Le président : Honorables sénateurs, l'article 12-32(3) du Règlement
énonce les règles de procédure applicables au comité plénier. Plus
particulièrement, aux termes de l'article b), « un sénateur n'est ni
obligé à se lever quand il prend la parole, ni contraint à rester à la place qui
lui est attribuée ».
Honorables sénateurs, le comité plénier se réunit conformément à l'ordre tout
juste adopté par le Sénat pour entendre M. Joe Friday relativement à sa
nomination au poste de commissaire à l'intégrité du secteur public. Conformément
à cet ordre, sa comparution durera au plus une heure.
Je demande maintenant au témoin d'entrer.
(Conformément à l'ordre adopté par le Sénat, Joe Friday prend place dans la
salle du Sénat.)
Le président : Honorables sénateurs, le Sénat s'est formé en comité
plénier pour entendre M. Joe Friday relativement à sa nomination au poste de
commissaire à l'intégrité du secteur public.
Monsieur Friday, nous vous remercions d'être ici aujourd'hui. Je vous invite
à présenter vos observations préliminaires, après quoi, les sénateurs pourront
vous poser des questions.
Joe Friday, candidat proposé au poste de commissaire à l'intégrité du
secteur public : Merci, honorables sénateurs. Je suis très honoré que le
premier ministre ait proposé ma candidature au poste de commissaire à
l'intégrité du secteur public. Cette nomination fait suite à un processus
annoncé publiquement l'an dernier.
Le commissaire à l'intégrité du secteur public est un mandataire du Parlement
et il fait partie d'un petit nombre de bureaux de surveillance qui exercent des
fonctions importantes et délicates au sein de l'administration publique
fédérale, fonctions qui exigent objectivité, neutralité et indépendance.
[Français]
Je comprends parfaitement l'importance du rôle de commissaire à l'intégrité
du secteur public, et j'apporte avec ma nomination toute mon expérience, mes
compétences et mon dévouement au service de cette fonction.
J'aimerais aussi souligner mon entière compréhension du fait que, en tant
qu'agent, je rends directement compte au Parlement.
[Traduction]
Le commissariat a été créé en 2007 en vertu de la Loi sur la protection des
fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles et dans le cadre de
l'initiative du gouvernement fédéral en matière de responsabilité. Il fournit un
mécanisme sécuritaire et confidentiel, qui permet aux fonctionnaires et aux
citoyens de divulguer des actes répréhensibles commis dans le secteur public
fédéral. La loi aide également à protéger contre les représailles les
fonctionnaires qui divulguent des actes répréhensibles ou qui collaborent à des
enquêtes.
Par conséquent, le poste de commissaire joue un rôle essentiel dans le cadre
de reddition de comptes du secteur public fédéral. Il représente un engagement
envers l'excellence dans la fonction publique et, sur la scène internationale,
il fait de plus en plus partie de l'identité du Canada en tant que chef de file
digne de confiance en matière de bon gouvernement et de bonne gouvernance.
En tant que commissaire, je m'engage à défendre l'intérêt public en assumant
les fonctions importantes et délicates qui exigent que, à l'instar de tous les
autres mandataires, je rende des comptes directement au Parlement.
[Français]
Au cours de mes sept années passées au commissariat, d'abord comme avocat
général puis à titre de sous-commissaire et, depuis le 1er janvier de
cette année, de commissaire intérimaire, j'ai acquis une compréhension
approfondie et éclairée de la structure et du fonctionnement de notre régime de
divulgation et de protection contre les représailles, autrement dit, le régime
de protection des dénonciateurs.
Je comprends également l'importance de souligner et de démontrer
l'indispensable confiance qu'ont les Canadiens dans les institutions publiques
et la fonction publique, y compris la nécessité d'œuvrer non seulement au
maintien de cette confiance, mais aussi à sa consolidation.
Pour atteindre ces objectifs, il est essentiel de savoir faire preuve de
discernement, de bien connaître le fonctionnement du secteur public et d'aborder
le processus décisionnel de manière objective et équilibrée sur les questions
cruciales.
[Traduction]
Je sais qu'il peut être extrêmement difficile pour une personne de se
manifester après avoir été témoin d'actes qu'elle juge répréhensibles. Je sais
également que les représailles peuvent prendre différentes formes et qu'il faut
intervenir de façon claire et directe afin de régler la situation et d'empêcher
que des événements semblables se reproduisent. Je suis aussi conscient du fait
que toutes les parties doivent être traitées équitablement, y compris la partie
accusée d'avoir commis des actes répréhensibles ou d'avoir exercé des
représailles.
[Français]
Parce qu'il se doit d'agir en décideur indépendant, le commissaire est
investi d'un rôle très exigeant. De nombreux aspects restent encore à définir en
matière de divulgation d'actes répréhensibles. Il faut savoir gérer les attentes
et les perceptions avec doigté et discernement. Cela dit, je sais que, en
maintenant le cap sur ses objectifs d'accessibilité, de clarté et de cohérence,
le commissariat peut arriver à donner suite aux actes répréhensibles et aux
plaintes de représailles, et contribuer ainsi à renforcer le secteur public.
[Traduction]
Cela fait maintenant huit ans que le commissariat a été créé. Nous avons
connu bien des réussites tangibles au cours de ces huit années. Nous avons
présenté des rapports de cas. Nous avons renvoyé des dossiers de représailles au
tribunal créé par la loi qui nous régit afin de traiter ce genre de dossiers.
Nous avons aussi offert des services de conciliation dans certains dossiers et
nous avons fait des efforts soutenus de sensibilisation afin d'informer les
Canadiens de notre existence et du contenu de notre mandat.
Nous traitons chaque cas avec impartialité et nous rendons des décisions
justes sur des enjeux d'intérêt public d'une grande importance. Voilà la
véritable indication de notre réussite.
[Français]
Si ma nomination est acceptée, j'entends suivre l'exemple de mon
prédécesseur, sous la gouverne duquel je suis fier d'avoir pu participer à jeter
de solides bases pour asseoir les politiques et les méthodes opérationnelles
rigoureuses dont nous disposons aujourd'hui, et je continuerai de m'inspirer de
ces succès et d'en élargir la portée.
[Traduction]
Mes priorités correspondent aux principes que j'ai mentionnés un peu plus
tôt, soit l'accessibilité, la clarté et la cohérence. Bien que ces principes
soient différents, ils sont intrinsèquement liés. L'accessibilité regroupe la
sensibilisation et la connaissance de l'organisation : elle sera donc toujours
au nombre de nos priorités. Nos homologues des provinces et territoires, que je
rencontre régulièrement, partagent cet objectif et doivent, eux aussi, relever
les défis que cela comporte. Nos homologues à l'échelle internationale, avec qui
j'assure une communication continue, ont aussi fait de l'accessibilité leur
priorité.
(1350)
[Français]
Exprimé en termes simples, ce principe signifie que les gens doivent savoir
qui nous sommes et où nous trouver lorsqu'ils ont besoin de nous. Ils doivent
comprendre qu'ils ont le choix, en vertu de nos lois, de faire leur divulgation
auprès de leur ministère ou de se tourner vers nous. Ils doivent également être
au fait de ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire pour eux lorsqu'ils font
appel au commissariat. Nous devons poursuivre nos efforts en vue de sensibiliser
les gens, clarifier l'information qui leur est transmise et les rassurer.
[Traduction]
En ce sens, je mettrai également l'accent sur le défi constant de veiller à
ce que notre travail soit fondé sur d'autres perspectives et opinions
pertinentes. Notre comité de consultation externe, mis sur pied en 2011,
poursuivra ses travaux. Il nous permet d'obtenir des points de vue externes
essentiels et d'être au courant de l'incidence et des effets de nos actions. À
cet égard, en tant que président de ce comité, j'aurai comme priorité de mettre
davantage l'accent sur les commentaires et les points de vue des syndicats de la
fonction publique fédérale.
En ce qui concerne les activités internes de notre commissariat, nous sommes
en mesure de faire le point sur notre expérience considérable et de tirer profit
de ce que nous avons appris jusqu'à maintenant, notamment des avis des
tribunaux. À cette fin, j'ai mis l'accent sur l'amélioration de notre processus
interne d'élaboration des politiques en regroupant nos équipes responsables des
opérations, des services juridiques et des politiques afin d'élaborer des lignes
directrices visant à guider plus directement et stratégiquement les opérations,
ainsi qu'à fournir des renseignements clairs aux utilisateurs potentiels de
notre régime au sujet de notre interprétation et de notre application de la loi.
Nous voulons que les gens puissent faire des choix éclairés en ce qui concerne
notre commissariat. Il est important qu'ils sachent à quoi s'attendre.
Cette démarche s'appuie sur le travail que nous avons réalisé ces dernières
années en vue d'élaborer et de mieux faire connaître les normes de service, les
échéanciers que nous nous imposons pour effectuer l'analyse initiale des
dossiers et pour mener les enquêtes.
[Français]
Honorables sénateurs, je continuerai également d'accorder une grande
importance aux normes de professionnalisme et d'excellence exigées de notre
personnel. Nous effectuons un travail difficile. Notre équipe, qui est
relativement petite, est néanmoins plus solide que jamais.
Sur le plan du recrutement, nous avons fait preuve de rigueur et d'une vision
stratégique, et j'ai appris que, pour une organisation de petite taille comme la
nôtre, il pouvait être extrêmement compliqué d'attirer les bonnes personnes et
de les garder.
Après huit années d'activités, il semble que notre volume de travail se soit
stabilisé, bien que nous n'exercions aucun contrôle sur la fréquence des
divulgations, leur nombre ou leur type. Pour l'heure, nous avons fait la
démonstration de notre capacité d'accomplir notre travail dans les limites de
notre budget actuel. Nous sommes fin prêts à entreprendre l'examen législatif
quinquennal prévu par la loi et, lorsque cet examen commencera, nous serons
heureux de présenter les observations et les suggestions que nous aura inspirées
notre travail jusqu'à ce jour et de contribuer ainsi à l'élaboration de
possibles modifications au régime.
[Traduction]
Nous continuons à nous préparer pour cet examen. Je peux dire à ce stade-ci
qu'en général, nous concentrerons nos efforts sur l'amélioration de la
protection de la confidentialité et sur le soutien à apporter aux plaignants
dans les dossiers de représailles afin qu'ils tirent pleinement parti des
protections prévues par la loi.
Je dirais en toute confiance que notre loi donne de bons résultats, mais
aussi qu'elle pourrait être plus efficace. C'est au commissaire qu'il incombe de
veiller à ce que la loi fonctionne le mieux possible et à ce qu'on puisse en
tirer pleinement parti.
[Français]
Notre travail exige une bonne connaissance de l'organisation du secteur
public fédéral, de ses activités et, aussi, en fait, de sa culture. Je suis
convaincu que mes 22 années d'expérience au sein de l'appareil fédéral sont
d'une importance fondamentale pour l'exercice des fonctions conférées au
commissaire sous le régime de la loi.
J'ai fait la démonstration de mon objectivité et de mon indépendance dans le
cadre du travail que j'ai accompli pour le commissariat jusqu'ici, tout
particulièrement lorsque j'ai été appelé à agir comme décideur dans des cas
fondés d'actes répréhensibles. Je compte sur cette expérience, sur mon jugement
et sur ma formation de juriste pour me guider dans l'exercice du rôle de
commissaire.
[Traduction]
Je tiens à souligner que la grande majorité des fonctionnaires servent les
Canadiens avec intégrité et avec un sens du devoir honorable. Mon objectif, à
titre de commissaire, consiste à maintenir la fière tradition de la fonction
publique canadienne, tout en la renforçant et en faisant en sorte qu'elle se
traduise par le niveau le plus élevé de conformité aux normes d'intégrité, de
professionnalisme et de respect.
[Français]
Je vous remercie.
[Traduction]
Honorables sénateurs, je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos
questions.
Le président : Monsieur Friday, je vous remercie de vos observations.
Quiconque désire le faire peut maintenant poser des questions à M. Friday; il
suffit d'en informer le bureau du greffier. Il y a déjà des sénateurs qui sont
prêts. Nous allons commencer par le sénateur Runciman.
Le sénateur Runciman : Monsieur Friday, vous avez dit que votre
personnel était composé d'une petite équipe. Combien de personnes travaillent
dans votre bureau?
M. Friday : À l'heure actuelle, notre bureau compte 25 employés à
temps plein.
Le sénateur Runciman : En ce qui concerne la tenue des enquêtes,
combien de ces employés sont considérés comme des enquêteurs?
M. Friday : Il y a sept postes d'enquêteurs. À l'heure actuelle, nous
avons trois enquêteurs à temps plein et nous sommes sur le point de combler un
quatrième poste. Cela n'inclut pas notre directeur des enquêtes chevronné, qui
est lui aussi un enquêteur.
Le sénateur Runciman : Quel genre d'expérience les enquêteurs ont-ils?
M. Friday : Les antécédents varient. J'accorde une plus grande
importance à l'expérience dans le domaine des enquêtes administratives. Nous
n'effectuons pas d'enquêtes criminelles. La norme de preuve et l'approche sont
différentes. Nos enquêtes permettent de déterminer s'il y a lieu ou non de
conclure que des actes répréhensibles ont été commis, et je dois ensuite rendre
compte de mes conclusions au Parlement.
Il est donc important d'avoir de l'expérience dans le domaine des enquêtes
administratives et au sein de la fonction publique fédérale. Voilà le cadre dans
lequel nous travaillons. Compte tenu de la nature de notre travail, je crois
également qu'il est important d'avoir une connaissance approfondie de la
structure et du fonctionnement de la fonction publique fédérale.
