Débats du Sénat (Hansard)
2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 141
Le mercredi 13 mai 2015
L'honorable Leo Housakos, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- Le génocide
- Jack Saddleback
- Le Pakistan
- Visiteurs à la tribune
- Le génocide arménien
- Visiteur à la tribune
- L'honorable Jacques Demers
- AFFAIRES COURANTES
- L'ajournement
- Projet de loi sur le Mois du patrimoine hispanique
- L'Assemblée parlementaire Canada-Europe
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- Les travaux du Sénat
- Projet de loi no 1 sur le plan d'action économique de 2015
- Motion tendant à autoriser certains comités à en étudier la teneur—Ajournement du débat
- Fixation de délai—Préavis de motion
- Projet de loi antiterroriste de 2015
- L'étude de la proposition relative aux frais d'utilisation
- Le Budget des dépenses de 2014-2015
LE SÉNAT
Le mercredi 13 mai 2015
La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Le génocide
L'honorable Nancy Ruth : Honorables sénateurs, Brad Butt a présenté une motion d'initiative parlementaire, la motion M-587, qui sera mise aux voix demain, le 14 mai. Cette motion reconnaît un certain nombre de génocides et demande au gouvernement de rendre hommage aux victimes de tous les génocides en reconnaissant le mois d'avril comme le Mois de la commémoration, de la condamnation et de la prévention du génocide, ainsi que les jours de commémoration connexes.
J'aimerais toutefois souligner deux choses. Premièrement, cette liste ne comprend pas le vaste génocide de plusieurs millions de femmes survenu en Europe pendant le Moyen Âge, à l'époque de l'Inquisition et de la chasse aux sorcières.
Deuxièmement, la question des tragédies survenues en 1915 pendant la guerre entre la Turquie et l'Arménie préoccupe depuis assez longtemps les deux Chambres du Parlement. Chaque fois qu'elle est soulevée, cette question crée des tensions dans les relations entre le Canada et la Turquie, un de nos alliés au sein de l'OTAN. Le Sénat et la Chambre des communes ont adopté une résolution à ce sujet, respectivement en 2002 et en 2004. Il va sans dire que le Canada doit favoriser les efforts de réconciliation entre la Turquie et l'Arménie, ainsi que les relations entre les communautés turque et arménienne au Canada, et qu'il ne doit pas prendre parti dans ce dossier controversé.
Nous savons que la Turquie s'oppose à ce que soient qualifiés de génocide les tourments du peuple arménien pendant la Première Guerre mondiale. Le génocide est un crime précis, qui est défini dans le droit international. La Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide précise ce qu'est le génocide et comment il peut être évalué. Seul un tribunal international compétent peut déterminer si un événement particulier constitue un génocide. Or, aucun tribunal ne s'est penché sur la question de l'Arménie. Une telle décision judiciaire existe dans le cas de l'Holocauste et des événements survenus au Rwanda, mais pas en ce qui concerne les torts qu'a subis le peuple arménien.
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international s'est penché sur cette question dans le rapport qu'il a déposé en juin 2013 et qui s'intitule Jeter des ponts : Les liens entre le Canada et la Turquie et leur potentiel, dans lequel on peut lire ceci :
Le comité propose que le Canada redouble d'efforts pour exhorter à la réconciliation l'Arménie et la Turquie, soulignant que les protocoles de Zurich sur la normalisation des relations arméno-turques constituent la meilleure voie à suivre. Il estime par ailleurs que l'accélération et la poursuite du dialogue constant au niveau politique aideront le Canada et la Turquie à progresser sur les plans commercial et diplomatique.
Si le député Butt va de l'avant avec cette motion, il devra en retirer toute mention du génocide arménien tant qu'un tribunal international ne se sera pas prononcé sur cette tragédie.
Jack Saddleback
L'honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, le 26 mars, Jack Saddleback a été élu président de l'association étudiante de l'Université de la Saskatchewan. C'est le troisième Autochtone et le premier transgenre à occuper ce poste. Après avoir été élu, il a déclaré ceci :
Les gens ne me voient pas seulement comme un transgenre ni comme un membre des Premières Nations. Ils voient ce dont je suis capable, ils savent que je travaille depuis des années et que je me suis investi sans compter pour faire de notre université un meilleur endroit pour tous les étudiants.
Un élément majeur du programme de Jack porte sur l'élaboration d'une stratégie en matière de santé mentale sur le campus. Jack a été choisi en 2014 comme l'un des visages de la maladie mentale par l'Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale. Il a ainsi pu faire connaître son expérience et son histoire un peu partout au pays afin de détruire les préjugés à l'égard des problèmes de santé mentale. C'est ce qu'il veut maintenant faire sur le campus.
Étant donné que Jack comprend très bien les pressions que subissent les étudiants des universités, il veut faire en sorte que ces derniers puissent recevoir le soutien et les services nécessaires s'ils sont atteints d'une maladie mentale, et il souhaite aussi créer un climat favorable aux discussions sur ces enjeux.
Je félicite Jack d'avoir été élu. Son élection représente un événement historique. Je lui souhaite énormément de succès dans l'exercice de ses fonctions de président de l'association des étudiants de l'Université de la Saskatchewan. Bravo, Jack!
Des voix : Bravo!
Le Pakistan
L'attaque contre un autobus à Karachi
L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup de tristesse que je prends aujourd'hui la parole. En effet, à mon réveil, très tôt ce matin, j'ai appris que 43 musulmans ismaéliens innocents qui se trouvaient à bord d'un autobus à Karachi, au Pakistan, avaient été abattus sans aucune raison par six personnes armées portant un uniforme de policier. Je partage la même foi que ces victimes.
Soixante-deux personnes se trouvaient à bord de cet autobus, qui se dirigeait vers un centre communautaire. Les hommes armés ont fait irruption dans l'autobus après lui avoir bloqué la route avec leurs motocyclettes. À l'intérieur, ils ont tiré sur tout le monde, hommes, femmes et enfants, sans distinction. Lorsqu'ils ont quitté l'autobus, un blessé a pris le volant et a conduit jusqu'à un hôpital situé à proximité. La plupart des personnes étaient déjà mortes avant même d'arriver à l'hôpital.
Son Altesse l'Aga Khan, mon chef spirituel, a déclaré ceci :
Cette attaque est un acte de violence insensée visant une communauté pacifique. Mes pensées et mes prières accompagnent les victimes et la famille des personnes qui ont été tuées ou blessées lors de cette attaque.
D'autres dirigeants du Pakistan ont également été complètement atterrés d'apprendre qu'une telle attaque avait été commise contre la communauté musulmane ismaélienne. Le premier ministre du Pakistan, Nawaz Sharif, a déclaré qu'il s'agit d'une manœuvre déplorable visant à plonger le Pakistan dans le chaos.
Honorables sénateurs, la communauté musulmane ismaélienne est l'une des communautés les plus pacifiques et les plus généreuses du Pakistan. Ses membres participent à divers projets de développement dans l'ensemble du pays, et ils travaillent dans toutes les sphères de la société. Ils ont des racines très profondes au Pakistan, car ils habitent dans cette région depuis des centaines d'années. Même s'il s'agit d'une petite communauté, ses activités ont d'énormes répercussions positives au Pakistan.
En tant que musulmane ismaélienne et en tant que Canadienne, mon cœur saigne pour les victimes de cet attentat et pour leurs proches. Parmi les gens qui ont été tués, plusieurs avaient de la famille au Canada. J'ai cru comprendre qu'un Canadien a perdu son père, sa mère et son frère dans cet attentat. Je sais que vous vous joignez à moi pour transmettre nos condoléances à ces Canadiens. Je sais aussi que les sénateurs condamnent cet attentat révoltant qui a coûté la vie à des innocents au Pakistan.
Je sais que vos pensées et vos prières, comme les miennes, accompagnent les victimes et leurs proches du Pakistan et du Canada. Merci.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d'une délégation de la communauté arménienne qui se joint à nous pour marquer le centenaire du génocide arménien. La délégation est dirigée par Son Excellence Armen Yeganian, ambassadeur de l'Arménie. M. Yeganian est accompagné de M. Aram Hakobyan, de l'ambassade de l'Arménie, de M. Hagop Arslanian, président du sous-comité des affaires politiques du comité canadien de commémoration du centenaire du génocide arménien, et de M. Apraham Niziblian, également du comité canadien de commémoration du centenaire du génocide. Ils sont les invités du sénateur Ngo.
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
(1340)
Le génocide arménien
Le centième anniversaire
L'honorable Thanh Hai Ngo : Honorables sénateurs, nous soulignons cette année le centenaire du génocide arménien qui a été perpétré par l'Empire ottoman turc en 1915. Il s'agissait du premier génocide du XXe siècle, et on le qualifie parfois de « génocide oublié ». On estime qu'entre un million et un million et demi d'Arméniens ont été exilés ou tués par l'Empire ottoman.
En 1918, Theodore Roosevelt a déclaré, au sujet du génocide arménien qui a eu lieu entre 1915 et 1923, que :
Le massacre des Arméniens a été le plus grave crime de la guerre, et l'incapacité d'agir contre la Turquie revient à tolérer ce massacre parce que l'incapacité de mettre radicalement un terme à l'horreur turque signifie que tous les discours visant à garantir la paix dans le monde à l'avenir ne sont que sottises malveillantes.
Les leçons que nous avons tirées des génocides du XXe siècle nous ont amenés à comprendre que nous ne devons pas oublier l'histoire, mais nous en souvenir. Tout pays qui souhaite refouler son passé, tout pays qui refuse d'affronter son histoire risque fort de ne pas réussir à se libérer de cette partie de son passé. À ce jour, rien n'a été fait à propos de ce crime odieux, car la Turquie refuse toujours de reconnaître qu'il s'agissait d'un génocide.
Honorables sénateurs, le Canada n'a pas été indifférent aux atrocités commises durant le génocide arménien. En 2002, le Sénat a adopté la motion no 44, qui reconnaît le génocide des Arméniens et qui condamne les atrocités qui y ont été commises. En 2004, la Chambre des communes a voté en faveur de la motion M-380, qui reconnaît que les souffrances et les pertes de vie terribles que le peuple arménien a subies en 1915 sont un génocide, et le condamne en tant que crime contre l'humanité.
En 2006, le premier ministre Harper a publié une déclaration officielle reconnaissant le génocide arménien comme un fait historique. En outre, le mois dernier, la Chambre des communes a adopté à l'unanimité la motion M-587, qui demande au gouvernement du Canada de désigner le mois d'avril comme le Mois de la commémoration, de la condamnation et de la prévention du génocide.
[Français]
Honorables sénateurs, en reconnaissant formellement le génocide arménien, le Canada est fidèle aux principes qu'il défend partout dans le monde. Le Canada a toujours été à l'avant-garde de la défense de la dignité humaine. Aujourd'hui, nous devons faire la promotion de la justice, des droits de la personne, de la tolérance et de la coexistence pacifique entre les nations, parce que c'est la meilleure chose à faire.
Il est important de se souvenir et de tirer des leçons des pages les plus sombres de l'histoire de l'humanité, d'éduquer les générations futures et, grâce à tout cela, de veiller à ce que pareils crimes haineux ne se reproduisent plus jamais.
[Traduction]
Elie Wiesel, un auteur de renommée mondiale a dit ceci :
Une société immorale trahit l'humanité parce qu'elle trahit le fondement de l'humanité, qui est la mémoire [...]. Une société morale a à cœur de se souvenir.
Honorables sénateurs, c'est un honneur pour moi de prendre la parole au Sénat à l'occasion du centenaire du génocide arménien et de réaffirmer notre engagement sans réserve envers la motion no 44 adoptée en juin 2002. Merci.
Visiteur à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du très révérend Luigi Bonazzi, nonce apostolique et représentant diplomatique du Siège apostolique au Canada. Il est l'invité de l'honorable sénatrice Eaton.
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
L'honorable Jacques Demers
L'honorable Donald Neil Plett : Chers collègues, hier soir, la dernière équipe canadienne participant aux séries éliminatoires de la LNH a été éliminée. On m'a rappelé que la dernière fois qu'une équipe canadienne a remporté la Coupe Stanley, c'était il y a 22 ans — 22 ans depuis qu'une équipe canadienne a défendu l'honneur de notre sport national.
Chers collègues, la dernière fois qu'une équipe canadienne a remporté la Coupe Stanley, c'était en 1993, lorsque notre ami et collègue, l'entraîneur Jacques Demers, a mené les Canadiens de Montréal à la victoire.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Plett : Dans son livre commémoratif, Todd Denault a écrit ceci :
M. Demers a réuni son équipe pour la première fois le matin du 8 septembre 1992. Debout, devant ses joueurs, il leur a dit, avec assurance et sans détour, qu'ils allaient surprendre le monde cette saison et gagner la Coupe Stanley.
Bien que l'équipe ait connu une mauvaise passe en mars et avril, l'entraîneur Demers savait qu'elle avait tout pour gagner. Elle a terminé la saison régulière derrière ses plus grands rivaux, les Nordiques de Québec et les Bruins de Boston. Elle s'est toutefois rendue aux séries éliminatoires.
Au début des séries, les Canadiens de Montréal affrontaient les Nordiques de Québec. Ceux-ci ont remporté les deux premiers matchs, mais l'entraîneur Demers a su se défendre : son équipe a remporté le troisième match en prolongation. Personne n'aurait pu prévoit le record qui allait être établi.
Les Canadiens ont éliminé les Nordiques et les Sabres. Ils ont remporté sept matchs consécutifs, dont cinq en prolongation. Après avoir battu les Islanders de New York, les Canadiens se sont rendus en finale de la Coupe Stanley contre Wayne Gretzky et les Kings de Los Angeles. Tous les Canadiens avaient les yeux rivés sur les séries. Les fameux Canadiens de Montréal seraient-ils sacrés nouveaux champions? « La Merveille » allait-elle encore une fois remporter la coupe?
Les Canadiens ont perdu le premier match et ils tiraient de l'arrière, 1-0, à la fin du deuxième match. Bien des gens craignaient que ce soit la fin, mais l'entraîneur a alors fait un choix décisif : il a demandé que le bâton de Marty McSorley soit mesuré. Le Forum est devenu silencieux. La foule savait que c'était un pari très risqué. Si le bâton de McSorley n'était pas réglementaire, les Kings allaient recevoir une punition de deux minutes. Par contre, s'il l'était, on allait donner la punition aux Canadiens.
On a soupçonné plus tard que l'entraîneur avait commencé à avoir des doutes avant même le premier match, mais qu'il avait attendu le bon moment pour frapper. Tout le monde se taisait. Kerry Fraser a rendu le verdict : la longueur du bâton n'était pas réglementaire. La foule s'est alors électrisée.
Mais l'entraîneur avait un autre tour dans son sac. Il a retiré son gardien vedette, Patrick Roy, pour donner aux Canadiens un avantage numérique de deux joueurs. Les Canadiens ont alors marqué le but égalisateur, puis, en prolongation, honorables sénateurs, ils ont gagné le match.
Le Canadien a gagné les trois parties suivantes pour remporter la série en quatre victoires et une défaite. Il a aussi établi un record, soit 10 victoires en prolongation pendant les éliminatoires. C'est ainsi que le tricolore a remporté sa 24e Coupe Stanley. L'équipe n'avait jamais passé plus de sept ans sans gagner la coupe; elle affichait un palmarès sans égal dans toute l'histoire du sport professionnel.
