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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 232

Le mardi 2 octobre 2018
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 2 octobre 2018

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.


[Français]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L’honorable Catherine S. Callbeck, C.M., O.I.P.E.

Félicitations à l’occasion de sa nomination comme chancelière de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, le week-end dernier, notre ancienne collègue, l’honorable Catherine Callbeck, a été nommée neuvième chancelière de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le choix de Catherine Callbeck à ce poste s’imposait naturellement. Comme tous les sénateurs le savent, elle a défendu ardemment les causes de l’alphabétisation et de l’éducation postsecondaire au cours de la période qu’elle a passée au Sénat, où elle a lancé diverses interpellations sur ces sujets. Elle a aussi présenté une motion qui a amené le Sénat à étudier, pour la première fois en plus de 20 ans, la question de l’éducation postsecondaire. C’est le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie qui avait mené cette étude.

Le rapport final, intitulé Ouvrir la porte : Surmonter les obstacles aux études postsecondaires au Canada, contenait 22 recommandations sur les obstacles à la participation, les mécanismes de financement et la recherche. Ces recommandations ont été bien accueillies.

Chers collègues, Catherine Callbeck a consacré sa vie au service public. Élue pour la première fois à l’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard en 1974, elle a passé les 40 années suivantes à servir ses concitoyens en tant que députée provinciale, ministre provinciale, députée fédérale, première ministre de l’Île-du-Prince-Édouard — elle a été la première femme à diriger un gouvernement au pays —, puis sénatrice.

Catherine Callbeck compte de nombreuses réalisations, et son engagement envers le service public ne s’est jamais démenti. Sa nomination en tant que chancelière de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard n’est qu’un des nombreux prix et honneurs qui lui ont été décernés à juste titre au cours des dernières années : l’Ordre de l’Île-du-Prince-Édouard, le titre de Compagnon de l’Ordre du Canada, et pas un, mais bien deux doctorats honorifiques en droit. Elle demeure une source d’inspiration pour d’autres personnes qui pourraient souhaiter mener une vie semblable à la sienne.

Tout au long de sa carrière, l’honorable Catherine Callbeck a travaillé sans relâche pour le mieux-être des habitants de l’Île-du-Prince-Édouard et, en fait, de tous les Canadiens. Je vous invite à vous joindre à moi pour féliciter notre ancienne collègue pour cet honneur bien mérité.

Des voix : Bravo!

Le Mois du patrimoine latino-américain

L’honorable Rosa Galvez : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’occasion du premier Mois du patrimoine latino-américain célébré officiellement au Canada. En juin dernier, le projet de loi S-218 a reçu la sanction royale, faisant ainsi du mois d’octobre une occasion de souligner et de faire connaître la culture latino-américaine partout au pays. Je suis reconnaissante à notre regretté collègue, l’honorable Tobias Enverga, d’avoir présenté le projet de loi au Sénat et de toujours avoir travaillé pour faire connaître la culture. Pour reprendre ses mots, ces célébrations font « partie de cet exercice continu d’édification du pays en étant le signal d’une meilleure intégration pour de nombreux Canadiens ».

Je suis née au Pérou. Ces célébrations sont très importantes pour moi, tout comme pour mes concitoyens latino-américains. Notre communauté est dynamique, positive, haute en couleur et résiliente. Nous travaillons fort, mais la musique et la danse occupent aussi une grande place dans notre vie. Il n’est que naturel que nous ayons envie de faire connaître notre culture à notre entourage.

[Français]

Les Canadiens d’origine latino-américaine ont un patrimoine et une culture riches dans ce pays. En 2016, selon Statistique Canada, les Canadiens latino-américains formaient 1,3 p. 100 de la population totale et 5,8 p. 100 de la population des minorités visibles. Notre population grandit autant que notre volonté de partager notre culture avec les Canadiens.

En ce mois d’octobre, il y aura des douzaines d’événements dans l’ensemble du pays pour célébrer l’art, la cuisine, la musique, la cinématographie, la littérature, et j’en passe. Il y a quelques mois, je suis entrée en contact avec plusieurs organisations pour les encourager à organiser et à appuyer des événements dans plusieurs villes. Les réponses ont surpassé mes attentes. Il y a maintenant des événements qui auront lieu partout au Canada.

[Traduction]

Jeudi dernier, plus de 200 personnes ont assisté à une fête organisée par l’Hispanic Canadian Heritage Council, à Toronto, pour lancer le Mois du patrimoine latino-américain. Le 16 octobre, nous tiendrons la Journée hispanique sur la Colline du Parlement, un événement annuel dont le but est de souligner le patrimoine hispanique et latino-américain. Voilà certaines des nombreuses occasions qui s’offrent à vous, chers collègues, pour en apprendre davantage sur la culture latino-américaine.

Je vous encourage tous à appuyer les célébrations qui se tiennent dans vos collectivités respectives et à faire l’expérience de traditions et d’une culture qui ne vous sont peut-être pas familières. La communauté latino-américaine est très accueillante et serait ravie de vous faire connaître la richesse de sa culture.

[Français]

En ce mois d’octobre, je souhaite à tous un joyeux Mois du patrimoine latino-américain!

Celebremos juntos la cultura latinoamericana! Muchas gracias!

[Traduction]

Le Yémen

La persécution de la minorité baha’ie en Iran

L’honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour attirer votre attention sur la situation périlleuse que vivent les baha’is au Yémen. La guerre civile au Yémen, qui en est à sa quatrième année, est l’une des guerres les plus dévastatrices des dernières années dont a été témoin la communauté internationale. Pourtant, on en parle très peu.

Selon le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, la situation au Yémen représente « la pire crise humanitaire au monde ». Les Nations Unies estiment que, en raison du conflit, 22 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire, 16 millions de personnes n’ont pas accès à des soins de santé de base et 2,9 millions de femmes et d’enfants souffrent de malnutrition.

Les baha’is, qui sont membres d’une minorité religieuse non musulmane, se trouvent parmi les victimes les plus vulnérables de cette guerre. Leur foi a été dénoncée publiquement par les autorités du Yémen. Ils sont de plus en plus victimes de discrimination, de persécution, d’arrestations arbitraires et de détention. Récemment, le 15 septembre 2018, on a annoncé que des accusations avaient été portées contre 24 membres de la communauté baha’ie dans la capitale, Sanaa. Selon Amnistie internationale, on compte parmi eux huit femmes et une jeune adolescente. Ces gens sont notamment accusés d’espionnage et d’apostasie.

Après cette annonce, Lynn Maalouf, directrice des recherches pour le Moyen-Orient à Amnistie internationale, a déclaré ce qui suit :

Une nouvelle fois, nous constatons que des accusations forgées de toutes pièces et une procédure totalement inique sont utilisées pour persécuter des baha’is en raison de leur foi. Il est particulièrement déplorable que certains de ces hommes et de ces femmes risquent la peine de mort en raison de leurs convictions religieuses et de leurs activités pacifiques.

(1410)

Les accusations portées contre les membres de la communauté baha’ie sont entachées par l’irrégularité de la procédure et un manque flagrant de transparence. Notons le cas de M. Hamed bin Haydara, qui est emprisonné depuis 2013. Amnistie internationale a soulevé de graves préoccupations au sujet de son cas, notamment des retards indus, de la torture et aucun accès à un avocat au cours des interrogations.

Le 2 janvier 2018, M. Haydara a été condamné à mort par exécution publique.

Chers collègues, alors que nous continuons de réclamer la fin du conflit au Yémen, je vous exhorte à vous montrer solidaires de la communauté baha’ie et à défendre son droit de vivre à l’abri de la persécution et de l’intimidation, tant au Yémen qu’ailleurs.

Le Jour anniversaire du traité

L’honorable Dan Christmas : Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui pour parler des traités entre la Couronne et les Autochtones et, en particulier, de leur importance pour les Mi’kmaq du Canada atlantique. Je le fais en ce 1er octobre, à l’occasion du Jour anniversaire du traité en Nouvelle-Écosse.

Tout au long des années 1600 et 1700, la saisie et la colonisation des terres des Wabanaki ont mené à des violences permanentes et à des guerres périodiques avec les colons. Le territoire de la Confédération Wabanaki, qui comptait les Abénaquis, les Penobscots, les Passamaquoddys, les Wolastoqiyik — aussi appelés les Malécites — et les Mi’kmaqs, correspondait à celui qui recouvre aujourd’hui le New Hampshire, le Maine, la Gaspésie, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse.

Pendant cette période, trois traités majeurs ont été signés et ratifiés entre la Couronne britannique et les Mi’kmaq, dont le Traité de Boston de 1725, le Traité d’Halifax de 1752 et une série de traités signés en 1760-1761.

Le Traité de Boston de 1725 inclut tous les Wabanaki. Selon ce traité, la Confédération Wabanaki convenait de « s’abstenir de tout acte d’hostilité, de blessures et de discordes à l’égard de tous les sujets de la Couronne de Grande-Bretagne, et de ne pas faire usage de coups, de violence, ni de molester qui que ce soit, ne touchant ni à sa personne ni à ses biens. » Le traité marquait la fin de décennies d’hostilités entre les colons britanniques et la Confédération Wabanaki. Il visait à établir les conditions d’une coexistence paisible.

Malheureusement, la violence a de nouveau éclaté en Nouvelle-Écosse en 1749, après que les Britanniques se soient illégalement établis sur les terres mi’kmaq, dans la région connue sous le nom de K’jipuktuk, ou Halifax. C’est au cours de cette période que le gouverneur britannique de l’époque, Edward Cornwallis, a publié la Proclamation de la scalpation à l’encontre des hommes, des femmes et des enfants mi’kmaq.

Toutefois, la paix a prévalu, et le Traité d’Halifax de 1752 a été signé. C’est ce traité qui désignait le 1er octobre comme date à laquelle les Mi’kmaq viendraient tous les ans à Halifax « renouveler leurs amitiés et leurs soumissions ».

En 1985, la Cour suprême du Canada a affirmé que le Traité d’Halifax de 1752 était encore valide et en vigueur et, peu après, le 1er octobre a été officiellement proclamé Jour anniversaire du traité.

Des festivités sont organisées le Jour anniversaire du traité à Halifax le 1er octobre depuis maintenant 32 ans. C’est une fête qui réunit nos anciens, nos anciens combattants et nos jeunes ainsi que les membres de notre Grand Conseil et les chefs mi’kmaq traditionnels, de même que les représentants de la province de la Nouvelle-Écosse.

Le troisième grand traité conclu avec les Mi’kmaq est, en fait, une série de traités conclus en 1760 et 1761. Peu après la défaite de Louisbourg, de Québec et de Montréal, à la fin des années 1750, les Britanniques ont encore une fois cherché à faire la paix avec les Mi’kmaq. Une série de traités renouvelant les traités antérieurs et garantissant aux Mi’kmaq la liberté de chasser, de pêcher, de cueillir et de commercer ont été signés.

Ce sont les traités de 1760 et de 1761 que la Cour suprême du Canada a soutenus en 1999 dans la décision historique qu’elle a rendue au sujet de Donald Marshall, Jr.

Chers collègues, je suis honoré de vous raconter cette histoire, car elle reflète le but du Jour anniversaire du traité, c’est-à-dire célébrer la paix et l’amitié entre les Mi’kmaq et tous les néo-Écossais, en fait, tous les Canadiens.

En 2015, le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Stephen McNeil, a déclaré, le Jour anniversaire du traité, que nous étions tous parties au traité.

C’est donc dans cet esprit de paix et d’amitié que je vous demande à tous de reconnaître le Jour anniversaire du traité. Wela’lioq. Merci.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Son Excellence Kimihiro Ishikane, ambassadeur du Japon, ainsi que de représentants de la communauté nippo-canadienne. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Oh.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L’indemnisation des Canadiens d’origine japonaise

Le trentième anniversaire de l’Entente de redressement à l’égard des Canadiens japonais

L’honorable Victor Oh : Honorables sénateurs, la première vague d’immigrants en provenance du Japon est arrivée au Canada entre 1877 et 1928. La croissance rapide et la prospérité de la communauté ont renforcé les préjugés et la discrimination. De nombreux Canadiens, particulièrement en Colombie-Britannique, ont eu le sentiment qu’ils étaient envahis et que leur mode de vie était menacé.

Pourtant, 54 immigrants japonais de première génération ont donné leur vie pendant la Première Guerre mondiale, prouvant ainsi leur loyauté au Canada. Toutefois, bien des gens ont continué à percevoir la communauté japonaise en général comme une menace sur les plans culturel et économique.

La situation s’est détériorée à la suite de l’attaque de Pearl Harbor en 1941 et, dès lors, le Canada a considéré les Canadiens d’origine japonaise comme une menace pour la sécurité nationale. Peu de temps après, plus de 20 000 Nippo-Canadiens se sont fait confisquer leur maison et leur entreprise et ont été envoyés dans des camps d’internement, des camps de travail et des fermes à l’intérieur de la Colombie-Britannique et un peu partout au Canada. Je précise que 75 p. 100 de ces personnes étaient Canadiennes de naissance ou naturalisées.

D’autres encore ont été expulsées au Japon. Au nombre de celles-ci se trouvaient 3 964 Canadiens d’origine japonaise, dont 2 000 étaient nés au Canada.

Ce n’est qu’en 1949 que le gouvernement a levé les restrictions servant à contrôler le mouvement des Canadiens d’origine japonaise. Les pertes sociales, économiques et personnelles subies ont eu des répercussions pendant plusieurs générations au sein de la communauté.

Néanmoins, certaines personnes se sont mobilisées pour exiger que le gouvernement du Canada rende des comptes à l’égard des violations généralisées et systématiques des droits de la personne commises contre la communauté nippo-canadienne. Ces efforts s’inscrivaient dans le cadre de la campagne d’indemnisation menée par l’Association nationale des Canadiens d’origine japonaise, qui a été couronnée de succès.

Il y aura 30 ans cette année qu’était signée l’Entente de redressement, qui consistait en une reconnaissance officielle du tort causé à la communauté et qui a donné lieu à des indemnisations individuelles symboliques.

Cette entente a aidé la communauté nippo-canadienne et le Canada à retrouver l’unité. Elle a également servi de modèle d’indemnisation et de réconciliation pour d’autres communautés.

Honorables sénateurs, il ne faut jamais refaire les erreurs du passé. Des personnes de toutes origines, expériences et identités doivent se sentir appréciées et être incluses dans la société canadienne. Merci. Arigato gozaimashita.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Le commissaire à la protection de la vie privée

La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur la protection des renseignements personnels—Dépôt du rapport annuel de 2017-2018

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel de 2017-2018 du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur la protection des renseignements personnels, intitulé Faire confiance mais vérifier : La confiance dans l’économie numérique passe par une réelle surveillance indépendante, conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, art. 25 et à la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, art. 38.

[Traduction]

Le directeur parlementaire du budget

Rapport sur la viabilité financière de 2018—Dépôt du rapport

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget intitulé Rapport sur la viabilité financière de 2018, conformément à la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1, par. 79.2(2).

[Français]

Le vérificateur général

La commissaire à l’environnement et au développement durable—Dépôt des rapports de l’automne 2018

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les rapports de l’automne 2018 de la commissaire à l’environnement et au développement durable au Parlement du Canada, conformément à la Loi sur le vérificateur général, L.R.C. 1985, ch. A-17, par. 23(5).

Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi modificatif—Onzième rapport du Comité des peuples autochtones sur la teneur du projet de loi—Dépôt de la réponse du gouvernement

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, la réponse du gouvernement au onzième rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, intitulé La teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les peuples autochtones du Canada, déposé au Sénat le 1er mai 2018.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l’article 12-24(4) du Règlement, cette réponse et le rapport initial sont renvoyés d’office au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

(1420)

[Traduction]

L’étude sur les nouvelles questions liées au mandat et les lettres de mandat ministérielles

Dépôt du treizième rapport du Comité des transports et des communications auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable David Tkachuk : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que, conformément aux ordres adoptés par le Sénat le 31 octobre 2017 et le 14 juin 2018, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications a déposé auprès du greffier du Sénat, le 21 août 2018, son treizième rapport (intérimaire) intitulé La déductibilité fiscale de la publicité étrangère sur Internet au Canada.

Peuples autochtones

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du dépôt de son rapport final sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis

L’honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre du Sénat adopté le jeudi 15 décembre 2016, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones concernant son étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis soit reportée du 31 octobre 2018 au 28 septembre 2019.

Le Sénat

Préavis de motion tendant à révoquer la citoyenneté honoraire accordée à Aung San Suu Kyi

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant les articles 5-5j) et 4-14 du Règlement, je donne préavis que, plus tard aujourd’hui, je proposerai :

Que le Sénat :

a)accueille les conclusions de la mission d’établissement des faits des Nations Unies sur le Myanmar selon lesquelles les forces militaires birmanes ont perpétré des crimes contre l’humanité à l’endroit des Rohingyas et d’autres minorités ethniques et que ces actes horribles ont été sanctionnés aux plus hauts niveaux de la chaîne de commandement des forces militaires birmanes;

b)reconnaisse que ces crimes commis contre les Rohingyas constituent un génocide;

c)accueille la décision récente de la Cour pénale internationale selon laquelle elle a compétence sur l’exode forcé des membres de la population rohingya du Myanmar au Bangladesh;

d)exhorte le Conseil de sécurité de l’ONU à saisir la Cour pénale internationale de la situation au Myanmar;

e)exige que les officiers supérieurs de la chaîne de commandement des forces militaires birmanes fassent l’objet d’enquêtes et soient poursuivis pour le crime de génocide;

Et que le Sénat, à la lumière de ce qui précède, convienne de révoquer la citoyenneté honoraire accordée à Aung San Suu Kyi le 17 octobre 2007.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Agriculture et forêts

Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat

L’honorable Diane F. Griffin :  Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5a) du Règlement, je propose :

Que le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts soit autorisé à se réunir le mardi 2 octobre 2018, à 18 heures, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

La décimation des frayères du saumon atlantique

Préavis d’interpellation

L’honorable David Richards : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur la décimation des frayères du saumon atlantique sur la Miramichi, la Restigouche et leurs affluents.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à la motion adoptée par le Sénat le jeudi 27 septembre 2018, la période des questions aura lieu à 15 h 30.


ORDRE DU JOUR

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à révoquer la citoyenneté honoraire accordée à Aung San Suu Kyi

L’honorable Ratna Omidvar, conformément au préavis donné plus tôt aujourd’hui, propose :

Que le Sénat :

a)accueille les conclusions de la mission d’établissement des faits des Nations Unies sur le Myanmar selon lesquelles les forces militaires birmanes ont perpétré des crimes contre l’humanité à l’endroit des Rohingyas et d’autres minorités ethniques et que ces actes horribles ont été sanctionnés aux plus hauts niveaux de la chaîne de commandement des forces militaires birmanes;

b)reconnaisse que ces crimes commis contre les Rohingyas constituent un génocide;

c)accueille la décision récente de la Cour pénale internationale selon laquelle elle a compétence sur l’exode forcé des membres de la population rohingya du Myanmar au Bangladesh;

d)exhorte le Conseil de sécurité de l’ONU à saisir la Cour pénale internationale de la situation au Myanmar;

e)exige que les officiers supérieurs de la chaîne de commandement des forces militaires birmanes fassent l’objet d’enquêtes et soient poursuivis pour le crime de génocide;

Et que le Sénat, à la lumière de ce qui précède, convienne de révoquer la citoyenneté honoraire accordée à Aung San Suu Kyi le 17 octobre 2007.

