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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 179

Le vendredi 21 juin 2013
L'honorable Noël A. Kinsella, Président

LE SÉNAT

Le vendredi 21 juin 2013

La séance est ouverte à 9 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Société des ponts fédéraux Limitée

L'honorable Bob Runciman : Honorables sénateurs, l'année dernière, j'ai communiqué avec des élus de l'État de New York pour leur demander d'appuyer la désignation de l'île Dark, sur laquelle se trouve le château Singer, dans les Mille-Îles, comme point d'entrée aux États- Unis.

Dans ma démarche, j'ai songé à approcher la Thousand Islands Bridge Authority pour solliciter son appui et j'ai été surpris d'apprendre non seulement que les Canadiens y étaient moins représentés, mais aussi qu'aucun de nos représentants n'habitaient dans la région la plus touchée par la gestion du pont et des autres biens administrés par l'organisation, dont le château Boldt.

Dans la structure de gouvernance actuelle, le Canada propose trois membres au conseil d'administration de la Thousand Islands Bridge Authority et les États-Unis, quatre.

La Société des ponts fédéraux, qui est une société d'État canadienne, soumet les noms de candidats canadiens, choisis parmi ses hauts fonctionnaires, essentiellement des fonctionnaires d'Ottawa, dont aucun n'habite dans les environs du pont. En revanche, les quatre représentants américains sont désignés par l'assemblée législative du comté, dont les membres sont démocratiquement élus. Tous les membres américains du conseil d'administration vivent dans la région et certains travaillent dans l'industrie du tourisme.

Nos amis américains croient visiblement que, en nommant des résidants des Mille-Îles au conseil ils s'assurent que la région sera représentée par des personnes qui sont au fait des besoins de l'économie régionale. C'est ce que pensent non seulement les législateurs américains, mais aussi la Société des ponts fédéraux lorsqu'il s'agit des autres ponts internationaux en Ontario. Sault Ste. Marie, Sarnia, Niagara Falls ont toutes trois des membres canadiens au conseil d'administration qui vivent non loin du pont et dont plusieurs travaillent dans le tourisme et dans l'hôtellerie.

Malgré ce paradoxe, la Société des ponts fédéraux m'a écrit une lettre en mai dans laquelle on peut lire ceci : « Nous sommes satisfaits du processus de nomination actuel et nous n'avons pas l'intention de le changer. » Ils auraient dû ajouter : « Allez vous faire cuire un œuf. »

Cette demande ne doit pas être interprétée comme un affront aux membres actuels du conseil d'administration. Je suis d'ailleurs convaincu que ce sont des gens compétents. Toutefois, j'estime qu'il serait préférable pour les résidants et les entreprises de la rive canadienne qu'au moins deux des trois membres canadiens du conseil d'administration soient des gens de la région des Mille-Îles.

Mentionnons aussi l'écart entre le nombre d'employés provenant de chacun des deux pays. Selon son site web, l'administration du pont des Mille-Îles compte 62 employés à plein temps, 43 Américains et 19 Canadiens.

Je demande instamment au ministre des Transports d'obliger la Société des ponts fédéraux à nommer au moins deux représentants canadiens parmi les candidatures recommandées par les comtés unis de Leeds et de Grenville. La meilleure façon de s'assurer que le Canada obtiendra sa juste part des retombées de cet important partenariat entre les deux pays, c'est en veillant à ce que la région soit bien représentée.

Les inondations en Alberta

L'honorable Douglas Black : Honorables sénateurs, je tiens à rendre hommage aujourd'hui aux dizaines de milliers d'Albertains qui viennent en aide à leurs concitoyens qui ont été victimes hier des pires inondations que le Sud de l'Alberta ait connues, et, surtout, au personnel des services d'urgence, soit les policiers, les pompiers, les ambulanciers et les employés des services d'urgence provinciaux et municipaux, qui travaillent jour et nuit pour assurer la sécurité des Albertains.

Je tiens aussi à remercier le premier ministre Harper d'avoir autorisé les Forces armées canadiennes à prendre part aux mesures de sauvetage et d'évacuation. Les inondations ont durement touché le Sud de l'Alberta et plusieurs localités ont dû être évacuées.

Ce matin, le niveau d'alerte a été fixé à « critique » à Calgary, dans la réserve Stoney, à Turner Valley, dans la réserve Siksika, à High River, à Bragg Creek, à Black Diamond et dans le district de Foothills, ce qui signifie qu'un danger imminent menace la vie des gens. Dans de nombreuses autres localités — dont Canmore, où j'habite —, le niveau d'alerte est « urgent ».

Nous prions encore pour une femme qui a disparu après avoir été emportée par la rivière Highwood, près de Black Diamond.

Collègues, pour vous donner une idée de l'importance de ces inondations, c'était la première fois hier que Calgary déclarait l'état d'urgence en neuf décennies.

Hier soir, on m'a envoyé des photos et des vidéos de rivières du Sud de l'Alberta et des Rocheuses qui étaient vraiment choquantes. Quand j'ai regardé les bulletins d'information hier et que j'ai parlé à ma famille et à mes amis, j'ai été particulièrement frappé par la réaction des Albertains — l'extraordinaire soutien manifesté aux victimes de ces inondations par leurs amis et leurs voisins. Hier soir, les Albertains frappaient aux portes, faisaient des appels et écrivaient sur Twitter pour inviter les gens qui avaient besoin d'un endroit pour dormir à venir chez eux. D'innombrables bénévoles attendaient, et attendent encore, ce matin, qu'on leur dise ce qu'ils peuvent faire pour aider.

Les Albertains sont toujours à leur meilleur lorsque les choses sont au plus mal. Notre premier premier ministre, Alexander Rutherford, a dit ceci à propos des Albertains en 1906 :

Nous sommes un peuple optimiste; l'Alberta ne compte pas de pessimistes dans ses rangs, car les pessimistes n'ont pas d'avenir. Forts de notre optimisme, nous voyons toujours le bon côté des choses.

L'Alberta est un ensemble de collectivités, formées de membres des Premières Nations auxquels des colons se sont joints plus tard, qui ont survécu et prospéré malgré un environnement hostile et de vastes distances. Nous n'aurions pas pu le faire si nous n'avions pas pu compter sur nos voisins. Je peux vous dire, d'après ce que j'ai vu hier et ce matin, que l'esprit communautaire qui anime l'Alberta est toujours aussi fort.

Je sais que plusieurs d'entre vous se rendront en Alberta la semaine prochaine, ou peut-être à un autre moment durant l'été. Vous pourrez observer personnellement cet esprit communautaire. Je sais que, qu'il y ait de l'eau ou non, les Albertains sont prêts à vous accueillir à bras ouverts et avec le sourire.

Le projet Oléoduc Énergie Est

L'honorable John D. Wallace : Honorables sénateurs, je souhaite parler d'une occasion formidable qui s'offre au secteur de l'énergie du Canada, un projet qui pourrait en fait représenter un avantage considérable pour les Canadiens à long terme.

Le projet Oléoduc Énergie Est de la société TransCanada Pipelines relierait des installations pétrolières nouvelles et existantes au Canada. Les producteurs de pétrole brut de l'Alberta et de la Saskatchewan disposeraient enfin d'un lien direct avec les raffineries de pétrole de l'Est du Canada. L'oléoduc de 4 400 kilomètres pourrait transporter jusqu'à 850 000 barils de pétrole brut par jour jusqu'aux raffineries de l'Est du Canada.

Pour ce faire, TransCanada propose de convertir un gazoduc qui est actuellement sous-utilisé afin de transporter le pétrole brut produit dans l'Ouest jusqu'aux raffineries du Québec. En outre, il y aurait possibilité de construire un nouveau pipeline jusqu'à Saint John, au Nouveau-Brunswick, le berceau de la raffinerie Irving — la plus importante raffinerie du Canada —, dont la capacité de production dépasse les 300 000 barils par jour.

Il est également important de comprendre que la raffinerie Irving est directement liée au terminal Canaport d'Irving. Il s'agit du plus profond terminal pétrolier libre de glace de la côte Est américaine.

(0910)

Honorables sénateurs, je crois qu'il ne fait aucun doute que St. John est la meilleure option et la destination naturelle sur la côte Est pour ce projet d'oléoduc.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Wallace : La semaine dernière, l'appel de soumissions exécutoires que TransCanada avait lancé en vue d'obtenir des engagements fermes à long terme de la part des parties intéressées partout au pays a pris fin. La prochaine étape pour la société TransCanada, si elle va de l'avant, serait de présenter une demande d'approbation réglementaire à l'Office national de l'énergie. Si le projet Oléoduc Énergie Est était accepté, le pétrole brut de l'Ouest, produit en Alberta et en Saskatchewan, pourrait arriver à Montréal et à Québec d'ici 2017, et à St. John, au Nouveau-Brunswick, d'ici 2018.

Honorables sénateurs, ce projet d'oléoduc pourrait considérablement changer la donne au Canada et générer des retombées considérables et durables pour notre pays. Il créerait des emplois dans l'industrie pétrolière dont les provinces canadiennes ont grandement besoin. Ce projet, outre les nouveaux emplois, entraînerait des hausses substantielles des recettes du fédéral et des provinces, notamment le Nouveau-Brunswick, ma province, ce qui serait d'une importance cruciale.

En raccordant directement les producteurs de pétrole brut de l'Ouest aux raffineries de l'Est, on créerait un nouveau marché intérieur pour le pétrole brut de l'Ouest. Par conséquent, nos producteurs de pétrole brut seraient moins dépendants du marché américain et donc moins vulnérables. Il ne fait aucun doute que cela aurait des répercussions positives et importantes sur le prix du pétrole brut de l'Ouest qui, à l'heure actuelle, se vend nettement moins cher que le pétrole brut produit par d'autres pays.

Ce projet d'oléoduc, y compris sa prolongation jusqu'à St. John, permettrait aux raffineries de l'Est de réduire, voire d'éliminer, leur dépendance du pétrole brut étranger importé et, du même coup, d'acheter du pétrole brut à un prix nettement plus concurrentiel que celui qui se vend actuellement sur le marché international.

Qui plus est, le prolongement de cet oléoduc jusqu'à St. John permettrait d'ouvrir de nouveaux marchés internationaux pour le pétrole brut de l'Ouest canadien, dont ceux de l'Union européenne, de l'Inde, de l'Asie et de l'Amérique du Sud. De plus, grâce à ce projet d'oléoduc, le pétrole brut de l'Ouest canadien pourrait être transporté à bord de navires pétroliers à partir de St. John jusqu'aux raffineries américaines situées dans le golfe du Mexique.

Honorables sénateurs, il est aussi important de se rendre compte que ce projet fait l'objet d'un appui unanime de la part des gouvernements fédéral et provinciaux. Le ministre des Ressources naturelles du Canada, Joe Oliver, souscrit au projet avec enthousiasme. Comme on pouvait s'y attendre, deux des plus ardents défenseurs du projet sont les premiers ministres de l'Alberta et du Nouveau-Brunswick, Alison Redford et David Alward.

Le projet Oléoduc Énergie Est est une initiative audacieuse et très progressiste. À l'instar de plusieurs autres Canadiens, je trouve qu'il s'agit d'un élément extrêmement important du processus constant d'édification de notre pays.

Honorables sénateurs, je crois sincèrement que c'est le début d'un temps nouveau — une ère fort positive et progressiste, qui produira des avantages considérables et durables pour notre pays.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les affaires étrangères

Les séjours dans les résidences officielles

L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, je vais devoir remettre à la sénatrice LeBreton la liste de ses invités pour la fête du Canada.

J'aimerais poursuivre la discussion au sujet de la maison Macdonald de Londres. Les renseignements provenant de diverses sources, qu'elles soient gouvernementales ou médiatiques, varient : selon certains, la propriété vaudrait 800 millions de dollars, selon d'autres, 500 millions de dollars. Comme le gouvernement souhaite vendre cette résidence, les Canadiens aimeraient connaître sa véritable valeur. Vaut-elle 500 ou 800 millions de dollars, ou à quel prix le gouvernement tente-t-il de la vendre?

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je vais devoir prendre note de cette question et y répondre plus tard. Je ne sais pas très bien ce qu'il en est du dossier de la maison Macdonald et du prix qu'on espère en obtenir.

Le sénateur Mercer : Merci, je vous en saurai gré.

En 2008, l'Ottawa Citizen estimait la valeur de la maison à 600 millions de dollars. En février 2013, le Globe & Mail disait qu'elle valait 500 millions de dollars. Dans le dernier reportage du réseau anglais de Radio-Canada sur les voyages du ministre Baird, la valeur était estimée à 800 millions de dollars. Le gouvernement a entrepris de vendre une série d'ambassades et de résidences à l'étranger. Il a vendu la résidence de Dublin, à ce que je sache, et il essaie de vendre d'autres ambassades.

Le gouvernement souhaite-t-il que le Canada ne cherche plus à être bien présent au cœur des capitales étrangères? Sommes-nous sur le point de déménager nos ambassades au deuxième étage d'un immeuble, dans les banlieues de ces capitales, au-dessus d'un dépanneur? De toute évidence, notre présence se fait sentir lorsque les gens peuvent la voir concrètement dans ces capitales.

La sénatrice LeBreton : Eh bien, voilà une idée ridicule. Ce n'est évidemment pas l'intention du gouvernement.

Je crois que la propriété de Dublin a été vendue notamment parce qu'elle était éloignée du centre et du quartier des ambassades.

Les efforts conjugués du gouvernement, par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, sont grandement axés sur les pays avec lesquels nous pouvons entretenir des relations réciproquement avantageuses, sur le plan commercial et à d'autres égards.

Le sénateur Mercer : Les opérations de rationalisation des résidences et ambassades canadiennes dans le monde m'inquiètent beaucoup, notamment en ce qui concerne certaines adresses prestigieuses où nous avons pignon sur rue. Le Canada est le seul pays à avoir une ambassade sur une rue extrêmement importante dans le monde, soit Pennsylvania Avenue, à Washington. L'ambassade du Canada se trouve entre la Maison-Blanche et le Capitole, en face du Smithsonian American Art Museum. Le gouvernement veut-il rationaliser là aussi? Si nous vendons la maison Macdonald, à quand le tour de notre propriété sur Pennsylvania Avenue? La Maison du Canada à Trafalgar Square sera-t-elle la prochaine à être mise en vente? Est-ce que notre ambassade à Paris sera la suivante?

(0920)

La sénatrice LeBreton : Il semble que vous connaissiez ces propriétés mieux que moi. Vous vous y êtes manifestement rendu.

En fait, et le sénateur Mercer le sait, il n'y a aucun plan. Nous sommes très fiers de notre ambassade à Washington, ainsi que de la Maison du Canada à Trafalgar Square. Il est évident que le ministère et le gouvernement examinent le rôle que jouent diverses propriétés pour faire la promotion du Canada dans le monde.

L'ambassade du Canada à Washington occupe manifestement un emplacement privilégié. Les Canadiens sont fiers de la montrer et, bien sûr les Américains, du moins ceux qui sont bien informés, savent qu'il s'agit de l'ambassade canadienne et qu'elle occupe un lieu privilégié.

Le sénateur Mercer : Honorables sénateurs, je peux assurer à la ministre que je me soucie seulement de l'endroit où le ministre Baird logera si nous vendons ces diverses résidences.

La sénatrice LeBreton : Honorables sénateurs, hier, j'ai remarqué avec intérêt que Raymond Chrétien, ancien ambassadeur canadien aux États-Unis, a très clairement indiqué qu'il invitait souvent des membres de sa famille et des amis chez lui lorsqu'il était ambassadeur et que, souvent, ses invités restaient chez lui même quand il ne s'y trouvait pas.

Évidemment, M. Chrétien exposait la situation que j'expliquais hier. Nos haut-commissaires et nos ambassadeurs peuvent inviter qui ils veulent dans leur logement personnel.

L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, ma question s'adresse aussi à madame le leader du gouvernement au Sénat. La ministre sait certainement que les ministres de la Couronne sont soumis à la Loi sur les conflits d'intérêts. La ministre a aussi sans doute remarqué l'exemption visant les cadeaux offerts par des amis qui figure dans cette loi.

J'ai suivi les réponses de madame le leader concernant le ministre Baird et ses six amis; on me dit, et c'est ce que je comprends à la lecture de leurs rapports, qu'il considère le cadeau qu'a été son séjour à la résidence de Londres comme une simple visite chez des amis.

Invoque-t-on là l'exception à Loi sur les conflits d'intérêts, qui concerne les cadeaux offerts par des amis, cadeaux qui n'ont pas à être déclarés?

La sénatrice LeBreton : Honorables sénateurs, je suis le leader du gouvernement au Sénat; je réponds au nom du gouvernement et non en celui de la commissaire aux conflits d'intérêts. Ceci étant dit, je connais, bien sûr, les directives en question et le ministre Baird les connaît également.

Le sénateur Day : Honorables sénateurs, je ne demande pas à madame le leader de parler au nom de la commissaire aux conflits d'intérêts. Je lui demande si on ne tente pas de présenter ce séjour de façon à ce qu'il soit considéré comme un cadeau d'amis, et, donc, une exception.

Le ministre n'est pas sans savoir qu'il existe une énorme échappatoire dans la Loi sur les conflits d'intérêts à laquelle est assujetti le ministre Baird, ainsi que madame le leader du gouvernement au Sénat, puisque celle-ci est membre du Cabinet. À l'heure actuelle, la disposition permet à un titulaire de charge publique, comme un ministre, d'accepter un cadeau, même si celui-ci pourrait raisonnablement donner à penser qu'il vise à influencer le destinataire dans l'exercice de ses fonctions officielles.

La ministre ne convient-elle pas que cet exemple concernant le ministre Baird et ses six amis, qui ont accepté un cadeau de la part d'un ami, fournit un motif suffisant pour appuyer le projet de loi dont le Sénat est actuellement saisi, le projet de loi S-222, qui vise justement à corriger cette lacune évidente dans la Loi sur les conflits d'intérêts?

La sénatrice LeBreton : Je remercie le sénateur Day de sa question.

J'ai mentionné hier que le voyage en question n'a absolument rien coûté aux contribuables canadiens.

Quant aux arguments du sénateur en faveur de changements aux lignes directrices en matière de conflits d'intérêts, qui font l'objet d'un projet de loi actuellement à l'étude au Sénat, je ne commenterai pas là-dessus. Le Sénat est saisi du projet de loi et il se prononcera en temps et lieu.

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, la ministre ne voit-il pas qu'il y a là quelque chose d'incongru et qu'il y a un problème lorsqu'un ministre séjourne dans une résidence qui, comme elle l'a mentionné, est réservée à l'usage personnel du haut-commissaire à Londres? Dans les faits, le haut- commissaire travaille pour le ministre et relève de lui. Supposons que le ministre lui dise : « Je serai à Londres avec quelques amis. Est- ce que nous pouvons séjourner chez vous? » Qu'est-ce que le haut- commissaire va dire? En agissant ainsi, le ministre ne place-t-il pas le haut-commissaire dans une position très difficile? Est-ce que cela ne va pas à l'encontre des principes de responsabilité, d'ouverture et de transparence dont elle se vante chaque jour?

Honorables sénateurs, cela n'est pas acceptable. Les Canadiens estiment que ce n'est pas acceptable. Madame le leader n'en convient-elle pas?

La sénatrice LeBreton : Non, honorables sénateurs, je ne suis pas d'accord. De toute évidence, les propos du sénateur Cowan sont fondés sur des hypothèses. Il suppose que les choses se sont passées comme il les a décrites.

Comme Raymond Chrétien l'a souligné hier, lorsqu'il était lui- même l'ambassadeur du Canada aux États-Unis, il a souvent invité des parents et amis à séjourner chez lui, à sa résidence.

Pour ce qui est nos ambassades à Paris et du haut-commissariat, il arrive souvent que des gens — et je sais que le ministre Baird en fait partie — séjournent dans l'une de ces résidences lors de voyages officiels afin de faire économiser de l'argent aux contribuables.

Le sénateur Cowan : Honorables sénateurs, comment le haut- commissaire, M. Campbell, pourrait-il savoir que le ministre Baird et ses amis arrivent à Londres si M. Baird ne l'en a pas avisé?

La sénatrice LeBreton : Honorables sénateurs, encore une fois, c'est une question hypothétique. En effet, je ne connais pas le teneur des conversations entre le haut-commissaire et le ministre Baird. Je ne me risquerai donc même pas à faire des suppositions, car je n'ai aucun moyen de savoir. Peut-être a-t-il entendu parler de leurs plans dans le cadre d'une conversation informelle. Je ne le sais pas. Ce sont des hypothèses.

En réalité — c'est ce que je ne cesse de répéter —, ce voyage n'a pas coûté un sou aux contribuables canadiens.

J'en reviens une fois de plus à ce qu'a dit Raymond Chrétien et j'invite le sénateur à lire ces propos. Évidemment, je suis tout à fait convaincue que M. Chrétien a accueilli à sa résidence beaucoup de gens exerçant un poste d'influence au gouvernement. Je doute fortement qu'on puisse y voir autre chose que la simple réalité : il a laissé des membres du gouvernement ainsi que sa famille et des amis séjourner dans sa résidence, pour laquelle il payait un loyer.

Le sénateur Cowan : En réalité — pour reprendre l'une des expressions fétiches de la leader —, le ministre a obtenu un avantage, celui d'utiliser un bien qui appartient au gouvernement du Canada.

Comment cela pourrait-il être approprié? Comment madame le leader peut-elle m'accuser de faire des suppositions tout en faisant elle-même une supposition? C'est elle, la ministre, alors pourquoi ne cherche-t-elle pas à obtenir l'information pour nous?

La sénatrice LeBreton : Le sénateur Cowan laisse entendre que Raymond Chrétien a fait quelque chose d'inapproprié en invitant de la famille et des amis à rester chez lui, à Washington.

De toute évidence, et comme je l'ai déjà dit, le voyage de M. Baird n'a pas coûté le moindre sou aux contribuables.

Le sénateur Cowan : Honorables sénateurs, ce que je dis, c'est qu'il y a une énorme différence avec le fait pour le haut-commissaire de proposer à M. Baird, lorsqu'il est en voyage officiel à Londres, de l'héberger dans la résidence officielle, de manière à pouvoir traiter de certains dossiers avec lui. Il est tout à fait approprié que le haut- commissaire et le ministre des Affaires étrangères fassent le point sur des dossiers dont ils s'occupent en temps normal. Personne ne dit le contraire.

Cependant, le fait qu'un ministre, en l'absence du haut- commissaire, séjourne pendant ses vacances avec ses amis dans un bien appartenant au gouvernement du Canada, c'est inadmissible. Étant donné les débats et la controverse des derniers jours à ce sujet, il me semble que la ministre a l'obligation de faire ressortir la vérité. Elle est actuellement la seule ministre à pouvoir rendre des comptes au Parlement. Pourquoi ne pas trouver des réponses et nous les relayer?

(0930)

Si vous n'êtes pas en mesure de nous répondre aujourd'hui, vous pourrez le faire la semaine prochaine, puisque nous serons ici.

La sénatrice LeBreton : Je suis heureuse que vous me dictiez encore une fois comment faire mon travail, sénateur Cowan. Il convient de répéter que ce voyage n'a pas coûté un sou aux contribuables. L'appartement où le ministre Baird et ses amis ont séjourné est l'appartement personnel du haut-commissaire. Ce dernier paie l'appartement de sa poche, il a donc certainement le droit d'inviter qui il veut.

L'honorable Percy E. Downe : Vous avez dit que le haut- commissaire paie le loyer, et c'est vrai, mais son loyer est fixé en fonction du marché d'Ottawa, et non du marché de Londres. Si le loyer du haut-commissaire reflétait les prix du marché à Londres, le haut-commissaire devrait débourser 30 000 $, 40 000 $ ou 50 000 $ par mois pour une propriété de 500 millions de dollars. Voilà une partie des avantages dont le ministre Baird a profité en y séjournant.

En ce qui concerne votre observation concernant l'ancien ambassadeur Chrétien, il a clairement parlé de ses proches et de ses amis. Or, une troisième catégorie s'ajoute à celles des amis et des proches dans le cas qui nous occupe : les ministres. À quelle catégorie le ministre Baird appartient-il, étant donné que le ministre a obtenu cet avantage d'une personne qui relève directement de lui?

La sénatrice LeBreton : Le ministre Baird pourrait appartenir à la catégorie des amis. Je suis ministre de la Couronne, et j'ai des amis. Les haut-commissaires ont eux aussi le droit d'avoir des amis, et il en va de même pour les ambassadeurs et les ministres de la Couronne.

L'honorable Wilfred P. Moore : J'ai une question complémentaire à poser à madame le leader. Existe-t-il un registre des gens qui séjournent à cet endroit et des dates où ils y sont restés? Si un tel registre existe, est-il accessible au public?

La sénatrice LeBreton : Je le répète, le haut-commissaire Campbell a des responsabilités très importantes, tout comme l'ambassadeur Chrétien. Qui oserait suggérer que les noms des gens qu'ils invitent à titre personnel dans leurs appartements privés doivent être consignés dans un registre?

L'honorable Serge Joyal : J'ai une question complémentaire, Votre Honneur. Madame le leader du gouvernement au Sénat accepterait- elle de répondre à une autre question à ce sujet?

Quand j'étais ministre de la Couronne, je voyageais souvent à l'étranger et, bien entendu, je rendais visite aux ambassadeurs du Canada en poste. On m'avait dit qu'un règlement des Affaires étrangères interdisait au public ou à qui que ce soit, du reste, de séjourner à l'ambassade. Je me souviens, par exemple, que lorsque l'ambassadeur Bouchard était à Paris, il avait invité un ami à séjourner chez lui. Le ministère des Affaires étrangères l'a informé que cette personne ne pouvait pas faire un séjour prolongé chez lui. Je crois comprendre que le ministère des Affaires étrangères a établi un règlement concernant l'utilisation des locaux, même s'il s'agit des appartements privés de l'ambassadeur ou du haut-commissaire.

Madame le leader déposerait-elle ce règlement, afin que nous sachions exactement ce qui s'applique aux ambassadeurs et aux haut-commissaires?

La sénatrice LeBreton : Je crois me rappeler l'incident, en ce qui concerne l'ambassadeur Bouchard. Je ne pense pas qu'il était question de personnes séjournant à sa résidence pour quelques jours. Si je me souviens bien, la situation était tout à fait différente. Je crois que vous le savez aussi, sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas répondu à ma question.

Si ce à quoi vous faites allusion existe, c'est qu'il y a un règlement. Ce que je vous ai demandé, c'est de déposer ce règlement, parce qu'un ambassadeur n'a pas l'entière liberté d'inviter qui il veut, quand il veut, qu'il veut, peu importe depuis quand il est ami avec la personne en question.

Je pose de nouveau ma question. Pourriez-vous présenter ces règles appliquées par le ministère des Affaires étrangères afin que nous ayons une idée claire du cadre qu'un ambassadeur doit respecter lorsqu'il invite des amis ou des membres de sa famille à séjourner chez lui?

La sénatrice LeBreton : Encore une fois, dans le cas de l'incident dont vous avez parlé, il est évident qu'on n'avait pas affaire à un ambassadeur invitant des membres de sa famille et des amis à séjourner chez lui, contrairement au cas de l'ambassadeur Chrétien. Si ma mémoire est bonne, la situation était complètement différente.

Par conséquent, sénateur Joyal, je répète que le voyage n'a rien coûté aux contribuables. Il s'agit de l'appartement personnel du haut-commissaire, que ce dernier utilise à des fins personnelles. J'ose dire qu'il peut, comme l'ambassadeur Chrétien, inviter qui il veut.

Le sénateur Joyal : Encore une fois, ma question ne concerne ni M. Baird ni M. Chrétien, et il ne s'agit pas de savoir ce que M. Chrétien a fait lorsqu'il était ambassadeur à Washington. Je vous demande simplement si vous pourriez présenter les règles appliquées par le ministère des Affaires étrangères lorsqu'un ambassadeur ou un haut-commissaire entre en fonction, ainsi que le cadre concernant l'utilisation du lieu de résidence de l'ambassadeur. La question est simple. Je ne fais pas allusion aux activités de M. Baird ni à ce qu'a dit l'ambassadeur Chrétien.

