Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 244
Le mardi 6 novembre 2018
L’honorable Patricia Bovey, Présidente suppléante
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- ORDRE DU JOUR
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- Les travaux du Sénat
- La sécurité frontalière et la réduction du crime organisé
- Les demandeurs d’asile
- Le cannabis—Le crime organisé
- La radiation des condamnations pour possession simple
- La surveillance des données publiques—La protection des renseignements personnels
- Le crime organisé
- La légalisation du cannabis
- Les appareils de dépistage salivaire de drogue
- Le cannabis—Le crime organisé
- La sécurité frontalière
- Les travaux du Sénat
- Les travaux du Sénat
- ORDRE DU JOUR
LE SÉNAT
Le mardi 6 novembre 2018
La séance est ouverte à 14 heures, l’honorable Patricia Bovey, Présidente suppléante, étant au fauteuil.
Prière.
[Français]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
La Journée Louis Riel
L’honorable Yvonne Boyer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour souligner la Journée Louis Riel, qui est célébrée chaque année le 16 novembre sur l’ensemble du territoire des Métis. Le 16 novembre, nous nous souvenons de Louis Riel, mais aussi de la cause qu’il a défendue et des personnes avec lesquelles il l’a défendue.
Louis Riel était un fier chef métis de St. Boniface, au Manitoba, qui s’est battu farouchement pour protéger les droits et le mode de vie de son peuple. Son gouvernement métis provisoire négocie avec succès la Loi sur le Manitoba, qui marque l’entrée de la nouvelle province dans la Confédération en 1870. En créant cette nouvelle province, le Canada promet de réserver environ 1,4 million d’acres de terres pour les enfants métis de la Colonie de la Rivière-Rouge, de même que quatre sièges au Parlement fédéral pour que la province y soit représentée. Cependant, les enfants métis n’ont jamais reçu ces terres et, même s’il a été élu deux fois, Louis Riel n’a pu siéger au Parlement.
En réalité, les Métis de la Colonie de Rivière-Rouge sont poussés vers l’ouest, hors de la province qu’ils ont créée. Devant l’avancée des colons européens, qui envahissent de plus en plus le territoire des Métis et des Premières Nations, Louis Riel résiste avec d’autres chefs autochtones afin de protéger leurs droits. C’est ce qui a mené, ultimement, à la rébellion du Nord-Ouest en 1885, pour laquelle Louis Riel a été trouvé coupable de haute trahison par un jury composé d’anglophones protestants, et condamné à la peine de mort par un juge canadien.
Le 16 novembre 1885, Louis Riel a été injustement exécuté pour s’être battu contre l’empiétement du gouvernement du Canada sur les droits des Métis. Pendant les années suivantes, les Métis canadiens ont été opprimés. La population canadienne a considéré pendant longtemps que les Métis étaient des traîtres à la patrie. De nombreuses familles métisses ont été obligées de cacher leur identité. Elles ont aussi été contraintes à perpétuer leur culture et leurs traditions et à parler leur langue en secret, par crainte de représailles. Ce n’est qu’en 1992 que Louis Riel a été reconnu comme l’un des pères fondateurs du Manitoba. Ce n’est qu’en 1998 que le gouvernement du Canada a reconnu la tragédie de sa mort.
Enfin, ce n’est qu’en 2004 qu’un premier ministre a reconnu la contribution de Louis Riel à la nation métisse et au Canada dans son ensemble.
Même si le gouvernement fédéral a offert à maintes reprises d’innocenter Louis Riel, étant donné qu’il a été exécuté injustement, la Fédération des Métis du Manitoba s’est prononcée contre cette mesure, arguant qu’elle ne changerait pas l’histoire. Paul Chartrand, un juriste métis, a déclaré ce qui suit :
La pendaison de Louis Riel est une tache sur l’honneur du Canada, et je pense que cette tache doit rester.
Le 16 novembre est l’occasion non seulement de souligner les réalisations de Louis Riel, mais aussi de réfléchir au dynamisme remarquable du peuple métis. Malgré le traitement qu’a réservé le Canada à l’héritage de Louis Riel et aux Métis, nous refusons de baisser les bras. Aujourd’hui, notre culture est florissante et ne cesse de se développer. Aujourd’hui, nous perpétuons l’esprit et le courage de Louis Riel alors que s’amorce une nouvelle ère dans les relations entre les Métis et la Couronne. La lutte qu’a menée Louis Riel nous sert d’inspiration tous les jours, à mesure que nous évoluons en tant que nation métisse.
Honorables sénateurs, le 16 novembre, nous nous souvenons de Louis Riel. Je vous invite à prendre un instant pour réfléchir à sa vie et à son héritage.
Merci. Meegwetch.
Visiteur à la tribune
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de M. King Wan. Il est l’invité des honorables sénateurs Martin et Woo.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
La Semaine des anciens combattants
L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, nous soulignons cette semaine la Semaine des anciens combattants. C’est l’occasion pour les Canadiens de partout au pays de reconnaître les sacrifices consentis par les hommes et les femmes qui ont servi notre pays et continuent de le faire, et de se souvenir de tous ceux et celles qui ont fait le sacrifice ultime.
Plus de 1,5 million de Canadiens ont combattu durant les deux guerres mondiales, la guerre de Corée et la mission en Afghanistan, et plus de 117 000 ont fini par payer le prix ultime pour protéger notre liberté.
[Français]
Cette semaine, le ministre des Anciens Combattants, l’honorable Seamus O’Regan, doit dévoiler une plaque commémorative en l’honneur du lieutenant-colonel Samuel Sharpe, qui était non seulement un député, mais aussi un soldat qui a servi lors de la bataille de la crête de Vimy, ainsi qu’à Passchendaele. Comme nous l’a dit notre ami, l’ancien sénateur et lieutenant-général Roméo Dallaire, le colonel Sharpe est aussi le premier politicien canadien à s’être enlevé la vie en raison du trouble de stress post-traumatique. Cette plaque commémorative sera installée à côté de la statue du lieutenant-colonel George Harold Baker, le seul député tué au combat pendant la Première Guerre mondiale.
[Traduction]
Chers collègues, je souhaite à chacun d’entre nous de profiter de cette occasion, en ce jour du Souvenir, à la 11e heure du 11e jour du 11e mois, pour rendre hommage à nos anciens combattants canadiens et à ceux qui ont fait le sacrifice ultime.
En guise de conclusion, je voudrais citer les paroles du lieutenant-colonel John McCrae, de Guelph, en Ontario. Je pense que son poème, Au champ d’honneur, est un hommage à un ami qui venait de mourir au combat. C’est une œuvre qui me semble particulièrement pertinente cette année, alors que nous sommes sur le point de marquer le 100e anniversaire de l’armistice de la Première Guerre mondiale. Quelques mots, en particulier, me viennent à l’esprit :
(1410)
À vous de porter l’oriflamme
Et de garder au fond de l’âme le goût de vivre en liberté
Cette semaine est donc une occasion de manifester notre reconnaissance pour les sacrifices consentis par les vétérans et, aussi, de nous engager à construire un monde meilleur. Voilà le défi qu’ils nous ont laissé; nous avons le devoir de le relever.
[Français]
Visiteurs à la tribune
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Normand Pelletier, maire de Dalhousie, au Nouveau-Brunswick, et de Gilles Legacy, administrateur de la municipalité de Dalhousie. Ils sont les invités de l’honorable sénateur McIntyre.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Dalhousie, au Nouveau-Brunswick
L’honorable Paul E. McIntyre : Honorables sénateurs, comme vient de le mentionner la Présidente suppléante, M. Normand Pelletier, maire de Dalhousie, nous rend visite au Sénat aujourd’hui.
Je voudrais donc en profiter pour dire quelques mots sur Dalhousie, la ville la plus au nord du Nouveau-Brunswick. Elle est située à l’embouchure de la rivière Restigouche, qui se jette dans la baie des Chaleurs, à la pointe Inch Arran. En 1534, c’est Jacques Cartier qui, impressionné par les chaleurs de l’été, a donné à cet endroit le nom de Baie-des-Chaleurs.
Dalhousie est une communauté dotée d’une culture riche et diversifiée. Sa population est composée de trois principaux groupes : les Acadiens, les Celtes et les Micmacs. Dalhousie a reçu son nom en 1826, en l’honneur du neuvième comte de Dalhousie, George Ramsay, gouverneur du Haut-Canada et du Bas-Canada à ce moment-là.
En 1905, la ville de Dalhousie a été incorporée.
[Traduction]
Construits en 1891 et en 1924, la prison et le palais de justice du comté de Restigouche sont des joyaux historiques et leurs terrains sont considérés comme le centre historique de la ville. Les édifices font partie de l’histoire judiciaire du Nouveau-Brunswick. La prison est surtout connue pour avoir été le lieu de la dernière pendaison dans la province, le 11 décembre 1957.
Je me souviens parfaitement de mon premier procès devant jury dans le palais de justice, au début des années 1970, lorsque j’étais un jeune avocat.
Le phare Bon Ami a été construit sur la pointe Inch Arran en 1870 pour guider les navires en lieu sûr la nuit. Le 5 septembre 1991, il a été désigné édifice fédéral du patrimoine.
La maison Inch Arran à Dalhousie a ouvert ses portes en 1884. Elle a été construite à la même époque que l’hôtel Algonquin à Saint Andrews, le Château Laurier à Ottawa et l’hôtel Banff Springs en Alberta. Par conséquent, Dalhousie a acquis la réputation d’être un endroit merveilleux comme lieu de villégiature et attraction touristique .
Les hôtes illustres qui ont séjourné à la maison Inch Arran comprennent notamment sir John A. Macdonald, son épouse, lady Agnes, sir Charles Tupper et lord Stanley. Malheureusement, la maison Inch Arran a depuis été démolie.
De nos jours, la ville organise une série de festivals, dont le Festival Bon Ami, qui a lieu chaque été depuis longtemps. Bon nombre d’activités sont organisées sur le site de l’ancienne maison Inch Arran, dans le parc Inch Arran, qui donne sur une formation rocheuse de la baie des Chaleurs baptisée le rocher Bon Ami en l’honneur de Peter Bonamy, un des premiers colons.
[Français]
La ville a connu des années riches en développement industriel, surtout avec l’avènement de l’industrie des pâtes et papiers, représentée par la New Brunswick International Paper Company et d’autres entreprises. Malheureusement, les fermetures qui ont eu lieu au cours des dernières années ont ralenti le développement économique de la ville. Par contre, ces fermetures amènent à la fois de nouveaux défis, mais également des possibilités, comme la diversification vers les domaines culturel et touristique.
Dalhousie est une charmante collectivité côtière, du plus haut des montagnes Appalaches au plus profond du littoral de la baie des Chaleurs. Il y en a pour tous les goûts, que l’on veuille se détendre ou bien partir à l’aventure.
La ville de Dalhousie est une destination touristique incontournable.
[Traduction]
Visiteurs à la tribune
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Dre Meghan Azad et de Mme Alexandra Freedman. Elles sont les invitées de l’honorable sénatrice McPhedran.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Le Diwali
L’honorable Ratna Omidvar : Honorables collègues, je prends la parole pour vous souhaiter à tous un très joyeux Diwali. Demain soir, près de 1,4 million d’Indo-Canadiens illumineront leur maison pour marquer le début de la nouvelle année, mais pas seulement au Canada. La diaspora indienne est disséminée partout dans le monde, et ses 31 millions de membres, qui sont d’ailleurs presque aussi nombreux que la population canadienne, célébreront d’une manière ou d’une autre la victoire du bien contre le mal dans des endroits aussi éloignés que le Chili, l’Indonésie et, bien sûr, l’Inde.
Je conserve de précieux souvenirs du Diwali. Je me rappelle qu’il fallait des semaines pour se préparer aux célébrations qui durent cinq jours complets : le blanchiment des maisons, la préparation des nombreux plats, l’achat des cadeaux et, bien sûr, la visite à la place publique où une grande effigie du diable, je crois, était allumée, puis elle explosait en d’innombrables feux d’artifice. C’était vraiment extraordinaire. Le jour du Diwali, j’aidais mon grand-père à accrocher de petites lampes à huile le long des parapets de la maison, puis nous remplissions les lampes. Ensuite, étant donné que mon grand-père était marchand, nous déambulions jusqu’au centre de la ville. Il donnait aux enfants des billets de roupies tout neufs parce que — j’espère que vous le savez tous — les Indiens sont pour la plupart des gens très pragmatiques, et nous aimons vouer un culte à la prospérité et à la richesse.
Le soir, la ville entière s’illuminait et des pétards fusaient de partout. Pour un enfant, c’était incontestablement la plus extraordinaire soirée de l’année.
Il n’est pas facile de préserver ces traditions si loin de chez nous, un jour qui n’est pas une fête nationale, à un moment de l’année où le temps n’est pas tout à fait clément, mais nous nous adaptons. Nous illuminons nos maisons avec des guirlandes électriques. Il n’y a pas de pétards, mais nous allons à l’école de nos enfants expliquer le Diwali aux autres enfants et nous leur donnons des pièces d’un et de deux dollars plutôt que des billets de roupies neufs et, ce faisant, nous préservons de vieilles traditions.
Le Diwali, comme bien des fêtes d’autres religions, est beaucoup plus un événement culturel qu’un événement religieux. Il est porteur d’un message commun à d’autres religions du monde : le bien l’emportera sur le mal; la noirceur ne résistera pas à la lumière; la connaissance vaincra le mal et l’espoir triomphera du désespoir.
J’espère vous apporter un peu de cette lumière, de cette joie et de cette beauté aujourd’hui. Je vous invite à venir à mon bureau lorsque la séance sera levée ce soir pour fêter. Merci beaucoup.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mme Shawn Redden et de Mme Fay Cameron. Elles sont les invitées de l’honorable sénatrice Hartling.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
L’honorable Leo Housakos
Félicitations à l’occasion de sa nomination à titre d’archonte de l’Église orthodoxe d’Orient
L’honorable Donald Neil Plett : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un de nos collègues qui, dimanche dernier, a été nommé archonte, l’une des distinctions les plus prestigieuses accordées par Sa Sainteté le patriarche œcuménique Bartholomé, de l’Église orthodoxe d’Orient, le leader spirituel de 300 millions de chrétiens orthodoxes du monde entier. Leo Housakos a été honoré par Sa Sainteté en raison de son service exceptionnel au sein de l’église, et en tant que leader distingué, bien connu et très respecté dans l’ensemble de la communauté grecque orthodoxe.
(1420)
Selon l’église, ceux qui sont choisis pour être archonte ont fait preuve d’un engagement supérieur à l’égard de la gestion du temps, des talents et des avoirs pour le plus grand bien de l’église, de la paroisse, du diocèse ou de la métropole, de l’archidiocèse, et de la communauté en général.
Par le serment qu’il prête, l’archonte promet de défendre et de promouvoir la foi et les traditions des chrétiens orthodoxes. Sa préoccupation et son intérêt particuliers sont de servir de rempart pour protéger et promouvoir le Saint Siège de saint André apôtre et sa mission. Un archonte se préoccupe également de défendre les droits inaliénables de l’humanité — quel que soit le moment ou l’endroit où ils sont violés —, et de veiller au bien-être de l’Église chrétienne.
Cet honneur, accordé par le patriarche œcuménique, comporte de lourdes responsabilités et implique des engagements profonds, ainsi qu’un dévouement sincère. Par conséquent, il est de la plus haute importance que cette obligation honorable soit conférée à des personnes ayant une conduite reconnue conforme à la chrétienté orthodoxe, qui se conforme fidèlement aux enseignements du Christ et aux doctrines, aux canons, au culte, à la discipline et aux encycliques de l’église. J’ai appris plus de choses sur l’Église grecque orthodoxe au cours des quelques derniers jours que jamais auparavant.
L’archevêque a décidé d’accorder au sénateur Leo Housakos cet insigne honneur afin de souligner son appui indéfectible à l’église et son leadership dans la communauté hellénique, notamment auprès d’organisations telles que le Congrès hellénique du Québec, la Communauté hellénique du Grand Montréal, la Laconian Brotherhood et la Chambre de commerce hellénique du Montréal métropolitain, dont il est un membre fondateur, pour n’en citer que quelques-unes.
Au fil des ans, le sénateur Housakos a aussi contribué à la communauté en retour, sous la forme de collectes de fonds en faveur de diverses initiatives communautaires, notamment le centre de ressources et de formation de l’organisation À pas de géants et les écoles grecques trilingues à Montréal, dont l’objectif est de préserver et de promouvoir la culture hellénique.
Même si Leo est touché par cet honneur, il est surtout content pour sa mère, m’a-t-on dit. Je sais que son père et sa mère sont très fiers de lui. Chers collègues, veuillez-vous joindre à moi pour féliciter notre ami, le sénateur Leo Housakos, pour cet insigne honneur.
[Français]
AFFAIRES COURANTES
L’étude sur les obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne
Quatorzième rapport du Comité des droits de la personne—Dépôt de la réponse du gouvernement
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, la réponse du gouvernement au quatorzième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, intitulé La promotion des droits de la personne – L’approche du Canada à l’égard du secteur des exportations, déposé au Sénat le 7 juin 2018.
Projet de loi no 2 d’exécution du budget de 2018
Préavis de motion tendant à autoriser certains comités à étudier la teneur du projet de loi
L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier la teneur complète du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, déposé à la Chambre des communes le 29 octobre 2018, avant que ce projet de loi soit soumis au Sénat;
Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à se réunir pour les fins de son examen de la teneur du projet de loi C-86 même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;
Que, de plus, et nonobstant toute pratique habituelle :
1.Les comités suivants soient individuellement autorisés à examiner la teneur des éléments suivants du projet de loi C-86 avant qu’il soit présenté au Sénat :
a)le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones : les éléments des sections 11, 12 et 19 de la partie 4;
b)le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce : les éléments des sections 3, 4, 6, 7 et 10 de la partie 4;
c)le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles : les éléments de la section 5 de la partie 4;
d)le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international : les éléments de la section 13 de la partie 4;
e)le Comité sénatorial permanent des transports et des communications : les éléments des sections 22 et 23 de la partie 4;
f)le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles : les éléments de la section 20 de la partie 4;
g)le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie : les éléments des sections 8, 15, 16 et 21 de la partie 4;
2.Que chacun des différents comités indiqués au point numéro un, qui sont autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-86, soit autorisé à siéger pour les fins de son étude, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;
3.Que chacun des différents comités indiqués au point numéro un, qui sont autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-86, soumette son rapport final au Sénat au plus tard le mardi 4 décembre 2018;
4.Que, au fur et à mesure que les rapports des comités autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-86 seront déposés au Sénat, l’étude de ces rapports soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance;
5.Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit simultanément autorisé à prendre en considération les rapports déposés conformément au point numéro quatre au cours de son examen de la teneur complète du projet de loi C-86.
[Traduction]
Pêches et océans
Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport sur les activités de recherche et de sauvetage maritimes auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat
L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat, au plus tard le 29 novembre 2018, son rapport final sur son étude sur les activités de recherche et sauvetage maritimes, y compris les défis et les possibilités qui existent, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, conformément à la motion adoptée par le Sénat le jeudi 1er novembre 2018, la période des questions aura lieu à 15 h 30.
(1430)
ORDRE DU JOUR
Projet de loi de 2017 sur la sécurité nationale
Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, appuyée par l’honorable sénatrice Moncion, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale.
L’honorable André Pratte : Honorables sénateurs, nous vivons à une époque périlleuse. Presque chaque semaine, le terrorisme mutile et tue des dizaines de victimes innocentes partout dans le monde. Le Canada est peut-être l’un des pays les plus prospères et pacifiques de la planète mais, comme nous le savons, il n’est pas à l’abri des dommages que causent de telles attaques dans la société.
Par surcroît, chaque heure, si ce n’est chaque minute, des pirates informatiques à la solde de gouvernements étrangers ou d’entreprises privées tentent de s’infiltrer dans nos réseaux pour obtenir des renseignements personnels, voler des secrets industriels ou influencer le cours de la démocratie.
Le relâchement de la vigilance alors que surgissent soudainement de si nombreuses menaces différentes équivaudrait à de l’autodestruction endossée par l’État. Il faut fournir aux services nationaux du renseignement de sécurité les moyens de lutter efficacement contre ces menaces, sur un pied d’égalité avec nos alliés.
Toutefois, nous devons trouver le moyen d’y arriver sans sacrifier les valeurs que nous défendons. Autrement, quel serait l’intérêt de défendre nos droits fondamentaux si nous permettons aux services de sécurité de violer la Charte? À quoi bon faire valoir la primauté du droit si nous autorisons la violation arbitraire des lois canadiennes?
Depuis les événements du 11 septembre, la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes, jumelée à des mesures de protection des droits fondamentaux des citoyens, constitue le plus grand défi des démocraties occidentales. Depuis la première Loi antiterroriste que le Canada a adoptée en 2001, les gouvernements libéraux et conservateurs qui se sont succédé ont tenté de trouver un juste équilibre.
Le projet de loi C-51, présenté au lendemain de la tuerie fatale survenue à quelques pas d’ici, a donné lieu à plusieurs changements substantiels pour resserrer la sécurité des Canadiens. Cependant, comme cela arrive souvent dans le feu de l’action, l’équilibre délicat entre la sécurité et la protection des libertés civiles a été compromis. Le projet de loi C-59 vise à rétablir cet équilibre tout en maintenant les progrès réalisés en matière de sécurité grâce à la Loi antiterroriste de 2015.
[Français]
Le projet de loi C-51 a édicté la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada. Il s’agit d’une loi très importante qui vise à encourager et à encadrer le partage, entre les différentes institutions fédérales, d’informations relatives à des activités qui pourraient porter atteinte à la sécurité du Canada.
Cependant, le libellé du projet de loi C-51 posait deux types de problèmes. D’abord, la portée des informations partagées, en vertu de la définition de ce qu’on appelle des « activités portant atteinte à la sécurité du Canada », paraissait trop vaste. Deuxièmement, trop peu d’importance a été accordée à la protection de la vie privée des Canadiens en ce qui a trait à l’information destinée à circuler d’une institution fédérale à l’autre.
Ce sont ces failles que le projet de loi C-59 vise à corriger, notamment en obligeant l’institution qui veut communiquer de l’information à une autre à considérer l’incidence de cette communication sur le droit à la vie privée des personnes concernées.
Cela dit, je dois dire que je conserve une inquiétude quant à la protection des activités de défense d’une cause. Je partage les craintes, exprimées notamment par l’Association du Barreau canadien, suivant lesquelles la définition proposée des « activités portant atteinte à la sécurité du Canada » pourrait englober des activités politiques perçues comme radicales, mais légitimes et pacifiques. Je pense au mouvement indépendantiste au Québec, par exemple, ou au militantisme de certains groupes autochtones, qui pourraient se retrouver pris dans le filet de ces échanges d’informations en raison de cette définition trop large. Cela pourrait mener à des abus que nous devrions chercher à éviter.
La définition des « activités portant atteinte à la sécurité du Canada » devrait donc être examinée soigneusement en comité.
[Traduction]
Le projet de loi C-51 a modifié de manière substantielle le mandat du Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, en l’autorisant à prendre des mesures pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada. Cette modification a suscité bien des inquiétudes, mais, étant donné la complexité et l’instabilité du contexte actuel, force est d’admettre qu’elle était nécessaire.
Il n’était pas nécessaire, cependant, d’ouvrir la voie à des manquements aux droits et aux libertés garantis par la Charte. Même si on exige l’obtention d’un mandat pour des mesures contraires à la Charte, on impose peu de restrictions au genre d’activités que le SCRS est à même d’entreprendre pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada. Par surcroît, il est à la fois absurde et renversant qu’on demande à un tribunal de sanctionner des manquements à la Charte.
Le projet de loi C-59 propose des ajustements utiles à cet égard. D’un côté, la Loi sur le SCRS est modifiée de façon à garantir que toute mesure prise pour réduire la menace est conforme à la Charte. Si une mesure visant à réduire la menace porte atteinte à un droit ou à une liberté fondamentale, le SCRS doit obtenir un mandat auprès d’un tribunal, qui le délivrera seulement si on le convainc que la mesure respecte la Charte. Les choses sont désormais plus claires.
Par ailleurs, une fois modifiée, la Loi sur le SCRS comprendra une liste exhaustive des mesures qui sont permises pour réduire les menaces à la sécurité du Canada. De plus, des ajouts seront faits à la liste des activités interdites, notamment la torture et la détention.
Ces ajustements sont substantiels, mais ils ne dévient pas de l’intention initiale du projet de loi de 2015, lequel autorisait le SCRS à agir pour réduire la menace à la sécurité du Canada.
J’aimerais dire un mot sur un autre aspect qui concerne le SCRS : la collecte et l’utilisation des ensembles de données. En 2016, la Cour fédérale a rendu une décision importante à ce sujet. Selon elle, en conservant un grand volume de ce qu’on appelle des données connexes, le SCRS est allé à l’encontre de ce qui est permis par la loi.
Le projet de loi C-59 propose de mettre en place un cadre législatif visant la collecte, la conservation et l’utilisation d’ensembles de données. Selon la description fournie dans le projet de loi, il s’agit d’un cadre complexe avec des procédures qui varient selon que les ensembles de données sont de source canadienne, de source étrangère ou accessibles au public.
