Débats du Sénat (Hansard)
2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 7
Le lundi 28 octobre 2013
L'honorable Noël A. Kinsella, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- L'accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne
- L'Enquête nationale auprès des ménages
- Le Mois de l'histoire des femmes
- Le Mois de sensibilisation à l'autisme
- Le Bangladesh
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- L'industrie
- Les affaires étrangères
- La défense nationale
- La surveillance par le Parlement du Centre de la sécurité des télécommunications Canada
- La comparaison de superficie en pieds carrés des installations canadiennes et américaines de sécurité
- La condition féminine
- Le Sénat
- Régie interne, budgets et administration
- ORDRE DU JOUR
- Le Sénat
- Les travaux du Sénat
- Le Sénat
- Motion tendant à suspendre l'honorable sénateur Patrick Brazeau—Motion subsidiaire—Rejet de la motion d'amendement—Suite du débat
- Motion visant à suspendre l'honorable sénatrice Pamela Wallin—Motion subsidiaire—Motion d'amendement—Suite du débat
- Motion tendant à suspendre l'honorable sénateur Michael Duffy—Suite du débat
- Motion subsidiaire
LE SÉNAT
Le lundi 28 octobre 2013
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
L'accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne
L'honorable Suzanne Fortin-Duplessis : Honorables sénateurs, c'est avec enthousiasme que je souligne l'accord historique entre notre pays et l'Union européenne conclu le 18 octobre dernier. La signature de cet accord économique et commercial global constitue l'aboutissement de plus de quatre années d'intenses négociations. Il permettra l'accès de nos entreprises à un marché de plus de 500 millions de consommateurs.
Il est estimé que les retombées économiques de cet accord atteindront annuellement 12 milliards de dollars pour le Canada et contribueront à la diversification de nos marchés d'exportation, sans compter qu'il favorisera le dynamisme et l'innovation de nos entreprises. Le Canada devient le premier pays du G8 à signer une entente d'une telle portée avec l'Union européenne.
Notre gouvernement a mené à terme des négociations complexes dont l'issue aura un impact significatif pour le commerce entre ces 28 pays et le Canada. D'ailleurs, il importe de rappeler que, tout au long de ces négociations, les provinces canadiennes furent parties prenantes de ces négociations et qu'elles ont été largement consultées.
Cet accord s'inscrit dans la longue tradition commerçante du Canada. Avant même la Confédération, notre pays s'est intéressé à l'ouverture de marchés pour ses entrepreneurs et ses commerçants. Du Traité de réciprocité avec les États-Unis au XIXe siècle, en passant par l'ALENA ou encore à la signature d'accords plus récents avec le Chili, la Colombie et le Costa Rica, nous constatons l'ampleur des bénéfices que ces accords ont eus pour notre pays ainsi que pour nos partenaires.
Je ne puis qu'espérer que nous allons continuer dans cette voie de libéralisation des échanges et contribuer à faire tomber les barrières internationales auxquelles font face nos entreprises.
En ces temps de grande incertitude économique et financière que traverse la planète, le gouvernement canadien porte une attention particulière à l'économie car nous savons trop bien que la prospérité et le bien-être de la population canadienne sont tributaires d'une économie vigoureuse et stable. Depuis son élection en 2006, le gouvernement canadien s'est attelé à la difficile tâche de créer de la richesse pour l'ensemble des Canadiens. Le résultat des efforts du gouvernement se perçoit par les signes encourageants des indices économiques tels que la création d'emplois et le maintien de notre cote de crédit.
Je tiens à saluer, une fois de plus, l'aboutissement des négociations entre le Canada et l'Union européenne. Nous venons de conclure un accord sans précédent qui saura dynamiser nos échanges commerciaux avec nos partenaires européens.
[Traduction]
L'Enquête nationale auprès des ménages
L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, depuis le mois de mai, Statistique Canada a entrepris de publier les résultats de la première Enquête nationale auprès des ménages, dont la participation était facultative. La dernière série de résultats, dont la publication a été retardée parce que Statistique Canada a constaté certains problèmes relativement à ses données, a été rendue publique en septembre.
Hélas, pour les gouvernements autant que les décideurs et les organismes communautaires du pays, cette nouvelle enquête facultative s'est révélée éminemment décevante. Les données publiées ne permettent pas de brosser un tableau complet de la population canadienne. Même Statistique Canada l'admet et prévient les gens qui s'apprêtent à lire ses publications que certaines données pourraient ne pas être fiables.
Ce manque de fiabilité s'explique par le taux de réponse à l'enquête, qui était loin d'être reluisant. En 2006, 94 p. 100 des Canadiens qui ont reçu le formulaire détaillé du recensement l'ont rempli — ce qui constitue un excellent taux de réponse. Mais en 2011, à peine 69 p. 100 des Canadiens ont rempli l'enquête facultative. Nous sommes loin du taux de réponse au questionnaire détaillé du recensement, et on le voit dans les résultats.
C'est encore pire dès qu'il est question des localités de moins de 25 000 personnes. Statistique Canada a donc choisi de ne pas publier les données qui ne respectaient pas ses normes. Par conséquent, ce sont plus de 1 100 petites municipalités un peu partout au pays qui se trouvent exclues.
Maintenant, tout le monde sait que la vaste majorité des localités de l'Île-du-Prince-Édouard sont de petite taille. Résultat : bon nombre des localités de ma province sont exclues des résultats publiés par Statistique Canada, dont Alberton, Murray River, Murray Harbour, Abram's Village, North Rustico, Tyne Valley, Miscouche, et la moitié des communautés des Premières Nations. Des milliers d'habitants de l'île ne sont pas pris en compte par ces données.
Comme si ce n'était pas assez, cette nouvelle enquête a coûté plus que l'ancienne. Même en excluant les erreurs constatées dans la dernière série de données, elle aurait coûté 652 millions de dollars, d'après Statistique Canada. C'est 15 p. 100 de plus que les 567 millions de dollars qui ont été nécessaires à la réalisation du recensement de 2006.
Jusqu'ici, le gouvernement conservateur n'a pas écouté les doléances des gouvernements provinciaux et des administrations municipales, des groupes de bénévoles, des organismes caritatifs, des décisionnaires ou de l'ancien statisticien en chef. Et c'est sans parler de tous ceux qui vont continuer d'exprimer leurs préoccupations. Voici ce qu'a déclaré le ministre des Finances de l'Île-du-Prince- Édouard, Wes Sheridan :
Je demeure inquiet quant à la décision du gouvernement fédéral d'abolir la version longue et obligatoire du recensement. C'est la première fois que nous devons nous fier aux données de l'Enquête nationale auprès des ménages, recueillies sur une base volontaire. Les données ne sont pas aussi précises qu'avant et j'espère sincèrement que le gouvernement fédéral reconsidérera la question du recensement pour 2016.
Honorables sénateurs, j'exhorte le gouvernement à rétablir le formulaire détaillé obligatoire à temps pour le recensement de 2016. Nous ne pouvons tout simplement pas nous passer de ces données objectives et indépendantes.
(1410)
Le Mois de l'histoire des femmes
L'honorable Asha Seth : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du Mois de l'histoire des femmes. Chaque année, en octobre, nous soulignons la contribution des femmes à l'évolution de notre société. Pour nous, sénateurs, aucune contribution ne pourrait surpasser en importance celle des Célèbres cinq.
Comme vous le savez, en 1927, Emily Murphy et quatre autres éminentes Canadiennes — Nellie McClung, Irene Parlby, Louise McKinney et Henrietta Muir Edwards — ont demandé à la Cour suprême du Canada de déterminer si le mot « personne » à l'article 24 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique incluait les femmes.
Au terme de cinq semaines de débat et d'argumentation, la Cour suprême du Canada a déterminé que le mot « personne » n'incluait pas les femmes.
Consternées par cette décision de la Cour suprême, les cinq femmes n'ont pas pour autant abdiqué. Elles ont porté leur cause devant le plus haut tribunal d'appel du Canada, à Londres. Le 18 octobre 1929, on a annoncé que :
L'exclusion des femmes de toute charge publique est un vestige d'une époque plus barbare. Aux personnes qui se demandent si le mot « personne » doit comprendre les femmes, la réponse est évidente : pourquoi pas?
Les Célèbres cinq ont non seulement obtenu le droit pour les femmes de siéger au Sénat, mais elles ont aussi pavé la voie à une participation — et à une contribution — des femmes, au même titre que les hommes, à tous les aspects de la vie au Canada. Nous soulignons cette victoire chaque année le 18 octobre, la Journée de l'affaire « personne », et les Célèbres cinq siègent parmi nous à titre honorifique à perpétuité.
Grâce à leur héritage, aujourd'hui 38 sénatrices siègent en cette enceinte.
Cependant, que dire de la politique? Eh bien, Margaret Thatcher a dit : « En politique, si vous voulez que quelque chose soit dit, demandez à un homme. Si vous voulez que quelque chose soit fait, demandez à une femme ».
Honorables sénateurs, je vous invite à vous joindre à moi pour célébrer l'histoire des femmes, pas uniquement aujourd'hui, mais chaque jour.
Le Mois de sensibilisation à l'autisme
L'honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, octobre est le Mois de sensibilisation à l'autisme. Pour les particuliers et les associations qui se dévouent à la cause de l'autisme, c'est l'occasion de sensibiliser la population et de défendre les intérêts des personnes touchées par la maladie.
Le milieu canadien de l'autisme, comme chacun le sait, est formé de dizaines de milliers de personnes. Chacune a son histoire bien à elle et joue un rôle unique, mais elles ont toutes en commun la volonté d'agir et, ce qui les pousse à continuer, la certitude qu'il reste toujours du travail à faire, malgré les énormes progrès qu'elles réalisent chaque jour.
Le mois dernier, j'étais à Woodstock, au Nouveau-Brunswick, pour prendre la parole à l'occasion de la première rencontre d'un groupe d'amitié pour les familles d'enfants autistes. Une vingtaine de femmes — des mères et des grands-mères d'enfants autistes — se trouvaient dans la salle. Elles veulent toutes changer les choses, mais elles ne savent pas par où commencer. Les ressources et les services offerts par le gouvernement du Nouveau-Brunswick sont insuffisants, et il est difficile de comprendre comment fonctionne le système et comment on peut y avoir accès.
Je parle très souvent à des groupes du milieu de l'autisme. Chaque groupe est différent, mais celui-là m'a vraiment étonné. L'histoire de ces gens est la même que celle des gens que j'ai rencontrés il y a une dizaine d'années, lorsque j'ai entrepris d'en apprendre davantage sur l'autisme. Vous vous rappellerez peut-être que, il y a six ans seulement, j'ai demandé au Sénat et au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie de faire une étude sur la question, à l'issue de laquelle nous avons publié le rapport Payer maintenant ou payer plus tard : les familles d'enfants autistes en crise, qui a su attirer l'attention. J'espère qu'il intéressera les journalistes à la tribune aujourd'hui. Il présente une série de recommandations très fermes qui sont le fruit d'un consensus dans le milieu de l'autisme. La recommandation visant à créer une stratégie canadienne sur les troubles du spectre autistique ressort nettement encore aujourd'hui comme la seule façon efficace et morale de réagir à la crise de l'autisme dans notre pays.
Les milliers de familles canadiennes touchées par l'autisme se heurtent à des obstacles inutilement difficiles à surmonter. Bien sûr, il faut améliorer les services et les ressources mis à leur disposition, mais il faut également s'assurer que ces derniers sont cohérents et accessibles partout au pays.
Le Mois de sensibilisation à l'autisme et les campagnes de promotion de la stratégie nationale sur les troubles du spectre autistique touchent à leur fin, mais il devient de plus en plus urgent de mettre en place une stratégie.
Je vous exhorte à agir, honorables sénateurs, et à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour persuader le gouvernement fédéral d'assumer ses responsabilités et de répondre à ce besoin, une fois pour toutes.
Le Bangladesh
L'effondrement de l'édifice à Dhaka
L'honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, nous avons tous entendu parler de l'effondrement de l'usine de vêtements du Rana Plaza à Dhaka, au Bangladesh, en avril dernier. C'était déchirant de voir les images de ces corps qu'on extrayait des décombres et d'apprendre qu'il y avait eu plus de 1 100 morts et 2 500 blessés.
J'ai eu l'occasion d'aller voir les ruines du Rana Plaza en juillet et je voulais vous parler de ma visite.
J'avais vu les images, mais rien ne pouvait me préparer à cette vision d'horreur. À l'endroit où se dressait un édifice de huit étages se trouve maintenant un trou béant rempli d'eau de pluie. Lorsque je suis arrivée sur les lieux, j'ai été entourée par des hommes et des femmes qui me montraient des photographies de jeunes personnes. C'étaient les parents de jeunes travailleurs du vêtement dont les corps n'ont pas encore été retrouvés. Depuis l'effondrement, ces mères et ces pères reviennent quotidiennement sur les lieux en espérant que leurs enfants seront retrouvés. Malheureusement, le site est maintenant fermé et il est impossible de poursuivre les fouilles.
Sur place, j'ai rencontré un journaliste canadien, Félix Séguin. Il était étonné de voir une compatriote, une sénatrice qui plus est. Il faisait une enquête pour savoir si Loblaws, propriétaire de la marque Joe Fresh, avait versé les indemnités aux victimes et aux familles. Il m'a demandé si j'allais parler au nom de ces gens.
À mon retour au Canada, j'ai communiqué avec Loblaws et j'ai parlé à Bob Chant, premier vice-président des affaires corporatives et des communications.
Honorables sénateurs, les Canadiens et nous-mêmes pouvons être fiers du leadership dont Loblaws a fait preuve. Pas plus tard que la semaine dernière, cette société a annoncé qu'elle verserait des indemnités financières à long terme aux victimes et à leur famille.
La société Loblaw ne se contentera pas d'indemniser ses propres travailleurs. Elle invitera aussi les autres marques dont certains produits étaient fabriqués au Rana Plaza à indemniser les victimes. Si ces marques ne collaborent pas, Loblaws et la société Primark, du Royaume-Uni, contribueront à l'indemnisation des gens touchés, quelle que soit la marque des produits qu'ils fabriquaient.
Je suis de ceux qui défendent ardemment quelque 4 millions de Bangladais dont l'industrie du vêtement est la principale source de revenu. Soulignons que bon nombre d'entre eux sont des jeunes femmes. Nous pouvons nous enorgueillir du fait qu'une société canadienne a choisi de faire ce qui s'imposait dans ces circonstances tragiques, c'est-à-dire aider les travailleurs.
AFFAIRES COURANTES
Le projet de charte des valeurs québécoises
Préavis d'interpellation
L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je donne préavis que, dans deux jours :
J'attirerai l'attention du Sénat sur les effets négatifs de la charte des valeurs québécoises pour les Canadiens.
PÉRIODE DES QUESTIONS
L'industrie
La Commission canadienne du tourisme
L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Au printemps dernier, j'ai pris la parole au Sénat pour poser une question au gouvernement sur une tendance troublante : le fait qu'il continue de réduire le budget publicitaire de la Commission canadienne du tourisme alors que le tourisme canadien continue de diminuer. La Chambre de commerce du Canada a confirmé, dans son nouveau rapport, que cette industrie, qui apporte 80 milliards de dollars par année à l'économie, connaît un net recul.
(1420)
En 2002, le Canada a accueilli 20 millions de visiteurs étrangers, ce qui l'a classé au septième rang des pays les plus visités au monde. Dix ans plus tard, à savoir en 2012, seulement 15,9 millions de visiteurs sont venus au pays, ce qui l'a fait dégringoler au 18e rang des destinations touristiques les plus fréquentées dans le monde. Malgré cette chute étonnante, le gouvernement a réduit de 63 millions de dollars le budget de la Commission canadienne du tourisme cette année.
Quand le gouvernement cessera-t-il de tourner le dos au secteur du tourisme et donnera-t-il à la Commission canadienne du tourisme l'argent dont elle a besoin pour faire la promotion du Canada sur la scène internationale?
Des voix : Bravo!
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Sénatrice Callbeck, je prendrai votre question en note et vous reviendrai avec une réponse complète par rapport au tourisme. Je tiens tout de même à exprimer maintenant, comme vous le savez, l'importance particulière que nous accordons à cette industrie.
[Traduction]
La sénatrice Callbeck : J'ai certainement hâte d'entendre la réponse du leader, car rien n'indique que le gouvernement considère ce secteur comme important. Je ne comprends tout simplement pas comment un gouvernement qui prétend se préoccuper autant des emplois et de l'économie permettrait à une industrie aussi vitale de décliner.
Le tourisme emploie 1,6 million de Canadiens, ce qui représente 9,2 p. 100 de la population active du pays. Pourtant, la commission qui est chargée de la promotion du Canada ici et à l'étranger a vu son budget réduit de 40 p. 100 depuis 2010-2011.
Ma province, comme d'autres régions du Canada, dépend fortement du tourisme. Je suis donc extrêmement préoccupée par la signification qu'aura ce déclin pour ma province, les autres régions du Canada, la population active du pays et l'économie. Le leader du gouvernement dit qu'il me reviendra avec une réponse. J'aimerais savoir pourquoi le gouvernement ignore un problème d'une telle ampleur.
[Français]
Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, comme je vous l'ai mentionné, nous accordons beaucoup d'importance à toutes les industries créatrices d'emploi. Le tourisme est un élément important de l'économie canadienne. Je vous reviendrai avec des réponses plus précises.
Je tiens à vous dire par contre que, personnellement, j'ai énormément de frais de dépenses de voyage et je n'ai aucun doute que, si c'est le cas d'une bonne proportion de Canadiens, le tourisme a un énorme impact économique dans notre pays. C'est pour cela que nous en faisons une priorité.
[Traduction]
Les affaires étrangères
Les valeurs canadiennes—La participation aux activités du Commonwealth—Le processus parlementaire
L'honorable Grant Mitchell : J'aimerais savoir si le leader du gouvernement au Sénat pense qu'il s'agit d'une coïncidence ou d'autre chose entièrement. Le premier ministre n'a pas fait grand- chose pour préserver l'image du Canada à l'étranger. Il a récemment refusé de prendre la parole devant les Nations Unies, assemblée regroupant 190 chefs d'État. Il a insulté les pays membres du Commonwealth en affirmant qu'il annulerait le financement canadien du Commonwealth. Ce sont là deux des plus récentes manœuvres et positions internationales quasi incompréhensibles adoptées par le gouvernement ces huit dernières années qui ont insulté de nombreuses parties du monde.
Y a-t-il une corrélation entre la chute du tourisme au Canada et les piètres efforts du gouvernement visant à maintenir l'image du Canada à l'étranger?
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Concernant la relation du Canada avec les Nations Unies, sénateur Mitchell, comme vous le savez, nous nous préoccupons des gestes de certains organismes de l'ONU, mais, de manière générale, nous entretenons de très bonnes relations avec les Nations Unies.
Nous sommes par contre de fervents défenseurs du Programme alimentaire mondial des Nations Unies et comptons parmi ses plus importants donateurs. Notre gouvernement a pour objectif affiché de se concentrer sur la liberté, la démocratie et la primauté du droit dans nos relations avec les autres pays. Nous prenons position avec fermeté selon nos principes, que nos points de vue soient bien accueillis ou non. Voilà ce à quoi le monde peut s'attendre du Canada. Nous continuerons donc de faire des Nations Unies une organisation plus efficace qui respecte ses principes fondateurs.
En ce qui a trait à la question du tourisme, j'espère que vous pourrez trouver le complément de réponse que vous cherchez dans la réponse écrite qui sera déposée ici, en cette Chambre, à la demande de la sénatrice Callbeck.
[Traduction]
L'honorable Hugh Segal : Honorables sénateurs, notre ami de l'Alberta a légèrement exagéré la position du premier ministre à l'égard du Commonwealth. En réalité, il a dit qu'il n'assisterait pas à la conférence au Sri Lanka étant donné que ce pays tourne le dos aux valeurs fondamentales que sont les droits de la personne, la primauté du droit et l'indépendance judiciaire, et...
Des voix : Oh, oh!
Le sénateur Segal : ... contrairement au gouvernement britannique, le gouvernement du Canada n'a pas réduit son financement du Commonwealth. Notre gouvernement a fait savoir que les activités du secrétariat seraient examinées en vue de déterminer s'il serait judicieux de réaffecter des fonds à d'autres importantes activités du Commonwealth, comme l'initiative en faveur des droits de la personne à New Delhi.
À la lumière de ces éléments d'information, le leader voudrait-il parler de l'attachement du premier ministre à l'égard des droits de la personne, de la primauté du droit et du service international encourageant le respect de ces valeurs?
[Français]
Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, nous continuerons notre travail avec nos partenaires et les Nations Unies pour exhorter le gouvernement sri lankais à mettre en œuvre pleinement les recommandations de la Commission enseignements et réconciliation, de même qu'à promouvoir le respect des droits de la personne et de la règle de droit. Le Canada est d'avis que si le Commonwealth doit rester pertinent, il doit servir à défendre les principes fondamentaux de liberté, de démocratie et de respect de la dignité humaine qui sont le fondement même de son existence.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell : Comment se fait-il donc que le gouvernement déploie tant d'efforts pour défendre la primauté du droit et l'application régulière de la loi au Sri Lanka — admettant que ce soit la vérité — alors qu'il se permet de si grandes libertés avec l'application régulière de la loi ici même, au Sénat, dans l'affaire de nos collègues?
Une voix : Bravo!
[Français]
Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, en ce qui a trait aux dossiers de nos trois collègues, vous êtes ici depuis plus longtemps que moi, vous devriez connaître mieux que moi les procédures parlementaires et comment, à l'intérieur d'un système de Parlement britannique, les différentes enquêtes sont effectuées par les comités et sous-comités et comment, à toutes ces étapes — que ce soit l'enquête de Deloitte, les différentes rencontres avec les sénateurs en ce qui concerne leur rapport, les différentes rencontres en sous- comité dont les sénateurs ont bénéficié pour faire valoir leur point de vue, le rapport du sous-comité du Comité de la régie interne —, tous les sénateurs ont eu l'occasion de faire valoir leur point de vue au fil du temps et, particulièrement, la semaine dernière et cette semaine, en Chambre.
C'est de cette façon qu'un Parlement d'origine britannique fonctionne et qu'il s'assure du respect du droit d'être entendu.
(1430)
Ce n'est pas en important des règles qui viennent des tribunaux civils, criminels ou disciplinaires, avec un système inquisitoire, d'adversité et de contre-interrogatoire que l'on respecte le droit d'être entendu dans notre système parlementaire actuel.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell : M. Harper a sûrement fait la leçon aux autorités sri lankaises parce qu'il souhaitait que, en vertu du processus judiciaire, les accusés soient représentés par un avocat; que les accusés aient le droit d'interroger et de contre-interroger leurs accusateurs; que, s'ils sont condamnés, les accusés ne soient pas punis de manière arbitraire, mais qu'ils fassent plutôt l'objet d'une procédure qui est prévue par la loi. Le premier ministre défend certainement ces principes. Pourquoi, alors, ne défend-il pas exactement les mêmes principes au Sénat?
[Français]
Le sénateur Carignan : J'ai l'impression que vous remettez en cause le travail de nos collègues du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration et son sous-comité qui ont travaillé, de façon consciencieuse, afin de s'assurer de présenter à la Chambre des rapports qui soient complets quant aux manquements qui ont été reconnus dans le cas de nos trois collègues. Des sénateurs de votre côté participaient autant au sous-comité qu'au Comité de la régie interne, et ces rapports ont été présentés au Sénat dans le cas des sénateurs Brazeau et Duffy. Ils ont été adoptés par l'ensemble des collègues, sauf peut-être quelques exceptions, mais je ne me souviens pas qu'il y ait eu un vote à ce sujet ou que quelqu'un ait noté sa dissidence.
Je ne comprends pas pourquoi vous remettez en cause la qualité du travail de vos collègues, y compris ceux de votre côté.
[Traduction]
La défense nationale
La surveillance par le Parlement du Centre de la sécurité des télécommunications Canada
L'honorable Wilfred P. Moore : Honorables sénateurs, ma question s'adresse également au leader du gouvernement au Sénat.