La sénatrice LeBreton : À ce que je sache, tous ceux qui se joignent au service extérieur et qui représentent le Canada à l'étranger suivent des règles et des lignes directrices, et je suis certaine qu'elles sont publiées. Si un tel document existe, je tenterai sûrement de le trouver.

La défense nationale

L'aide aux victimes des inondations en Alberta

L'honorable Grant Mitchell : Honorables sénateurs, au début de la semaine, le maire de Calgary, M. Nenshi, est venu à Ottawa où il a prononcé un discours des plus convaincants au sujet du sous- financement des villes et des municipalités canadiennes. Malheureusement, à son retour à Calgary, il a dû voir une ville maintenant submergée par les eaux. Notre collègue, le sénateur Black, a souligné avec clarté et éloquence que cette crise touche non seulement Calgary, mais aussi plusieurs municipalités albertaines. On peut dire qu'il s'agit bel et bien d'une crise.

Madame le leader pourrait-elle nous donner un aperçu du financement, des ressources et des programmes que le fédéral met à la disposition des Albertains pour les aider en cette période de crise?

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Je vous remercie, sénateur Mitchell. Tout le monde est bouleversé par les bulletins de nouvelles qui décrivent cette inondation. La résidence d'un de nos collègues, le sénateur Tannas, a d'ailleurs dû être évacuée parce qu'elle se trouve à High River. Un grand nombre de villages et de villes sont touchés, y compris Calgary.

Le gouvernement fédéral a offert au gouvernement de l'Alberta toute l'aide qui peut lui être utile. Comme vous le savez probablement, les Forces armées canadiennes sont déjà sur place, et elles contribuent aux opérations de sauvetage et d'évacuation. Le premier ministre a émis un communiqué hier soir à propos de cette situation. Une fois que l'eau se sera résorbée, il y aura fort à faire pour réparer les infrastructures et nettoyer les endroits touchés. Souhaitons que tous les efforts nécessaires soient déployés en ce sens.

Le sénateur Mitchell : Madame le leader pourrait-elle nous donner une précision qui intéressera les Albertains : quel ministre fédéral a la responsabilité de coordonner la participation du gouvernement fédéral avec le gouvernement de l'Alberta et les autres autorités provinciales?

La sénatrice LeBreton : Le ministère de la Défense nationale a déjà déployé des effectifs, et il relève du ministre MacKay. On sait aussi que de nombreux ministres efficaces et dévoués viennent de l'Alberta.

Toutefois, pour le moment, c'est le ministre MacKay qui est responsable, puisque la coordination est assurée par le ministère de la Défense nationale.

Les affaires autochtones et le développement du Nord

Le niveau de vie—Les progrès accomplis par le gouvernement

L'honorable Jim Munson : Madame le leader, nous célébrons aujourd'hui la Journée nationale des Autochtones. C'est le solstice d'été, la journée la plus longue de l'année, et plusieurs membres des Premières Nations, Inuits et Métis réfléchissent aux défis du passé et à ceux qu'ils doivent maintenant surmonter. J'aimerais revenir sur une question dont j'ai souvent parlé, je sais. Vous m'avez donné des réponses, mais elles ne me paraissent pas satisfaisantes.

Je ne peux pas passer cette situation sous silence. Cette semaine, la Commission canadienne des droits de la personne et le Centre canadien de politiques alternatives ont publié de nouveaux rapports et de nouvelles statistiques qui font réfléchir. En cette Journée nationale des Autochtones, il vaut la peine de répéter que les Autochtones du Canada ont un revenu moyen après impôt inférieur à celui des autres Canadiens. Ils sont aussi plus susceptibles d'avoir recours à l'assurance-emploi et à l'aide sociale, de subir des abus d'ordre émotif, physique ou sexuel, d'être victimes de crimes violents ou d'être emprisonnés, et moins susceptibles d'obtenir une libération conditionnelle.

(0940)

Le rapport du Centre canadien de politiques alternatives porte sur les enfants autochtones du Canada et révèle que ceux-ci sont au moins deux fois et demie plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les enfants non autochtones. Ces statistiques sont alarmantes. Le rapport indique que les enfants autochtones sont loin derrière le reste des enfants canadiens à l'égard de pratiquement toutes les mesures du bien-être : revenu familial, niveau de scolarité, surpeuplement, itinérance, qualité de l'eau, mortalité infantile, santé et suicide.

Madame le leader, en ce jour spécial, j'aimerais vous poser la question suivante : que pensez-vous de ces statistiques ahurissantes et de la situation de crise qui sévit toujours dans les collectivités autochtones au pays?

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, évidemment, le gouvernement, comme nous tous d'ailleurs, est tout à fait conscient des difficultés qui assaillent les collectivités des Premières Nations depuis de nombreuses années. Nous savons également que l'éducation est la clé pour permettre aux Premières Nations de profiter des possibilités que le Canada a à offrir. Voilà pourquoi nous avons récemment signé en Ontario un accord en matière d'éducation qui profitera à des milliers de membres des Premières Nations. En Saskatchewan, le ministre Valcourt a annoncé le détail des mesures que nous prenons pour offrir aux jeunes des Premières Nations une formation personnalisée qui leur permettra d'acquérir les compétences professionnelles et d'obtenir l'assistance professionnelles dont ils ont besoin pour décrocher des emplois pour lesquels la demande est forte.

Évidemment, pour sortir les gens de cette terrible situation, il importe de créer les conditions grâce auxquelles ils pourront acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour obtenir un emploi. Nous fournirons également aux jeunes tout le soutien à l'emploi nécessaire. Bien sûr, cette nouvelle a été bien accueillie par les chefs autochtones et, surtout, par les jeunes Autochtones, qui souhaitent décrocher un emploi et réussir dans la vie.

Je vous signale, sénateur Munson, que le budget dont nous sommes saisis en ce moment, le budget de 2013, prévoit des investissements pour poursuivre le règlement des revendications, des investissements importants dans l'infrastructure et l'élargissement du Régime de gestion des terres des Premières Nations, qu'il appuie le Programme pour la prévention de la violence familiale et qu'il prévoit de nouvelles ressources pour les bourses d'études destinées aux étudiants inuits et des Premières Nations.

Manifestement, la situation et les rapports de divers organismes sont très inquiétants. Cela dit, le gouvernement et le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien prennent ces problèmes très au sérieux, comme le prouve notre bilan. Il y a beaucoup à faire, mais je crois que, grâce à la collaboration entre les dirigeants des Premières Nations de tout le pays et le gouvernement, il est possible de changer les choses pour le mieux. Encore une fois, pour cela, il faut que les Canadiens autochtones reçoivent une bonne éducation et aient les mêmes possibilités que les autres Canadiens.

L'honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, je remercie la ministre de sa réponse. Vous avez dit que vous étiez bien conscients des difficultés et que votre bilan le prouvait.

Aujourd'hui, Journée nationale des Autochtones, nous voyons en ville des manifestants venus du Nord de la Saskatchewan, à 3 450 kilomètres d'ici. Ils sont ici parce qu'ils sont frustrés. Je suis frustrée. Ces dernières années, nous avons eu droit à un déferlement de projets de loi du gouvernement dont aucun ne reflète ce que disent les dirigeants des Premières Nations. Nous n'avons pas été consultés. Au moins quatre projets de loi ont été imposés aux Premières Nations au cours des deux dernières années. À cela s'est ajoutée la grève de la faim de la chef Teresa Spence. Le premier ministre a refusé de la rencontrer. D'autres ont fait la grève de la faim, comme l'ancien Ray Robinson, qui l'a faite deux fois, Shelley Young et Jean Sock, de la Première Nation de Millbrook, l'ancien Emil Bell, de la Saskatchewan, Shawna Oochoo, de Regina, et d'autres. Pourtant, le gouvernement n'a pas écouté.

Que doivent faire les Premières Nations pour obtenir une réponse du gouvernement conservateur?

Des voix : Bravo!

La sénatrice LeBreton : Honorables sénateurs, je ne vois pas comment on peut considérer que les projets de loi que nous avons présentés, notamment celui qui porte sur les droits relatifs aux biens matrimoniaux, ne sont pas des mesures positives pour les femmes autochtones qui vivent dans les réserves.

Des voix : Bravo!

La sénatrice LeBreton : Nous saluons bien entendu la détermination de ces marcheurs. Il y a quelques mois, un groupe de jeunes Cris du Nord du Québec est venu sur la Colline du Parlement. Le ministre Valcourt s'est entretenu avec eux et il leur a promis d'aller les voir cet été.

Honorables sénateurs, comme je l'ai dit dans ma dernière réponse, nous avons affecté de nouvelles ressources aux programmes de bourses et de formation professionnelle personnalisée afin d'aider les jeunes autochtones à se réaliser pleinement. En ce qui concerne les traités, il y a eu beaucoup de négociations fructueuses, qui ont été saluées par les chefs des Premières Nations. Certains chefs des Premières Nations contestent les mesures prises par le gouvernement, mais bien d'autres les approuvent.

Honorables sénateurs, c'est le gouvernement conservateur qui a présenté des excuses officielles au sujet des pensionnats indiens. Depuis que nous sommes au pouvoir, nous nous sommes employés activement à régler plusieurs de ces questions et je suis profondément convaincue que nous avons fait des progrès considérables.


[Français]

ORDRE DU JOUR

Projet de loi no 1 sur le Plan d'action économique de 2013

Troisième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Buth, appuyée par l'honorable sénatrice Marshall, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-60, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures.

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que je me joins aux honorables sénateurs qui ont donné leur avis sur certaines parties du projet de loi C-60.

D'entrée de jeu, je dois dire que si ce projet de loi s'était contenté des deux premières sections, on aurait pu parler d'un projet de loi qui traite de budget. J'utiliserai une expression bien française pour qualifier la troisième section du projet de loi : c'est un « fourre-tout » de toutes sortes de mesures qu'on n'a pas le courage d'introduire sous forme de projet de loi autonome et qui vont à l'encontre de notre système économique.

Plusieurs témoins ont témoigné devant le comité et j'aimerais faire un rappel de certains témoignages qui vont éclairer notre position. Je fais référence à des notes que certains témoins ont soumises et qui traitent, entre autres, de la raison pour laquelle la section qui traite des travailleurs étrangers — mesure qui a été introduite par des gouvernements libéraux il y a plusieurs années — correspond davantage aux besoins des employeurs qu'à ceux des travailleurs.

Permettez-moi à ce moment-ci de vous exposer la toile de fond. Selon Statistique Canada, il y a actuellement au Canada 1,4 million de chômeurs, soit moins que le record atteint durant la récession, qui s'élevait à 1,6 million de chômeurs, mais plus qu'avant la récession puisque, à cette époque, on comptait 1,1 million de chômeurs.

Il y a donc près de six chômeurs pour chaque poste vacant au Canada. Même dans les provinces censées souffrir des plus graves pénuries de main-d'œuvre, comme l'Alberta et la Saskatchewan, on compte deux chômeurs par emploi disponible.

De plus, selon Statistique Canada, le taux de postes vacants n'est que de 1,5 p. 100 sur le plan national et d'au plus 3 p. 100 dans l'une ou l'autre des provinces où le taux de chômage est plus élevé. Même dans une analyse récente de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, on a conclu que peu d'indices indiquent la présence d'un déséquilibre entre l'offre et la demande de travail au cours des dernières années. Par ailleurs, la projection montre que, au cours de la période allant de 2011 à 2020, les chercheurs d'emploi et les possibilités d'emploi croîtront de façon similaire, de sorte qu'aucun déséquilibre majeur n'est projeté pour chaque niveau de compétence au cours de la prochaine décennie.

(0950)

J'interprète ces deux rapports d'experts de cette façon : au Canada, il s'agit d'un phénomène mineur qui reflète que la main- d'œuvre existe et que, s'il y a une pénurie, elle est minime. Au cours des dernières années, nous comptions une proportion d'environ 70 000 à 80 000 travailleurs étrangers et nous en sommes à plus de 300 000 aujourd'hui; cela ne reflète pas du tout la réalité.

Je m'inspire des propos du Syndicat des Métallos, qui a mené une étude indiquant que les modifications énoncées dans les articles 161 à 166 élargissent les pouvoirs déjà considérables du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et du ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences. Ces pouvoirs discrétionnaires échappent au processus de législation et de réglementation. Cela devient, je ne dirais pas une mauvaise habitude, mais tout simplement une nouvelle méthode de gestion d'un pays : l'exécutif décide et le Parlement n'a pas un mot à dire sur le sujet, encore moins ceux qui sont directement affectés.

Honorables sénateurs, à titre de législateur, je crois qu'il s'agit d'une méthode inacceptable. Cette mesure du projet de loi C-60 n'améliore certainement pas notre processus démocratique. Cela rend impossible notre responsabilité de décider de façon discrétionnaire si la pénurie existe et si nous devons accepter des travailleurs étrangers. Il faut des normes et des règles. Le gouvernement a inséré dans un projet de loi de budget une mesure qui n'a rien à voir avec les mesures budgétaires, puisque, de toute façon, il n'y a aucun revenu à collecter, sauf un montant minime pour le traitement du dossier. À l'heure actuelle, cette mesure ne devrait pas apparaître dans le projet de loi, et c'est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles je ne pourrai pas appuyer ce projet de loi.

L'autre mesure qui m'interpelle énormément est évidemment la question qui a été soulignée par l'Association des municipalités de l'Ontario. Au début, et depuis toujours — c'est d'ailleurs une mesure qui a été présentée par le très honorable Paul Martin —, cette mesure a été accueillie avec beaucoup d'intérêt et a surtout suscité un sentiment d'appartenance pour les municipalités, parce que l'on considérait leur remettre une partie de la taxe perçue. Cependant, cette fois-ci, par l'intermédiaire d'un projet de loi sur la taxe, on change encore les règles du jeu en cours de route. On n'a pas besoin d'être un grand devin pour savoir que, pour atteindre le déficit zéro, le ministre des Finances et le premier ministre doivent considérer toutes les avenues pour faire des compressions. Le bureau du président de l'Association des municipalités de l'Ontario s'est donné la peine de nous écrire pour nous dire que, dans le cas de l'Ontario, la nouvelle formule représente 185 millions de dollars sur une certaine période de temps, mais nous avons évalué que, au cours des 10 prochaines années, cela signifiera une perte de 500 millions de dollars pour le Canada.

Ces décisions prises unilatéralement affectent la gestion et la gérance tant des provinces que des municipalités. Personnellement, j'ai toujours cru à ce partenariat entre les provinces et le fédéral. Dans ce cas-ci, le fait que les municipalités sont des créatures provinciales est respecté, et je ne pense pas que beaucoup de provinces se soient insurgées contre le fait qu'une certaine portion de la taxe sur l'essence soit remise aux municipalités.

Cette mesure, en fin de compte, a été insérée subrepticement dans le projet de loi et elle change les règles du jeu, elle vient brouiller les pistes de ceux qui planifient à long terme et qui assurent une bonne gestion. Quand on gère bien, on prévoit bien, et on a des résultats sur lesquels nos partenaires peuvent s'appuyer.

Un autre groupe, et non le moindre, nous a fait part de ses inquiétudes; il s'agit de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. La Chambre de commerce intervient, cette fois-ci, au nom des travailleurs. Il faut savoir qu'il y a un partenariat entre les travailleurs et les employeurs. Ces derniers — et c'est quand même la Chambre de commerce du Montréal métropolitain qui intervient, ce n'est pas un syndicat — s'insurgent contre le fait qu'on s'attaque, à l'heure actuelle, au Fonds de solidarité. Pour ces derniers, 35 000 emplois ont été créés avec les 2,3 milliards qui ont été investis dans les entreprises de la région métropolitaine, et s'attaquer à ce secteur, c'est attaquer le cœur de l'économie québécoise, qui est fait de petites et moyennes entreprises; c'est s'attaquer également à un problème fondamental de notre économie, soit le financement des PME.

Comme vous le savez, honorables sénateurs, à plusieurs reprises, au sein du Comité des banques et du commerce, nous avons étudié la question du financement des PME et de leurs difficultés à obtenir du capital de risques. Les épargnes de nos travailleurs servent à créer d'autres emplois. On ne peut pas imaginer une formule plus positive et une solidarité plus grande quand on sait que certains travailleurs sont prêts à mettre leurs économies au service d'autres travailleurs.

Lorsque le gouvernement prend ces mesures, la chambre du commerce le dit et d'autres joueurs dans le secteur le disent également, il ne peut pas toucher à ces questions sans faire de consultation et sans prévoir les impacts de ces mesures. Il n'y a pas de lendemain. Qui va remplacer les 2,3 milliards de dollars perdus? Ce n'est certainement pas la Banque fédérale de développement qui dispose de ces fonds. Elle vient d'annoncer un investissement de 250 millions de dollars dans les énergies nouvelles, mais, en ce qui touche les PME au Québec, il y a d'autres secteurs que les énergies nouvelles. On peut penser au domaine des communications, aux technologies de l'information, secteurs où le Québec est à l'avant- garde. Il faut penser à tous les secteurs et, à ce moment-ci, je ne crois pas que le gouvernement fédéral est prêt à mettre des milliards de dollars à leur disposition.

Une autre mesure nous interpelle, et il s'agit évidemment des articles 174 à 199, qui permettront de fusionner le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et l'Agence canadienne de développement international. Ce ministère est déjà un appareil gigantesque qui connaît des ratés dans les ambassades justement parce que les employés ne se sentent pas traités comme tous les autres employés du ministère ici, à Ottawa. C'est un peu comme si on faisait la charité pourvu que cela rapporte. Il semble que nous allons accorder la priorité aux programmes qui ont été mis en place par l'ACDI pour financer de nouvelles initiatives entrepreneuriales permettant aux pays en développement de créer des PME.

On peut se poser de grandes questions sur l'orientation et sur la distribution des budgets ainsi que sur l'avenir des programmes d'aide à la petite enfance, aux femmes en difficulté ou aux questions écologiques, d'autant plus que, en 2010, le budget de l'ACDI était de 1,842 milliards de dollars par année et qu'il a été réduit de 378 millions de dollars en 2012. Il y aura moins d'argent et notre charité doit rapporter; c'est probablement pour cette raison qu'on a changé la vocation du ministère. Je ne crois pas que l'étude des dossiers peut être faite par le ministère du Commerce international ou simplement par la grande diplomatie. L'aide à l'étranger est une spécialité et beaucoup d'organisations sans but lucratif ont justement épaulé les initiatives du gouvernement pour mettre à la disposition des pays en développement toutes sortes de mesures qui leur permettent de sortir de leurs difficultés financières. Encore une fois, cette mesure a été insérée dans notre budget de façon tout à fait inique.

(1000)

Puisqu'il n'y a eu aucune discussion avec les personnes et les groupes intéressés, non seulement j'ai des réserves sur le projet de loi, mais je m'y oppose fermement.

Je répète également que, pour ceux qui n'étaient pas au comité, si l'éclairage des arbres durant la période de Noël doit être géré par Patrimoine canadien plutôt que par la Commission de la capitale nationale, on n'a pas besoin d'un projet de loi pour ce faire. C'est absolument ridicule, mais peut-être que l'année prochaine nous serons dans la grande noirceur, à moins que nous ne le soyons pas déjà. C'est non opportun, non justifié et non justifiable.

C'est pour ces raisons que je m'oppose fermement à ce projet de loi et que j'appuie toutes les organisations, qu'elles se situent à l'échelon provincial ou qu'elles regroupent des travailleurs ou des employeurs, qui se disent flouées parce qu'elles n'ont pas été consultées consultés et que les questions n'ont pas été mises sur la table. Ce n'est pas de cette façon qu'un gouvernement national doit s'adresser à la population. Nous devons permettre aux gens affectés d'en discuter et de trouver les meilleures solutions. Nous ne devons pas imposer des solutions toutes faites dans un budget déjà contraignant.

[Traduction]

La Loi sur le mariage civil

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L'honorable Douglas Black propose que le projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le mariage civil, soit lu pour la troisième fois.

Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

La Loi sur les transports au Canada

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Unger, appuyée par l'honorable sénateur Smith (Saurel), tendant à la troisième lecture du projet de loi C-52, Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada (administration, transports aérien et ferroviaire et arbitrage);

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Mercer, appuyée par l'honorable sénateur Robichaud, C.P., que le projet de loi C-52 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié :

a) à l'article 8, à la page 4, par adjonction, après la ligne 18, de ce qui suit :

« (1.6) Pour l'application de la présente division et sans restriction de la portée générale du terme, « obligations » s'entend notamment des obligations concer-nant :

a) le respect des délais ainsi que la fréquence pour ce qui est de la réception et de la livraison des marchandises par la compagnie de chemin de fer;

b) les temps de séjour, l'heure d'arrivée prévue, la durée du parcours et la durée du cycle pour ce qui est du transport des marchandises;

c) la quantité de matériel roulant à fournir par la compagnie de chemin de fer, son état et son type;

d) la fourniture d'installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises;

e) les installations pour l'échange de renseignements concernant la facturation, la réception, le transport et la livraison des marchandises;

f) le traitement des commandes de wagons, la mise en place des wagons et le positionnement de ceux-ci au point de destination.

(1.7) Il est entendu que la compagnie de chemin de fer est réputée s'être acquittée des obligations visées à l'alinéa (1.6)d) si elle les a remplies d'une manière qui répond aux besoins de l'expéditeur en matière de transport ferroviaire. »;

b) à l'article 11 :

(i) à la page 5 :

(A) par substitution, à la ligne 10, de ce qui suit :

« a) les conditions auxquelles la »,

(B) par substitution, aux lignes 17 à 20, de ce qui suit :

« b) les conditions auxquelles la compagnie de chemin de fer est assujettie en cas de non-respect d'une condition visée à l'alinéa a); »,

(C) par substitution, aux lignes 21 à 23, de ce qui suit :

« c) les conditions auxquelles l'expéditeur est assujetti et qui sont liées aux conditions visées aux alinéas »,

(D) par substitution, à la ligne 31, de ce qui suit :

« fer relativement aux conditions »,

(ii) à la page 6, par substitution, à la ligne 27, de ce qui suit :

« conditions visées à l'alinéa »,

(iii) à la page 7, par substitution, à la ligne 26, de ce qui suit :

« a) les conditions visées aux »,

(iv) à la page 8, par substitution, à la ligne 37, de ce qui suit :

« conditions visées aux alinéas ».

L'honorable Art Eggleton : Honorables sénateurs, je prends la parole à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-52. En guise de contexte, les entreprises canadiennes qui expédient leurs marchandises par voie ferroviaire se plaignent depuis longtemps de l'avantage injuste que les compagnies de chemin de fer possèdent sur elles, des difficultés qu'elles ont à acheminer leurs produits au marché dans les délais prévus, et du fait qu'elles n'ont pas d'autre choix que de faire affaire avec les compagnies de chemin de fer, surtout les deux grandes compagnies qui exercent un quasi- monopole au Canada.

Un comité d'examen indépendant sur les chemins de fer a été établi pour régler ce problème. Entretemps, la Coalition des expéditeurs par rail a vu le jour. Cette coalition est formée de presque tous les expéditeurs par rail, y compris de diverses associations de l'industrie du canola, de l'industrie sidérurgique, de l'industrie forestière, de constructeurs automobiles, de producteurs de grains et de légumineuses, de l'Institut canadien des engrais, et de l'Association canadienne de transport industriel, qui comprend des dizaines et des dizaines de grandes sociétés canadiennes. Les producteurs de blé, la Western Grain Elevator Association et beaucoup d'autres sont devenus membres de cette coalition et ont fait comprendre au gouvernement la nécessité de prendre des mesures pour rendre plus équitables leurs rapports avec les compagnies de chemin de fer.

En présentant le projet de loi, le ministre a déclaré ceci :

Le gouvernement Harper prend les moyens nécessaires dans l'intérêt de tous les Canadiens pour rendre l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement du transport ferroviaire plus efficace, plus rentable et plus fiable. Ce projet de loi aidera les expéditeurs à maintenir et à développer leur entreprise, tout en veillant à ce que les compagnies de chemin de fer puissent gérer un réseau de transport efficace pour tous.

Il a également déclaré ceci :

Nous ne parlons pas ici du libre marché habituel. Dans les faits, bon nombre d'expéditeurs disposent de choix limités pour le transport de leurs produits. Par conséquent, il est nécessaire de légiférer afin de donner aux expéditeurs de meilleurs outils pour négocier des accords de service avec les sociétés ferroviaires.

C'est dans ce contexte que le projet de loi a été présenté.

Cependant, lors des audiences du Comité des transports et des communications, les gens sont venus nous dire, témoin après témoin, qu'ils ne croyaient pas en l'efficacité du projet de loi. Le président de la Coalition des expéditeurs par rail, qui regroupe les organisations que je viens de mentionner, a déclaré ceci :

[...] ce projet de loi ne sera pas efficace, et l'on risque de ne pas y avoir beaucoup recours dans sa forme actuelle.

Pourquoi sommes-nous en train d'adopter une version non amendée du projet de loi, alors que les gens qui, à l'origine, ont soulevé les problèmes justifiant le projet de loi sont d'avis qu'il ne sera pas efficace pour les résoudre et qu'il ne sera pas utilisé?

De toutes les organisations, une seule, l'Institut canadien des engrais, pense que, même si le projet de loi ne répond pas à ses attentes, nous devrions peut-être l'adopter quand même et y apporter des modifications plus tard. Le représentant de cette organisation est le seul à avoir exprimé un tel point de vue. Tous les autres membres de la coalition croient que le projet de loi ne sera pas efficace.

Les amendements proposés par le sénateur Mercer visent à atteindre un meilleur équilibre. La coalition a cerné six domaines où des amendements devraient être apportés pour que le projet de loi soit plus équilibré et plus utile. Et ce sont les idées de la coalition que le sénateur Mercer essaie de mettre en œuvre avec ses amendements, que j'appuie. À quoi bon adopter un projet de loi visant à résoudre des problèmes, si les premiers intéressés, qui ont soulevé ces problèmes au départ, ne pensent pas que le projet de loi sera utile pour les résoudre?

Cela soulève un autre problème — qui d'ailleurs n'est pas l'apanage du processus d'examen du projet de loi C-52, mais qui s'est posé dans beaucoup de comités et d'autres contextes au Sénat —, à savoir l'érosion du concept de second examen objectif.

Le second examen objectif est l'une des pierres angulaires de notre institution. Je pense que nous sommes tous d'accord sur ce point. Or, je pense que trop de mesures sont approuvées sans véritables discussions ces derniers temps. Ce que le gouvernement veut, il l'obtient. Le bien public est notre principal devoir, n'est-ce pas?

Le sénateur Moore : C'est juste.

Le sénateur Eggleton : Le bien public passe avant l'adhésion aveugle aux mesures que le pouvoir exécutif du gouvernement veut faire adopter. Dans ce cas-ci, des gens ont dit : « Non, dans sa forme actuelle, cette mesure ne portera pas ses fruits. » Est-ce que les sénateurs d'en face, les ministériels, ont écouté les témoins et adopté des amendements pour essayer de faire en sorte qu'il porte ses fruits? Non, pas du tout.

Alors, à quoi bon, honorables sénateurs? Si le gouvernement avait décidé, à l'avance, que ce projet de loi serait adopté sans amendement, pourquoi convoquons-nous ces témoins? Ils viennent de partout au pays et que faisons-nous? Les induisons-nous en erreur, étant donné que nous n'avons pas l'intention de tenir compte de ce qu'ils disent?

Tous les témoins ont dit qu'il faut améliorer ce projet de loi, d'accord? Or, les sénateurs conservateurs n'ont appuyé ni amendements ni observations. Rien. Aucun amendement au projet de loi. Au Sénat, les mesures sont trop souvent approuvées sans véritables discussions; c'est une érosion de notre devoir et de notre raison d'être.

Honorables sénateurs, j'appuierai les amendements proposés par le sénateur Mercer. C'est le seul moyen de faire en sorte que le projet de loi porte ses fruits. Si les sénateurs n'appuient pas les amendements et continuent d'adhérer aveuglément aux demandes du gouvernement au lieu de défendre le bien public, alors nous voterons également contre le projet de loi.

