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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 283

Le jeudi 2 mai 2019
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 2 mai 2019

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.

Prière.


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le Jour de la Terre

L’honorable Rosa Galvez : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui dans cette Chambre à l’occasion du Jour de la Terre, qui a eu lieu le 22 avril dernier. Le thème de 2019 porte sur l’urgence de protéger les espèces.

Les gens se mobilisent ici et partout dans le monde. Un changement mené par des gens est à l’horizon. Ils demandent que la société s’éloigne de la situation actuelle caractérisée par la destruction des habitats et la pollution de l’eau, de l’air et de la terre, qui ont pour effet de menacer les espèces vivantes d’extinction.

[Traduction]

Avec courage, les jeunes demandent : comment peut-on penser que les êtres humains s’épanouiront dans un système socio-économique qui ne cesse de croître sur une planète dont la surface, elle, n’augmentera pas? Selon eux, les historiens verront notre époque comme une ère de démence et reprocheront aux politiciens d’aujourd’hui leur manque de leadership, de logique, de courage et de vision. Les jeunes n’accepteront pas l’inaction des gouvernements. Ils lutteront pour la justice intergénérationnelle.

[Français]

Le Jour de la Terre a été inauguré en 1970, quand des millions de personnes aux États-Unis ont manifesté dans les rues contre les impacts néfastes de la pollution. Le smog devenait mortel et des preuves solides montraient que la pollution menait à un ralentissement du développement chez les enfants. La biodiversité était en déclin en raison de l’usage important de pesticides et d’autres polluants. Cette année-là, le Congrès des États-Unis a créé une agence de protection environnementale et plusieurs lois environnementales ont vu le jour sous l’administration du président républicain Richard Nixon, notamment la Clean Water Act et la Endangered Species Act. Après tout, la conservation est une valeur conservatrice, n’est-ce pas?

Le passage de la Endangered Species Act et l’interdiction d’utiliser du DDT ont été d’importants facteurs favorisant le retour des espèces menacées d’extinction, comme l’emblématique aigle à tête blanche et le faucon pèlerin. C’est un succès de conservation qui démontre que de bonnes lois efficaces peuvent nous permettre d’atteindre des objectifs élevés. Il est grand temps de redoubler d’efforts pour favoriser la survie de toutes les espèces de la planète, y compris l’espèce humaine.

[Traduction]

Dans la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, le Canada s’est engagé à protéger 17 p. 100 de ses terres d’ici 2020. Le gouvernement a consacré 1,3 milliard de dollars à des efforts de conservation, mais il faut maintenant décider quelles zones doivent être protégées. Tous les territoires et les provinces ont des régions où la faune et la flore sont riches.

Il faut augmenter les efforts de conservation. Des événements majeurs perturbent le monde : des conditions climatiques extrêmes, des crises socio-économiques, la destruction d’écosystèmes ainsi que le déclin et la disparition d’espèces.

[Français]

Les biologistes parlent de la sixième extinction massive d’espèces. Sur les 8 millions d’espèces estimées sur la planète, près de 1 million d’entre elles sont déjà menacées d’extinction. Cette semaine, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques se réunit à Paris pour adopter la première évaluation mondiale des écosystèmes.

[Traduction]

Sénateurs, en tant que législateurs, nous devons faire progresser la conservation. Nous pouvons y contribuer par la sensibilisation de la population aux espèces en péril, à la réduction de la consommation, à la culture des plantes indigènes, aux moyens d’éviter la pollution, à la réduction de l’utilisation de produits de plastiques, et j’en passe. Je vous invite à prêcher par l’exemple.

Merci.

[Français]

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de M. Lee Abbott. Il est l’invité de l’honorable sénateur Dagenais.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le décès de Nicole Martin

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénatrices et sénateurs, j’aimerais prendre quelques minutes aujourd’hui pour rendre un hommage particulier à la chanteuse québécoise Nicole Martin, qui est décédée le 19 février dernier à l’âge de 69 ans.

Originaire de Donnacona, dans la région de Québec, Nicole Martin n’avait que 5 ans lorsque ses parents ont remarqué ses aptitudes musicales au piano. Elle a bientôt pu accompagner sa mère qui chantait déjà au Château Frontenac, à Québec. Une artiste était née.

Sa carrière professionnelle s’échelonne sur plus de 50 ans, avec des succès qui ont marqué plusieurs époques de la chanson francophone canadienne. La mort inattendue de Nicole Martin m’a particulièrement ébranlé, parce qu’elle faisait partie des plus belles voix du Québec et qu’elle est devenue populaire à une époque où j’étais moi-même musicien. Je ne vous cacherai pas que j’ai tout de même déjà rêvé de pouvoir l’accompagner sur scène. C’était dans une autre vie, avant que je devienne policier, puis chef syndical et, finalement, sénateur. Eh oui, j’ai déjà joué de la musique pour gagner ma vie et j’en suis très fier.

Au cours des années 1970, Nicole Martin aurait pu rêver d’une carrière internationale comme Céline Dion. En 1977, elle a remporté le prestigieux Yamaha Music Festival de Tokyo avec une chanson intitulée Bonsoir Tristesse. Les plus grands paroliers du Québec, tels que Stéphane Venne, Pierre Létourneau et Luc Plamondon, ont écrit pour elle. Son talent lui a aussi permis de s’entourer d’artistes aussi renommés que Francis Lai et Eddy Marnay en France, pour ne nommer que ceux-là. Ses succès sur disque lui ont permis de remporter plusieurs trophées, y compris un prix Génie pour la chanson originale Il était une fois des gens heureux, qui est devenue la chanson thème du film canadien Les Plouffe. En fait, les chansons interprétées par Nicole Martin sont principalement des ballades qui ont marqué la vie amoureuse de plusieurs Québécois et Canadiens, avec des titres comme Laisse-moi partir, L’hymne à l’amour, Tes yeux, ou encore La première nuit d’amour.

Fait marquant de sa carrière, mis à part Robert Charlebois, elle a été la seule Québécoise à se produire en spectacle au mythique Esquire Show Bar de Montréal. Puis, au milieu des années 1970, elle a vendu plus de 1 million de disques en Russie grâce à deux chansons francophones, soit L’hymne à l’amour et La fin du monde. Au fil des ans, Nicole Martin a inscrit plus d’une quarantaine de ses chansons au palmarès du Top 10 des meilleurs succès de la chanson québécoise. C’est un exploit remarquable, et Radio-Canada a souligné les grands moments de sa vie artistique en rediffusant une émission spéciale d’une heure lorsqu’on a appris sa mort, il y a quelques semaines.

Nicole Martin aimait beaucoup chanter, mais elle a aussi été animatrice à la télévision et une grande productrice de disques avec son conjoint des 35 dernières années, Lee Abbott. Le Québec vient donc de perdre une de ses plus belles voix. Une maladie fulgurante l’a emportée et, à sa demande, l’annonce de sa mort a été retardée. C’est donc dans la plus grande discrétion qu’elle nous a quittés. Elle méritait davantage; elle méritait certes un plus grand hommage, mais c’était sa volonté. Je tenais tout de même à souligner ici sa contribution à la culture musicale francophone du Canada.

Nicole Martin n’est plus, mais, heureusement, ses chansons demeureront.

[Traduction]

(1340)

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’un groupe de participants au Programme d’études des hauts fonctionnaires parlementaires.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le lieutenant-général Christine Whitecross

Félicitations pour le prix Vimy

L’honorable sénateur Joseph A. Day (Leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, j’aimerais parler aujourd’hui d’une femme exceptionnelle. Étant donné que nous avons commémoré le Jour de la bataille de Vimy il n’y pas si longtemps, j’aimerais attirer votre attention sur la toute dernière récipiendaire du prix Vimy de l’Institut de la Conférence des associations de la défense, le lieutenant-général Christine Whitecross.

Elle est un excellent choix pour ce prix prestigieux, qui reconnaît les Canadiens qui ont consacré leur vie à la sécurité et à la défense de notre pays. Elle y a contribué tout le long de sa carrière de manière appréciable, tout comme à la promotion des valeurs démocratiques. Ses réalisations ont été, en un mot, exceptionnelles.

Le lieutenant-général Christine Whitecross s’est enrôlée dans les Forces canadiennes pendant ses études universitaires, et elle a obtenu une maîtrise en études de la défense au Collège militaire royal du Canada. Toujours à l’avant-garde, elle a occupé divers postes de commandement dans les Forces armées canadiennes, notamment en Allemagne, en Bosnie et en Afghanistan et dans presque toutes les provinces et tous les territoires du Canada.

Elle a reçu la médaille du Commandeur de l’Ordre du mérite militaire, la Médaille du service méritoire de la Défense des États-Unis, ainsi que la Médaille du service méritoire du Canada. Sa dernière affectation au Canada était ici, à Ottawa, où elle occupait le poste de commandant du Commandement du personnel militaire. Elle a également été à la tête de l’équipe d’intervention stratégique des Forces armées canadiennes sur l’inconduite sexuelle. Plus récemment, elle a été élue commandant du Collège de défense de l’OTAN, à Rome, par les membres de l’OTAN. Elle est la toute première femme et la troisième Canadienne à occuper cette fonction depuis sa création.

Chers collègues, le sens du devoir du lieutenant-général Whitecross ne se limite pas aux affaires militaires. Elle est membre du Club Rotary depuis de nombreuses années. Elle a participé au programme des paniers de Noël, au Fonds Habineige et à des projets de nettoyage dans la région d’Ottawa.

En plus d’élever leurs propres enfants, le lieutenant-général Whitecross et son mari ont été parents de famille d’accueil pour plus de 30 enfants. Trente enfants.

Honorables sénateurs, au Canada comme à l’étranger, le lieutenant-général Whitecross a servi son pays avec dévouement et distinction. Elle est un modèle pour tous les Canadiens. Veuillez vous joindre à moi pour la féliciter d’avoir reçu le prix Vimy et pour souhaiter encore bien des années de succès à l’un des plus remarquables officiers des Forces armées canadiennes.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mme Pam Palmater et de son fils, Mitch. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Pate.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La réconciliation par les arts

L’honorable Murray Sinclair : Honorables sénateurs, je veux saluer les jeunes artistes qui participent depuis un certain temps déjà à un projet musical appelé N’We Jinan, qui permet à de jeunes Autochtones partout au Canada de s’exprimer par la chanson. De dire qu’ils sont extrêmement talentueux serait un euphémisme. Plus important encore, ce projet révèle non seulement leur talent, mais aussi la fierté qu’ils ont pour leur culture et leur volonté de changement qui est au cœur de la réconciliation. Il souligne le fait que la réconciliation est une affaire de respect mutuel et qu’elle commence par le respect de soi. Au moyen de leur musique, les artistes qui participent à ce projet permettent à tout le peuple autochtone de ressentir cette fierté et ce respect de soi.

Partout sur la planète, sénateurs, les arts ont toujours fourni un moyen créatif qui permet à tout le monde de briser le silence, de transformer les conflits et de réparer les relations de violence, de guérir et de surmonter l’oppression et l’exclusion.

Le chef métis et fondateur du Manitoba, Louis Riel, a d’ailleurs dit :

Quand mon peuple s’éveillera, après un sommeil séculaire, ce sont les artistes qui l’animeront.

Consciente des liens solides qui existent entre les arts, la participation citoyenne, l’éducation et la réconciliation, liens qui peuvent pousser la société à remettre en question la façon dont elle se perçoit et à la modifier, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a conclu qu’il était essentiel d’inclure les arts dans les différents aspects de la vie. Plusieurs expositions d’œuvres d’art, concerts, pièces de théâtre et projections de films importants ont eu lieu simultanément à l’occasion des activités nationales de la commission. En outre, la commission a reçu un très grand nombre de déclarations de la part de survivants sous diverses formes artistiques.

En 2017, dans le but d’appuyer le principe de réconciliation décrit dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation et de donner suite à l’appel à l’action concernant l’établissement d’une priorité de financement et d’une stratégie visant la création de projets de collaboration qui contribuent au processus de réconciliation, le Conseil des arts du Canada a lancé un programme de financement intitulé « Créer, connaître et partager : Arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis ».

Grâce à ce fonds, un nombre croissant d’initiatives artistiques sont en train de voir le jour un peu partout au Canada. J’encourage les sénateurs et tous mes concitoyens à prendre part à ces activités lorsqu’ils le peuvent. Par exemple, le Musée de Vancouver présente actuellement une exposition d’œuvres d’art rares réalisées par des enfants qui ont fréquenté des pensionnats autochtones. Cette semaine, le Centre national des arts a lancé la saison du théâtre autochtone. Le film Cheval indien est toujours à l’affiche dans certaines salles. On publie des livres, et il est possible de voir des vidéos sur YouTube, dont certaines que je viens de mentionner.

Les médias représentent un moyen inestimable de faire connaître au public les talents incroyables qui lui permettent d’en apprendre davantage sur le système des pensionnats autochtones, et ce, de manière compatissante et pacifique. Si vous ne savez pas où trouver ces initiatives, tournez-vous d’abord vers les médias d’information.

Je vous remercie.


AFFAIRES COURANTES

La Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada — Israël

Présentation du vingt-troisième rapport du Comité des affaires étrangères et du commerce international

L’honorable A. Raynell Andreychuk, présidente du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, présente le rapport suivant :

Le jeudi 2 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a l’honneur de présenter son

VINGT-TROISIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-85, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada-Israël et apportant des modifications connexes à d’autres lois, a, conformément à l’ordre de renvoi du 4 avril 2019, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis,

La présidente,

A. RAYNELL ANDREYCHUK

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Harder, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1350)

La Loi sur l’Agence du revenu du Canada

Projet de loi modificatif—Message aux Communes—Préavis de motion demandant l’adoption du projet de loi

L’honorable Percy Downe : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, de l’avis du Sénat, le projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé), est un projet de loi essentiel dûment adopté par le Sénat que les députés de la Chambre de communes ont en leur possession depuis de nombreux mois et ce projet de loi devrait être adopté à la première occasion;

Qu’un message soit envoyé à la Chambre des communes pour l’en informer en conséquence.

Chers collègues, vous vous souviendrez qu’il y a deux semaines, la Chambre des communes nous a envoyé un message nous demandant d’adopter rapidement les projets de loi. Dans un esprit de coopération, je donne ce préavis.

Des voix : Bravo!


PÉRIODE DES QUESTIONS

L’environnement et le changement climatique

L’aide financière à Loblaws

L’honorable Donald Neil Plett : Honorables sénateurs, ma question s’adresse encore une fois au leader du gouvernement au Sénat.

Monsieur le leader, lorsque le gouvernement libéral a annoncé le mois dernier qu’il accorderait 12 millions de dollars de l’argent des contribuables à Loblaws pour l’aider avec l’acquisition de nouveaux réfrigérateurs pour ses épiceries, les Canadiens ont été outrés, et avec raison. J’ai moi-même acheté un réfrigérateur la semaine dernière et je n’ai reçu aucune aide financière.