Monsieur le leader, jeudi dernier, je vous ai posé une question sur la nécessité de resserrer la surveillance par le Parlement du Centre de la sécurité des télécommunications Canada. Voici ce que vous avez répondu :
[...] nous [...] sommes satisfaits des activités du Centre de télécommunications du Canada, qui sont légales. Toutes les activités du centre font l'objet d'un examen indépendant, comme je l'ai expliqué, et ce depuis 16 ans. On rapporte que le centre continue d'effectuer ses activités dans le respect de la loi.
Cependant, le commissaire a déclaré ce qui suit dans son rapport annuel de 2013 :
[...] un petit nombre de dossiers suggéraient la possibilité que des Canadiens aient été visés par certaines activités, ce qui est contraire à la loi. Certains dossiers du Centre relatifs à ces activités n'étaient pas clairs ou étaient incomplets. Après un examen minutieux et approfondi, je n'ai pas pu parvenir à une conclusion définitive sur la conformité ou non à la loi.
Cela signifie que le commissaire n'a pas pu remplir son mandat, une situation pour le moins embarrassante pour le gouvernement.
Qu'a fait le gouvernement? Quelles mesures a-t-il prises pour rectifier la situation?
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Nous avons étudié la question et sommes satisfaits des activités du Centre de la sécurité des télécommunications Canada; elles sont légales. Toutes les activités du centre font l'objet d'un examen indépendant par le commissaire du centre dans les rapports qui indiquent, depuis 16 ans, que le centre continue d'effectuer ses activités dans le respect de la loi. Nous ne commenterons pas les activités ou les capacités spécifiques de collecte du renseignement étranger.
[Traduction]
Le sénateur Moore : On nous dit que le Centre de la sécurité des télécommunications dispose de deux bases de données concernant des renseignements sur des Canadiens : l'une sur les dangers qui menacent les bases de données de l'État et l'autre concernant les affaires internationales, la sécurité et la défense. Les renseignements contenus dans ces deux bases de données peuvent être conservés indéfiniment, et ceux qui se trouvent dans la seconde ne sont pas soumis à la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Si le Centre de la sécurité des télécommunications a pour fonction de protéger les Canadiens, pourquoi possède-t-il ces deux bases de données?
Le sénateur Mercer : Bonne question.
[Français]
Le sénateur Carignan : L'actuel commissaire du centre, l'ancien juge de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada, l'honorable Jean-Pierre Plouffe, assure déjà une surveillance indépendante, y compris des vérifications indépendantes pour faire en sorte que les activités du centre continuent de s'effectuer dans le respect de la loi. Je ne commenterai pas plus ce dossier.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Pourquoi ces deux banques de données contenant des renseignements sur les Canadiens existent-elles si la loi interdit une telle pratique?
Le sénateur Munson : Bonne question.
Le sénateur Mercer : Revenons à la primauté du droit.
[Français]
Le sénateur Carignan : En vertu de la loi, cette organisation n'est pas autorisée à cibler les Canadiens. Toutes les activités de cette organisation sont examinées par l'organisme de surveillance indépendant. Le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications a accès à tous les documents liés aux opérations du centre ainsi qu'à son personnel; depuis 16 ans, les rapports du commissaire indiquent que le centre continue d'agir selon la loi dans le cadre de ses activités courantes.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Je pose encore la question : si le Centre de la sécurité des télécommunications se conforme à la loi et que, selon la loi, il est interdit de recueillir des renseignements sur les Canadiens, pourquoi détient-il deux bases de données contenant des renseignements à propos des Canadiens?
[Français]
Le sénateur Carignan : Je vais recommencer à dire « écoutez ». Nous avons étudié la question et nous sommes satisfaits; les activités du centre sont légales.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Êtes-vous par conséquent en train de dire que le Centre de la sécurité des télécommunications recueille des renseignements sur les Canadiens et les conserve indéfiniment dans des banques de données?
[Français]
Le sénateur Carignan : Toutes les activités du centre font l'objet d'un examen indépendant par le commissaire dans les rapports qui indiquent, depuis 16 ans, que le centre continue d'effectuer ses activités dans le respect de la loi. Nous ne commentons pas les activités ou les capacités spécifiques de collecte du renseignement étranger.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Vous n'avez pas l'intention de nous dire si ces activités sont légales ou non. Il me semble incroyable...
Une voix : Il est avocat.
Le sénateur Moore : ... que, à titre de représentant du gouvernement dans cette enceinte, vous, monsieur le leader, n'ayez rien à dire sur une question aussi fondamentale.
Alors, je vous pose encore la question. Si la loi dit que ce n'est pas permis, c'est-à-dire qu'il est illégal, pour un organisme canadien, de recueillir des renseignements sur les Canadiens, de les espionner, comment pouvez-vous expliquer la situation actuelle? Comment pouvez-vous taire le fait que ce n'est pas permis, compte tenu en particulier des constatations du commissaire lui-même, qui n'est pas capable de nous garantir que ce genre de violation n'est pas commise par le Centre de la sécurité des télécommunications?
[Français]
Le sénateur Carignan : Nous avons un commissaire au Centre de sécurité des télécommunications du Canada, l'ancien juge de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada, l'honorable Jean- Pierre Plouffe, qui assure déjà une surveillance indépendante, y compris des vérifications indépendantes pour faire en sorte que les activités du centre continuent de s'effectuer dans le respect de la loi.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Le commissaire veut que le Centre de la sécurité des télécommunications respecte la vie privée des Canadiens dans toutes ses activités. Je le sais, et tout le monde ici le sait, mais il semble que la loi ne soit pas respectée. Du moins, le commissaire n'est pas capable de s'en assurer. D'ailleurs, le 20 septembre 2013, la commissaire à la protection de la vie privée a écrit au chef du Centre de la sécurité des télécommunications pour lui demander d'être plus transparent dans ses activités de collecte de renseignements personnels. Elle lui indique en outre que le personnel du commissariat peut aider le Centre de la sécurité des télécommunications « à poursuivre [ses] travaux sur les questions touchant la protection de la vie privée ».
De plus, monsieur le leader, l'association des libertés civiles de la Colombie-Britannique a intenté une poursuite contre le Centre de la sécurité des télécommunications pour deux atteintes principales : premièrement, l'écoute électronique des communications privées des Canadiens; deuxièmement, la collecte massive des métadonnées produites par les Canadiens dans leurs activités quotidiennes en ligne et lors de leurs conversations téléphoniques.
Étant donné ces efforts, n'est-il pas temps que les parlementaires commencent à surveiller les activités du Centre de la sécurité des télécommunications afin de protéger la vie privée et les intérêts des Canadiens?
Le sénateur Mercer : Bonne idée!
[Français]
Le sénateur Carignan : Nous avons un commissaire du centre qui est un ancien juge de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada, l'honorable Jean-Pierre Plouffe; j'ai pleinement confiance en son travail. Il assure déjà une surveillance indépendante, y compris des vérifications indépendantes pour faire en sorte que le centre continue de respecter la loi.
(1440)
[Traduction]
Le sénateur Moore : J'ai une question complémentaire. Personne ici ne met en doute les compétences du commissaire. Il a déjà déclaré qu'il ne pouvait pas faire son travail et qu'il était préoccupé par la possibilité que le CSTC ne respecte pas la loi.
Je cite un autre extrait de son rapport de 2013 :
Je m'attends à ce que le Centre mène ses activités en accord avec les instructions ministérielles, c'est-à-dire conformément à toutes les exigences ou limites précisées dans une autorisation ou une directive ministérielle.
Pouvez-vous nous dire si le commissaire croit que le CSTC suivait une directive ministérielle dans le cas du vol informatique au ministère brésilien des Mines et de l'Énergie?
[Français]
Le sénateur Carignan : Les activités de cette organisation sont examinées par le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. Il a accès à tous les documents liés aux opérations du centre ainsi qu'à son personnel. Depuis 16 ans, les rapports du commissaire indiquent que le centre continue d'agir selon la loi dans le cadre de ses activités courantes.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Il semble, monsieur le leader, que vous vous répétiez dans vos réponses. On ne m'a toujours pas dit si le CSTC suivait une directive ministérielle lorsqu'il espionnait le ministère brésilien des Mines et de l'Énergie. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
[Français]
Le sénateur Carignan : Nous avons étudié la question et nous croyons que les activités du Centre de la sécurité des télécommunications sont légales. Toutes ses activités font l'objet d'un examen indépendant par le commissaire du centre, dont les rapports indiquent depuis 16 ans que le centre continue d'effectuer ses activités conformément à la loi. En vertu de la loi, cette organisation n'est pas autorisée à cibler les Canadiens.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Je ne veux pas me mettre à me répéter moi aussi, mais le commissaire a déclaré qu'il ne peut pas confirmer si l'organisme mène ses activités dans le respect de la loi. Cela doit certainement vous préoccuper, monsieur le leader.
[Français]
Le sénateur Carignan : Toutes les activités du centre font l'objet d'un examen indépendant par le commissaire du centre dont les rapports indiquent depuis 16 ans que le centre continue d'effectuer ses activités dans le respect de la loi.
Si nous continuons ainsi, cela va être la période des questions la plus facile.
La comparaison de superficie en pieds carrés des installations canadiennes et américaines de sécurité
L'honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, il y a une superbe construction sur la rue Ogilvie. On me dit que c'est pour abriter sous le même toit le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC).
L'honorable leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous indiquer combien de pieds carrés cet édifice va comprendre, quel en est le coût et comment cela se compare-t-il à l'édifice Hoover? Après tout, nous ne sommes que 32 millions, comparativement à la population américaine.
Je comprends que vous n'ayez pas les réponses dans vos notes, mais j'aimerais que vous me fournissiez des réponses à mes questions.
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Sur le nombre de pieds carrés, le coût et ...?
La sénatrice Ringuette : Et comment cela se compare-t-il à l'édifice Hoover à Washington?
Le sénateur Carignan : Je ne sais pas si nous serons capables de faire la comparaison, mais je prends l'engagement de prendre votre question en note et de vous donner l'information légalement disponible afin de répondre à votre question.
[Traduction]
La condition féminine
Les réductions budgétaires
L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, les femmes canadiennes gagnent toujours près de 20 p. 100 de moins que les hommes pour le même travail et, malgré cela, le gouvernement a fermé des bureaux de Condition féminine Canada partout au pays en plus de réduire les budgets dans l'ensemble de l'organisme. Maintenant, à peine 29,6 millions de dollars sont affectés annuellement à résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les femmes canadiennes. Pour mettre les choses en perspective, le gouvernement a dépensé 28 millions de dollars pour commémorer la guerre de 1812 et planifier les célébrations s'y rattachant.
Des voix : C'est honteux!
La sénatrice Cordy : Donc, 29,6 millions de dollars pour Condition féminine Canada, et 28 millions de dollars pour célébrer la guerre de 1812, qui a eu lieu avant même la Confédération.
La question que j'adresse au leader du gouvernement au Sénat est la suivante : pourquoi le gouvernement a-t-il fermé la plupart des bureaux de Condition féminine Canada et réduit son budget national à 29,6 millions de dollars?
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : J'aimerais souligner l'appui que notre gouvernement accorde à la condition féminine. Nous avons bonifié les fonds accordés aux programmes pour les femmes à des niveaux record.
Depuis 2007, nous avons investi plus de 46 millions de dollars pour améliorer la sécurité et la prospérité économique des femmes, plus de 21 millions de dollars pour favoriser le leadership et la participation démocratique des femmes et plus de 62 millions de dollars consacrés à plus de 300 projets visant à mettre fin à la violence faite aux femmes et aux filles.
Le Plan d'action économique de 2013 élargit notre soutien aux jeunes femmes qui entreprennent leur carrière sur le marché du travail, y compris dans les sciences, les technologies, le génie, les mathématiques, ainsi que les métiers spécialisés. Nous avons donc un bilan digne de mention en matière d'investissements dans la condition féminine.
[Traduction]
La sénatrice Cordy : Je ne peux pas croire que vous osiez déclarer que vous appuyez le travail de Condition féminine Canada, alors que vous avez fermé tant de bureaux d'un bout à l'autre du pays. Il n'y a aucun bureau en Nouvelle-Écosse. Le bureau le plus proche est situé à Moncton; un seul bureau à Moncton pour desservir les quatre provinces de l'Atlantique. Il ne s'agit pas là de rendement.
Je ne crois pas non plus que les familles des femmes autochtones portées disparues ou assassinées considèrent que vous appuyez les femmes.
Je ne crois pas que les familles qui n'ont pas les moyens de payer des services de garde, ou qui sont incapables de trouver une place pour leurs enfants dans une garderie agréée, considèrent que vous vous souciez des femmes canadiennes et de leurs préoccupations.
Les représentants du gouvernement ont prétendu que le budget avait été réduit à 29,6 millions de dollars parce que, et je cite : « d'autres ministères allouent aussi des fonds pour des questions relevant de la condition féminine ». Pouvez-vous me dire si le gouvernement recueille réellement des données concernant le financement que les autres ministères consacrent aux questions touchant les femmes?
[Français]
Le sénateur Carignan : Je vais prendre votre question en note et vous revenir avec une réponse complète sur chacune des mesures prises par les différents ministères pour souligner l'effort et l'appui effectués pour la condition féminine. Comme je vous le disais tout à l'heure, ces mesures sont importantes et, depuis 2007, elles se chiffrent à des centaines de millions de dollars en investissements.
Le Sénat
La réforme du Sénat
L'honorable Jean-Claude Rivest : Ce matin, le ministre des Finances, M. Jim Flaherty, a déclaré qu'il était en faveur de l'abolition du Sénat. Le ministre Flaherty a-t-il exprimé la politique du gouvernement? Le leader du gouvernement au Sénat partage-t-il le point de vue de M. Flaherty?
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Notre position sur la réforme du Sénat n'a pas changé. Nous avons un renvoi, qui va être étudié prochainement par la Cour suprême, et nous attendrons la réponse du jugement de la Cour suprême de façon à établir les paramètres qui pourront nous conduire à une réforme du Sénat.
Le sénateur Rivest : Le ministre Flaherty est-il au courant de ce renvoi à la Cour suprême?
[Traduction]
Le sénateur Mercer : Nous n'en sommes pas certains.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je présume que oui. Il pourra voir les conditions nécessaires pour abolir le Sénat parce que cela fait partie des questions qui seront posées à la Cour suprême. Nous nous attendons à ce que la Cour suprême nous instruise sur quelles sont les conditions nécessaires pour l'abolition du Sénat.
(1450)
[Traduction]
Régie interne, budgets et administration
Dépôt de documents
Consentement ayant été accordé de revenir au dépôt de documents :
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l'ordre adopté par le Sénat le vendredi 25 octobre 2013, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, la transcription des délibérations du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration pour les séances qui ont eu lieu les 12 et 13 août 2013 et qui portaient sur le vingt-septième rapport du comité, présenté pendant la première session de la 41e législature.
ORDRE DU JOUR
Le Sénat
Motion tendant à suspendre l'honorable sénatrice Pamela Wallin—Motion subsidiaire—Motion d'amendement—Suspension du débat
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Carignan, C.P., appuyée par l'honorable sénatrice Poirier :
Que, nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition du Règlement, afin de protéger la dignité et la réputation du Sénat et de préserver la confiance du public envers le Parlement, le Sénat ordonne la suspension de l'honorable sénatrice Wallin pour cause, considérant sa négligence grossière dans la gestion de ses ressources parlementaires, et ce jusqu'à l'annulation de cet ordre conformément à l'article 5-5(i) du Règlement, selon les conditions suivantes :
a) la sénatrice Wallin ne recevra, pendant la durée de la suspension, aucune rémunération ou remboursement de dépenses de la part du Sénat, incluant toute indemnité de session ou indemnité de subsistance;
b) le droit de la sénatrice Wallin d'utiliser les ressources du Sénat, notamment les fonds, les biens, les services et les locaux, de même que les indemnités de déménagement, de transport, de déplacement et de télécommunications, sera suspendu pour la durée de la suspension;
c) la sénatrice Wallin ne recevra aucun autre bénéfice du Sénat pendant la durée de la suspension;
Que, nonobstant les dispositions de cette motion de suspension, le Sénat confirme que le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration conserve l'autorité, s'il le juge approprié, à poser tout geste relatif à la gestion du bureau et du personnel de la sénatrice Wallin pendant la durée de la suspension.
Et sur la motion de l'honorable sénateur Cowan, appuyée par l'honorable sénatrice Fraser :
Que cette motion soit renvoyée à notre Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour étude et rapport;
Que la sénatrice Wallin soit invitée à comparaître; que les délibérations soient télévisées, compte tenu de l'intérêt public que suscite la question et conformément à l'article 14-7(2) du Règlement.
Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénatrice Fraser, appuyée par l'honorable sénateur Munson :
Que la motion soit modifiée par remplacement des mots « du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement » par les mots « de la régie interne, des budgets et de l'administration ».
L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j'aimerais parler aujourd'hui des motions présentées par le sénateur Cowan et par la sénatrice Fraser, qui proposent de renvoyer les trois motions de suspension présentées par le sénateur Carignan à un comité.
Avant de parler des motions elles-mêmes, je tiens à remercier le sénateur Furey, qui a su nous guider pendant une période aussi longue que difficile et qui a travaillé sans relâche à la défense de nos intérêts.
Des voix : Bravo!
La sénatrice Jaffer : Et c'est sans parler de l'excellent travail des sénateurs Comeau, Tkachuk et Stewart Olsen. Je tiens en outre à remercier tous les membres du Comité de la régie interne du travail qu'ils ont accompli en notre nom. Tous les sénateurs en conviendront : ils ont fait de leur mieux, alors qu'ils disposaient de très peu de précédents.
J'aimerais enfin remercier le greffier du Sénat, Gary O'Brien, de même que l'ensemble du personnel administratif du Sénat, pour l'excellent travail qu'ils font pour nous. Nous traversons sans doute la période la plus éprouvante de l'histoire du Sénat, mais tous ces gens, y compris les sénateurs Cowan, Carignan et LeBreton, ont fait de leur mieux pour que nous puissions faire notre travail, et je les en remercie.
Honorables sénateurs, examinons ce que nous avons fait ici, au Sénat. Nous avons délégué l'examen des demandes de remboursement des sénateurs Duffy, Brazeau et Wallin au Comité de la régie interne. Après délibération, le comité, agissant en notre nom, a demandé aux trois sénateurs de rembourser certaines sommes au Sénat, puis a transmis l'affaire à la GRC. Comme nous le savons tous, c'est une affaire très grave, que la GRC prend très au sérieux.
Conformément à nos instructions, le Comité de la régie interne a infligé une sanction à l'égard des dépenses réclamées. Maintenant, certains d'entre nous, ici, veulent infliger d'autres sanctions. Ce qui m'inquiète beaucoup, c'est que les trois sénateurs doivent avoir eu l'impression que le Comité de la régie interne agissait en notre nom, ce qui les a amenés à coopérer.
Maintenant, en l'absence d'autres violations ou d'autres événements déclencheurs, comme des accusations portées par la GRC, certains de nos collègues, agissant de leur propre initiative, veulent suspendre les trois sénateurs sans traitement. Pour moi, c'est un peu comme si un juge, après avoir prononcé une sentence comprenant une certaine peine, décidait plus tard d'en imposer une autre, plus sévère, en l'absence de tout changement de la situation depuis le prononcé de la sentence.
En droit, on pourrait facilement arguer que l'affaire ne peut pas être entendue pour cause de res judicata ou, autrement dit, parce qu'elle a déjà fait l'objet d'un jugement.
Honorables sénateurs, je suis très troublée de voir que nous reprenons cette affaire sur une base civile après l'avoir transmise à la GRC en vue d'une enquête criminelle. Comment pouvons-nous justifier de tels agissements?
Honorables sénateurs, le sénateur Carignan soutient qu'il y a eu négligence grossière. Dans Ryan c. Victoria (Ville), 1999, la Cour suprême a statué :
Une conduite est négligente si elle crée un risque de préjudice objectivement déraisonnable. Pour éviter que sa responsabilité ne soit engagée, une personne doit agir de façon aussi diligente qu'une personne [...] prudente placée dans la même situation.
Le caractère raisonnable d'une conduite dépend des faits de chaque espèce, y compris la probabilité qu'un préjudice connu ou prévisible survienne, la gravité de ce préjudice, et le fardeau ou le coût qu'il faudrait assumer pour le prévenir.
Par contre, la négligence grossière est une action ou une omission qui, d'une manière irresponsable, ne tient pas compte des conséquences pour la sécurité ou les biens d'autrui.
Pendant tout le week-end, j'ai étudié des ouvrages de droit pour déterminer de quelle façon nous pourrions qualifier de « négligente » la conduite des trois sénateurs. Cette conduite pourrait être qualifiée de différentes façons défavorables, mais, d'après mon étude, il serait difficile de les taxer de négligence. Néanmoins, je veux bien admettre pour le moment que le terme peut convenir.
Honorables sénateurs, si quelqu'un se présentait à mon cabinet juridique en disant qu'il est impliqué dans une affaire civile dans laquelle il est allégué qu'il a blessé une personne en conduisant trop vite, j'aurais beaucoup de questions à lui poser. Une allégation d'excès de vitesse ne constitue pas une preuve suffisante. Je pourrais lui poser les questions suivantes : qui dit que vous avez conduit trop vite? Comment le savait-il? Quel est son niveau d'expertise? Quelles étaient les conditions routières? D'autres véhicules étaient-ils impliqués? À quelle vitesse roulait la personne qui a été blessée? J'aurais un nombre infini de questions à poser avant d'admettre l'allégation d'excès de vitesse soulevée contre mon client.
Nous nous présenterions ensuite devant un tribunal, où le juge déciderait si mon client allait effectivement trop vite. Pour en arriver à cette décision, il entendrait le témoignage des parties. Il y aurait ensuite contre-interrogatoire, ce qui revient à dire que les déclarations de chacun seraient mises à l'épreuve. En fonction de l'attitude et des réponses des parties ainsi que des preuves circonstancielles, le juge se ferait une idée de la crédibilité de la personne qui accuse mon client. Il déterminerait si les faits ont été prouvés ou non en fonction de la prépondérance des probabilités. Ensuite, il serait en mesure de rendre une décision. Voilà, honorables sénateurs, ce que j'appelle l'application régulière de la loi.
D'une part, le sénateur Carignan fait certaines allégations. De l'autre, les sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin font des allégations complètement différentes. Comment pouvons-nous, sans analyser les arguments présentés, en arriver à une décision? Cela, honorables sénateurs, n'est pas la procédure équitable que notre institution est censée protéger.
Nous sommes censés protéger les garanties procédurales, la primauté du droit et la Charte. Si nous adoptons les trois motions dont nous sommes saisis, nous ferions un tort irréparable à notre institution. Je frémis en pensant à la réaction du ministre de la Justice ou de ses fonctionnaires, lorsqu'ils comparaîtront devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, et que je leur demanderai si ce projet de loi est à l'abri d'une contestation en vertu de la Charte.
Comment pourrais-je poser cette question alors que nous faisons clairement abstraction de la Charte avec ces motions de suspension des trois sénateurs? Quelle crédibilité auriez-vous, quelle crédibilité aurions-nous?
Honorables sénateurs, en votant en faveur de ces trois motions, nous ferions un tort irréparable à notre institution, un tort que nous ne pourrions jamais effacer.
(1500)
Notre institution en a vraiment pris pour son rhume. Notre réputation est entachée. Pourtant, je suis convaincue, étant moi- même fière d'être sénatrice, que chacun d'entre nous est fier du travail que nous accomplissons au nom des Canadiens.
Lorsque je me promène dans Downtown Eastside, à Vancouver, et que je parviens à convaincre une jeune femme qui fait le trottoir d'aller chercher de l'aide et de fuir son souteneur, c'est en tant que sénatrice que je le fais et je suis fière de mon travail.
Lorsque je me rends dans les quartiers où se pratique la prostitution pour prêter main-forte à International Justice Mission Canada en allant secourir des victimes de la traite des enfants, c'est en tant que sénatrice que je le fais et je suis fière de mon travail.
Lorsque je collabore avec le Comité des droits de la personne à la rédaction d'un guide sur la cyberintimidation à l'intention des jeunes et de leurs parents, c'est en tant que sénatrice que je le fais et je suis fière de mon travail, comme vous l'êtes tout autant du vôtre, honorables sénateurs.
Nous sommes fiers de ce que nous accomplissons, et je crois que nous devons maintenant redoubler d'ardeur pour redorer le blason de notre institution afin que ses représentants puissent continuer à se sentir fiers des efforts qu'ils déploient dans le but d'améliorer le sort des Canadiens et d'autres personnes.
