devant le Comité judiciaire du Conseil privé, pour empêcher l'accession des femmes au Sénat. C'est à cette occasion que le Comité judiciaire du Conseil privé a pondu sa fameuse citation selon laquelle la Constitution canadienne est un arbre vivant, capable de s'adapter aux réalités contemporaines.
Honorables sénateurs, il est ici question du concept du mariage. Certains pourraient être tentés de le percevoir comme un concept figé — c'est-à-dire, un concept à la définition fixe à travers les époques. Dans les débats et les plaidoiries devant la Cour suprême du Canada et devant le Comité judiciaire du Conseil privé, on alléguait que permettre aux femmes d'exercer des fonctions publiques, qui étaient à l'époque réservées exclusivement aux hommes, allait à l'encontre de la « loi naturelle ». Il fallait être visionnaire pour être en mesure de comprendre que la société contemporaine était ouverte à l'idée de la pleine participation des femmes.
Environ dix ans plus tard, quand l'assemblée législative du Québec a été saisie de la question de la capacité des femmes à se présenter aux élections provinciales — et j'invite les honorables sénateurs à lire le document contre la participation des femmes présenté au comité —, l'argument de la loi naturelle a été de nouveau invoqué. Donner aux femmes le droit de voter allait à l'encontre de la loi naturelle, car cela pouvait créer des conflits entre la femme et son mari. Cela sèmerait la discorde et le chaos au sein de la cellule familiale.
Des voix : Oh, oh!
Le sénateur Joyal : On en rit aujourd'hui, mais c'était à l'époque l'opinion que défendait le cardinal de l'Église catholique dans les débats publics. Avec tout le respect que je dois à l'opinion que ces gens défendaient à l'époque, il y avait beaucoup de chemin à faire. Ce n'est que 20 ans plus tard qu'une autre femme, Mme Casgrain, a été élue à l'Assemblée législative du Québec, en 1961.
Honorables sénateurs, il faut parfois beaucoup de temps pour admettre une situation qui, aujourd'hui, a l'air aussi naturelle que les rayons du soleil dans une prairie. Il est temps que nous admettions que la longue évolution de la notion des droits de la personne, qu'on considérait autrefois comme étant contraire à la « loi naturelle », devient une notion que non seulement nous acceptons, mais dont nous faisons l'éloge. Il est intéressant de se rendre compte que les provinces ont accepté longtemps avant le gouvernement fédéral cette question d'orientation sexuelle. La première province à reconnaître, dans son code des droits de la personne, que l'orientation sexuelle était un motif interdit de discrimination est celle du Québec en 1977, suivie, près de 10 ans plus tard, de l'Ontario en 1986, du Manitoba en 1987, de la Nouvelle-Écosse en 1991, du Nouveau-Brunswick et de la Colombie-Britannique en 1992, de la Saskatchewan en 1993, puis de la Loi canadienne sur les droits de la personne, par l'entremise des modifications dont j'ai parlé. Terre-Neuve a suivi en 1997, l'Île- du-Prince-Édouard en 1998 et l'Alberta, par l'entremise de la célèbre affaire Vriend de la Cour suprême du Canada, le 2 avril 1998.
Honorables sénateurs, ces questions évoluent. Elles évoluent parce qu'elles ne sont pas faciles à saisir. Elles soulèvent les passions. Tout le monde a une opinion sur cette question. Tout le monde veut faire valoir son opinion sur cette question. Tout le monde perçoit la question sous l'angle de son expérience personnelle, de son éducation et de ses convictions. Je dis cela parce que nous vivons dans une société où ces questions sont souvent évoquées dans les délibérations des tribunaux.
(1750)
Au cours des quatre dernières années, aucune question n'a suscité davantage de controverse que celle des droits des couples homosexuels à l'égard du mariage. L'examen des décisions rendues par les tribunaux m'a permis de constater que plus de 30 juges canadiens se sont penchés sur la question. Quatre juges en ont été saisis en Colombie-Britannique, six en Ontario, six au Québec et un dans chacune des provinces et territoire suivants : Saskatchewan, Yukon, Manitoba, Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador et Nouvelle-Écosse. Si on ajoute ces 21 magistrats aux neuf juges de la Cour suprême du Canada, on arrive à un total de 30 juges, de la Cour supérieure, de la Cour du Banc de la Reine, de la Cour d'appel et de la Cour suprême du Canada, qui ont examiné la question depuis 2002. Comme mon professeur le dirait, la question a été traitée ad nauseam. Pas un seul tribunal n'a été privé de l'occasion d'examiner la question à la lumière des décisions antérieures.
Dans mon souvenir, quatre décisions clés ont finalement incité le gouvernement, en 2000, à présenter une mesure législative sur la situation des couples homosexuels, en l'occurrence le fameux projet de loi C-23, la Loi sur la modernisation de certains régimes d'avantages et d'obligations, dont nous nous rappelons tous. La plupart des décisions ont été rendues par le système judiciaire de l'Ontario, soit par la Cour divisionnaire, soit par la Cour d'appel. Certaines affaires ont été marquantes, notamment l'affaire Haig et, en particulier, l'affaire Egan, à la suite de laquelle l'orientation sexuelle a été reconnue comme un motif de discrimination analogue aux motifs énumérés à l'article 15 de la Charte. Il y a également eu l'arrêt Rosenberg, dans lequel le tribunal a statué que les couples homosexuels devaient bénéficier de certaines dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. Enfin, en 1999, la Cour suprême du Canada a statué que le droit de la famille ontarien devait accorder les mêmes avantages à tous les conjoints de fait, qu'il s'agisse de couples homosexuels ou hétérosexuels. Par la suite, en 2000, le Parlement a adopté la Loi sur la modernisation de certains régimes d'avantages et d'obligations, qui s'appliquait aux couples homosexuels et hétérosexuels vivant en union de fait.
Honorables sénateurs, en juillet 2003, le gouvernement du Canada a saisi la Cour suprême du Canada de trois questions fondamentales au sujet du projet de loi maintenant à l'étude. La première question était : Quelle est la portée des pouvoirs du gouvernement fédéral en matière de mariage, conformément au paragraphe 91(26) de la Constitution? Autrement dit, qu'entend-on par le pouvoir du Parlement du Canada en matière de mariage et de divorce?
C'est tout à l'honneur de l'honorable sénateur Cools d'avoir demandé aux tribunaux d'intervenir et d'avoir déposé un excellent mémoire que j'ai lu à l'époque. Je tiens à le dire personnellement au sénateur Cools et je veux le déclarer publiquement. Sa pensée était très claire. Elle avait de bons arguments. Même si la cour n'a pas retenu ses arguments, ils ont été très bien présentés.
La deuxième question était : quelle est la relation entre la primauté du droit et la doctrine de l'Église? En d'autres termes, comment pouvons-nous concilier une règle de droit, une loi du Parlement, qui semble entrer dans un domaine déjà défini par la doctrine de l'Église?
La troisième question était : lorsqu'il y a conflit apparent entre deux droits, comme les droits à l'égalité établis à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, et d'autres droits, comme ceux garantis par l'alinéa 2a), qui porte sur la liberté de conscience et de religion, comment peut-on concilier les deux?
La Cour suprême s'est penchée sur ces trois questions fondamentales. Si le projet de loi est renvoyé à un comité selon la volonté de notre Chambre, je pense que ces questions devraient être examinées par le comité. Elles sont essentielles pour comprendre cette décision qui étendrait le droit au mariage civil à des personnes du même sexe.
Il y a d'autres aspects dont je voudrais parler aux honorables sénateurs. Ils portent sur le type de difficultés auxquelles on est confronté lorsqu'il s'agit de concilier les principes qui sont mis en oeuvre grâce à un système de normes civiles, comme celui qu'on retrouve dans la Charte canadienne des droits et libertés, et un autre système de normes, d'origine religieuse celui-là. Comment concilier les deux? À mon avis, le projet de loi n'empiète absolument pas sur les droits et la capacité des diverses Églises de continuer à maintenir leur foi, leur doctrine et leur enseignement comme elles l'ont fait jusqu'à maintenant. Soit dit en passant, il y a trois différentes confessions religieuses au Canada et de nombreuses doctrines donc.
Permettez-moi de donner aux honorables sénateurs quelques exemples. En 1967, à la suite de la présentation du rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada, présidée par Mme Florence Bird, le Parlement a décidé de reconnaître l'égalité des hommes et des femmes. On a recommandé de fonder les relations des conjoints dans un couple sur l'égalité. C'était le changement fondamental en ce qui concerne la nature du mariage. Dans certaines Églises, le statut des deux conjoints n'était pas défini en fonction d'une égalité pleine et entière comme nous le comprenons dans le contexte civil de nos jours. Cette situation a changé dans les années 1960. L'Église pouvait continuer d'enseigner sa doctrine. Par exemple, l'Église catholique romaine, au sein de laquelle j'ai grandi, a continué d'enseigner exactement le même concept qu'elle avait toujours défendu, même si, dans la société civile, le Code civil du Québec a été grandement modifié pour faire en sorte que les deux conjoints dans un couple soient sur un pied d'égalité.
Lorsque le Parlement a adopté la Loi sur le divorce en 1968, il l'a fait en nette contradiction de l'un des éléments essentiels de la définition du mariage selon l'Église catholique romaine. En effet, pour l'Église catholique romaine, l'une des caractéristiques clés du mariage est son indissolubilité. Dès le moment où nous avons adopté une loi du Parlement prévoyant le divorce, nous avons autorisé un changement à la nature du mariage. On peut en dire autant pour la planification des naissances et l'avortement.
Prenons le cas de l'avortement, honorables sénateurs. Vous savez que, si l'avortement n'a pas été recriminalisé, c'est au Sénat qu'on le doit. Certains sénateurs se souviennent peut-être d'avoir voté en 1991. Je vois notre collègue, le sénateur Murray. Que s'est-il passé? Il y a eu égalité des voix : 43 à 43. Grâce à cette égalité, l'avortement n'a pas été recriminalisé. C'est au Sénat du Canada qu'on le doit.
Ainsi avons-nous joué un rôle significatif et important dans la détermination de la nature du régime actuel en matière d'avortement. Aujourd'hui, non seulement l'avortement est-il entièrement légal, mais il est couvert par les régimes d'assurance- maladie.
Il en va de même pour la planification des naissances. Comme les honorables sénateurs le savent, la planification des naissances est couverte par des mesures sociales dans toutes les provinces. Voilà qui va à l'encontre des enseignements de mon église, pour laquelle la procréation est l'une des caractéristiques clés du mariage.
(1800)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je tiens à vous signaler qu'il est 18 heures.
L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Votre Honneur, si vous le demandiez, je crois que vous constateriez qu'il y a consensus pour qu'on fasse abstraction de l'heure.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, est-on d'accord pour faire abstraction de l'heure?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Joyal : Je vais m'efforcer de conclure.