— Honorables sénateurs, je m’excuse d’avoir été un peu distraite un peu plus tôt. Je dois le dire, la vue depuis ce coin de la salle est décidément différente que celle que j’avais de mon ancien fauteuil. Je dirais que la sénatrice McPhedran occupe un fauteuil qui porte chance. J’y ai siégé pendant deux merveilleuses années, et mes meilleurs vœux accompagnent quiconque s’y installera.

Je prends la parole aujourd’hui pour demander au Sénat d’agir dans le dossier de la persécution violente des Rohingyas, au Myanmar. Même si la motion dont vous êtes saisis est à mon nom, je tiens à reconnaître qu’elle représente un effort collectif. La sénatrice Ataullahjan, la sénatrice Jaffer, le sénateur Munson, la sénatrice McPhedran et moi, ici comme à l’extérieur du Sénat, avons poursuivi nos objectifs collectivement et individuellement.

Honorables sénateurs, la motion dont vous êtes saisis vise deux objectifs. Premièrement, comme cela a été fait à l’autre endroit, la motion à l’étude demande au Sénat de reconnaître que la situation qui sévit au Myanmar constitue bel et bien un génocide.

(1430)

Deuxièmement, elle demande de révoquer la citoyenneté honoraire accordée à Aung San Suu Kyi le 17 octobre 2007.

À la Chambre des communes, une motion portant sur la reconnaissance du génocide a été présentée par le député Andrew Leslie le 20 septembre. Une deuxième motion, portant sur la révocation de la citoyenneté canadienne honoraire, a été présentée une semaine plus tard par Gabriel Ste-Marie, député du Bloc Québécois. Ces deux motions ont été adoptées à l’unanimité. Elles ont reçu l’appui de tous les partis, ce qui montre que l’autre endroit appuie solidement et solidairement ces démarches.

Honorables sénateurs, nous avons vraiment du mal à imaginer l’ampleur de la souffrance qui existe actuellement au Myanmar. Les renseignements recueillis pendant la mission d’information de l’ONU confirment toutefois les terribles récits que nous avons entendus.

Le rapport, fondé sur 875 entrevues, brosse un tableau de l’horreur et de la violence dont sont victimes les Rohingyas dans l’État de Rakhine. Il explique que les forces militaires ont planifié l’élimination de milliers de civils rohingyas et joué un rôle de premier plan dans ces tueries, sans oublier les disparitions forcées systématiques, le nettoyage ethnique, les viols collectifs et les centaines de villages incendiés.

La rapport contient moult détails qui dressent un tableau complet. Plus de 392 villages ont été détruits en partie ou en entier, dont 40 p. 100 des colonies dans le Nord du Rakhine et au moins 37 700 bâtiments. En août 2018, plus de 725 000 Rohingyas se sont enfuis au Bangladesh à la suite des « opérations de nettoyage » menées par les forces militaires du Myanmar. La mission a permis de confirmer neuf massacres, où des centaines de Rohingyas ont perdu la vie. Au moins 10 000 morts violentes ont été documentées.

Le rapport fait état de 54 « opérations de nettoyage » violentes perpétrées par les forces militaires et présente 22 témoignages portant sur d’autres opérations. Toutes ces opérations suivent la même horrible méthode. On encercle les villages et on tue des civils en les fusillant sans discrimination. Des personnes sont victimes d’exécutions ciblées. Des hommes sont capturés en groupe et ne sont plus jamais revus. Des enfants et des vieillards sont rassemblés, puis tués. Les femmes et les filles sont victimes de viols, parfois collectifs. Le récit se poursuit ainsi avec des exemples plus horribles les uns que les autres. Les membres de la mission d’établissement des faits de l’ONU parlent d’un génocide, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit. Nous devons employer le même terme pour désigner la situation.

Même si la Constitution du Myanmar accorde des pouvoirs considérables à l’armée, Mme Aung San Suu Kyi a également beaucoup de pouvoir. Elle est chef de la Ligue nationale pour la démocratie et la première à exercer la fonction de conseillère d’État, une fonction qu’elle occupe toujours et qui est semblable à celle de premier ministre. Elle est aussi la première femme à exercer la fonction de porte-parole de la présidence et ministre des Affaires étrangères, de l’Électricité et de l’Énergie, et de l’Éducation. Contrairement à ce qu’elle a laissé entendre, elle n’est pas impuissante. En fait, comme l’a affirmé Irwin Cotler, spécialiste respecté des droits de la personne : « Elle a nié les atrocités, elle a limité l’accès des observateurs et des enquêteurs internationaux, elle a repoussé par les armes l’aide humanitaire et, lorsque deux journalistes de Reuters qui couvraient les meurtres de Rohingyas ont été emprisonnés injustement, la semaine dernière, elle a défendu ce geste en disant que cela faisait partie d’un processus approprié. »

Je dois donc conclure — et j’espère que vous en arriverez à la même conclusion — qu’elle est complice dans cette affaire. Nous devons dire haut et fort au reste du monde que ceux qui sont complices d’un génocide ne sont pas les bienvenus au Canada, encore moins comme citoyens honoraires.

Révoquer sa citoyenneté honoraire pourrait ne pas avoir d’effet réel, mais cela envoie un important message symbolique. Elle s’est faite complice d’actes visant à priver des milliers de Rohingyas de leur citoyenneté et de leur sécurité, ce qui a mené à leur fuite. Certains sont tués ou violés, et l’ensemble de cette nation se trouve dans une situation déplorable. C’est un message adéquat que nous devons lui envoyer, à elle, au Myanmar et au reste du monde.

Je crois que les sénateurs, ainsi que nos collègues de l’autre endroit, doivent parler d’une voix unie. En appuyant la motion, tous les parlementaires, peu importe leur allégeance politique ou le groupe auquel ils appartiennent, condamneront d’une seule voix cette atrocité en révoquant la citoyenneté honoraire d’Aung San Suu Kyi.

Enfin, j’aimerais dire que cela ne clôt certainement pas le passé. En fait, cette crise est loin d’être terminée. Au mois d’août 2018, près de 2 000 Rohingyas continuaient de fuir chaque mois vers le Bangladesh à cause de la violence et de l’oppression dont ils sont continuellement victimes. Nous sommes encore aux prises avec une crise humanitaire qui force des centaines de milliers de personnes à continuer de vivre dans des camps de réfugiés.

Honorables collègues, le Bangladesh est un petit pays, un pays pauvre. Dans un élan de générosité, il a ouvert ses frontières aux Rohingyas, ce qui lui coûte cher. Nous devons l’épauler dans ses efforts en vue de subvenir aux besoins de ces gens. Nous devons soutenir les organisations non gouvernementales nationales et internationales afin qu’elles puissent offrir leur aide et leur appui aux populations locales.

Le Canada doit aider, à long terme, le Myanmar à construire une fédération viable et paisible. Nous devons donc resserrer nos liens diplomatiques et apporter davantage d’aide et de matériel et nous montrer plus attentifs au fil du temps.

Je vous invite à voter, comme moi, en faveur de cette motion. Ce faisant, vous ferez savoir qu’il y a un consensus qui transcende les lignes de parti et les groupes parlementaires dans cette enceinte et à l’autre endroit, soit partout sur la Colline du Parlement et au pays.

Cela prouvera encore une fois que nous avons, au Canada, la volonté politique de renforcer la contribution du pays en matière d’aide humanitaire, l’ambition d’établir des liens diplomatiques permanents et le désir ardent, d’une part, d’aider les plus vulnérables et, d’autre part, de traduire en justice les militaires birmans qui sont les auteurs de ces crimes et de ces violations.

Je vous demande respectueusement de soutenir cette motion. Merci beaucoup.

L'honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer la motion de la sénatrice Omidvar. La persécution des Rohingyas au Myanmar est un problème que j’ai soulevé pour la première fois auprès de la délégation birmane en 2012 et que j’ai soulevé plusieurs fois dans cette enceinte depuis 2013, par des déclarations, des questions et une motion qui a été adoptée en septembre 2017. Cette motion demandait au gouvernement du Canada d’exhorter le gouvernement du Myanmar à mettre fin immédiatement à la violence et aux grossières violations des droits de la personne commises contre le peuple musulman des Rohingyas, afin d’honorer son engagement à défendre l’esprit et la lettre de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de répondre aux appels urgents de la communauté internationale, qui réclame la présence d’observateurs indépendants dans le pays, en particulier dans l’État de Rakhine.

Grâce à ces efforts, j’espérais en vain voir le Canada revendiquer sans délai un rôle de chef de file mondial pour tenter de résoudre la crise.

Honorables sénateurs, j’appuie complètement la motion, mais j’implore aussi le gouvernement du Canada de maintenir ou d’augmenter ses engagements humanitaires, en particulier dans les domaines de l’éducation, des services de santé ainsi que de l’aide aux femmes et aux filles qui ont été victimes de viol ou d’autres formes de violence sexuelle aux mains des forces armées du Myanmar et qui, dans certains cas, ont donné naissance à des enfants conçus par le viol.

Mon engagement dans ce dossier a joué le rôle de catalyseur et a incité le Comité sénatorial permanent des droits de la personne à tenir deux réunions spéciales à l’automne 2017, afin d’examiner la situation au Myanmar en ce qui a trait aux droits de la personne. Lors de ces réunions, des employés des Nations Unies, des militants et des diplomates ont exhorté le Canada à prendre des mesures pour tâcher de mettre fin à la crise subie par les Rohingyas.

De plus, en juin dernier, à la suite de sa visite dans la région et après avoir produit un rapport provisoire et un rapport final, M. Bob Rae, envoyé spécial au Myanmar, est venu témoigner devant le Comité des droits de la personne pour lui présenter ses recommandations et ses constatations, parmi lesquelles on trouve ce qui suit :

[...] les indices que des crimes contre l’humanité pourraient avoir été commis lors du déplacement forcé et violent de plus de 671 000 Rohingyas de l’État de Rakhine [...]

Le passage suivant se trouve plus loin :

Il y a également eu des allégations de génocide, et les éléments probants de ce crime devront être soigneusement évalués.

(1440)

Quand la sénatrice Hartling lui a demandé de décrire les répercussions de cette crise afin que les Canadiens en prennent bien conscience, M. Rae a relaté avec beaucoup d’émotion la conversation qu’il avait eue avec un homme du camp de réfugiés du Bangladesh. L’homme en question lui a raconté son histoire, la discrimination dont il a été victime et ses difficultés. Il s’exprimait très bien et il est demeuré maître de lui et de ses émotions jusqu’à ce que vienne le moment des adieux et que M. Rae lui demande ce qu’il aimerait dire au premier ministre. Il a agrippé M. Rae avant de fondre en larmes. Il l’a longtemps retenu contre lui, puis il lui a simplement dit : « Dites-lui que nous sommes humains. »

Je salue M. Rae et je le remercie de tout ce qu’il a fait à titre d’envoyé spécial. Je le remercie aussi et surtout de son humanité et du leadership dont il a fait preuve, ici et à l’étranger, dans ce dossier complexe.

Voici ce qu’il a écrit au sujet de la reddition de comptes et de l’impunité :

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la création des Nations Unies, le monde s’est engagé dans l’instauration de normes fondamentales du droit international dont le but est de veiller à ce que les crimes qui menacent la vie et la sécurité des personnes ne risquent pas d’échapper à un examen et de rester impunis. Les personnes coupables de violations du droit international et de crime contre l’humanité doivent être traduites en justice. Cela vaut pour toutes les personnes impliquées, qu’il s’agisse d’acteurs étatiques ou non étatiques, de militaires ou de civils.

Puis, la mission d’enquête des Nations Unies sur le Myanmar a conclu que des militaires haut gradés doivent faire l’objet d’enquêtes et de poursuites pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre contre les Rohingyas et d’autres minorités au Myanmar, lorsque cela est justifié, et qu’un mécanisme spécial doit être mis en place pour recueillir les éléments de preuve.

À cet égard, je trouve qu’il est encourageant que le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ait tout récemment adopté une résolution visant la création d’un système pour recueillir et conserver les éléments de preuve et pour préparer les dossiers afin d’aider les procureurs à faire entendre ces causes. Les auteurs de génocides, de crimes contre l’humanité et de violations des droits de la personne et du droit humanitaire doivent être tenus responsables.

La mission de l’ONU a également constaté qu’Aung San Suu Kyi ne s’était pas servie « de son rôle de chef du gouvernement ni de son pouvoir moral pour freiner ou empêcher les événements et pour trouver d’autres manières de s’acquitter de sa responsabilité de protéger la population civile ». Elle a souvent affirmé que les nouvelles qui sortaient du Myanmar étaient fausses.

Honorables sénateurs, Aung San Suu Kyi, en raison de son inaction, a été complice des crimes les plus graves aux termes du droit international. Ainsi, je vous demande d’appuyer la motion et toutes les dispositions qui en font partie, y compris la révocation de la citoyenneté canadienne honoraire qui a été accordée à Aung San Suu Kyi le 17 octobre 2007.

L’honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion de la sénatrice Omidvar visant à révoquer la citoyenneté canadienne honoraire accordée à Aung San Suu Kyi, conseillère d’État au Myanmar, en raison de son incapacité à réprimer la violence contre les Rohingyas dans son pays.

Jeudi dernier, l’autre endroit a adopté à l’unanimité une motion similaire. J’aimerais que le Sénat fasse la même chose aujourd’hui.

Chers collègues, comme vous le savez, en octobre dernier, la sénatrice Ataullahjan a présenté une interpellation au Sénat au sujet de la crise au Myanmar. Lorsque j’étais président du Comité sénatorial des droits de la personne, nous avons organisé des réunions afin d’en apprendre davantage sur la situation des personnes qui vivent dans l’État de Rakhine. Lors de ces réunions, le comité a entendu des témoignages déchirants mettant en cause des violations des droits de la personne troublantes et horrifiantes. Les Rohingyas subissent les pires violations que l’on puisse imaginer : torture, viols, agressions de jeunes enfants, villages incendiés et rasés. Plusieurs sont morts en fuyant leur foyer et en essayant d’échapper à l’armée de leur propre pays. Bon nombre d’entre eux ne se sont jamais rendus au Bangladesh.

Bob Rae, l’envoyé spécial du Canada au Myanmar, parle depuis des mois de cet enjeu et a réussi à sensibiliser les Canadiens au problème. Selon lui, ce qui est le plus dévastateur est le nombre de jeunes qui sont touchés par cette crise et envoyés dans des camps. Il a dit ceci :

Les camps sont remplis de jeunes et ce à quoi j’ai pensé en tant que père et grand-père, c’est que ce sont de simples enfants.

Mesdames et messieurs les sénateurs, lorsque j’étais journaliste au début des années 1990, j’ai vu jour après jour le visage des gens qui se trouvaient dans des camps de réfugiés au Cambodge. J’ai vu ce que le mal peut faire aux plus vulnérables. J’ai vu des bébés et des enfants affamés et terrorisés appeler leur mère en pleurant. Malheureusement, l’histoire se répète au Myanmar.

Les Nations Unies ont reproché à Mme Aung San Suu Kyi de ne pas avoir usé de son pouvoir pour intervenir et empêcher les violences de l’armée contre la minorité ethnique rohingya. Comme nous le savons tous, les Nations Unies ont demandé que l’on fasse enquête et que l’on poursuive les plus hauts gradés militaires du Myanmar pour leurs intentions génocidaires.

Comme nous le savons, le Canada s’est engagé à offrir une aide d’urgence de 300 millions de dollars afin de mettre fin à la campagne de violence ethnique qui, comme les deux sénatrices l’ont mentionné, se poursuit. Les déplacements de population se poursuivent également. Ce n’est pas parce qu’on ne les voit plus qu’ils n’existent plus. En tant que pays, nous nous devons d’alléger la crise des réfugiés.

Dès lors que nous avons pris connaissance de ce rapport des Nations Unies, nous devons envoyer un message fort en nous joignant à la Chambre des communes et en votant à l’unanimité en faveur de la révocation de la citoyenneté honoraire d’Aung San Suu Kyi. Nous espérons, honorables sénateurs, que cela arrivera aujourd’hui.

L’honorable Terry M. Mercer (leader adjoint des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au nom de notre collègue, la sénatrice Jaffer, qui souhaitait s’exprimer à propos de la motion.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion visant à révoquer la citoyenneté honoraire accordée à Aung San Suu Kyi le 17 octobre 2007.

J’aimerais remercier ma collègue la sénatrice Omidvar des efforts inlassables qu’elle a déployés et du leadership dont elle a fait preuve pour proposer cette motion au Sénat.

Première femme à recevoir la citoyenneté honoraire du Canada, Mme Suu Kyi a été louangée pendant des années comme héroïne de la défense des droits de la personne. Elle a notamment enduré des années de détention à domicile pour son militantisme visant à promouvoir la démocratie sous une dictature militaire violente. Toutefois, la dirigeante birmane n’a pas condamné la campagne militaire qui a déplacé plus de 700 000 Rohingyas vers le pays voisin, le Bangladesh.

Malheureusement, ce n’est pas la première fois que Mme Suu Kyi ne défend pas les valeurs qu’elle prétend être les siennes. En 2007, lorsqu’elle a accepté son prix Nobel de la paix, qui lui avait été décerné en 1991 alors qu’elle était assignée à domicile, Mme Suu Kyi a déclaré :

Notre principal objectif devrait être de créer un monde où on ne sait pas ce que c’est que d’être déplacé, sans foyer et désespéré, un monde dont chaque région est un véritable sanctuaire où les habitants sont libres et capables de vivre en paix.

Comment se fait-il alors, honorables sénateurs, que Mme Suu Kyi hésite autant à s’exprimer directement sur les Rohingyas et leur droit à la citoyenneté sur leurs terres ancestrales? Pourquoi Mme Suu Kyi n’a-t-elle rien fait pour favoriser la paix et la justice pour les Rohingyas du Myanmar? Ne s’agit-il pas des mêmes injustices contre lesquelles Mme Suu Kyi s’est battue lorsqu’elle était en détention? Nous nous sommes tous battus pour sa libération et, maintenant, elle demeure de glace.

En refusant de reconnaître son pouvoir et sa capacité à mettre fin au génocide qui se répand partout au Myanmar, Mme Suu Kyi commet un affront à son engagement envers les droits de la personne et les valeurs démocratiques. J’ai ardemment soutenu Mme Suu Kyi lorsqu’on lui a accordé la citoyenneté canadienne honoraire et lorsqu’elle a reçu le prix Nobel. Je croyais qu’elle allait changer la vie des gens au Myanmar. Il est impardonnable que Mme Suu Kyi n’ait pas respecté ses promesses. La citoyenneté canadienne honoraire est un privilège très spécial que le Canada accorde aux personnes qui aident l’humanité, et non à celles qui la détruisent.

(1450)

Le point a) de la motion dont nous sommes saisis indique que le Sénat doit :

accueill[ir] les conclusions de la mission d’établissement des faits des Nations Unies sur le Myanmar selon lesquelles les forces militaires birmanes ont perpétré des crimes contre l’humanité à l’endroit des Rohingyas et d’autres minorités ethniques [...]

Lorsque j’ai commencé à écrire et à m’exprimer contre la persécution des Rohingyas au début de 2014, on les considérait comme le peuple que le monde a oublié. La triste réalité, c’est qu’ils ont conservé ce titre.

Lorsque j’entends dire que Mme Suu Kyi, lauréate d’un prix Nobel de la paix et l’une des dirigeantes de son pays, refuse de dénoncer les atrocités commises dans son pays, je pense à Rajuma. Rajuma est une jeune femme rohingya qui a vécu une situation tellement horrible que c’est tout simplement incompréhensible.