Des nerfs d'acier et un cœur d'or : voilà ce que l'entraîneur Jacques Demers a apporté à l'équipe. Nous n'avons jamais compris pourquoi il n'avait pas obtenu un contrat de plusieurs années dans la LNH après cette saison remarquable. Cette situation a toutefois tourné à notre avantage, puisque le premier ministre Stephen Harper a repêché ce grand Canadien aux multiples talents pour l'intégrer à l'équipe conservatrice, au sein de laquelle il demeure notre champion.
Chers collègues, je vous invite à féliciter avec moi notre ami, l'entraîneur Jacques Demers.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Demers : Ça fait toujours plaisir d'être applaudi par les libéraux!
AFFAIRES COURANTES
L'ajournement
Préavis de motion
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, lorsque le Sénat s'ajournera après l'adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu'au mardi 26 mai 2015, à 14 heures.
Projet de loi sur le Mois du patrimoine hispanique
Première lecture
L'honorable Tobias C. Enverga, Jr. dépose le projet de loi S-228, Loi instituant le Mois du patrimoine hispanique.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Enverga, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)
(1350)
[Français]
L'Assemblée parlementaire Canada-Europe
La réunion du Comité permanent des parlementaires de la région arctique, tenue les 10 et 11 mars 2015—Dépôt du rapport
L'honorable Ghislain Maltais : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation parlementaire canadienne de l'Assemblée parlementaire Canada-Europe concernant sa participation à la réunion du Comité permanent des parlementaires de la région arctique, tenue à Washington, D.C., aux États-Unis, les 10 et 11 mars 2015.
PÉRIODE DES QUESTIONS
La citoyenneté et l'immigration
L'immigration francophone
L'honorable Maria Chaput : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Monsieur le leader, je suis désolée d'avoir à vous poser, encore une fois, une question sur un sujet sur lequel mes collègues et moi avons déjà posé plusieurs questions. Je dois le faire, puisque ce dossier n'est pas réglé.
Le commissaire aux langues officielles a publié, la semaine dernière, son rapport annuel de 2014-2015, qui traite presque exclusivement des besoins en matière d'immigration pour les francophones hors Québec et les anglophones du Québec. Sur le sujet de l'immigration francophone à l'extérieur du Québec, le commissaire ne fait pas de nouvelles recommandations, mais il réitère les sept recommandations qu'il a déjà présentées dans un autre rapport l'année dernière.
Ma question, monsieur le leader, est la suivante, et j'espère que vous n'aurez pas à me réciter de nouveau les sommes associées au plan d'action pour la francophonie et à la feuille de route, parce qu'on sait déjà que des enveloppes sont prévues dans cette feuille de route. La question est de savoir comment cet argent est dépensé.
Devons-nous comprendre que le gouvernement continuera de faire la sourde oreille aux recommandations répétées du commissaire? Pouvons-nous enfin nous attendre à ce qu'un suivi quelconque en matière d'immigration francophone à l'extérieur du Québec soit effectué, ou faudra-t-il toujours se contenter de grandes annonces suivies de mesures qui nuisent à l'immigration en milieu minoritaire au lieu de favoriser son essor?
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Merci, sénatrice, pour votre question. Comme vous le savez, le ministre a été très clair par rapport à l'objectif de 4 p. 100 pour l'immigration francophone hors Québec. Notre gouvernement a élaboré un plan pour atteindre cet objectif, et nous voyons déjà des résultats concrets, notamment avec le système Entrée express, et nous prenons également note des recommandations du commissaire.
Nous tenons à remercier le commissaire d'avoir produit son rapport. Nous sommes d'accord avec ses conclusions. D'ailleurs, notre gouvernement prend au sérieux ses responsabilités par rapport aux langues officielles. La preuve est que la feuille de route de notre gouvernement pour les langues officielles est l'investissement le plus important dans l'histoire de notre pays dans ce domaine, et qu'elle est dotée d'un financement de 1,1 milliard de dollars. Cela est incontournable. Je sais que vous n'aimez pas entendre ces chiffres, mais il s'agit tout de même de l'investissement le plus important en faveur des langues officielles.
Je comprends que, pour un adversaire, il est difficile d'entendre ces chiffres. Vous auriez préféré qu'un gouvernement libéral ait consenti ces enveloppes, mais c'est notre gouvernement conservateur qui l'a fait, et nous sommes très fiers de notre investissement et de notre engagement envers les langues officielles, particulièrement en ce qui concerne l'immigration francophone.
La sénatrice Chaput : Monsieur le leader, vous savez que je ne suis pas vexée d'entendre ces chiffres. Je les ai reconnus à maintes reprises ici, en cette Chambre. La difficulté que j'ai, c'est que je ne suis pas convaincue que l'argent dépensé par votre gouvernement en matière d'immigration réponde vraiment aux besoins de nos communautés de langue officielle en situation minoritaire. C'est là où j'ai une difficulté. D'autre part, je ne me considère pas comme une adversaire. Au contraire, nous sommes tous ici, au Sénat, pour faire notre travail. Nous ne sommes pas des adversaires; nous sommes des collègues et nous travaillons tous dans un but commun. Voilà.
Aujourd'hui, le 13 mai 2015, nous avons reçu un communiqué de presse de l'Association franco-yukonnaise, qui espère, elle aussi, que le gouvernement du Canada donnera suite aux recommandations du commissaire aux langues officielles.
Tout comme pour les autres communautés de langue officielle en situation minoritaire, votre gouvernement doit mettre en place, pour les aider, une stratégie qui permettra d'augmenter l'immigration, assortie de cibles. Vous venez de mentionner un objectif de 4 p. 100. Il est primordial que cette stratégie inclue aussi des incitatifs pour atteindre cette cible de 4 p. 100. Il faut des incitatifs durables, surtout à l'intention des employeurs, pour favoriser le recrutement et la sélection.
À titre d'exemple, croyez-vous que, au Manitoba, un employeur de langue anglaise serait prêt à embaucher un immigrant qui parle français et très peu l'anglais, sans qu'il y ait des incitatifs qui l'aideraient non seulement au chapitre de la rétention, mais aussi de la formation de cet employé? Nous demandons des incitatifs durables à l'intention des employeurs.
Est-ce que votre gouvernement collaborera avec nos communautés de langue officielle en situation minoritaire pour arriver à des incitatifs? Ai-je bien entendu votre réponse, tout à l'heure, quand vous avez mentionné qu'il commence à y avoir des résultats par l'entremise d'Entrée express? Est-ce que cela veut dire que votre gouvernement accepte qu'une lentille francophone soit ajoutée au système Entrée express? Est-ce vraiment le cas, et est-ce ce qui se passe à l'heure actuelle?
Le sénateur Carignan : Sénatrice, je vous remercie de vos questions. Le ministre a été très clair par rapport à l'objectif de 4 p. 100 d'immigration francophone hors Québec, et nous avons un plan pour atteindre cet objectif.
Comme je l'ai dit, nous constatons déjà les résultats obtenus grâce au système Entrée express. Nous avons pris note des recommandations du commissaire et nous allons continuer d'investir en faveur de l'immigration francophone, tout comme par l'entremise du plan d'action complet de la feuille de route, grâce à un investissement de plus de 1,1 milliard de dollars, qui est l'investissement le plus important dans l'histoire de notre pays en faveur des langues nationales du Canada.
La sénatrice Chaput : Monsieur le leader, si c'est possible, pourriez-vous me transmettre une copie des résultats que votre gouvernement a finalement obtenus? Il y a un objectif, une cible, et il y a maintenant des résultats. Est-ce que je pourrais en obtenir une copie, s'il vous plaît?
Le sénateur Carignan : Sénatrice, je vais prendre votre question en note et je vous présenterai une réponse à ce sujet.
L'honorable Claudette Tardif : J'aurais une question complémentaire. Monsieur le leader, peu importe l'investissement consenti, ce qui compte, ce sont les résultats. Pour faire suite à la question posée par la sénatrice Chaput, pouvez-vous nous indiquer combien de francophones ou de parlant français ont été admis depuis que le nouveau système Entrée express a été mis en vigueur en janvier 2015?
Des voix : Bravo!
Le sénateur Carignan : Je vais prendre votre question en note et je tenterai d'y répondre avant la période d'ajournement prolongée, si possible.
[Traduction]
Les affaires autochtones et le développement du Nord
Le Nouveau-Brunswick—L'aide sociale
L'honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Le ministre des Affaires autochtones, M. Valcourt, a déclaré que le gouvernement fédéral réduirait les prestations d'aide sociale destinées aux 15 Premières Nations du Nouveau-Brunswick.
(1400)
Ainsi, par exemple, une famille de quatre personnes de la Première Nation d'Eel Ground qui est prestataire de l'aide sociale ne touchera plus que 908 $ au lieu de 1 262 $ par mois. Une personne célibataire verra ses prestations ramenées de 828 $ par mois à 537 $ seulement. Cela représente une réduction du tiers, soit entre 30 et 35 p. 100.
Avec une réduction aussi draconienne, il sera quasi impossible aux Néo-Brunswickois des Premières Nations qui dépendent de l'aide sociale de joindre les deux bouts. Concrètement, elle les placera sous le seuil de pauvreté.
Le ministre des Affaires autochtones répond que le régime d'aide sociale des Premières Nations est, selon lui, conçu pour favoriser l'apathie. À son avis, les réductions libéreront les Premières Nations de l'aide sociale. Il veut investir les sommes ainsi économisées dans des programmes de formation et de perfectionnement destinés aux Autochtones du Nouveau-Brunswick.
Honorables sénateurs, je vous rappelle que cette réduction viserait des personnes qui comptent parmi les plus pauvres au pays et qu'elle frapperait là où les taux de chômage et d'analphabétisme sont nettement plus élevés que dans le reste du Canada.
Voici donc la question que j'adresse au leader du gouvernement au Sénat : le gouvernement croit-il sincèrement que la réduction du financement de l'aide sociale versée aux Premières Nations du Nouveau-Brunswick, des sommes destinées à assurer un minimum vital aux prestataires, convaincra ces Canadiens, qui ne pourront plus se permettre de se loger ou de se nourrir, de faire des études et de participer aux programmes de formation alors qu'ils seront en pleine misère?
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Sénatrice, votre question contient beaucoup d'éléments. Permettez-moi de reprendre un peu le bilan du gouvernement en matière de santé, de sécurité et de bien-être, notamment en ce qui concerne les enfants des Premières Nations, qui sont une priorité pour notre gouvernement. D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle nous avons mis en place une approche axée sur la prévention dans la prestation des services à l'enfance et aux familles dans les réserves.
En 2012-2013, notre gouvernement a investi près de 630 millions de dollars en faveur des services à l'enfance et aux familles dans les réserves, pour une augmentation de 40 p. 100 depuis 2006, et nous allons continuer de veiller à ce que les enfants et les familles reçoivent toute l'aide dont ils ont besoin pour mener une vie saine et sécuritaire.
De plus, en matière de création d'emplois et d'acquisition de compétences au sein des peuples autochtones, notre gouvernement, les collectivités des Premières Nations, les chefs et les jeunes adultes s'accordent pour dire que les jeunes des Premières Nations doivent avoir les mêmes possibilités que tous les Canadiens lorsqu'il s'agit de trouver un emploi et de le conserver, afin qu'ils puissent en profiter et en tirer des avantages.
Nous prenons des mesures concrètes afin de mettre en place les conditions nécessaires pour que les communautés des Premières Nations soient plus prospères et plus autonomes. C'est la raison pour laquelle notre gouvernement a investi dans la création d'emplois et l'acquisition de compétences. Cela permettra notamment d'accroître la participation des Premières Nations au sein de l'économie et d'améliorer la santé de leurs membres, afin qu'ils puissent contribuer à l'édification d'un Canada plus fort.
Ces investissements ont notamment permis d'offrir un soutien personnalisé à 4 000 jeunes adultes des Premières Nations. Il s'agit d'un investissement important axé sur l'acquisition de compétences. Je pourrais parler également du domaine de l'éducation, où notre gouvernement a investi près de 12 milliards de dollars pour soutenir l'enseignement primaire et secondaire depuis 2006.
Nous avons donc accompli beaucoup de travail, sénatrice, pour les Premières Nations, dans le but de veiller à ce que les familles et les jeunes des Premières Nations aient les outils nécessaires pour leur assurer un meilleur avenir.
[Traduction]
La sénatrice Dyck : Vous dites que les enfants sont prioritaires pour le gouvernement. Je trouve cela un peu difficile à croire, car les économies que vous réalisez en privant de l'aide sociale 15 Premières Nations du Nouveau-Brunswick se chiffrent à 12 millions de dollars par année. En même temps, le gouvernement a consacré 13,5 millions de dollars à la promotion du budget de 2015 pendant deux mois. Quelle est la priorité du gouvernement? Il me semble que le gouvernement accorde la priorité à sa propre promotion.
Croyez-vous vraiment que l'affectation de 13,5 millions de dollars en seulement deux mois à la diffusion d'annonces, qui se sont révélées quelque peu inefficaces, est une meilleure utilisation des fonds du gouvernement que le fait d'aider des enfants des Premières Nations du Nouveau-Brunswick à se procurer des aliments convenables pour qu'ils aient le ventre plein et soient en mesure d'apprendre à l'école?
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénatrice, il ne faut pas non plus tomber dans la démagogie. Il est important de rappeler le bilan du gouvernement. Il est également important de faire connaître les politiques du gouvernement afin que le plus grand nombre possible de Canadiens puissent en tirer profit.
Nous avons des plans d'action économiques qui réduisent les taxes, qui donnent plus d'avantages aux familles, notamment en ce qui a trait à la Prestation universelle pour la garde d'enfants. Ainsi, on ne peut pas, d'un côté, annoncer des politiques qui accorderont au plus grand nombre de gens possible des réductions d'impôts et davantage de prestations universelles sans s'assurer que les gens qui peuvent en bénéficier sont au courant des mesures et peuvent s'en prévaloir en bonne et due forme, lorsque c'est le cas.
D'autre part, à la lumière des différents plans d'action économiques, je crois qu'il est assez clair que vous êtes en présence d'un gouvernement qui travaille ardemment pour équilibrer le budget, qui prend des décisions, qui réduit les taxes et qui investit dans l'avenir. Je comprends que vous appuyez un chef, M. Trudeau, qui veut augmenter les taxes, revenir au déficit et couper dans les services.
Des voix : Oh, oh!
Le sénateur Carignan : Cependant, je crois que c'est peine perdue. Les Canadiens veulent choisir ce qu'ils vont faire avec leur argent et non laisser plus d'argent sous forme d'impôts pour qu'il soit investi dans la bureaucratie.
[Traduction]
La sénatrice Dyck : Vous mentionnez que le gouvernement offrira des allègements fiscaux. Eh bien, les gens qui reçoivent de l'aide sociale ne seront nullement en mesure de bénéficier de ces réductions d'impôt.
Des voix : Bravo!
La sénatrice Dyck : Les annonces ne profitent absolument pas aux assistés sociaux. En vérité, le fait de savoir que l'argent qui aurait pu servir à alimenter leurs enfants a été consacré à tort au financement de publicités les rendra probablement furieux.
Comment le gouvernement peut-il faire une bonne chose en privant de leurs prestations d'aide sociale ces membres des Premières Nations du Nouveau-Brunswick frappés par la pauvreté?