Honorables sénateurs, votre leader, le sénateur Carignan, et le mien, le sénateur Cowan, ont tous deux déclaré qu'il s'agirait d'un vote libre. Cette fin de semaine, le sénateur Carignan a admis que le Sénat pourrait aussi envisager d'autres options. Par conséquent, dans le meilleur pays, le pays le plus libre du monde, pourquoi ne laisserions-nous pas le temps à la procédure établie de suivre son cours? Que craignons-nous? Nous pouvons appuyer ce qui nous semble juste sans avoir à redouter personnellement les conséquences de ce geste. Aujourd'hui, nous pourrons voter selon notre conscience.
Le Président du Sénat, une personne très sage et tenue en haute estime, a cité la semaine dernière la phrase latine Nihil ordinatum est quod praecipitatur et properat, qui se rend ainsi : « La précipitation exclut la mesure. » Suivons son conseil. Prenons le temps d'accorder un traitement juste et équitable aux sénateurs Duffy, Brazeau et Wallin.
Honorables sénateurs, j'aimerais vous faire part de quelque chose qui est profondément enraciné dans ma mémoire. Comme vous le savez, je suis née en Ouganda. Le pays a accédé à l'indépendance en 1962. L'affranchissement du régime colonial était euphorisant pour tous les Ougandais. Or, cette liberté nous a été enlevée quand l'armée et le président Idi Amin sont devenus tout-puissants.
Aujourd'hui encore, je me rappelle ma mère suppliant mon père, qui était député, de ne pas défier le président. Mon père risquait la mort s'il osait dire ce qu'il pensait. Il répondait à ma mère : « Je veux que mes enfants apprennent à défendre ce qui est juste. »
Un jour, un courageux militaire a averti mon père que les hommes de main d'Idi Amin se rendaient chez nous. Mon père s'est enfui. Encore aujourd'hui, nous frissonnons à la pensée qu'il aurait été torturé et tué. Un brave militaire a pris un risque pour sauver la vie de mon père.
Plus tard, mon mari, Nuralla, n'a pas pu échapper aux griffes de l'armée, qui l'a emmené. Ce fut horrible, mais je me contenterai de dire que, si je ne suis pas veuve aujourd'hui, c'est grâce au courage d'un capitaine de police qui a tenu tête à l'armée et insisté pour que mon mari soit conduit au poste de police.
Ces deux hommes extrêmement courageux, le militaire et le capitaine de police, auraient pu perdre la vie. Ils ont quand même défendu ce qui était juste. Ils savaient que certains principes valent la peine qu'on risque tout pour les défendre.
Nous vivons dans un grand pays libre que nous appelons fièrement le Canada, et notre chef nous a permis de voter selon notre conscience. Pourquoi alors ne défendrions-nous pas les principes de respect des garanties procédurales et de la primauté du droit ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés? Si nous ne le faisons pas, qui le fera? Si je ne le fais pas, qui le fera? Si le Sénat ne le fait pas, qui le fera?
Voici le libellé du bref de Sa Majesté que nous avons reçu lorsque nous avons été nommés au Sénat :
SACHEZ QUE, en raison de la confiance et de l'espoir particuliers que Nous avons mis en vous, autant que dans le dessein d'obtenir votre avis et votre aide dans toutes les affaires importantes et ardues qui peuvent intéresser l'état et la défense du Canada, Nous avons jugé à propos de vous appeler au Sénat du Canada.
Honorables sénateurs, je vous incite fortement à appuyer la motion du sénateur Cowan et de la sénatrice Fraser et à accorder aux sénateurs Duffy, Brazeau et Wallin les garanties procédurales habituelles, un principe que nous chérissons tous.
L'honorable Michael Duffy : Je ne sais pas ce qu'on pourrait ajouter aux sages observations que la sénatrice Jaffer vient de formuler; elle a su cerner les valeurs fondamentales des Canadiens.
Je suis ici contre l'avis de mon médecin; je suis actuellement soigné à l'Institut de cardiologie. Je dois faire un peu de publicité pour l'institut. Si vous avez de l'argent en trop, les dons sont toujours acceptés avec plaisir. Mes propos sont probablement déplacés. Quoi qu'il en soit, ce sont des gens merveilleux et attentionnés, et ils m'ont conseillé d'éviter, si possible, de participer au présent débat parce que le stress qui en découle est dangereux pour mon cœur. Cependant, malgré leur avertissement, je n'ai d'autre choix que d'être ici, compte tenu de l'avalanche de faussetés et de propos diffamatoires qui ont été injustement et vicieusement proférés par des collègues qui devraient faire preuve de plus de bon sens.
J'ai écouté avec un mélange de tristesse et d'incrédulité ce qui s'est dit ces derniers jours. Je pensais que le leader du gouvernement, le sénateur Carignan, serait plus prudent dans ses accusations, à plus forte raison si on songe au profil qu'on a tracé de lui récemment dans le Globe and Mail et aux propos diffamatoires qu'on a tenus à son sujet dans sa province, le Québec. Il a le droit à la présomption d'innocence au sujet de ses activités sur le plan électoral. Nous y avons droit tous les trois. Malheureusement, on ne nous le reconnaît pas.
Le hansard rapporte que le sénateur Carignan a tenu les propos suivants le 23 octobre, vers 16 h 30 :
[...] avoir enfreint le Règlement du Sénat avec une répétition, avec une négligence, avec une certaine insouciance [...]
Quels articles du Règlement? Quand et comment? Sait-il que le cabinet du premier ministre, s'exprimant explicitement par l'entremise de Nigel Wright et après avoir vérifié mes demandes de remboursement, m'a écrit le 4 décembre 2012 :
Mike, on me dit que vous vous êtes conformé à toutes les règles qui s'appliquaient et qu'il doit y avoir plusieurs sénateurs qui sont dans la même situation.
Voulait-il parler de la sénatrice Stewart Olsen, qui a mis deux ans à déménager de sa maison à Ottawa à sa maison du Nouveau- Brunswick?
Une voix : C'est une honte.
Le sénateur Duffy : C'était donc le 4 décembre 2012, chers collègues. Je siégeais comme sénateur depuis pas moins de quatre ans. C'était là une allusion directe à toutes mes demandes de remboursement de frais de subsistance, à propos desquelles le sénateur Carignan a eu l'audace de dire que j'avais enfreint les règles avec négligence.
Nigel Wright n'était pas seul. Le 3 décembre 2012, la veille du courriel de M. Wright, le sénateur David Tkachuk, alors président du Comité de la régie interne, a confirmé aux médias qu'il n'y avait aucune raison pour que je ne demande pas le remboursement des frais de logement à Ottawa.
Une voix : Oh non.
Le sénateur Duffy : L'accusation insensée et sans fondement que lance le sénateur Carignan me rappelle l'accusation diffamatoire qui a été formulée au cours de l'infâme séance télédiffusée du Comité de la régie interne. Cette rare séance télévisée a été mise au programme après j'eus la témérité de dire aux journalistes, le 23 mai, qu'ils pouvaient se détendre, que je voulais que tous les faits soient exposés à l'endroit et au moment qui convenaient, avec assermentation de tous les protagonistes.
Devinez quoi. Cela n'a pas plu au cabinet du premier ministre : « Duffy veut mettre le public dans le coup? Nous allons lui régler son cas. »
Le cabinet du premier ministre a donc mis au programme une réunion télédiffusée du Comité de la régie interne, sachant que mon avocat était absent, et il m'a donné un avis de neuf minutes avant de me dire qu'il avait de nouveaux éléments de preuve contre moi.
(1510)
J'ai évité l'embuscade et j'ai regardé la télévision pour essayer de savoir de quoi il s'agissait. Sans m'entendre et allant à l'encontre des conclusions du vérificateur indépendant Deloitte, le comité a conclu que j'avais contracté l'habitude — l'habitude — de réclamer de fausses dépenses, et il a fait appel à la GRC.
Lorsque j'ai enfin reçu un DVD qui contenait les prétendues preuves, qu'est-ce que j'ai constaté? Qu'on avait envoyé à la GRC toutes les demandes de remboursement de dépenses que j'ai jamais présentées au Sénat, du 29 décembre 2008 au 12 août 2013. Il y avait 215 demandes en tout.
Le service des finances du Sénat avait réduit le montant de 47 demandes, disant que je demandais trop pour une allocation de repas par-ci — 13 $ — rajustant le nombre kilomètres parcouru par- là — quelques dollars à peine, mais il a aussi relevé le montant de 28 demandes, disant que je n'avais pas demandé un remboursement assez élevé.
Faisons les calculs : 215 demandes sur quatre ans et demi et j'ai facturé au Sénat, m'a-t-on dit, 437,35 $ en trop. Nous n'avons pas contesté les calculs, mais 437,35 $ sur 215 demandes, cela donne 2,03 $ par demande. Le service des finances du Sénat a corrigé ces erreurs minimes, et cette habitude de présenter de fausses demandes a fait en sorte qu'il y avait 2,03 $ en trop par demande.
C'est là le type d'erreur minime dans les dépenses qui se commet dans tous les bureaux du Sénat. Et, compte tenu de la complexité du formulaire des dépenses du Sénat, vous savez que c'est vrai. Cela explique aussi pourquoi l'Administration du Sénat a abandonné depuis ces formulaires et adopté un nouveau système comptable informatisé pour que tout soit plus clair et plus facile à comprendre pour tout le monde.
Chers collègues, vos collaborateurs envoient le formulaire et le service des finances du Sénat apporte des corrections et des rajustements. Après ces rajustements mineurs, il ne reste aucun solde à payer; tout a été corrigé et payé. Que cela soit bien clair.
Devant les caméras de télévision qui transmettaient la séance en direct, le Comité de la régie interne m'a accusé d'avoir présenté de fausses demandes de remboursement de dépenses pour un total de 2,03 $ par demande. Pour aussi peu, on a diffamé un sénateur en exercice à la télévision nationale?
J'ai demandé la copie de toute la correspondance venant de l'Administration du Sénat pendant toute la période où j'ai siégé dans cette auguste assemblée, soit quatre ans et demi. Je voulais toutes les communications entre moi, mon bureau et l'Administration du Sénat au sujet de tout ce qui la préoccupait.
L'Administration du Sénat m'a-t-elle écrit, ne fût-ce qu'une fois, pour me demander ce qui se passait, parce qu'elle avait quelque sujet de préoccupation? Jamais cela ne s'est produit. Pas un mot.
Si cette diffamation monstrueuse avait été commise en dehors de cette enceinte, j'aurais intenté des poursuites, mais cela s'est produit au cours d'une séance de comité, où les sénateurs sont protégés par le privilège parlementaire. Cela s'est passé le 28 mai.
Ce jour-là, le Comité de la régie interne s'est réuni deux fois. Il s'est réuni à huis clos en matinée. A-t-on dit aux 15 membres qu'on allait diffamer l'un de leurs collègues à la télévision nationale à cause d'erreurs qui s'élèvent à 2,03 $ par demande de remboursement?
Je ne peux pas croire que mes collègues du comité se seraient prêtés à cette hideuse déformation de la vérité s'ils avaient su que le crime allégué correspondait au prix d'un café : deux dollars — 2,03 $. Il s'agissait d'erreurs minimes, sans conséquence, sans importance, qui ont été immédiatement corrigées.
Je ne peux arriver qu'à une seule conclusion. Il s'agit d'un coup monté organisé par les dirigeants du Sénat sous la conduite du cabinet du premier ministre et destiné à détruire ma crédibilité auprès des Canadiens, si jamais j'osais révéler les dessous de cette affaire de 90 000 $.
Étant donné l'énormité des allégations du 28 mai, y a-t-il un sénateur qui peut ajouter foi à quoi que ce soit que disent aujourd'hui les dirigeants au sujet de ce que nous avons fait, les sénateurs Wallin et Brazeau et moi? Quels mensonges murmurent-ils cet après-midi dans leur groupe de parlementairesõ? « Si seulement vous saviez ce que nous savons de ces trois êtres abjects. »
Ce que je sais, c'est qu'on ne peut pas s'attendre à ce que les leaders en place disent la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité.
Puisqu'on parle de leadership, la sénatrice LeBreton a donné toute une performance la semaine dernière. Elle a rejeté avec suffisance mes révélations concernant les menaces ainsi que les tentatives de conspiration, de corruption et d'extorsion. Je disais des énormités. Cette affaire a effectivement pris une ampleur considérable. Attendez que les Canadiens voient la chaîne de courriels qui sont entre les mains de mes avocats et, je l'espère, de la GRC.
Cette chaîne de courriels entre le cabinet du premier ministre, les avocats de ce dernier — y compris Ben Perrin, qui a directement participé à l'approbation des résolutions qui seront présentées au congrès national du parti, ce week-end —, l'avocat du Parti conservateur, Arthur Hamilton, également impliqué, et mon avocat démontre qu'il s'agissait d'un coup monté depuis le début, et que je suis innocent.
Le premier ministre savait que je n'étais pas coupable. Nigel Wright le savait également; il l'a dit dans ce courriel. Les leaders au Sénat savaient que je n'étais pas coupable. Il suffit d'examiner les preuves documentaires.
Je suis retourné à l'Île-du-Prince-Édouard après que le premier ministre ait proposé que nous allions de l'avant avec ce stratagème ignoble. Nigel m'a téléphoné pour me convaincre de participer à ce plan horrible. Il a même dit que c'est lui qui paierait les 90 000 $. Je n'avais qu'à collaborer et à faire ce qu'on me disait.
Ce n'est pas tout. Lorsque j'ai insisté pour qu'on me donne, par écrit, l'assurance que le remboursement d'une somme que je n'avais pas à payer n'allait pas être perçu par le Sénat comme un aveu de culpabilité, Nigel Wright a pris des dispositions pour payer mes frais d'avocat. C'est exact, mesdames et messieurs : Nigel Wright n'a pas fait un chèque, mais au moins deux chèques. Écoutez bien ceci. Le cabinet du premier ministre a demandé à l'avocat du Parti conservateur, Arthur Hamilton, de payer mes frais d'avocat. Arthur Hamilton a fait un chèque de 13 560 $ pour payer les honoraires de mon avocat. Vous avez bien entendu, honorables sénateurs : il n'y a pas eu un seul paiement, mais bien deux.
La semaine dernière, le premier ministre a affirmé sur la chaîne CFRB qu'il avait ordonné que la somme soit remboursée parce que les règles du Sénat relatives aux dépenses avaient été « clairement enfreintes », pour reprendre ses paroles. Pourtant, il a vu à ce que quelqu'un paie mes frais juridiques, ce qui contredit ses propos. Pourquoi aurait-il agi de la sorte? Il ne l'aurait jamais fait si mes demandes de remboursement de frais lui semblaient inadmissibles.
S'il a agi ainsi, c'est parce que, comme je le répète depuis le début, c'est une des pièces de sa stratégie, une stratégie négociée par ses avocats et ceux du Parti conservateur dans le but de faire disparaître une situation embarrassante pour sa base politique.
Il a pris leur argent — du moins, c'est ce que je soupçonne, sans pouvoir le prouver pour le moment. Je soupçonne qu'il a pris l'argent de sa base politique pour payer un avocat et étouffer l'affaire. Il suffit de regarder les chèques pour savoir qui dit la vérité.
Mike Duffy, cet homme que les conservateurs présentent maintenant comme un tricheur, a vu ses frais juridiques de plus de 13 000 $ payés par Arthur Hamilton, l'avocat du Parti conservateur, qui est rattaché à la firme Cassels Brock. Cette somme s'ajoute aux 90 000 $ qui, selon leurs dires, auraient été versés par Nigel Wright. Je n'ai jamais vu l'ombre d'un chèque de Nigel Wright, mais j'ai le talon du chèque et la lettre d'accompagnement que j'ai reçus d'Arthur Hamilton, l'avocat du Parti conservateur. À la fin de mon intervention d'aujourd'hui, j'aimerais, si le Sénat m'y autorise, déposer une copie des courriels et des documents que je mentionnerai dans les prochaines minutes.
Pourrait-on imaginer des preuves plus claires qu'une série de courriels dans lesquels les haut placés du cabinet du premier ministre décrivent les négociations du contrat? Les liens avec le paiement de 90 000 $, et avec la somme supplémentaire de 13 000 $ versée à mes avocats par les avocats du parti, montrent que cette fraude monstrueuse était, d'un bout à l'autre, l'œuvre du cabinet du premier ministre.
À la lecture de ces courriels, vous découvrirez les discussions qui se sont déroulées entre les avocats du cabinet du premier ministre et leur juriste principal, à propos des mots à utiliser pour guider les interventions futures de la sénatrice LeBreton et d'autres chefs de file du Parti conservateur.
La sénatrice LeBreton a pourtant tenté d'agir de manière autonome à un certain moment, mais j'ai le regret de dire, à titre de sénateur, que Nigel Wright m'a alors écrit pour me dire qu'il était déçu des initiatives personnelles de la sénatrice et de ses collègues. Son ton montrait qu'il se demandait comment ces gens pouvaient avoir un tel culot. Il a ordonné au leader au Sénat et aux conservateurs qui siègent au comité directeur du bureau de régie interne de rentrer dans le rang et de cesser toute intervention unilatérale. Tout cela est écrit dans les documents.
(1520)
Sommes-nous des sénateurs indépendants ou des pantins du cabinet du premier ministre? Lorsque vous prendrez connaissance de la documentation, chers collègues, vous verrez qui dirigeait cette campagne sans merci visant à anéantir tout appui des Canadiens envers une Chambre de second examen objectif, une Chambre censée faire contrepoids au pouvoir absolu des Communes.
La sénatrice LeBreton dit ne pas trouver la note de deux pages écrite en son nom par son conseiller pour toute question d'ordre constitutionnel.
Eh bien, le document est daté du 6 janvier 2009 et a été envoyé à la sénatrice Wallin ainsi qu'à moi avant notre assermentation. Dans cette note, le spécialiste des questions d'ordre constitutionnel nous explique, à la demande de la sénatrice LeBreton, la politique du Sénat en matière de domicile. Pourquoi a-t-elle fait cela? Parce que nous voulions nous assurer que nous respections les règles. On nous a donc fait parvenir cette note de deux pages, et il y est dit que le Sénat lui-même détermine ce qui constitue un domicile, indépendamment de toute définition établie par les ministères ou les lois du gouvernement. Cette note explique en outre que le domicile ne dépend d'aucune façon du nombre de jours où une personne se trouve dans sa province de résidence ou à tout autre lieu de résidence donné.
Nous avons suivi les conseils fournis dans cette note, et mon personnel a fait de même lorsqu'il a rempli les formulaires de réclamation pour mes allocations de logement et mes dépenses, sous la direction et la supervision des spécialistes du service des finances du Sénat.
J'aimerais également déposer ce document.
Son Honneur le Président intérimaire : Je regrette de vous informer que vos 15 minutes sont écoulées. Souhaitez-vous demander qu'on vous accorde plus de temps?
Acceptez-vous d'accorder plus de temps, honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président intérimaire : Veuillez continuer.
Le sénateur Duffy : Les sénateurs accepteraient-ils de m'accorder cinq minutes de plus?
Une voix : Une demi-heure.
Le sénateur Duffy : Ce n'est pas terminé. Ce n'est pas terminé.
Cette note de service explique en outre que le domicile ne dépend d'aucune façon du nombre de jours où une personne se trouve dans sa province de résidence ou à tout autre lieu de résidence donné. J'ai suivi les conseils fournis dans cette note de service, et mon personnel a fait de même lorsqu'il a rempli les formulaires de réclamation pour mes allocations de logement et mes dépenses, sous la direction et la supervision des spécialistes du service des finances du Sénat. J'aimerais déposer aussi ce document.
Donc, pour récapituler, j'ai suivi les règles énoncées par le spécialiste de la sénatrice LeBreton. Après quatre ans, le 3 décembre, le sénateur Tkachuk, un gentleman, alors président du Comité de la régie interne, a confirmé aux médias que j'avais suivi les règles et que j'avais droit aux allocations. Le lendemain, le 4 décembre, Nigel Wright, au CPM, a vérifié et déclaré que mes demandes respectaient les règles, puis, finalement, Deloitte a confirmé que, sauf pour une erreur d'écriture pour une indemnité quotidienne durant mes vacances, tout était en règle.
Mais ce n'est pas tout.
La sénatrice LeBreton a tenté de balayer du revers de la main ma rencontre du 13 février avec le premier ministre et Nigel Wright. Comment peut-elle en parler? Elle n'était pas là. Elle n'a jamais été présente à cette réunion. Comme je vous l'ai dit mercredi dernier, chers collègues, il y avait le premier ministre, Nigel Wright et moi, seulement nous trois.
Et ce n'était pas une rencontre informelle, comme la sénatrice LeBreton le laisse entendre. La réunion a été convenue le 11 février, lorsque j'ai croisé Nigel Wright à l'édifice Langevin. C'est à ce moment-là que j'ai entendu parler pour la première fois de ce stratagème de remboursement, et j'ai exprimé mon désaccord. La semaine dernière, j'ai dit aux sénateurs qu'à cette réunion du 13 février, à l'autre endroit, le premier ministre a convenu que je n'avais pas enfreint les règles, mais a insisté pour que je rembourse l'argent, de l'argent que je ne devais pas, parce que les règles du Sénat sont, pour reprendre les termes qu'il a employés, « inexplicables pour notre base ».
Il ne l'a jamais fait pour des raisons éthiques. Il l'a toujours fait pour des raisons politiques, et c'est ce qui explique pourquoi Arthur Hamilton était occupé à faire des chèques.
En avez-vous assez entendu?
Une voix : Non.
Le sénateur Duffy : Attendez. Il y a plus.
La sénatrice LeBreton, des députés conservateurs et des doreurs d'image du cabinet du premier ministre m'ont attaqué pour avoir dit que j'avais obtenu un prêt à la RBC. Chers collègues, il y a des personnes qui n'ont aucun scrupule. Ce que j'ai dit au sujet de la RBC faisait partie du script que m'avait préparé et envoyé par courriel le cabinet du premier ministre.
Le 21 février, après avoir été victime de menaces et d'intimidation, j'ai accepté à contrecœur de suivre ce stratagème malhonnête. La machine à propagande du cabinet du premier ministre tournait à plein régime. Les relevés des appels effectués en février au moyen de cellulaires et de téléphones du cabinet du premier ministre montreront que de nombreux appels et courriels m'étaient destinés au fur et à mesure que le cabinet élaborait sa version des faits et me faisait répéter — jusqu'à la dernière minute, soit jusqu'à ce que je fasse ma déclaration à la télévision —, ce que j'allais dire aux journalistes.
Dès le début, lors des discussions avec le cabinet du premier ministre, les experts avaient prédit que les journalistes s'interrogeraient sur la provenance de la somme de 90 000 $. Lorsqu'ils ont su que j'avais utilisé ma marge de crédit personnelle pour rénover ma maison à Cavendish, ils ont sauté à pieds joints sur l'occasion. Ils ont proposé que j'aille à la RBC demander un prêt pour rembourser ma marge de crédit. Si les journalistes me demandaient où j'avais obtenu l'argent pour rembourser le montant de 90 000 $, on m'a dit de répondre que « mon épouse et moi avions fait un emprunt à la Banque Royale ».
Eh bien, dans les faits, c'est ce qui s'est passé. Nous avons effectivement contracter un prêt, mais ce prêt n'a pas servi à rembourser la somme de 90 000 $, que je ne devais pas, de cela le cabinet du premier ministre en convenait. Le cabinet avait prévu cette ligne dans le script qu'il m'avait préparé pour tromper les Canadiens sur la véritable provenance des 90 000 $.
Les millions de Canadiens qui ont voté pour le premier ministre Harper et les milliers de conservateurs qui vont se réunir à Calgary cette semaine seraient choqués de voir comment fonctionnent certains de ces conservateurs. Ils n'ont aucun sens moral. Ils tiennent de beaux discours sur l'intégrité mais, selon mon expérience, ils démontrent chaque jour qu'ils ne comprennent pas le sens de l'expression « la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ».
Il est vraiment triste de voir cette offensive menée contre une importante institution du système parlementaire par des gens qui sont censés connaître le rôle du Sénat au sein de notre démocratie.