Des voix : Bravo!

(1010)

Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d'autres interventions? Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

L'honorable sénateur Mercer, avec l'appui de l'honorable sénateur Robichaud, C.P., propose l'amendement suivant : Que le projet de loi C-52 ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié : a) à l'article 8, à la page 4, par adjonction, après la ligne 18... Puis-je me dispenser de lire la motion?

Une voix : Suffit!

Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion d'amendement?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président intérimaire : Que tous ceux qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président intérimaire : À mon avis, les non l'emportent. L'amendement est rejeté.

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Une voix : Le vote!

Son Honneur le Président intérimaire : L'honorable sénatrice Unger, avec l'appui de l'honorable sénateur L. Smith, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président intérimaire : Que tous ceux qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président intérimaire : À mon avis, les oui l'emportent. La motion est adoptée avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté avec dissidence.)

[Français]

La Loi de l'impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motions d'amendement et de sous-amendement—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Carignan, appuyée par l'honorable sénatrice Marshall, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières);

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénatrice Ringuette, appuyée par l'honorable sénatrice Jaffer, que le projet de loi C-377 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 1 :

a) à la page 2, par substitution, à la ligne 27, de ce qui suit :

« bénéficiaire donné est supérieure à une somme égale à la rémunération annuelle totale en argent maximale qui pourrait être versée à un sous-ministre »;

b) à la page 3, par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« à la rémunération annuelle totale en argent maximale qui pourrait être versée à un sous- ministre, et des personnes exerçant des »;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Segal, appuyée par l'honorable sénatrice Nancy Ruth, que le projet de loi C-377 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 1 :

a) à la page 2 :

(i) par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« (2) Sous réserve du paragraphe 149.01(6), dans les six mois suivant la fin de chaque »,

(ii) par substitution, à la ligne 27, de ce qui suit :

« bénéficiaire donné est supérieure à 150 000 $ »;

b) à la page 3, par substitution, aux lignes 5 et 6, de ce qui suit :

« ployés dont la rémunération annuelle est égale ou supérieure à 444 661 $ et des personnes exerçant des »;

c) à la page 5, par substitution, à la ligne 34, de ce qui suit :

« b) à la subdivision ou à la section locale d'une organisation ouvrière;

c) à l'organisation ouvrière qui compte moins de 50 000 membres;

d) aux fiducies de syndicat relativement à une ou plusieurs organisations ouvrières qui totalisent moins de 50 000 membres;

e) aux fiducies de syndicat dont les activités »;

d) à la page 6 :

(i) par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« sauf une fiducie visée à l'alinéa (6)e), et à la »,

(ii) par substitution, à la ligne 11, de ce qui suit :

« une police visé à l'alinéa (6)e); »,

(iii) par adjonction, après la ligne 16, de ce qui suit :

« (8) Il est entendu que le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte au secret professionnel qui lie un avocat à son client. »;

Et sur le sous-amendement de l'honorable sénateur Cowan, appuyé par l'honorable sénatrice Tardif, que la motion d'amendement soit modifiée comme suit :

Que le projet de loi C-377 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 1, à la page 2, par substitution :

a) à la ligne 21, de ce qui suit :

« b) les états ci-après pour l'exercice indiquant le »;

b) à la ligne 32, de ce qui suit :

« ou à payer ou à recevoir, soit les états suivants : ».

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénatrice Chaput, appuyée par l'honorable sénateur Mercer, que le projet de loi C-377 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 1 :

a) à la page 4 :

(i) par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit :

« sés relatifs aux activités de recrutement, »,

(ii) par substitution, à la ligne 22, de ce qui suit :

« liés aux activités juridiques, sauf s'ils ont trait à des »;

b) à la page 5, par substitution, à la ligne 35, de ce qui suit :

« ont trait à l'administration, à la ».

L'honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, je m'adresse aujourd'hui à cette Chambre avec la permission de la sénatrice Cools. Je demande que, à la fin de mon discours, le débat demeure ajourné à son nom.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour vous expliquer pourquoi je ne peux voter en faveur du projet de loi C-377 tel qu'il est présenté actuellement. Quand j'ai lu le libellé du projet de loi en janvier dernier, j'ai vite compris qu'il comportait plusieurs défauts. C'est pourquoi j'ai fait mes devoirs, mes recherches. J'ai assisté également aux témoignages de ceux qui se sont présentés au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, à titre d'observatrice.

Plusieurs amendements ont été proposés au projet de loi. Ces amendements mis de l'avant par des sénateurs libéraux et conservateurs vont dans la même direction. Ils prennent notamment en compte plusieurs commentaires entendus aux audiences du Comité des banques et du commerce selon lesquels la portée du projet de loi était inutilement trop vaste.

Les amendements de la sénatrice Chaput sont particulièrement importants, à mon avis. Il y a un réel problème de concordance entre le français et l'anglais dans ce projet de loi, que l'on ne peut pas ignorer.

Par ailleurs, il s'y glisse également des erreurs qui peuvent avoir des effets très négatifs pour certaines personnes. C'est pourquoi je suis en faveur de ces amendements. On ne peut pas ignorer que les syndicats vont être obligés d'indiquer l'état des déboursés relatifs à l'organisation d'activités, alors qu'on parle d'activités de recrutement ou encore l'état des déboursés relatifs aux activités des débours judiciaires, alors qu'il s'agit d'activités judiciaires.

Toutefois, la plupart des témoins à qui on a demandé de nous suggérer des amendements nous ont répondu clairement que ce projet de loi, même amendé, demeurait fondamentalement contestable au plan de sa constitutionnalité et de la protection de la vie privée.

Même avec les amendements proposés, le projet de loi demeure un projet de loi peu équilibré qui n'a aucune similitude avec les lois sur la transparence que l'on observe en France, au Royaume-Uni et en Australie.

Par exemple, les lois sur la transparence en vigueur en France, au Royaume-Uni et en Australie s'appliquent aux syndicats, mais aussi aux organisations patronales. La loi française adoptée en 2008 propose des règles de transparence financière qui s'appliquent aux organisations professionnelles, organisations d'employeurs et associations syndicales. Ces organisations, lorsque leurs ressources financières dépassent un certain seuil, sont tenues d'établir des états financiers vérifiés et d'en assurer elles-mêmes la publicité, notamment par Internet. Cependant, cette publicité est la responsabilité des organisations, et non de l'État.

Au Royaume-Uni, on prévoit, dans la Trade Union and Labour Relations Act, des dispositions qui s'appliquent également aux syndicats et associations patronales. Chacune de ces organisations doit tenir des états financiers et remplir une déclaration concernant la rémunération des officiers et les dons politiques effectués à même les cotisations. Les organisations doivent déposer ces documents auprès du Certification officer. Cet officier publie sur Internet les déclarations des syndicats et des associations patronales qui en donnent la permission. C'est aussi cet officier qui surveille les dons politiques des organisations.

En Australie, on retrouve des dispositions concernant la transparence pour les organisations d'employés, mais aussi pour les organisations d'employeurs. Celles-ci sont tenues de produire des états financiers certifiés et détaillés qui sont remis aux membres, présentés lors d'une réunion et remis également à la Fair Work Commission. Ces états financiers détaillés comprennent des notes qui donnent des renseignements sur la rémunération des officiers, ainsi que sur les dons et les contributions faits aux partis politiques. Ces états financiers détaillés ne sont pas accessibles au grand public.

Comme plusieurs d'entre vous, honorables sénateurs, je suis en faveur de la transparence et je lui trouve bien des vertus. À cet effet, on entend souvent dire que les Canadiens sont très fortement en faveur de lois exigeant plus de transparence de la part des syndicats.

Voyons de plus près les questions posées.

Un sondage Léger Marketing a posé la question suivante aux Québécois :

Selon vous, les syndicats devraient-ils, oui ou non, être légalement tenus de rendre des comptes sur l'utilisation des cotisations syndicales payées par des employés syndiqués, c'est-à-dire devraient-ils avoir à indiquer clairement comment ont été dépensées ces sommes?

Quarante-trois pour cent du grand public québécois a répondu que oui, mais seulement à leurs membres, et 54 p. 100 a répondu que oui, à tous publiquement.

Un autre sondage pancanadien, celui-là de Nanos, a posé la question suivante :

[Traduction]

Êtes-vous totalement d'accord, plutôt d'accord, plutôt en désaccord ou totalement en désaccord avec l'énoncé suivant : dans les secteurs public et privé, les syndicats devraient être tenus de divulguer publiquement et régulièrement des renseignements financiers détaillés les Concernant. Réponse : 51 p. 100 sont totalement d'accord, alors que 32 p. 100 sont plutôt d'accord.

[Français]

Comme on peut le constater, et je vous laisse conclure par vous- mêmes, ces réponses sont plus nuancées que ce que certains nous laissent croire.

Toutefois, et c'est ce qui importe, le projet de loi C-377 n'est pas une motion sur le bien-fondé de la transparence. C'est un projet de loi concret qui comporte des coûts majeurs pour le gouvernement, pour les syndicats et leurs membres, ainsi que pour la société dans son ensemble. Le projet de loi est mal ficelé et n'est pas équilibré. Par ailleurs, il a été rédigé sans aucune consultation auprès des parties concernées, ce qui est difficilement acceptable dans le domaine des relations de travail.

Dans ma vie professionnelle antérieure, j'ai travaillé avec les associations syndicales et patronales dans le cadre de projets concernant le développement de l'emploi et de la productivité, et ce, pendant de nombreuses années.

J'ai alors compris que le dialogue social était une clé majeure pour le développement de l'emploi, l'accroissement de la productivité et la prospérité. En revanche, la confrontation peut être très coûteuse pour la société. Comme le soulignait récemment le réputé magazine The Economist, les pays qui ont le mieux traversé la crise en Europe ont été les pays scandinaves, où l'on pratique abondamment le dialogue social.

Or, le projet de loi C-377 est rejeté par l'ensemble des syndicats canadiens, par plusieurs groupes d'investissement et par cinq provinces. Mis à part certaines associations patronales du domaine de la construction, aucune association patronale d'envergure ne s'est présentée au comité pour plaider en faveur de l'adoption de cette loi. C'est révélateur du fait que ce projet de loi est source de confrontation. Comme plusieurs témoins l'ont remarqué, il risque de rompre le délicat équilibre qui s'est établi au niveau provincial dans les relations de travail.

Pour toutes ces raisons, et parce que je ne vois pas comment un tel projet de loi peut faire avancer la cause de l'emploi, je ne peux être d'accord avec le projet de loi C-377.

(1020)

Honorables sénateurs, je suis en faveur de la transparence dans le domaine des relations de travail. Les personnes qui cotisent à un syndicat devraient avoir le droit de connaître les états financiers du syndicat, devraient connaître la rémunération de leurs dirigeants et savoir comment est dépensé leur argent. D'ailleurs, on retrouve des clauses de reddition de comptes à cet effet dans tous les codes du travail des provinces canadiennes. Certains syndicats canadiens rendent disponibles volontairement leurs états financiers sur Internet. Le CUPE, par exemple, divulgue sur son site internet ses états financiers vérifiés, un document de près de 30 pages qui est très exhaustif sur la façon dont cette association gère les cotisations des membres.

Afin d'améliorer la transparence, plusieurs pays ont étendu ces clauses de reddition de comptes, qui s'appliquent également aux associations patronales, mais, dans tous les cas de figure, ces lois sont associées aux relations de travail et non aux lois fiscales. Elles ont également été élaborées en concertation avec les syndicats et les patrons. À titre d'exemple, le récent projet de loi québécois nº 33, adopté en 2011, concernant l'industrie de la construction, prévoit un processus de reddition de comptes pour les associations patronales et syndicales, qui doivent produire des états financiers détaillés vérifiés ainsi qu'une déclaration au ministre du Travail. Ces documents doivent être soumis au ministre du Travail, qui met en ligne la déclaration des organisations. Ce projet de loi québécois a été adopté à l'unanimité par tous les partis parce qu'il a été le résultat d'un processus ouvert de consultation.

En terminant, je voudrais dire que, à mon humble avis, le projet de loi C-377 dépasse le domaine d'intervention d'un député. J'ai bien hâte d'entendre la sénatrice Cools à ce sujet. Les pays qui ont mis en vigueur de telles lois ont impliqué les niveaux élevés de gouvernement et y ont associé les parties prenantes.

Honorables sénateurs, si l'objectif de la loi est d'empêcher les syndicats de faire des contributions en argent ou en services aux partis politiques, comme on l'a dit à la Chambre des communes, il y a bien d'autres moyens législatifs pour s'attaquer à ce problème.

L'honorable Dennis Dawson : Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question?

La sénatrice Bellemare : Oui.

Le sénateur Dawson : Honorables sénateurs, comme je l'ai déjà expliqué, il existe toujours un écart ente les partis politiques. Je félicite la sénatrice Bellemare pour son discours et pour le geste de courage qu'elle pose aujourd'hui. Je partage complètement son opinion.

J'aimerais revenir au projet de loi no 33, au Québec. Un tel projet de loi au fédéral obligerait les syndicats à tenir des livres conformément aux règlements du Canada et du Québec. La lutte de pouvoir entre les deux ordres de gouvernement deviendrait évidente. Même si nous ne sommes pas ni l'un ni l'autre des constitutionnalistes, à sa face même, ce projet de loi n'aurait pas avantage à être modifié parce qu'il est sans fondement.

Y a-t-il un processus par lequel on pourrait l'améliorer ou le retourner à l'autre endroit afin de s'assurer qu'il y ait une consultation à la Chambre des communes qui serait plus large que celle qu'ils ont tenue par le passé?

La sénatrice Bellemare : Il y a sûrement des processus pour améliorer le projet de loi, mais je ne peux pas vous répondre.

L'honorable Ghislain Maltais : Honorables sénateurs, je sais que la sénatrice Bellemare a assisté à une très grande partie des audiences. Elle a parlé dans son discours des coûts extraordinaires tant pour le gouvernement que pour les syndicats. Quelqu'un a-t-il calculé ces coûts, et combien ils peuvent représenter pour les syndicats et le gouvernement?

La sénatrice Bellemare : Nous avons évoqué plusieurs calculs de coûts. Je retiens la somme de 60 millions de dollars pour le gouvernement. Pour les syndicats, maintenant, cela dépend toujours de l'ampleur de la réglementation, mais les coûts les plus importants sont d'ordre social à cause de ce qu'ils entraîneront en ce qui concerne la productivité et la croissance des entreprises. Si nous accentuons un climat malsain, nous récolterons des effets négatifs dans la production.

L'honorable Jean-Claude Rivest : Honorables sénateurs, je voudrais tout d'abord réitérer ma très vive opposition à ce projet de loi. Nous ne savons pas exactement d'où vient ce projet de loi. Vise-t-il à accroître la transparence à l'intérieur des syndicats, même si nous savons tous que les organisations syndicales sont des organisations pleinement démocratiques?

Elles ne sont évidemment pas parfaites, mais l'ensemble de la société canadienne doit reconnaître que les organisations syndicales suivent une démarche profondément démocratique qui peut être citée en exemple à beaucoup d'égards. Les syndicats sont la propriété des membres. Ils tiennent des congrès nationaux et régionaux. Ils peuvent demander à leurs dirigeants tous les gestes de transparence voulus. C'est la culture et la tradition profonde de nos organisations syndicales. Ils n'ont donc pas besoin d'un geste paternaliste qui vient d'on ne sait où. Nous ne savons pas qui a demandé cela.

Je connais mieux le Québec, et nulle part n'ai-je vu ou entendu de la part des travailleurs syndiqués une demande quelconque à quelque gouvernement que ce soit, à l'Assemblée nationale au Québec ou au Parlement canadien, de légiférer afin d'imposer à leurs dirigeants et leurs organisations syndicales des demandes additionnelles en matière de transparence. Qui donc a inventé ce projet de loi? D'où viennent le besoin, la demande? De nulle part.

Deuxièmement, la plupart des constitutionnalistes qui se sont prononcés à ce sujet sont à peu près d'accord, et le leader de l'opposition en cette Chambre l'a évoqué, pour dire que ce projet de loi sera contesté sur le plan constitutionnel et déclaré inconstitutionnel puisqu'il enfreint l'autorité de chacune des assemblées législatives qui relève de la compétence de chaque province. Cela est assez évident. Ce projet de loi, s'il est adopté, entraînera des débats juridiques et des coûts supplémentaires pour les organisations syndicales, ce qui n'a pas lieu d'être.

Troisièmement, on dit que les cotisations syndicales sont déductibles d'impôt, et qu'on doit faire ces représentations au ministère du Revenu. Il y a un intérêt puisque c'est la collectivité qui paie ces déductions, mais pourquoi n'impliquer que les syndicats? Les entreprises ne bénéficient-elles pas de déductions d'impôt? Elles reçoivent des subventions à même les fonds publics et nulle part dans les intentions du gouvernement, pas plus que dans ce projet de loi, ne leur demande de mettre leurs livres et tout ce qu'ils ont sur la table. Où est la logique là-dedans? En plus de cette idée saugrenue, une bonne partie de notre législation sur les relations de travail sera inscrite dans la Loi du ministère sur le Revenu.

Qu'est-ce que le ministre du Revenu vient faire dans le champ des organisations syndicales? C'est totalement illogique. Si, effectivement, parce que les cotisations sont déductibles, il y a un intérêt public général au-delà des membres d'avoir des exigences de transparence, au moins, la règle devrait s'appliquer à l'ensemble des entreprises! Pourquoi n'y a-t-il rien, aucune disposition, qui, à tout le moins, ne serait pas aussi lourde que celle que l'on suggère? Je ne comprends pas la logique dans tout cela.

Enfin, la sénatrice Bellemare a évoqué, comme d'autres dans leurs discours, notre droit du travail. Les lois du Code du travail sont des mesures d'équilibre. Il impose aux deux parties l'obligation de négocier de bonne foi des conventions collectives. Il accorde le droit de grève aux syndicats, le droit au lock-out. Tout cela est réglementé de façon équilibrée, de manière à ce que les droits et les responsabilités des deux groupes soient équilibrés. C'est l'essence de notre législation dans le secteur ouvrier. Les organisations syndicales ne sont pas des groupes d'activistes ou de bienfaisance, ce sont des organisations qui ont pour objet essentiel de négocier des conventions collectives et de le faire avec la partie patronale.

(1030)

Dans nos relations de travail, le cadre juridique est un cadre d'équilibre, de parité, de mesures et d'identification des responsabilités de l'une et l'autre des parties et là, sans trop savoir, on introduit une espèce de déséquilibre, on impose des obligations et des responsabilités uniquement à la partie syndicale. Cela n'a vraiment aucun sens.

On a évoqué bien souvent le fait que le gouvernement, s'il sentait qu'il y avait un besoin de transparence, ce dont je doute, aurait dû imposer les mêmes obligations aux entreprises, aurait dû légiférer de façon équilibrée et respecter la tradition des relations de travail au Canada, plutôt que de frapper les syndicats de façon unilatérale.

On a l'impression que les rédacteurs du projet de loi ont procédé de la même façon qu'ils choisissent leurs numéros à la Loto 6/49. Ils lancent des chiffres de façon arbitraire et ces chiffres n'ont aucune justification pratique.

Honorables sénateurs, regardez ce qu'on impose à l'ensemble des syndicats. On énumère la longue liste des obligations, dont celle de faire connaître les dépenses relatives à des activités politiques. Pourquoi ne pas imposer la même obligation aux entreprises? On dit qu'on doit le faire pour les activités des lobbyistes, mais il serait intéressant d'en savoir autant au sujet des entreprises.

On impose aux syndicats de déclarer les dons et les subventions qu'ils reçoivent. Pourquoi ne pas imposer la même obligation à l'ensemble des entreprises? Finalement, pour toutes les activités possibles et impossibles, il faut que le syndicat le fasse de façon tellement pointilleuse et détaillée que cela n'intéresse absolument personne, pas plus que les membres, parce qu'il y a une gestion et une direction au sein des syndicats.

En fin de compte, ce projet de loi, qui prétend vouloir servir la transparence et les intérêts des travailleurs syndiqués, constitue véritablement une insulte à ce qu'est un militant syndical responsable, qui n'a pas besoin d'un paternalisme odieux qui légifère en imposant aux organisations syndicales des exigences qui sont non seulement inéquitables, mais qui frôlent la stupidité, compte tenu de l'ensemble des exigences imposées aux syndicats.

Honorables sénateurs, comme l'a si bien dit le sénateur Eggleton plus tôt, sommes-nous nécessairement la copie conforme de tout ce qui se fait à l'autre endroit? Voilà un cas sur lequel le gouvernement, et avec raison, devrait prendre ses responsabilités et faire en sorte que ce projet de loi soit relégué aux oubliettes ou, à tout le moins, ne soit pas adopté maintenant, mais qu'il fasse l'objet d'une étude approfondie.

Si, dans l'ensemble de nos lois ouvrières il y a des exigences de transparence, qu'elles soient imposées d'une façon équitable entre les parties plutôt que par le biais d'un projet de loi dont on ne sait absolument pas d'où il vient et à quoi il sert, sinon que d'être l'expression d'un antisyndicalisme primaire.

Le sénateur Maltais : Honorables sénateurs, il me fait plaisir de prendre la parole au sujet du projet de loi C-377. Je vois que le changement de Chambre de l'honorable sénateur lui a fait changer d'opinion. Bref, on s'habitue à tout.

Son Honneur le Président : Sénateur Maltais, avez-vous une question à poser?

Le sénateur Maltais : Non, puisqu'il s'agit d'un débat.

Son Honneur le Président : D'autres sénateurs auraient-ils des questions à poser au sénateur Rivest?

Des voix : Non.

Le sénateur Maltais : Honorables sénateurs, au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, nous avons lu 43 mémoires qui contenaient des pages et des pages de présentation liminaire. Nous avons entendu le témoignage d'avocats, de syndicalistes, de comptables, de juriscomptables et de constitutionalistes extraordinaires. J'ai posé la question suivante à un de ces constitutionalistes : « Qui représentez-vous ici? » Il a répondu qu'il représentait la CSN.

Nous avons eu un avis juridique de d'un ancien juge à la Cour suprême, Me Bastarache. Son avis a été ridiculisé par l'avocat des TCA, un avocat très connu de sa mère. Aujourd'hui, j'ai bien l'intention de m'assurer que l'avis juridique de l'ex-juge Bastarache, conseillé par Don Jamieson et par le très honorable Jean Chrétien, soit considéré.

Y aurait-il des Brutus dans cette salle qui viendraient contredire l'ancien premier ministre Jean Chrétien? C'est incroyable. Je préfère me fier à Me Bastarache, ex-juge à la Cour suprême, à Don Jamieson et à Jean Chrétien. Je préfère me fier à leur opinion juridique plutôt qu'à celle de tous les autres qui sont venus témoigner, des gens totalement inconnus dans le monde constitutionaliste.

Un autre point m'a vraiment frappé. Je n'ai jamais autant entendu parler de transparence. Tous les gens qui ont témoigné ont invoqué le mot « transparence », tellement que, s'il y avait encore des transparents à vendre dans les librairies, j'en aurais acheté. Lorsque le sénateur Rivest parlait de transparence, je me demande qui avait avantage à payer les autobus lors de la dernière crise qui s'est déroulée au Québec l'an dernier pour trimballer des casse-pieds d'un bout à l'autre du Québec. Est-ce que les membres des syndicats ont su combien cela leur coûtait?

Est-ce qu'ils l'ont su? On sait que, si on fait preuve de transparence, on le fait envers tous les membres. Je ne suis pas constitutionaliste, mais je sais par expérience qu'un syndicat a pour fonction première de négocier des conditions de travail, des avantages sociaux, des assurances et de s'assurer que la CSST fait son travail.

L'autre partie, la partie politique, appartient à la population. C'est à la population de juger qui doit les représenter au sein des parlements. De nombreux syndiqués sont venus nous dire qu'ils n'étaient pas capables d'obtenir des états financiers. Lorsqu'un syndiqué s'adresse à son représentant syndical, on le promène de Calife à Pilate, il n'est jamais capable de voir aucun état financier. Allez voir sur Internet ce qu'il y a comme états financiers.

Le Barreau canadien, l'association des avocats du Canada, s'est objecté au fait qu'une dépense de plus de 5 000 $ doive être déclarée. À ce que je sache, de par leur corporation, les avocats ont un taux horaire et ce taux est respecté par l'ensemble des Canadiens. S'ils ont peur que leur nom apparaisse dans le bilan, c'est qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Peut-être certains avocats ont-ils réclamé trois ou quatre fois le taux horaire et, à ce moment-là, lors des prochaines négociations, le syndicat va changer d'avocats. C'est clair.

(1040)

On ne demande donc pas des choses extraordinaires. Je crois que la vraie transparence, ce n'est pas d'avoir peur d'être transparent. C'est simplement cela que le projet de loi vise : de la transparence, mais à tous les égards. C'est ce qui est important dans ce projet de loi. Nous n'allons pas grimper dans des montagnes russes pour rien; non, ce n'est pas vrai. Lorsqu'on a entendu tout le monde au Comité des banques, la sagesse nous commandait de ne pas trop poser de questions, mais de bien écouter ce que les gens avaient à dire.

Ce projet de loi va s'étendre à l'ensemble du Canada; s'il est vraiment aussi mal fait que les gens qui s'y opposent le prétendent, la Cour suprême tranchera. Pour le moment, en ce qui a trait à la transparence, dans une société comme la nôtre, il n'y en a jamais assez. Il n'y en a jamais assez! On veut avoir de la transparence et c'est pour cette raison que le projet de loi C-377 a été présenté.

L'honorable Pierre Claude Nolin : L'honorable sénateur Maltais accepterait-il de répondre à au moins une question?

Le sénateur Maltais : Oui.

Le sénateur Nolin : Lorsque Me Bastarache a comparu — premièrement, a-t-il comparu?

Le sénateur Maltais : Non.

Le sénateur Nolin : Ah bon! Alors tout ce que vous venez de nous dire concernant son opinion, vous le tenez de qui?

Le sénateur Maltais : D'une lettre, d'un avis juridique émis par le juge Bastarache, par une entreprise.

Le sénateur Nolin : Qui a rémunéré Me Bastarache pour donner cette opinion?

Le sénateur Maltais : C'est la chose la plus importante; je ne le sais pas, car il ne me l'a pas dit.

Le sénateur Rivest : J'aimerais poser une question à l'honorable sénateur Maltais.

Le sénateur a évoqué le fait que les centrales syndicales ont effectivement pu contribuer à financer certaines manifestations du printemps érable. Je le regrette autant que le sénateur. C'est une chose que les syndicats financent des activités — et d'ailleurs, ce ne sont pas les syndicats qui ont fait du saccage —, mais ne serait-il pas équitable, si on exigeait d'un syndicat qu'il rende public le montant des contributions données pour les manifestations, qu'on exige par exemple, comme on l'a vu au Québec à la commission Charbonneau, que les grandes entreprises dévoilent également les contributions qu'elles donnent à des dictateurs afin d'obtenir des contrats ailleurs? Il y aurait là un équilibre. Nous ne demandons que cela.

Le sénateur Maltais : C'est une excellente question. C'est pour cette raison que le gouvernement de Jean Charest a mis sur pied la commission Charbonneau, pour attraper ces bandits qui financent les dictateurs, ceux qui ont apporté du financement dans différents pays. C'est pour cette raison qu'il y a la commission Charbonneau et c'est pour cette raison que le projet de loi C-377 est nécessaire.

[Traduction]

L'honorable Larry W. Campbell : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Maltais : Oui.

Le sénateur Campbell : J'ai l'honneur de siéger au comité en compagnie du sénateur, et je le remercie de son travail acharné. Je reviens sur la question : « Pour qui travaillez-vous? » Il semble que cela n'ait aucune importance dans le cas du juge Bastarache, mais que cela en ait pour les autres. N'est-il pas exact que de nombreux témoins qui ont comparu devant nous ne travaillent pour personne, mais sont plutôt des constitutionnalistes et des universitaires qui ont présenté leur point vue constitutionnel?