Le sénateur Mitchell : Il pense probablement qu'ils vont déposer cet argent dans un compte d'épargne libre d'impôt.
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénatrice, comme je l'ai dit, plusieurs milliards de dollars sont consacrés aux Autochtones, particulièrement en matière d'éducation. Je ne reprendrai pas les chiffres. Je sais que cela vous agace lorsque je parle du bilan du gouvernement. Je ne voudrais pas en ajouter. Une chose est sûre : comme je l'ai dit, le gouvernement croit que les communautés autochtones et les jeunes familles doivent avoir des chances égales. Les outils élaborés et les investissements consentis par notre gouvernement en matière de création d'emplois, mais aussi en matière d'éducation et d'acquisition de compétences pour les jeunes autochtones, le démontrent.
[Traduction]
La sénatrice Dyck : Merci.
Ce qui est vraiment intéressant à propos de l'aide sociale dans les Maritimes, c'est que le montant de l'aide accordée par le gouvernement fédéral aux membres des Premières Nations vivant dans les réserves est apparemment supérieur au montant de l'aide accordée par les provinces. Le ministre a décidé que, étant donné que l'aide fédérale était plus importante que l'aide provinciale, il allait en diminuer le montant. C'est très bien; nous offrons un montant équivalent. Toutefois, quand il est question d'éducation, un sujet que vous venez tout juste d'aborder, c'est l'inverse. Nous savons tous que les taux fixés par le gouvernement fédéral sont inférieurs à ceux des provinces, mais le gouvernement a résisté et refuse d'abolir le plafond de 2 p. 100 sur le financement de l'éducation et de le fixer à 4,5 p. 100 afin que ce soit plus équitable.
(1410)
Comment se fait-il que, lorsque le taux est plus élevé, ce soit correct de le réduire, mais qu'il soit absolument impensable de l'augmenter lorsque qu'il est plus bas?
[Français]
Le sénateur Carignan : Il est désolant d'entendre l'opposition critiquer le gouvernement. Le Plan d'action économique de 2015 prévoit 200 millions de dollars sur deux ans pour améliorer l'éducation dans les réserves. À cette somme s'ajoutent 500 millions sur sept ans qui seront consacrés aux infrastructures scolaires des Premières Nations.
À vous entendre, on peut d'ores et déjà prédire que vous voterez contre le Plan d'action économique de 2015. En fait, je trouve tout à fait désolant de vous entendre parler des deux côtés de la bouche.
Des voix : Oh oh!
[Traduction]
L'honorable Wilfred P. Moore : Ma question s'adresse aussi au leader du gouvernement au Sénat. Monsieur le leader, vous venez de dire que votre politique est de créer les conditions nécessaires pour venir en aide aux enfants des Premières Nations. Notre travail ici, au Sénat, est de veiller sur les régions, les minorités et les personnes les plus vulnérables, et j'aimerais que vous nous expliquiez comment le fait d'envoyer à l'école des enfants qui sont sous-alimentés et qui ont le ventre vide les aidera à se concentrer sur leurs études et à devenir des participants à part entière de la société canadienne. Dites-le-moi.
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénateur, je pense avoir répondu à une question de la sénatrice Dyck au sujet du bilan du gouvernement en matière d'éducation et d'acquisition de compétences chez les jeunes Autochtones. Le Plan d'action économique de 2015 est conçu dans le but de créer des emplois et de stimuler la croissance économique à long terme pour tous les Canadiens, y compris pour les Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves.
Notre budget prévoit des investissements stratégiques dans des initiatives clés qui visent à améliorer le bien-être des membres des Premières Nations en leur permettant, notamment, de tirer pleinement profit de la prospérité économique du Canada. Il prévoit aussi des investissements dans l'éducation afin que les jeunes Autochtones aient accès à l'éducation de qualité dont ils ont besoin pour jouir davantage de l'activité économique liée à un emploi bien rémunéré.
Nos initiatives permettent aussi d'investir davantage dans les compétences des Autochtones dans le but de créer encore plus de débouchés. De plus, nous avons investi dans l'élargissement du Régime de gestion des terres des Premières Nations, qui créera de nouveaux débouchés économiques. Le gouvernement a adopté une série de mesures pour veiller au bien-être des jeunes Autochtones.
Vous avez aussi parlé des enfants. Je réitère la réponse que j'ai donnée plus tôt à la sénatrice Dyck. En 2012-2013, notre gouvernement a investi 630 millions de dollars en faveur des services à l'enfance et aux familles au sein des réserves. Il s'agit d'une augmentation de 40 p. 100 depuis 2006, et nous allons continuer de veiller à ce que les enfants et les familles bénéficient de toute l'aide dont ils ont besoin pour être en santé et en sécurité.
De plus, nous allons continuer à nous assurer que les femmes et les enfants autochtones ont droit aux mêmes protections de base dont jouissent les autres Canadiens.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Compte tenu de la situation que la sénatrice Dyck nous a rapportée aujourd'hui, je ne puis m'empêcher de penser que, dans votre empressement à essayer de rédiger un budget prétendument équilibré, vous essayez d'accomplir tout cela sur le dos de ces enfants. Je trouve cela insultant. Est-ce un plan que le gouvernement mettra en œuvre dans l'ensemble du pays? Procéderez-vous à des compressions dans les prestations d'aide sociale de l'ensemble des Premières Nations au Canada?
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénateur, j'ai parlé des investissements que fait le gouvernement pour favoriser l'éducation et le bien-être des Premières Nations. La beauté de tout cela, c'est que le gouvernement réussit à soutenir l'éducation et le bien-être des familles autochtones tout en diminuant le fardeau fiscal et en équilibrant le budget.
Je comprends que, pour certains d'entre vous, et pour votre chef également, un budget s'équilibre par lui-même, mais ce n'est pas du tout le cas. L'équilibre budgétaire est un exercice sérieux et, dans l'équation, il faut prévoir la création de la richesse et de la prospérité. Ce n'est pas en augmentant les taxes qu'on arrivera à l'équilibre budgétaire; c'est plutôt en réduisant le fardeau fiscal et en créant des emplois.
Hier encore, votre chef, Justin Trudeau, affirmait ne pas trouver équitable le fait d'accorder une réduction d'impôts à l'ensemble des contribuables canadiens. Je vous avouerai que je trouve cette affirmation assez surprenante, lorsqu'on sait que, selon sa vision, votre chef prévoit la hausse des taxes, le retour au déficit et, probablement, des compressions budgétaires dans les services. Notre gouvernement, pour sa part, s'efforce de créer de la richesse et des emplois, et il le fait avec un budget équilibré.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Monsieur le leader, je tiens à vous dire que je n'ai jamais entendu M. Trudeau ou tout autre député, tous partis confondus, à l'autre endroit prétendre que c'est une bonne idée de réduire les prestations d'aide sociale des gens les plus vulnérables pour essayer d'atteindre une sorte d'équilibre budgétaire. Un peu de jugement et de compassion serait grandement utile. Je ne comprends pas un ministère ou une politique qui accepterait de mettre de l'avant une telle chose. Pourquoi ciblez-vous les Premières Nations du Nouveau-Brunswick? Pourquoi vous en prenez-vous aux provinces maritimes? Pourquoi?
[Français]
Le sénateur Carignan : Il est ridicule de prétendre qu'une communauté en particulier est ciblée. Je pense avoir été assez clair dans mes réponses quant à l'ensemble du programme et du Plan d'action économique du Canada, qu'il s'agisse des plans précédents, qui ont accordé des enveloppes importantes en matière d'éducation et d'infrastructures pour les écoles dans les milieux autochtones, qu'il s'agisse de l'acquisition de compétences chez les jeunes ou du soutien des différentes infrastructures.
Ce qui est tragique, c'est que, chaque fois qu'on prévoit un investissement dans le cadre d'un plan d'action économique, notamment pour les réserves, vous votez contre. Notre gouvernement a adopté une loi sur les régimes patrimoniaux qui accorde un pouvoir de protection aux enfants avec la possibilité d'une ordonnance judiciaire, et vous avez également voté contre cette loi.
Vous plaidez d'un côté, mais, lorsqu'il est temps de passer à l'action, vous ne faites rien. C'est nous qui passons à l'action, et nous sommes très fiers de notre bilan.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Si, pour pouvoir dire qu'on agit, il faut appuyer un projet de loi omnibus rempli de mauvais programmes, je suis fier de dire que je ne l'ai pas appuyé. Si, comme vous dites, vous n'êtes pas en train de cibler cette Première Nation du Nouveau-Brunswick ou des Maritimes, est-ce parce que votre gouvernement compte mettre en œuvre cette politique dans l'ensemble du Canada?
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénateur, si je vous nomme quelques organismes qui ont vanté le Plan d'action économique de 2015, peut-être que cela vous encouragera à l'appuyer. Lorsque vous affirmez que le budget de 2015 contient de mauvaises mesures, je vous rappelle que la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante a donné la cote A au budget de 2015.
La Fédération canadienne des municipalités a salué les bonnes nouvelles qu'il contient, particulièrement en ce qui concerne les fonds accordés au transport en commun. Le maire de Toronto, John Tory, que vous appréciez, a également affirmé qu'il s'agissait d'une bonne nouvelle pour les municipalités du Canada. La Fédération canadienne des contribuables a aussi applaudi le budget fédéral de 2015-2016.
D'autres l'ont fait, y compris la Société canadienne du cancer et la LNG Canada. Le regroupement Ingénieurs sans frontières du Canada a notamment déclaré ce qui suit, et je cite :
[Traduction]
Ingénieurs sans frontières accueille favorablement l'annonce faite par le gouvernement du Canada concernant l'Initiative de financement du développement qu'il compte mettre en œuvre.
[Français]
(1420)
Futurpreneur Canada a salué le soutien continu que le gouvernement du Canada apporte aux jeunes Canadiens et, en particulier, à ceux qui créent de petites entreprises qui serviront à renforcer l'économie. L'Association des universités et collèges du Canada a accueilli le budget avec joie. Baycrest Health Sciences a affirmé qu'il s'agissait d'un engagement historique de la part d'un gouvernement fédéral dans le contexte de son rôle en vue de cibler les défis en matière de santé.
L'Association canadienne du commerce des valeurs mobilières a également salué les importantes mesures qui ont été annoncées dans le budget, notamment la hausse des limites de contributions concernant le CELI. Music Canada a exprimé son contentement quant à l'extension des droits d'auteur dans le domaine de la musique. Le musicien Randy Bachman a remercié le premier ministre Harper, de même que Bruce Cockburn. Vous connaissez bien ces artistes. Enfin, l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada a, lui aussi, salué le Plan d'action économique de 2015.
Je pourrais continuer encore longtemps, mais j'espère que la mention de l'une ou l'autre de ces associations et organisations vous touchera et fera en sorte que vous compreniez que vous avez l'appui de votre communauté et que vous devez voter en faveur du Plan d'action économique de 2015.
[Traduction]
ORDRE DU JOUR
Les travaux du Sénat
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, conformément à l'article 4-13(3) du Règlement, j'informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l'ordre suivant : la motion no 105, suivie par tous les autres articles dans l'ordre où ils figurent au Feuilleton.
Projet de loi no 1 sur le plan d'action économique de 2015
Motion tendant à autoriser certains comités à en étudier la teneur—Ajournement du débat
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement), conformément au préavis donné le 12 mai 2015, propose :
Que, conformément à l'article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à examiner la teneur complète du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 avril 2015 et mettant en œuvre d'autres mesures, déposé à la Chambre des communes le 7 mai 2015, avant que ce projet de loi soit présenté au Sénat;
Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à siéger pour les fins de son examen de la teneur du projet de loi C-59 même si le Sénat siège à ce moment-là, l'application de l'article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;
Que, de plus, et nonobstant toute pratique habituelle :
1. Les comités suivants soient individuellement autorisés à examiner la teneur des éléments suivants du projet de loi C-59 avant qu'il soit présenté au Sénat :
a) le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones : les éléments de la section 16 de la partie 3;
b) le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce : les éléments des sections 3, 14, 19 de la partie 3;
c) le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie : les éléments de la section 15 de la partie 3;
d) le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense : les éléments des sections 2 et 17 de la partie 3;
e) le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration : les éléments de la section 10 de la partie 3;
2. Chacun des différents comités indiqués au point numéro un, qui sont autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-59, soit autorisé à siéger pour les fins de son étude, même si le Sénat siège à ce moment-là, l'application de l'article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;
3. Chacun des différents comités indiqués au point numéro un, qui sont autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-59, soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 4 juin 2015;
4. Au fur et à mesure que les rapports des comités autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-59 seront déposés au Sénat, l'étude de ces rapports soit inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance;
5. Le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit simultanément autorisé à prendre en considération les rapports déposés conformément au point numéro quatre au cours de son examen de la teneur complète du projet de loi C-59.
L'honorable Larry W. Smith : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion qui concerne le projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 avril 2015 et mettant en œuvre d'autres mesures, présenté à la Chambre des communes le 7 mai 2015, également connu sous le titre Loi no 1 sur le plan d'action économique de 2015, qui propose de mettre en œuvre, par voie législative, des éléments importants du Plan d'action économique de 2015.
[Français]
Ces éléments clés comprennent des mesures visant à créer des emplois et à stimuler la croissance économique tout en aidant les collectivités à prospérer et en assurant la sécurité de tous les Canadiens.
[Traduction]
Honorables sénateurs, j'aimerais aujourd'hui faire un bref survol de la Loi no 1 sur le plan d'action économique de 2015, qui permettra au gouvernement du Canada d'équilibrer le budget et d'atteindre plusieurs objectifs : alléger encore davantage le fardeau fiscal des familles, des particuliers et des entreprises du pays; aider les petites entreprises à obtenir du financement grâce au Programme de financement des petites entreprises du Canada.
[Français]
Soutenir les personnes âgées et les personnes handicapées en instaurant le crédit d'impôt pour l'accessibilité domiciliaire.
[Traduction]
Bonifier le volet de la prestation universelle pour la garde d'enfants visant les enfants de moins de 6 ans et l'étendre aux enfants âgés de 6 à 17 ans; permettre aux anciens combattants et à leur famille d'obtenir le soutien dont ils ont besoin en offrant une nouvelle allocation de sécurité du revenu de retraite aux anciens combattants atteints d'une invalidité grave ou modérée; étendre l'accès à l'allocation pour déficience permanente aux anciens combattants handicapés; créer une nouvelle allocation de secours non imposable pour les aidants familiaux; faire passer les prestations de compassion de l'assurance-emploi de six semaines à six mois afin d'offrir un soutien accru aux Canadiens qui prennent soin d'un proche gravement malade et mourant; enfin, dernier objectif et non le moindre, assurer la sécurité des Canadiens en renforçant la sécurité sur Colline du Parlement de manière à bien protéger les visiteurs, les parlementaires et le personnel, mais sans pour autant empêcher la population d'accéder au berceau de notre démocratie.
Honorables sénateurs, comme le veut la tradition, la motion dont le Sénat est saisi autorise le Comité sénatorial permanent des finances nationales à se réunir afin d'étudier la teneur du projet de loi C-59. De plus, nonobstant toute pratique habituelle, certains comités sénatoriaux seront individuellement autorisés à examiner la teneur de certains des éléments du projet de loi C-59 avant qu'il soit présenté au Sénat.