Hier soir, on a appris que deux lobbyistes de Loblaws ayant donné des milliers de dollars au Parti libéral au cours des dernières années ont rencontré la ministre McKenna et ses fonctionnaires au mois de mars, soit deux semaines après que le programme de subvention a été mis sur pied. Les lobbyistes en question ont aussi participé à une activité de reconnaissance des donateurs du Parti libéral en juin dernier, à laquelle étaient présents le premier ministre et des membres du personnel de la ministre McKenna.

Sénateur Harder, comment le gouvernement peut-il justifier cette aide financière visant à acheter des réfrigérateurs pour Loblaws, et comment explique-t-il cette décision aux Canadiens de la classe moyenne et aux contribuables comme moi qui doivent acheter leur propre réfrigérateur?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. J’ai bien hâte que le leader revienne la semaine prochaine et que reprenne la coutume qu’a le sénateur Smith de me poser des questions.

L’honorable sénateur se souvient sûrement que le sénateur Smith m’avait en fait posé exactement la même question le lendemain de l’annonce relative à Loblaws. Je lui rappelle la réponse que j’avais donnée à ce moment, à savoir que le Sénat et, bien entendu, la Chambre des communes et le Parlement, ont adopté un budget qui prévoyait des mesures de transition accélérée pour réduire notre empreinte carbone, et que des programmes ont été mis sur pied dans le cadre desquels une demande pouvait être présentée.

Loblaws est une grande entreprise canadienne bien connue qui souhaitait réduire son empreinte carbone. Elle investit un montant considérable dans cette initiative. Grâce aux mesures qui seront prises et à la contribution du Canada, le résultat obtenu correspondra, si je ne me trompe, à l’équivalent du retrait de 50 000 véhicules de la circulation. J’ose dire, sénateur, que votre réfrigérateur est bien loin de ce compte.

Le sénateur Plett : Peut-être, mais mes revenus sont à l’avenant.

Hier, Loblaws a fait état de recettes totalisant plus de 10,66 milliards de dollars pour les trois premiers mois de 2019. Il s’agit en effet d’une grande entreprise, vous avez raison. C’est d’ailleurs la seule partie valide de votre réponse.

Loblaws pourrait parfaitement remplacer ses réfrigérateurs sans utiliser l’argent des contribuables de la classe moyenne, dont certains, soit dit en passant, se sont fait flouer par cette entreprise qui a participé pendant 14 ans à un stratagème de fixation des prix du pain.

Les contribuables de la classe moyenne ne peuvent pas faire appel à des lobbyistes bien branchés. Ils ont besoin d’un gouvernement qui respecte l’argent de leurs impôts et qui s’occupe d’abord et avant tout de leurs intérêts.

Sénateur Harder, pourquoi le gouvernement libéral semble-t-il toujours désireux d’aider ses amis aux dépens de la classe moyenne et de ceux qui travaillent fort pour en faire partie?

Le sénateur Harder : Je remercie le sénateur de sa question. Les honorables sénateurs se souviendront peut-être que, lorsque le sénateur Smith avait posé cette série de questions, celle-ci était une question complémentaire — quoiqu’elle a été embellie avec un certain style et une certaines élégance que j’admire chez l’honorable sénateur.

Permettez-moi de rappeler que le Canada a mis en place une série de mesures visant à accélérer la réduction de l’empreinte carbone. Ces mesures doivent s’appliquer à toutes les entreprises qui respectent les critères établis par le Parlement et par la réglementation, peu importe leur rentabilité. Par conséquent, il va sans dire que je soutiens cette décision.

Les institutions démocratiques

Le financement des partis politiques

L’honorable Yonah Martin (leader suppléante de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse également au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Harder, je pense que la situation a changé depuis que vous avez répondu aux questions en raison de l’expansion de la couverture médiatique du sujet. J’ai, moi aussi, une question connexe.

En plus de la nouvelle concernant Loblaws, on a appris récemment que le PDG américain d’une entreprise de technologie spécialisée dans la marijuana a assisté à une activité de financement du Parti libéral en avril dont les billets coûtaient 1 600 $ chacun.

Le PDG a par la suite publié un communiqué de presse décrivant sa conversation avec le premier ministre lors de cette activité et affirmant que celle-ci ouvre la porte à une présentation au ministre de l’Innovation. Comme tous les honorables sénateurs le savent, seuls les citoyens canadiens et les résidents permanents du Canada peuvent contribuer à un parti enregistré. De plus, le billet a été donné à cette personne, ce qui est également contraire aux règles.

Monsieur le sénateur, ma question au sujet des activités de financement donnant un accès privilégié est la suivante : comment votre gouvernement peut-il prétendre faire preuve d’une plus grande transparence relativement aux activités de financement s’il ne respecte même pas les règles qui sont déjà en place?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Comme je l’ai indiqué, tous les honorables sénateurs savent que le gouvernement a légiféré pour mettre en place une série de mesures volontaires et concrètes visant à accroître la transparence des dons aux partis politiques. Le gouvernement à la ferme intention de s’y conformer afin que le Canada demeure parmi les pays qui ont un régime strict et sévère en matière de dons aux partis et qui font preuve de transparence à l’égard des personnes qui appuient des partis politiques.

La sénatrice Martin : Nous savons que le gouvernement a adopté des lois. Cependant, la question est de savoir s’il les respecte.

En février 2017, quand la ministre Gould a pris part à la période des questions au Sénat, je l’ai interrogée au sujet des activités de financement donnant un accès privilégié. À l’époque, elle avait dit que les règles sont claires, mais que rien ne nous empêche d’améliorer les choses.

Deux ans plus tard, il semble que la situation n’a pas beaucoup changé. Le gouvernement ne respecte toujours pas les règles.

Monsieur le sénateur, pouvez-vous vous renseigner et nous dire si le ministre Bains a effectivement rencontré le PDG d’une entreprise américaine de marijuana après l’activité de financement du Parti libéral du 5 avril?

Le sénateur Harder : Je serai heureux de le faire.

[Français]

Énergie, environnement et ressources naturelles

Les travaux du comité

L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse à la présidente du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, la sénatrice Galvez, et porte sur la traduction des documents.

Tous les sénateurs ont le droit constitutionnel d’obtenir les documents dans les deux langues officielles, mais, à des fins pratiques, on tolère à certaines occasions que les documents soient transmis en anglais seulement, puisqu’on sait que la version française sera envoyée sous peu.

Mon équipe essaie de préparer des amendements à un projet de loi en ce moment, mais elle n’a pas la transcription de certaines séances ni la traduction de certains documents. Par conséquent, les documents des réunions des 10, 11, 12, 23, 24, 25, 26, 29 et 30 avril, ainsi que ceux de la réunion qui s’est tenue ce matin ne sont pas encore offerts dans les deux langues officielles.

(1400)

De plus, les témoignages ou les mémoires qui sont déposés le sont la plupart du temps en anglais, accompagnés d’une note indiquant que le français est à suivre. Les documents que nous avons reçus en français au cours des derniers jours sont les mémoires des témoins qui ont comparu aux réunions des 4, 11 et 12 avril.

Est-ce que la présidente du comité pourrait nous dire à quel moment mon droit constitutionnel de recevoir les documents en français sera respecté, et si je disposerai d’une période de temps adéquate pour préparer des amendements afin de pouvoir les déposer en bonne et due forme?

L’honorable Rosa Galvez : J’espère que le sénateur Carignan comprend que je n’ai pas tout à fait le contrôle des délais de traduction.

[Traduction]

Je fais de mon mieux. J’ai demandé de l’aide, mais je ne sais pas quand exactement.

Toutefois, puisque le sénateur Carignan me pose une question...

[Français]

— je voudrais me permettre de souligner qu’il m’a fait ce matin des remarques assez blessantes en utilisant des jurons québécois. Il a dit qu’il était en « tabarnak » contre moi. Ce langage est vulgaire, et je lui demande de s’en excuser.

Le sénateur Carignan : C’est une expression que je n’utilise pas toujours à bon escient, et je m’en excuse.

Cependant, je réitère ma demande et il n’est pas question que je renonce à un droit constitutionnel d’avoir accès à des documents dans les deux langues officielles. Je ne veux pas connaître la raison pour laquelle les documents ne sont pas offerts; la question est plutôt de savoir à quel moment je pourrai les obtenir dans les deux langues officielles et de combien de temps je disposerai par la suite pour préparer mes amendements en bonne et due forme, comme tous les autres membres du comité.

La sénatrice Galvez : Le plus tôt possible.

[Traduction]

Régie interne, budgets et administration

Les travaux du comité

L’honorable Marilou McPhedran : Ma question s’adresse au président du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration. Dans cette question, je demande une réponse à la question que j’ai posée le 21 mars et pour laquelle j’ai reçu une réponse différée le 1er mai.

Je voulais savoir si, compte tenu de la nouvelle politique sur le harcèlement, le comité a entrepris ou entreprendra un examen. Je pourrais relire la même question, mais je la pose de nouveau parce que voici la réponse fournie par le président du comité :

La nouvelle politique sur le harcèlement aura pour objectif d’examiner les plaintes sous un angle différent, notamment en ce qui concerne l’équité, la transparence et le respect des délais.

Il s’agit d’une excellente approche que nous devons tous encourager, c’est certain, mais le président n’a pas répondu à ma question.

Dans ma question, j’ai demandé si le Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration a entrepris ou entend entreprendre un examen de la nouvelle politique sur le harcèlement. J’aimerais savoir, plus particulièrement, si le comité s’emploiera à déterminer dans quelle mesure sa façon de répondre, non seulement aux questions mais aussi aux plaintes de harcèlement, a une incidence, s’il cherchera à connaître les répercussions sur les personnes qui portent plainte et s’il utilisera une optique différente de celle qui met l’accent sur le Sénat, les fonctionnaires du Sénat et les sénateurs.

Bref, je demande si le comité a envisagé un examen sous une forme ou une autre. J’apprécierais grandement qu’on réponde à cette question.

L’honorable Sabi Marwah : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Comme je vous l’ai mentionné plus tôt, j’ai renvoyé votre question à la présidence du sous-comité, soit aux sénateurs Saint-Germain et Tannas, en leur demandant précisément de donner suite à votre demande. Ils m’ont assuré que ce sera pris en compte dans le cadre de l’examen de la nouvelle politique qui est maintenant en cours.

La santé

La réglementation sur le cannabis

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Comme vous vous en souviendrez peut-être, le 17 octobre dernier, j’ai pris la parole au Sénat pour demander si Santé Canada avait pris des mesures exécutoires contre les cultivateurs de marijuana autorisés qui ont appuyé des activités de promotion et des campagnes publicitaires douteuses.

Le 19 février, dans une réponse différée à la question que j’ai soulevée le 17 octobre, on a déclaré ceci :

[...] Santé Canada a fait part de ses préoccupations particulières aux producteurs autorisés par le gouvernement fédéral qui entreprennent des activités promotionnelles. Dans tous les cas, les titulaires de permis ont traité ces préoccupations après avoir été contactés par le ministère.

Dans un article du Globe and Mail publié le 6 mars 2019, on indique que Santé Canada enquête pour déterminer si deux entreprises productrices de marijuana — Canopy Growth Corporation et Halo Labs — ont enfreint les lois en matière de publicité lorsqu’elles ont commandité l’activité de collecte de fonds de l’organisme caritatif Kids, Cops & Computers qui a eu lieu le 23 octobre.

Sénateur Harder, l’enquête de Santé Canada se poursuit-elle? Quand le ministère prévoit-il qu’elle aboutira? Si l’enquête est terminée, Santé Canada a-t-il déterminé qu’on a enfreint la Loi sur le cannabis?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénatrice de sa question. Je devrai évidemment me renseigner et vous revenir là-dessus, ce que je compte faire.

La sénatrice Seidman : Je vous en remercie.

Le passage rapide à la commercialisation dans l’industrie du cannabis devrait nous amener à réfléchir aux pouvoirs discrétionnaires conférés par la Loi sur le cannabis en matière de publicité. Nous savons que les entreprises de cannabis feront tout pour contourner les restrictions concernant la promotion de leurs produits, et c’est pourquoi cinq organismes de santé publique — le médecin hygiéniste en chef, l’Association canadienne de santé publique, l’Association médicale canadienne, la Société canadienne de pédiatrie et le Centre de toxicomanie et de santé mentale — ont tous recommandé que la publicité soit complètement interdite.

C’est un autre exemple d’un gouvernement qui dit vouloir adopter une approche de santé publique, mais qui ignore les conseils de tous les principaux organismes du domaine au pays.

Sénateur Harder, quand le gouvernement écoutera-t-il les conseils des grands organismes de santé publique du Canada? Quand harmonisera-t-il l’ensemble de la publicité du cannabis avec celle de la publicité du tabac, en la rendant illégale?

La sénatrice Stewart Olsen : C’est une excellente question.

Le sénateur Harder : Encore une fois, je remercie l’honorable sénatrice de sa question. Puisqu’elle a joué un rôle actif dans le débat que nous avons eu au Sénat, elle sait que le Parlement est arrivé à une autre conclusion concernant la réglementation de la publicité. Vous vous souviendrez que les ministres responsables à l’époque ont pris une décision en matière de politique publique et ont expliqué l’importance d’avoir un équilibre dans le nombre de publicités afin de s’attaquer au marché noir et de l’affaiblir.

Il s’agit d’un processus difficile. Les ministres de l’époque l’ont reconnu : la mise en œuvre du projet de loi serait un processus et non un événement ponctuel. Le gouvernement et les ministres compétents continuent de surveiller et d’évaluer la mise en œuvre, tenant compte des préoccupations que l’honorable sénatrice a soulevées.

[Français]

Les langues officielles

Le soutien apporté aux journaux régionaux

L’honorable Percy Mockler : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. L’an dernier, le gouvernement a annoncé un investissement de 350 millions de dollars dans les entreprises de la presse écrite, mais peu de détails sont disponibles. Ce programme ne réussit pas toujours à répondre aux défis vécus dans le monde du journalisme canadien, surtout auprès du peuple acadien.

(1410)

En juin prochain, l’Acadie Nouvelle du Nouveau-Brunswick célébrera son 35e anniversaire. L’histoire de notre presse écrite au Nouveau-Brunswick est un récit de combats constants et de résilience. Nous ne pouvons pas nous permettre la fermeture de notre journal, comme ce fut le cas en 1982 avec l’Évangéline. Il ne fait aucun doute dans mon esprit, sénateur Harder, que les sénateurs francophones, qu’il s’agisse des sénateurs McIntyre, Poirier, Ringuette ou, bien sûr, du sénateur Cormier, comprennent l’importance du rôle que joue l’Acadie Nouvelle, que l’on aime appeler « notre journal », au Nouveau-Brunswick.

Ce quotidien qui couvre l’actualité dans tout le Nouveau-Brunswick compte 65 employés. L’Acadie Nouvelle est le seul quotidien de langue française à l’est du Québec et compte plus de 60 000 lecteurs. Nos 20 000 abonnés, dont 30 p. 100 sont abonnés à la version numérique, profitent d’une politique de collecte de l’information pertinente pour notre peuple, soit la population francophone du Nouveau-Brunswick. L’Acadie Nouvelle est un véhicule important et indispensable pour les francophones et les Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick. Il est important que le gouvernement fédéral prenne le temps de nous écouter et qu’il travaille avec ceux qui, quotidiennement, doivent faire face à de nombreux défis dans le domaine de la presse écrite.