Par conséquent, pourquoi moi — qui, de leur propre aveu, ai respecté les règles et bêtement participé à leur plan infâme — suis-je l'objet de ce processus arbitraire et sans précédent qui consiste à me suspendre du Sénat? Dans le secteur privé, un employé peut intenter des poursuites pour congédiement injustifié, mais ce n'est pas possible ici, au Sénat. On nous dit que le Sénat est au-dessus des lois.
La semaine dernière, le sénateur Carignan a dit que le Sénat était une zone exempte de droits. Je ne pouvais en croire mes oreilles. Il a dit que la Charte des droits et libertés, qui constitue le fondement de la Constitution, ne s'appliquait pas au Sénat. Le statut du Sénat est vraiment spécial.
Les Canadiens pensent-ils vraiment que la Charte des droits ne devrait pas s'appliquer aux sénateurs? Souhaitent-ils que leur démocratie fonctionne sans respecter la primauté du droit et l'application régulière de loi? Cette offensive contre nos droits mine le respect des Canadiens à l'égard du Parlement, et si on ne s'y oppose pas elle va créer un précédent très dangereux.
En tant que conservateurs, nous n'acceptons pas facilement les changements apportés à notre système de gouvernement. Nous les examinons attentivement afin de nous assurer qu'ils sont tout à fait appropriés et pas seulement opportuns.
Nous nous souvenons de la Grande Charte signée par le roi Jean il y a près de 800 ans, et aussi des principes de justice fondamentale énoncés dans la Déclaration des droits de M. Diefenbaker, il y a plus d'un demi-siècle. Nous respectons ces documents. Par conséquent, aujourd'hui je vous demande de défendre la justice fondamentale et de ne pas laisser cette motion injuste être adoptée. Dites au sénateur Carignan qu'il n'a pas réussi à nous convaincre et qu'il n'a rien prouvé. Dites-lui que ce dossier relève du système de justice et faites en sorte, avec votre vote, que justice soit faite.
Le gouvernement pourrait mettre fin à cette saga en retirant tout simplement ces motions dangereuses et antidémocratiques. Déclarez victoire et rendez-vous ensuite à Calgary pour célébrer les nombreuses réalisations importantes du gouvernement qui profitent aux Canadiens. Faites en sorte que le processus établi suive son cours.
Cette affaire mérite de se retrouver dans les manuels d'histoire. Nigel Wright, le sénateur Tkachuk et la firme Deloitte ont tous jugé que je n'étais pas coupable. Honorables sénateurs, qu'est-ce que l'histoire dira de vous après ce vote?
Merci, chers collègues.
Avec le consentement du Sénat, j'aimerais déposer certains documents.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président : Il en est ainsi ordonné.
Je crains que le temps de parole dont disposait le sénateur ne soit écoulé.
(1530)
L'honorable Grant Mitchell : Merci, monsieur le Président. Honorables sénateurs, je sais que, au fil des ans, j'ai pris la parole à plusieurs reprises au Sénat et il se trouvait toujours — il n'y a probablement aucune exception à cette règle — un sénateur pour contester mes propos. Quoi qu'il en soit, ce que je m'apprête à dire sera incontestable : Tout ce que je dirai après ce discours sera totalement dénué d'intérêt.
Des voix : D'accord.
Le sénateur Mitchell : C'était une déclaration très percutante qui illustre parfaitement le thème central de ce débat où s'opposent le processus juste et équitable et le jugement précipité. Je pense que nous ressentons tous le poids écrasant de la dichotomie et de la tension qui découlent de ces deux initiatives. D'un côté, il y a la volonté de désamorcer la colère que ressentent beaucoup de Canadiens et certains sénateurs au sujet du comportement présumé de quatre sénateurs et, de l'autre, il y a le processus juste et équitable, la Charte des droits et toutes les répercussions. Je crois que cette situation nous pèse énormément et je pense qu'elle entraîne une certaine lassitude, voire un épuisement émotionnel. Dans un instant, je vais raconter une histoire qui reflète ces sentiments.
Je crois que, au fond, tous les sénateurs qui participent à ce débat, quelle que soit leur allégeance politique, veulent protéger, rétablir, s'il y a lieu, et rehausser la réputation du Sénat. La sénatrice Jaffer vient de dresser une liste sommaire du travail remarquable qu'accomplit le Sénat, et nous savons tous qu'elle dit vrai. Nous n'avons pas réussi à l'exprimer ou à le communiquer, mais, au fond, les sénateurs des deux côtés de la Chambre souhaitent réparer les dommages que cette affaire a causés. Or, mardi dernier, lorsque les ministériels ont proposé leur motion, la donne et l'opinion des Canadiens au sujet du Sénat ont changé. Jusque-là, c'est le comportement de quatre sénateurs qui retenait l'attention des Canadiens et c'est sur cela qu'ils fondaient leur jugement. Depuis mardi, cependant, c'est le comportement de l'institution au grand complet qui est sur la sellette.
C'est une chose pour le Sénat d'être évalué en fonction du comportement de quatre personnes. Dans six mois ou dans un an, quand les Canadiens se reprendront et commenceront à mettre les choses en perspective, ils auront une impression bien différente que celle que leur laissera le comportement de notre institution en ces moments critiques. Sur la question du comportement de l'institution, deux questions se présentent. Je répète qu'on parle du comportement de quatre personnes, la première consiste donc à savoir si nous voulons les punir. Voulons-nous les punir au terme d'un processus? L'autre question porte sur le processus lui-même, et c'est justement où nous en sommes à ce point-ci. Les enjeux sont encore beaucoup plus élevés depuis mardi dernier, aussi étrange que cela puisse paraître, parce que les Canadiens n'évaluent plus simplement un comportement individuel; ils évaluent le comportement de notre institution dans son ensemble.
Le Sénat existe depuis 146 ans, et il a considérablement contribué à l'élévation de notre pays et à l'élévation des valeurs qui nous définissent en tant que Canadiens : le respect de la primauté du droit, le respect des droits de la personne, et cetera. Les Canadiens veulent qu'on fasse ce qui s'impose, et je reviendrai au point que j'ai fait plus tôt sur la fatigue émotive et ce qui m'est arrivé jeudi dernier à l'aéroport, juste avant de monter à bord. Nous sommes tous passés par là à plusieurs reprises. Je me suis approché de la porte, le dernier pas qu'on fait avant que les gardes nous disent dans quelle file passer. J'étais là, debout, et contrairement à toutes les autres fois dans ma vie, où le garde ne me dit rien d'autre que d'aller dans telle ou telle file, cette jeune femme m'a dit : « Vous avez l'air d'avoir eu une bien dure journée. » Son commentaire m'a paru étrange, mais bien évidemment cela devait se voir puisque je venais de traverser trois jours de débat, comme vous tous. J'ai réfléchi à ce que j'allais lui répondre, et j'ai dit : « Oui, c'est vrai. J'ai eu trois bien dures journées consécutives. Je suis un sénateur. Je suis libéral, nous sommes en plein débat et je me soucie beaucoup de la primauté du droit et de ce qui est en jeu en ce moment. » La personne derrière moi, un homme d'environ 50 ans, m'a tapé sur l'épaule et m'a dit : « Ne lâchez pas, n'abandonnez pas. Vous devez faire ce qui s'impose, c'est-à-dire respecter la primauté du droit et faire toutes les bonnes choses à cet égard. »
Puis, je suis monté à bord de l'avion, et je me suis assis à côté d'une femme que je n'avais jamais vue auparavant. Elle m'a regardé et m'a dit : « Vous avez l'air d'avoir eu une journée terrible. » Je commençais à me sentir peu offusqué, mais je lui ai répondu, à elle aussi : « Je suis un sénateur, je suis un libéral, et je suis très préoccupé par tout le débat qui a lieu au Sénat, cette institution que nous aimons tellement, au sujet de la primauté du droit, principe qui est en jeu compte tenu des mesures que veut prendre le Sénat. » Elle a affirmé qu'elle avait été une travailleuse humanitaire toute sa vie et qu'elle était revenue du Bangladesh il y a deux semaines. Elle a ajouté ceci : « J'ai suivi le débat au cours des derniers jours. Dans le cadre de mon travail humanitaire, j'ai passé ma vie à travailler avec divers pays afin de les aider et de leur enseigner à faire ce qui s'impose dans des situations exactement comme celle-ci. Vous devez continuer. N'abandonnez-pas. Faites ce qui s'impose. Il en va de la primauté du droit. »
Quand nous nous penchons sur le sujet, il faut, selon moi, nous poser deux questions fondamentales. La première est la suivante : est-ce que les trois sénateurs accusés, qui sont actuellement nos collègues, disposent de certains droits fondamentaux, le genre de droits que, selon le sénateur Segal — qui a eu raison de le signaler —, le premier ministre tentait, plus tôt aujourd'hui, de faire respecter au Sri Lanka? Oui, les sénateurs ont eu la possibilité de parler, mais ils n'ont pas pu poser de questions en bonne et due forme à leurs accusateurs. Ils n'ont pas pu avoir leur avocat à leurs côtés pour contre-interroger leurs accusateurs et les contre- interroger eux-mêmes. Leurs sanctions n'ont pas été soumises à une analyse réfléchie, c'est-à-dire fondée sur des précédents et des études appropriées. Ils n'ont bénéficié d'aucune de ces possibilités, et nous ne pouvons pas offrir une telle procédure dans ce genre d'institution et d'assemblée. Cela ne fonctionne tout simplement pas.
Chaque jour, de plus en plus de détails nous sont révélés. Il y avait un microcosme comme ce dont je parlais l'autre jour. Je m'en suis rendu compte lorsque la sénatrice LeBreton et d'autres sénateurs ont pris la parole pour répondre à ce que la sénatrice Wallin, le sénateur Duffy et le sénateur Brazeau venaient de dire. Comme ces gens sont sénateurs, nous admettons tous que ce qu'ils ont dit est ce qu'ils estiment être la vérité. Or, les trois sénateurs en cause, la sénatrice LeBreton et le sénateur Tkachuk ont dit des choses assez différentes. C'est pour cette raison que le processus judiciaire prévoit un contre-interrogatoire, qui permet de passer en revue les présentations, les témoignages de chacun et leur version des événements qui se sont produits. Chacune de ces personnes croit fermement que ce qu'elle a dit est la vérité, mais leurs témoignages n'ont parfois rien en commun. C'est pour cette raison qu'il faut qu'un avocat fasse un contre-interrogatoire. Les sénateurs en cause n'y auront pas droit au Sénat.
Je souligne le point qu'a fait valoir le sénateur Duffy : il s'agit de la dernière occasion qu'ils ont de défendre leur point de vue. On a fait valoir l'argument réducteur selon lequel ces gens seraient tout simplement congédiés s'ils étaient dans le secteur privé. Or, j'ai lu un commentaire intéressant : la personne disait que, si un patron congédiait son employé, cette personne aurait d'autres recours à sa disposition. Il faut étudier cette question, faire des contre- interrogatoires, examiner les faits en détail et chercher à découvrir la vérité. Cependant, ce qui est foncièrement important, c'est la différence entre le processus actuel et ce qui se passerait dans le secteur privé. Le sénateur Duffy a fait valoir que les personnes qui sont congédiées dans le secteur privé peuvent amener leur ancien employeur devant les tribunaux pour congédiement injustifié. Dans le cas qui nous occupe, les personnes en cause ne peuvent pas faire appel de notre décision.
La deuxième chose que je trouve très troublante dans le processus, c'est bien entendu qu'il n'existe pas de précédent pour les sanctions qui sont envisagées. En fait, je souligne ce qui a déjà été dit : ce qui rend la tâche doublement difficile, c'est que ces trois personnes ont sans doute certaines fautes en commun, mais ce dont on les accuse est aussi très différent. En fait, la différence entre les montants en cause n'est pas négligeable : 45 000 $, 48 000 $, 90 000 $ et 140 000 $. Il s'agit de chiffres très différents; pourtant, les trois sénateurs visés par cette motion seraient tous traités de la même façon.
(1540)
J'aimerais aussi parler d'un autre élément du processus. Lorsqu'on lui a demandé si on disposait de tous les faits pertinents, le sénateur Comeau — qui, je dois le dire, de concert avec le sénateur Furey, a assumé un excellent leadership au cours des travaux difficiles qu'a dû réaliser ce comité l'été dernier — a déclaré : « Eh bien, lisez le rapport de la firme Deloitte. Tous les faits s'y trouvent. » Pouvez-vous imaginer que, dans un tribunal canadien, une personne puisse être condamnée à une peine aussi sévère en fonction d'un rapport de vérification, alors que les vérificateurs n'ont jamais été contre-interrogés et que leur rapport n'a jamais pu être décortiqué par un avocat? Pensez-vous que cela pourrait se produire dans une cour de justice au Canada? Non, n'est-ce pas? Alors, comment se fait-il que nous puissions nous baser sur ces faits pour rendre une décision qui aura des répercussions aussi importantes sur la vie de ces sénateurs?
Loin de moi l'idée de minimiser l'importance de quoi que ce soit, mais je pense que la question du comportement du Sénat est encore plus cruciale en ce qui a trait aux enjeux touchant la Charte des droits et les droits de la personne, ainsi que l'application régulière de la loi. Souhaitons-nous ramener tout cela à un ou plusieurs rapports rédigés par des vérificateurs qui n'ont jamais été contre-interrogés?
Le sénateur Segal : C'est une honte.
Le sénateur Mitchell : Je sais que les sénateurs qui s'intéressent à cette question et qui prennent part à ce débat ne sont pas motivés outre mesure par la partisanerie politique, mais, pour compliquer encore plus les choses, la question de la partisanerie et des pressions politiques est tout à fait pertinente et doit absolument être prise en compte.
Je ne pense pas que le gouvernement actuel puisse faire beaucoup de choses de façon compétente, mais s'il y a une chose qu'il faisait bien par le passé, c'était de communiquer ses messages. La semaine dernière, le gouvernement voulait faire passer deux messages : le premier portait sur le discours du Trône et l'autre sur l'accord de libre-échange.
Demandez-vous pourquoi le gouvernement et les acteurs politiques, qui travaillent si fort pour bien faire passer leurs messages, présenteraient une motion visant à suspendre ces trois sénateurs en sachant pertinemment qu'une telle mesure reléguerait au second plan tout autre message qu'ils pourraient vouloir communiquer au même moment.
Ils ont sacrifié le message sur le discours du Trône, qui visait à détourner l'attention du public, et ils ont aussi sacrifié le message sur l'accord économique et commercial global, l'AECG. Cela signifie sans doute que ce dossier est extrêmement important pour eux sur le plan politique. Ce n'est pas une coïncidence. On l'a mentionné, et je le répète : ils veulent régler ce dossier avant de faire face à leurs militants au congrès.
Des Albertains m'ont entretenu de ce dossier de façon tout à fait indépendante, sans provocation de ma part. Ils ont dit tout simplement que cette affaire avait une dimension politique. Si nous nous préoccupons de la perception qu'ont les gens du Sénat et si nous voulons qu'ils soient moins durs à l'égard de notre institution, nous allons devoir faire plus que de nous contenter de punir des gens de façon quasi arbitraire. Nous allons devoir faire meilleure figure au niveau des grands enjeux. À mon avis, cet enjeu important a été entaché par les allusions à une dimension politique.
En terminant, si nous croyons que c'est de cette façon que nous allons régler le problème du Sénat et de la perception que les gens ont de notre institution, nous avons tout faux. Il faut faire beaucoup plus. Cette mesure n'est pas une panacée. Elle ne mettra pas un frein aux critiques et elle ne nous permettra pas de faire valoir à quel point le Sénat est une belle institution remarquable et merveilleuse qui apporte une contribution insigne à notre pays depuis 146 années. Nous devons faire beaucoup plus, et les deux côtés de cette Chambre doivent travailler à cette fin. Si nous souhaitons avoir un tant soit peu de crédibilité, nous devons absolument respecter les nobles principes que sont l'application régulière de la loi et le respect de la Charte et des droits de la personne. Le Sénat a défendu ces principes. Il a été créé pour les faire respecter et il les a longtemps très bien défendus.
Son Honneur le Président : Y a-t-il des questions ou des observations?
L'honorable A. Raynell Andreychuk : Le sénateur Mitchell accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Mitchell : Oui.
La sénatrice Andreychuk : Sénateur Mitchell, vous avez commencé en parlant d'imposition de peines, mais il s'agit véritablement de la partie concernant les mesures disciplinaires. J'ai respecté le fait que vous alliez aborder ces sujets, mais vous avez ensuite dit qu'on n'avait pas permis que la loi soit appliquée régulièrement et que la Charte des droits n'avait pas été respectée.
Demandez-vous plus de temps, sénateur Mitchell?
Le sénateur Mitchell : Oui.
Non, je suis d'accord.
La sénatrice Andreychuk : Comme nous le savons bien et comme vous l'avez dit, le Sénat est une institution très spéciale. C'est pour cela que nous bénéficions du privilège parlementaire. Nous avons certaines règles — des conventions — que nous respectons.
Nous n'agissons pas seuls ici. En effet, nous agissons souvent par l'intermédiaire de comités. On a confié au Comité de la régie interne la responsabilité des enquêtes, des vérifications, de tout le processus, et il est arrivé à une conclusion. Il y a quelque chose qui m'agace. Êtes-vous en train de dire que le comité n'a pas bien fait son travail et que l'audience n'était pas équitable? Je vous ai entendu dire que vous vouliez en appeler de tout le processus. Êtes-vous en train de dire que tous les membres de ce comité n'ont pas accordé une audience équitable conformément aux droits et aux responsabilités du Sénat?
Le sénateur Mitchell : Non, ce n'est pas du tout ce que je veux dire. Ce que je dis, c'est qu'il s'agit de deux situations très différentes. L'ampleur de la situation a augmenté de façon exponentielle compte tenu des enjeux de cette décision, car nous décidons de ce qui adviendra de leur vie. C'est un processus punitif. Jusqu'ici, ils n'avaient que remboursé les sommes dues, mais les enjeux sont beaucoup plus importants maintenant. C'est un processus punitif qui peut littéralement ruiner leur vie.
De plus, que cela nous plaise ou non, la motion a soulevé la question de l'application régulière de la loi et y a donné de l'importance. Si l'on examine le contexte du problème dont nous discutons actuellement, c'est-à-dire la peine, la question de l'application régulière apparaît clairement.
Vous dites que nous sommes régis par des règles et qu'il faut les respecter, mais il est intéressant de constater, premièrement, que la motion commence par « nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition du Règlement ». C'est nouveau. C'est intéressant.
Deuxièmement, vous dites que nous sommes maîtres de nos décisions — et je sais que le sénateur Nolin a fait valoir cet argument —, pourtant il est très intéressant de constater que la nouvelle motion inscrite au Feuilleton par le leader adjoint n'est plus une motion des sénateurs appartenant au camp du gouvernement, mais une motion du gouvernement lui-même. Je ne sais pas si elle sera présentée, mais j'imagine qu'elle n'a pas été inscrite pour rien. Alors, si nous sommes maîtres des affaires de notre assemblée et que c'est nous seuls qui devons prendre les décisions de ce genre, pourquoi voudrions-nous nous prononcer sur une motion du gouvernement, comme on semble vouloir nous le proposer?
Qui plus est, pourquoi communique-t-on avec le premier ministre, comme on semble assurément le faire? Pourquoi la décision lui appartiendrait-elle? Il n'a pas assisté au présent débat, mais c'est lui qui décide. Il a enfin trouvé le juge, le jury et la peine. Il a rendu son jugement. Il n'a jamais assisté au présent débat. Il n'a pas entendu un seul mot des propos que nous avons tenus.
Lorsque vous dites que cette enceinte est un endroit spécial, vous avez absolument raison. C'est un endroit spécial. Mes collègues et moi ainsi que, je le crois, certains sénateurs d'en face — et je ne parle pas des autres — défendons notre position parce que nous voulons que le Sénat demeure un endroit spécial.
L'honorable George Baker : Le sénateur souscrit-il au passage suivant du chapitre 3 de l'ouvrage Charte canadienne des droits et libertés, écrit sous la direction de Gérald-A. Beaudoin : « Doit-on en conclure que les enquêtes ou les procédures disciplinaires de la Chambre des communes ou du Sénat, par exemple, ne sont pas soumises à la Charte? À mon avis, la Charte s'applique à tout ce que le Sénat fait, conformément à ses droits et privilèges traditionnels, et qui peut avoir une incidence sur les droits individuels. Ainsi, la Charte s'appliquerait, par exemple, aux sanctions pénales pouvant être imposées à une personne ayant été déclarée coupable d'outrage au Parlement. La Charte s'applique au Parlement dans l'exercice de tous ses pouvoirs. » Le sénateur est-il du même avis?
Le sénateur Mitchell : Oui.
(1550)
L'honorable Pierre Claude Nolin : Sénateur Mitchell, vous ne pouvez pas répondre « oui » à cette question. Il s'agit d'un piège énorme, car le sénateur Baker sait fort bien que la Cour suprême du Canada a rendu une décision à ce sujet en 1993, et la réponse à cette question, c'est « non ». Est-il vrai ou faux que le privilège inhérent que nous avons, vieux de 800 ans et qui nous a été transmis par le système parlementaire britannique — il n'est pas inscrit dans la Constitution, mais il est inhérent au pouvoir du Parlement — n'est pas visé par la Charte?
Le sénateur Mitchell : Je crois profondément et fermement à la Charte des droits. Je ne suis pas avocat. Je souhaite que la Charte soit prise en compte dans cette enceinte, et je pense que les Canadiens sont du même avis que moi. Comme je l'ai dit, si ce n'est pas le cas, je pense que nous porterons gravement atteinte à l'essence même de cette institution.
Par souci de prudence, j'aimerais aussi poser la question suivante : pourquoi devons-nous prendre cette décision immédiatement? Qu'est-ce qui presse tant? Pourquoi courir le risque de commettre une erreur? Pourquoi ne pas attendre qu'un comité soit mis sur pied et que des recherches plus poussées soient effectuées? Pourquoi ne pas attendre que la GRC ait rendu sa décision? Est-ce que cela nous influencerait si nous savions s'ils sont inculpés ou non? Ne pourrions-nous pas obtenir plus de renseignements et des renseignements plus pertinents?
J'ai énormément de respect pour le sénateur Nolin, mais je ne vois pas pourquoi nous ne devrions pas prolonger le processus garantissant l'application régulière de la loi, ce qui permettrait aux sénateurs de contre-interroger leurs accusateurs. Quelle sorte d'institution formons-nous? Si nous ne faisons pas cela, quelle sorte d'image donnerons-nous de cet endroit, des gens qui y siègent et du Canada? Cela me dépasse totalement. Ce serait tellement facile à faire. Pourquoi ne pas faire ce qui doit être fait? Je le répète : ce serait tellement facile à faire.
Le sénateur Nolin : Demandez-vous plus de temps?
Son Honneur le Président : Votre temps est écoulé.
L'honorable Hugh Segal : J'allais poser une question. Je suppose que le temps est écoulé pour cela?
Son Honneur le Président : Oui, mais je m'en remets aux sénateurs.
Des voix : D'accord.
La sénatrice Cools : Prenez tout le temps dont vous avez besoin.
Le sénateur Nolin : Sénateur Mitchell, je vais vous faire part d'un extrait important de l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. de 1993. La juge McLachlin, qui est maintenant juge en chef, a déclaré au nom de la majorité :
[Français]
En résumé, il semble évident que, du point de vue historique, les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges inhérents qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement. Ces privilèges font partie de notre droit fondamental et sont donc constitutionnels. Les tribunaux peuvent déterminer si le privilège revendiqué est nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner, mais ne sont pas habilités à examiner si une décision particulière prise conformément au privilège est bonne ou mauvaise.
[Traduction]
C'est là l'essence de l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. Lorsque l'ancien sénateur Beaudoin a donné son opinion, il a dit essentiellement qu'il savait que c'était ce qu'avait dit la juge McLachlin, mais qu'elle avait tort. C'est essentiellement ce qu'il a dit dans son livre. Nous avons eu une grosse discussion avec lui à ce sujet, mais la décision de la Cour suprême est maintenant la loi du pays.
Ce que je viens de vous lire signifie, écoutez, c'est à vous de définir vos règles pour bien fonctionner, comme le dit la juge, un point c'est tout. Cela ne nous plaît peut-être pas, mais je pense que nous nous entendrons pour dire que c'est la loi du pays.