Le sénateur Runciman : Depuis combien de temps êtes-vous commissaire
par intérim? Depuis six mois, ou plus longtemps?
M. Friday : Depuis le 1er janvier.
Le sénateur Runciman : Oh, depuis janvier dernier. À votre avis,
qu'est-ce que le commissariat fera de différent par rapport à ce qu'il faisait
auparavant?
M. Friday : Je dirais que mes priorités s'inscrivent sous le signe de
la continuité, car je crois que nos activités vont bon train en ce moment.
J'aimerais me pencher en particulier sur l'élaboration de politiques et de
directives qui permettraient d'appliquer et d'interpréter la loi de façon
cohérente. Je crois que nous sommes au point où nous avons un grand nombre de
leçons importantes à retenir, et les tribunaux offrent certaines précisions à
cet égard.
J'aimerais me concentrer sur cette priorité en particulier, et j'aimerais
également élaborer ces politiques et ces directives de manière à ce que nous
puissions les communiquer pour que les gens qui songent à faire appel à nous
aient une idée de ce qu'ils peuvent raisonnablement attendre de notre
commissariat.
Je sais à quel point il est difficile pour les gens de s'adresser à un
organisme de dénonciation externe comme le nôtre pour faire une dénonciation ou
porter plainte au sujet d'un cas de représailles. Par conséquent, si je peux
faire quoi que ce soit pour que ce processus soit mieux défini, plus prévisible
et plus clair, afin que les gens puissent prendre une décision éclairée,
j'aimerais beaucoup m'y employer.
Le sénateur Runciman : Croyez-vous qu'on reconnaît généralement le
rôle que peut jouer votre bureau? Les gens sont- ils suffisamment au courant de
votre existence?
M. Friday : Je crois que la connaissance, la sensibilisation et la
compréhension sont des défis constants pour nous, et je peux confirmer que les
discussions que j'ai avec mes homologues provinciaux et territoriaux et un grand
nombre de mes homologues internationaux portent sur cette question en
particulier.
Certains utilisent l'analogie de la caserne de pompiers. Si vous avez besoin
de nous, vous devriez savoir où nous trouver immédiatement. Cependant, nous
n'avons pas nécessairement besoin d'être au centre des préoccupations de tout le
monde, et c'est peut-être quelque chose de sain. Si la situation était telle que
tout le monde avait besoin de nous en tout temps, ce serait le signe d'un grave
problème dans le secteur public qui n'existe pas, à mon avis.
Comme je l'ai mentionné, notre point de départ, c'est que nous avons une
fière tradition de service à la population au Canada. Nous voulons vraiment nous
assurer que cette fière tradition se poursuit et que les Canadiens ont confiance
dans leurs institutions publiques et les fonctionnaires qui travaillent pour
eux.
(1400)
[Français]
Le sénateur Joyal : Merci de votre présentation. Pourriez-vous nous
rappeler le nombre de plaintes reçues et le nombre d'enquêtes qui ont été
déclenchées à la suite de ces plaintes, puisqu'il peut y avoir une différence
entre les deux?
M. Friday : Chaque année, nous recevons environ 100 divulgations et 25
plaintes de représailles. Nous enquêtons en général sur 20 p. 100 des
divulgations et un tiers des plaintes de représailles. Nous menons présentement
16 enquêtes, plaintes de représailles et divulgations combinées.
Du 1er avril 2007 au 10 mars 2015, nous avons reçu environ 800
divulgations et plaintes de représailles au total; nous avons complété 123
enquêtes et nous avons déposé 10 rapports de cas.
Le sénateur Joyal : Merci pour ces renseignements. Je comprends que
vous avez le pouvoir d'ordonner la production de documents.
[Traduction]
Avez-vous le pouvoir d'ordonner à l'administration qu'elle produise des
documents?
M. Friday : Nous avons tous les pouvoirs prévus à l'article 2 de la
Loi sur les enquêtes, dont celui de délivrer un subpoena. Je suis heureux de
dire que nous n'avons pas eu à utiliser ces pouvoirs jusqu'à maintenant. Je veux
souligner que nous bénéficions d'un degré de coopération remarquable de tous les
ministères, de tous les sous-ministres et des fonctionnaires.
Notre loi habilitante prévoit que tout administrateur général, soit les
sous-ministres et les dirigeants de société d'État, a l'obligation de nous
donner accès à ses locaux, à ses documents et à toute l'information voulue.
Cette obligation est acceptée, et je suis heureux de dire qu'elle est respectée.
Nous avons ces pouvoirs au besoin, et je n'hésiterais certainement pas à en
user comme il se doit dans le cadre de mes fonctions.
Le sénateur Joyal : Je vous remercie de cette réponse.
En ce qui a trait à vos pouvoirs, vous avez parlé des rapports. Dans ces
rapports, avez-vous seulement un pouvoir de recommandation, ou pouvez-vous
ordonner, par exemple, une indemnisation, ou la réintégration, ou toute mesure
que vous jugeriez appropriée dans vos conclusions?
M. Friday : Dans un cas de divulgation d'acte répréhensible, nous
commençons par vérifier si l'acte a été commis ou non, et nous devons présenter
un rapport sur le cas au Parlement.
Dans un cas de représailles, nous n'avons pas à vérifier que l'acte a été
commis. Cependant, à la fin de l'enquête, si nous croyons avoir des motifs
raisonnables de croire que des représailles ont vraiment eu lieu, nous
présentons une demande à un tribunal spécialement constitué, composé de trois
juges de la Cour fédérale qui ont le pouvoir d'imposer des sanctions
disciplinaires à une personne qui a commis ces représailles. Le tribunal peut,
par exemple, ordonner qu'une personne retrouve son poste, qu'on lui paie une
indemnité d'un maximum de 10 000 $ pour préjudice moral ou qu'on lui rembourse
le salaire perdu.
Pour ce qui est des représailles, nous sommes liés au système judiciaire
officiel, en quelque sorte.
Le sénateur Joyal : Vous n'êtes donc pas un tribunal en tant que tel?
M. Friday : Non. Lorsque nous constatons un acte répréhensible, nous
pouvons formuler des recommandations quant aux mesures correctives à prendre.
Nous sommes le parti principal devant le tribunal, c'est donc nous qui
présentons l'affaire.
Le sénateur Joyal : Votre rôle va donc au-delà de celui d'un
enquêteur; il est possible que vous agissiez aussi comme un procureur de la
Couronne, car vous pouvez vous adresser vous- même au tribunal. Ai-je raison de
décrire votre fonction ainsi?
M. Friday : Pour ce qui est du tribunal spécial, en effet, nous sommes
la partie requérante devant le tribunal, tout comme c'est le cas pour la
Commission canadienne des droits de la personne et le Tribunal des droits de la
personne, d'après ce que je comprends.
Dans les cas où nous constatons que des actes répréhensibles ont eu lieu, nos
pouvoirs se limitent à faire des recommandations. Les rapports sur ces cas sont
toutefois rendus publics.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, lorsque vous vous présentez devant
le tribunal, c'est-à-dire devant le groupe de trois juges que vous avez
mentionné, vous vous basez sur les preuves recueillies pour appuyer votre
plaidoyer et démontrer le bien-fondé de la cause. Votre recommandation au
tribunal est basée sur des preuves solides qui méritent d'être retenues pour une
conclusion favorable du point de vue de la partie lésée.
[Français]
M. Friday : Exactement.
Le sénateur Joyal : D'accord. Avez-vous eu recours à un tribunal du
genre depuis 2007?
M. Friday : Oui, nous avons transmis six dossiers de représailles au
tribunal; dans le cas de cinq dossiers, les parties en sont arrivées à des
règlements à l'aide du processus de conciliation auquel elles ont droit en vertu
de la loi pendant une enquête, et il y a aussi une possibilité de médiation au
tribunal.
Je pense que le processus de conciliation est très important, parce qu'il
donne aux parties le pouvoir de régler des représailles et un conflit entre deux
personnes. Il s'agit, selon moi, d'une façon de faire qui est plus personnalisée
que la divulgation, par exemple. C'est peut-être la différence entre un intérêt
privé et l'intérêt public.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Vous touchez un autre point auquel je pensais,
c'est-à-dire la confidentialité entourant une affaire. Bien évidemment, une
personne qui se présente devant un tribunal prend le risque que sa cause soit
rendue publique, n'est-ce pas?
M. Friday : Absolument.
Le sénateur Joyal : Donc, si vous dénoncez la situation publiquement,
vous avez une chance de gagner, mais vous aurez l'air du mouton noir, si je puis
dire, lorsque vous retournerez au travail. En fait, vous gagnez d'un côté, mais
vous perdez de l'autre et, au final, vous devez veiller à vos intérêts en tant
qu'être humain et travailleur ayant des responsabilités familiales et ainsi de
suite. Cela semble être un facteur très important sur le plan humain à prendre
en considération dans votre décision de vous adresser au tribunal.
Cela veut-il dire que, lorsque vous vous adressez au tribunal, vous avez
l'appui de la personne lésée durant le processus pour vous assurer d'obtenir la
décision que vous souhaitez?
M. Friday : Je suis tout à fait d'accord avec vous, sénateur. Le
processus d'enquête sur une divulgation d'actes répréhensibles est hautement
confidentiel. La confidentialité, c'est un pilier de notre régime.
Dans les cas de représailles, si nous portons une affaire devant un tribunal
public, il y a effectivement une différence, et je reconnais qu'une partie
voudra prendre cela en considération et nous veillerions à ce que les parties
comprennent les limites relatives à la confidentialité, le cas échéant. Les
problèmes sont quelque peu différents dans le cas d'une divulgation et celui de
représailles, mais je dirais — et je m'appuie peut-être ici sur mon expérience
avec les modes alternatifs de règlement des conflits — que l'option de
conciliation dans un cas de représailles devrait être sérieusement envisagée.
Elle offre la possibilité de parvenir à une entente privée.
Je reconnais cependant d'emblée que, dans un cas particulier, les parties
puissent vouloir une audience devant un tribunal et obtenir un jugement complet
et une ordonnance du tribunal.
Le sénateur Joyal : Je suis désolé. J'ai une autre question. Je la
poserai peut-être à la deuxième série de questions.
Le président : Nous procéderons à une deuxième série de questions, si
c'est possible. Sénatrice Batters, c'est à votre tour.
(1410)
La sénatrice Batters : Pourriez-vous nous parler de votre vision de
l'organisation et nous dire où vous aimeriez qu'elle se situe à la fin de votre
septennat de commissaire à l'intégrité du secteur public? Comme votre homonyme
l'aurait dit, je ne cherche à connaître « que les faits, madame ». Avec le nom
que vous portez, vous deviez bien vous douter que quelqu'un vous sortirait cette
phrase à un moment donné.
M. Friday : Merci, honorable sénatrice. Je puis vous assurer,
honorables sénateurs, que Joe Friday est mon vrai nom.
Peut-être que je pourrais répondre en disant que si je pouvais changer une
chose, je ferais en sorte que le terme « dénonciateur » perde sa connotation
négative. C'est un terme que certaines personnes choisissent d'utiliser et
d'autres pas.
Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un terme désobligeant, mais plutôt
honorable. Je crois que, dans notre culture, ce mot a toujours des connotations
très négatives dans une certaine mesure. Il évoque le manque de loyauté, la
malhonnêteté et la faiblesse, et non le contraire.
Ma vision serait celle de normaliser la dénonciation, si je puis m'exprimer
ainsi.
Je devrais préciser que le commissariat n'est pas un bureau de l'ombudsman.
Nous ne représentons pas un groupe en particulier. Nous défendons l'intérêt du
public en tout temps. J'aimerais dire que nous encourageons le dénonciateur, pas
les dénonciateurs.
Dans la mesure où nous pourrions changer ces perceptions et faire de la
dénonciation un « comportement pro-social » au lieu d'un « comportement
anti-social », j'aimerais le faire. J'ai espoir que nous y arrivions en nous
efforçant de sensibiliser les gens, de les informer, de leur donner ce dont ils
ont besoin pour comprendre afin qu'ils utilisent pleinement nos services, et en
prenant des décisions cohérentes, justifiables, raisonnables et justes.
Dans sept ans, lorsque j'aurai complété mon mandat, si j'ai l'impression
d'avoir pu faire progresser la réflexion sur la dénonciation, j'en serai très
satisfait.
La sénatrice Batters : Très bien, et je vous souhaite la meilleure des
chances dans la poursuite de ces objectifs louables.
La sénatrice Marshall : Monsieur Friday, merci beaucoup d'être
présent. Pourriez-vous nous parler de l'histoire du commissariat et, plus
particulièrement, du travail accompli par le vérificateur général? Le
commissariat s'est heurté à quelques obstacles, et je voudrais que vous nous
donniez votre point de vue sur la vérification de 2010 et sur le travail fait en
2014. Je sais que les domaines ayant réalisé l'objet de la vérification ont été
très différents au cours de ces deux années, mais je voudrais savoir si le
commissariat est parvenu à surmonter les obstacles et, le cas échéant, je
voudrais que vous me disiez comment il y est parvenu. Dans le cas contraire,
pourriez-vous me dire ce qu'il vous reste à faire pour sortir de cette période
très difficile?
M. Friday : Je vous remercie de la question. En 2010, la vérificatrice
générale du Canada a publié un rapport qui portait sur le premier titulaire du
poste de commissaire à l'intégrité du secteur public. Ce rapport concluait
qu'au-delà des problèmes liés au comportement et au style de gestion du
titulaire du poste lui- même, il y avait aussi des problèmes de fonctionnement
au commissariat.