Rajuma et des centaines de femmes ont dû se tenir debout dans une rivière sous la menace d’armes à feu, et on leur a ordonné de ne pas bouger. Elle avait de l’eau jusqu’à la poitrine et serrait son petit garçon tandis que son village au Myanmar brûlait derrière elle, puis les soldats se sont lentement approchés d’elle :

« Toi », ont dit les soldats en la pointant.

Elle se figea.

« Toi! »

Elle resserra son étreinte autour de son bébé.

Les moments qui suivirent furent violents et embrouillés, car les soldats ont matraqué Rajuma dans le visage, ils lui ont arraché des mains son enfant qui hurlait, puis ils l’ont jeté dans le feu. Elle a ensuite été traînée dans une maison, puis elle a subi un viol collectif.

À la fin de la journée, elle s’est enfuie par les champs, nue et couverte de sang. Elle était seule; elle avait perdu son fils, sa mère, ses deux sœurs et son jeune frère. Ils avaient tous été liquidés devant ses yeux [...]

Rajuma est une musulmane rohingya. Les musulmans rohingyas comptent parmi les groupes ethniques les plus persécutés de la planète. Rajuma passe maintenant ses journées à errer dans un camp de réfugiés au Bangladesh, complètement tétanisée.

L’histoire de Rajuma est semblable à celle d’un nombre incalculable d’hommes et de femmes rohingyas qui ont souffert de façon insensée des exactions d’un régime dictatorial.

Honorables sénateurs, retirer à Aung San Suu Kyi sa citoyenneté canadienne honoraire est une étape nécessaire si on veut dénoncer le génocide qui se déroule sous ses yeux. Cependant, lui retirer sa citoyenneté n’est qu’un geste symbolique face à son incapacité à dénoncer les atrocités commises dans son pays. Ce n’est pas une solution à long terme à la crise qui touche les Rohingyas. Cela ne permet pas d’entamer la réconciliation avec les Rohingyas ni la reconstruction du Myanmar.

Honorables sénateurs, je vous implore d’adopter cette motion et d’inciter le gouvernement canadien à en faire plus pour aider le peuple rohingya. Nous devons agir en leaders. C’est ainsi qu’on exerce un leadership. Il est temps d’agir.

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je remercie la sénatrice Ataullahjan et la sénatrice Omidvar du leadership qu’elles exercent dans le dossier des violations des droits de la personne commises à l’endroit des Rohingyas du Myanmar. La motion à l’étude aujourd’hui est une initiative importante de la part de la sénatrice Omidvar, et j’appuie fermement son intention.

Je signale cependant que le Sénat n’a pas à se faire l’écho de l’autre endroit. L’intention de la motion adoptée par la Chambre des communes le 20 septembre et réitérée le 27 septembre est claire et ferme, mais la motion qui nous est présentée est peu efficace quant à sa capacité d’assurer le respect du droit international en matière de droits de la personne.

Depuis sa création il y a 150 ans, le 6 novembre 1867, le Sénat est censé se distinguer substantiellement de la Chambre des communes. Le Sénat moderne a souvent protégé les droits constitutionnels et les droits des minorités. En ce qui concerne la motion à l’étude, j’invite les sénateurs à envisager que le second examen objectif aboutisse à un amendement aux visées constructives qui, par l’ajout de quelques mots, leur permettra de renforcer la motion d’une manière conforme à notre mandat et de la rendre plus crédible sur la scène internationale.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Marilou McPhedran : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que la motion ne soit pas maintenant adoptée, mais qu’elle soit modifiée :

1.au point a), par adjonction des mots « et l’État du Myanmar » après les mots « les forces militaires birmanes »;

2.au point b), par adjonction des mots « et invoque les termes de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations Unies pour assurer que l’État du Myanmar soit tenu responsable d’avoir commis ces crimes contre l’humanité et ce génocide » après le mot « génocide »;

3.au point e), par adjonction des mots « et la direction civile de l’État » après le mot « birmanes ».

Le 17 septembre, j’ai organisé une conférence de presse avec le réseau rohingya des droits de la personne. Des experts en droit international...

Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénatrice McPhedran, mais je vais proposer la motion que vous venez de présenter. Ensuite, vous pourrez continuer le débat, si vous le souhaitez.

La sénatrice McPhedran : D’accord. Très bien.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, l’article 2-7(2) du Règlement exige que, lorsque le Président se lève, les sénateurs demeurent assis ou reprennent leurs places. Je ne fais que renseigner les sénateurs sur ce point et leur rappelle, pour les besoins du décorum, de reprendre leurs places.

En amendement, l’honorable sénatrice McPhedran propose, avec l’appui de l’honorable sénateur Deacon (Nouvelle-Écosse), que la motion ne soit pas maintenant adoptée, mais qu’elle soit modifiée... Puis-je me dispenser de lire la proposition?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : La sénatrice McPhedran a la parole.

La sénatrice McPhedran : Votre Honneur, voulez-vous que je continue mon discours ou que je lise directement la motion amendée?

Son Honneur le Président : J’ai proposé la motion, sénatrice McPhedran, alors continuez simplement votre intervention sur la motion, je vous prie.

La sénatrice McPhedran : La motion amendée se lirait donc ainsi :

Que le Sénat :

a) accueille les conclusions de la mission d’établissement des faits des Nations Unies sur le Myanmar selon lesquelles les forces militaires birmanes et l’État du Myanmar ont perpétré des crimes contre l’humanité à l’endroit des Rohingyas et d’autres minorités ethniques;

b) reconnaisse que ces crimes commis contre les Rohingyas constituent un génocide et invoque les termes de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations Unies pour assurer que l’État du Myanmar soit tenu responsable d’avoir commis ces crimes contre l’humanité et ce génocide;

c) accueille la décision récente de la Cour pénale internationale selon laquelle elle a compétence sur l’exode forcé des membres de la population rohingya du Myanmar au Bangladesh;

d) exhorte le Conseil de sécurité de l’ONU à saisir la Cour pénale internationale de la situation au Myanmar;

e) exige que les officiers supérieurs de la chaîne de commandement des forces militaires birmanes et la direction civile de l’État fassent l’objet d’enquêtes et soient poursuivis pour le crime de génocide;

Et que le Sénat, à la lumière de ce qui précède, convienne de révoquer la citoyenneté honoraire accordée à Aung San Suu Kyi le 17 octobre 2007.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Sénatrice Omidvar?

L’honorable Ratna Omidvar : Je vous remercie, Votre Honneur. Puis-je débattre de cette motion?

Son Honneur le Président : Si vous le souhaitez, oui.

La sénatrice Omidvar : Merci, Votre Honneur.

Honorables sénateurs, j’aimerais parler de l’amendement proposé par la sénatrice McPhedran. J’ai l’intention de m’y opposer pour deux raisons, et j’aimerais vous expliquer ces deux raisons.

La motion que j’ai d’abord présentée aujourd’hui était inspirée des deux motions qui ont été adoptées à l’unanimité par l’autre endroit. Tous les députés de tous les partis l’ont appuyée. On en a parlé partout dans le monde et le monde va en reparler encore aujourd’hui, parce que la presse canadienne nous regarde.

(1500)

Dans un dossier comme celui-ci, il est important que le Parlement parle d’une seule voix. Je sais que nous ne sommes pas ici pour servir de Chambre d’écho à l’autre endroit; nous le faisons savoir avec fierté. Cependant, dans certaines situations, le fait de parler d’une seule voix a une importante portée symbolique.

Même si vos amendements sont louables, ils nous éloignent de l’objectif de parler d’une seule voix et d’envoyer un message unanime, ce qui est fort important dans une telle situation.

Ma deuxième raison s’appuie sur les conclusions de la mission d’information indépendante de l’ONU. Les responsables de cette mission ont recommandé que l’armée soit tenue responsable de ses actes. Selon eux, c’est l’armée du Myanmar, la Tatmadaw, qui est la principale responsable des graves violations des droits de la personne et des crimes de droit international commis au Myanmar. Ils ont également recommandé que les principaux généraux fassent l’objet d’une enquête et de poursuites judiciaires pour ces crimes génocidaires. Ils ont recommandé que le commandant en chef et les officiers supérieurs de l’armée fassent l’objet d’une enquête et soient poursuivis par un tribunal international crédible pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Ils doivent également faire face à des accusations de génocide.

Honorables sénateurs, ce sont là les conclusions de la mission d’information de l’ONU.

J’estime qu’il est important que cette Chambre parle d’une seule voix avec l’autre Chambre. C’est pour cette raison que, même si je salue les intentions de la sénatrice McPhedran, je vais respectueusement voter contre son amendement.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : J’aimerais poser une question à la sénatrice McPhedran au sujet de son amendement.

Son Honneur le Président : Malheureusement, les questions doivent s’adresser à la sénatrice Omidvar.

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse donc à la sénatrice Omidvar. Je la pose davantage à des fins d’éclaircissements et je ne cherche pas à savoir si le Sénat est, oui ou non, une Chambre de second regard.

Si je comprends bien, la motion dont nous débattons aujourd’hui accueille, comme on le dit en français, la mission d’établir les faits. On ne fait que recevoir des conclusions qui existent déjà et qui ont été constatées par un organe de l’ONU. On ne se prononce pas sur la responsabilité additionnelle, par exemple, de l’État du Myanmar.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : C’est ce que je crois comprendre.

L’honorable A. Raynell Andreychuk : Accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Je comprends votre point de vue, en tant que marraine, en ce qui a trait à l’importance de parler d’une seule voix, mais il s’agit ici de révocation de la citoyenneté. Si je me joins aux sénateurs qui proposent des changements, comme la sénatrice McPhedran et peut-être d’autres, j’ajouterais encore à la liste, par exemple qu’il faudrait que l’ONU et le Canada aient davantage de responsabilités. Si je comprends bien, à ce stade-ci, il est question de révocation de la citoyenneté. Nous voulons signaler que nous avons offert la citoyenneté honoraire à une personne qui ne la mérite plus et qu’il faut donc la lui retirer.

La situation au Myanmar est bien plus profonde et complexe. Le gouvernement du Canada et la communauté internationale ont un rôle beaucoup plus important à jouer. Cette question mérite que nous adoptions une résolution ou que nous lancions une enquête. Ai-je bien interprété ce que vous dites, sénatrice Omidvar?

La sénatrice Omidvar : Je tente de faire la différence entre les affirmations et les questions.

Vous avez en partie raison. La motion vise à révoquer la citoyenneté honoraire accordée à Aung San Suu Kyi. En passant, le Sénat a voté unanimement en 2007 pour la lui offrir. Une autre partie de la motion porte sur les conclusions de la mission d’établissement des faits de l’ONU et emploie le terme « génocide » pour décrire ce qu’a fait l’armée du Myanmar. J’espère que cela répond à votre question.

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Sénatrice McPhedran, vous avez une question à poser?

La sénatrice McPhedran : J’ai une question pour la sénatrice Omidvar. Je veux être certaine de bien comprendre. Vous nous avez indiqué que la question de la responsabilité de l’État du Myanmar n’a pas été abordée dans le cadre de la mission d’enquête de l’ONU. Pourriez-vous confirmer cela, s’il vous plaît?

La sénatrice Omidvar : Il est surtout question de l’armée dans les conclusions de la mission. J’ai pris connaissance du rapport, qui est plutôt volumineux. Je suis certaine qu’on y aborde la question de la part de culpabilité du pouvoir civil, mais les principales constatations sont celles que reflète la motion qui a été présentée ici. Je n’irai pas jusqu’à dire que le pouvoir civil du Myanmar n’a rien à se reprocher.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie.

J’aurais une autre question pour la sénatrice Omidvar. Vous avez mentionné la convention sur le génocide. À votre connaissance, la responsabilité des militaires est-elle distincte de la responsabilité de l’État du Myanmar? Vous savez, j’imagine, qu’il s’agit des forces militaires du Myanmar, et non d’une bande de mercenaires itinérants?

La sénatrice Omidvar : Je n’ai jamais laissé entendre qu’il s’agissait d’une bande itinérante, il me semble. J’ai toujours dit qu’il s’agissait de l’armée. Si j’ai semblé dire le contraire, c’est que je me suis mal exprimée, ou peut-être que vous avez mal entendu. J’ai toujours parlé des militaires du Myanmar.

L’histoire nous a appris que lorsque survient, quelque part dans le monde, une situation où de graves violations des droits de la personne sont commises, plusieurs segments de la société sont coupables de ces violations. Cela dit, dans la motion à l’étude, nous demandons au Sénat de reconnaître que les forces militaires du Myanmar sont coupables de ces gestes.

Je suis certaine qu’il y aura un autre chapitre à ajouter à ce livre, madame la sénatrice McPhedran, et que vous y contribuerez. Pour le moment, toutefois, c’est ce que demande la motion que je présente. J’espère que cela répond à votre question. Merci.

L’honorable Michael Duffy : J’ai une question à poser à la sénatrice Omidvar. Le fait de révoquer la citoyenneté honoraire n’est-il pas une critique implicite à l’endroit du gouvernement du Myanmar? Dans vos observations, vous avez souligné que la personne visée est une femme puissante dans ce pays. Ne touchons-nous pas cet aspect en révoquant sa citoyenneté honoraire?

La sénatrice Omidvar : C’est une excellente observation. Merci de venir à mon aide, sénateur Duffy. Le pouvoir au Myanmar est formé d’une constellation de gens. Comme la mission d’établissement des faits des Nations Unies l’a conclu, les forces militaires birmanes sont principalement responsables de ce génocide. Je ne doute pas que d’autres intervenants sont également responsables, mais j’espère que le Sénat comprendra que la motion est un pas dans la bonne direction. Ce ne sera pas le dernier. J’espère que ce n’est pas la fin de ce chapitre. En fait, c’est la fin d’un chapitre et le commencement d’un autre.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

(1510)

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Non.

(La motion d’amendement de l’honorable sénatrice McPhedran est rejetée.)

Son Honneur le Président : La motion d’amendement est rejetée.

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer sur la motion principale?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Projet de loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motion d’amendement—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Sinclair, appuyée par l’honorable sénateur Gold, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-203, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins), tel que modifié.

Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénateur Tannas, appuyée par l’honorable sénatrice Batters,

Que le projet de loi S-203, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :

a)par adjonction, après l’article 6 (ajouté par décision du Sénat le 26 avril 2018), de ce qui suit :

« Exemption

7(1) L’article 445.2 du Code criminel, l’article 28.1 de la Loi sur les pêches et l’article 7.1 de la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial ne s’appliquent pas aux personnes dont le nom figure à l’annexe de la présente loi.

(2) S’il l’estime dans l’intérêt public, le gouverneur en conseil peut, par décret, ajouter des noms à l’annexe ou en retirer.

(3) Pour déterminer s’il est dans l’intérêt public d’ajouter le nom d’une personne à l’annexe ou de le retirer, le gouverneur en conseil tient compte du fait que la personne, selon le cas :

a) mène des recherches scientifiques relativement à des cétacés;

b) fournit des soins à des cétacés ou assure leur réadaptation. »;

b)par adjonction, à la fin du projet de loi, de l’annexe suivant :

« ANNEXE

(article 7)

Personnes désignées

The Ocean Wise Conservation Association (Aquarium de Vancouver) ».

L’honorable David Tkachuk : Honorables sénateurs, comme plusieurs d’entre vous le savent, de nombreux habitants de la Saskatchewan se soucient des cétacés. Il s’agit d’une question importante dans la province. J’aimerais donc proposer un sous-amendement à l’amendement du sénateur Tannas.

Le sénateur Tannas fait rarement des erreurs. Il est très compétent et j’espère qu’il ne s’offusquera pas du fait que j’essaie d’améliorer sa motion.

Motion de sous-amendement

L’honorable David Tkachuk : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que la motion d’amendement proposée par l’honorable sénateur Tannas soit modifiée, à l’alinéa a), par remplacement du paragraphe 7(2) par ce qui suit :

« (2) Sur recommandation du ministre chargé de l’application de la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, s’il l’estime dans l’intérêt public, le gouverneur en conseil peut, par décret, ajouter des noms à l’annexe ou en retirer. ».

Son Honneur le Président : Le sénateur Plett a la parole.

L’honorable Donald Neil Plett : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du sous-amendement du sénateur Tkachuk.

Comme je l’ai déjà dit au Sénat, et comme d’autres l’ont déjà dit, ce projet de loi représente, depuis sa création, une nette bataille entre les militants et les scientifiques. Chers collègues, nous ne sommes pas une Chambre de militantisme.

Même si le projet de loi a vu le jour au Sénat plutôt que de suivre le processus législatif habituel, cela ne nous exempte pas de notre responsabilité d’en effectuer l’examen objectif délibéré. Ce projet de loi est superflu et préjudiciable, non seulement pour les espèces mêmes que les militants prétendent vouloir protéger, mais pour deux établissements canadiens de bonne réputation dont les pratiques sont déformées de manière flagrante et irresponsable par les partisans du projet de loi.

Comme je l’ai déjà dit clairement au Sénat, je trouve incroyablement inquiétant que l’architecte du projet de loi, son parrain initial, n’ait ni visité ni consulté les deux établissements canadiens qui en seraient touchés, nous renvoyant plutôt à un documentaire d’Hollywood à propos d’un établissement américain et invitant tout le monde à le visionner. Comme bien des sénateurs qui, au départ, étaient indécis dans ce dossier, j’ai pris le temps de visiter les établissements et de rencontrer les principaux acteurs afin d’obtenir un portrait équilibré de la question.

J’ai également appris à connaître le travail important de ces organismes et j’ai constaté de première main comment ce travail serait compromis advenant l’adoption de ce projet de loi peu judicieux.

Chers collègues, comme vous le savez, le gouvernement a présenté le projet de loi C-68 en février. Même si je m’oppose à certains éléments du projet de loi concernant l’habitat du poisson, les dispositions relatives à la capture de cétacés sauvages ont été soigneusement rédigées et mûrement réfléchies. Le projet de loi C-68 interdit la capture de cétacés sauvages, sauf lorsqu’il est question d’un animal blessé ou nécessitant une réadaptation. Le gouvernement n’a toutefois pas empiété sur la compétence provinciale en tentant de revoir les normes ontariennes en matière de bien-être des animaux, comme on tente de le faire avec ce projet de loi. Si le gouvernement avait jugé bon d’aller plus loin ou avait pensé que cela s’imposait, il l’aurait fait.

J’ai abordé le sujet avec le ministre LeBlanc, alors ministre des Pêches, lorsqu’il est venu au Sénat pour la période des questions. Je lui ai dit que je pensais que les Canadiens appuyaient le principe de l’interdiction de la capture des cétacés dans le but de les mettre en captivité. Toutefois, il y a des personnes, dont les militants américains à l’origine de ce projet de loi et, plus près de chez nous, la chef du Parti vert, Elizabeth May, qui estiment que cette mesure devrait aller beaucoup plus loin et, notamment, empêcher la socialisation et la reproduction des cétacés en captivité et interdire à des aquariums modernes de renom de présenter des cétacés.

À l’inverse, le comité a entendu les témoignages de vétérinaires, de scientifiques et de biologistes de la vie marine réputés, qui estiment qu’il n’y a aucun danger à laisser ces animaux sociaux interagir et se reproduire, et qu’il n’y a aucun motif scientifique pour empêcher les humains d’admirer des cétacés vivant dans des conditions adéquates de captivité puisque cela permet aux gens d’entretenir des liens bien plus profonds avec eux, phénomène qui a été bien documenté.