Le sénateur Mitchell : Fait intéressant, le sénateur Beaudoin était un conservateur.
Je pense, sénateur Nolin, que vous faites valoir mon point de vue. Ma position vient d'être présentée par mon avocat, le sénateur Baker, et l'avocat du gouvernement, le sénateur Nolin, a défendu un autre point de vue. Peut-être que les deux ont le même poids. Les deux points de vue étaient bien articulés, j'en conviens. Il faut que quelqu'un puisse déterminer quelle approche nous allons adopter, et c'est une autre question que vous avez soulevée. Par conséquent, vous venez de brouiller davantage les cartes. Nous devons simplifier les choses. Nous devons renvoyer cette affaire à une autorité qui nous donnera des décisions spécifiques à l'égard de ce genre de questions.
Le sénateur Nolin : Ceci est ma dernière question. Sénateur Mitchell, la Cour suprême...
Son Honneur le Président : Je crois que je vais accorder les deux minutes qui nous restent au sénateur Segal pour qu'il nous livre ses observations ou qu'il pose sa question.
Le sénateur Segal : Merci, monsieur le Président. Je tiens à remercier le sénateur Mitchell d'avoir insisté sur le « nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition du Règlement » dans l'introduction de la motion.
Dans le cadre de ma question à l'intention du sénateur David Smith, je vais lire un article de la Charte auquel il a fait référence :
Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit : [...]
11d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
32(1) La présente charte s'applique :
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;
b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.
J'accepte l'analyse et les conseils constitutionnels du sénateur Nolin voulant que notre cas soit spécial. Il est vrai que, selon la Constitution, notre cas est spécial : tout nous est permis. Essayez d'en convaincre le public maintenant...
Chers collègues, en vertu de la loi sur la police, un policier a le droit de décharger son arme à feu, mais ses actes sont eux aussi gouvernés par la Charte des droits et libertés. Vous devrez donc convenir qu'il faut ajouter un autre « nonobstant » aux motions à l'étude. Que dites-vous de : « nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition du Règlement et nonobstant la Charte des droits et libertés »? Voilà comment nous devrions nous y prendre, si nous voulons faire notre tâche honorablement.
Le sénateur Mitchell : Je comprends votre point de vue. C'est bien pensé. J'aurais certainement aimé que nous ayons le temps d'en débattre.
Je dirais — pour ajouter à votre argument — qu'il est vraiment très difficile d'imaginer un juge ou le président d'un tribunal d'emploi, ou même le propriétaire d'une entreprise réputée, qui congédierait un employé en disant qu'il prend sa décision « nonobstant toute disposition du Règlement ou toute pratique habituelle ». Pouvez-vous imaginer cela? Personnellement, j'en suis incapable — en tout cas, pas au Canada.
De plus, comme vous le dites, nous avons des pouvoirs spéciaux. Nous sommes spéciaux, même s'il est impossible de le prouver. Le fait est qu'à cause de cela, si, comme le soutient le sénateur Nolin, nous échappons en quelque sorte aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, alors nous devrions être infiniment plus déterminés à faire en sorte que notre conduite soit absolument au-dessus de tout reproche.
Je voudrais maintenant revenir à ma conclusion finale que nous n'assurons pas une procédure équitable. Nous ne veillons pas, en fait, à faire triompher la règle de droit et, ce faisant, je crois que nous mettons en danger nos droits et, partant, ceux de tous les Canadiens.
La sénatrice Andreychuk : Je voudrais soulever la question de privilège. Je crois que le sénateur Segal devrait éviter de dire que, quand on dit que le Parlement est une institution qui a ses propres règles et ses propres droits, cela semble vouloir dire que le Parlement est au-dessus des lois. Nous sommes une institution. Nous avons la séparation des pouvoirs, dans le cadre de laquelle le Parlement joue un rôle unique, tout comme l'appareil judiciaire et l'exécutif. Je ne crois pas qu'il soit spécial dans le sens qu'il est au-dessus des lois. Au contraire, je crois que nous avons davantage de responsabilités que les simples citoyens en ce qui concerne l'application de la Charte.
J'espère donc que ce n'est pas cela que le sénateur sous-entendait.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Segal : Je suis heureux de répondre à cette question de privilège. Je sais que le Président déterminera en temps et lieu s'il y a vraiment matière à question privilège. Je n'offre aucun conseil à cet égard.
Je dirai ceci : le fait de se prévaloir du privilège parlementaire constitue un élément important des libertés historiques assurées par l'évolution démocratique sous l'égide de la Couronne, aussi bien en Grande-Bretagne qu'au Canada. Toutefois, l'invocation du privilège pour imposer des règles arbitraires qui s'écartent de la procédure équitable affaiblit l'institution et constitue, par conséquent, une atteinte au privilège de chaque sénateur.
Des voix : Bravo!
(1600)
Son Honneur le Président : Je remercie les deux sénateurs de leurs déclarations.
Suite du débat.
[Français]
L'honorable Claudette Tardif : Honorables sénateurs, les trois motions dont nous sommes saisis aujourd'hui sont sans précédent et touchent avant tout la dignité et la réputation du Sénat, ainsi que des principes fondamentaux qui nous sont chers, soit la primauté du droit, la présomption d'innocence et le respect des garanties procédurales.
Plutôt que de porter un jugement précipité en adoptant ces trois motions, plusieurs sénateurs ont argumenté que cette institution serait mieux servie si on établissait une procédure plus transparente et équitable au sein d'un comité spécial. Cela permettrait de faire ressortir toute l'information pertinente et de le faire dans un délai raisonnable, et nous permettrait de porter un jugement réfléchi à la lumière d'un rapport de ce comité.
Par ailleurs, la semaine dernière, il a été question d'imposer une motion d'attribution de temps et, en fin de semaine, nous avons été témoins de l'approche improvisée du gouvernement, qui a encore pris une nouvelle tournure avec la sortie dans les médias du leader du gouvernement au Sénat.
Avec ce genre d'improvisation, est-il réellement question de préserver la dignité et la réputation du Sénat? Est-il question de faire respecter les normes et les principes éthiques les plus élevés? Ou alors, est-il question de régler ces dossiers à toute vapeur afin d'étouffer une affaire qui est gênante sur le plan politique pour le gouvernement?
Si le gouvernement veut réellement régler ces dossiers dans un délai raisonnable et de façon équitable, il me semble que l'amendement proposé par le sénateur Cowan est une solution sensée pour atteindre cet objectif.
[Traduction]
Les trois motions dont le Sénat est saisi forment l'une des questions les plus épineuses que nous ayons eu à affronter. Nous sommes tous ici parce que nous nous soucions énormément de notre pays et de son avenir. C'est en fait un très grand privilège d'avoir la possibilité de servir au sein de cette institution.
Les titulaires de charges publiques, comme tous les Canadiens, doivent rendre compte de leurs actes. Toutefois avant de nous empresser de porter un jugement, nous devons comprendre que tant les actes commis que notre réaction à ces actes se refléteront sur la dignité et la réputation du Sénat.
Honorables sénateurs, je ne me sens pas à l'aise à l'idée d'imposer ces sanctions à la hâte et de dépouiller ces sénateurs de tout, à part leur titre, avant que nous soyons sûrs, comme institution, d'avoir respecté les principes de justice, de procédure équitable et de primauté du droit, qui jouent un rôle fondamental dans notre système de justice.
Je ne cherche pas à minimiser les allégations, mais j'estime que les trois sénateurs ont droit à une procédure équitable avant d'aborder la question des sanctions, si nous aboutissons à la conclusion qu'elles sont justifiées.
Plusieurs sénateurs sont intervenus d'une manière réfléchie qui met en évidence la nécessité d'une procédure équitable et d'un examen complet des faits. Il y a encore beaucoup trop d'allégations à analyser — nous en avons encore entendu quelques-unes particulièrement surprenantes aujourd'hui — et beaucoup trop de questions qui restent sans réponse pour être en mesure de décider si les mesures disciplinaires à l'étude sont justifiées.
Il y a un certain temps, on a demandé à juste titre aux sénateurs en cause de rembourser les dépenses indûment réclamées. Que s'est-il passé, exactement, depuis le moment où on nous avait dit que l'affaire était classée qui puisse justifier ces sanctions? Les faits mis en lumière les expliquent-ils? Si oui, quelle sanction infliger dans chacun des cas? Quel genre de précédent allons-nous établir en imposant de telles sanctions? Quelles seraient les conséquences de ces mesures et les effets du processus que nous avons suivi pour les adopter sur la réputation et la dignité du Sénat, que nous tenons tant à défendre aujourd'hui?
Comme l'a dit le sénateur Plett, ces sanctions établiraient-elles un précédent qui permettrait au Sénat de suspendre tout sénateur qui irriterait ses collègues? Ou, comme l'ont signalé les sénateurs Cowan et Baker, risquons-nous de compromettre l'enquête menée par les autorités policières en prenant ces sanctions?
Honorables sénateurs, nous pourrions nuire à notre institution en mettant une hâte excessive à porter un jugement et à prendre une décision. Nous sommes la Chambre de second examen objectif. Tant ce que nous faisons que la façon dont nous le faisons sont importants. Voilà pourquoi j'appuie la motion du sénateur Cowan proposant de renvoyer cette grave affaire à un comité spécial, devant lequel les sénateurs en cause auraient la possibilité de présenter leur version des faits et de répondre aux questions d'une manière équitable et transparente. Le renvoi à un comité est particulièrement indiqué si nous voulons établir les faits et assurer une procédure équitable.
Comme vous tous, je tiens beaucoup à sauvegarder la dignité et la réputation du Sénat, mais je ne vois pas comment une décision hâtive sur ces motions peut nous aider à atteindre cet objectif. En fait, j'ai reçu ces derniers jours de nombreux courriels de Canadiens me disant qu'un jugement trop hâtif peut avoir l'effet contraire et que, en suspendant les trois sénateurs avant de mettre en lumière tous les faits, nous compromettrions les valeurs fondamentales de notre institution ainsi que les principes fondamentaux de justice et d'équité.
J'aimerais lire quelques courriels qui m'ont été envoyés par des habitants de ma province, l'Alberta.
Voici ce qu'on pouvait lire dans l'un de ces courriels :
Je vous demande de bien vouloir rejeter la motion visant à suspendre les trois sénateurs en question. À tout le moins, je m'attends à ce que mon représentant au Sénat s'assure que tous les faits ont été bien interprétés avant de prendre une décision.
Il serait dommage que ces sénateurs ne puissent pas bénéficier de l'application régulière de la loi. À mon avis, si on les privait de ce droit, on ne ferait que réduire l'efficacité du Sénat lui- même, alors qu'il n'a jamais été aussi important qu'il effectue un second examen objectif.
Un autre citoyen a écrit ce qui suit :
La poursuite des manœuvres et des débats visant à suspendre ces trois sénateurs sans salaire et sans avantages, plus précisément sans indemnités pour cause de maladie (compte tenu de l'âge et de l'état de santé de deux d'entre eux), constitue un affront aux Canadiens. Nous accordons une grande importance à l'application régulière de la loi, à la primauté du droit et à la présomption d'innocence jusqu'à ce qu'une personne soit trouvée coupable par un tribunal. Or, on n'a pas assuré l'application régulière de la loi, ni offert une audience équitable à ces personnes. Il est ici question d'un gouvernement majoritaire qui décide, en se fondant sur une opinion politique, qui est apte à siéger au Sénat. Le Parti conservateur s'approprie le rôle de plaignant, de juge et de bourreau. On doit offrir aux sénateurs la possibilité d'être représentés par un avocat dans le cadre d'une audience se déroulant selon les règles, laquelle permettra à TOUS les Canadiens de prendre connaissance de TOUS les faits.
Dans un autre courriel, un citoyen a indiqué ceci :
Je vous prie de voter contre la suspension des sénateurs Brazeau, Wallin et Duffy, étant donné qu'ils n'ont pas encore eu droit à des audiences équitables, dans le cadre desquelles ils seraient représentés par un avocat, et qu'ils n'ont pas eu la possibilité de présenter des preuves et d'interroger ceux qui les accusent. Si nous ne leur donnons pas cette possibilité, nous porterons encore plus atteinte à la réputation du Sénat, alors qu'on sait que le public n'en a déjà pas une bonne opinion. En outre, puisque la question est de plus en plus abordée publiquement, il est d'autant plus important de communiquer au public l'importance d'assurer l'équité et d'offrir à ces sénateurs une audience juste.
J'aimerais maintenant lire un dernier courriel. J'en ai reçu beaucoup plus, mais je n'ai choisi que quelques exemples représentatifs.
La raison d'être du Sénat repose sur le fait qu'il s'agit d'une institution indépendante de l'opportunisme politique à court terme. Le Sénat existe parce qu'il offre un second examen objectif afin de veiller aux intérêts à long terme de notre pays et de ses habitants, et dans la mesure où on poursuit cet idéal, on peut avoir un sentiment de fierté personnelle.
La proposition actuelle, qui consiste à suspendre ces sénateurs sans qu'ils puissent bénéficier de garanties procédurales constitue un affront à notre régime gouvernemental et à notre système de justice. Quoi qu'on puisse penser de chacune des personnes visées, le processus actuel me rend mal à l'aise et représente une menace pour moi en tant que Canadien conscient du fait que ses droits fondamentaux sont en péril.
Cette proposition causerait un tort considérable à nos valeurs fondamentales, ce qui est tout à fait inacceptable. Je fais donc appel à vous en tant que Canadien qui s'adresse à un autre Canadien : je vous prie de faire un examen de conscience et de voter de façon à protéger les valeurs fondamentales de notre société.
(1610)
Comme je l'ai dit, il ne s'agit là que d'un mince échantillon de la multitude de courriels que m'ont écrits mes concitoyens de l'Alberta et d'ailleurs au Canada.
Faisons les choses en bonne et due forme. Nous aurons ainsi l'assurance que notre décision, quelle qu'elle soit, préservera la dignité de cette institution et sera conforme aux principes d'équité et de respect de la procédure établie qui tiennent à cœur à tous les Canadiens.
Des voix : Bravo!
L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, nous avons été saisis d'une trilogie inusitée de motions réprobatrices enfantées par le gouvernement, des motions qui sont virtuellement identiques puisque seul le nom des personnes, des sénateurs en cause varie — les sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin —, et c'est dans ces circonstances pénibles que je prends la parole sur la motion d'amendement du sénateur Cowan.
Je suis pantoise devant autant de paresse juridique et un tel non- respect de la procédure établie sur le plan individuel. Jamais ailleurs trois personnes ne seraient ainsi inculpées en vrac, à moins qu'il ne s'agisse d'une conspiration, ce qui n'a rien à voir avec ce dont il est ici question.
De plus, honorables sénateurs — et je ne parle pas de ce discours- ci, mais de ma prochaine intervention —, j'aborderai la question des lettres patentes des sénateurs en cause. En les faisant accéder à leur fonction par volonté de Sa Majesté la reine, et par l'entremise du gouverneur général du Canada, leurs lettres patentes leur ont en effet donné droit à une procédure individuelle et non à la même procédure reprise trois fois. Il y a vraiment quelque chose qui cloche dans ce tableau. Comme je l'ai dit, je suis pantoise et je suis tout aussi stupéfaite par l'empressement du gouvernement à tenir un vote sur le sort à réserver à ces sénateurs. J'ai constaté que le gouvernement a annoncé, jeudi, son intention d'imposer la clôture. La motion commence ainsi : « Que, nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition [...] ». Nonobstant vient du latin non obstante. C'est une notion très connue, mais je ne comprends pas que, malgré la multitude de règles qui régissent cet endroit, personne ne soit parvenu à en trouver une qui s'applique à la situation actuelle, ce qui nous oblige à nous replier sur cette notion. Il y a décidément quelque chose qui cloche.
Honorables sénateurs, ces motions déficientes, les procédures bancales et le manque de justice qu'elles entraînent révèlent sans l'ombre d'un doute que nous sommes témoins d'un échec monumental. Voilà l'échec colossal de la partisanerie, des caucus des partis et des relations humaines; des gens ont été trahis. Ces motions ne portent pas sur les problèmes du Sénat ou son manque de légitimité. Elles concernent plutôt les problèmes du gouvernement et la façon dont ce dernier gère son propre caucus.
Honorables sénateurs, le Sénat s'est mis en mode judiciaire pour débattre de ces motions; on souhaite ainsi que le Sénat prononce des déclarations de négligence grossière et qu'il impose des sanctions.
J'utilise le terme « déclaration » et non « conclusions », parce que les motions, telles qu'elles sont libellées, ne demandent pas au Sénat de tirer des conclusions.
Ces motions, qui sont surchargées de sanctions et de mesures punitives, visent à ce que le Sénat formule une déclaration sous forme d'ordre; il s'agit d'un processus différent. Aussi surchargées que soient ces motions, la Constitution britannique a toujours condamné le recours au pouvoir judiciaire, rôle que nous jouons maintenant, pour des motifs politiques ou par opportunisme politique.
Ce point n'avait pas encore été soulevé : la Constitution britannique, sur laquelle la Constitution du Canada repose, interdit le rapprochement entre le judiciaire et le politique et condamne sans réserve le recours au processus judiciaire à des fins politiques.
Honorables sénateurs, ces motions constituent une terrible tragédie pour les sénateurs visés, eux qui affrontent cette longue épreuve en public depuis maintenant un an, et cette épreuve est caractérisée par l'arbitraire et par le non-respect des garanties procédurales habituelles et de la justice naturelle.
Honorables sénateurs, nous sommes tous très affectés par la situation, et cette grande institution, la Chambre rouge, la Chambre haute, la Chambre de Sa Majesté la reine, l'est tout autant. Il ne fait aucun doute que cette tragédie est un véritable cadeau pour ceux qui prônent avec acharnement l'abolition du Sénat; ils en font des gorges chaudes. Mais il s'agit d'une victoire éphémère, parce qu'ils sous-estiment l'importance que les Canadiens accordent à l'équité.
Nombreux sont ceux — notamment Nellie McClung — qui ont dit que le Canada était « le pays de l'entente équitable ». Honorables sénateurs, le premier devoir des personnes publiques, ce que nous sommes, est un devoir de justice et d'équité pour tous, surtout quand on a recours aux procédures pénales.
Honorables sénateurs, je tiens à souligner que je n'approuve aucunement les actes répréhensibles. Je tiens à souligner également que je n'appuierai ni l'injustice ni la persécution ou le massacre de qui que ce soit. Je suis d'une race de personnes de couleur libres. On m'a enfoncé dans le crâne que, si on doit être la dernière personne à défendre la justice, qu'on le soit. Qu'on fasse cavalier seul, s'il le faut, mais qu'on défende la justice.
Chers collègues, les personnes que j'admirais et qu'on m'a appris à imiter quand j'ai grandi n'étaient ni des vedettes de cinéma, ni des joueurs de basketball étoiles. C'étaient les grands réformateurs sociaux du XIXe siècle en Grande-Bretagne, lord Shaftesbury et Wilberforce, des personnes soucieuses de justice.
Honorables sénateurs, il y a quelques jours, le 16 octobre, le gouvernement a demandé à Son Excellence le Gouverneur général de prononcer dans le discours du Trône des mots insolites, qui ne correspondent pas au ton habituel des discours du Trône. Voici ce qu'il lui a fait dire :
Le gouvernement demeure convaincu que le statu quo au Sénat du Canada ne peut plus durer. Ce dernier doit subir une réforme ou être éliminé, comme ses équivalents provinciaux.
Voilà des propos étranges, bien étranges, à mettre dans la bouche du représentant de la reine. J'en ai été profondément troublée.
Je prétends, chers collègues, que le Sénat n'est pas près de disparaître.
Il est actuellement le point de mire de tous les journalistes, diffuseurs et organismes médiatiques. Je les félicite. Je pense que beaucoup d'entre eux sont en pleine période d'apprentissage accéléré, plongés dans le vocabulaire parlementaire, les procédures de la lex parliamenti, la loi du Parlement.
Il est regrettable qu'on ait rendu la langue du Parlement inaccessible aux Canadiens depuis quelques années, ce qui n'était pas le cas pour les générations passées. C'est un problème grave : les citoyens ne connaissent plus le vocabulaire utilisé pour parler du Parlement et de la gouvernance, alors qu'ils sont submergés chaque jour de jargon et de balivernes abrutissantes, résultat des interprétations partisanes, de la propagande et de la décision d'imposer des messages préapprouvés. Je tiens à remercier et à féliciter tous les journalistes qui ont assisté à nos débats des derniers jours. Leur présence me réconforte beaucoup, parce que j'y vois — certains seront peut-être d'un autre avis — une quête de connaissance et de vérité. Je les remercie, et j'ajouterais que les Canadiens souhaitent fortement que cette affaire se règle dans l'équité. Je ne suis pas du genre à fermer les yeux sur les fautes commises, mais je ne peux pas tolérer la persécution, et le processus auquel nous participons actuellement tient de la persécution.
Honorables sénateurs, le très honorable premier ministre du Canada porte peu d'affection au Sénat, c'est bien connu. Nombre de ceux qui sont ici aujourd'hui se rappelleront la conférence de presse qu'il a donnée avec madame le leader au Sénat, la sénatrice Marjory LeBreton, le 14 décembre 2006. Ils se trouvaient tout près des portes du Sénat, et nous siégions à ce moment-là. Nous avons été nombreux à nous précipiter à l'extérieur pour voir ce qui se passait. Nous avons écouté la conversation entre le premier ministre et un journaliste de CTV. Voici ce qu'ils ont dit :
Le journaliste : Bonsoir, monsieur le premier ministre. Vos observations d'hier exprimaient très clairement votre déception devant un Sénat non élu, qui n'a pas de comptes à rendre, et vous avez présenté [...]
Le très honorable Stephen Harper : Ça me déçoit toujours. Je suis un Canadien de l'Ouest, et chaque jour, dès mon réveil, l'idée du Sénat me dérange. Je maudis le Sénat.
(1620)
Ils étaient à la porte du Sénat.
Honorables sénateurs, le premier principe de l'équité est que les parties doivent se présenter devant le tribunal en étant irréprochables. Malheureusement, le premier ministre ne s'est pas présenté devant le tribunal de l'opinion publique, en ce qui concerne la réforme du Sénat, en étant irréprochable, ni devant le tribunal du débat sur cette réforme, ou devant le tribunal qu'est le Sénat, en étant irréprochable. Le Sénat est maudit depuis des années, maudit par le premier ministre de Sa Majesté pour le Canada.
Honorables sénateurs, ces trois motions identiques ont quelque chose d'énorme. Elles sont très sérieuses et graves par le fond et la forme et aussi par leurs objectifs. Leur probité juridique et constitutionnelle devrait préoccuper tous les sénateurs, parlementaires, juristes et citoyens au Canada.
Cette trilogie unique de suspensions est sans précédent aucun, et elle est contraire aux lettres patentes de Sa Majesté, sous le grand sceau, qui ont fait de ces trois personnes des sénateurs. Nous devons comprendre que les sénateurs sont constitués individuellement. Il y a au Sénat plus de 100 constitutions individuelles, puisque c'est la nature de la fonction accordée, avec un droit de propriété à vie. Comment appeler cela? Propriété à vie dans une fonction, inamovibilité viagère? Il en va de même pour les lettres patentes des juges. Chaque sénateur est constitué personnellement et individuellement. Et chaque sénateur doit gérer son comportement et assumer les conséquences conformément aux lettres patentes. Les conséquences des erreurs de comportement des titulaires de charge publique sont très graves mais, dans le cas du Sénat, il y a à cet égard une définition soigneusement étudiée dans la Loi constitutionnelle de 1867 aux paragraphes 31.1 à 31.5.
Je le répète, l'uniformité de ces motions va à l'encontre des lettres patentes qui visent à protéger les sénateurs de ce qui se passe maintenant. Ce processus arbitraire a pour effet d'annuler ou de tenter d'annuler les lettres patentes. Le but fondamental et l'une des conditions des lettres patentes, c'est que les sénateurs doivent se présenter au Sénat lorsqu'ils y sont convoqués par Sa Majesté. Ces motions de suspension, avec toutes leurs modalités qui sortent de l'ordinaire, empêcheront des sénateurs de le faire.