[Français]

Le sénateur Maltais : Comme vous l'avez si bien dit lors de votre préambule, l'avis juridique de l'ex-juge Bastarache était au-dessus de tous les autres parce qu'il s'agit d'une sommité au Canada. Les autres, je ne les dédaigne pas du tout, loin de là, mais je crois qu'un ancien juge de la Cour suprême a quand même plus de mérite, surtout s'il est secondé par le très honorable Jean Chrétien. Y aurait- il des Brutus encore dans cette Chambre pour renier la parole d'un ancien premier ministre? Jamais de la vie. J'espère que le sénateur Campbell est d'accord avec moi.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Honorables sénateurs, je ne peux que supposer que ce que je viens d'entendre est de l'humour gaulois parce que cela n'a aucun sens. Le fait d'avoir travaillé pour le premier ministre Jean Chrétien, pour le premier ministre Harper ou pour un autre premier ministre ne fait certainement pas de quelqu'un un grand juriste. Cela signifie simplement que cette personne a travaillé pour un premier ministre.

En l'occurrence, le sénateur sait-il qui a retenu les services de M. Bastarache pour qu'il donne son opinion?

[Français]

Le sénateur Maltais : J'ai déjà donné cette réponse tout à l'heure, mais je ne peux dire qu'une chose : l'ex-juge Bastarache n'était peut- être pas le meilleur, mais c'était le moins pire.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Honorables sénateurs, cet avis a été obtenu par la même société qui représente Merit, un point c'est tout.

Honorables sénateurs, j'ai une question supplémentaire. Le comité a-t-il, à un moment donné, entendu le témoignage de syndiqués mécontents? Est-ce que quiconque ressemblant à un syndiqué mécontent s'est présenté pour dire qu'il n'avait pas eu la chance d'obtenir les documents en question?

[Français]

Le sénateur Maltais : Ce n'est pas qu'un seul syndiqué qui est venu au comité; vous étiez à cette séance du comité et vous le savez fort bien. Je n'embarquerai pas dans ce petit piège. Merci.

L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Le sénateur Maltais accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Maltais : Oui.

Le sénateur Carignan : Il existe un jugement à la Cour suprême rendu en 1991, l'arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario. Dans cette cause, on attaquait la formule Rand. Un des arguments des gens qui voulaient attaquer la formule Rand concernait le fait que le syndicat avait financé le NPD lors de la campagne électorale et que cela portait atteinte à la liberté d'expression de la personne qui contestait, soit M. Lavigne, qui contestait le fait que ses cotisations syndicales servent à financer un parti politique. La cause a été rejetée pour différentes raisons, et particulièrement en ce qui a trait à l'équilibre au regard de l'article 1.

Un autre jugement de la Cour d'appel du Québec, en 2011, a confirmé une condamnation de la FTQ qui elle, en 2003, a financé illégalement des activités pendant la campagne électorale contre l'Action démocratique du Québec et qui a enfreint la loi en finançant de la publicité contre l'Action démocratique du Québec.

Il y a également eu des décisions en Europe dans lesquelles il a été reconnu que l'argent donné à des syndicats et dans le but de faire de la politique enfreint la liberté d'expression.

J'en viens à ma question : si je veux m'assurer que ma liberté d'expression comme salarié soit respectée et qu'elle ne soit pas enfreinte par un syndicat qui financerait des activités, soit en enfreignant la loi ou soit par rapport à l'appui d'un syndicat, comment puis-je le faire sans appliquer le projet de loi C-377?

Le sénateur Maltais : Honorables sénateurs, votre question comporte trois volets. Commençons par ce qui a été porté devant les tribunaux. Si cette cause a été portée devant les tribunaux, c'est parce que le syndiqué en question considérait que ses droits lui avaient échappé. Je n'ai pas eu connaissance du jugement, mais je peux vous dire une chose, et vous le savez fort bien puisque vous êtes un sénateur du Québec, comme tous les sénateurs du Québec qui le savent fort bien et qui s'apprêtent à voter aujourd'hui contre le projet de loi.

(1050)

Ils savent très bien que, après chaque élection au Québec, le directeur général des élections inspecte à la loupe les dépenses de tous les syndicats et que, chaque fois, ils sont condamnés pour avoir fait des contributions illégales; les cotisations syndicales servent à défendre les droits des syndiqués, pas à faire de la politique.

Le sénateur Nolin : Seriez-vous d'accord pour demander un peu plus de temps afin que l'on puisse continuer à vous poser des questions?

Le sénateur Maltais : Allez-y.

Le sénateur Nolin : Vous venez de répondre à une courte question du sénateur Carignan. Il vous a résumé en quelques mots ce qu'est une relation contractuelle et le bris de cette relation entre un membre d'un syndicat et son syndicat, n'est-ce pas?

Le sénateur Maltais : Oui.

Le sénateur Nolin : Si je vous disais que la Loi constitutionnelle de 1867 réserve la juridiction de cette relation contractuelle à la province de Québec plutôt qu'au Parlement fédéral, est-ce que cela vous aiderait dans votre réflexion au sujet du projet de loi C-377?

Le sénateur Maltais : Bien sûr que c'est une prérogative constitutionnelle. Je suis tout à fait d'accord avec mon savant collègue. Cependant, le gouvernement fédéral peut — peut! — légiférer pour ce qui est des syndicats qui relèvent de la juridiction fédérale. Je suis sûr que mon honorable collègue ne portera pas la cause en Cour suprême, parce que c'est un droit reconnu depuis 1867.

Le sénateur Nolin : Il n'est reste pas moins que je reviens sur ma question : la relation contractuelle qui existe entre le membre d'un syndicat et son syndicat, c'est un contrat; s'il y a rupture de contrat, de qui relève la juridiction pour régler ce problème? De la province de Québec.

Le sénateur Maltais : Lorsqu'il y a une rupture de contrat, vous le savez, vous êtes avocat, c'est une cause. Lorsqu'il y a une rupture de contrat entre deux personnes, que ce soit un syndicat ou un syndiqué, c'est une cause, et, en général, ceux qui règlent les causes au Canada, ce sont les tribunaux.

L'honorable Pierrette Ringuette : Si j'ai bien compris la question que le sénateur Carignan a posée au sénateur Maltais, c'est qu'il croit qu'un syndicat ne devrait pas enlever la liberté d'expression et de parole à ses membres. Ai-je bien compris la question?

Étant donné la prémisse de la question du sénateur Carignan, croyez-vous qu'un parti politique ou un bureau de premier ministre devrait enfreindre la liberté d'expression des sénateurs, dans cette enceinte?

Des voix : C'est irrecevable!

Le sénateur Maltais : Honorables sénateurs, je crois que l'honorable sénatrice n'est pas dans le bon Parlement pour me poser cette question, puisque personne ne brime le droit de parole de personne ici. Il y a presque une heure que je suis debout à répondre à vos questions.

La sénatrice Ringuette : Sénateur Maltais, vous êtes l'un des membres de notre comité et, lors de notre dernière réunion, à l'occasion de l'étude article par article du projet de loi, vous devez reconnaître que votre parti a limité la liberté d'expression et la liberté de vote à une de vos collègues, n'est-ce pas?

Le sénateur Maltais : Madame la sénatrice, je crois que vous n'êtes pas au bon endroit pour défendre cela. Vous avez pris personnellement au-delà de 60 p. 100 du temps de parole pendant les huit semaines de l'étude de ce projet de loi. Je ne crois pas que quelqu'un a été brimé dans son droit de parole parce que tout sénateur qui veut prendre la parole n'a qu'à lever la main et à prendre la parole. Croyez-moi, j'y étais. Si quelqu'un s'est senti brimé dans son droit de parole, qu'il se lève en cette Chambre.

[Traduction]

L'honorable Art Eggleton : Le sénateur Maltais a dit dans son discours que la transparence est pour tout le monde. Pourtant, le projet de loi cible uniquement les syndicats en ce qui a trait à la déduction fiscale. Il semble que ce soit l'argument qu'on fait valoir ici, la déduction fiscale, mais il y a de nombreuses autres associations — notamment dans les domaines du droit, de la comptabilité et des professions médicales — qui ne sont pas couvertes par le projet de loi. Le sénateur ne croit-il pas qu'il faudrait, par souci d'équité, également les inclure? Le sénateur proposerait-il un projet de loi qui assurerait la transparence à tous, en incluant ces associations qui bénéficient aussi de déductions fiscales?

[Français]

Le sénateur Maltais : Je crois qu'il s'agit d'une très bonne question, sauf que tous les organismes caritatifs sont déjà soumis à une loi de l'impôt. Ceux qui ne le sont pas peuvent s'inscrire, pourvu qu'ils se conforment aux lois canadiennes de l'impôt. Je crois qu'au bout du compte, tout le monde sera satisfait de cette transparence que souhaite le sénateur.

L'honorable Grant Mitchell : Honorables sénateurs, j'ai plusieurs choses à dire, et plusieurs autres sénateurs ont des choses très importantes à dire et ce, avec beaucoup de frustration.

[Traduction]

J'aimerais soulever quelques points au sujet du débat. Je commencerai par féliciter les sénateurs de la qualité de celui-ci. J'aimerais tout particulièrement féliciter le sénateur Segal et la sénatrice Bellemare, ainsi que d'autres, qui ont pris une position contraire à celle que semble avoir adoptée leur caucus. Ce n'est pas chose facile à faire. Je crois que cela vaut la peine d'être souligné. Pour ceux qui se montrent cyniques à l'égard des travaux du Sénat, voilà qui montre clairement que le Sénat ne mérite pas les accusations voulant qu'il suive une ligne de parti pure et dure.

Je dois également dire qu'hier, à l'émission At Issue, sur les ondes de la CBC, Jennifer Ditchburn a fait une observation intéressante au sujet de la qualité du débat. Elle a dit que les débats au Sénat sont une véritable bouffée d'air frais par rapport à ceux de la Chambre des communes. Toutefois, ils ne sont pas télévisés. J'eus souhaité que ce débat le soit! Je félicite le sénateur Cowan, la sénatrice Ringuette, ainsi que d'autres sénateurs de ce côté-ci de la Chambre, de la grande qualité de leurs interventions, qualité à laquelle j'aspire, mais que je n'atteindrai sûrement pas.

Je tiens essentiellement à relever diverses choses pour faire un tour d'horizon de ce qui a été dit, mais j'aimerais aussi aborder quelques points qui n'ont pas été mentionnés. Tout d'abord, les sénateurs ont très bien fait ressortir les lacunes du projet de loi, notamment le fait qu'il s'inscrit dans la continuité des efforts que déploie le gouvernement afin de réduire au silence les gens à qui il semble s'opposer, ceux qui ne partagent pas son idéologie ou, comme l'a laissé entendre la question du sénateur Carignan, ceux qui pourraient privilégier un autre camp politique. Ce n'est pas pour autant une raison de passer en mode attaque ou d'appliquer des mesures injustes, mais le gouvernement voit apparemment les choses d'un autre œil. Après tout, il a aboli le financement de toute initiative qui mentionne l'égalité entre les sexes, que ce soit dans son mandat, sur son site web ou dans ses activités. Il a aussi lancé une attaque généralisée contre les organismes de bienfaisance...

[Français]

... surtout les groupes environnementaux.

[Traduction]

Le gouvernement fait preuve d'une injustice flagrante lorsqu'il s'en prend à ces groupes. Pour une raison que j'ignore, l'idéologie qui l'anime le pousse à s'opposer énergiquement à ce que ces groupes accomplissent de manière tout à fait démocratique. Sous divers angles, ces groupes consolident pourtant bel et bien notre démocratie. Il suffit de penser aux chercheurs, qui ont été bâillonnés, et je pourrais continuer longtemps. Tout permet de croire que le gouvernement cherche manifestement à museler l'opposition. Cela provient probablement d'une idéologie, peut-être même d'une certaine arrogance.

Il est vrai aussi que ce projet de loi est redondant et dénote une certaine hypocrisie de la part d'un gouvernement qui dit vouloir réduire au minimum l'intervention gouvernementale. Toutes les provinces — à l'exception de la Saskatchewan, je crois — ont prévu une disposition pour ce genre de reddition de comptes, qui révèle suffisamment de renseignements pour que les membres des syndicats se sentent adéquatement informés et qu'il y ait transparence sans toutefois que la démarche entraîne des dépenses excessives, des injustices et des perturbations pour les syndicats.

(1100)

Il est hypocrite — et d'autres ont fait la même remarque ce matin — que l'on exige des syndicats qu'ils fournissent des renseignements que l'on interdit aux gouvernements de dévoiler. En effet, il serait illégal de la part de l'Agence du revenu du Canada de divulguer ces mêmes renseignements qui lui sont transmis.

Il est vrai que les sociétés déduisent les montants investis dans les activités politiques et le lobbying. On ne s'attend pas à ce qu'elles révèlent ces renseignements de quelque façon que ce soit à leurs actionnaires ou à leurs employés.

Il est vrai que certaines sociétés reçoivent des subventions. Si c'est bon pour les syndicats, il me semble que le gouvernement pourrait faire le parallèle. Si les syndicats doivent révéler les renseignements en question simplement parce que les cotisations syndicales sont déductibles d'impôt, alors cette exigence devrait s'appliquer aux sociétés également. On pourrait même pousser le raisonnement plus loin. Dans les cas des sociétés qui reçoivent des renseignements, on pourrait penser que les raisons pour exiger ce genre de divulgation de la part des sociétés subventionnées seraient tout aussi fondées — si le gouvernement conservateur le demande dans le cas des syndicats.

Il y a bien des raisons pour lesquelles ce projet de loi est mauvais sur le plan technique. À la base, c'est probablement parce qu'il va à l'encontre de la Constitution et qu'il est ultra vires. Par conséquent, il ne fonctionne pas et il ne fonctionnera pas.

Le projet de loi aura des conséquences négatives. Entre autres, il donnera probablement lieu à un plus grand nombre de conflits ouvriers dans le secteur privé, dans la mesure où les syndicats sont présents dans ce secteur. Dans le secteur public, il y a beaucoup d'employés représentés par un syndicat. D'ailleurs, les syndicats sont bien implantés au gouvernement fédéral.

La mesure législative créera de l'animosité en milieu de travail. En effet, les gens risquent d'être étonnés lorsqu'ils apprendront combien gagne leur voisin de bureau. Cela compliquera énormément la gestion de tout syndicat et risquera également de compliquer la gestion des entreprises et des organisations gouvernementales où travaillent des syndiqués.

Les conflits de travail nuisent beaucoup au développement et à la croissance économiques. Il y a eu des périodes d'agitation ouvrière dans l'histoire du pays. Ce n'est pas une situation que nous devrions rechercher, consciemment ou activement. Or, ce projet de loi pourrait bel et bien donner lieu à de l'agitation ouvrière.

La question qui me hante est la suivante : pourquoi le gouvernement en poste, ou tout autre gouvernement, ressent-il le besoin de s'attaquer précisément aux syndicats? Peut-être ne souscrit-il pas à cette idéologie, mais ce n'est pas comme si le secteur privé était le seul à avoir contribué à bâtir le pays. Le gouvernement a joué un rôle à cet égard et les syndicats ont joué un rôle très important dans l'édification de notre pays. Aucun syndicat n'est parfait. Aucune entreprise n'est parfaite. Aucune institution gouvernementale n'est parfaite. Cependant, les syndicats ont joué un rôle de premier plan dans le développement de notre pays et ils ont contribué à l'amener là où il en est aujourd'hui. Où en est-il aujourd'hui? À certains égards, on constate une détérioration de la qualité des emplois dans notre économie. Nous avons perdu de nombreux emplois.

La qualité des emplois s'est donc détériorée, tant sur le plan du salaire, des avantages sociaux, de la sécurité d'emploi que du pourcentage des emplois à temps plein. Il fut une époque où de 70 à 80 p. 100 des emplois dans le secteur du commerce de détail étaient des emplois à temps plein. De nos jours, de 70 à 80 p. 100 des emplois dans ce secteur au Canada sont à temps partiel.

Le salaire n'a pas augmenté. On pourrait faire valoir que le salaire réel au pays n'a pas connu de hausse depuis 25 ans. Si ce n'était du taux directeur qui est à 1 p. 100, il aurait été impossible de maintenir la hausse de la qualité de vie dont les Canadiens ont pu profiter au cours des dernières années.

Les syndicats ont joué un rôle dans l'histoire et dans l'économie du pays; ils ont lutté pour l'amélioration des conditions de travail, ils ont défendu les droits des travailleurs et ils ont, au bout du compte, stimulé l'économie. Les travailleurs syndiqués sont hautement qualifiés et ils sont le moteur même de l'économie canadienne. D'aucuns, moi y compris, diraient que l'industrie des sables pétrolifères s'est développée en grande partie grâce aux compagnons syndiqués. Ces derniers sont reconnus pour la qualité, l'efficacité et la fiabilité de leur travail, pour les mesures de sécurité qu'ils prennent au travail et pour la durabilité de leur travail qui repose, de façon intrinsèque, sur la qualité de leur travail.

Une question s'impose. Pourquoi les syndicats sont-ils visés par des attaques concertées? Il ne s'agit pas d'une mesure isolée. Le gouvernement a présenté six mesures législatives de retour au travail. Les lois de retour au travail, par leur nature même...

Je tiens à souhaiter la bienvenue au sénateur Plett, qui prend place au fauteuil. Mon Dieu, je suis heureux de vous voir sourire!

Une voix : Il sourit!

Le sénateur Campbell : C'est votre pire cauchemar.

Le sénateur Mitchell : Vous avez enfin réussi à trouver ce qui le rend heureux, merveilleux!

Une voix : Il va falloir rester ici tout l'été, maintenant!

Le sénateur Mitchell : Je propose qu'il demeure au fauteuil. Revenons à nos moutons.

Par leur nature même, ces six lois de retour au travail font obstacle au processus de négociation collective.

Je le répète, la négociation collective a été un outil fort efficace pour favoriser chez nous l'activité économique, la croissance, la sécurité d'emploi et la sécurité au travail. Le gouvernement actuel semble ne tenir aucunement compte de cette tradition et de ces organisations.

Ce que je ne comprends pas, c'est le contraste entre ces scénarios. Je crois que le gouvernement n'envisagerait jamais une mesure législative qui favoriserait une entreprise ou un groupe d'entreprises au détriment d'une autre. Il croit à la concurrence, tout comme moi, tout comme mon parti. Nous croyons aux marchés financiers et aux marchés financiers concurrentiels. Les conservateurs disent qu'ils y croient aussi. Sous bien des rapports, les syndicats sont simplement d'autres entreprises. Ce sont des entreprises dans une économie qui repose sur la concurrence. Comment se fait-il que le gouvernement pense qu'il peut s'en prendre à des organismes qui devraient avoir le droit de pratiquer une concurrence équitable et, à bien des égards, sans entraves...

Merci; excellent travail. Bravo, Sénateur Plett.

Tout ce que j'ai dit au sujet de la présence du sénateur Plett au fauteuil n'était nullement une critique à votre endroit, Votre Honneur. Je tiens à ce que vous le sachiez. Il est évident qu'il a tout appris de vous.

Le gouvernement ne favoriserait jamais une entreprise au détriment d'une autre au moyen d'une mesure législative précisant comment elles peuvent se faire concurrence et n'affaiblirait pas les entreprises avec lesquelles celle qu'il favorise se trouverait en concurrence, mais il a quelque peu dérapé en ce qui concerne les syndicats. Les syndicats sont des entreprises. Ce sont des entités concurrentielles au sein de l'économie. Pourquoi le gouvernement aurait-il peur de les laisser pratiquer la concurrence? Ils disposent de ce mécanisme. Le rapport entre les syndicats et l'entreprise et entre les syndicats et les autres employeurs dispose de mécanismes d'autoréglementation. Le sénateur Carignan définit ce que les syndicats devraient faire et laisse entendre que, pour une raison ou une autre, le gouvernement devrait avoir un rôle à jouer là-dedans. Les syndicats devraient faire ce que veulent leurs membres. C'est un processus démocratique interne. Il ne nous appartient pas de définir et de redéfinir cela pour eux. C'est de l'orgueil démesuré et de l'arrogance, et cela finira par nuire à l'économie et aux emplois que le gouvernement souhaite tant créer et que nous souhaitons tous créer.

(1110)

Bref, à mon sens, honorables sénateurs, le projet de loi est manifestement injuste; il diminue la concurrence dans notre économie et mine davantage la capacité des syndicats à améliorer la sécurité, la formation et la qualité du travail dans notre économie. À bien des égards, ça revient à une lutte des classes. Le projet de loi privilégie un groupe de sociétés, un groupe d'entités dans notre société, de facto et implicitement, en diminuant et en gênant tout le travail, généralement excellent, que font les syndicats pour bâtir l'économie et le Canada.

Je crois qu'il est de notre devoir à tous de rejeter le projet de loi, dans l'intérêt de la justice et d'un meilleur soutien pour le Canada.

L'honorable Donald Neil Plett : Honorables sénateurs, je suis convaincu que le sénateur Mitchell serait ravi de répondre à une question. Plutôt, je ferai simplement observer à quel point je suis heureux d'avoir pu, pour la première fois depuis que le sénateur Mitchell est venu au Sénat en provenance de l'Alberta, contribuer à le laisser sans mot.

Des voix : Oh, oh!

La sénatrice Ringuette : Dieu soit loué, nous avons encore le sens de l'humour en cette enceinte.

Le sénateur Mitchell accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Mitchell : Je le voudrais bien. Je devrai trouver les mots.

La sénatrice Ringuette : Cela n'est pas difficile pour le sénateur.

Hier, j'ai assisté, en compagnie d'autres parlementaires, à une présentation commanditée et appuyée par TransCanada, l'entreprise canadienne du secteur des pipelines. C'est Bob Blakely, directeur des dossiers canadiens pour l'American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations, qui jouait le rôle de conférencier. L'exposé portait principalement sur le partenariat entre TransCanada et le syndicat, et soulignait qu'une bonne collaboration est essentielle pour que TransCanada puisse avoir accès aux employés spécialisés et bien formés dont elle a besoin, à l'endroit et au moment où elle en a besoin. Pendant la période des questions qui a suivi l'exposé, on a appris que le projet de loi C-377 nuisait à ce partenariat.

Le gouvernement actuel consacre des millions de dollars à promouvoir l'expansion des sables pétrolifères. TransCanada constitue l'une des composantes essentielles de ce cycle, et elle a besoin de l'appui du syndicat pour avoir accès aux travailleurs nécessaires à la poursuite des travaux. D'après le sénateur, comment le gouvernement du Canada, le gouvernement Harper, peut-il justifier de perturber ainsi la relation entre les entreprises et les syndicats?

Le sénateur Mitchell : Je remercie la sénatrice d'avoir posé cette question. J'aimerais souligner que je connais très bien Bob Blakely. C'est un avocat et un syndicaliste chevronné. Peut-être serez-vous surpris d'apprendre qu'il a aussi été commandant supérieur au sein de la milice navale canadienne : il a commandé des navires de guerre pendant de longues périodes. C'est quelqu'un qui a un engagement absolu et fondamental envers le Canada, et qui a contribué de manière remarquable à notre pays, que ce soit comme avocat, comme syndicaliste ou à titre de haut gradé de la marine. Son engagement envers le Canada ne fait absolument aucun doute. C'est un homme remarquable.

La sénatrice a mis le doigt sur une question que j'ai moi-même souvent posée ici, parfois de manière rhétorique : comment peut-on croire que le gouvernement conservateur actuel, ou tout autre gouvernement conservateur, est en mesure de diriger l'économie? Tout indique le contraire.

Pour gérer l'économie, il faut prendre certaines mesures fondamentales, et l'une d'elles consiste à prévenir les conflits de travail au lieu de les créer. Cette nécessité est particulièrement évidente en Alberta, où l'économie a un urgent besoin de travailleurs, surtout de travailleurs qualifiés. Les syndicats fournissent des travailleurs qualifiés qui ont suivi une formation, et ils les fournissent dans les meilleurs délais ainsi que dans des conditions irrégulières.

Les gens pensent que les travailleurs syndiqués gagnent entre 27 $ et 30 $ de l'heure. C'est exact, mais ils touchent ce salaire selon des contrats de trois semaines, de deux semaines ou de six mois. En général, ils ne gagnent pas ce salaire tous les jours de l'année.

Comme je l'ai dit, le milieu de la construction dépend des syndicats, non seulement dans le secteur des sables pétrolifères, mais également dans bien d'autres secteurs en Alberta et ailleurs au pays. Ce projet de loi est donc très nuisible. Quand cette opinion vient d'une société de premier ordre comme TransCanada, qui représente évidemment des intérêts privés, on s'attendrait à ce que le gouvernement soit à l'écoute.

[Français]

Le sénateur Carignan : Il y a une loi qui me force à payer mes taxes municipales; en contrepartie, j'ai le droit d'avoir accès à l'information et à une copie d'à peu près tous les documents d'une municipalité. La loi me force à payer mes taxes scolaires; en contrepartie, j'ai le droit d'avoir accès à tous les documents et à toute l'information qui touche le milieu scolaire. La loi me force à payer ma cotisation au Barreau; en contrepartie, j'ai le droit d'avoir accès à toute l'information publique du Barreau.

Lorsque la loi accorde le privilège aux syndicats en forçant des personnes qui ne veulent pas être membres à payer une cotisation contre leur volonté, n'est-il pas équitable que, en contrepartie, ces personnes aient accès aux informations et aux dépenses du syndicat?

La sénatrice Ringuette : Ils l'ont déjà.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : C'est déjà le cas. Cependant, puisque le sénateur paie des impôts au gouvernement fédéral, sait-il combien d'argent a été versé à Nigel Wright, à Ray Novak ou à toute autre personne au sein du Cabinet? A-t-il la moindre idée de la somme qui a été payée à l'ensemble des employés du Cabinet du premier ministre? Nous savons tous qu'ils ont gagné moins de 444 661 $, puisque c'est la limite qui a été fixée.

La sénatrice LeBreton : Vous éteignez les lumières.

Le sénateur Mitchell : Vous devriez vérifier si quelqu'un n'a pas payé pour l'éclairage.

Son Honneur le Président : Nous poursuivons le débat? Le sénateur Mercer a la parole.

L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, avant de commencer mon allocution, je veux corriger un commentaire du sénateur Carignan, qui aurait pu induire les gens en erreur par inadvertance durant son échange avec le sénateur Maltais, lorsqu'il a parlé de syndicats qui faisaient des dons à des partis politiques. Bien entendu, c'est une pratique illégale au fédéral. Réglons cette question tout de suite. Ce n'est pas permis.

Honorables sénateurs, ce projet de loi antisyndical a été présenté en 2011 par le député conservateur Russ Hiebert, qui a avancé comme argument que les syndicats devraient être tenus de dévoiler leurs dépenses et leurs salaires puisque les cotisations syndicales sont déductibles aux fins de l'impôt. Pour un gouvernement qui se targue d'être ouvert et transparent, pourquoi n'a-t-il pas proposé cette mesure dans un projet de loi ministériel? Pourquoi ne s'attribue-t-il pas le mérite des idées qu'il contient? Nous savons que ce projet de loi ne fait pas l'unanimité chez mes collègues d'en face. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas le courage de dire ce qu'est vraiment ce projet de loi?

Honorables sénateurs, mardi dernier, on soulignait la journée Davis en Nouvelle-Écosse, aussi connue comme la Journée à la mémoire des mineurs. Cette journée annuelle de commémoration est observée le 11 juin dans les localités minières de toute la Nouvelle- Écosse. Nous reconnaissons le sacrifice que les travailleurs ont fait pour leur localité et que leur famille fait toujours. Ce jour commémore le décès de Bill Davis, qui a été tué par balle, lors d'une grève des mineurs en 1925, par la police de la compagnie, qui avait par ailleurs coupé l'eau et le courant dans les maisons des mineurs.

Cela s'est passé avant que les syndicats remuent ciel et terre pour que leurs membres profitent des droits dont tout le monde jouit de nos jours dans notre grand pays. Je me demande ce que ces houilleurs penseraient de la tentative voilée du gouvernement actuel de se cacher derrière une si mauvaise mesure législative. Je me demande ce qu'ils penseraient de ces assauts des conservateurs contre leurs amis et contre leurs confrères et consœurs des autres syndicats.