Depuis 1989, l'avortement est gratuit et sur demande. C'est un élément important qui a changé certains enseignements religieux. L'Église catholique romaine n'a pas eu à changer sa doctrine pour cette raison. Elle est protégée par l'alinéa 2a) de la Charte. Elle peut décider comment agir dans le cas d'une personne divorcée et refuser de la marier. Personne ne peut demander à un tribunal une injonction pour forcer une religion à la marier en prétextant une infraction à ses droits garantis par la Charte. Une femme ne peut pas demander à un tribunal une injonction pour être admise dans la hiérarchie de l'Église catholique, qui empêche les femmes de devenir prêtre ou d'occuper un poste important au sein de son administration. L'Église est protégée par la liberté de religion. Tout cela est tout à fait conforme à la Charte des droits et libertés actuelle. Aucune religion ne sera forcée de marier deux personnes du même sexe, pas plus que l'Église catholique romaine ne peut être forcée de marier un divorcé, ce qui, selon sa doctrine, va à l'encontre de la nature du mariage.
Honorables sénateurs, je veux maintenant démontrer que, dans une société civile, la norme évolue. Nous le savons tous. Nous avons eu des parents et ils ont vécu des relations d'un type particulier. Ils avaient la foi. Ils ont éduqué leurs enfants conformément à leurs principes moraux. Il y a des Canadiens qui n'adhèrent à aucune religion. Par conséquent, lorsque nous définissons une institution comme le mariage, nous devons le faire de façon ouverte et accessible à toutes les personnes qui désirent en profiter, à tous ceux qui désirent affirmer solennellement que c'est une institution essentielle de la société et qu'ils estiment cette institution.
Le projet de loi n'est pas contre le mariage, au contraire, il l'apprécie. Il est très important de comprendre cela. Le projet de loi ne forcera aucun des 33 groupements religieux que j'ai cités à célébrer le mariage différemment après l'adoption du projet de loi. Honorables sénateurs, le mariage homosexuel est maintenant accessible à 92 p. 100 des Canadiens; cela signifie toutes les provinces à l'exception de l'Île-du-Prince-Édouard et de l'Alberta. Il y a deux territoires où il n'y a pas encore eu de jugements. Au Nunavut, le ministre responsable a déclaré qu'il permettrait le mariage civil si cela lui était demandé. Dans les Territoires du Nord- Ouest, il y a en ce moment une cause devant les tribunaux et la décision est attendue ce mois-ci.
Toutes les décisions des tribunaux provinciaux et de la Cour suprême que j'ai mentionnées n'empêchent pas les groupes religieux de refuser de marier les couples homosexuels. Il doit y avoir une disposition qui permet à une personne devant célébrer des mariages de refuser de le faire si cela entre en contradiction avec sa foi. Le projet de loi le reconnaît. Il incombe aux provinces d'assurer cette protection.
Le 5 mars, l'Assemblée législative de l'Ontario a adopté le projet de loi 171, mesure visant à protéger les commissaires aux mariages qui refuseraient de célébrer des mariages non conformes à leurs croyances religieuses. Dans notre système de droit, il est facile pour les provinces, qui ont l'autorité en matière de célébration de mariages, en vertu du paragraphe 92(8), de permettre à des fonctionnaires de refuser de célébrer des mariages. La protection existe et elle est énoncée clairement dans les divers articles et dans le préambule du projet de loi. Certaines provinces ont déjà agi en conséquence. J'ai déjà dit que l'Ontario avait joué un rôle de chef de file par le truchement de toutes les décisions rendues par ses tribunaux qui ont donné lieu au renvoi à la Cour suprême en décembre dernier.
Honorables sénateurs, je terminerai en citant un passage du jugement rendu par le juge Taschereau en 1955 dans la célèbre affaire Chaput c. Romain. Je crois que le sénateur Murray se rappellera de cette décision :
Dans notre pays, il n'existe pas de religion d'État. Toutes les religions sont sur un pied d'égalité, et tous les catholiques comme d'ailleurs tous les protestants, les juifs, ou les autres adhérents des diverses dénominations religieuses, ont la plus entière liberté de penser comme ils le désirent. La conscience de chacun est une affaire personnelle, et l'affaire de nul autre. Il serait désolant de penser qu'une majorité puisse imposer ses vues religieuses à une minorité. Ce serait une erreur fâcheuse de croire qu'on sert son pays ou sa religion, en refusant dans une province, à une minorité, les mêmes droits que l'on revendique soi-même avec raison, dans une autre province.
C'est la pierre angulaire du projet de loi C-38. Il est possible que ce projet de loi ne concorde pas avec nos croyances religieuses personnelles. C'est un projet de loi simple qui renferme peu de dispositions. Le libellé est clair et simple, mais la question n'est pas là. Il ne s'agit pas de savoir quelle est notre religion. Comme législateurs, dans une société civile comme le Canada, où les citoyens diffèrent entre eux et adhèrent à différentes religions — certains à aucune —, notre rôle est de veiller à ce que toutes les institutions qui définissent les gens, et qui sont importantes, comme le mariage, soient accessibles. Voilà la question centrale. Personne ne sera forcé d'épouser quelqu'un du même sexe que lui ou elle; ce n'est pas ce dont le projet de loi traite. Les gens pourront décider à leur guise. Ce projet de loi rétablit la dignité des personnes qui ont un point de vue différent sur un choix essentiel dans la vie.
Le projet de loi C-38 est fondamental pour nous, honorables sénateurs, compte tenu particulièrement de l'histoire et de la tradition de cet endroit. Je vous demande sincèrement de faire preuve de jugement et d'avoir un point de vue équilibré en matière de droits des minorités. La Charte protège amplement diverses minorités. Elle prévoit des protections pour les femmes, les personnes de races différentes, les personnes de religions différentes et les Autochtones du Canada. La Constitution offre ce genre de protection, ce qui représente l'un des changements les plus importants des 25 dernières années. Nous sommes en voie de reconnaître ce droit.
Nous avons fait d'énormes progrès en ce qui concerne la reconnaissance des droits et de la dignité des personnes ayant probablement une orientation sexuelle différente de la vôtre. Honorables sénateurs, c'est la chose à faire. Comme il s'agit d'un vote libre, vous prendrez une décision en votre âme et conscience.
Je comprends les croyances fortes et les convictions religieuses que nombre d'entre nous ont. Toutefois, l'objectif du projet de loi ne va pas à l'encontre de ces croyances et de ces convictions.
Son Honneur le Président : Sénateur Joyal, j'ai le regret de vous informer que vos 45 minutes sont écoulées.
Le sénateur Joyal : Honorables sénateurs, j'espère sincèrement que vous aurez l'occasion, ces prochains jours, de réfléchir à la décision que vous prendrez bientôt.
Des voix : Bravo!
(1810)
L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition) : Je me demande si l'honorable sénateur voudrait demander d'avoir un peu plus de temps, afin de pouvoir répondre à quelques questions ayant pour but d'obtenir des explications.
Le sénateur Joyal : Honorables sénateurs, je suis un peu mal à l'aise, parce que j'ai parlé pendant plus de 45 minutes. Je sais que l'on est en train de servir de la nourriture à la bibliothèque; je ne veux pas retenir qui que ce soit ici. Il y a peut-être d'autres sénateurs qui souhaitent prendre la parole. Je devrais peut-être me dispenser de répondre à des questions, sinon cela pourrait durer longtemps. J'espère que l'honorable sénateur ne sera pas vexé par ma réponse.
L'honorable Gerry St. Germain : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil, autrement dit le projet de loi sur le mariage civil.
Ce projet de loi a incontestablement provoqué l'un des débats les plus polarisés de notre histoire. Toutefois, tout comme le sénateur Joyal, j'exhorte les sénateurs à faire preuve de jugement, à adopter un point de vue équilibré en matière de droits de la personne, et à faire preuve de civisme dans le présent débat. Ce débat porte sur la foi et sur la façon des gens de voir les choses. C'est pourquoi je pense et j'espère que le projet de loi fera l'objet d'un vote libre.
Le sénateur Austin pourrait peut-être me dire si cette mesure législative fera l'objet d'un vote libre.
À l'heure actuelle, il y a au Canada deux points de vue bien ancrés quant à ce qu'est réellement le mariage. J'espère, comme la majorité des Canadiens, que le Sénat va étudier le projet de loi C-38 en profondeur, par l'entremise d'un comité qui va tenir les audiences nécessaires afin d'entendre des témoins experts. Cette mesure législative ne doit pas être adoptée à toute vapeur au Sénat. Elle ne peut pas être étudiée adéquatement en comité plénier. En fait, peut-être aurions-nous dû nous déplacer afin d'étudier cette question.
Si le Sénat doit siéger tout l'été et cet automne pour tenir des audiences complètes, qu'il le fasse, parce que cette mesure législative influe fondamentalement sur ce que cela signifie que d'être Canadien.
Honorables sénateurs, le projet de loi à l'étude est incontestablement le plus important dont nous ayons été saisis depuis un bon moment. Dans mon étude préliminaire du projet de loi, il y a deux questions qui surgissent immédiatement : premièrement, les droits de la personne et, deuxièmement, la liberté de religion.
Je sais bien que le projet de loi C-38 est la façon que le gouvernement a choisi de remplir le vide législatif relatif à la reconnaissance légale de l'union de couples homosexuels. L'automne dernier, la Cour suprême a confirmé le pouvoir du Parlement de légiférer en ce qui concerne l'institution civile du mariage, mais elle ne s'est pas prononcée sur la question critique de la définition du mariage, à savoir si le mariage devrait se limiter à l'union d'un homme et d'une femme. La Cour a laissé entendre qu'il revenait au Parlement de rectifier la situation.
Le gouvernement a dit qu'en étendant aux couples homosexuels le droit de se marier civilement, il ne fait qu'affirmer l'engagement du Canada de protéger les droits des minorités et de garantir l'égalité pour tous, que ce projet de loi assurerait la protection des droits des minorités et que le gouvernement ne devrait pas pouvoir choisir ceux dont il protégera les droits et ceux dont il ignorera les droits.
Cependant, en présentant le projet de loi C-38, le gouvernement essaie d'établir un lien entre, d'une part, les droits conférés par la Charte et les droits de la personne et, d'autre part, le sacrement du mariage. Selon nombre d'entre nous, le mariage n'a rien à voir avec les droits conférés par la Charte ou les droits de la personne. Le présent débat porte sur une décision politique et sociale prise par le gouvernement.
Permettez-moi de citer plusieurs raisons pour lesquelles la question du mariage homosexuel ne relève pas des droits de la personne et celle du maintien de la définition traditionnelle du mariage ne serait probablement pas en contravention de la Charte.
Premièrement, il n'existe aucun document relatif aux droits de la personne reconnu internationalement qui laisse entendre qu'on ait droit au mariage homosexuel. Par exemple, presque tous les droits cités dans la Déclaration universelle des droits de l'homme sont des droits purement individuels que tout le monde aura et dont personne ne sera privé. Cependant, en ce qui concerne le mariage, la Déclaration dit : « à partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille ». Le fait qu'on parle de « l'homme et la femme » plutôt que de « tout le monde » laisse entendre qu'on envisage seulement le mariage traditionnel entre personnes de sexe opposé. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, paru plus tard, est formulé plus ou moins de la même façon. Toutes les tentatives visant à faire du mariage homosexuel une question internationale des droits de la personne ont échoué.
En 1998, la Cour européenne de justice a statué que « les relations stables entre deux personnes du même sexe ne sont pas assimilées aux relations entre personnes mariées ».