Monsieur le représentant du gouvernement, pouvez-vous vous engager auprès du peuple de l’Acadie du Nouveau-Brunswick à faire en sorte que le gouvernement nomme un représentant de l’Acadie à titre de membre du comité qui doit se pencher sur l’avenir de la presse écrite canadienne? Allez-vous porter à l’attention du gouvernement fédéral la nécessité de nommer une personne de l’Acadie pour représenter leurs intérêts dans les projets ou au bureau de gestion du nouveau programme fédéral?

[Traduction]

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Dans une autre vie, je me souviens être allé au siège social de L’Évangéline et d’y avoir mené des entrevues. Comme l’indique l’honorable sénateur, on parle d’un organe de presse important pour les communautés francophones, les Acadiens du Nouveau-Brunswick.

Le plan d’action qui a été lancé, et auquel l’honorable sénateur a fait allusion, prévoit je pense 10 millions de dollars par année pendant 5 ans. Le Consortium des médias communautaires a chargé l’Association de la presse francophone de procéder à une évaluation relativement au versement de ces fonds. Les premiers projets pourraient être financés en 2019.

L’affectation comme telle des fonds et la représentation des intérêts acadiens sont des sujets que je serais heureux de soulever auprès de la ministre Joly pour ensuite faire rapport à l’honorable sénateur.

Les institutions démocratiques

Les nominations au Sénat

L’honorable Denise Batters : Sénateur Harder, je vous ai demandé trois fois quels organismes avaient proposé la candidature des derniers sénateurs nommés et quelles provinces avaient refusé de nommer des représentants au Comité consultatif sur les nominations au Sénat. Vous avez mis cinq mois avant de fournir une pseudo-réponse différée qui ne répond à absolument rien.

Le gouvernement Trudeau a invoqué la Loi sur la protection des renseignements personnels et le respect de la confidentialité pour refuser de répondre. Voilà un autre exemple de la transparence factice du gouvernement Trudeau, et on comprend maintenant pourquoi. Le dernier rapport du Comité consultatif sur les nominations au Sénat fait la liste des 1 700 organismes et plus qui ont proposé des candidatures dans le cadre du processus de nomination mis en place par le gouvernement Trudeau. On y trouve notamment Bayer, la Fondation Aga Khan, la Fondation David Suzuki, Tides Canada et de nombreuses grandes banques. Dans certains cas, les objectifs poursuivis par ces groupes sont bien connus. Les Canadiens devraient pouvoir savoir quels groupes ont proposé la candidature des 16 plus récents sénateurs, qui exercent aujourd’hui des fonctions de législateur et pourraient bien être en conflit d’intérêts.

Pourquoi refusez-vous de répondre, sénateur Harder?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénatrice de sa question. La réponse qui lui a été fournie respecte en effet les exigences de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Si l’honorable sénatrice craint l’existence de conflits d’intérêts, elle peut évidemment s’adresser au conseiller sénatorial en éthique.

Je peux vous assurer que les sénateurs concernés sont tous des gens exceptionnels et qu’ils ont été nommés à l’issue d’un processus indépendant, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois.

Quand l’honorable sénatrice m’a demandé quel organisme avait présenté ma candidature, je lui ai répondu franchement. Peut-être devrait-elle faire connaissance avec certains des sénateurs concernés et leur poser directement la question.

La sénatrice Batters : Sénateur Harder, vous êtes ici pour représenter le gouvernement du Canada et son nouveau processus de nomination au Sénat. Le gouvernement Trudeau qualifie ce processus d’indépendant et, comme vous venez juste de le dire, indépendant. Nous avons déjà constaté qu’il ne l’est pas. La province de la Saskatchewan a refusé de nommer des représentants au Comité sur les nominations, tout comme, d’ailleurs, les précédents gouvernements de la Colombie-Britannique et du Manitoba. Cela signifie que les postes en question ont été intégralement dotés par le cabinet du premier ministre. Le comité consultatif du Québec sur les nominations au Sénat ne compte plus aucun membre depuis 18 mois. Or, deux sénateurs du Québec ont été récemment nommés. Les deux derniers rapports du Comité consultatif indépendant sur les nominations au Sénat ne donnent aucune explication à ce sujet.

C’est à votre tour de nous fournir une explication, sénateur Harder. Puisqu’il n’y avait personne au comité consultatif du Québec, qui a recommandé la candidature de ces deux sénateurs?

Le sénateur Harder : Encore une fois, il m’est difficile de parler au nom d’un organisme indépendant. Ce que je peux dire, c’est que le choix de recommander des candidatures au comité provincial relève totalement des gouvernements qui ont été invités à le faire. Si les provinces et les premiers ministres déclinent cette invitation, il est important, aux yeux du gouvernement, que des représentants de la province examinent les nominations proposées. Le gouvernement agit en conséquence. Il s’agit d’un processus indépendant qui est dirigé par l’éminente Canadienne Huguette Labelle, qui s’en charge en toute transparence.

[Français]

Régie interne, budgets et administration

Les travaux du comité

L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Vous avez entendu la question que j’ai posée à la présidente du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles quant aux délais liés à l’envoi des documents dans les deux langues officielles. Elle m’a dit qu’elle ferait son possible. Or, son possible dépend de l’Administration du Sénat.

Pouvez-vous me rassurer et me dire que le Sénat dispose de toutes les ressources nécessaires pour veiller à ce que les documents soient offerts dans les deux langues officielles, et ce, avant le début de l’étude article par article du projet de loi C-69? Peut-il nous confirmer que les services du Sénat disposent également des ressources nécessaires, particulièrement au Bureau du légiste, afin que nous puissions recevoir nos projets d’amendements en bonne et due forme dans les deux langues officielles dès le début de l’étude article par article du projet de loi C-69?

[Traduction]

L’honorable Sabi Marwah : Merci de la question, sénateur. C’est intéressant que vous souleviez la question, car nous venons d’avoir ce matin des nouvelles des services de traduction au Comité de la régie interne, qui ne font mention d’aucun problème. Je prendrai donc la question en délibéré et communiquerai avec l’Administration et les services de traduction pour veiller à ce que les problèmes que vous signalez soient réglés.


ORDRE DU JOUR

Question de privilège

Décision de la présidence

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le 9 avril 2019, le sénateur Plett a soulevé une question de privilège concernant la fuite relative à une entente confidentielle conclue à la suite de négociations privées entre des sénateurs qui occupent des postes de direction. Plusieurs sénateurs sont alors intervenus dans le débat sur l’affaire. Deux jours plus tard, à la demande du sénateur Plett, la question de privilège a été examinée de nouveau. Ces deux moments ont donné aux sénateurs amplement l’occasion d’expliquer leur compréhension des faits et d’exprimer leurs préoccupations quant aux événements qui sont survenus.

Il appert que deux préoccupations en lien avec cette question de privilège peuvent en ressortir, soit la divulgation de l’entente aux sénateurs qui n’ont pas pris part aux négociations et la divulgation de l’entente aux médias. Une fois divulguée aux médias, l’entente est rapidement devenue accessible au grand public.

Il est devenu évident au fil des interventions sur la question de privilège que les sénateurs qui avaient pris part aux discussions n’avaient pas tous compris de la même façon certains aspects de l’entente, notamment la façon dont elle serait communiquée, le cas échéant, et à qui elle serait communiquée. Le sénateur Woo a confirmé qu’il avait fait part de l’entente à ses collègues du Groupe des sénateurs indépendants en précisant qu’il l’avait fait en toute bonne foi. Le sénateur Plett, quant à lui, avait quitté la rencontre en croyant que l’entente « étai[t] strictement confidentiel[le] et ne devai[t] pas être transmis[e] à qui que ce soit, à part les plus proches conseillers de chaque leader ».

Comme les honorables sénateurs le savent, les discussions privées sur les questions qui touchent le Sénat sont essentielles au bon fonctionnement de notre institution. Le gouvernement, les représentants des différents caucus ou tout autre sénateur peuvent participer à ces échanges. Le Sénat est une institution très humaine et ces consultations informelles favorisent une compréhension commune des attentes relatives au déroulement prévu des travaux du Sénat. Elles permettent également de préciser ce qui, autrement, pourrait ne pas être clair.

Toutefois, ce genre d’interactions donnent parfois lieu à des malentendus. Cela semble avoir été le cas dans la situation actuelle. J’encourage donc les sénateurs à préciser autant que possible les conditions des ententes qu’ils concluent. Souvent, la meilleure façon de procéder consiste à mettre ces conditions par écrit. Lorsque survient un malentendu, comme c’est parfois le cas, nous devons nous employer à maintenir des relations positives alors que nous tentons de comprendre ce qui s’est produit et de régler tout problème de façon courtoise et productive.

En ce qui concerne le cas qui nous occupe, les quatre critères énoncés à l’article 13-2(1) du Règlement guident le Président dans l’examen d’une question de privilège. Tous les critères doivent être respectés afin de passer à la prochaine étape. Comme il ne fait aucun doute que cette question de privilège a été soulevée à la première occasion, le premier critère est respecté.

Il n’en va pas de même pour le deuxième critère, lequel prévoit que la question de privilège « se rapporte directement aux privilèges du Sénat, d’un de ses comités ou d’un sénateur ». Le privilège ne s’applique pas à toutes les activités des sénateurs. Comme l’a expliqué le Président de l’autre endroit le 11 avril, « les pouvoirs du Président se limitent aux affaires internes de la Chambre, à ses propres délibérations ». Ces pouvoirs ne s’appliquent pas aux affaires des caucus ni aux ententes conclues entre les parlementaires à l’extérieur des délibérations parlementaires. Je souligne également le commentaire qui se trouve à la page 74 de la 14e édition de l’ouvrage Odgers’ Australian Senate Practice qui précise que le privilège ne s’applique pas au contenu d’un document produit à l’extérieur du cadre des délibérations parlementaires. Ces limites sont conformes au point soulevé dans le rapport sur le privilège publié en 2015 par le Comité du Règlement selon lequel :

À l’ère des Twitter et autres médias sociaux, il est bon de réitérer que, dans le droit canadien, les communications faites à l’extérieur des délibérations parlementaires, par exemple les gazouillis ou les billets de blogue, ne sont pas protégées par le privilège parlementaire.

Étant donné que tous les critères énoncés à l’article 13-2(1) du Règlement doivent être respectés, la question de privilège n’est pas fondée à première vue en l’espèce. Je suis toutefois convaincu que les sénateurs chercheront à régler le malentendu évident qui a donné lieu à cette situation regrettable. Il pourrait aussi être opportun que tous les sénateurs réfléchissent à la nécessité de faire preuve de prudence dans l’utilisation des puissants outils que les médias sociaux mettent à notre disposition et qui ont peut-être accéléré le cours des événements qui ont conduit à cette question de privilège. Bien que ces outils nous aident à mettre en valeur l’important travail qu’accomplit le Sénat, nous ne devons pas faire abstraction de leurs risques potentiels.

(1420)

La Loi sur les océans
La Loi fédérale sur les hydrocarbures

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Bovey, appuyée par l’honorable sénatrice Omidvar, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures, tel que modifié.

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je citais un extrait du témoignage présenté au comité le 5 février dernier par Carey Bonnell, vice-président, Engagement et développement durable, à Ocean Choice International. Il a conclu comme suit :

Il est essentiel de s’assurer que ces décisions sont prises compte tenu des points de vue scientifique et socioéconomique.

Le rapport du comité de l’autre endroit qui est responsable de ce dossier va dans le même sens. Il dit ceci :

Les réalités socioéconomiques des collectivités côtières qui s’appuient sur les océans devraient être prises en considération de manière transparente par le MPO, qui devrait en faire un élément central du processus décisionnel relatif aux ZPM.

Le comité ajoute ensuite :

Il s’agit d’un oubli majeur dans le cadre du processus décisionnel vu que le processus de création de ZPM peut causer des conflits importants et une perte de confiance si l’on ne tient pas compte des facteurs sociaux, économiques et culturels autochtones, et les ZPM qui sont créées ne sont pas aussi efficaces qu’elles pourraient l’être.

Ce que j’en retiens surtout, c’est qu’il faut agir avec transparence afin que les intervenants de l’industrie, les membres des collectivités et les participants autochtones se sentent écoutés.

Mme Burridge, de la Seafood Alliance, a aussi exprimé son mécontentement à l’égard du système de consultation actuel, en ces termes :

Nous avons été déçus par le niveau de consultation ou l’efficacité du processus de consultation jusqu’à présent, et nous sommes troublés par certaines des données scientifiques. Nous aimerions assurément qu’il y ait de meilleures analyses scientifiques, et l’analyse socioéconomique doit être réalisée de pair avec l’analyse scientifique.

Elle a ensuite ajouté :

L’objectif de la Loi sur les océans et, par conséquent, des ZPM, est non pas d’éliminer la pêche commerciale, mais de protéger ce qui doit l’être tout en permettant une utilisation durable.

Cette nécessité d’équilibrer les intérêts économiques et la protection de l’environnement a été un thème récurrent. En réponse à la sénatrice Petitclerc, qui lui a demandé ce qu’il pensait de l’approche de précaution du projet de loi, Paul Lansbergen, président du Conseil canadien des pêches, a dit :

La gestion des pêches incorpore une approche de précaution, et nous sommes donc habitués à cette approche. C’est ainsi que c’est mis en œuvre ou appliqué.

Lorsque le ministère désigne une zone d’intérêt et que le raisonnement scientifique est incomplet, nous devons débattre collectivement de la question de l’équilibre. Toutefois, cela ne va pas nécessairement dicter une certaine voie pour ce qui est de protéger les caractéristiques en question. Il y a tout de même lieu de se demander si une ZPM [...] serait l’outil le plus approprié ou s’il s’agit d’un outil de gestion des pêches. Je ne crois pas que ce soit un débat sur l’outil qui est nécessairement exclu par une approche scientifique préventive complète.

Le premier ministre du Nunavik, Joe Savikataaq, a fait écho à cette préoccupation concernant le manque de consultations et le rejet potentiel d’autres intérêts dans la région dans une lettre adressée au premier ministre et au président de l’Association inuite du Qikiqtani, P.J. Akeeagok, datée du 1er octobre 2018. Dans la lettre, le premier ministre Savikataaq est clair :

Le gouvernement du Nunavut préconise la prise de décisions éclairées et ne peut donc pas appuyer la création d’une nouvelle zone de protection, même de façon provisoire, sans qu’il y ait de consultation publique et d’évaluation des ressources minérales et énergétiques, et sans que nous soyons des participants à part entière dans ce processus.

Lorsqu’il a comparu devant le comité, le 26 février 2019, le premier ministre du territoire a de nouveau fait part de ses préoccupations aux membres du comité :

Je tiens à répéter que nous ne sommes pas opposés à la création d’aires protégées, mais que nous soutenons que nous devons jouer un rôle dans le processus décisionnel. Nous avons exprimé à des occasions précises nos préoccupations au sujet de l’incapacité générale du gouvernement du Canada à faire participer le gouvernement du Nunavut à son processus décisionnel concernant les zones de protection marines.