(1120)

Honorables sénateurs, à mon avis, ce projet de loi est inconstitutionnel. Le coût qui y est associé est exorbitant et je me demande pourquoi nous voulons que les fonctionnaires de l'ARC perdent leur temps à pourchasser des syndiqués pour les inscrire sur une liste publique affichée sur le Web. Cela fait penser à une chasse aux sorcières.

L'argument invoqué est qu'une divulgation accrue et que la transparence sont de bonnes choses pour les contribuables canadiens. C'est bien beau, mais si l'on souscrit à cela, pourquoi donc ne pas étendre cette même exigence de transparence aux centaines de milliers de Canadiens qui sont membres d'organisations professionnelles qui ne sont pas considérées comme des syndicats, mais qui déduisent leurs frais de leur déclaration de revenus?

Voici la définition fournie par l'ARC des « Cotisations annuelles syndicales, professionnelles et semblables » qui figurent à la ligne 212 de la déclaration de revenus :

Vous pouvez déduire les montants suivants que vous avez versés (ou qui ont été versés pour vous et inclus dans votre revenu) dans l'année, s'ils sont liés à un emploi :

La définition se poursuit ainsi :

.les cotisations annuelles versées à un syndicat ou à une association de fonctionnaires;

.les cotisations versées à un office des professions, lorsqu'une loi provinciale ou territoriale exige le paiement;

.les cotisations obligatoires, y compris les primes d'une assurance-responsabilité professionnelle, versées pour conserver un statut professionnel reconnu par la loi; [...]

C'est ce qui est écrit.

Russ Hiebert, parrain de ce projet de loi à l'autre endroit, est titulaire d'un diplôme en droit de l'Université de la Colombie- Britannique. Comme il a pratiqué le droit avant de devenir député, il a forcément été membre du Barreau de la Colombie-Britannique, et il l'est probablement encore. À l'heure actuelle, en Colombie- Britannique, les droits de pratique sont de 1 893,06 $. L'assurance- responsabilité, soit l'évaluation de base pour un membre qui pratique à temps plein en Colombie-Britannique, est de 1 750 $. Cela fait un total de 3 643,06 $. C'est une somme assez importante qui peut être utilisée comme déduction dans une déclaration de revenus. M. Hiebert s'est-il fait prendre dans ce projet de loi? Bien sûr que non. Les riches conservateurs prennent soin des leurs.

Jetons un coup d'œil à d'autres exemples, honorables sénateurs. Je ne nommerai personne, mais vous devinerez de quels sénateurs il s'agit. Si vous êtes avocat en Ontario, vous payez des frais annuels de base d'environ 1 851 $. Si vous êtes avocat en Alberta, les frais sont de 1 848 $, auxquels s'ajoute une prime d'assurance de 3 124 $, pour un total de 4 972 $. Si vous êtes médecin en Ontario, les frais sont de 1 340 $, auxquels s'ajoute une prime d'assurance de 3 350 $, pour un total de 4 972 $. Si vous êtes un avocat en Nouvelle-Écosse — il y en a quelques-uns au Sénat —, les frais s'élèvent à 3 743,25 $. En Saskatchewan, ils sont de 2 715 $. Ceux d'entre vous qui ont payé ces frais peuvent les déduire de leur impôt sur le revenu, mais vous n'êtes pas visés par le projet de loi C-377.

Honorables sénateurs, voyons ce que d'autres personnes ont à dire au sujet du projet de loi.

Dans une lettre que j'ai reçue de Linda Silas, présidente de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières/infirmiers, celle-ci affirme :

Si les attaques continuelles à l'encontre des droits des travailleurs et de la négociation portent fruit, cela représentera un important recul pour les travailleurs au Canada.

Elle poursuit en disant ce qui suit :

Nous avons également indiqué dans notre mémoire l'incidence du projet de loi C-377 en ce qui a trait à la Charte et à la Constitution. La quantité de préoccupations soulevées par de nombreux organismes fait en sorte que l'adoption du projet de loi n'est pas justifiée.

Je suis d'accord.

Dans une lettre que j'ai reçue de M. Ken Georgetti, le président du Congrès du travail, celui-ci indique :

Le projet de loi est une solution en quête d'un problème. Il enfreint gravement la Constitution du Canada et la Charte canadienne des droits et libertés. [Le Comité des banques et du commerce a] entendu d'éminents constitutionnalistes témoigner que le projet de loi C-377 ne relève pas du champ de compétence du Parlement.

M. Georgetti poursuit en disant ceci :

Cinq provinces ont dit au ministre du Travail ou aux membres du comité que le projet de loi touche un domaine qui ne relève pas de la compétence du Parlement et qu'il empiète sur les compétences des provinces. Ces cinq provinces sont le Manitoba, l'Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.

Un peu plus loin, M. Georgetti dit ceci :

Le projet de loi ne tient pas compte du fait que les syndicats reposent sur une structure démocratique et qu'ils sont assujettis à des cadres juridiques.

Je n'aurais pu mieux dire.

Honorables sénateurs, les syndicats suivent déjà des règles bien établies. Ils doivent déjà rendre des comptes à leurs membres. Ils agissent déjà de façon responsable. Posez-vous encore une fois la question : pourquoi sommes-nous en train de débattre de ce projet de loi?

Les coûts qu'engendrerait le projet de loi m'inquiètent aussi. Le sénateur Dawson a d'ailleurs posé la question tout à l'heure à un autre sénateur. Il se trouve que j'ai certains chiffres à lui donner. Le gouvernement fédéral devrait dépenser près de 11 millions de dollars pour lancer cette chasse aux sorcières et consacrer plus de 2 millions de dollars par année à l'administration de ce système. L'ancien directeur parlementaire du budget, Kevin Page, a confirmé ces chiffres. Nous savons tous ce que les sénateurs d'en face pensent de M. Page. Quoi qu'il en soit, voici ce qu'on peut lire dans la lettre qu'il a écrite à M. James Rajotte, député et président du Comité permanent des finances de la Chambre des communes :

L'Agence de revenu du Canada estime que le coût marginal de l'application de la loi proposée sera d'environ 11 millions de dollars pour les frais de démarrage et d'un peu plus de 2 millions de dollars par année pour l'administration courante.

Il dit aussi :

[L]e DPB est d'avis que l'estimation par entité déclarante proposée par l'Agence du revenu du Canada est raisonnable [...]

Voilà donc ce que coûtera le projet de loi. S'agit-il des véritables coûts? Cette analyse « repose sur un nombre estimatif de moins d'un millier d'entités déclarantes, ce qui suppose que les exigences s'appliquent seulement aux entités syndicales de l'échelon le plus élevé ». Que se passerait-il si ce nombre montait en flèche? Les coûts exploseraient. Il faut faire preuve de prudence en matière de souhaits.

J'ai reçu une lettre de Gary Corbett, président et administrateur en chef de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec M. Corbett à plusieurs occasions. Voici ce qu'il m'écrit dans sa lettre :

L'adoption du projet de loi aurait pour conséquence d'établir un régime de déclaration obligatoire et de surveillance fédérale qui serait coûteux et pour les syndicats, et pour les contribuables canadiens.

Alors, honorable sénateurs, voilà qui réfute l'argument de la protection des contribuables canadiens. M. Corbett écrit encore ceci :

Loin d'être utile pour atteindre l'objectif déclaré d'une reddition de comptes plus transparente, le projet de loi C- 377 accorde à un gouvernement déjà hostile aux syndicats des moyens supplémentaires pour essayer de saper des droits bien établis et des activités légales.

Je me demande ce que les mineurs néo-écossais de 1925 penseraient des jours très sombres que nous vivons aujourd'hui.

Honorables sénateurs, j'ai reçu des milliers de courriels de la part de Canadiens inquiets. Ils savent que ce projet de loi vise les organisations ouvrières et ne s'applique à aucune autre association professionnelle percevant des cotisations, comme les associations auxquelles certains sénateurs et beaucoup d'autres Canadiens appartiennent. Ils savent que les coûts de fonctionnement du système seront probablement beaucoup plus élevés que ce qui est prévu. Ils savent que le gouvernement fédéral veut ainsi asseoir son autorité dans un domaine où il ne le devrait pas. Ils savent que c'est une chasse aux sorcières.

Les travailleurs sont très peu nombreux à se plaindre du fonctionnement et de la reddition de comptes de leur syndicat. Il n'y en a pratiquement pas. Posons-nous encore la question : à quel besoin répond ce projet de loi?

Ce projet de loi est une parodie de mesure législative. Alors que le Sénat est scruté à la loupe, j'implore les sénateurs d'agir en toute indépendance, avec honneur, et de rejeter ce projet de loi, car c'est tout ce qu'il mérite.

[Français]

Le sénateur Carignan : Est-ce que l'honorable sénateur accepterait de répondre à une question?

Le sénateur a commencé sa déclaration en faisant référence à la possibilité que le projet de loi soit présenté sous forme d'un projet de loi émanant du gouvernement plutôt qu'un projet de loi émanant d'un député.

(1130)

J'ai entendu cet argument à quelques reprises de votre côté, et j'ai un peu de difficulté avec cet argument, d'autant plus que, du côté de la Chambre des communes, pendant la session qui vient de se terminer, 340 projets de loi provenant d'un député ont été déposés, dont 223 du NPD, 57 des libéraux et 80 de députés conservateurs.

Est-ce que votre commentaire ne risque pas d'être interprété comme une atteinte aux droits fondamentaux d'un député ou d'un sénateur de déposer un projet de loi?

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Pas du tout, et j'encourage tous les parlementaires, à l'autre endroit et ici, à déposer des projets de loi d'initiative parlementaire.

Voici la question qu'il faut se poser : s'agit-il d'une politique gouvernementale? Est-ce que le principe de ce projet de loi est dicté par la politique du gouvernement conservateur de Stephen Harper? À mon avis, les sénateurs d'en face sont mieux informés que nous, de ce côté-ci, des pressions qu'exercent les têtes dirigeantes du gouvernement pour faire adopter ce projet de loi.

Les sénateurs de l'autre côté savent mieux que moi que c'est effectivement une politique gouvernementale. Ils savent que c'est une mesure législative que l'exécutif, de l'autre côté de la rue, dans l'édifice Langevin, veut voir adoptée. Si c'est une politique gouvernementale, ayez au moins le courage d'y apposer le sceau du gouvernement.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice McCoy, au nom de la sénatrice Cools, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur White, appuyée par l'honorable sénateur McIntyre, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-299, Loi modifiant le Code criminel (enlèvement d'une jeune personne).

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, avant d'intervenir au sujet du projet de loi C-299, j'aimerais profiter de cette occasion, étant donné que la session est sur le point de se terminer, pour remercier le sénateur Runciman, président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, ainsi que la sénatrice Fraser, la vice-présidente du comité, de l'aide qu'ils ont fournie aux membres du comité. Je tiens également à remercier Shaila Anwar et tout le personnel du Sénat qui nous épaulent si bien. Je tiens à les remercier et je leur souhaite un bel été. Ils m'ont beaucoup aidée dans mon travail.

Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui au sujet du projet de loi C-299. Cette mesure législative vise à modifier le Code criminel afin de prévoir une peine minimale de cinq ans lorsque la victime d'un enlèvement est âgée de moins de 16 ans, sauf si l'infraction est commise par le père, la mère, le tuteur ou une personne ayant la garde ou la charge légale de la victime.

Dans le discours que j'ai prononcé à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-299, j'ai posé la question suivante : « Quel est le meilleur moyen, pour le gouvernement fédéral, de protéger les enfants contre la violence et l'exploitation? » J'ai soutenu qu'il n'y avait aucun honneur dans le fait de faire adopter un projet de loi qui est censé traiter de l'enlèvement des enfants, mais qui ne le fait pas. Si nous l'adoptions, nous manquerions à notre devoir de faire respecter les droits des enfants.

Aujourd'hui, je vais me pencher sur le mécanisme proposé à tort dans ce projet de loi pour protéger les enfants contre la violence et l'exploitation, à savoir les peines minimales obligatoires. Il n'est tout simplement pas nécessaire de prévoir l'imposition de peines minimales obligatoires dans ce projet de loi. D'ordinaire, les délinquants reconnus coupables dans des cas d'enlèvement graves sont condamnés à une peine d'emprisonnement allant de 10 à 15 ans.

Honorables sénateurs, le projet de loi prévoit une peine minimale d'emprisonnement de cinq ans, alors que, dans la majorité des cas, les juges imposent déjà des peines de 10 à 15 ans.

L'alinéa 279(1.1)b) du Code criminel prévoit déjà une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité pour les enlèvements commis par des étrangers, mais le projet de loi C-299 supprimerait le pouvoir discrétionnaire des juges pour déterminer la peine minimale. Honorables sénateurs, il est inacceptable de supprimer le pouvoir discrétionnaire des juges dans ces cas. En fait, cela nuirait au rôle qu'ils sont censés jouer.

Dans un article publié récemment dans le bulletin de la Criminal Lawyers' Association, le juge Melvyn Green, de la Cour supérieure de l'Ontario, dénonce toute une série de modifications apportées récemment au Code criminel dans le but d'instituer les peines minimales obligatoires.

Comme les députés le savent, il est très rare qu'un juge se prononce de la sorte.

Selon le juge Green, ces modifications ne « correspondent pas à la jurisprudence canadienne en matière de détermination de la peine, ni aux recherches en sciences sociales menées depuis un siècle. »

Le juge Green commence son article en soulignant que les lignes directrices énoncées dans le Code criminel en matière de détermination de la peine sont basées sur les principes de proportionnalité et de retenue.

L'article 718.2 d) du Code criminel indique ce qui suit :

l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

Dans l'article du juge Green, la prémisse est que les changements axés sur la punition, la neutralisation et la stigmatisation viennent miner les principes de proportionnalité et de retenue. Ce projet de loi lance la proportionnalité et la retenue par la fenêtre, honorables sénateurs, car il met l'accent sur la punition, la neutralisation et la stigmatisation.

Par ailleurs, selon le juge Green, les peines minimales obligatoires limitent la souplesse et le pouvoir discrétionnaire, deux éléments importants dans la détermination de peines individualisées, qui établissent un équilibre entre, d'un côté, la dissuasion et la dénonciation et, de l'autre, la réinsertion. Les récentes modifications au Code criminel concernant la détermination de la peine sont, selon le juge Green, « une mesure régressive qui n'améliorera en rien la justice et ne réduira pas la criminalité. » Il estime que ces modifications constituent « [...] une déviation quasi incompréhensible par rapport à la théorie de justice pénale qui prévaut depuis 40 ans au Canada. »

Premièrement, rien ne prouve l'efficacité des peines minimales obligatoires pour prévenir les crimes. Deuxièmement, les peines minimales obligatoires sapent le pouvoir discrétionnaire des juges. Troisièmement, les peines minimales obligatoires vont à l'encontre du principe de la proportionnalité des peines et violent les droits constitutionnels garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Je vais commencer par l'absence de preuves sur l'efficacité des peines minimales obligatoires. Dans son article, le juge Green pose la question suivante : « Que reproche-t-on, au juste, au principe de la modération? » Il fait valoir que le taux de criminalité au Canada est en baisse depuis 25 ans. Il souligne aussi que les États- Unis commencent à se rendre compte qu'employer l'incarcération comme principal moyen de lutter contre la criminalité « n'a pas amélioré la sécurité du public ou des individus. »

Honorables sénateurs, il poursuit en précisant qu'en l'absence de justification factuelle, les récentes modifications dénotent « une idéologie puritaine éhontée, véhiculée par des propos alarmistes et une exploitation odieuse des différences entre les groupes ».

J'entends approfondir ces points en m'inspirant de récents travaux de recherche en sciences sociales, des témoignages entendus aux audiences tenues par de notre Comité des affaires juridiques et constitutionnelles sur le projet de loi C-299 ainsi que d'observations relatives à l'expérience étatsunienne en matière de peines minimales obligatoires.

(1140)

Dans un article de 2009 intitulé The Mostly Unintended Effects of Mandatory Penalties : Two Centuries of Consistent Findings, Michael Tonry explique ceci :

On affirme souvent que l'adoption et la mise en l'application de lois prévoyant l'imposition de peines minimales obligatoires dissuadent les délinquants éventuels et, ce faisant, réduisent le taux de criminalité et épargnent des souffrances aux victimes. Si cela s'avérait, il s'agirait d'un argument solide. Or, les preuves qui ont été recueillies montrent que ce n'est pas le cas.

La Commission canadienne sur la détermination de la peine en est arrivée à la même conclusion dans un rapport publié en 1987 :

Les études ne confirment pas que le fait de changer la sévérité des sanctions [...] influe sur leur pouvoir dissuasif.

Le rapport précise également ceci :

En d'autres mots, la recherche empirique ne justifie pas que l'on invoque la dissuasion pour guider la détermination des sentences.

Un avocat criminaliste qui pratique à Ottawa, Michael Spratt, a témoigné devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles à titre de représentant de la Criminal Lawyers' Association. Lui aussi a réfuté l'affirmation voulant que les peines minimales obligatoires aient un effet dissuasif sur la criminalité :

En termes simples, les études démontrent que les peines minimales n'ont pas pour effet d'empêcher les contrevenants de commettre des crimes [...]

Il a aussi expliqué la position de la Criminal Lawyers' Association :

[...] lorsque le gouvernement souhaite modifier le Code criminel, il devrait bien réfléchir avant d'introduire ce genre de peines. Les changements devraient s'appuyer sur des études. Il est bon de privilégier les politiques fondées sur des études avant de procéder à des changements.

Un article publié par la CBC le 24 mars dernier rapporte la réponse du ministre de la Justice, Rob Nicholson, lorsqu'on lui a demandé s'il serait souhaitable, au moment de la détermination de la peine, de prendre en considération les circonstances entourant un crime :

Le rôle du gouvernement, c'est de définir des balises. Les peines minimales envoient le « bon message », c'est-à-dire que certains crimes entraînent de lourdes conséquences.

Les spécialistes en sciences sociales ont démontré que les peines minimales obligatoires n'envoient pas ce « bon message », pour reprendre les mots du ministre. Ainsi, selon Michael Tonry, professeur titulaire de la chaire présidentielle McKnight de droit criminel et de politique pénale à l'Université du Michigan :

Si on évalue les peines minimales obligatoires en fonction de leurs objectifs déclarés, on constate qu'elles ne sont pas efficaces. Les faits sont éloquents : [...] les peines obligatoires font en sorte que le pouvoir repose sur les procureurs plutôt que sur les juges, ce qui donne lieu à des manœuvres généralisées visant à contourner la situation, bouleverse l'examen des dossiers et entraîne trop souvent l'imposition de peines qui, selon toutes les parties en cause, sont beaucoup trop sévères.

Michael Spratt a lui aussi parlé des effets secondaires négatifs des peines minimales obligatoires lorsqu'il a comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Voici ce qu'il a déclaré à propos des peines minimales obligatoires :

Elles représentent une façon simpliste d'examiner un problème complexe. À mon avis, c'est une façon très restreinte d'examiner ce problème.

Il a ajouté ce qui suit :

Si le projet de loi a pour but de diminuer le nombre des enlèvements de jeune personne et de protéger les adolescents, il faut reconnaître que les études démontrent que les peines minimales obligatoires ne permettront pas d'atteindre ces objectifs. Elles vont par contre avoir des effets secondaires négatifs et je serai heureux de vous en parler de façon plus détaillée. Ces effets comprennent l'augmentation des heures passées devant les tribunaux, le risque de revictimisation, le transfert du pouvoir discrétionnaire des juges vers les procureurs de la Couronne et les policiers, et la suppression du pouvoir discrétionnaire judiciaire, qui est un aspect essentiel de notre système judiciaire. Il faut bien sûr ne jamais oublier qu'avec l'augmentation des peines — et si elles sont appliquées de façon inéquitable —, les possibilités de réadaptation et de réintégration diminuent, ce qui peut entraîner une augmentation de la récidive et une situation qui est finalement plus dangereuse pour la population.

Honorables sénateurs, Tim Lynch, du Cato Institute, une importante organisation de défense des libertés civiles aux États- Unis, est du même avis que Michael Spratt. Voici ce qu'il a déclaré :

Le Canada doit examiner ce que les États-Unis ont fait en la matière. Nous nous éloignons de plus en plus des peines minimales, et je crois que le Canada commettrait une grave erreur s'il suivait notre exemple et imposait de telles peines.

L'American Civil Liberties Union a récemment rapporté que 2,3 millions de personnes sont derrière les barreaux aux États-Unis, soit près de trois fois plus qu'en 1987. De plus, les contribuables américains paient près de 70 milliards de dollars par année pour les services correctionnels et carcéraux.

Dépenser trop d'argent pour les prisons a pour effet de détourner les priorités budgétaires provinciales et fédérales. Cela enlève des fonds qui autrement pourraient servir à financer les mesures éprouvées de réduction de la criminalité, telles que l'augmentation de la présence policière dans les secteurs où le taux de violence est élevé et la prestation de services de désintoxication aux toxicomanes. Après plus d'une décennie d'imposition de peines minimales aux États-Unis, les prisons sont engorgées à point tel que chaque aire ouverte est remplie de lits superposés; et en Arizona, des tentes commencent à servir de cellules en plein air.

Le juge en chef William Rehnquist a déclaré qui suit lors du symposium national sur les drogues et la violence aux États-Unis :

Les peines minimales [...] sont souvent le résultat de projets de loi modificatifs proposés par les législateurs pour montrer clairement qu'ils veulent « durcir le ton envers les criminels ». En fait, j'estime que l'un des meilleurs arguments contre toute imposition supplémentaire de peine minimale, voire contre certaines déjà imposées, est que celles-ci perturbent le calibrage minutieux des peines, d'un bout à l'autre du spectre [...].

Honorables sénateurs, l'imposition de peines criminelles ne doit jamais être prise à la légère. Même si la dissuasion et le châtiment sont des principes importants dont il faut tenir compte dans la détermination de la peine, il importe également de se rappeler que les peines d'emprisonnement retirent les contrevenants de la société. Elles privent le détenu de la liberté de gagner sa vie et d'interagir avec sa famille et ses amis; et les conditions en milieu carcéral peuvent être dures. Pour ces raisons, ce n'est pas avec joie que la magistrature canadienne et américaine emprisonne les contrevenants.

Honorables sénateurs, je tiens à vous faire part de ce que Thomas Dohm avait l'habitude de me dire. M. Dohm a été mon patron et mon associé dans un cabinet de droit. Il fut pendant un certain temps juge à la Cour suprême de Colombie-Britannique. Il m'a souvent répété qu'il s'était rendu aux quatre coins de la Colombie- Britannique et du Yukon et qu'il avait souvent été saisi des affaires les plus sordides et les plus déplorables. Il se demandait souvent comment punir un certain criminel tout en protégeant la société. L'une des plus importantes leçons qu'il m'a apprises, et il y en a eu beaucoup, c'est que, dans la majorité des cas, on ne peut se contenter d'emprisonner quelqu'un pour ensuite l'oublier. Cette personne sortira de prison un jour ou l'autre. Il voulait faire en sorte que, lorsqu'il envoyait quelqu'un en prison, cette personne, à sa sortie, ne récidive pas et puisse vivre en société. Voilà ce qui comptait le plus pour lui. Il a aussi dit que, lorsqu'il était juge, il avait passé des nuits blanches à se demander ce qu'il devrait faire concernant le délinquant qu'il devait juger.

Honorables sénateurs, j'ai eu le privilège de parler à de nombreux juges. La majorité d'entre eux, voire tous les juges du pays, sont honorables et intègres et travaillent d'arrache-pied. Les juges prennent leur travail au sérieux. Je ne dis pas ça simplement parce que je suis avocate; j'ai vu bon nombre de juges au travail. J'estime que, lorsqu'on mine le pouvoir discrétionnaire des juges, c'est la société qui écope.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, j'ai cité plusieurs Américains dans mon intervention; or, ce n'est pas dans mes habitudes. Je me suis permis de le faire aujourd'hui parce qu'ils ont de l'expérience en matière de peines minimales obligatoires, et ils ont conclu que ces peines sont indéfendables. Ils disent qu'ils ont déjà fait cette erreur et que nous devrions en tirer des leçons. Malheureusement, cela tombe dans l'oreille d'un sourd.

Un juge d'expérience bien connu, Vincent L. Broderick, qui siège dans le district sud de l'État de New York, a dit ce qui suit :

Je crois fermement que toute personne raisonnable qui s'informe sur cette pratique [sur les peines minimales obligatoires], qu'il s'agisse d'un juge ou d'un politicien, en viendrait à la conclusion qu'il faut abolir ces types de peines au profit d'un régime fondé sur les principes d'équité et de proportionnalité.

(1150)

Pour mettre en perspective les effets de l'imposition de peines minimales obligatoires, j'aimerais vous lire une partie de ce que le juge J. Spencer Letts, du district central de la Californie, a déclaré, après avoir imposé une peine d'emprisonnement de 10 ans à quelqu'un :

Dans le cadre du régime des peines minimales obligatoires, il importe peu que [l'individu] soit un récidiviste invétéré ou qu'[il] en soit à sa première infraction.

Le juge a ajouté ceci :

En fait, dans le cadre de ce régime draconien, on ne tient aucunement compte du fait que, la veille de commettre cette erreur dans une vie par ailleurs sans tache, le délinquant a sorti 15 enfants d'un immeuble en feu ou a remporté la Médaille d'honneur du Congrès pour avoir défendu son pays.

Honorables sénateurs, avec les peines minimales obligatoires, on adopte une approche identique pour tous les délinquants, même si les peines prévues étaient peut-être conçues pour des criminels dangereux.

Barbara S. Vincent, du Federal Judicial Center, a écrit ce qui suit dans The Consequences of Mandatory Minimum Prison Terms : A Summary of Recent Findings.

Il existe des preuves irréfutables que l'imposition de peines minimales obligatoires conduit chaque année à l'incarcération pour une longue période de milliers de petits délinquants pour qui une peine plus courte aurait suffi, ce qui aurait permis d'économiser chaque année plusieurs centaines de millions de dollars.

Honorables sénateurs, l'imposition de peines minimales obligatoires au Canada ne repose sur aucun fondement probant, sans compter qu'elle a d'énormes ramifications financières et sociales. J'aimerais également faire remarquer qu'elle porte gravement atteinte au pouvoir discrétionnaire des juges, qui constitue un important pilier de notre système de justice pénale. À mon avis, les juges sont les mieux placés pour déterminer les peines. C'est pourquoi, dans notre merveilleux pays, nous nommons à la magistrature des avocats qui comptent parmi les meilleurs. Notre système compte quelques-uns des meilleurs juges au monde.

Lorsque Michael Spratt a comparu devant le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles en tant que représentant de la Criminal Lawyers' Association, il a dit ceci :

Les juges sont bien placés pour imposer des peines justes. C'est eux qui connaissent le mieux la situation du contrevenant et les circonstances de l'infraction; ils font partie de la collectivité. Les juges ont reçu une bonne formation, et lorsqu'un juge se trompe...

— et cela arrive de temps en temps —

... il existe un mécanisme d'appel efficace qui permet de corriger les erreurs éventuelles.

Lors de la réunion tenue le 15 mai 2012 par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, un ancien juge de la Cour suprême très respecté, l'honorable John Major, a dit ceci :

Le problème soulevé dans l'esprit des législateurs et du public est le suivant : « Pouvons-nous faire confiance aux juges? »

Il a aussi dit ceci :

C'est une question qui revient de temps à autre sur un certain nombre de sujets. Si le juge a un parti pris pour le droit et l'ordre, il penchera peut-être en faveur d'une peine plus sévère. S'il est plus favorable à la réadaptation, il tranchera du côté opposé.

Mais nous faisons beaucoup confiance, et c'est bien ainsi, à nos juges.

En tant que citoyen, je me sens plus à l'aise lorsqu'ils sont plus en mesure de juger de la sévérité ou de l'indulgence d'une peine.

Honorables sénateurs, lors de ces audiences, nous avons entendu Indira Stewart, une représentante du Conseil canadien des avocats de la défense. Voici ce qu'elle a dit au sujet de la peine minimale obligatoire de cinq ans prévue dans les cas d'enlèvement d'un enfant :

Lorsque ces cas se produisent, ils sont graves, mais il n'existe aucun élément qui permette de penser que, lorsqu'ils se produisent, les juges sont trop cléments [...]