Les ensembles de données de source canadienne feront l’objet de mesures de protection plus considérables, comme il se doit, puisque le SCRS devra obtenir l’autorisation d’un juge de la Cour fédérale avant de les conserver et de les utiliser.
Malgré l’apparente complexité des procédures, je salue les efforts du gouvernement en vue d’atteindre l’équilibre délicat entre les besoins des services de renseignement et la protection du droit à la vie privée des citoyens.
Cela dit, je partage les inquiétudes exprimées par d’autres intervenants sur la possibilité que les ensembles de données désignés comme étant « accessibles au public » soient protégés de manière inadéquate. Comme le terme « ensemble de données » n’est pas défini dans le projet de loi, le SCRS aurait beaucoup de marge de manœuvre pour l’interpréter. Certains experts ont proposé des amendements afin de dissiper ces inquiétudes. Le comité se penchera sans doute sur cette question.
[Français]
Le projet de loi C-51 a inséré au Code criminel de nouvelles infractions liées au terrorisme et a apporté des modifications à des mesures existantes. L’objectif était louable : il s’agissait de doter nos services d’information de nouveaux outils pour mieux lutter contre la menace. Cependant, le balancier de la sécurité et des droits fondamentaux a été poussé un peu trop loin du côté de la sécurité; il fallait revenir au centre.
Ainsi, le projet de loi C-51 avait inauguré la nouvelle infraction criminelle suivante, et je cite :
Le fait de sciemment préconiser ou fomenter, par la communication de déclarations, la perpétration d’infractions de terrorisme en général, sachant que la communication entraînera la perpétration de l’une de ces infractions ou sans se soucier du fait que la communication puisse entraîner la perpétration de l’une de ces infractions [...]
Le moins que l’on puisse dire, honorables sénateurs, c’est que cela manque de clarté.
D’ailleurs, aucune accusation n’a été portée au pays en vertu de ce nouvel article du Code criminel. Plusieurs analystes soutiennent que le libellé actuel soulève le risque qu’on porte atteinte à la liberté d’expression des Canadiens, et que l’article en question est probablement inconstitutionnel.
Ainsi, l’Association du Barreau canadien juge que cette disposition, et je cite :
[...] a une portée excessive, qu’elle est vague et est contraire au principe fondamental selon lequel le droit criminel doit être certain et définitif.
Ces arguments sont convaincants. Le projet de loi C-59 permet de corriger la situation, non pas en supprimant la nouvelle infraction, mais en la précisant. L’acte qui sera prohibé désormais sera celui d’une personne qui :
[...] conseille à une autre personne de commettre une infraction de terrorisme sans préciser laquelle.
(1440)
C’est plus clair. C’est ainsi que la loi doit être écrite pour être applicable et pour éviter les dérapages. Toutefois, peut-être que ce libellé a pour effet de trop réduire la portée de la loi en matière de propagande terroriste? D’autres libellés circulent et ont été proposés. La question devra être examinée en comité.
[Traduction]
Honorables sénateurs, comme vous le savez, je pourrais parler de beaucoup d’autres aspects du projet de loi C-59. Malheureusement, ou peut-être heureusement pour vous, le temps manque. Je me contenterai de dire que, en général, je suis en faveur de l’établissement de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, dont le mandat sera beaucoup plus large que celui de l’actuel Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.
J’appuie également la création du poste de commissaire au renseignement, un juge à la retraite qui jouera un rôle central dans l’examen des autorisations de collecte d’information accordées au Centre de la sécurité des télécommunications et au SCRS.
Certains considèrent que ces nouveaux mécanismes d’autorisation et d’examen sont trop lourds, à un point tel qu’ils pourraient nuire aux activités des organismes canadiens de renseignement. Ces préoccupations sont légitimes.
Toutefois, nos agents du renseignement, qui sont plutôt bien placés pour se prononcer sur la question, sont d’avis qu’un équilibre a été atteint. Mme Tricia Geddes, directrice adjointe du SCRS, a affirmé ce qui suit au Comité de la sécurité publique de l’autre endroit :
[...] il est très clair que, grâce au projet de loi, nous disposerons des pouvoirs et des outils nécessaires pour mener nos enquêtes. Afin de pouvoir nous acquitter de notre mandat, il est crucial que nous obtenions la confiance des Canadiens et que nous le fassions d’une manière qui protège leur vie privée. Je pense que le projet de loi a atteint ces deux objectifs.
En revanche, d’autres pensent que le niveau de surveillance est inadéquat et que les organismes de renseignement se voient accorder des pouvoirs excessifs. Ces préoccupations sont aussi légitimes. Cependant, nous ne devons pas oublier que ces organismes doivent rendre des comptes à quatre organismes d’examen : l’office de surveillance, le commissaire au renseignement, le comité des parlementaires et les tribunaux. Grâce à toutes ces mesures de protection, je crois que les Canadiens peuvent être assurés que quelqu’un interviendra s’il y a des abus et que des fonctionnaires seront tenus responsables.
Honorables sénateurs, alors que des terroristes, des groupes subversifs et même des agents d’États étrangers intensifient leurs attaques et leurs complots contre nous, nous n’avons pas d’autre choix que de réagir. Nous devons le faire d’une manière lucide, agile, déterminée et conforme aux valeurs canadiennes. Agir autrement ne renforcerait pas nos services de renseignement, mais les affaiblirait. En effet, pour pouvoir faire leur travail, ces services doivent jouir de la confiance des Canadiens. Ils ont besoin de légitimité.
Voilà l’équilibre délicat et essentiel que nous devons toujours chercher à atteindre. À mon avis, le projet de loi à l’étude aujourd’hui nous permet, dans l’ensemble, d’atteindre cet équilibre : il assure la sécurité du Canada, tout en veillant à ce qu’il demeure un pays juste. Merci.
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : J’ai une question pour le sénateur Pratte.
Le sénateur Pratte : Oui.
La sénatrice Martin : Sénateur, certaines dispositions peuvent assurément trouver grâce aux yeux des conservateurs, comme celles qui précisent le mandat du Centre de la sécurité des télécommunications ou qui facilitent le retrait des noms ajoutés par erreur à la liste d’interdiction de vol, mais, selon nous, certaines autres pourraient mettre les Canadiens en danger.
Voici un exemple. Pendant que certains de nos alliés européens et les autres membres du Groupe des cinq — les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande — prennent des mesures destinées à renforcer la sécurité nationale, il me semble que le Canada fait le contraire avec ce projet de loi. Nous invitons le Sénat à appuyer les initiatives qui vont dans le même sens que ce que font nos alliés mais, dans ce cas-ci, nous semblons, au contraire, nous en éloigner. Comment justifiez-vous que certaines des dispositions de ce projet de loi nuisent à la sécurité des Canadiens?
Le sénateur Pratte : Le projet de loi C-51, de l’ancien gouvernement, contenait énormément de mesures destinées à renforcer la sécurité publique et nationale. Le hic, c’est que certaines parties de ce projet de loi allaient trop loin et violaient les droits des Canadiens. Pensons par exemple à la disposition permettant au SCRS d’aller à l’encontre des droits garantis par la Charte.
Je suis fermement convaincu que nous devons trouver le juste équilibre. Le projet de loi C-51 renforçait la sécurité, mais il allait peut-être un peu trop loin. Le projet de loi C-59 est mieux équilibré, selon moi. Au fond, je me fie à ce que les spécialistes du renseignement nous disent, et ils ont dit à la Chambre des communes, qui les a amplement consultés, que, à leurs yeux, le projet de loi C-59 est bien équilibré et les aidera à faire leur travail tout en préservant les droits des Canadiens.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Projet de loi sur la Semaine de la gentillesse
Troisième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Jim Munson propose que le projet de loi S-244, Loi instituant la Semaine de la gentillesse, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, après avoir entendu le sénateur Pratte décrire certains périls de ce monde, je pense que le monde a désormais besoin d’une immense embrassade.
Honorables sénateurs, c’est avec un sentiment de gratitude que j’interviens aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-244, Loi instituant la Semaine de la gentillesse. En effet, je sais gré à tous les Canadiens qui m’ont dit qu’ils appuyaient ce projet de loi. Je sais gré à tous les sénateurs qui ont pris du temps pour me parler du projet de loi, poser des questions à l’étape de l’étude au comité et intervenir au Sénat.
Je ne reprendrai pas intégralement le discours que j’ai prononcé à l’étape de la deuxième lecture ou les témoignages entendus par le comité, mais il y a certains points importants que j’aimerais répéter. Par exemple, la recherche menée à propos de la gentillesse a montré les nombreux avantages physiques, mentaux et sociaux qu’elle procure. Elle a montré en particulier les avantages de la gentillesse pour ceux qui l’expriment ou ceux qui en sont l’objet.
Selon un proverbe ancien de la Première Nation de Haida Gwaii, « il est impossible de se défaire de la gentillesse, car les gens ne cessent de la rendre ». Songez-y. Il est impossible de se défaire de la gentillesse, car les gens ne cessent de la rendre. Cette sagesse nous vient des Premières Nations.
Voilà comment j’envisage le déroulement de la Semaine de la gentillesse. Lorsque nous nous attachons à exprimer de la gentillesse, nous encourageons autrui à faire de même. La gentillesse peut émaner de chacun de nous et nous avons tous un rôle essentiel à jouer pour créer un Canada plus aimable.
En entendant les nouvelles, il est facile de se laisser aller au pessimisme et à l’angoisse. À l’inverse, il peut s’en dégager de bons sentiments. Hier par exemple, j’ai vu, dans un bulletin de nouvelles sur les ondes de NBC News, un ourson arrivant finalement à grimper au sommet d’un glacier. Cela m’a fait du bien. J’ai été soulagé de voir cela hier soir, après avoir regardé le bulletin de nouvelles pendant 25 minutes.
(1450)
Je suis inspiré quand je lis ou que j’entends les histoires de collectivités qui se donnent la main, de voisins qui s’entraident ou de personnes qui viennent à la rescousse de quelqu’un qu’elles ne connaissent pas. Ce genre d’histoires me fait chaud au cœur et me réconforte. La gentillesse peut nous faire passer de la peur et de l’hostilité à l’acceptation et à l’appréciation.
Je pense notamment à l’histoire de Becca Schofield, qui a inspiré le mouvement #BeccaToldMeTo. Vous vous en souvenez? Tout a commencé à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Becca est décédée, mais non sans avoir lancé une campagne auparavant. Quand on demandait aux gens qui posaient des actes de gentillesse ce qui les motivait, ils répondaient que Becca leur avait dit de le faire. C’était fort simple. Cela a entraîné une réaction en chaîne d’actes de gentillesse d’un bout à l’autre du pays, dans ma province, le Nouveau-Brunswick, jusqu’en Australie.
Chris Koch, qui vient de Calgary, est né sans bras ni jambes. Il traverse le pays en auto-stop et inspire la gentillesse aux Canadiens. Chaque fois que quelqu’un accepte de l’amener plus loin, il parle de la gentillesse des gens et de l’aide qu’ils lui apportent afin de poursuivre sa route.
Honorables sénateurs, certaines collectivités participent déjà à la Semaine de la gentillesse, comme Springhill, à Terre-Neuve, qui le fait depuis deux ans. Ottawa le fait également, et ce, depuis un certain nombre d’années, de même que la province de l’Ontario. La liste d’exemples de belles histoires et de bonnes actions est longue et elle ne fera que s’allonger quand la Loi sur la Semaine de la gentillesse sera adoptée.
Honorables sénateurs, j’ai été profondément touché la semaine dernière par l’allocution et l’histoire de la sénatrice Mary Coyle. Elle nous a raconté à quel point les gens avaient été gentils avec elle — de simples gentillesses — pendant sa convalescence. Je pense que je n’oublierai jamais cette allocution. Elle résumait parfaitement ce qu’est la gentillesse.
On dit que la gentillesse est la solution au problème de l’intimidation, car les enfants qui sont gentils ne cherchent pas à intimider les autres. Selon certains témoins qui ont comparu devant le Comité sénatorial des affaires sociales la semaine dernière, l’enseignement de la gentillesse dans les écoles réduit le nombre de cas d’intimidation, permet à de nouvelles amitiés de se créer et favorise l’intégration de tous.
La semaine dernière, lors de la réunion de ce comité, on aurait pu entendre une mouche voler pendant une heure. Ensemble, nous avons donné un parfait exemple de gentillesse. Tous les membres de toutes les allégeances étaient présents, et nous avions tous des questions à poser. D’excellentes réponses ont été données par les témoins à certaines questions, et je crois que nous sommes tous sortis de cette réunion avec le sentiment de faire partie d’un phénomène nouveau qui, je l’espère, se répandra à la grandeur du pays.
Les témoins ont également dit au comité que l’intimidation n’est pas seulement présente dans nos écoles. Elle est répandue dans environ 25 p. 100 des milieux de travail. Une semaine de la gentillesse pourrait entraîner un changement de culture profond pour les jeunes, mais aussi pour les Canadiens de tous les âges et de tous les milieux.
La Semaine de la gentillesse sera l’occasion pour les écoles, les collectivités, les organismes, les entreprises et les milieux de travail d’encourager et de promouvoir l’enseignement de la gentillesse, les projets axés sur la gentillesse et le bénévolat. Imaginez ce qui se passera la troisième semaine du mois de février : des Canadiens d’un bout à l’autre du pays qui retiennent la porte de l’ascenseur, qui laissent passer une voiture devant eux durant l’heure de pointe ou qui déneigent l’entrée d’un voisin uniquement dans le but d’être gentils. Des étrangers s’échangeront plus souvent des sourires et des mercis. Je pense que cela pourrait entraîner une vague de gentillesse au Canada et, qui sait, peut-être même ailleurs.
La personne qui est entrée dans mon bureau est un homme très gentil. Depuis au moins 20 ans, on le voit habituellement à Ottawa lors du jour du Souvenir; ce sera encore le cas cette année. C’est vraiment le moment idéal pour parler de la bonté et de la gratitude devant certains des tableaux accrochés aux murs du Sénat en pensant à ceux qui, comme le soulignait plus tôt le sénateur Day, ont consenti le plus grand sacrifice possible et donné leur vie pour le pays. Le rabbin Reuven Bulka est l’un de ceux qui continuent de servir le pays par sa bonté tous les jours et le 11 novembre, dans un court sermon. Comme on dit dans les Maritimes, le rabbin est notre « buddy ». C’est un ami, une personne aimable. Comme plusieurs d’entre vous le savent, c’est de lui que vient l’idée d’une semaine de la gentillesse. La semaine dernière, devant le comité, il a affirmé ceci :
Enfin, dans cette période tumultueuse, que le Canada devienne le premier pays [...] à mettre la gentillesse à l’avant-scène à l’échelle nationale sera l’expression d’un leadership d’ampleur internationale dont nous serons éternellement fiers.
Comment ne pas être d’accord avec lui?
Lorsque le projet de loi S-244 recevra la sanction royale — j’espère que ce sera sous peu — le Canada sera le premier pays au monde à avoir une semaine de la gentillesse inscrite dans la loi. Je vous le dis, honorables sénateurs, c’est important; vraiment important. Parfois, les gens se posent la question : à quoi bon désigner ces semaines et ces jours, et pourquoi sont-ils importants? Ils sont importants parce que les gens sont importants. Nous sommes tous importants. Il aura fallu quelques années, mais mon projet de loi d’initiative parlementaire sur la Journée de l’autisme, le 2 avril, a été adopté et le pays reconnaît maintenant cette journée conformément à la loi. Cela a motivé les gouvernements à offrir des chaires d’excellence. Le gouvernement conservateur de l’époque a instauré une chaire d’excellence sur l’autisme. Des programmes de financement et le Partenariat canadien pour l’autisme se sont concrétisés. Des écoles de partout au pays ont hissé des drapeaux, et on a enseigné aux enfants que l’ami d’à côté pense tout simplement un peu différemment et qu’il ne faut pas le juger pour autant. Les répercussions se multiplient au pays. Je crois que ces gestes ont une véritable importance.
Mark Twain a dit : « La gentillesse est le langage que les sourds peuvent entendre et que les aveugles peuvent voir. » Mesdames et messieurs les sénateurs, la gentillesse est une langue universelle. Elle ne cause aucun tort. Elle ne coûte rien. Il suffit d’y être sensibilisé et d’y consacrer un peu de temps, car être gentil ou utile peut avoir une incidence positive sur la journée d’autrui.
Selon l’adage populaire, les actes ont plus de poids que les paroles. Je viens de prendre connaissance d’une note qui m’a été remise il y a un moment. Quelqu’un a dit quelque part : « Mieux vaut être bienveillant qu’avoir raison. » Il importe davantage d’avoir un cœur patient qui écoute qu’un esprit intelligent qui discourt.
Honorables sénateurs, adoptons cette mesure législative pour que la gentillesse que préconise cette mesure se traduise en gestes concrets d’un océan à l’autre, pour créer un Canada plus bienveillant.
En conclusion, j’aimerais citer mon estimé collègue, le sénateur Manning. À l’heure actuelle, nous nous trouvons dans des camps opposés et nous parlons chacun une variante distincte de l’anglais, mais nous protégeons mutuellement nos arrières, que ce soit lorsque nous voyageons avec le Comité des pêches en Europe ou d’un bout à l’autre de notre grand pays et, au Comité des pêches, nous nous tenons au courant de nos activités respectives sur notre nouvelle étude sur la recherche et le sauvetage. Le sénateur Gold est vice-président du comité et je fais partie du comité directeur. Nous travaillons ensemble dans une atmosphère bienveillante, compatissante et intelligente et nous espérons présenter, dans deux semaines, les résultats d’une nouvelle étude sur ce qui devrait être fait au Canada en matière de recherche et sauvetage. J’estime qu’une collaboration bienveillante est nécessaire pour obtenir des résultats.
La semaine dernière au comité, le sénateur Manning a évoqué des propos qui, à mon avis, résument parfaitement bien l’objet de cette mesure. Ils ont une résonance en chacun de nous. Je conclus là-dessus. Nous aimons tous notre mère et ces sages paroles viennent de sa mère. Elles figurent dans son répertoire et je vais aussi les faire miennes pour toujours. La mère du sénateur Manning a dit ce qui suit :
On peut oublier le numéro de téléphone, l’adresse et même le nom d’une personne, mais on n’oublie jamais sa gentillesse.
Je vous remercie beaucoup, honorables sénateurs.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
La Loi constitutionnelle de 1867
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
Consentement ayant été accordé de revenir aux autres affaires, projets de loi d’intérêt public du Sénat, deuxième lecture, article no 1 :
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Patterson, appuyée par l’honorable sénateur Enverga, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-221, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (qualifications des sénateurs en matière de propriété).
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Ai-je le consentement du Sénat pour ajourner le débat au nom du sénateur Plett?
Son Honneur la Présidente suppléante : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur la Présidente suppléante : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
(Sur la motion de la sénatrice Martin, au nom du sénateur Plett, le débat est ajourné.)
(1500)
Modernisation du Sénat
Neuvième rapport du comité spécial—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Frum, appuyée par l’honorable sénatrice Beyak, tendant à l’adoption du neuvième rapport (intérimaire) du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, intitulé La modernisation du Sénat : Aller de l’avant (période des questions), présenté au Sénat le 25 octobre 2016.
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Je propose l’ajournement du débat à mon nom.
Son Honneur la Présidente suppléante : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Le Sénat
Motion tendant à demander au gouvernement de reconnaître le génocide des Grecs pontiques et de désigner le 19 mai comme journée nationale de commémoration—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Merchant, appuyée par l’honorable sénateur Housakos,
Que le Sénat demande au gouvernement du Canada :
a) de reconnaître le génocide des grecs pontiques de 1916 à 1923 et de condamner toute tentative pour nier un fait historique ou pour tenter de le dépeindre autrement que comme un génocide, c’est-à-dire un crime contre l’humanité;
b) de désigner le 19 mai de chaque année au Canada comme journée pour commémorer les plus de 353 000 grecs pontiques tués ou expulsés de leurs résidences.
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Le vote!
(Sur la motion du sénateur Mercer, le débat est ajourné.)
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, le Sénat a terminé l’étude des affaires inscrites à l’ordre du jour et, conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je déclare la séance suspendue jusqu’à 15 h 30, moment auquel elle reprendra pour la période des questions. La sonnerie retentira à compter de 15 h 25.
(La séance du Sénat est suspendue.)
(1530)
(Le Sénat reprend sa séance.)
PÉRIODE DES QUESTIONS
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, nous avons parmi nous aujourd’hui, pour la période des questions, l’honorable Bill Blair, C.P., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé.
Monsieur le ministre, au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue.
Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 10 décembre 2015, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Bill Blair, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.
[Français]
Son Honneur la Présidente suppléante : Je demanderais que les questions et les réponses soient à la fois ciblées et relativement brèves. Cela permettra à plus de sénateurs de participer.
[Traduction]
La sécurité frontalière et la réduction du crime organisé
Les demandeurs d’asile
L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : Bon après-midi, monsieur le ministre. Bienvenue.
Ma première question porte sur les problèmes frontaliers. Votre collègue, le ministre Hussen, a reproché récemment à son homologue en Ontario, la ministre MacLeod, d’avoir déclaré que 40 p. 100 des personnes qui se trouvent dans les refuges pour sans-abri de Toronto sont des réfugiés. Cependant, la Ville de Toronto s’est appuyée sur ses données et a confirmé ce nombre.
Monsieur le ministre, votre gouvernement manifeste régulièrement sa volonté de prendre des décisions fondées sur des données probantes. Dans cette optique, souscrivez-vous aux chiffres avancés par la Ville de Toronto, à savoir que 40 p. 100 des personnes qui se trouvent dans les refuges pour sans-abri sont des réfugiés?
Le cas échéant, ma deuxième question est de savoir ce que vous comptez faire pour atténuer les pressions financières qui s’exercent par conséquent sur les services provinciaux et municipaux de votre province d’origine.
L'honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé : Merci beaucoup, sénateur, de poser cette question et de me donner la possibilité de clarifier les chiffres. J’ai eu l’occasion de collaborer très étroitement avec la Ville de Toronto, le maire Tory et les hauts dirigeants de la Ville de Toronto alors qu’ils devaient trouver des moyens d’accueillir les nouveaux arrivants, les réfugiés et les demandeurs d’asile, ceux qui traversent la frontière, de manière régulière ou non, bref, des groupes très distincts. J’ai aussi travaillé avec la ministre MacLeod. J’ai communiqué avec elle avant même sa nomination. Nous avons parlé de cet enjeu et j’ai reparlé avec elle plusieurs fois par la suite. Nous collaborons le plus possible avec nos partenaires provinciaux et municipaux dans ce dossier parce que nous sommes conscients des répercussions que l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile en particulier — mon champ de responsabilité — a eu à Montréal et Toronto.
Pour ce qui est du nombre de personnes dans le...
Son Honneur la Présidente suppléante : Monsieur le ministre, puis-je vous demander de vous lever pour répondre aux questions? Il sera plus facile pour tous de vous entendre.
M. Blair : Merci, Votre Honneur. Je suis désolé. Pardonnez mon manque d’expérience.
En ce qui concerne le nombre de personnes qui profitent du réseau des refuges à Toronto, je connais très bien ce système, puisque j’ai travaillé dans la Ville de Toronto pendant près de 40 ans et que j’ai discuté de cette question avec le maire de Toronto et avec les hauts fonctionnaires de la municipalité. Le nombre de personnes dont il est question est le nombre de personnes dans le système qui s’identifient comme étant des réfugiés. Je n’oserais pas parler au nom du ministre Hussen, mais je crois qu’il était question de ceux qui ont été envoyés à Toronto, comme tant d’autres, après être passés par le Québec. D’ailleurs, nous avons collaboré étroitement avec la Ville de Toronto afin d’acquérir des logements temporaires pour répondre aux besoins de toutes ces personnes. En juin, nous avons trouvé un logement temporaire pour 464 demandeurs d’asile, dont environ 37 p. 100 étaient des enfants.
La bonne nouvelle que je peux vous communiquer aujourd’hui, c’est que seules 35 personnes habitent encore dans ces logements temporaires. Il y a toutefois de nouveaux arrivants qui sont entrés au pays par divers volets d’immigration, notamment des immigrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile, et tous ces gens sont comptés dans le nombre de personnes annoncé par la Ville de Toronto qui se trouvent dans le système de refuges de la ville; ils représentent environ 40 p. 100.
Le sénateur Smith : Merci de votre réponse. Là où je voulais en venir en posant cette question, c’est qu’il est important qu’il y ait de la cohérence entre les gouvernements afin que le Canadien moyen qui suit nos travaux nous juge crédibles. Ce n’est pas une critique. C’est une question factuelle qui vise à faire en sorte que les gouvernements s’alignent correctement.
Monsieur le ministre, vous vous êtes excusé d’avoir dit qu’une vaste majorité des demandeurs d’asile qui avaient franchi nos frontières étaient partis. Vous avez affirmé que le nombre de migrants illégaux avait diminué. Or, selon la GRC, plus de gens sont entrés illégalement au Canada cette année que l’année dernière.