Si le projet de loi C-55 obtient la sanction royale, il viendra légitimer davantage la prise de décisions unilatérales par le gouvernement du Canada au nom du Nunavut, ce qui aura une incidence directe sur les perspectives économiques des générations futures de Nunavummiut.

Par conséquent, le gouvernement du Nunavut demande au gouvernement du Canada d’apporter un amendement au projet de loi qui exigerait le consentement des gouvernements limitrophes avant la désignation d’une zone de protection marine ou l’interdiction d’activités au sein d’une zone de protection marine proposée dans ces administrations. Cet engagement renforcerait et améliorerait l’occasion de collaboration et de discussion au moment de l’établissement de zones de protection marines dans les eaux territoriales du Nunavut ou à proximité du territoire.

(1430)

Lors de son témoignage du 6 février 2019, Duane Smith, président et chef de la direction de la Société régionale inuvialuite, a aussi parlé de ses préoccupations à propos du pouvoir unilatéral qui est accordé au ministre pour désigner une zone de protection marine provisoire.

Il a dit ce qui suit :

Les Inuvialuit craignent que l’établissement de ZPM par décret ministériel en vertu de la Loi sur les océans et la restriction supplémentaire du développement par décret d’interdiction en vertu de la LFH réduisent le niveau de leur participation aux décisions déterminantes pour l’avenir de la région et exacerbent les problèmes de mise en œuvre que nous connaissons déjà.

D’ailleurs, la sénatrice Bovey, lors de son discours à l’étape de la troisième lecture, a souligné qu’un amendement avait été présenté à l’autre endroit pour préciser qu’un tel décret serait appliqué « d’une manière qui n’est pas incompatible avec un accord sur les revendications territoriales ».

Toutefois, M. Smith, dans une lettre envoyée à mon bureau le 19 mars 2019, a appuyé mon amendement en expliquant ce qui suit :

Étant donné que la Convention définitive des Inuvialuit n’a pas l’avantage d’inclure certaines des modalités principales que comptent les accords sur les revendications territoriales plus récents, et étant donné qu’un décret ministériel aux termes du paragraphe 35.1(2) du projet de loi pourrait entraîner de grandes répercussions sur notre région, nous sommes d’avis que cet amendement est nécessaire pour fournir des instructions claires aux personnes responsables de la mise en œuvre de la Loi sur les océans à long terme. Les dispositions de non-dérogation, même si elles sont essentielles, ne sont pas suffisantes dans ce cas-ci.

J’estime que mon amendement était nécessaire pour remédier à ces préoccupations. Je signale que, avec neuf voix pour, zéro voix contre et deux abstentions, le comité était pratiquement entièrement en accord avec moi.

La sénatrice Bovey a soulevé la question d’une lettre de l’Association inuite du Qikiqtani. Pour ceux qui n’ont pas lu la lettre, l’association craint l’incidence qu’aurait cet amendement sur ses négociations en cours entourant une éventuelle zone de protection marine dans le bassin de l’Extrême-Arctique au Nunavut, laquelle couvrirait une superficie énorme.

Je me suis entretenu directement avec le président de l’Association inuite du Qikiqtani, P.J. Akeeagok, et je lui ai expliqué que cet amendement, rédigé en collaboration avec le Conseil des ressources indiennes et le gouvernement du Nunavut, répond aux préoccupations de parties qui ne jouissent pas d’une protection en vertu de la disposition de non-dérogation actuelle. Le processus de l’Association inuite du Qikiqtani découle de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et il est protégé en vertu de l’article 5 du projet de loi.

En outre, dans une lettre datée du 6 avril 2019 et déposée auprès de la greffière du comité, j’ai écrit ceci à l’Association inuite du Qikiqtani :

Je comprends qu’un protocole d’entente concernant l’éventuelle protection du bassin de l’Extrême-Arctique, ou Tuvaijuittuq, a été signé entre le gouvernement du Canada, l’Association inuite du Qikiqtani et le gouvernement du Nunavut et que ce protocole d’entente a été annoncé publiquement le 12 avril 2010. Cela dit, toutes les communications avec le gouvernement du Nunavut indiquent un appui soutenu de la part de celui-ci pour cet amendement [...].

Je pense aussi qu’il faut redresser les inégalités entre les différentes revendications territoriales des Inuits et que cela pourrait fort bien mener à la modification de ces revendications, comme le mentionne dans son courriel M. Williamson Bathory, de l’Association inuite du Qikiqtani. Je demeure déterminé à parler de ce problème et à réclamer une solution à chaque occasion. Cependant, cela ne donnera pas de certitudes immédiates au Conseil des ressources indiennes et ne répondra pas aux préoccupations du premier ministre concernant les compétences.

D’ailleurs, la lettre envoyée au ministre Wilkinson par les trois premiers ministres des territoires le 25 avril 2019 m’était également adressée. On peut y lire ceci :

Nous avons appris que, dans le cadre de l’étude du projet de loi C-55 par le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, de légers amendements ont été proposés à l’article 5 à la page 4 afin d’ajouter la ligne 35.11(1) concernant la participation du public et des instances.

Cet amendement répond aux préoccupations soulevées par les représentants des gouvernements territoriaux lors des audiences du comité et il favorise la participation accrue de nos gouvernements et celle des habitants et des organisations des territoires. Nous appuyons son adoption.

Ce sont les paroles des trois premiers ministres des territoires.

Enfin, j’aimerais répondre à une affirmation faite par la sénatrice Bovey dans un discours prononcé le 11 avril. Elle a affirmé ceci devant le Sénat :

Encore une fois, même si, pour une raison que j’ignore, le gouvernement omettait de coopérer ou de mener des consultations conformément aux exigences juridiques explicites de la Loi sur les océans elle-même, l’arrêté de protection provisoire devrait franchir l’étape de la publication dans la Gazette et suivre les autres processus requis conformément à la Loi sur les textes réglementaires, selon laquelle n’importe qui peut exprimer ses préoccupations et soumettre ses observations. Manifestement, ce n’est pas la norme que nous devrions juger adéquate lorsqu’il s’agit de consulter les collectivités et les peuples autochtones. Toutefois, j’essaie de vous montrer que tous les mécanismes dont parle l’amendement sont déjà en place. Je me dois de penser que la question est prioritaire non pas en raison du présent projet de loi, mais parce que les gouvernements manquent depuis des années à leur devoir de consultation auprès de la population. Je comprends cette préoccupation et le désir d’y remédier.

Honorables collègues, je m’inscris respectueusement en faux contre l’affirmation selon laquelle l’arrêté de protection provisoire devrait franchir l’étape de la publication dans la Gazette.

L’article 5 modifie la Loi sur les océans afin que le ministre soit autorisé, aux termes du paragraphe 35(2), à prendre un arrêté. Il s’agit-là d’un pouvoir unilatéral et discriminatoire qu’on accorde au ministre des Pêches et des Océans pour qu’il désigne une zone de protection marine provisoire. C’est uniquement après un délai maximum de cinq ans qu’il faut décider d’abroger l’arrêté ou de demander au gouverneur au conseil de rendre cette désignation permanente. C’est seulement alors qu’on entamera le processus de publication dans la Gazette, conformément au paragraphe 35.3(1).

L’amendement que je propose fera en sorte qu’avant d’établir, par arrêté ministériel, une zone de protection marine temporaire, le ministre devra en préciser la raison d’être sur le site web du ministère et veiller à ce qu’il y ait suffisamment de possibilités de consultations publiques, comme l’ont réclamé les représentants de l’industrie de la pêche, le gouvernement du Nunavut et le Conseil des ressources indiennes.

Par surcroît, cet amendement assure que le gouvernement sera ouvert et transparent au sujet de l’utilisation de la rétroaction du public dans le processus décisionnel. Il crée un mécanisme permettant au Conseil des ressources indiennes et à tout gouvernement, agence ou entité autochtone provincial ou territorial visé de demander la tenue de consultations officielles et la prise de mesures d’adaptation, au besoin. Cet amendement prévoit également des délais clairs afin que les consultations se tiennent dans les 30 jours de la réception d’une demande provenant d’une instance.

Honorables sénateurs, ce projet de loi, tel qu’amendé, offre un exemple parfait de la raison d’être du Sénat. Les sénateurs sont à l’écoute des préoccupations des régions et des minorités. J’ai collaboré avec des intervenants pour préparer cet amendement et j’ai des lettres d’appui des premiers ministres des trois territoires et du président d’une organisation inuite chargée de s’occuper de revendications territoriales. Après un second examen objectif, nous avons amélioré le projet de loi en assurant la tenue de consultations selon un processus axé sur la transparence et la reddition de comptes.

Je ne dispose pas de suffisamment de temps aujourd’hui pour présenter tous les témoignages convaincants que je souhaiterais, mais les sénateurs, de tous les partis et groupes représentés au Sénat, qui ont assisté aux témoignages et entendu les arguments que les témoins ont présentés au comité ont convenu avec moi que cet amendement s’imposait, et personne n’a voté contre.

Honorables sénateurs, voilà pourquoi je vous exhorte à voter en faveur de la version amendée de ce projet de loi.

Merci.

L’honorable Elaine McCoy : Vous avez été très éloquent, sénateur Patterson.

Je suis ravie de parler du projet de loi C-55, qui vise à accorder au ministre des Pêches le pouvoir de désigner des zones de protection marine provisoires. J’aimerais soulever quatre points : le contexte, le nombre d’instruments législatifs dont nous disposons déjà dans ce contexte, le principe de précaution, et, enfin, les délais serrés qui nous sont impartis.

Commençons par le contexte. Nous savons tous que le Canada s’est fixé comme objectif de mettre en place un régime de gestion des aires marines de calibre mondial. Des éléments d’un tel régime existent déjà dans certaines régions du Canada, mais ils manquent de cohérence. Ils ne sont certainement pas cohérents dans les océans du pays.

Ce régime de calibre mondial compte trois grandes catégories. Nous avons probablement recensé 26 sous-éléments. Un d’entre eux, c’est que les grands thèmes sont la gestion du trafic maritime, la capacité d’intervention en cas d’urgence et la protection écologique. Cet élément tomberait dans le dernier grand thème.

Idéalement, un régime de gestion des aires marines de calibre mondial donnerait naissance à une zone maritime particulièrement vulnérable. Le Canada ne dispose d’aucune zone maritime particulièrement vulnérable. Je crois que nous pouvons faire mieux.

(1440)

Vous devriez être au courant de cinq mesures législatives que nous avons adoptées récemment ou dont nous sommes actuellement saisis.

Il y a le projet de loi C-86, qui a été adopté en décembre dernier. Il s’agit de la loi d’exécution du budget — un autre projet de loi omnibus — , qui a modifié la Loi sur la marine marchande du Canada ainsi que la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Puis, bien sûr, il y a le projet de loi C-68, qui porte sur les pêches et qui est à l’étude au comité; le projet de loi C-48, qui vise à imposer un moratoire relatif aux pétroliers et qui est à l’étude au comité; le projet de loi C-69, qui porte sur l’évaluation d’impact et d’autres lois et qui est à l’étude au comité; et le projet de loi C-97, qui est l’actuel projet de loi d’exécution du budget et qui renvoie à des modifications en cours, notamment à la Loi sur le pilotage.

Voilà certains des autres projets de loi que nous allons examiner ou que nous examinons actuellement et qui doivent être mis en contexte.

Le projet de loi C-86, le projet de loi omnibus que nous avons adopté en décembre qui modifiait la Loi sur la marine marchande du Canada, prévoyait des pouvoirs qui pourraient servir à appliquer des règlements semblables à ceux du projet de loi C-48, mais beaucoup plus vastes. Nous devrions en être conscients dans notre étude d’autres projets de loi. Nous sommes très près d’avoir des lois et des projets de loi redondants. Prendre une décision dans un cas pourrait nous empêcher de prendre une décision dans un autre cas.

Toujours en ce qui concerne le projet de loi C-86, nous devons prendre en considération le fait qu’il ne tient pas compte de tous les intérêts et toutes les aspirations des communautés autochtones. À titre d’exemple, la compensation pour la pêche communautaire est interrompue en raison des activités maritimes.

Passons maintenant au principe de précaution. Comme la plupart d’entre vous le savent, j’ai été présidente du Macleod Institute for Environmental Analysis au campus de l’Université de Calgary. L’une de nos principales activités consistait notamment à effectuer des examens par les pairs, à produire des rapports et à mener des études. Nous avions l’habitude de former des équipes de scientifiques — des universitaires du milieu scientifique, des biologistes et autres — pour effectuer nos examens. Nous utilisions le principe de précaution.

L’une des choses que j’ai apprises en dirigeant une équipe de scientifiques universitaires, c’est que ces derniers ne pouvaient pas me dire avec exactitude ou certitude quelles seraient les répercussions. Ils ne pouvaient parler que de probabilité. Ils pouvaient me donner une probabilité. Ils pouvaient dire que le fou à tête verte pouvait être touché, ou que la probabilité que cela arrive était élevée ou faible, mais, dans la plupart des cas, ils ne pouvaient pas dire à 100 p. 100 que cela allait arriver.

Au début, cela m’a surprise, car j’ai grandi en pensant que les scientifiques avaient des réponses sans nuances, c’était soit oui, soit non. Toutefois, dans ce domaine, ce n’était pas le cas, et c’est à partir de là que le principe de précaution a été établi. En cas de forte probabilité, les scientifiques disaient qu’il fallait agir comme si cela allait se produire, et voilà d’où vient le principe de précaution.

Il existe une nouvelle définition, et elle a été intégrée au projet de loi C-55. Parler de l’incertitude scientifique n’est pas un obstacle à l’action. Soit, mais cette nouvelle définition crée une grande incertitude, ce que nous ne voulons pas encourager.

Voici une citation d’un article savant publié dans le McGill Law Journal, où les auteurs écrivent :

Le principe de précaution [...] est en soi devenu source de grande incertitude. Les débats se poursuivent sur sa place dans différents systèmes juridiques, sa signification dans des contextes généraux et des contextes particuliers et ses implications pour le commerce, l’activité industrielle, le commerce étranger, la santé, l’agriculture et — en exagérant un peu, mais à peine — presque toutes les sphères de l’activité humaine.

Donc, le principe de précaution, comme il est indiqué, invoque chez nous tous un appel à la prudence dans nos décisions. Il ne veut certainement pas dire qu’on peut prendre des décisions non fondées scientifiquement. Il faut être prudent, mais il faut avoir des bases scientifiques. C’est simplement qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une certitude absolue sur le plan scientifique.

Enfin, j’aimerais ajouter une chose à ce sujet. L’idée derrière cette préoccupation — et vous l’avez entendu de la bouche d’autres personnes — est que nous ne voulons pas encourager la prise de décisions arbitraires, unilatérales ou sans préavis dans ce domaine.

Nous avons entendu du sénateur Christmas hier et du sénateur Patterson hier et aujourd’hui des exemples de décisions dans ce domaine qui ont été prises sans préavis et de manière particulièrement brutale pour les communautés autochtones.

Un autre exemple, survenu la semaine dernière, le 25 avril, est la décision arbitraire et unilatérale du ministre des Pêches, qui a soudainement annoncé que, dans toutes les zones de protection marine, les activités pétrolières et gazières, d’exploitation minière, de déversement de déchets et de chalutage de fond seraient interdites. C’est une interdiction de portée générale.