Dans les rares cas où une peine de moins de cinq ans d'emprisonnement a été imposée, il y a toujours, dans chacun de ces dossiers, des circonstances atténuantes qui l'expliquent. C'est précisément pour cette raison que les juges qui ont eu la possibilité d'entendre toutes les circonstances aggravantes et atténuantes sont les mieux placés pour fixer la peine appropriée. Si l'on craint que le juge ait commis une erreur, les procureurs de la Couronne peuvent interjeter appel des peines qu'ils jugent inappropriées et ils le font.

Lorsque l'honorable John Major a témoigné devant notre comité, ses propos allaient dans le même sens. Il nous a parlé d'une philosophie selon laquelle les criminels sont convaincus qu'ils ne se feront jamais prendre, ce qui explique que la gravité de la peine a rarement un effet dissuasif, comme l'expérience le démontre.

Il a aussi déclaré ceci :

Il est intéressant d'examiner tout l'éventail des peines imposées pour enlèvement, dans les annales judiciaires, il n'y a pas de minimum. Les peines, toutefois, ont été sévères. Par sévères, je veux dire longues.

Il a ensuite précisé, honorables sénateurs, que les peines imposées allaient de 10 à 15 ans. Dans le cas présent, nous demandons une peine minimale de cinq ans. Souhaitons-nous vraiment signaler aux juges qu'ils peuvent s'en tenir à une peine de cinq ans? Je ne le crois pas. Les juges imposent déjà des peines de 10 à 15 ans pour cette infraction. Pourquoi nous en mêler?

Le juge Major a ensuite ajouté ce qui suit :

Les tribunaux, à ma connaissance, ont toujours traité l'enlèvement commercial comme une infraction très grave et, à ce que je sache, les peines se sont étalées entre 10 et 15 ans. La peine de 5 ans n'est donc pas extrême [...] Je crois qu'il faudrait chercher longtemps pour trouver une affaire où l'auteur sérieux d'un enlèvement a été condamné à moins que cela.

Honorables sénateurs, comme le juge Major l'a indiqué quand il a comparu devant le comité de la Chambre des communes, les peines imposées pour ce genre d'infractions sont de l'ordre de 10 à 15 ans environ, ce qui est considérablement plus long que la peine minimale de cinq ans proposée ici.

Dans ces cas, les juges ont, bien entendu, la possibilité d'imposer une peine d'emprisonnement à perpétuité, qui témoigne de la gravité de l'infraction. Lorsqu'il a témoigné devant le Comité sénatorial des affaires juridiques, l'honorable John Major a expliqué la nature des affaires qu'il avait jugées. Il a indiqué que les contrevenants étaient des jeunes hommes qui ont chacun reçu une peine de 15 ans de prison pour l'enlèvement d'un enfant, même s'il s'agissait de leur première infraction.

Voici ce qu'il a dit :

Les juges réagissent, tout comme la population, à l'aspect horrible de ce genre de crime. [...] Lorsque vous avez recours au pouvoir discrétionnaire d'un juge, vous confiez un dossier à une personne qui normalement [...] a entendu un certain nombre [d'affaires]. Cette personne a peut-être [été avocat plaidant]. Elle connaît le système et elle sait qu'à cause des faits, chaque affaire est différente des autres sur certains points.

Lorsqu'on élimine le pouvoir discrétionnaire des juges, cela entraîne un manque de transparence et un contournement des principes de justice.

Le 15 mai 2012, au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, M. Irwin Cotler, porte- parole en matière de justice du Parti libéral, a parlé de la transformation du pouvoir discrétionnaire des juges occasionnée par les peines minimales obligatoires.

Voici ce qu'il a dit :

Mettons de côté les questions constitutionnelles pour l'instant. Il y a une préoccupation en matière de politique. Pour ce qui est des peines minimales obligatoires, on enlève aux juges le pouvoir discrétionnaire pour le transférer aux policiers ou à l'État. Lorsqu'on fait ce transfert en audience publique avec la possibilité d'avoir recours à un type de négociation de plaidoyer plus privée, ou quelque chose du genre, on peut se retrouver avec un ou deux résultats.

On peut se retrouver dans la situation où l'accusé plaide coupable à un chef d'accusation moindre, de sorte que l'objectif de dénonciation, qui a été présenté comme étant l'objectif principal du projet de loi, est diminué ou perdu. Ou bien il y a la solution selon laquelle l'accusé subit son procès de sorte que les tribunaux sont engorgés à cause de ces peines minimales obligatoires.

Honorables sénateurs, je pense que les juges devraient conserver leur pouvoir discrétionnaire, sinon il en résultera un processus exempt de toute obligation de rendre compte, qui n'est pas transparent aux yeux de la population. Qui plus est, les peines minimales obligatoires imposent un fardeau excessif à l'appareil judiciaire.

Comme les sénateurs le savent, je viens de la Colombie- Britannique et je travaille encore avec plusieurs de mes collègues, dans le cadre d'affaires particulières, ou je les vois en cour. Je me suis rendu compte notamment du fait que, lorsque le Parlement fédéral adopte des lois de cette nature, il incombe ensuite aux tribunaux provinciaux d'en assumer les coûts de mise en application.

Honorables sénateurs, croyez-moi lorsque je dis que les tribunaux ne suffisent pas à la tâche. Voici ce que les procureurs me disent : « Je n'ai même pas lu le dossier. Je ne sais même pas de quoi il s'agit. Que voulez-vous que je fasse? » Ils croulent sous la lourdeur du fardeau. Nous adoptons des lois, mais nous ne débloquons pas les ressources nécessaires pour les mettre en application.

Honorables sénateurs, je ne pense pas que, quand nous ajournerons pour l'été, nous devrions quitter en ayant l'impression d'avoir fait du bon travail en vue de protéger les Canadiens. Si nous voulons vraiment protéger les Canadiens, nous devrions adopter cette loi, puis fournir des ressources. Sinon, nous ne faisons le travail qu'à moitié.

(1200)

Voici ce que David Daubney, ancien avocat général au sein de la Section de la politique en matière de droit pénal et coordonnateur de la réforme du système de détermination de la peine au ministère de la Justice, a dit sur cette augmentation des peines minimales obligatoires dans son blogue publié le dimanche 11 mars 2012 :

La multiplication des peines minimales obligatoires donnera lieu à moins de plaidoyers de culpabilité, à d'importants retards dans le traitement, à une grande augmentation du nombre d'accusés qui attendent leur procès dans des établissements provinciaux de détention provisoire déjà surpeuplés, ainsi qu'à de l'injustice, car ce ne seront plus les juges, mais plutôt les procureurs, qui disposeront du pouvoir discrétionnaire.

Honorables sénateurs, je vois cela tout le temps. Quand je me rends dans les tribunaux, je constate que le pouvoir discrétionnaire n'est plus exercé par les juges, mais par les procureurs. Ces derniers n'ont pas la formation nécessaire pour être juges. Leur travail consiste à présenter la cause en notre nom, mais nous faisons d'eux des avocats et des juges. C'est inacceptable.

Je sais qu'il y aura beaucoup de contestations fondées sur la Charte et d'acquittements. Est-ce que cela améliorera la sécurité des Canadiens? À mon avis, non.

Honorables sénateurs, je vous dirais que l'imposition de peines minimales augmente le nombre de procès et réduit le nombre de cas qui sont réglés de manière appropriée. Les peines minimales obligatoires entraînent non seulement des coûts financiers, mais aussi des coûts concrets, pour les participants au système judiciaire, ainsi que les victimes elles-mêmes. C'est pourquoi je vous dis à tous que le pouvoir discrétionnaire en matière de détermination de la peine devrait être exercé par les juges, et non les procureurs.

Selon Erik Luna, dans son mémoire intitulé Mandatory Mimimum Sentencing Provisions Under Federal Law, qui porte sur les dispositions relatives aux peines minimales obligatoires dans la loi fédérale, les peines minimales obligatoires « accordent le pouvoir aux procureurs fédéraux d'appliquer les lois qu'ils jugent appropriées, même à l'égard de personnes dont la participation à des infractions non violentes a été mineure ».

J'ai constaté, honorables sénateur, que certains procureurs, de par la manière « créative » dont ils mènent leurs enquêtes et déposent des accusations, se trouvent à sanctionner par avance les délinquants, ce qui, pour deux infractions comparables, peut se traduire par des peines sans commune mesure.

L'honorable John Martin, juge à la Cour fédérale, n'aurait pas pu mieux décrire les effets des peines minimales obligatoires sur les pouvoirs discrétionnaires des juges :

Les peines minimales obligatoires sont excessives, injustes, voire draconiennes.

Elles font en sorte que le pouvoir de détermination de la peine, qui était jusqu'ici entre les mains — neutres — des juges, appartient désormais aux acteurs du processus pénal.

Elles desservent la justice pénale, en plus de poser toutes sortes de problèmes constitutionnels.

Mais autrement, il s'agit d'une excellente idée.

Troisièmement — et en dernier lieu —, je tiens à rappeler que les peines minimales obligatoires vont à l'encontre du principe de proportionnalité.

À propos de la constitutionnalité des peines minimales obligatoires et des cas d'exception, M. Berger, professeur à Osgoode Hall, la faculté de droit de l'Université York, dit ce qui suit dans l'article intitulé A More Lasting Comfort? The Politics of Minimum Sentences, the Rule of Law and R v. Ferguson :

[Les peines minimales obligatoires] représentent un jugement a priori de ce qui constitue une sanction juste dans tous les cas.

Or, ce raisonnement est foncièrement dangereux.

Le Parlement a déterminé que les peines doivent être proportionnelles à la gravité de l'infraction commise et au degré de responsabilité du délinquant; il en a fait un principe fondamental.

Essentiellement, les peines minimales obligatoires reposent sur le principe voulant que l'on connaisse d'avance le degré de proportionnalité d'une infraction, quelles que soient les circonstances dans lesquelles elle a pu être commise.

Or, il arrive toujours, dans la vie, des circonstances plus complexes ou plus difficiles que même le plus clairvoyant des comités parlementaires n'aura pas su prévoir.

Quand une affaire se retrouve devant un juge [...] certaines circonstances exceptionnelles peuvent faire en sorte que les peines minimales obligatoires aillent carrément à l'encontre de l'article 12 de la Charte, qui prévoit que « chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ».

Au fil du temps et des vicissitudes extraordinaires de l'existence, des cas se présenteront forcément où l'obligation d'imposer une peine minimale sera incompatible avec nos engagements constitutionnels et le principe moral de la proportionnalité de la peine.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-29 ratisse beaucoup trop large. Des personnes qui ne le méritent pas risquent d'en subir les conséquences. Voici un exemple d'affaire qui me dérange beaucoup. J'ai passé des heures à l'étudier et je vous dis aujourd'hui, honorables sénateurs, que c'est la preuve que nous ferions une erreur en adoptant ce projet de loi.

Il s'agit de l'affaire Batisse, qui concerne une jeune femme autochtone souffrant d'une maladie mentale. Elle a plaidé coupable à une accusation d'enlèvement d'un nouveau-né. La Cour d'appel a réduit la peine, en la faisant passer de cinq ans à deux ans et demi. Après avoir soigneusement évalué les circonstances atténuantes dans cette affaire, la Cour d'appel a constaté que la jeune femme avait subi de mauvais traitements aux mains de pratiquement toutes les personnes qu'elle avait connues. Par conséquent, après des années, elle a fini par être atteinte d'une maladie mentale.

C'est une histoire horrible. Le tribunal a constaté que la maladie mentale de cette jeune femme avait été déterminante pour l'amener à commettre l'infraction et que, dans de telles circonstances, la dissuasion et le châtiment avaient une moindre importance. Ce n'est pas un cas unique.

Honorables sénateurs, jamais je ne croirai qu'un seul sénateur dans cette enceinte puisse penser que cette jeune femme aurait dû être incarcérée pour cinq ans. Je vous le demande : auriez-vous adopté un projet de loi prévoyant une peine minimale obligatoire si vous aviez su que, ce faisant, vous condamneriez automatiquement Mme Batisse à une peine d'emprisonnement de cinq ans, alors qu'elle a vécu une existence aussi horrible?

Honorables sénateurs, nous devons nous acquitter de notre responsabilité. Si nous faisons partie de cette vénérable assemblée, c'est pour y prendre des décisions au nom de tous les Canadiens.

Une voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Les peines minimales obligatoires donnent souvent lieu à des contrastes frappants entre les peines imposées, en fonction de ce qui constitue souvent des différences ténues sur le plan du comportement ou des antécédents criminels.

C'est ce qu'a constaté Paul Cassell, juge de district aux États- Unis, lorsque, en 2004, il a fait la déclaration suivante : « Il n'existe aucune preuve rationnelle pour que la loi m'oblige à imposer une peine d'emprisonnement de 55 ans à une personne de 25 ans reconnue coupable pour la première fois d'une infraction liée à la drogue, alors que, le même jour, j'ai infligé une peine d'emprisonnement de 22 ans à un homme qui avait battu à mort une dame âgée. »

Honorables sénateurs, des études et des preuves montrent que, lorsqu'elle est informée de ce qui se passe au sein de notre système de justice pénale, la population fait davantage confiance à la procédure et aux résultats finals. Cependant, les sondages d'opinion publique ne devraient pas servir uniquement à justifier des mesures législatives. Il faudrait plutôt s'efforcer de fournir le plus de renseignements possibles afin que la population sache ce que les intervenants du système de justice savent eux aussi.

Voici ce qu'a déclaré le juge John Major :

[...] la population ne comprendrait pas ce que vous décriviez comme étant une peine légère et ce qui semble l'être, de sorte qu'elle préférait les peines minimales obligatoires.

Cependant [...] lorsqu'on explique aux gens le principe des peines obligatoires et le principe de ce que j'appellerais la détermination discrétionnaire des peines, cela change complètement leur façon de voir.

Selon une étude réalisée par le Pew Center, un organisme américain, de récents sondages d'opinion publique laissent entendre que l'élimination des peines minimales obligatoires reçoit un accueil favorable au sein de la population. Qui plus est, un sondage effectué en janvier 2012 auprès de 1 200 électeurs probables a révélé que la population appuie fortement l'allègement des peines imposées à des délinquants non violents, à condition que l'on atteigne les objectifs visant à assurer la sécurité publique et à obliger les délinquants à assumer la responsabilité de leurs actes.

Honorables sénateurs, en conclusion, je veux souligner le travail acharné d'organismes comme le Conseil canadien des avocats de la défense, la Criminal Lawyers' Association et l'Association du Barreau canadien. Ces organismes jouent un rôle inestimable dans la promotion de l'équité et de l'intégrité au sein du système de justice pénale canadien, un pilier fondamental de notre société démocratique. Ils travaillent inlassablement et de façon désintéressée afin de nous présenter une vision équilibrée du système de justice au Canada.

Honorables sénateurs, ces gens travaillent quotidiennement aux premières lignes. Ils nous rapportent ce qu'il advient des projets de loi que nous adoptons.

Je puis donc vous affirmer, honorables sénateurs, que l'imposition d'une nouvelle peine minimale obligatoire ne mettra pas nos précieux enfants à l'abri de la violence et de l'exploitation. Qu'est- ce qui protégera nos précieux enfants contre la violence et l'exploitation? Nous devons fournir les ressources nécessaires afin qu'ils aient une meilleure éducation et un toit au-dessus de leur tête. Le Canada est un pays très riche. Nous ne devrions pas avoir recours à l'incarcération et aux peines minimales obligatoires.

(1210)

Une voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, rien ne prouve que les peines minimales obligatoires permettent de prévenir la criminalité. Ces dernières sapent le pouvoir discrétionnaire des juges. En terminant, elles violent le principe de l'imposition de peines proportionnelles ainsi que les droits juridiques et constitutionnels inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Honorables sénateurs, j'aimerais terminer en citant le juge Major, un éminent Canadien et ancien juge à la Cour suprême du Canada :

Dans votre sagesse, lorsque vous examinerez le projet de loi, demandez à n'importe qui s'il peut vous donner un exemple qui montre qu'une peine obligatoire, quel que soit l'État ou le pays où elle a été imposée, a réduit le crime — n'importe où.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Une voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Adoptée, avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Projet de loi sur la stratégie nationale relative à l'insuffisance veineuse céphalorachidienne chronique (IVCC)

Le quinzième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Ogilvie, appuyée par l'honorable sénateur Wallace, tendant à l'adoption du quinzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie (projet de loi S-204, Loi établissant une stratégie nationale concernant l'insuffisance veineuse céphalorachidienne chronique (IVCC), avec une recommandation), présenté au Sénat le 22 novembre 2012.

L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour appuyer le projet de loi S-204, Loi établissant une stratégie nationale concernant l'insuffisance veineuse céphalorachidienne chronique (IVCC), dans l'intérêt des milliers de Canadiens qui souffrent de sclérose en plaques, qui cherchent à soulager leurs symptômes et qui tentent de retrouver une meilleure qualité de vie.

Comme le souligne le rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur le projet de loi S-204, il y a aujourd'hui plus de 75 000 Canadiens qui souffrent de sclérose en plaques. Ce qui est plus alarmant, c'est que nous savons aussi que le taux de suicide parmi cette population est sept fois supérieur à celui de la moyenne nationale — sept fois, honorables sénateurs. Cette maladie est véritablement débilitante et dévastatrice.

Les membres libéraux du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie nous ont dit de quelle façon les membres conservateurs ont tué le projet de loi S-204 au comité.

Une voix : C'est une honte.

Le sénateur Mercer : Ils ont même refusé de procéder à l'étude article par article du projet de loi. Auparavant, il était inhabituel qu'un projet de loi d'initiative parlementaire présenté par un sénateur soit torpillé avant même d'en arriver à cette étape. Cependant, sous le gouvernement vieillissant du premier ministre Harper, il est malheureusement devenu plus courant que des projets de loi de l'opposition soient rejetés avant même que des preuves aient été entendues.

Honorables sénateurs, les membres conservateurs du comité et les sénateurs conservateurs qui siègent ici même ont aussi jugé bon d'exclure les Canadiens atteints de sclérose en plaques de la liste des témoins autorisés à comparaître devant le comité lors de son étude du projet de loi S-204.

Ma collègue et marraine du projet de loi, la sénatrice Cordy, a été forcée de prendre une mesure inhabituelle et de présenter une motion au Sénat au nom de Canadiens atteints de sclérose en plaques qui souhaitaient témoigner en personne devant le comité. Malheureusement, les sénateurs conservateurs ont choisi de rejeter les requêtes de ceux-ci, qui ont donc été privés de leur droit de témoigner.

Le sénateur Moore : C'est honteux.

Le sénateur Mercer : Honorables sénateurs, voilà qui est inouï et honteux pour cette Chambre de second examen objectif.

Tous les sénateurs conservateurs au Sénat ce jour-là ont voté contre la motion qui visait à permettre aux personnes atteintes de sclérose en plaques de témoigner devant le comité. Tous les sénateurs conservateurs ont voté pour réduire au silence les gens souffrant de sclérose en plaques.

Honorables sénateurs, nos comités sont sacro-saints ou, du moins, ils l'ont été. Les comités du Sénat ont recueilli le témoignage de victimes d'actes criminels, de gens vivant dans la pauvreté ou souffrant de troubles de santé mentale, de donneurs de sang et d'organismes caritatifs qui font tant de bien dans leur collectivité. Ce ne sont là que quelques exemples. Toutefois, les sénateurs conservateurs n'ont pas manifesté le même respect envers les Canadiens atteints de la sclérose en plaques.

La sénatrice Merchant a dit dans cette enceinte que le premier ministre et le ministre de la Santé de sa province, la Saskatchewan, ont rencontré personnellement des personnes souffrant de sclérose en plaques. Pourtant, ici, au Sénat du Canada, la majorité conservatrice a voté pour que ces voix ne soient pas entendues.

Honorables sénateurs, j'aimerais faire une observation au sujet du paragraphe 3 du rapport du comité sur le projet de loi S-204, où on peut lire :

Votre Comité partage également les préoccupations exprimées par les défenseurs du projet de loi selon lesquelles, au début, des patients se sont vus refuser un traitement médical à la suite de complications issues d'une angioplastie effectuée à l'étranger. Cependant, il importe de noter que les autorités sanitaires provinciales ont agi rapidement pour faire en sorte qu'on ne refuse à aucun Canadien un traitement médical.

Lorsque j'examine les témoignages du comité, je ne parviens pas à déterminer quelles sont les preuves qui lui ont permis d'en arriver à cette conclusion. Nous avons entendu les discours du sénateur Eggleton et de la sénatrice Cordy, qui sont tous deux membres du comité et qui ont déclaré qu'aucune preuve n'a été présentée à l'appui de cette conclusion.

Nous continuons d'entendre parler, dans les médias, de Canadiens atteints de sclérose en plaques qui ont subi le traitement et ont de la difficulté à obtenir un suivi adéquat, ici, au Canada. Il est désolant d'entendre ce que vivent les patients qui ont obtenu le traitement de l'IVCC à leurs propres frais, à l'extérieur du Canada et à qui on refuse un suivi ici, au Canada. Leur propre système de soins de santé refuse de leur offrir des soins de suivi.

Le sénateur Moore : C'est incroyable.

Le sénateur Mercer : La sénatrice Jaffer a parlé dans cette enceinte de Roxane Garland, qui est décédée après qu'on lui a refusé des soins de suivi ici, au Canada. Elle est morte! Franchement.

Le sénateur Moore : Et le serment d'Hippocrate, lui?

Le sénateur Mercer : La sénatrice Cordy a parlé d'une adolescente à qui on a refusé des soins de suivi au Nouveau-Brunswick après le traitement.

Au Québec, une femme s'est fait dire de retourner en Pologne pour obtenir des soins de suivi.

La sénateur Moore : C'est édifiant.

Le sénateur Mercer : En mars dernier, une femme de la Nouvelle- Écosse, qui avait obtenu le traitement un an et demi plus tôt, a tout simplement demandé à être vue par un chirurgien vasculaire pour un suivi de routine. On lui a refusé ce suivi.

Le sénateur Moore : C'est épouvantable.

Le sénateur Mercer : Beaucoup d'autres patients atteints de sclérose en plaques se font aussi refuser des soins de suivi. Or, les conservateurs qui siègent au comité ont affirmé qu'on a « agi rapidement » pour voir à ce que les Canadiens puissent recevoir des soins de suivi. De toute évidence, les conservateurs qui siègent au comité n'écoutent pas les patients atteints de sclérose en plaques et ne les ont jamais écoutés. On dirait bien qu'ils suivent seulement les ordres des jeunots du cabinet du premier ministre.

Honorables sénateurs, le Canada doit mettre en œuvre une stratégie nationale en ce qui concerne le traitement de l'IVCC chez les patients atteints de sclérose en plaques. Le gouvernement fédéral devrait réunir les provinces et les territoires afin de produire une stratégie nationale ayant pour objectif d'établir des lignes directrices et des pratiques nationales et de voir à ce que les patients puissent obtenir des soins de suivi adéquats.

Les Canadiens ne devraient pas se retrouver marginalisés par leur propre système de santé ou par leur gouvernement simplement parce qu'ils souhaitent améliorer leur qualité de vie.

Honorables sénateurs, je repense à la façon dont Ralph Klein abordait la politique. Il lui est souvent arrivé de déclarer : « Je suis désolé, nous avons fait une gaffe. Nous allons la corriger, et nous pourrons ensuite passer à autre chose. »

Je souhaite fortement, honorables sénateurs, que nous suivions son exemple. Alors que le Sénat est soumis à l'examen le plus intense qu'il ait connu depuis des décennies, pourquoi ne montrons-nous pas à la population que nous sommes ici pour écouter, pour discuter et pour aider les Canadiens qui ont besoin de notre soutien? Pourquoi les sénateurs d'en face s'amusent-ils à entretenir de basses querelles partisanes alors qu'il s'agit de l'enjeu le plus crucial qui soit pour toutes les personnes, la santé?

Le Sénat est sous un microscope depuis déjà plusieurs mois. Les gens remettent en question le rôle que nous jouons et s'interrogent sur des événements qui se sont produits ici. Nous sommes devant un déni de justice évident à l'endroit de 75 000 Canadiens atteints de sclérose en plaques.

Honorables sénateurs, nous devons agir pour régler ce problème. Nous devons agir dès maintenant. Nous devons dire aux personnes atteintes de sclérose en plaques : « Nous sommes désolés. Nous avons fait une gaffe, mais nous allons la corriger ».

(1220)

L'honorable Jane Cordy : Le sénateur Mercer accepterait-il de répondre à quelques questions?

Le sénateur Mercer : Oui.

La sénatrice Cordy : Je remercie le sénateur de son excellent discours. De toute évidence, il connaît la question de la sclérose en plaques sur le bout des doigts. On voit bien qu'il a lu le rapport, et que celui-ci ne correspond pas aux témoignages entendus au comité. Au nom des 75 000 Canadiens atteints de la sclérose en plaques, je remercie le sénateur Mercer de son intérêt et de l'appui qu'il leur manifeste.

Tout d'abord, le sénateur Mercer est-il d'avis que le comité aurait dû entendre le témoignage de personnes souffrant de la sclérose en plaques? Pense-t-il qu'il aurait été utile aux membres du comité d'entendre ce qu'ont à dire les patients qui ont subi une angioplastie veineuse?

Le sénateur Mercer a mentionné divers comités sénatoriaux qui ont déjà pu entendre le témoignage de personnes directement concernées par l'étude ou le projet de loi dont ils étaient saisis. Voit- il la moindre raison pour laquelle tous les sénateurs conservateurs ont voté de manière à réduire au silence les Canadiens atteints de la sclérose en plaques? Comprend-il pourquoi ils pourraient vouloir ainsi les réduire au silence?

Le sénateur Mercer : Je remercie la sénatrice Cordy de ses bons mots. Si j'ai pu me familiariser avec ce dossier, c'est grâce au temps que j'ai passé avec une enseignante de la Nouvelle-Écosse.

S'opposer à ce que les personnes atteintes de sclérose en plaques témoignent n'a aucun sens, pas plus que lorsque le Comité de l'agriculture a refusé d'entendre des agriculteurs au moment de l'étude du projet de loi sur la Commission canadienne du blé. Cela n'a pas plus de sens que de ne pas écouter les producteurs, les consommateurs ou les autorités de réglementation de l'industrie relativement à un projet de loi sur l'énergie. Cela n'a pas le moindre bon sens.

Lorsque la sénatrice LeBreton était dans l'opposition, elle avait l'habitude de dire au comité : « Pas de ministre, pas de projet de loi. » C'est un excellent principe. Nous avons beaucoup appris de la sénatrice, et nous suivons son exemple.

Ce principe s'applique dans le présent cas. Lorsque le comité débat d'une question qui touche un groupe de Canadiens bien précis, ici les personnes atteintes de la sclérose en plaques, on ne devrait pas lui permettre de conclure son étude sans que ces personnes aient comparu, car ce sont ces personnes qui sont malades et qui peuvent nous dire ce qu'elles vivent concrètement, ce qu'elles ont vécu et ce qu'elles craignent pour l'avenir. Nous avons la responsabilité de les écouter.

Pour répondre à la seconde question, j'ignore pourquoi une personne sensée s'opposerait à ce que les personnes atteintes de la sclérose en plaques témoignent au comité.

La sénatrice Cordy : Je remercie le sénateur Mercer de sa réponse. Je crois aussi que nous devrions écouter les Canadiens qui sont directement visés par l'étude que nous faisons.

J'ai moi aussi recueilli les commentaires de plusieurs de patients atteints de la sclérose en plaques. Je garde le contact avec plus de 2 000 Canadiens atteints de cette maladie. Mme Kirsty Duncan et moi-même avons beaucoup travaillé sur le sujet, et des gens des quatre coins du pays nous ont énormément aidées. Ce que je trouve le plus frustrant et le plus triste, c'est lorsque des Canadiens nous disent qu'ils ont subi cette intervention à l'étranger et qu'on refuse de les traiter quand ils reviennent au Canada.

