Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature,
Volume 150, Numéro 98

Le jeudi 16 février 2017
L'honorable George J. Furey, Président

LE SÉNAT

Le jeudi 16 février 2017

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le décès de Stuart McLean, O.C.

L'honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, le Canada a perdu une figure emblématique hier. Stuart McLean — journaliste, conteur, humoriste et ami de tous grâce à la magie de la radio — s'est éteint à l'âge de 68 ans.

Je n'ai jamais rencontré Stuart McLean, mais, comme de nombreux autres Canadiens partout au pays, j'avais le sentiment qu'il était mon ami. Sa voix, son sens de l'à-propos et ses histoires nous apprenaient avec humour qui nous sommes.

Il faisait ressortir ce qu'il y a de meilleur en nous et dans notre pays.

Le slogan de son émission à la radio du réseau CBC, The Vinyl Cafe, était : « Nous ne sommes peut-être pas gros, mais nous sommes petits. »

Stuart — pardonnez-moi mais, après l'avoir écouté pendant des dizaines d'années, il est et il sera toujours pour moi « Stuart » — avait la faculté de percevoir ce qu'il y avait de grand dans les petits moments banals de la vie de ses concitoyens.

Il se rendait régulièrement dans les différentes régions du pays pour y animer son émission de radio. Il transmettait ainsi une voix nationale aux localités et permettait à celles-ci de se faire entendre à l'échelle nationale. Il avait le don d'écouter les autres, puis de communiquer à ses auditeurs ce qu'il avait entendu. Nous avions l'impression d'être en sa compagnie lorsqu'il se rendait dans un auditorium, qu'il se promenait dans les rues d'une ville et qu'il s'installait dans un restaurant pour déguster la spécialité locale et pour échanger des potins.

Il nous a aidés à célébrer nos différences et à tisser des liens en racontant toujours d'excellentes histoires, ponctuées tantôt d'éclats de rire, tantôt de larmes.

Dites simplement : « Dave a fait cuire la dinde de Noël », et des millions de Canadiens vont éclater de rire comme nous le faisons ici aujourd'hui.

Eh bien, Dave, Morley, Sam et Stephanie vont devoir continuer à vivre sans compter sur Stuart pour nous raconter leurs histoires. Toutefois, ces personnages font maintenant partie du paysage canadien, inscrits à tout jamais dans notre mémoire par cette voix caractéristique. Ils dégustent certainement en ce moment même un ou deux pâtés à la viande écossais concoctés par Kenny Wong.

Stuart, vous allez terriblement nous manquer, mais nous nous souviendrons toujours de votre voix et de vos histoires. Reposez en paix.

Des voix : Bravo!

La Fondation Rick Hansen

L'honorable Douglas Black : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour vous parler du travail de la Fondation Rick Hansen et de sa vision d'un Canada plus accessible et plus prospère.

Comme j'ai la chance de faire partie du conseil consultatif de la Fondation Rick Hansen, j'ai été à même de constater tout ce que cet organisme fait pour les Canadiens.

La fondation a pour mission d'inciter des leaders — comme les sénateurs —, les gouvernements et les Canadiens à se joindre à Rick Hansen afin de créer un mouvement mondial visant à éliminer les barrières dans l'environnement physique, de manière à libérer le plein potentiel des gens aux prises avec un handicap.

Une fois cette étape fondamentale franchie, on s'attaque ensuite aux autres barrières, dont le monde du travail, l'éducation et les transports.

Le résultat, c'est la possibilité pour tous de d'apporter une participation pleine et entière en tant que citoyens productifs.

Bien des choses ont été faites, mais il reste encore beaucoup à faire afin de rendre le Canada totalement inclusif et accessible. Selon Statistique Canada, environ un Canadien sur sept âgé de 15 ans ou plus souffre d'un handicap qui limite ses activités quotidiennes et, comme nous le savons en tant que baby-boomers vieillissants, cette proportion devrait augmenter jusqu'à un Canadien sur cinq au cours des vingt prochaines années. Cette évolution démographique devrait jouer en faveur de l'amélioration de l'accessibilité.

En outre, plus de 400 000 Canadiens handicapés en âge de travailler ne travaillent pas sans pour autant que ce soit leur handicap qui les empêche de le faire. Près de la moitié de ces travailleurs en puissance possèdent un diplôme d'études postsecondaires. L'accessibilité est souvent la raison fournie pour cette perte de productivité.

Grâce au plan fédéral pour les infrastructures proposé par le gouvernement du Canada, nous avons une occasion qui n'arrive qu'une fois par génération de construire un Canada accessible où personne ne sera laissé pour compte.

Selon un récent sondage mené par la firme Angus Reid, 88 p. 100 des répondants ont dit que le Canada devrait être un chef de file mondial de l'accessibilité universelle dans les lieux publics, et ils ont raison.

Le Canada doit parvenir à l'accessibilité universelle, comme le préconise la Fondation Rick Hansen. Nous maximiserons ainsi le respect de soi et le potentiel économique des Canadiens aux prises avec un handicap.

J'exhorte les sénateurs à soutenir cette entreprise.

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je tiens à signaler la présence à la tribune de Benoît Huot, athlète paralympique en natation, accompagné de sa conjointe, Annie Couture Courteau, et d'Alexandre Despatie, athlète olympique en plongeon. Ils sont les invités de l'honorable sénatrice Petitclerc.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Les Canadiens vivant avec un handicap

L'honorable Chantal Petitclerc : Honorables collègues, les grands esprits se rencontrent, parce que je prends moi aussi la parole aujourd'hui au sujet de la situation de l'emploi des Canadiens qui vivent avec un handicap.

Permettez-moi tout d'abord, chers collègues, de souligner de nouveau la présence à la tribune de mon ami Benoît Huot, nageur et multiple médaillé paralympique. Demain, Benoît sera fait membre de l'Ordre du Canada grâce à la contribution qu'il a apportée au parasport et à son travail auprès des jeunes.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Petitclerc : Pour Benoît et pour des milliers de Canadiens, le handicap n'est pas un obstacle à l'excellence. Comme on vient de le dire, cette réalité tarde toutefois à être répandue sur le marché du travail.

Selon un récent sondage Angus Reid, la moitié des Canadiens handicapés ne se trouvent pas d'emploi, même si leur handicap ne les en empêcherait pas. Statistique Canada était arrivé à une conclusion similaire en 2014 et avait même constaté que les employés handicapés gagnaient moins que leurs collègues dans le cadre d'un emploi semblable. Par exemple, malgré le fait que 14 p. 100 des Canadiens âgés de 15 ans ou plus soient des personnes handicapées, ici même, dans cette Chambre, les personnes qui vivent avec un handicap représentent moins de 1 p. 100. Fort heureusement, nous gagnons tous le même salaire.

(1340)

Honorables collègues, les barrières à l'emploi persistent et constituent d'ailleurs un sujet récurrent dans le cadre des consultations qui doivent bientôt aboutir à l'adoption d'une nouvelle loi fédérale sur l'accessibilité. De plus en plus de travailleurs potentiels qui ont un handicap possèdent des diplômes d'études postsecondaires ainsi que les compétences qui leur permettent non pas d'être un fardeau, mais bien des citoyens actifs et productifs. Toutefois, notre société n'est pas toujours bien pourvue en ce qui a trait aux infrastructures nécessaires pour améliorer les déplacements vers les milieux de travail et au sein de ceux-ci.

De plus, pour beaucoup de Canadiens qui vivent avec des handicaps, les croyances et les attitudes sociales demeurent des obstacles parmi les plus importants à leur intégration professionnelle. Cette perception décalée de la réalité, à savoir qu'ils n'auraient pas les compétences voulues, ne permet pas aux employeurs de découvrir leurs diverses habiletés et leur potentiel.

Les employeurs, on le sait, ont beaucoup à gagner en modifiant leur perception des handicaps. Par exemple, des entreprises informatiques recrutent des personnes autistes pour programmer et vérifier des logiciels, car ces personnes ont une très grande capacité à se concentrer et à trouver des erreurs de codage. Des banques profitent aussi des compétences des personnes autistes dans l'analyse des données. Ce ne sont pas les possibilités qui manquent lorsqu'on fait preuve d'ouverture d'esprit.

Honorables collègues, mon intervention aujourd'hui n'est pas une complainte, mais vise à exprimer la certitude que, si le Canada veut favoriser l'égalité des chances et accroître la participation des personnes qui vivent avec un handicap, il est urgent d'explorer toutes les pistes pour éliminer ces obstacles qui jonchent le chemin vers l'emploi.

Pour terminer, je salue à ce propos les efforts déployés par le gouvernement du Canada et la ministre Qualtrough pour créer un Canada accessible, et j'espère que les résultats escomptés seront à la hauteur de nos attentes.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d'invités de l'honorable sénateur Patterson, qui sont venus assister à la projection du film Heaven's Floor. Ils sont Katie May Dunford, Andrew Dunford, Jeannie Qaunirq, Molly McCarthy, Malaya Qaunirq-Chapman et Justin Ford.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le Nunavut

Le cinéma nordique

L'honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, le territoire du Nunavut a grandi et évolué depuis sa création le 1er avril 1999. Son identité culturelle est modelée et fortement influencée par la culture inuite, car la population du Nunavut est constituée à environ 85 p. 100 d'Inuits. Leur fort attachement à leur langue et à leurs traditions sont palpables dans tous les territoires. Les formes d'art traditionnelles, comme la sculpture, la couture et la sérigraphie, continuent d'être transmises de génération en génération, mais la plus jeune génération d'Inuits a aussi commencé à expérimenter et à adopter d'autres formes d'expression.

Un nombre croissant de Nunavummiuts choisissent le cinéma comme moyen d'expression, et avec beaucoup de succès. Le pionnier dans ce domaine, le cinéaste Zacharias Kunuk, a livré au monde le premier long métrage à avoir été écrit, réalisé et joué entièrement en inuktitut. Son film Atanarjuat, la légende de l'homme rapide, a remporté la prestigieuse Caméra d'or du Festival de Cannes et six prix Génie, qui récompensent l'excellence dans le cinéma canadien. En 2015, le Festival international du film de Toronto a publié sa nouvelle liste des plus grands films canadiens de tous les temps et, dans cette liste, Atanarjuat arrive en premier.

L'année dernière, j'ai eu le plaisir d'organiser la projection du film Angry Inuk sur la Colline. Dans ce film plusieurs fois primé, la réalisatrice et narratrice Alethea Arnaquq-Baril dépeint de manière saisissante la persécution des Inuits et la colère qu'ils refoulent depuis longtemps en raison de la diabolisation de la chasse au phoque par des activistes du sud qui n'ont aucune idée de l'importance de cette activité traditionnelle pour les Inuits.

Ce soir, j'aurai le grand plaisir de visionner un autre film. Il s'agit aussi d'une œuvre primée qui s'intitule Heaven's Floor et qu'on a décrite comme une lettre d'amour d'une mère à sa fille adoptive, Malaya, qui est ici aujourd'hui. Le scénario a été écrit et réalisé par Lori Stoll. Le film est centré sur une jeune Inuite, Malaya Qaunirq- Chapman, incarnée par Katie May Dunford, une actrice de 14 ans du Nunavut, qui est également parmi nous aujourd'hui. L'héroïne, Malaya, est adoptée par Julia, une photographe établie à Los Angeles, incarnée par Clea Duvall. En septembre, Katie May a remporté le prix de la meilleure actrice au festival du film d'El Dorado, en Arkansas.

Heaven's Floor est dorénavant primé puisqu'il a remporté le prix du meilleur film narratif, la plus grande reconnaissance accordée au festival du film de la vallée de Napa, de même que le grand prix du jury au festival international du film de l'Alaska.

Je me permets de signaler, en toute simplicité, que mon fils, George, fait une apparition éclair dans le film.

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur Patterson : Le film présente des scènes émouvantes entre une mère et sa fille et met en valeur la splendeur et la réalité du Nord. Je souligne également que de nombreux Inuits ont participé à divers volets de cette production. Parmi les producteurs, mentionnons Justin Ford, un autre jeune Nunavummiut qui est parmi nous aujourd'hui.

Enfin, je signale que c'est un véritable défi de tourner un film dans le Nord.

Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour appuyer cette industrie en plein essor et préconiser le soutien continu de cette forme d'art qui rend admirablement bien les histoires, les traditions et l'imagination du peuple inuit.

Merci. Qujannamiik.

[Français]

Les victimes d'actes criminels

L'honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au nom des dizaines de victimes d'actes criminels qui m'interpellent chaque semaine et qui se sentent oubliées par le système de justice.

Le gouvernement conservateur, dans le cadre de ses compétences, a posé des gestes importants afin d'améliorer le sort des victimes : l'admissibilité à l'assurance-emploi pour les parents d'enfants assassinés ou disparus, la modification du Code du travail pour protéger leurs emplois et l'adoption de la Charte canadienne des droits des victimes.

Aujourd'hui, je m'adresse à vous afin de vous sensibiliser à une situation aussi pénible qu'inadmissible que vivent des centaines de victimes d'actes criminels et leurs familles au Canada.

[Traduction]

J'aimerais vous parler aujourd'hui de Mme Lise Bilodeau, de Québec, dont la fille, Corellie, a été assassinée à Sault Ste. Marie en 2013. Plus de quatre ans se sont écoulés depuis ce drame, mais on est toujours en attente d'un procès.

[Français]

Dans le message d'adieu adressé à sa fille, Mme Bilodeau a écrit ce qui suit, et je cite :

La fatalité s'exerça sur Corellie un beau matin du 10 août 2013. Un jeune homme de 18 ans a pensé qu'il avait le Pouvoir Suprême en jouant avec le destin de ma fille. Ce fut un meurtre gratuit et horrible, m'ont dit les policiers.

L'enfer de Corellie s'est terminé avec sa mort, et celui de sa mère a commencé avec celle-ci.

Il y a quelques semaines, Mme Bilodeau m'écrivait le message suivant, et je cite :

Pendant trois ans, ce fut le silence total. Quelquefois, nous apprenions des bribes d'information ici et là. Nous devions les quémander auprès de l'enquêteur. Je n'ai jamais su qui avait disposé des effets personnels de ma fille. Ils l'ont traitée comme une itinérante. Je voudrais tant vous en dire plus, mais je ne sais rien, rien, rien...

Cette mère se bat pour être traitée avec respect et dignité par l'appareil judiciaire. Elle a dû se battre contre le gouvernement de l'Ontario, qui lui refusait toute forme d'aide afin qu'elle puisse être en mesure d'enterrer sa fille et de lui offrir des obsèques humainement acceptables. En prenant connaissance de la situation de cette mère de famille, comme bien d'autres, je rêve du jour où toutes les victimes et leurs familles seront traitées équitablement et uniformément d'un océan à l'autre.

Malheureusement, ce n'est pas la réalité que vivent les victimes au Canada. Je suis attristé par le fait que les familles de ces victimes ne peuvent recevoir d'aide ou si peu, à cause de l'absence de réciprocité entre les provinces.

Par contre, si vous êtes accusé d'un meurtre, peu importe où vous habitez au Canada, vous serez sans doute admissible à l'aide juridique afin d'avoir droit à un procès juste et équitable. En cas de culpabilité, vous aurez droit aux mêmes mesures d'aide pour vous réhabiliter. Tout comme si vous voyagez au Canada et que vous tombez malade, vous serez soigné dans les mêmes conditions.