Dès l'entrée en fonction du deuxième titulaire du poste de commissaire à
l'intégrité du secteur public, M. Mario Dion, pour lequel j'ai eu le privilège
de travailler non seulement en tant qu'avocat général, mais également comme
commissaire adjoint, celui-ci a immédiatement entrepris de rouvrir la totalité
des dossiers clos pour les examiner, ce qui a donné lieu à des enquêtes sur un
certain nombre de dossiers et à une analyse initiale sur d'autres dossiers.
Plus tard, en 2014, le vérificateur général a formulé des observations
concernant strictement le fonctionnement du commissariat, en particulier sur
certains retards. Je suis très fier de pouvoir dire que, depuis lors, j'ai eu
l'occasion de collaborer étroitement avec M. Dion et que nous avons établi des
normes de service. Nous nous accordons 24 heures pour répondre à une demande
générale de renseignements en vertu de la loi qui nous régit. Nous nous
accordons 90 jours pour compléter une analyse de cas, qui doit donner lieu à une
recommandation de faire enquête ou non. Puis, une fois l'enquête entreprise,
nous nous donnons un an pour l'effectuer. Notre objectif est de respecter ces
délais dans 80 p. 100 des cas. Je peux vous dire fièrement que, selon les
données accumulées jusqu'à la semaine dernière, nous les respectons constamment
dans plus de 90 p. 100 des cas.
Nous avons également organisé une série de réunions d'examen de cas présidées
par moi, mon avocat général, mon directeur des opérations et notre directeur
exécutif; nous déterminons l'état d'avancement de tous les dossiers en suspens
pour nous assurer de maîtriser la situation.
Nous avons également augmenté notre effectif depuis la publication du premier
rapport du vérificateur général. Il y avait un grand roulement de personnel.
L'année dernière, nous avions un taux de roulement inférieur à 8 p. 100. Nous
avons beaucoup accompli depuis que ces problèmes ont été identifiés, et je peux
affirmer fièrement et en toute honnêteté que nous maintenons les processus en
vigueur pour veiller à ce que de tels problèmes ne puissent tout simplement pas
se reproduire.
J'assure aux sénateurs que nous sommes extrêmement sensibles aux réalités
opérationnelles et prenons des mesures en permanence pour gérer notre charge de
travail et respecter les normes de service que nous nous sommes imposées.
La sénatrice Marshall : Je trouve que les activités comme les
vérifications ont pour effet de déstabiliser les organisations concernées,
surtout celles dont l'effectif est faible. Vous avez affirmé avoir quelque 25
employés. Trouvez-vous que les choses se sont stabilisées? Avez-vous repris vos
activités régulières?
M. Friday : Oui, j'affirmerais sans aucune hésitation que c'est un
honneur insigne pour moi de pouvoir diriger une telle équipe composée de
professionnels dévoués dans un domaine que je trouve très difficile. Je
m'entretiens régulièrement avec des gens qui me disent ne pas pouvoir s'imaginer
travailler dans un tel domaine compte tenu des difficultés, des tensions et des
problèmes qui lui sont propres. Je reconnais combien il peut être difficile de
travailler dans le domaine de la dénonciation. C'est ardu, non seulement sur les
plans opérationnel et juridique, mais aussi émotivement. Nous avons
soigneusement choisi chacun des membres dévoués et professionnels de notre
équipe. Au chapitre des ressources humaines, nous comptons continuer d'embaucher
par anticipation afin de pouvoir déterminer d'avance qui ferait l'affaire dans
un domaine spécialisé, complexe et exceptionnellement important lorsqu'un membre
de l'équipe nous quitte, car nous ne nous attendons pas à ce qu'ils passent
toute leur carrière dans une petite organisation comme la nôtre.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.
La sénatrice Fraser : Monsieur Friday, je vous souhaite la bienvenue
au Sénat. Je suis ravie de vous entendre, et j'ai écouté ce que vous avez dit
avec beaucoup d'intérêt. Je suis navrée d'avoir voleté ici et là pendant un
instant. J'avais des détails de nature parlementaire à régler, et je suis
désolée de ce que vous avez dû percevoir comme un manque de courtoisie. Je crois
cependant qu'il est très important que vous soyez là et que nous écoutions ce
que vous avez à dire.
J'ai écouté votre exposé avec beaucoup d'intérêt, et j'aimerais revenir à
certains aspects dont vous avez parlé.
Commençons par la question du personnel, puisque vous venez d'en parler. Vous
venez de dire au Sénat que votre taux de roulement est très faible, ce qui est
formidable. C'est une excellente nouvelle. Cependant, dans votre exposé, vous
avez parlé de la difficulté d'attirer des candidats et à garder le personnel.
Pourriez- vous expliquer ces deux déclarations pour nous?
M. Friday : Certainement. Je crois que cela revient à ce que
j'essayais d'expliquer il y un instant, c'est-à-dire que c'est un domaine de
travail très difficile. J'ai travaillé avec des gens qui entretenaient des idées
préconçues ou qui faisaient des suppositions inexactes avant d'arriver à notre
bureau. Par exemple, contrairement à ce que certains peuvent penser, nous ne
sommes pas un représentant personnel. Nous ne jouons pas le rôle d'un ombudsman.
Je pense que certaines personnes ne se rendent pas compte au préalable que le
fait de traiter avec des gens qui ont réfléchi longuement avant de prendre une
décision très difficile, de nous occuper ensuite des preuves et de nous attaquer
aux problèmes auxquels ils sont confrontés a une incidence sur nous, sur les
plans personnel et émotif. Ce sont des situations qui finissent par nous
ébranler, si je peux m'exprimer ainsi.
(1420)
Ce qui est difficile, c'est qu'il faut trouver les bonnes personnes et leur
donner, au sein d'une petite organisation, la possibilité de poursuivre leur
développement et leur perfectionnement. Comme vous l'avez peut-être constaté, il
n'y a pas beaucoup de possibilités d'avancement et de perfectionnement au sein
d'un groupe comptant 25 personnes. Nous offrons aux gens une expérience qui leur
sera extrêmement utile dans d'autres emplois.
Dans le cadre de mon travail, je dois notamment respecter les contraintes
propres à une petite organisation et essayer de trouver des occasions de
développement continu. J'en ai mentionné une dans ma déclaration préliminaire;
je suis très fier de notre initiative en matière de politiques, que j'ai
l'honneur de diriger. Elle nous permet de réunir les membres du groupe
responsable des services juridiques et du groupe responsable des opérations —
dans notre cas, il s'agit d'analystes et d'enquêteurs — et de notre petit groupe
responsable des politiques, qui travailleront en collaboration et mettront en
commun leurs excellentes idées. Le but est de proposer des politiques et
d'élaborer des documents et des outils qui, d'une part, appuieront le travail
interne et, d'autre part, nous aideront à nous attaquer à un autre enjeu
important, c'est-à-dire la nécessité de faire connaître notre bureau et son
mandat et de favoriser la confiance des gens à notre égard.
La sénatrice Fraser : Je vous remercie de cette réponse. Dans votre
exposé, vous avez aussi dit que, aux termes du processus d'examen actuel, vous
jugez nécessaire — et j'espère bien résumer vos propos — de mieux préserver
l'anonymat des plaignants et la confidentialité de leurs renseignements.
Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Quels problèmes avez-vous
découverts au commissariat?
M. Friday : Madame la sénatrice, en ce qui concerne la question de
l'anonymat et de la confidentialité, je soulignerais d'entrée de jeu, une fois
de plus, l'importance fondamentale de ces notions dans un contexte de
dénonciation d'actes répréhensibles.
La loi sur l'information prévoit une exemption qui nous permet de garder
certains renseignements secrets. Or, à mon avis, il y a lieu de préciser le
libellé de cette exemption. Plus particulièrement, je voudrais qu'elle vise
expressément les renseignements dont dispose l'équipe chargée de l'étude des
dossiers et non seulement l'équipe d'enquête. Même si cela fait partie du
processus d'enquête, je crois qu'il serait fort utile de préciser ce qu'elle
suppose.
Nous voudrions également, si la loi est révisée, inclure si possible un
énoncé soulignant la nature confidentielle du processus lié aux plaintes de
représailles. Même si, comme il en a été question un peu plus tôt, une plainte
de représailles pourrait se retrouver devant le tribunal spécial constitué en
vertu de la loi qui régit nos activités, le principe de la publicité des débats
judiciaires — que je respecte en tant que membre du Barreau — ne s'accommode pas
tout à fait de la notion de confidentialité. Nous voudrions préserver le
caractère confidentiel et anonyme des renseignements tout au long de la phase
d'enquête sur une plainte de représailles.
Actuellement, la protection vise toute enquête relative à une divulgation,
mais pas les enquêtes relatives aux plaintes de représailles. Même si, selon
moi, des questions d'ordre philosophiques fort intéressantes sont en jeu,
j'entends manifestement orienter mon mandat de manière à protéger ouvertement la
confidentialité des renseignements et l'anonymat des plaignants, autant que la
loi le permet.
La sénatrice Fraser : De toute évidence, vous devrez concilier ces
deux principes fondamentaux.
M. Friday : En effet.
La sénatrice Fraser : Pouvons-nous tirer des leçons de l'expérience
d'autres pays et d'autres administrations?
M. Friday : Je crois qu'on peut tirer plusieurs leçons intéressantes
de l'expérience de différents pays. En juin dernier, j'ai eu le grand honneur
d'être l'un des principaux conférenciers lors de la conférence sur les régimes
de protection des dénonciateurs organisée par l'Organisation de coopération et
de développement économiques. Parmi les participants, on comptait des pays qui
ont plus d'expérience que le Canada dans ce domaine, comme les États- Unis et le
Royaume-Uni, et des pays qui en sont à élaborer des propositions en vue
d'établir des systèmes ou des mesures législatives concernant les dénonciateurs.
Nous souhaitons que les pays qui ont une longue expérience dans ce domaine
renseignent les autres pays et les fassent profiter de leur expérience. À titre
d'exemple, l'an dernier, ou peut-être était-ce l'année précédente, l'ancien
commissaire et moi avons rencontré nos homologues aux États-Unis pour échanger
sur nos expériences respectives.
Il y a différentes façons d'aborder les problèmes communs à plusieurs pays.
Nous nous adresserons sûrement à nos homologues internationaux afin de trouver
des façons de concilier les principes potentiellement contradictoires que vous
avez mentionnés.
La sénatrice Fraser : Pouvez-vous déjà nous parler de l'expérience
d'autres pays et des leçons qu'ils ont retenues?
M. Friday : Je ne peux pas le faire pour le moment, car je n'ai pas
ces renseignements à portée de main. Nous nous concentrons sur notre système et
sur la place qu'il occupe dans le vaste cadre du secteur public.
L'un des aspects qui m'apparaît fascinant porte sur la façon d'élaborer un
système de protection des dénonciateurs qui soit adapté à une culture
socioéconomique ou sociopolitique particulière.
Nous poursuivons nos discussions avec nos homologues d'autres pays à cet
égard. Comme la loi actuelle accorde déjà une protection importante en ce qui
concerne la confidentialité, notre objectif consiste davantage à apporter des
précisions qu'à combler d'importantes lacunes. Nous cherchons à renforcer le
principe universellement reconnu qui constitue la pierre angulaire de la bonne
marche et de l'efficacité de tout régime de dénonciation.
Le sénateur Meredith : Monsieur Friday, je vous souhaite la bienvenue
au Sénat en ce magnifique jeudi après-midi. Vous avez parlé de la composition de
votre personnel, et j'aimerais savoir quel est le pourcentage de femmes, de
minorités visibles et d'Autochtones au sein de votre équipe?
M. Friday : Sénateur, je ne suis pas sûr de pouvoir vous fournir ces
renseignements au pied levé. Je pourrais sans aucun doute vous faire parvenir
une liste détaillée de ces données ultérieurement. Je peux toutefois vous dire
que, à l'heure actuelle, le commissariat compte des représentants de chacun des
groupes visés par l'équité en matière d'emploi énoncés dans la Politique sur
l'équité en emploi du Conseil du Trésor.
Le sénateur Meredith : Pensez-vous que ces pourcentages pourraient
changer? Vous avez dit que votre bureau comptait 25 employés à l'heure actuelle,
et vous avez aussi mentionné que certaines personnes quittaient leur poste.
Comment allez-vous faire pour vous assurer que la composition de votre personnel
continue de refléter le visage du Canada?
(1430)
M. Friday : La stratégie de ressources humaines que nous avons
officiellement adoptée prévoit expressément la nécessité de tenir compte de la
diversité dans nos pratiques d'embauche.
Il est très important pour nous, non seulement à titre d'organisme du secteur
public, mais aussi d'organisme qui exerce notre mandat particulier, de refléter
le mieux possible la société canadienne. J'admets que la taille de notre
commissariat peut rendre difficile l'atteinte de cet objectif puisque notre
effectif est tellement petit que le nombre d'employés engagés dans une année
donnée est assez faible. Je peux cependant vous donner l'assurance que cet
objectif fait partie de la stratégie de ressources humaines officiellement
adoptée par le commissariat.
Le sénateur Meredith : Stratégie que vous appuyez pleinement?
M. Friday : Absolument.
Le sénateur Meredith : Quel est votre budget actuel? Le Conseil du
Trésor a imposé des restrictions budgétaires qui obligent les différents
ministères à faire des réductions. À votre avis, quelles en seront les
répercussions sur votre organisation?
M. Friday : Pour l'exercice 2015-2016, nous avons un budget de 5,4
millions de dollars. En fait, certains de nos fonds seront touchés par la
péremption cette année, surtout à cause de quelques vacances non comblées. Par
exemple, mon poste de commissaire adjoint n'a pas encore été comblé. De plus,
l'ancien commissaire est parti fin décembre, ce qui a laissé un autre poste
vacant.
Nous avons aussi essayé de réduire notre recours aux contrats de services.