Le sénateur Mercer a parlé de Roxane Garland. Cette dernière s'était rendue à l'hôpital parce qu'elle souffrait d'une infection et non en raison de sa sclérose en plaques, et on a tout de même refusé de la soigner à cause de l'intervention qu'elle avait subie à l'étranger. Lorsque sa santé s'est détériorée au point qu'il n'y avait plus rien à faire, on l'a amenée à l'hôpital, et elle y est décédée. C'est la sénatrice Jaffer qui nous a raconté cette histoire lorsqu'elle a parlé de la sclérose en plaques au Sénat.

J'ai entendu parler d'un jeune homme qui avait subi l'opération et dont le neurologue a refusé de s'occuper par la suite.

L'an dernier, à l'occasion d'un congrès en Alberta, je me suis entretenue avec une jeune femme qui avait parlé à son neurologue de la possibilité de subir l'opération et qui s'était fait répondre : « Si vous vous faites opérer, ne venez plus me voir. »

Le sénateur Mercer a mentionné le cas d'une femme de la Nouvelle-Écosse qui avait subi l'opération et se sentait bien. Elle voulait simplement qu'un spécialiste du système vasculaire voie si ses veines étaient toujours ouvertes, mais son médecin de famille l'a plutôt envoyée consulter un neurologue parce qu'elle était atteinte de sclérose en plaques. Feriez-vous appel à un électricien pour régler un problème de plomberie? Selon moi, ce n'est pas logique.

Nous sommes au Canada. Les Canadiens devraient-il se faire refuser des soins de suivi ici, au Canada?

Le sénateur Mercer : Les membres de la communauté médicale devraient avoir honte. Le serment d'Hippocrate est très clair : il est inadmissible de refuser des services à quelqu'un qui en a besoin. Je pense que quelque chose devrait être fait de ce côté. L'Association médicale canadienne devrait infliger des sanctions disciplinaires à ses membres qui refusent des services aux personnes atteintes de sclérose en plaques.

J'ai assisté à quelques-unes des rencontres organisées par Kirsty Duncan et la sénatrice. À l'une d'entre elles, un médecin américain a parlé de l'intervention. Il était radicalement contre; il disait qu'il ne voulait rien savoir de cette opération, qu'il trouvait horrible, jusqu'à ce qu'un membre de sa famille reçoive un diagnostic de sclérose en plaques. La personne a insisté pour se faire opérer. La famille a fini par fléchir et autoriser l'intervention. Ce médecin est maintenant l'un des plus ardents défenseurs de cette opération, parce qu'il en a vu les résultats.

Il faut sensibiliser non seulement nos collègues de l'autre côté qui n'ont pas permis aux personnes atteintes de sclérose en plaques de se faire entendre, mais également les membres de la communauté médicale. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de sensibiliser le public canadien, parce qu'à mon avis, il sait pertinemment que les personnes atteintes de sclérose en plaques auraient dû être entendues par le comité sénatorial.

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, au nom de la sénatrice Merchant, le débat est ajourné.)

Le gouverneur général

La commission nommant le suppléant du gouverneur général—Dépôt d'un document

Consentement ayant été accordé de revenir au dépôt de documents :

L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le certificat confirmant la nomination de Patricia Jaton à titre de suppléante du gouverneur général.

Droits de la personne

Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat

Consentement ayant été accordé de revenir aux préavis de motion :

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l'alinéa 5-5a) du Règlement, je propose :

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à siéger le mardi 25 juin 2013 et le mercredi 26 juin 2013, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application de l'article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

(1230)

La Loi sur la gestion des finances publiques

Projet de loi modificatif—Le vingt-quatrième rapport du Comité des finances nationales—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l'étude du vingt-quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales (Projet de loi S-217, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques (emprunts de fonds), avec une recommandation), présenté au Sénat le 20 juin 2013.

L'honorable Joseph A. Day propose que le rapport soit adopté.

— Honorables sénateurs, je suis conscient que nous siégeons un vendredi, et que nous devons lever la séance à 16 heures. Je tenterai donc d'être bref.

Les sénateurs constateront qu'au point no 2, on prévoit l'adoption d'un rapport renvoyé par le Comité des finances portant sur le projet de loi S-217, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques (emprunts de fonds).

J'aimerais attirer l'attention des honorables sénateurs sur les mots suivants, soit « avec une recommandation », qui sont entre parenthèses. Honorables sénateurs, d'après moi, c'est cette recommandation qui fera l'objet d'un débat dans cette enceinte.

Je présente maintenant ce rapport au Sénat en tant que président du comité. Je demanderai la permission aux sénateurs de changer de chapeau et d'aborder ce sujet en tant que membre du comité en temps et lieu.

En premier lieu, toutefois, en tant que président du comité, je souhaite que les sénateurs sachent en quoi consiste le rapport. La procédure adoptée diffère légèrement de ce dont nous avons l'habitude. Le projet de loi a été renvoyé au comité. Normalement, le comité parvient à un consensus et renvoie le projet de loi au Sénat. S'il y a des amendements à apporter, nous les expliquons. Sinon, le projet de loi passe immédiatement à l'étape de la troisième lecture.

Toutefois, lorsque le comité recommande que nous abandonnions l'étude du projet de loi — et par « nous », on entend l'ensemble du Sénat —, l'article 12 du Règlement exige que soient précisés les motifs de cet abandon.

C'est donc, honorables sénateurs, ce qui s'est passé en l'occurrence. Le comité n'a pas pu parvenir à un consensus, si bien que la question a été mise aux voix, et la majorité des membres qui ont voté au comité ont recommandé que le Sénat ne poursuive pas l'étude du projet de loi, diverses justifications ayant ensuite été données.

Honorables sénateurs, c'est une procédure qui diffère un peu de ce que nous voyons habituellement. Je dois admettre qu'il aurait été souhaitable, à mon avis, de passer à l'étape de la troisième lecture pour tenir un débat complet sur la question, en particulier compte tenu du sujet dont traite le projet de loi.

Avant de changer de rôle, j'explique aux sénateurs ce que contient le rapport, qui a été distribué hier. Essentiellement, le comité recommande que le Sénat ne poursuive pas l'étude du projet de loi en raison de divers éléments d'information obtenus et entendus par le comité.

Les deux premiers paragraphes parlent de renseignements reçus de fonctionnaires du ministère des Finances, tandis que le troisième expose des renseignements venant du ministère des Finances et de la Banque du Canada. Le quatrième paragraphe explique que la majorité des membres du comité sont convaincus que le projet de loi comporte une lacune grave. Or, la lacune en question n'a jamais été débattue et n'a été soulevée par aucun témoin. Et pourtant, elle est citée comme l'un des fondements de la décision de la majorité de formuler cette recommandation. Voilà ce qui résume la question. En guise de conclusion, le rapport dit ce qui suit :

La majorité du Comité est d'avis que le cadre du pouvoir d'emprunt qui est actuellement en vigueur atteint un équilibre approprié entre la nécessité de la surveillance parlementaire et des exigences en matière d'efficacité et de souplesse.

Les sénateurs comprendront donc que le projet de loi traite d'un pouvoir d'emprunt du gouvernement, et j'aimerais féliciter le sénateur Moore d'avoir porté la question à l'attention du Sénat. J'aurais aimé qu'elle soit débattue davantage, et je change maintenant de rôle afin d'indiquer aux sénateurs les raisons pour lesquelles je n'ai pas appuyé la position de la majorité dans ce dossier.

Mes arguments s'appuient sur deux aspects. Premièrement, nous devrions constamment nourrir le débat. Le Sénat devrait saisir toutes les occasions de tenir un débat, et un comité qui soutient que nous ne devrions pas le faire à l'étape de la troisième lecture va à l'encontre des principes fondamentaux...

Le sénateur Mitchell : Oui, on devrait le voir à la télévision.

Le sénateur Day : ... que nous défendons ici, honorables sénateurs. Nous avons eu un bref débat à l'étape de la deuxième lecture, et une journée pour entendre des témoins. Deux autres témoins qui ont recommandé de ne pas aller de l'avant n'ont pas été cités, et ils venaient de l'extérieur. Je parle de Mme Turnbull, professeure à l'Université Dalhousie, et de M. Devries, ancien fonctionnaire devenu consultant. Leur témoignage contredisait complètement ce que nous a dit le ministère des Finances.

Premièrement, je crois que nous devrions saisir toutes les occasions de poursuivre le débat. Je renvoie les sénateurs aux observations formulées par le comité lorsqu'il a fait rapport au sujet du projet de loi C-377. Le comité a été très préoccupé par ce qui est ressorti des témoignages entendus, et il se demande s'il faut aller de l'avant avec le projet de loi. Cependant, il a dit ne pas avoir proposé d'amendement parce qu'il serait préférable que les questions importantes qui ont été soulignées soient débattues par l'ensemble du Sénat.

Voilà mon premier argument. Je suis tout à fait de l'avis de ce comité, et je crois que c'était une très sage recommandation. Nous pourrions invoquer toutes sortes de motifs pour ne pas aller de l'avant ou proposer des amendements, mais nous croyons que ces questions fondamentales devraient être débattues par l'ensemble du Sénat.

Quel était le problème fondamental dans ce cas-ci? Il est essentiellement question de notre rôle en tant que sénateurs. Il est question d'autoriser le gouvernement à emprunter des fonds pour mener ses activités. Avant 2007, ce pouvoir relevait du Parlement. À Runnymede, nos ancêtres ont défendu leur droit de contrôler les dépenses qui étaient engagées par le gouvernement de l'époque, c'est-à-dire la Couronne. Le gouvernement représente la Couronne. Nous examinons les projets de loi d'exécution du budget et les projets de loi de crédits parce que nous sommes ceux qui autorisent les dépenses du gouvernement.

L'emprunt de fonds est le corollaire de cette autorisation. Si nous ne contrôlons pas l'emprunt de fonds, nous renonçons à la moitié d'un des droits fondamentaux du Parlement. C'est la raison pour laquelle le sénateur Moore a proposé son projet de loi, le projet de loi S-217. Ce droit de regard a été retiré en 2007, sans qu'on en débatte, parce que cette mesure était invisible, enfouie dans un projet de loi omnibus. On cherche maintenant à rétablir cette disposition afin de rendre au Parlement un de ses droits fondamentaux.

(1240)

Voilà ce que contient le projet de loi. Affirmons-nous maintenant ne pas vouloir en débattre davantage? Ne pensons-nous pas que le Sénat devrait débattre de cette question fondamentale, honorables sénateurs?

J'ai une deuxième raison de proposer que l'on rejette le rapport. Si le rapport du comité n'est pas adopté, le projet de loi demeure au Feuilleton. S'il est adopté, cependant, il en sera retiré. Nous sommes au bord du gouffre, et nous débattons du sort du projet de loi. Nous pouvons discuter de la façon dont il se présentera à l'avenir, mais d'abord il faut rejeter la motion pour ne pas que le projet de loi disparaisse. Je répète encore ma position, soit que cette question fondamentale mérite d'être débattue davantage. Elle touche à l'essence même de notre rôle en tant que parlementaires.

Pensez-y : si l'exécutif a le droit d'emprunter de l'argent quand bon lui semble, comme c'est actuellement le cas, il a le pouvoir d'acculer le pays à la faillite. Il pourrait emprunter sans arrêt et sans l'approbation du Parlement. Il pourrait le faire sans consulter le Parlement, qui sera responsable si le pays fait faillite ou si on emprunte trop d'argent. C'est le Parlement, et notamment la Chambre des communes, qui portera le blâme, alors que nous n'avons aucun contrôle sur les sommes empruntées.

Fondamentalement, la question mérite une certaine considération. D'ailleurs, le projet de loi devrait être adopté; il devrait être accepté et présenté à nouveau.

Bien sûr que nous en aurions des échos du ministère des Finances et de la Banque du Canada. Ce sont des hauts fonctionnaires et ils trouvent la démocratie bien encombrante. Nous l'avons vu et nous le voyons à répétition dans les projets de loi d'exécution du budget. Ils ne veulent pas des mesures que nous proposons pour surveiller leurs activités. Le dernier cas en date est celui des honoraires qu'ils facturent pour des services. Ils ne veulent pas de cette loi, car ils ne veulent pas être liés par les contraintes que le Parlement juge indiquées.

En voici un autre : ils ne veulent pas devoir s'adresser au Parlement pour demander la permission de faire des emprunts. Ils ne veulent pas avoir à préparer les documents pour justifier leur intention. Ils disent : « Vous pourrez trouver l'information après coup. Vous pourrez regarder dans le Rapport sur la gestion de la dette qui sera produit. Six mois après que l'emprunt aura été contracté, vous pourrez vérifier combien nous avons emprunté. »

Notre travail ne consiste pas à simplement commenter après coup les mesures prises. Nous devrions intervenir dès le début en examinant le budget des dépenses. Nous devrions aussi nous occuper de la question des emprunts, comme nous l'avons fait jusqu'en 2007.

Ce sont là les raisons, honorables sénateurs, pour lesquelles j'estime que le projet de loi S-217, présenté par le sénateur Moore, devrait être accepté, mais plus important encore, à ce stade-ci, que le rapport du Comité des finances devrait être rejeté, de sorte que l'étude du projet de loi et le débat puissent se poursuivre ici jusqu'à ce que nous déterminions ce qui devrait en advenir, plutôt que le rejeter au moyen de cette procédure.

L'honorable Pierrette Ringuette : Le sénateur répondrait-il à une question?

Le sénateur Day : Oui, merci.

La sénatrice Ringuette : Je faisais partie du Comité des finances lors de l'étude du projet de loi C-2, la Loi fédérale sur la responsabilité, au début de 2006. Je faisais aussi partie de ce comité lorsque nous avons vu apparaître les projets de loi omnibus de quelque 800 et 900 pages, au sujet des finances.

Je siège maintenant au Comité des banques, où l'on discute du projet de loi C-377, qui serait dans l'intérêt de la transparence et de la reddition de comptes, selon certains sénateurs conservateurs. Je trouve assez étrange et insultant que, dans un rapport majoritaire, les membres de ce comité affirment que le Parlement et le gouvernement actuel n'ont pas d'obligations en matière de transparence ou de reddition de comptes en ce qui concerne le pouvoir d'emprunt.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président intérimaire : Sénateur Day, avant que vous commenciez à répondre, je regrette de vous informer que votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous demander plus de temps pour répondre?

Le sénateur Day : Je me demande si les sénateurs m'accorderont du temps pour répondre à cette question. Je ne crois pas qu'il y en ait d'autres.

Son Honneur le Président intérimaire : Est-on disposé à accorder cinq minutes de plus, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Day : Je remercie la sénatrice Ringuette de ses commentaires. Nous gardons de très bons souvenirs de sa participation au Comité des finances et nous espérons qu'en temps et lieu elle pourra se joindre à nous de nouveau. Nous l'avons envoyée à l'équipe-école sur les banques pour qu'elle nous revienne avec de nouvelles idées.

Quelle était la question?

Tout ce que la sénatrice a déclaré était absolument exact.

L'honorable Joan Fraser (leader adjoint suppléant de l'opposition) : J'ai une question à poser. Le sénateur Day se souviendra peut-être mieux que la plupart d'entre nous — quoique les allocutions ont été mémorables — des propos de notre ancien collègue, le sénateur Lowell Murray, qui parlait souvent du fait que le Parlement avait perdu le contrôle des cordons de la bourse. Que dirait-il de ce rapport, à votre avis?

Le sénateur Day : Je remercie la sénatrice. Je sais que le sénateur Lowell Murray est bien au courant de ce projet de loi. Il a fait partie du Comité des finances nationales pendant plusieurs années, et il a également présidé ce comité pendant bien des années.

Le sénateur Murray a lui aussi été informé à la dernière minute du retrait de l'exigence prévoyant qu'il est nécessaire de s'adresser au Parlement pour faire un emprunt. Il était alors trop tard pour faire quoi que ce soit. L'affaire était dans le sac. Il a d'abord été renversé de constater qu'une telle chose pouvait se produire et qu'elle se produisait de cette façon.

Le sénateur Tommy Banks a lui aussi participé de près à ce processus. En complimentant et en remerciant le sénateur Moore d'avoir soulevé cette question, nous remercions aussi ces deux autres sénateurs du travail qu'ils ont accompli afin que cette question demeure d'actualité et nous les remercions de nous l'avoir rappelée.

Je vais parler des deux autres témoins, car leur point de vue correspond bien à celui du sénateur Lowell Murray, qui est demeuré inchangé au fil du temps. L'un des témoins, Mme Turnbull, de l'Université Dalhousie, a souligné que chaque fois qu'on apporte un tel changement, on le justifie en prétendant qu'il est nécessaire d'améliorer l'efficacité et la rapidité de la fonction publique. C'est exactement l'argument qu'on a fait valoir dans le cas présent, et elle nous a dit qu'un tel argument va à l'encontre du rôle fondamental du Parlement. Elle a mentionné que nous cherchons toujours à atteindre l'équilibre et à faire preuve d'efficacité, mais que la surveillance est tout aussi importante. Elle a aussi déclaré que l'équilibre existe, mais que beaucoup de choses qui se sont produites dernièrement — cette mesure en étant un bon exemple — vont à l'encontre du rôle du Parlement, qui consiste à approuver les emprunts, et fait pencher la balance beaucoup plus en faveur de la fonction publique et de l'exécutif que du Parlement. Je crois que cela répond également à la question de la sénatrice Ringuette.

(1250)

L'honorable Maria Chaput : Honorables sénateurs, je tiens à féliciter le sénateur Moore d'avoir présenté le projet de loi S-217 et d'avoir piloté ce dossier avec tout l'engagement et toute l'attention voulus. Merci beaucoup, sénateur.

[Français]

Le projet de loi S-217, je peux l'affirmer sans hésitation, diffère des autres projets de loi que nous voyons au Sénat. La question qu'il aborde, soit la supervision par le Parlement du pouvoir d'emprunt du gouvernement, touche au cœur même de la démocratie parlementaire.

Je vous rappelle ce dont il est question ici. Depuis le premier budget omnibus de 2007, le Parlement a perdu sa responsabilité — son immense responsabilité — d'approuver les emprunts du gouvernement fédéral. Ce changement faisait partie du projet de loi omnibus de 2007. Nous ne parlons pas d'un changement insignifiant des pratiques du gouvernement. C'est, au contraire, un changement fondamental qui est passé inaperçu en 2007, à l'exception des sénateurs Murray et Moore qui ont tous deux voulu rectifier la situation, mais sans succès.

[Traduction]

Voici ce qu'a déclaré Lori Turnbull, professeure adjointe à l'Université Dalhousie, lorsqu'elle a comparu devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales :

Le projet de loi vise à redonner au Parlement le pouvoir d'approuver des dépenses [...] c'est essentiellement la raison d'être du Parlement, surtout lorsqu'on considère les choses dans un contexte historique. Si nous avons un Parlement, c'est d'abord et avant tout parce que nous voulons qu'il approuve les sommes déboursées et perçues [...] Le fait de dépenser sans obtenir l'approbation préalable du Parlement semble déroger aux principes de la responsabilité gouvernementale, selon lesquels le gouvernement doive bénéficier de l'appui de la Chambre pour mettre ses intentions à exécution; autrement, ses actions n'ont aucune légitimité.

Le moins qu'on puisse dire relativement à ce projet de loi, c'est que les enjeux sont considérables. La question méritait d'être étudiée sérieusement au lieu de faire l'objet d'un rapport rédigé de manière à justifier ce qui avait été décidé d'avance.

[Français]

Parce qu'il ne faut pas se faire d'illusions, le rapport du Comité des finances nationales est un rapport rédigé non pas en fonction des témoignages que nous avons entendus, mais bien en fonction d'une décision prise à l'avance de rejeter le projet de loi.

[Traduction]

Selon moi, c'est un affront à notre fonction de sénateurs. Un travail législatif aussi approfondi exige et mérite une étude tout aussi approfondie. C'est grave. C'est très grave. En 2007, le Parlement a malheureusement abdiqué son rôle traditionnel à l'égard de la supervision du pouvoir d'emprunt de l'État, mais, aujourd'hui, il abdique même son rôle consistant à examiner la question sérieusement.

Le rapport du comité ne reflète pas parfaitement les témoignages entendus. Il s'appuie sur les témoignages qui conviennent à la conclusion décidée d'avance.

Le rapport n'indique pas que certains témoins ont expliqué que, au milieu des années 1990, alors que le Canada traversait une crise économique aussi grave que celle que nous venons de connaître, il a été possible de présenter au Parlement une Loi sur le pouvoir d'emprunt prévoyant une transparence totale et avec tout ce qui s'y rattache. Il ne rend pas compte non plus du témoignage que nous avons entendu, et dont j'ai cité un extrait plus tôt, au sujet de l'importance fondamentale d'une surveillance par le Parlement des dépenses du gouvernement.

Honorables sénateurs, disons-le franchement : le projet de loi S- 217 a été conçu pour rétablir la responsabilité et la transparence qui existaient au Canada avant 2007, mais le gouvernement a décidé que ce n'était pas nécessaire.

Qui peut dire sans rire que la situation du Canada était pire avant 2007 parce que les emprunts de l'État faisaient l'objet d'une surveillance? Je pense qu'aucune étude sérieuse du projet de loi n'aurait pu conduire à une telle conclusion.

[Français]

Malheureusement, une telle étude n'a pas eu lieu. Les témoins que nous avons entendus méritent nos remerciements. Ils auraient aussi mérité que le rapport du comité reflète leurs témoignages.

Je ne puis, en toute bonne conscience, appuyer une telle démarche. Je n'appuie pas le rapport. Je n'appuie pas la décision de ne pas procéder à l'étude du projet de loi S-217. Les Canadiens méritent un Parlement qui, s'il n'est pas en mesure de surveiller les dépenses gouvernementales, peut au moins procéder à une étude sérieuse des textes législatifs.

[Traduction]

Je félicite encore une fois le sénateur Moore d'avoir mis cette question à l'ordre du jour. Je sais que ce n'est pas la dernière fois que nous en entendrons parler, et je suis convaincue que les Canadiens lui seront éternellement reconnaissants de son apport.

Son Honneur le Président intérimaire : Le sénateur Dallaire a une question. Sénatrice Chaput, acceptez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Chaput : Oui.

[Français]

L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Honorables sénateurs, nous avons encore un peu de temps et je voulais porter à votre attention une citation d'un grand homme, qui soutient le raisonnement du sénateur Day et de la sénatrice Chaput sur la responsabilité du Parlement dans les décisions de cette nature. Voici donc cette citation.

[Traduction]

Elle est tirée d'un ouvrage intitulé Eugene Forsey, Canada's Maverick Sage. Je serai bref, mais nous avons encore du temps. On peut donc y lire :

L'œuvre d'Eugene Forsey était essentiellement conservatrice. Comme pour la plupart d'entre nous, il a généralement conservé tout au long de sa vie l'idéologie politique qu'il s'était forgée dans sa jeunesse.

Pourtant, il a siégé à titre de sénateur indépendant.

C'est ce que je veux montrer avec cet argument :

Les structures, les pratiques et les contraintes qui encadrent le pouvoir politique sont le reflet des objectifs et des valeurs qui rendent le pouvoir tolérable et nécessaire à l'ère moderne de la liberté. Les décisions prises par souci de commodité et d'efficacité nous ramènent souvent à un état obscur et dangereux. La société politique canadienne est organique et a été façonnée par des besoins et des contextes précis qui correspondent à nos valeurs fondamentales. Lorsque nous cherchons à résoudre des problèmes ou à faire des gains politiques en nous éloignant des règles constitutionnelles, nous risquons de perdre les liens essentiels et fondamentaux de l'État avec la légitimité et l'histoire.

Madame la sénatrice, ne convenez-nous pas qu'il s'agit là d'un argument solide qui va à l'encontre de la suppression du projet de loi?

[Français]

La sénatrice Chaput : Honorables sénateurs, je suis tout à fait d'accord avec ce que le sénateur vient de nous lire; en effet, ce sont des paroles très sages. Je n'ai pas autant d'expérience que plusieurs d'entre vous, mais ce qui retient mon attention, c'est que nous sommes en présence de deux pôles totalement opposés; d'un côté, nous avons la démocratie et, de l'autre côté, l'efficacité. Je constate malheureusement que l'on prône l'efficacité au détriment de la démocratie dans ce cas-ci. Cela me fait peur.

Je vous remercie de votre question.

[Traduction]

L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, je joins ma voix à celle de mes collègues libéraux pour m'opposer au rapport qui a été déposé.

Premièrement, je veux remercier le sénateur Moore d'avoir proposé cet important projet de loi, ainsi que les anciens sénateurs Lowell Murray et Tommy Banks de leurs travaux dans ce domaine.

Il est vraiment désolant que le Sénat ne puisse pas discuter à l'étape de la troisième lecture d'un projet de loi aussi important, qui redonnerait ou restituerait au Parlement la surveillance des emprunts.

Le rapport est tendancieux et ne se rapproche même pas de ce que les témoins avaient à dire. Je comprends que le rapport expose simplement les raisons données pour ne pas procéder à l'étude article par article et ne vise pas à résumer directement ce que nous avons entendu.

Le Comité des finances nationales a entendu deux groupes de témoins. Le rapport ne tient aucunement compte du deuxième groupe. À le lire, on ne saurait même pas que le comité a entendu ces personnes. Les témoins ont vertement critiqué la décision de retirer au Parlement son droit de regard sur les emprunts contractés par l'État. Ils étaient très favorables au projet de loi du sénateur Moore.

(1300)

Ce projet de loi annule un changement qui a été effectué en 2007 et qui était dissimulé dans un projet de loi d'exécution du budget de 770 pages. Une seule ligne de ce projet de loi a fait disparaître une tradition vieille de 140 ans. Le ministre des Finances n'a plus besoin de l'autorisation du Parlement pour emprunter de l'argent. Dans un système parlementaire comme le nôtre, c'est fondamentalement inadmissible.

Le sénateur Moore l'a expliqué avec une grande élégance dans son témoignage. Voici ses paroles :

Pendant 140 ans, de 1867 à 2007, les gouvernements et les ministres comprenaient et observaient les conventions importantes entourant les décisions d'emprunter et de dépenser de grosses sommes d'argent. C'est l'essence même et le point focal de ce qui s'est produit à Runnymede, en 1215, lorsque le concept de gouvernement responsable a vu le jour. Étant donné que la démocratie canadienne repose sur cette convention importante et sur le concept de gouvernement responsable, il est étonnant d'entendre le gouvernement prétendre que court-circuiter le Parlement du Canada aura pour effet d'accroître la transparence et de renforcer l'obligation de rendre des comptes.

Je suis tout à fait du même avis que le sénateur.

Il n'y a rien de plus fondamental ou de plus transparent que de se présenter devant le Parlement, au nom des Canadiens, et de demander l'autorisation d'emprunter de l'argent.

Voici maintenant le point de vue concordant de Mme Lori Turnbull, professeure à l'Université Dalhousie et experte du parlementarisme, au sujet du projet de loi S-217 :

Le projet de loi vise à rétablir le pouvoir du Parlement d'autoriser les dépenses. Pour beaucoup de gens qui font le même genre de travail que moi et qui étudient le parlementarisme, ce pouvoir est en quelque sorte la première raison pour laquelle le Parlement existe, en particulier lorsqu'on envisage la question sous l'angle historique. Nous avons un Parlement avant tout parce que nous voulons que le gouvernement ne puisse dépenser de l'argent et lever des impôts qu'avec l'autorisation du Parlement. C'est la raison historique pour laquelle le Parlement existe. Dépenser de l'argent sans l'autorisation du Parlement semble être contraire au principe du gouvernement responsable, qui signifie que le gouvernement a besoin de l'appui de la Chambre pour pouvoir prendre les mesures qu'il souhaite. Ne pas respecter ce principe signifie que le gouvernement n'agit pas en toute légitimité. Un gouvernement qui agit hors du cadre des autorisations données par le pouvoir législatif, en particulier lorsqu'il est question d'argent, ne respecte pas ce qu'on attend de lui dans un système parlementaire.

Le rapport dont nous sommes saisis ne tient même pas compte de ces excellents arguments, que les gens du deuxième groupe ont fait valoir.