En 1996, la Cour d'appel de la Nouvelle-Zélande a rejeté la reconnaissance des mariages homosexuels, même si la loi néo- zélandaise sur les droits de la personne dit explicitement que l'orientation sexuelle est un motif de distinction interdit. Lorsque la décision néo-zélandaise a été contestée devant la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, parce qu'on prétendait qu'elle violait le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Commission a jugé qu'on n'exerçait pas de discrimination contre les homosexuels en leur refusant le droit de se marier. La décision de la Commission a été rendue en 2002.
En fait, jusqu'à aujourd'hui, aucun organisme de défense des droits de la personne, ni aucun tribunal suprême national ne s'est jamais dit d'avis que le mariage homosexuel était un droit de la personne. Les seuls tribunaux qui ont jugé que le mariage homosexuel était un droit de la personne sont des tribunaux provinciaux ou des tribunaux d'États américains.
Donc, si le mariage homosexuel n'est pas considéré comme un droit de la personne à l'échelle internationale, viole-t-on la Charte canadienne des droits et libertés en ne le reconnaissant pas? Bien que plusieurs cours d'appel provinciales aient dit qu'il s'agissait d'une violation, nous n'avons toujours pas entendu le plus haut tribunal de notre pays se prononcer clairement sur le droit au mariage homosexuel. Dans le renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, la Cour suprême a refusé de se prononcer sur la constitutionnalité de la définition traditionnelle du mariage, même si le gouvernement lui avait posé clairement la question.
Le projet de loi C-38 nous entraîne également dans un débat sur la liberté de religion. Dans un article du National Post, Lorne Gunter fait un bilan lucide des dernières causes entendues dans ce dossier, en disant ce qui suit :
Hugh Owen, Chris Kempling, Scott Brockie, Dagmar et Arnost Cepica ainsi que l'École secondaire catholique Monsignor John Pereyma ont tous fait la preuve qu'au Canada, lorsque la liberté de religion s'oppose aux droits de minorités bien en vogue, la liberté de religion est toujours perdante.
En dépit des assurances données à répétition par des politiciens et de grands experts, selon lesquels ni la Charte, ni aucune autre loi du Canada ne menace les droits des Canadiens de pratiquer librement leur foi, la réalité est bien différente.
L'évêque catholique romain de Calgary se fait traîner devant la Commission albertaine des droits de la personne pour avoir osé dire aux catholiques de Calgary, dans une lettre ouverte publiée en janvier dernier, que le mariage homosexuel est contraire aux enseignements de la religion catholique et que le gouvernement devrait agir énergiquement pour suivre ces enseignements.
... l'ordre fraternel catholique des Chevaliers de Colomb de Port Coquitlam, en Colombie-Britannique, a vu récemment ses droits fondamentaux brimés parce qu'il a osé s'opposer au rouleau compresseur des droits des homosexuels.
En 1997, un chrétien de Saskatoon, Hugh Owens, a fait paraître une annonce dans le Star-Phoenix de Saskatoon. Elle ne faisait que citer le chapitre et le verset de quatre passages de la Bible qui déclarent que l'homosexualité est un péché [...] Tout à côté, se trouvait un signe d'égalité et un dessin de deux bonshommes-allumettes se tenant la main, avec, en surimposition, un cercle traversé d'une ligne.
La Commission des droits de la personne de la Saskatchewan et un juge fédéral ont convenu que les gais pourraient trouver cette illustration haineuse — et surtout les citations de la Bible. Tous deux ont statué que M. Owens avait enfreint le code provincial des droits, même si ce code comporte une protection bien définie de la conscience religieuse. Le tribunal a contourné le code au moyen d'un syllogisme louche : toutes les grandes religions prêchent la paix et l'amour; l'annonce de M. Owens était haineuse; donc, elle ne pouvait être de nature religieuse et ne méritait pas la protection du code.
(1820)
Scott Brockie, imprimeur de Toronto, a refusé d'imprimer des publications pour un groupe de défense des gais et lesbiennes. En 2000, une commission d'enquête mise sur pied par la Commission des droits de la personne de l'Ontario a conclu que M. Brockie aurait dû faire le travail. Elle lui a ordonné de présenter des excuses au groupe gai et de lui verser 5 000 $.
La décision disait que Brockie restait libre d'avoir ses convictions religieuses et de les appliquer chez lui et dans sa communauté chrétienne, mais qu'il ne devait agir selon ces convictions dans son entreprise. Dans le monde réel, les droits religieux sont relégués au second rang.
Dagmar et Arnost Cepica ont été propriétaires du Beach View Bed and Breakfast de Stratford, dans l'Île-du-Prince- Édouard, jusqu'à ce qu'ils ferment l'établissement en 2001, au lieu de se conformer à une décision en matière de droits de l'homme qui les obligeait à accueillir des clients homosexuels, ce qui était contraire à leurs convictions religieuses. Chris Kempling, conseiller scolaire en Colombie-Britannique, a été suspendu de son travail l'an dernier, non parce qu'il s'attaquait aux droits des homosexuels en classe, mais parce qu'il avait écrit des lettres à la rédaction du journal local pour exposer son opinion sur la nature de l'homosexualité. La semaine dernière, il a été suspendu de nouveau parce qu'il avait écrit au même journal pour s'opposer au mariage homosexuel.
En 2002, l'école secondaire catholique Pereyma a essayé d'empêcher Marc Hall, un étudiant de cycle supérieur de 17 ans, d'amener son ami (qui n'était pas un étudiant) à son bal de finissants. Un juge de l'Ontario a dit à la direction de cette école que le droit de M. Hall de ne pas faire l'objet de discrimination en raison de son orientation sexuelle avait préséance sur le droit des écoles catholiques d'appliquer la doctrine de l'Église interdisant l'homosexualité.
Honorables sénateurs, je pense que le projet de loi C-38 aura réellement les effets suivants : il entraînera l'érosion de la cellule familiale telle que nous la connaissons. Il risque aussi de porter atteinte à la liberté de culte et à la liberté d'enseigner ses croyances religieuses, ce que certains, comme l'évêque Henry, contestent actuellement devant les tribunaux.
Honorables sénateurs, j'essaie de vivre ma vie comme un catholique dévot. Cela fait peut-être de moi quelqu'un d'un peu différent. Comme je l'ai déjà dit au sénateur Austin, si j'étais un juif, je serais un juif orthodoxe. Si j'étais un tenant de la doctrine évangélique, je suivrais fort probablement les enseignements de Billy Graham. Il s'avère que je suis un catholique romain. Dévot n'est peut-être pas le mot juste, mais j'essaie vraiment de vivre conformément aux règles catholiques romaines parce que j'y crois. J'ai, moi aussi, étudié chez les Soeurs grises et les Jésuites. Ils m'ont donné une bonne éducation. À titre de Métis, nous ne bénéficiions pas des droits de la personne. Il y a encore une foule de gens qui vivent dans des conditions dignes du tiers monde, et les amis du G8 jouent de la batterie et ont d'autres préoccupations que ces gens-là.
Les Jésuites m'ont appris à suivre les enseignements du pape à Rome, et je pense qu'il est important de lire la position de mon archevêque, le berger qui guide mon troupeau. Ce faisant, j'affirme que c'est là ce à quoi je crois, tout en reconnaissant le fait que nous vivons dans un pays libre où les divergences de vues existent.
Je vais citer la lettre que l'archevêque a envoyée aux brebis du diocèse où je vis.
Les députés du Canada se sont engagés dans un des plus importants débats de notre époque — un débat concernant la redéfinition du mariage en quelque chose de complètement différent.
Le mariage a toujours été respecté à titre d'institution dans l'intérêt commun de la famille et de la société.
Le mariage a toujours été reconnu comme le cadre nécessaire pour élever des enfants, comme le fondement des générations futures. La réalité du mariage, c'est que celui-ci transcende la politique et les lois faites par l'homme.
Dans l'optique de la raison et de la foi, nous devons, à titre de catholiques, maintenir la définition du mariage comme étant une institution dont l'objectif naturel est le bien du couple ainsi que la procréation et l'éducation des enfants.
Dans le pacte du mariage, un homme et une femme ne partagent pas seulement un grand amour l'un pour l'autre, mais ils sont également invités à devenir des partenaires de Dieu dans la création d'une vie humaine.
Ces deux aspects — le partage de l'amour entre le mari et la femme, et la création et le soutien de la vie — sont inséparables. Ils font du mariage ce qu'il est. Au sein de la société, certains, soutenus par des juges et des législateurs, tentent de transformer le débat en question relevant des droits de la personne, mais ce n'est pas là le sens du mariage. Comme institution sociale qu'est le mariage sert le bien commun, et non pas les droits individuels.
À l'occasion d'une réunion récente des évêques de l'Ouest du Canada, nous avons partagé les uns avec les autres certaines des façons dont nos diocèses pourraient tous nous aider à comprendre de manière plus approfondie les questions entourant le mariage. Une façon de relever le niveau de compréhension consiste à aborder les revendications formulées en faveur de la redéfinition du mariage et de montrer qu'elles ne reposent sur aucun argument rationnel valable.
J'aimerais commenter certains des arguments précis avancés en faveur de la redéfinition du mariage.
1) Tolérance. On peut avoir l'impression que le changement de la définition du mariage est justifié, mais ce serait une fausse démonstration de tolérance. Le potentiel procréatif du mariage est un élément fondamental du mariage, et il n'est pas injuste de soutenir que le mariage est l'union complémentaire d'un homme et d'une femme. Cette question ne relève pas de la problématique des droits de l'homme; il s'agit de reconnaître le fondement biologique de la structure sociale qui protège la procréation et le soutien des enfants dans notre société.
2) L'argument fondé sur la dignité humaine est similaire : il affirme que le droit actuel traite les gens ayant des attirances homosexuelles comme étant des citoyens de seconde classe. Certes, la dignité humaine exige à n'en pas douter que tous les êtres soient traités avec respect. Cela ne signifie pas que nous devons considérer une relation homosexuelle comme étant la même chose que le mariage, pas plus que deux autres adultes vivant ensemble — deux amis, par exemple, ou une mère et sa fille — sont traités comme s'ils étaient mariés. L'État a certainement le pouvoir d'autoriser des avantages sociaux pour certains de ses citoyens sans redéfinir le mariage.
3) On fait également valoir que les temps changent et qu'il faut tout simplement suivre le rythme de l'évolution des mentalités dans la société.
L'archevêque poursuit comme suit :
En fait, la Cour suprême a affirmé qu'elle avait le droit d'autoriser le gouvernement à modifier la définition du mariage, car notre Constitution est un arbre vivant.
L'honorable sénateur en a parlé.
Il se peut que notre Constitution se développe, mais le débat ne porte pas sur son développement. Le débat porte sur la question de savoir si ce développement est légitime. Il doit y avoir des normes pour déterminer si la croissance procède naturellement de ce qui est bon, d'une façon qui convient à la nature de l'objet. Est-ce qu'un gland devient une rose? Non, il devient un chêne. De la même façon, tout développement dans la définition légale du mariage doit aller dans le sens de la réalité stable du mariage et de la famille au sein desquels les enfants sont conçus et élevés.
4) On prétend également qu'il faut « vivre et laisser vivre ». On nous dit que les tribunaux n'imposent pas leurs croyances religieuses et que nous ne devrions pas imposer les nôtres à autrui. On fausse le problème cependant. L'affirmation voulant qu'un mariage soit une relation entre un homme et une femme n'est pas principalement une position religieuse. C'est évident pour les gens de toutes les confessions, et même pour les athées. Cette constatation est fondée sur la raison avant d'être fondée sur n'importe quelle foi.