Le gouvernement a établi une nouvelle cible, soit d’expulser 10 000 demandeurs d’asile déboutés par année. Toutefois, des membres du personnel de l’Agence des services frontaliers du Canada ont dit avoir été mis au courant de ce plan uniquement par les médias et ne pas avoir les effectifs suffisants. Vous nous avez fait des promesses quant au traitement rapide des demandes d’asile, mais la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a affirmé que le temps d’attente est de 21 mois.
Monsieur le ministre, tout cela nous donne l’impression que le gouvernement ne gère pas forcément adéquatement la situation. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous prévoyez faire pour maintenir l’intégrité du système d’immigration?
M. Blair : Merci encore une fois, sénateur, de me permettre de remettre les pendules à l’heure.
La déclaration dont vous parliez au début de votre question a été faite dans le cadre d’une entrevue avec la presse. Je parlais alors d’un groupe de demandeurs d’asile entrés au pays avant 2017, de leur expulsion et du fait que bon nombre d’entre eux étaient repartis de leur propre chef, mais je ne me suis pas exprimé de manière assez précise. Dès que j’ai pris conscience de la méprise que j’avais causée, j’ai publié une déclaration officielle et je me suis adressé à la Chambre pour préciser ma pensée. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Les Canadiens ont besoin qu’on leur présente des faits aussi exacts que possible afin de bien comprendre de quoi il retourne exactement. Permettez-moi donc de m’expliquer.
Depuis quelques années, mais de manière encore plus marquée depuis deux ans, un nombre important de gens un peu partout dans le monde ont décidé de changer de pays. Ils sont des dizaines de millions au total, et une bonne partie d’entre eux fuient la guerre et la persécution. Pour ces gens, le Canada est un véritable havre de paix. Or, depuis deux ans, et plus particulièrement depuis le printemps de 2017, un nombre accru de migrants sont entrés de manière irrégulière au pays. Il ne s’agit toutefois que d’un des problèmes auxquels nous devons faire face. Les demandeurs d’asile entrés de manière irrégulière n’ont jamais représenté ne serait-ce que la moitié de tous les demandeurs d’asile du Canada, mais leur nombre a effectivement augmenté depuis quelques années. Je précise que nous avons connu pareils pics en 2002 et en 2008, mais jamais autant qu’en 2017.
Le gouvernement a immédiatement commencé à prendre les mesures nécessaires pour assurer le maintien de la sécurité du pays. Des ressources supplémentaires de la GRC, de l’Agence des services frontaliers du Canada et d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ont donc été déployées dans la région de Lacolle afin que chaque personne traversant la frontière fasse l’objet, en premier lieu, d’une vérification de sécurité rigoureuse de la GRC. Nous voulons nous assurer que toute personne qui entre au pays, quelle que soit la façon, ne représente aucune menace criminelle ni aucune menace à la sécurité nationale. Ces personnes font donc l’objet d’une vérification de sécurité rigoureuse effectuée par la GRC. Cela comprend des outils de biométrie, c’est-à-dire des empreintes digitales et une photographie, pour que nous ayons des renseignements adéquats. Il y a un processus.
Toute personne entrant au pays, quelle que soit la manière, et demandant la protection du Canada a droit, conformément à la loi canadienne, de suivre la procédure établie. Cette procédure est, en premier lieu, la responsabilité de la GRC et de l’Agence des services frontaliers du Canada, puis de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, un tribunal indépendant qui tient les audiences relatives à ces demandes. Compte tenu de la hausse considérable du nombre d’arrivants et de ce que j’estime être une période prolongée de sous-dotation et de sous-financement chronique de certains de ces intervenants — par exemple, l’Agence des services frontaliers du Canada a vu son budget réduit de près de 400 millions de dollars dans les années qui ont précédé 2017 —, il a fallu renforcer la capacité des organismes intervenants de gérer ces cas.
(1540)
Nous avons donc fait de nouveaux investissements considérables dans le cadre des budgets de 2017 et de 2018 afin de rétablir la capacité de l’ASFC, d’IRCC et de la CISR à traiter les dossiers de ces personnes.
Il y a un arriéré, et il s’est alourdi en raison du grand nombre de personnes venues au pays. Je pourrais fournir différentes raisons pour lesquelles le nombre d’arrivants a augmenté, mais, à mon avis, ce qui inquiète le plus les Canadiens, c’est le nombre de personnes qui traversent la frontière de manière irrégulière. Je parle non pas de ceux qui passent par les postes frontaliers habituels ou par l’aéroport, mais de ceux qui se retrouvent au bout du chemin Roxham. C’est une situation préoccupante. Nous avons fait de nouveaux investissements considérables au sein de la CISR. Elle a tout à fait raison de dire qu’il y a un arriéré important à cet égard. Le délai de traitement pour ces personnes est de 21 mois. Nous avons cependant fourni un montant supplémentaire de 74 millions de dollars à la CISR pour qu’elle embauche 269 arbitres et employés de soutien administratif et qu’elle puisse ainsi travailler plus efficacement.
Cependant, il ne s’agit pas simplement de fournir plus de ressources. Je tiens à vous assurer, ainsi qu’à tous les Canadiens, que nous travaillons très fort pour améliorer le plus possible l’efficacité des procédures de la CISR. En plus du processus décisionnel de la CISR, il existe des procédures d’appel administrées par la Section d’appel des réfugiés, une procédure d’examen des risques avant renvoi ainsi que d’autres procédures des cours fédérales qui prolongent les délais jusqu’à la décision finale. Nous travaillons très fort, sénateur, pour nous assurer que ces procédures sont équitables — et je crois qu’elles le sont —, mais il faut aussi que les décisions soient prises rapidement et de façon définitive.
Enfin — vous soulevez un point et je veux l’aborder —, nous avons constaté que, lorsqu’une personne est désignée inadmissible à la protection du Canada et devient passible d’une mesure de renvoi après avoir épuisé tous les recours juridiques possible... Il y a tout un groupe de personnes qui ont été désignées comme n’étant pas admissibles au pays. Légalement, leur renvoi incombe à l’ASFC. Comme vous l’avez indiqué, l’ASFC a renvoyé environ 4 600 personnes jusqu’à présent cette année. Elle traite deux groupes d’individus en priorité : ceux qui font l’objet d’une mesure de renvoi parce qu’ils ont commis un crime grave et ceux dont la demande d’asile a été rejetée. Ce sont là les deux priorités en matière de renvoi. Il manque de ressources, certes, mais nous sommes en train de régler le problème. Nous avons augmenté le budget de 72 millions de dollars et on s’efforce actuellement d’embaucher des effectifs pour procéder plus efficacement aux mesures de renvoi. Nous avons établi une cible...
Son Honneur la Présidente suppléante : Monsieur le ministre et sénateurs, beaucoup de personnes souhaitent poser des questions. Essayons, s’il vous plaît, de poser des questions brèves et — avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre — d’être concis dans nos réponses, pour que nous puissions aborder les nombreux sujets qui nous préoccupent.
[Français]
Le cannabis—Le crime organisé
L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au ministre et porte sur les déclarations qui doivent être faites pour obtenir une licence de production de cannabis. Vous avez sûrement entendu parler de l’émission Enquête, qui a été diffusée à Radio-Canada la semaine passée, lors de laquelle les journalistes ont identifié différentes entreprises associées au crime organisé qui ont également des liens avec les paradis fiscaux et qui ont investi ou qui détiennent, directement ou indirectement, des intérêts dans des compagnies de cannabis sur le marché à l’heure actuelle.
En juin, vous avez refusé l’amendement adopté ici au Sénat, qui visait à approfondir les enquêtes et à aller plus loin, notamment en ce qui a trait aux bénéficiaires ultimes et pour obtenir également la déclaration des entreprises qui investissent dans les paradis fiscaux, et ce, afin d’éviter que le crime organisé n’entre par la porte arrière. Manifestement, la crainte qu’on a exprimée en juin 2018 s’est réalisée au cours de l’été.
Ma question est simple, monsieur le ministre : est-ce que le gouvernement a l’intention de revenir sur cet amendement et d’adopter une modification de la méthode de vérification des demandeurs de licence, afin de donner tout le pouvoir nécessaire à Santé Canada et aux services de police pour qu’ils puissent éliminer les personnes liées au crime organisé qui sont titulaires de licences à l’heure actuelle?
[Traduction]
L'honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé : Merci beaucoup, sénateur. Tout d’abord, les règlements que nous avons adoptés dans le cadre du projet de loi C-45 prévoient une très grande transparence financière de la part des producteurs autorisés, ainsi que de tous les hauts dirigeants des entreprises qui peuvent influer sur leurs décisions commerciales. Ils doivent aussi faire l’objet d’une vérification approfondie de leurs antécédents par la GRC, qui veille à ce que ces entreprises soient exemptes d’éléments criminels. Dans bien des cas, il s’agit de sociétés cotées en bourse. Des particuliers et des entités, voire des organisations criminelles, peuvent acheter des actions, mais leur capacité d’infiltrer ces entreprises ou d’exercer sur elles une influence criminelle est considérablement limitée, voire impossible.
J’ai largement consulté Santé Canada et la GRC pour m’assurer qu’ils ont accès à tous les renseignements dont ils ont besoin pour maintenir l’intégrité du système. J’ai regardé très attentivement le reportage de l’émission Enquête diffusée à Radio-Canada. On y a parlé d’une perception de vulnérabilité. Or, rien ne prouve qu’une organisation criminelle a infiltré un producteur autorisé. S’il existe un jour des preuves à cet effet, je suis persuadé que la GRC et Santé Canada prendront toutes les mesures qui s’imposent pour protéger les Canadiens et pour maintenir l’intégrité du système de production autorisée de cannabis.
Je vous dirais aussi que les années que j’ai passées à enquêter sur le crime organisé m’ont appris que celui-ci ne fait pas bon ménage avec la transparence. Le crime organisé n’aime pas rendre ses activités publiques. Il agit dans l’ombre, ses entreprises criminelles sont clandestines. Les règlements pris au titre du projet de loi C-45 sont donc exactement le genre de moyens de dissuasion que le crime organisé évitera coûte que coûte. Je demeure convaincu de l’intégrité du système de production autorisée que nous avons établi grâce à la surveillance de Santé Canada et aux enquêtes rigoureuses que mène la GRC pour maintenir l’intégrité du système.
En raison de certaines capacités en matière d’investissement offertes par les comptes étrangers et le crime organisé, comme la façon de transférer de l’argent dans d’autres entreprises légitimes moins réglementées que l’industrie du cannabis, il se peut qu’il faille apporter d’autres changements à la manière dont nous surveillons les opérations financières et les propriétés effectives. Il s’agit aussi de l’une des responsabilités que le premier ministre m’a confiées. Je continuerai de m’assurer de l’intégrité non seulement de l’industrie du cannabis, mais de l’ensemble des entreprises canadiennes.
La radiation des condamnations pour possession simple
L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Bonjour, monsieur le ministre. Ma question concerne elle aussi le projet de loi C-45 et les enjeux entourant le cannabis. Aux termes de votre lettre de mandat, vous vous êtes vu confier la tâche de « [diriger] le processus de légalisation et de réglementation stricte du cannabis » avec l’appui de vos collègues des ministères de la Santé, de la Justice, de la Sécurité publique et de la Protection civile. C’est donc tout un travail d’équipe. De son côté, le Sénat a travaillé très fort pour faire adopter ce projet de loi et il y a réussi. Si le gouvernement a annoncé un projet de pardon pour les personnes condamnées pour possession simple, il n’a pas encore présenté de projet de loi ou de règlement en la matière.
Le projet de loi visant la légalisation du cannabis a été rédigé il y a plus de 18 mois, mais, malheureusement, le projet de loi concernant les pardons n’était pas prêt le jour où le cannabis a été légalisé. Il ne semble pas être prêt aujourd’hui non plus. Voilà donc ma question : quand le gouvernement va-t-il présenter un projet de loi visant à radier les condamnations ou à éliminer les casiers judiciaires pour possession simple? Tout retard affaiblit la bonne volonté dont a fait preuve le gouvernement dans cette initiative.
L'honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé : Merci beaucoup de la question, sénateur. Je pense qu’elle est importante pour les Canadiens. Je vous le dis franchement, l’une des choses qui m’a le plus motivé lorsque nous avons présenté ce projet de loi, c’est la possibilité de mettre fin à la judiciarisation d’une autre génération de jeunes. La judiciarisation a toujours été pour moi l’un des aspects les plus problématiques. Nous avons parlé de la réduction des méfaits, notamment des méfaits pour la santé et des méfaits sociaux, mais l’un des plus grands méfaits sociaux a été d’imposer un casier judiciaire à énormément de Canadiens, dont des jeunes. Nous savions donc que l’abrogation des dispositions existantes nous offrait une importante possibilité. Cela dit, en même temps, nous reconnaissons aussi que la manière appropriée de modifier une loi est d’abroger les mesures existantes et de les remplacer par des dispositions plus efficaces. C’est exactement ce que nous nous sommes engagés à faire.
(1550)
Si nous avions agi avant la date de l’abrogation, nous aurions invalidé la loi existante.
Vous vous souviendrez peut-être des nombreuses déclarations publiques que j’ai faites pour souligner aux Canadiens que la loi demeurait en vigueur et qu’elle devait donc être respectée jusqu’à ce qu’elle soit abrogée et remplacée. Le jour de la mise en œuvre de la nouvelle loi représentait la première occasion de s’occuper de ces casiers judiciaires.
Le ministre de la Sécurité publique, qui est responsable de l’administration du système de pardon et de suspension de casier, s’est engagé à présenter un projet de loi d’ici la fin de l’année civile afin d’accorder les pardons qui s’imposent.
Toute la complexité de cette question doit être prise en compte. La plupart des casiers judiciaires reposent sur ce qu’on appelle des infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité, et non par mise en accusation. On n’a pas pris les empreintes digitales des personnes touchées lors de leur arrestation. Les casiers judiciaires ne se trouvent pas dans une seule base de données nationale : ils sont, en fait, dispersés aux quatre coins du pays dans diverses bases de données qui sont administrées parfois par des provinces, parfois par des municipalités. Nous tentons donc de gérer cette complexité avec le projet de loi, mais nous savons que des Canadiens attendent avec impatience que nous nous occupions du dossier comme il se doit. Je suis conscient que les Canadiens qui portent le fardeau d’un tel casier judiciaire espèrent que nous nous mettions à la tâche dans les plus brefs délais. Nous procédons aussi rapidement que possible.
La surveillance des données publiques—La protection des renseignements personnels
L’honorable Frances Lankin : Toutes mes excuses, monsieur le ministre. J’ai été retenue et j’espère que ma question n’a pas déjà été posée et qu’elle n’est pas redondante.
Je suis intéressée par le travail que vous avez accompli et les modifications qui sont proposées. Celles-ci définissent des critères dont les contrôleurs des armes à feu devront tenir compte pour refuser un permis de possession. Plus précisément, je me réjouis de l’ajout des mots « historique de [...] comportement menaçant » au paragraphe 5(2). Ces mots ont été ajoutés au libellé déjà présent entourant l’historique du comportement, qui comprend la violence ou la menace. Selon le paragraphe 5(2.1), il est entendu que le comportement menaçant d’une personne faisant l’objet d’un examen s’entend de la menace ou du comportement « communiqués par la personne envers autrui par Internet ou un autre réseau numérique ».
Soyons clairs : je me réjouis de ces changements, mais je me demande à quel point ils seront efficaces pour nous aider à assurer la sécurité des collectivités. Comment les forces policières, les contrôleurs des armes à feu et le gouvernement pourront-ils surveiller l’application de ces mesures? Comme vous le savez, il y a beaucoup d’autres questions dans d’autres domaines au sujet de ce que représente l’information et des données accessibles au public. Je le répète, j’appuie l’ajout de ces dispositions. J’ignore tout simplement comment vous allez les mettre en œuvre. Je ne sais pas comment vous allez concilier raisonnablement la protection des droits des Canadiens et la protection des renseignements personnels. Cette mesure législative m’intéresse, parce que je tiens à ce qu’elle atteigne efficacement ses objectifs.
L'honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je suis bien au fait de cette préoccupation. Dans ma vie antérieure, j’ai constaté que, sur Internet, et plus particulièrement dans les médias sociaux, on trouvait beaucoup de personnes qui ont des comportements menaçants et criminels en ligne, et cela représente franchement tout un défi. Il est difficile pour les forces de l’ordre, qui doivent respecter les contraintes juridiques liées à la protection de la vie privée, d’obtenir des ressources suffisantes pour accéder aux renseignements nécessaires et identifier ces personnes afin de pouvoir protéger leurs victimes potentielles en temps opportun.
Cependant, comme vous le savez peut-être, le premier ministre m’a aussi demandé de me pencher sur un certain nombre de questions relatives aux armes à feu, en particulier la possibilité d’une interdiction des armes de poing et l’adoption de mesures supplémentaires concernant les fusils d’assaut. Par ailleurs, j’ai rencontré plusieurs intervenants partout au pays, y compris des contrôleurs des armes à feu. Nous avons parlé de la nécessité qu’ils aient accès à des renseignements en temps opportun.
D’un autre côté, je suis encouragé par les progrès que j’ai observés au sein des forces de l’ordre d’un bout à l’autre du pays, qu’il s’agisse de notre police fédérale — la GRC — ou des services de police provinciaux et municipaux. Internet et les médias sociaux sont devenus une source précieuse de renseignements d’ordre criminel pour la police. Bon nombre de corps policiers investissent des ressources considérables dans la surveillance, lorsque la loi le leur permet, afin de déterminer si des menaces sont proférées. Même si leur approche n’est pas parfaite, ils ont réalisé d’énormes progrès. Je le répète, Internet et les médias sociaux sont devenus une source d’information très précieuse.
Je me suis récemment entretenu avec mon successeur à Toronto, le chef de police, et nous avons parlé du fait que l’émergence des réseaux sociaux et des vidéos élargit les horizons pour la collecte des preuves.
Je crois que nous devons nous assurer que les policiers ont la formation et le financement nécessaires pour s’acquitter de leurs responsabilités, et que l’information est acheminée rapidement aux contrôleurs des armes à feu des provinces et à la GRC, afin que des mesures efficaces puissent être prises.
J’ai également reçu le mandat de me pencher sur des mesures supplémentaires que pourrait prendre le gouvernement pour déterminer quelles personnes constituent une menace grave pour la sécurité publique. Je crois que personne ne peut oublier les horreurs qui ont eu lieu récemment à Pittsburgh et à Québec, ainsi que dans plusieurs autres villes nord-américaines, où des personnes s’échangent des propos virulents, haineux et menaçants en ligne. Si les policiers sont saisis d’un enjeu de la sorte, ils doivent avoir l’autorité et la capacité de retirer rapidement les armes à feu de la situation et, ainsi, rétablir la sécurité.
Le crime organisé
L’honorable Gwen Boniface : Monsieur le ministre, je tiens d’abord à vous souhaiter la bienvenue au Sénat. C’est un plaisir de vous accueillir parmi nous.
Je m’intéresse à la partie de votre portefeuille qui porte sur la lutte contre le crime organisé, et je voudrais notamment savoir si nous allons voir un plan à cet effet.
Je sais que vous vous concentrez actuellement sur les armes de poing, mais j’aimerais savoir si un plan plus large sera bientôt élaboré pour consacrer des ressources et mener des études visant à définir et à régler les défis à l’avenir, notamment concernant le crime organisé. Comme vous pouvez le comprendre, probablement plus que la plupart des gens, les services de police s’inquiètent depuis quelques années du fait que les ressources ont été redirigées vers la lutte contre le terrorisme et que les efforts visant à enquêter sur le crime organisé ont diminué. Je suis curieuse d’entendre votre point de vue sur les prochaines mesures à prendre.
L'honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé : Je vous remercie beaucoup, madame la sénatrice, de votre question et de votre accueil chaleureux.
La sénatrice sait aussi bien que moi que la capacité de la GRC en particulier et des forces de l’ordre en général de mener des enquêtes sérieuses sur le crime organisé s’est énormément détériorée au cours des dernières années, ce qui se comprend aisément. Une bonne partie des ressources consacrées à la lutte contre le crime organisé ont été affectées à la protection de la sécurité nationale et à la lutte contre le terrorisme. Ces secteurs sont importants, et je reconnais et comprends très bien le besoin de réaffecter des ressources. Néanmoins, cette réaffectation a eu des répercussions considérables sur la capacité des forces de l’ordre, et de la GRC en particulier, de mener de telles enquêtes.
Il est également important que le Sénat comprenne que ce ne sont pas tous les services de police au Canada qui peuvent mener des enquêtes détaillées, sérieuses et complexes sur le crime organisé. La GRC représente donc une ressource très importante pour tous les services de police du pays parce qu’elle est leur partenaire dans ce travail. Si sa capacité est réduite, celle de toutes les forces de l’ordre l’est aussi.
Je veux assurer à la sénatrice et à vous tous, honorables sénateurs, que j’ai été chargé de trouver un moyen de rétablir la capacité de la GRC et de ses partenaires de mener des enquêtes ainsi que d’échanger plus efficacement des renseignements sur la criminalité.
J’ai notamment rencontré les responsables du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, car les transactions financières, le crime économique et le blanchiment d’argent représentent des composantes importantes. Étant donné que le crime organisé est entièrement motivé par le profit, nous nous penchons sur ses fonds.
Il pourrait être nécessaire d’apporter des modifications réglementaires et possiblement législatives. Je mène également des consultations à ce sujet.
J’ai longuement parlé avec le vérificateur général de la Colombie-Britannique, hier, qui a demandé à un de mes anciens collègues, qui est aussi l’ancien collègue de la sénatrice Boniface, de se pencher sur la question du blanchiment d’argent dans les casinos de la Colombie-Britannique, et maintenant dans le secteur de l’immobilier. J’ai rencontré Peter German, qui s’est chargé de tout cela, et nous avons parlé des mesures que peuvent prendre le gouvernement fédéral et les provinces.
Les réunions fédérales-provinciales-territoriales des ministres de la Justice auront lieu la semaine prochaine à St. John’s, à Terre-Neuve, et je suis convaincu que ce sujet occupera une place importante dans les discussions qui auront lieu entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux du pays, car il est nécessaire que nous puissions mieux réagir au crime organisé, avoir un effet dissuasif, le détecter et le prévenir.
La légalisation du cannabis
L’honorable Paul E. McIntyre : Monsieur le ministre, ma question porte sur la légalisation de la marijuana dans ma province, le Nouveau-Brunswick.
(1600)
Quand la marijuana a été légalisée le mois dernier, la police du Nouveau-Brunswick n’avait pas d’appareils de détection des drogues en bordure de route et, pour autant que je sache, n’en a toujours pas. Les responsables du site web Cannabis NB ont dû y apporter des changements après que Santé Canada eut déterminé que le site n’était pas conforme à la Loi sur le cannabis parce qu’il faisait la promotion de la consommation de cette drogue. De plus, le prix de vente de ce produit au Nouveau-Brunswick figure parmi les plus élevés au pays. On craint donc que le marché noir l’emporte.
Monsieur le ministre, que pouvez-vous dire aux citoyens de ma province qui restent préoccupés par la légalisation, surtout ses répercussions sur la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, étant donné que le taux de consommation des jeunes du Nouveau-Brunswick est plus élevé que la moyenne nationale? Quelles garanties pouvez-vous offrir que la présence du crime organisé ne va pas s’intensifier dans la province?
L’honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé : Merci beaucoup, sénateur McIntyre. D’abord, je crois qu’il importe de souligner que, avant la mise en œuvre du projet de loi C-45, le trafic et la production de marijuana au Nouveau-Brunswick étaient entièrement contrôlés par le crime organisé. Le crime organisé était responsable de 100 p. 100 de la production et de 100 p. 100 de la distribution dans la province.
J’ajouterais que la conduite avec facultés affaiblies par la drogue est un crime au Canada depuis 1925. La police a toujours eu du mal à prévenir et à déceler ce comportement et à poursuivre les contrevenants. La raison est bien connue. En 2008, conformément à une résolution adoptée à l’unanimité, les services policiers ont exhorté le gouvernement à leur fournir les ressources requises pour former leurs agents comme experts en reconnaissance de drogues et pour effectuer les tests normalisés de sobriété utilisés dans les contrôles routiers. Malheureusement, leur demande est tombée dans l’oreille d’un sourd.
En 2013, les services policiers, conformément à une autre résolution adoptée à l’unanimité, ont exhorté le gouvernement à mettre en place un système de contraventions qui leur permettrait de délivrer des contraventions aux enfants et de saisir les drogues en leur possession plutôt que de les menacer d’accusations criminelles que nul ne veut porter devant les tribunaux. Encore une fois, le gouvernement n’a pas accédé à leur demande en 2013.
En 2014, les services policiers sont revenus à la charge et ont exhorté le gouvernement du Canada à leur donner accès à des trousses d’analyse de liquide buccal qui étaient déjà utilisées dans 22 pays, y compris l’Australie et 18 pays européens. Ils ont dit qu’ils avaient besoin de ces trousses pour détecter et décourager plus efficacement la conduite avec capacités affaiblies.