Cependant, si vous êtes victime d'un acte criminel qui est commis ailleurs que dans la province où vous habitez, vous ne recevrez aucune aide ou si peu.

[Traduction]

Honorables sénateurs, l'horrible drame qu'a vécu la mère de Corellie est la triste réalité que vivent aussi, chaque année, des milliers de familles canadiennes.

[Français]

Je vous invite donc à appuyer la démarche que j'entreprendrai dans les prochains mois auprès de la ministre de la Justice du Canada afin de faire reconnaître, auprès de ses homologues des provinces, le principe de réciprocité entre les provinces en ce qui concerne l'aide aux victimes.

[Traduction]

C'est une question d'équité et de justice. Toutes les victimes d'actes criminels devraient avoir ce droit fondamental au Canada.

(1350)

Le décès de Stuart McLean, O.C.

L'honorable Ratna Omidvar : Je prends la parole aujourd'hui pour rendre hommage à Stuart McLean, l'un des plus grands raconteurs du Canada. C'est avec une profonde tristesse que j'ai appris qu'il s'est éteint hier à la suite d'un cancer de la peau.

J'ai commencé à le suivre il y a de nombreuses années. On m'avait dit que, pour mieux connaître le Canada et les Canadiens, il fallait syntoniser CBC et c'est ce que j'ai fait.

J'ai découvert la voix caractéristique de Stuart, qu'on entendait les samedis après-midi. Il racontait la vie courante de Canadiens ordinaires à une époque sans histoire. C'est ainsi que s'opérait sa magie : par le pouvoir de sa voix et de ses récits, il unissait tous ses auditeurs, qu'ils soient à Toronto ou Flin Flon, à Québec ou à Calgary.

Il était difficile de résister à sa voix, qui évoquait des images, des sensations et des saveurs, à tel point que, lorsque je l'entendais le samedi après-midi — le plus souvent prise dans un bouchon de circulation à Toronto, parfois même en pleine tempête de verglas —, elle me transportait ailleurs, habituellement dans une maison douillette, au coin du feu.

Stuart vivait à Toronto, la meilleure ville au Canada.

Des voix : Oh, oh!

La sénatrice Omidvar : Je m'attendais à cette réaction.

Le sénateur Campbell : Les choses allaient tellement bien.

La sénatrice Omidvar : Je ne suis pas surprise.

Il vivait dans le marché de Kensington, l'un des plus beaux de la ville, et c'est là qu'il a campé les histoires du Vinyl Cafe et de Dave, Morley, Sam et Stephanie, des dindes et des animaux de compagnie. Il racontait ses histoires avec compassion et humour, et toujours dans le respect et la dignité.

Stuart transformait les anecdotes banales du quotidien que les Canadiens lui racontaient en récits empreints d'humanité. Comme quelqu'un l'a dit aujourd'hui, il nous racontait notre propre histoire. Il nous faisait pleurer autant de joie que de tristesse, souvent en même temps. Comme une personne l'a dit aujourd'hui dans un gazouillis publié dans les médias sociaux, cet homme aurait pu nous faire rire ou pleurer même en lisant l'annuaire téléphonique. Je serais prête à parier qu'il aurait su le faire également avec les débats au Sénat.

En 2009, j'ai eu l'insigne honneur de passer une journée avec lui à Rideau Hall, car nous avons reçu l'Ordre du Canada le même jour. Cette rencontre a confirmé mon impression qu'il incarnait l'archétype du Canadien. Lorsque nous avons dîné ensemble, j'ai remarqué que qu'il était une personne très discrète. Il faisait preuve à la fois de beaucoup de modestie et d'une forte dose d'autodérision. Pendant que nous discutions avec enthousiasme des raisons pour lesquelles nous avions reçu l'Ordre du Canada, il faisait des observations sur nos particularités, nos caprices et nos faiblesses.

J'espérais secrètement que je finirais par me retrouver dans ses histoires, mais mon souhait ne s'est pas réalisé. Stuart concluait chaque émission avec sa formule habituelle. Je suis incapable d'imiter sa voix, mais je peux conclure mon intervention de la même façon.

Ici Stuart McLean. À la prochaine fois.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

Le commissaire à l'intégrité du secteur public

L'Agence de la santé publique—Dépôt du rapport sur les conclusions découlant d'une enquête sur une divulgation d'actes répréhensibles

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément au paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport sur le cas du commissaire à l'intégrité du secteur public du Canada, dans lequel sont exposées les conclusions découlant d'une enquête sur une divulgation d'actes répréhensibles à l'Agence de la santé publique du Canada.

Projet de loi réglementant certaines drogues et autres substances

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes à d'autres lois, accompagné d'un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Harder, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)


[Français]

PÉRIODE DES QUESTIONS

L'agriculture et l'agroalimentaire

Les programmes d'investissement en faveur de l'industrie laitière

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : Merci, monsieur le Président. Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.

En novembre dernier, le ministre de l'Agriculture a annoncé deux nouveaux programmes qui totalisent 350 millions de dollars et qui visent à soutenir les producteurs laitiers du Canada en vue de l'entrée en vigueur de l'Accord économique et commercial global Canada-Union européenne.

Des consultations en ligne ont été menées au sujet de ces nouveaux programmes, soit le Programme d'investissement dans les fermes laitières et le Fonds d'investissement dans la transformation des produits laitiers. Ces consultations se sont terminées il y a environ deux mois.

Le leader du gouvernement pourrait-il nous dire à quel moment le gouvernement prévoit mettre en œuvre ces deux programmes?

[Traduction]

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Maintenant que le Sénat est saisi du projet de loi d'exécution de l'Accord économique et commercial global, il est tout à fait normal que surgissent des questions sur la mise en œuvre des dispositions prévues.

Je pourrai me renseigner au sujet de l'échéancier. Je crois toutefois qu'il dépendra entièrement de la date à laquelle le Sénat adoptera, après avoir procédé aux délibérations et aux réflexions nécessaires, le projet de loi permettant la mise en œuvre de l'accord.

Il y aura ensuite un échange de notes diplomatiques qui permettra à l'Union européenne et au Canada de mettre l'accord en œuvre. C'est dans ce contexte que le gouvernement présentera un plan de mise en œuvre plus précis.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vous remercie. Je comprends donc que les programmes mentionnés dans votre réponse n'entreront pas en vigueur avant la pleine mise en œuvre de l'entente liée au traité. Cependant, ce dont le leader du gouvernement se souvient peut-être, c'est que, au moment de l'annonce du financement, certains se sont dits préoccupés par le montant de l'enveloppe et la répartition entre les provinces. Le gouvernement a-t-il déterminé comment ce financement sera réparti entre les provinces, s'il est lancé, évidemment? Sinon, quand prévoit-il prendre une décision dans ce dossier et la communiquer aux provinces et à l'industrie laitière?

[Traduction]

Le sénateur Harder : Je crois que les discussions se poursuivent, tant avec les intervenants qu'au sein du gouvernement, et qu'une annonce sera faite en temps et lieu.

[Français]

L'Agence canadienne d'inspection des aliments—La tuberculose bovine

L'honorable Ghislain Maltais : Merci, monsieur le Président. Ma question s'adresse, bien, sûr, au leader du gouvernement au Sénat. À la suite de l'épidémie de tuberculose bovine qui a sévi en Alberta et en Saskatchewan, le leader pourrait-il nous résumer ses recherches dans ce dossier?

[Traduction]

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie encore une fois l'honorable sénateur de sa question. Comme il le sait bien — parce qu'il pose souvent des questions à ce sujet —, le gouvernement du Canada et les ministres responsables, notamment le ministre de l'Agriculture, suivent de très près la situation. Je vais demander des nouvelles précises pour pouvoir les communiquer au Sénat. Je sais toutefois que la situation s'est beaucoup améliorée, bien qu'un certain nombre d'exploitations agricoles soient encore en quarantaine. Je vais donc me renseigner et je ferai le point au Sénat.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous savez, monsieur le leader, en parlementarisme britannique, Winston Churchill aimait dire : « Si on pose la question, c'est parce qu'on connaît la réponse. » Alors, voici la réponse à ma question.

(1400)

Dix mille bêtes ont été abattues et 11 millions de dollars ont été versés aux agriculteurs en guise de dédommagement en date du 2 février. Il reste un troupeau infecté, 6 animaux atteints et 28 000 bêtes en quarantaine. Les provinces concernées sont l'Alberta et la Saskatchewan. On compte 12 sites où la quarantaine a été levée. Cela veut dire, somme toute, que la crise s'est résorbée. Le seul problème est que l'Agence canadienne d'inspection des aliments n'a toujours pas trouvé la façon dont ces animaux ont été infectés. Je sais que le ministre de l'Agriculture travaille sur ce dossier, et il doit me fournir une réponse.

Il serait très important de régler ce problème avant l'arrivée du printemps, moment où les animaux seront relâchés dans la nature, afin d'éviter que l'infection ne se propage à l'extérieur des deux provinces concernées.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Je remercie le sénateur de sa réponse. Pendant un instant, je me suis cru à Jeopardy. Je tiendrai compte de sa question complémentaire lorsque je m'entretiendrai avec le ministre.

La réglementation en matière de volaille

L'honorable Kelvin Kenneth Ogilvie : Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat, et porte sur un sujet à l'égard duquel il possède, je le sais, une expertise considérable. Elle porte sur la volaille de réforme.

Les producteurs de volaille du Canada continuent de soulever des préoccupations à l'égard des poulets à griller en provenance des États-Unis qui sont étiquetés à tort comme de la volaille de réforme et sont admis au pays exempts de droits de douane. Pour expliquer aux sénateurs, la volaille de réforme est le nom donné aux poules pondeuses qui ne sont plus productives. Elles sont transformées, et la viande est généralement utilisée dans des soupes ou d'autres aliments du genre.

Le problème, c'est que, même si nous avons des droits de douane sur tous les produits à valeur ajoutée dans ce domaine, des droits de douane très importants applicables aux produits agricoles qui traversent la frontière depuis les États-Unis, ce type de poulet entre au Canada essentiellement libre de tout droit de douane.

Pourquoi est-ce un problème? La première chose qui aurait dû attirer notre attention, c'est que les États-Unis expédient plus de volaille de réforme au Canada qu'ils n'en produisent en un an. Comment est-ce possible? Il s'avère que des poulets à griller sont souvent délibérément étiquetés à tort comme de la volaille de réforme, puis expédiés au Canada. Or, les poulets à griller sont un produit à valeur ajoutée. S'ils entrent au Canada libres de droits de douane et sont ensuite réemballés au Canada comme poulets à griller ou un autre produit à valeur ajoutée élevée, cela fait injustement concurrence à la production du Canada et corrompt le quota d'admission au Canada.

Le problème, c'est que cela cause des pertes annuelles considérables aux producteurs de volaille du Canada. Pas plus tard qu'en novembre, le gouvernement du Canada a indiqué son intention de régler ce problème en application de l'un des programmes d'exonération des droits.

J'ai une première question à poser, suivie d'une autre qui est complémentaire. Tout d'abord, le leader du gouvernement pourrait- il nous dire à quelle vitesse le gouvernement tente de gérer ce problème de contrebande?

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je tiens à remercier l'honorable sénateur de sa question. Il exagère un peu en laissant entendre que j'ai beaucoup d'expérience dans ce dossier même si je n'irai pas jusqu'à dire qu'il cherche par sa question à me picosser.

Le sénateur sait que le ministre de l'Agriculture, lors de son passage au Sénat, a répondu à une question d'un autre sénateur à ce propos en disant, qu'il travaille activement à ce dossier avec ses homologues américains.

Vous comprendrez qu'il y a eu un changement d'administration. Je demanderai au ministre de me dire quand et comment il compte aborder ce dossier avec la nouvelle administration, maintenant que le nouveau secrétaire à l'Agriculture a été nommé — il me semble que cela a été confirmé —, et je vous reviendrai là-dessus.

Le sénateur Ogilvie : Ma question complémentaire est la suivante : au Comité de l'agriculture, nous avions compris qu'un test d'ADN avait été développé à l'Université Trent pour différencier les volailles des autres oiseaux sauvages. Comme vous le savez, puisque vous avez été membre du conseil de Génome Canada, un test d'ADN est souvent très rapide et très précis. Les fonctionnaires nous ont affirmé qu'ils allaient dans cette direction et qu'ils avaient bien l'intention d'utiliser ce test ou un autre test d'ADN pour faire avancer ce dossier.

Je me demande, monsieur le leader, si vous pourriez également vous informer sur cette question. Cette découverte nous donne la capacité de détecter immédiatement aux frontières la différence entre les produits licites et illicites.

Le sénateur Harder : Je vais, en effet, y donner suite.

Je vais profiter de l'occasion qui m'est offerte pour souligner, à l'intention de tous les sénateurs et de tous les Canadiens, les avantages liés au fait d'investir dans la génomique au Canada. Il n'y a pas seulement des avantages pour le secteur de la santé. Il y a aussi des avantages pour les secteurs de l'agriculture, de la foresterie et des pêches — ces secteurs profitent tous des investissements qui ont été faits. Voilà un exemple classique de nouvel outil peu coûteux pouvant faciliter l'identification.

Les transports

Le transport du grain de l'Ouest canadien

L'honorable Donald Neil Plett : Ma question s'adresse également au leader du gouvernement au Sénat et porte sur un sujet dont je lui ai déjà parlé.

Monsieur le leader, le transport du grain préoccupe les producteurs de grain de l'Ouest du Canada depuis plusieurs années déjà, et vous avez dit appuyer certaines des initiatives. En tant que leader du gouvernement, vous êtes conscient du fait que le ministre des Transports a promis de présenter, au printemps, une mesure législative permettant de prévoir des sanctions réciproques dans les accords sur les niveaux de service conclus entre les sociétés ferroviaires et leurs clients. On prévoit que des décisions sur deux questions connexes, soit les distances d'interconnexion et le revenu maximal admissible, seront prises au même moment que la mesure législative sera présentée. La campagne agricole 2017-2018 commence le 1er août. Le délai est extrêmement serré.

Ma question, monsieur le leader, est la suivante : le gouvernement libéral croit-il que la nouvelle mesure législative prévue sera en place avant le début de la nouvelle campagne agricole?

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie mon cousin de sa question. Les sénateurs ont tous oublié que nous sommes parents.

Le sénateur Neufeld : En effet, il avait oublié.

Le sénateur Harder : Excellente blague, d'un côté comme de l'autre.

Je tiens également à féliciter le sénateur d'avoir organisé une réunion des producteurs de grain, qui a eu lieu hier, si je ne m'abuse. Pour ce qui est de sa question, je vais devoir en discuter avec le ministre. Je sais que le ministre s'était engagé à présenter la mesure législative au printemps. Le printemps n'est pas encore là, mais je vais demander au ministre de faire le point sur la question. Je pourrai ensuite fournir davantage de renseignements aux sénateurs.

Le sénateur Plett : Cher cousin, comme je vous l'ai dit hier, nous pouvons choisir nos amis, mais pas notre famille.

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur Plett : Je suis évidemment fier de lui être apparenté.

J'ai une question complémentaire pour mon cousin : si la nouvelle mesure législative n'est pas en place pour la prochaine campagne agricole, pourriez-vous demander au gouvernement d'envisager de prolonger d'un an les dispositions de la Loi sur le transport ferroviaire équitable pour les producteurs de grain?