Notre loi nous permet d'engager des spécialistes lorsque nous en avons besoin.
Nous l'avons fait par le passé. De temps en temps, nous avons par exemple besoin
d'un enquêteur ayant certaines compétences particulières ou qui ont des
connaissances spécialisées dans un certain domaine, comme la comptabilité
judiciaire.
Nous avons essayé — avec un certain succès, je crois —, également dans le
cadre de notre stratégie officielle de ressources humaines, de déterminer les
lacunes qui pourraient exister chez nous dans des domaines spécialisés et de
garder ces lacunes à l'esprit lorsque nous faisons du recrutement, de façon à
pouvoir réduire encore davantage notre recours à des experts de l'extérieur.
Quoi qu'il en soit, nous croyons pouvoir faire notre travail dans l'année qui
vient sans dépasser l'enveloppe budgétaire qui nous a été attribuée.
Comme je l'ai déjà mentionné, nous n'avons aucun contrôle sur le genre, le
nombre ou la complexité des dossiers qui nous parviennent. Par conséquent, nous
sommes très conscients du fait que nous pourrions très rapidement nous retrouver
en situation de déficit budgétaire. Nous essayons d'adopter à cet égard une
attitude stratégique proactive en établissant le plus de prévisions possibles
et, comme je l'ai dit, en essayant d'avoir un plein effectif d'employés
compétents capables d'affronter tous les problèmes.
Je dois dire que le défi est particulièrement intimidant puisque nous devons
nous occuper de l'ensemble de l'administration publique fédérale, qui compte
quelque 375 000 fonctionnaires. Cela comprend tous les ministères et organismes
ainsi que toutes les sociétés d'État mères.
Jusqu'ici, comme je l'ai dit, nous avons réussi à nous en tenir à notre
budget. J'espère que nous pourrons continuer de le faire. Autrement, je
n'hésiterai évidemment pas à présenter des arguments persuasifs pour obtenir
plus de fonds, tout en reconnaissant l'obligation que j'ai, comme commissaire,
de faire une gestion responsable.
Le sénateur Meredith : Monsieur Friday, vous avez déjà parlé à mes
collègues du processus des plaintes. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce
sujet?
Nous avons actuellement un processus en marche au Sénat. Comme vous le savez
bien, un rapport du vérificateur général est imminent, et nous nous inquiétons
tous de la réputation de notre institution et des allégations d'indélicatesse.
Comment faites-vous, au commissariat, pour veiller à la protection des deux
parties dans vos enquêtes, de façon à éviter de nuire à la crédibilité et aux
réputations par suite de la publication de renseignements inexacts?
M. Friday : Sénateur, je dirais que les deux piliers de notre régime
sont, comme je l'ai déjà mentionné, la confidentialité et la protection du droit
à la justice naturelle et à l'équité procédurale.
Tout notre travail s'inspire de ces deux principes fondamentaux. Nous avons
des obligations de confidentialité et des restrictions que nous nous imposons
nous-mêmes à titre d'employés du commissariat. Ce sont des restrictions très
strictes qui s'appliquent à la communication de n'importe quel renseignement.
Nous protégeons de notre mieux le caractère confidentiel de l'information tout
le long du processus d'enquête, dans la mesure prévue par la loi.
De temps à autre, il arrive dans toute enquête — que ce soit chez nous ou
ailleurs — que les droits d'une personne accusée d'avoir mal agi ou de s'être
livrée à des représailles s'opposent au droit à la confidentialité d'un témoin
ou d'un dénonciateur. Nous adoptons à cet égard l'orientation prise par les
tribunaux. Ces questions mettent en cause des enjeux très complexes d'analyse
juridique, mais il y a un équilibre à maintenir en matière de protection de la
confidentialité : il faut tenir compte de l'importance de l'anonymat d'un point
de vue personnel et émotif, mais aussi — comme vous l'avez signalé à juste titre
— de l'importance de la réputation et des perspectives d'emploi futures. Il faut
réaliser l'équilibre avec le droit de tout Canadien de savoir ce qu'on lui
reproche et de disposer de renseignements suffisants pour se défendre.
C'est un équilibre dont nous sommes très conscients et auquel nous faisons
très attention dans chaque cas.
Le sénateur Meredith : Comment traitez-vous avec vos employés à
l'interne? Ils sont humains et peuvent faire des erreurs dans leurs enquêtes.
Quels mécanismes internes avez-vous pour affronter ces situations?
M. Friday : Du point de vue de...
Le sénateur Meredith : S'ils font une erreur au cours d'une enquête...
Quelles politiques internes avez-vous pour faire face à de tels cas?
M. Friday : Nous avons un processus d'examen très complet. Toutes les
analyses de cas qui déterminent s'il y a lieu ou non d'ouvrir une enquête ainsi
que toutes les enquêtes sont confiées à un enquêteur, qui peut compter sur
l'aide d'un conseiller juridique. Tout cela est dirigé par notre directeur des
opérations, qui a une grande expérience. Il y a un processus d'approbation à
chaque étape d'une analyse ou d'une enquête, qui intervient même lorsque nous
devons combler le poste de commissaire adjoint, c'est-à-dire mon ancien poste.
Les recommandations me sont ensuite transmises afin que je prenne une décision
finale pour accepter un rapport d'enquête ou un rapport de cas en tout ou en
partie. J'ai également le pouvoir de renvoyer un dossier pour une enquête ou une
analyse complémentaire.
Nous veillons soigneusement à protéger et à maintenir la rigueur d'une
enquête en évitant d'imposer inutilement des lourdeurs administratives. En
effet, nous ne servirions l'intérêt de personne si nous prenions tout simplement
trop de temps pour effectuer notre travail.
L'équilibre entre la rapidité et la rigueur est central dans notre travail;
nous en sommes très conscients, et nous avons eu l'occasion d'en discuter lors
de séances de réflexion en groupe. C'est fondamental pour le sain déroulement
d'enquêtes comme les nôtres ou la saine existence d'un organisme d'enquête comme
le nôtre.
Le sénateur Meredith : Monsieur Friday, merci beaucoup de votre temps.
Bienvenue encore une fois.
(1440)
Le sénateur Joyal : Monsieur Friday, une fois obtenu l'arbitrage d'un
groupe de juges, comme vous l'avez dit en réponse à ma question, ou une fois
menée à terme la démarche de conciliation, continuez-vous à observer les suites
données aux décisions?
M. Friday : Aux termes de notre loi, lorsqu'une conciliation réussit,
le dossier est clos. Une fois que le tribunal se prononce sur une affaire qui
lui a été soumise, l'affaire est close également. Nous informons les parties que
nos portes leur sont toujours ouvertes. S'il y avait d'autres représailles, nous
ferions une nouvelle enquête.
Nous comprenons les difficultés qui peuvent surgir parce que ces affaires
peuvent être ouvertes et fermées sans qu'il soit tenu compte de leurs
ramifications ni de leurs conséquences, mais je dirai que nous sommes très
conscients du risque de représailles suivies ou répétées. Cependant,
officiellement, sur le plan juridique, nous n'avons plus compétence, une fois le
dossier fermé.
Le sénateur Joyal : Quels efforts déployez-vous pour faire connaître
vos services dans la fonction publique, étant donné qu'il y a toujours du
recrutement, par exemple? Selon moi, il faut s'assurer que tous les
fonctionnaires sont au courant de votre existence, du fait que vous êtes là pour
préserver l'intégrité de la fonction publique.
[Français]
M. Friday : Je suis tout à fait d'accord.
[Traduction]
L'an dernier, nous avons eu plus de 50 conférences ou exposés. Nous nous
sommes adressés à la majorité des comités exécutifs des ministères de la
fonction publique fédérale.
Sur le plan de l'innovation, nous avons produit une vidéo qui a été rendue
publique en décembre. Il s'agit d'une animation qui explique notre rôle, notre
mandat et nos services. Nous l'avons placée sur notre site web et sur YouTube.
Je suis heureux de vous dire qu'elle a été vue des milliers de fois.
Nous cherchons activement des occasions de présenter des exposés. J'informe
moi-même les personnes récemment nommées par le gouverneur en conseil au sujet
de leurs obligations aux termes de notre loi. Hier, par exemple, deux membres de
notre équipe juridique ont donné une séance d'information sur les aspects
juridiques de notre loi à des juristes du ministère de la Justice.
Notre stratégie de communication et de participation est fondamentale et elle
restera au premier plan de nos priorités. Si nous voulons qu'on fasse appel à
nos services, il nous faut les faire connaître.
La sénatrice Fraser : Pour en revenir à votre exposé liminaire,
monsieur Friday, j'ai été heureuse de vous entendre dire que, dans le cadre des
activités de votre comité consultatif externe, vous souhaitiez insister
davantage sur les relations avec les syndicats. Il existe une fâcheuse tendance,
par les temps qui courent, à diaboliser les syndicats. À mon avis, ils sont des
partenaires essentiels. Je me réjouis que vous le reconnaissiez, mais je me
demande qui d'autre vous consultez dans ce contexte.
M. Friday : Notre comité consultatif a été mis sur pied en 2011. Il
constitue un moyen de prendre connaissance des points de vue extérieurs qui sont
essentiels. Parmi les membres, nous avons un représentant de haut niveau du
Conseil du Trésor, et c'est le Conseil du Trésor qui est responsable de
l'administration du régime interne de divulgation. Nous avons deux cadres
supérieurs qui sont directement responsables, à l'intérieur de leurs
organisations, de l'administration du régime interne. Nous avons également la
directrice générale de l'Association professionnelle des cadres supérieurs. Nous
avons des représentants de l'Alliance de la fonction publique du Canada, de
l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, de l'Association
canadienne des agents financiers et de l'Association canadienne des employés
professionnels. Nous avons aussi une représentante du tribunal dont j'ai parlé
et un professeur de droit de l'Université d'Ottawa. Je préside le comité, qui
comprend aussi deux membres de notre personnel, l'un des services généraux et
l'autre du secteur de la politique et de la communication.
Le président : Je vous remercie beaucoup d'être venu aujourd'hui.
Honorables sénateurs, le comité siège maintenant depuis une heure.
Conformément à l'ordre adopté par le Sénat, je dois interrompre les travaux pour
que le comité puisse faire rapport au Sénat. Je sais que vous vous joindrez à
moi pour remercier M. Friday du temps qu'il nous a consacré aujourd'hui.
Monsieur Friday, vous pouvez prendre congé.
Des voix : Bravo!
Le président : Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord pour que je
fasse rapport au Sénat du fait que le témoin a été entendu?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, le Sénat
reprend sa séance.
L'honorable Michael MacDonald : Honorables sénateurs, le comité
plénier, qui a été autorisé par le Sénat à entendre M. Joe Friday relativement à
sa nomination au poste de commissaire à l'intégrité du secteur public, fait
rapport du fait qu'il a entendu ledit témoin.
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement),
conformément au préavis donné le 24 mars 2015, propose :
Que, conformément au paragraphe 39(1) de la Loi sur la protection des
fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46,
le Sénat approuve la nomination de Joe Friday à titre de commissaire à
l'intégrité du secteur public.
Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables
sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
(La motion est adoptée.)
L'honorable Nicole Eaton propose que le projet de loi C-40, Loi
concernant le parc urbain national de la Rouge, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, c'est un privilège pour moi de prendre la parole à ce
moment-ci en faveur du projet de loi C-40, portant création du parc urbain
national de la Rouge.
Honorables sénateurs, la mesure législative proposée permet la création d'une
nouvelle entité remarquable, la première en son genre au Canada, un parc urbain
national situé dans la région du Grand Toronto, la plus grande métropole du
Canada et la plus diversifiée sur le plan culturel.
Ce faisant, le gouvernement a mis en œuvre des stratégies clés qui serviront
de guide pour la nouvelle catégorie des parcs urbains nationaux, dont le parc de
la Rouge est le premier exemple. Ce projet de loi a trois fonctions.
Premièrement, il contribue de manière tangible à l'application du Plan de
conservation national établi par le gouvernement du Canada. Les dispositions
contenues dans le projet de loi et l'ébauche de plan directeur qui en découle
sont conformes aux trois priorités décrites dans le Plan de conservation
national de 2014 : conservation des terres et des eaux du Canada; restauration
des écosystèmes du Canada; rapprochement des Canadiens de la nature et du réseau
canadien d'aires patrimoniales protégées.
Deuxièmement, le projet de loi permet la mise en vigueur de mesures de
protection renforcées pour le parc de la Rouge. Il donne clairement la priorité
à la protection de la nature, de la culture et de l'agriculture. Il sera
interdit de pratiquer l'exploitation minière ou la chasse dans le parc. Il sera
également interdit d'enlever du parc des plantes, des animaux ou d'autres
ressources naturelles ou culturelles. Des amendes et d'autres sanctions
semblables à celles qui s'appliquent dans les autres parcs nationaux seront
imposées à ceux qui pollueront le parc, y harcèleront les animaux sauvages ou y
feront du braconnage.
Mais surtout, le projet de loi C-40 et l'ébauche de plan de gestion du parc
prévoient les moyens nécessaires pour assurer, présentement et à l'avenir, au
fur et à mesure que le parc sera agrandi, un degré de protection équivalent ou
supérieur à celui que prévoient les lois et les politiques provinciales.
(1450)
Le projet de loi est équitable pour les agriculteurs. L'agriculture et
l'élevage sont des éléments clés du parc urbain national de la Rouge. Après les
expropriations des années 1970, les agriculteurs n'avaient pas d'autre choix que
d'accepter des baux d'un an. Cette mesure restrictive a créé des règles du jeu
injustes, empêchant les agriculteurs de faire des plans allant au-delà des 12
mois suivants. Le projet de loi C-40 ouvre la possibilité de baux à long terme
et à de meilleures conditions, qui permettront aux intéressés de faire une
meilleure planification et une bonne gestion des récoltes dans la vallée de la
Rouge.