5) On nous assure qu'il n'y a aucune menace pour les autorités religieuses puisqu'elles ne sont pas forcées de célébrer les mariages proposés. Une lecture de la décision de la Cour suprême sème cependant des doutes à cet égard. Même le libellé de la décision de la cour laisse entendre que des autorités religieuses pourraient être forcées de célébrer ces cérémonies à l'avenir dans des circonstances particulières. La cour ne précise pas ces circonstances. Il est inquiétant qu'elle soulève même cette possibilité.
De plus, certains gouvernements provinciaux forcent déjà des fonctionnaires civils à célébrer ces mariages à l'encontre de leur conscience ou à démissionner. Nous devons également nous demander si les garanties données aux autorités religieuses vont protéger les parents qui ne veulent pas qu'on enseigne dans leurs écoles que les relations homosexuelles sont normales, alors qu'il est probable que cela se produira une fois qu'on aura établi qu'il s'agit d'un droit de la personne.
6) Enfin on nous dit que Jésus acceptait tous les êtres humains comme ils étaient. Comme Jésus, nous devons accorder à tous un amour inconditionnel. Nous devons traiter les gens qui ont une attirance homosexuelle avec dignité et respect. Cependant, Jésus ne nous a pas enseigné que tout comportement est acceptable pourvu qu'une personne veuille l'avoir. Le Jésus authentique parlait de conversion morale et de repentir. Tout comme la femme adultère s'est fait dire d'aller son chemin et de ne plus pécher, le véritable amour signifie qu'on doit aider nos frères et nos soeurs à sortir d'une voie qui ne les conduit nulle part.
(1830)
Honorables sénateurs, j'ai voulu lire cette lettre parce qu'elle nous a été présentée dans l'optique religieuse dont je parle maintenant. Je ne lirai pas toute la lettre, mais dimanche dernier, l'archevêque a encore une fois transmis à ses paroissiens une lettre qu'il demandait aux curés de lire. Je n'ai jamais vu rien de tel à l'Église catholique, et je me rends à l'église régulièrement depuis environ 65 ans. Je n'ai jamais vu les autorités religieuses s'inquiéter autant d'une telle question et de l'érosion de leur position particulière dans la société. Je vais vous lire la première partie de la lettre :
La Chambre des communes a adopté le projet de loi C-38 qui modifie la définition du terme « mariage » dans la loi canadienne.
Toutefois, une loi ne peut pas modifier ce qui est inhérent à la nature même d'une chose.
Toute tentative visant l'adoption d'une telle loi fait disparaître tout fondement et confie aux législateurs et à la magistrature l'impossible tâche de faire appliquer une mesure législative dépourvue de l'autorité conférée par la loi.
Le gouvernement n'a pas la capacité de changer le mariage.
Ce n'est pas le gouvernement qui a créé le mariage, et le mariage restera ce qu'il est et qu'il a toujours été, c'est-à-dire l'union d'un homme et d'une femme pour la vie, pour le bien des époux et de la société, afin de procréer et d'élever des enfants.
Les Canadiens continueront de se marier et de fonder des familles comme ils l'ont toujours fait.
Si le projet de loi C-38 est adopté toutefois, la loi ne reconnaîtra plus le statut unique des couples mariés et les avantages qui leur sont conférés.
Nous exhortons nos sénateurs à assumer les responsabilités civiques qui leur incombent. Ne faites pas les mêmes erreurs que le gouvernement a faites. S'il vous plaît, ne permettez pas que ce projet de loi soit adopté.
Honorables sénateurs, je vous demande de bien réfléchir à ces points et d'en tenir compte en votre âme et conscience. Comme je l'ai souligné plus tôt, je n'ai jamais vu un dossier attirer autant l'attention et causer autant de dissension. J'ai parlé de ma foi aujourd'hui dans mon intervention, mais les points que j'ai soulevés ont également l'appui du mouvement évangélique et d'autres groupes.
En fin de semaine, j'ai assisté aux cérémonies de la Fête du Canada à White Rock et à Langley. Beaucoup de personnes sont venues me parler, m'exhortant à adopter une position très ferme sur la question. Je leur ai répondu que je ferais tout mon possible pour convaincre les gens que le projet de loi n'est pas nécessaire et que nous pouvons régler la question de façon civilisée, en respectant la position et le point de vue de tout le monde. Par conséquent, je demande aux honorables sénateurs de s'efforcer de prendre ce projet de loi pour ce qu'il est vraiment lorsqu'il sera renvoyé à un comité après le débat en deuxième lecture. Nous ne pouvons pas traiter ce projet de loi à la légère, parce que, selon moi, il érode vraiment la liberté de religion.
L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, tout d'abord, je tiens à assurer le sénateur St. Germain de ma compréhension et de mon profond respect pour ses opinons très sincères. Il a déclaré qu'il existait une profonde division sur la question au sein de notre société et cette division est évidente.
Je tiens également à dire à quel point je respecte le discours prononcé au Sénat cet après-midi par le sénateur Joyal. Il a très bien présenté les enjeux, décrit le contexte et expliqué la façon dont toute la question des droits de la personne a évolué au Canada.
Je souligne, à l'intention des sénateurs, qu'en 1980-1981, le sénateur Joyal, alors député à la Chambre des communes, a coprésidé le Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution avec le sénateur Harry Hays, le père du Président actuel, qui représentait le Sénat. À mon avis, ce comité a fait l'étude la plus importante jamais faite par un comité. Son mandat englobait la question des droits, le rapatriement de la Constitution et, ce qui allait loin, l'évolution des rapports entre le Canada et les citoyens et entre les citoyens eux-mêmes. Comme le sénateur Joyal l'a signalé, le sénateur Corbin représentait l'autre endroit à ce comité. Pour ma part, je représentais le groupe libéral au Sénat.
Honorables sénateurs, je vous pose la question qui est, je crois, la question clé : Quelles sont, fondamentalement, les raisons de l'opposition au projet de loi à l'étude, soit le projet de loi C-38, sur le mariage civil? Il y a les opposants, comme le sénateur St. Germain, dont les convictions religieuses profondes leur font affirmer que le mariage homosexuel est contraire à la loi de Dieu et même — pas le sénateur St. Germain, mais d'autres — que c'est une abomination. J'ai entendu cela de la part d'autorités religieuses. Elles affirment que les lois religieuses interdisent le mariage homosexuel et que, par conséquent, les lois civiles doivent s'aligner sur les lois religieuses.
J'accepte volontiers que l'on puisse avoir de telles croyances ou convictions pour guider son propre comportement, mais de quel droit peut-on exiger que tous se comportent de la même façon? Le Canada est une démocratie constitutionnelle dirigée par un Parlement dont la Chambre basse, la Chambre des communes, est composée de députés élus suivant le libre choix de tous les citoyens admissibles. Le gouvernement au pouvoir est responsable devant la Chambre des communes et doit garder la confiance de celle-ci. La Chambre des communes, dont les députés sont élus par la population, a adopté ce projet de loi et nous en a saisis pour que nous l'étudiions et l'approuvions. Nous devons exercer notre propre jugement pour déterminer si ce projet de loi constitue une bonne mesure gouvernementale et en établir la légitimité en vertu de la Constitution et de la Charte des droits.
D'après ce que je comprends, outre l'aspect religieux, l'opposition aux droits égaux au regard du mariage, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel, est axée sur la croyance que le mariage homosexuel est inadmissible parce qu'il aura des répercussions néfastes sur la société. Le sénateur St. Germain a aussi fait valoir ce point. Rien ne prouve cependant que ce sera le cas. Qu'il suffise de penser à l'État américain du Massachusetts, où le mariage homosexuel est permis depuis quelques années déjà. Les recherches effectuées par les opposants au mariage entre conjoints du même sexe n'ont pas permis de recueillir des données statistiques révélant quelque répercussion que ce soit sur la vie des conjoints de sexe opposé ou sur celle de leurs enfants. Les mariages hétérosexuels continuent d'être célébrés, les couples hétérosexuels mariés élèvent des familles à la même vitesse statistique qu'auparavant, et aucune augmentation du taux de divorce n'a été observée. Comme un commentateur l'a fait remarquer, le seul élément négatif qui est ressorti de l'étude effectuée à la suite de la légalisation du mariage homosexuel est les dépenses supplémentaires occasionnées par l'achat de quelques cadeaux de mariage de plus.
Il faut bien le reconnaître, la société sort de sa zone de confort afin que tous nos concitoyens adultes jouissent de droits égaux en vertu de la Charte des droits. N'en va-t-il pas de même, comme les tribunaux de huit provinces et d'un territoire l'ont dit, de l'égalité de la protection et de la justice pour tous les citoyens, sans égard à leur orientation sexuelle ou à leur identité sexuelle?
(1840)
Au Canada, la dernière modification constitutionnelle a pris effet le 17 avril 1985, date de l'entrée en vigueur de l'article 15 de la Charte des droits et libertés. Comme l'a dit aujourd'hui le sénateur Joyal, le paragraphe 15(1) stipule que :
La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
Dans les décisions d'interprétation de l'article 15, la Cour suprême du Canada a élargi les motifs de distinction illicite pour englober expressément la situation de famille, l'orientation sexuelle et le lieu de résidence des Autochtones. Notre Charte et la Cour suprême du Canada sont admirées dans les pays démocratiques du monde entier.
Le sénateur Joyal nous a décrit ce soir les modifications que visait la Cour suprême aux termes de la « Doctrine de l'arbre vivant » de lord Sankey, en ce qui concerne le sens des mots, la signification du mariage et les questions concernant la situation de famille et l'orientation sexuelle.
Le projet de loi C-38 vise tout simplement à uniformiser les droits dans tout le Canada. Ces droits sont établis en vertu de la Charte, par les tribunaux du pays. Il est un principe essentiel de bonne politique d'intérêt public selon lequel tous les membres de notre société et de notre pays doivent avoir jouir de droits égaux. Le regretté premier ministre Diefenbaker visait cet objectif lorsque son gouvernement a parrainé la Déclaration des droits, qui est une loi fédérale. Le regretté premier ministre Trudeau et les premiers ministres des provinces ont visé cet objectif lorsqu'ils se sont entendus pour incorporer la Charte des droits et libertés dans la Constitution.
Certains ont soutenu que les gais et les lesbiennes devraient se contenter d'une union civile qui leur conférerait les droits et les obligations du mariage, mais qui ne serait pas un mariage légal. Le premier ministre Martin a dit clairement que la notion d'arrangements distincts, mais égaux, n'est pas la même chose que l'égalité. Il ne peut exister qu'un statut pour l'égalité, et c'est le mariage.
Nous savons aujourd'hui, au moment où nous débattons ce projet de loi, que, selon les lois de la Belgique, des Pays-Bas et de la très catholique Espagne, les couples homosexuels sont sur un pied d'égalité avec les couples hétérosexuels en ce qui concerne le mariage.
Certains prétendent que le projet de loi est une atteinte à la liberté de religion, qui est également protégée par la Charte. Pourtant, il n'existe nulle part, dans ce projet de loi ou dans une autre loi, de disposition obligeant un groupe religieux dûment autorisé à célébrer un mariage à le faire si, selon son jugement, ce mariage est contraire à ses convictions religieuses.