Le sénateur Harder : Je vais certainement le faire.

Les finances

La taxe sur le carbone pour les agriculteurs

L'honorable Tobias C. Enverga, Jr. : Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. En fait, c'est une question complémentaire à celle que j'ai posée la semaine dernière au sujet des effets néfastes de la taxe sur le carbone des libéraux sur les agriculteurs de l'Ontario.

Le 1er janvier dernier, les coûts de l'énergie des serriculteurs de l'Ontario ont augmenté après que le gouvernement libéral provincial a mis en place son système de plafonnement et d'échange. La semaine dernière, un serriculteur du comté d'Essex a dit aux médias que sa facture annuelle de gaz doublera, passant d'environ 120 000 $ à 240 000 $.

(1410)

Voici ma question pour le leader du gouvernement au Sénat : étant donné que les agriculteurs ont déjà du mal à composer avec des frais plus élevés en raison de la hausse de l'impôt provincial, comment le gouvernement libéral pense-t-il qu'ils absorberont la taxe fédérale sur le carbone?

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Il est important que tous les sénateurs comprennent l'approche adoptée par le gouvernement par rapport aux changements climatiques : il collabore avec les provinces et leur permet d'adapter leur façon d'honorer leur engagement collectif de lutter contre les changements climatiques. La question serait plus appropriée à l'Assemblée législative de l'Ontario. Le gouvernement de l'Ontario a choisi une approche en particulier et devra — comme il se doit — rendre des comptes à l'ensemble des Ontariens à propos de sa mise en œuvre.

Le sénateur Enverga : J'ai une question complémentaire. Les serriculteurs canadiens doivent concurrencer les producteurs américains qui n'auront pas à assumer le fardeau d'une taxe sur le carbone sous la nouvelle administration Trump. Pourquoi le gouvernement libéral est-il déterminé à imposer aux agriculteurs une taxe qui les empêche d'être concurrentiels par rapport aux Américains?

Le sénateur Harder : Je rappelle encore une fois à l'ensemble des sénateurs que le gouvernement du Canada a adopté une approche collaborative avec les provinces, qui vise à harmoniser les politiques de chacun afin de lutter contre les changements climatiques.

Le gouvernement du Canada et, au moyen d'une coopération fédérale-provinciale, tous les ordres de gouvernement sont déterminés à lutter contre ce problème d'une façon qui avantage le Canada et qui crée un écosystème économique plus durable et plus écologique. Cet objectif demeure un élément central de la collaboration fédérale-provinciale dans ce dossier.

[Français]

Le commerce international

Le Partenariat transpacifique

L'honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s'adresse au représentant du gouvernement au Sénat. La visite du premier ministre du Canada au nouveau président des États-Unis, Donald Trump, n'a pas été rassurante en ce qui concerne le Partenariat transpacifique, sur lequel repose l'avenir de plusieurs entreprises canadiennes et des milliers d'emplois, notamment dans le monde agricole.

Est-ce que le représentant du gouvernement pourrait nous dire si le PTP survivra à l'arrivée du nouveau président chez nos voisins du Sud? Dans le cas contraire, qu'attend le premier ministre pour dévoiler un plan de négociations bilatérales pour rassurer nos producteurs?

[Traduction]

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Cette question traite d'un sujet très important pour le Canada et les parlementaires, tant au Sénat qu'à l'autre endroit, c'est-à-dire la façon dont le Canada, en tant que pays, nouera des relations bilatérales et multilatérales avec les économies en plein essor de l'Asie.

Ce dossier est prioritaire pour le gouvernement. Le ministre du Commerce international et ses collègues étudient le Partenariat transpacifique et discutent activement de la meilleure façon de procéder. Des discussions sont donc en cours et le gouvernement du Canada fera connaître sa stratégie en temps opportun.

L'agriculture et l'agroalimentaire

L'exportation de légumineuses vers l'Inde

L'honorable Victor Oh : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Nous soulignons aujourd'hui le Jour de l'agriculture canadienne, et les médias ont rapporté que les exportations de pois et de lentilles du Canada vers l'Inde pourraient bientôt être compromises. En effet, l'Inde exige qu'un certain pesticide soit utilisé pour lutter contre les parasites de légumineuses. Le Canada tente toutefois d'éliminer l'utilisation de ce pesticide en raison de son efficacité incertaine dans notre climat froid et de sa nocivité pour la couche d'ozone.

Il semble que l'Inde entend appliquer de nouvelles mesures à la fin du mois de mars. Environ 12 000 fermes cultivent des légumineuses au Canada. Selon Pulse Canada, le Canada exporte plus de 85 p. 100 de sa production de légumineuses. En 2015, l'Inde a accueilli le tiers de ces exportations, ce qui représente un marché d'environ 1,5 milliard de dollars. La situation est semblable à celle qui s'est produite l'an passé avec les exportations de canola vers la Chine, lorsque la Chine a exprimé des inquiétudes concernant la présence possible de champignons responsables de la maladie de la jambe noire dans nos exportations de canola.

Que fait actuellement le gouvernement du Canada pour s'assurer que les exportateurs canadiens de pois et de lentilles continuent d'avoir accès au marché indien?

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie une fois de plus l'honorable sénateur de sa question. De toute évidence, pour le ministre de l'Agriculture et le ministre du Commerce international, c'est le Jour de l'agriculture tous les jours, puisqu'une grande partie du commerce du pays repose sur l'agriculture et l'agroalimentaire.

Il s'agit d'un grave problème. Le ministre collabore étroitement avec ses homologues indiens. Vous avez bien raison de mentionner le problème du canola exporté en Chine, l'année dernière. C'est un problème qui nécessite des démarches aux plus hauts niveaux, et c'est ce qui se produit. Au moment opportun, je m'attends à ce que le ministre fasse le point sur la situation.

[Français]

Le lait diafiltré

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : C'est clairement le Jour de l'agriculture, monsieur le leader du gouvernement. On a voulu souligner le Jour de l'agriculture avec une série de questions sur ce domaine.

J'ai donc une autre question qui touche l'agriculture, et plus précisément le lait diafiltré. En janvier dernier, des groupes de producteurs laitiers américains ont écrit au nouveau président des États-Unis au sujet de la question du lait diafiltré en indiquant qu'ils croyaient que les actions entreprises par le Canada pour bloquer ces importations contrevenaient aux obligations commerciales liées à l'ALENA et à l'Organisation mondiale du commerce. Une lettre semblable a été envoyée aux gouverneurs de 25 États américains le mois dernier.

Est-ce que le leader du gouvernement au Sénat pourrait nous dire si le gouvernement du Canada a eu vent d'une réponse aux allégations contenues dans ces lettres?

[Traduction]

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l'honorable sénateur de sa question. On a déjà questionné le ministre de l'Agriculture dans cette enceinte au sujet du lait diafiltré. Je vais devoir prendre note de la question en raison de la nature particulière de la demande, mais je peux assurer au sénateur et à tous les sénateurs que le ministre de l'Agriculture s'occupe très sérieusement du dossier et qu'il en discute régulièrement avec ses homologues des États-Unis. Je serai ravi de vous faire rapport de la réponse à la question.

[Français]

Le sénateur Carignan : En juin dernier, le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire a déclaré qu'il souhaitait en arriver à une solution durable dans le dossier du lait diafiltré. Depuis cette déclaration, nous n'avons reçu aucune nouvelle du gouvernement fédéral en cette matière.

Les producteurs laitiers du Canada estiment que le problème du lait diafiltré leur cause des pertes d'environ 231 millions de dollars par année.

Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous dire quand le gouvernement compte tenir l'engagement qu'il a pris pendant la campagne électorale de régler cette problématique qui est très grave pour le secteur laitier?

[Traduction]

Le sénateur Harder : Je tiens à assurer à l'honorable sénateur et à tous les honorables sénateurs que le ministre de l'Agriculture a toujours la ferme intention d'en arriver à une issue satisfaisante au chapitre du lait diafiltré. Il a eu des échanges avec l'administration précédente. Je m'attends à ce qu'il collabore tout autant avec la nouvelle administration dans le but de trouver une solution qui protège les intérêts du Canada.


[Français]

ORDRE DU JOUR

Décision de la présidence

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je suis prêt à me prononcer sur le rappel au Règlement soulevé par le sénateur Plett hier. Le 14 février, lorsque la sénatrice McPhedran a prononcé son premier discours au Sénat, elle a déclaré :

[Traduction]

La semaine dernière, lorsque le sénateur Plett était ici, je l'ai entendu parler des raisons de son opposition au projet de loi C-16, et j'ai aussi lu les préoccupations de certains sénateurs qui croient que ce projet de loi et les nouvelles dispositions sur les droits des personnes transgenres porteront atteinte à leurs droits. Je ne suis pas en mesure de trouver des justifications juridiques à ces préoccupations, mais je tiens à souligner que, dans son intervention, mon collègue du Manitoba, le sénateur Plett, parlait de « ces personnes ». À mes oreilles, cela sonne comme une forme de stigmatisation. La stigmatisation d'autrui peut être considérée comme un indicateur de sectarisme. Chers collègues, le sectarisme ne contribue pas à renforcer une démocratie inclusive.

Le fond du rappel au Règlement soulevé par le sénateur Plett tient au fait qu'il a été accusé d'être sectaire étant donné le rapprochement au concept de stigmatisation. Il a interprété les propos de la sénatrice McPhedran comme étant une accusation directe de sectarisme, et il n'est pas le seul à avoir interprété ainsi ces propos. Le sénateur Pratte, par exemple, a reconnu le lien puissant qui a été fait dans le discours, lorsqu'il a dit :

Même si le langage employé était subtil, il m'a certainement semblé non parlementaire. Je sais que, si j'avais été la cible de tels propos, j'en aurais été très ébranlé et profondément insulté. Je comprends donc comment le sénateur Plett se sent aujourd'hui.

(1420)

[Français]

La sénatrice McPhedran a tenté de clarifier ses propos en faisant valoir qu'elle ne parlait pas du sénateur Plett. Elle a dit que les propos tenus par le sénateur Plett en ce qui concerne « ces personnes » pouvaient être un indicateur de sectarisme, mais qu'ils ne le sont pas nécessairement. Elle a aussi proposé de retirer toute référence au sénateur Plett si cela pouvait aider à régler l'objection.

[Traduction]

Honorables sénateurs, les mots sont puissants, ils importent réellement. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'ils sont utilisés pour critiquer non seulement un point de vue différent, mais ceux qui ont ce point de vue différent. Une déclaration doit être examinée dans son intégralité, en tenant compte de son effet global, et non en décomposant le sens en fines nuances. Les propos du sénateur Pratte dont j'ai parlé résument bien l'effet des remarques en cause.

L'article 6-13(1) du Règlement dit que « Les propos injurieux ou offensants sont non parlementaires et contraires au Règlement. » Le Sénat se caractérise par ses échanges respectueux d'idées et d'informations, même lorsque les honorables sénateurs traitent de questions au sujet desquelles ils ont des opinions bien arrêtées. Nous devons toujours être respectueux les uns envers les autres, peu importe nos opinions sur une question, puisque le droit d'avoir et d'exprimer des opinions divergentes constitue la base de la liberté d'expression.

Je sais que nous faisons preuve d'une certaine souplesse à l'endroit de s nouveaux sénateurs — nous avons tous été des nouveaux sénateurs à un moment donné — surtout quand il s'agit d'un premier discours. Toutefois, les allusions au sénateur Plett dépassaient les limites d'un débat parlementaire acceptable. Elles étaient blessantes et inappropriées. De tels propos ne nous aident pas à nous acquitter de nos fonctions. Ils créent de la rancœur et de l'animosité. Cela ne sert pas l'intérêt public, soit l'ultime objectif de notre travail en tant que sénateurs.

Les propos tenus par la sénatrice McPhedran dans son discours du 14 février peuvent, dans le contexte où ils ont été prononcés, être qualifiés de non parlementaires. Le rappel au Règlement est bien fondé. J'exhorte fortement la sénatrice McPhedran, et bien sûr tous les sénateurs, à éviter de tenir des propos injurieux et offensants. Continuons, chers collègues, à veiller à ce que nos débats soient respectueux et évitons, en tout temps, les attaques personnelles.

Projet de loi de mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L'honorable André Pratte propose que le projet de loi C-30, Loi portant mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne et ses États membres et comportant d'autres mesures, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je suis désolé, mais je ne serai pas bref.

J'interviens aujourd'hui en faveur du projet de loi C-30, Loi portant mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne et ses États membres et comportant d'autres mesures.

Tout indique que le Canada, comme tous les pays développés, connaîtra une croissance intérieure relativement faible dans un avenir prévisible. Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs, particulièrement le vieillissement de la population et le ralentissement dans les pays émergents tels que la Chine. Par conséquent, je dirais que les gouvernements et les banques centrales cherchent désespérément des moyens de stimuler la croissance : budgets expansionnistes, dépenses dans les infrastructures, assouplissement quantitatif et taux d'intérêt faibles, et même négatifs. Cependant, pour un pays qui a autant de ressources et de talents que le Canada, le moteur le plus puissant du développement économique est le libre-échange.

C'est pourquoi l'Accord économique et commercial global avec l'Union européenne est si important pour le Canada. Il survient au moment où notre économie a besoin d'un nouveau souffle. Évidemment, cet élan se fera sentir seulement si l'accord entre en vigueur. Comme le Parlement européen l'a approuvé hier, tout ce qui nous sépare de ce regain économique est l'adoption, par le Sénat, du projet de loi C-30.

[Français]

Pour ce qui est de notre Parlement, par conséquent, l'entrée en vigueur passe par le projet de loi C-30 qui prévoit des modifications à plusieurs lois afin de les rendre conformes aux modalités de l'AECG. Maintenant que les parlementaires ont adopté l'accord, nous devons adopter le projet de loi C-30 rapidement et avec conviction.

Il n'y a pas de raison qu'il en soit autrement. L'accord a été négocié par des gouvernements dirigés par les deux partis politiques présents en cette Chambre. Alors qu'il était premier ministre, M. Stephen Harper a déclaré ce qui suit :

[...] l'accord commercial entre le Canada et l'Europe est le plus important jamais conclu par notre pays. Il créera des emplois et des opportunités pour des familles, des entreprises et des travailleurs de partout au Canada.

Aujourd'hui premier ministre, M. Justin Trudeau a soutenu ce qui suit, et je cite :

L'AECG offrira des avantages importants à la plupart des secteurs de l'économie canadienne, que ce soit pour les pêcheurs de Terre-Neuve-et-Labrador, les travailleurs québécois de l'aérospatiale, les gens qui assemblent des véhicules automobiles en Ontario, les travailleurs de l'industrie forestière en Colombie-Britannique ou les travailleurs miniers des Territoires du Nord-Ouest.

L'AECG donnera aux entreprises canadiennes un accès libre de droits de douane à un immense marché de 510 millions d'habitants, qui représente 14 fois la population du Canada et le deuxième plus grand marché de biens et de services au monde. Même sans le Royaume-Uni après la conclusion du Brexit, ce sera un marché de 445 millions d'habitants, qui compte 110 millions d'habitants de plus que les États-Unis.