Honorable collègues, ce sont là les grandes lignes du projet de loi.
Permettez-moi maintenant de vous donner un peu plus de détails.
Ce projet de loi établira le parc urbain national de la Rouge, qui s'inscrira
dans une nouvelle catégorie d'aire protégée qui sera gérée par Parcs Canada,
parallèlement aux parcs nationaux, lieux historiques nationaux et aires marines
nationales de conservation. Il poursuivra donc en 2015 une tradition lancée en
1885 avec la création de Banff, premier parc national du Canada, tradition qui a
continué avec l'établissement du premier lieu historique national, celui du
Fort-Anne, à Annapolis Royal, en Nouvelle-Écosse, ainsi qu'avec la
reconnaissance, en 2001, du premier parc marin national du Canada Fathom Five et
des eaux profondes étincelantes de l'embouchure de la baie Georgienne.
Honorables sénateurs, ce parc national se distinguera de tous les autres. Ce
sera un parc urbain en plein milieu de la plus grande région métropolitaine du
Canada. Grâce à cette nouvelle désignation inédite, Parcs Canada sera en mesure
de faire fond sur la Rouge d'aujourd'hui, qui doit son existence aux efforts
collectifs et coopératifs de visionnaires et de protecteurs locaux,
d'organisations de citoyens, de gouvernements et d'innombrables volontaires. Le
gouvernement du Canada est fier de rendre hommage au dur labeur et à la
détermination qui se sont manifestés pendant près de trois décennies afin de
créer l'un des plus grands parcs urbains du monde.
[Français]
De plus, nous devons assurément reconnaître les centaines de parties
prenantes aux niveaux provincial et municipal, les membres des Premières Nations
et les milliers de représentants du public, lesquels ont contribué à la vision
et à la planification du premier parc urbain national du Canada.
[Traduction]
Comme les honorables sénateurs l'auront remarqué, le projet de loi C-40 offre
un cadre législatif qui permettra à Parcs Canada de gérer les ressources
naturelles, culturelles et agricoles du parc tout en reconnaissant les
perspectives et les défis créés par son contexte urbain.
Cette nouvelle désignation de parc urbain national permettra à Parcs Canada
d'assurer les protections les plus énergiques qui soient à cet endroit unique
qui englobe un ensemble aussi remarquable de paysages, comprenant de profondes
vallées, des caractéristiques glaciaires, 1 700 espèces de végétaux et
d'animaux, des terres agricoles de classe 1 et un riche assemblage de ressources
archéologiques. Ces ressources comprennent des édifices du patrimoine et des
paysages humanisés d'une portée aussi bien locale que nationale, y compris le
lieu historique national de la Colline-Bead, seul site archéologique intact
remontant au XVIIe siècle des Sénéca au Canada, ainsi que l'ancienne
route de portage de Toronto, également connue sous le nom de portage Humber et
passage de Toronto, qui était une importante route de portage de l'Ontario,
reliant le lac Ontario au lac Simcoe et aux Grands Lacs du Nord.
L'engagement de longue date de Parcs Canada envers la participation des
Premières Nations aux lieux patrimoniaux protégés jouera également un rôle
important dans le parc urbain national de la Rouge. Le lien avec nos Premières
Nations est authentiquement historique puisque le nom de Toronto dérive du terme
mohawk toron-ten, qui signifie lieu où croissent des arbres au- dessus de
l'eau.
La désignation nationale du parc de la Rouge facilitera la collaboration
entre Parcs Canada et les Premières Nations, ce qui permettra aux communautés
autochtones de célébrer leurs racines historiques dans le parc et de renouveler
leurs liens avec ses paysages et ses voies d'eau.
Honorables collègues, nous reconnaissons volontiers que les réalisations de
Parcs Canada dans le domaine de la conservation sont applaudies partout dans le
monde. L'agence est déterminée à mettre ses 100 ans d'expérience en conservation
au service de ce nouveau parc urbain national.
Le Sénat sait que le gouvernement du Canada s'est engagé dans le Plan
d'action économique de 2012 à investir 143,7 millions de dollars sur 10 ans,
puis 7,6 millions chaque année par la suite, pour réaliser le parc urbain
national de la Rouge.
[Français]
Au cours des audiences menées par le Comité sénatorial permanent de
l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles dans le cadre de
l'étude de ce projet de loi, nous avons entendu le témoignage d'un expert qui
nous a expliqué pourquoi il était nécessaire de créer ce type de parc et
pourquoi il fallait adopter une loi qui permettrait d'en faire la création.
[Traduction]
Larry Noonan, président de l'Altona Forest Stewardship Committee, s'occupe de
la communauté de la Rouge depuis 40 ans. Son témoignage explique certains des
raisonnements qui ont présidé à la création d'un parc urbain national et qui le
rendent tellement unique en son genre :
Certaines personnes s'interrogent sur la pertinence d'une loi différente
pour le parc de la Rouge. Le projet de loi C-40 a été rédigé précisément
pour un parc urbain. Lorsque des personnes affirment que les parcs nationaux
dont l'infrastructure est perturbée ont une intégrité écologique et que, par
conséquent, les parcs urbains nationaux devraient être soumis à la même
norme, c'est un raisonnement fallacieux.
Les aires de nature sauvage dans le parc urbain national de la Rouge sont
fragmentées par bien des choses, qu'il s'agisse d'autoroutes menant aux
villages ou de pipelines gaziers, ou encore de l'ancienne plus grande
décharge de la région du Grand Toronto. Soixante-quinze pour cent de la
superficie actuelle du parc de la Rouge est perturbée, comparativement à 4
p. 100 de celle du parc national Banff.
Quand on examine la situation sous cet angle, il est clair qu'il faut une
nouvelle loi pour les parcs urbains nationaux, une loi qui contienne des
définitions, des stratégies et des échéanciers tenant compte du caractère
unique d'un parc situé en milieu urbain. Cette loi, c'est le projet de loi
C-40.
On pourrait penser, sur la base de tout cet effort et des progrès réalisés
tandis que nous quittons les sentiers battus pour établir le premier parc urbain
national du Canada, que la voie à suivre ne comporterait pas trop de
difficultés. Toutefois, comme nous le savons d'après ce que nous avons entendu
au cours du débat de deuxième lecture au Sénat et d'après les témoignages donnés
au comité, il pourrait y avoir des obstacles qui pourraient réduire le degré de
succès que le parc urbain national de la Rouge vise à atteindre.
Même si elle a conclu et signé un protocole d'entente avec le Canada au début
de 2013, l'Ontario a depuis adopté une autre position, disant que, à moins que
trois amendements ne soient apportés au projet de loi, elle ne cédera pas ses
terres qui, comme le sénateur Eggleton nous l'a signalé à l'étape de la deuxième
lecture, représentent 44 p. 100 du territoire du parc.
[Français]
Le sénateur Eggleton a également apporté un éclaircissement surprenant à la
position de l'Ontario en mettant en lumière ses trois principales
préoccupations.
[Traduction]
Les voici : son insistance sur ce qu'elle appelle l'intégrité écologique; son
exigence d'un parc plus vaste qui ferait 100 kilomètres carrés au lieu des 58
prévus actuellement; enfin, son insistance pour obtenir un degré supérieur de
certitude à l'article 8 du projet de loi, en ce qui concerne la nomination d'un
comité consultatif chargé de dispenser des conseils sur la gestion du parc.
De plus, l'Ontario a insisté pour qu'on donne la priorité à la nature plutôt
qu'à l'agriculture, au détriment des entreprises agricoles. Je reviendrai dans
un instant sur l'importante question de l'agriculture.
On pourrait vouloir reconnaître la rigueur de l'Ontario, dans son rôle de
défenseur de l'intégrité écologique du parc. On pourrait voir dans son
insistance sur une plus grande assurance au sujet de la surveillance de la
gestion du parc une préoccupation noble et le souci de protéger ses intérêts.
Hélas, les faits semblent indiquer tout autre chose.
Malgré l'engagement qu'elle a pris dans le protocole d'entente signé en
janvier 2013, l'Ontario est la seule administration qui n'ait toujours pas livré
ses réactions au projet de plan de gestion du parc, et cela malgré de vastes
consultations qui se sont étendues sur quatre mois. Il s'agit, dans les 103 ans
d'histoire de Parcs Canada, du processus le plus considérable jamais déployé
pour faire participer le grand public. On s'est adressé au grand public, aux
organisations d'intervenants, aux fonctionnaires des gouvernements, aux
collectivités des Premières Nations, on a recueilli des observations au cours
d'activités locales et d'assemblées publiques ouvertes à Toronto, à Scarborough,
à Markham et à Pickering, et on a réalisé une enquête en ligne.
(1500)
Grâce à cette démarche, et depuis que le gouvernement a annoncé dans le
discours du Trône de 2011 son intention de créer ce parc, plus de 11 000
Canadiens ont pu faire connaître leurs points de vue. Plus de 150 organisations
ont participé au processus. Bref, il semble que tout le monde ait quelque chose
à dire du plan de gestion proposé. Tout le monde, sauf le gouvernement libéral
de l'Ontario. On dirait que le gouvernement ontarien se préoccupe par-dessus
tout d'intendance environnementale. Pourtant, il n'a pas dit un mot du projet de
plan de gestion. Devant ces faits, il vaut peut-être la peine de se demander si
c'est au nom de l'écologie que les efforts exagérés de l'Ontario sur le plan
environnemental ont cet impact constant et considérable.
Considérons, si vous le voulez bien, ces faits qui sont du domaine public :
des milliards de dollars appartenant aux contribuables ont été gaspillés et
seront encore gaspillés pendant des décennies à cause des bourdes du
gouvernement libéral dans le secteur éolien; le gouvernement s'est lancé dans ce
secteur sans aucun plan d'affaires, faisant la sourde oreille aux conseils de
ses propres experts, qui auraient pu atténuer considérablement les coûts.
Résultat, cette initiative a contribué à faire monter en flèche le coût de
l'électricité, et 300 000 emplois ont disparus dans le secteur manufacturier de
la province. Par conséquent, les Ontariens sont maintenant condamnés à payer
pendant 20 ans des prix absurdement gonflés pour une énergie éolienne inefficace
et non fiable, qu'il faut toujours suppléer au moyen de carburants fossiles,
c'est-à-dire le gaz naturel.
Ajoutons à cela le fiasco des compteurs intelligents. L'installation de ces
compteurs d'électricité dans 4,8 millions de foyers et d'entreprises — oui,
c'est une exagération sur le plan environnemental, la même qui motive son
objection au projet de loi — dans tout l'Ontario coûte aux contribuables près du
double de ce que le gouvernement avait prévu au départ. En effet, le
vérificateur général de l'Ontario a révélé que l'installation de ces appareils
avait coûté 1,9 milliard de dollars, alors qu'on avait dit aux Ontariens que les
coûts seraient plus près de 1 milliard de dollars. Le vérificateur général a
également constaté que le ministère de l'Énergie n'avait soumis le programme à
aucune analyse de rentabilité avant que le Cabinet ne l'approuve. Le bilan n'est
pas éclatant en ce qui concerne la protection de l'écologie — si on fait
abstraction d'entreprises irresponsables qui ont brillamment réussi, et de façon
soutenue, à coûter plus cher aux Ontariens, beaucoup plus cher.
Détournons-nous maintenant des apparences et examinons plutôt la réalité des
préceptes du protocole d'entente qui a déjà été approuvé afin de voir ce que ces
modalités disent à propos de l'intendance en matière d'écologie. L'article 2.09
de l'entente souscrit à l'élaboration « des politiques écrites sur la création,
la gestion et l'administration du parc, qui respecteront ou surpasseront les
politiques provinciales [...] » En lien direct avec cela, les opposants aux
mesures législatives proposées continuent de citer la Loi de 2005 sur la
ceinture de verdure de l'Ontario comme principale loi devant s'appliquer aux
questions écologiques concernant les terres provinciales. Lors de son passage
devant le comité, la ministre Aglukkaq a grandement clarifié cet enjeu
lorsqu'elle a comparé le projet de loi C-40 à la loi provinciale. Voici ce
qu'elle a dit :
Malgré tout notre respect pour la Loi sur la ceinture de verdure, elle ne
peut soutenir la comparaison. Le projet de loi C-40 offre une bien meilleure
protection. Contrairement au projet de loi C-40, la Loi sur la ceinture de
verdure de l'Ontario ne prévoit pas de mécanismes d'application de la loi
pour protéger les ressources du parc; elle ne limite pas l'aménagement
d'infrastructures; elle permet l'extraction des ressources en agrégats; elle
autorise la chasse et elle contient des échappatoires permettant le
déversement de sols contaminés et la mise à mort d'espèces en péril. [...]
Bref, le projet de loi C-40 constitue le cadre législatif le plus
rigoureux de l'histoire de la Rouge applicable par Parcs Canada,
c'est-à-dire : il s'applique à toute la superficie du parc; il protège les
ressources naturelles, culturelles et agricoles; il tient compte des
réalités de la quatrième plus grande région urbaine en Amérique du Nord; il
respecte toutes les ententes, tous les engagements et tous les dialogues
survenus avec les propriétaires fonciers publics qui possèdent des terres
faisant partie du parc urbain national; il concrétise la vision de la Rouge
Park Alliance en mettant en place une zone protégée fortement rehaussée.
Collègues, même les opposants au projet de loi ont dû reconnaître que la Loi
sur la ceinture verte reste muette sur la notion de l'intégrité écologique et
qu'elle ne contient aucune disposition qui donne préséance à la nature.