Honorables sénateurs, ces lettres patentes confèrent aux sénateurs un droit à vie qui est réservé à certaines fonctions, notamment celles qui sont de nature judiciaire, par opposition aux fonctions ministérielles, comme celles des ministres de l'État. L'octroi d'un poste à vie est associé aux fonctions qui se rapportent à l'administration de la justice. Le cas le plus flagrant est celui des juges de cours supérieures et des sénateurs. Le droit à vie est la caractéristique constitutionnelle essentielle qui dicte l'indépendance constitutionnelle, d'où les notions d'« indépendance des juges » ou d'« indépendance du Sénat ».
Honorables sénateurs, le Sénat est un tribunal. Il fait même partie de la Haute Cour du Parlement, avec les pleins pouvoirs d'enquête et de justice : emprisonnement, convocation, procès, destitution. Bien des gens l'ignorent peut-être, mais la procédure de destitution est un procès mené par la Chambre haute, d'habitude pour des infractions de nature politique ou criminelle, mais toujours liées à la politique. La destitution est prévue pour les personnes très haut placées et ne concerne pas facilement des gens ordinaires.
Honorables sénateurs, l'indépendance des sénateurs est accordée avant les lettres patentes de la reine. Le mandat à vie est la protection constitutionnelle contre l'ingérence, contre la violation des droits de certains titulaires de charge publique par les membres de l'exécutif. Il s'agit de protéger certains titulaires, de les mettre à l'abri des représailles de l'exécutif, dont les pouvoirs sont de nature ministérielle. C'est ce qu'on appelle l'équilibre constitutionnel. Cette courtoisie constitutionnelle est une condition préalable au bon fonctionnement de la Constitution.
Honorables sénateurs, cette trilogie de motions identiques soulève de graves questions constitutionnelles, dont la plus importante est celle qu'on évite par-dessus tout : quelles sont les limites constitutionnelles des pouvoirs du premier ministre, poste non officiel qui n'a aucune existence juridique, qui ne figure pas dans la Loi constitutionnelle de 1867 et qui n'est mentionné que rarement dans d'autres lois?
La question essentielle est celle des limites constitutionnelles de ce pouvoir et de sa définition. À une autre époque, ce pouvoir reposait sur l'influence personnelle et les capacités du titulaire du poste, surtout sur la force de la personnalité morale et de la conviction morale, la force de l'intelligence et du raisonnement, la force de la personnalité et de l'expression, la force de persuasion, et le talent de meneur.
Nos dirigeants ont encore, ces toutes dernières années...
L'honorable Gerald J. Comeau (Son Honneur le Président suppléant) : Sénatrice Cools, je signale que votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?
La sénatrice Cools : Avec plaisir.
Son Honneur le Président suppléant : Cinq minutes, d'accord?
Des voix : D'accord.
La sénatrice Cools : Ces toutes dernières années, ces êtres d'exception remplis d'humanité ont été remplacés par une nouvelle créature toute jeune d'une espèce inconnue, le cabinet du premier ministre. Depuis que je siège au Sénat, j'ai vu cette notion se développer et se répandre. Le CPM, comme si c'était une bête effrayante. Cette entité semble avoir sa force de coercition propre.
J'y ai déjà été convoquée. Je sais de quoi je parle.
La question fondamentale que pose ces motions est celle des limites constitutionnelles acceptables de ces pouvoirs. Honorables sénateurs, ces motions ont amené à l'avant-plan cette question qu'on évite, et c'est une question grave et profondément préoccupante pour la plupart d'entre nous. Ces motions mettent en cause la pratique de la politique et les caucus des partis politiques qui infantilisent des adultes, exigent qu'ils se comportent en enfants ou en automates dont la volonté et l'esprit sont contrôlés par quelqu'un d'autre.
Chers collègues, je pose une question : devrait-il être aussi facile d'expulser un sénateur du Sénat que de l'expulser d'un caucus? Je dis non. Selon moi, ces motions sont une tentative qui vise à modifier les conditions des lettres patentes des sénateurs, notamment en ce qui concerne leur mandat et leur droit de propriété à vie, ce qui est accordé par le gouverneur général en vertu du pouvoir de la reine.
Ces lettres patentes ne sont pas légalement altérables ou modifiables, mais on peut être déchu pour non-respect de leurs conditions.
Ces trois motions de suspension sont tout à fait insuffisantes, non seulement parce qu'elles sont arbitraires et contraires à la primauté du droit, mais aussi parce qu'elles ne sont pas ce qu'elles prétendent être. Honorables sénateurs, ces motions auront pour effet d'exclure expressément ces sénateurs du Sénat. Elles auront le même résultat concret qu'une motion d'expulsion.
Ces trois motions disent que les suspensions demeureront en vigueur jusqu'à ce que le Sénat les annule. Nous devons dire franchement ce que ces motions taisent. La réalité concrète et l'état de la politique actuelle donnent à croire que le Sénat n'annulera probablement jamais ces suspensions. Si ces motions prévoyaient l'annulation des suspensions dans un avenir prévisible, elles préciseraient une date d'échéance sur laquelle le Sénat aurait à se prononcer.
Honorables sénateurs, si l'annulation devait arriver dans un avenir prévisible, on dirait que la suspension sera en vigueur de telle date à telle date. L'absence de date d'échéance est éloquente. La raison est évidente. Considérons ce méfait et ces motions comme ce qu'ils sont véritablement. Sous leur forme actuelle, ces motions visent à débarrasser le Sénat de ces trois sénateurs.
Nous devons admettre que, si ces motions sont adoptées telles quelles, ces sénateurs ne reviendront pas, soit parce que le Sénat ne fera rien pour annuler la suspension, soit parce que le stress causé par ces épreuves auront raison de leur santé ou de leurs jours.
Nous devrions également admettre, chers collègues, que ces procédures du Sénat nuisent à l'enquête de la GRC visant ces sénateurs. J'ai toujours soutenu que la décision de confier ces affaires à la GRC aurait dû être prise par le Sénat et non par le Comité de la régie interne du Sénat ou son comité directeur.
(1630)
Honorables sénateurs, je demande encore une fois au gouvernement de retirer ces motions et d'en présenter de meilleures, ou de les modifier en profondeur.
Comme je l'ai mentionné, je ne voterai pas en faveur de ces motions dans leur forme actuelle. Je crois encore que des changements peuvent être apportés. Je connais le sénateur Carignan depuis de nombreuses années et c'est une bonne personne. Je le prie — et il sait que j'ai beaucoup de respect pour lui — d'accepter des amendements très importants. C'est absolument essentiel. Merci.
Son Honneur le Président : Poursuivons-nous le débat? Quelqu'un veut poser une question à la sénatrice Cools. Son temps de parole est-il écoulé?
La sénatrice Cools : Pourrais-je avoir cinq minutes de plus pour entendre la question de mon honorable ami, l'ancien général?
L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Je viens de me faire piéger.
Madame la sénatrice, vous avez dit que vous demandiez au sénateur Carignan d'annuler ces motions...
La sénatrice Cools : Retirer.
Le sénateur Dallaire : ... ou retirer, désolé, ces motions du gouvernement. Toutefois, sauf erreur, ces motions sont présentées au nom du sénateur et non pas au nom du gouvernement. Pourriez- vous expliquer pourquoi il en est ainsi?
La sénatrice Cools : Je ne le puis vraiment pas. Je pense que le sénateur Carignan est mieux en mesure que moi de le faire.
Je ne comprends pas. La motion ressemble à une motion du gouvernement, elle est traitée comme une motion du gouvernement et elle impose la clôture comme une motion du gouvernement. Nous avons déjà eu un leader du gouvernement ici, le sénateur Olson, qui avait l'habitude de dire : « Si ça marche comme un canard, ça cancane comme un canard et ça fait autre chose comme un canard, c'est un canard. » Je préférerais que le sénateur Carignan réponde à cette question afin que l'on sache clairement qui fait quoi.
Honorables sénateurs, la motion est traitée de manière plutôt inhabituelle. Un instant, elle semble ne pas être une motion du gouvernement et l'instant d'après, elle semble être une motion du gouvernement.
Je crois sincèrement que, si une personne s'engage dans une voie qui se révèle préjudiciable, mauvaise ou inappropriée, l'entêtement n'est pas une raison de persévérer dans la même direction. Si le gouvernement a emprunté la mauvaise voie, qu'il fasse demi-tour. Il faut une grande expérience politique pour pouvoir admettre qu'on s'est engagé dans cette voie, mais que ce n'était pas la bonne et qu'on devrait plutôt en essayer une autre. Mieux encore, on peut tout simplement accepter de bons amendements à la motion, car je sais, sénateur Carignan, que je pourrais proposer beaucoup de merveilleux amendements si vous les appuyiez. Merci.
Le sénateur Dallaire : La semaine dernière, j'ai soulevé la pratique inhabituelle de la justice précipitée que représentent les trois motions proposées simultanément, puis étudiées, quoique une après l'autre en principe, de manière, en vérité, inextricablement liée. Même si un collègue fait une intervention, donne son opinion, sur un seul de ces cas, ses propos se rapportent aux trois.
En quoi une situation où l'on peut appliquer des éléments d'un cas à un autre plutôt que de tirer au clair chacun des cas l'un après l'autre contribue-t-elle au traitement juste et équitable de chacun? La façon dont nous procédons à l'heure actuelle pour étudier ces motions me semble relever davantage de la justice précipitée que d'un traitement individuel pour une personne tenue responsable des actes qu'elle a commis dans le passé.
La sénatrice Cools : Je vous remercie de poser la question. Vous avez omis de dire qu'il y a une motion de clôture pour les trois motions de suspension.
Je dirais que c'est inhabituel. Je dirais aussi que cela ne me plaît pas. Je ne pense pas que ce soit la meilleure façon de procéder. Il se trouve que j'ai la conviction que des lettres patentes dans notre cas indiquent, en droit, que les sénateurs qui ont des démêlés ont droit à un processus individuel plutôt qu'à un processus conjoint, pour un groupe.
Le sénateur Mitchell : Bon argument.
La sénatrice Cools : Honorables sénateurs, c'est énorme. S'il s'agissait de juges, vous ne verriez pas les trois juges traités tous ensemble. Le cas de chacun serait traité séparément des autres. Ce serait préférable. Un processus individuel est mieux.
Il ne fait aucun doute que ce n'est pas un hasard. Le nouveau préavis de motion porte sur un type étrange de motion de clôture. Ce n'est pas un projet de loi ministériel et nous ne pouvons dire avec certitude sur quelles règles elle s'appuie, mais le simple fait que cette motion demande la clôture pour toutes les motions me préoccupe encore plus.
De plus, rappelez-vous que la clôture ne date pas d'hier. J'aborderai cette question lorsque la motion sera appelée.
La clôture est une façon d'exercer une tyrannie, une dictature, et de couper court au débat.
Les mauvais agissements des sénateurs qui pourraient justifier des sanctions et des jugements sévères sont codifiés et énumérés à l'article 31 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui porte sur les « cas dans lesquels les sièges des sénateurs deviendront vacants ».
L'article 31 comporte cinq articles, dont l'un a trait à la présence au Sénat. Or, la motion elle-même, qui vise la suspension, aura pour effet que les sénateurs en cause ne seront pas présents au Sénat. L'article susceptible d'être le plus pertinent en l'occurrence est le quatrième, qui prévoit le cas où un sénateur est atteint de trahison. Eh bien, de nos jours, on ne punit plus ce crime par la confiscation des biens et la mort civile comme on le faisait autrefois. Ce n'est plus nécessaire.
L'article 31.4 prévoit ce qui suit :
S'il est atteint de trahison ou convaincu de félonie, ou d'aucun crime infamant.
Il faut bien comprendre qu'à cette époque, le mot « crime » ne revêtait pas le même sens qu'aujourd'hui. Aujourd'hui, un crime est une infraction au sens du Code criminel. Le Code criminel n'a vu le jour qu'en 1892, et l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a été rédigé en 1867.
La « félonie » était une infraction, un crime extrêmement grave qui impliquait une violation de l'allégeance. Autrement dit, elle sous-entendait la notion de trahison.
Bref, c'est très clair : si un sénateur avait perdu la tête et volé une boîte de chocolats, un tel acte ne lui ferait pas perdre son siège. L'intention doit être de commettre une infraction très grave. Je vous remercie.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous poursuivons le débat. Le sénateur Segal prend la parole.
Le sénateur Segal : Merci, chers collègues.
J'interviens au sujet de la motion dont nous sommes saisis qui concerne la sénatrice Wallin. Je veux vous faire part de certains partis pris et préjugés. Nous en avons tous, mais je crois qu'il est bon de le faire savoir à nos collègues au préalable.
J'aborde cette motion du point de vue d'un conservateur. J'ai été initié à l'idéologie conservatrice par une autre personne originaire de la Saskatchewan, John Diefenbaker. En 1962, il était venu visiter mon école primaire et secondaire à Montréal, située sur l'avenue Saint-Kevin. J'avais alors 12 ans. M. Diefenbaker venait offrir au directeur de notre école la Déclaration canadienne des droits, qui avait été adoptée à la Chambre des communes et au Sénat quelques mois plus tôt.
(1640)
C'était une école d'immigrants, d'enfants d'immigrants ou de petits-enfants d'immigrants. Lorsque John Diefenbaker est venu à notre école, il a dit que le Canada était un pays libre, ouvert et démocratique où le système judiciaire était fondé sur le principe de la présomption d'innocence. Il a dit :
Je suis Canadien, un Canadien libre, libre de m'exprimer sans crainte, libre de servir Dieu comme je l'entends, libre d'appuyer les idées qui me semblent justes, libre de m'opposer à ce qui me semble injuste, libre de choisir les dirigeants de mon pays. Ce patrimoine de liberté, je m'engage à le sauvegarder pour moi-même et pour toute l'humanité.
À 12 ans, j'ai été assez marqué par ces paroles. C'était une chose dangereuse à dire chez moi parce que mon père était le directeur de campagne — j'aimais beaucoup mon père, mais il n'était pas parfait — de l'honorable Miltie Klein, c.r., député libéral de Montréal- Cartier. Lorsque je suis revenu à la maison ce vendredi-là, j'ai dit pendant le souper que j'avais aimé M. Diefenbaker et que j'allais appuyer son candidat dans la circonscription de Mont-Royal, un jeune promoteur immobilier qui s'appelait Stan Shenkman et qui, hélas, a été battu par l'honorable Alan Aylesworth Macnaughton, qui était le Président à l'autre endroit.
Ce n'était pas une bonne nouvelle que je rapportais ce vendredi-là, pendant le souper. Mon père a prononcé les belles paroles que tous les préadolescents attendent : « Il faudra me tuer avant! » Je n'ai pas vraiment compris alors pourquoi j'étais aussi enthousiaste. Le sénateur Gerstein est en train de rire. Cela m'emballait parce que je savais que c'était une chose qui pourrait énerver mon père en permanence. J'ai donc travaillé pour M. Shenkman lors de cette campagne électorale.
En 1969, j'ai commencé à travailler pour le révérend David Samuel Horne Macdonald, le député de la circonscription d'Egmont, à l'Île-du-Prince-Édouard. Ce ministre de l'Église Unie s'est surtout distingué dans cette province en collaborant avec Jerry Steele, un prêtre catholique, pour résoudre des problèmes d'alcoolisme, d'échec du mariage et de violence familiale dans la communauté. C'était une situation compliquée. Rappelez-vous que, à l'Île-du-Prince-Édouard, il y avait des conseillers et des députés...
La sénatrice Hubley : Des membres de l'assemblée législative.
Le sénateur Segal : Oui, c'est cela, merci. Les catholiques se portaient candidats pour un siège; et les protestants, pour un autre. Les conservateurs protestants se présentaient contre les libéraux protestants, et c'était la même chose chez les catholiques. De cette façon, il n'y avait jamais d'affrontement religieux direct. C'était une autre forme de compromis civilisé qui existait dans le berceau de notre Confédération.
Le révérend Macdonald est le seul député à s'être opposé à la Loi concernant l'ordre public, qui visait à prolonger la Loi sur les mesures de guerre, une loi qui, à mon avis, n'a jamais été justifiée par l'histoire. Il s'opposait aux mesures arbitraires. Il a été le seul député de tous les partis — que ce soit du Parti libéral, du Parti conservateur, de la CCF, du NPD ou du Crédit social — à agir ainsi. Il l'a fait parce que son conservatisme ne s'assujettissait pas aux mesures arbitraires des autres. Il ne pouvait pas appuyer un projet de loi qui s'écartait de ce qui était alors la Déclaration des droits et qui entraînait une suspension des libertés.
J'ai travaillé avec le très honorable Robert L. Stanfield, ancien premier ministre de la Nouvelle-Écosse et leader de l'opposition au Parlement, qui était partisan du bilinguisme officiel quand cette idée était extrêmement impopulaire auprès d'une grande partie de sa base. Je me rappelle avoir fait du porte-à-porte pour lui en tant que candidat d'Ottawa-Centre et avoir fait la promotion du bilinguisme officiel. Il y avait des gens qui m'ouvraient la porte et me demandaient si j'étais le jeune candidat conservateur bilingue et, quand je répondais oui, ils me fermaient la porte au nez.
Bob Stanfield m'a également appris que ce n'est jamais mal de poser les questions difficiles ou de s'opposer à l'utilisation arbitraire de l'autorité, et que c'est toujours juste de se poser la question suivante : « Comment nos compatriotes canadiens, à l'extérieur du Sénat, interpréteraient-ils la situation, eu égard au contenu et à la substance de notre travail? »
J'ai eu le privilège de travailler avec l'honorable William Davis, qui a créé TVOntario; qui est à l'origine du nouveau code des droits de la personne — lequel, pour la première fois de l'histoire de l'Ontario, donnait des droits à nos compatriotes homosexuels; qui a consacré le principe selon lequel on ne peut pas refuser l'accès aux études postsecondaires à une personne sous prétexte qu'elle n'a pas les ressources financières nécessaires; et qui a instauré le supplément de revenu annuel garanti pour les aînés de l'Ontario, ce qui a permis de baisser leur niveau de pauvreté de 35 p. 100 à moins de 3 p. 100 en une année.
J'ai également eu le grand privilège de travailler pour le très honorable Brian Mulroney, dont l'opposition à l'apartheid, malgré des pressions exercées par Mme Thatcher et Ronald Reagan, et l'appui au bilinguisme...
[Français]
... même dans la province du Manitoba, nos chers collègues se souviendront de l'époque où c'était un problème pour la population acadienne...
[Traduction]
... témoignent de ce courage et de cette détermination à l'égard des droits de la personne, de l'équité, de la Constitution, dont nous avons toujours profité.
J'ai eu et j'ai toujours le privilège d'appuyer le très honorable Stephen Harper, et ce fut un grand privilège pour moi de présider le Comité de planification de la transition en 2004. Il ne m'a pas laissé présider le Comité de planification en 2006, lorsque les chances de gagner étaient réelles — et je le comprends — mais on m'a confié la présidence de celui de 2004. J'ai été impressionné par son engagement à l'égard des principes, de l'équité, d'un Canada inclusif et d'une approche qui respecte les droits communs des simples citoyens partout au pays. Cette anecdote m'amène aux raisons pour lesquelles je m'oppose au contenu et à la substance de cette motion visant la sénatrice Wallin.
J'ai eu le privilège de travailler pour M. Davis, au sein de l'équipe de l'Ontario, pendant les négociations de 1981 et 1982, qui ont abouti à l'adoption de la Charte des droits et libertés. Je me souviens d'une grande discussion à propos de la Charte. Nos collègues du Manitoba se rappelleront de Sterling Lyon, qui n'aimait pas l'idée de soumettre le Parlement à des règles constitutionnelles fondamentales qui limitent sa liberté. C'est à ce moment qu'est née l'idée de la disposition de dérogation, que nous avons adoptée. Ainsi, la Charte des droits et libertés est la prémisse dominante de la Constitution, mais les provinces et le Parlement fédéral peuvent invoquer la disposition de dérogation lorsque les circonstances l'exigent. Que cette disposition n'ait pratiquement jamais été utilisée nous en dit long sur l'adhésion de nos compatriotes canadiens au principe de la Charte, qui est essentiellement équitable, qui protège la présomption d'innocence et qui définit un cadre général pour l'application régulière de la loi.
Chers collègues, je crains qu'en adoptant la présente motion, nous ne créions un nouveau problème sérieux qui toucherait l'ensemble du pays et qui s'ajouterait à tous les autres problèmes substantiels que nous devons tâcher de résoudre ensemble. Que nous nous demandions si nous gérons bien nos dépenses est une chose, et je pense que c'est une question de première importance. Au cours des deux prochaines années, le vérificateur général s'emploiera à indiquer au public canadien si c'est bel et bien le cas. Mais c'est une tout autre chose de savoir si nous comprenons bien les concepts fondamentaux que sont l'équité, l'application régulière de la loi et la présomption d'innocence, car, si nous montrons, par nos décisions au sujet des motions actuelles, que nous ne comprenons pas ces concepts, je pense que nous créerons un problème beaucoup plus sérieux pour l'institution du Sénat que le problème qu'elle doit résoudre maintenant.
Je voudrais parler plus précisément des éléments de la motion qui concernent la sénatrice Wallin, et je voudrais parler aussi des réunions tenues les 12 et 13 août par le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, réunions auxquelles j'ai assisté. Sans vouloir critiquer qui que ce soit, je souligne que, malgré les efforts qu'a sans doute déployés le bureau du greffier, nous n'avons pas encore reçu les comptes rendus de ces réunions, à ce que je sache. Oh! Je vois qu'ils viennent d'être distribués. En lisant ces comptes rendus, les sénateurs y trouveront les objections que je souhaite formuler maintenant dans cette enceinte pour être certain que tous sont bien au courant.
Deux réunions ont eu lieu en août. Lors de la première, le soir du 12 août, les vérificateurs de la firme Deloitte ont tenu une séance d'information à l'intention des membres du comité. Puis, le lendemain, le comité a tenu une séance en bonne et due forme pour terminer son rapport. Une version provisoire du rapport a été rédigée par le comité directeur avant qu'il se réunisse, et avant même qu'il rencontre les vérificateurs, dans la soirée du 12 août. Il est important de s'en souvenir.
(1650)
Lors des audiences du comité, le sénateur Baker a souligné que les délibérations de ce comité constituaient en fait une procédure quasi judiciaire. Par conséquent, on pourrait s'attendre à ce que les membres du comité se comportent de manière équitable et à ce qu'ils soient perçus comme ayant un tel comportement.
D'entrée de jeu, je tiens à dire que j'éprouve le plus profond respect envers tous les membres du comité. Je crois qu'ils ont tous agi de façon honorable. Je pense qu'ils ont tous fait de leur mieux pour être équitables, compte tenu des renseignements mis à leur disposition. Toutefois, je pense aussi que la présence de plusieurs personnes autour d'une table a pu produire un mode de pensée qui, à certains égards, a donné lieu, involontairement peut-être, à un rapport très tendancieux. Permettez-moi de vous expliquer les faits qui soutiennent mon affirmation, afin que vous puissiez les examiner.
Dans la déclaration qu'elle a faite vers la fin de l'après-midi du 12 août, la sénatrice Wallin a déclaré qu'elle s'élevait contre la partialité apparente du processus et l'iniquité qui en découlait pour plusieurs raisons. Elle a insisté sur la mauvaise application des règles et des normes présentées le 12 juin et appliquées rétroactivement à la date de sa nomination, en 2009. Lorsque, le 13 août, j'ai interrogé les vérificateurs de la firme Deloitte pour qu'ils m'expliquent pourquoi ils avaient décidé d'appliquer les règles de façon rétroactive, ils ont répondu qu'on leur avait dit que les règles de 2012 n'étaient pas nouvelles et qu'il s'agissait tout simplement d'une compilation de toutes celles qui avaient été adoptées auparavant. Quand je leur ai demandé qui leur avait transmis cette information, ils ont répondu que c'était « le personnel du Sénat » et le comité directeur.
Chers collègues, le onzième rapport du Comité permanent de la régie interne, déposé le 17 mai 2012, se termine avec la phrase suivante :
La Politique régissant les déplacements des sénateurs entrera en vigueur au moment de l'adoption de ce rapport.
Le rapport en question a été adopté le 5 juin 2012.
J'ai ici une copie des directives sur la politique régissant les déplacements, publiées le 10 mai et, comme vous le voyez, les mots « à l'étude » y sont estampillés. C'est donc dire que les règles que l'on applique rétroactivement aux dépenses de la sénatrice Wallin sont à l'étude à l'heure où l'on se parle.