Si le gouvernement refuse de faire marche arrière, c'est essentiellement parce que les règles actuelles lui ont permis de réagir rapidement à la crise financière de 2008, ce qu'il n'aurait pas pu faire lorsque les anciennes règles s'appliquaient. Or, je n'accepte pas ce raisonnement, et le témoin, Peter Devries, qui travaillait au ministère des Finances, ne l'a pas accepté non plus. Voici ce qu'il a dit au sujet de ce qui s'est passé au début des années 1990 :

Selon moi, cette situation était aussi extrême que celle que nous venons de connaître. Nous nous en sommes sortis grâce à la Loi sur le pouvoir d'emprunt. Nous avons pu faire adopter une telle loi au Parlement. Nous avons pu gérer nos finances pendant une période très difficile.

Beaucoup de gens travaillaient jour et nuit dans le bureau de Wayne Foster pour surveiller la situation de près et s'assurer que nous avions assez de fonds pour payer les factures et ne pas être en défaut de paiement.

Nous avons pu nous en sortir tout en étant complètement transparents et en répondant aux autres exigences.

Nous sommes dans une situation où nous aurions pu faire adopter le budget de 2009 aux termes de la Loi sur le pouvoir d'emprunt Il n'y a aucune raison pour laquelle nous ne le pourrions pas.

Honorables sénateurs, nous avons survécu 140 ans et surmonté deux guerres mondiales et bien d'autres problèmes financiers grâce aux anciennes règles. Il est exagéré de dire que ces règles n'auraient pas fonctionné en 2008.

Pour le gouvernement conservateur, le Parlement n'est ni plus ni moins qu'un obstacle à contourner pour pouvoir arriver à ses fins. Ce changement apporté en 2007, supposément par souci d'efficacité, n'en est qu'un autre exemple.

Voici cependant ce que Mme Turnbull a dit au comité :

[...] Je crois que nous pouvons soutenir que le gain d'efficacité se fait peut-être trop aux dépens de la démocratie, et que nous voyons disparaître le contrepoids salutaire qui est censé exister en tout temps, et dont le maintien est toujours bénéfique pour tous.

Honorables sénateurs, le rapport dont nous sommes saisis ne révèle que la moitié des faits. L'autre moitié présente un point de vue très différent. Notre processus démocratique semble s'écrouler lentement sous le poids des projets de loi omnibus de 700 pages, de la clôture du débat et de la prorogation. Le projet de loi S-217 permet de renforcer l'un de ces piliers en ruine, ce qui est, selon moi, d'une importance capitale.

Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d'autres interventions? Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(Sur la motion de la sénatrice Buth, le débat est ajourné.)

[Français]

L'étude sur la cohésion et l'inclusion sociales

Adoption du vingt-sixième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie et demande de réponse du gouvernement

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Eggleton, C.P., appuyée par l'honorable sénateur Robichaud, C.P., que le vingt-sixième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, intitulé Réduire les obstacles à l'inclusion et à la cohésion sociales pour lutter contre la marginalité, déposé au Sénat le 18 juin 2013, soit adopté et que, conformément à l'article 12-24(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, la ministre des Ressources humaines et Développement des compétences Canada étant désignée ministre chargée de répondre à ce rapport.

L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, le débat est ajourné au nom du sénateur Segal et ce dernier m'avise qu'il ne désire pas prendre la parole. Si aucun intervenant n'a l'intention de prendre la parole, nous pouvons procéder au vote sur la question.

[Traduction]

Son Honneur le Président intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président intérimaire : L'honorable sénateur Eggleton, C.P., avec l'appui de l'honorable sénateur Robichaud, C.P., propose que le vingt-sixième rapport du Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, intitulé Réduire les obstacles à l'inclusion et à la cohésion sociales pour lutter contre la marginalité...

Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Suffit!

Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter le rapport?

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

(1310)

Règlement, procédure et droits du Parlement

Le huitième rapport du comité—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l'étude du huitième rapport du Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement (rapport sur un cas de privilège concernant la comparution d'un témoin devant un comité), présenté au Sénat le 20 juin 2013.

L'honorable David Braley propose que le rapport soit adopté.

— Honorables sénateurs, ce rapport porte sur le cas de privilège qui a été renvoyé au comité le 8 mai 2013 à la suite d'une décision de la présidence.

J'aimerais tout d'abord souligner que le comité a mené un examen approfondi, rapide et, plus important encore, toujours dans un esprit de collaboration. Le rapport est donc le fruit d'un consensus entre les membres du comité. Il repose sur un examen minutieux de plusieurs enjeux complexes. Grâce à notre travail d'examen et de collaboration, nous sommes parvenus à une conclusion juste, appropriée, adaptée aux circonstances et qui protège les droits du Parlement.

J'aimerais rappeler les événements qui ont mené à cet examen. Le sénateur Cowan a soulevé une question de privilège quand il a appris, dans les médias, que le caporal Beaulieu — un membre de la GRC qui devait témoigner au nom de l'Association canadienne de la police montée professionnelle devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense — ne témoignerait pas. J'aimerais préciser que l'association en question représente des agents de la GRC mais ne joue pas, envers eux, le rôle d'un agent négociateur accrédité ou d'un syndicat.

Son Honneur a déterminé qu'il y avait bel et bien cas de privilège. Le comité a donc entrepris d'obtenir des renseignements supplémentaires, de manière à établir les faits et à comprendre ce qui s'était passé. C'est dans cette optique qu'il a jugé nécessaire d'entendre plusieurs témoins représentant la division du Pacifique de la GRC, ainsi que le caporal Beaulieu lui-même.

Le comité a entendu le témoignage du caporal Beaulieu, de son superviseur immédiat, le sergent d'état-major Reid, du surintendant principal deBruyckere, de la Dre Isabelle Fieschi et du commissaire adjoint Gilles Moreau.

Votre comité a demandé à la GRC de lui fournir toutes les communications écrites concernant cette affaire, ainsi que d'autres preuves documentaires. Je signale que la GRC a été très coopérative. De plus, la GRC a facilité la comparution des témoins devant votre comité.

Comme le précise notre rapport, la question était de savoir si la Gendarmerie royale du Canada avait empêché le Parlement de s'acquitter du mandat que lui confère la Constitution et avait entravé le travail du Comité de la sécurité nationale et de la défense chargé d'examiner un projet de loi en particulier.

Le rapport souligne l'importance des droits historiques du Parlement de mener ses travaux sans ingérence. Ces droits découlent d'une longue de lutte entre le Parlement britannique et la Couronne. Le Parlement est sorti victorieux de cette lutte et sa suprématie, protégée par certains privilèges et droits, a été établie. Notre Parlement peut aujourd'hui se prévaloir de ces droits, lesquels sont enchâssés dans la Loi constitutionnelle de 1867, dans le préambule et l'article 18.

Le Parlement a besoin de ces droits pour s'acquitter de ses responsabilités démocratiques. Ces droits s'appliquent également à nos concitoyens, mais la plupart ne le savent pas. En participant, en tant que témoins, aux travaux parlementaires, les Canadiens peuvent participer au processus démocratique et contribuer à l'important travail accompli par le Sénat et la Chambre des communes.

Le comité a examiné attentivement le témoignage livré par tous les témoins qui ont comparu, ainsi que les preuves documentaires fournies. Votre comité a conclu ceci :

Premièrement, le caporal Beaulieu a déclaré qu'il s'était senti intimidé par les mesures prises par son superviseur immédiat, le sergent Reid, et qu'il n'avait pas participé à la réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.

Deuxièmement, le témoignage du sergent Reid révèle qu'il a agi conformément aux politiques de la GRC sur les déplacements lorsqu'un employé est en congé de maladie.

Cela a eu pour effet d'empiéter sur le droit du Parlement d'entendre le témoignage d'un citoyen canadien. Un comité a été privé de son droit d'entendre un témoin de son choix et on a privé un Canadien de son droit de participer aux délibérations du Parlement.

Tout en reconnaissant les fonctions importantes assumées par le Parlement et la nécessité de demeurer vigilants pour protéger les droits de celui-ci, le comité a aussi tenu compte des faits et des preuves spécifiques à cette affaire. Le comité a conclu qu'en dépit de l'empiètement sur les droits du Parlement, les travaux du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense n'avaient pas été indûment entravés, puisqu'un collègue du caporal Beaulieu, le président de l'Association de la police montée, avait été en mesure de témoigner devant le comité.

De plus, le Comité du Règlement considère pertinent de noter que la GRC a facilité la comparution du caporal Beaulieu devant le comité dans le cadre de l'examen de ce cas de privilège.

Enfin, les membres du comité considèrent d'une grande importance le fait que la GRC ait signalé qu'elle a tenu compte des préoccupations du comité et pris les mesures visant à faciliter l'examen des futures demandes du Parlement.

Pour conclure, le comité considère qu'il est inutile d'étudier davantage ce cas de privilège.

Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, y a- t-il des questions ou quelqu'un désire-t-il prendre la parole?

L'honorable Roméo Antonius Dallaire : J'ai une question, si le sénateur accepte d'y répondre.

Le sénateur Braley : Je tenterai de le faire.

Le sénateur Dallaire : Ce sont les sénateurs de notre côté qui ont convoqué le caporal Beaulieu. J'ai appris dans les médias qu'il ne pouvait se présenter. Nous n'avions aucun moyen de redresser la situation, car la nouvelle nous est parvenue trop tard pour que nous puissions intervenir auprès de la GRC afin de lui faire prendre conscience qu'elle avait commis une bévue, comme l'a reconnu le comité.

Le sénateur a tout à fait raison; l'étude n'a pas été compromise par l'absence du caporal Beaulieu, puisque son patron de l'association a pu témoigner. Je ne m'oppose pas à ce que le comité en vienne à la conclusion que la GRC va mettre de l'ordre dans ses affaires, qu'elle va adopter de nouvelles procédures afin de garantir qu'une telle chose ne se reproduise plus jamais, surtout en ce qui concerne les membres blessés, qui ne sont pas nécessairement toujours disponibles.

Je me soucie notamment des mesures de suivi que prendra la direction de la GRC, qui a déjà démontré aux membres de l'organisation qu'elle est disposée à prendre des mesures radicales, allant même jusqu'à empiéter sur leur droit de comparaître devant le comité. Qu'est-ce que la direction a laissé entendre aux membres de la GRC — qui savent tous ce qui s'est passé — pour alléger leurs craintes, étant donné que leur souhait de tout risquer à nouveau constitue pour eux un désavantage extraordinaire?

Le sénateur peut-il nous dire si, en plus d'avoir donné une réponse purement technique, la direction s'est prononcée sur ses responsabilités?

Le sénateur Braley : Le commissaire adjoint était présent et nous a annoncé qu'il s'intéresserait tout particulièrement à ce qui s'était passé et que la direction entendait apporter les changements nécessaires pour donner priorité absolue au privilège de témoigner devant les comités.

Le sénateur Dallaire : Le sénateur est un chef de file dans l'industrie; il sait comment gérer et régler un problème; c'est en appliquant des principes de gestion qu'on le gère et c'est en faisant preuve de leadership qu'on le règle.

C'est une chose d'affirmer qu'on adoptera et mettra en œuvre tous les processus nécessaires, mais c'est une toute autre chose pour le patron, qui est responsable de la situation actuelle, d'affirmer publiquement que la décision a été prise sous sa direction, qu'il en est responsable et qu'il reconnaît, pour le bien de l'organisation et pour le moral des troupes, qu'il a mal agi et que ce qui s'est passé ne devrait pas s'être passé, qu'il prendra personnellement des mesures en sa qualité de leader, de commissaire, pour qu'une telle chose ne se reproduise plus et qu'il reconnaît qu'ils font plus que modifier un simple processus administratif.

Le sénateur n'est-il pas d'avis que le rapport aurait également dû exiger cela du commissaire lui-même?

Le sénateur Braley : Tout ce que je peux dire, c'est que le commissaire n'a pas comparu devant le comité; nous avons entendu le commissaire adjoint, qui nous a dit ce qui serait fait et nous l'avons cru.

Son Honneur le Président intérimaire : Y a- t-il d'autres questions ou observations avant que nous poursuivions le débat?

L'honorable Joseph A. Day : Je remercie le sénateur de ce rapport. J'aimerais savoir sur quoi il s'est fondé pour conclure que cela n'a pas eu pour effet de nuire aux travaux du Comité de la sécurité nationale et de la défense et que nous avons tout de même pu tirer les mêmes conclusions que celles auxquelles nous serions parvenus si le témoin avait comparu. Je vous ai entendu dire que quelqu'un d'autre, un ami ou le patron du caporal Beaulieu, avait témoigné, mais il va de soi que chaque personne qui comparaît témoigne de sa propre expérience. Nous n'avons jamais vraiment eu l'occasion d'entendre ce témoin, comment alors avez-vous pu conclure que nos travaux et la rédaction du rapport n'ont pas été entravés?

(1320)

Le sénateur Braley : Je me fie à mes notes à l'heure actuelle, et je répondrai donc du mieux que je peux selon ce dont je me souviens.

Le sénateur Dallaire a dit il y a quelques instants, dans le préambule de sa question, que les travaux n'avaient pas été entravés. En outre, M. Beaulieu n'a jamais dit que son témoignage aurait eu une incidence quelconque sur le comité, parce que le président de l'association était là.

Le sénateur Day : Le témoin ne sait pas quelles questions lui auraient été posées ni comment il y aurait réagi, parce qu'il n'a jamais eu l'occasion de nous parler.

Le sénateur Braley : Vous avez raison. À mon avis, et c'est strictement mon opinion personnelle, après ce que j'ai entendu, M. Beaulieu connaît bien le président de l'association, et il lui a parlé à de nombreuses reprises au cours des sept ou huit jours séparant les séances.

L'honorable Joan Fraser (leader adjoint suppléant de l'opposition) : Honorables sénateurs, je veux simplement ajouter deux ou trois observations avant que le débat soit ajourné au nom du président du comité, le sénateur Smith, qui n'est pas ici en ce moment.

Premièrement, je tiens à rendre hommage au sénateur Braley, au sénateur Furey et au sénateur Smith d'avoir réussi, à force de négociations, à produire un rapport que tous les membres du comité ont pu appuyer. Le rapport du Comité du Règlement a été adopté à l'unanimité. Nous estimions tous qu'il était important de parvenir, si possible, l'unanimité. Le sénateur Comeau a aussi participé au débat, ainsi que le sénateur White et d'autres sénateurs ici présents.

Comme la plupart des sénateurs le savent trop bien, il y a peu de questions plus complexes à traiter que celles se rapportant au privilège et à l'outrage. Ce sont des questions extrêmement complexes. Elles semblent initialement simples mais, à chaque minute qui passe, on se rend compte que ce n'est pas le cas. Ces questions sont invoquées depuis 800 ans et, à ma connaissance, elles n'ont jamais vraiment de réponses faciles.

Nous avons travaillé très fort dans ce dossier, et je vais répondre à quelques questions qui ont été posées pour renforcer l'argument soulevé par le sénateur Braley. Le caporal Beaulieu avait été invité à comparaître devant le Comité de la défense en tant que représentant de l'Association canadienne de la police montée professionnelle, ou ACPMP, en compagnie du président de cette association. Le caporal n'a pas obtenu la permission de voyager, mais le président de l'association, Rae Banwarie, est venu.

Le sénateur Day : Oui.

La sénatrice Fraser : Personne, peu importe son opinion sur cette affaire, ne semblait croire que M. Banwarie n'avait pas été en mesure de représenter pleinement la position de l'ACPMP. Le caporal Beaulieu n'avait pas été invité à titre personnel. Il devait comparaître comme membre de la délégation de l'ACPMP.

Cela ne change pas le fait qu'on ne lui a pas accordé le droit de voyager, et c'est ce qui nous a préoccupés. Nous ne sommes pas le Comité de la défense. Ce qui nous préoccupait essentiellement — et le sénateur Joyal me corrigera si je me trompe —, c'est que son droit de voyager avait été nié. Les travaux d'un comité sénatorial avaient été entravés et les droits du Parlement avaient été enfreints parce qu'on avait empêché le Sénat, en l'occurrence l'un de ses comités, de faire comparaître les témoins qu'il souhaitait entendre.

Cela étant dit, la deuxième question consistait à déterminer s'ils avaient tiré leçon de ce qui est arrivé et s'ils vont modifier leurs procédures. Je pense que la preuve concrète la plus éloquente est que, pour comparaître devant notre comité, le caporal Beaulieu avait aussi dû informer la GRC qu'il voulait se déplacer et personne ne l'en a empêché de quelque façon que ce soit et, pourtant, ce qu'il avait à nous dire était sans doute plus gênant pour la GRC que ce qu'il aurait pu dire au Comité de la défense. Ajoutez à cela que les témoins de la GRC ont expliqué assez clairement qu'ils avaient tiré une leçon importante et je pense que nous avons au moins une certaine garantie qu'on sera probablement plus sensible aux droits du Parlement dans les rangs de la GRC que par le passé.

Je pense qu'aucun de nos membres n'aurait rédigé le rapport tel qu'il l'a été. Il est le fruit d'un travail collectif. Nous aurions tous pu insister sur certaines choses, en omettre et peut-être en ajouter. Cependant, c'est un rapport sur lequel nous nous sommes tous entendus. Nous en avons discuté chaque mot, pendant des heures et des jours. Je demanderais à mes collègues de ne pas l'oublier en le lisant.

L'honorable Grant Mitchell : J'ai une question à poser.

La sénatrice Fraser : Je pense que j'ai le temps de répondre à des questions, sénateur Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup. Je me suis entretenu avec le caporal Beaulieu et, manifestement, le problème qui demeure est le fait qu'une personne qui dénonce quelque chose s'expose à des représailles dans une organisation qui semble avoir tendance à y recourir à l'occasion. A-t-on déterminé s'il jouissait maintenant d'une protection du privilège parlementaire pour être venu témoigner au comité, lors de l'étude de cette atteinte au privilège, ou est-il plutôt laissé à lui-même à cet égard?

La sénatrice Fraser : Je suis loin d'être une experte des questions de privilège, mais, instinctivement, je serais portée à penser qu'il aurait droit à la même protection qu'avant contre l'intimidation des témoins ex post facto. J'espère que c'est le cas. Toutefois, je dois vous dire que, devant le comité, il a déclaré que, selon lui, sa carrière au sein de la GRC était terminée. C'est ce qu'il a dit très clairement.

Le sénateur Dallaire : Honorables sénateurs, nul ne peut nier que le rapport est bon. Toutefois, il manque un élément important à cet exercice, soit la responsabilité qui incombe au commandement. On ne parle pas ici d'un club de boy-scouts. On parle d'une organisation paramilitaire qui souhaite continuer de l'être, même si certains d'entre nous ne demanderaient pas mieux qu'elle devienne un corps policier en bonne et due forme et qu'elle abandonne cette dimension historique. La GRC se perçoit comme une organisation paramilitaire, et c'est dans ce contexte que fonctionne l'ensemble de sa chaîne de commandement.

Il existe une lacune importante dans la capacité de la GRC de rendre compte au Parlement. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas obliger le commissaire à rendre des comptes. C'est lui qui, en fin de compte, est responsable de ce qui s'est produit, ainsi que des mesures disciplinaires qui, espérons-le, ont été prises par la suite et qui vous ont été signalées ou qui, à tout le moins, ont été imposées au médecin ou aux autorités qui ont empêché le caporal Beaulieu de comparaître en premier lieu devant le comité.

En fin de compte, dans ce contexte, il n'est pas question de gérer un problème. Nous parlons de l'essence fondamentale, de la philosophie d'une institution. Et cette philosophie est subordonnée à une chaîne de commandement rigoureuse et très puissante. En fait, le projet de loi C-42 la rendra encore plus puissante. Nous craignons que la culture de l'organisation ne l'empêche de pouvoir gérer un si grand pouvoir.

(1330)

La sénatrice ne croit-elle pas que, dans les circonstances, le patron aurait dû être présent pour accepter les foudres qu'il s'est attiré et accepter l'évaluation de la situation, et pour répondre aux questions concernant les mesures qu'il prendrait pour rectifier la situation? Étant donné sa responsabilité dans la chaîne de commandement, il n'aurait jamais accepté qu'une telle chose se produise.

La sénatrice Fraser : À mon avis, honorables sénateurs, il ne relève pas de notre compétence de nous pencher ou de nous prononcer sur les mesures disciplinaires de la GRC. Je voudrais néanmoins que les dossiers des personnes directement responsables fassent à tout le moins état du fait qu'une grave erreur a été commise. Cependant, les mesures disciplinaires en vigueur à la GRC n'étaient pas visées par la question de privilège à l'étude. C'est une nuance subtile, mais importante.

En ce qui concerne le commissaire Paulson, les sénateurs verront qu'aucun nom n'est précisé dans le rapport, exception faite de certains témoins. Nous ne mettons la faute sur personne. Nous nous contentons plutôt de parler de « la GRC », qui comprend le commissaire. Celui-ci a passé beaucoup de temps devant les comités parlementaires ces dernières semaines et a dû essuyer un certain nombre de critiques. Je soupçonne qu'il connaît très bien la conclusion du comité. Pour les raisons citées, je ne trouvais pas qu'il était essentiel — bien que je ne siège pas au comité directeur — de l'interroger directement étant donné qu'on pouvait obtenir l'information voulue des personnes directement impliquées dans l'incident.

Le sénateur Dallaire : La sénatrice Fraser a tout à fait raison : il ne relève pas de sa responsabilité de poser des questions quant aux mesures disciplinaires en vigueur à la GRC. J'estime cependant que le comité avait la responsabilité de se pencher sur la direction de l'organisation, sur les facteurs qui ont donné lieu à la prise d'une telle décision sur le terrain et sur les mesures que compte prendre le chef de l'organisation pour rectifier la situation et exiger des comptes de la personne responsable. Il m'est souvent arrivé de dire aux employés qu'on mettra de l'ordre dans les affaires et qu'on changera la façon de faire. Cependant, c'est une toute autre paire de manches lorsqu'un commandant se fait dire qu'il est directement responsable et qu'on lui demande ce qu'il compte dire à ses troupes pour éviter qu'une telle situation se reproduise, car elle va à l'encontre de la philosophie de l'institution. La sénatrice ne trouve-t- elle pas que cela s'impose également?

La sénatrice Fraser : Non, je dirais que cette personne pourrait témoigner devant le comité du sénateur Dallaire avant de témoigner devant le Comité du Règlement, et j'exhorte le sénateur à lui poser la question.

L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, il est important que je vous fasse l'observation suivante. La sénatrice nous dit que le président de l'association des membres et M. Beaulieu devaient tous les deux être présents en tant que représentants de cette association. De plus, le comité a pu entendre le président comme il le souhaitait. Parfois, un comité ou un comité de direction veut entendre deux personnes sur un même sujet parce qu'elles représentent deux points de vue différents. Que M. Beaulieu n'ait pas pu témoigner a peut-être empêché le comité d'obtenir de l'information. Si le comité avait voulu n'entendre qu'un seul représentant, la présence de l'un ou l'autre aurait fait l'affaire. Cependant, le comité a demandé aux deux personnes de témoigner. Qu'elles soient toutes les deux membres et représentantes de l'association des membres est une question accessoire. Le comité voulait entendre une personne ayant vécu personnellement des problèmes assez sérieux.

La sénatrice Fraser : Honorables sénateurs, je ne pense pas avoir dit que le Comité de la défense avait obtenu toute l'information qu'il voulait ou dont il avait besoin. J'ai dit que personne ne nous avait affirmé autre chose. Rien ne nous permet de croire le contraire. Notre rapport indique essentiellement qu'un comité sénatorial s'est vu empêcher de faire son travail et que les droits du Parlement ont été violés parce que le comité n'a pas pu entendre un témoin qu'il avait invité.

Le sénateur Day : Honorables sénateurs, permettez-moi de dissiper tout malentendu. Le comité a accompli un très bon travail, comme en fait foi le rapport présenté par le sénateur Braley. C'est un travail extrêmement important résultant de la décision du Son Honneur le Président, qui a jugé que la question de privilège était fondée à première vue. Obtenir un consensus était primordial, et je félicite les sénateurs d'y être parvenus.

L'honorable Gerald J. Comeau : J'aimerais demander à la sénatrice Fraser si elle se souvient d'une discussion qui a eu lieu à ce sujet au comité. L'une des choses que nous voulions porter à l'attention de tous les membres et de tous les présidents des comités était qu'il fallait être extrêmement vigilants et ne pas compter entièrement sur l'intervention ultérieure du Comité du Règlement.

S'ils sentent qu'une institution empiète de quelque façon que ce soit sur les droits du Parlement, ils doivent informer cette institution qu'elle doit répondre aux besoins des témoins qui sont convoqués par l'une ou l'autre des Chambres et leur accorder ce droit, sans ingérence. Je pense que nous avons eu une discussion à ce sujet et que notre rapport en tient partiellement compte.

Son Honneur le Président intérimaire : Le temps de parole du sénateur est écoulé. Honorables sénateurs, la permission est-elle accordée pour prolonger son temps de parole?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Fraser : Le sénateur Comeau fait valoir un excellent point et je suis tout à fait de son avis. Il est important que tous les sénateurs, à commencer par les présidents des comités, soient vigilants à cet égard.

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, au nom du sénateur Smith, le débat est ajourné.)

[Français]

(1340)

La littératie

Interpellation—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Callbeck, attirant l'attention du Sénat sur l'importance de la littératie étant donné que le Canada a plus que jamais besoin de connaissances et de compétences pour demeurer compétitif dans le monde et pour accroître sa capacité de s'adapter à l'évolution des marchés du travail.

L'honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, je n'ai pas encore terminé ma réflexion sur ce sujet. Je demande donc l'ajournement du débat pour le reste de mon temps de parole.

[Traduction]

Recours au Règlement

L'honorable Joan Fraser (leader adjoint suppléant de l'opposition) : Votre Honneur, j'invoque le Règlement. Il y a quelques instants, j'ai parlé du rapport du Comité du Règlement. Comme je ne m'attendais pas à aborder ce sujet, je n'avais pas mes notes. Je n'avais donc pas en main la liste des membres du comité. Je regardais désespérément à gauche et à droite et j'ai nommé certains membres du comité, mais j'en ai oublié d'autres. Je désire surtout présenter mes excuses à la sénatrice McCoy, qui a apporté une contribution inestimable à ce rapport. Je crois que tous les membres du comité en conviendront. Elle est un atout précieux pour cette Chambre, et je tiens à ce que tout le monde le sache.

Des voix : Bravo!

Régie interne, budgets et administration

Autorisation au comité de siéger pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Gerald J. Comeau, conformément au préavis donné le 20 juin 2013, propose :

Qu'en conformité avec l'article 12-18(2)b)(i) du Règlement, le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration soit autorisé à se réunir à tout moment où le Sénat est ajourné pendant une période de plus d'une semaine à partir de la date de l'adoption de cette motion jusqu'à la fin du mois de septembre 2013.

L'honorable Terry M. Mercer : J'ai une question à poser au sénateur Comeau. Il est question, dans la motion, de la fin du mois de septembre 2013. Nous ne disposons pas de renseignements précis, mais nous écoutons tous les nouvelles et avons tous entendu les rumeurs selon lesquelles nous ne serons peut-être pas de retour à la fin septembre. Ma question est la suivante : est-ce que cela nous laisse suffisamment de temps? Ne devrait-on pas parler de la fin du mois d'octobre 2013, au lieu de septembre?

Le sénateur Comeau : Il vaudrait mieux que nous ayons assez de temps, car, étant donné les engagements publics que nous avons pris jusqu'à présent, ce ne sera pas publié avant la fin septembre. Faites- moi confiance.

Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d'autres questions?

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

[Français]

L'ajournement

Adoption de la motion

Consentement ayant été accordé de revenir aux préavis de motion du gouvernement :

L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l'article 5-5g) du Règlement et l'ordre du Sénat adopté le 18 octobre 2011, je propose :

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'au mardi 25 juin 2013 à 18 heures, et que l'application de l'article 3-3(1) du Règlement soit suspendue à cet égard;

Que, lorsque le Sénat siégera le mercredi 26 juin 2013, il se réunisse à 10 heures.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne au mardi 25 juin 2013, à 18 heures.)

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