Comme le précise la motion, les comités suivants étudieront les éléments qui suivent et en feront rapport au Comité sénatorial permanent des finances nationales :
Premièrement, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones étudiera les éléments de la section 16 de la partie 3.
Deuxièmement, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce étudiera les éléments des sections 3, 14 et 19 de la partie 3.
Troisièmement, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie étudiera les éléments de la section 15 de la partie 3.
Quatrièmement, le Comité sénatorial permanent de la sécurité sociale et de la défense étudiera les sections 2, 10 et 17 de la partie 3.
Enfin, le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration étudiera les éléments de la section 10 de la partie 3.
Merci beaucoup, honorables sénateurs.
Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L'honorable Joseph A. Day : L'honorable sénateur pourra peut-être m'aider en fournissant une réponse.
Son Honneur le Président : Le sénateur Day a une question à poser.
Le sénateur L. Smith : Je serais ravi de répondre à une question du président du Comité des finances nationales. J'espère que je pourrai y répondre aussi habilement qu'il le fait lorsqu'on lui pose des questions.
Le sénateur Day : Je remercie l'honorable sénateur de cette remarque. Je devrais peut-être m'asseoir maintenant et ne pas poser de question.
Je n'ai pas apporté mon résumé du projet de loi C-59. L'honorable sénateur peut peut-être m'aider. En ce qui concerne les sections qui sont envoyées au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, nous avions demandé que la section qui porte sur les brevets, les marques de commerce et les droits d'auteur soit étudiée par le Comité des finances, puisqu'il l'a fait pour le projet de loi précédent. L'honorable sénateur sait-il si c'est ce que l'on a fait?
Le sénateur L. Smith : Je vous remercie de votre question, sénateur Day. Je n'ai pas la réponse. Je vous suggère de vous renseigner auprès de la sénatrice Martin et des fonctionnaires responsables pour savoir exactement ce qu'ils prévoient pour le Comité des banques et s'ils sont disposés à faire des ajustements.
Le sénateur Day : Le problème avec cette réponse, c'est que je devrais proposer maintenant l'ajournement de ce débat et je n'y tiens pas particulièrement, mais je n'ai pas ici les documents dont j'ai besoin pour ce qui est des sections 3, 14 et 19.
Est-ce que quelqu'un d'autre est en mesure de m'aider?
Son Honneur le Président : Cette question s'adresse-t-elle à quelqu'un en particulier?
La sénatrice Ringuette : Elle s'adresse à quiconque peut répondre à la question qui a été posée.
Son Honneur le Président : Sénateur, vous devez poser votre question expressément au sénateur qui a la parole à ce moment-ci.
Le sénateur Day : Je propose l'ajournement du débat.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
(Sur la motion du sénateur Day, le débat est ajourné.)
Fixation de délai—Préavis de motion
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, je désire informer le Sénat que je n'ai pas pu en arriver à une entente avec la leader adjointe de l'opposition concernant la fixation de délai pour la motion no 105 du gouvernement. Par conséquent, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, conformément à l'article 7-2 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations additionnelles soient attribuées à l'étude de la motion no 105 sous la rubrique « Affaires du gouvernement », portant sur l'étude de la teneur du projet de loi C-59.
(1430)
Projet de loi antiterroriste de 2015
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L'honorable Bob Runciman propose que le projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd'hui pour parler du projet de loi C-51, la Loi antiterroriste de 2015.
Ce projet de loi édicte la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, et elle modifie le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
En notre qualité de législateurs, nous reconnaissons tous que notre premier devoir est d'assurer la sûreté et la sécurité de nos citoyens. Ce devoir est primordial à ce stade de notre histoire alors que le dernier rapport du Service canadien du renseignement de sécurité révèle que le terrorisme demeure la principale menace qui plane sur notre nation.
Comme Michel Coulombe, directeur du SCRS, l'écrit dans ce rapport : « Des gens et des groupes violents veulent tuer des Canadiens ».
Dans le même document, M. Coulombe fait remarquer que les attentats survenus au Québec et sur la Colline du Parlement en octobre dernier « ont exposé de façon très claire la vulnérabilité au terrorisme d'une société ouverte comme le Canada ».
Cependant, la menace s'étend bien au-delà des deux attentats qui ont coûté la vie à l'adjudant Patrice Vincent et au caporal Nathan Cirillo. L'EIIS, l'un des groupes terroristes les plus barbares de l'histoire, contrôle une partie importante du Moyen-Orient; le phénomène des combattants étrangers — les Canadiens qui se rendent dans cette région puis rentrent au pays — est un signe troublant de l'attrait de cette idéologie perverse. Et c'est sans compter les attentats terroristes qui ont été perpétrés à l'encontre de nos alliés.
En présence de telles menaces, le gouvernement devait prendre des mesures décisives. Les lois régissant les activités en matière de sécurité nationale au pays ont été créées à une époque où la plus grande menace se résumait à l'espionnage. Les temps ont changé et il faut trouver de nouvelles solutions. C'est pourquoi le projet de loi C-51 a été présenté.
À mon avis, il propose une approche équilibrée et raisonnable pour contrer une menace unique et sans précédent, soit un mouvement terroriste qui fait fi des normes d'une société libre et civilisée et qui recrute des membres dans la population à laquelle il s'en prend.
Il circule beaucoup d'idées fausses au sujet du projet de loi à l'étude, dont certaines sont nourries de motivations politiques. C'est ce dont je vais parler aujourd'hui, mais, en premier lieu, j'aimerais faire un bref survol de chaque partie du projet de loi.
La partie 1 édicte la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, laquelle autorise les institutions fédérales à communiquer de l'information à des organismes désignés de sécurité nationale.
De nos jours, les institutions ne sont pas toujours en mesure de communiquer l'information aussi rondement et efficacement qu'il le faudrait en cas de menace à la sécurité nationale. Ce problème persiste depuis des années et avait été mentionné durant l'enquête sur l'affaire Air India. Le projet de loi prévoit d'importantes mesures pour faire en sorte que les nouveaux pouvoirs accordés soient exercés à bon escient. Les nouveaux pouvoirs relatifs à la communication de l'information ne s'appliquent qu'à l'information pertinente et relative à la sécurité nationale que les institutions possèdent déjà.
Autrement dit, rien dans le projet de loi ne vient étendre les pouvoirs existants des institutions fédérales en matière de collecte d'information. Qui plus est, l'information ne serait communiquée qu'à des institutions gouvernementales qui participent à la protection de la sécurité nationale. De plus, rien n'obligerait celles-ci à communiquer lesdites informations.
Afin de dissiper tout malentendu, le projet de loi C-51 définit en détail ce qui constitue une menace envers la sécurité nationale, en plus de préciser « que sont exclues les activités de défense d'une cause, de protestation, de manifestation d'un désaccord ou d'expression artistique. »
Je ne pense pas qu'il aurait été possible d'exprimer la chose plus clairement. Le projet de loi ne vise ni les manifestants ni le mouvement écologique. Toutes les activités de communication d'information seront encore soumises à l'examen des organismes compétents et sujettes à enquête par le Commissariat à la protection de la vie privée.
La partie 2 du projet de loi C-51 édicte la Loi sur la sûreté des déplacements aériens. À l'heure actuelle, dans le cadre du Programme de protection des passagers, les passagers font l'objet d'un contrôle et ceux qui sont susceptibles de représenter une menace pour la sûreté aérienne peuvent se voir refuser l'embarquement. La nouvelle loi élargirait la portée de la liste d'interdiction de vol afin d'y inclure les personnes qui prennent l'avion pour aller participer à des attentats terroristes, ou à du recrutement ou à des activités d'entraînement à des fins terroristes. L'élargissement de la liste d'interdiction de vol est essentiel.
Le mois dernier, M. Coulombe, directeur du SCRS, a dit au Comité de la sécurité nationale et de la défense que le nombre de Canadiens voyageant à l'étranger pour se joindre aux mouvements djihadistes a augmenté de pas moins de 50 p. 100 durant les quatre derniers mois. Il a dit que quelque 145 Canadiens participent actuellement à des conflits à l'étranger et que beaucoup combattent pour l'EIIS en Irak et en Syrie.
Les modifications proposées permettront au gouvernement de prendre des mesures en réponse à ce sérieux problème, même lorsque les circonstances rendent une mise en arrestation et une poursuite judiciaire impossibles.
La partie 3 du projet de loi vient modifier le Code criminel. Premièrement, les modifications proposées aux dispositions sur l'engagement assorti de conditions et sur l'engagement de ne pas troubler l'ordre public se rapportant à une activité terroriste ou à une infraction de terrorisme rendraient ces outils plus efficaces en abaissant les seuils applicables et, dans le cas des engagements assortis de conditions, en augmentant la période de détention préventive. Deuxièmement, le projet de loi érigerait en infraction le fait de préconiser ou de fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme en général.
Honorables sénateurs, le recours à la propagande terroriste est un problème croissant. Aujourd'hui, les terroristes sont maîtres dans l'art d'utiliser la technologie moderne pour recruter des partisans. Un rapport largement diffusé publié au début de l'année par l'institut Brookings fait état d'au moins 46 000 — voire jusqu'à 90 000 — comptes Twitter liés à l'État islamique. En moyenne, chacun de ces comptes avait 1 000 abonnés et envoyait jusqu'à 20 000 messages par jour. Ces chiffres sont renversants et illustrent l'ampleur du problème.
Le projet de loi C-51 s'attaquerait à ce problème de plusieurs façons. Premièrement, il comblerait une lacune dans la loi en érigeant en infraction le fait de sciemment préconiser ou fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme en général. Les dispositions actuelles du Code criminel concernant le fait de conseiller à une personne de commettre une infraction exigent que le conseil porte sur une infraction précise. Ce libellé crée de l'incertitude lorsqu'il s'agit de déterminer si le fait de conseiller ou de promouvoir la perpétration d'infractions de terrorisme en général serait couvert. En prévoyant une nouvelle infraction dans le Code criminel, le projet de loi C-51 élimine ce doute.
Par ailleurs, la partie 3 du projet de loi C-51 autorise la saisie de propagande terroriste en créant deux types de mandat de saisie. Les modifications permettraient à un juge d'ordonner la saisie de propagande terroriste sous forme d'imprimé ou d'enregistrement sonore. Le juge pourrait également ordonner le retrait de propagande terroriste en format électronique lorsqu'elle est diffusée par l'entremise d'un fournisseur de services Internet canadien.
La partie 4 du projet de loi C-51 prévoit des modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Les honorables sénateurs savent que le mandat actuel du SCRS se limite à la collecte de renseignements qui sont ensuite transmis aux autres organismes de sécurité nationale afin qu'ils agissent en conséquence. En raison de ses activités de collecte de renseignements, le SCRS est souvent le premier à déceler une menace. Cependant, selon les dispositions actuelles de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, il n'est pas autorisé à intervenir directement.
Le projet de loi C-51 permettrait au SCRS de prendre des mesures de prévention justes et adaptées aux circonstances afin de perturber une activité au pays ou à l'étranger s'il existe des motifs raisonnables de croire qu'elle pose une menace pour la sécurité de notre pays.
(1440)
Il est interdit au SCRS de mener des activités de perturbation des menaces qui enfreignent les lois canadiennes ou la Charte des droits et libertés, à moins d'y être autorisé, premièrement par le ministre et, deuxièmement, par un mandat émis par un juge de la Cour fédérale.
Tenant compte des préoccupations soulevées par cet élargissement du mandat du SCRS, le gouvernement a proposé un amendement à l'autre endroit afin qu'il soit bien clair que les employés du SCRS n'auront pas de pouvoirs de contrôle d'application de la loi. Le SCRS n'est pas un corps policier et il ne lui sera pas permis d'agir comme s'il en était un.
Michael Duffy — on m'a assuré qu'il n'y avait aucun lien de parenté —, haut fonctionnaire au ministère de la Justice, a donné les explications suivantes durant l'étude article par article du projet de loi C-51 au comité de la Chambre. Je le cite :
Comme le libellé l'indique, il faut surtout comprendre que le SCRS ne peut pas décider lui-même d'exercer de tels pouvoirs. Il n'est pas autorisé et ne l'a jamais été à détenir une personne, à procéder à son arrestation ou à l'incarcérer. Ce projet de loi ne change rien à cet état de fait.
Non seulement les activités de perturbation de menaces doivent être préalablement autorisées, mais elles sont également soumises à un examen du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS.
La partie 5 du projet de loi C-51 modifie la section 9 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, y compris en ce qui concerne les instances portant sur des certificats de sécurité.
On procède aux instances prévues à la section 9 lorsque le gouvernement doit s'en remettre à des renseignements classifiés pour déterminer si un non-citoyen peut entrer au Canada et y rester, et qu'il doit protéger ces renseignements parce que, s'ils étaient divulgués, ils pourraient porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Il faut donc disposer de moyens pour protéger ces renseignements qui soient efficaces et tiennent compte de la nécessité que les instances soient justes.
Par exemple, ce projet de loi permettrait au gouvernement d'interjeter appel de tout ordre de publication de renseignements classifiés durant l'instance plutôt que de devoir attendre à la fin.
Honorables sénateurs, voilà un résumé de ce que contient le projet de loi C-51. J'aimerais maintenant parler de quelques questions qui ont été soulevées pendant l'étude préalable du Comité de la sécurité nationale et de la défense.
Nous savons bien que les mesures législatives portant sur la sécurité nationale suscitent toujours d'honnêtes désaccords. Dans ce cas-ci, j'estime toutefois que plusieurs détracteurs du projet de loi C-51 n'ont pas conscience de la gravité de la menace qui pèse sur le Canada et les pays occidentaux, et, dans une certaine mesure, c'est compréhensible.
Dans une lettre envoyée au National Post, le cofondateur de la Coalition canadienne contre le terrorisme, Danny Eisen, dit que les récentes critiques que certains chefs d'entreprise ont formulées au sujet du projet de loi C-51 découlent encore une fois du fait que le Canada « n'a jamais connu les répercussions humaines et financières d'actes terroristes majeurs sur son territoire ».
Bien des critiques se fondent sur une mauvaise compréhension du projet de loi C-51. Certains les formulent peut-être intentionnellement, mais je laisse aux autres le soin de juger.
Les dispositions sur la communication des renseignements ont par exemple été qualifiées d'inutiles, voire de dangereuses. Certains laissent même entendre qu'elles pourraient être retournées contre les groupes écologistes et les autres groupes de manifestants.
Dans la lettre qu'il a adressée le mois dernier au président du Comité de la sécurité publique et nationale, le commissaire à la protection de la vie privée affirme lui-même que « les 17 ministères fédéraux [...] seraient en mesure de connaître toutes les interactions de tous les Canadiens avec le gouvernement. » Il dit aussi ceci : « [T] outes les données fiscales détenues par l'Agence du revenu du Canada [...] pourraient être largement communiquées si elles étaient jugées pertinentes pour les besoins de la détection de nouvelles menaces à la sécurité. [...] [L]'Agence des services frontaliers du Canada pourrait être appelée à fournir tous les renseignements qu'elle détient sur toutes les personnes, y compris les touristes et les gens d'affaires, qui se sont rendues dans des pays soupçonnés de servir de points de transit vers des zones touchées par un conflit. »
Je ne crois pas que cette critique soit justifiée. Premièrement, même si des renseignements sont demandés, cela ne veut pas dire qu'ils seront fournis. Les organismes ne sont pas obligés de communiquer leurs renseignements.