Mais, lorsqu'il s'agit d'une personne détenant un permis délivré par une province ou un territoire pour célébrer des mariages civils, cette personne est obligée de célébrer le mariage, qu'il s'agisse d'un couple hétérosexuel ou d'un couple homosexuel, compte tenu des fonctions qu'elle exerce, à l'instar de toute autre personne ayant accepté une charge publique. La personne doit accomplir son travail ou accepter d'être relevée de ses fonctions pour avoir manqué à son devoir. Comme l'a dit le sénateur Joyal, une province, à savoir l'Ontario, a déjà pris les dispositions nécessaires pour modifier la définition de la charge publique concernée de manière à respecter la liberté de conscience des gens concernés.
Le chef de l'opposition à la Chambre des communes et certains de ses partisans ont fait beaucoup de contorsions verbales et politiques pour renier le caractère simplement juste du mariage homosexuel et les décisions de nombreux tribunaux du Canada. Stephen Harper refuse de dire s'il aurait recours à la disposition de dérogation de la Constitution pour mettre en veilleuse les droits reconnus par nos tribunaux et confirmés, à l'intention de tous les Canadiens, par le projet de loi C-38. Il refuse de dire s'il tiendrait un référendum sur les droits des minorités ou même s'il modifierait la Constitution pour éliminer ces droits. Du même souffle, il refuse d'admettre qu'il a des intentions cachées.
Honorables sénateurs, le sénateur Stratton dit que le débat n'est pas d'une grande qualité. Sénateur Stratton, ce sont les faits et ces faits sont connus des Canadiens.
Le sénateur Stratton : Je vous citerai de nouveau les faits.
Le sénateur Austin : J'aimerais bien.
Les propos de M. Harper renferment des atteintes flagrantes aux droits de la personne. Quoi de plus menaçant pour les valeurs démocratiques canadiennes ou pour l'unité nationale que le commentaire de M. Harper selon lequel le projet de loi C-38 est illégitime parce que les députés du Bloc québécois ne sont pas fédéralistes? Notre société reconnaît le droit démocratique de préconiser la séparation d'une province, pourvu que ce droit soit exercé de manière démocratique et conforme et à la loi, y compris la Loi sur la clarté. Au Parlement, les députés du Bloc québécois représentent la population au même titre que les députés du Parti conservateur. Il est évident que M. Harper et nombre de ses partisans acceptent mal le principe de l'égalité. Dans leur univers, il y en a qui sont plus égaux que les autres. Tel qu'on l'a souligné, M. Harper trouvait pourtant les députés du Bloc tout à fait égaux lorsqu'il a cherché à faire tomber le gouvernement lors de votes de défiance à la Chambre des communes.
Honorables sénateurs, permettez-moi de conclure mon intervention en citant le dernier paragraphe d'un éditorial paru dans le Globe and Mail du 20 juin 2005 :
Alors que le Sénat s'apprête à se pencher sur le projet de loi, le moment est venu de célébrer une mesure législative qui réserve un accueil chaleureux aux couples homosexuels. C'est plus qu'un accueil judiciaire, c'est un accueil parlementaire. Quel beau jour.
M. Harper veut que le Parlement, et non les tribunaux, ait le dernier mot. Quand nous adopterons ce projet de loi, le Parlement se sera prononcé, et cela devrait clore le débat.
Le sénateur Kinsella : Honorables sénateurs, je tenais moi aussi à participer au débat en deuxième lecture du projet de loi C-38. Je souhaite me pencher sur les objectifs en matière de politique publique que le gouvernement devrait bien connaître et qui concernent trois groupes de Canadiens dont on aurait dû tenir compte dans l'élaboration du projet de loi. Premièrement, il y a les hommes et les femmes qui respectent la définition traditionnelle. Deuxièmement, il y a la nécessité d'accorder le bénéfice de la loi à tous, indépendamment de l'orientation sexuelle. Troisièmement, il y a la nécessité de reconnaître d'autres formes de relations permanentes, familiales et économiques.
Grâce à ce projet de loi, le gouvernement du Canada et le Parlement ont eu l'occasion de se pencher sur les trois types de relations familiales qui sont très différentes. Il est malheureux qu'on nous ait imposé une telle dichotomie dans le cadre de ce débat. Au lieu de sauter sur l'occasion de tenir compte de ces besoins et d'élaborer un projet de loi en fonction d'une politique qui permettrait de réaliser chacun de ces objectifs, le gouvernement a élaboré un projet de loi en se basant sur des hypothèses inadéquates. Résultat, le projet de loi a semé la dissension tant au pays qu'à l'autre endroit. Malheureusement, cet échec mettra probablement les couples homosexuels à plus grand risque d'être victimisés. Cependant, je me permets d'ajouter rapidement que nous avons tous le devoir d'agir afin de veiller à ce que de tels actes de discrimination n'aient pas lieu.
Honorables sénateurs, les fonctionnaires du ministère de la Justice qui ont participé à l'élaboration du modèle sur lequel s'est basé le projet de loi C-38 n'ont pas rendu service au gouvernement. Ils auraient pu élaborer un différent modèle basé sur des hypothèses plus réfléchies afin d'atteindre les objectifs fixés qui sont d'accorder le « même bénéfice de la loi » aux couples homosexuels tout en maintenant l'institution traditionnelle du mariage si chère à tant de Canadiens et en tenant compte des autres types de relations familiales.
(1850)
Ce paradigme de quatrième ordre, présenté dans ce projet de loi, et qu'avancent maintenant le gouvernement et le ministre de Justice n'est pas et n'a jamais été le seul modèle disponible. Il n'était pas nécessaire de diviser le pays et le Parlement alors qu'on aurait pu rédiger une mesure législative plus créative et plus conforme aux exigences de la Charte en matière d'égalité des droits, principe que j'appuie certainement.
Mon analyse de cette mesure législative, du point de vue des droits de la personne, fait ressortir la nécessité d'examiner certaines questions très importantes et fondamentales. Je trouve que ce projet de loi est une réaction inadéquate et insuffisante à une question qui nécessite une attention nettement plus soutenue et plus approfondie.
La nécessité d'un régime législatif pour protéger les couples homosexuels illustre le défi auquel sont confrontées de nombreuses nations démocratiques lorsque certains intérêts et certaines opinions entrent en conflit dans la société. Compte tenu de la contribution considérable du Canada à la défense des droits de la personne à l'échelle mondiale, nous devons insister pour que notre loi reconnaisse et protège tous les intérêts de façon égale. Or, ce projet de loi propose une solution à courte vue dans la mesure où il reconnaît les droits d'un groupe sans prendre entièrement en compte l'incidence que cela aura sur des groupes qui ont des libertés concurrentes.
Dans le discours sur la défense des droits, il y a un principe fondamental qui est celui de l'unité des droits de la personne. Le conflit actuel illustre l'axiome universel sans équivoque selon lequel toutes les libertés et tous les droits sont égaux. J'espère que le Canada n'a pas perdu une partie de son vocabulaire constitutionnel. Nous avons oublié que la Charte confère des droits autant que des libertés. Le projet de loi C-38 est un exemple clair de la dégradation des libertés en faveur d'un programme de défense des droits qui est mis en avant.
La Charte elle-même ne fait pas de distinction entre les droits et les libertés; ils sont incontestablement d'importance et de statut égaux. Cette approche se reflète dans les instruments des Nations Unies — notamment la déclaration universelle et les conventions sur lesquelles notre honorable ami, le sénateur Joyal, a attiré notre attention à l'ouverture du débat.
Malheureusement, le projet de loi C-38, de la façon dont il est rédigé, fait du favoritisme en reconnaissant le droit à un seul type de mariage et en refusant de définir ou de reconnaître la liberté de religion des Canadiens qui optent pour une définition traditionnelle du mariage. L'article 2 du projet de loi C-38 est clair dans la mesure où il définit le mariage « sur le plan civil ». C'est tout ce qu'il fait. Honorables sénateurs, une telle formulation amène forcément la question suivante : Quelle est donc la définition générale du mariage? Nous avons une définition sur le plan civil, mais qu'en est-il d'une définition générale? Quel est le statu quo?
L'expression « sur le plan civil » a pour fonction de créer une exception à la définition en vigueur. C'est une restriction. Malheureusement, les rédacteurs n'ont inclus aucune définition actuelle. Il n'y en a aucune dans le projet de loi.
Le projet de loi ne renferme aucune définition traditionnelle ou de base. Le sous-texte essentiel ou l'assise sur laquelle repose la protection du mariage homosexuel brille par son absence dans le texte. Le projet de loi crée une lacune législative; une exception à la définition, sans donner la définition de base.
Le gouvernement nous a dit ce qu'il considère comme le mariage civil, mais il n'a pas expliqué ce qu'est fondamentalement le mariage. Aux yeux du gouvernement, il n'existe qu'un type légal et restreint de mariage : le mariage civil. Pour se faire du capital politique, selon certains, le gouvernement a rédigé en vitesse ce projet de loi visant à reconnaître et à protéger les mariages homosexuels. Cependant, le projet de loi omet de tenir compte, et donc de protéger, l'institution à laquelle la majorité des Canadiens adhèrent : le mariage traditionnel.
Dans le projet de loi, le gouvernement fédéral aurait dû tâcher de fournir enfin à tous les Canadiens une définition légale, juste et équitable du mariage. Au lieu de cela, nous avons un projet de loi d'où est absent le concept fondamental et qui ne contient qu'une définition du mariage civil.
Honorables sénateurs, je ne m'oppose pas en principe à l'objet du projet de loi, qui concerne ce deuxième objectif. Cependant, au mieux, le projet de loi C-38 est insuffisant et certes vague. Au pire, il est totalement inadéquat et dangereux, car il établit une hiérarchie de droits en ce sens qu'on propose une nouvelle définition du mariage tout en faisant fi complètement du concept essentiel du mariage traditionnel.
Honorables sénateurs, le gouvernement a jeté le bébé avec l'eau du bain. Il n'était pas nécessaire d'abandonner la définition traditionnelle du mariage, ni de reconnaître le besoin, pour reprendre les mots du ministre de la Justice, de fournir au moins une disposition interprétative qui énoncerait un fait historique évident, c'est-à-dire que le Parlement a reconnu et continue de reconnaître le mariage traditionnel comme l'union d'un homme et d'une femme. Malgré la tradition, le mariage civil et le libellé intact du projet de loi couvriraient au moins ces deux objectifs, qui auraient dû être les objectifs sur le plan de la politique publique.
Honorables sénateurs, j'ai l'impression que le gouvernement a péché par excès de zèle. Nous avons entendu bon nombre de commentaires de la part de membres de ce gouvernement, selon qui la définition traditionnelle du mariage selon la common law n'est plus acceptable et porte atteinte au droit à l'égalité prévu par la Charte. Malgré cette affirmation, ils n'ont choisi que de définir un seul aspect du mariage, soit l'aspect civil. Le message aux Canadiens est clair : la reconnaissance de la définition traditionnelle du mariage n'intéresse absolument pas le gouvernement.