Dès l'entrée en vigueur de l'entente, 98 p. 100 des biens canadiens pourront entrer en Europe libres de droits, comparativement à 25 p. 100 aujourd'hui. Cela est vrai notamment pour plusieurs produits agricoles allant du sirop d'érable aux pommes, en passant par les canneberges. Les producteurs canadiens de bœuf et de porc bénéficieront graduellement, pendant une période de transition de cinq ans, d'un accès élargi au marché européen grâce à de nouveaux contingents tarifaires.

Au moment de l'entrée en vigueur, les métaux et les minéraux canadiens comme l'aluminium, le cuivre et le zinc pourront entrer dans les pays de l'Union européenne en franchise de droits de douane. Ce sera aussi le cas pour les produits pétroliers et pour certains poissons et fruits de mer, comme le homard, le saumon et le crabe. C'est vrai enfin pour les produits manufacturés, dont 99 p. 100 pourront être exportés exempts de droits dès l'entrée en vigueur de l'accord.

[Traduction]

Les caractéristiques clés de l'accord résident cependant dans sa portée et son caractère innovateur. Dans le domaine de l'investissement, par exemple, l'accord non seulement ouvre la voie à de plus grands investissements des deux parties, mais institue aussi un mécanisme permanent de règlement des différends. À la différence des tribunaux d'arbitrage de l'ALENA, ce mécanisme permettra de choisir les arbitres dans un groupe permanent de 15 personnes, ce qui évitera aux parties d'avoir à les nommer dans chaque cas. Cette façon de procéder préviendra aussi tout parti-pris perçu en faveur des entreprises, puisque tous les arbitres auront été choisis d'avance par les États participants.

De plus — et c'est là un point très important —, l'accord confirme le droit des gouvernements d'agir dans l'intérêt public dans des domaines tels que la santé, la sécurité et l'environnement. Autrement dit, les investisseurs ne pourront pas intenter des poursuites contre des gouvernements qui auront agi exclusivement dans l'intérêt public.

L'accord favorise et facilite la reconnaissance mutuelle des compétences professionnelles au Canada et en Europe. Comme la mobilité des gens d'affaires hautement compétents est très importante pour la croissance des sociétés et le développement du commerce, l'admission temporaire des gens d'affaires canadiens en Europe et des gens d'affaires européens au Canada sera facilitée. L'accord vise en outre à réduire les obstacles techniques au commerce, qui se substituent parfois aux droits de douane quand ceux-ci sont peu élevés.

Les dispositions du chapitre sur les obstacles techniques au commerce prévoient, en cas de différences entre les règlements et les normes du Canada et de l'Europe, de favoriser la convergence, si possible, tout en protégeant le droit de chaque partie d'adopter des règlements dans son propre intérêt.

L'un des chapitres de l'accord a pour objet de simplifier les exigences relatives aux permis et aux règlements applicables aux services et aux investissements, afin d'éviter d'entraver le commerce entre les parties. Nous devons être conscients du fait que l'Europe est le plus important importateur de services du monde : 936 milliards de dollars en 2015. Les occasions d'affaires pour les entreprises canadiennes sont donc extraordinaires.

(1430)

En ce qui concerne les marchés publics, l'Accord économique et commercial global va beaucoup plus loin que l'accord de l'OMC. Dans ce cas, un très grand nombre d'entités gouvernementales — gouvernements centraux, infranationaux, municipaux, sociétés d'État — doivent soumettre leurs marchés publics allant au-delà d'une certaine valeur à un processus d'appel d'offres non discriminatoire. Certains secteurs sont exclus, comme la santé, l'éducation, la culture, l'administration publique, les services financiers et la recherche-développement. Cet accord ouvre néanmoins aux sociétés canadiennes l'accès à un énorme marché de contrats gouvernementaux dont la valeur annuelle s'élève à 3 300 milliards de dollars par an, dans des domaines tels que le traitement des eaux, la production d'électricité et les transports en commun.

Il y a une autre considération fondamentale : en vertu de l'accord, le Canada et l'Union Européenne ont convenu de ne pas baisser leurs normes relatives à la protection des travailleurs et de l'environnement sous prétexte d'encourager le commerce ou l'investissement.

[Français]

Honorables sénateurs, nécessairement, la mise en œuvre d'un tel traité entraîne un certain nombre de changements à la législation canadienne. Ce sont ces changements qui se trouvent dans le projet de loi C-30.

Le projet de loi est divisé en quatre parties. La partie 1 approuve officiellement l'accord, prévoit le paiement par le Canada de sa part des frais de fonctionnement des institutions vouées au bon fonctionnement de l'entente et autorise le ministre du Commerce international à proposer des personnes pouvant agir comme membres des différents tribunaux mis sur pied pour régler des différends entre les parties et entre les États et les investisseurs.

La partie 3 comprend des modifications corrélatives et la partie 4, des dispositions de coordination et d'entrée en vigueur. C'est la partie 2 qui constitue le cœur du projet de loi C-30.

Entre autres, le projet de loi modifie les lois suivantes. Premièrement, la Loi sur les licences d'exportation et d'importation est modifiée de façon à permettre la mise en œuvre des dispositions de l'AECG relatives aux règles d'origine, ce qui permettra l'exportation vers l'Europe à des tarifs préférentiels de plusieurs produits fabriqués au Canada comptant une part de matériaux importés, notamment des véhicules automobiles.

Deuxièmement, la Loi sur les brevets est modifiée de façon, notamment, à mettre en place un régime de « certificats de protection supplémentaire » auquel seront admissibles les titulaires de brevets liés à un produit pharmaceutique, c'est-à-dire des médicaments. Ces certificats vont prolonger la durée du brevet d'une période maximale de deux ans pour tenir compte du délai qui s'écoule entre la date du dépôt de la demande de brevet et celle de l'autorisation de mise en marché. J'y reviendrai un peu plus tard.

Ensuite, la Loi sur les marques de commerce sera modifiée de façon à protéger les indications géographiques européennes énumérées en annexe à l'accord. Pensons à des appellations comme prosciutto, Brie de Meaux ou parmigiano reggiano. Les indications utilisées depuis longtemps par les producteurs canadiens, comme feta et gorgonzola, bénéficieront de droits acquis.

La Loi sur Investissement Canada est modifiée de façon à rehausser de 600 millions à 1,5 milliard le seuil à partir duquel un investissement peut faire l'objet d'un examen pour les investisseurs des pays parties à l'accord, c'est-à-dire les parties membres de l'Union européenne.

La Loi sur le cabotage est modifiée pour prévoir que les navires européens pourront se livrer à certaines activités de dragage au Canada et de cabotage entre Montréal et Halifax. Enfin, la Loi sur le tarif des douanes est modifiée afin d'éliminer, immédiatement ou par étape, les tarifs des biens importés de l'Union européenne.

Comme on le sait, et je l'ai mentionné plus tôt, l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne a été négocié par un gouvernement conservateur et un gouvernement libéral. Il jouit donc d'un appui important au sein de la classe politique. N'empêche que certains volets de l'entente font l'objet de critiques. Les milieux syndicaux, par exemple, et une partie de ce qu'on appelle « la société civile » voient une certaine partie de l'accord d'un mauvais œil.

Ils estiment que celui-ci apportera peu de gains en termes de croissance économique et d'emplois, voire qu'il provoquera des pertes d'emplois. Ils croient que l'entente accorde des droits excessifs aux multinationales, qu'elle entraînera une privatisation des services publics et une hausse du prix des médicaments, au détriment des malades et des régimes publics d'assurance médicaments.

Certaines de ces prévisions nous sont familières. Ce sont des épouvantails qui ont été agités à la veille de la signature du traité de libre-échange avec les États-Unis et de l'ALENA. Ces craintes ne se sont pas avérées. D'autres critiques sont spécifiques à l'Accord économique et commercial global.

[Traduction]

Pour ce qui est des répercussions de l'accord sur l'emploi, la plupart des études prévoient un impact positif aussi bien au Canada qu'en Europe. Il y a cependant une analyse qui prévoit des effets négatifs. Personnellement, je suis sceptique face à un scénario d'après lequel des emplois seraient perdus par suite de l'ouverture aux entreprises canadiennes de l'un des plus grands marchés du monde.

Examinons simplement un secteur prometteur parmi des centaines d'autres : celui des plastiques et des produits chimiques. À l'heure actuelle, ces produits sont assujettis en Europe à des tarifs moyens de 4,9 p. 100, qui seront éliminés dès la mise en vigueur de l'accord, ce qui assurera aux producteurs canadiens un avantage sur leurs concurrents. Il en est de même d'une multitude d'industries canadiennes. Cet accord avec l'Europe créera des emplois au Canada.

On peut penser qu'une prolongation de la période de protection par brevet des nouveaux médicaments, pouvant aller de quelques mois à deux ans, aura des effets sur les prix, mais quelle est l'importance de ces effets? Les adversaires de l'accord citent une étude selon laquelle les prix augmenteront de 6 à 13 p. 100 d'ici à 2023. D'après les auteurs eux-mêmes, plusieurs éléments de cette étude sont incertains.

Commençons par signaler que la protection supplémentaire s'appliquerait seulement aux médicaments qui seraient mis en marché après l'entrée en vigueur de l'accord. Une modification a été apportée au projet de loi à l'autre endroit pour que cela soit parfaitement clair. Ainsi, le prix des médicaments que vous et moi consommons aujourd'hui — et nous en prenons de plus en plus étant donné notre âge — n'augmentera pas, qu'il s'agisse de médicaments de marque ou de médicaments génériques, pas plus que le prix actuellement payé par les systèmes de soins de santé. S'il y a des effets, ils ne se manifesteront qu'à long terme parce qu'il faudra attendre jusqu'à deux ans de plus pour avoir la version générique.

Il faut noter que de nombreux facteurs jouent un rôle dans le prix des médicaments, qui est déjà plus élevé au Canada que dans certains pays européens, même si la protection des brevets dure cinq ans de plus en Europe. Des facteurs autres que la période de protection ont donc une certaine influence, notamment la politique gouvernementale, qui y est pour beaucoup.

C'est la raison pour laquelle le gouvernement du Canada a formé un partenariat avec les gouvernements provinciaux pour être en mesure, grâce à l'Alliance pancanadienne pharmaceutique, de négocier en bloc avec les sociétés pharmaceutiques l'achat des médicaments de marque et des médicaments génériques. Ces négociations collectives ont permis jusqu'ici de réaliser 700 millions de dollars d'économies. Ottawa, les provinces et les territoires envisagent maintenant d'autres moyens de rendre plus abordables les médicaments d'ordonnance.

L'autre élément controversé de l'accord concerne le mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et un État. Le Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public dit que ce mécanisme constitue la caractéristique la plus dangereuse de l'accord et la plus grande menace à l'intégrité de nos institutions démocratiques. D'après le syndicat, les États hésiteront de plus en plus à adopter de nouvelles politiques publiques parce que les investisseurs seraient susceptibles de recevoir d'importantes indemnités par suite de mauvaises décisions du gouvernement.

À mon avis, ce point de vue constitue de la paranoïa, d'autant plus, comme je l'ai dit plus tôt, que le mécanisme de règlement des différends a été sensiblement amélioré depuis la signature de l'ALENA. Les membres du tribunal de règlement des différends seront choisis par les États participants et non par les parties au différend. Les investisseurs n'auront rien à dire à cet égard. Les arbitres auront l'obligation de se conformer à un code d'éthique. Contrairement aux cas que nous avons vus par le passé, ils ne pourront pas agir comme conseillers, experts ou témoins dans d'autres différends liés à des investissements s'il y a un risque quelconque que cela soit perçu comme un conflit d'intérêts.

Les audiences du tribunal d'arbitrage seront ouvertes au public, de même que le compte rendu des délibérations. D'après J. A. VanDuzer, professeur de droit à l'Université d'Ottawa, l'Accord économique et commercial global comporte des pratiques exemplaires canadiennes conçues pour renforcer la capacité de l'État de gérer les différends investisseur-État et d'affronter les nombreuses préoccupations liées à la légitimité qui ont été soulevées.

[Français]

Dans le domaine agricole, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, l'AECG ouvre aux producteurs canadiens l'immense marché européen. En échange, il a fallu faire une concession. Nous avons pu préserver le système de gestion de l'offre, mais le Canada a autorisé l'importation en franchises de droits de 17 700 tonnes de fromage, dont 16 000 tonnes seront sans doute des fromages fins, ce qui correspond à 30 p. 100 du marché canadien actuel pour ce type de fromage. Cela se fera progressivement au cours des cinq prochaines années, mais aura inévitablement un certain impact sur les producteurs de lait et de fromage au pays.

(1440)

Afin d'amortir le choc et, surtout, de leur permettre de mieux affronter cette nouvelle concurrence, le gouvernement a mis en place un nouveau programme d'aide de 350 millions de dollars, soit 250 millions de dollars consacrés aux producteurs laitiers et 100 millions de dollars destinés aux transformateurs pour les aider à moderniser leurs installations et à s'adapter aux nouvelles conditions du marché. Les producteurs laitiers que j'ai rencontrés croient que cela n'est pas suffisant et réclament plutôt 150 millions de dollars par année, pendant sept ans au moins, estimant que l'ensemble du fromage nouvellement importé constitue pour eux une perte nette.

En réalité, selon les projections d'Agriculture Canada, la vente de fromage continuera d'augmenter au Canada au cours des 10 prochaines années, malgré l'augmentation des importations venant de l'Europe, et ce, grâce à la croissance de la population, de sorte que les revenus des producteurs laitiers et des transformateurs canadiens augmenteront en moyenne de plus de 2 p. 100 par année, malgré la croissance des importations.

Les producteurs de lait et les transformateurs se tireront bien d'affaire si les programmes d'aide sont bien ajustés à leurs besoins et si les quotas d'importation sont sagement répartis. C'est pourquoi le gouvernement du Canada a mené, au cours des derniers mois, d'intenses consultations sur ces questions auprès des personnes et des groupes intéressés, et les décisions à cet égard seront prises et annoncées ce printemps.

Honorables sénateurs, nous le savons, nous vivons à une époque où la tentation du repli sur soi est forte. Dans l'espoir de régler nos problèmes de sécurité et nos problèmes économiques, nous nous tournons vers des solutions en apparence faciles, comme celle de fermer nos frontières aux personnes et aux biens venant de l'étranger.

Le courant protectionniste a, bien sûr, été illustré de façon spectaculaire, l'an dernier, par la victoire de Donald Trump aux États-Unis et par celle du Brexit au Royaume-Uni. Cependant, ce courant ne date pas de l'an dernier. Selon le plus récent rapport de l'Organisation mondiale du commerce, depuis 2008, près de 3 000 mesures restrictives pour le commerce ont été introduites par les membres de l'OMC. De ces mesures, seulement 700 — environ le quart -, ont été supprimées à la mi-octobre 2016. Il y a donc encore plus de 2 200 mesures restrictives pour le commerce qui sont toujours en place.

Selon le directeur général de l'OMC, M. Roberto Azevêdo, et je cite :

Les mesures restrictives pour le commerce peuvent avoir un effet dissuasif sur les flux commerciaux, et des répercussions sur la croissance économique et la création d'emplois.

[Traduction]

Après que le comité du commerce international du Parlement européen a voté en faveur de l'AECG en janvier dernier, M. Sorin Moisa, membre du Parlement, a dit : « C'est plus qu'un simple accord de libre-échange avec le Canada. C'est l'expression de notre relation avec le reste du monde. » Cette déclaration est certainement vraie dans notre cas aussi.