Chers collègues, lorsque les vérificateurs m'ont informé que l'application rétroactive des règles régissant les déplacements avait été conseillée par le personnel du Sénat et le comité directeur, un autre membre du comité a demandé si les vérificateurs avaient, tel que l'exigent les pratiques normalisées pour l'exécution de missions de juricomptabilité et les normes de l'ICCA publiées en 2006, justifié les normes de manière indépendante et établi qu'il s'agissait bel et bien des normes appliquées. Encore une fois, la réponse fut non.
On est forcé d'admettre que l'application rétroactive de nouvelles normes constituerait un problème devant la loi. Je ne suis pas en train d'insinuer que le comité ou les vérificateurs ont agi ainsi intentionnellement ou par malice, mais il reste que cette erreur cause un grave problème. C'est tout comme si on disait à des millions de contribuables canadiens que l'ARC réévalue selon des normes adoptées hier les déclarations de revenus qu'ils ont soumises en toute honnêteté au cours des cinq dernières années. C'est ce que les vérificateurs ont fait dans leur analyse des dépenses de la sénatrice Wallin.
Si l'on considère le fait que 73 p. 100 de ses frais de déplacement au cours des cinq dernières années et que la totalité de ses frais d'hébergement à Ottawa ont été approuvés... puis-je avoir quelques minutes de plus?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Segal : Si, à titre de comparaison, on évaluait ses dépenses en fonction des anciennes règles, on parlerait d'un niveau de conformité de 85 à 90 p. 100. La motion punirait sévèrement la sénatrice pour un écart de 10 à 15 p. 100 sur cinq ans. Voilà de quoi il s'agit. C'est pour cela que je trouve la motion inacceptable sur le plan de l'équité.
Le soir suivant la séance d'information des vérificateurs, Radio- Canada rapportait que les vérificateurs avaient appris que d'anciens employés de la sénatrice Wallin avaient allégué qu'on avait « trafiqué les dépenses ». Le lendemain matin, j'ai soulevé la question auprès des vérificateurs, qui ont affirmé sans équivoque et sans réserve qu'ils n'avaient rien constaté de la sorte, et qu'ils n'avaient fait aucune interprétation ou détermination de ce genre. Puis, lorsque le comité étudiait son rapport, j'ai demandé si cette affirmation de la part des vérificateurs allait y figurer. Dans sa sagesse, le comité a décidé que non. Chers collègues, s'il ne s'agit pas d'un parti pris involontaire, il s'agit néanmoins d'un parti pris.
Lorsque j'ai fait valoir que la position des vérificateurs devrait figurer dans le rapport, un membre très courageux de l'équipe de vérification du Sénat a tenté d'intervenir à l'appui de ma position parce que les anciens employés de la sénatrice Wallin étaient absolument atterrés d'apprendre que Radio-Canada leur avait attribué ces propos concernant le trafiquage des dépenses. Cette personne a été interrompue avant de finir son argument.
Voici les distinctions pertinentes. Les employés affirment que les anciennes règles sont les mêmes que les nouvelles; personne ne remet cela en question. Ils estiment qu'on devrait préciser dans le rapport qu'aucune dépense n'a été trafiquée, mais le comité refuse de le faire. Chers collègues, n'importe quel observateur rationnel en viendrait à la conclusion qu'il y a bel et bien parti pris.
La sénatrice Wallin a fait des erreurs. Elle a été la première à l'admettre ici et ailleurs. À ma connaissance, elle n'a jamais prétendu être parfaite. La motion — et mon observation est liée au principe de la proportionnalité — prévoit la saisie de deux années de traitement, soit 270 000 $, ce qui est une somme deux fois plus élevée que le montant en cause, qui a été remboursé avec les intérêts. Cette motion a involontairement une application rétroactive qui entraînerait la perception d'un montant deux fois plus élevé que le montant en cause. Expliquez-moi comment cette motion, si nous l'adoptons, permettra de redorer l'image du Sénat.
Récemment, au Royaume-Uni, la Chambre des lords a dû examiner un processus de dépenses beaucoup plus complexe. Là- bas, ils ont opté pour la mise sur pied d'un comité d'examen non composé de sénateurs ou de membres de la Chambre des lords, mais plutôt de gens de l'extérieur. Il y a des avocats, mais ceux-ci sont en minorité. On a recours à un examen par les pairs pour décider quels articles seront publiés dans une revue spécialisée. C'est aussi au terme d'un examen par les pairs qu'un professeur agrégé est nommé professeur titulaire. L'examen par les pairs ne vise pas à détruire la réputation des gens, que ce soit ici, en comité ou n'importe où ailleurs. Or, c'est ce que fait cette motion, qui prévoit une peine sans accorder aucune des protections qui sont liées à une procédure équitable et dont la majorité d'entre nous aurait besoin.
En terminant, je remercie le leader du gouvernement au Sénat d'avoir facilité la distribution des comptes rendus des réunions des 12 et 13 août. J'espère que mes collègues prendront quelques minutes ce soir, avant tout vote qui pourrait se tenir, pour lire ces comptes rendus, parce que je pense qu'ils montrent — comme j'ai respectueusement tenté de le faire — que malgré les vaillants efforts du comité, malgré l'honnêteté et l'intégrité de chaque membre du comité, les décisions prises reflétaient en fait une grande partialité. Par conséquent, le fait que la motion dont nous sommes saisis s'inspire d'un document aussi biaisé crée véritablement un simulacre de justice.
Chers collègues, je vous prie instamment de voter contre la motion en raison du processus suivi, mais surtout du contenu.
L'honorable Lillian Eva Dyck : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Segal : Bien sûr.
La sénatrice Dyck : J'ai écouté attentivement votre discours. Comme vous le savez, la semaine dernière j'ai parlé de la disposition de dérogation dans les trois motions. Cette disposition porte que nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition du Règlement, nous allons suspendre ces sénateurs sans rémunération et ainsi de suite. Après vous avoir écouté aujourd'hui, je m'interroge sur la première partie du libellé, qui commence par « nonobstant toute pratique habituelle ».
(1700)
Selon ce que vous dites, les nouvelles règles ont été appliquées dans le cas de la sénatrice Wallin, mais ce n'est pas ce qui aurait dû être fait. Ainsi, l'annexe A est entrée en vigueur et elle a par la suite été appliquée dans le cadre de la vérification visant la sénatrice. Je crois que c'est ce que vous avez dit.
Maintenant, si on examine ce qui est indiqué, soit « nonobstant toute pratique habituelle », si nous adoptons cette motion, cela équivaut à dire que c'était correct, alors que de toute évidence, vous dites que ça ne l'est pas. Est-ce que ce que je dis a du sens?
Le sénateur Segal : Je crois que ce que vous dites est exact.
Chers collègues, permettez-moi de vous faire une mise en garde. La semaine dernière, j'ai été invité à rencontrer des gens de la Business Community Anti-Poverty Initiative, à Saint John, pour parler du travail qui a été accompli par le comité sur la pauvreté rurale et celui sur la pauvreté urbaine. J'ai accepté avec plaisir. Puisque la nouvelle pratique consiste maintenant à appliquer les nouvelles règles rétroactivement, j'ai écrit à la Direction des finances pour savoir si je pouvais participer à cette activité et utiliser pour ce faire mes 64 points. Je sais, sénateur Munson, que j'ai le droit de le faire, mais je n'ai plus confiance en notre système, étant donné que les nouvelles règles font l'objet d'une révision. Les employés de la Direction ont été très aimables. Ils m'ont remis une lettre et ont approuvé mon voyage. J'ai donc pu faire mon allocution à Saint John et j'ai rencontré des gens merveilleux qui travaillent d'arrache- pied pour mettre fin à la pauvreté, et non seulement aider les gens qui vivent dans la pauvreté. J'ai beaucoup appris d'eux et j'ai essayé de les aider en retour, mais si j'ai procédé de cette façon c'est parce que je ne veux pas m'exposer à une vérification rétroactive fondée sur de nouvelles règles qui entreront en vigueur dans un an, alors que ces activités sont conformes aux règles en vigueur à l'heure actuelle, et je sais que personne non plus dans cette enceinte ne veut s'exposer à cela.
En ce qui concerne ma collègue de la Saskatchewan, c'est ce qui s'annonce, compte tenu de la nature du rapport et de la motion dont nous sommes saisis.
Son Honneur le Président : Le temps de parole du sénateur Segal est écoulé. Le sénateur demande-t-il une prolongation de cinq minutes? D'accord.
L'honorable Pierrette Ringuette : Sénateur Segal, vous avez dit que le cabinet de vérification a accepté les règles et les a appliquées rétroactivement. Avez-vous consulté les trois autres rapports? Est-ce que les règles y sont aussi appliquées rétroactivement?
Le sénateur Segal : Madame la sénatrice, je n'ai pas assisté aux audiences du Comité de la régie interne qui portaient sur nos deux autres collègues, mais j'étais présent à celles qui concernaient la sénatrice Wallin. Ce que j'ai rapporté aujourd'hui, c'est que les vérificateurs et les membres du comité n'ont pas cessé de se relancer la balle. Je ne saurais dire si la même chose s'est produite pour les deux autres sénateurs qui ont comparu ou presque comparu devant leur comité. Cependant, je dirais que nous avons tous le droit de lire la transcription de chacune de ces audiences aussi, car il faut les avoir lues pour vraiment comprendre.
Je ne pointe pas les vérificateurs du doigt. Je ne pense pas qu'ils cherchaient à être méchants ni volontairement cruels ou injustes. Sauf que si leur client leur a demandé d'appliquer certaines règles et qu'ils l'ont fait sans avoir vérifié de manière indépendante si elles s'appliquaient aussi à tout le monde, il y a un problème. Rien ne me permet de douter que nos deux autres collègues n'ont pas eu les mêmes problèmes.
Son Honneur le Président : Reprise du débat. Le sénateur Comeau a la parole.
L'honorable Gerald J. Comeau : Honorables sénateurs, je n'avais pas l'intention de parler des sanctions, mais j'ai bien l'impression que les dernières observations du sénateur précédent m'y obligeront. J'essaierai tout de même de limiter mes observations au processus visant l'examen des réclamations des sénateurs plutôt que de parler des sanctions.
Des accusations ont été portées : tant le processus employé que les conclusions qui ont été tirées par l'Administration du Sénat, par Deloitte, par le Comité de la régie interne et, en ce qui concerne au moins trois rapports qui nous été présentés, par l'ensemble du Sénat ont été qualifiés de bâclés et de partiaux. J'estime donc qu'il est important d'établir si le processus auquel on a eu recours au sein du Comité de la régie interne est effectivement injuste.
Je rappelle aux sénateurs que ce comité a pour mandat d'examiner les demandes de remboursement de dépenses et de décider si ces dernières ont été faites dans le cadre des activités parlementaires et si elles sont acceptées ou rejetées.
Je tiens à assurer une chose aux sénateurs à ce sujet. Je crois que c'est la semaine dernière qu'un sénateur a affirmé que, lorsqu'il a été nommé au Sénat, un membre du personnel de l'administration lui aurait dit : « Sénateur, tout ce que vous considérez être une dépense constitue une dépense. » Quelle transparence!
À mon avis, tout membre du personnel de l'administration qui fait une telle déclaration, qui dit à un sénateur que tout ce qu'il considère être une dépense faite dans le cadre des activités du Sénat en est une, devrait être identifié ici, car le comité directeur et le Comité de la régie interne voudront peut-être avoir une franche discussion avec lui.
Je ne pense pas que notre administration mérite de faire l'objet d'un blâme aussi général. J'ai toujours du temps à lui consacrer. À mon avis, l'administration s'acquitte bien de sa tâche, et je suis fier du travail des employés de l'administration; je ne pense pas qu'ils méritent d'être dénigrés de la sorte.
Au fait, j'ai lu la semaine dernière dans les interventions que la sénatrice Ringuette s'était plainte que le sénateur Harb et elle s'étaient fait refuser un voyage au Liban pour représenter un agriculteur du Nouveau-Brunswick. Elle s'est plainte que le Comité de la régie interne avait refusé d'approuver ce voyage. Cela montre bien, d'après moi, que nous prenons vraiment notre travail au sérieux, que nous sommes capables de dire non et que nous ne donnons pas systématiquement carte blanche aux sénateurs. Je puis assurer aux honorables sénateurs que l'Administration du Sénat et les membres du Comité de la régie interne prennent leurs responsabilités très au sérieux.
Quand des questions ont été soulevées par l'Administration du Sénat, nous avons pris la décision d'engager des vérificateurs externes pour procéder à une vérification judiciaire professionnelle. Nous l'avons fait pour ne pas nous faire accuser de couvrir un des nôtres. Nous nous sommes donc tournés vers Deloitte, un cabinet de vérification responsable et de bonne réputation, et nous lui avons demandé de faire le travail pour nous. L'Administration du Sénat, dont j'ai dit il y a quelques instants qu'elle était très professionnelle et faisait du bon travail, n'a pas les compétences en vérification judiciaire d'une entreprise comme Deloitte.
Un autre avantage de faire appel à une entreprise externe tient au fait qu'on risque moins de se faire accuser de s'ingérer dans le processus, comme je l'ai signalé. La firme Deloitte est réputée pour son professionnalisme et son intégrité. Elle ne serait pas en affaires autrement, et je pense que nous pouvons à tout le moins nous fier au fait qu'elle a une bonne réputation.
Je l'ai dit et je le répète, j'invite la population et les sénateurs à lire les rapports de Deloitte et à juger par eux-mêmes du professionnalisme avec lequel l'entreprise a fait son travail. Je les invite tous à lire le compte rendu de la réunion dont le sénateur Segal vient de parler pour déterminer si le travail a été fait de façon professionnelle là aussi.
Selon certaines affirmations, Deloitte aurait appliqué des règles rétroactivement, une pratique inacceptable que le Comité de la régie interne aurait approuvée, voire poussé Deloitte à employer. Voici, en effet, ce que la sénatrice Wallin a déclaré le 23 octobre :
[...] plusieurs vérificateurs comptables indépendants m'ont dit, dernièrement, avoir été très étonnés que Deloitte accepte d'utiliser, pour vérifier mes dépenses, des règles qui n'étaient pas en vigueur au moment où ces dépenses ont été effectuées.
Permettez-moi de répéter cette phrase :
[...] plusieurs vérificateurs comptables indépendants m'ont dit, dernièrement, avoir été très étonnés que Deloitte [...]
S'il est vrai que plusieurs cabinets de vérificateurs ont évalué Deloitte, sa crédibilité et son travail, il serait important que nous le sachions. Je crois qu'il faudrait savoir qui sont les vérificateurs en question. Peut-être pourrions-nous même les embaucher s'ils sont compétents à ce point. S'ils sont tellement compétents qu'ils sont en mesure d'évaluer le travail accompli par Deloitte et de conclure que cette firme a procédé d'une manière inacceptable, nous aimerions savoir qui ils sont. Nous pourrions même leur donner du travail, mais il faut d'abord savoir de qui il s'agit. Les propos diffamatoires n'ont pas leur place au Sénat, à mon avis.
(1710)
Je demanderais donc à la sénatrice Wallin de nous fournir le nom de ces firmes. Regardons maintenant ce que dit Deloitte à la page 13 du rapport Wallin, que je vous invite à consulter :
[...] les principes généraux sont restés les mêmes, à savoir que les frais de déplacement des sénateurs leur sont remboursés lorsqu'ils voyagent dans l'exercice de leurs fonctions parlementaires.
On peut aussi lire ceci à la page 2 du rapport de Deloitte :
L'annexe A de la Politique régissant les déplacements des sénateurs. Bien qu'elle soit entrée en vigueur le 5 juin 2012, nous avons appliqué les exemples qui s'y trouvent à l'ensemble de la période d'examen car ils nous paraissent mettre en lumière les principes directeurs existants.
Cet extrait se trouve textuellement dans le rapport.
Par ailleurs, les sénateurs ont bel et bien eu accès, à chaque étape du processus, aux vérificateurs de Deloitte, au comité directeur et au Comité de la régie interne. Ceux qui disent le contraire font erreur.
J'invite encore une fois les sénateurs et les Canadiens qui s'intéressent à ce dossier à lire le rapport de Deloitte et à formuler leurs propres conclusions.
Comme vous le savez, il peut être difficile de dresser une liste complète de ce qui est permis ou interdit. Je ne crois pas que ce soit ce que les sénateurs attendent de nous; je doute qu'ils s'attendent à une sorte de liste civile complète, qui indiquerait que ceci est permis, mais cela ne l'est pas.
Certaines dépenses doivent parfois être imputées au budget des sénateurs. S'ils ont le moindre doute, les sénateurs peuvent en faire part à l'administration, qui, à mon avis, fait de l'excellent travail. Ils peuvent aussi s'adresser au comité directeur, qui fait de son mieux pour aider les sénateurs. S'ils ne sont pas satisfaits de la réponse de l'administration et du comité directeur, ils peuvent s'adresser au Comité de la régie interne.
Ils peuvent en appeler de la décision du Comité de la régie interne, mais il faut néanmoins appliquer certains mécanismes de contrôle afin que le Sénat ne leur fasse pas un chèque en blanc. En fait, c'est l'argent des contribuables qui est en jeu, et je crois que nous devons nous soucier des contribuables. Au bout du compte, ce sont eux qui paient la note, et je crois que nous avons le devoir de veiller à ce que les remboursements soient liés aux affaires du Sénat, et non à des affaires personnelles.
Son Honneur le Président : Questions et observations. L'honorable sénateur Duffy a la parole.
Le sénateur Duffy : Si le président le veut bien, j'ai une question à lui poser à propos d'une affaire dont je voulais parler plus tôt, chers collègues.
Je tiens d'abord à féliciter le sénateur d'avoir été nommé président de ce comité important. Je voulais lui demander plus tôt s'il aurait l'amabilité de me fournir, comme il l'a fait avec la sénatrice Wallin, le procès-verbal de la réunion du comité à laquelle j'ai assisté en présence de représentants de la firme Deloitte. Je ne me souviens pas de la date exacte, mais je suis sûr que M. O'Brien peut trouver ce document dans sa vaste base de données.
Je serais très reconnaissant au sénateur. Merci.
Le sénateur Comeau : Je présume que vous voulez parler du compte rendu de la séance plénière du Comité de la régie interne. Je n'ai aucun problème à le faire, pourvu que j'arrive à le trouver. J'imagine qu'on peut l'obtenir.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je crois que le sénateur Duffy demande le dépôt du compte rendu de la réunion du Comité de la régie interne, pour les dates en question. Le consentement est-il accordé pour que l'on dépose de ces documents?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président : Il en est ainsi ordonné.
L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : J'aimerais poser une question au sénateur Comeau, s'il veut bien l'accepter.
Comme vous, j'ai entendu dire à quelques reprises au cours de ce débat qu'une dépense est tout ce que l'on juge être une dépense. Or, cela ne correspond pas tout à fait à la première mention que j'ai entendue dans ce débat qui se prolonge. C'est le sénateur Plett qui en a parlé dans son discours la semaine dernière. Ce qu'il a dit, c'est que, lorsqu'il a demandé à un fonctionnaire ce que sont les travaux du Sénat — non les dépenses, mais bien les travaux du Sénat — on lui a répondu : « Les travaux du Sénat, c'est tout ce qui, à votre avis, relève du Sénat. » Bien que la Chambre ait discuté à maintes et maintes reprises fois de ce qui constitue les travaux du Sénat, je crois que nous serions tous d'accord pour dire que, historiquement...
(Le débat est suspendu.)
Les travaux du Sénat
Son Honneur le Président : Je regrette de devoir interrompre les honorables sénateurs, et particulièrement la sénatrice Fraser. Toutefois, comme il est 17 h 15, conformément à l'ordre adopté le 25 octobre 2013, je dois interrompre les délibérations afin de suspendre la séance jusqu'à 17 h 30, heure à laquelle le Sénat passera au vote reporté sur la motion d'amendement de la sénatrice Fraser à la motion du sénateur Cowan concernant la motion no 2.
La séance est suspendue pour la mise aux voix, prévue à 17 h 30. Ai-je la permission de quitter le fauteuil? Je vous remercie. Convoquez les sénateurs.
(1730)
Le Sénat
Motion tendant à suspendre l'honorable sénateur Patrick Brazeau—Motion subsidiaire—Rejet de la motion d'amendement—Suite du débat
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Carignan, C.P., appuyée par l'honorable sénatrice Fortin- Duplessis,
Que, nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition du Règlement, afin de protéger la dignité et la réputation du Sénat et de préserver la confiance du public envers le Parlement, le Sénat ordonne la suspension de l'honorable sénateur Brazeau pour cause, considérant sa négligence grossière dans la gestion de ses ressources parlementaires, et ce jusqu'à l'annulation de cet ordre conformément à l'article 5-5(i) du Règlement, selon les conditions suivantes :
a) le sénateur Brazeau ne recevra, pendant la durée de la suspension, aucune rémunération ou remboursement de dépenses de la part du Sénat, incluant toute indemnité de session ou indemnité de subsistance;
b) le droit du sénateur Brazeau d'utiliser les ressources du Sénat, notamment les fonds, les biens, les services et les locaux, de même que les indemnités de déménagement, de transport, de déplacement et de télécommunications, sera suspendu pour la durée de la suspension;
c) le sénateur Brazeau ne recevra aucun autre bénéfice du Sénat pendant la durée de la suspension;
Que, nonobstant les dispositions de cette motion de suspension, le Sénat confirme que le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration conserve l'autorité, s'il le juge approprié, à poser tout geste relatif à la gestion du bureau et du personnel du sénateur Brazeau pendant la durée de la suspension;
Et sur la motion de l'honorable sénateur Cowan, appuyée par l'honorable sénatrice Fraser,
Que cette motion soit renvoyée à notre Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement qui, lorsqu'il sera formé, l'étudiera et rendra compte de ses conclusions;
Que le sénateur Brazeau soit invité à comparaître; que les délibérations soient télévisées, compte tenu de l'intérêt public que suscite la question et conformément à l'article 14-7(2) du Règlement.
Sur la motion d'amendement de l'honorable sénatrice Fraser, appuyée par l'honorable sénateur Munson :
Que la motion soit modifiée par remplacement des mots « du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement » par les mots « de la régie interne, des budgets et de l'administration ».
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la question dont la Chambre est saisie a trait à la motion d'amendement présentée par l'honorable sénatrice Fraser, appuyée par l'honorable sénateur Munson, et proposant que la motion soit modifiée en remplaçant les mots « du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement » par les mots « de la régie interne, des budgets et de l'administration ».
La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.
POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS
Callbeck | Hervieux-Payette |
Campbell | Hubley |
Chaput | Jaffer |
Charette-Poulin | Joyal |
Cordy | Lovelace Nicholas |
Cowan | Mercer |
Dallaire | Mitchell |
Dawson | Moore |
Day | Munson |
Downe | Ringuette |
Dyck | Rivest |
Eggleton | Robichaud |
Fraser | Tardif |
Furey | Watt—28 |
CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS
Andreychuk | McCoy |
Ataullahjan | McInnis |
Batters | McIntyre |
Bellemare | Meredith |
Beyak | Mockler |
Black | Nancy Ruth |
Boisvenu | Neufeld |
Braley | Ngo |
Buth | Nolin |
Carignan | Ogilvie |
Champagne | Oh |
Comeau | Oliver |
Cools | Patterson |
Dagenais | Plett |
Demers | Poirier |
Doyle | Raine |
Duffy | Rivard |
Eaton | Runciman |
Enverga | Segal |
Fortin—Duplessis | Seidman |
Frum | Seth |
Gerstein | Smith (Saurel) |
Greene | Stewart Olsen |
Housakos | Tannas |
Johnson | Tkachuk |
Lang | Unger |
LeBreton | Verner |
MacDonald | Wallace |
Maltais | Wallin |
Manning | Wells |
Marshall | White—63 |
Martin |
ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS
Aucun. |
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, simplement par souci de clarté, je souligne que la question à l'étude maintenant est encore la motion no 2 inscrite au Feuilleton. Après le dernier vote, nous devons poursuivre l'étude de la motion no 2. La Chambre est saisie de la motion subsidiaire du sénateur Cowan, appuyée par la sénatrice Fraser.