Deuxièmement, je ne pense pas que ma déclaration de revenus ou celle de dizaines de millions de Canadiens pourrait être considérée comme utile pour détecter des « activités portant atteinte à la sécurité du Canada », comme l'exige la mesure législative proposée.
Il faut noter que la Loi sur la protection des renseignements personnels autorise déjà la communication de renseignements personnels dans des circonstances ayant trait à la sécurité ou à des enquêtes criminelles. De plus, les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels s'appliquent à la mesure législative. Le commissaire à la protection de la vie privée conserve tous ses pouvoirs actuels qui lui permettent d'enquêter sur des plaintes et d'entreprendre des enquêtes.
La nouvelle Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada tente d'atténuer les obstacles à la transmission d'informations, des obstacles qui, selon l'ancien juge de la Cour suprême John Major, ont contribué à l'attaque terroriste d'Air India. Nous savons que ces obstacles ont été particulièrement problématiques aux États-Unis lors des événements du 11 septembre.
Un autre aspect du projet de loi C-51 qui suscite de vives critiques concerne la nouvelle infraction proposée concernant le fait de sciemment préconiser ou fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme en général. Les universitaires Kent Roach et Craig Forcese ont écrit que cette infraction « refroidira les discours sur la question du terrorisme ».
Le 2 avril, le professeur Roach a indiqué au Comité de la sécurité nationale que les journalistes qui reprennent des citations de terroristes pourraient faire face à des accusations. Ces universitaires et d'autres personnes soutiennent que la loi actuelle ne comporte aucune lacune nécessitant d'être comblée par ce nouvel article.
Selon moi, lorsqu'on dit que cette nouvelle loi sera utilisée pour museler les journalistes, ou qu'elle pourrait l'être, on tient des propos alarmistes sans fondement. Je crois que le ministre de la Justice, Peter MacKay, qui a comparu devant le comité le 30 mars, nous a assuré de façon convaincante que la nouvelle infraction comble une lacune de la loi actuelle. Voici ce que le ministre a dit :
À l'heure actuelle, le droit criminel s'applique uniquement au fait de conseiller la perpétration d'un acte terroriste précis, comme le fait de dire à quelqu'un d'aller faire sauter une gare de train. Cependant, la loi actuelle ne s'appliquerait pas nécessairement à une personne qui encourage activement d'autres personnes à commettre des infractions de terrorisme de manière plus générale.
Pensons par exemple à l'enregistrement datant de septembre dernier dans lequel l'EIIS encourageait ses sympathisants à s'attaquer à des civils et à des militaires canadiens. C'est exactement ce qui est arrivé un mois plus tard : l'adjudant Vincent s'est fait renverser par un fanatique, tandis que le caporal Cirillo s'est fait tirer dessus alors qu'il montait la garde près du Monument commémoratif de guerre.
La propagande terroriste est extrêmement efficace, et cette nouvelle infraction aidera les autorités à la combattre, tout comme le fera la nouvelle disposition permettant de s'adresser aux tribunaux pour faire retirer le matériel de propagande d'Internet. Ceux qui prétendent que la loi actuelle permet déjà de s'attaquer à ce problème de plus en plus grave font, au mieux, preuve d'une grande naïveté.
La critique la plus souvent entendue au sujet du projet de loi C-51 est celle qui veut que les juges seront tenus de tenir des audiences secrètes auxquelles ne participeront qu'une seule des deux parties pour aider les agents du SCRS à enfreindre la Charte des droits et libertés. Même si elle a été irrévocablement réfutée, cette affirmation continue de circuler, principalement dans les médias. Au cœur de cette critique se trouve le nouveau pouvoir d'atténuation des menaces qui sera octroyé au SCRS et en vertu duquel ce dernier pourra mener des activités qui, en temps normal, enfreindraient la loi. Le SCRS devra toutefois obtenir l'aval du ministre et l'autorisation d'un juge de la Cour fédérale.
La marche à suivre est définie dans ses moindres détails dans le projet de loi C-51, et le demandeur devra prouver qu'il n'a d'autre choix que d'agir comme il le propose. Les juges auront évidemment la liberté d'accueillir ou de rejeter les demandes qui leur seront soumises.
Ce processus est loin d'être exclusif à la loi canadienne, comme l'a confirmé au comité le sous-ministre adjoint principal du Secteur des politiques du ministère de la Justice, M. Donald Piragoff. M. Piragoff a d'ailleurs abordé la question de front. Voici ce qu'il a dit :
Le régime stipule que les juges doivent examiner l'activité envisagée et déterminer si elle peut être menée de façon raisonnable, proportionnelle, éventuellement sous certaines conditions, et conforme à la Charte.
(1450)
Il a ajouté ce qui suit :
C'est ce qui se fait tous les jours devant les tribunaux. Chaque fois qu'un juge émet un mandat de perquisition, il doit essentiellement se demander si la perquisition enfreindrait la Charte. Chaque fois qu'un juge émet un mandat d'arrestation, il doit se demander si celle-ci serait illégale et enfreindrait la Charte. La même chose pour une autorisation d'écoute électronique [...]
Si le service n'est pas en mesure de proposer un moyen que le juge estime conforme à la Charte, ce dernier n'émettra pas d'ordonnance. Comme n'importe qui, le juge est lui aussi soumis à la Constitution.
Il est donc faux de dire que cela autorise les juges à violer la Charte. Les juges ne peuvent pas violer la Charte. Tout le monde est soumis à la Constitution.
Le comité a également entendu le témoignage de Jean-Pierre Plouffe, commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications et ancien juge très respecté.
Quand on l'a interrogé sur les nouveaux pouvoirs conférés au SCRS en vertu du projet de loi C-51, M. Plouffe a dit ceci :
Dans ce cas, le renvoi à la Cour fédérale en vue de l'obtention d'un mandat, pour ce qui est des éventuels nouveaux pouvoirs conférés au SCRS, constitue une forme de surveillance, qui est, selon moi, tout à fait adéquate.
Il ne s'agit pas d'un pouvoir unique ou sans précédent. Le Code criminel autorise la police à se livrer à des activités criminelles depuis plusieurs années, que ce soit pour procéder à une fouille ou mettre un téléphone sur écoute. J'ai beaucoup de mal à comprendre les personnes qui critiquent le fait que les demandes de mandat sont faites en secret, en l'absence de l'autre partie. Si la personne visée par le mandat était présente ou que les médias étaient invités, cela irait à l'encontre du but recherché.
La personne visée par une demande de mandat de perquisition ou d'écoute électronique n'est pas invitée à l'audition qui sert à déterminer si le mandat sera accordé.
Enfin, la dernière objection qui nous est souvent répétée est le manque de surveillance concernant l'exercice des pouvoirs accrus qui seront conférés au SCRS en vertu du projet de loi C-51. Pourtant, n'oublions pas que ces pouvoirs de réduction du danger ne pourront être employés qu'avec l'autorisation d'un juge. Une surveillance importante sera donc pratiquée d'entrée de jeu, mais il est certain qu'une surveillance en amont n'est pas l'équivalent d'un examen des résultats en aval.
Le rôle plus important que l'on donne au SCRS dans le projet de loi C-51 devra sans aucun doute s'accompagner d'une augmentation comparable de la capacité à surveiller l'exercice de ces nouveaux pouvoirs. Il a beaucoup été question d'une surveillance par les parlementaires, et c'est une idée que je trouvais personnellement intéressante de prime abord.
Après avoir écouté les experts comme l'ancien juge de la Cour suprême John Major, je ne suis pas convaincu que ce serait la forme la plus efficace de surveillance. Personnellement, je ne suis pas prêt à l'exclure pour l'avenir. Bien que cette question dépasse clairement la portée du projet de loi, j'encouragerais le Sénat à en discuter de nouveau dans un avenir pas trop lointain.
Néanmoins, selon d'autres témoins, un organisme d'examen bien financé et composé d'experts est susceptible d'être beaucoup plus efficace. Le gouvernement l'admet, et le budget qui vient d'être publié multiplie presque par deux l'enveloppe accordée au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.
Ce mois-ci, le premier ministre Harper a annoncé deux nominations au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. L'honorable Pierre Blais a été nommé président du comité. Il a déjà été juge en chef de la Cour d'appel fédérale et a aussi occupé le poste de solliciteur général et de ministre de la Justice au sein du gouvernement du Canada.
Marie-Lucie Morin est une ancienne conseillère à la sécurité nationale et secrétaire associée du Cabinet au Bureau du Conseil privé. Elle a été nommée membre du comité.
Plus tôt cette année, le premier ministre a nommé au CSARS Ian Holloway, doyen de la faculté de droit de l'Université de Calgary. M. Holloway a 26 années d'expérience militaire.
Grâce à ce nouveau financement et à ses membres qui comprennent bien les questions de sécurité, le CSRAS n'a jamais été aussi bien placé pour remplir son mandat visant à assurer une surveillance rigoureuse du Service canadien du renseignement de sécurité.
Comme je l'ai dit plus tôt, je pense que certaines critiques formulées à l'égard du projet de loi C-51 sont peut-être motivées par des considérations politiques, mais pas toutes. Beaucoup de Canadiens ne comprennent tout simplement pas l'ampleur de la menace. Nous sommes un pays pacifique, et, même si nous voyons à la télévision les images d'horreur d'attentats comme ceux survenus en France, en Grande-Bretagne, en Australie et aux États-Unis, beaucoup trop d'entre nous croient que ces attentats ne peuvent pas se produire ici, mais c'est faux.
Plus tôt, j'ai parlé du nombre de plus en plus important de Canadiens qui quittent le pays pour se joindre à l'EIIS en Irak et en Syrie. En août dernier, un rapport de Sécurité publique Canada a révélé qu'environ 80 d'entre eux sont revenus au pays. Ce nombre est sans aucun doute plus élevé maintenant.
Dans la plupart des cas, il y a fort à parier que ces gens ne sont pas rentrés au pays parce qu'ils ont changé d'idée. L'endroit où ils sont allés et la raison pour laquelle ils sont revenus devraient tous nous intéresser, pour ne pas dire nous inquiéter. Si nous réduisons notre capacité de contrer cette menace, le prix à payer pourrait être terrible.
L'ancien juge Major a dit ceci :
[...] il y a un grave problème de terrorisme au Canada. Nous ne pouvons pas nous contenter de mener une guerre timide contre cela [...] il faut donner certains pouvoirs aux gens pour débusquer les terroristes.
La Commission américaine sur les événements du 11 septembre a qualifié le manque de préparation du pays face à ces attentats meurtriers et monstrueux de « manque d'imagination ». Nous ne pouvons pas suivre cette voie.
Le projet de loi C-51 est une réponse raisonnable et mesurée à cette menace omniprésente et j'exhorte les sénateurs à l'appuyer.
L'honorable Anne C. Cools : J'ai une question.
L'honorable Ghislain Maltais (Son Honneur le Président suppléant) : Sénateur Runciman, acceptez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Runciman : Oui.
La sénatrice Cools : Honorables sénateurs, j'ai écouté attentivement l'intervention du sénateur et, comme vous le savez, je sais très bien que vous êtes un ancien solliciteur général pour qui les questions juridiques n'ont pas de secret.
Le terme « terrorisme » est relativement nouveau dans notre système juridique et notre jurisprudence. À l'époque où il a été créé et inscrit dans la loi, il a été longuement débattu et étudié attentivement, parce que, au fond, ce terme est très mal défini. À l'époque, si vous vous rappelez, un nombre considérable de juristes étaient d'avis que nous ne devions pas adopter le mot « terrorisme », parce que, par la force des choses, il serait utilisé à mauvais escient et interprété différemment à différentes occasions.
Puisque vous avez fréquemment utilisé le mot « terrorisme », pourriez-vous nous dire ce qu'est le terrorisme?
Le sénateur Runciman : Je n'ai pas accès à Wikipédia ou à un dictionnaire. À mon avis, la plupart des gens conviennent que les événements survenus au cours de la dernière décennie sont des actes de terreur. Je ne pense pas que cette mesure législative aille trop loin dans l'interprétation de ce qu'est un acte terroriste et je ne suis pas inquiet de l'interprétation qu'en fera le SCRS. Je pense qu'il utilisera ses pouvoirs avec parcimonie.
Le SCRS sait qu'utiliser ses pouvoirs à mauvais escient remettrait en question sa légitimité. Je pense donc que ces préoccupations sont exagérées. Puisque vous voulez entrer dans les détails techniques de la définition de « terrorisme », je vous invite à faire une lecture attentive du projet de loi afin de comprendre le genre d'initiatives qui pourraient être entreprises.
La sénatrice Cools : Honorables sénateurs, je comprends cela. Je ne dis pas que ce n'est pas justifié dans l'ensemble. Toutefois, il y a bien des années, lorsque nous avons eu le problème du FLQ et des événements de l'époque, nous avions parlé d'attentats à la bombe, et cetera. Aujourd'hui, nous entendons le mot « terrorisme », mais personne ne sait vraiment ce qu'il signifie.
Le problème de ce mot est qu'il a de vastes connotations politiques et qu'il suscite fortement la terreur. Il y a quelque chose dans le mot « terrorisme » qui terrifie les gens. Je veux être sûre ou, plutôt, je veux être encouragée à croire que ce n'est pas l'effet recherché dans ce projet de loi, qui semble suggérer que le pays et les Canadiens sont tellement en danger que des terroristes peuvent frapper à n'importe quel instant.
(1500)
Quand je regarde quelques-unes des lois que le projet de loi modifie, je me demande si c'est vraiment nécessaire. Lorsque le SCRS avait été séparé de la GRC aux alentours de 1980, si je m'en souviens bien, on s'était beaucoup inquiété au Sénat de ce que cette initiative avait pour but de limiter strictement ses activités au renseignement de sécurité, sans qu'il soit fait mention d'activités quelconques de prévention, d'activités défensives ou de questions de politique, si je peux m'exprimer ainsi. Il s'agissait exclusivement d'un organisme de collecte d'information.
À l'époque, plusieurs se sont opposés à la séparation, et beaucoup d'autres l'ont appuyée. Le SCRS faisait alors partie de la GRC, comme nous nous en souvenons.
Sur quelle base le gouvernement cherche-t-il à le rapprocher de la situation dans laquelle il était il y a bien des années?
Le sénateur Runciman : Sénatrice, les activités préventives de contre-terrorisme sont beaucoup plus axées sur le renseignement de sécurité que les enquêtes criminelles.
Les contraintes actuellement imposées au SCRS mettent la sécurité du pays est en danger. Même si le SCRS est le premier à détecter les menaces, il n'a ni les moyens ni le pouvoir d'intervenir directement. Le projet de loi lui donnera ce pouvoir au chapitre des activités de perturbation. Ces activités peuvent simplement consister à approcher une famille pour parler aux parents d'un jeune, s'il est clairement établi que celui-ci est en train d'être radicalisé et prévoit aller dans un pays faisant l'objet d'une attaque ou en situation de guerre civile afin de s'y livrer à des activités terroristes.
Par conséquent, je crois qu'il y a des explications très valables aux changements proposés dans le projet de loi. Les plus importants visent à renforcer la sécurité de notre pays. Il n'y a aucun doute, je crois, que le projet de loi permettra d'atteindre cet objectif dans une grande mesure.