On dit parfois que le Canada n'a pas d'autre choix que de faire le commerce avec le reste du monde et qu'il est condamné à le faire par sa géologie, sa géographie et sa démographie.

C'est absolument vrai. Comme l'a signalé le Conseil consultatif en matière de croissance économique du gouvernement, la taille relativement petite de notre économie nous impose de faire du commerce pour maintenir notre croissance et notre prospérité. Les économies développées qui sont plus grosses et plus diversifiées ont d'autres sources de croissance. Par exemple, le commerce international ne représente que 30 p. 100 du PIB des États-Unis, par rapport à 65 p. 100 au Canada.

En même temps, le Canada a choisi de faire le commerce avec le monde parce les valeurs canadiennes les plus fondamentales lui dictent d'entretenir des rapports de tout genre, de nouer des liens d'amitié et de solidarité et d'avoir des relations économiques et culturelles avec les peuples du monde entier.

L'année dernière, le Canada a été un modèle pour le monde à cause de la façon dont il a accueilli les réfugiés du conflit syrien. En 2017, le Canada se distinguera par sa façon de résister au courant protectionniste et de mettre en œuvre le traité de libre-échange le plus moderne et le plus ambitieux de l'histoire, l'Accord économique et commercial global Canada-Union européenne.

Voilà pourquoi je vous exhorte à voter en faveur du projet de loi C-30, qui met en œuvre cette entente historique. Je vous remercie.

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe de l'opposition) : Le sénateur accepterait-il de répondre à quelques questions?

Tout d'abord, je vous félicite, sénateur, pour votre discours le plus long.

J'ai parrainé le projet de loi de mise en œuvre de l'Accord de libre- échange Canada-Corée. En vous écoutant, je me disais que beaucoup de vos observations me semblaient très familières.

Certaines choses sont curieuses. Dans le processus de ratification, les États membres de l'Union européenne doivent faire ratifier l'accord par leurs parlements respectifs. Est-ce une indication de ce que le Canada aura à affronter après la ratification de l'accord? Le Canada aura-t-il vraiment un accès moins semé d'obstacles que ce ne serait le cas en l'absence d'un accord? Devrons-nous passer par des processus compliqués en nous adressant aux différents Parlements plutôt qu'en traitant avec l'Union européenne dans son ensemble?

Je sais qu'il y aura un peu des deux, mais je me demande à quel point le processus de ratification sera complexe. Quels autres obstacles, quels autres processus complexes le Canada devra-t-il affronter même après la mise en œuvre?

Le sénateur Pratte : Je vous remercie de votre question. Les choses ne sont jamais aussi simples que nous voudrions qu'elles le soient. Toutefois, oui, une fois le projet de loi C-30 adopté, il y aura quelques démarches à faire, après quoi des lettres seront échangées entre le Canada et l'Union européenne, puis l'accord sera mis en œuvre à titre provisoire. Cela signifie que les baisses de tarifs entreront en vigueur, mais il y aura un processus de ratification dans le cadre duquel le Parlement de chaque État membre devra ratifier l'accord. Toutefois, celui-ci aura son plein effet dès que l'échange de lettres aura eu lieu. Les entreprises canadiennes auront immédiatement accès aux marchés.

La sénatrice Martin : J'ai encore l'impression que ce sera un processus complexe, mais j'ai bien compris votre réponse, sénateur.

Vous avez reconnu le travail accompli par notre gouvernement conservateur précédent, par le ministre Ed Fast et par son prédécesseur. Ils ont fait un travail remarquable qui a permis au présent gouvernement de poursuivre dans la même voie.

Les producteurs laitiers étaient ici récemment. J'ai été très surprise par le chiffre de 30 p. 100 du marché du fromage qui sera touché par l'accord et, même si 250 millions de dollars constituent une grosse somme, je n'ai pas l'impression que ce soit assez pour toute une industrie.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce que nos producteurs laitiers peuvent attendre de cet accord? Je viens de la Colombie- Britannique, où le secteur laitier est aussi important que dans les autres régions du pays. Ce chiffre de 30 p. 100 me semble vraiment très élevé.

Le sénateur Pratte : Oui, c'est bien 30 p. 100 du marché des fromages fins, et non de l'ensemble du marché du fromage. Ce montant est souvent comparé à celui qu'avait proposé le gouvernement précédent, à savoir 1 milliard de dollars sur 10 ans. De toute évidence, le montant que j'ai mentionné est moins élevé, mais le milliard sur 10 ans devait indemniser les producteurs tant pour l'AECG que pour le PTP. Il faut noter que le PTP devait ouvrir tout le marché du lait, et pas seulement le marché du fromage. Il y a donc une énorme différence.

Tous les groupes, tous les experts à qui j'ai parlé m'ont dit que les ventes de fromage augmentent rapidement. Il y aura une baisse, mais ce sera une baisse du taux de croissance et non une baisse nette. Par conséquent, les producteurs de fromages peuvent encore compter sur une certaine croissance annuelle de leur marché, mais elle sera plus petite.

Tout le monde me dit que la répartition des quotas d'importation sera très importante. Il faudra donc voir qui obtiendra les quotas d'importation et qui contrôlera quoi. Ce sera déterminant pour les producteurs laitiers, quant aux effets de la hausse des importations. C'est là une décision que le gouvernement devra prendre. On peut espérer que, étant donné les vastes consultations qui ont été faites, le gouvernement sera en mesure de prendre les bonnes décisions pour que les producteurs et les transformateurs de lait puissent affronter l'augmentation des importations.

(1450)

L'honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, après cet appui enthousiaste du sénateur Pratte au projet de loi C-30, il m'a semblé que je devais parler de quelques petites choses.

Monsieur le sénateur Pratte, d'après l'interprétation, vous auriez dit que nous devrions adopter le projet de loi rapidement. J'espère que c'est bien ce que vous avez dit et que ce n'est pas une erreur d'interprétation. C'est pour moi un signal d'alarme. Pendant les premiers temps où je siégeais au Sénat — plusieurs d'entre vous m'ont déjà entendu en parler —, nous avons agi avec les meilleures intentions du monde. En 2005, le premier ministre Martin, le chef de l'opposition, M. Harper, et le chef du NPD, M. Layton, se sont rendus aux Pays-Bas pour assister à une cérémonie organisée pour honorer les Canadiens qui avaient combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Sur le chemin du retour, évidemment émus par les manifestations, ils ont décidé qu'il fallait adopter une charte des anciens combattants à toute vitesse, sans aucun délai. En effet, qui n'est pas en faveur d'une aide pour les anciens combattants et leurs familles, qui peut s'opposer à ce qu'ils reçoivent les ressources dont ils ont besoin?

La charte a été mise à l'étude aux Communes, où elle a été proposée par la ministre des Anciens Combattants. La motion a été adoptée, le projet de loi a été lu pour la deuxième fois, étudié en comité, renvoyé, approuvé, lu pour la troisième fois et adopté en une minute à la Chambre des communes. Le projet de loi est ensuite arrivé au Sénat, la Chambre de second examen objectif, où nous étions tous enthousiastes, car nous souhaitions faire ce qui s'imposait. Là encore, qui peut s'élever contre la bonification des prestations des anciens combattants? Qui peut s'opposer au versement de prestations aux familles et aux enfants?

Au Sénat, nous avons pris un peu plus de temps. La première et la deuxième lecture ont eu lieu le même jour. Il a été convenu qu'il y aurait un intervenant et une demi-heure de questions. Puis, le Sénat a décidé collectivement de renvoyer le projet de loi à un comité, à la différence de ce qui s'était fait aux Communes. À quel comité? On aurait pu supposer que ce serait au Comité des affaires des anciens combattants, où nous avions des membres qui avaient étudié les problèmes des anciens combattants pendant des années. À défaut, cela aurait pu être le Comité de la défense nationale.

Dans sa hâte de faire étudier le projet de loi à la première séance de comité disponible, le Sénat a décidé de le renvoyer au Comité des finances. La Charte des anciens combattants a donc été étudiée au Comité des finances, où nous avons eu une seule longue séance. Je m'en souviens très bien, puisque je faisais alors partie de ce comité. Je me souviens de sa précipitation à adopter cette mesure. Je ne veux rien dire de mal des sénateurs en cause. Ils étaient mus par les meilleures intentions qui soient. Tout le monde a agi de la sorte pour les bonnes raisons, mais l'institution qu'est le Sénat n'a pas fait son travail. Il n'a pas fait ce second examen objectif.

Au Comité des finances, nous avons entendu le témoignage de Sean Bruyea, ancien combattant des Forces canadiennes. Il y a eu des reportages dans les médias. Je ne raconte donc pas d'histoires. Il souffre du syndrome de stress post-traumatique. Il l'a déclaré publiquement. Voici ce qu'il a dit au cours de cette séance :

Nous savons tous que le gouvernement veut paraître honorer les anciens combattants, mais cela ne veut pas forcément dire que sa charte des anciens combattants est exempte d'erreurs. Étant donné qu'on dit que la contribution des anciens combattants à la société est, à bien des égards, intemporelle, il y a lieu de se demander pourquoi on se précipite pour faire adopter un projet de loi en seulement deux jours, alors qu'Anciens Combattants Canada traîne les pieds depuis plus de 15 ans. Nous croyons que les anciens combattants handicapés et les FC préféreraient que la charte soit bonne, plutôt qu'imparfaite et injuste comme elle l'est maintenant.

Eh bien, nous avons passé de longues années à tâcher de rafistoler la charte. Des anciens combattants s'en plaignent toujours. Les ministères essaient toujours de régler les problèmes, tout cela parce que la charte a été adoptée dans la précipitation.

Sénateur Pratte, je le répète, je ne veux dire du mal de personne. Votre enthousiasme pour le projet de loi est bien inspirée, mais faisons notre travail. Vérifions les faits.

Nous avons aussi un exemple récent de précipitation au Sénat. Cela s'est passé l'an dernier. Au Comité sénatorial des affaires étrangères, la ministre du Commerce international, Mme Freeland, a témoigné à l'appui de la loi habilitante d'un accord de l'Organisation mondiale du commerce que le Canada avait signé. Il était urgent de l'adopter.

La ministre a déclaré à la réunion que le Canada devait assurer la ratification « le plus rapidement possible » pour que l'Accord sur la facilitation des échanges puisse entrer en vigueur.

[...] cet accord doit, avant d'entrer en vigueur, être ratifié par 108 pays membres de l'OMC. Jusqu'à aujourd'hui...

— c'était le 22 novembre 2016 —

... 96 pays l'ont ratifié. Il est vraiment important, pour confirmer sa stature comme participant efficace et énergique dans le monde du commerce, que le Canada soit parmi les pays qui, en le ratifiant, permettront l'entrée en vigueur de l'accord.

Il vaut peut-être la peine de signaler que le projet de loi était à l'étude au Sénat depuis cinq semaines. Il lui a fallu 27 semaines pour être adopté aux Communes, où il avait l'appui de tous les partis. Le besoin d'agir énergiquement a été plutôt lent à se manifester. Il a fallu attendre que le projet de loi parvienne au Sénat.

Plusieurs d'entre nous, dont moi-même, ont remis en question cette urgence et la nécessité d'un calendrier aussi contraignant. J'ai dit à la ministre : « Si le Canada ratifie l'accord après les 110 premiers pays, nous y adhérerons toujours... Je comprends que nous veuillons sauver la face, comme la ministre l'a dit tout à l'heure, mais prévoit-elle que 14 pays ratifieront l'accord au cours de la prochaine semaine? » C'était le nombre qu'il fallait pour atteindre 110? Si nous avions besoin de la semaine suivante, c'est que nous voulions de l'information sur des marchandises en transit au Canada, au cas où il y aurait eu des accidents ou quelque problème. Nous avions besoin d'une semaine ou deux encore pour obtenir ces renseignements.

La ministre a répondu : « Absolument. » L'accord allait être ratifié. Lorsque je l'ai interrogée de nouveau, elle a dit : « Oui. Tout le monde a fait avancer le dossier. » Autrement dit, le temps pressait. Nous devions agir rapidement. Nous n'avions pas une semaine à perdre.

Comme la ministre estimait qu'il y avait urgence, le comité n'a tenu qu'une seule séance de plus, a adopté le projet de loi, en a fait rapport le 24 novembre et le Sénat l'a adopté le 30 novembre. Le projet de loi a été à l'étude sept semaines au Sénat, le quart du temps passé aux Communes.

Qu'en est-il de ces 14 pays qui devaient ratifier l'accord dans la semaine suivante, selon ce que la ministre affirmait? Aujourd'hui, trois mois plus tard, 108 pays ont ratifié l'accord et non pas 110. Nous nous sommes fait dire que nous disposions d'une semaine. Or, nous pourrions adopter le projet de loi aujourd'hui, et nous serions toujours parmi les 110 premiers pays.

Encore une fois, je ne veux médire de personne, mais parler de ce sentiment d'urgence qui pèse toujours sur nous. Notre travail consiste à étudier les documents et les projets de loi avec soin, et, comme une longue expérience nous l'apprend et comme le sénateur Baker l'a tant de fois souligné, nous ne pouvons compter sur les Communes pour faire cette analyse. Les Canadiens doivent s'en remettre au Sénat.

En guise de conclusion, je rappelle à mes collègues que le Canada est le signataire de 12 accords de libre-échange. Ce n'est là qu'une mesure de l'efficacité parmi d'autres, mais elle est importante. Parmi ces 12 accords, il y en a 8 qui ont permis d'accroître la balance commerciale. Je vais vous donner quelques chiffres.

Avant la signature de l'ALENA avec le Mexique, notre balance commerciale accusait un déficit de 2,9 milliards de dollars. Elle accuse maintenant un déficit de 24 milliards de dollars. La sénatrice Martin a parlé de la Corée. En un an, notre balance commerciale avec ce pays est passée de 3,1 à 3,9 milliards de dollars. Avec le Pérou, elle est passée de 2,1 milliards de dollars au moment de la signature, en 2009, à 2,4 milliards l'an dernier, d'après les chiffres disponibles.

Je ne vais pas tout reprendre ici. Ce sont des données du domaine public, mais nous devons considérer avec prudence les effets de ces accords. Nous devons prendre un soin particulier pour en expliquer les avantages aux Canadiens. Nous sommes un pays commerçant. Nous dépendons beaucoup du commerce, mais il faut que les Canadiens sachent comment tout le monde est touché, et pas seulement les entreprises canadiennes, qu'ils sachent que, pour une usine fermée, il y a des occasions qui surgissent ailleurs. Le gouvernement n'a pas particulièrement bien expliqué les avantages des accords commerciaux, et c'est un aspect que nous devons aussi considérer avec soin.

Chers collègues, je voulais simplement vous livrer ces quelques observations avant que le projet de loi soit renvoyé au comité.

Son Honneur le Président : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Downe?

Le sénateur Downe : Oui.

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : Les chiffres que vous avez cités sont intéressants. J'aimerais savoir si l'augmentation du déficit de la balance commerciale est attribuable au fait que l'on consomme davantage de biens qui proviennent de ce nouveau partenaire avec lequel on a conclu un traité de libre-échange.

(1500)

Y a-t-il un mouvement de notre consommation liée à un pays où, par exemple, nous n'avons aucune consommation vers ce nouveau partenaire, ce qui crée, en apparence, une augmentation du déficit commercial, mais qui, en fait, pourrait être simplement un transfert d'achats d'un pays avec lequel nous n'avons pas conclu de traité de libre-échange vers ce nouveau partenaire commercial? Avez-vous constaté de tels déplacements d'achats, de tels chiffres?