Après l'étude de la motion no 2, nous reviendrons à la motion no 3, que nous avions mise de côté tout juste avant de nous arrêter pour le vote par appel nominal. Nous appellerons le sénateur Comeau à ce moment-là, s'il souhaite demander cinq minutes de plus, puis nous passerons à la période des questions et observations.
La Chambre est saisie de la motion no 2 et de la motion subsidiaire du sénateur Cowan, appuyée par la sénatrice Fraser.
Débat.
(1740)
L'honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, c'était la première période réservée à ce vote, donc on ne sait pas si on fera du temps supplémentaire.
Je pense qu'il est important que beaucoup de sénateurs aient pris la parole à ce sujet. Nous sommes tous dans la même salle, mais nous tenons des discours différents, alors j'ai pensé que ce serait une bonne idée de lire quelques courriels que j'ai reçus, comme vous, de Canadiens des quatre coins du pays. Je trouve plutôt intéressant que les Canadiens qui nous avaient écrit pour manifester leur colère à l'égard de ce qu'ils ont appris au cours des trois ou quatre derniers mois au sujet des présumées dépenses qu'auraient encouru les trois sénateurs nous écrivent aujourd'hui pour nous demander d'avoir recours à un processus juste et équitable, de faire preuve de diligence raisonnable et de prendre des mesures impartiales. Pendant que nous prenons la parole au Sénat et que nous faisons entendre notre voix, je pense que les Canadiens peinent à faire entendre la leur. Je vais donc lire plusieurs courriels que m'ont envoyés des gens de partout au pays.
Voici le premier :
Cher sénateur Munson,
Je vous exhorte à faire votre devoir, c'est-à-dire de faire un second examen objectif de la motion dont le Sénat est actuellement saisi visant à suspendre, sans solde, les sénateurs Duffy, Wallin et Brazeau.
J'ai immigré au Canada et je suis aujourd'hui fier d'être citoyen de ce pays dans lequel je m'attends à ce que l'équité et la justice soient systématiquement exercés pour juger n'importe quel citoyen. Voilà pourquoi cette motion me préoccupe tant. À mon avis, elle prive ces trois sénateurs d'un processus juste et équitable.
À l'instar de nombreux Canadiens, j'ai été consterné d'apprendre que des allégations de mauvaise utilisation des fonds publics pèsent sur ces sénateurs. [...]
Cependant, malgré les allégations d'abus de cette confiance par les trois sénateurs susmentionnés, dont les médias, le public et les dirigeants du Parti conservateur du Canada ont parlé, ces personnes n'ont pas été accusées d'un crime et elles n'ont pas eu la possibilité de répondre à ces allégations dans un forum approprié et conformément à l'application régulière de la loi.
Ce message venait d'un homme de Toronto.
J'ai dans mon cartable d'autres courriels à lire aux distingués sénateurs.
Je vous écris parce que, en ma qualité de résidant ontarien, vous me représentez au Sénat. Le Sénat ne doit pas être un jouet politique, mais doit plutôt représenter les valeurs démocratiques du pays.
À titre de citoyen que vous représentez, je tiens à ce que vous sachiez que, à mon avis, la motion visant à expulser des sénateurs sans application régulière de la loi ni confirmation de leur culpabilité va à l'encontre des principes sur lesquels repose notre système. En fait, je considère cette motion comme un symbole de mépris envers nos institutions et nos processus. Vous devez aux Canadiens de voter contre cette motion en principe [...]
J'espère que vous trouverez utile cette opinion de l'un de vos concitoyens.
Le courriel suivant vient d'un habitant de Kitchener.
Aux sénateurs de l'Ontario,
À titre d'habitant de l'Ontario, je demande que l'on veille à ce qu'aucun compromis ne soit fait, ou qu'il n'y ait aucun risque d'apparence de compromis, quant à l'application régulière de la loi dans l'affaire des dépenses.
Nous devons faire respecter les principes d'équité et de primauté du droit. Faute de quoi, cela établirait un précédent qui affaiblirait notre pays et entacherait la réputation des politiciens en général, et des politiciens conservateurs en particulier. Serait-il aussi possible que toute décision critiquée à la suite d'un tel processus ouvre la voie à des poursuites, et aux frais s'y rattachant?
Ma position n'est pas fondée sur la politique partisane. Je suis simplement un citoyen qui prend le temps d'intervenir pour défendre le principe d'application régulière de la loi, fondée sur des faits établis et sur des jugements impartiaux basés sur ces faits. Toute peine imposée sans application régulière et transparente de la loi me semble douteuse; une peine imposée hors de l'application régulière de la loi amoindrit celui qui l'impose.
Comme le Parlement traite de nombreux dossiers, il nous arrive souvent d'être submergés de centaines de courriels qui sont en fait écrits par la même personne. Il est intéressant de constater que ce n'est pas le cas ici. Il est intéressant également de voir que nous avons tous reçu les mêmes courriels, y compris, j'en suis sûr, les sénateurs conservateurs.
Il est intéressant aussi de constater que — non pas parce que je suis un sénateur libéral qui n'a rien à voir dans toute cette histoire — pas un seul des courriels que j'ai moi-même reçus ne disait « suspendez-les sans salaire pendant deux ans ». Peut-être est-ce différent pour les autres sénateurs. Je n'ai vu aucun courriel où l'on disait : « Faites-le et faites-le dès maintenant. » Pas un seul.
Celui-ci provient d'un homme de la région d'Ottawa. Si vous souhaitez lire d'autres courriels où l'on appuie une suspension de deux ans sans salaire ni avantages sociaux, allez-y. Peut-être que ce sera le cas aussi si les sénateurs sont suspendus sans salaire ni avantages sociaux. Je pense aussi au fait que — tu parles d'un contrecoup — les trois sénateurs ont des employés. Qu'arrive-t-il aux employés d'un sénateur à qui il ne reste que le titre? Sont-ils congédiés? Qu'en est-il de leurs avantages sociaux? J'imagine qu'ils pourraient se retrouver à la rue eux aussi, ce que je trouve injuste, personnellement.
Ce courriel provient d'un homme d'Ottawa :
Je vous écris aujourd'hui pour vous demander respectueusement de vous opposer aux motions tendant à suspendre les sénateurs Duffy, Wallin et Brazeau, ainsi que la motion subséquente qui vise à clore le débat sur ces motions.
Je ne souscris, d'aucune façon, aux actes des sénateurs Duffy, Wallin et Brazeau. Néanmoins, les garanties procédurales et de la présomption d'innocence sont les principes fondamentaux de la règle de droit dans toute démocratie et ils doivent être maintenus. Par ailleurs, il est injuste de punir quelqu'un rétroactivement pour des actions qui étaient légitimes au moment où elles ont été prises.
Ce sont les mots des personnes qui m'ont envoyé des courriels. « Dans tout autre domaine, la réponse appropriée serait de colmater la brèche et de passer à autre chose. Je sais que le comportement des sénateurs Duffy, Wallin et Brazeau jette le discrédit sur le Sénat aux yeux de bien des Canadiens et qu'il fait honte à tous les honnêtes sénateurs qui, comme vous, cherchent à servir la population de leur mieux et en tout honneur. À l'instar de beaucoup de Canadiens, je suivrai ce dossier de près pour m'assurer que des sanctions appropriées seront imposées à l'issue du processus établi et que les règles applicables dans ces situations seront éclaircies, puis appliquées. Par contre, je ne veux pas qu'on s'empresse de sacrifier ces sénateurs par pur opportunisme. Cela ne ferait que ternir encore davantage la réputation du Sénat. »
J'aimerais en lire d'autres parce que je trouve que c'est important. Celui-ci vient de Langley, en Colombie-Britannique. Je n'ai pas parlé aux gens qui m'ont adressé ces courriels, alors je ne sais pas du tout qui ils sont. Je ne crois pas que je devrais les identifier nommément, mais je leur téléphonerai pour savoir s'ils aimeraient que je le fasse parce qu'ils sont très préoccupés.
Sénateurs [...]
Je commence à croire que beaucoup d'entre vous comprennent mal de quoi il en retourne. On ne vous demande pas de déterminer s'il faut ou pas se débarrasser du « trio infernal », mais bien de faire table rase de la démocratie. C'est précisément ce que Stephen Harper...
— ce ne sont pas mes mots —
... et ses valets exigent de vous.
Je ne vois pas les choses ainsi. J'ai toujours eu beaucoup de respect pour mes collègues sénateurs, quelle que soit leur allégeance.
En ce qui concerne la toute dernière proposition, celle d'imposer des sanctions édulcorées avant même la conclusion de l'enquête, elle est tout aussi ridicule. Je pense que chaque sénateur devrait surveiller ses arrières. Un pas de travers, et vous joindrez les rangs des sénateurs déchus.
Le Canada est à deux doigts de se transformer un État totalitaire et catatonique [...]
Je ne répéterai pas l'autre partie de cette lettre.
Pour l'amour du ciel, faites votre travail au lieu de courber l'échine [...]
Et ça continue :
Accomplissez la tâche pour laquelle vous avez été nommés au nom des Canadiens.
Cette lettre renferme quelques mots que même moi je n'ose pas répéter.
Je suppose que vous vous faites une idée du message que ces Canadiens nous envoient. Je siège moi aussi au Comité de la régie interne. Au tout début de ce processus, j'ai dit qu'au bout du compte, lorsqu'on considère notre nation et ses valeurs — le sénateur Hugh Segal a parlé de John Diefenbaker et de la Déclaration canadienne des droits et nous avons parlé de la Charte canadienne des droits et libertés —, il semble que les progressistes-conservateurs et les libéraux de droite sont toujours sur la même longueur d'onde en ce qui concerne les libertés démocratiques. Je pense que les Canadiens l'oublient parfois.
(1750)
En passant, quand vous parlez de John Diefenbaker, vous remontez à 1962. Moi, je remonte à 1958, pendant la campagne électorale. MM. Diefenbaker et Pearson sont venus dans ma ville en train. J'avais 12 ans en 1958. M. Diefenbaker est sorti de l'arrière du train et, peut-être parce que je suis très petit, je ne sais pas, mon père a voulu me présenter à lui. J'étais camelot et je voulais lui serrer la main. J'ai tendu la main, mais il est passé sans me voir. J'étais anéanti. C'était dans le Nord du Nouveau-Brunswick, pendant la campagne de 1958.
Une semaine plus tard, Lester Pearson est venu dans ma ville. C'était exactement la même scène : le train qui fonce, la vapeur, le sifflet marquant l'arrêt, le discours. M. Pearson est descendu et m'a tendu la main. Je lui ai donné la main. Cela m'a pris du temps, mais je suis devenu libéral en 2001 ou 2003.
Quoi qu'il en soit, les Canadiens nous envoient des messages. Ils nous disent d'être justes et, comme l'a dit ici le sénateur Plett, de faire ce qu'il faut faire.
Son Honneur le Président : Y a-t-il des questions et des observations? Poursuivons le débat.
(Sur la motion du sénateur Joyal, le débat est ajourné.)
Motion visant à suspendre l'honorable sénatrice Pamela Wallin—Motion subsidiaire—Motion d'amendement—Suite du débat
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Carignan, C.P., appuyée par l'honorable sénatrice Poirier,
Que, nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition du Règlement, afin de protéger la dignité et la réputation du Sénat et de préserver la confiance du public envers le Parlement, le Sénat ordonne la suspension de l'honorable sénatrice Wallin pour cause, considérant sa négligence grossière dans la gestion de ses ressources parlementaires, et ce jusqu'à l'annulation de cet ordre conformément à l'article 5-5(i) du Règlement, selon les conditions suivantes :
a) la sénatrice Wallin ne recevra, pendant la durée de la suspension, aucune rémunération ou remboursement de dépenses de la part du Sénat, incluant toute indemnité de session ou indemnité de subsistance;
b) le droit de la sénatrice Wallin d'utiliser les ressources du Sénat, notamment les fonds, les biens, les services et les locaux, de même que les indemnités de déménagement, de transport, de déplacement et de télécommunications, sera suspendu pour la durée de la suspension;
c) la sénatrice Wallin ne recevra aucun autre bénéfice du Sénat pendant la durée de la suspension;
Que, nonobstant les dispositions de cette motion de suspension, le Sénat confirme que le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration conserve l'autorité, s'il le juge approprié, à poser tout geste relatif à la gestion du bureau et du personnel de la sénatrice Wallin pendant la durée de la suspension;
Et sur la motion de l'honorable sénateur Cowan, appuyée par l'honorable sénatrice Fraser :
Que cette motion soit renvoyée à notre Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement qui, lorsqu'il sera formé, l'étudiera et rendra compte de ses conclusions;
Que la sénatrice Wallin soit invitée à comparaître; que les délibérations soient télévisées, compte tenu de l'intérêt public que suscite la question et conformément à l'article 14-7(2) du Règlement;
Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénatrice Fraser, appuyée par l'honorable sénateur Munson :
Que la motion soit modifiée par remplacement des mots « du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement » par les mots « de la régie interne, des budgets et de l'administration ».
Son Honneur le Président : Le sénateur Comeau a terminé son intervention portant sur la motion no 3.
L'honorable Hugh Segal : J'ai une question.
Son Honneur le Président : Oui, mais le sénateur qui a pris la parole...
Le sénateur Segal : Je me demandais simplement si le sénateur Comeau accepterait de répondre à une question.
Son Honneur le Président : Je suis convaincu qu'il accepterait, mais il n'est pas là.
L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Proposez l'ajournement.
Son Honneur le Président : Je pose de nouveau la question. Y a-t-il d'autres interventions au sujet de l'article no 3?
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Motion tendant à suspendre l'honorable sénateur Michael Duffy—Suite du débat
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Carignan, C.P., appuyée par l'honorable sénatrice Poirier :
Que, nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition du Règlement, afin de protéger la dignité et la réputation du Sénat et de préserver la confiance du public envers le Parlement, le Sénat ordonne la suspension de l'honorable sénateur Duffy pour cause, considérant sa négligence grossière dans la gestion de ses ressources parlementaires, et ce jusqu'à l'annulation de cet ordre conformément à l'article 5-5(i) du Règlement, selon les conditions suivantes :
a) le sénateur Duffy ne recevra, pendant la durée de la suspension, aucune rémunération ou remboursement de dépenses de la part du Sénat, incluant toute indemnité de session ou indemnité de subsistance;
b) le droit du sénateur Duffy d'utiliser les ressources du Sénat, notamment les fonds, les biens, les services et les locaux, de même que les indemnités de déménagement, de transport, de déplacement et de télécommunications, sera suspendu pour la durée de la suspension;
c) le sénateur Duffy ne recevra aucun autre bénéfice du Sénat pendant la durée de la suspension;
Que, nonobstant les dispositions de cette motion de suspension, le Sénat confirme que le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration conserve l'autorité, s'il le juge approprié, à poser tout geste relatif à la gestion du bureau et du personnel du sénateur Duffy pendant la durée de la suspension.
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Chers collègues, j'essaie, pour la troisième fois, de vous convaincre que la décision responsable serait de renvoyer ces motions à un comité.
Le sénateur Mitchell : Ne baissez jamais les bras!
Le sénateur Cowan : Le sénateur Carignan a fait valoir que le Sénat peut tout régler dans un débat. Le débat est très important, chers collègues, mais débattre entre nous, ce n'est pas comme entendre des témoignages. Personne ne comparaît devant nous pour témoigner de ce qui s'est passé. Nous ne sommes pas en mesure de poser des questions à des témoins, de mettre leurs connaissances à l'épreuve, et, au besoin, de faire appel à leur mémoire ou d'établir leur crédibilité.
Le sénateur Carignan a exhorté les sénateurs nommés à lui poser des questions. Je me dois de dire, avec tout mon respect, que cette option n'est pas satisfaisante non plus. À ma connaissance, le sénateur Carignan n'a jamais participé aux discussions ou aux rencontres qui, d'après ce qu'on nous a dit, portaient sur ce que nous envisageons maintenant d'approuver. Par conséquent, la possibilité de poser des questions au sénateur Carignan ne constitue une option satisfaisante ni pour nous ni pour les sénateurs nommés dans les motions.
Comme je l'ai déjà dit, certaines des personnes dont le nom a été mentionné ne sont pas membres du Sénat. Elles n'ont donc pas eu l'occasion de présenter leur version des faits, que ce soit pour appuyer ou contredire les allégations à leur endroit.
Chers collègues, permettez-moi de le répéter : étant donné la gravité des allégations qui ont été soulevées, les sénateurs des deux côtés de la Chambre devraient insister pour qu'on vérifie leur bien- fondé au lieu de laisser le gouvernement tenter de les balayer du revers de la main, de les reléguer aux oubliettes dans ce qui n'est qu'une tentative de camouflage désespérée. Quelle autre raison aurions-nous de déroger ainsi de notre pratique habituelle, qui consiste à renvoyer les questions importantes à un comité sénatorial qui peut les étudier en profondeur, entendre des témoins, puis nous présenter ses recommandations?
Comme je l'ai dit, chers collègues, j'ai entendu de graves allégations pendant ce débat.
Le sénateur Duffy et son avocat ont allégué à plusieurs reprises que des représentants du gouvernement avaient menacé le sénateur de le faire expulser du Sénat. La semaine dernière, la sénatrice LeBreton, fort indignée, est intervenue pour réfuter les propos du sénateur Duffy.
La sénatrice LeBreton : Et avec raison!
Le sénateur Cowan : Elle a déclaré au Sénat que les allégations du sénateur n'étaient pas vraies.
La sénatrice LeBreton : Exact.
Le sénateur Cowan : Faux.
La sénatrice LeBreton : Exact.
Le sénateur Cowan : Absurde.
La sénatrice LeBreton : Exact.
Le sénateur Cowan : Un énorme mensonge.
Nous n'avons pas convenu à l'avance de nos répliques.
Elle a dit elle-même ce qu'elle a indiqué au sénateur Duffy, alors qu'elle l'exhortait à démissionner du caucus :
« Mike, c'est la seule façon d'assurer ton avenir. »
Chers collègues, pourquoi démissionner du caucus aurait-il été le seul moyen pour le sénateur Duffy d'assurer son avenir? Si ce qu'a dit la sénatrice LeBreton n'était pas une façon de menacer le sénateur Duffy d'expulsion du Sénat, qu'est-ce que c'était?
Nous sommes en présence de problèmes factuels et de problèmes juridiques, que seul un comité peut étudier. Si les sénateurs tiennent à ce que nous traitions ces problèmes dans cette enceinte, formons un comité plénier, mais nous avons besoin de procéder de manière à pouvoir convoquer des témoins et les questionner.
Je pose encore la question : pourquoi le gouvernement est-il prêt à passer des heures, des jours à débattre de ces motions et à s'opposer à leur renvoi à un comité, alors qu'il n'est pas prêt à passer le même nombre d'heures à examiner les mêmes questions au sein d'un comité, comme nous le faisons pour pratiquement tous les dossiers que nous avons à traiter?
Au cours du tout premier et très long discours du sénateur Carignan, un journaliste a diffusé un gazouillis, sans doute pour plaisanter, dans lequel il se demandait pourquoi le gouvernement faisait de l'obstruction systématique contre sa propre motion. Je me demande maintenant s'il n'y avait pas un fond de vérité malgré tout dans cette plaisanterie. Le gouvernement essaierait de drainer notre énergie en nous faisant discourir jusqu'à minuit sans que nous puissions aborder les vraies questions. Les sénateurs d'en face tiennent à ce que les vraies questions ne puissent être débattues et réglées. Ils viennent de nous donner avis de leur projet consistant à invoquer ce qui est en fait la clôture. Ils disent que, après toutes ces heures, nous en avons assez entendu et qu'il est temps de voter.
Malheureusement, chers collègues, nous avons très peu avancé depuis le début du présent débat, et il reste beaucoup de choses à considérer. Le débat n'a fait que soulever des questions supplémentaires, non seulement pour nous, mais pour tous les Canadiens, qui sont nombreux à suivre très attentivement nos travaux, comme vous le savez et comme vous venez d'entendre le sénateur Munson le dire. Parfois, nous nous plaignons que personne ne s'intéresse à ce qui se passe dans cette enceinte. Eh bien, je pense que nous savons tous maintenant que les Canadiens de partout au pays s'intéressent beaucoup à ce qui se passe dans cette enceinte.
Je continue de croire que la meilleure solution est de renvoyer ces trois motions à un comité spécial où nos collègues accusés auront la possibilité de se défendre et de répondre à nos questions, et où nous pourrons obtenir l'avis d'experts des questions constitutionnelles et parlementaires afin de ne pas faire fausse route, ainsi que l'avis de juristes afin de ne pas nuire aux enquêtes policières en cours.
Comme je l'ai signalé auparavant, cette démarche s'inspirerait, dans la mesure du possible, des précédents qui ont été établis relativement à des dossiers difficiles comme celui-ci, tant à la Chambre des lords qu'ici. Le sénateur Carignan s'est d'ailleurs fondé précisément sur ces précédents.
Le renvoi des trois motions à un comité spécial peut se faire à tout moment au cours du débat, avec la permission du Sénat. Toutefois, si mes collègues ne souhaitent pas créer un comité spécial et qu'ils préfèrent faire appel à un comité permanent, je n'ai pas d'objection.
(1800)
Une fois de plus, je rappelle à mes honorables collègues que l'amendement que j'avais proposé pour la motion concernant le sénateur Brazeau visait le renvoi de la motion au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement.
Son Honneur le Président : Comme il est 18 heures, devrions-nous tenir compte de l'heure?
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : Y a-t-il consentement unanime pour que nous fassions abstraction de l'heure?
Des voix : D'accord.
La sénatrice Cools : Non, j'ai demandé qu'on tienne compte de l'heure.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le consentement unanime est requis pour déroger au Règlement. Je rappelle aux honorables sénateurs que, selon l'article 3-3(1), je suis tenu de quitter le fauteuil à 18 heures jusqu'à la reprise de la séance, à 20 heures, à moins qu'il n'y ait consentement unanime de ne pas tenir compte de l'heure.
Je demande donc à nouveau, par souci de clarté : vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l'heure?
Des voix : D'accord.
La sénatrice Cools : J'ai dit non.
Son Honneur le Président : Il n'y a pas consentement unanime. Je quitte donc le fauteuil jusqu'à 20 heures, heure à laquelle nous reprendrons la séance.
(La séance est suspendue.)
(2000)
(Le Sénat reprend sa séance.)
Le sénateur Cowan : Merci, monsieur le Président. Je jongle avec deux options. Je pourrais, d'une part, reprendre du début et, puisqu'il est tard, me pencher sur certaines observations que j'ai formulées dans le présent débat, et j'ai pensé résumer les brèves interventions du sénateur Carignan. C'était la première option. D'autre part, je pourrais simplement continuer où j'en étais à 18 heures et terminer mon intervention. Je suis désolé de décevoir le Sénat, mais, pour me faciliter la tâche, et puisque j'ai votre intérêt à cœur, c'est ce que je ferai.
Comme je le disais donc, je rappelle encore une fois à mes collègues que l'amendement que j'ai proposé à la motion concernant le sénateur Brazeau visait le renvoi de la motion au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Comme je l'ai mentionné plus tôt lorsque j'ai présenté mon amendement à la motion visant la sénatrice Wallin, j'ai dit que j'avais écouté attentivement la proposition que le leader adjoint de l'opposition, la sénatrice Fraser, ma collègue, avait présentée, laquelle visait le renvoi de la motion au Comité de la régie interne. Il s'agit d'une proposition parfaitement sensée, et, comme la sénatrice l'a souligné, les deux propositions se valent. Nous souhaitions simplement donner plus d'options au Sénat.
Comme je l'ai dit plus tôt, je crois encore que le Sénat devrait avoir plus d'une option. Je proposerai donc la même motion que j'ai présentée concernant le sénateur Brazeau, et je m'attends à ce qu'elle aussi soit modifiée pour qu'il soit possible que le Sénat renvoie la motion au Comité de la régie interne.
Motion subsidiaire
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Par conséquent, je propose la motion subsidiaire qui suit, conformément aux articles 5-7b) et 6-8b) du Règlement :
Que cette motion soit renvoyée à notre Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour étude et rapport;
Que le sénateur Duffy soit invité à comparaître; que les délibérations soient télévisées, compte tenu de l'intérêt public que suscite la question et conformément à l'article 14-7(2) du Règlement.
(Sur la motion de la sénatrice Fraser, le débat est ajourné.)
(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne à demain, à 14 heures.)