Le besoin d'actualiser et d'élargir la définition du mariage pour refléter les nouvelles réalités a créé une occasion de rédiger un projet de loi exhaustif qui clarifierait les droits et libertés de tous les Canadiens. Les diverses valeurs de tous les Canadiens devraient être représentées dans ce projet de loi. Malheureusement, le projet de loi C-38 fait fi de la définition habituelle de la common law, qui existe depuis des centaines d'années. Il ne la rejette ni ne l'accepte; il l'abandonne complètement.
Une des objections très répandues dans l'opinion publique est qu'on craint que ce projet de loi n'entrave sans aucun doute la liberté de religion. Je demande aux honorables sénateurs, compte tenu du fait que ce projet de loi écarte complètement les institutions religieuses fondamentales qui sont chères à bon nombre de Canadiens — qui ont pour eux une valeur immense, dont le sénateur St. Germain a parlé plus tôt —, cette préoccupation n'est- elle pas bien fondée? Le risque que nous courons quand nous adoptons un projet de loi mal rédigé est projeté dans l'avenir; une loi qui assortit une définition à une condition non expresse sera inévitablement litigieuse. Ce n'est souvent qu'après que le temps passe et que les souvenirs s'estompent que les juges sont chargés d'interpréter la signification d'une phrase floue ou ambiguë. Il me semble à la fois naïf et téméraire de présumer que le fait de laisser tomber la définition complète du mariage n'entraînera pas des problèmes incommensurables dans l'avenir. Cela dit, tout juge sera tenu de présumer que le Parlement avait l'intention d'exclure toute considération de la définition traditionnelle du mariage. Or, une présomption en ce sens a de profondes conséquences en matière d'interprétation pour les nombreux Canadiens qui ont manifesté des inquiétudes au sujet d'un empiètement possible sur la liberté religieuse. Une telle présomption sera très difficile à contrer. Les assurances insistantes du gouvernement de l'époque ne feront pas le poids devant les principes d'interprétation des lois.
(1900)
Honorables sénateurs, ce qui fait défaut dans cette mesure est tout aussi important que ce qui s'y trouve. Et cela nous ramène au principe d'interprétation des lois selon lequel expressio unius est exclusio alterius, c'est à dire que le fait de mentionner une chose de façon expresse revient à en exclure une autre. Autrement dit, si une notion est énoncée explicitement, l'exclusion d'une autre n'est pas le fait d'une erreur ou d'un oubli mais une omission qui a elle même un sens.
La liberté de religion des Canadiens, pour ce qui est du choix du type de mariage, sera nécessairement subordonnée à la seule notion de mariage civil, en raison d'un principe d'interprétation clair et incontournable. C'est ce principe directeur qui balisera vraisemblablement toute discussion future au sujet du mariage. Ce débat est loin d'être terminé, même si la majorité qui domine notre institution impose l'adoption de la mesure.
On aurait pu facilement légiférer pour reconnaître le mariage entre personnes de même sexe en créant une institution du mariage parallèle tout en maintenant la définition traditionnelle du mariage. On aurait très bien pu le faire en inscrivant la définition traditionnelle du mariage dans la loi, ce qui aurait protégé la liberté religieuse et la liberté de conscience de nombreux Canadiens. On aurait pu faire suivre la définition traditionnelle du mariage par une disposition précisant que « nonobstant la définition traditionnelle du mariage, le mariage civil est l'union entre deux personnes, quelles qu'elles soient ». Une telle structure législative n'omet aucune définition de base, est claire, sans ambiguïté, et assure un sain équilibre des droits et libertés des Canadiens. Elle est de plus le reflet du clivage actuel des opinions sur cette question dans la société canadienne. Enfin, cette structure aurait correspondu totalement à l'avis donné plus tôt cette année par la Cour suprême.
Honorables sénateurs, le gouvernement a l'obligation de s'acquitter de ses responsabilités de fiduciaire envers l'ensemble des Canadiens de façon à protéger également tous les droits et toutes les libertés. Le présent débat porte essentiellement sur l'équilibre à assurer entre les droits et les libertés, qui font parfois l'objet de frictions. Je n'irai pas jusqu'à laisser entendre que certains droits et certaines libertés s'excluent mutuellement, ou même qu'ils sont en concurrence ou en conflit. La différence inhérente entre le droit à l'égalité et la liberté de religion crée une situation en vertu de laquelle les gouvernements favorisent un programme fondé sur les droits. Les sociétés peuvent facilement glisser vers un vide en matière de droits de la personne, en vertu duquel les libertés qui sont traditionnellement considérées comme négatives de par leur nature parce qu'elles équivalent généralement au droit de ne pas faire quelque chose, risquent d'être érodées au profit d'une liste sans cesse plus longue de droits positifs à quelque chose.
Dans la pratique, comme nous pouvons le voir dans le projet de loi C-38, les gouvernements peuvent facilement articuler un droit. Par conséquent, des droits positifs tels que l'accès à l'institution légale du mariage peuvent être protégés par la législation et appuyés d'une manière concrète et programmatique. Il n'est pas aussi facile d'articuler un droit négatif, une liberté négative ou un droit de ne pas faire quelque chose, dans une mesure législative. Toutefois, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'obligation d'y voir.
Honorables sénateurs, dans le cas présent, cette articulation est d'autant plus difficile à faire en raison du partage des pouvoirs dans la Constitution du Canada, qui empêche la législation fédérale d'empiéter sur la compétence provinciale en matière de célébration de mariages. Il est beaucoup plus intéressant et pratique pour les gouvernements de tout simplement faire valoir, s'ils ne l'entravent pas activement, qu'ils protègent suffisamment l'exercice de la liberté de religion.
Le projet de loi C-38 est un exemple révélateur qui montre combien il est facile de laisser tomber les libertés. En dépit des difficultés posées par ce cas-ci et des défis liés au fait de protéger une liberté négative, le gouvernement doit s'engager à faire plus pour protéger la liberté de religion des Canadiens. Je reviens encore une fois à l'avis consultatif de la Cour suprême, dans lequel celle-ci parle de la richesse de la liberté de religion au Canada. Il est à espérer que la richesse du point de vue de la cour serve d'assise.
Honorables sénateurs, nous avons à tout le moins l'obligation d'imposer par voie législative une définition du mariage qui reconnaisse les traditions et les valeurs prédominantes d'une proportion importante de Canadiens. Se contenter de dire qu'une liberté est protégée par non-ingérence est une façon dangereuse de gouverner qui risque d'aliéner un grand nombre de citoyens qui ne s'estiment pas protégés d'une façon concrète ou programmatique. Si la nation souhaite éviter de créer une hiérarchie des droits de la personne et des libertés, les gouvernements doivent avoir des programmes législatifs qui favorisent la reconnaissance et l'exercice tant des droits que des libertés. Se contenter de dire qu'un gouvernement ne gêne pas la liberté de religion est une assurance qui n'a aucune valeur aux yeux de la majorité des Canadiens, et cette façon de faire va sûrement reléguer les libertés au statut de parent pauvre, par rapport aux droits, dans le contexte de notre Charte.
Le directeur des droits de la personne à la Kennedy School of Government, Michael Ignatieff, fait valoir de manière persuasive que les droits et les libertés n'ont un sens que s'ils fournissent des droits et des immunités aux citoyens. Il affirme : « Il ne vaut la peine de détenir des droits et des libertés que si on peut les appliquer contre des institutions comme l'État. » De même, si les citoyens ne se sentent pas à l'aise de pratiquer leur religion par peur d'être persécutés ou ostracisés, l'État n'a pas rempli ses obligations en vertu de la Charte ou ses obligations internationales de respecter l'unité des droits en mettant en oeuvre, en promouvant et en protégeant tous les droits et toutes les libertés.
De la même façon, Rolf Kunnemann, théoricien des droits de la personne, soutient que l'obligation liée à un droit ou à une liberté est l'obligation de l'État de créer des mécanismes juridiques ou autres permettant de respecter et de protéger ce droit ou cette liberté. Le projet de loi C-38 néglige expressément l'occasion parfaite de créer une définition juridique qui comprendrait tous les aspects du mariage et, ainsi, d'offrir la pleine reconnaissance et la pleine protection de la loi à tous les Canadiens. L'article 15 de la Charte donne l'assurance que non seulement tous les Canadiens seront considérés égaux, mais aussi qu'ils doivent avoir le même bénéfice de la loi. Le présent projet de loi C-38 a pour effet de dénier ce même bénéfice.
Honorables sénateurs, je voulais attirer votre attention sur ce qui me paraît être une omission flagrante dans le projet de loi. Je souhaite attirer votre attention sur ce qui, incontestablement, constitue une conséquence involontaire qui peut se présenter lorsqu'on accepte ce genre d'omission. L'émergence des nouveaux droits positifs peut supplanter les libertés négatives, car la société peut, au fil du temps, montrer une tendance à accepter ce qui était autrefois une norme émergente comme étant, peut-être, la préférence sociétale d'une société plus progressiste et plus tolérante. Bien que cela puisse enrichir et diversifier la société, cela ne saurait se faire au prix de la stigmatisation des valeurs et des convictions des autres. Nous devons nous prémunir contre le scénario envisagé dans mon exemple précédent, esquissé par Michael Ignatieff.
(1910)
J'irais jusqu'à dire que le Canada a une obligation toute particulière de protéger la liberté de religion dans le contexte de l'article 27 de la Charte, celui qui garantit aux Canadiens que l'interprétation de leur Charte des droits et libertés concordera avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel. Toute société multiculturelle est forcément multiconfessionnelle. Si le projet de loi C-38 favorise la réalisation d'un programme fondé sur les droits qui empêche les Canadiens d'exprimer leurs valeurs religieuses, d'exercer leur liberté de conscience et de valoriser leur patrimoine multiculturel, il aura pour effet de travestir l'objet même de la Charte ainsi que ses auteurs l'ont conçue.
Il faut préserver l'unité des droits de la personne. Il faut rejeter le projet de loi C-38 parce qu'il ne sait pas ménager les droits de tous les Canadiens, puisqu'il refuse de reconnaître et d'enrichir les valeurs consacrées par la conception traditionnelle de mariage à laquelle tant de Canadiens sont attachés.
Honorables sénateurs, il est possible de rendre le projet de loi acceptable et digne de notre appui non en excluant des dispositions ou des passages du texte dont nous sommes saisis, mais plutôt en ajoutant une nouvelle première disposition qui serait au moins déclaratoire, pour reprendre les termes du ministre de la Justice, et certainement objective. Cette nouvelle disposition dirait que le Parlement admet que le mariage traditionnel entre homme et femme continue d'être reconnu au Canada. Les articles actuels seraient simplement renumérotés, l'actuel article 1 devenant l'article 2, et cetera.
Honorables sénateurs, ce serait une façon de rendre le projet de loi acceptable, de refermer le clivage regrettable créé par ce que je considère comme un modèle médiocre que nous devons au ministère de la Justice. Ce n'est pas inévitable. Ce qui est nécessaire, c'est de veiller à ce que tous les Canadiens aient le même bénéfice et la même protection de la loi.
Je pourrais également rappeler comment l'article 15 de la Charte a été élaboré, parler de la relation entre la Charte et les textes internationaux et de la liste non limitative des motifs prohibés de discrimination. Je pourrais encore rappeler comment le principe ejusdem generis est celui que suivent les tribunaux lorsque, avec les années, de nouvelles considérations sur un statut spécial acquièrent de l'importance, notamment lorsque des personnes sont victimes de discrimination.