[Traduction]

Le sénateur Downe : Excellente question. J'ai vérifié les pays avec lesquels nous avons des accords. Évidemment, les économies ont pris de l'expansion. Comme je l'ai dit au cours de mon intervention, c'est là un seul indicateur, mais, à mon sens, un indicateur majeur, et sans vouloir lui mettre des mots dans la bouche, le président Trump a donné sur le Mexique des chiffres qui l'inquiètent sur la balance commerciale.

Je ne possède pas cette information. C'est une bonne question. Lorsque nous avons signé un accord commercial avec la Jordanie, en 2012, il y a eu une foule de questions sur ce que nous entendions faire et sur ce qui s'est passé effectivement. Cela fait partie du suivi. Des pays étrangers, parce qu'ils n'avaient pas d'accord commercial avec le Canada, ont-ils installé des travailleurs en Jordanie pour exporter directement chez nous? Ont-ils saisi cet avantage grâce à la Jordanie au lieu de faire quelque chose au Canada? Ce sont là des questions à étudier.

La deuxième chose qui m'inquiète, à propos des accords commerciaux, c'est que le gouvernement du Canada ne semble faire aucun suivi. Exportation et développement Canada fait des annonces à la télévision disant que nous achetons des tee-shirts en Italie et des cravates en France, alors pourquoi ne pas vendre à l'étranger? Nous faisons partie du G8. Ce n'est pas ce qu'on appelle un plan d'exportation. J'ignore ce que c'est, mais les chiffres du commerce révèlent qu'il n'y a pas assez de PME qui profitent de ces débouchés.

Pour moi, la question qui se pose est la suivante : quel programme le gouvernement a-t-il pour remédier à la situation? Que devons- nous faire pour convaincre un entrepreneur qu'il est aussi facile de vendre des produits au Pérou — car il y a des débouchés là-bas — qu'aux États-Unis, où nous avons de très bons résultats parce que nous avons une culture semblable en partage, par exemple? Le gouvernement devrait étudier la question.

L'honorable Yuen Pau Woo : J'ai une question à poser au sénateur Downe. Comme membre du Comité des affaires étrangères, je tiens autant que vous à étudier le projet de loi attentivement et à fond. Comme membre du comité, je m'engage à le faire, mais aussi à le faire rapidement pour que nous puissions adopter le projet de loi en solidarité avec la communauté internationale, qui appuie un commerce ouvert et l'abaissement des barrières commerciales, qui appuie nos amis européens, eux qui ont déplacé des montagnes pour arriver à une entente sur la ratification de cet accord outre- Atlantique.

Sénateur Downe, pour évaluer nos actuels accords commerciaux, vous vous fondez, je crois, sur la taille des déficits, bilatéralement. Quelle théorie économique, quelle justification invoquez-vous pour estimer qu'un déficit plus important est un mauvais résultat pour le Canada?

Le sénateur Downe : Comme je l'ai dit, et je vais le répéter, c'est l'un des nombreux indicateurs de l'efficacité des accords commerciaux. L'un des points particulièrement préoccupants au Canada est le phénomène que nous avons vu et continuons de voir dans de nombreux autres pays, une opposition aux accords commerciaux, parce que les Canadiens n'en perçoivent pas les avantages. C'est un des points qui font que les Canadiens se demandent : « Que se passe-t-il? Qu'est-ce que cela nous donne? »

L'accord sera très favorable au secteur du porc, et il devrait l'être aussi pour l'agriculture. D'autres secteurs s'en tireront moins bien. Toutefois, on ne doit pas signaler uniquement les éléments favorables sans tenir compte de ceux qui ne le sont pas et sans nous demander ce que nous pouvons faire pour aider ces secteurs à s'adapter, pour apporter des rajustements. D'après les chiffres sur le commerce, c'est un secteur où on voit les exportations diminuer après la signature d'accords commerciaux.

Le sénateur Woo : Monsieur le sénateur, convenez-vous que, dans certaines situations, une augmentation des importations, qui pourrait alourdir le déficit commercial, est en fait bénéfique pour les Canadiens? Bénéfique d'abord pour les consommateurs canadiens, qui peuvent avoir des produits meilleur marché et bénéfique aussi pour les manufacturiers canadiens et d'autres propriétaires d'entreprise qui reçoivent des intrants intermédiaires pour fabriquer des produits finis?

Son Honneur le Président : J'ai le regret d'informer le sénateur Downe que son temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour pouvoir répondre à la question?

Le sénateur Downe : Oui, s'il vous plaît.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Downe : Le sénateur Woo fait ressortir un point très valable. Les chaînes d'approvisionnement sont un élément très important de l'économie, mais il y a d'autres secteurs de l'économie qui sont touchés négativement, semble-t-il. Je remarque une nouvelle formule employée par certains : « Beaucoup de pertes d'emploi sont dues à la robotique et en fait, ce ne sont plus des humains qui travaillent. » Pourtant, au Mexique, les Canadiens ne voient pas de robots. Ils voient des Mexicains qui travaillent à un salaire plus bas et avec des avantages réduits, prenant ainsi des emplois qui se trouvaient autrefois au Canada, et ils demandent ce qui se passe. Où sont les jeunes? Où les enfants des Canadiens trouveront-ils des débouchés et des emplois? Dit-on trop de bien des accords commerciaux ou le gouvernement ne réussit-il pas assez bien à préparer les entreprises à tirer profit au maximum de ces accords de façon à employer plus de travailleurs au Canada pour vendre leurs produits dans le monde entier? Pour ma part, j'estime que c'est là un élément du problème.

L'honorable Art Eggleton : Je félicite les gouvernements précédent et actuel d'avoir mené ces pourparlers jusqu'au point où il nous est possible de conclure un accord qui me semble très important pour le Canada. Je peux aussi le dire à titre d'ancien ministre du Commerce, puisque j'ai occupé ce poste pendant environ un an et demi, durant les années 1990, et que j'ai conclu deux des accords de libre-échange auxquels le sénateur Downe s'est reporté dans ses chiffres.

Il faut que tous les aspects de l'accord soient examinés avec soin. Un élément doit retenir davantage l'attention : que fait le gouvernement pour faciliter le commerce? Car il est vrai que cet accord peut se traduire par la création de beaucoup d'emplois et qu'il donne un accès considérable à un marché énorme, mais il s'agit ici d'une loi habilitante. Cela ne veut pas nécessairement dire que les résultats se concrétiseront. Ils le feront si nous amenons le milieu des affaires et les fournisseurs de services professionnels à tirer parti de l'accord.

Il existe au Canada une tradition d'aversion au risque. Le gouvernement devrait peut-être consentir un effort supplémentaire pour ouvrir davantage les échanges commerciaux de façon que nous profitions le plus possible de l'accord comme on le fait dans de nombreux pays qui exploitent ces possibilités plus énergiquement. Un grand nombre de nos entreprises ont tendance à se tourner davantage vers les États-Unis, destination de 70 p. 100 de nos produits et services.

Lorsque le projet de loi sera à l'étude au comité, il serait bon de demander au gouvernement ce qu'il entend faire pour faciliter l'application de ce qui est une loi habilitante. Ce n'est en rien une garantie que tous ces emplois seront créés ni que nous exploiterons ces débouchés.

Il y a autre chose à garder en tête, et je reviens à ce propos aux observations du sénateur Pratte au sujet du nouveau président des États-Unis, qui a dit que bien des gens se sentent laissés pour compte par la mondialisation. Or, ces accords commerciaux favorisent la mondialisation. Oui, beaucoup de travailleurs sont laissés sur le carreau à cause de l'automatisation, mais il y a une grande inégalité dans notre société tout comme dans d'autres sociétés occidentales. Comment venons-nous en aide à ceux qui pourraient autrement être sacrifiés par certains accords commerciaux?

Tous ces aspects méritent d'être étudiés. L'accord mérite qu'on le ratifie, mais il faut examiner de près tous les détails à l'étape du comité. Certaines parties de l'accord ne sont peut-être pas idéales, mais je suis certain que les diverses opinions que vous entendrez vous aideront à prendre une décision concernant chacun des points de l'accord.

(1510)

N'oubliez pas par ailleurs que le gouvernement doit passer de la parole aux actes, contrairement à ce qu'il fait maintenant. Nous avons des agents commerciaux un peu partout dans le monde, mais je crois que nous devrons en avoir davantage en Europe et à d'autres endroits, à part les États-Unis. De plus, qu'est-ce que nous comptons faire afin d'aider les laissés pour compte qui occupent le bas de l'échelle des revenus, c'est-à-dire pour résoudre les problèmes d'inégalités?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

Le Sénat

Adoption de la motion concernant la période des questions de la séance du 28 février 2017

L'honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 15 février 2017, propose :

Que, pour permettre au Sénat de recevoir un ministre de la Couronne au cours de la période des questions tel qu'autorisé par le Sénat le 10 décembre 2015, et nonobstant ce que prévoit l'article 4-7 du Règlement, lorsque le Sénat siégera le mardi 28 février 2017, la période des questions commence à 15 h 30, toutes les délibérations alors en cours au Sénat étant interrompues jusqu'à la fin de la période des questions, qui sera d'une durée maximale de 40 minutes;

Que, si un vote par appel nominal coïncide avec la période des questions tenue à 15 h 30 ce jour-là, ce vote soit reporté et ait lieu immédiatement après la période des questions;

Que, si la sonnerie d'appel pour un vote retentit à 15 h 30 ce jour-là, elle cesse de se faire entendre pendant la période des questions et qu'elle retentisse de nouveau à la fin de la période des questions pour le temps restant;

Que, si le Sénat termine ses travaux avant 15 h 30 ce jour-là, la séance soit suspendue jusqu'à 15 h 30, heure de la période des questions.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

L'ajournement

Adoption de la motion

L'honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 15 février 2017, propose :

Que, lorsque le Sénat s'ajournera après l'adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu'au mardi 28 février 2017 à 14 heures.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

Projet de loi sur le Mois du patrimoine juif canadien

Deuxième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Frum, appuyée par l'honorable sénateur Pratte, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-232, Loi instituant le Mois du patrimoine juif canadien.

L'honorable Joan Fraser : Honorables sénateurs, ce n'est pas moi qui suis la porte-parole de notre caucus concernant ce projet de loi. C'est la sénatrice Jaffer. Par conséquent, lorsque j'aurai terminé mon intervention, je proposerai que le débat soit ajourné à son nom, mais elle a gentiment accepté de me laisser prendre la parole aujourd'hui.

Je voudrais remercier la sénatrice Frum pour avoir déposé ce projet de loi qui, je crois, peut avoir de profondes répercussions constructives sur la trame de la société canadienne, aussi bien pour les juifs que pour les non-juifs.

Le patrimoine juif du Canada est vaste et riche. Il s'étend d'un océan à l'autre. Nous avons entendu le sénateur Wetston parler de son enfance au Cap-Breton. Plusieurs d'entre nous se souviennent du sénateur Jack Austin, qui a servi ici avec tant de distinction et qui, je pense, est né à Edmonton, mais a dignement représenté la Colombie-Britannique au Sénat et partout ailleurs. Les juifs ont beaucoup contribué à notre pays depuis bien des années.

Je vais surtout parler de ma région et de ma ville, Montréal, parce que c'est l'endroit du Canada que je connais le mieux.

L'histoire et la contribution juive à Montréal est absolument extraordinaire. Comme nous l'a rappelé la sénatrice Frum, la synagogue espagnole et portugaise existe à Montréal depuis 1768. C'est l'une des plus anciennes de l'Amérique du Nord, et je peux vous dire qu'elle est encore très active. C'est une bonne chose.

Les juifs font partie de notre histoire depuis ce moment et même un peu avant. L'immigration juive a été assez constante, mais nous avons eu deux grandes vagues d'immigration à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, puis de nouveau après la Seconde Guerre mondiale, lorsque des milliers de survivants de l'Holocauste sont arrivés chez nous.

À Montréal, il y avait encore près de 6 000 survivants de l'Holocauste en 2011. Leur impact sur la conscience de notre communauté ne devrait jamais être sous-estimé.

Nous avons encore près de 90 000 juifs à Montréal. Environ un quart d'entre eux sont séfarades, ce qui constitue un phénomène relativement récent. En effet, la plupart des juifs qui se sont établis au Canada depuis des années étaient ashkénazes. Toutefois, les juifs séfarades sont arrivés et nous ont enrichis parce que beaucoup d'entre eux sont francophones, ce qui a eu d'importants effets sur notre compréhension non seulement de la communauté juive, mais aussi du monde et particulièrement du Moyen-Orient.

Au fil des ans, les juifs de Montréal ont bâti une communauté riche, dynamique et d'une extraordinaire générosité. Il est pratiquement impossible d'aller quelque part à Montréal sans voir un témoignage de cette remarquable générosité. Bien sûr, elle s'est manifestée en premier envers la communauté juive elle-même, qui a profité des avantages d'hôpitaux, d'écoles et de programmes sociaux d'une grande richesse, mais la générosité s'est aussi étendue à l'ensemble de la collectivité. Où qu'on aille, on voit des noms de donateurs juifs : Bronfman, Cummings, Hornstein. Plusieurs se souviendront de notre ancien collègue, le sénateur Leo Kolber, qui est aussi un philanthrope.

Il y a quelques années, comme je déjeunais avec le consul israélien à Montréal, il a mentionné la générosité de la communauté juive montréalaise. Comme c'était la seule communauté juive que je connaissais, j'ai dit : « Ah, est-ce inhabituel? Je croyais que tous les juifs étaient généreux. » Il a répondu : « Oui, mais Montréal est absolument extraordinaire. » C'est bien vrai.

Je voudrais nommer quelques juifs montréalais qui ont contribué à la ville et au Canada. La liste n'est pas exhaustive. C'est juste une série de noms qui me sont venus à l'esprit quand je me suis assise pendant une dizaine de minutes avec un crayon et un bout de papier. Par conséquent, personne ne devrait se sentir insulté si j'ai omis sa personne préférée. C'est une défaillance de ma mémoire, et de personne d'autre.

Commençons par le domaine de la politique. Ezekiel Hart avait été élu à l'Assemblée législative du Québec en 1807. C'était le premier juif jamais élu au Canada. J'en ai plus à dire à ce sujet, mais j'y reviendrai dans quelques instants. Il y a eu bien d'autres illustres juifs montréalais qui ont contribué à la vie politique du pays.

Nous connaissons et respectons tous notre ancien collègue, Irwin Cotler, ce grand défenseur des droits de la personne qui a eu pour clients des célébrités telles que Nelson Mandela et Maher Arar.

Tout le monde se souvient de la merveilleuse éloquence de David Lewis, qui, bien qu'il ait fait carrière en Ontario, a fait ses études à Montréal. L'une des meilleures histoires que je connaisse concerne l'entrevue qu'il a eue à l'Université McGill pour obtenir une bourse de la fondation Rhodes. L'un des membres du jury d'examen était sir Edward Beatty, qui était alors président de CP Rail. Je crois que c'est Beatty qui a demandé à David Lewis : « Si vous étiez premier ministre, quelle serait la première chose que vous feriez? » Lewis avait répondu : « Je nationaliserais CP Rail. » Le jury lui a quand même décerné la bourse, probablement à cause de son grand courage politique.