En faisant adopter le projet de loi C-46, nous avons répondu à toutes leurs demandes. Nous avons fourni un financement supplémentaire de 161 millions de dollars pour former des experts en reconnaissance des drogues. La bonne nouvelle, monsieur, c’est que, il y a 18 mois, il y avait environ 500 de ces experts au Canada. Aujourd’hui, ce nombre est passé à 900. Nous avons presque doublé la capacité des forces de l’ordre d’appliquer ces lois.
Je comprends qu’il faut du temps pour adopter ces technologies et apprendre aux policiers de votre province comment les utiliser, mais elles sont désormais à la disposition des forces de l’ordre. Ces dernières peuvent les employer et en obtenir des résultats extraordinaires. Par exemple, en Colombie-Britannique, les policiers peuvent se servir de ces nouveaux appareils. S’ils détectent la présence de cannabis dans l’organisme d’un conducteur, ils ont le pouvoir de suspendre son permis de conduire, de lui donner une contravention et de faire remorquer sa voiture. L’intervention peut avoir des effets immédiats de neutralisation du danger sans que les policiers aient nécessairement à porter des accusations criminelles contre le conducteur, bien que cette option s’offre encore à eux.
Je pense que c’est très bien.
Je peux aussi vous dire que la province du Nouveau-Brunswick a éprouvé des difficultés concernant les nouveaux règlements que nous avions mis en place au sujet des contraintes tout à fait justifiées en matière de promotion et de publicité, car le gouvernement n’a jamais eu l’intention de faire la promotion de la consommation de cette drogue. Notre intention est de la rendre accessible aux adultes qui choisissent de la consommer en nous assurant qu’ils puissent le faire de façon sûre et socialement responsable en minimisant les risques, mais pas d’en faire la promotion. Après une brève consultation, la province du Nouveau-Brunswick est rapidement rentrée dans le rang.
J’ai confiance en la collaboration avec les provinces et les territoires; certains ont vécu des problèmes d’approvisionnement, mais il s’agit d’une nouvelle industrie. Nous nous sommes dotés d’un cadre réglementaire pour protéger la santé et la sécurité des Canadiens, qu’il s’agisse de la production ou, en collaboration avec les provinces et les territoires, de la distribution et de la consommation. En ce qui concerne la mise en œuvre, nous voyons des progrès importants.
Je vais vous expliquer un fait très simple, monsieur. Des centaines et des milliers de dollars engrangés par le Nouveau-Brunswick — même qu’on en est maintenant à plus de 1 million de dollars — pour la vente légale d’un produit homologué et réglementé, pas un seul sou n’est allé au crime organisé. C’est le Nouveau-Brunswick qui accumule les millions de dollars au lieu du crime organisé.
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, il ne reste qu’un peu plus de six minutes et plusieurs veulent encore poser des questions. Sénateur Dagenais, puis-je vous demander à vous, ainsi qu’aux autres personnes qui prendront la parole, de poser vos questions aussi brièvement que possible, s’il vous plaît?
Des voix : Même chose pour les réponses.
[Français]
Les appareils de dépistage salivaire de drogue
L’honorable Jean-Guy Dagenais : Je suis prêt à poser une question brève, à condition que la réponse le soit également.
Monsieur le ministre, ma question concerne vos fonctions de ministre responsable de la légalisation du cannabis, qui sont énoncées dans la lettre de mandat que vous avez reçue du premier ministre.
Malgré les assurances que nous avons reçues de votre gouvernement selon lesquelles il donnera de nouveaux outils à la police pour lui permettre de dépister les cas de conduite avec les facultés affaiblies par la drogue, votre gouvernement n’a approuvé qu’un seul appareil de détection jusqu’à maintenant. Cet appareil est inefficace et coûteux, et plusieurs corps de police ne l’utiliseront pas.
À l’émission The Fifth Estate, de la CBC, le surintendant principal de la GRC, Dennis Daley, a dit ceci, et je cite :
[Traduction]
[...] nous n’avons pas d’outil présentement.
[Français]
Il a aussi ajouté qu’il est possible que les policiers posent des gestes incorrects à cause de ce manque d’équipement.
Pouvez-vous admettre aujourd’hui, monsieur Blair, que votre gouvernement a agi de façon irresponsable en permettant la légalisation de la marijuana avant d’équiper adéquatement les policiers pour qu’ils puissent protéger les citoyens des méfaits de l’usage de la drogue au volant? Admettrez-vous aussi que les problèmes de l’appareil que vous avez approuvé étaient connus, ici et aux États-Unis, lorsque vous l’avez choisi? Monsieur le ministre, pourquoi votre gouvernement n’a-t-il pas approuvé un autre dispositif de détection des drogues destiné aux forces policières?
[Traduction]
L’honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé : Pour commencer, la GRC a très clairement dit qu’elle dispose actuellement de tous les outils pour assurer la sécurité des usagers de la route. Elle a toute ma confiance. Un premier appareil a déjà été homologué, et le temps qu’il faut pour homologuer les autres appareils témoigne de la rigueur avec laquelle nous nous employons à respecter les normes élevées qui ont été établies par le Comité drogues au volant de la Société canadienne des sciences judiciaires.
Le cannabis—Le crime organisé
L’honorable Serge Joyal : Monsieur le ministre, j’aimerais moi aussi parler du projet de loi C-45. J’ai entendu ce que vous avez répondu au sénateur Carignan, et j’ai bien l’impression que votre réponse ne satisferait pas les Canadiens, qui ont vu deux choses à la télévision la semaine dernière. Pour commencer, l’agent de la GRC qui est responsable de l’enquête sur la participation du crime organisé dans la production de cannabis — Yves Goupil, pour ne pas le nommer — a affirmé sans détour qu’il n’avait ni les ressources ni les moyens de faire enquête sur les ultimes bénéficiaires des paradis fiscaux et du crime organisé. Il a dit cela devant les caméras de télévision.
Deuxièmement, les Canadiens ont pu voir à la télévision le nom de trois des membres de la famille Rizzuto. Je ne sais pas si vous la connaissez, monsieur le ministre. Je vous vois faire « oui » de la tête. Eh bien, nous avons appris que trois membres de la famille Rizzuto possèdent des actions dans une fiducie anonyme détenant une entreprise à qui une licence a été délivrée. On nous a même informés du pourcentage exact d’actions qu’ils possèdent. Les Canadiens ont vu ces informations à la télévision. Comment les sénateurs que nous sommes peuvent-ils... Comment pouvez-vous, à titre de représentant du gouvernement, venir nous dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, que tout est normal et que le crime organisé a été mis hors-jeu?
L’objectif du gouvernement n’était pas d’écarter le crime organisé. L’objectif du gouvernement, comme vous l’avez mentionné devant notre comité, était d’éliminer le crime organisé de la production de cannabis. Voilà maintenant que nous apprenons que la famille Rizzuto est impliquée dans la production de cannabis. Encore une fois, que ferez-vous pour vous assurer que les règles de Santé Canada et les règles qui relèvent de vous seront renforcées pour que nous sachions qui se cache derrière des fiducies anonymes et qui possède des parts dans les entreprises qui ont un permis pour produire du cannabis?
Des voix : Bravo!
L’honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé : Sénateur, tout d’abord, nous avons dit très clairement que l’élimination du crime organisé n’allait pas se faire du jour au lendemain. C’est un processus. Il est aussi important de mentionner que nous avons laissé en place tous les outils législatifs et les pouvoirs d’enquête que la GRC et les autres services de police avaient déjà pour mener des enquêtes sur le crime organisé. Elles disposent encore de tous ces outils. Les infractions criminelles pour production illégale et distribution illégale existent encore. Nous avons plutôt créé un autre choix sur le marché pour qu’il soit beaucoup plus difficile aux criminels d’exploiter cette source de revenus, qui était la plus facile pour eux. J’ai dit plus tôt que nous avions vu une diminution de la capacité de la GRC à mener des enquêtes sérieuses sur le crime organisé. Nous remettons de l’argent et des ressources dans cette capacité pour qu’ils puissent faire le travail important que nous avons besoin qu’ils fassent.
Enfin, vous parlez des investissements de fiducies sans droit de regard. Nous devons être très clairs là-dessus. Sous le régime des règlements fédéraux prévus dans le projet de loi C-45, il sera impossible pour le crime organisé de faire des investissements et de prendre le contrôle d’un producteur autorisé.
(1610)
Vous pouvez me corriger si je me trompe, mais je crois, sénateur, que vous parlez de la participation du crime organisé dans d’autres types de production qui est apparue sous le régime du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales, un règlement sans lien avec le projet de loi C-45. Nous comprenons combien la vulnérabilité à la criminalité de ce régime de délivrance de permis est un enjeu important, et nous avons eu de nombreuses discussions avec les forces de l’ordre à ce sujet. Nous sommes absolument déterminés à régler ce problème.
La sécurité frontalière
L’honorable Ratna Omidvar : Merci, monsieur le ministre, d’être avec nous aujourd’hui. Étant donné la question posée par le sénateur Smith au sujet des demandeurs d’asile, je veux que vous sachiez que le sénateur Pratte et moi avons emprunté le chemin Roxham, à Lacolle, au Québec. Nous avons été très rassurés par ce que nous avons vu : respect des règles et de la primauté du droit, prise d’empreintes digitales, recours à la biométrie, interrogation et traitement. Je souhaite féliciter les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada et de la GRC de leur travail. J’espère que vous pourrez leur transmettre le message.
Ma question concerne les projets de loi C-45 et C-46. Tous deux touchent de manière disproportionnée et involontaire les résidents permanents en raison de nouveaux critères plus sévères relatifs à la grande criminalité. Nous en avons parlé. Le Sénat a amendé les deux projets de loi. La Chambre des communes a rejeté les amendements, mais nous a confirmé qu’elle s’occuperait de la question.
J’ai une proposition à vous faire. Les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada pourraient d’abord être sensibilisés aux conséquences de la grande criminalité sur les résidents permanents. Vous pourriez ensuite leur donner la directive d’examiner les dossiers des délinquants primaires afin que ces derniers ne soient pas automatiquement jugés inadmissibles.
Qu’en dites-vous? Que fait le gouvernement pour respecter la promesse qu’il m’a faite, de même qu’à mes collègues du Sénat?
L’honorable Bill Blair, C.P., C.O.M., député, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé : Merci beaucoup, sénatrice, de votre engagement dans ce dossier et de vos commentaires. Je vais certainement en faire part aux agents postés au chemin Roxham.
Sénatrice, en toute honnêteté, je dirai que, lorsque les amendements ont été proposés, nous craignions que cela risque de minimiser l’importance des crimes graves. La conduite avec facultés affaiblies est un acte criminel grave. Nous ne voulions pas en minimiser l’importance. Je crois donc qu’il est plus judicieux de laisser cette question à la discrétion du ministre de l’Immigration et des fonctionnaires de son ministère. Je sais qu’ils y sont très sensibles.
Nous avons eu un certain nombre de discussions sur les effets de ces mesures, mais, à mon humble avis, il n’était pas judicieux d’apporter des modifications considérables aux dispositions pénales qui permettent de déterminer ce qui constitue un acte criminel grave et d’établir la durée de la peine et la peine maximale, de peur que la réduction des peines ait pour effet de minimiser l’importance de certaines infractions criminelles qui, à mon sens, sont perçues par la population comme étant particulièrement préoccupantes et répugnantes.
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, la période des questions est terminée. Je suis sûre que vous voudrez, comme moi, remercier le ministre Blair d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Merci, monsieur le ministre.
ORDRE DU JOUR
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, conformément à l’ordre adopté le 31 octobre 2018, je quitte le fauteuil pour que le Sénat se forme en comité plénier pour étudier la teneur du projet de loi C-76, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à d’autres textes législatifs.
Projet de loi sur la modernisation des élections
Projet de loi modificatif—Étude en comité plénier
L’ordre du jour appelle :
Le Sénat en comité plénier afin de recevoir le directeur général des élections, le commissaire aux élections fédérales et des représentants de leurs bureaux au sujet de la teneur du projet de loi C-76, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à d’autres textes législatifs.
(Le Sénat s’ajourne à loisir et se forme en comité plénier sous la présidence de l’honorable Judith G. Seidman.)
La présidente : Honorables sénateurs, l’article 12-32(3) du Règlement prévoit les règles de procédure aux comités pléniers. En particulier, en vertu des alinéas a), b) et d), « le sénateur qui désire prendre la parole s’adresse au président », « un sénateur n’est ni obligé à se lever quand il prend la parole, ni contraint à rester à la place qui lui est attribuée » et les sénateurs ont 10 minutes de temps de parole, questions et réponses y comprises.
Je désire rappeler aux honorables sénateurs que le comité plénier se réunit conformément à l’ordre du Sénat adopté le 31 octobre.
Le comité entendra de M. Stéphane Perrault, directeur général des élections, Élections Canada, et M. Yves Côté, c.r., commissaire aux élections fédérales. Les témoins seront accompagnés par Anne Lawson, sous-directrice générale des élections, Affaires réglementaires, et par Marc Chénier, avocat général.
J’invite maintenant les témoins à entrer.
(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, Stéphane Perrault, Yves Côté, Anne Lawson et Marc Chénier prennent place dans la salle du Sénat.)
La présidente : Je vous remercie d’être ici avec nous.
Honorables sénateurs et témoins, je tiens à souligner le fait que le comité plénier ne durera que deux heures et qu’il y aura beaucoup d’intérêt de la part des sénateurs. J’invite donc tous les sénateurs à être brefs lorsqu’ils posent des questions, et les témoins à faire de même dans leurs interventions. Cela permettra au plus grand nombre de sénateurs possible de prendre la parole.
Cela dit, j’invite maintenant les témoins à faire leurs remarques introductives.
[Français]
Stéphane Perrault, directeur général des élections du Canada, Élections Canada : Honorables sénateurs, c’est un privilège pour moi d’être ici aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-76, qui prévoit une vaste réforme de la Loi électorale du Canada.
J’aimerais souligner que bon nombre des changements prévus dans le projet de loi C-76 avaient été proposés par Élections Canada à la suite de la dernière élection générale. En tête de liste se trouve une série de modifications qui visent à accorder à Élections Canada une plus grande marge de manœuvre pour adapter et moderniser les processus aux bureaux de vote, tout en maintenant les procédures essentielles à la protection de l’intégrité du vote.
Même si je n’aurai pas le temps, avant la prochaine élection générale, de tirer pleinement profit de la marge de manœuvre qui serait accordée par le projet de loi, je suis convaincu que les changements apportés seront profitables pour les Canadiens à long terme.
Un autre volet crucial de la modernisation touche les mécanismes de conformité et d’exécution de la loi, auxquels s’ajouteront un régime de sanctions administratives pécuniaires et le pouvoir du commissaire de contraindre des personnes à témoigner, avec des mesures de protection appropriées. Selon moi, ce sont des améliorations indispensables à la loi.
Le projet de loi rendra également le processus électoral plus accessible. À cet égard, notamment, un certain nombre de mesures ont été prévues pour les électeurs handicapés. Par exemple, les partis politiques et les candidats qui ont droit à un remboursement recevront désormais un montant additionnel s’ils présentent leurs communications électorales dans des formats accessibles.
(1620)
Le projet de loi comprend aussi un certain nombre de mesures pour répondre aux préoccupations émergentes concernant l’influence étrangère, la désinformation et les cybermenaces contre le processus électoral. Par exemple, le projet de loi resserrerait considérablement les règles applicables aux tiers. En effet, toutes les dépenses partisanes des tiers, et non plus simplement leurs dépenses de publicité électorale, seraient plafonnées et auraient des restrictions relatives au financement. Le projet de loi renforcerait également les interdictions pour les tiers d’utiliser des fonds qui proviennent de l’étranger et d’agir de concert avec d’autres pour contrevenir aux règles, en plus de proscrire la vente d’espace publicitaire à des entités étrangères.
Le projet de loi C-76 apporterait un autre changement important en obligeant les plateformes de médias sociaux à créer et à publier un registre de publicités électorales et partisanes. Il s’agit d’un effort pour répondre aux préoccupations croissantes concernant l’utilisation des médias sociaux pour faire de la désinformation ou des campagnes manipulatrices ciblées.
La dernière disposition importante dont je souhaite parler est celle qui vise à établir, à compter du 30 juin d’une année d’élection à date fixe, une période préélectorale au cours de laquelle une partie des dépenses des tiers et des partis politiques serait réglementée. Je suis heureux de constater que la période préélectorale réglementée est courte, ce qui atténue les limites à la liberté d’expression, de même que tout avantage que le parti au pouvoir pourrait autrement en retirer.
[Traduction]
Même si je pense que, d’une manière générale, le projet de loi C-76 améliore considérablement la Loi électorale du Canada, je me dois aussi d’attirer votre attention sur les aspects plus contestables du projet de loi. Le commissaire à la protection de la vie privée et moi-même avons recommandé que les mesures relatives à la protection des données personnelles détenues par des partis politiques soient plus restrictives. À mon avis, les partis devraient être assujettis à des normes minimales par voie législative ainsi qu’à une surveillance adéquate par le commissaire à la protection de la vie privée. Même s’il est peut-être un peu tard dans le cycle électoral pour imposer aux partis politiques des changements majeurs dans ce domaine, c’est un problème sur lequel j’inviterai le Parlement à se pencher, à long terme. En attendant, les partis se doivent d’adopter des politiques rigoureuses en matière de vie privée qui protègent les données personnelles des Canadiens.
L’interférence informatique devient aussi une nouvelle infraction dans le cadre du projet de loi C-76. Cette mesure vise à répondre aux inquiétudes exprimées par d’autres pays où le piratage informatique a miné le processus électoral. Certes, j’appuie cet ajout. Le problème est qu’il faudrait prouver que le délinquant avait bien l’intention non seulement d’interférer avec les systèmes, mais aussi d’influer sur les résultats d’une élection. Je crains que cela ne limite grandement l’application de la nouvelle infraction. L’histoire récente nous montre que cette interférence vise peut-être à semer le doute et la confusion, en minant la confiance des électeurs dans le processus ou en contrecarrant leur désir de voter éventuellement, mais pas nécessairement à influer sur les résultats d’une élection. L’intention d’interférer avec un système informatique dans un contexte électoral devrait être considérée comme suffisante pour constituer une infraction.
Dans l’ensemble, en dépit de certaines lacunes, le projet de loi C-76 demeure une mesure législative essentielle, et j’espère qu’il sera adopté prochainement. Compte tenu du point où nous en sommes dans le cycle électoral, le temps presse, étant donné que nous devons nous préparer pour la prochaine élection générale. Le projet de loi nous obligera à apporter des changements à 20 de nos systèmes de TI. Il nous obligera aussi à modifier le matériel didactique et les guides pour les travailleurs d’élections ainsi que les manuels fournis aux entités politiques concernant les exigences en matière de financement politique. Ce sont des changements très importants. En particulier, il y a des risques considérables à apporter des changements à la dernière minute à des systèmes de TI complexes s’il n’y a pas assez de temps pour effectuer des essais approfondis.
Pour ces raisons, nous avons dû amorcer le travail cet automne en prévision de la mise en œuvre du projet de loi, sachant que son contenu pouvait encore évoluer ou qu’il pourrait ne pas être adopté. Actuellement, notre plan est d’effectuer les essais intégrés finaux de tous les systèmes de TI, y compris d’apporter tous les changements exigés par le projet de loi aux systèmes, en janvier 2019. Par conséquent, tous les changements à apporter aux systèmes doivent l’être avant cette date. Ainsi, nous pourrons effectuer une simulation sur le terrain en mars dans quelque 10 circonscriptions partout au pays, ce qui nous laissera du temps pour apporter les ajustements nécessaires. Je vous exhorte à garder ces dates à l’esprit en étudiant cet important projet de loi.
[Français]
Madame la présidente, cela conclut mes remarques introductives.
Yves Côté, commissaire aux élections fédérales, Élections Canada : C’est un plaisir et un grand honneur pour moi de comparaître devant vous aujourd’hui pour vous parler d’un projet de loi qui nous intéresse beaucoup, le projet de loi C-76.
C’est un projet de loi qui contient plusieurs mesures que j’avais recommandées à de nombreuses reprises par le passé afin d’améliorer le contrôle de l’application de la Loi électorale du Canada.
Parmi ces mesures, j’en nommerai trois qui me sont d’un intérêt tout à fait particulier. D’abord, il y a le pouvoir de demander à un tribunal, dans certaines circonstances, d’émettre une ordonnance pour contraindre un témoin à répondre à nos questions dans le cadre d’une enquête; deuxièmement, l’élimination de l’exigence d’approbation préalable pour le dépôt d’accusations; et, enfin, la mise sur pied d’un régime de sanctions administratives pécuniaires permettant de sanctionner rapidement certaines infractions de nature réglementaire. S’ils sont adoptés, ces changements transformeront en profondeur et de manière très positive tout le processus de mise en application de la loi. Nous sommes donc très heureux de ces modifications.
[Traduction]
Le projet de loi contient aussi d’autres dispositions qui présentent un intérêt particulier pour mon bureau. Je serai heureux d’en dire plus long sur celles-ci, si les sénateurs sont intéressés, plus tard pendant cette réunion du comité plénier.
Les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se souviendront que j’ai comparu devant eux en avril 2017 pour discuter, entre autres choses, de certaines lacunes relativement à la réglementation des tiers, dont certains ont été particulièrement actifs lors de l’élection générale de 2015.
Le projet de loi C-76 contient plusieurs dispositions visant à répondre à ces préoccupations. Je souligne en particulier l’interdiction proposée relativement à l’utilisation de fonds provenant de l’étranger pour permettre aux tiers de financer leurs activités partisanes et électorales. Je note aussi qu’on propose de réglementer les sondages, la publicité et les activités partisanes des tiers, autant durant la période préélectorale que durant la période électorale comme telle.
Selon moi, ces changements contribueront à assurer une transparence accrue, à contenir la menace que peut représenter l’influence étrangère et à favoriser le maintien de règles du jeu équitables.
[Français]
De notre point de vue, le projet de loi C-76 est un excellent projet de loi. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il soit parfait. J’ai deux commentaires rapides à formuler sur ce point. D’abord, j’appuie sans réserve les commentaires de M. Perrault selon lesquels l’usage non autorisé d’un ordinateur constitue une infraction en vertu de la nouvelle disposition.
[Traduction]
Un autre aspect troublant du projet de loi C-76 porte sur quelques modifications proposées à l’article 91, qui interdit à toute personne de faire une fausse déclaration au sujet de candidats dans le but d’influencer le résultat d’une élection. Selon moi, la nouvelle version de l’alinéa (1)b) est inutilement restrictive, en ce sens qu’elle se limite à certaines fausses déclarations très précises, notamment concernant la citoyenneté ou le lieu de naissance d’un candidat. Cela veut dire que le large éventail de fausses déclarations qui figurent à l’article 91 dans sa forme actuelle ne sera plus visé par le projet de loi. Plus précisément, les fausses déclarations qui sont liées à un acte qui contrevient clairement aux normes sociales acceptées, mais qui ne constitue pas une infraction criminelle, seront dorénavant soustraites de la portée du nouvel article 91. Les tribunaux ont jugé que de telles allégations, qui peuvent être parmi les plus sérieuses et attentatoires, sont actuellement interdites en vertu de l’article 91. Comme vous le savez très bien, il semble qu’on ait de plus en plus souvent recours à ce genre de fausse déclaration dans les divers processus électoraux. Cet amendement m’apparaît donc comme un pas dans la mauvaise direction.
[Français]
En conclusion, le projet de loi apporte des améliorations qui nous mettront en meilleure position pour affronter certaines des nouvelles menaces qui nous guettent, comme l’ont démontré les élections et les référendums qui se sont déroulés récemment dans des régimes semblables au nôtre. Toutefois, il n’y a pas et ne peut y avoir de recette miracle ou de solution parfaite.
(1630)
[Traduction]
Pour notre part, nous sommes déterminés à utiliser tous les outils à notre disposition pour faire respecter la loi et protéger l’intégrité de notre processus électoral. Nous allons continuer de travailler étroitement avec, en particulier, Élections Canada, les agences de renseignements et de sécurité et les plateformes de médias sociaux pour atteindre nos fins.
[Français]
Depuis un certain temps déjà, nous avons commencé à nous préparer pour la prochaine élection générale. Le projet de loi C-76 contient des dispositions qui faciliteront notre tâche. Donc, je terminerai en indiquant que, de notre point de vue, il est important que le projet de loi entre en vigueur dès que possible de manière à ce que nous puissions, à la première occasion, intégrer son contenu à notre travail de préparation.
Je vous remercie de votre attention, et ce sera avec grand plaisir que je répondrai à vos questions.
[Traduction]
La présidente : Monsieur Perrault et monsieur Côté, merci beaucoup de vos exposés. Nous passons maintenant aux questions.
Honorables sénateurs et témoins, veuillez, s’il vous plaît, essayer de vous en tenir à des questions et des réponses aussi brèves que possible. Il y a actuellement 24 personnes sur la liste qui veulent poser des questions. Il serait bien de faire en sorte qu’elles puissent toutes avoir l’occasion de les poser.
La sénatrice Frum : Monsieur Perrault, comme vous le savez, le projet de loi C-76 modifie les conditions quant au droit de vote des citoyens canadiens non-résidents. Auparavant, ces électeurs devaient avoir résidé à l’étranger moins de cinq ans et avoir confirmé leur intention de rentrer au Canada pour avoir le droit de vote.