Nous avons l’habitude d’adopter une approche prudente à l’égard des zones de protection marine, qui sont faites sur mesure pour chaque élément de l’écosystème qu’on cherche à protéger, et il y a des zones tampons dans les colonnes d’eau avoisinantes verticales et latérales, et ainsi de suite. Elles sont conçues pour assurer une protection maximale en plus de pouvoir accommoder les autres intérêts dans la région.

Qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit de zones énormes. La dernière qu’on a annoncée a une superficie d’environ 12 000 kilomètres carrés. C’est plus grand que la ville d’Ottawa.

Soudainement, sans études ni consultations plus poussées, la ministre a pris la parole à une conférence internationale et a annoncé : « En passant, nous interdisons toute activité pétrolière et gazière, toute exploitation minière, le déversement de déchets et le chalutage des fonds marins. » C’est arbitraire en soi. C’est certainement unilatéral.

Mon quatrième point est ceci : Quelle est l’urgence? Pourquoi précipite-t-on ainsi les choses? J’ai eu connaissance de cela dans une lettre d’opinion rédigée par Hansjörg Wyss, publiée dans le Toronto Star, lundi dernier, le 22 avril. L’auteur est identifié comme un entrepreneur, un homme d’affaires et un philanthrope états-unien. Il a félicité le Canada pour son leadership dans le domaine des zones de protection marine. Il a dit que, depuis 2015, soit au cours des quatre dernières années, nous avons réussi à faire passer de 1 p. 100 à 8 p. 100 la proportion de nos océans qui sont protégés. Notre objectif pour l’année prochaine, convenue dans une déclaration internationale, est de passer à 10 p. 100. En quatre ans, nous avons augmenté les zones protégées de 800 p. 100, en tirant parti du pouvoir législatif qui permet déjà la création de zones de protection marine, malgré le fait que cela pourrait prendre jusqu’à neuf ans.

(1450)

Puisque nous avons déjà accompli d’énormes progrès en quatre ans, pourquoi serait-il urgent d’agir? Serait-ce en prévision de la prochaine conférence internationale, qui aura lieu dans 18 mois? La cible sera réexaminée en 2020. L’homme d’affaires et philanthrope américain dont j’ai parlé indique, dans sa lettre d’opinion, que les scientifiques recommandent maintenant à la communauté internationale de protéger 30 p. 100 des terres et des eaux de la planète d’ici 2030; 30 p. 100! C’est donc dire que, si cette tendance se maintient, un tiers des terres et des eaux de la planète sera essentiellement placé à l’abri de toute activité humaine.

Prenez un instant pour y penser, chers sénateurs. Est-ce parce qu’il reste seulement un an que le gouvernement souhaite soudainement tirer parti du pouvoir d’accorder une désignation intérimaire, dans le but de créer des zones protégées — sans avoir établi, selon moi, les bases nécessaires —, et ainsi donner l’impression qu’il a atteint la cible? Il aurait probablement pu l’atteindre au cours des quatre dernière années.

Je conclus donc, chers sénateurs, que nous devons appliquer le principe de prudence à nos propres conclusions. La première fois que j’ai entendu parler de la création d’une zone de protection marine intérimaire, j’y ai vu une bonne idée, puisque je suis favorable aux zones protégées et que j’ai toujours eu à cœur la protection de l’environnement. Toutefois, plus j’examinais ce dossier, plus les questions suivantes me préoccupaient : le fait d’agir ainsi, sans contexte, risque-t-il d’encourager, ou du moins de favoriser, des activités arbitraires et unilatérales? Qu’est-ce qui justifie l’urgence?

Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Thomas J. McInnis : Puis-je poser une question? Je sais que j’aurai bientôt la parole, mais j’aimerais poser une question.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice McCoy, acceptez-vous de répondre à une question?

La sénatrice McCoy : Oui.

Le sénateur McInnis : Sénatrice McCoy, votre allocution a été des plus éclairantes.

J’aimerais revenir sur le principe de précaution. Pensez-vous qu’il pourrait servir de béquille et permettre l’approbation d’un décret dans le règlement après cinq ans? Voici ce qui m’inquiète : vont-ils véritablement concentrer leurs efforts pour terminer les travaux scientifiques? Cinq ans, c’est long. On ne dit pas qu’on peut le prévoir dans le règlement si les travaux scientifiques sont terminés à 50 p. 100 ou à 75 p. 100. Sera-t-il possible pour les scientifiques d’agir arbitrairement...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur McInnis, le temps de parole de la sénatrice McCoy est écoulé.

Le sénateur Plett : Cinq minutes.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur McInnis : Pour en venir au fait, je dirai que, certes, la science est importante. Va-t-elle être employée à mauvais escient par ceux à qui il tarde de faire en sorte que l’arrêté de protection provisoire devienne un décret visant la protection permanente et soit inclus dans le règlement?

La sénatrice McCoy : Merci. Évidemment, il est difficile de prévoir ce qu’on fera de cette disposition, et je ne voudrais pas m’avancer sur les motivations de ceux qui prendront les décisions.

Ce qui me préoccupe, c’est en quelque sorte l’idée que l’on puisse faciliter le recours à un arrêté ministériel qui serait suivi d’un décret fondé sur des données scientifiques insuffisantes.

Vous vous concentrez sur la période de cinq ans et sur la possibilité qu’un arrêté provisoire soit suivi d’un décret établissant une zone de protection marine en bonne et due forme. Ce qui me préoccupe, c’est le risque que le premier arrêté ministériel provisoire ne se fonde sur aucune donnée scientifique probante.

Par exemple, quelqu’un pourrait tout simplement dire que tel endroit ferait une bonne zone de protection marine et devrait faire l’objet d’un arrêté ministériel. Voilà ce qui pose problème, à mon avis.

J’appuie l’application du principe de précaution que j’ai décrit et que des scientifiques de l’Université de Calgary m’ont expliqué. Selon ce principe, si des scientifiques considèrent qu’il y a un fort risque de nuire à une espèce ou à un milieu, alors il faut se comporter comme si ce risque allait se concrétiser. C’est faire preuve de précaution.

Cependant, il faudrait s’appuyer sur une étude scientifique exhaustive et recueillir des données, ce qui prend du temps, car on ne peut pas faire cela en seulement six ou neuf mois. Normalement, il faut étudier les répercussions sur les divers écosystèmes sur une période donnée, et c’est pour cette raison que cela prend du temps.

C’est l’approche adéquate et responsable à prendre, et je crains que l’on facilite la prise de décisions malavisées.

Le sénateur McInnis : Merci beaucoup. Oui, j’ai l’impression qu’on inverse le fardeau de la preuve en prenant ces arrêtés provisoires. On désigne une zone de protection marine, puis il faut prouver que ce n’est pas justifié. Il s’agit d’une partie du problème. En tout cas, merci beaucoup.

Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de dire quelques mots au sujet du projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures. De plus, je vais parler brièvement de l’amendement que j’ai proposé au comité, qui a été appuyé par la majorité de ses membres.

Tout d’abord, je tiens à remercier le sénateur Christmas de ses aimables remarques à mon égard relativement à certaines des observations que j’ai dû faire au comité. Il ne cherche pas les louanges, mais je dirai ceci : selon moi, le Sénat est devenu un meilleur endroit lorsque le sénateur Christmas y a été nommé.

Des voix : Bravo!

Le sénateur McInnis : Je connais depuis longtemps le sénateur Christmas et ses collègues de Membertou. Je peux vous dire que ses initiatives et celles d’autres personnes comme lui ont eu des retombées tout simplement extraordinaires pour l’économie de la partie industrielle de Cap-Breton et Membertou. C’est un modèle pour nous tous au Canada.

Je tiens à remercier la sénatrice Bovey, qui a été invitée à participer aux travaux du comité et qui a parrainé le projet de loi. Il est extrêmement difficile de critiquer la sénatrice Bovey. Elle est d’une gentillesse sans pareille. Elle a fait un travail formidable tout comme c’est le cas du sénateur Patterson, qui a été invité en tant que porte-parole.

Les zones de protection marine semblent être une excellente façon de préserver et de protéger les océans. C’est pourquoi, en 2010, le gouvernement fédéral a signé une entente avec les Nations Unies prévoyant de protéger 10 p. 100 des zones marines et côtières du Canada d’ici la fin de 2020.

Honorables sénateurs, si des gens peuvent affirmer qu’ils comprennent toute l’importance de prendre soin de l’océan, ce sont bien les habitants de la Nouvelle-Écosse. La province compte le plus grand centre de recherche océanique du Canada, l’Institut océanographique de Bedford. De plus, il y a 300 entreprises de technologies océaniques en Nouvelle-Écosse. Nous sommes des chefs de file de la protection des océans. Par exemple, en raison de la zone de pêche dans le banc de Georges, nous avons prolongé le moratoire relatif aux activités pétrolières et gazières. C’est pour cette raison que les Néo-Écossais méritent la chance de continuer d’optimiser, de manière responsable, les ressources au large des côtes de la province.

(1500)

Permettez-moi de nommer quelques avantages que nous procure l’exploitation des ressources extracôtières. En 2017, nos exportations de fruits de mer ont atteint les 2 milliards de dollars. Au cours des 20 dernières années, les Néo-Écossais ont touché un revenu de 4 milliards de dollars grâce aux projets pétroliers et ont bénéficié de retombées additionnelles de 5 milliards sous forme d’achat de biens et services et d’engagements de travail.

De plus, selon les études géologiques effectuées, les régions extracôtières de la Nouvelle-Écosse renferment des ressources inexploitées estimées à 8 milliards de barils de pétrole et à 120 billions de pieds cubes de gaz naturel. La possibilité que plusieurs zones de protection marine soient créées au large de la Nouvelle-Écosse crée de l’anxiété parmi ceux dont le gagne-pain provient de l’océan de même que parmi les investisseurs potentiels.

Vous vous demandez peut-être d’où est venue l’idée de créer plusieurs zones de protection marine au large de la Nouvelle-Écosse. J’ai une carte qui montre environ 18 zones de protection marine éventuelles au large de la Nouvelle-Écosse. Cette carte est issue d’un rapport de 2011 du gouvernement du Canada. Il s’agit de zones d’importance écologique et biologique justifiant un degré supérieur de prévention des risques dans la gestion des activités. Permettez-moi de citer le document :

Ces zones serviront à guider les processus élargis de planification de la gestion des océans et seront prises en considération dans la conception des réseaux biorégionaux de zones de protection marine.

Honorables sénateurs, en mars 2012, la région des Maritimes du ministère des Pêches et des Océans a tenu un processus de consultation scientifique en vue de l’élaboration d’avis initiaux sur les objectifs, les données écologiques et les méthodes qui devraient servir à l’établissement d’un réseau de zones de protection marine. C’était il y a sept ou huit ans. Il était notamment question de créer la zone de protection marine proposée sur la côte Est de la Nouvelle-Écosse. C’est à ce moment que les pêcheurs, les habitants, les Premières Nations et le gouvernement de la Nouvelle-Écosse auraient dû être informés et consultés au sujet de ces zones de protection marines prévues au large des côtes de la province.

Imaginez la situation : ces zones de protection marine potentielles s’étendraient de la pointe de Yarmouth à la pointe nord du Cap‑Breton. Honorables sénateurs, à l’exception de la zone de protection marine proposée sur la côte Est, je ne crois pas qu’aucune de ces informations n’ait été publiée dans la Gazette du Canada, diffusée ou autrement communiquée aux Néo-Écossais. À mon avis, ils sont en droit d’être informés, et ce projet de loi ne corrige en rien la situation. Il n’y a ni transparence ni consultation. Il n’est pas étonnant que les gens soient inquiets.

Sénatrice Bovey, en tout respect, vous avez parlé de la zone de protection marine sur la côte Est qu’ont peut maintenant voir en ligne et qui a probablement été affichée en 2018. La réalité, c’est que le ministère des Pêches et des Océans aurait pu et dû informer les gens de ses intentions et obtenir leur participation dès 2011 ou même avant. Il semble que la carte dont il a été question a été produite à cette époque.

Lorsque les gouvernements adoptent des mesures qui ont un effet direct sur la vie des citoyens et le bien-être économique des petits villages côtiers, ces derniers doivent en être avertis de manière claire. Les résidants, y compris les pêcheurs, entendaient des rumeurs à propos d’une éventuelle zone de protection marine depuis des années et s’en inquiétaient.

Honorables sénateurs, il est important de communiquer dès le départ avec les citoyens, car on peut ainsi se rendre compte qu’une zone de protection marine n’est pas nécessaire. Le ministère des Pêches et des Océans, le ministère de l’Environnement et les pêcheurs ont tous dit dans leurs témoignages que les eaux de la côte Est de la province sont en parfait état et que la pêche y est très bien gérée depuis des centaines d’années. En quoi une zone de protection marine améliore-t-elle les choses?

Il va sans dire que cette proposition est vivement contestée. Cette vive opposition découle en partie du fait qu’on pense en général que le ministère des Pêches et des Océans avait décidé qu’il y aurait une zone de protection marine avant même d’annoncer en mars dernier qu’il amorcerait des consultations sur le sujet auprès des collectivités. Le ministre des Pêches et des Océans a indiqué que les personnes qui ont pêché dans ces eaux pendant les 12 mois précédant la création de la zone de protection marine pourraient continuer de le faire, mais le problème de ce mécanisme est qu’il permet aux gouvernements, actuel ou à venir, de modifier la loi pour transformer la zone en zone interdite à la pêche. Cette possibilité existera dès qu’une zone de protection marine aura été délimitée.

En outre, certaines espèces qui ne sont pas actuellement pêchées pourraient l’être à l’avenir. Le projet de loi empêcherait-il une telle expansion? Je crois que oui. Par ailleurs, la sénatrice Bovey attire l’attention, à juste titre, sur la Loi sur la gestion des finances publiques, qui donne le pouvoir légal de publier les détails de la zone de protection marine proposée. Cela se trouve dans la Gazette du Canada. Alors, quel mal y a-t-il à inclure aussi cette exigence dans la mesure législative à l’étude? Il n’y a aucun mal à cela. Cela assurerait la publication de ces détails. En fait, j’aurais aimé qu’on aille encore plus loin et qu’on exige l’envoi d’une publication générale pour informer tous les citoyens concernés de la désignation imminente d’une zone de protection marine et leur en expliquer les conséquences.

La plupart des habitants des régions rurales n’ont pas accès à Internet et n’ont aucune idée de ce qu’est la Gazette du Canada. Honorables sénateurs, vous devez absolument prendre toutes les précautions nécessaires pour que les personnes qui vivent de la pêche et qui assurent la survie de leur localité rurale grâce à elle soient informées rapidement de ce qui se passe, à toutes les étapes du processus.

L’amendement que je propose n’est pas redondant pour les gens qui sont surpris d’apprendre que leur mode de vie est menacé, un mode de vie que leurs ancêtres et eux-mêmes honorent depuis des siècles. Il consiste plutôt à leur donner l’assurance qu’ils seront informés de ce qui se passe, et ce, peu importe le moyen.