Il y a eu d'autres personnes qui ont peut-être fait preuve du même courage. Certains d'entre vous se souviendront de l'histoire de Fred Rose, ce député montréalais d'allégeance communiste qui a été en fait emprisonné plus tard après avoir été convaincu d'espionnage pour le compte de l'Union soviétique. Il avait fini ses jours en Pologne après la révocation de sa citoyenneté canadienne. Je doute qu'il y en ait parmi nous qui aurait partagé ses idéaux, mais on peut dire qu'il avait le courage de ses convictions.

(1520)

L'un de mes exemples favoris est celui du défunt Victor Goldbloom qui a été d'abord ministre au Québec. Il était responsable, entre autres, du sauvetage des Jeux olympiques. Par la suite, il a apporté de remarquables contributions dans d'autres domaines. Il est probablement surtout connu au Canada comme ancien commissaire aux langues officielles, mais il a également été président du Conseil canadien des chrétiens et des juifs pendant de longues années. Il a passé sa vie à construire des ponts.

Et qu'en est-il des arts? Les contributions dans ce domaine sont d'une grande richesse. On pourrait remonter à l'école des peintres juifs montréalais des années 1930 et 1940 qui, à mon avis, ont collectivement produit des œuvres nettement supérieures à celles du Groupe des Sept, même s'ils sont moins connus. Nous avons aussi eu des poètes : A. M. Klein, Irving Layton, Leonard Cohen, poète et chanteur, le grand romancier Mordecai Richler et l'inoubliable William Shatner. Il faut également noter que, pendant des années, Montréal a été un grand centre de culture yiddish : théâtre, documents, sociétés. Ce n'est probablement plus aussi vrai, mais ce fut un centre phénoménal pendant bien des années.

Parmi les juristes, on se souviendra de Morris Fish, ancien juge à la Cour suprême du Canada. Le défunt Alan Gold, ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec, a été l'un des grands médiateurs, arbitres et négociateurs du pays. C'est vers lui que les gouvernements se tournaient pour trouver une solution à des problèmes tels que la crise d'Oka. Ce n'étaient pas des tâches faciles. Et, bien évidemment, vous avez tous connu notre collègue, Yoine Goldstein, dont on a souvent envisagé la candidature à la Cour suprême.

Je pourrais poursuivre longtemps. Je pourrais parler de médecine et d'affaires. Toute cette philanthropie devait bien découler de succès réalisés ailleurs, surtout dans le monde des affaires. Je tiens cependant à souligner que ce succès et cette générosité sont d'autant plus remarquables que, dans ma ville et ma province, comme un peu partout dans le monde occidental, les juifs n'ont pas toujours été les bienvenus. J'ai mentionné Ezekiel Hart. Il a été élu deux fois et expulsé deux fois par ses pairs de l'assemblée législative, essentiellement parce qu'il était juif. Ce n'est que plus de 10 ans après la mort de Hart que Louis-Joseph Papineau a fait adopter une loi d'émancipation permettant enfin aux juifs de servir dans nos institutions politiques.

Nous connaissons tous la politique des années 1930 qui se fondait sur la devise suivante : « Aucun, c'est encore trop ». Autrement dit, même après l'interdiction de l'immigration juive, il y avait encore beaucoup trop de juifs qui entraient dans le pays. Nous savons combien sont morts par suite de cette politique. Et l'histoire continue. Il y a encore du vandalisme dans les synagogues et on s'oppose à la construction de nouveaux sanctuaires. Nous avons fait du chemin dans notre société, mais il nous reste encore beaucoup à faire. L'antisémitisme, qui est l'un des aspects les plus profondément ancrés et les plus pernicieux de notre civilisation, n'est pas encore mort.

J'aimerais vous lire une citation de l'ancien président Barack Obama. Il y a quelques années, il s'adressait à un groupe américain à l'occasion du Mois américain du patrimoine juif. Il avait alors dit une ou deux choses qui méritent de figurer dans notre compte rendu :

[...] l'antisémitisme est — et sera toujours — une menace pour les grandes valeurs humaines auxquelles nous devons tous aspirer. Quand nous permettons à l'antisémitisme de prendre racine, il se propage et ce sont nos âmes qui sont détruites.

Dans un instant, je vais citer une autre partie de son discours, mais j'aimerais d'abord ajouter que c'est justement pour ça que je pense que ce projet de loi est important : parce que c'est essentiel que nous soyons tous conscients non seulement de la richesse et de la contribution extraordinaire que le patrimoine juif a apportées à ce pays, mais également du fait que nous ne pourrons jamais nous considérer comme étant à l'abri des forces de la violence et de la haine.

La communauté juive de Montréal a toujours été une source extraordinaire d'aide pour les gens dans le besoin. De plus, les juifs n'ont jamais hésité à apprendre le français. En fait, les premières familles juives que j'ai rencontrées à Montréal parlaient chacune cinq langues. L'anglais et le français n'en étaient que deux langues parmi d'autres, et c'était bien ainsi. Une famille dont je me souviens en particulier racontait des blagues à table et changeait de langue pour choisir celle qui convenait le mieux à la blague. J'en étais éblouie.

Cependant, nous ne sommes pas à l'abri de l'antisémitisme. Sa nature profondément ancrée exige que cela nous soit rappelé souvent — peut-être pas de façon quotidienne, mais pourquoi pendant un mois par année? Ce serait très bien, cela nous permettrait de nous rappeler à la fois les aspects positifs et les aspects dangereux.

Je termine avec une autre citation du président Obama. Il a dit ce qui suit :

[...] pour faire vivre nos valeurs, il faut du courage. Il faut une certaine force [...]

Alors, rappelons-nous toujours que notre patrimoine commun nous rend plus forts et que nos racines s'entrelacent. Choisissons toujours l'optimisme plutôt que le nihilisme, le courage plutôt que le désespoir, et l'espoir plutôt que le cynisme et la crainte.

Je crois que c'est ce qui arrivera si le Canada adopte ce projet de loi et tient la promesse qu'il renferme.

Je propose l'ajournement du débat au nom de la sénatrice Jaffer.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, au nom de la sénatrice Jaffer, le débat est ajourné.)

[Français]

Modernisation du Sénat

Adoption du deuxième rapport du comité spécial

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Wells, appuyée par l'honorable sénateur Enverga, tendant à l'adoption du deuxième rapport (intérimaire), tel que modifié, du Comité spécial sénatorial sur la modernisation du Sénat, intitulé La modernisation du Sénat : Aller de l'avant (Projets de loi omnibus), présenté au Sénat le 4 octobre 2016.

L'honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Je prends la parole aujourd'hui pour poursuivre l'amorce du discours que j'ai fait la semaine dernière sur la motion qui est liée au rapport sur la modernisation traitant des projets de loi omnibus.

J'ai fait des recherches, mes idées ne sont pas tout à fait encore très linéaires, mais je vais néanmoins prendre la parole aujourd'hui, parce que je comprends qu'on veut transmettre cette motion le plus tôt possible au Comité du Règlement et de la procédure.

Comme je le disais, les projets de loi omnibus au pays ont été adoptés assez rapidement depuis la Confédération. En 1868, il y a eu un premier projet de loi omnibus, selon la Bibliothèque du Parlement. Déjà, en 1923, le caractère omnibus a commencé à susciter des réactions négatives.

(1530)

Les projets de loi omnibus soulèvent de nombreuses questions, comme je l'ai dit la dernière fois, et je le répète, en ce qui concerne l'exercice de nos devoirs constitutionnels. La motion dont nous sommes saisis vise l'adoption du deuxième rapport du comité spécial. Ce rapport contient deux recommandations. La recommandation no 9 demande au Comité du Règlement et de la procédure d'élaborer un processus, dans le Règlement du Sénat, pour que les projets de loi omnibus soient renvoyés à un comité compétent qui déterminera s'il y a lieu de les scinder. La recommandation no 10 indique que, lorsque le Sénat applique cette pratique, le gouvernement et la Chambre des communes recevront un avis les informant du renvoi et de la décision du comité de scinder le projet de loi omnibus, le cas échéant.

En examinant ces recommandations de plus près, on s'aperçoit que la demande formulée au Comité du Règlement n'est pas aussi simple qu'elle en a l'air. Je crois qu'il faudra un certain temps avant qu'on soit en mesure d'élaborer un processus clair. Comme je l'ai dit précédemment, il n'existe pas de règle pour le traitement des projets de loi omnibus. Selon les procédures parlementaires à l'autre endroit, on définit un projet de loi omnibus comme étant composé de plusieurs parties connexes, mais indépendantes, qui visent à faire adopter une ou plusieurs lois et/ou à abroger ou à modifier une ou plusieurs lois existantes.

Plusieurs débats ont eu lieu au sujet des projets de loi omnibus et des décisions ont été rendues par les Présidents. Je vous invite à lire les débats tenus en 2014 dans le cadre d'une question soulevée par le sénateur Moore.

Des références existent aussi en ce qui concerne les projets de loi omnibus. L'une d'elles qui, à mon avis, est particulièrement utile, concerne l'objectif visé par les projets de loi omnibus. Le très honorable Herb Gray, alors leader de l'opposition à la Chambre des communes, disait ce qui suit en 1988 :

La défense essentielle de la procédure omnibus, c'est que le projet de loi en question, bien qu'il cherche à créer ou à modifier beaucoup de lois disparates, a en fait un seul principe de base ou un seul objet fondamental qui justifie toutes les mesures envisagées et qui rend le projet de loi intelligible à des fins parlementaires.

C'est probablement un critère dont le comité devra tenir compte. Comme l'ont soulevé d'autres parlementaires dans les débats qui ont eu lieu par la suite, on peut avoir un principe unificateur qui soit très large. Prenons l'exemple de la prospérité de l'économie canadienne. Ce principe très large peut nous amener à chapeauter plusieurs projets de loi qui, parfois, auraient mérité d'être adoptés en tant que tels, et non dans le cadre d'un projet de loi omnibus. C'est pourquoi j'estime que le débat est important.

Depuis mon arrivée au Sénat, un nombre considérable de projets de loi ont été adoptés dans le cadre de projets de loi d'exécution du budget. Or, il n'est pas toujours nécessaire d'agir de la sorte. Dans le cadre d'un projet de loi d'exécution du budget, on peut annoncer des intentions de politiques publiques et le projet de loi peut réunir toutes les modifications de nature fiscale et budgétaire. Cependant, au cours des dernières années, certains de ces projets de loi n'avaient rien à voir avec l'exécution du budget. À mon bureau, nous avons entamé une recherche pour tenter de dresser une liste de tels projets de loi, mais nous n'avons pas terminé.

Toutefois, pour les nouveaux sénateurs, j'aimerais soulever certains points qui devront être examinés par le Comité du Règlement et qui méritent d'être entendus en cette Chambre. Certains projets de loi qui ont été adoptés auraient pu être scindés. Je pense à un projet de loi sur lequel se sont penchés le Comité des finances et le Comité des affaires sociales. Il s'agit du projet de loi C- 4, un projet de loi d'exécution du budget déposé en mars 2013. La section 5 de la partie 3 du budget contenait, par exemple, des modifications au Code canadien du travail qui traitaient de santé et de sécurité au travail. Ce projet de loi visait à modifier la définition de « danger », à éliminer des agents de santé et de sécurité et les agents régionaux de sécurité, à transférer leurs attributions au ministre du Travail, et à améliorer les mécanismes internes de règlement des plaintes des employés concernant les dangers en milieu de travail.

On voit tout de suite que ce projet de loi avait peu de liens avec la nature financière du budget. Surtout, il n'avait pas fait l'objet de consultations préalables. Ce fait a été noté par le Comité des affaires sociales qui, dans son rapport, a souligné le manque de consultation sur cet élément du projet de loi d'exécution du budget. À l'époque, j'étais membre du comité, et j'ai trouvé intéressant de relire les débats que nous avions tenus. Le sénateur Eggleton avait posé une question aux témoins, des représentants patronaux et syndicaux. Sa question se lisait comme suit :

[Traduction]

Merci beaucoup, messieurs, de votre présence et de votre contribution à notre examen de ces dispositions du budget.

La définition de « danger » qui figure actuellement dans le code était le fruit de plusieurs années de travail. Elle avait été adoptée en 2000 et avait fait l'objet d'importantes consultations avec les représentants tant des employeurs que des employés. Dans le cas de la nouvelle définition, je n'ai pas l'impression qu'il y a eu beaucoup de consultations.

Est-ce que les trois témoins peuvent me dire si des consultations sérieuses ont eu lieu et si elles ont abouti à ce changement de la définition?

[Français]

Le représentant des employeurs, un M. Farrell, a répondu ce qui suit :

[Traduction]

ETCOF n'a pas été consulté avant la rédaction de ces mesures.

C'était la même chose pour le syndicat, d'ailleurs, et l'ensemble des témoins.

Cela m'amène à vous parler de critères que nous devrions peut- être appliquer lorsque nous étudions des projets de loi qui ressemblent à des projets de loi omnibus. Quelle a été l'étendue de la consultation? Y a-t-il eu consultation? Quel genre de processus a été utilisé? J'ai examiné des projets de loi d'exécution du budget. Je crois que nous devrons étudier cet aspect. Cela pourrait être un critère qui nous aide à dégager des conclusions.

[Français]

Plusieurs autres projets de loi d'exécution du budget ont donné lieu à des tensions, et les comités l'ont soulevé.

Avec le Sénat d'aujourd'hui, peut-être verrons-nous moins de projets de loi omnibus de cette nature. Le Sénat est plus indépendant, et la relation qui s'établira avec l'autre endroit prendra acte de ce fait. Dans les derniers projets de loi d'exécution du budget, on sentait un malaise lié au fait que le Sénat était bipartisan. Il était plus facile, dans le cadre d'un projet de loi d'exécution du budget, de regrouper plusieurs projets de loi, qui auraient peut-être mérité d'être étudiés un à un.

Sur ce, je conclus mes remarques.

(1540)

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : Sénatrice Bellemare, je vous écoutais et j'ai pris note de la difficulté que soulève le fait d'adopter rapidement des changements de cette nature. Comme je le dis de plus en plus souvent, on ne change pas 150 ans de tradition en 150 jours. On doit prendre le temps d'étudier attentivement les raisons pour lesquelles le Sénat fonctionnait de cette façon et la façon dont on peut améliorer le système pour l'avenir.

Je veux donc ajouter ma voix au débat sur le deuxième rapport du Comité spécial sur la modernisation du Sénat, qui porte sur les projets de loi omnibus. Cette question des projets de loi omnibus a fait l'objet de nombreux écrits, et ce, depuis plusieurs années. Il s'agit en effet d'un cas de confrontation entre le droit du gouvernement de soumettre sa législation au Parlement dans la forme qu'il détermine appropriée et le droit des parlementaires d'étudier adéquatement ladite législation et de se prononcer de façon précise et en connaissance de cause.

Cette question a déjà soulevé des débats enflammés. Faut-il rappeler que, en 1982, les cloches ont sonné pendant deux semaines à la Chambre des communes alors que l'opposition réclamait que le projet de loi sur la politique énergétique soit scindé? Le Comité sur la modernisation du Sénat avait donc raison de se pencher sur cette question épineuse.