Voici ma question : combien de Canadiens non-résidents auront désormais le droit de voter grâce aux nouvelles dispositions du projet de loi C-76?
M. Perrault : Merci, sénatrice. Nous ne savons pas exactement combien de Canadiens vivent à l’étranger. Nous estimons que, si cette disposition entre en vigueur, le nombre d’entre eux qui seraient en mesure de voter ou disposés à le faire passerait de 11 000, le nombre d’électeurs non-résidents des dernières élections, à environ 30 000 électeurs. Il s’agit d’une approximation. Il faudra voir comment les choses se passent en pratique.
La sénatrice Frum : Dans votre réponse au comité de la Chambre, vous avez indiqué 2 millions. D’où vient ce nombre?
M. Perrault : C’est une estimation grossière du nombre de Canadiens qui vivent à l’étranger. Il ne s’agit pas nécessairement de gens qui souhaitent prendre part au scrutin.
La sénatrice Frum : Vous croyez qu’entre 14 000 et 30 000 de ces personnes voudront voter?
M. Perrault : Il s’agit d’une estimation fondée sur le nombre enregistré durant la période d’environ 12 ou 14 mois qui s’est déroulée après que la limite de cinq ans eut été invalidée par un tribunal, puis remise en vigueur à la suite d’une décision d’une cour d’appel. Elle est basée sur le taux d’inscription.
Nous avons aussi étudié les votes des non-résidents américains et la proportion d’Américains non-résidents qui votent par rapport à la proportion de ceux qui vivent dans leur pays, ce qui a confirmé nos estimations.
La sénatrice Frum : Comment allez-vous procéder pour confirmer que les électeurs canadiens non-résidents résidaient au Canada auparavant?
M. Perrault : Il s’agirait, dans bien des cas, d’électeurs dont le nom figure déjà au registre. Nous utiliserions l’adresse qui s’y trouve. Ceux qui ne sont pas inscrits au registre... une fois qu’ils sont inscrits au Registre international des électeurs, ils ne peuvent plus modifier leur adresse jusqu’à leur retour au Canada. L’adresse reste la même.
Pour ceux qui s’inscrivent, cela se ferait, conformément à ce qui est prévu dans la mesure législative proposée, au moyen d’une déclaration de l’électeur.
La sénatrice Frum : Donc, les gens feraient une déclaration volontaire à propos de leur lieu de résidence antérieur?
M. Perrault : Exact.
La sénatrice Frum : Êtes-vous en mesure de confirmer la véracité de ces déclarations?
M. Perrault : Nous demandons des preuves d’identité et nous nous assurons que les gens ont les documents nécessaires pour établir leur citoyenneté, étant donné qu’ils communiquent avec nous depuis l’étranger. Par contre, en ce qui concerne le lieu de résidence antérieur, s’ils ne sont pas inscrits au registre, nous nous fondons sur la déclaration.
Il faut savoir que la loi prévoit des infractions dans les cas de personnes qui cherchent à voter alors qu’elles ne sont pas admissibles à le faire. Nous verrions donc à ce que les gens sachent que le fait d’essayer de voter dans une circonscription qui n’est pas la leur constitue une infraction.
La sénatrice Frum : Qu’est-ce qui vous inciterait à tenir une enquête sur une telle infraction?
M. Perrault : C’est le commissaire qui prend la décision d’enquêter. Dans la plupart des cas, il faut essentiellement donner une indication ou effectuer un renvoi au commissaire en fonction d’une plainte.
La sénatrice Frum : Prévoyez-vous faire de la publicité pour informer les électeurs potentiels qui résident à l’extérieur du Canada qu’ils ont maintenant le droit de voter? Dans l’affirmative, comment procéderez-vous?
M. Perrault : Il est difficile de rejoindre des gens partout dans le monde, sauf essentiellement par l’intermédiaire des médias sociaux. Les médias sociaux et notre site web représentent probablement le meilleur moyen d’y parvenir. Au-delà de cela, nos efforts seront quelque peu limités en raison de l’éparpillement de la population.
La sénatrice Frum : Avez-vous toutefois un plan de communications en place?
M. Perrault : Si le projet de loi est adopté, nous en aurons un pour les prochaines élections.
La sénatrice Frum : Monsieur Côté, comme vous l’avez indiqué, le projet de loi C-76 vise à établir de nouvelles obligations en matière de déclaration pour les tiers enregistrés et à fixer de nouvelles limites de dépenses. Faut-il être établi au Canada pour être considéré comme un tiers enregistré aux fins des élections canadiennes?
M. Côté : Je suis désolé, madame la sénatrice. Je n’ai pas entendu le début de votre question.
La sénatrice Frum : Faut-il être établi au Canada pour être considéré comme un tiers enregistré à des fins électorales?
M. Côté : L’obligation de s’enregistrer entre en jeu lorsque vous avez accumulé 500 $ de dépenses. Une fois que ce seuil est atteint, vous avez le devoir de vous enregistrer.
La sénatrice Frum : Par exemple, si un organisme tiers était créé en Chine continentale dans le but d’exercer une influence sur les électeurs canadiens admissibles se trouvant en Chine, est-ce que cela serait légal?
M. Côté : À ma connaissance, un tiers étranger n’est pas autorisé à engager des dépenses. Il n’est donc pas tenu de s’enregistrer.
La sénatrice Frum : Il serait donc illégal que, en Chine, un tiers s’adresse à des électeurs canadiens se trouvant dans ce pays?
M. Côté : C’est ce que je pense.
La sénatrice Frum : D’accord. Disons qu’un groupe de Canadiens qui vivent à New York décide d’organiser au Madison Square Garden un ralliement sous la bannière « Non à Trans Mountain ». Disons qu’il organise cet événement avec des fonds américains dans le but de cibler des Canadiens qui vivent aux États-Unis. Est-ce que cette activité serait visée par les dispositions du projet de loi C-76 concernant l’influence étrangère indue?
M. Côté : Sénatrice Frum, avez-vous dit que l’événement serait organisé par des citoyens canadiens?
La sénatrice Frum : Oui, il serait organisé par des citoyens canadiens vivant aux États-Unis.
M. Côté : Je pense que ces citoyens canadiens auraient le droit d’organiser un tel événement.
La sénatrice Frum : Les citoyens canadiens qui vivent aux États-Unis ont le droit d’organiser un événement dans ce pays avec de l’argent américain?
M. Côté : Ils n’auraient pas le droit de faire cela avec des fonds étrangers.
La sénatrice Frum : S’il s’agit de Canadiens qui résident aux États-Unis, ils utilisent de l’argent américain. Ils vivent aux États-Unis. Je vais reformuler ma question. Est-ce à dire qu’ils devraient utiliser de l’argent canadien pour organiser une activité à New York pour les Canadiens?
M. Perrault : Il s’agirait alors des fonds personnels de ces Canadiens, qu’ils résident ici ou à l’étranger. Ils peuvent utiliser l’argent dont ils disposent. Le projet de loi C-76 interdit l’utilisation de fonds de l’étranger.
La sénatrice Frum : Prenons l’exemple d’un Canadien qui vit à New York depuis 50 ans. Son employeur, situé à New York, lui verse un salaire en argent américain. C’est un citoyen canadien qui possède des comptes bancaires américains.
M. Côté : Selon moi, étant donné que les sommes ont été gagnées par la personne de votre exemple, elles deviennent ses propres fonds. Ce que le projet de loi vise à faire, c’est d’empêcher les gens qui n’ont aucun lien avec le Canada d’utiliser leurs fonds pour organiser des activités de ce genre.
La sénatrice Frum : Je veux confirmer que j’ai bien compris. Dites-vous que ce ne serait pas considéré comme de l’influence étrangère? Des expatriés canadiens, qu’ils vivent aux États-Unis, en Chine ou en Russie, peuvent organiser des activités partisanes ou de tiers. Étant donné qu’ils sont des citoyens canadiens, il ne s’agit pas d’influence étrangère même s’ils résident à l’étranger. Est-ce bien le cas?
M. Perrault : Utilisent-ils leurs propres fonds?
La sénatrice Frum : Ils utilisent leurs propres fonds dans la devise du pays où ils résident.
M. Perrault : Oui, ce serait problématique s’ils avaient reçu de l’argent d’une entité étrangère pour organiser le genre d’activités que vous décrivez. Toutefois, s’il s’agit d’argent qu’ils ont gagné eux-mêmes, cet argent leur appartient et je ne crois pas que le projet de loi tente de les empêcher de s’en servir à cette fin.
La sénatrice Frum : Et s’ils ne sont pas un tiers enregistré et qu’ils dépensent leurs propres fonds à l’étranger et qu’ils dépassent le plafond des dépenses... Y a-t-il même un plafond des dépenses? Si une milliardaire canadienne expatriée veut organiser un rassemblement et le financer elle-même, peut-on dire que c’est de l’influence étrangère?
M. Perrault : Y a-t-il de l’influence étrangère?
La sénatrice Frum : Ce genre d’activité est-elle inscrite quelque part dans le projet de loi C-76? La situation que je viens décrire, où un Canadien commandite un événement pour des Canadiens dans un pays étranger en utilisant de l’argent qu’il a gagné lui-même, en devise étrangère, a-t-elle quoi que ce soit d’illégal? Est-ce illégal de faire cela?
(1640)
M. Perrault : Beaucoup de Canadiens gagnent de l’argent en faisant des investissements, notamment dans des fonds de retraite. Il peut être question de fonds étrangers dans ce cas-là, car l’actif des fonds de retraite est investi dans des actions cotées sur les marchés boursiers américains. Un Canadien qui vit au Canada qui se sert de ses revenus de retraite provenant d’actions cotées sur les marchés boursiers américains au Canada aurait le droit de se servir de son argent pour faire la promotion...
La sénatrice Frum : Cependant, une fois que l’on dépasse la limite de dépenses de 500 $, il faut s’enregistrer comme tiers.
M. Perrault : C’est exact.
La sénatrice Frum : Disons que je me trouve maintenant aux États-Unis et que je fais cela. Avez-vous le pouvoir de me surveiller ou de me sanctionner, étant donné que je dois désormais respecter les critères de déclaration si je dépense plus de 500 $ de mon argent à des fins électorales? Qu’est-ce qui vous donne le droit de surveiller mes activités et de garantir que je respecte la loi, puisqu’il semblerait que je ne contrevienne pas à la loi en militant dans un pays étranger?
M. Côté : Si vous êtes à l’étranger et que vous commettez une infraction, nous aurions le pouvoir de faire enquête et d’en arriver à certaines conclusions. Nous pourrions décider de procéder à certaines mesures d’application de la loi qui pourraient même entraîner des accusations. Toutefois, dans la mesure où la personne visée se trouve à l’étranger, il pourrait s’avérer difficile de l’obliger à se présenter devant un tribunal canadien, auquel cas il devient à toutes fins utiles vraiment difficile de faire appliquer la loi.
La sénatrice Frum : Là où je veux en venir, et je terminerai là-dessus…
La présidente : Excusez-moi, honorable sénatrice, mais votre temps de parole est écoulé.
La sénatrice Omidvar : Merci à tous les deux de votre présence. Je ne sais trop à qui poser la question. Je vous la pose donc à tous les deux en vous laissant décider qui répond.
Mes questions sont du même ordre que celles qu’a posées la sénatrice Frum sur le vote des expatriés. Pouvez-vous nous dire sur quel critère d’attachement au Canada on se fondera pour déterminer l’admissibilité, au-delà du simple fait d’avoir un passeport canadien et une preuve du lieu de résidence précédent? Par exemple, la Suède et l’Autriche se servent d’une déclaration officielle renouvelable qui leur permet de tenir à jour leur registre international des électeurs. Pouvez-vous nous parler de votre projet de Registre international des électeurs? J’en viendrai ensuite à mes autres questions.
M. Perrault : Le Registre international des électeurs existe déjà depuis des décennies aux termes de la Loi électorale du Canada. L’inscription à ce registre repose cependant sur un certain nombre d’exigences. Selon la loi actuelle, les électeurs qui habitent à l’étranger — c’est-à-dire les citoyens canadiens qui résident à l’étranger — doivent avoir résidé au Canada à un moment donné, être à l’étranger pendant une période ne dépassant pas cinq ans et avoir l’intention de revenir au Canada.
Le projet de loi C-76 éliminerait deux de ces exigences. En gros, il permettrait aux gens qui ont résidé au Canada et sont des citoyens canadiens, mais habitent à l’étranger, d’être inscrits ou de rester inscrits au registre international. Nous exigerions des preuves d’identité, dont une preuve de citoyenneté sous la forme d’un passeport, qui peut être renouvelé, d’un certificat de naissance ou d’une carte de citoyenneté.
La sénatrice Omidvar : Il y a donc des documents à produire.
M. Perrault : Il y a des documents à produire.
La sénatrice Omidvar : Les gens devraient remplir...
M. Perrault : Pour pouvoir s’inscrire au registre, oui. Une fois qu’ils y seraient inscrits, nous mettrions leurs coordonnées à jour simplement pour nous assurer de pouvoir communiquer avec eux si nous devons leur envoyer une trousse pour des élections. La durée de l’inscription au registre international ne serait pas limitée.
La sénatrice Omidvar : Quelle incidence cela aurait-il sur les Canadiens de première génération qui vivent à l’étranger?
M. Perrault : Je dois dire que ce n’est pas une recommandation d’Élections Canada. Cette question est actuellement devant la Cour suprême du Canada, où la règle actuelle est contestée. Selon la proposition, les Canadiens devraient avoir déjà résidé au Canada à un moment donné dans leur vie. Les Canadiens nés à l’étranger qui n’ont jamais résidé au Canada au cours de leur vie n’auraient pas le droit de s’inscrire au Registre international des électeurs.
La sénatrice Omidvar : Que veut dire au juste « résider au Canada »? Y a-t-il une période? On peut venir pendant un congé. Faites-vous une distinction?
M. Perrault : Nous comprenons qu’il s’agit d’une résidence habituelle. Faire un séjour ou passer par l’aéroport international Pearson à Toronto ne compte pas. Il s’agit d’avoir le Canada pour domicile pendant un certain temps. Il n’est pas nécessaire que ce soit une longue période, mais le Canada doit être le lieu de résidence.
[Français]
Le sénateur Dawson : Merci de vos réponses. Ce sont des réponses à des questions qui m’ont été posées la semaine dernière et auxquelles je n’avais pas de réponse, donc je vous remercie de votre présence. Je pense qu’il est important, à titre de représentants des organisations, que vous soyez ici afin de répondre aux questions, parce que le temps presse. Il est très important qu’on puisse raccourcir la période qui s’écoule entre le dépôt du projet de loi et son adoption, car son contenu doit pouvoir être mis en œuvre dans le cadre de la prochaine élection. Cela me semble assez urgent.
Il y a quelques sujets qui ont été soulevés la semaine dernière, mais qui n’ont pas été évoqués dans votre discours aujourd’hui.
[Traduction]
Que faisons-nous pour qu’il soit plus facile de voter pour les Canadiens handicapés et les Canadiens de communautés autochtones qui n’ont pas une adresse conventionnelle? Qu’en est-il de l’identification des électeurs par des tiers?
Enfin, comme je veux laisser le temps à d’autres sénateurs de poser des questions, de combien de fraudes avez-vous entendu parler par le passé? Combien de fois les personnes en cause auraient-elles perpétré une fraude et combien de plaintes avez-vous reçues lors des quelques dernières élections?
M. Perrault : Au chapitre de l’usurpation d’identité d’électeurs, car je suppose que c’est ce dont vous voulez parler, les cas sont très rares. À la dernière élection, il y a eu un cas où une personne a prétendu être quelqu’un d’autre. Ces cas sont confiés au commissaire. Je ne connais pas les statistiques globales. Le commissaire est peut-être mieux placé que moi pour en parler. Nous ne sommes au courant d’aucune activité organisée au chapitre de la fraude électorale, du double vote ou de l’usurpation d’identité. Il y a des cas de double vote, mais ils sont traités par le commissaire.
Vous avez soulevé la question de l’accessibilité. Le projet de loi C-76 comprend un assez grand éventail de mesures pour aider les électeurs qui ont un handicap. Permettez-moi d’en mentionner quelques-unes.
Le projet de loi prévoit, pour Élections Canada, l’obligation de créer des outils technologiques pour aider les électeurs handicapés à voter de manière indépendante. Bien sûr, avant que ces outils ne soient utilisés dans un scrutin, ils devront être autorisés par les comités de la Chambre des communes et du Sénat.
Les règles sur l’accès de plain-pied actuellement dans la loi seront remplacées par des règles qui feront en sorte que tous les bureaux de scrutin seront accessibles, ce qui est une obligation d’une portée beaucoup plus grande.
Le projet de loi contient des mesures visant à permettre aux électeurs et aux candidats handicapés d’utiliser leurs fonds personnels ou des fonds de leur campagne afin d’obtenir de l’aide lors des élections. Il ne s’agit là que des premiers exemples qui me viennent à l’esprit, mais il y a une foule d’autres mesures. À bien des égards, le projet de loi tente de rendre la participation électorale accessible à tous.
Vous avez également mentionné le problème des électeurs autochtones qui n’ont pas nécessairement d’adresse résidentielle traditionnelle. C’est effectivement un problème. À l’heure actuelle, il est difficile pour ces gens de prouver leur adresse, parce qu’ils ne possèdent pas de preuves documentaires. Nous comptons principalement sur des répondants ou des lettres d’attestation signées par des chefs de bande pour leur permettre de prouver leur adresse. À mon avis, c’est un problème, parce que cela ne permet pas à ces personnes de voter de façon indépendante. Or, l’autonomie est un aspect fort important du vote. L’acte de voter représente une expression d’égalité et d’autonomie. Si un électeur doit compter sur quelqu’un d’autre pour attester de sa capacité à voter, cela le prive de la dignité de voter indépendamment.
Le projet de loi autoriserait ces électeurs à se servir de la carte d’information de l’électeur ainsi que d’une autre pièce d’identité — une carte d’assurance-maladie ou un autre document — pour prouver leur identité et leur adresse. Cela les aiderait non seulement à voter, mais aussi à voter de façon indépendante.
[Français]
Le sénateur Dawson : Si je comprends bien, monsieur Côté, ce projet de loi vous donne des pouvoirs dans les cas de poursuite. Qu’il s’agisse de fraude à l’étranger ou au Canada, vous avez des pouvoirs pour intenter des poursuites plus rapidement et avec plus d’efficacité que par le passé. Est-ce l’objectif de vos nouveaux pouvoirs?
M. Côté : Je vous mentionnerai, sénateur, peut-être deux ou trois choses à ce sujet. Les outils d’enquête que nous conférerait le projet de loi C-76, s’il est adopté dans sa forme actuelle, nous permettraient, dans certains cas plus difficiles, d’obtenir une ordonnance d’un tribunal pour forcer quelqu’un à témoigner qui, autrement, pourrait être hésitant ou pourrait refuser de témoigner. Cela nous permettra alors, pour les enquêtes un peu plus difficiles, d’agir plus rapidement.
(1650)
Il y a un deuxième point important que j’ai aussi mentionné lors de mes remarques introductives : le projet de loi C-76 prévoit que, dorénavant, le commissaire aura lui-même le pouvoir de déposer des accusations, au lieu de devoir soumettre sa proposition à la directrice des poursuites pénales qui, elle, décide ensuite si des accusations devront être déposées ou non.
Cela dit, il est important de garder ce qui suit à l’esprit. Lorsqu’on parle de poursuites pouvant être intentées à l’encontre de personnes domiciliées ou résidant à l’extérieur du pays, il s’agit toujours de quelque chose d’extrêmement complexe. D’une part, il peut être difficile de recueillir des éléments de preuve lorsque, par exemple, ces gens se retrouvent à Saint-Pétersbourg ou ailleurs et, d’autre part, lorsque quelqu’un est un citoyen d’un autre pays et qu’il ne vient pas au Canada. Il faut comprendre que la possibilité d’intenter des poursuites et de traduire cette personne devant les tribunaux canadiens devient extrêmement limitée.
Le sénateur Dawson : Merci.
Le sénateur Carignan : J’aimerais vous poser des questions qui font suite à celles de mes collègues en ce qui concerne les électeurs étrangers. D’abord, je comprends qu’un Canadien qui réside à l’étranger et qui a déjà résidé au Canada peut être un électeur et demander d’être inscrit à la liste électorale afin d’exercer un droit de vote.
Savez-vous combien de Canadiens à l’extérieur du Canada vivent dans d’autres pays?
M. Perrault : Nous estimons — mais il s’agit d’une estimation très incertaine — qu’il y aurait un nombre d’environ 1 à 2 millions d’électeurs, mais ce n’est pas une estimation très précise. Je ne tablerais pas là-dessus.
Le sénateur Carignan : Nous adoptons donc une loi qui donnera droit à des électeurs étrangers de voter, des électeurs qui n’habitent pas le Canada et qui sont peut-être au nombre de 2 millions de personnes. Je vous rappelle que les quatre provinces maritimes mises ensemble comptent peut-être 1,3 million de personnes.
Ce projet de loi permettrait donc à 2 millions de personnes à l’extérieur du pays d’exercer un droit de vote. Cependant, comme le directeur général des élections vient de le dire, s’ils font des contributions illégales ou s’ils se réunissent, nous n’aurons pas les moyens de contrôler cela, et il sera assez difficile de faire enquête pour vérifier si ces dons proviennent de leurs fonds propres et si ce sont des électeurs en règle. C’est ce que vous nous dites, et on parle d’environ 2 millions de personnes; c’est bien cela?
M. Perrault : Permettez-moi de faire une distinction en ce qui a trait aux règles sur les contributions. Des contributions peuvent être faites en ce moment par les Canadiens, sans égard à l’endroit où ils vivent, ainsi que par les personnes qui ont un statut de résident permanent. Le projet de loi C-76 ne modifie pas ce critère. La question des contributions faites par des Canadiens vivant à l’étranger n’est pas touchée par ce projet de loi. Ce n’est d’ailleurs pas un enjeu que l’on connaît actuellement.
Quant au vote, cependant, seuls les électeurs qui vivent à l’étranger depuis moins de cinq ans peuvent voter, selon la loi actuelle. Lors de la dernière élection, cela s’est traduit par un nombre de 11 000 électeurs, mais nous croyons dans les faits que cela pourrait augmenter à un nombre de 30 000 électeurs au cours de la prochaine élection.
Aux États-Unis, nous savons que le taux de participation des électeurs qui sont des citoyens américains qui résident à l’étranger est de 0,04 p. 100, non pas de l’électorat, mais de ceux qui votent. Ce sont des données que l’on connaît. Pour le reste, il faudra voir dans les faits ce que cela signifie au Canada.
Le sénateur Carignan : Vous parlez de personnes qui résident au Canada ou qui ont résidé au Canada. Vous avez répondu à la question de la sénatrice Omidvar en disant que ces personnes devaient avoir résidé au Canada auparavant. Combien de temps doivent-elles avoir habité au Canada? J’ai une cousine aux États-Unis qui est née au Canada; ses parents ont demeuré ici pendant un mois et ont par la suite quitté le Canada. Elle est citoyenne canadienne et elle a un passeport canadien, mais elle a habité au Canada pendant un mois seulement; a-t-elle le droit de voter?
M. Perrault : En vertu de la loi actuelle, une personne citoyenne canadienne qui a résidé au Canada peut voter, sans égard à la durée de cette période de résidence, si elle réside à l’étranger depuis moins de cinq ans.
La question de la durée de la résidence au Canada n’est pas une question qui est abordée par le projet de loi. En ce moment, dans la Loi électorale, il n’y a pas d’exigence en ce qui a trait à la durée minimale, et on n’en ajoutera pas non plus dans le cadre du projet de loi C-76.
Le sénateur Carignan : Comment allez-vous vérifier les dires d’une personne qui déclare avoir habité au Canada pendant un mois? Comment allez-vous vérifier cela?
M. Perrault : Il s’agit d’une déclaration de l’électeur. Comme je l’ai indiqué, il y a des infractions prévues à la loi pour ceux qui demanderaient un bulletin de vote alors qu’ils n’y ont pas droit. Si des plaintes sont déposées, il pourra y avoir enquête. Je ne dis pas que c’est facile, mais je pense que nous ne voyons pas, au Canada, d’enjeux systémiques d’usurpation d’identité et de double vote de la part de gens qui cherchent à voter et qui n’y ont pas droit. Nous expérimentons des enjeux d’accessibilité qui sont bien documentés et, historiquement, il y a eu des enjeux de suppression du vote; il s’agit là d’enjeux qui sont préoccupants.
Bien entendu, nous devons nous assurer que seuls les électeurs puissent voter, mais le régime, tel qu’il existe maintenant et tel qu’il est proposé par le projet de loi C-76, ne prévoit pas d’exigence quant à la durée préalable.
Le sénateur Carignan : Comment allez-vous déterminer la circonscription dans laquelle cette personne doit voter si elle se souvient d’avoir habité au Canada, que ses parents lui ont dit qu’elle est née au Canada, qu’elle y a habité pendant un mois, mais qu’elle ne se souvient pas du nom de la rue ou de la ville?