L'honorable Percy E. Downe : Je suppose que le sénateur acceptera de répondre à une autre question. Vous avez mentionné dans votre discours le CSARS, ou Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. L'une des principales préoccupations tient à l'absence d'une surveillance parlementaire publique. Le premier ministre Mulroney et d'autres avaient l'habitude de nommer un membre éminent de chaque parti politique au CSARS. Ray Speaker y a siégé à un moment donné, de même que Gary Filmon, Bob Rae et d'autres.
Cette tradition est tombée en désuétude. Seriez-vous en faveur de faire participer d'anciens parlementaires aux travaux du CSARS?
Le sénateur Runciman : Personnellement, non. J'ai indiqué, dans mes observations, que si l'autre endroit ne souhaite pas aller plus loin à cet égard, je préconiserais que le Sénat prenne connaissance d'une étude menée par le sous-comité sur l'antiterrorisme, sous la direction du sénateur Segal, qui avait recommandé la création d'un comité parlementaire mixte de surveillance. Je crois que c'est la voie à suivre. Il s'agirait d'une surveillance complémentaire.
Grâce aux compétences spécialisées de personnes telles que le juge Blais et d'autres, qui sont actuellement nommés au CSARS, le comité sera beaucoup plus efficace.
Je continue d'être favorable à l'idée d'associer des parlementaires aux travaux d'une façon ou d'une autre. La façon d'y parvenir devrait être étudiée encore une fois par le Sénat, mais il ne faudrait pas attendre trois ou quatre ans pour le faire. J'ai eu un entretien à ce sujet avec le président du Comité de la sécurité nationale au début de la semaine dernière. C'est une chose qu'il faudrait envisager dans la prochaine année. Nous devrions agir rapidement dans ce dossier et faire en sorte que le Sénat formule les recommandations qu'il jugera utiles.
Il vaudrait peut-être la peine d'examiner l'exemple britannique pour voir s'il est possible de le prendre pour modèle au Canada.
L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Sénateur Runciman, j'ai beaucoup apprécié vos observations sur la surveillance. Comme nous, vous savez — corrigez-moi si je me trompe — que le CSARS assure exclusivement la surveillance du SCRS, quoique la police exerce aussi une certaine forme de surveillance. Toutefois, si j'ai bien compris, il n'y aura aucune surveillance relativement à l'information qui sera échangée entre 17 ministères ainsi qu'avec des pays étrangers.
Croyez-vous qu'il y aura une surveillance générale de l'ensemble des ministères fédéraux au chapitre de la sécurité?
Le sénateur Runciman : Je précise d'abord que l'échange d'information n'est pas obligatoire. Je ne suis donc pas sûr de savoir de quoi vous parlez lorsque vous évoquez des échanges de renseignements avec des gouvernements étrangers. Je sais qu'une affaire traitant de cette question ainsi que de critiques adressées au SCRS à cet égard doivent se rendre devant la Cour suprême.
Quant aux questions que nous devrons examiner à l'avenir, des représentants du CSARS en ont parlé dans le contexte de l'élargissement du mandat du SCRS. Lorsqu'ils ont comparu devant le comité, ils n'avaient pas eu l'occasion d'évaluer les effets des hausses budgétaires et n'avaient pas pu déterminer s'ils disposaient ainsi de ressources suffisantes pour faire le travail qu'on leur confie. Nous devrons suivre cela de très près et faire des rajustements au besoin.
Les mesures que nous prenons assureront une importante surveillance. Nous avons entendu plusieurs témoins qui nous ont rassurés à cet égard.
La sénatrice Jaffer : Puis-je poser une autre question? Sénateur, vous avez rempli les fonctions de solliciteur général avant d'arriver au Sénat. Je vous ai écouté très attentivement. Il n'y a pas de doute qu'une sérieuse menace terroriste pèse sur notre pays. Personne ici ne prend cela à la légère. Toutefois, après avoir examiné des mesures législatives antiterroristes pendant les 14 ans que j'ai passés au Sénat, j'en suis venue à la conclusion qu'il ne suffit pas d'adopter des lois sévères, mais qu'il faut également rétablir l'équilibre en étudiant les causes profondes du terrorisme.
Je suis inquiète de voir que nous adoptons toutes ces lois, mais que nous ne nous sommes pas encore attaqués aux causes profondes. Croyez-vous que ce projet de loi soit différent à cet égard?
Le sénateur Runciman : Non, il n'aborde pas cette question. Je crois cependant, d'après les témoignages que nous avons entendus — je pense que vous étiez présente et que c'était en réponse à une question que vous avez posée aux fonctionnaires —, que des efforts réels sont déployés pour communiquer avec les différentes communautés du pays afin de mieux comprendre ce qui se passe et d'agir sur les deux fronts, si vous voulez. Bref, on fait des efforts.
Pour ce qui est des causes profondes, je ne suis pas sûr que ce projet de loi soit très indiqué pour agir sur ce plan. Il n'en reste pas moins que c'est une question que nous devrons, sans nul doute, suivre de très près.
L'honorable Grant Mitchell : Je suis le porte-parole officiel pour le projet de loi C-51. Bien que je respecte et admire l'exposé présenté par le sénateur Runciman — un exposé réfléchi, bien pensé et présenté avec la sereine dignité dont le sénateur fait toujours preuve —, je dois dire que j'ai plusieurs raisons d'être en désaccord avec lui.
Je voudrais dire, avant de commencer, que nous avons eu un très bon processus d'examen de ce budget grâce à l'étude préliminaire, qui n'est pas souvent faite et que je n'encourage pas souvent. Toutefois, l'étude préliminaire nous a permis d'entendre quelques très bons témoins qui nous ont présenté les deux côtés de l'affaire. J'ai cependant été plus impressionné par ceux qui ont exprimé des inquiétudes. Je vais en expliquer les raisons.
(1510)
Je n'ai pas l'habitude de nommer des témoins, mais, aujourd'hui, j'aimerais souligner le travail effectué, entre autres, par Craig Forcese et Kent Roach, qui ont littéralement consacré leur vie à l'analyse de cette mesure et du projet de loi C-44 au cours des derniers mois. Les professeurs Craig Forcese et Kent Roach enseignent à l'Université d'Ottawa et à l'Université de Toronto, respectivement. Ces deux témoins ont présenté d'excellents exposés.
Presque tous les témoins, la plupart des Canadiens et, très certainement, mes collègues du caucus et moi acceptons la prémisse qui est à l'origine du projet de loi, soit que le terrorisme pose problème. Nous ne pouvons pas en faire fi. Nous devons être conscients de ce problème, qui comporte deux volets : le terrorisme d'origine intérieure qui peut s'exprimer avec violence au Canada, et le terrorisme d'origine intérieure qui se manifeste lorsque des Canadiens quittent le pays pour aller se battre pour des causes terroristes à l'étranger.
Il ne faut surtout pas prendre ce problème à la légère. Personne, parmi ceux d'entre nous qui s'opposent au projet de loi, ne prend ce problème à la légère. Pour ma part, je ne le prends certainement pas à la légère.
À l'étape de la deuxième lecture, nous débattons du principe d'un projet de loi. Le gouvernement, représenté de façon très compétente par le sénateur Runciman, affirme que le principe du projet de loi consiste à assurer la sécurité des Canadiens — protéger les Canadiens et élargir simplement la portée de certaines lois pour atteindre cet objectif.
J'ai vécu récemment une expérience qui m'a bien fait comprendre le revers de la médaille, à savoir que cela n'est pas véritablement le principe du projet de loi. Le principe fondamental du projet de loi ne consiste pas simplement à assurer la sécurité des Canadiens; il vise plutôt à atteindre un équilibre entre la sécurité des Canadiens et la protection de leurs droits et libertés civiles. Voilà le principe fondamental du projet de loi, mais on n'en tient pas compte adéquatement. C'est pourquoi j'ai beaucoup de difficulté à appuyer le projet de loi. En fait, à moins que, au cours du débat, on réussisse à me convaincre du contraire — ce qui m'étonnerait énormément, compte tenu de tout ce que j'ai entendu jusqu'ici à ce sujet —, je vais voter contre le projet de loi.
L'importance des droits et de la protection de ceux-ci est, bien entendu, inhérente à notre institution et au Sénat. Cela fait tout simplement partie de nos responsabilités explicites et de notre mandat. L'importance des droits et leur fragilité se sont manifestées tout récemment pour moi. Omar Khadr est mon voisin. Son avocat habite de l'autre côté de ma clôture, à quelques maisons de chez moi. Je ne suis ni offusqué ni inquiet du fait qu'Omar Khadr soit mon voisin.
Ce qui me préoccupe, c'est que, à mesure que j'ai compris davantage l'affaire Omar Khadr, j'ai commencé à comprendre à quel point ses droits ont été bafoués à toutes les étapes du processus, à divers degrés, au point où un enfant soldat de 15 ans a été traité comme nul autre ne l'a été dans le monde entier à cause de la guerre en Afghanistan. Je pense qu'il est la seule personne à avoir été reconnue coupable de ce genre de crime — c'est-à-dire de meurtre — pendant la guerre en Afghanistan. Il a été reconnu coupable de crimes et condamné à des peines qui n'existaient même pas et qui n'ont été créés qu'après qu'il eût posé les gestes qu'il a posés.
Nous l'avons laissé croupir en prison et être torturé. Nous l'avons abandonné là bien plus longtemps que d'autres pays occidentaux y ont abandonné leurs prisonniers. Nous l'avons laissé à Guantanamo malgré le fait qu'il était de notre responsabilité et de notre devoir de le ramener au Canada et de le juger ici. Nous nous sommes plusieurs fois rendus coupables de ne pas protéger ses droits.
Cela fait ressortir le problème beaucoup plus clairement. Ce qui est vraiment en jeu dans ce projet de loi, c'est qu'il faut effectivement protéger les Canadiens et assurer leur sûreté et leur sécurité. C'est une priorité absolue et le gouvernement continue de dire qu'il s'agit de sa grande priorité. Mon point de vue, c'est que, bien que ce soit là une priorité, la protection des droits et des libertés civiles de tous les Canadiens doit être une priorité équivalente. Ce sont ces droits qui sont menacés par ce projet de loi.
La question a été traitée très clairement par l'Association du Barreau canadien dans son témoignage aux comités des deux Chambres du Parlement. Voici :
La principale question est la suivante : « Le projet de loi trouve-t-il le bon équilibre entre l'objectif de rehausser les pouvoirs de l'État pour gérer les risques et celui de protéger les citoyens en préservant leur droit à la vie privée et leurs libertés personnelles? »
Je dirais, en un mot, que la réponse est : non.
En accroissant les pouvoirs du gouvernement, ce projet de loi a pour simple effet de permettre l'ingérence ou un risque accru d'ingérence dans les affaires des Canadiens sans prévoir de contrepoids ou de surveillance dignes de ce nom et sans faire le moindre effort pour limiter la façon dont cette ingérence pourrait nuire à des Canadiens qui ne seraient impliqués d'aucune façon dans des actes, des menaces ou des activités terroristes.
J'entame mon analyse de ce projet de loi en disant qu'il porte uniquement sur des lois. Le sénateur Runciman a très bien décrit les cinq secteurs dans lesquels on a ajouté des lois ou abaissé la barre servant à déterminer ou à limiter l'application d'une loi. Ces secteurs se rapportent, bien entendu, à la communication d'information; aux pouvoirs du SRCS; à la création, à l'extension et au maintien de la liste d'interdiction de vol; au Code criminel; et, enfin, aux processus d'auditions aux fins de l'immigration. Nous n'allons pas régler notre problème de terrorisme au Canada en procédant à des arrestations. Quand on en vient à avoir besoin de lois et d'arrestations, il est bien trop tard.
J'ai été interpellé par le nombre d'agents de police de tous grades — des officiers supérieurs en particulier, et certains très haut placés — qui ont affirmé que certaines de leurs meilleures journées sont celles où ils travaillent avec les collectivités à interdire, à contrer, à dissuader et à détourner les criminels ou les personnes susceptibles de le devenir ou de commettre des actes terroristes avant que cela devienne réalité.
Ce que suppose le projet de loi, c'est qu'on réglera le problème en légiférant. C'est impossible. La première réserve que j'exprimerais au sujet du projet de loi, c'est qu'il est présenté en l'absence d'une stratégie globale. Quels seraient les éléments importants d'une telle stratégie? Premièrement, je pense que c'est évident, mais les témoins affirment qu'il faut approfondir la recherche. On ne comprend pas toujours très bien les causes du processus de radicalisation. Des centaines de milliers de personnes sont exposées au même type de « propagande ». Beaucoup fréquentent les lieux mêmes où certains soupçonnent qu'ont cours des activités de radicalisation, et pourtant, les personnes radicalisées au point de participer à une activité terroriste à quelque niveau que ce soit sont rares.
L'une des choses qui m'ont frappé, surtout dans le cadre de notre étude sur la radicalisation en général, c'est à quel point les témoins avaient de la difficulté avec la question, car notre compréhension du sujet est toujours superficielle; cela dit, ce n'est pas une critique des témoins qui ont comparu devant nous. Plusieurs des témoignages étaient de type anecdotique. Il existe peu d'études scientifiques de vaste portée prouvant empiriquement quels sont les rouages du processus de radicalisation et ce qui amène quelqu'un à s'intéresser au terrorisme.
Toute stratégie doit reposer sur la recherche. Le projet Kanishka est un excellent programme gouvernemental, mais son financement tire à sa fin et rien ne porte à croire qu'il sera renouvelé. Ce serait le premier élément d'une stratégie.
Il faut, en guise de deuxième élément, élaborer des programmes de prévention. Il faut les mettre en œuvre, sous diverses formes, dans toutes nos collectivités, à tous les niveaux de la société.
Premièrement, les services de police ont besoin de financement pour effectuer des activités de liaison avec la communauté. Voilà qui peut exiger beaucoup de temps. Il faut du personnel, de la patience et des policiers bien formés. Soulignons par ailleurs que la demande à cet égard est énorme actuellement, étant donné la menace qui plane.
(1520)
La GRC a retiré 600 employés de diverses enquêtes pour les réaffecter à lutte contre le terrorisme. Ces 600 personnes ne travaillent pas directement et quotidiennement auprès des communautés afin de forger des liens et d'apprendre ce qui se passe avant que la radicalisation ne se produise. Il faut des ressources pour aider les policiers à cet égard — pas seulement la GRC, mais aussi les services de police municipaux partout au pays — et pour former du personnel si on veut mettre en œuvre ce genre de programme communautaire.
Les communautés ont besoin de ressources. Parmi les communautés sur lesquelles on veut axer le débat, certaines ne sont pas riches. D'autres n'ont pas de structure ou de leadership unifié. Les communautés ont besoin de ressources pour pouvoir intervenir elles-mêmes auprès des jeunes en difficulté. Cet aspect est ressorti clairement au fil des témoignages entendus et de notre étude de la question.
Il nous faut des fonds adéquats. La stratégie doit être assortie d'un financement. Comme je l'ai mentionné, la GRC a réaffecté à la lutte contre le terrorisme 600 de ses agents qui enquêtaient sur le crime financier, le crime organisé et les stupéfiants. À eux seuls, ces 600 agents — qui n'ont pas été remplacés — représentent une somme de 110 à 120 millions de dollars par année. Selon la façon dont on interprète le budget annoncé récemment, le gouvernement entend verser 20 millions de dollars par année à la GRC. Ce n'est pas suffisant. Les représentants du SCRS ont eux aussi indiqué qu'ils sont près de manquer de ressources.