Merci beaucoup.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Housakos : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)

[Français]

La Loi sur l’accès à l’information
La Loi sur la protection des renseignements personnels

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’honorable Pierrette Ringuette propose que le projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier tous ceux et celles qui ont contribué à l’élaboration de ce projet de loi. En particulier, le projet de loi modifié dont nous sommes saisis aujourd’hui a bénéficié de l’attention réfléchie de nos collègues du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Le travail des comités est significatif et important. Ce sont des endroits où, ensemble, les sénateurs peuvent contribuer à l’élaboration de bonnes politiques publiques visant à améliorer réellement la vie des Canadiens. Les conversations avec les Canadiens et les Canadiennes constituent une partie importante de la politique publique, et nos comités offrent une tribune importante grâce à laquelle il est possible d’avoir ces conversations.

Le comité a entendu notamment la commissaire à l’information et le commissaire à la protection de la vie privée, qui doivent être félicités de leurs efforts visant à améliorer ce projet de loi. Je tiens également à féliciter le gouvernement de son engagement continu auprès des commissaires après la présentation de ce projet de loi. Le comité a entendu des représentants d’organisations autochtones, qui ont fourni des informations importantes sur leur besoin d’avoir accès à des documents de grande valeur archivistique et historique. Des juristes et des journalistes ont également prêté leur voix à cette conversation, en partageant leurs expériences uniques et en expliquant l’importance de cette loi pour leur travail.

Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui témoigne du travail acharné de nombreuses personnes. Il est important de rappeler que le projet de loi C-58 n’est que la première phase des réformes du gouvernement en matière d’accès à l’information.

(1510)

Le projet de loi C-58 ferait en sorte que la Loi sur l’accès à l’information ne soit plus jamais désuète. Les examens quinquennaux seraient obligatoires, et le premier examen complet commencerait dans l’année suivant la sanction royale du projet de loi.

[Traduction]

De plus, le gouvernement s’est engagé à consulter les organisations et les représentants autochtones afin de déterminer la façon dont la Loi sur l’accès à l’information doit évoluer pour refléter la relation du Canada avec les peuples autochtones, notamment la façon dont l’information et le savoir des communautés autochtones sont protégés et rendus accessibles. Le gouvernement reconnaît l’importance de travailler en étroite collaboration avec les organisations autochtones pour s’assurer que les processus d’accès à l’information sont adaptés à leurs besoins. Il s’agit de l’un des éléments sur lesquels on se penchera lors du prochain examen complet.

En ce qui concerne la question des revendications territoriales et de l’accès aux documents, il est important de souligner que, dans la lettre envoyée au comité par la présidente du Conseil du Trésor, le gouvernement s’engage à travailler avec des intervenants. Voici ce qu’on peut y lire :

[...] le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, en collaboration avec Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, consultera tous les intervenants sur la faisabilité de transférer des documents qui présentent une valeur historique ou archivistique aux institutions chargées des archives. Les conclusions seront présentées au Parlement dans le contexte du premier examen de la Loi qui suivra l’entrée en vigueur du projet de loi C-58.

Honorables sénateurs, je voudrais maintenant parler de la position du gouvernement concernant les amendements adoptés par le comité en ce qui concerne l’équilibre des droits d’accès et de la protection des informations personnelles, l’entrée en vigueur du pouvoir de décision du commissaire à l’information, et les nouvelles exigences proposées pour indiquer un sujet précis, un type de document et une date ou une plage de dates dans une demande.

J’aimerais également parler de la nouvelle partie 2 proposée de la Loi sur l’accès à l’information, de nouvelles exigences de publication proactive qui concrétisent l’idée que le gouvernement est « ouvert par défaut ».

Tout d’abord, nous avons entendu les recommandations de la commissaire à l’information et du commissaire à la protection de la vie privée concernant la modification de certains aspects du projet de loi C-58 pour garantir la protection de la confidentialité des renseignements personnels dans le contexte du nouveau pouvoir important de la commissaire à l’information d’ordonner la divulgation d’information. Les commissaires ont recommandé que la commissaire à l’information consulte obligatoirement le commissaire à la protection de la vie privée avant de rendre une ordonnance de divulgation de renseignements personnels. Les commissaires ont également recommandé de laisser à la commissaire à l’information le pouvoir discrétionnaire de consulter le commissaire à la protection de la vie privée lors d’une enquête sur une plainte concernant l’application de l’exemption relative aux renseignements personnels.

Le comité a apporté ces modifications, ainsi qu’une série de modifications connexes demandées par les commissaires, et je le remercie.

Ces modifications renforceront la protection des renseignements personnels et protégeront davantage le droit des Canadiens à la vie privée. Pour ces raisons, le gouvernement appuie ces amendements et remercie les commissaires et le comité pour leur contribution au renforcement de ces dispositions.

Le comité a également modifié le projet de loi afin que le pouvoir de décision du commissaire à l’information entre en vigueur dès la sanction royale du projet de loi C-58. À l’origine, l’entrée en vigueur aurait eu lieu un an après la sanction royale. Ce délai avait pour but de donner à la commissaire à l’information le temps d’apporter les modifications structurelles ou autres nécessaires à son bureau afin de se préparer à ses nouveaux pouvoirs de surveillance. Cependant, la commissaire à l’information a demandé que son pouvoir de rendre des ordonnances entre en vigueur à la sanction royale plutôt qu’un an plus tard. Dans une lettre au gouvernement et dans son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, elle a déclaré que la transition au nouveau régime serait moins compliquée.

Le gouvernement accorde une grande importance à sa vision de la question et appuie l’amendement proposé par le comité sénatorial.

J’aimerais dire quelques mots sur l’importance du pouvoir de rendre des ordonnances conféré au commissaire à l’information. Le pouvoir proposé transformerait le rôle du commissaire en le faisant passer d’ombudsman qui fait des recommandations à une autorité habilitée par la loi à rendre des ordonnances exécutoires concernant le traitement des demandes, y compris la communication des dossiers. Le commissaire à l’information pourrait également publier ses ordonnances, créant ainsi un ensemble de précédents servant à orienter les institutions et les utilisateurs du système. Ce sont des avancées majeures.

Dans une lettre qu’elle a envoyée au comité, la présidente du Conseil du Trésor appuie l’engagement du gouvernement en matière d’accès à l’information en promettant des fonds accrus destinés à éliminer l’arriéré de demandes. Il s’agit d’une somme de 3,6 millions de dollars prévue dans le budget de 2018, qui vise à appuyer le commissaire à l’information, et de fonds pouvant aller jusqu’à 5,1 millions de dollars pour les exercices 2019-2020 à 2021-2022, et jusqu’à 1,7 million de dollars pour les années suivantes.

J’aimerais maintenant parler de la proposition selon laquelle les demandeurs devraient indiquer un sujet, un type de dossier et une période précis. Ces dispositions visaient à faire en sorte que les demandes contiennent suffisamment de renseignements pour générer des réponses rapides.

Des groupes autochtones et la commissaire à l’information ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’utilisation potentiellement abusive de ces exigences, et le comité a amendé le projet de loi afin de supprimer les exigences relatives à l’obligation de fournir ces détails. Le gouvernement a été informé des préoccupations concernant ces dispositions et il appuie l’amendement proposé par le comité.

Une question a beaucoup suscité l’intérêt des membres du comité et d’autres sénateurs. Il s’agit du rôle du Président du Sénat. Le projet de loi prévoit que le Président pourrait déterminer que la publication d’informations par divulgation proactive constitue une atteinte au privilège et empêcher une telle publication. Certains ont fait valoir que cela pourrait impliquer — j’insiste sur le terme « impliquer » — que le Président a le pouvoir de déterminer le privilège de tous les sénateurs, ce qui n’est pas son rôle.

Selon moi, on ne porte pas atteinte à ce droit dans le libellé initial. Les Présidents des deux Chambres sont les gardiens de notre privilège, en vertu de la Loi sur le Parlement du Canada. J’ai toutefois proposé un amendement afin d’indiquer sans équivoque que le Président détermine seulement si l’information pourrait porter atteinte au privilège, et non pas qu’elle porte bel et bien atteinte au privilège.

Le projet de loi accorde ce pouvoir au Président parce que la divulgation d’informations a lieu même lorsque le Sénat ne siège pas. Il doit donc y avoir des balises afin qu’aucun renseignement confidentiel ne soit divulgué pendant que le Sénat ne siège pas.

(1520)

Mon amendement ajoutait également que la décision de la présidence n’était finale que pour ce qui avait trait à la divulgation proactive. Il a lui-même été amendé afin de préciser que les règles des deux Chambres doivent être respectées. Au comité, tous les sénateurs présents se sont dits satisfaits de ces changements.

À mes yeux, la version amendée du projet de loi définit clairement le rôle de la présidence et précise que les droits du Sénat demeurent intacts. Si la présidence devait déterminer que tel ou tel renseignement constituait une atteinte au privilège, sa décision ne vaudrait que pour la période visée par la divulgation proactive.

Si le Sénat, un comité ou un sénateur souhaitait rendre ce même renseignement public par un autre moyen, par exemple dans une motion, ce serait toujours possible.

J’aimerais parler brièvement d’un des aspects du projet de loi qui a été amendé par le comité avec mon soutien, mais pas nécessairement avec celui du gouvernement, même si j’espère que les autorités concernées prendront le temps de soupeser les changements qui ont été apportés.

Le sénateur Dalphond a proposé un amendement afin que les données relatives aux dépenses des juges soient publiées sous forme plus ou moins agrégée. Selon moi, il s’agit d’un amendement équilibré qui permettra d’atténuer certaines préoccupations touchant l’indépendance de la magistrature et la sécurité des juges. J’espère que le gouvernement prendra le temps de l’étudier attentivement.

Le sénateur Pratte a amendé le projet de loi afin de limiter les frais aux frais de demande. Le gouvernement a accepté de ne percevoir que les frais de demande de 5 $, alors que la version initiale du projet de loi laissait ouverte la possibilité que d’autres frais soient éventuellement ajoutés.

Je me suis opposée à cet amendement, car je pense que, dans le futur, il pourrait être nécessaire d’exiger des frais dans certaines situations.

Comme je l’ai souligné au comité, les entreprises se servent souvent des demandes d’accès à l’information pour obtenir des renseignements qui leur sont utiles, parfois même des renseignements au sujet de leurs concurrents. Si je crois qu’il faut limiter les frais pour les Canadiens, je crois aussi que ces derniers ne devraient pas avoir à payer pour que des entreprises fassent des profits. Je pense que, dans le futur, il pourrait y avoir une certaine forme de recouvrement des coûts par l’imposition de frais. Je crois qu’il serait prudent de conserver cette possibilité.

Des discussions ont également eu lieu sur la question de savoir qui sera chargé de l’examen du système. Je parle du système d’accès à l’information. Le projet de loi prévoit la tenue d’examens quinquennaux après un premier examen mené après la première année par le président du Conseil du Trésor. Cet examen serait déposé dans les deux Chambres et le comité aurait par conséquent l’occasion d’en étudier les conclusions.

On craignait que cela ne permette pas un examen complet par les comités des deux Chambres. Je ne suis pas d’accord. Les amendements proposés auraient retiré au ministre les fonctions d’examen pour les confier aux comités. Je ne suis pas d’accord avec cela non plus. Pourquoi ne voudrions-nous pas que le ministre procède à l’examen en premier, suivi des comités?

Je ne suis pas d’accord avec l’amendement du sénateur Pratte qui va à l’encontre des autres lois qui prévoient un examen quinquennal, comme la Loi sur les banques.

Il faut également noter que les comités ont le pouvoir d’entreprendre en tout temps leur propre examen. Je crois que les dispositions de ce projet de loi répondent à leurs besoins.

Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant aborder les dispositions importantes relatives à la publication proactive que contient le projet de loi C-58. Cela créerait une nouvelle partie de la Loi sur l’accès à l’information, qui concrétiserait l’idée d’un gouvernement ouvert par défaut.

Les obligations de publication proactive s’appliqueraient à quelque 265 ministères, agences et sociétés d’État, de même qu’au cabinet du premier ministre, aux cabinets des ministres, aux sénateurs, aux députés, aux institutions qui appuient le Parlement, ainsi qu’aux institutions administratives qui appuient les tribunaux. Cette mesure consacrerait dans la loi la publication proactive d’informations importantes pour les Canadiens, soit des informations permettant davantage de transparence et de responsabilité en ce qui concerne l’utilisation des deniers publics. Il n’y a actuellement rien dans la loi qui exige la publication de ces informations.

La publication proactive améliore la transparence et la reddition de comptes en ce qui concerne l’utilisation des fonds publics, notamment pour les frais de déplacement et d’accueil; les contrats de plus de 10 000 $ ainsi que tous les contrats émis par des députés et des sénateurs; les subventions et contributions d’une valeur supérieure à 25 000 $; les lettres de mandat, originales ou révisées; les documents d’information destinés aux nouveaux ministres et sous-ministres; les documents d’information destinés aux ministres et sous-ministres; ainsi que les reliures parlementaires utilisées pour la période des questions et les comparutions devant des comités.

Le fait de mettre cette information à la disposition des Canadiens sans qu’ils aient à en faire la demande assure davantage d’ouverture et de transparence de la part du gouvernement de l’heure et, bien sûr, des gouvernements à venir.

[Français]

En terminant, honorables sénateurs, permettez-moi de remercier encore une fois le comité pour l’examen approfondi et réfléchi des problèmes liés à l’amélioration du système canadien d’accès à l’information.

Les changements dont j’ai parlé aujourd’hui renforcent encore les efforts de réforme de notre Loi sur l’accès à l’information, une loi qui n’a pas été mise à jour de manière significative depuis plus de trois décennies. Je crois que, grâce au travail acharné du comité et de nombreux autres intervenants, nous avons l’occasion aujourd’hui d’aller de l’avant avec une Loi sur l’accès à l’information qui répondra aux besoins des Canadiens en matière d’information gouvernementale à l’ère numérique.

J’exhorte tous mes collègues à voter en faveur de ce projet de loi transformateur. Il s’agit d’un pas en avant important pour la liberté de l’information dans ce pays.

Je vous remercie.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence. Je tiens d’abord à remercier le sénateur Joyal d’avoir présidé les travaux du comité tout au long de l’étude du projet de loi C-58. Également, en ma qualité de vice-président du comité, je tiens à souligner le travail de ma collègue vice-présidente, la sénatrice Dupuis. Je ne saurais non plus passer sous silence le travail de tous les sénateurs, qui ont accompli un travail très participatif, actif, soutenu et surtout d’une très grande sérénité, si l’on considère la complexité de la tâche qui nous incombait.

(1530)

Les témoignages que nous avons entendus tout au long de l’étude du projet de loi C-58 ont été dévastateurs. Permettez-moi de souligner quelques-uns des nombreux témoignages qui ont montré à quel point le projet de loi C-58 représente, dans plusieurs de ses parties et de ses articles, un échec dans la réforme du droit d’accès à l’information au Canada.

Stéphane Giroux, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, est venu nous parler au nom des 1 800 membres de son organisme. La fédération est la plus grande association de journalistes au Canada. Lors de son témoignage, le mercredi 31 octobre 2018, il a dit ce qui suit :

En un mot, ce projet de loi est très décevant. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec recommande que ce projet de loi soit rejeté d’emblée, que le Secrétariat du Conseil du Trésor refasse ses devoirs et propose aux citoyens canadiens un nouveau projet de loi mieux aligné sur ses engagements.