J’ai demandé au ministre s’il pensait que son gouvernement avait trouvé le juste équilibre. Il m’a dit que oui, qu’on avait trouvé un juste équilibre et qu’il avait consulté des collègues au Sénat et à l’autre endroit sur les moyens de l’atteindre. Il a ensuite déclaré ceci :

Dans la mesure où nous avions l’intention de présenter des modifications visant à renforcer et à moderniser la Loi sur les pêches, je me suis dit que nous pourrions intégrer...

Recours au Règlement

L’honorable Murray Sinclair : J’invoque le Règlement, Votre Honneur. Merci.

J’aimerais vous faire remarquer que le sénateur Plett est déjà intervenu à l’étape de la troisième lecture. Il répète essentiellement ce qu’il a dit à cette occasion. Il ne parle pas de l’amendement. J’aimerais donc qu’on lui demande de parler de l’amendement et d’arrêter de faire comme si c’était son discours à l’étape de la troisième lecture. Il a déjà parlé du rapport. S’il veut intervenir à l’étape de la troisième lecture, il pourra le faire en temps voulu.

Son Honneur le Président : Le sénateur Plett débat actuellement le sous-amendement du sénateur Tkachuk. Comme les sénateurs le savent, il y un bonne marge de manœuvre disponible aux sénateurs lorsqu’ils interviennent sur des amendements et sous-amendements dans la mesure où ils se rapportent à la motion principale. Nous accorderons donc au sénateur Plett un peu de latitude et on verra où cela mène.

Le sénateur Plett : Je vous remercie, Votre Honneur. J’ai perdu le fil un instant.

Dans la mesure où nous avions l’intention de présenter des modifications visant à renforcer et à moderniser la Loi sur les pêches...

— ce sont toujours ici les propos du ministre LeBlanc —

... je me suis dit que nous pourrions intégrer ce qui était prévu dans le projet de loi S-203.

C’est ce que nous avons fait. Le ministre LeBlanc a ensuite soulevé une question constitutionnelle que j’avais déjà soulevée à l’étape de la deuxième lecture, ce qui est indéniable. Le ministre a dit ceci :

Dans plusieurs provinces — dont l’Ontario, où se trouve bien sûr Marineland —, certaines pratiques dans ce domaine relèvent du gouvernement provincial. Lorsqu’il est question d’animaux gardés en captivité dans des installations comme celles-là, je ne veux pas m’ingérer dans un domaine de compétence provinciale.

Chers collègues, de nombreux partisans du projet de loi, des activistes américains et quelques activistes canadiens donnent régulièrement l’exemple de Kiska et de son mauvais état de santé lorsqu’ils cherchent à laisser entendre que les normes de soins à Marineland ne sont pas à la hauteur et que les cétacés en captivité souffrent forcément. Kiska est le seul épaulard en captivité au Canada et elle vit à Marineland depuis de nombreuses années. Aucun épaulard n’a été capturé au Canada depuis 1975. Par ailleurs, aucun cétacé n’a été capturé au pays depuis le début des années 1990. Chers collègues, ce projet de loi est fondé sur de fausses prémisses.

(1520)

Les experts indépendants qui se sont penchés sur le cas de Kiska ont déclaré que, malgré son grand âge, qui équivaut à l’âge d’un octogénaire avancé, elle est en excellente santé. Toutefois, alors que des activistes tentent désespérément de détourner l’attention du vrai problème, force est de conclure que l’hébergement d’épaulards par des humains n’est pas un problème dans le contexte de la politique publique canadienne. Je répète qu’on ne capture plus d’épaulards au Canada. Kiska est le seul épaulard en captivité au Canada.

Les lois ontariennes empêchent Marineland de lui faire venir un compagnon et il ne fait nul doute que Kiska mourra si elle est déplacée où que ce soit ou, pire encore, si elle est relâchée dans la nature. Marineland ne peut rien faire. Bien que Kiska soit en excellente santé, la question est sans importance dans le contexte de cette mesure législative.

Certains activistes présentés comme des spécialistes, dont bien des Américains, ont comparu devant notre comité et ont déclaré, à plusieurs occasions, que les baleines, les dauphins et même les cochons devraient avoir les mêmes droits que les personnes au sens de la loi. Chers collègues, ce sont des activistes radicaux au service d’une cause. Pourtant, pour une raison ou une autre, certains ont tendance à accorder de la crédibilité à ces allégations, même si elles sont sans fondement.

Marineland fait couramment l’objet d’inspections surprises. Lorsque les militants ont fait des allégations non fondées de cruauté envers les mammifères marins au gouvernement de l’Ontario, la SPCA de l’Ontario, la Société de protection des animaux de Niagara Falls, des experts indépendants de l’aquarium de Vancouver, des experts du zoo de Calgary, le ministère de l’Environnement et de l’Action en matière de changement climatique de l’Ontario, le ministre du Travail de l’Ontario et une équipe complète d’experts externes indépendants du gouvernement de l’Ontario ont mené des enquêtes à Marineland. À la fin du processus, qui a pris beaucoup plus d’un an, pas une seule accusation n’a été portée concernant un mammifère marin à Marineland — pas une seule, chers collègues. C’est un fait indéniable.

En outre, il est de notoriété publique que des équipes d’inspection de la SPCA de l’Ontario mènent couramment des inspections non annoncées à Marineland. Tous les animaux, ainsi que tous les dossiers médicaux et toutes les installations, sont examinés. Aucun problème n’a été découvert — aucun.

Le projet de loi répond directement à un processus législatif de trois ans entrepris en 2012 en Ontario. Ce processus a abouti à l’adoption de mesures législatives et réglementaires provinciales régissant les soins à donner aux mammifères marins. La loi provinciale rejette ce qui est proposé dans la mesure législative dont nous sommes saisis.

Après un débat public prolongé en Ontario, qui a mené à la création d’une commission consultative scientifique indépendante et internationale, le processus démocratique en Ontario, qui a duré trois ans, a permis d’étudier et de rejeter ce que ce projet de loi propose. Les mêmes militants essaient maintenant de passer par une autre voie — le Sénat — pour tenter de nous convaincre d’adopter une mesure à l’échelle nationale, parce qu’ils n’ont pas réussi à convaincre l’Ontario de faire ce qu’ils voulaient.

Au sujet de l’aquarium de Vancouver, certains défenseurs de ce projet de loi parlent de l’annonce de l’aquarium indiquant que celui-ci cesserait temporairement de montrer des cétacés à son installation, comme si cela signifiait de quelque manière que ce soit que l’aquarium de Vancouver appuyait ce projet de loi. Dans cette annonce, y compris lors de la conférence de presse et dans le communiqué publié par la suite, l’aquarium de Vancouver demeure résolument d’avis que ce projet de loi nuira directement à ses installations, notamment à ses efforts de secours et de réadaptation. Depuis, l’aquarium continue de s’opposer à ce projet de loi. Je crois que nous avons tous reçu un courriel de l’aquarium de Vancouver, il y a quelques semaines, qui explique la question en détail. M. John Nightingale a écrit ceci :

Nombre de Canadiens ont suivi de près la triste nouvelle d’un épaulard malade appelé J50, séparé de son groupe qui habite au large de la côte de l’État de Washington et de la Colombie-Britannique. L’épaulard résident du Sud est une espèce menacée, avec seulement 74 individus restants après le décès de J50. Au cours des 10 dernières années, il n’y a eu que trois naissances de cette espèce menacée. En revanche, il y a eu 45 décès. J50 était une femelle qui n’avait que trois ans, ce qui veut dire qu’elle avait la capacité de se reproduire, un élément d’une importance capitale pouvant renverser le sort d’une espèce en péril.

J50 est tragiquement disparue la semaine dernière, en dépit de la collaboration transfrontalière entre les équipes de chercheurs et de vétérinaires du ministère des Pêches et des Océans et de la NOAA, et de leurs efforts pour sauver l’animal. La première mesure a été une injection à distance d’antibiotiques dirigée par notre vétérinaire principal, Martin Haulena. Ensuite, l’intervention devait se poursuivre par la capture temporaire de J50 afin de faire un diagnostic complet et de la traiter adéquatement, dans un ultime effort pour la sauver, avant de la retourner dans son milieu une fois guérie. Cela n’a pas eu lieu, puisqu’elle a disparu avant d’être déclarée morte.

Dans le cadre du projet d’intervention vétérinaire, le Dr Haulena aurait été l’un des principaux vétérinaires à diriger l’opération. L’aquarium de Vancouver est la seule institution de recherche et sauvetage pour les mammifères marins au Canada. Si le projet de loi S-203, dont le Sénat est actuellement saisi, est adopté, ce genre d’intervention deviendra essentiellement impossible. Lorsqu’il est question des espèces menacées comme les épaulards résidents du Sud, cette décision politique pourrait être catastrophique.

Ce projet de loi aura non seulement une incidence considérable sur la capacité de l’aquarium de Vancouver à enseigner aux prochaines générations de premiers intervenants, de vétérinaires, de biologistes de la vie marine et de professionnels en soins aux animaux, mais il pourrait aussi avoir une incidence sur notre capacité à intervenir pour contribuer à sauver un autre épaulard comme J50 lorsque c’est nécessaire.

L’aquarium de Vancouver nous a souligné certaines conséquences concrètes de l’adoption de ce projet de loi. Comme l’aquarium l’a conclu, chers collègues, « il importe de bien faire les choses ».

Les fonctionnaires du ministère ne donnent presque jamais leur opinion lorsqu’ils témoignent devant le comité, ce qui est parfois frustrant pour plusieurs d’entre nous, mais leur témoignage entourant le projet de loi S-203 ressemblait beaucoup plus à une opinion que ce qu’on a l’habitude d’entendre. Ils nous ont très bien fait comprendre que cette mesure législative était inutile et que le ministre pouvait apporter ces modifications par voie de règlement s’il le souhaitait. Le ministre concerné avait déjà traité cette question par l’entremise d’une autre mesure législative tout en soulignant le caractère inconstitutionnel du projet de loi du Sénat.

Nous n’adoptons pas de mauvais projets de loi pour appuyer un ami ou un collègue. Je suis convaincu que certains d’entre vous éprouvent de la difficulté à cet égard. Cependant, si vous ne vous êtes pas renseignés sur le projet de loi au-delà de ce qui a été dit au Sénat, je vous encourage vivement à le faire avant le vote final. Le projet de loi aura de graves conséquences et les enjeux sont trop importants. Ne nous mettons pas dans l’embarras et ne mettons pas le Sénat dans l’embarras en adoptant un projet de loi qui comporte des lacunes fondamentales dans l’unique but d’appuyer d’anciens collègues.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à appuyer l’amendement aujourd’hui et à voter contre le projet de loi à l’étape de la troisième lecture.

(Sur la motion du sénateur Sinclair, le débat est ajourné.)

(1530)

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il est maintenant 15 h 30. Le Sénat doit passer à la période des questions. Le ministre est arrivé. J’invite tous les sénateurs à se joindre à moi pour souhaiter la bienvenue au ministre Duclos.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je suis convaincu que vous vous joindrez à moi pour souhaiter la bienvenue au ministre Duclos.

Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 10 décembre 2015, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Jean-Yves Duclos, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.

Les affaires étrangères et le commerce international

Les droits de douane sur l’acier et l’aluminium

L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : Bienvenue, monsieur le ministre. Certains d’entre nous de ce côté-ci de la salle n’ont pas préparé de questions à votre intention, puisque nous attendions le ministre Morneau. Certains sénateurs vont sans doute poser une question directement au leader du gouvernement. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient. Je sais que beaucoup d’autres personnes ici présentes souhaitent vous poser des questions.

Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat et porte sur les droits de douane imposés par les États-Unis sur l’acier et l’aluminium importés du Canada. Comme tous les sénateurs le savent, les États-Unis ont imposé à la fin de mai des droits de douane de 25 p. 100 sur l’acier et de 10 p. 100 sur l’aluminium. Ces droits nuisent à nos industries de l’acier et de l’aluminium. Le gouvernement a été lent à réagir pour soulager les entreprises canadiennes qui pâtissent de la dispute. Les droits sont toujours en vigueur et nous n’en voyons pas la fin. Hier, lorsque le président Trump a parlé du nouvel accord trilatéral entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, il a indiqué que les droits de douane sur l’acier demeureraient en vigueur.

À votre connaissance, le gouvernement a-t-il un plan pour faire annuler ces droits de douane? A-t-il établi un échéancier à cet égard? Combien de temps encore les manufacturiers d’acier et d’aluminium doivent-ils s’attendre à endurer la situation?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Encore une fois, je remercie l’honorable sénateur de sa question. Afin de laisser le plus de temps possible à mon voisin, je serai bref et rappellerai simplement au Sénat que cette question des droits de douane sur l’acier relève d’une catégorie distincte de ceux visés par les négociations liées à l’ALENA, qu’on appelle à présent l’AEUMC. Ils sont visés par le chapitre touchant les questions stratégiques. Les États-Unis l’ont invoqué et le Canada a réagi. Toutes les parties se sont engagées, pas plus tard qu’hier, à poursuivre les négociations en vue d’y mettre fin de la meilleure manière possible. De l’avis du gouvernement du Canada, le plus tôt sera le mieux pour tous les intéressés, y compris les industries américaines sur lesquelles ces droits ont aussi des répercussions négatives.

Le sénateur Smith : Je vais céder la place à un autre intervenant pour que nous puissions aller de l’avant avec les questions.

L’Accord États-Unis—Mexique—Canada

L’honorable Nicole Eaton : Je vous remercie d’être parmi nous, monsieur le ministre. Ma question s’adresse toutefois au sénateur Harder.

Une disposition de l’Accord États-Unis-Mexique-Canada dit ceci : « Si l’une des parties conclut un accord de libre-échange avec un pays extérieur au marché, les autres parties pourront mettre fin au présent accord... ».

Pourriez-vous me dire, sénateur Harder, ce que signifie l’expression « non-market country » employée dans le texte original anglais, que j’ai traduite ici par « pays extérieur au marché »? Cette disposition empêcherait-elle le Canada de conclure un accord de libre-échange avec la Chine, accord que le premier ministre a déjà souhaité ardemment? Ne croyez-vous pas qu’une telle disposition contrevient à la souveraineté du Canada?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie encore une fois l’honorable sénatrice de sa question. Elle soulève un sujet dont nous discuterons sûrement au Sénat et ailleurs au cours des prochaines semaines, puisqu’il retient déjà l’attention depuis quelques heures.

Je dirai simplement que tous les accords, y compris l’ALENA et le nouvel AEUMC, comportent des dispositions concernant la fin de l’accord. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant qu’une telle disposition figure dans les accords commerciaux conclus par le Canada, dont l’ALENA; ils comportent toujours une disposition qui indique clairement comme les parties peuvent se retirer de l’accord. Dans ce cas précis, la disposition signifie que si l’un des partenaires souhaite conclure un accord avec une tierce partie, tous les signataires de l’AEUMC peuvent examiner cet accord pour s’assurer qu’il n’aura pas pour effet de les pénaliser. Il s’agit de défendre les intérêts de toutes les parties, comme le prévoit la disposition.

Le ministère de la Famille, des Enfants et du Développement social

Prêts, disponibles et capables—L’appui au programme

L’honorable Jim Munson : J’ai une question pour le ministre. Merci de votre participation aujourd’hui, car il y a d’autres dossiers que l’ALENA. Il y a aussi des dossiers qui touchent les droits des enfants et l’autisme; ce sont des dossiers importants pour toutes les personnes ici présentes.

Monsieur Duclos, vous êtes ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social. Vous savez qu’il existe, depuis quelques années, un programme formidable, le programme Prêts, disponibles et capables, auquel participe le gouvernement fédéral. Ce programme permet d’embaucher des adultes partout au pays. Des intervenants du secteur privé y participent. Ce programme permet d’embaucher des milliers de personnes qui, sans cela, n’auraient pas de travail et seraient à la maison en train de jouer à un jeu vidéo, mais ils sont maintenant employés par des entreprises comme Shoppers et Costco. Ce programme a reçu l’appui du milieu de l’autisme. En raison de compressions récentes, il sera éliminé progressivement. J’en suis très déçu. Les compressions financières ont notamment eu pour effet de mettre fin à des services aux personnes handicapées au Manitoba, à Terre-Neuve-et-Labrador, dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut, à l’Île-du-Prince-Édouard, en Saskatchewan et au Yukon. Les services ne sont maintenus que dans les six autres provinces.

Je sais qu’il y aura une proposition budgétaire, mais ce programme, mis en place sous un gouvernement précédent, a connu beaucoup de succès. Monsieur le ministre, c’est une question d’inclusion. Je vous prie, ainsi que vos collègues au Cabinet, de vous pencher de nouveau sur ce programme pour voir à quel point il est efficace. J’espère que vous pourrez me donner une réponse claire à ce sujet aujourd’hui. Merci, monsieur le ministre.

L’honorable Jean-Yves Duclos, C.P., député, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social : Merci beaucoup de votre accueil chaleureux. Je suis désolé de contribuer à votre déception en étant ici aujourd’hui. Je sais que vous vous attendiez à recevoir quelqu’un autre. Je suis tout de même ravi de votre accueil. Je veillerai à ce que mon collègue sache qu’il est le bienvenu au Sénat. Il sera heureux de répondre ultérieurement à toutes les questions importantes auxquelles je ne pourrai pas répondre moi-même.

Je suis également ravi et fier d’entendre le point de vue du Sénat sur des questions qui me tiennent à cœur, notamment le programme que vous avez mentionné, qui ne relève pas de mon ministère, mais de celui de ma collègue responsable des personnes handicapées. Ce programme touche un peu à la formation et à la participation dans notre société, qui ont une grande importance dans le mandat du gouvernement. Nous concentrons nos efforts sur deux choses. D’abord, nous veillons à ce que tous les Canadiens aient la chance de participer dans la pleine mesure de leur capacité au développement de la société et de l’économie, puis nous veillons à ce qu’ils puissent profiter équitablement des retombées de la croissance et du développement social.

Je suis donc très heureux d’entendre cela et je veillerai à ce que ma collègue soit informée de vos questions et de vos préoccupations.

[Français]

La Stratégie nationale sur le logement

L’honorable Raymonde Gagné : Monsieur le ministre, je vous souhaite de nouveau la bienvenue au Sénat. Ma question porte sur la Stratégie nationale sur le logement. Selon cette stratégie, la priorité sera accordée aux « Canadiens les plus vulnérables », soit les femmes et les enfants qui fuient des situations de violence familiale, les Autochtones, les personnes âgées, les personnes handicapées, les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, les anciens combattants et les jeunes adultes.

Les immigrants récents ne font pas partie de cette liste. Or, une recherche menée récemment par le professeur Faïçal Zellama, de l’Université de Saint-Boniface, confirme que les nouveaux arrivants francophones au Manitoba ont beaucoup de difficulté à trouver des logements abordables et de longue durée, particulièrement au sein des communautés qui souhaitent les accueillir. On définit même l’accès au logement comme étant leur besoin le plus criant. Ce phénomène existe au Manitoba, et j’imagine qu’il existe ailleurs aussi.

Ma question comporte donc deux volets. La Stratégie nationale sur le logement vise-t-elle suffisamment bien les enjeux vécus par les nouveaux arrivants, et ceux-ci sont-ils définis comme des personnes vulnérables auxquelles il faut accorder la priorité? Avez-vous consulté les communautés de langue officielle en situation minoritaire, partout au pays, et collaboré avec elles afin de voir comment votre stratégie nationale pourrait les aider dans le cadre de l’accueil et de l’intégration des nouveaux arrivants?