Si les projets de loi C-51 et C-44 sont de nouveaux outils mis à la disposition des corps policiers et des services de renseignement nationaux, ceux-ci n'auront pas le personnel nécessaire pour les utiliser. Même s'il s'agissait d'une bonne solution, ces organisations n'auraient pas le personnel requis pour se prévaloir des mesures énoncées dans ces projets de loi ou les mettre en œuvre. Des ressources adéquates pour les corps policiers, les services de renseignement, les groupes et les programmes communautaires, voilà ce qui devrait faire partie de toute bonne stratégie, mais qui fait cruellement défaut dans le cas qui nous occupe.
Il faut faire preuve de prudence dans nos propos; il s'agit de l'un des éléments les plus importants de cette stratégie, mais aussi de l'un des plus subtils. En effet, il est extrêmement important de ne pas isoler, désigner précisément ou ostraciser certaines communautés. On peut intuitivement le supposer, mais des policiers hauts gradés n'ont cessé de nous répéter que, lorsqu'on ostracise une communauté, on l'isole encore plus, et on croit généralement qu'une telle situation est l'une des causes de la radicalisation. Il est question ici des personnes qui s'isolent, se retirent de la société et se replient sur elles-mêmes. Dans un tel cas, il est également difficile pour les corps policiers et les services de renseignement de mener des enquêtes adéquates car, si une communauté est isolée et ostracisée, il est moins probable qu'elle estime pouvoir faire confiance aux autorités, et donc, il est aussi moins probable qu'elle établisse des liens avec les autorités et leur fournisse les renseignements dont elles ont besoin pour couper court à ces activités avant qu'elles s'intensifient et atteignent un seuil critique.
Le dernier aspect que j'ai fait valoir en ce qui concerne l'ostracisme est extrêmement important à bien des égards. Je tiens à préciser une chose : si nous nous concentrons seulement sur certains groupes, nous risquons de limiter le cadre de référence et de ne pas accorder la même importance à d'autres sources possibles d'activités terroristes, limitant d'autant nos interventions visant à lutter contre le terrorisme. Comme je l'ai mentionné, si on ostracise et désigne précisément certains groupes, on risque aussi de se les mettre à dos, de favoriser encore plus leur radicalisation et peut-être même de les décourager de collaborer avec les autorités. Ce n'est pas nécessairement ainsi que les choses devraient se passer, mais c'est une réaction humaine, et il est question ici d'un processus qui revêt un aspect très humain.
Au final, la stratégie doit également trouver l'équilibre entre les pouvoirs donnés par l'État aux autorités policières et aux organismes de sécurité nationale et la protection de nos droits. L'un des éléments les plus importants de cette partie de la stratégie est une surveillance adéquate. De prime abord, il y a suffisamment d'éléments de fait pour dire que la surveillance n'est pas adéquate. J'ai été encouragé par ce qu'a dit le sénateur Runciman, à savoir qu'il ne fermerait pas la porte à une surveillance parlementaire, même s'il a certaines réserves; je respecte cela. Les preuves ne manquent pas; je vais en parler au fil de mon discours.
La deuxième partie de mon discours porte sur ce que j'appelle une attaque généralisée contre les droits. Je ne dirais pas que nous n'avons « aucun droit », mais nous assistons à bien des égards à une grave attaque contre les droits. Le sénateur Runciman et moi voyons d'un œil bien différent la nouvelle catégorie de mandats pour le SCRS qui « autoriserait le SCRS à prendre des mesures perturbatrices ». C'est sans précédent. D'autres mandats dans notre système — il y en a, en gros, deux types — ne contreviennent pas à la Charte des droits. En fait, la Charte des droits a été rédigée avec grand soin pour nous assurer que la principale catégorie qui vise les mandats de perquisition et de saisie est incluse dans la Charte des droits lorsque des motifs raisonnables sont invoqués et que l'approbation se fait dans les règles.
Il y a de nombreux éléments du processus d'obtention des mandats pour activités criminelles qui le rend beaucoup plus acceptable. La principale raison est qu'il ne contrevient pas à la Charte des droits. Il y a d'autres éléments, par exemple, la personne ciblée par un mandat doit en être avisée. Même si c'est peut-être moins pertinent dans le cas du terrorisme, si la cible se trouve à l'étranger, il faut tout de même protéger les droits bafoués et les intérêts de l'autre partie — pas nécessairement ceux de la personne — dans le cadre du processus d'obtention de tels mandats. Il n'y a aucune indication ou disposition pour protéger ces droits. Lorsqu'une demande est présentée pour obtenir l'un de ces mandats, le juge devrait pouvoir ou devoir nommer un avocat spécial pour représenter les intérêts généraux de la société lors de l'obtention d'un mandat qui pourrait empiéter sur des droits garantis par la Charte, voire carrément les bafouer. Il est très important que l'autre partie — la société, le côté droit — soit incluse dans ce qui serait maintenant un processus d'octroi d'un mandat en l'absence d'une partie.
Aucune disposition ne prévoit un suivi. On nous affirme que le CSARS devra assurer un suivi de chaque mandat, sauf que le CSARS est un très petit organisme. Même si son budget est passé de 2,7 à 5,4 millions de dollars, si je ne m'abuse, rien ne permet de supposer que c'est suffisant, puisque les responsables ont signalé dès le départ que l'organisme était déjà nettement sous-financé.
Contrairement aux mandats relatifs à des infractions criminelles, qui n'aboutissent pas tous devant les tribunaux, ce qui laisse la possibilité qu'au moins certains d'entre eux fassent l'objet d'une réflexion ouverte et conforme à la procédure, il y aura très peu de mandats du SCRS qui seront mis en cause devant une instance judiciaire.
Voilà qui soulève un autre problème : les mandats du SCRS risquent en fait de sacrifier la probabilité de poursuites fructueuses, car l'éventuel élément de preuve qui repose sur l'information obtenue au moyen d'un mandat portant atteinte à la Charte des droits et libertés ne sera pas admissible devant les tribunaux. À cause de la manière dont elle est structurée, cette disposition, à l'instar d'autres dispositions du projet de loi, risque concrètement de sacrifier la probabilité de poursuites fructueuses.
Il y a un autre problème : les mandats conféreront des pouvoirs perturbateurs au SCRS. Je me dois d'ailleurs de préciser que le SCRS pourra mener tout un éventail d'activités jusqu'au moment de demander un mandat.
(1530)
Ce n'est que lorsqu'il décidera lui-même que ce qu'il veut faire, peu importe de quoi il s'agit, contreviendra à la Charte canadienne des droits qu'il devra demander un mandat — non pas que ce qu'il veut faire pourrait ou risquerait de contrevenir à la Charte, mais bien que cela y contreviendra. Il ne s'agit pas seulement de parler aux parents d'un jeune potentiellement radicalisé. Les activités perturbatrices vont de ce type d'activité — et c'est assurément ce que le gouvernement fait valoir — jusqu'à une détention. Nous ne le savons pas. Cela pourrait aller jusqu'à l'interrogatoire impitoyable. Nous ne le savons pas. Chose certaine, à défaut d'avoir au moins un représentant spécialement désigné pour défendre la partie adverse, une telle situation pourrait être plus probable.
Essentiellement, ces pouvoirs perturbateurs font encore une fois du SCRS un corps policier plutôt qu'un service de renseignement. La grande ironie, c'est que le SCRS a été créé au départ parce que le corps policier chargé du renseignement, la GRC, avait dépassé les bornes dans le cadre de ses activités en brûlant une grange pour mettre fin à une réunion qui, d'une certaine façon, était associée à des actes séditieux ou nuisait à la sécurité. C'est l'incendie de cette grange qui a fini par précipiter la création du SCRS en tant qu'organisme manifestement distinct chargé des activités de renseignement et non du maintien de l'ordre. Ce projet de loi rapprocherait le mandat du SCRS de celui d'un corps policier, et l'en rapprocherait beaucoup.
Le projet de loi renforcera également la capacité du gouvernement d'inscrire le nom d'un particulier sur la liste d'interdiction de vol. Nous avons maintenant une liste d'interdiction de vol, et nous allons accroître la capacité du gouvernement d'y ajouter des noms. Le problème, c'est que rien n'oblige les tribunaux ou le gouvernement à informer quelqu'un de la raison pour laquelle son nom figure sur la liste. Même si cette personne porte la décision en appel, rien ne les oblige à lui dire ce qu'on lui reproche. Elle devra donc interjeter appel sans connaître entièrement la raison pour laquelle son nom figure sur la liste. Cela nuit et porte fondamentalement atteinte à l'application régulière de la loi. C'est une intrusion fondamentale dans les droits des gens. Comment nous sentirions-nous si notre nom se retrouvait par erreur sur cette liste? Nous ne pourrions même pas savoir pourquoi, même si nous interjetions appel. Nous n'aurions même pas de représentant spécialement désigné pour défendre nos intérêts dans le cadre de ce processus.
Même si le ministre est tenu d'examiner cette liste dans les 90 jours suivant la date où une personne y est inscrite, il n'y a aucune disposition pour permettre un examen plus rapide lorsqu'il y a clairement eu une erreur ou lorsque de nouvelles circonstances qui concernent la personne en question font en sorte que l'examen devrait être effectué plus tôt. Par ailleurs, une fois que la période de 90 jours est écoulée, si le gouvernement ne dit rien, on ne peut rien y faire. Le gouvernement n'est pas tenu d'aviser la personne concernée. On peut demeurer sur la liste sans savoir pourquoi. Voilà une autre façon dont le projet de loi porte atteinte aux droits individuels.
De plus, le projet de loi crée une nouvelle définition plus large de l'infraction visant la promotion du terrorisme en général. Le projet de loi dit qu'il suffit de le faire sciemment. Il n'est pas nécessaire de le faire volontairement, ni en ayant une idée précise en tête. Il suffit de le faire sciemment. Or, cela pose problème sur le plan juridique et sur le plan des droits, particulièrement en ce qui a trait à la désobéissance civile. La désobéissance civile est un principe de la société démocratique. Elle consiste à défendre son point de vue, à manifester, et à poser des gestes qui vont à l'encontre de la loi en sachant qu'on enfreint la loi. Qu'il s'agisse de bloquer une route ou l'endroit où on prévoit faire passer un oléoduc, la désobéissance civile est un principe tout à fait acceptable dans une saine démocratie. L'aspect fondamental de la désobéissance civile est que la personne qui la pratique accepte que l'État finisse par pouvoir lui faire obstacle ou la punir pour son geste. Or, ce projet de loi propose une définition si vaste de ce qui constitue une activité terroriste qu'on ne peut absolument pas être sûr qu'il ne visera pas un groupe autochtone ou un groupe environnemental en faisant en sorte que leurs gestes de désobéissance civile légitimes, qui reflètent leur droit démocratique de s'opposer à l'État, soient considérés comme des activités terroristes qui nuiraient en quelque sorte à la sécurité du Canada.
Nous avons reçu beaucoup de commentaires des groupes autochtones à cet égard. Le comité a reçu une lettre de l'union des chefs indiens de la Colombie-Britannique signée, entre autres, par le grand chef Stewart Phillip. Les signataires de cette lettre font valoir d'excellents arguments. Ils reviennent notamment sur des événements survenus à la fin de 2014, quand le président de l'union, le grand chef Stewart Phillip :
[...] est intervenu en faveur de ceux qui s'opposaient à la proposition de Kinder Morgan relativement à l'expansion du pipeline Trans Mountain sur des terres non cédées appartenant aux Salish du littoral. Le 27 novembre 2014, le grand chef Stewart Phillip a franchi le cordon policier alors que Kinder Morgan procédait à des opérations de forage exploratoire sur le mont Burnaby dans le cadre du projet d'expansion du pipeline. Au cours de ces manifestations, qui ont duré des semaines, plus de 24 défenseurs des terrains boisés publics ont été arrêtés, y compris le grand chef Steward Phillip.
Si le projet de loi C-51 entre en vigueur et que quelqu'un — le gouvernement — juge qu'un oléoduc est une infrastructure essentielle pour la sécurité du Canada — je suis convaincu qu'on peut trouver des arguments économiques en ce sens —, comment peut-on être certain que ce genre de manifestation, pourtant légitime dans une société démocratique qui fonctionne normalement, ne sera pas perçu comme une activité terroriste? Je le répète, le projet de loi s'en prend à nos droits.
Au titre du projet de loi, les activités de défense du terrorisme doivent être commises « sciemment » pour être considérées comme un affront ou une activité criminelle. On pourrait adoucir cette formulation en remplaçant « sciemment » par « volontairement ». Cela serait particulièrement pertinent lorsqu'il est question d'activités de défense, de propagande ou de simples discussions.
Je trouve également extrêmement déconcertant que cette disposition particulière ne jette pas les bases d'une défense acceptable. C'est pourtant chose commune dans le Code criminel pour des questions de cette nature. Dans le cas qui nous occupe, on ne définit aucune défense qui pourrait être invoquée en réponse à des accusations d'activités de défense du terrorisme — on aurait pu mentionner l'intérêt public ou l'éducation.
Quant aux audiences concernant l'immigration et les certificats de sécurité — un autre domaine où les droits sont menacés — jusqu'ici, elles se déroulent souvent à huis clos. Par exemple, la personne dont le certificat de sécurité est en cause n'assiste généralement pas aux audiences, mais se fait représenter par un avocat spécial. La disposition relative à l'avocat spécial sera maintenue. Désormais, cependant, le gouvernement pourra déterminer les renseignements qui seront fournis à l'avocat spécial. Ainsi, les poursuivants qui tâcheront de gagner la cause et d'empêcher l'attribution du certificat de sécurité seront ceux-là mêmes qui diront à la défense quels renseignements elle peut obtenir. Or, de nombreux avocats spéciaux ont affirmé avec force — et les données le confirment — qu'il y a des cas où cela peut susciter un sérieux problème en ce qui concerne les droits de la personne qui demande un certificat de sécurité.
Par ailleurs, le projet de loi donne, de façon très subtile, au ministère des Transports des pouvoirs de perquisition et de saisie qui lui permettent de chercher et de prélever sans mandat des renseignements contenus dans des ordinateurs et des téléphones. En outre, il assouplit les critères concernant la détention préventive et les engagements de ne pas troubler l'ordre public. À l'heure actuelle, la police peut mettre quelqu'un en détention pour trois jours. Elle le pourra désormais pour sept jours. Il sera également plus facile d'imposer des engagements de ne pas troubler l'ordre public.
(1540)
On pourrait faire valoir, selon moi, que personne au Canada n'a encore eu recours à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, et que rien n'indique que la structure actuelle de cet engagement serait à l'origine de cette situation. Rien n'indique, non plus, que le processus actuel de détention préventive n'est pas efficace.
Dans ce contexte, il devrait revenir au gouvernement de prouver qu'il est nécessaire de réduire les exigences à satisfaire pour une détention préventive ou un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Nous n'avons tout simplement pas de preuves adéquates démontrant que ce changement est justifié. On peut se demander, en fait, si la situation actuelle pose réellement problème, et si le possible manque d'efficacité de ces options pourrait venir du fait que les policiers mettent l'accent sur d'autres outils, n'ont pas tendance à penser qu'ils ont besoin de ces options, ou ne voient pas le rôle important qu'elles pourraient jouer dans un contexte de terrorisme, lorsqu'on veut empêcher que certains événements aient lieu.