Le mémoire présenté par la fédération est tout aussi critique. On peut y lire ce qui suit :

La FPJQ est très déçue de ce projet de loi édulcoré [...]

Le mémoire ajoute que le projet de loi C-58 « ne reflète en rien l’esprit des engagements », et j’ajouterais même des promesses, « pris par le Parti libéral du Canada et son chef M. Justin Trudeau, premier ministre du Canada. »

Rappelons aussi que, avant de recevoir le projet de loi C-58 de l’autre endroit, l’ancienne commissaire à l’information, Mme Suzanne Legault, avait été tout aussi critique dans ses commentaires à l’égard du projet de loi C-58. Le 1er novembre 2017, elle a déclaré ce qui suit :

Si le projet de loi C-58 n’est pas amendé en profondeur, je préfère de loin le statu quo.

L’ancienne commissaire à l’information a aussi déclaré ce qui suit, le 28 septembre 2017 :

Après avoir étudié le projet de loi, il n’y a qu’une conclusion à tirer : les modifications proposées à la Loi sur l’accès à l’information ne feront pas progresser la transparence gouvernementale [...] Le projet de loi ne respecte pas les promesses du gouvernement. S’il est adopté, il entraînerait une régression des droits existants.

Si le gouvernement fédéral a vraiment voulu moderniser le régime d’accès à l’information, il n’y a pas de doute, sur la base des témoignages que nous avons entendus, que c’est un échec.

Honorables sénateurs, l’accès à l’information est au cœur du fonctionnement de notre démocratie. Sans accès à l’information, l’opposition officielle ne peut pas remplir son rôle de surveillance du gouvernement. Sans un véritable régime d’accès à l’information, il n’y a pas de véritable reddition de comptes de la part des divers ministères et organismes gouvernementaux. Sans accès à l’information, les journalistes ne peuvent pas faire leur travail. Sans accès à l’information, les Canadiens sont privés de la vérité sur les actions et les décisions de leur gouvernement fédéral à Ottawa. Voilà pourquoi j’ai déposé, tout comme certains de mes collègues sénateurs, quelques amendements au comité. Mes amendements ont tous été rejetés, sauf un seul, qui portait sur l’utilisation de codes en vue d’entraver l’application de la Loi sur l’accès à l’information. Toutefois, je souhaite revenir aux deux propositions que j’ai déposées devant le comité. À la fin de mon discours, je vais d’ailleurs déposer une motion qui contient un amendement. Cet amendement porte sur la divulgation proactive.

Le projet de loi C-58 va rendre publiques certaines dépenses d’hospitalité et de déplacement. Cependant, les Canadiens réclament plus de transparence. Les libéraux ont promis en 2015 qu’ils formeraient un gouvernement véritablement transparent. Je donne donc la chance au gouvernement de le prouver. La promesse libérale de 2015 allait beaucoup plus loin. Elle promettait de rendre applicable la Loi sur l’accès à l’information aux cabinets des ministres et du premier ministre. Cet amendement modifie le projet de loi afin de rendre publics deux éléments : d’abord, les indemnités de départ des employés. Pensons à Gerald Butts, par exemple, l’ancien secrétaire principal du premier ministre Trudeau, qui a quitté ses fonctions dans la tourmente du dossier SNC-Lavalin avec une indemnité de départ qui n’a pas été rendue publique. Nous ne savons toujours pas s’il en a reçu une ni, si c’est le cas, combien d’argent il a reçu. Les Canadiens ont le droit de savoir combien tout cela leur a coûté, car c’est leur argent.

L’amendement propose que cette information soit publiée dans les 30 jours suivant la fin du premier mois au cours duquel un conseiller du bureau du premier ministre, ou du premier ministre, donc un membre du personnel politique, a reçu une indemnité de départ. La divulgation proactive indiquerait le nom de la personne qui reçoit l’indemnité, la date à laquelle cette personne n’est plus conseiller ministériel ou membre du personnel ministériel, par exemple le chef de cabinet, et le montant reçu.

Dans le cadre de l’étude du projet de loi, Stéphane Giroux, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, citant la très honorable Beverley McLachlin, a dit ce qui suit :

Il est aisé d’expliquer pourquoi l’accès à l’information est essentiel à la démocratie.

La possibilité de voter de façon éclairée suppose un débat éclairé. Le Parlement et le pouvoir exécutif tirent leur pouvoir du peuple, lequel exerce ce pouvoir en votant pour ou contre tel ou tel candidat à l’occasion d’élections. Or, pour que les citoyens puissent participer et voter d’une manière efficace, ils doivent savoir et comprendre ce que fait le gouvernement.

Dans son témoignage devant le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, le 25 octobre 2017, M. Nick Taylor-Vaisey, président de l’Association canadienne des journalistes a affirmé ce qui suit :

Vous auriez bien du mal à trouver un journaliste qui ne célèbre pas une divulgation proactive accrue.

Dans le mémoire qu’il a soumis au comité, M. Ken Rubin, un attaché de recherche, a écrit ce qui suit à la page 6 :

Le projet de loi C-58 ne vise pas non plus à inclure dans son champ les personnes qui reçoivent des fonds importants du gouvernement (ou les fonctionnaires [...]. Il n’a pas non plus pour objectif que les dépenses des fonctionnaires, qui comprennent des avantages sociaux parfois permanents, soient entièrement divulguées, parfois cachées derrière des échelles de rémunération et des données anonymes [...]

C’est pourquoi j’estime qu’il est raisonnable que ces sommes soient publiées.

La deuxième partie de mon amendement ajoute un autre type d’information qu’il faudrait inclure dans les obligations de divulgation proactive du gouvernement. Il s’agit de rendre publiques les dépenses liées à un déménagement, qui font l’objet d’un remboursement, pour un conseiller ministériel ou un membre du personnel ministériel, donc des conseillers politiques, des ministres, des chefs de cabinet des ministres et du bureau du premier ministre. La divulgation aurait donc lieu quand la personne quitte son emploi et reçoit un paiement. Cette divulgation se ferait électroniquement et les informations suivantes seraient rendues publiques : le nom du conseiller ministériel ou du membre du personnel, par exemple un chef de cabinet; la date du paiement; le montant du remboursement et l’indemnité de déménagement; et, enfin, la raison du paiement ou du remboursement qui constitue l’indemnité de départ, en l’occurrence les dépenses de déménagement. La promesse libérale était d’appliquer la loi au cabinet du ministre et du premier ministre — et c’est ce que fait cet amendement. Je cite un extrait du rapport du Commissariat à l’information du Canada :

Après avoir étudié le projet de loi, il n’y a qu’une conclusion à tirer : les modifications proposées à la Loi sur l’accès à l’information ne feront pas progresser la transparence gouvernementale. Le projet de loi ne respecte pas les promesses du gouvernement. S’il est adopté, il entraînerait [...]

La Commission de l’accès à l’information, dans les recommandations qu’il a faites en 2017 en vue d’améliorer le projet de loi C-58, avait déclaré ce qui suit :

Le gouvernement a promis que le projet de loi ferait en sorte que la Loi s’applique au bureau du premier ministre et aux cabinets des ministres. Elle ne s’y applique pas.

Cet amendement est donc une occasion pour le gouvernement de s’exécuter et de tenir au moins une petite partie de la promesse qu’il a faite aux Canadiens. Sans un régime d’accès à l’information, l’opposition officielle et tous les partis de l’opposition ne peuvent veiller à ce que le pouvoir soit exercé avec soin et dans le respect des minorités et des points de vue dissidents.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-58, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à l’article 37, à la page 27, par adjonction, après la ligne 18, de ce qui suit :

« 75.1 Dans les trente jours suivant la fin du premier mois au cours duquel un conseiller ministériel ou un membre du personnel ministériel reçoit une indemnité de départ ou tout paiement similaire en raison de la fin de son emploi, le ministre de qui relève cette personne — ou le président du Conseil du Trésor dans le cas où ce ministre n’est plus en poste — fait publier sur support électronique les renseignements suivants :

a) le nom de la personne;

b) la date à laquelle elle n’est plus conseiller ministériel ou membre du personnel ministériel;

c) le montant total du paiement reçu.

75.2 Dans les trente jours suivant le mois au cours duquel un conseiller ministériel ou un membre du personnel ministériel reçoit un paiement ou un remboursement pour des dépenses liées à un déménagement, le ministre de qui relève cette personne — ou le président du Conseil du Trésor dans le cas où ce ministre n’est plus en poste — fait publier sur support électronique les renseignements suivants :

a) le nom du conseiller ministériel ou du membre du personnel ministériel;

b) la date du paiement ou du remboursement;

c) le montant du paiement ou du remboursement;

d) la raison du paiement ou du remboursement. ».

(1540)

Son Honneur la Présidente intérimaire : En amendement, l’honorable sénateur Boisvenu propose, avec l’appui de l’honorable sénatrice Saint-Germain, que le projet de loi C-58, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 37, à la page 27, par l’adjonction, après la ligne 18, de ce qui suit...

[Traduction]

Puis-je me dispenser de lire la motion?

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente intérimaire : Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Le sénateur Mitchell : Quinze minutes.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, nous nous reverrons à 15 h 56.

Convoquez les sénateurs.

(1550)

La motion d’amendement de l’honorable sénateur Boisvenu, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Ataullahjan McIntyre
Batters Mockler
Beyak Ngo
Boisvenu Oh
Dagenais Patterson
Dalphond Plett
Day Poirier
Eaton Richards
Frum Seidman
Housakos Simons
Joyal Stewart Olsen
Martin Tannas
Massicotte Wells
McInnis White—28

CONTRE
Les honorables sénateurs

Anderson Harder
Bellemare Klyne
Black (Alberta) LaBoucane-Benson
Boehm Marwah
Boniface McCoy
Bovey McPhedran
Boyer Mégie
Cordy Mitchell
Cormier Moncion
Coyle Omidvar
Dawson Petitclerc
Deacon (Nouvelle-Écosse) Pratte
Dean Ravalia
Duncan Ringuette
Dyck Saint-Germain
Forest-Niesing Sinclair
Francis Wetston
Greene Woo—37
Griffin

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Galvez Moodie
Kutcher Pate—5
Lankin

(1600)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ringuette, appuyée par l’honorable sénateur Day, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence, tel que modifié.

L’honorable Elaine McCoy : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi. D’abord, j’aimerais féliciter le président du comité, le sénateur Joyal, qui a dirigé de main de maître les discussions et qui s’est montré immanquablement courtois envers moi, m’incluant comme si j’étais membre du comité. Je remplaçais la sénatrice Lankin. Merci, sénatrice, de m’avoir demandé de vous remplacer pour l’étude article par article. Je félicite le président d’avoir dirigé de manière très compétente et neutre ce processus très complexe. C’était très convivial. Tous les membres ont fait preuve de bonne volonté, malgré les divergences d’opinions. Nous avons débattu des questions en profondeur. C’était un exemple du Sénat à son meilleur.

L’étude article par article s’est faite publiquement, et non à huis clos, précisément parce qu’il est question, après tout, de la Loi sur l’accès à l’information et que nous estimions que le public canadien avait le droit de voir ce qui se disait et comment les décisions étaient prises. Félicitations également à la marraine du projet de loi, la sénatrice Ringuette, qui a travaillé avec grande diligence au projet de loi. C’est un projet de loi complexe. C’est toute une responsabilité. Félicitations, sénatrice, pour votre beau travail.

Ne vous méprenez pas, honorables sénateurs : à l’étape de la deuxième lecture, j’ai dit que c’était probablement le projet de loi le plus important que nous ayons eu à examiner cette session-ci. Ce que nous avons fait avec le projet de loi C-58 n’est qu’une solution provisoire. Il permettra au système d’accès à l’information de fonctionner tant bien que mal pendant un an ou deux jusqu’à ce qu’il fasse l’objet d’une révision adéquate et approfondie.

Comme je l’ai déjà mentionné et comme nous l’avons indiqué dans nos observations, il s’agit d’un projet de loi quasi constitutionnel. Il vaut la peine de lire les observations de la Cour suprême du Canada qui expliquent pourquoi il s’agit d’un projet de loi important et quasi constitutionnel, particulièrement au XXIe siècle.

En 2010-2011, dans une décision relative à l’affaire Canada c. Canada, un juge a déclaré que « la législation en matière d’accès à l’information incarne des valeurs fondamentales pour notre démocratie ».

[...] la législation en matière d’accès à l’information établit et protège certaines valeurs — la transparence, la responsabilité et la gouvernance — essentielles au bon fonctionnement de la démocratie [...] Avant l’avènement de l’État moderne, les mécanismes qui incarnaient ces valeurs étaient subordonnés au principe de la responsabilité ministérielle, selon lequel les ministres devaient rendre compte de leurs actes devant le Parlement. Seul le Parlement souverain...

 — c’est-à-dire la combinaison de la Chambre des communes et du Sénat —

... pouvait demander des comptes aux gouvernements.

Comme le fait remarquer un auteur, la complexité croissante de l’État moderne a donné lieu à une délégation sans précédent des pouvoirs du Parlement aux organes exécutifs du gouvernement, c’est-à-dire le Cabinet et la fonction publique. Dans ce contexte, la complexité et la diversité des organismes participant à la prise des décisions a entraîné un décalage dans le régime de responsabilité canadien.

Au Canada, la législation canadienne en matière d’accès à l’information a été adoptée en réaction au pouvoir grandissant de l’administration. Voilà qui résume pourquoi ce projet de loi est si important.

J’aimerais revenir sur un conflit d’intérêts qu’on a porté à notre attention pendant les audiences. La sénatrice Ringuette et le sénateur Joyal y ont fait allusion. La présidente du Conseil du Trésor a promis d’en faire le suivi. Il s’agit d’un conflit d’intérêts entre les peuples autochtones — plus précisément les Premières Nations — et le gouvernement du Canada, plus particulièrement le ministère qu’on appelait auparavant Affaires autochtones et du Nord Canada. On nous a dit que le ministère conserve quelque 60 pieds linéaires d’archives et de documents historiques.

Pour obtenir les données, l’information et les renseignements dont elles ont besoin pour étayer leurs revendications, les Premières Nations sont obligées de recourir aux lois sur l’accès à l’information et peuvent donc attendre longtemps pour recevoir des documents fortement caviardés. Si ces documents historiques étaient plutôt conservés dans un lieu neutre... Il y a deux parties aux intérêts divergents, le Canada et les Premières Nations — qui négocient et, donc, ont des intérêts qui ne sont pas les mêmes —, et l’une d’elle a un pouvoir disproportionné sur l’autre.

(1610)

Nous avons été heureux que la ministre s’engage à consulter toutes les parties prenantes.

La sénatrice Ringuette a lu ce passage un peu plus tôt, mais je pense qu’il mérite d’être répété : consultera tous les intervenants sur la faisabilité de transférer des documents qui présentent une valeur historique ou archivistique aux institutions chargées des archives.