M. Perrault : Dans ce cas, elle ne pourra pas s’inscrire pour voter.
Le sénateur Carignan : Elle doit donc se souvenir du nom de la rue.
M. Perrault : Elle doit pouvoir donner une adresse au Canada où elle atteste avoir résidé au cours de sa vie.
Le sénateur Carignan : Si elle n’a pas l’adresse précise où elle a habité pendant un mois, elle ne pourra pas voter.
M. Perrault : Elle devra effectivement nous donner une adresse.
Le sénateur Carignan : D’accord. Comment allez-vous faire la mise à jour du registre dans le cas des personnes qui sont décédées? Pour un électeur au Canada qui décède, la liste sera mise à jour assez facilement, mais comment allez-vous vous assurer que les électeurs qui vivent à l’étranger, lorsqu’ils décèdent, seront rayés de la liste?
M. Perrault : Les électeurs à l’étranger nous donnent une adresse postale où ils résident et où ils reçoivent leur courrier. Cela nous permet de communiquer avec eux pour leur envoyer le bulletin de vote spécial. Nous réécrivons à ces gens, de façon périodique, pour leur demander de confirmer qu’ils habitent toujours à l’adresse qu’ils ont fournie. S’ils ne peuvent le confirmer, nous les retirerons du registre. Effectivement, les gens déménagent et les gens meurent, mais si nous n’avons pas d’indication de la personne prouvant qu’elle continue de résider à l’adresse qui se trouve dans nos dossiers, nous devons la retirer du registre.
Le sénateur Carignan : Est-ce le DGE qui envoie des lettres périodiques? À quel rythme?
M. Perrault : On ne l’a pas encore établi exactement, mais, pour chacun des cycles électoraux, il y aura un envoi de lettres au minimum pour toutes les personnes qui auront été inscrites auparavant au registre des électeurs à l’étranger.
Le sénateur Carignan : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Lankin : Merci d’être avec nous aujourd’hui.
J’ai trois questions distinctes, soit deux qui concernent les manœuvres destinées à empêcher des électeurs de voter et les activités malveillantes visant à influer sur le résultat des élections, et l’autre, sur l’éducation de la population au sujet des élections, de l’accessibilité et de différentes autres choses.
Je dois admettre que je n’ai pas encore épluché tout le projet de loi et que je n’ai pas encore complètement fait la comparaison avec l’ancien projet de loi. Je n’ai pas l’ancien projet de loi devant moi, seulement le nouveau.
Monsieur Côté, vous avez fait référence à l’article 61, qui modifie les articles 91 et 92. Ces modifications portent sur la publication de fausses déclarations pour influencer le résultat d’une élection. Je n’ai pas entendu l’exemple que vous avez donné pendant votre présentation au sujet de ce qui se trouve actuellement dans la loi et qui serait remplacé par le nouveau libellé. Pourriez-vous le répéter, s’il vous plaît?
M. Côté : Je vais essayer, sénatrice, de préciser ce que j’ai dit. Actuellement, l’article 91 interdit de faire de fausses déclarations concernant la réputation ou la conduite personnelle d’un candidat. Le nouvel article 91 interdit la publication de fausses déclarations sur un nombre très limité de sujets, à savoir la citoyenneté, le lieu de naissance, les études, les qualifications professionnelles ou l’appartenance à un groupe ou à une association. Ce sont les cinq ou six types de fausses déclarations qui seront désormais interdites si l’article 91 est adopté dans sa forme actuelle.
(1700)
De plus, le nouvel article 91 interdira la publication de fausses déclarations alléguant qu’une personne a commis une infraction, a été déclarée coupable d’une infraction ou a fait l’objet d’une enquête relativement à la perpétration d’une infraction.
En gros, il s’agit des deux catégories d’infractions ou de fausses déclarations qui seront désormais couvertes. Ce que j’ai tenté de dire dans mes observations préliminaires, c’est que ces dispositions omettent certaines déclarations très blessantes et nuisibles que l’on pourrait faire à l’endroit d’une autre personne — par exemple, le fait qu’elles sont racistes, homophobes, et cetera —, mais, étant donné qu’elles ne font pas partie des six catégories que j’ai mentionnées et qu’elles ne constituent pas une infraction, dorénavant, les déclarations de ce genre ne seront ni réglementées ni interdites au titre du nouvel article 91. Voilà ce que je tentais de dire.
La sénatrice Lankin : C’est le danger des listes, étant donné qu’elles sont considérées comme des énoncés exclusifs plutôt qu’inclusifs.
Savez-vous pourquoi on a retiré la disposition sur le caractère ou la conduite? Cette disposition pourrait, par exemple, constituer l’alinéa c) de l’article 91. Elle serait ainsi réintégrée à la loi.
M. Côté : Je crois que certains ont souligné que le libellé de l’article 91, qui, encore une fois, vise les fausses déclarations au sujet du caractère ou du comportement d’une personne, est extrêmement vaste. Je peux vous dire que, pendant la dernière campagne électorale, nous avons reçu des plaintes de personnes qui jugeaient que certaines déclarations négatives allaient à l’encontre de l’article 91. Nous n’étions pas du même avis, car, selon l’interprétation des tribunaux, l’article 91 doit s’appliquer à des déclarations très graves qui peuvent ternir la réputation d’une personne de façon considérable, et non à des propos exagérés qui, même s’ils sont faux, ne sont pas vraiment nuisibles, en quelque sorte.
La sénatrice Lankin : Seriez-vous favorable à ce que le Sénat tente de revoir ce concept en examinant le libellé ou la jurisprudence qui s’y rattache?
M. Côté : Selon nous, ce serait probablement utile, mais j’insiste sur ce que M. Perrault et moi avons souligné plus tôt aujourd’hui. À notre avis, il est primordial d’adopter ce projet de loi dans les meilleurs délais. La question que vous soulevez pourrait être réglée, par exemple, lorsque nous recommanderons éventuellement des modifications à la loi.
La sénatrice Lankin : Lors d’élections précédentes, nous avons observé un nouveau phénomène que j’appellerais une hausse des activités de suppression des votes. Je comprends qu’il existe déjà des infractions. Toutefois, la mesure législative contient-elle des dispositions permettant d’améliorer l’accessibilité du vote — qui peut être grandement améliorée? Je suis d’accord avec cela. Y a-t-il quelque chose qui accroît la capacité de mettre un terme aux activités de suppression des votes, de poursuivre ceux qui s’y adonnent, bref, de faire quelque chose?
M. Côté : Le principal point que je ferai valoir est que les pouvoirs d’enquête sont désormais considérablement élargis, selon nous. J’ai parlé plus tôt du pouvoir de contraindre un témoin à répondre à nos questions. Il nous permet d’aller voir un juge pour lui dire qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise et que le témoin possède de l’information qu’il refuse de nous fournir. En sachant cela, le juge pourrait décider d’émettre une ordonnance pour forcer la personne à nous parler.
Honorables sénateurs, je pourrais ajouter ceci comme point très important selon nous. Vous vous souviendrez probablement de l’affaire des appels automatisés en 2011. Il y a environ quatre ou cinq ans, nous avons produit un rapport au sujet de l’enquête approfondie que nous avons menée sur cette affaire. Le rapport dit clairement qu’il existait, selon nous, un certain nombre de personnes qui savaient certaines choses, mais qui refusaient simplement de nous parler. En fait, le juge qui a jugé et trouvé l’accusé coupable a dit qu’il y avait manifestement au moins une autre personne impliquée. Ce pouvoir de contraindre un témoin à nous parler serait certainement d’une grande aide si une autre affaire de ce genre se produisait dans le cadre d’élections futures.
La sénatrice Lankin : Ce qui pourrait être ma dernière question s’adresse à M. Perrault, mais ce sera à vous de décider. J’aimerais parler des campagnes d’information destinées aux électeurs et au rôle d’Élections Canada. Avez-vous un rôle à jouer? Cette question a beaucoup fait débat ces dernières années. Le projet de loi permettra-t-il de mieux définir ce que peut faire Élections Canada pour informer les citoyens des droits que leur garantit la loi?
M. Perrault : Je vous remercie. Selon moi, le rôle premier d’Élections Canada, le plus important de tous, consiste à transmettre aux électeurs les renseignements qu’ils doivent savoir sur le processus : où voter, quand le faire, comment s’inscrire sur la liste électorale et comment voter. Cela demeure le meilleur moyen de lutter contre l’entrave à l’exercice du droit de vote. Élections Canada doit être perçu comme une source fiable d’information sur le processus électoral. Il s’agit de notre priorité numéro un.
Au fil des ans, nous avons aussi contribué à conscientiser les jeunes quant à l’importance de la démocratie électorale, et cet élément fait toujours partie de notre mandat.
En 2014, la loi a été réécrite de telle sorte qu’il nous est désormais interdit de faire des campagnes d’information, sauf si c’est pour communiquer des données factuelles aux électeurs d’âge adulte. Nous devons nous en tenir à ceux qui sont sur le point de voter. Ce n’est pas la fin du monde, mais cela donne quand même lieu à des situations étranges, où nous devons bien peser nos mots quand nous nous adressons aux gens, par exemple à une classe composée de jeunes de 17 ou 18 ans, car nous ne devons pas tomber dans la promotion du processus électoral. Selon moi, ce n’est pas sain comme façon d’envisager le rôle d’Élections Canada. Je crois donc qu’on cherche simplement à supprimer les contraintes qui nous ont été imposées dans le projet de loi précédent.
Notre priorité, particulièrement pendant une campagne électorale, a toujours été les données factuelles et le processus électoral.
La sénatrice Lankin : Le projet de loi n’y changera rien.
M. Perrault : Cela lève la restriction, mais les répercussions sont plus symboliques que concrètes dans bien des cas.
La sénatrice Lankin : Merci beaucoup.
La sénatrice Batters : Monsieur Perreault, le fait que le projet de loi ramène la carte d’information de l’électeur comme pièce d’identité acceptable est très problématique. Ces cartes d’information présentent un taux d’erreur inadmissible, comme l’a reconnu le directeur général des élections avant les dernières élections.
Avant la tenue des dernières élections, le Comité sénatorial des affaires juridiques a étudié en détail la Loi sur l’intégrité des élections. À une séance de ce comité, j’ai posé des questions à Marc Mayrand, qui était alors directeur général des élections, au sujet des cartes d’information de l’électeur. J’ai dit ceci :
[...] vous avez également mentionné à ce comité...
— je parle du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles —
...que ces cartes contenaient environ 10 p. 100 d’erreurs. J’en ai personnellement fait l’expérience. Il y a quelques années, après que mon mari et moi ayons déménagé dans notre maison actuelle, nous avons reçu cinq cartes d’information de l’électeur différentes par la poste. Je crois qu’il y en avait une pour lui, une pour moi, une pour moi sous mon nom de jeune fille, et une pour chacun des propriétaires précédents de la maison qui n’y vivaient plus depuis des années. Voilà un exemple.
J’ai ensuite poursuivi ainsi :
Je vous demande une simple confirmation. Vous avez témoigné devant le comité PROC qu’il y avait 23 millions d’électeurs au Canada. Un taux d’erreur pouvant aller jusqu’à 10 p. 100 représenterait 2,3 millions d’erreurs dans les cartes d’information de l’électeur.
M. Mayrand a répondu ceci :
Je crois avoir déclaré que, après avoir procédé à des révisions et à une révision ciblée, le taux d’exactitude était passé à 93 p. 100; vous avez raison, cela représente encore 7 p. 100.
Et j’ai dit ceci :
Sur des millions de personnes, oui.
M. Mayrand a dit après d’importantes révisions qu’avoir un taux d’erreur de 7 p. 100 dans ce qui était à l’époque un bassin de 23 millions d’électeurs voulait dire que 1,6 million de personnes recevraient des cartes d’information de l’électeur erronées. Étant donné l’important taux d’erreur, comment peut-on croire que la carte d’information de l’électeur est une pièce d’identité légitime?
M. Perrault : Il y a plusieurs choses à commenter dans ce que vous dites. Nous tentions d’améliorer l’exactitude des renseignements qui se trouvent sur les cartes d’information de l’électeur. Nous n’avons pas de données comparables concernant le niveau d’exactitude d’autres documents. Toutefois, on peut supposer que l’adresse des personnes qui ont déménagé et qui n’ont pas rapporté leur changement d’adresse en temps opportun sera également erronée dans d’autres documents. Autrement dit, le problème ne se limite pas aux cartes d’information de l’électeur.
(1710)
Je souligne également que, aux termes du projet de loi, aucun électeur ne serait autorisé à voter en utilisant uniquement sa carte d’information de l’électeur. Les électeurs seraient tenus de présenter une autre pièce d’identité pour prouver leur identité. Voilà le deuxième point, et il ne faut pas l’oublier. Le projet de loi ne permettra pas aux électeurs d’utiliser uniquement leur carte d’information de l’électeur.
Le troisième point, c’est que les provinces n’exigent pas toutes une preuve d’adresse. L’Ontario et le Québec ne l’exigent pas. Les principales provinces du pays n’exigent donc pas que les électeurs prouvent leur adresse au bureau de scrutin. Toutes les provinces qui exigent une preuve d’adresse autorisent les électeurs à utiliser leur carte d’information de l’électeur ainsi qu’une autre pièce d’identité. Les territoires ne suivent pas cette règle, car ils ont tendance à harmoniser leurs procédures avec celles du gouvernement fédéral. Toutefois, toutes les provinces permettent cette pratique. Je parle régulièrement à mes collègues provinciaux, et nous n’avons jamais eu vent d’un cas d’usurpation d’identité attribuable à cette pratique, qui a cours depuis de nombreuses années.
Statistique Canada nous a appris que, lors de la dernière élection générale, 172 000 personnes ont eu du mal à prouver leur adresse afin de pouvoir voter. Il s’agit donc d’une solution à un problème bien connu et bien documenté.
La sénatrice Batters : Monsieur Perrault, vous avez été directeur général des élections par intérim pendant environ 18 mois, de décembre 2016 jusqu’au printemps dernier. Vous avez postulé sans tarder au poste permanent, mais il semble qu’un autre candidat ait été choisi au début d’avril 2018. À la réunion du 22 mai du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre, le député Blake Richards vous a posé la question suivante :
Vous a-t-on alors dit, à un moment donné, qu’on avait choisi un autre candidat pour ce poste?
Vous aviez répondu que le Bureau du Conseil privé vous en avait informé — qu’on vous avait avisé un mois plus tard que vous aviez obtenu le poste.
Parallèlement, alors que vous étiez toujours directeur général des élections par intérim, vous avez déclaré, le 24 avril 2018, au Comité de la procédure et des affaires de la Chambre au sujet du calendrier du projet de loi C-76 :
Lors de ma dernière comparution en février, j’ai indiqué que la fenêtre d’opportunité pour mettre en œuvre des changements majeurs à temps pour les prochaines élections générales rétrécissait rapidement. Ce message n’avait rien de nouveau : M. Mayrand et moi-même avions déjà indiqué que les changements législatifs devaient être adoptés avant avril 2018.
Évidemment, cela n’est pas arrivé. Le projet de loi est encore ici aujourd’hui.
Vous avez ensuite été nommé directeur général des élections de manière permanente. À la réunion du 22 mai 2018 du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre, vous avez confirmé votre nomination en ces termes :
[…] contrairement à la pratique courante, nous entamerons les préparatifs en vue de la mise en œuvre, en prévision de son adoption, et nous nous adapterons au besoin […]
Je ne sais pas si vous êtes au courant, monsieur Perrault, mais c’est grâce aux travaux du Comité des affaires juridiques du Sénat que des modifications substantielles ont été apportées au projet de loi C-23, Loi sur l’intégrité des élections. Pensez-vous, à ce sujet, qu’il est opportun de mettre en œuvre un projet de loi qui n’en est qu’au début du processus parlementaire, avant même qu’il ait été convenablement débattu et étudié?
M. Perrault : Je tâcherai de l’expliquer aussi clairement que possible.
Mon rôle ne consiste pas à dire aux parlementaires de ne pas changer ou de ne pas adopter un projet de loi, ni de l’adopter aujourd’hui plutôt que demain. Il consiste à faciliter et à soutenir le processus parlementaire.
En même temps, j’ai la responsabilité de veiller à ce que les élections se déroulent de façon responsable, harmonieuse et fiable. J’ai informé le Parlement de ce que cela implique en ce qui a trait aux contraintes. Je pense surtout aux tests du système informatique, mais aussi aux changements aux manuels pour les préposés au scrutin et à l’information pour les partis politiques.
C’est également ce que j’ai essayé de faire aujourd’hui.
Comme je l’ai dit, nous ne mettons pas en œuvre le projet de loi C-76 en ce moment même. Nous effectuons les tâches préparatoires afin d’être prêts à le mettre en œuvre s’il devient loi. Si le Sénat décide de le modifier, bien sûr, nous effectuerons tous les changements qui s’imposent. Ce que j’ai dit, par contre, c’est que, lorsque vous songez à le modifier, gardez à l’esprit les échéanciers que j’ai présentés.
Pour faire en sorte que les élections se déroulent bien, nous devons apporter tous les changements nécessaires au système informatique avant janvier pour avoir suffisamment de temps pour effectuer les tests, mener des simulations et y apporter des corrections. En fonction de ces renseignements factuels, il revient à cette assemblée et au Parlement de décider s’il faut adopter la loi, et dans quelle forme.
La sénatrice Batters : Oui. Bien entendu, nous n’avons reçu le projet de loi que récemment. Nous l’avons depuis à peine quelques semaines.
Monsieur Perrault, avant votre nomination permanente au poste de directeur général des élections, un représentant du gouvernement du Canada ou du Conseil privé vous a-t-il demandé comment vous mettriez en œuvre les changements majeurs qui sont prévus dans le projet de loi ou a-t-il discuté avec vous de ce sujet? Dans l’affirmative, quand avez-vous décidé de commencer la mise en œuvre des changements aussi tôt? Si vous aviez déjà décidé de commencer la mise en œuvre à l’avance, pourquoi n’en avez-vous pas parlé à la réunion du 24 avril du Comité de la procédure, où le sujet a été discuté?
M. Perrault : Madame la présidente, sauf erreur, j’ai comparu devant un comité parlementaire environ 10 jours avant de recevoir un appel du Bureau du Conseil privé concernant ma nomination potentielle — c’est la Chambre qui nomme le directeur général des élections. J’ai dit très clairement et très fermement à quel point il était urgent d’adopter le projet de loi. J’ai donc indiqué très clairement avant ma nomination qu’il fallait adopter le projet de loi le plus tôt possible.
J’ai ensuite dit que, si on décidait d’adopter un projet de loi et que celui-ci n’était pas adopté au printemps, je serais obligé de prendre des dispositions pour préparer sa mise en œuvre, pas pour le mettre en œuvre. J’ai fait preuve d’énormément de transparence à cet égard devant un comité parlementaire. Soyons clairs, je n’ai jamais discuté de ce sujet avec un représentant du gouvernement avant ma nomination ou pendant le processus de nomination.
La sénatrice Batters : Merci.
Le sénateur Woo : J’ai deux questions. La première vise à obtenir des précisions de la part de M. Perrault. Je reviens sur quelque chose que vous avez dit. Je crois que c’était en répondant à la question de la sénatrice Omidvar sur le droit de vote des Canadiens vivant à l’étranger et la limite de cinq ans en vertu de la Loi électorale actuelle.
Vous avez mentionné que ce changement ne s’appuyait pas sur une recommandation d’Élections Canada. Je me demande si vous pourriez donner des précisions à ce sujet. Vouliez-vous dire que l’idée ne venait pas de vous ou que vous aviez recommandé autre chose?
M. Perrault : Par le passé, je crois que c’était en 2005, M. Kingsley a recommandé de reconsidérer la règle des cinq ans à la lumière de la Charte. C’était la dernière fois où Élections Canada s’est prononcé à ce sujet.
Entre-temps, un cas a été soumis aux tribunaux, l’affaire Frank, et les procédures ne sont pas terminées. Dans ce contexte, je m’abstiendrai de commenter le bien-fondé de cette recommandation.
En fait, c’est le gouvernement qui a pris l’initiative de retirer la règle des cinq ans. Nous estimons que le nombre d’électeurs à l’étranger augmentera de 11 000 à quelque 30 000 personnes. Il ne faut toutefois pas oublier qu’il s’agit de prévisions en ce moment; ce n’est pas une science exacte. Nous sommes d’avis que nous serons en mesure de mettre en œuvre le projet de loi s’il est adopté.
Le sénateur Woo : Si je comprends bien vos précisions, la dernière fois qu’Élections Canada s’est prononcé sur la limite de temps, il a jugé qu’elle n’était pas nécessaire.
M. Perrault : C’est ce qu’avait dit M. Kingsley en 2005, oui.
Le sénateur Woo : Merci beaucoup.
Ma deuxième question porte sur les organes d’information appartenant à des étrangers, en partie ou en totalité, qui se sont prononcés sur les élections canadiennes. Cela comprend ceux qui publient de l’information au Canada et ceux qui publient de l’information à l’extérieur du pays, mais qui appartiennent en partie, en grande partie peut-être, à des entités étrangères.
Soyons clairs, on parle de médias facilement disponibles au Canada, auxquels les Canadiens ont accès, et qui appartiennent en partie, en grande partie peut-être, à des intérêts étrangers. De quelle façon le projet de loi C-76 en tient-il compte?
M. Perrault : C’est une question intéressante et une bonne question. Je ne pense pas qu’il y ait une réponse claire, en ce sens que les dispositions du projet de loi empêchent les étrangers d’engager des dépenses pour payer de la publicité partisane ou des activités partisanes visant à promouvoir directement un candidat. Parallèlement à cela, notre mesure législative a toujours indiqué explicitement, dans le contexte des règles sur la publicité, qu’un éditorial ou un texte d’opinion d’un journaliste n’est pas visé par les interdictions de la loi concernant la publicité.
Dans la mesure où il s’agit de contenu journalistique et de liberté d’expression, je pense que les interdictions ne devraient pas s’appliquer non plus aux médias qui sont à propriété étrangère, mais c’est une question que nous devons examiner.
Le sénateur Woo : Oui, mais il y a tout de même une distinction entre le cas où une lettre d’opinion est publiée par un organe d’information à propriété entièrement canadienne et le cas où la propriété est partiellement ou substantiellement étrangère.
M. Perrault : Oui. Comme je l’ai dit, je crois que le projet de loi n’est pas catégorique sur ce point.
Le sénateur Woo : D’accord. Merci beaucoup.
(1720)
Le sénateur Mercer : J’aimerais remercier le directeur général des élections, le commissaire aux élections fédérales et les représentants de leurs bureaux de leur présence. Dans ma carrière précédente, j’ai eu le privilège de travailler en collaboration étroite avec Jean-Pierre Kingsley, ancien directeur général des élections, et j’ai siégé au comité des partis politiques qui le conseillait. Ce fut un plaisir de travailler avec lui. Nous avions une bonne coopération et de bons échanges d’idées.
Aujourd’hui, j’ai une question. Le projet de loi C-76 oblige les partis politiques à se doter d’une politique en matière de protection de la vie privée et des renseignements personnels. Lors du débat au Sénat sur le projet de loi C-50, dont j’étais le parrain, la collecte et la publication du nom des participants aux activités de financement ont suscité des préoccupations au chapitre de la protection de la vie privée. Maintenant, nous constatons que le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien, a des préoccupations au sujet du projet de loi C-76. Il a dit ceci :
Le projet de loi C-76, qui est la réponse du gouvernement fédéral face aux préoccupations du public concernant la façon dont les renseignements personnels sont utilisés dans le processus électoral, n’offre rien de concret sur le plan de la protection de la vie privée. Le temps est venu d’agir pour mieux protéger les droits des Canadiens.
D’autres ont souligné qu’il s’agissait d’un premier pas vers la mise en place d’une politique de protection de la vie privée concernant les renseignements personnels des électeurs et l’utilisation qu’en font les partis politiques. Pourriez-vous nous dire ce qui manque, selon vous, dans le projet de loi à ce sujet? D’après vous, quels sont les secteurs où le Canada prend du retard de manière inquiétante face aux normes internationales concernant la protection de la vie privée et particulièrement la protection des renseignements personnels des électeurs?
M. Perrault : Comme je l’ai affirmé dans mes observations préliminaires, je crois que la législation devrait contenir des normes minimales concernant les partis politiques. On peut débattre de la teneur de ces normes et de leur comparabilité à celles qui visent d’autres entités, mais il devrait y avoir des normes minimales. Ce n’est pas ce que propose le projet de loi C-76, et il devrait aussi prévoir des mécanismes de surveillance. Je le répète, le projet de loi comporte des lacunes à cet égard.
Ce que j’ai dit, c’est que les élections arrivent à grands pas. Il revient aux partis — en dépit des lacunes du projet de loi C-76 — de se doter des moyens d’adopter des politiques robustes en matière de protection de la vie privée. Nous pourrons voir, selon les agissements des partis et leur capacité à rassurer les Canadiens quant à la façon dont ils traitent leurs renseignements personnels, s’il est nécessaire d’en faire plus. Je crois que, à long terme, le Canada devra combler le retard avec les autres pays et adopter des normes minimales en matière de surveillance des partis politiques.