Honorables sénateurs, nous pouvons faire quelque chose de bien de ce projet de loi si nous le voulons.
L'honorable Lowell Murray : Honorables sénateurs, j'aimerais que le leader de l'opposition nous dise pourquoi, à plusieurs reprises au cours de son discours, il a blâmé les rédacteurs pour les lacunes qu'il voyait dans le projet de loi. Je suis persuadé que ces rédacteurs avaient eu des instructions politiques des ministres en cause.
Le sénateur Kinsella : Comme le sénateur le sait bien, il est vrai que tout processus d'élaboration des lois devrait d'abord s'appuyer sur une politique publique bien structurée. En fait, on devrait d'abord rédiger un exposé de principe pouvant donner lieu à certaines discussions. Cette étape a en partie été réalisée devant un comité de la Chambre des communes présidé par M. Scott. Les membres du comité ont parcouru le pays, mais le gouvernement n'a pas précisé sa position une fois le travail du comité terminé.
Puis, les instructions relatives à la rédaction sont alors préparées. Il ne fait aucun doute que des options ont été proposées. Dans certains cas, il arrive que des arguments très forts soient présentés à l'appui de la meilleure option, alors que les arguments ne sont pas aussi bien étayés pour les autres. Je suis d'accord avec le sénateur. Finalement, ce sont les ministres qui prennent les décisions. Toutefois, je vous parle de la façon dont les choses se passent réellement ici.
Le sénateur Murray : Le leader de l'opposition conviendra certainement que la décision de ne pas faire appel des décisions des cours inférieures directement auprès de la Cour suprême du Canada, mais de transmettre plutôt un renvoi à la Cour suprême du Canada a été une décision purement politique prise par le Cabinet. C'est une question que j'aurais voulu poser au sénateur Joyal ou au sénateur Austin, mais je ne l'ai pas fait au moment opportun et mon ami devra donc me pardonner.
Le sénateur n'est-il pas d'avis que nous serions beaucoup plus avancés si le gouvernement, en réponse à ces litiges interminables dont le sénateur Joyal a parlé dans son discours, avait fait appel de l'une de ces décisions prises par les tribunaux inférieurs devant la Cour suprême et avait obtenu une vraie décision sur une série de faits réels, au lieu de transmettre un renvoi demandant un avis consultatif? De plus, c'était une opinion incomplète puisque la Cour a refusé de répondre à l'une des questions.
Le sénateur n'est-il pas également d'avis qu'on aurait épargné au pays cette argumentation inconvenante et complètement hypothétique sur la nécessité du recours à la disposition de dérogation pour appuyer la coexistence des droits à l'égalité et de la définition traditionnelle du mariage, parce que les tribunaux auraient été forcés de répondre à la question si on avait fait appel des décisions des tribunaux inférieurs?
Le sénateur Kinsella : Honorables sénateurs, je suis d'accord sur ce que le sénateur Murray donne à penser dans sa question, à savoir que la façon dont le gouvernement a géré tout ce dossier est vraiment un gâchis monumental. Je crains fort que cela soit exact. Évidemment, je ne sais pas ce qui s'est dit autour de la table, au Cabinet, à moins que le sénateur Austin veuille bien nous en informer. Je trouverais très regrettable que des considérations politiques et partisanes entrent en ligne de compte.
L'affaire aurait très bien pu être portée devant la Cour suprême, comme l'honorable sénateur l'a fait remarquer, mais cela n'a pas été fait. On aurait aussi pu définir les trois catégories de familles dont j'ai parlé.
Quand on lit l'article 13 du projet de loi, on se rend compte qu'il porte sur les degrés prohibés de mariage. Il prévoit ce qui suit :
Est prohibé le mariage entre personnes ayant des liens de parenté, notamment par adoption, en ligne directe ou en ligne collatérale, s'il s'agit du frère et de la soeur ou du demi-frère et de la demi-soeur.
Cela nous amène à nous poser quelques questions intéressantes, dont celle-ci : que fait-on du droit à l'égalité de deux frères en matière d'avantages? Ceux-ci ne devraient-ils pas avoir droit au même bénéfice de la loi? Dans la mesure où les gens assimilent le bénéfice de la loi à des avantages tels que pensions et assurance, à quoi sert cette exclusion?
S'il y a lieu de conserver une disposition concernant les degrés prohibés de mariage, pourquoi inclure cet article? Quelle est sa raison d'être? Sur quels principes repose-t-il? Si les principes sont fondés sur les vieilles questions liées au mariage traditionnel concernant les degrés prohibés en raison de la proximité du bagage génétique — et ce n'est pas dans l'intérêt public d'affaiblir le bassin génétique, si je m'exprime bien — on comprend pourquoi il y a des dispositions dans le Code criminel sur la consanguinité. Si deux hommes ou deux femmes se marient au civil, je ne comprends pas la justification des degrés de consanguinité dans ce genre de situation. C'est tout à fait illogique. Le comité devrait peut-être se pencher sur la question.
(1920)
Honorables sénateurs, on ne tient absolument pas compte de la question que je trouve terriblement importante, et ce n'est pas la question du mariage traditionnel ou du mariage entre personnes de même sexe. Un grand nombre de Canadiens sont engagés dans des relations financières domestiques, par exemple une mère âgée et sa fille ou son fils, ou deux sœurs ou deux frères qui dépendent totalement l'un de l'autre sur le plan financier. Nous devrions pouvoir nous pencher là-dessus. Je crois que les autres pays qui s'attaquent aux questions des droits à l'égalité pour les homosexuels font également fi de cet aspect.
(Sur la motion du sénateur Stratton, le débat est ajourné.)
ATTRIBUTION DE TEMPS POUR LE DÉBAT—AVIS DE MOTION
L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, conformément à l'article 39 du Règlement, j'informe le Sénat que j'ai discuté avec mon homologue, le leader adjoint de l'opposition, au sujet de l'étude du projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil. Nous n'avons pu nous entendre pour attribuer un nombre précis d'heures ou de jours de débat à l'étape de la deuxième lecture de ce projet de loi.
Par conséquent, je donne avis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, conformément à l'article 39 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations ne soient attribuées à l'étude à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil;
Que, lorsque les délibérations seront terminées ou que le temps prévu pour le débat sera écoulé, le Président interrompe, au besoin, les délibérations en cours au Sénat et mette aux voix immédiatement et successivement toute question nécessaire pour terminer l'étude à l'étape de la deuxième lecture dudit projet de loi;
Que tout vote par appel nominal sur lesdites questions soit tenu conformément au paragraphe 39(4) du Règlement.
PROJET DE LOI SUR LES MOTOMARINES
TROISIÈME LECTURE—REPORT DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Cochrane, appuyée par l'honorable sénateur Andreychuk, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-12, Loi concernant les motomarines dans les eaux navigables.—(L'honorable sénateur Lavigne)
L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, plusieurs sénateurs de ce côté-ci ont manifesté le désir d'intervenir au sujet de ce projet de loi. Je crois comprendre que le sénateur Spivak souhaite que le processus législatif avance, mais je dois donner aux sénateurs qui le veulent l'occasion de prendre la parole au sujet du projet de loi.
Je demande que le débat soit reporté pour que ces sénateurs aient l'occasion d'intervenir.
L'honorable Terry Stratton (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, j'attire l'attention des sénateurs sur le fait que nous avons bien compris cet après-midi qu'un des sénateurs libéraux souhaitait intervenir sur cette question. Nous acceptons que l'article reste au Feuilleton à condition que le sénateur prenne la parole cette semaine et que nous puissions faire avancer le projet de loi.
Le sénateur Rompkey : D'accord.
Son Honneur le Président : L'article reste au Feuilleton, et j'ai pris note de l'échange entre les leaders.
(Le débat est reporté.)
[Français]
LA LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE—REPORT DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Nolin, appuyée par l'honorable sénateur Andreychuk, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-23, Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (modernisation du régime de l'emploi et des relations de travail).—(L'honorable sénateur Andreychuk)
L'honorable Jean Lapointe : Honorables sénateurs, je demande l'ajournement du débat à mon nom.
[Traduction]
Son Honneur le Président : Cet article est présentement inscrit au nom du sénateur Andreychuk. Je crois que le sénateur Lapointe souhaite que cet article soit réinscrit au jour zéro.
Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord pour qu'on acquiesce à cette demande?
L'honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, cet article en est au quatorzième jour. Je prévoyais demander que cet article soit réinscrit au jour zéro demain. Puisque le Sénat est occupé à autre chose, je n'aurais pas votre entière attention avant notre retour. C'est pourquoi je prévoyais demander l'inscription de cette question au jour zéro.
Si mon collègue souhaite prendre la parole, je ne m'y opposerai pas.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je crois comprendre que l'on demande que cette question revienne au début du cycle, au jour zéro. Est-ce d'accord?
Des voix : D'accord.
L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Votre Honneur, selon ce que j'ai compris, l'article serait inscrit au nom du sénateur Lapointe. Est-ce exact?
Le sénateur Lapointe : Honorables sénateurs, j'avais une entente avec le sénateur Nolin, dans la mesure où cet article serait réinscrit au jour zéro. Je lui avais dit que j'accepterais l'ajournement à mon nom, et il était totalement d'accord.
[Français]
Si vous me demandez quand je vais parler, je peux vous dire que si cela continue, ce sera pendant la troisième ou la quatrième semaine du mois d'août.
(Le débat est reporté.)
[Traduction]
L'ÉTUDE DES QUESTIONS RELATIVES AU TAUX DE PRODUCTIVITÉ
ADOPTION DU RAPPORT DU COMITÉ DES BANQUES ET DU COMMERCE
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Grafstein, appuyée par l'honorable sénateur Mahovlich, tendant à l'adoption du quinzième rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce intitulé Il est temps d'agir pour rattraper notre retard - Comment améliorer la productivité du Canada? déposé au Sénat le 22 juin 2005.—(L'honorable sénateur Stratton)
L'honorable Terry Stratton (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, j'explique brièvement pourquoi j'ai ajourné le débat à mon nom. Je voulais demander à notre caucus si quelqu'un voulait intervenir sur cette question. Aucun de nos honorables sénateurs ne voulait intervenir. Par conséquent, en ce qui concerne ce côté-ci de la Chambre, nous en avons terminé avec cette question.
Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)
(1930)
LE RAPPORT D'ÉTAPE SUR LES SOINS DE FIN DE VIE DE QUALITÉ
INTERPELLATION—SUITE DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Carstairs, C.P., attirant l'attention du Sénat sur Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Des soins de fin de vie de qualité : Rapport d'étape.—(L'honorable sénateur Oliver)
L'honorable Donald H. Oliver : Honorables sénateurs, je tiens à participer au débat sur l'interpellation du sénateur Carstairs, qui attire notre attention sur le document Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Des soins de fin de vie de qualité : Rapport d'étape.
Les soins palliatifs constituent un type particulier de soins de santé qui s'adresse aux personnes atteintes d'une maladie qui met leur vie en danger et qui est généralement à un stade avancé, ainsi qu'aux familles de ces personnes. Le but des soins palliatifs est d'assurer la meilleure qualité de vie possible au malade gravement atteint ou en phase terminale en lui procurant confort et dignité.