(1540)

L’honorable Jean-Yves Duclos, C.P., député, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social : Merci beaucoup. Je suis enchanté de pouvoir parler de la Stratégie nationale sur le logement. C’est une stratégie qui a été mise de l’avant, qui a été encouragée et proposée par un grand nombre d’intervenants au cours des dernières années, et plusieurs de ces intervenants et de ces leaders proviennent du Sénat. Je pense entre autres au sénateur Eggleton, qui nous a quittés il y a quelques jours à peine. C’est grâce à ce type de personnes au Sénat et à cette vision proposée par des sénateurs de votre calibre que nous avons pu rapidement, pour la première fois de l’histoire, mettre en place une stratégie nationale sur le logement.

Cette stratégie a trois objectifs. Le premier objectif en est un de leadership, afin de rétablir le leadership du gouvernement canadien en termes de vision et d’offrir à tous les Canadiens l’accès à un logement sûr et abordable.

Le deuxième objectif en est un de partenariat, parce que nous savons à quel point les investissements dans le logement, qui sont fondamentaux pour nos familles et nos communautés, doivent se faire en collaboration avec les provinces, les territoires, les municipalités, le secteur social et communautaire et le secteur privé.

Le troisième objectif est exactement celui que l’on vient d’entendre, c’est-à-dire de répondre, surtout et en priorité, aux besoins des Canadiens les plus vulnérables, parce que c’est le revenu qui fait la différence, mais aussi d’autres caractéristiques socioéconomiques. Parmi celles-ci, il y a le fait d’avoir le statut d’immigrant, de vivre dans une communauté linguistique minoritaire et d’être une jeune famille dans un marché du logement qui est parfois très coûteux. Cela a pour effet de miner la confiance des familles d’être en mesure de trouver un logement convenable pour y élever des enfants, de nuire à la capacité des personnes âgées de vivre de manière digne et sûre, et de laisser dans le besoin les anciens combattants, les personnes qui vivent avec des problèmes de santé mentale et physiques, et les gens à mobilité réduite.

Ce sont tous des Canadiens, y compris ceux dont vous avez parlé, qui font l’objet d’une stratégie qui sera révisée régulièrement au cours des 10 prochaines années. Il s’agit d’un plan à long terme qui est solide et qui est le plus important, en matière d’investissements, de toute l’histoire du gouvernement canadien. En outre, c’est un plan qui continuera d’évoluer grâce à l’appui et aux commentaires qu’il suscite, comme celui que l'on vient d’entendre.

[Traduction]

Le développement durable

L’honorable Marilou McPhedran : Je vous remercie, monsieur le ministre, de vous être joint à nous à la dernière minute.

[Français]

Monsieur le ministre, comme vous le savez, en juillet 2018, vous avez mené une délégation aux Nations Unies dont j’ai fait partie dans le cadre du Forum politique de haut niveau, où le Canada a présenté pour la première fois son rapport d’examen national volontaire sur les objectifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030, lequel a été bien reçu par la communauté internationale. À ce sujet, j’aimerais vous poser la question suivante : comment avance le travail visant à créer une stratégie nationale pour les objectifs de développement durable, et comment comptez-vous faire participer les jeunes à cette stratégie et à son processus?

L’honorable Jean-Yves Duclos, C.P., député, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social : Merci beaucoup. Encore une fois, je suis très heureux et très privilégié d’avoir l’occasion d’entendre cette question et d’y répondre.

Les Nations Unies ont lancé en 2015 ce qu’on appelle le Programme 2030, qui réunit effectivement 17 objectifs de développement durable en deux innovations majeures. La première innovation est l’élaboration de ces objectifs de développement durable qui concernent tous les pays, contrairement au programme de 2000 qui visait les pays en voie de développement. Tous les pays sont interpellés par le Programme 2030 des Nations Unies. La deuxième innovation très importante est que le concept de développement durable est compris d’une manière très large et couvre les dimensions sociales, économiques et environnementales qui font de nos sociétés de bonnes sociétés. À ce chapitre, évidemment, on doit reconnaître que nous avons beaucoup de chemin à faire au Canada. C’est un chemin qui doit se faire de manière ambitieuse et collaborative à l’échelle du gouvernement canadien, car, même si je suis chargé de la collaboration et de la coordination du travail lié à ces objectifs, beaucoup d’autres ministères sont impliqués.

La collaboration doit se faire aussi avec d’autres gouvernements, comme ceux des provinces, des territoires, des municipalités, ainsi qu’avec les gouvernements autochtones. En outre, comme on vient de l’entendre, nous devons collaborer également avec des groupes de Canadiens très nombreux qui s’intéressent au développement durable, en particulier les jeunes. Vous savez, s’il y a un enjeu qui interpelle les jeunes au Canada en 2018, c’est le développement durable. Ils nous lancent le message que, pour eux, il s’agit d’un enjeu lié à la confiance qu’ils accordent à leurs institutions et à l’avenir de notre pays. C’est pour cette raison que, au cours des prochaines années, jusqu’en 2030, nous allons travailler très fort avec nos jeunes, parce que non seulement ils représentent notre richesse, mais ils sont aussi notre richesse future. C’est sur la volonté et la confiance de cette richesse que le Canada peut et doit se développer.

L’agriculture et l’agroalimentaire

L’indemnisation des producteurs laitiers

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. En arrivant au pouvoir, le gouvernement que vous représentez a mis de côté le programme d’indemnisation agricole qu’avait prévu le précédent gouvernement conservateur afin de le remplacer par un programme libéral moins généreux, plus compliqué, qui a coûté plus de 23 millions de dollars de frais administratifs et dont plusieurs producteurs du Québec n’ont pas encore reçu d’argent. Je comprends nos producteurs laitiers, particulièrement ceux du Québec, d’être furieux et surtout inquiets. Pouvez-vous aujourd’hui, dans la foulée de cette nouvelle entente avec les Américains, rassurer les producteurs laitiers et nous garantir que votre gouvernement ne se traînera pas encore les pieds pour traiter les indemnisations qui leur sont promises et leur envoyer les chèques qui leur reviennent à la suite de cet accord dans lequel votre premier ministre a cédé sur la gestion de l’offre, alors qu’il avait promis de la défendre?

[Traduction]

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de la question. Permettez-moi de rassurer à nouveau l’industrie canadienne, qui est touchée par cet accord et par d’autres accords, sur le fait que le gouvernement du Canada et le ministre de l’Agriculture en particulier entretiennent des liens étroits avec leurs collaborateurs dans la province ainsi qu’avec des représentants et des intervenants des secteurs touchés afin qu’un programme d’ajustement soit rapidement mis en place, ce qui est conforme aux modalités de cet accord.

Les affaires étrangères et le commerce international

L’Accord États-Unis—Mexique—Canada

L’honorable Leo Housakos : Honorables collègues, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Harder. Je profite de l’occasion, la première depuis l’annonce du nouvel accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, pour poser une question au leader du gouvernement.

J’espère que le leader du gouvernement, à titre de membre du Conseil privé, a pris part aux séances d’information ministérielles afin de pouvoir nous donner des réponses satisfaisantes. Je crois comprendre que le Canada a entamé des négociations avec les États-Unis et le Mexique, même si, au bout du compte, les véritables discussions ont eu lieu entre le Mexique et le Canada et que nous sommes devenus de simples signataires vers la fin. C’est l’impression que j’en ai. L’objectif était de réaliser des gains pour le Canada.

En novembre 2016, le sénateur américain Rick Santorum est venu à Ottawa. Dans une entrevue qu’il a accordée au National Post, il a affirmé que le premier ministre Trudeau avait commis une faute grave en ouvrant la porte à la renégociation de l’ALENA avec l’administration Trump. Bien évidemment, les instances libérales ont dénigré les propos du sénateur à l’époque.

Voyez ce que nous ont coûté ces deux années de négociations, honorables collègues : nous avons ouvert notre marché laitier. La gestion de l’offre a pris le bord. Nous avons soudainement accru la protection dont jouissent les médicaments brevetés, ce qui fera disparaître des emplois dans l’industrie du médicament générique et augmenter le prix que paient les consommateurs canadiens. Nous avons bradé l’industrie du médicament générique. Nous avons créé une brèche de taille dans le Pacte de l’automobile en acceptant l’imposition de quotas sur le contenu canadien des voitures, ce qui constituera un coup dur pour le secteur. Les droits de douane sur l’aluminium et l’acier sont encore en vigueur, et rien n’empêche qu’il s’en ajoute d’autres un de ces jours, même si le premier ministre se félicitait en juin d’avoir réglé ce problème. Les logiciels ne sont toujours pas couverts par le nouvel accord. Ma province ne connaît que trop bien les répercussions que peuvent avoir une pareille mesure. C’est sans parler de la clause cachée qui accorde au Mexique et aux États-Unis un droit de veto sur tous les futurs accords commerciaux du Canada.

Sénateur Harder, nous savons tous à quel point nous avons besoin d’explorer de nouveaux marchés et de diversifier nos exportations afin d’être moins captifs du marché américain. Nous comprenons tous qu’il est impératif de libéraliser nos échanges commerciaux avec le reste de la planète. Qu’avons-nous fait? Nous avons lié les mains du Canada pour les futures négociations avec de futurs marchés. Comment le gouvernement a-t-il pu accepter cela?

(1550)

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : C’était une éruption de blâmes. Sénateur, je répondrai à la question en disant que je la respecte, mais que je préfère ce qu’a dit hier l’ancien premier ministre Brian Mulroney, qui en sait quelque chose.

Cet accord est une très grande réalisation pour le Canada, en plus de profiter aux trois pays, comme ce devrait être le cas. Dans le cadre de ces longues et difficiles négociations, le Canada semble avoir atteint la plupart de ses grands objectifs, pour ne pas dire tous.

Je pourrais aussi citer Rona Ambrose, l’ancienne chef intérimaire de son parti :

En principe, un nouvel accord contribuera à réduire l’anxiété des investisseurs, stabiliser les secteurs commerciaux exposés, et rassurer le monde que l’Amérique du Nord continue de tenir au libre-échange.

Pour ce qui est des propos tenus par un sénateur américain qui est venu ici et qui nous a offert ses conseils, il faut savoir qu’il s’agit d’un sénateur défait après un seul mandat et qu’il n’a même pas siégé 10 ans au Sénat américain. Je suis certain que lui et le sénateur s’entendent bien, étant donné qu’il est un républicain d’extrême droite.

Le ministère de la Famille, des Enfants et du Développement social

La pauvreté—Le revenu garanti

L’honorable Serge Joyal : J’ai bien sûr préparé une question pour le ministre des Finances, mais j’attendrai sa prochaine visite pour la poser.

[Français]

Ma question s’adresse à monsieur le ministre Duclos et concerne la Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté que vous avez rendue publique l’été dernier, particulièrement en ce qui a trait à la mise sur pied d’un programme pilote de revenu garanti dans une région du Nord de l’Ontario. Ce programme pilote devait permettre de tirer des conclusions, après une certaine période de temps, sur l’efficacité et l’impact d’un tel programme.

Je crois avoir lu que le gouvernement actuel de l’Ontario comptait abolir ce programme. Avez-vous l’intention de prendre des mesures afin qu’un autre programme pilote puisse être lancé, de façon à ce qu’on puisse disposer de conclusions utiles?

Ma deuxième question concerne le programme de Supplément de revenu garanti. Quel lien incompressible faites-vous entre l’établissement d’un tel programme et les objectifs réels de lutte contre la pauvreté? En d’autres mots, peut-on un jour envisager que la pauvreté, qui touche 10 p. 100 des Canadiens, disparaisse parce que le gouvernement fédéral aura réussi à établir un programme de revenu garanti?

L’honorable Jean-Yves Duclos, C.P., député, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social : Je suis très honoré de répondre à votre question, sénateur Joyal. Je sais à quel point votre contribution au Sénat a été importante au cours des années.

En effet, depuis novembre 2015, la réduction de la pauvreté a été au cœur de mon mandat à titre de ministre, et certainement au cœur du mandat du gouvernement canadien. Nous avons mis en place des mesures qui, dans certains cas, s’inspirent directement des principes d’un revenu minimum garanti. La mesure la plus importante, dans ce contexte, est l’Allocation canadienne pour enfants.

L’Allocation canadienne pour enfants est la première mesure de l’histoire du gouvernement canadien qui permet d’aider les familles avec enfant et qui représente un revenu minimum garanti pour ces familles partout au Canada.

Cette mesure s’appuie sur trois principes de base : un système de revenu minimum garanti, le principe de simplicité, par lequel le gouvernement a remplacé cinq mesures compliquées, injustes et difficiles à mettre en place par l’ancien gouvernement par une seule mesure qui verse à 9 familles sur 10 en moyenne 220 $ de plus par mois, non imposables. Il s’agit d’une mesure simple pour les familles, parce qu’il n’y a qu’un seul paiement qui est émis par mois. C’est aussi une mesure équitable, qui est le troisième principe de base d’un revenu minimum garanti. Nous devons donc célébrer ce système de revenu minimum garanti pour les familles avec enfant, qui est offert depuis juillet 2016. En outre, le montant de la prestation a été indexé en juillet 2018, une mesure qu’on attendait depuis déjà quelque temps.

Le système d’aide aux personnes âgées, soit la combinaison du Supplément de revenu garanti et de la Sécurité de la vieillesse, qui existe au Canada depuis les années 1970, est aussi un système de revenu minimum garanti.

En ce qui concerne d’autres mesures d’aide sociale qui relèvent des provinces, le gouvernement du Canada ne peut évidemment pas intervenir directement. Toutefois, nous avons manifesté au gouvernement ontarien notre désir de l’appuyer s’il souhaitait aller de l’avant avec son projet pilote, en lui fournissant de l’aide à la collecte des données et un appui pour analyser ces données. C’est sa décision, mais il sait pertinemment que s’il décidait de changer de voie, il pourrait toujours compter sur l’appui du gouvernement canadien.

Pour terminer, tout cela s’inscrit dans notre Stratégie de réduction de la pauvreté qui est, encore une fois, la première stratégie du gouvernement canadien en la matière. En mars 2019, grâce à l’Allocation canadienne pour enfants, à l’Allocation canadienne pour les travailleurs, qui commencera au printemps prochain, et à la bonification du Supplément de revenu garanti, nous aurons réduit de 650 000 le nombre de Canadiens qui auront vécu dans la pauvreté depuis novembre 2015. Or, 650 000 Canadiens, cela représente un nombre considérable, mais ce n’est pas suffisant; nous avons d’autres objectifs encore plus ambitieux pour 2020 et pour l’avenir.

[Traduction]

L’investissement dans les enfants

L’honorable Gwen Boniface : Ma question s’adresse au ministre. Je tiens à vous remercier, monsieur, de votre présence ici.

Un récent rapport de l’organisme Children First Canada et de l’Institut de santé publique O’Brien dresse un portrait troublant des services d’aide à l’enfance du Canada. Il signale tout particulièrement les taux élevés de suicide, de maltraitance des enfants et de mortalité infantile. Toujours selon ce rapport, UNICEF a classé le Canada au 25e rang parmi les 41 pays de l’OCDE au chapitre de la santé des enfants.

J’étais particulièrement inquiète quand j’ai appris que le nombre de Canadiens âgés de 5 à 24 ans hospitalisés pour des problèmes de santé mentale avait augmenté de 66 p. 100 au cours de la dernière décennie.

D’après le rapport, ce pourcentage est disproportionné par rapport à la tendance mondiale. Monsieur le ministre, quelles mesures le gouvernement prend-il pour répondre à ce rapport et veiller à ce que la prochaine génération soit en bonne santé?

L’honorable Jean-Yves Duclos, C.P., député, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social : Merci. Comme tous les sénateurs, je suis certainement d’avis qu’investir dans nos enfants, c’est investir dans notre avenir. Voilà pourquoi, collectivement, nous devons songer non seulement au nombre trop élevé de Canadiens vulnérables, et en particulier d’enfants vulnérables, mais aussi aux types d’investissements qui doivent être faits.

Ces investissements doivent tenir compte de toutes les dimensions de la vie de nos enfants. Comme je l’ai mentionné il y a quelques minutes, nous investissons des sommes considérables et avons également mis en place un plan ambitieux pour sortir les enfants canadiens de la pauvreté. L’Allocation canadienne pour enfants permet de sortir 300 000 enfants de la pauvreté, de même que, simultanément, 200 000 parents.

Nous devons également investir dans le logement par l’entremise de la Stratégie nationale sur le logement, car il est impossible de penser qu’un enfant puisse grandir, apprendre et vivre sainement sans que sa famille ait un logement sûr et abordable.

Il faut également investir dans l’éducation préscolaire et la garde des jeunes enfants. C’est ce que nous faisons et continuerons de faire jusqu’en 2028 grâce au premier accord multilatéral de l’histoire du pays entre le gouvernement fédéral et l’ensemble des provinces et des territoires. Nous investirons dans la santé mentale des enfants. C’est un dossier qui relève d’un autre ministère, mais je travaille en étroite collaboration avec la ministre de la Santé. Nous déploierons tous les efforts possibles et nécessaires pour faire en sorte que chaque enfant ait une chance réelle et équitable de réussir et de prospérer dans la société canadienne.

Les affaires étrangères et le commerce international

L’Accord États-Unis—Mexique—Canada

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Bonjour, monsieur le ministre. Ma question s’adresse aussi au leader du gouvernement au Sénat et porte sur le nouvel accord commercial trilatéral.

Aux termes de l’accord, de nombreuses entreprises pharmaceutiques verront leurs brevets protégés pendant dix ans plutôt que huit. En conséquence, les consommateurs canadiens devront payer davantage pour ces médicaments et attendre plus longtemps pour disposer de leurs versions génériques moins coûteuses.

Nous avons célébré hier la Journée nationale des aînés. Nous savons que beaucoup d’aînés dans le pays ont déjà de la difficulté à assumer les coûts élevés de leurs médicaments. Les types de médicaments qui coûteront plus cher aux termes du nouvel accord commercial comprennent ceux qui servent à soigner l’arthrite et d’autres maladies inflammatoires chroniques.

Ma question est donc la suivante, monsieur le leader. Qu’a obtenu le Canada en échange des concessions qu’il a faites concernant les produits pharmaceutiques, et que compte faire le gouvernement pour les aînés qui devront payer plus pour les médicaments dont ils ont besoin?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénatrice de sa question. Je dois dire que, parmi les résultats équilibrés obtenus à l’issue des négociations, le gouvernement du Canada, celui du Mexique et celui des États-Unis ont pu s’entendre sur certaines dispositions relatives à la protection de la propriété intellectuelle.

Je peux vous dire que le gouvernement est tout à fait conscient des pressions à la hausse qui s’exercent sur le prix des médicaments. Cette question n’est pas seulement liée à l’ALENA, ou, en fait, au présent accord, ce dont les sénateurs prendront connaissance. Le gouvernement travaille avec les provinces et les territoires pour que les médicaments d’ordonnance soient plus abordables et accessibles. Les sénateurs savent que le gouvernement s’est joint à l’Alliance pancanadienne pharmaceutique, qui négocie le prix des médicaments pour les régimes publics d’assurance-médicaments. Jusqu’à maintenant, d’après les informations que je détiens, ces négociations ont permis aux Canadiens d’économiser 1,2 milliard de dollars par année.

(1600)

Le gouvernement investit aussi plus de 140 millions de dollars pour améliorer l’accès aux produits pharmaceutiques et favoriser l’innovation dans le système de santé et travaille avec le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés à la modernisation des règlements pour mieux protéger les consommateurs contre les prix excessifs des médicaments brevetés.