Une autre grande catégorie de droits est en jeu, celle des droits concernant la protection de la vie privée. Je songe ici à la partie du projet de loi qui a trait à la Loi sur la communication d'information. En principe, les changements proposés pourraient avoir du bon. Le projet de loi permettrait l'échange de renseignements entre les 17 organismes gouvernementaux nommés. Le juge O'Connor a déclaré clairement, à propos de l'affaire Arar, que la non-communication de renseignements causée par les silos gouvernementaux posait problème. Selon toute probabilité, elle pose toujours problème. Le juge O'Connor a même ajouté que, si le SCRS et la GRC avaient partagé des renseignements, on aurait probablement pu éviter la catastrophe d'Air India.
Je ne crois pas que les silos devraient demeurer intacts, au contraire. Il faut les faire tomber, et c'est un aspect important de ce projet de loi. Encore une fois, le changement proposé a toutefois une portée plus vaste qu'il n'est nécessaire. On pourrait le restreindre sans augmenter les coûts et sans empêcher que la disposition atteigne l'objectif visé. À titre d'exemple, il serait possible d'établir des ententes entre les agences et ministères qui communiqueront des renseignements et les 17 agences qui pourront les recevoir. À l'heure actuelle, rien n'empêche d'établir des ententes ou des protocoles d'entente, mais ils ne sont pas exigés. Et aucune disposition ne prévoit une supervision structurée et continue des ententes et des protocoles qui pourraient être conclus.
Comme le disait le sénateur Runciman, le CSARS contrôle effectivement les activités du SCRS, ce qui veut dire qu'il a bel et bien accès à tous les renseignements que reçoit le SCRS. Sauf qu'il n'a pas vraiment accès aux renseignements que transmet le SCRS, parce qu'il n'est pas autorisé à s'intéresser à autre chose que ses activités. Il ne peut pas suivre le fil d'une information ou d'une menace à l'extérieur du cadre des activités du SCRS.
Ce problème serait facile à régler. Il suffirait de créer un mécanisme d'examen plus rigoureux — un genre de super-CSARS — et de le doter des ressources nécessaires pour étudier ces protocoles d'entente. On pourrait aussi envisager de doter le Commissariat à la protection de la vie privée des ressources nécessaires pour superviser ce processus et le charger de s'assurer que les protocoles d'entente sont bel et bien signés — et suivis.
Je signale que non seulement il sera possible pour une centaine d'organismes gouvernementaux de communiquer de l'information aux 17 organismes désignés et pour ces 17 organismes désignés d'échanger de l'information entre eux, mais que le Canada entretient aussi des relations lui permettant de recueillir de l'information auprès de 290 organismes internationaux et pays et de leur en transmettre en retour — 290! Or, rien n'oblige qui que ce soit à signer un protocole d'entente définissant l'usage qui peut être fait de ces renseignements. En fait, le projet de loi n'établit pas de limite. Au contraire, il prévoit expressément qu'une fois l'information communiquée au SCRS ou à l'Agence du revenu du Canada, qui font partie des fameux 17 organismes désignés, ou même à l'Agence des services frontaliers du Canada ou à n'importe quel des membres de ce groupe, rien ne permet à l'entité ou au ministère d'où provient l'information en question de restreindre l'utilisation qui en sera faite. L'organisme ou le ministère à qui l'information est communiquée peut en faire ce qu'il veut. Il est difficile de ne pas faire le lien avec l'affaire Arar.
D'aucuns ont laissé entendre qu'il suffit que l'information communiquée soit pertinente. Il s'agit d'un seuil beaucoup moins élevé que celui qui figure dans les lois sur la protection de la vie privée et d'autres, qui précisent que la collecte d'information doit être nécessaire et proportionnelle au besoin. Déjà, si le texte précisait que la communication d'information doit être nécessaire et proportionnelle au risque pour la sécurité nationale, ou au risque tout court, les droits de la personne risqueraient moins d'être compromis. Le projet de loi ne précise même pas qu'il doit s'agir d'information relative au terrorisme. Il ne dit pas que l'information communiquée au détriment de nos droits doit avoir un lien avec le terrorisme. Elle pourrait porter sur à peu près n'importe quoi, en fait. En réalité, le texte énonce neuf raisons, mais là encore, les définitions qu'il en donne sont extrêmement vastes.
Les renseignements transmis peuvent aussi être conservés indéfiniment. On ne précise pas quand ils doivent être détruits.
Tout cela est particulièrement déconcertant quand on pense que l'ARC est l'une des 17 institutions destinataires et qu'elle communique des renseignements. Force est de se demander pourquoi nous n'avons jamais obtenu de réponse lorsque nous avons demandé, et ce, à plusieurs reprises, pourquoi cette mesure législative indique que les renseignements confidentiels peuvent être communiqués, mais ne parle pas de « renseignements confidentiels désignés », le terme qui a toujours été utilisé ailleurs. C'est peut-être un changement sans conséquence, mais peut-être pas, et mes soupçons sont d'autant plus forts que je ne peux obtenir de réponse sur ce que suppose la différence entre « renseignements confidentiels désignés » et « renseignements confidentiels », seul terme utilisé dans cette loi.
Imaginez que vous faites un don à un groupe environnemental ou à un groupe que vous croyez être un organisme qui fait du travail humanitaire à l'étranger, qui nourrit les pauvres dans un pays du tiers-monde. Qu'est-ce qui empêchera l'ARC de consulter ses ordinateurs pour trouver qui a fait des dons à ce genre d'organismes, puis de transmettre ces renseignements personnels à la GRC, au SCRS ou au CSTC? Rien ne peut l'en empêcher. Rien. S'il y a un secteur gouvernemental où la confidentialité est presque sacro-sainte, c'est bien l'ARC et les renseignements fiscaux, comme il se doit, car, si les gens ne peuvent avoir la garantie que ces renseignements sont confidentiels, il y a toujours le risque qu'ils ne veuillent plus traiter avec l'ARC comme ils le devraient. Ce ne serait pas bien, mais ce serait très humain.
Je pense que nous devons comprendre qu'il y a plein de considérations de ce genre. Je n'ai qu'effleuré la pointe de l'iceberg. En terminant, je vais aborder un seul autre domaine dans lequel les droits sont minés et c'est le fait qu'il n'y a pas de processus pour veiller à ce que les renseignements communiqués soient fiables. Dans l'affaire Arar, les renseignements communiqués n'étaient pas fiables. C'est l'un des nombreux problèmes qu'il y a eu dans cette affaire.
S'il y avait un processus d'examen, le commissaire à la protection de la vie privée en serait un des protagonistes. Le gouvernement a dit que cet examen pourrait notamment se faire par le commissaire à la protection de la vie privée et par le vérificateur général. Cependant, n'oublions pas que le commissaire et le vérificateur général ne passent pas en revue ces 17 ministères, pas même annuellement. Ils ne vérifient pas chaque année les activités des centaines de ministères et d'organismes gouvernementaux. Aucune disposition ne garantit donc qu'ils vérifieraient régulièrement les activités de communication des renseignements. Aucune disposition ne prévoit plus particulièrement que le commissaire à la protection de la vie privée passerait en revue les protocoles d'entente, même à supposer qu'ils soient signés. Les pouvoirs du commissaire se limitent, entre autres, à dire si le transfert de renseignements est légal. Voilà donc une autre faille qui soulève de sérieuses questions quant au respect de nos droits.
Ce qui est frustrant, c'est que les Canadiens sont inquiets et savent qu'il faut faire quelque chose. Je ne dis pas que toutes les dispositions du projet sont mauvaises, mais que plusieurs d'entre elles pourraient porter atteinte à nos droits.
(1550)
Il serait possible d'apaiser une très grande part de ces craintes en prévoyant une surveillance adéquate, mais rien n'est prévu à ce chapitre. Nous n'avons pas de surveillance parlementaire. La surveillance est une activité permanente exercée au jour le jour. L'examen se fait après coup. Nous n'avons aucune surveillance permanente par un organisme tiers indépendant, surveillance qui peut être assumée par un organe parlementaire. Nos partenaires du Groupe des cinq — ce groupe de renseignement clé au sein duquel nous travaillons — ont tous, sans exception, une surveillance parlementaire. Dans tous les cas, cette surveillance a bien fonctionné. Le modèle britannique prévu dans le projet de loi Dallaire-Segal a vraiment fait ses preuves. Jamais une fuite n'a été déplorée. Nous n'avons rien de tel.
Nous avons le CSARS, c'est-à-dire une poignée de personnes chargées de surveiller le SCRS, qui a un effectif de 2 000 à 3 000 personnes. Le CSARS dispose actuellement d'un budget de 5,4 millions de dollars pour surveiller une agence dont le budget s'élève à 2 à 3 milliards de dollars. Le CSARS ne peut surveiller aucune activité extérieure au SCRS, comme une opération que celui-ci aurait entreprise de concert avec un autre groupe.
Nous avons donc le CSARS. Nous avons aussi un commissaire qui supervise le CSTC, ou Centre de la sécurité des télécommunications. Le commissaire a 11 employés, et je me demande si son budget atteint même le million de dollars. Nous avons en outre la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, mais cette commission examine non seulement les activités antiterroristes de la GRC, mais tout ce qu'elle fait. Encore une fois, cet examen a lieu après coup. Cela laisse sans aucune surveillance 17 organismes désignés qui ont une forme ou une autre de responsabilité en matière de sécurité nationale et de police. Le ministère de la Défense nationale et le ministère des Affaires étrangères, avec leur rôle lié au renseignement et à la sécurité nationale, ne sont soumis à aucune surveillance, de quelque sorte que ce soit.
Il est très frustrant de se dire que si nous avions seulement une surveillance parlementaire, un genre de super-CSARS chargé de contrôler les activités de tous ces organismes nationaux de sécurité, si nous avions un commissaire à la protection de la vie privée qui puisse jouer un rôle plus actif dans l'examen des échanges de renseignements, si nous avions ces choses, beaucoup des préoccupations que suscite le projet de loi chez les gens seraient apaisées. Elles ne le seraient pas toutes, mais la situation serait plus supportable. Il est vraiment excessif d'agir comme le fait actuellement le gouvernement sans une surveillance adéquate.
Le sénateur Runciman a dit une chose très vraie, soit que le monde a beaucoup changé. Nous n'avons plus le milieu de renseignement que nous avions même du temps de la guerre froide. La situation a évolué. Elle est maintenant beaucoup plus intense, et nous donnons davantage de pouvoirs à la police, à d'autres organismes d'application de la loi et aux agences de sécurité nationale. Il va presque sans dire — c'est presque par définition à cause de cette évolution — que les pouvoirs changent. Toutefois, la surveillance dont ces pouvoirs font l'objet n'a pas évolué en conséquence, alors que cela aurait dû être le cas.
Enfin — et j'y ai fait allusion un peu plus tôt —, il y a toute la question des ressources limitées. La GRC nous a dit et répété qu'elle avait transféré 600 agents à de nouvelles fonctions. Cela signifie qu'il n'y a plus personne pour s'occuper de leurs fonctions antérieures. Malheureusement, parmi ces fonctions, il y avait les crimes financiers. À première vue, cela ne semble pas très lié au terrorisme, mais c'est une fausse impression. Il n'y a plus personne qui s'occupe de ces dossiers. Nous pouvons faire un calcul grossier parce qu'il nous est impossible d'obtenir les chiffres réels, mais il faudrait probablement 120 millions de dollars rien que pour remplacer les 600 agents déplacés, sans parler du travail supplémentaire qu'ils ont par suite de l'intensification des activités antiterroristes. Or, la GRC a vu son budget amputé de près de 15 p. 100 au cours des trois dernières années. Les ressources sont critiques. Le SCRS dirait sans doute la même chose. Puis-je disposer de cinq minutes de plus?
Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils d'accord pour accorder cinq minutes au sénateur Mitchell?
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : Les sénateurs refusent d'accorder cinq minutes de plus au sénateur Mitchell.
(Sur la motion de la sénatrice Marshall, le débat est ajourné.)
Fixation de délai—Préavis de motion
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, je désire informer le Sénat que je n'ai pas pu en arriver à une entente avec la leader adjointe de l'opposition concernant la fixation de délai pour le projet de loi C-51. Par conséquent, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, conformément à l'article 7-2 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations additionnelles soient attribuées à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.
[Français]
L'étude de la proposition relative aux frais d'utilisation
La santé—Adoption du huitième rapport du Comité de l'agriculture et des forêts
Le Sénat passe à l'étude du huitième rapport du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts (Proposition de Santé Canada relative aux frais d'utilisation concernant le recouvrement des coûts liés aux pesticides, sans amendement), déposé au Sénat le 23 avril 2015.
L'honorable Ghislain Maltais : Honorables sénateurs, je propose l'adoption du huitième rapport du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : Oui.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : Avec dissidence.
(La motion est adoptée, et le rapport est adopté avec dissidence.)
[Traduction]
Le Budget des dépenses de 2014-2015
Le Budget principal des dépenses—Dépôt du dix-huitième rapport du Comité des finances nationales—Ajournement du débat
Le Sénat passe à l'étude du dix-huitième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales (Budget principal des dépenses 2014-2015), déposé au Sénat le 31 mars 2015.
L'honorable Joseph A. Day propose que le rapport soit adopté.
— Honorables sénateurs, j'ai l'habitude de vous parler un peu du rapport sur lequel vous êtes sur le point de vous prononcer et j'aurais aimé entendre un peu parler du dernier rapport sur lequel nous venons de voter. Le cas échéant, j'aurais été en mesure de mieux me préparer pour cette question particulière et de savoir à quel numéro nous sommes rendus.
Honorables sénateurs, ce rapport est le dix-huitième du Comité des finances. C'est aussi le rapport final pour l'exercice précédent. Il résume très bien le travail que nous avons accompli. Il est volumineux, et je n'ai pas l'intention de l'éplucher au complet, mais je signale qu'il compte plus de 80 pages et constitue un excellent compte rendu du travail effectué par le Comité des finances.
Je remercie de leur travail tous les membres du Comité des finances, en particulier son vice-président, le sénateur Larry Smith. En examinant le rapport, vous constaterez le travail réalisé pour vous fournir un très bon résumé des demandes de fonds présentées par de nombreux ministères, des raisons de ces demandes et des activités spéciales qui ont cours dans les différents ministères que nous avons pu rencontrer.
Honorables sénateurs, le comité a rencontré 74 témoins au cours de la dernière partie de l'exercice précédent, les représentants de 23 ministères et organismes fédéraux, de quatre sociétés d'État et de deux organismes non gouvernementaux. Honorables sénateurs, ce rapport est le troisième et dernier sur le travail qui a été fait.
Il y a quelques points saillants que...
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il est maintenant 16 heures. Sénateur Day, cet article sera inscrit à votre nom à la prochaine séance, mais, comme il est 16 heures, je déclare que, conformément à l'ordre adopté le 6 février 2014, la séance est levée et le Sénat s'ajourne au jeudi 14 mai 2015, à 13 h 30.
(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne au jeudi 14 mai 2015, à 13 h 30.)