Le sénateur Mercer : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos deux témoins. J’aimerais vérifier la réponse que vous avez donnée à la sénatrice Batters au sujet de la carte de l’électeur et du deuxième document. Vous confirmez que, pour voter dans le cadre d’une élection fédérale, l’électeur ou l’électrice devra avoir deux documents, soit la carte et un document personnel, qui prouvent son identité. Ce deuxième document devra-t-il comprendre une photo de l’électeur ou de l’électrice?
M. Perrault : Non, le deuxième document ne doit pas nécessairement avoir une photo. Cela varie d’une juridiction à l’autre, mais le document principal utilisé par les électeurs est le permis de conduire, pour ceux qui conduisent. Cette pièce d’identité contient non seulement la photo, mais aussi, dans la plupart des cas, une adresse civique. Toutefois, je ne le noterais pas dans tous les cas. Pour un million de Canadiens, la documentation ne contient pas nécessairement une adresse civique s’ils habitent dans des régions où des adresses ne sont pas communément utilisées.
Le sénateur Boisvenu : Le deuxième document devra obligatoirement avoir une photo qui identifie l’électeur ou l’électrice.
M. Perrault : Non. L’électeur doit présenter un document qui contient son nom, mais pas nécessairement sa photo. C’est soit un document avec photo, nom et adresse, ou deux documents avec, dans un cas, le nom, et, dans l’autre cas, le nom et l’adresse, mais pas nécessairement de photo. On retrouve la même règle dans six provinces, qui exigent la preuve d’adresse. Dans les autres provinces, comme le Québec et l’Ontario, on n’exige pas de preuve d’adresse.
Le sénateur Boisvenu : Il n’en demeure pas moins que, dans le cas où on n’a pas de photo, il est toujours possible d’utiliser de façon frauduleuse ces deux documents, faute de preuve physique que la personne qui est devant nous est bien celle qui est identifiée.
M. Perrault : Je tiens à faire une mise en garde contre la création d’un régime de contraintes à la participation au vote basé sur des possibilités.
Le sénateur Boisvenu : Là n’est pas ma question. Ce que je dis, c’est qu’il y a possibilité d’utiliser frauduleusement deux documents, du fait qu’il n’y ait pas de photo sur un des deux documents pour affirmer que la personne qui est devant nous est bien la personne qui vient voter. Je ne fais qu’émettre une hypothèse.
J’ai d’autres questions. En ce qui a trait à la publicité, vous utilisez comme critère le mot « dépense ». À l’ère des médias électroniques et des médias sociaux, comme Facebook et Twitter, on peut rejoindre des milliers de personnes pour les influencer sans engager de dépense réelle. N’y aurait-il pas lieu de moderniser le vocabulaire dans le projet de loi pour ne pas avoir comme strict critère le mot « dépense », mais plutôt le nombre de personnes rejointes par des messages publicitaires, sans toutefois que ces publicités représentent une dépense?
M. Perrault : Vous touchez un point assez important à mes yeux. Traditionnellement, depuis les années 1960, au Canada, lorsqu’on parlait de l’équité du processus électoral, on se souciait de l’équité financière. On parle en anglais de « level playing field ». La préoccupation, surtout à l’époque des médias de masse qui coûtaient cher, était de veiller à ce qu’il n’y ait pas de déséquilibre dans la capacité financière.
Je ne dirais pas que cette préoccupation n’existe plus. Je pense que les règles en place pour assurer l’équilibre financier demeurent tout à fait justifiées. Ce que vous noterez, cependant, à juste titre, c’est que la question de l’équité de l’élection va au-delà de la dimension financière. Les Canadiens ont peut-être le souci de s’assurer que la façon dont la publicité est faite et la façon dont ils peuvent être ciblés par des publicités seront justes et conformes à des règles équitables.
Ce qu’on voit avec le projet de loi C-76, c’est une amorce de réglementation qui va au-delà de la dimension financière, pour assurer une plus grande transparence. On peut penser, par exemple, aux médias sociaux, où on pourra créer des registres des publicités qui ont été faites, même si elles ne coûtent pas cher. On parle de publicités qui ont été achetées sur les médias sociaux. Il y a donc une ouverture de ce côté.
Il y a aussi des règles liées à l’usurpation de qualité — en anglais, on emploie le terme « impersonation », qui est peut-être plus facile à comprendre. Des règles sont appliquées pour des gens qui prétendent être un parti, un candidat ou Élections Canada et qui ne le sont pas. Un ensemble d’améliorations tiennent à des communications non pas en raison de leur aspect financier, mais en raison d’autres aspects, et je pense que c’est une excellente chose.
Le sénateur Boisvenu : Pour ce qui est des déclarations de dépenses provisoires énoncées à l’article 349.91, qu’est-ce qui va se passer si un tiers engage des dépenses sans être enregistré? Votre enquête se fera-t-elle en temps réel, ou la mènerez-vous une fois que la période électorale sera terminée?
M. Perrault : Le régime est basé sur l’obligation de faire rapport. Si on n’a pas de rapport et qu’on reçoit des plaintes, ou qu’on s’aperçoit qu’il y a eu certaines activités, un renvoi sera fait au commissaire. Cela pourrait se faire pendant la période préélectorale ou après la période électorale, dépendamment des indications que l’on reçoit quant aux activités d’une entité.
Le sénateur Boisvenu : Je vous présenterai une mise en situation, et vous me direz comment elle sera traitée. Je prends l’exemple d’une organisation qui reçoit, sur une base annuelle, 500 000 $ en dons de la part de Canadiens sous diverses formes. Pendant la période électorale, cette somme couvre les activités administratives. On arrive en 2019 et l’entité reçoit 500 000 $ additionnels de la part des donateurs. Par contre, elle prendra le montant de 500 000 $ qui avait été affecté auparavant à des activités administratives et le consacrera à la publicité ou à la campagne électorale. Les dons seront ensuite utilisés à des fins administratives. Ce type de substitution devient-il illégal?
M. Perrault : La loi contient des règles anti-évitement. Une entité qui reçoit des dons dans le but de soutenir des activités électorales réglementées doit en faire rapport.
Cela dit, une entité qui reçoit des dons n’est pas nécessairement visible pour nous. À moins d’une plainte, on ne s’en rendra pas compte. De la même façon, une entité tierce qui engage des dépenses de sondage réglementé pour une somme excédant 10 000 $ devra faire rapport. Il n’est pas évident pour nous de savoir qui fait des sondages et à quelle échelle du pays, à moins de recevoir une plainte. C’est dans de tels cas qu’on intervient. D’abord, si on reçoit une plainte, on demandera à l’entité de confirmer la situation. Si elle doit s’enregistrer, on l’informera de ses obligations. Si cela n’a pas été fait, il reviendra au commissaire d’enquêter et de prendre des mesures.
(1730)
Le sénateur Boisvenu : Finalement, en ce qui concerne le cas de certaines organisations qui reçoivent des dons variés de l’extérieur du pays, comment allez-vous contrôler l’usage de ces dons dans des activités dites politiques?
M. Perrault : L’argent est fongible, évidemment. On le sait. Le projet de loi indique cependant qu’on doit utiliser des sommes qui proviennent du Canada. Essentiellement, on ne peut pas utiliser des sommes qui proviennent de l’étranger. L’entité devra faire rapport sur l’origine de ces fonds. S’il y a des exercices de camouflage, les enquêtes et les plaintes nous permettront de déterminer si, effectivement, il y a eu camouflage.
Ce qui est important — et je reviens aux propos de M. Côté —, c’est que la loi nous donnera des mécanismes beaucoup plus puissants, d’abord en matière de règles anti-évitement, mais ensuite, en ce qui concerne les pouvoirs d’enquête et les pénalités administratives qui pourront être utilisés s’il y a violation.
La sénatrice Dupuis : Merci, messieurs, d’être parmi nous aujourd’hui. Ma première question s’adresse à vous, monsieur Côté. Un peu plus tôt, vous avez précisé vos commentaires sur les fausses déclarations mentionnées à l’article 91. Vous nous avez fait comprendre que le nouvel alinéa 91(1)b) risque de limiter les possibilités de poursuivre quelqu’un qui fait de fausses déclarations, contrairement à la loi actuelle. Dans cet alinéa, il est question d’un groupe ou d’une association de candidats, d’une personne qui désire se porter candidat. Donc, la fausse déclaration doit porter sur des individus précis qui exercent des fonctions soit de candidat ou de chef de parti dans le cadre d’une période électorale.
Les médias rapportaient aujourd’hui que Facebook, à la suite de plaintes, a retiré de sa plateforme un certain nombre de comptes émanant de l’extérieur des États-Unis, qui contenaient, entre autres, de fausses informations visant à induire en erreur des électeurs américains qui votaient aujourd’hui dans le cadre des élections de mi-mandat. Cela ne portait pas nécessairement sur un candidat ou un chef de parti, mais sur le lieu des bureaux de vote.
Un certain nombre d’instances se sont penchées sur la question, y compris le Centre de la sécurité des télécommunications, pour évaluer le risque qu’il y ait une activité très intense d’interférence extérieure au Canada qui vise à induire en erreur des partis ou des électeurs. Cela ne vise pas nécessairement une personne en particulier, c’est-à-dire un candidat ou une personne évoquée dans la liste à l’article 91.
M. Côté : Sénatrice Dupuis, vous avez tout à fait raison d’interpréter le nouvel article 91 de la façon dont vous le faites. Il faut qu’il s’agisse de fausses déclarations à l’égard de personnes ou de groupes qui sont nommés.
Cela dit, il y a aussi d’autres dispositions dans la loi qui pourraient être utilisées dans des cas semblables à celui que vous avez décrit. À titre d’exemple, il y a une disposition dans la loi qui prévoit qu’il s’agit d’une infraction que de faire interférence avec l’exercice du droit de vote ou bien d’utiliser ce qu’on appelle des prétextes ou des ruses pour influencer le vote. Dans la mesure où le genre de déclaration qui aurait été affichée ou diffusée a pour conséquence de constituer une forme d’interférence, un prétexte ou une ruse, nous pourrions à ce moment-là enquêter et voir de quelle façon on devrait sanctionner la conduite dont vous parlez.
Je ressens le besoin de répéter que, dans la mesure où ce genre d’activité a été commise à l’extérieur du pays, cela soulève toujours des obstacles additionnels quant à la mise en application de la loi.
La sénatrice Dupuis : Dans le cadre de la prochaine élection, si ce type d’interférence de l’extérieur du Canada se présentait, en pratique, il serait extrêmement difficile de pousser davantage les enquêtes et d’obtenir des condamnations.
M. Côté : En ce qui a trait à l’obtention d’une condamnation, vous avez raison. Par ailleurs, dans la mesure où ces fausses déclarations auraient été faites sur des plateformes de médias sociaux, nous avons entamé, il y a quelques années, des pourparlers avec les principales plateformes de médias sociaux — je pense à Facebook et à Twitter, entre autres — pour développer avec elles des relations qui nous permettent de communiquer avec elles lorsqu’il nous semble que des violations apparaissent sur leur plateforme. Or, la situation s’est présentée lors de l’élection de 2015. Je peux dire que, en 2015, Facebook en particulier a été diligente et a pleinement collaboré avec nous. Dans certains cas, elle a rapidement éliminé ou effacé ce genre de choses.
Depuis quelques mois, nous avons relancé nos conversations avec ces plateformes dans le but précis d’obtenir la meilleure collaboration possible de la part de ces organisations.
La dernière chose que j’aimerais mentionner, et c’est un peu technique, c’est que, en matière de mise en application du droit criminel, on peut parfois se prévaloir d’ententes d’assistance mutuelle conclues avec certains pays. Ce sont des procédures qui existent, qui sont complexes et extrêmement longues. Nous avons conclu ce genre d’ententes avec certains pays seulement. Une certaine catégorie de pays, de toute évidence, n’a jamais montré d’intérêt à collaborer avec nous pour ce genre de chose.
La sénatrice Dupuis : Vous avez anticipé ma deuxième question, et je vous remercie de votre réponse.
Monsieur Perrault, je comprends très bien que la question de l’adoption rapide de la loi est le critère primordial pour vous. Pour ce qui est de l’utilisation de données personnelles par des partis politiques, il me semble qu’il y a des préoccupations de plus en plus importantes. Quand vous dites qu’il n’y a pas de surveillance de l’utilisation des données personnelles par les partis politiques, pouvez-vous nous dire quelle sorte de mécanisme de surveillance pourrait exister, soit dans un projet de loi ultérieur ou à l’aide d’un amendement au projet de loi C-76?
M. Perrault : Le commissaire à la protection de la vie privée exerce une surveillance sur les entités assujetties à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, les entités du secteur privé aussi, évidemment, et les entités gouvernementales assujetties à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il a cette expertise et il est d’avis qu’il serait approprié qu’il exerce aussi cette surveillance auprès des partis politiques, s’ils étaient assujettis à des normes en matière de vie privée. J’appuie sans réserve cette recommandation. Ce serait approprié.
Comprenez-moi bien, je n’ai aucune réserve à ce que la loi soit modifiée, mais, compte tenu de l’étape où nous en sommes dans le cycle électoral, il serait peut-être difficile de l’envisager à ce moment-ci. Cet enjeu ne va pas disparaître, et nous devons l’examiner. Je crois que les Canadiens ont droit à un mécanisme leur permettant de savoir ce que les partis possèdent comme information à leur sujet, ce qui leur permettrait de corriger ou de retirer cette information s’ils ne souhaitent pas que tel ou tel parti, ou aucun parti, ne détienne d’information à leur sujet. Les Canadiens devraient pouvoir exercer ce droit.
La sénatrice Dupuis : Nous partageons cette préoccupation.
Monsieur Perrault, vous avez mentionné de nouvelles dispositions pour améliorer l’accessibilité. J’aimerais insister sur l’exercice de ce droit fondamental pour les personnes qui ont un handicap, car on a tendance à l’oublier. J’ai une question très précise à ce sujet. On dit que le projet de loi C-76 améliorera l’accessibilité pour les personnes qui ont des déficiences; parlons-nous de déficiences physiques ou intellectuelles?
Je vous présente un cas précis. Je connais une personne très âgée. La qualifier de très âgée est relatif, mais elle a plus de 90 ans et moins de 100 ans. Cette personne a toute sa lucidité et souhaite exercer son droit de vote. C’est son droit de citoyenne. Comment pourra-t-elle voter en 2019 si le projet de loi C-76 est adopté?
(1740)
M. Perrault : Plusieurs choses permettent à ces personnes de voter, notamment le vote par la poste ou, dans certains cas, le vote à la maison. Ce sont des mécanismes qui existent à l’heure actuelle. Le projet de loi C-76 ajoutera un certain nombre de mécanismes pour prévoir, dans certains cas, des certificats de transfert permettant de voter dans un lieu de scrutin qui convient mieux à la situation.
Le projet de loi étendra aussi la notion de handicap pour inclure les handicaps physiques et mentaux. Je tiens à le souligner, parce que c’est quelque chose d’assez innovateur, mais le projet de loi propose de donner un remboursement additionnel aux partis politiques et aux candidats qui rendent leur matériel électoral accessible. C’est une dimension très importante. C’est une chose que d’aller voter, mais c’en est une autre que d’avoir l’information et de faire partie de la campagne électorale, de sentir qu’on s’adresse à nous. On a un comité consultatif sur les enjeux liés aux personnes handicapées. Pour elles, c’était très important. Il y a deux choses qui priment pour elles. Premièrement, pouvoir voter de façon indépendante dans la mesure du possible, mais aussi de sentir que...
La présidente : Je suis désolée, sénatrice Dupuis, mais votre temps de parole est écoulé.
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Perrault. J’ai deux questions. Après avoir renié sa promesse électorale de procéder à une réforme du mode de scrutin au Canada, le premier ministre Trudeau a accouché de ce qui a été appelé une « modernisation » qui touche principalement les dépenses électorales. L’un des grands enjeux consiste aujourd’hui à surveiller et à contrôler les dépenses de groupes de pression qui peuvent être financées par de l’argent qui provient de l’étranger et qui peuvent influencer sérieusement le vote des citoyens, sans être soumis, comme les partis politiques, aux règles en matière de dépenses durant une campagne électorale. Quels sont les moyens réels que vous accorde le projet de loi C-76 pour intervenir avant le jour du scrutin? Ou bien, êtes-vous condamnés à constater les faits une fois que les résultats des élections sont connus? Comment pouvez-vous effectuer cette surveillance dans les 338 circonscriptions du pays?
M. Perrault : Je vais tenter de répondre à votre question, qui est très vaste. Le projet de loi présente une réforme en profondeur du régime applicable aux tiers. On a beaucoup parlé de financement étranger. C’est un aspect. Il y a des mesures pour en assurer un resserrement. Cependant, bien au-delà de cela, le projet de loi fait deux choses. Tout d’abord, il prend un régime qui se concentrait uniquement sur les dépenses de publicité des tiers pendant la période électorale. C’était la seule dépense réglementée. Par le passé et dans la loi actuelle, les entités qui sont des tiers peuvent dépenser sans subir aucun contrôle, tant que ce n’est pas de la publicité électorale au sens de la loi. La première chose que fait le projet de loi C-76 est d’étendre la réglementation à l’ensemble des activités partisanes, qui peuvent inclure des sondages, du porte-à-porte, une foule d’activités que font de plus en plus les tiers. On constate qu’il y a des tiers qui élargissent leur champ d’action au-delà de la publicité.
Deuxièmement, le projet de loi prévoit un régime qui contrôle les dépenses des tiers avant l’élection. Contrairement aux partis politiques, pour les tiers, il ne s’agit pas uniquement des dépenses de publicité, mais de l’ensemble des dépenses partisanes qui, avant l’élection, pendant la période préélectorale, sont réglementées. Donc, le filet réglementaire pour les tiers est beaucoup plus serré qu’il ne l’est pour les partis politiques et les candidats pendant la période préélectorale.
Le sénateur Dagenais : Ma dernière question est très courte. Si le premier ministre déclenchait des élections au printemps au lieu de respecter la Loi électorale, compte tenu de ces changements, seriez-vous prêts?
M. Perrault : Cette question est très importante. Tous d’abord, je dois dire que notre rôle est d’être toujours prêts à procéder à une élection. Si elle était déclenchée aujourd’hui, on la ferait en vertu de la loi actuelle. Lorsqu’on parle de se préparer à la mise en œuvre, en fait, on se prépare à plusieurs élections possibles, une élection menée en fonction du régime actuel ou une autre en fonction du régime modifié par le projet de loi C-76.
J’ai indiqué qu’on voulait faire une simulation en région. C’est quelque chose qu’on a fait lors de la dernière élection générale et qu’on n’avait pas fait par le passé. Je crois que c’est très utile. Nous prévoyons de faire la simulation au mois de mars justement, pour être prêts au mois d’avril, non pas parce qu’on spécule sur des élections printanières, mais parce que c’est notre rôle d’être prêts. Donc, à partir du mois d’avril, on serait prêt à tenir une élection qui incorporerait des éléments du projet de loi C-76.
Le projet de loi C-76 donne plusieurs degrés de latitude au directeur général des élections. Selon le moment où l’élection est déclenchée et pour les élections futures, nous pourrons nous prévaloir différemment de cette discrétion. Toutefois, cela ne nous empêche pas de mettre en œuvre le projet de loi.
Le sénateur Dagenais : Donc, si j’ai bien compris, vous seriez prêts au mois d’avril.
M. Perrault : On serait prêt au mois d’avril. Il y aurait une élection au mois d’avril, elle aurait lieu. Il faudra voir. La Loi électorale du Canada prévoit que le DGE, à la suite de la sanction royale, peut déclarer qu’il est prêt ou non dans les six mois, et j’exercerais cette disposition-là avec diligence, en sachant que les parlementaires, lorsqu’ils changent les règles du jeu pour une élection, s’attendent à ce que la prochaine élection ait lieu en vertu des nouvelles règles.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Perrault.
[Traduction]
La sénatrice Wallin : J’ai une question à poser. Vous parlez de la mesure législative à l’étude. Je ne connais pas de fond en comble ce projet de loi ou la loi qu’il propose de modifier. C’est pourquoi nous sommes en train d’avoir cette conversation. Nous sommes en 2018. Le numérique et les médias sociaux font partie de notre quotidien, et cela ne date pas d’hier.
Si des élections sont déclenchées aujourd’hui, demain ou en octobre prochain et que ce projet de loi n’a pas été adopté, est-ce que cela signifie que vous ne surveillerez pas officiellement les activités dans les médias sociaux ou même dans les grands médias, et que vous n’y réagirez pas?
M. Perrault : Pas du tout. Lors des dernières élections, nous avons surveillé les activités dans les médias sociaux. Je pense que c’est fort important. Cela nous permet de réagir. Comme je l’ai dit, nous devons nous assurer que les électeurs sont bien informés. C’est l’une de nos principales responsabilités. Si des renseignements erronés sont communiqués par erreur ou pour toute autre raison, nous devons les corriger.
La sénatrice Wallin : Comment procédez-vous? Est-ce que vous envoyez les renseignements erronés à la police?
M. Perrault : Nous prenons un certain nombre de mesures. Premièrement, nous communiquons les renseignements exacts. Deuxièmement, en prévision des prochaines élections, nous créons un dépôt pour toutes nos communications publiques. De cette façon, si un citoyen ou un journaliste reçoit de l’information qui semble provenir d’Élections Canada, mais qu’il n’en est pas sûr, il n’aura qu’à aller vérifier sur le site web. Toutes les communications publiques se trouveront dans notre dépôt.
La sénatrice Wallin : Je parle des médias sociaux. Je vais me pencher sur un cas en particulier parce qu’il se rapporte non seulement à l’ère numérique, mais également à l’exemption visant le journalisme. Je suis certaine que vous êtes au courant de l’affaire de diffamation de la Cour d’appel de l’Alberta, remportée par Arthur Kent, un ancien journaliste et candidat conservateur, contre Don Martin. Un commentaire qui avait été fait au sujet d’une personne qui cherchait à se faire élire a été jugé diffamatoire par la cour.
M. Perrault : Oui.
La sénatrice Wallin : Cette information reste sur le site web et dans le domaine public pendant quatre ans. Pourtant, il s’agit de propos qui ont été jugés diffamatoires par la cour. Que pouvez-vous faire à cet égard?
M. Perrault : C’est un point important. Je crois que nous devons préciser qu’Élections Canada ne se mettra pas à faire le contrôle de la vérité sur Internet. Beaucoup de choses inexactes sont dites sur les médias sociaux. Des recours au criminel et au civil sont possibles. Ce n’est pas la responsabilité d’Élections Canada de s’occuper de ce genre de choses. Si une infraction à la Loi électorale du Canada est commise, le commissaire a un rôle à jouer. Il en a d’ailleurs parlé. Toutefois, s’il s’agit d’information inexacte sur le processus électoral, il nous incombe manifestement d’intervenir rapidement. C’est pourquoi nous surveillerons de près ce qui se dit sur les médias sociaux.
La sénatrice Wallin : Je suis contente de vous entendre parler tous les deux de propos du genre de ceux qu’un juge a considérés comme diffamatoires et d’entendre d’autres histoires dont vous avez parlé où l’on a accusé une personne d’être, par exemple, raciste ou homophobe dans l’intention évidente d’influer sur les résultats des élections. Si quelqu’un tente de diffuser de la fausse information, quel rôle avez-vous à jouer?
M. Côté : Madame la sénatrice, je vous répondrais la même chose que ce que j’ai dit à la sénatrice Dupuis il y a un instant. Je ne suis pas au courant des détails de l’affaire Kent, dont vous parlez. Cependant, en vertu de la loi, tel qu’elle est libellée actuellement, si la fausse déclaration au sujet de cet homme a porté atteinte à sa réputation ou à sa personne, elle pourrait donner lieu à une accusation d’avoir fait une fausse déclaration en vue d’influer sur les résultats des élections, à condition que ce soit bien le cas. Cela pourrait se faire.
(1750)
Cependant, la nouvelle version de l’article 91 prévue dans le projet de loi permettrait de porter une accusation dans la mesure où les propos tenus pourraient entrer dans l’une des catégories générales de fausses déclarations qui seraient désormais énoncées dans la loi.
La sénatrice Wallin : Je ne comprends pas la distinction. Qu’est-ce qui changerait avec la nouvelle loi? Qu’est-ce qu’elle vous permettrait de faire et qui n’est pas possible actuellement?
M. Côté : Selon le nouvel article 91, on ciblerait maintenant deux sortes de fausses déclarations. Premièrement, on vise les fausses déclarations selon lesquelles un candidat, le chef d’un parti ou une personnalité publique associée à un parti politique a commis un crime ou a fait l’objet d’une enquête relativement à un crime. Voilà pour la première catégorie.
Deuxièmement, on cible les fausses déclarations qui concernent les trois catégories de personnes que j’ai mentionnées et qui portent sur des aspects très précis, soit la citoyenneté, les qualifications professionnelles, l’appartenance à un groupe ou à une association, le pays de naissance, et cetera. C’est là-dessus que porte le nouvel article 91.