Par conséquent, comment se fait-il que, dans un regrettable recours à la
stratégie du risque calculé, le ministre du Développement économique, de
l'Emploi et de l'Infrastructure de l'Ontario, Brad Duguid, puisse dire à la
ministre fédérale de l'Environnement que si les changements qu'il propose ne
sont pas adoptés, il continuera de soutenir que les terres contrôlées par la
province sont mieux protégées en vertu des lois provinciales actuelles?
Ce serait tout un paradoxe de voir l'Ontario, qui tient tellement à
l'intégrité écologique, décider, si elle n'obtient pas ce qu'elle veut, de
protéger les terres en vertu de sa propre loi — qui ne renferme aucune
disposition garantissant ce que la province souhaite, c'est-à- dire préserver
l'intégrité écologique — alors qu'elle n'a pas encore daigné donner son point de
vue sur le régime de gestion proposé, qui pourrait peut-être fournir une telle
protection. Peut-être est-ce la même logique que celle qui a entraîné les
décisions malavisées concernant l'énergie éolienne, les contrats pour les
centrales au gaz et les compteurs intelligents.
[Français]
Un aspect fondamental de cette question est la distinction entre «
législation » et « politiques ». L'Ontario semble insister pour y voir
l'atteinte de dispositions ou le dépassement de politiques incluses dans ce
projet de loi; or, ce n'est simplement pas l'endroit pour faire de telles
choses.
[Traduction]
Au comité, ce point a été précisé plusieurs fois à des témoins. Il convient
de répéter que c'est du plan de gestion que découleront les moyens d'assurer
l'intégrité écologique et d'autres formes de protection. Ce plan intègre les
quatre pierres angulaires de la notion de parc, à savoir : préserver le
patrimoine naturel, sensibiliser les gens à la nature et à l'histoire, appuyer
une collectivité agricole dynamique et célébrer le patrimoine culturel de cet
endroit spécial. Le plan intègre aussi neuf principes directeurs élaborés par
des partenaires et des intervenants. Comme je l'ai mentionné, ce document
important en est au stade de l'ébauche, et il est vraiment regrettable que la
province n'ait pas encore donné son point de vue, parce que cette absence de
dialogue empêche le dossier de progresser.
Honorables sénateurs, il convient de souligner que le plan de gestion proposé
renferme pas moins de 12 mesures de protection écologique qui sont propres au
parc de la Rouge et qui n'existent pas dans la législation provinciale. Voici
quelques exemples de ces mesures : un financement durable à long terme pour
soutenir la gestion, la protection et l'exploitation du parc; la stabilité pour
les agriculteurs grâce à des baux à long terme; l'application intégrale des
dispositions de la Loi sur les espèces en péril; l'interdiction de chasser sur
toutes les terres; l'application de l'interdiction de déverser des déchets;
l'imposition d'amendes et de peines, comme dans les parcs nationaux,
relativement à des activités illégales comme le braconnage.
[Français]
En fait, le projet de loi C-40 fournira des moyens de protection qui sont
supérieurs à ceux que prévoit n'importe quelle autre loi provinciale précédente
destinée à ce parc.
La province de l'Ontario ne devrait être qu'encouragée par cette législation.
L'Ontario devrait également être stimulée par les gains que le parc urbain
national de la Rouge apportera à l'agriculture.
[Traduction]
La tradition agricole du parc est une caractéristique qui le distingue de
tous les autres lieux patrimoniaux protégés du Canada. La présence
d'exploitations agricoles en activité est cruciale pour le succès futur du parc
urbain national de la Rouge. Les gens vont continuer à vivre et à travailler à
cet endroit, comme beaucoup de familles et communautés autochtones le font
depuis des siècles.
Honorables sénateurs, c'est un fait que l'Ontario est une terre prospère.
N'oublions pas que l'agroalimentaire est le deuxième secteur en importance dans
la province. Les agriculteurs qui exercent leur activité dans le parc signent
des baux annuels depuis qu'ils ont été expropriés, il y a quarante ans.
Quiconque connaît l'agriculture vous dira que les exploitations agricoles sont
les entreprises les plus complexes parmi toutes celles qui sont
multigénérationnelles et qui sont familiales.
Le projet de loi C-40 permettra, pour la première fois depuis près de deux
générations, de consentir des baux à long terme aux agriculteurs du parc, ce qui
les réjouit grandement. La York Region Federation of Agriculture représente 700
exploitations agricoles de la région de York et de Toronto, y compris les 40
fermes qui feront partie du parc urbain national de la Rouge.
(1510)
La position de la fédération sur le projet de loi C-40 est claire :
Nous estimons que le projet de loi est le meilleur moyen de protéger les
7 500 acres de terres agricoles de catégorie 1 et les activités agricoles
durables du parc urbain national de la Rouge tout en améliorant l'équilibre
écologique et en préservant le patrimoine culturel de la région.
La fédération fustige aussi carrément la province :
Ce que les agriculteurs veulent et vous demandent, ministre Duguid, c'est
que vous approuviez la cession des terres provinciales à Parcs Canada et que
vous appuyiez l'adoption, dans les plus brefs délais, du projet de loi C-40
au Sénat, sans amendements.
Vous pouvez donc constater, honorables sénateurs, que les efforts nécessaires
pour faire progresser les choses ont été faits, et qu'il y a des façons de
surmonter ce que la province considère comme des pierres d'achoppement. Nous
avons bon espoir que le travail consciencieux des fonctionnaires de Parcs Canada
permettra de dénouer l'impasse actuelle. Nous sommes toujours résolus à faire
avancer les choses. Le projet de loi que nous présentons ne s'applique qu'à une
petite partie des lots décrits et prévoit le pouvoir d'ajouter ultérieurement
des terres par décret.
En conclusion, honorables sénateurs, ne convenez-vous pas que toutes les
grandes villes ont de grands parcs? On n'a qu'à penser au Central Park, à New
York, au Hyde Park, à Londres, au superbe bois de Boulogne, à Paris, au parc
Phoenix, à Dublin, au parc Stanley, à Vancouver, ainsi qu'au parc du Mont-Royal,
à Montréal. Lorsque le projet de loi C-40 sera adopté, il y aura donc un parc
national exceptionnel et novateur dans la plus grande ville du Canada.
[Français]
Il n'existe nulle part de plus belle occasion de présenter et de partager
notre patrimoine naturel, culturel et agricole que dans la grande région de
Toronto.
[Traduction]
Réseautage, apprentissage, intendance, mobilisation, bénévolat : il y a de
tout pour tout le monde grâce au mélange unique de paysages naturels, culturels
et agricoles d'importance nationale qu'on y trouve. La création, étape par
étape, du parc urbain national de la Rouge, est exposée en détail dans un solide
plan de gestion axé sur la collaboration et visant expressément à protéger cette
diversité au cœur du plus gros centre urbain du pays.
Pour conclure, Votre Honneur, j'aimerais vous rappeler ce que disait
Alexander Graham Bell :
À l'occasion, nous devrions sortir des sentiers battus et pénétrer dans
les bois. Chaque fois, nous y trouverons quelque chose que nous n'avions
encore jamais vu.
Honorables sénateurs, le projet de loi dont nous sommes saisis nous permettra
effectivement de pénétrer dans les bois et d'y trouver quelque chose que nous
n'avions encore jamais vu : le premier parc urbain national du Canada. Tout le
monde pourra être fier de cet endroit : le gouvernement fédéral comme les
provinces, les municipalités, les parties intéressées, les amants de la nature,
les agriculteurs, les Premières Nations et les néo-Canadiens, qui sont
impatients de connaître et d'habiter le pays qu'ils ont choisi d'appeler le
leur.
Chers collègues, je vous recommande cette mesure législative et vous prie de
l'appuyer. Je vous remercie.
(Sur la motion du sénateur Eggleton, le débat est ajourné.)
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Wallace, appuyée
par l'honorable sénateur Patterson, tendant à la deuxième lecture du projet
de loi C-591, Loi modifiant le Régime de pensions du Canada et la Loi sur la
sécurité de la vieillesse (pension et prestations).
L'honorable Pana Merchant : Honorables sénateurs, je prends la parole
pour appuyer le projet de loi C-591. Ce projet de loi vise à interdire le
paiement de prestations de la Sécurité de la vieillesse ou du Régime de pensions
du Canada à une personne qui a été déclarée coupable du meurtre ou de l'homicide
involontaire du cotisant. Présentement, la loi canadienne empêche déjà une
personne de tirer profit de ses propres crimes, alors les alinéas 44.1(1)a),
b) et c) ne font que confirmer ce que dit la loi. Le projet de loi
C-591 modifierait le Régime de pensions du Canada et la Loi sur la sécurité de
la vieillesse afin de les rendre conformes à un principe bien connu de la common
law, la défense de l'illicité. Techniquement, ce principe, selon lequel une
personne ne peut pas être indemnisée pour les torts qu'elle a elle-même causés,
ne s'applique pas vraiment, puisque les prestataires ne réclament pas une
indemnité en tant que telle, mais touchent plutôt une prestation prévue par la
loi, mais la logique est la même.
Le projet de loi s'applique à quatre types de prestations de survivant. Le
premier est la pension de survivant, qui est un paiement mensuel versé au
conjoint ou au conjoint de fait survivant d'un cotisant au Régime de pensions du
Canada qui est décédé. Il y a ensuite la rente d'orphelin en vertu du Régime de
pensions du Canada, qui est une prestation mensuelle versée aux enfants à charge
des cotisants décédés. En troisième lieu, il y a la prestation de décès, qui est
un montant forfaitaire pouvant atteindre 2 500 $ habituellement versé à la
succession d'un cotisant décédé. Le quatrième type de prestations est
l'allocation mensuelle versée en vertu de la Loi sur la sécurité de la
vieillesse aux survivants à faible revenu.
Je me suis renseignée auprès de la Société John Howard et de la Société
Elizabeth Fry. Ces deux organismes s'efforcent de ramener dans le droit chemin
les personnes qui ont eu des démêlés avec la justice. J'ai obtenu la réponse
suivante de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry.
Il y a des femmes qui ont été reconnues coupables d'avoir tué des partenaires
violents dans des situations où elles n'ont pu invoquer la légitime défense ou
n'ont pas eu l'occasion de le faire. Pour quelque autre raison que ce soit, il
s'agissait de réactions face à la violence qui n'ont pas été jugées être des
actes de défense. Ces femmes ont fait appel à une force jugée plus grande que
nécessaire dans les circonstances. Or, il semble injuste de les empêcher d'avoir
accès au Régime de pensions du Canada ou au programme de la Sécurité de la
vieillesse.
Honorables sénateurs, même si j'appuie le projet de loi, je tiens à souligner
l'inclusion tout à fait répréhensible dans le projet de loi C- 591 des
paragraphes 44.1(4) et 21.1(4), qui traitent respectivement du Régime de
pensions du Canada et de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Ces
paragraphes ont un caractère rétroactif en vertu duquel les personnes qui
touchent des prestations de la sécurité de la vieillesse et du Régime de
pensions du Canada dans de telles circonstances devront rembourser à la Couronne
tout l'argent qu'elles ont reçu. Cet argent pourrait avoir déjà été dépensé ou
accumulé sur une période de plusieurs décennies.
Honorables sénateurs, il y a quelque chose de fondamentalement injuste dans
une mesure législative qui dit que de l'argent reçu légalement et dépensé par
une personne devient soudainement illégal et doit être remboursé. Au Canada,
nous n'avons pas comme philosophie de punir rétroactivement.
(1520)
L'inconfort que suscite l'idée d'une société qui appliquerait des lois
rétroactives créant une dette dérangeait tellement certains intéressés au sein
du troisième pouvoir, le judiciaire, que cette question d'iniquité a fait
l'objet d'une cause devant la Cour suprême en 2005.
Selon l'arrêt de la Cour suprême Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco,
le Parlement, et les assemblées législatives, par extension, peuvent adopter des
lois rétroactives de ce genre, mais cela ne signifie pas, même si c'est légal,
que c'est juste.
La réponse de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry faisait
observer ceci :
Chaque fois qu'une personne qui a fait de la prison pour homicide
involontaire ou meurtre sort de prison, elle a besoin d'une aide quelconque
de l'État. Il serait illusoire, pour le moins, de dire qu'elle ne doit pas
être admissible à des prestations d'un régime de pension ou de sécurité de
la vieillesse si, dans ce cas, elle doit s'en remettre à l'aide sociale
provinciale ou territoriale, advenant qu'elle n'ait pas d'autres revenus
suffisants.
Cela dit, cette mesure législative a été adoptée à l'unanimité à l'autre
endroit.
Honorables sénateurs, j'appuie ce projet de loi et je vous exhorte tous à
l'appuyer également, mais la question de la rétroactivité me met mal à l'aise,
selon le principe, encore une fois, que nous ne punissons pas rétroactivement au
Canada.
J'espère vivement que, lors de l'étude en comité, nous entendrons des témoins
qui pourraient avoir des opinions divergentes. Si des points de vue nouveaux
ressortent de ces audiences, qu'ils soient appuyés par un côté ou l'autre, ou
par tout le comité, j'espère qu'on jugera bon de proposer un amendement.
Son Honneur le Président intérimaire : Les honorables sénateurs
sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables
sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Son Honneur le Président intérimaire : Quand lirons-nous le projet de
loi pour la troisième fois?