Comme les sénateurs le savent, le gouvernement a créé le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime d’assurance-médicaments national. Tous ces éléments sont autant de mesures que prend le gouvernement pour régler la question des médicaments et de leur disponibilité pour les Canadiens tout en veillant, par l’intermédiaire de l’Accord États-Unis-Mexique-Canada — nous devrons nous habituer à ce nom —, à sécuriser l’accès au marché à l’intérieur de l’espace économique commun en Amérique du Nord.

Le ministère de la Famille, des Enfants et du Développement social

La Stratégie nationale sur le logement

L’honorable Terry M. Mercer (leader adjoint des libéraux au Sénat) : Tout d’abord, merci de votre présence, monsieur le ministre. Nous vous en savons gré.

Je note que, en votre qualité de ministre responsable de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, votre mandat consiste entre autres à travailler de concert avec la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement pour dresser la liste de tous les terrains et immeubles fédéraux inoccupés qui pourraient être adaptés et offrir quelques-uns de ces terrains à bas prix ou gratuitement pour que des logements abordables soient construits.

Premièrement, a-t-on dressé cette liste? Si oui, pourriez-vous nous la fournir? Et quels sont les plans de distribution de ces terrains en vue d’offrir des logements abordables?

L’honorable Jean-Yves Duclos, C.P., député, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social : Je vous remercie beaucoup de cette question fort pertinente. Je vous dirai dans un instant pourquoi elle est si pertinente. Elle s’inscrit dans la Stratégie nationale sur le logement, dont j’ai parlé plus tôt. C’est d’ailleurs la première fois que le gouvernement du Canada élabore une stratégie visant à mobiliser les forces au pays et à créer des partenariats, stratégie qui repose sur une vision destinée à offrir à chaque Canadien un logement sûr et à prix abordable. Cette vision est également assortie d’investissements historiques de plus de 40 milliards de dollars sur 10 ans afin de répondre aux besoins de logement de plus d’un demi-million de familles canadiennes qui disposeront ainsi d’un logement sûr et à prix abordable, en évitant ainsi le risque de se retrouver à la rue. En effet, il n’y a rien de plus inimaginable et insupportable que de voir des gens vivre dans la rue au Canada.

De nombreux éléments de la Stratégie nationale sur le logement ont été annoncés au cours des dernières semaines et des derniers mois. La mesure qui n’a pas encore été lancée, mais qui le sera bientôt, se nomme l’Initiative des terrains fédéraux, et elle porte bien son nom. Il s’agit d’un fonds de 200 millions de dollars qui appuie la cession de terrains fédéraux à des partenaires — les municipalités, les provinces et les secteurs privé, communautaire et social — afin de construire des logements plus abordables et plus sécuritaires pour un plus grand nombre de Canadiens. L’inventaire est presque terminé. Il sera donc disponible avec le programme dont l’annonce est imminente. Je compte sur tous les sénateurs, ainsi que sur tous les parlementaires à l’extérieur de cette enceinte, pour veiller à ce que cette composante importante de la Stratégie nationale sur le logement soit comprise par les Canadiens. Ainsi, elle sera utilisée par de nombreux intervenants qui souhaitent appuyer les efforts du gouvernement.

[Français]

L’aide aux familles monoparentales

L’honorable Renée Dupuis : Monsieur le ministre Duclos, bienvenue au Sénat. En ce qui a trait à la Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, vous dites qu’un travail est nécessaire pour générer des données de qualité sur la pauvreté, entre autres pour permettre de suivre les progrès en matière de réduction de la pauvreté chez les femmes, qu’on définit comme un groupe à risque. D’ailleurs, le premier ministre Trudeau a dit que le Canada est un pays où la pauvreté a un sexe, bref, que ce sont les femmes qui sont pauvres.

Les statistiques fournies dans la stratégie indiquent qu’un parent sur trois est un parent de famille monoparentale et que, parmi ces parents de familles monoparentales, 80 p. 100 sont des femmes.

L’un des objectifs de la Stratégie canadienne de développement durable pour 2030 porte sur l’atteinte de l’égalité des femmes et des hommes en plus de l’éradication de la pauvreté. Cette Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté va-t-elle comporter un volet de mesures de soutien à la maternité, c’est-à-dire une allocation personnelle qui serait versée directement aux femmes qui ont un enfant ou qui adoptent un enfant, et ce, peu importe leur état matrimonial ou leur situation de famille, deux motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne?

L’honorable Jean-Yves Duclos, C.P., député, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social : Je remercie la sénatrice de cette question. Je vais ouvrir une brève parenthèse. Je sais que mon histoire personnelle est de peu d’intérêt pour les sénateurs, mais je me permets tout de même de dire que, dans mon ancienne vie universitaire, j’ai souvent eu l’occasion d’entendre des critiques de la part d’universitaires et d’intervenants à l’endroit de la lutte contre la pauvreté. On disait, entre autres, que si le gouvernement canadien voulait être convaincant au chapitre des mesures de lutte contre la pauvreté, il devait d’abord définir ce qu’était la pauvreté au Canada. Comment faire pour mesurer la pauvreté et, par conséquent, comment faire pour la combattre?

Pour la première fois dans l’histoire du gouvernement canadien, nous aurons prochainement, par voie législative, une mesure officielle sur la pauvreté qui rendra le gouvernement plus efficace, mais également plus redevable dans l’atteinte de ses objectifs de réduction de la pauvreté.

À titre d’exemple additionnel de l’impact de cette stratégie de réduction de la pauvreté, qui établit pour la première fois une mesure officielle, des objectifs clairs et des procédures de responsabilisation importantes, l’Allocation canadienne pour enfants, dont je parlais il y a quelques instants, mesure phare du gouvernement du Canada, permet à l’heure actuelle de sortir de la pauvreté 200 000 parents et 300 000 enfants. En outre, de ces 200 000 parents, 140 000 sont des femmes monoparentales pour les raisons préalablement mentionnées.

Comme le premier ministre Trudeau l’a effectivement dit, la pauvreté est sexiste et raciste, et la pauvreté, malheureusement, empêche de nombreux Canadiens de participer normalement à notre société, pour des raisons sur lesquelles ils n’ont aucune prise.

Évidemment, cela est non seulement mauvais en termes moraux et au chapitre de la justice sociale, mais également lorsqu’on a pour objectif de créer des emplois et de produire davantage de croissance économique. Dans les mesures qui devront être mises en œuvre au cours des prochaines années, certaines seront inspirées d’un programme axé sur le fait que les femmes se retrouvent davantage en situation de pauvreté et qu’elles ont souvent, encore en 2018, un fardeau plus important à porter lorsqu’il s’agit d’élever, d’éduquer et de prendre soin des enfants.

[Traduction]

L’Initiative des terrains fédéraux visant à fournir des logements abordables

L’honorable Michael Duffy : Monsieur le ministre, je vous remercie d’être venu aujourd’hui. Je suis curieux au sujet du catalogue que vous avez mentionné, c’est-à-dire l’inventaire des terres du gouvernement fédéral. Les terrains militaires qui appartiennent maintenant aux Forces canadiennes seront-ils inclus dans l’inventaire? Qu’en sera-t-il des terres de la Couronne qui ont été publiées dans la Gazette du Canada? Les sénateurs qui vivent dans de petites provinces rurales ont constaté que la plupart des terrains qui semblent faire l’objet de projets de logement se trouvent dans les centres urbains. Pourtant, il y a beaucoup de gens qui vivent dans des logements de piètre qualité dans les régions rurales du Canada qui pourraient grandement bénéficier du programme que vous envisagez.

L’honorable Jean-Yves Duclos, C.P., député, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social : Je vous remercie de votre très bonne question. Elle est très pertinente étant donné que, comme je l’ai mentionné plus tôt, l’Initiative des terrains fédéraux de 200 millions de dollars sera bientôt lancée. D’ailleurs, certains terrains ont déjà été inventoriés. Je ne sais pas si c’est le bon terme à utiliser, mais il fera l’affaire. Certains des terrains seront des terrains militaires qui n’ont plus d’utilité pour le gouvernement fédéral, et d’autres seront des terrains qui se trouvent effectivement dans des régions rurales. C’est très bon et très important parce que, comme nous venons de l’entendre, les Canadiens des régions rurales ont également besoin d’avoir accès à des logements sûrs et abordables pour toutes sortes de raisons. Les revenus dans les régions rurales ont tendance à être un peu moins élevés, et il y a des difficultés sur le plan du transport et de l’accès aux services de soins de santé et d’éducation. Ces défis sont parfois même plus grands que ceux que l’on trouve dans les régions urbaines.

(1610)

Donc, la réponse est oui, certaines de ces terres feront partie de l’Initiative des terrains fédéraux, et oui, nous comptons sur tous les Canadiens, surtout les sénateurs, pour veiller à ce que les partenaires externes du gouvernement profitent de chaque occasion qui se présente.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le temps prévu pour la période des questions est écoulé. Je suis certain que tous les sénateurs voudront se joindre à moi pour remercier le ministre Duclos d’avoir été avec nous aujourd’hui. Merci, monsieur le ministre.

Des voix : Bravo!


ORDRE DU JOUR

Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à se pencher sur le financement des programmes d’alphabétisation au Canada atlantique—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Griffin, appuyée par l’honorable sénatrice Martin,

Que le Sénat affirme que l’alphabétisation est un pilier du civisme actif et un déterminant de l’amélioration de la santé, et qu’elle est essentielle à une économie novatrice et à la création de bons emplois durables;

Que le Sénat exhorte le gouvernement à tenir compte du contexte régional particulier du Canada atlantique, où les populations sont moindres et souvent établies en zones rurales, au moment de choisir entre le financement par projet et le financement de base pour ses programmes;

Que le Sénat exhorte également la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail à faire une exception aux conditions actuelles des programmes de financement par projet du Bureau de l’alphabétisation et des compétences essentielles afin de saisir le Conseil du Trésor d’une demande d’urgence de 600 000 $ en financement de base pour l’Atlantic Partnership for Literacy and Essential Skills, conformément au mémoire soumis au Parlement dans le cadre des consultations prébudgétaires de 2017;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’informer de ce qui précède.

L’honorable Terry M. Mercer (leader adjoint des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, je constate que cet article en est au 15e jour. Toutefois, je ne suis pas prêt à prendre la parole à ce sujet. En conséquence, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 4-15(3) du Règlement, je demande que le débat soit ajourné à mon nom pour le reste du temps de parole dont je dispose.

(Sur la motion du sénateur Mercer, le débat est ajourné.)

[Français]

Les défis de l’alphabétisation et des compétences essentielles au vingt et unième siècle

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Bellemare, attirant l’attention du Sénat sur les défis de la littératie et des compétences essentielles au XXIe siècle pour le Canada, les provinces et les territoires.

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour apporter mon humble contribution à l’interpellation lancée par la sénatrice Bellemare en janvier dernier, et reprise par la sénatrice Gagné, sur les défis de l’alphabétisation et des compétences essentielles au XXIe siècle.

J’aimerais d’abord remercier nos collègues d’avoir saisi le Sénat de cet important enjeu qui touche nos communautés, et qui a un impact important sur notre vie démocratique et sur la participation citoyenne des Canadiennes et des Canadiens à l’essor de notre pays.

[Traduction]

Je tiens à remercier tous les sénateurs qui, au cours des deux dernières années, ont parlé des défis de l’alphabétisation et des compétences essentielles au XXIe siècle. Selon de nombreux rapports sur l’alphabétisation, les activités de sensibilisation du public sont essentielles dans ce domaine. Le Sénat du Canada a donc un rôle important à jouer en tendant la main au gouvernement fédéral et à la population afin de faire de l’alphabétisation une priorité nationale.

[Français]

Les enjeux liés à l’alphabétisation ne datent évidemment pas d’hier. En posant un regard historique sur cet enjeu, nous constatons que le niveau d’alphabétisation de la population a toujours préoccupé les législateurs et la société civile, particulièrement à partir du moment où une société a voulu jumeler les principes du suffrage universel et du vote secret.

Lorsque la jeune démocratie de la Troisième République française a voulu rendre le scrutin accessible à tous et assurer l’indépendance des décisions de ses citoyens au moment du vote, elle a dû faire face à des défis très techniques, mais bien réels liés au fait que de nombreux individus ne savaient ni lire ni écrire, et, conséquemment, n’étaient pas en mesure d’inscrire par eux-mêmes leur choix de vote. Si des mesures à court terme ont alors été mises en place en assurant, entre autres, la présence de scrutateurs qui pouvaient aider les citoyens à voter en quasi confidentialité, la solution à long terme a été bien plus radicale et visionnaire pour l’époque.

[Traduction]

À la fin du XVIIIe siècle, le droit à l’éducation gratuite pour tous a été institutionnalisé en France. C’était un moyen d’accroître le degré d’alphabétisation de l’ensemble de la population et de veiller à ce que tous puissent exercer leurs droits en tant que citoyens. Cette décision a aussi contribué à l’efficacité du système politique démocratique qui émergeait à l’époque en France.

[Français]

À cette même époque en France, le grand poète, l’immortel Victor Hugo, écrivait sur la force et la puissance émancipatrice du livre. Pour lui, le livre offre au lecteur une ouverture sur le monde qui lui permet d’accéder à la sagesse cumulée de toutes les générations qui l’ont précédé, devenant ainsi un puissant outil au service de la démocratie.

Dans son poème À qui la faute?, Hugo explique à un jeune homme qui vient de mettre le feu à une bibliothèque toute l’importance de ce lieu symbolique et le pouvoir sacré du livre en lui disant ceci :

Le livre est ta richesse à toi! [...]

C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage

[...] c’est le savoir,

Et tu détruis cela, toi!

Ce à quoi le vandale ne peut que répondre :

Je ne sais pas lire.

Ce jeune homme, n’ayant pas découvert la richesse de la lecture, ne saisissait donc pas sa valeur intrinsèque et l’impact néfaste du geste destructeur qu’il venait de poser.

[Traduction]

Ce problème d’une autre époque fait ressortir une réalité bien d’aujourd’hui, à savoir le rôle central que devrait jouer l’alphabétisation dans notre société, à la fois comme moyen de participer au marché du travail et de contribuer à l’économie du pays et comme moyen de veiller à ce que tous possèdent les compétences requises pour participer pleinement au processus démocratique.

Hélas, il existe encore aujourd’hui de profondes différences entre les personnes qui ont un niveau d’alphabétisation élevé et les personnes peu alphabétisées. Si les choses ont changé depuis l’époque de Victor Hugo, notre responsabilité demeure la même, à savoir créer l’environnement et les conditions qui permettront d’améliorer le niveau d’alphabétisation de tous les membres de notre société.

[Français]

Dans ce sens, la capacité de lire et l’accès au livre sont certainement des conditions essentielles pour assurer ce changement de paradigme. Le livre agit encore aujourd’hui dans nos sociétés comme une porte d’entrée vers un monde de connaissance et de sagesse, d’où l’importance de soutenir les événements qui favorisent ce rapprochement entre le livre et le lecteur.

Voilà pourquoi je suis particulièrement heureux d’être associé, en tant que président d’honneur, à la campagne « La Lecture en cadeau » du Salon du livre de la Péninsule acadienne, une initiative qui vise à faire la promotion du livre et à encourager les habitudes de lecture dès un jeune âge. Cette campagne, qui se déroule actuellement, a pour objectif de rendre le livre accessible aux jeunes d’âge scolaire qui vivent en situation de précarité.

Si l’accès aux livres est un atout important pour favoriser l’alphabétisme, les conditions nécessaires pour contrer l’analphabétisme ne s’arrêtent évidemment pas là. La question fondamentale à se poser est celle qu’a si justement posée la sénatrice Bellemare dans son interpellation : quelles compétences essentielles doit détenir une personne qui désire travailler et vivre décemment au XXIe siècle? À laquelle j'ajouterais ceci : et qui lui permet de participer pleinement et de manière éclairée à la vie démocratique de notre pays?

Pour répondre à cette importante question, rappelons d’abord brièvement ce que nous entendons par l’alphabétisation au XXIe siècle. Au Canada, nous employons de plus en plus le terme « alphabétisation » comme un raccourci pour parler du concept du développement de l’alphabétisation et des compétences essentielles. En ce sens, l’alphabétisation regroupe toute une panoplie de compétences de base, mais aussi des compétences spécifiques liées à certaines tâches impliquant les diverses formes de littératie.

(1620)

[Traduction]

La littératie s’applique à de nombreux secteurs, tels que la santé, les finances, le numérique, la maison ou la vie civique. Cela dit, les ensembles de compétences portent sur un contexte donné dans lequel la personne doit posséder une connaissance plus ou moins vaste d’un lexique approprié pour comprendre une situation donnée. Une personne peut avoir de bonnes compétences dans un domaine et de faibles compétences dans un autre.

[Français]

Les organisations comme le Réseau pour le développement de l’alphabétisme et des compétences (RESDAC) conçoivent l’alphabétisme dans une perspective d’apprentissage continue, puisque, d’une part, nos compétences en alphabétisme ne sont pas acquises pour la vie, c’est-à-dire que nous devons toujours travailler pour les maintenir à niveau, et, d’autre part, parce que nous devons constamment apprendre et perfectionner de nouvelles compétences. On peut penser, à titre d’exemple, au monde de la littératie numérique, qui est en constante évolution depuis l’apparition du Web.

[Traduction]

Nous considérons que la littératie s’inscrit dans le grand continuum de l’éducation, comme nous devons constamment travailler à développer et à acquérir ces compétences dans tous les aspects de notre vie et pendant toute la durée de celle-ci. C’est donc dire que nous devons peaufiner ces compétences à l’école comme au travail, mais également dans des contextes moins formels comme à la maison, dans notre collectivité et dans différents contextes culturels.

[Français]

Quels sont donc les principaux enjeux actuels de l’alphabétisation? Dans son intervention, la sénatrice Bellemare a fait état d’une statistique fort inquiétante. Au Canada, 49 p. 100 de la population n’atteint pas le niveau 3 de littératie tel que le définit l’Organisation de coopération et de développement économiques. Il ne faut pas conclure que les gens ne savent pas lire, mais plutôt que leur capacité de comprendre et d’interpréter ce qu’ils ont lu ne leur est pas forcément accessible, ce qui leur cause d’importantes difficultés pour réaliser des tâches complexes. La grande majorité des gens qui appartiennent à ce groupe n’est pas consciente d’en faire partie, d’où l’importance mise de l’avant par les acteurs du milieu de sensibiliser la population aux défis de l’alphabétisation et de multiplier les espaces d’apprentissage et de perfectionnement informel.

[Traduction]

Quels sont les impacts économiques, sociaux, politiques et culturels de cette réalité? S’il est difficile de mesurer précisément les impacts sociaux, la World Literacy Foundation estimait, dans son rapport de 2016, que l’analphabétisme coûte environ un peu plus de 32 milliards de dollars américains chaque année à l’économie canadienne. La statistique des 49 p. 100 montre également qu’il existe un écart important entre le taux de diplomation au Canada et le pourcentage d’adultes qui n’ont pas les compétences requises pour obtenir un diplôme d’études secondaires, ce qui correspond au niveau 3 de littératie tel que défini par l’OCDE.