Ceux qui sont ici depuis plusieurs années le savent, la tradition voulant que les projets de loi sur les mesures budgétaires soient divisés afin d'être étudiés par plusieurs comités différents est bien établie. Que ce soit sous les gouvernements libéraux ou conservateurs, le gouvernement et l'opposition au Sénat se sont entendus pour donner le mandat aux divers comités d'étudier plus en profondeur les parties des projets de loi omnibus sur le budget. Ces comités doivent ensuite faire rapport au Comité des finances nationales, qui agit comme maître d'œuvre de l'étude et en fait rapport au Sénat. Ce processus fonctionne relativement bien. Il permet de profiter de l'expertise des comités et de leurs membres et d'avoir plus de temps pour effectuer les études.

Je crois que nous aurions avantage à procéder ainsi plus souvent. Je prends pour exemple le projet de loi C-6 qui touche plusieurs sujets se rapportant tous, il est vrai, à l'immigration et à la citoyenneté, mais qui sont bien différents quand on parle de menace terroriste ou de langues officielles. Nous avons suggéré au gouvernement de répartir l'étude du projet de loi entre divers comités, soit les comités de la sécurité nationale, des langues officielles et des affaires sociales, mais notre suggestion n'a pas été retenue.

Chers collègues, je souhaite que, à l'avenir, nous puissions profiter pleinement de l'expertise de chacun de nos comités en utilisant davantage cette technique de répartition de l'étude d'un projet de loi en fonction des sujets spécifiques traités dans l'ensemble du projet de loi.

J'aimerais souligner un autre élément, soit le dilemme du vote. La proposition du Comité sur la modernisation va plus loin que celle de répartir simplement le projet de loi omnibus entre les comités. Le comité suggère de mettre en place un mécanisme pour diviser les projets de loi omnibus et en faire des projets de loi distincts. Comme le souligne le comité dans son rapport, il est arrivé par le passé que le Sénat procède ainsi, donc nous n'inventons rien ici. Il s'agit plutôt de codifier cette pratique et de bien l'encadrer.

[Traduction]

Avant que je parle plus longuement des problèmes que posent les projets de loi omnibus, je rappelle à mes collègues que le Parti libéral avait promis, dans son programme de 2015, de mettre fin à la « pratique antidémocratique » consistant à présenter des projets de loi omnibus et ce, parce que, et je cite encore une fois, « M. Harper s'est [...] servi des projets de loi omnibus pour empêcher les parlementaires d'étudier ses propositions et d'en débattre convenablement. »

Nous avons déjà vu plusieurs projets de loi omnibus depuis les élections.

[Français]

De nombreuses décisions des Présidents de la Chambre des communes et du Sénat ont consacré le droit du gouvernement de procéder de cette façon. Dans le contexte actuel où les jours de débats parlementaires sont limités et les lois de plus en plus complexes, il est difficile de penser que le gouvernement pourrait cesser d'utiliser cet outil et il est tentant pour les gouvernements de glisser nombre de petites mesures législatives dans un projet de loi sur le budget, par exemple. On met tout dans le même sac. On y appose un libellé « budget » et on demande au Parlement d'adopter le tout, sous peine de défaire le gouvernement par un vote de confiance. Ce n'est donc pas dans un proche avenir que nous cesserons de recevoir des projets de loi omnibus.

Ainsi, il faut que le Parlement puisse disposer d'outils lui permettant de faire adéquatement son travail d'examen de la législation et de prise de décisions. Pour ce qui est de l'examen, comme je l'ai souligné, le Sénat a déjà adopté de bonnes habitudes, et c'est à nous de nous assurer qu'elles seront non seulement maintenues, mais utilisées encore plus souvent.

C'est au chapitre de la décision que les projets de loi omnibus représentent un défi presque impossible à résoudre pour les parlementaires. Comment voter contre un projet de loi dont on appuie toutes les composantes, sauf 1 des 12 sections, sans regretter d'avoir accepté celle-ci? Comment voter pour un projet de loi dont une seule des sections nous est chère sans se faire reprocher d'avoir abandonné ses principes sur cette question? Ce sont là des dilemmes réels auxquels sont confrontés les parlementaires devant les projets de loi omnibus.

Or, ce dilemme est d'autant plus grand pour les sénateurs. Plusieurs croient qu'il est de leur devoir d'appuyer les mesures budgétaires du gouvernement, ou du moins de s'assurer de ne pas les renverser. Il existe en effet un courant de pensée selon lequel le Sénat ne pourrait pas renverser des mesures budgétaires adoptées par la Chambre des communes. Lors du récent débat sur le projet de loi C- 29, le leader du gouvernement nous a longuement entretenus sur ce sujet. Selon lui, le Sénat ne pouvait voter contre ni même amender le projet de loi C-29, puisqu'il s'agissait d'une loi de mise en œuvre du budget. Heureusement, il a changé d'avis par la suite et a proposé un amendement que le Sénat a d'ailleurs accepté, ce qui a eu pour effet de renverser certaines mesures budgétaires. Je souligne que le Sénat a encore exercé ses droits en amendant le projet de loi C-29. Cependant, l'argument du sénateur Harder selon lequel les sénateurs ne peuvent voter contre les mesures budgétaires a tout de même été utilisé, heureusement sans succès.

En outre, la solution de diviser un tel projet de loi permettrait d'aider les sénateurs qui font face à ces dilemmes en soustrayant une mesure qui a plus ou moins rapport avec le corps du projet de loi. Le Sénat pourrait se prononcer de façon claire sur chacune des dispositions et, en procédant ainsi pour les mesures non budgétaires glissées subtilement dans les lois de mise en œuvre du budget, on donnerait aux sénateurs le loisir de voter sans crainte de se faire accuser de vouloir usurper le pouvoir des élus pour un vote sur les mesures budgétaires.

Le comité nous propose d'inclure dans nos règles un mécanisme par lequel le Sénat pourrait demander à un comité de se pencher sur la question de savoir si un projet de loi devrait être scindé. Je crois qu'il s'agit d'une approche raisonnable. Il ne s'agit pas de procéder ainsi chaque fois ou de façon intempestive. Il est entendu qu'un tel mécanisme serait utilisé de façon parcimonieuse, mais sa simple présence dans nos règles, la simple menace que cela laisse planer, devrait amener le gouvernement à réfléchir avant d'utiliser des projets de loi omnibus. Bien que la décision de renvoi au comité soit sujette à l'approbation de la majorité des sénateurs, chacun de nous aurait à réfléchir à son vote et à le justifier.

Il y a peut-être d'autres mécanismes possibles, certains ajustements qui pourraient être apportés à la solution du comité. Je crois qu'il est opportun pour nous de renvoyer cette question au Comité du Règlement, afin que nos collègues qui en sont membres puissent nous revenir avec des propositions concrètes quant aux changements que nous pourrions apporter à nos règlements.

Je vous invite à adopter la motion pour que le Comité du Règlement soit saisi de cette question le plus rapidement possible.

[Traduction]

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

La sénatrice Ringuette : Voilà qui inverse les rôles. J'aime bien cela.

Le sénateur Harder : C'est très agréable.

Je suis très satisfait de la contribution du sénateur à cet important débat. Je souhaite seulement souligner l'engagement du gouvernement selon lequel il a mentionné de ne pas présenter de projets de loi omnibus, surtout pour les budgets.

(1550)

J'aimerais que l'honorable sénateur souligne tout élément figurant dans les projets de loi d'exécution du budget nos 1 et 2 dont il n'était pas question spécifiquement dans les documents portant sur le dernier budget.

[Français]

Le sénateur Carignan : Le projet de loi C-29 contenait une disposition visant un code complet de protection du consommateur en vertu de la Loi sur les banques qui, à mon avis, n'avait absolument rien à voir avec le budget.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Je serais heureux de fournir au sénateur l'endroit précis dans le budget qui portait sur la division dont il était question dans la Loi d'exécution du budget. Ce que je veux dire, c'est que le gouvernement est fermement résolu à ne pas inclure dans le projet de loi d'exécution du budget des mesures qui n'ont pas été énoncées dans le document sur le budget, comme le veut la coutume.

[Français]

Le sénateur Carignan : Puis-je savoir quelle est la question?

[Traduction]

Le sénateur Harder : Admettrez-vous que, lorsque vous aviez le plaisir de siéger de ce côté-ci du Sénat, vous étiez tout à fait disposé à faire inscrire dans les projets de loi d'exécution du budget des modifications concernant le processus de nomination des juges à la Cour suprême?

[Français]

Le sénateur Carignan : Je sens que si on continue de cette façon, on va peut-être finir par s'entendre. J'ai moins l'habitude maintenant de répondre aux questions que de les poser. Les habitudes changent rapidement.

Je crois que nous allons convenir de l'importance de cet enjeu pour la qualité de nos débats et pour la transparence dont nous voulons faire preuve pour les Canadiens et Canadiennes. Nous avons la chance d'avoir avec nous des experts dans tous les domaines et de pouvoir approfondir notre examen des projets de loi dans le but de donner le meilleur avis possible au gouvernement, dans l'intérêt de l'ensemble des Canadiens.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Le Sénat

Son rôle de protection dans la représentation des régions et des minorités—Interpellation—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénatrice Seidman, attirant l'attention du Sénat sur son rôle de protection dans la représentation des régions et des minorités.

L'honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, je comptais parler de cette interpellation aujourd'hui, mais je n'ai pas fini de préparer mes notes. Je propose l'ajournement du débat.

(Sur la motion de la sénatrice Ataullahjan, le débat est ajourné.)

Le travail législatif du Sénat

Interpellation—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénatrice Bellemare, attirant l'attention du Sénat sur le travail législatif qu'a accompli le Sénat de la 24e à la 41e législature et concernant des éléments d'évaluation.

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe de l'opposition) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat, je propose l'ajournement du débat au nom de la sénatrice Andreychuk.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, au nom de la sénatrice Andreychuk, le débat est ajourné.)

Peuples autochtones

Autorisation au comité de déposer auprès du greffier du Sénat son rapport sur les pratiques exemplaires et les problèmes constants du logement dans les collectivités des Premières Nations et les collectivités inuites du Nunavut, du Nunavik, de Nunatsiavut et des Territoires du Nord-Ouest

L'honorable Dennis Glen Patterson, au nom de la sénatrice Dyck, conformément au préavis donné le 14 février 2017, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat son rapport sur les pratiques exemplaires et les problèmes constants du logement dans les collectivités des Premières Nations et les collectivités inuites du Nunavut, du Nunavik, de Nunatsiavut et des Territoires du Nord-Ouest, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Son Honneur le Président : Le sénateur Paterson a la parole.

Le sénateur Patterson : Le vote!

L'honorable Joan Fraser : J'aimerais savoir pourquoi cette motion a été présentée.

Le sénateur Patterson : Merci, Votre Honneur. J'aurais dû prévoir la question de la sénatrice Fraser. Nous la remercions de sa vigilance et aussi de son exigence de rigueur à l'égard des comités.

Honorables sénateurs, la publication du rapport est imminente et nous avons provisoirement projeté de le rendre public pendant la prochaine semaine de pause. Voilà la raison d'être de la motion.

La sénatrice Fraser : Je dois donner à ma réaction la forme d'une question : le sénateur Patterson se souvient-il de mes nombreuses interventions dans lesquelles j'ai dit que, sauf urgence, nous devrions selon moi respecter la règle habituelle voulant que les rapports soient d'abord présentés au Sénat plutôt qu'au greffier et au grand public? D'après votre réponse, sénateur Patterson, rien n'indique qu'il y ait urgence dans ce cas-ci.

Le sénateur Patterson : Merci de votre question. À dire vrai, honorables sénateurs, nous avons considéré le programme chargé des dépôts de rapports au Sénat au cours des semaines à venir. Il nous a semblé que la semaine prochaine serait le moment idéal pour présenter cette étude importante, afin que le rapport obtienne l'attention qu'il mérite de la part des journalistes et des médias du Nord.

Nous tiendrons compte des réserves de la sénatrice Fraser. Il y a probablement encore la possibilité de déposer le rapport la semaine suivante, pendant que le Sénat siégera. Je m'engage à encourager les membres du comité de direction à étudier sérieusement cette possibilité.

Pour l'heure, je demande au Sénat d'être indulgent en nous donnant un peu de latitude, au cas où il y aurait des difficultés d'ordre logistique, et en nous donnant ce consentement que nous ne demanderons pas à la légère à l'avenir. Merci.

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

Banques et commerce

Autorisation au comité d'étudier les questions actuelles et émergentes liées au secteur bancaire et à la politique monétaire des États-Unis

L'honorable David Tkachuk, conformément au préavis donné le 15 février 2017, propose :

Que le Comité permanent des banques et du commerce soit autorisé à étudier les questions actuelles et émergentes dans les domaines suivants et à en faire rapport :

a) la réglementation du secteur bancaire aux États-Unis, y compris dans le contexte de la Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (la loi Dodd- Frank);

b) la politique monétaire aux États-Unis, notamment les hausses attendues de la fourchette cible du taux directeur;

c) les relations économiques bilatérales entre le Canada et les États-Unis qui ont une incidence sur le commerce dans chacun des deux pays;

d) les répercussions que pourraient avoir les changements apportés à ces relations économiques et mesures de réglementation ainsi qu'à la politique monétaire aux États-Unis sur l'économie et le secteur financier du Canada;

Que le comité présente son rapport final au Sénat au plus tard le 30 juin 2017, et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

— Nous présentons cette motion parce qu'il y a une nouvelle administration aux États-Unis. Selon le Comité sénatorial des banques, il est important d'étudier les questions énumérées dans la motion et de rencontrer nos homologues à Washington, ainsi que des représentants d'institutions financières à New York.

(1600)

Je sais que la sénatrice Fraser posera des questions au sujet des frais de voyage. Nous soumettrons un budget au Comité de la régie interne à cet égard.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

Énergie, environnement et ressources naturelles

Autorisation au comité de déposer son rapport sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Richard Neufeld, conformément au préavis donné le 15 février 2017, propose :

Que le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat un rapport sur son étude de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone durant la période allant du 7 au 9 mars 2017, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

Finances nationales

Autorisation au comité de déposer son rapport sur la conception et l'application du programme de plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral pour le financement des infrastructures auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Larry W. Smith, conformément au préavis donné le 15 février 2017, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat, entre le 27 février et le 10 mars 2017, un rapport concernant son étude sur les infrastructures, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

— La raison pour laquelle nous présentons cette motion est que nous aimerions déposer notre rapport d'ici la fin du mois. Il va y avoir une semaine de relâche. Nous sommes prêts à publier ce rapport. Nous pensons qu'il s'agit d'un rapport d'une importance cruciale en ce qui concerne notamment la première phase de l'étude sur les infrastructures. Étant donné que la date de dépôt du budget approche et que nous travaillons encore sur le Budget supplémentaire des dépenses (C) et le dernier Budget des dépenses, il se pourrait que ce rapport se perde dans toutes les autres informations qui vont sortir au début du mois de mars. Nous avons un sentiment d'urgence. L'urgence est bien réelle, car le programme d'infrastructure est un projet important pour le gouvernement. Nous devons publier notre rapport. Il arrive après la publication du rapport du directeur parlementaire du budget, mais il y en a des parties qui, selon moi, donnent une meilleure idée de ce qui pourrait être fait pour améliorer la réalisation du programme d'infrastructure.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée.)

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne au mardi 28 février 2017, à 14 heures.)

 
Haut de page