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le projet de loi est renvoyé au Comité
sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Andreychuk,
appuyée par l'honorable sénateur Greene,
Que le Sénat prenne note des faits suivants :
a) Sergei Magnitsky, un avocat moscovite qui a mis au jour la
plus importante fraude fiscale de l'histoire de la Russie, a été détenu
sans procès, a été torturé et est mort le 16 novembre 2009 dans une
prison de Moscou;
b) Aucune enquête rigoureuse, indépendante et objective n'a
été menée par les autorités russes sur la détention, la torture et la
mort de Sergei Magnitsky, et les individus responsables n'ont pas non
plus été traduits en justice;
c) Le procès posthume sans précédent de Sergei Magnitsky,
ainsi que sa condamnation en Russie pour la fraude qu'il a lui-même mise
au jour, constituent une violation des principes de justice fondamentale
et de l'État de droit;
Que le Sénat demande au gouvernement :
a) de condamner tout ressortissant étranger responsable de la
détention, de la torture ou de la mort de Sergei Magnitsky, ou qui a été
impliqué dans la dissimulation des crimes qu'il a mis au jour;
b) d'étudier la pertinence d'imposer des sanctions, et
d'encourager l'imposition de sanctions contre tout ressortissant
étranger responsable de la détention, de la torture, ou de la mort de
Sergei Magnitsky, ou qui a été impliqué dans la dissimulation des crimes
qu'il a mis au jour;
c) d'étudier la pertinence d'imposer des sanctions appropriées
contre tout ressortissant étranger responsable de violation, à
l'étranger, des droits de la personne reconnus à l'échelle
internationale, lorsque les autorités de ce pays ne peuvent ou ne
veulent pas enquêter sur ces violations de façon rigoureuse,
indépendante et objective.
L'honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, hier, j'ai
raconté en détail la vie et la mort de Sergei Magnitsky dans une prison russe.
Il n'avait que 37 ans lorsqu'il est mort. Il était un fils, un mari et le
père de deux très jeunes enfants. Malheureusement, il était également la victime
: d'une poursuite illégale intentée contre lui par les fonctionnaires du
ministère de l'Intérieur dont il avait exposé la corruption; d'une campagne de
haut niveau pour dissimuler la corruption qu'il avait exposée; et de la
négligence des autorités pénitentiaires insensibles à la détérioration de son
état de santé. Il y avait également des signes évidents que M. Magnitsky avait
été battu et potentiellement torturé peu avant sa mort.
Des groupes internationaux de défense des droits de la personne, comme
Amnistie Internationale et Human Rights Watch, ont exposé ces faits, à l'instar
du comité d'enquête de la Russie et du conseil des droits de l'homme de la
Russie.
En 2011, durant sa mission en Russie, la haut-commissaire des Nations Unies
aux droits de l'homme, Navi Pillay, s'est dite préoccupée par le cas de Sergei
Magnitsky. Elle a dit qu'il est l'un des trois éminents défenseurs des droits de
l'homme, avocats et journalistes qui ont été brutalement assassinés ou sont
morts en détention. Elle a ajouté que les enquêtes et les processus juridiques
entourant leur mort étaient obscurs, peu concluants et prêtaient à controverse.
M. Poutine a pourtant insisté sur le fait que Sergei Magnitsky est mort d'une
crise cardiaque.
Au lieu de réparer l'erreur judiciaire, l'État a continué de persécuter ce
jeune avocat qui luttait contre la corruption. Sergei Magnitsky a été jugé à
titre posthume. Les fonctionnaires dont il avait exposé la corruption endémique
l'ont accusé de fraude financière et il a été reconnu coupable plus de trois ans
après sa mort.
Des parlements du monde entier ont condamné ces injustices. Je signale plus
particulièrement deux résolutions adoptées par une majorité écrasante au
Parlement européen; une motion adoptée à l'unanimité à la Chambre des communes
britannique; l'adoption de la Magnitsky Act par 92 voix contre 4 au Sénat
américain; une résolution unanime du Parlement néerlandais; une résolution de
l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe; et, enfin, des résolutions semblables adoptées en Suède, en Italie et
en Pologne.
Hier, une motion presque identique à celle dont le Sénat est saisi a été
présentée à l'autre endroit par l'honorable Irwin Cotler. La motion a été
adoptée à l'unanimité à l'autre endroit.
Ainsi, les parlementaires canadiens joignent leur voix à ces autres voix qui
s'élèvent dans le monde pour réclamer justice pour Sergei Magnitsky. C'est que,
dans les démocraties dotées de règles et chez les défenseurs des droits de la
personne, le nom de Sergei Magnitsky est devenu familier. Son histoire a fini
par illustrer ce qui peut se produire lorsque la corruption de l'État et
l'intérêt personnel l'emportent sur les droits de la personne et la primauté du
droit.
La campagne menée pour obtenir justice pour le nom de Magnitsky est devenue
un ralliement international pour les efforts visant à traduire en justice, où
qu'ils soient, ceux qui violent les droits de la personne.
En adoptant la motion, le Sénat se ralliera aux parlementaires d'autres pays
qui partagent nos idées. Elle demande au gouvernement du Canada de condamner les
responsables et d'envisager des sanctions contre les responsables de la
détention et de la mort de Sergei Magnitsky, ou de la dissimulation des crimes
en question.
La motion va aussi un peu plus loin. Elle demande au gouvernement du Canada
d'envisager des sanctions appropriées contre tout ressortissant étranger
responsable de violations des droits de la personne reconnus à l'échelle
internationale. Et, fait important, la motion exhorte le gouvernement à prendre
ces mesures lorsque les autorités étrangères ne peuvent ou ne veulent pas
enquêter sur ces violations de façon rigoureuse, indépendante et objective.
Honorables sénateurs, honorons la réputation du Canada comme défenseur des
droits de la personne à l'échelle internationale. Lançons le message le plus
énergique possible : nous nous opposons aux violations des droits de la
personne, peu importe où elles ont lieu. J'exhorte le Sénat à adopter la motion
dans les meilleurs délais.
Merci, honorables sénateurs.
L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : La
sénatrice Andreychuk accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Andreychuk : Oui.
La sénatrice Fraser : Je dirai d'abord que, de toute évidence, ce qui
est arrivé à M. Magnitsky est consternant et mérite d'être condamné dans le
monde entier.
Je m'interroge sur la deuxième partie de la motion, si je puis dire, celle
qui demande au gouvernement de condamner les ressortissants étrangers
responsables de la détention, de la torture ou de la mort de M. Magnitsky ou qui
ont participé à la dissimulation des crimes, celle qui incite le gouvernement à
prendre des sanctions contre ces personnes.
Ce n'est pas que ce soit une mauvaise idée d'imposer ces sanctions, mais
comment sommes-nous censés savoir qui a commis ces actes? Autrement dit, ne
s'agit-il pas là de phrases un peu creuses?
(1530)
La sénatrice Andreychuk : Non, car je pense que nous faisons appel à
une certaine capacité interne d'élucider l'affaire. Si on considère le nombre
d'enquêtes qui ont été menées en Russie et les responsables des prisons, l'un
d'entre eux a été remercié, mais il n'y a pas eu de vraies mesures ni d'enquêtes
correctes. Les gens sont connus; ils ont été identifiés en Russie.
En fait, cela ressemble beaucoup à la Cour pénale internationale. On ne peut
pas se retrancher derrière les ordres reçus. On ne peut pas dire : « J'occupais
un poste officiel et je suivais les ordres. » Il faut vraiment étudier la
situation.
Il est vrai que nous n'avons pas de mesures, mais personne n'a vraiment
cherché à évaluer la situation. Nous demandons par conséquent au gouvernement du
Canada d'amorcer un processus d'enquête pour voir si cela nous permettra
d'imposer des sanctions à ces gens-là.
Prenons la personne qui était dans la prison et que les Russes ont
identifiée. Si elle voulait immigrer au Canada, ne voudrions-nous pas être au
courant des faits? Je crois qu'il existe des moyens. Mais c'est un territoire
qui reste inexploré.
Il y a eu un projet de loi aux États-Unis. Une mesure semblable a été
présentée ici qui concernait la restitution, et il y a eu des problèmes. Les
sanctions sont une autre façon d'aborder la question.
M. Cotler et moi avons travaillé avec M. Browder et d'autres gens qui se sont
consacrés à cette question à temps plein, à la recherche de moyens de sévir
contre ces criminels qui pensent pouvoir s'en tirer dans un pays qui ne semble
pas respecter la primauté du droit.
La sénatrice Fraser : Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Fraser, au nom de la sénatrice Cools, le débat
est ajourné.)
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Moore,
attirant l'attention du Sénat sur la sécurité alimentaire dans le Nord.
L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Honorables
sénateurs, j'aimerais d'abord remercier le sénateur Moore d'avoir attiré notre
attention sur ce sujet.
La question de la sécurité alimentaire dans le Nord, ou plutôt l'absence de
celle-ci, est sans doute un scandale national auquel nous faisons très peu
attention dans le Sud. Quand on y pense, il est insensé que, au Canada, selon
une étude réalisée par l'Université McGill en 2010, 70 p. 100 des enfants inuits
d'âge préscolaire vivent dans des familles qui s'alimentent mal. Nous savons
qu'une mauvaise alimentation retarde le développement des enfants, notamment sur
le plan de leurs facultés mentales.
En permettant à cette situation de perdurer, nous sommes en train de
condamner une autre génération à un développement inadéquat attribuable à la
malnutrition. Quand on pense que, au Labrador, qui est loin d'être la région la
plus septentrionale du pays, un poulet peut coûter entre 40 et 45 $ au
supermarché, on comprend pourquoi tant d'enfants et d'adultes souffrent de
malnutrition dans le Nord.
Il s'agit d'un vaste sujet, qui mériterait que je m'y attarde beaucoup plus
longtemps que je ne pourrai le faire aujourd'hui. Aujourd'hui, je tiens à
attirer votre attention sur le fait que nous n'en savons pas assez à ce sujet.
Non seulement nous n'accordons pas d'importance à ce problème, mais, quand nous
nous y intéressons, nous n'en savons toujours pas assez.
Fait intéressant, hier, le caucus libéral du Sénat a organisé une réunion
ouverte sur la souveraineté dans l'Arctique. Nous sommes tous très soucieux de
préserver la souveraineté dans l'Arctique, n'est-ce pas? Cependant, ce faisant,
à quel point tenons-nous compte de la condition de nos concitoyens inuits? Pas
assez, selon moi.
Les obstacles bureaucratiques et autres nous empêchent de bien saisir ce qui
se passe, au point qu'il est parfois franchement impossible de les comprendre ou
de les accepter. Si ces obstacles bureaucratiques et institutionnels existent,
c'est parce qu'ils reposent sur le vécu des gens du Sud, où il y a sécurité,
richesse et abondance alimentaire.
J'attire votre attention, par exemple, sur un rapport publié l'année dernière
par l'éminent Conseil des académies canadiennes, selon lequel une conclusion
majeure est l'importance :
[...] de l'expérience nordique vécue et du savoir traditionnel dans la
définition et le traitement des questions liées à la sécurité alimentaire
dans le Nord.
Le conseil ajoute ceci :
[...] l'expérience et la connaissance directes des populations nordiques
sont des sources excessivement importantes de données nécessaires pour
aborder ces questions. Par conséquent, l'absence d'un examen exhaustif de la
sécurité alimentaire dans le Nord à partir d'une expérience acquise sur
place et d'une connaissance directe des populations nordiques constitue
[...] une lacune majeure.
Oui, il y a une lacune majeure en matière de connaissances. On aurait espéré
que cette étude particulière aurait pu permettre de combler cette lacune.
Malheureusement, et je cite à nouveau, « [l]a méthode de travail du CAC exclut
la consultation directe d'intervenants [...]. »
Pour mener son étude, le Conseil des académies canadiennes a consulté des
organisations autochtones, mais en raison de sa méthodologie, il n'a pas pu se
rendre sur le terrain et parler aux gens qui vivent cette expérience.
Si nous n'avons toujours pas appris que notre ignorance des connaissances
inuites se fait à nos risques et périls, alors je ne sais pas si nous y
arriverons un jour. Ce sont les Inuits, rappelons-nous, qui nous ont dit où se
trouve l'Erebus. Ils essaient de nous le dire depuis des années. Pendant
longtemps, personne ne leur a prêté l'oreille, car, bien entendu, le savoir des
Inuits n'aurait jamais pu être aussi utile que les théories élaborées par des
gens du Sud, n'est- ce pas? Il y a tant de choses que nous devons connaître.
Nous nous complaisons dans l'ignorance. C'est un vrai scandale national.
Il y a encore beaucoup à dire sur le sujet, mais il se fait tard. Par
conséquent, je propose l'ajournement du débat pour le reste de mon temps de
parole.
(Sur la motion de la sénatrice Fraser, le débat est ajourné.)
(1540)
[Français]
L'honorable Céline Hervieux-Payette, conformément au préavis donné le
15 décembre 2014, propose :
Que, attendu que l'accord de libre-échange avec l'Union européenne
comprend des règles de protection des investissements assorties d'un
mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs par
l'arbitrage (ISDS);
Attendu que l'introduction de telles règles risquerait de porter atteinte
à la capacité des parlements canadiens fédéral, provinciaux et territoriaux
de légiférer, particulièrement dans les domaines sociaux, sanitaires et
environnementaux, en exposant les gouvernements fédéral, provinciaux et
territoriaux à devoir verser des dédommagements substantiels aux
investisseurs qui s'estimeraient lésés par de nouvelles mesures;
Attendu qu'il existe déjà un mécanisme de règlement interétatique des
différends en matière d'investissements, inspiré de l'Organe de règlement
des différends de l'Organisation mondiale du commerce,
Le Sénat du Canada invite le gouvernement à réviser les chapitres 10
(investissements) et 33 (règlement des différends) du projet d'accord de
libre-échange négocié avec l'Union européenne afin que soit retiré de
l'accord le mécanisme de règlement des différends investisseur/État.