[Français]

Par ailleurs, les informations fournies par la sénatrice Gagné sur les défis de l’alphabétisation et de l’offre de services dans les communautés francophones en milieu minoritaire, les communautés des Premières Nations et les communautés immigrantes démontrent clairement que les effets de l’analphabétisme ne touchent pas toutes les régions du pays de la même façon. Le taux d’alphabétisme dans ces communautés est plus faible que la moyenne nationale, ce qui nécessite la prise de mesures concrètes pour améliorer non seulement les compétences et techniques liées à l’employabilité, mais aussi les compétences de base. Chez les communautés francophones en milieu minoritaire, compte tenu d’un ensemble de facteurs, le besoin de formation linguistique fait partie des mesures urgentes à mettre en place.

Certaines communautés sont donc plus vulnérables aux effets néfastes de l’analphabétisme, ce qui fait ressortir d’importantes disparités, voire des inégalités flagrantes dans la distribution des compétences et des services offerts au Canada et dans la capacité de tous les Canadiens de participer à la vie démocratique.

[Traduction]

Par exemple, dans ma région, la péninsule acadienne au Nouveau-Brunswick, plus de 60 p. 100 de la population se trouve sous le niveau 3 de littératie, ce qui limite le type de main-d’œuvre disponible dans cette région du pays et qui a nécessairement un impact sur le développement économique et la capacité d’autogestion de la région. Cette situation alarmante a aussi des répercussions plus larges pour la région et la province, surtout si on pense à la nouvelle réalité de l’accès à l’information qui permettra aux citoyens de participer à la vie démocratique.

[Français]

Aujourd’hui, dans un monde hautement informatisé où nous sommes bombardés d’informations de source et de véracité variables, le niveau de compétence nécessaire pour comprendre et interpréter l’actualité s’est accru. L’apparition des « fake news » a un réel impact dans la vie de nos citoyens et les oblige à acquérir de plus en plus de compétences pour départager les vraies nouvelles des fausses, et ce, afin de prendre des décisions éclairées. Malheureusement, peu d’études quantitatives ont porté sur le sujet de la relation tangible qui existe entre le niveau d’alphabétisme et la participation électorale et citoyenne des Canadiens. Malgré cela, certains rapports et quelques études ont abordé cette question et nous permettent d’en tirer des conclusions.

Dans une publication d’Élections Canada parue en 2007 et intitulée La participation électorale des personnes ayant des besoins spéciaux, on cite un certain nombre d’enquêtes, y compris une enquête menée par Élections Canada en 2005, qui présente l’existence, et je cite :

[d’]une relation claire entre les compétences en lecture et en écriture et un ensemble de facteurs clés [à la participation électorale] : l’employabilité, la qualité de l’emploi, les revenus, la capacité de travailler à l’ordinateur, l’état de santé et le niveau de participation à la vie communautaire. Cette enquête a révélé que des niveaux inférieurs d’alphabétisation étaient associés à des niveaux inférieurs d’adhésion à des groupes et organismes communautaires et de participation à des activités bénévoles.

Le rapport d’Élections Canada poursuit en affirmant que « le niveau d’alphabétisation semble être un facteur déterminant du taux de participation [électoral]. » Plus inquiétant encore, le rapport souligne que la population faiblement alphabétisée est particulièrement vulnérable aux campagnes de désinformation.

Comme le souligne le rapport, et je cite :

[...] le niveau d’alphabétisation a un lien avec les sources dont se servent les personnes pour se renseigner en matière de politique, pour puiser leur connaissance générale de la politique et pour décider de leur éventuelle participation à des associations bénévoles.

S’il y a toujours eu des campagnes de désinformation politique et de propagande qui déforment la réalité, les capacités qui existent aujourd’hui à faire circuler une fausse information sont exponentiellement plus grandes qu’à un autre moment de l’histoire. Nous l’avons vu lors des élections américaines de 2016 et nous le constatons quotidiennement dans les médias sociaux et dans le cadre de nos propres élections. Des messages erronés, intentionnellement ou non, circulent, et nombreux sont celles et ceux qui les acceptent comme étant vrais. Il en serait certainement autrement si nous avions un niveau de littératie civique et numérique plus élevé.

[Traduction]

Si nous souhaitons faire en sorte que les citoyens acquièrent les habiletés et les réflexes nécessaires pour vérifier les informations qu’ils voient circuler sur le Web, nous devons intensifier nos efforts de sensibilisation et les occasions d’apprentissage afin que tous soient en mesure d’utiliser et de remettre en question les sources d’information nouvelles et multiples qui sont accessibles sur le Web. Nous devons investir davantage dans la littératie numérique, non seulement pour contrer l’incidence des fausses nouvelles, mais aussi pour que les gens soient plus conscientisés par rapport à des questions telles que la cyberintimidation.

Le rapport d’Élections Canada met aussi en lumière l’importance de la littératie civique pour assurer la bonne gouvernance des régions et du pays. Pour éviter que les citoyens ne soient victimes de la désinformation, nous devons veiller à ce que toute la population comprenne mieux le système politique canadien à tous les échelons.

[Français]

En conclusion, chers collègues, j’appuie entièrement les propos de la sénatrice Gagné, qui suggère la création d’une politique publique nationale en matière d’alphabétisme, laquelle saurait « placer la réussite de la personne apprenante au centre de toute action ». Si notre approche n’est pas axée sur la personne, son vécu, son environnement et ses besoins, non seulement nous ne réussirons pas à la doter des compétences nécessaires, mais nous n’arriverons même pas à la rejoindre et à la sensibiliser au fait qu’elle a peut-être besoin de cette formation sur les plans personnel et professionnel.

Vivement une politique publique nationale en matière d’alphabétisme qui assurerait une offre de services adaptés aux réalités linguistiques, sociales et culturelles des différentes régions du pays; une réelle concertation entre le gouvernement et les acteurs sur le terrain qui œuvrent dans ce domaine; un financement adéquat...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Cormier, je regrette de vous interrompre, mais votre temps de parole est écoulé.

Le sénateur Cormier : Puis-je avoir deux minutes de plus pour terminer mon allocution?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : Oui.

Le sénateur Cormier : Vivement un financement adéquat pour les organismes qui travaillent en alphabétisme partout au pays, et je pense particulièrement aux organisations à l’œuvre dans la région de l’Atlantique, qui ont peine à survivre. Bref, il s’agirait là d’une politique publique nationale en matière d’alphabétisme qui proposerait une approche holistique et à long terme misant sur le développement des individus et s’appuyant sur les compétences des milieux impliqués.

(1630)

Honorables sénateurs, je nous invite à faire davantage la promotion de l’alphabétisme dans nos régions et secteurs respectifs afin que toutes les Canadiennes et tous les Canadiens puissent bénéficier d’une chance égale de s’épanouir et de participer pleinement à la vie démocratique de notre pays.

Je vous remercie de votre écoute.

(Sur la motion de la sénatrice Bellemare, le débat est ajourné.)

[Traduction]

La transparence de la propriété effective

Interpellation—Ajournement du débat

L’honorable Howard Wetston, ayant donné préavis le 5 juin 2018 :

Qu’il attirera l’attention du Sénat sur la transparence de la propriété effective.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la transparence de la propriété effective, surtout en ce qui a trait aux sociétés et à d’autres entités comme les fiducies. Ce n’est pas un sujet passionnant, mais c’est important. Malheureusement, actuellement, le Canada prend du retard par rapport aux normes internationales sur la transparence de la propriété effective.

Le ministère des Finances définit la propriété effective en termes de personnes qui sont directement ou indirectement propriétaires ou qui contrôlent au moins 25 p. 100 d’une société ou d’une entité, et qui sont en même temps les fiduciaires et les bénéficiaires ou les constituants reconnus d’une fiducie.

Le manque de transparence des renseignements sur la propriété effective permet que les gens abusent des sociétés et des fiducies canadiennes dans le but de blanchir de l’argent, faire de l’évasion fiscale, soudoyer des autorités ou financer des activités terroristes. Selon Transparency International, cela a des effets corrosifs importants sur l’intégrité des régimes financier et fiscal, la sécurité financière des particuliers, la compétitivité, la productivité et la capacité de jouer à armes égales pour les sociétés honnêtes, sans compter que cela crée de la distorsion dans le régime de marché.

Dans un exemple hautement médiatisé de la propriété effective cachée, selon un reportage de CBC News réalisé en 2017, deux Canadiennes nommées dans les Panama Papers ont été désignées administratrices de près de 200 entreprises. Elles ont prétendu ne rien savoir des bénéficiaires ou des entreprises. Elles étaient une façade pour des propriétaires anonymes.

L’une de ces entreprises était dirigée par un promoteur immobilier espagnol qui dissimulait de l’argent dans des sociétés fictives un peu partout dans le monde, y compris au Canada. En 2011, il a été reconnu coupable de fraude et d’évasion fiscale aux États-Unis et a été condamné à 10 ans d’emprisonnement. Les deux Canadiens ont dit ne jamais avoir entendu parler de lui jusqu’à ce que la banque communique avec eux pour témoigner dans une poursuite au civil. Ce cas n’est pas isolé.

Honorables sénateurs, ceci n’est qu’un exemple des nombreuses sociétés anonymes en activité dans le monde dont la propriété est difficile, voire impossible à discerner. Ces sociétés anonymes sont utilisées pour se laver les mains de la corruption, de l’évasion fiscale et d’autres crimes.

Le manque de transparence de la propriété effective a une incidence sur tous les Canadiens. Essentiellement, c’est mauvais pour les affaires, cela nuit à la société et cela facilite généralement la corruption. Au Canada, il existe des moyens de demeurer légalement anonyme lors de transactions d’affaires. Il est actuellement très difficile pour les organismes d’application de la loi, les institutions financières et autres d’obtenir et de vérifier des renseignements sur la propriété effective. Ceux d’entre vous qui ont pratiqué le droit comprennent très bien cela.

Permettez-moi de décrire quelques aspects où l’insuffisance de transparence de la propriété effective nuit au Canada. Commençons par l’évasion fiscale. L’économie canadienne perd annuellement des milliards de dollars en raison de l’évasion fiscale. Lorsque les sociétés anonymes sont utilisées à mauvais escient, le fisc ne peut identifier précisément à qui elles appartiennent ou qui en a le contrôle, ce qui entraîne des pertes de recettes fiscales énormes. Notre collègue, le sénateur Downe, a parlé de ce problème par le passé. De toute évidence, il a travaillé dur à ce dossier important et sait de quoi il en retourne.

Passons au blanchiment d’argent. Le CANAFE, l’unité du renseignement financier et l’organisme de lutte contre les activités de blanchiment d’argent du Canada, énumère les conséquences d’une telle activité criminelle. Celles-ci vont de conséquences au niveau individuel, comme la contrainte, les menaces et les risques commerciaux, au niveau de la société, comme l’impact sur la sécurité et la stabilité du système financier canadien. Ses travaux nous informent que des milliards de dollars sont blanchis au Canada. Je ne précise pas les chiffres, mais il s’agit de milliards de dollars — des chiffres qui seront confirmés le cas échéant, je l’espère, par les données recueillies par ces organismes.

Dans un document de l’Institut C.D. Howe rédigé en 2018, l’auteur Denis Meunier établit un lien clair entre le blanchiment d’argent et la propriété effective non divulguée. L’emploi abusif de structures d’entreprises et de propriétés effectives camouflées constitue un moyen connu pour blanchir de l’argent — et un problème mondial.

Par exemple, l’étude menée par la Banque mondiale sur 150 cas de corruption à grande échelle — il s’agit ici de cas de corruption de fonctionnaires à un haut niveau, soit plus de 1 million de dollars américains par cas — a indiqué que des sociétés ont été utilisées pour blanchir les produits de la criminalité dans plus de 85 p. 100 des cas. Dans plus de la moitié de ces cas, des fonctionnaires corrompus ont utilisé des prête-nom, des sociétés commercialement inactives et des fiducies pour camoufler leur propriété effective et les produits de leurs crimes.

Honorables sénateurs, le recyclage des produits de la criminalité s’est aussi immiscé dans le marché canadien de l’immobilier. C’est là la conclusion tirée en 2016 par le Groupe d’action financière, un organisme international qui élabore des politiques pour lutter contre le blanchiment d’argent, et en 2015 par le gouvernement fédéral dans le cadre de son évaluation des risques. Les bureaux canadiens d’enregistrement des titres fonciers ne possèdent aucune information sur les propriétaires bénéficiaires. Ils n’en possèdent que sur les propriétaires inscrits, ce qui garantit l’anonymat des véritables propriétaires.

Les propriétaires bénéficiaires peuvent éviter l’impôt ou s’y soustraire en désignant des propriétaires apparents qui réclameront l’exemption pour résidence principale ou pour les acheteurs d’une première maison. Par exemple, à Vancouver, on a appris en 2016 que des étudiants étrangers qui n’avaient aucune source connue de revenus achetaient des propriétés valant plusieurs millions de dollars. Selon The Economist, il s’agit d’un problème local, car les étudiants étaient des prête-noms pour des entreprises anonymes dont le nom des propriétaires bénéficiaires n’était pas requis par le bureau d’enregistrement.

Je n’ai pas besoin de vous dire, mesdames et messieurs les sénateurs, que cela fait grimper le prix de l’immobilier d’une manière que j’estime être totalement injustifiée et qui n’est pas déterminée par les conditions du marché.

De surcroît, en 2016, Transparency International Canada a indiqué que près de la moitié des 100 propriétés résidentielles les plus chères dans le Grand Vancouver était détenue par des structures qui dissimulent l’identité de leurs propriétaires bénéficiaires, 29 étaient détenues par des sociétés fictives, 11 avaient le nom du propriétaire apparent inscrit sur le titre, et 6 autres étaient détenues en fiducie pour le compte de bénéficiaires anonymes.

Heureusement, en février, le gouvernement de la Colombie-Britannique est intervenu en proposant de mettre en place la Land Owner Transparency Act, qui prévoit la tenue d’un registre public des propriétaires fonciers afin d’obliger les personnes responsables de sociétés fictives et d’autres entités à s’identifier. Un livre blanc a été publié aux fins de consultation, et le gouvernement a tenu des consultations tout au long de l’été. Même si elle ne s’applique pas à tous les propriétaires d’entreprise, cette initiative est une première au pays. Le sénateur Woo a eu la gentillesse de me fournir un exemplaire de cet ouvrage de consultation, et je l’en remercie infiniment.

Cependant, même s’il est manifestement dans l’intérêt de la population de faire en sorte que les renseignements sur la propriété effective soient plus transparents ou même publiés, nous avons aussi intérêt à protéger la confidentialité des données de cette nature. Une foule de raisons légitimes amènent des entreprises à protéger la confidentialité de certains renseignements sur des activités, des investissements, des acquisitions et des avoirs. Elles doivent le faire notamment lorsqu’elles entrent dans un nouveau marché par l’entremise d’une filiale, lorsqu’elles se procurent des biens pour étendre leurs activités, lorsqu’elles font des acquisitions pour élaborer de nouveaux produits et lorsqu’elles achètent des droits de propriété intellectuelle, pour ne citer que quelques exemples.

Par conséquent, il faut prendre en considération les intérêts en matière de confidentialité lorsqu’il s’agit d’élaborer des politiques publiques relatives à la transparence de la propriété effective qui visent les entreprises privées.

(1640)

Je signale toutefois que les sociétés cotées en bourse sont beaucoup plus transparentes que les sociétés détenues par des intérêts privés, ne serait-ce qu’à cause des lois sur les valeurs mobilières, qui exigent qu’une grande quantité de renseignements soient rendus publics afin de mieux protéger les investisseurs et de rendre les marchés plus efficaces.

Les règles sur les délits d’initié prévoient que l’information sur la propriété effective des actions achetées, détenues et vendues par les initiés en question soit versée dans le Système électronique de déclaration des initiés.

Les personnes qui détiennent 10 p. 100 ou plus des actions d’une société cotée en bourse doivent déclarer leurs titres de participation. En soi, il s’agit d’une intrusion non négligeable dans la vie privée, mais le législateur a décidé il y a longtemps que cela se faisait dans l’intérêt du public.

À l’époque où je travaillais dans ce domaine, beaucoup d’investisseurs faisaient bien attention de ne pas dépasser 9,99 p. 100.

Même si, pour le public, la transparence accrue a ses avantages, nous devons aussi tenir compte des préoccupations légitimes des entreprises et des particuliers en matière de protection de la vie privée.

Honorables sénateurs, il n’y a pas qu’au Canada que la transparence de la propriété effective pose problème. Il s’agit, au contraire, d’un phénomène mondial qui a nécessité une solution d’ampleur planétaire.

En 2014, tous les pays du G20, y compris le Canada, ont adopté une série de grands principes et se sont engagés à prendre des mesures concrètes pour rendre leurs cadres juridiques, réglementaires et institutionnels plus efficaces relativement à la transparence de la propriété effective. Il a, par exemple, été fortement recommandé que l’accès à l’information pertinente soit facilité par la création de registres centraux. De leur côté, les 28 pays membres de l’Union européenne ont conclu un accord de principe en décembre 2017 par lequel ils s’engagent à dévoiler publiquement les véritables propriétaires des sociétés et des fiducies qui détiennent des sociétés. Les lois qui mettent cet accord en œuvre devraient être adoptées d’ici la fin de 2019.

Au Royaume-Uni, un registre public des propriétaires bénéficiaires a été mis en place en 2016. Près de 4 millions d’entités y sont maintenant enregistrées. Depuis, l’utilisation de données s’est accrue, et plus de 2 milliards de recherches de données sont actuellement faites chaque année au Royaume-Uni. C’est un chiffre incroyable. Il n’y en avait que 6 millions en 2014-2015, lorsqu’il fallait encore payer pour obtenir l’information.

Le Royaume-Uni tente d’améliorer davantage la transparence de la propriété effective en convainquant les propriétaires d’entreprises qui sont dans ses territoires d’outre-mer, dont les Bermudes, les îles Caïman et les îles Vierges britanniques, d’inscrire leur nom et d’autres renseignements dans des registres publics. L’Australie envisage de faire la même chose.

Enfin, le 1er juin, le gouvernement fédéral suisse a proposé trois changements majeurs à sa loi sur le blanchiment d’argent, notamment le dévoilement public de la propriété effective et la mise en place d’un registre commercial.

Honorables sénateurs, compte tenu des vastes répercussions dont j’ai parlé plus tôt et de la réaction mondiale aux inquiétudes que soulèvent ces questions, il n’est pas étonnant que le gouvernement du Canada ait reconnu la nécessité de combler ces lacunes. Le budget de 2017 comprenait un engagement à améliorer la transparence de la propriété effective par l’adoption de normes rigoureuses et la mise au point d’une nouvelle stratégie.

Afin d’atteindre cet objectif, le ministère des Finances Canada et Innovation, Sciences et Développement économique Canada travaillent de concert en collaborant avec les provinces et les territoires.

En décembre 2017, les ministres ont conclu une entente de principe pour apporter des modifications aux lois sur les sociétés fédérales, provinciales et territoriales ou aux autres lois pertinentes. On travaille actuellement sur un plan d’action concret et coordonné au sein des registres des sociétés et des assemblées législatives fédérales, provinciales et territoriales. On parle d’une mesure à l’échelle fédérale, provinciale et territoriale. Plus précisément, le plan d’action est un engagement à présenter des modifications législatives qui obligeront toutes les entreprises privées à détenir des renseignements sur la propriété effective et à mettre fin à la pratique des actions au porteur d’ici juin 2019.

Il y a aussi un engagement à élaborer des politiques sur l’accès à l’information, notamment sur les questions de protection des renseignements personnels. Toutefois, il y a des difficultés — vous savez lesquelles —, compte tenu du partage des pouvoirs au Canada en matière d’activités commerciales. Aux dernières nouvelles, il y avait 13 registres des sociétés au Canada. Tant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux exercent des pouvoirs considérables sur certaines activités commerciales.