Par exemple, comme je l’ai dit il y a quelques minutes, une déclaration disant que telle personne est homophobe ou raciste ne serait pas visée par l’article 91, tel qu’il est formulé actuellement dans le projet de loi C-76.
La sénatrice Wallin : Je vous remercie de votre explication sur les différences entre les définitions. J’aimerais seulement savoir si votre pouvoir d’intervention va changer. Faudrait-il que de telles déclarations soient portées à votre attention? Faut-il que quelqu’un d’autre intervienne? Vous comptez établir une division responsable des médias sociaux. Est-ce à dire que vous allez maintenant intervenir, peu importe les anciennes ou les nouvelles définitions? Serez-vous en mesure d’intervenir de façon plus vigoureuse?
M. Côté : Premièrement, notre organisation est essentiellement fondée sur les plaintes, comme les services de police canadiens. En même temps, le commissaire est habilité à lancer une enquête de son propre chef. C’est ce que nous pourrions faire si nous voyions quelque chose dans un journal ou ailleurs qui est clairement visé par le nouvel article 91. Toutefois, plus fondamentalement, je ne pense pas que notre bureau dispose des ressources nécessaires pour surveiller les médias sociaux dans leur ensemble. Comme vous le savez très bien, tellement de choses sont publiées sur un si grand nombre de plateformes que nous ne pouvons pas dire, ni à vous ni à la population canadienne, que nous allons assumer ce rôle. Cela dépasse tout simplement notre capacité.
La sénatrice Wallin : À l’époque où il n’y avait que des médias traditionnels, auriez-vous réussi à remplir cette fonction?
M. Côté : Non, même pas, parce qu’il existe un trop grand nombre de journaux, de magazines, de revues et d’émissions de radio et de télévision. Nous ne pouvons tout simplement pas remplir cette tâche, et nous ne le pourrons jamais.
La sénatrice Wallin : Nous savons tous que c’est une tâche gigantesque. Des milliards de gazouillis sont publiés chaque minute. Vous ne pouvez pas tout surveiller. Comment une personne peut-elle réagir à une telle situation? Par exemple, au beau milieu d’une campagne électorale, un éditorialiste écrit des faussetés au sujet d’un candidat. Que peut faire ce dernier?
M. Côté : En fait, cela dépend vraiment de la situation comme telle. Comme je l’ai mentionné plus tôt, si on porte à notre connaissance quelque chose qui a été publié sur une page Facebook et que nous pensons qu’il y a violation ou probable violation de la loi, nous pourrions intervenir auprès de Facebook et demander à l’entreprise de retirer le message, tout simplement. C’est la première démarche que nous tenterions, qu’il s’agisse de Facebook ou d’une autre plateforme des réseaux sociaux.
La sénatrice Wallin : Avez-vous le pouvoir de l’obliger à le faire? Dans le cas dont nous avons parlé, il y a même eu une décision d’un tribunal. Les anciens messages n’ont pas été retirés, pas plus que ce qui a été publié en ligne par les médias classiques.
M. Côté : Nous n’avons pas le pouvoir de demander aux tribunaux de supprimer des commentaires ou quoi que ce soit du genre. Cela dépasse nos pouvoirs.
La sénatrice Dyck : Ma question s’adresse probablement à M. Perrault et elle porte sur le vote dans les réserves des Premières Nations.
Le projet de loi C-76 rétablit la carte d’information de l’électeur et le système des répondants. Je tiens à savoir si ces mesures élimineront les obstacles que les membres des Premières Nations vivant dans les réserves doivent surmonter pour voter. L’un des obstacles les plus importants, c’est que, dans de nombreuses réserves, voire dans la plupart d’entre elles, il n’y a pas d’adresse municipale.
Par exemple, je suis membre de la Première Nation George Gordon, en Saskatchewan. Je ne vis pas dans la réserve. Toutefois, si je vivais dans celle-ci, mon adresse serait un numéro de case postale à Punnichy, en Saskatchewan, qui se trouve près de la réserve de Gordon. Je n’ai donc pas d’adresse municipale.
Disons que j’obtiens une carte d’information de l’électeur. Je présume qu’il n’y a pas non plus d’adresse municipale sur celle-ci, étant donné que je n’en ai pas. Par conséquent, j’ai besoin d’une autre pièce d’identité. Quelle autre pièce d’identité acceptera-t-on? Doit-on y retrouver une adresse municipale? Pour répondre au sénateur Dagenais, vous avez mentionné que la pièce d’identité ne devait pas nécessairement être une pièce avec photo, mais je crois que vous avez dit, à un moment donné, que la deuxième pièce d’identité devrait permettre de vérifier l’adresse.
M. Perrault : Oui, c’est un casse-tête qui réunit deux problèmes différents, mais j’ai une réponse. Je vais essayer de ne pas entrer dans les détails techniques.
Lorsque l’obligation de prouver son adresse aux bureaux de scrutin pour voter a été adoptée en 2007, on a rapidement réalisé que les communautés autochtones et les réserves posaient un problème. Plus d’un million de Canadiens n’ont pas d’adresse municipale ou de documents qui indiquent leur adresse municipale. Le problème a donc été rapidement découvert.
Un projet de loi a ensuite été présenté pour donner le droit de voter aux électeurs que nous avons déjà situés dans une section de vote, grâce à une révision ciblée et à l’historique des votes, s’ils présentent un document qui contient la même adresse postale ou municipale que celle qui est inscrite dans le registre et sur la liste des électeurs.
Un autre problème qui s’est manifesté est que beaucoup de gens, dont ceux qui habitent dans des réserves, ne possèdent même pas le document supplémentaire en question. S’ils ne l’ont pas, ils doivent alors compter sur un chef de bande. Ils doivent donc compter sur quelqu’un d’autre pour écrire une lettre d’attestation. C’est l’élément qu’il faut. Il s’agit non seulement d’un obstacle au vote, mais aussi, selon moi, d’un obstacle à la dignité et à l’indépendance de l’électeur. La carte d’information de l’électeur réglera ce problème.
Si une personne est inscrite au registre, un bureau de scrutin lui a été attribué. Nous l’avons géolocalisée et nous lui enverrons une CIE à son adresse municipale. Cette carte, selon des dispositions du projet de loi et de la loi en vigueur, et une autre pièce d’identité permettront à un électeur qui est dans cette situation de voter.
La sénatrice Dyck : Vous dites que vous lui enverrez une CIE?
M. Perrault : Je suis désolé, c’est un jargon que je ne devrais pas utiliser. Je parle de la carte d’information de l’électeur. Toutes mes excuses.
La sénatrice Dyck : Il n’est donc pas nécessaire d’avoir une pièce d’identité avec adresse. Cette carte sera envoyée par la poste.
Je passe à ma deuxième question. Après avoir téléphoné à des proches qui vivent dans la réserve, j’ai découvert que le permis de conduire de la Saskatchewan indiquera l’adresse de la façon suivante : maison numéro 100, réserve George Gordon. Est-ce que ce permis serait une preuve d’adresse acceptable?
M. Perrault : Ce serait une preuve d’adresse acceptable. Elle nous permet de situer géographiquement la personne et de déterminer le bureau de scrutin. Ce n’est pas un problème. Les gens qui ont un permis de conduire auraient ce qu’il faut.
Le sénateur Smith : Ma question s’adresse à M. Perrault ou à M. Côté. J’aimerais revenir sur le sujet du financement étranger.
Comme vous le savez sûrement, nous avons entendu parler de sommes d’argent versées par des sources étrangères à des tiers enregistrés au Canada qui auraient pu contourner la Loi électorale du Canada et influencer le résultat des élections fédérales de 2015.
(1800)
Un organisme qui avait très ouvertement déclaré son intention de cibler 29 circonscriptions conservatrices a reçu indirectement un montant de presque 800 000 $ en dollars américains de la part d’un groupe new-yorkais.
Voici ma question, et je ne suis pas sûr que cela relève de votre mandat : comment le projet de loi C-76 permet-il d’empêcher une entité étrangère de faire un don substantiel à un organisme canadien en prétendant qu’il s’agit de financement pour les dépenses administratives, alors que l’organisme et le donateur savent tous les deux que les fonds serviront à influencer les électeurs canadiens? Quelles mesures sont prévues pour contrer ce genre d’activités?
M. Perrault : Le projet de loi interdit clairement ce genre de conduite, de manière directe et indirecte. Il comprend une règle qui interdit ce genre de comportement. Il comprend également une règle anti-évitement qui a été ajoutée à la suite d’une demande que j’ai faite lors de ma comparution devant le comité. Je m’inquiétais du fait qu’un organisme A aux États-Unis pouvait faire parvenir des fonds à un organisme B au Canada pour qu’il les verse à l’organisme C. Cette règle a été incluse pour éviter le contournement des règles en matière de financement.
Pour ce qui est des montants, aucune limite pour les contributions à des tiers n’est prévue, que ce soit dans la loi actuelle ou dans le projet de loi C-76.
Le sénateur Smith : Quelle influence a le moment choisi à partir de la période préélectorale? Selon que l’argent a été reçu six mois avant les élections ou avant cette période de six mois, quel calcul les gens peuvent-ils faire pour contourner les règles en pareil cas?
Mr. Perrault : Je vous remercie de soulever ce point. Il est important.
Dans la loi actuelle, les contributions reçues plus de six mois avant les élections sont déclarées comme l’argent de l’entité. Celle-ci peut ainsi contourner les règles actuelles en sollicitant des fonds à l’avance, déclarant que c’est son argent et l’utilisant pour les élections.
C’est une règle dont mon prédécesseur a recommandé qu’on se débarrasse, et le projet de loi C-76 l’élimine. Maintenant, toutes les contributions remontant jusqu’aux dernières élections générales devront être déposées dans un compte bancaire distinct servant à financer non seulement les activités de publicité concernant les élections, mais aussi les activités partisanes.
Le sénateur Smith : Votre associé a dit que votre travail est fondé sur les plaintes. Comment vous y prenez-vous dans le cas de fonds étrangers? Plus particulièrement, vous travaillez avec les forces policières, entre autres, mais qui décide d’agir? Qui suit la trace des fonds? Y a-t-il quelqu’un qui suit leur trace dans votre groupe ou est-ce les forces policières qui s’en chargent? Comment suivez-vous la trace des fonds étrangers?
M. Côté : Au titre du projet de loi dans sa forme actuelle, s’il est mis en œuvre, je ne crois pas que quiconque ferait le genre de suivi dont vous parlez. Cela dit, Élections Canada effectuerait des vérifications une fois que les tiers auraient produit leurs déclarations et, en cas de doute, le dossier pourrait nous être transféré et nous serions en mesure de décider de lancer une enquête. C’est une option.
L’autre option, évidemment, serait que les gens présentent une plainte en disant qu’un tiers semble utiliser des fonds étrangers d’une manière qui contrevient à la loi. Selon les renseignements qu’on nous fournit, nous pourrions décider d’agir.
Le sénateur Smith : En définitive, avez-vous vraiment la possibilité d’influer sur le financement étranger? D’après vos réponses, je ne suis pas sûr que vous puissiez intervenir avant le fait ou avant que des dommages surviennent. Pensez-vous en avoir la possibilité?
M. Côté : Pour ce qui est de faire appliquer la loi, comme je l’ai dit il y a quelques instants, notre organisation donne essentiellement suite à des plaintes en prenant les mesures appropriées. C’est une chose.
L’autre chose, c’est que les tiers sauront que le projet de loi C-76 modifie de façon draconienne les règles du jeu. Toute infraction à la loi sera sanctionnée par de lourdes amendes. Beaucoup de gens, me semble-t-il, seront conscients du risque qu’ils prennent si l’on dépose une plainte et qu’ils sont pris en flagrant délit, et du prix élevé que cela leur coûtera. Cette mesure devrait donc envoyer un puissant message de prudence à ceux qui seraient tentés de violer la loi.
J’ajouterai que nous avons maintenant d’autres outils d’enquête qui s’avéreraient très efficaces pour détecter toute manœuvre douteuse d’un tiers. Un juge pourrait forcer les gens à répondre à toutes nos questions sous serment ou à nous communiquer les réponses par écrit.
C’est une arme redoutable pour aller au fond des choses.
De plus, nous pourrons continuer d’appliquer les dispositions du Code criminel relatives aux mandats de perquisition, lesquelles permettent la délivrance d’ordonnances de communication, afin de forcer un tiers à nous donner toute l’information qu’il possède relativement à une situation.
Je crois que les règles sur les tiers seront très différentes. Les sanctions seront plus sévères, et la police et les enquêteurs auront des pouvoirs additionnels pour trouver la vérité et pourchasser les gens qui décident d’enfreindre la loi.
Le sénateur Smith : Cependant, ma question est de savoir si vous pouvez être proactif. Vous avez dit que votre organisation est essentiellement fondée sur les plaintes. Si vous attendez qu’une plainte soit déposée, je doute que vous puissiez être proactif et résoudre les problèmes. Qu’en pensez-vous?
M. Côté : Notre organisation est axée sur les plaintes. Nous avons un effectif d’environ 45 personnes au total, alors nous n’avons tout simplement pas les ressources requises pour faire le genre de travail que vous aimeriez peut-être nous voir faire.
Le sénateur Smith : Merci beaucoup.
La sénatrice Dasko : Merci d’être ici aujourd’hui. J’ai quelques questions.
D’abord, au sujet des dispositions sur le recours à un répondant, j’ai une question pour M. Perrault. Y a-t-il seulement une situation où une personne pourrait répondre de plus d’une personne? Est-ce le cas dans les établissements de soins? Je voudrais simplement éclaircir la question du recours à un répondant.
M. Perrault : Oui, c’est exact. Une personne ne peut répondre que d’une seule autre personne, sauf dans le cas des établissements de soins aux aînés et aux handicapés. La personne qui travaille dans un de ces établissements peut répondre de plus d’une personne si elle habite dans la même circonscription ou dans une circonscription adjacente. Le projet de loi prévoit certaines contraintes, mais il s’agit d’un relâchement des règles afin d’éviter que ne se reproduise la fâcheuse situation vécue par le passé, où des personnes résidant dans ce genre d’établissements n’ont pas pu trouver de répondant, parce que l’infirmière n’avait le droit de répondre que d’une seule personne.
La sénatrice Dasko : Merci.
Monsieur Perrault, je ne relève rien dans ce projet de loi visant à inciter les femmes à se présenter en politique. Je ne suis pas avocate, mais, quand j’examine ce projet de loi, je vois diverses possibilités de récompenser ou de pénaliser les partis politiques pour les activités qu’ils entreprennent. Toutefois, il ne prévoit rien qui aurait une incidence sur le nombre de candidatures féminines à une charge publique.
Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que ce projet de loi serait un bon moyen d’y arriver et de prendre ce genre de mesures? Ce projet de loi sur la modernisation des élections semble offrir une bonne occasion d’y arriver.
Les femmes forment seulement 26 p. 100 des députés de la Chambre des communes. On soulève des idées de ce genre depuis un certain temps maintenant, et j’aimerais savoir si vous croyez que cette mesure législative convient pour promouvoir cet objectif.
M. Perrault : C’est une décision de principe qui relève du Parlement. Je serais heureux de contribuer en administrant la loi ainsi que toute mesure qui en découlerait.
Il y a une mesure en particulier dans le projet de loi que je veux souligner. Je ne pense pas qu’elle change la donne, mais elle comprend une disposition permettant de déclarer les dépenses entraînées au titre de la garde d’un enfant, qui — je dois le préciser — ne sont pas uniquement des dépenses féminines. Ce ne sont pas seulement les femmes qui ont des frais de garde, mais il n’en demeure pas moins que ces frais représentent un défi pour bon nombre de femmes.
Je pense que c’est une mesure utile. Elle ne changera pas nécessairement la donne, selon moi.
Si le Parlement désire encourager les femmes à devenir candidates, je serais heureux d’administrer cet aspect.
La sénatrice Dasko : Selon vous, le projet de loi est-il un outil approprié pour faire quelque chose du genre?
M. Perrault : Je pense que, fondamentalement, il s’agit d’une décision de principe qui relève du Parlement.
(1810)
La sénatrice Dasko : J’aimerais revenir à ce que vous avez dit plus tôt. Vous avez laissé entendre que des amendements pourraient être apportés plus tard au projet de loi. Est-ce que le gouvernement s’est engagé envers vous à proposer de tels amendements à l’avenir?
M. Perrault : J’ai fait des recommandations à l’autre Chambre, et j’ai fait quelques suggestions ici. C’est essentiellement les tribunes dont je dispose pour formuler des recommandations.
La sénatrice Dasko : Vous n’avez reçu aucun engagement ferme selon lequel vous pourriez revenir, ou est-ce que c’est une partie normale de votre travail?
M. Perrault : C’est une partie normale de mon travail.
La sénatrice Dasko : Ma dernière question fait suite à celle que la sénatrice Lankin vous a posée sur le mandat d’éducation du public.
Êtes-vous en mesure d’encourager les gens à voter et, dans l’affirmative, le ferez-vous? Est-ce que vous considérez que cela fait partie de votre mandat, ou croyez-vous que celui-ci consiste uniquement à informer les Canadiens de l’emplacement des bureaux de scrutin et à leur donner d’autres renseignements de cette nature?
M. Perrault : Je crois que le mandat sera plus général que contraignant aux termes de ce projet de loi.
En général, pendant la période électorale, nous laissons les partis faire sortir le vote et nous jouons un rôle plus neutre pour ce qui est d’informer les électeurs. C’est l’approche que je préconise.
C’est généralement auprès des jeunes que nous devons promouvoir plus activement la participation. Nous venons de lancer de nouvelles ressources d’éducation civique pour les enseignants qui s’adressent aux jeunes qui ne sont pas encore en âge de voter. Je crois que nous avons un rôle à jouer à ce chapitre-là et nous collaborons avec les provinces. Toutefois, plus la période électorale approche, plus nous fournissons des renseignements factuels sur le processus.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le sénateur Tkachuk : Je voulais revenir sur les questions du sénateur Smith au sujet de la publicité par des tiers et des activités de financement. Je n’ai pas bien compris votre réponse.
Si un tiers veut participer à la campagne électorale, doit-il rendre des comptes sur toutes ses activités de financement à partir de la dernière période électorale? Est-ce que tous ces renseignements seront publiés si le tiers en question veut participer à la prochaine campagne électorale?
M. Perrault : Il devra publier tous les renseignements sur les activités de financement électoral à partir de la dernière période électorale. C’est ce que je déduis des règles qui sont proposées.
Le sénateur Tkachuk : Comment pouvez-vous faire le tri de cette information? Si le tiers en question gère des fonds en provenance des États-Unis, de la Chine ou d’ailleurs, et s’il dépose tout son argent canadien dans le compte bancaire distinct dont vous parlez, comment peut-on faire le tri dans tout cela? Si un tiers compte participer à une campagne électorale, alors il doit le faire dans les règles, c’est-à-dire en déclarant publiquement tous les fonds qu’il obtient.
M. Perrault : Il vient un temps où il faut trouver le juste équilibre en tenant compte de la Charte, de la liberté d’expression et de la liberté d’association des groupes. Je crois que c’est ce que le projet de loi tente de faire. J’ai demandé qu’une règle anti-évitement soit ajoutée, ce que le comité a fait, justement pour éviter les situations dont vous parlez, où un groupe pourrait consciemment dire : « Vous ne pouvez pas me donner d’argent pour financer mes activités de campagne, mais si vous m’en donnez pour payer mon loyer, j’en aurai davantage pour autre chose. » Cela équivaudrait à contourner les règles, et la règle anti-évitement s’y appliquerait.
Tout est toujours une question de preuve. Nous ne vivons pas dans un État policier. Il y a des risques à tout. Nous vivons dans une société libre et ouverte, alors nous devons être prêts à tolérer certains risques si nous voulons qu’elle demeure libre et ouverte. Tout est une question d’équilibre.
Le sénateur Tkachuk : Je comprends qu’il y a des risques. Je suis un ardent défenseur de la liberté d’expression, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Un groupe peut bien recevoir tout l’argent qu’il veut et il peut se financer à l’étranger tant qu’il veut — 12 mois par année s’il le faut —, tant que c’est pour parler de ce qui lui tient à cœur. Je n’ai rien contre, et il peut s’agir autant d’environnementalistes que d’un groupe de réflexion conservateur ou de quoi que ce soit d’autre. Toutefois, dès qu’on parle d’élections, c’est une tout autre histoire. Il n’est plus question de liberté d’expression en ce sens que, si ce même groupe veut s’exprimer librement, il doit déclarer d’où provient l’argent qu’il dépense. Il ne devrait même pas être question de comptes bancaires, distincts ou pas, car il y aura toujours un doute.
Je m’explique mal pourquoi Élections Canada n’a pas insisté pour obtenir ce genre d’amendement.
M. Perrault : Nous avons recommandé un certain nombre de changements, qui ont été intégrés au projet de loi. À un certain moment, il faut toutefois atteindre un équilibre entre la liberté d’association et la liberté d’expression. Le seuil prévu dans le projet de loi est assez bas : dès qu’il a engagé seulement 500 $, le tiers doit s’enregistrer et il est assujetti à des exigences très rigoureuses en matière de rapport. Il suffit donc d’engager peu de dépenses pour qu’une entité soit visée par la réglementation touchant les tiers.
Le sénateur Tkachuk : Merci.
La présidente : Excusez-moi. Nous disposons de quatre minutes dans ce segment.
Le sénateur Dalphond : J’ai quatre questions. Je vais en poser une, puis je m’arrêterai là.
[Français]
En démocratie, le droit le plus important est le droit de vote. Il s’agit d’un droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, et je suis très surpris par le fait que les soldats, soit ceux qui se battent pour la défense de la liberté et dont on voit les tableaux, ici, qui illustrent la Première Guerre mondiale, ne votent pas à l’heure actuelle dans une plus grande proportion que 40 p. 100.
Qu’est-ce que les modifications prévues au projet de loi C-76 changeront à cette situation pour nous assurer qu’il y aura une plus grande participation des soldats?
M. Perrault : Je ne sais pas si je peux vous promettre une plus grande participation. Cependant, je peux vous dire que le régime proposé dans le projet de loi C-76 offre davantage de flexibilité aux militaires, aux hommes et aux femmes qui servent dans l’armée canadienne, et cela afin de leur permettre de choisir entre différentes façons de voter.
À l’heure actuelle, les militaires doivent voter en vertu des Règles électorales spéciales. En principe, ils ne peuvent pas aller voter dans leur collectivité à l’école du quartier. Ils doivent remplir un formulaire de demande en vertu d’un processus plus lourd, qui est le processus des Règles électorales spéciales. Ce processus présente des avantages dans certaines circonstances, mais demeure tout de même un processus plus lourd.
En vertu du projet de loi C-76, les militaires auront la possibilité de choisir, comme les Canadiens, s’ils veulent voter à l’école de leur quartier, au bureau de scrutin ou selon les Règles électorales spéciales. Il y aura donc un plus grand éventail de mécanismes de vote qui sera offert aux militaires.
Le sénateur Dalphond : À quel endroit leurs votes seront-ils décomptés?
M. Perrault : Cela dépend du mécanisme choisi. Par exemple, s’ils décident de voter comme les résidants du quartier local — comme ici, dans la région de la capitale nationale, où les militaires habitent dans différents quartiers —, leur vote sera décompté comme un vote habituel.
Cependant, s’ils votent en vertu des Règles électorales spéciales pour les militaires, le mécanisme utilisé à l’heure actuelle est celui du dépouillement du vote militaire. Le vote compte alors dans ce cas-là pour la résidence selon la Déclaration de résidence habituelle, qui est un énoncé que le militaire doit faire et qu’il peut mettre à jour quant à son lieu de résidence afin que son vote soit alors décompté dans cette circonscription.
Le sénateur Dalphond : On a aussi parlé des non-résidents et de la crainte que de nombreux Canadiens qui n’ont plus d’attaches réelles avec le pays exercent leur droit de vote. Pourriez-vous nous expliquer quelle est la procédure à suivre lorsqu’un Canadien qui vit à l’étranger désire se prévaloir de son droit de vote?
M. Perrault : Le Canadien devra s’inscrire au Registre international des électeurs à l’étranger du Canada, et il peut le faire en ligne. À partir de ce moment-là, nous devons lui envoyer une trousse. Comme cet envoi se fait par la poste, c’est un processus qui, dans certains cas, malheureusement, est long. Une fois que les informations requises ont été reçues, nous faisons parvenir la trousse par la poste et celle-ci doit ensuite revenir à Ottawa ou à Gatineau pour être comptée à 6 heures le jour de l’élection. Nous savons qu’un certain pourcentage de gens se découragent. Il y a des délais qui sont inhérents à la situation quand on habite dans les grandes capitales.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le comité siège maintenant depuis deux heures. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 31 octobre, je suis obligée d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse faire rapport au Sénat.
Je sais que vous vous joindrez à moi afin de remercier les témoins.
Des voix : Bravo!
La présidente : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour que je déclare au Sénat que les témoins ont été entendus?
Des voix : D’accord.
(1820)
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance.
Rapport du comité plénier
L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, le comité plénier, qui a été autorisé par le Sénat à étudier la teneur du projet de loi C-76, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à d’autres textes législatifs, signale qu’il a entendu lesdits témoins.
(À 18 h 22, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)