— Honorables sénateurs, en ce beau jeudi après-midi, j'aimerais vous parler
de l'accord de libre-échange conclu avec l'Europe et vous faire part,
évidemment, de mes grandes réserves par rapport à certaines sections. Comme la
grande partie de la documentation dont je disposais était en anglais, vous
comprendrez que je vous transmette mes réflexions en anglais.
[Traduction]
En octobre 2013, le premier ministre Harper annonçait en grande pompe un
accord de libre-échange avec l'Europe sans le texte de l'entente. L'Accord
économique et commercial global, l'AECG, n'a été présenté par écrit qu'un an
plus tard.
Pendant ce temps, le gouvernement s'est vanté de créer des emplois et de
favoriser la croissance, mais il n'a pas donné au Parlement la possibilité de
vérifier ses dires. Lorsque le texte définitif été rendu public, il est devenu
évident que cet exercice avait été fait pour que l'AECG soit appuyé de façon
aveugle.
Les règles régissant les investissements, au chapitre 10, qui porte sur les
investissements, et au chapitre 33, qui traite du règlement des différends,
renferment un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et
États, appelé arbitrage investisseur-État. Ce système permettra aux sociétés
étrangères d'éviter nos tribunaux et de régler leurs différends à huis clos,
devant des tribunaux non publics, créés pour favoriser les grandes sociétés.
Honorables sénateurs, le gouvernement Harper renonce au pouvoir du Parlement
d'adopter la réglementation et les politiques au nom des Canadiens. Le mécanisme
d'arbitrage investisseur-État a provoqué un tollé, puisque 900 000 personnes ont
signé une pétition pour protester contre l'accord Canada-Union européenne. Par
ailleurs, une consultation ouverte menée par la Commission européenne a entraîné
150 000 réponses.
Les négociations entre les États-Unis et l'Union européenne sur le mécanisme
d'arbitrage investisseur-État ont été interrompues suite à 400 protestations
officielles. Enfin, les deux Chambres du Parlement français ont adopté des
résolutions interdisant l'adoption de traités renfermant ce mécanisme
d'arbitrage. Ici, au Canada nous tenons tellement au libre-échange qu'il n'y a
pas eu de débat public sur cette question avant la signature de l'accord.
Le gouvernement Harper voit les choses en noir et blanc et dit qu'il ne peut
y avoir d'AECG sans arbitrage, alors qu'en réalité nous sommes devant une vaste
zone grise. Le libre-échange est possible sans sacrifier notre démocratie, mais
seulement à condition d'avoir un débat public éclairé et ouvert.
L'arbitrage entre investisseurs et États est un vestige de l'époque qui a
suivi la Seconde Guerre mondiale, qui figurait dans un traité conclu entre
l'Allemagne de l'Ouest et le Pakistan en 1959. Je ne m'en souviens pas. Je peux
vous dire que j'étais trop jeune pour cela. Cette disposition visait à assurer
aux investisseurs allemands qu'ils n'avaient rien à craindre des lacunes du
système judiciaire pakistanais naissant et de sa capacité à garantir la primauté
du droit. Cette solution de fortune n'a jamais été destinée à être utilisée
entre des pays disposant de tribunaux bien gérés et où la primauté du droit est
bien établie. Au Canada comme dans l'Union européenne, la primauté du droit est
établie et les tribunaux fonctionnent très bien.
Comme le premier ministre l'a constaté à plusieurs reprises à la suite des
décisions rendues par la Cour suprême, la primauté du droit se porte très bien
au Canada. Toutefois, l'arbitrage investisseur-État permet à des sociétés
étrangères de contourner les tribunaux canadiens à tous les niveaux si elles
estiment— et je cite le texte de l'AECG — qu'une « attente légitime » a été
bafouée par les gouvernements canadiens.
Un rapport intitulé Marchander la démocratie a été financé par le
gouvernement des Pays-Bas, un pays membre de l'Union européenne, et par de
nombreuses ONG canadiennes et européennes. Dans cette analyse, on recommande
vivement le rejet de toute disposition de l'accord Canada-EU prévoyant
l'arbitrage investisseur-État.
Le 11 octobre 2014, le magazine The Economist a publié un article — je
reviens sans cesse là-dessus à la période des questions — intitulé «
Investor-state dispute settlement : The arbitration game » (« Le règlement des
différends entre les investisseurs et les États : Le jeu de l'arbitrage »), qui
expliquait l'augmentation record du nombre de cas d'arbitrage sur les
investissements dans le monde. Je cite :
Les sociétés ont appris comment exploiter les dispositions sur le règlement
des différends entre les investisseurs et les États, allant même jusqu'à
acquérir des entreprises dans les pays où ces dispositions s'appliquent afin de
s'en prévaloir. Les arbitres sont payés de 600 $ à 700 $ l'heure...
C'est un peu plus que les sénateurs.
... ce qui les incite peu à repousser des affaires; le caractère secret
du processus d'arbitrage et l'absence totale de nécessité de tenir compte de
la jurisprudence laissent amplement place à des décisions créatives.
Selon la base de données de la Conférence des Nations Unies sur le commerce
et le développement, le nombre de causes d'arbitrage investisseur-État est passé
de 2 en 1995 à 56 en 2013. En 2013, le plus gros montant accordé dans une telle
cause a été la somme de 2,3 milliards de dollars versée par le gouvernement de
l'Équateur — qui avait mis fin légalement à un contrat de concession pétrolifère
— à une « pauvre » société pétrolière occidentale qui engrange des milliards.
Face à cette situation, la CNUCED a commencé à surveiller les choses de près
afin de déceler les abus et elle a publié ses conclusions en juin 2013, soit la
même année que le premier ministre Harper a fait son annonce non planifiée et
non prévue au sujet de l'AECG.
Dans son World Investment Report de 2013, la CNUCED formule cinq
recommandations pour régler le dossier de l'arbitrage investisseur-État. La plus
importante de ces recommandations propose de remplacer l'arbitrage
investisseur-État par un tribunal international pour les investissements qui
aurait ses propres lois.
Même si l'AECG a été annoncé et publié après le rapport des Nations Unies,
cet accord n'inclut pas les recommandations de l'ONU. Si nous devions approuver
l'AECG et mettre sur pied cinq ans plus tard un tribunal international pour les
investissements sous l'égide de l'OMC ou d'un autre organisme, il nous faudrait
attendre 20 ans avant que ces lois et que ce tribunal s'appliquent à l'AECG. Il
en est ainsi parce que le mécanisme d'arbitrage prévu dans cet accord renferme
une « clause de survie » stricte qui ne souffre aucune exception relativement à
la création d'un tribunal international pour les investissements.
Les défenseurs de l'arbitrage font valoir que l'accord a été négocié dans le
meilleur intérêt des Canadiens. Selon nous, il s'agit d'abord de l'intérêt des
grandes multinationales, puisqu'il est impossible de rouvrir l'accord. Cela dit,
le 22 octobre 2014, l'actuel président de la Commission européenne, Jean-Claude
Juncker, s'est officiellement opposé au mécanisme d'arbitrage. En novembre 2014,
la commissaire de la Commission européenne, Mme Cecilia Malmström, a déclaré à
Berlin que « des clarifications et des rajustements mineurs étaient possibles ».
Ainsi, alors que le gouvernement Harper prétend qu'absolument aucun
changement ne peut être apporté à l'AECG, les Européens entendent un autre
refrain. En fait, la Commission européenne a lancé une initiative afin de
modifier l'arbitrage investisseur-État dans le cadre de ses négociations sur le
libre-échange avec les États- Unis.
Bien des Canadiens ont l'impression que, lorsqu'il a signé l'AECG, le premier
ministre Harper pensait que les Européens ne changeraient pas le mécanisme
d'arbitrage investisseur-État avec les États-Unis. Le Canada a donc adhéré à ces
règles d'investissement de bonne foi, en ayant l'impression que le même système
s'appliquerait des deux côtés de la frontière canado-américaine. Or, il semble
que les Américains auront un système d'investissement meilleur ou plus
transparent que les Canadiens.
(1550)
Je vous rappelle aussi que le Parlement australien a demandé à une
commission, à savoir la commission sur la productivité, d'examiner les coûts et
les avantages de l'arbitrage investisseur- État. La commission a publié un
rapport détaillé en décembre 2010 dans lequel elle recommande que l'Australie
évite d'inclure ce mécanisme dans ses accords de libre-échange. En conséquence,
l'accord de libre-échange entre l'Australie et les États-Unis n'incluait pas de
mécanisme d'arbitrage investisseur-État.
Si le Parlement doit adopter l'AECG avec ce mécanisme, je vais m'assurer que
vous compreniez bien tous les faits et toutes les répercussions d'une telle
décision. L'arbitrage investisseur-État fait l'objet d'abus croissants. De
grands pays ont commencé à s'interroger sur la nécessité d'un tel mécanisme et,
dans certains cas, ils l'ont exclu de leurs accords sur le commerce et
l'investissement.
Les Nations Unies ont proposé de remplacer ce mécanisme par un tribunal
international pour les investissements, c'est-à-dire une véritable structure
juridique. Des universitaires et des professionnels critiquent ce système et
j'invite tous mes collègues à faire ce qui nous incombe et à regarder les faits,
comme l'ont fait beaucoup de Canadiens et d'Européens.
Si tant les citoyens canadiens que les citoyens européens jugent que le
mécanisme d'arbitrage devrait être retiré ou modifié, c'est ce qui devrait être
fait. Nous devrions encourager les Canadiens à avoir le sentiment de contrôler
la situation. La meilleure façon de le faire est de leur dire que l'accord et le
mécanisme d'arbitrage ne sont pas des éléments inséparables. La liberté ne peut
exister sans un Parlement fort. Le Canada et l'Union européenne sont des
symboles de la liberté et de la démocratie. Nous devons faire attention de ne
pas brader ces valeurs, surtout nous en tant que sénateurs.
Cela dit, lorsque nous donnons à des sociétés étrangères le pouvoir de
contourner le système juridique dont les Canadiens se servent et sur lequel ils
se fient, nous créons un précédent dangereux. Un grand nombre de gouvernements
et de politiciens travaillent sans relâche afin que le Canada ne soit pas
dépendant du Parlement d'un pays étranger. Par conséquent, je vous invite à ne
pas annihiler ces efforts au nom du commerce.
J'aimerais citer un extrait d'un article du 25 mars sur l'application de
cette disposition dans une affaire concernant une société du New Jersey qui
voulait réaliser un projet en Nouvelle-Écosse.
[Français]
La compagnie Bilcon, par exemple, réclame 300 millions de dollars en
dommages, parce que, pour des raisons environnementales, elle n'a pas eu la
permission d'aller de l'avant avec le projet. Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse attend donc de connaître la somme finale
qu’il devra payer à la suite de la décision d’un tribunal qui, à deux membres contre un, a donné raison à la compagnie américaine,
ce qui obligera évidemment les citoyens de la Nouvelle-Écosse à payer la note. La seule chose qui reste en suspens, c'est tout
simplement la somme finale qui sera accordée à la compagnie, qui demande 300
millions de dollars.
Nous avons donc plusieurs exemples, mais, dans ce cas-ci, il s'agit d'une
décision récente et d'une information que j'ai reçue hier et dont je tenais à
vous informer.
Je vous remercie, chers collègues.
Des voix : Bravo!
(Sur la motion de la sénatrice Andreychuk, le débat est ajourné.)
[Traduction]
Consentement ayant été accordé de revenir aux préavis de motion du
gouvernement :
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) :
Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l'article
5-5g) du Règlement, je propose :
Que, lorsque le Sénat s'ajournera après l'adoption de cette motion, il
demeure ajourné jusqu'au lundi 30 mars 2015, à 18 heures et que
l'application de l'article 3-3(1) du Règlement soit suspendue à cet égard;
Que les comités sénatoriaux se réunissant habituellement le lundi soient
autorisés à se réunir le lundi 30 mars 2015 même si le Sénat siège à ce
moment-là, et que l'application de l'article 12-18(1) du Règlement soit
suspendue à cet égard.
Son Honneur le Président intérimaire : Le consentement est-il accordé,
honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables
sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : Oui.
L'honorable Serge Joyal : La sénatrice accepterait-elle de répondre à
une question?
La sénatrice Martin : Oui.
Le sénateur Joyal : Vous savez déjà que la pratique habituelle veut
que nous reprenions nos travaux le mardi après-midi. Pourriez-vous nous
expliquer pourquoi le Sénat siégera lundi soir?
La sénatrice Martin : Je me suis entretenue avec la leader adjointe de
l'autre côté. Deux projets de loi nous ont été renvoyés au début de la semaine,
les projets de loi C-54 et C-55; bien qu'ils ne figurent pas encore au
Feuilleton, ce sont deux projets de loi très importants qu'il va falloir...
La sénatrice Fraser : Des projets de loi de crédits.
La sénatrice Martin : ... adopter avant la fin de l'exercice. Le
sénateur Day, qui est absent, est le porte-parole en ce qui concerne ces projets
de loi. Vous vous souviendrez peut-être que j'ai demandé le consentement afin
d'inscrire ces deux initiatives au Feuilleton pour permettre au porte-parole de
lancer le débat aujourd'hui.
Quoi qu'il en soit, il faut absolument que nous les adoptions avant la fin de
l'exercice; c'est pour cette raison, compte tenu du calendrier, qu'il faudra
siéger lundi.
Je demande à tous les honorables sénateurs de reconnaître l'importance de
cette échéance et d'adopter la motion comme on leur demande de le faire.
Le sénateur Joyal : Merci, honorable sénatrice.
Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables
sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
(La motion est adoptée.)
(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne au lundi 30 mars 2015, à 18
heures.)