Par exemple, le gouvernement fédéral réglemente les banques, les compagnies constituées en vertu d’une loi fédérale et, grâce à ses pouvoirs en matière de droit pénal, certaines règles pour les institutions financières afin de se conformer aux exigences financières de lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme.

Les compagnies constituées en vertu d’une loi fédérale ont le droit d’exercer leurs activités dans toutes les provinces. Toutefois, elles doivent s’inscrire dans chacune des provinces où elles font des affaires.

Les provinces exercent leurs compétences sur les compagnies constituées en vertu d’une loi provinciale, les fiducies, la plupart des opérations sur valeurs mobilières, les compagnies de fiducie et de prêt, les sociétés coopératives de crédit, les caisses d’épargne et de crédit et les caisses populaires. Les provinces réglementent aussi les professions comme les agents immobiliers et les avocats. Les compagnies constituées en vertu d’une loi provinciale peuvent s’inscrire pour exercer leurs activités dans une autre province. Je dis cela pour montrer à quel point il est complexe de tenter d’adopter une mesure à l’échelle nationale.

Je n’ai pas l’intention de décrire les divers mécanismes qui pourraient permettre de lever le voile sur l’anonymat. Cela dit, les gouvernements pourraient, par exemple, travailler de concert pour favoriser une cueillette efficace des renseignements sur la propriété effective, en utilisant pour ce faire les processus réglementaires en place, selon lesquels les sociétés de régime fédéral et provincial doivent soumettre un rapport annuel et déposer leurs statuts constitutifs. Ainsi, il serait possible d’ajouter des champs relatifs à la propriété effective aux rapports annuels que les sociétés ont l’obligation légale de soumettre. Si cela est jugé pertinent, les données sur la propriété effective ainsi recueillies pourraient être publiées dans les registres actuels des sociétés de régime fédéral et provincial.

Une autre option, plus ambitieuse, serait que les gouvernements fédéral et provinciaux harmonisent les champs relatifs à la propriété effective, de manière à pouvoir rassembler ces données dans un seul et même portail. Il serait possible d’attribuer à chaque entité et à chaque personne un identificateur unique, de façon à accroître l’exactitude des données. Il serait évidemment idéal que toutes les données soient regroupées dans un même portail et outil de recherche pancanadien, mais chacun des changements de politique mentionnés marquerait déjà un pas dans la bonne direction.

En conclusion, le Canada fait l’objet de critiques à l’échelle internationale. On lui reproche d’être une administration opaque parce qu’il permet aux véritables propriétaires d’une société privée de rester anonymes. Transparency International classe actuellement le Canada parmi les pires pays du G20 pour ce qui est du respect des engagements pris, au sommet du G20 de 2014, au sujet de la transparence de la propriété effective des sociétés. Il décrit le Canada comme un endroit idéal où cacher des fonds provenant d’activités illicites. Ce n’est pas la première fois que vous l’entendez dire.

En juin 2018, le ministre des Finances, M. Morneau, a dit ceci :

Pour être franc, ces questions [le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes] constituent une menace à la sécurité des Canadiens [...]

Personnellement, j’estime que la transparence de la propriété effective réduit les risques pour les Canadiens tout en renforçant la compétitivité des entreprises.

Bien qu’il soit difficile d’avoir un organisme centralisé au Canada, ce serait une occasion pour les gouvernements canadiens de faire preuve de leadership et d’agir rapidement dans l’intérêt de tous les Canadiens. Merci.

Son Honneur le Président : Le sénateur Joyal a une question. Le temps de parole du sénateur Wetston est écoulé. Vous allez devoir demander plus de temps.

Le sénateur Wetston : Puis-je avoir plus de temps?

Son Honneur le Président : Est-on disposé à accorder cinq minutes de plus, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

L’honorable Serge Joyal : Je vous remercie de me donner l’occasion de poser une question au sénateur Wetston.

Sénateur Wetston, je vous remercie de votre intervention.

L’été dernier, l’Agence du revenu du Canada a publié le montant approximatif des impôts que des citoyens canadiens évitent de payer en ayant recours à des paradis fiscaux. Vous souvenez-vous du montant publié par l’Agence du revenu du Canada, à la demande du sénateur Downe?

Pendant que vous réfléchissez — c’est comme un jeu-questionnaire, et vous disposez de 10 secondes pour penser à votre réponse —, je sais que l’Agence du revenu du Canada va publier le montant total des impôts que des sociétés canadiennes ne versent pas au Trésor de l’État parce qu’elles envoient leurs actifs dans des paradis fiscaux. Vous souvenez-vous du montant des impôts non payés par des citoyens?

Le sénateur Wetston : Je vous remercie de votre question, mais, à mon âge, on ne se souvient malheureusement pas de grand-chose.

Le sénateur Mercer : Bienvenue au Sénat.

Le sénateur Wetston : Vous venez de vous en rendre compte. Merci. Je n’ai pas le chiffre précis sous la main, mais je pense qu’il s’agit d’un montant très important. Je pense que c’est environ 15 milliards de dollars. Je pense que c’est bien cela. Il se peut, toutefois, que ma mémoire me joue des tours. Sénateur, j’aimerais m’assurer de l’exactitude de ce chiffre.

Le sénateur Joyal : Vous avez raison, sénateurs. Nous n’allons pas nous quereller pour 1 ou 2 milliards de dollars de plus. Il s’agit bel et bien de plusieurs milliards de dollars.

(1650)

Je me suis moi-même posé la question en regardant le ministre des Finances. Je le lui aurais demandé s’il avait été présent aujourd’hui. Songeons aux efforts qu’ils ont déployés l’an dernier pour tenter de sévir contre les professionnels qui se constituent en société pour payer moins d’impôt. Je crois que cela représente un montant de l’ordre de 400 millions de dollars, ce qui est indéniablement considérable. Les petites entreprises cherchent à économiser afin de pouvoir investir dans le futur.

Souvenons-nous que le ministre a créé tout un émoi partout au Canada. Tout compte fait, on constate que le montant se chiffrait à quelques centaines de millions de dollars. Ce que vous soulignez illustre bien qu’ils s’en prennent aux petits et qu’ils laissent les gros s’en tirer sans trop réagir. Vous avez indiqué assez clairement que le Canada se classait parmi les pires pays du G20 pour ce qui est de la lutte contre les paradis fiscaux.

Voici ma question. Que devrait faire le Sénat pour obliger le ministre des Finances — et le gouvernement du Canada, devrais-je dire — à prendre des mesures contre les paradis fiscaux dans un contexte où d’autres pays en font beaucoup plus que nous à cet égard et arrivent à demeurer concurrentiels dans le monde actuel?

Vous êtes-vous arrêté aux mesures que pourrait prendre le Sénat pour amener le gouvernement à bien comprendre le fait que le Canada a du mal, essentiellement, à financer ce dont a parlé le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, qui était ici plus tôt, soit la lutte contre la pauvreté au Canada, et à trouver le milliard de dollars de plus qui est nécessaire à cette fin?

Le sénateur Wetston : Je vais être bref. Je ne me suis pas vraiment attardé à cette question dans le contexte de la propriété effective, mais je pense que nous sommes à peu près tous au courant des problèmes qui découlent de l’évasion fiscale. Pour moi, il s’agit d’une question d’évasion fiscale plutôt que d’évitement fiscal.

Heureusement ou malheureusement, la perception de l’impôt est fondée sur la résidence, et bon nombre des problèmes liés à l’évasion fiscale surviennent à l’étranger, ce qui complique la récupération de ces impôts, probablement de milliards de dollars. Au cours des dernières années, le gouvernement a adopté certaines mesures pour obliger les détenteurs de comptes à l’étranger à les déclarer à l’Agence du revenu du Canada, et il a été possible de régler la situation avec certains des pays en question.

Je m’attarde vraiment à l’évasion fiscale et aux véritables activités criminelles, qui sont menées en grande partie à l’étranger. Je pense que vous avez tout à fait raison de dire que nous pouvons faire davantage. Une des choses que nous devrions faire à cet égard est de mettre en place une forme quelconque de registre de propriété effective, afin que l’Agence du revenu du Canada et les corps policiers puissent au moins mener des enquêtes, recueillir des preuves et prendre les mesures qui s’imposent. Bien franchement, à l’heure actuelle, nous avons les mains liées.

(Sur la motion du sénateur Woo, le débat est ajourné.)

La conservation des dossiers du Processus d’évaluation indépendant

Interpellation—Ajournement du débat

L’honorable Mary Jane McCallum, ayant donné préavis le 18 juin 2018 :

Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur l’importance de conserver les dossiers du Processus d’évaluation indépendant (PEI) des survivants des pensionnats indiens qui ont fait une réclamation concernant de l’abus physique et sexuel historiques, conformément à la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens de 2006 (CRRPI).

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de mon interpellation, l’interpellation no 52, qui souligne l’importance de conserver les dossiers du Processus d’évaluation indépendant des survivants des pensionnats indiens qui ont demandé des indemnisations pour les mauvais traitements historiques qu’ils ont subis sur les plans physique et sexuel lorsqu’ils fréquentaient un pensionnat.

J’espère que mon discours et mon interpellation communiqueront non seulement à mes collègues, mais aussi au public canadien, l’importance de prendre des mesures pour conserver ces dossiers.

Nous vivons actuellement dans un monde où il est trop facile de négliger, d’ignorer ou de passer sous silence des discussions difficiles. Le Canada, comme beaucoup d’autres pays partout dans le monde, représente un microcosme de ce grand phénomène. Nous sommes fiers d’être un pays reconnu pour sa liberté, son équité, sa compassion et son égalité. Nous sommes fiers que ces termes soient synonymes du niveau de vie au Canada. Bien que cette réputation soit durement acquise et qu’elle dresse en bonne partie un portrait très exact de notre pays, cela n’a pas toujours été le cas. Je dirais même que, dans certains cas et certaines situations, ces qualités remarquables sont toujours absentes aujourd’hui. Le Canada traverse actuellement une crise d’identité et j’espère que des mesures seront prises pour redresser la barre avant que nous nous aventurions dans des eaux dangereuses.

Par le passé, bien plus qu’aujourd’hui, le Canada a pris des décisions qui, avec le recul, sont fort regrettables, notamment en ce qui a trait aux pensionnats autochtones. Certains se disent que c’était une autre époque ou que ce serait impossible aujourd’hui. Si c’est peut-être vrai dans les deux cas, cela ne change en rien le fait que des atrocités innommables ont été commises ici même, au Canada. La vérité, c’est que la moralité et la décence sont des vertus intemporelles, pas des inventions de la société moderne. On ne peut racheter les péchés de notre passé collectif en haussant les épaules et en rappelant que c’était une autre époque. Au contraire, je crois que le Canada devrait se réconcilier avec son passé — avec ses bons et ses mauvais côtés — et être prêt à en reconnaître le meilleur et le pire.

Honorables sénateurs, je ne veux pas trop m’éloigner du sujet, mais je voudrais donner un exemple actuel de cette situation au Canada. Je parle du retrait des monuments de sir John A. Macdonald dans différentes villes au pays, un sujet chaud dans les actualités ces derniers temps. Je voudrais citer les paroles de l’un de nos sages et respectés collègues, le sénateur Sinclair, qui a affirmé que le retrait de ces monuments :

[... ] nuit à [...] la réconciliation parce qu’il ressemble presque à une revanche, à un geste motivé par la colère, alors qu’en réalité, ce que nous essayons de faire, c’est d’équilibrer davantage la relation.

Au fond, c’est là l’enjeu fondamental. À mon avis, une partie de cet équilibre consiste à dresser un portrait complet, et non seulement à sélectionner ce qui est bon tout en fermant les yeux sur ce qui est mauvais. Retirer ces statues revient à balayer le problème sous le tapis. Bien que je ne doute pas que ce geste ait été posé dans les meilleures intentions, cela revient à offrir une solution de facilité aux peuples autochtones. On les apaise plutôt que d’aborder avec eux les sujets difficiles et de prendre ce qui est négatif pour ce que c’est : un épisode bien réel de l’histoire du Canada.

Maintenant que j’ai formulé l’enjeu plus général, je vais revenir à l’essentiel de mon interpellation, qui porte sur l’importance de préserver les dossiers du Processus d’évaluation indépendant que j’ai mentionné. Le processus en soi consistait en un processus d’indemnisation hors cour pour régler les réclamations concernant des abus physiques et sexuels et d’autres actes répréhensibles qui ont entraîné de graves préjudices psychologiques à d’anciens élèves des pensionnats indiens. J’ai moi-même suivi ce processus.

Il y a deux types d’indemnisation : un en fonction du temps passé dans un pensionnat et l’autre en fonction des abus qui ont eu de graves conséquences psychologiques.

Le Processus d’évaluation indépendant est l’une des cinq composantes clés qui sont le résultat de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Cette convention a été annoncée par le gouvernement fédéral en mai 2006. Elle est le résultat direct de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996, qui a publié un rapport final de 4 000 pages incluant 440 recommandations. La convention a été élaborée dans le but de promouvoir la guérison, l’éducation, la vérité et la réconciliation, ainsi que la commémoration.

En plus du Processus d’évaluation indépendant, le résultat sans doute le mieux connu de cette convention de règlement de 2007 a été la création de la Commission de vérité et réconciliation, que la plupart des honorables sénateurs connaissent sans doute très bien. Le travail important accompli par cette commission a abouti à la publication, en 2015, du sommaire exécutif de ses conclusions et à celle de la liste des 94 appels à l’action, que l’on considère aujourd’hui comme un phare qui permettra de parvenir à une véritable réconciliation entre le Canada et les Premières Nations.

(1700)

Honorables sénateurs, je l’ai déjà dit auparavant, mais cela mérite d’être répété. À mon arrivée dans cette Chambre, je suis venue avec la volonté de travailler constamment de manière à honorer, à poursuivre et à promouvoir les efforts de réconciliation, car si nous, représentants de la population canadienne, ne menons pas ce combat nous-mêmes, comment pouvons-nous raisonnablement nous attendre à ce que la population le fasse?

Ce n’est que l’année dernière que le premier ministre Trudeau a déclaré ceci, à l’occasion de la Journée nationale des Autochtones : « Aucune relation n’est plus importante pour notre gouvernement ni pour le Canada que notre relation avec les peuples autochtones. »

Même si ce sont de belles paroles et un beau geste, j’espère sincèrement que tous nos efforts refléteront cette conviction, quelles que soient nos allégeances. La réconciliation est un objectif qui dépasse nos capacités individuelles et qui nécessitera un effort collectif afin que l’on puisse réparer une relation qui a été gravement compromise, mais qui ne s’est pas complètement détériorée.

Honorables sénateurs, on ne saurait exagérer la quantité de dossiers du Processus d’évaluation indépendant ni leur importance pour documenter l’histoire canadienne. On en revient à la nécessité de raconter le passé du Canada dans son intégralité et de préserver ces documents dans un effort de réconciliation. Les documents en question contiennent les preuves et les témoignages soumis par plus de 37 000 survivants des pensionnats indiens, un nombre renversant. À l’origine, ces données devaient servir à la distribution aux survivants de l’indemnisation mentionnée précédemment.

Toutefois, selon un jugement que la Cour suprême a rendu l’an dernier, qui a confirmé la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, ces dizaines de milliers de souvenirs et de récits personnels illustrant les aspects déplorables des pensionnats indiens ne seront conservés par le Secrétariat du Processus d’évaluation indépendant que pour une période de 15 ans, après quoi ils seront détruits.

Honorables sénateurs, étant donné que je comprends le poids du jugement de la Cour suprême, je n’ai aucunement l’intention de remettre en question la décision. Même si je désapprouve fondamentalement la conclusion de la cour, je dois la respecter. Cela dit, par l’entremise de cette interpellation, je souhaite informer les Canadiens, particulièrement les Autochtones qui ont raconté les traumatismes et les mauvais traitements dont ils ont été victimes dans les pensionnats indiens, que la destruction de ces dossiers n’est pas inéluctable. Au contraire, il y a une autre option, même si je crains qu’elle ne soit méconnue ou mal comprise par la population.

Chers collègues, je trouve qu’il est extrêmement important de dire que chaque personne qui a présenté une demande d’indemnisation dans le cadre du Processus d’évaluation indépendant peut transmettre son dossier comme bon lui semble. De plus, les dossiers peuvent être archivés au Centre national pour la vérité et la réconciliation qui a ouvert ses portes à l’Université du Manitoba en 2015. Ce centre sert à préserver l’histoire du système des pensionnats indiens du Canada.

Pour ceux qui souhaitent que leurs dossiers personnels soient consignés à des fins historiques, je les encourage fortement à le faire. Ils peuvent les transmettre à leur famille, à leurs amis, à des universitaires ou directement au Centre national pour la vérité et la réconciliation, où les dossiers permettront de faire la lumière sur cette période sombre de l’histoire du Canada. Il est à noter que les renseignements d’identification contenus dans les dossiers transmis aux fins de conservation seront supprimés pour protéger les renseignements personnels des personnes concernées.

Honorables sénateurs, je signale que cette option n’est valable que tant et aussi longtemps que les documents sont en la possession du Secrétariat du Processus d’évaluation indépendant, c’est-à-dire 15 ans après la fin de la demande en cause. Si le demandeur ne s’est pas manifesté après ce laps de temps, les documents sont détruits à jamais. Comme les premières décisions ont été rendues en août 2004, c’est en 2019 que les premières demandes viendront à échéance et que les documents correspondants seront détruits. Cette date approche à grands pas, alors nous devons absolument faire connaître la marche à suivre à qui voudrait placer ces documents en sûreté et les archiver.

Chers collègues, le secrétariat avait notamment pour mission de faire connaître la vérité et de favoriser la réconciliation. Je trouve donc d’autant plus dommage qu’une date d’expiration ait été attribuée à l’aspect « vérité ». C’est la recherche de la vérité qui a permis aux survivants des pensionnats indiens de se faire entendre. Il pourrait bien s’agir de l’élément le plus important de la convention de règlement, car la vérité fait office de mise en garde. Elle devrait se trouver une place irrévocable dans notre histoire, à partir du récit même des survivants, afin que les générations qui nous suivent comprennent l’horreur des erreurs qui ont été commises et en tirent les leçons qui s’imposent.

Selon le fameux dicton que l’on entend souvent, ceux qui ne tirent pas les leçons de l’histoire sont condamnés à la répéter. Il est infiniment plus difficile de tirer les leçons de l’histoire si l’on n’a pas accès à celle-ci. Je suis profondément convaincue que la vérité qui se cache derrière l’une des plus grandes erreurs commises par le Canada ne devrait pas être sujet à prescription, de manière à ce qu’on puisse s’en débarrasser commodément à une date arbitraire. On ne devrait pas avoir la liberté de prendre des décisions subjectives pour savoir quelles parties de notre histoire sont pertinentes et lesquelles ne le sont pas. Comme l’a affirmé Michael Chachagee, un survivant des pensionnats : « Dès lors que l’histoire peut être changée, est-ce encore de l’histoire? »

Honorables sénateurs, je vous remercie de l’attention que vous avez portée à ce sujet important et je vous encourage à vous joindre à moi pour sensibiliser le public sur l’importance et la possibilité de conserver les dossiers du Processus d’évaluation indépendant concernant le système des pensionnats. Merci.

(Sur la motion du sénateur Sinclair, le débat est ajourné.)

(À 17 h 8, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

Annexe - Liste des sénateurs

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