L'Association canadienne des soins palliatifs définit les soins palliatifs comme étant la combinaison de soins actifs et de compassion qui visent à réconforter et à soutenir les personnes atteintes d'une maladie dégénérative qui met leur vie en danger ainsi que leurs amis et leur famille, notamment au moment du deuil.
Je voudrais commencer par décrire comment le droit de mourir dans la dignité et le confort est devenu une question de politique publique au Sénat. Il s'agit d'un dossier dont madame le sénateur Carstairs s'occupe depuis de nombreuses années. Je parlerai ensuite d'un important projet de levée de fonds dans ma province, la Nouvelle-Écosse, qui est parrainé par un des peintres vivants les plus célèbres du Canada, et un concitoyen néo-écossais, Alex Colville, qui, lorsque ma mère est décédée, en juillet 1991, a rendu un hommage très émouvant à ses funérailles.
Honorables sénateurs, le Sénat se voit souvent confier des tâches qui sont jugées trop litigieuses ou trop controversées pour que les gouvernements s'en occupent directement. Historiquement, le Sénat n'a jamais hésité à s'attaquer aux questions de politique publique les plus compliquées auxquelles les Canadiens sont confrontés.
Par exemple, après que la Cour suprême ait rendu sa décision qui maintenait l'interdiction du suicide assisté, on a demandé au Sénat d'« examiner, afin d'en faire rapport, les questions juridiques, sociales et éthiques liées à l'euthanasie et à l'aide au suicide ». Dans ce but express, le Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et le suicide assisté a été créé le 23 février 1994.
Lorsqu'il a commencé ses audiences, le comité s'attendait à passer la majeure partie de son temps à étudier les questions éthiques, sociales, juridiques et médicales qui ont fini par être associées à l'euthanasie et à l'aide au suicide. Toutefois, dès le début des audiences, le comité s'est rendu compte que la question des solutions de rechange médicales à l'euthanasie et à l'aide au suicide était un aspect important et imprévu.
Certains témoins ont dit au comité que les Canadiens qui approchent de la mort ont besoin d'un meilleur soutien pour composer avec les circonstances entourant celle-ci et que les soins palliatifs pourraient répondre à bon nombre de leurs besoins à ce chapitre. À la suite de ces audiences, le Sénat a publié le rapport intitulé De la vie et de la mort, qui a foncièrement influé sur la politique du Canada à l'égard des soins palliatifs dans les années à venir.
Ensuite, en 1999, sous l'égide du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, madame le sénateur Carstairs a présidé un sous-comité sénatorial spécial que le Sénat avait autorisé à mettre à jour le rapport intitulé De la vie et de la mort. Le rapport final, rendu public en juin 2000 et intitulé Des soins de fin de vie de qualité : chaque Canadien et Canadienne y a droit, a réaffirmé ceci :
La Déclaration canadienne des droits de 1960 énonce que le Canada est fondé sur la dignité et la valeur de la personne humaine. Cette dignité et cette valeur nous obligent à fournir des soins de fin de vie de grande qualité au moment où nous sommes les plus vulnérables.
Honorables sénateurs, la nécessité d'offrir aux Canadiens les plus vulnérables des soins palliatifs efficaces et au moment opportun demeure une question d'intérêt public urgente. S'il en est ainsi, c'est parce que la population du Canada vieillit, à un rythme alarmant, de surcroît.
D'ici 2026, plus de 8 millions de Canadiens auront plus de 65 ans, c'est-à-dire environ 20 p. 100 de la population. Actuellement, 75 p. 100 des décès enregistrés chaque année concernent des personnes âgées. Les chercheurs estiment qu'il y aura une hausse de 40 p. 100 de ces décès d'ici 2020.
Selon l'Association canadienne de soins palliatifs, non seulement la population canadienne vieillit à un rythme alarmant, mais en plus, à peine 15 p. 100 des Canadiens qui ont besoin de soins palliatifs de qualité dans notre pays en reçoivent. Lorsqu'il est question des enfants, le pourcentage tombe à 3,3 p. 100.
Tout particulièrement dans ma province natale, la Nouvelle- Écosse, de nombreuses initiatives de collecte de fonds sont en cours pour sensibiliser les gens partout au Canada à propos des soins palliatifs et pour recueillir les fonds nécessaires pour répondre aux besoins physiques, émotionnels et spirituels des gens atteints de maladies graves ou de maladies terminales.
En Nouvelle-Écosse, la question est d'une importance particulière. Alors que 11,5 p. 100 des Canadiens ont plus de 65 ans, en Nouvelle- Écosse, ce chiffre, qui augmente rapidement, est de 13,5 p. 100. Selon le recensement de 2001, les personnes âgées pourraient constituer près d'un quart de la population de la Nouvelle-Écosse d'ici 2015.
Honorables sénateurs, les médecins conviennent que pour pouvoir offrir des soins palliatifs efficaces, il faut un hospice, un établissement chaleureux, semblable à une maison, où on répondrait aux besoins physiques et émotionnels des malades en phase terminale.
Les employés de l'hospice devraient être des professionnels, des paraprofessionnels et des bénévoles formés en soins palliatifs et engagés à travailler en équipe pour veiller au confort et à la dignité de ceux qu'ils aident. Essentiellement, tous les résidants devraient se sentir chez eux quand ils sont à l'hospice.
(1950)
Il y a actuellement 13 hospices au Canada qui offrent des soins palliatifs. Il y en a des milliers dans le monde, surtout aux États- Unis, en Europe, au Royaume-Uni, en Inde, en Australie, en Roumanie et en Afrique du Sud. Il n'y a actuellement aucun tel hospice dans le Canada atlantique.
Honorables sénateurs, c'est pour cette raison qu'on a établi la Von Kings Hospice Foundation. Cette fondation est présidée par le docteur James Perkins, habitant de longue date de Wolfville, en Nouvelle-Écosse, où je suis né, et ancien recteur et vice-chancelier de l'Université Acadia à Wolfville.
La fondation compte construire, dans le Valley Regional Hospital à Kings County, en Nouvelle-Écosse, un hospice de 10 lits indépendant et disposant de tout l'équipement nécessaire. L'hospice aurait une superficie d'environ 10 000 pieds carrés et serait en grande partie situé sur un étage; on pourra y offrir toutes les activités et tous les services prévus. On prévoit qu'il coûtera entre 1,6 et 2 millions de dollars pour construire l'hospice et acheter l'équipement et les fournitures nécessaires. Avec un effectif complet de résidants, l'hospice coûterait environ 1,2 million de dollars par année en frais d'exploitation.
Le plan financier de la fondation prévoit que tout l'argent nécessaire à la construction de l'hospice viendra du secteur privé, de dons privés, sans aide directe du gouvernement fédéral ou provincial.
En octobre 2004, la Nouvelle-Écosse a dit qu'elle était disposée, sous certaines conditions, à supporter environ 50 p. 100 des coûts de fonctionnement de l'hospice dans le cadre d'un projet pilote. La fondation croit que si les coûts d'immobilisation peuvent être assumés strictement grâce à des dons privés, environ 95 p. 100 des coûts de fonctionnement pourraient être financés par des fonds publics.
Jusqu'à maintenant, honorables sénateurs, l'hospice a recueilli près de 300 000 $ grâce à la générosité des gens de la Nouvelle- Écosse qui ont fait d'importants dons privés, et dans le cadre d'activités de financement. L'un des habitants généreux de la Nouvelle-Écosse dont j'ai parlé est l'artiste Alex Colville. Tout au long de sa longue carrière, Alex Colville a reçu de nombreux honneurs. En 1965, il a été chargé de concevoir les pièces commémorant le centenaire du Canada. Il a été fait officier de l'Ordre du Canada en 1967 et il est devenu compagnon de l'Ordre du Canada en 1982. De grandes rétrospectives de son oeuvre ont été organisées par le Musée des beaux-arts de l'Ontario en 1983 et le Musée des beaux-arts de Montréal en 1994. En 2002, M. Colville a reçu le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques.
En tant qu'habitant de la Nouvelle-Écosse depuis 1929, au fil des ans, Alex Colville s'est servi de sa notoriété pour aider à soutenir un certain nombre d'initiatives très utiles visant à enrichir la qualité de vie dans ma province. Le dernier exemple est un gala de financement pour l'hospice de soins palliatifs du comté de Kings, dont Alex Colville était l'invité d'honneur. On a appelé cela « L'événement Alex Colville ». Le gala a eu lieu le 10 juin dernier à Wolfville et il a été coordonné par la Von Kings Hospice Foundation. Il a été tenu en l'honneur de l'oeuvre de Colville pour sensibiliser les gens aux soins palliatifs et à la nécessité d'un hospice en Nouvelle-Écosse. La célébrité de M. Colville a fait qu'on a dû refuser des gens au dîner de gala au Old Orchard Inn, même s'il en coûtait 200 $ par personne. Selon le président de la fondation, Jim Perkins, on a dû refuser jusqu'à 100 personnes à la porte.
Lors du gala, deux grandes contributions financières ont été annoncées. Tout d'abord, le Club Rotary de Wolfville a versé 50 000 $ pour la construction de l'hospice.
Bon nombre d'éminents Néo-Écossais ont prononcé des discours lors de ce gala, notamment la Dre Deborah Day, professeure en enseignement et vice-présidente du conseil d'administration du Von Kings Hospice. Donald Sobey, président du conseil d'administration du Musée des beaux-arts du Canada et d'Atlantic Alliance Communications a également offert ses salutations, par l'entremise d'une bande vidéo. George Jordan, un ancien animateur de radio de la CBC à Halifax, s'est chargé de l'animation de la soirée. La Dre Gail Dinter-Gottlieb, présidente de l'Université Acadia, et Bob Stead, maire de Wolfville, ont pris la parole. Mary Pratt, une ancienne étudiante d'Alex Colville quand il enseignait à l'Université Acadia, a également fait un discours, tout comme le fils d'Alex Colville, Graham Colville.
Honorables sénateurs, pour les organisateurs de la cérémonie de commémoration d'Alex Colville, et pour les centaines de personnes qui ont assisté à l'événement afin de rendre hommage à l'héritage humanitaire du grand peintre néo-écossais, le message était clair : la fondation lutte depuis 15 ans pour un centre de soins palliatifs dans ma province natale, mais, avec l'appui constant d'Alex Colville pour ce projet, ce rêve deviendra réalité beaucoup plus tôt que prévu.
Pour terminer, honorables sénateurs, à entendre les paroles des personnes qui ont rendu hommage à la tradition de participation communautaire d'Alex Colville, en Nouvelle-Écosse et autour du monde, il ne fait aucun doute que le thème officiel de ce gala, « The Measure of a Man », est parfaitement approprié au plus grand peintre vivant du Canada et à un grand Canadien.
(Sur la motion du sénateur Rompkey, au nom du sénateur Corbin, le débat est ajourné.)
LES TRAVAUX DU SÉNAT
L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, si Son Honneur la Présidente intérimaire vérifiait, je crois qu'elle constaterait qu'il y a accord pour que tous les autres articles au Feuilleton et Feuilleton des avis soient reportés et conservent le même ordre jusqu'à la prochaine séance.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce d'accord, honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
(Le Sénat s'ajourne à demain, à 14 heures.)