Bien entendu, il s’agit simplement d’un engagement à tenir des consultations ou à nouer un dialogue. Il faut tenir compte de cet engagement et voir à ce qu’il soit respecté. J’espère que les sénateurs, individuellement ou au sein de divers comités, vont adhérer à cette cause et ne ménageront aucun effort pour régler le conflit d’intérêts que nous avons relevé.

Autre chose, nous avons ajouté une disposition au projet de loi. Il s’agit de l’article 99.1. Il prévoit un examen de la loi après un an par un comité parlementaire — de la Chambre, du Sénat ou mixte — en plus d’un examen ministériel dans un an.

Je sais que nous sommes plusieurs à avoir des opinions bien arrêtées sur cela. Le projet de loi est tellement désuet et tellement loin de répondre aux normes internationales d’excellence que, selon moi, nous ne pouvons pas attendre encore cinq ans avant de procéder à un examen.

Un examen ministériel a de la valeur. On peut difficilement dire que c’est en examen indépendant effectué par un tiers. Dans une grande mesure, la Loi sur l’accès à l’information met les ministres et les ministères sous la loupe. Demander à quelqu’un qui se fait scruter à la loupe de concevoir un système pour scruter ce qu’il fait d’encore plus près, cela me fait un peu penser à la poule et à l’œuf, ou peu importe la métaphore qu’on choisit. C’est un peu un conflit en soi.

Le problème de cet examen en particulier de la Loi sur l’accès à l’information a été, par exemple, que le commissariat n’avait pas été consulté, comme l’ancienne commissaire à l’information et la commissaire à l’information actuelle nous l’ont dit toutes les deux. Comment peut-on rédiger une mesure législative moderne sans consulter les gens qui possèdent les connaissances, en laissant plutôt la tâche aux gens qui seront eux-mêmes assujettis aux exigences prévues par le projet de loi sur l’accès à l’information?

Nous savons tous qu’il y a des normes internationales et que certaines lois dans le domaine auraient pu servir de modèle. Malheureusement, nous savons tous aussi que le Canada est très loin d’atteindre ces normes. Il a pourtant été parmi les premiers à légiférer, en 1983, mais nous avons fini par nous faire distancer. Ce n’est pas l’application de la loi qui est à pointer du doigt, mais la loi elle-même, le cadre législatif. Nous tenions donc à ce qu’il y ait un organisme, une institution ayant les moyens de moderniser le régime d’accès à l’information et de le réformer de fond en comble et à ce que cette réforme se mette en branle le plus rapidement possible.

Comme on peut le constater à la page 54, nous recommandons que la Loi sur l’accès à l’information soit harmonisée avec les pratiques exemplaires reconnues à l’échelle internationale afin que les ressources humaines, financières et technologiques puissent garantir l’exercice du droit quasi constitutionnel d’accès à l’information.

Nous avons placé la barre haute, honorables sénateurs, mais nous comptons sur vous pour nous aider à atteindre nos objectifs. Merci beaucoup.

(Sur la motion du sénateur Housakos, au nom du sénateur Carignan, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu

Vingt et unième rapport du Comité de la sécurité nationale et de la défense—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boniface, appuyée par l’honorable sénatrice Bovey, tendant à l’adoption du vingt et unième rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense (Projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu, avec des amendements et des observations), présenté au Sénat le 10 avril 2019.

L’honorable Josée Forest-Niesing : Honorables sénateurs, le sujet dont j’aimerais vous parler aujourd’hui concerne le rapport que nous avons reçu du Comité de la sécurité nationale et de la défense à la suite de son étude du projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu.

D’entrée de jeu, laissez-moi souligner que je suis bien consciente du fait que ma nomination au Sénat est des plus récentes et que cela fera en sorte que mon propos sera teinté de mon expérience d’avocate des 30 dernières années. Ma tendance naturelle, en découvrant les divers aspects du travail de cette illustre Chambre rouge, est donc de comparer les étapes législatives à ce qui m’est familier.

Malgré les changements proposés par le projet de loi C-75, je considère que, dans le processus judiciaire pénal, l’enquête préliminaire sert à déterminer s’il y a suffisamment de preuves pour justifier la tenue d’un procès. C’est une étape importante et distincte du procès où on accueille et analyse la preuve. De même, la deuxième lecture d’un projet de loi au Sénat porte sur le principe du projet de loi et sert à déterminer si la majorité est d’accord pour qu’il passe à la prochaine étape, soit le renvoi en comité pour étude. C’est également une étape importante et distincte de l’analyse approfondie qui sera effectuée en comité. À défaut d’un vote majoritaire à l’étape de la deuxième lecture, je comprends que le projet de loi n’ira pas plus loin. Un vote en faveur du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture confirme un accord sur le principe du projet de loi et permet au projet de loi de cheminer vers la prochaine étape.

J’en conclus donc que, en votant en faveur du projet de loi C-71 à l’étape de la deuxième lecture , nous avons approuvé l’objectif fondamental du projet de loi, qui est d’améliorer la sécurité publique des Canadiens et des Canadiennes en rendant plus difficile l’acquisition d’une arme à feu par des personnes violentes ou suicidaires, en limitant davantage le transport des armes à feu, en reconnaissant que les policiers ont une expertise que les politiciens ne possèdent généralement pas en ce qui a trait à la classification des armes à feu — tout cela étant sujet à une analyse plus approfondie en comité, bien entendu.

Après avoir pris connaissance des objections et des commentaires à l’appui de ce projet de loi depuis mon arrivée au Sénat, je suis personnellement d’avis que, bien que celui-ci apporte des solutions très souhaitables par rapport à l’acquisition, au transport et à la réglementation des armes à feu, il aurait certainement pu comporter des mesures additionnelles encore plus fortes et plus restrictives.

[Traduction]

Qu’on se comprenne bien : je suis tout à fait consciente que les armes à feu peuvent servir à des fins moins sordides, comme la chasse. Comme j’étais en quelque sorte le fils que mon père n’avait jamais eu, j’ai été initiée très jeune aux armes à feu et à la chasse. Je montrais à mes amis les ecchymoses que j’avais à l’épaule pour prouver que je savais tirer. J’ai moi-même chassé à maintes reprises. Vous ne le croirez peut-être pas, mais l’occasion de mon deuxième rendez-vous galant avec la personne qui deviendrait mon mari a été une magnifique et romantique excursion de chasse à la perdrix. Quoi qu’il en soit, qu’elles soient utilisées convenablement ou de façon illégale, les armes à feu ne servent qu’à une chose : tuer.

(1620)

[Français]

Nous savons malheureusement trop bien que notre beau pays, rempli de gens qui sont reconnus pour être pacifiques et, parfois, trop polis, n’est pas à l’abri des atteintes graves et malfaisantes. Il ne faut pas regarder très loin dans notre passé pour se le rappeler.

[Traduction]

Le tout dernier exemple de la Nouvelle-Zélande témoigne de la volonté et de la nécessité de mettre en œuvre de toute urgence des mesures pour faire cesser les tueries que les armes à feu permettent.

J’ai donc été très surprise et, je vous le dis franchement, déçue par le nombre et la portée des amendements proposés au projet de loi C-71 au comité. Même si je crois sincèrement que tous les membres du comité ont œuvré avec diligence et conformément aux principes et aux valeurs qui leur sont chers, je crains que, pour certains, les amendements étaient motivés par des raisons politiques plutôt que sociétales. En conséquence, le projet de loi C-71, tel qu’adopté à l’étape de la deuxième lecture, a été — si vous me permettez le jeu de mots — totalement désarmé.

[Français]

À mon humble avis, le fait d’avoir supprimé les articles comportant des éléments majeurs du projet de loi à l’étape de l’étude en comité contrevient aux principes fondamentaux du projet de loi, principes qui avaient été préalablement adoptés à l’étape de la deuxième lecture. En utilisant ce seul argument, je soutiens, honorables collègues, que le rapport du comité tel que déposé dans notre Chambre ne devrait pas être adopté. De surcroît, je vous soumets un autre argument tout aussi important. À titre de membres du Sénat nommés à notre fonction, notre rôle n’est pas d’aller à l’encontre du gouvernement élu, surtout que le projet de loi en question faisait partie de la plateforme électorale qui a permis au gouvernement d’être élu en premier lieu.

En tant que membres du Sénat, nous devons respecter la volonté des Canadiennes et des Canadiens. Je ne crois pas que le projet de loi C-71, tel qu’amendé par le comité sénatorial, reflète la position des Canadiens sur ce sujet.

[Traduction]

Le privilège que constitue le fait de posséder une arme à feu est un sujet très controversé. Les gens sont habituellement pour ou contre et prônent rarement les compromis. C’est un sujet très émotif parce qu’il est question de sauver des vies ou de protéger sa propre vie. Il n’y a pas de sujet plus viscéral que la préservation de la vie humaine. C’est cela qui rend ce projet de loi si controversé et si conflictuel.

En votant en 2015, une majorité de Canadiens a choisi un contrôle plus rigoureux des armes à feu dans notre pays.

[Français]

Les Canadiennes et les Canadiens ont communiqué clairement leur désir de raffermir nos lois sur les armes. Plus spécifiquement, le gouvernement élu promettait de restreindre davantage l’acquisition et le transport d’armes prohibées ou à autorisation restreinte sans permis, et de remettre le pouvoir de décision en matière d’armes entre les mains de la police, et non des politiciens.

[Traduction]

Au risque de dire quelque chose que vous savez déjà très bien, permettez-moi, en tant que nouvelle sénatrice, de rappeler que le rôle constitutionnel du Sénat est clair : le Sénat peut proposer, approuver, rejeter ou amender des projets de loi, pourvu que la majorité des sénateurs vote en faveur des amendements proposés.

Les choses se compliquent lorsqu’il est question du fonctionnement au quotidien. Les discussions sur la façon dont le Sénat devrait réagir et jusqu’où il devrait aller, étant donné que les sénateurs ne sont pas élus — contrairement aux députés de l’autre endroit —, durent depuis 1867. Il existe néanmoins un consensus sur le fait que le Sénat est la Chambre du second examen objectif. Il existe pour servir de complément à l’autre endroit, fournir des études et des analyses, et recommander des améliorations aux projets de loi dont il est saisi pour étude.

[Français]

Dans le cas qui nous occupe, on ne parle pas d’améliorer un projet de loi du gouvernement, mais bien de le rendre pratiquement inexistant, bien qu’il représente la réalisation d’une promesse électorale d’un parti majoritairement élu.

Quand nous avons reçu le rapport du comité sur le projet de loi C-71, je me suis demandé si je devais ou non voter en faveur de l’adoption du rapport. Je me posais plusieurs questions, certaines portant même sur les principes fondamentaux de notre démocratie. Je me suis demandé si je brimais ces principes en votant contre l’adoption de ce rapport. Ma réflexion m’a portée à la conclusion opposée. Le travail précieux qui a été fait en comité a porté ses fruits et demeure extrêmement utile pour ceux d’entre nous qui souhaitent revenir aux objectifs principaux du projet de loi dans sa version originale. Le problème, selon moi, se situe au niveau du contenu du rapport et du moyen par lequel il a été adopté. Je crois fondamentalement qu’adopter ce rapport irait à l’encontre de ce que les fondateurs du pays ont mis en place pour s’assurer que la voix des Canadiennes et des Canadiens soit entendue et prise en considération au moment où l’on doit voter en qualité de membres du Sénat.

Je vais donc voter contre l’adoption du vingt et unième rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, dans le but de revenir au projet de loi C-71 tel qu’il était avant son étude au comité.

Je vous invite, honorables sénateurs, à faire de même.

Merci de votre attention.

[Traduction]

Merci. Meegwetch.

L’honorable Donald Neil Plett : L’honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Forest-Niesing : Bien sûr.

Le sénateur Plett : Merci. Je tiens à dire, d’entrée de jeu, que je respecte pleinement votre droit de voter pour ou contre le rapport selon vos convictions, aussi malavisées soient-elles. Le Sénat est une institution démocratique. Le comité a mené son travail de façon démocratique.

Un seul élément de votre discours me trouble — mis à part le fait que je ne suis pas d’accord avec vos propos —, et c’est l’observation selon laquelle à votre avis, certains membres du comité auraient peut-être été guidés par des raisons politiques alors que d’autres ne l’étaient pas.

J’apprécierais, madame la sénatrice, que vous me disiez quels sénateurs, parmi nous, étaient guidés par des motifs politiques et lesquels avaient l’attitude appropriée dans ce dossier.

Ce projet de loi me tient vraiment à cœur. Cela n’a rien à voir avec le fait que je sois conservateur. Je n’appuie pas ce projet de loi. Il est vrai que je fais partie de la loyale opposition et vous, du gouvernement. Je le comprends. Vous avez pour tâche d’adopter les mesures législatives du gouvernement et moi, de m’y opposer. Si je m’oppose à ce projet de loi, ce n’est toutefois pas parce qu’Andrew Scheer, ou Stephen Harper, ou le Parti conservateur s’y opposent. C’est qu’il s’agit, selon moi, d’une mesure législative fondamentalement mauvaise. Voilà pourquoi je m’y oppose farouchement.

Madame la sénatrice, j’aimerais que vous me regardiez et que vous me disiez : « Sénateur Plett, vous avez agi conformément à vos principes et à vos valeurs », qui sont peut-être différents des vôtres; ou encore que vous me disiez, en me regardant dans les yeux : « Sénateur Plett, je crois que vous étiez guidé par des motifs politiques », si c’est là votre opinion. Est-ce effectivement ce que vous croyez, madame la sénatrice?

La sénatrice Forest-Niesing : Sénateur Plett, ce n’était assurément pas mon intention de froisser la sensibilité délicate de qui que ce soit. Vous vous souviendrez que je me suis exprimée très précisément. Je n’ai pas dit « je crois » et je n’ai pas déclaré comme un fait que les motivations étaient politiques. J’ai plutôt dit que je le craignais personnellement. En tant que sénatrice débutante — je vous le dis bien humblement —, j’observe, j’apprends, j’écoute et je lis. J’ai lu avec attention toutes les délibérations qui ont précédé le rapport qui nous est présenté.

Ma crainte est née au fil de mes lectures. C’est cette crainte que j’ai exprimée durant mon allocution, non pas comme un fait ou une croyance. Peu importe qu’il s’agisse d’un fait, d’une croyance ou d’une crainte, il demeure que nous devons traiter du résultat. Ce résultat, c’est le rapport qui, à mon avis, détruit le contenu d’un projet de loi qui avait du mérite et qui s’appuyait sur les principes fondamentaux d’une plateforme électorale sur laquelle les Canadiens se sont prononcés.

(1630)

Voilà ma réponse, monsieur.

Le sénateur Plett : Sénatrice, êtes-vous consciente que, lors de l’adoption et du rejet d’amendements, les façons de voter ont été très variées? De fait, certains amendements ont été adoptés avec l’aide du sénateur Richards, qui est indépendant, avec l’aide de la sénatrice Griffin, qui fait partie du Groupe des sénateurs indépendants, avec l’aide de la sénatrice Jaffer, qui est une libérale indépendante. Certains de mes propres collègues ont voté contre des amendements que j’ai proposés.

Les sénateurs ont voté indépendamment de leur parti ou affiliation au Sénat. Vous êtes consciente que c’est ce qui est arrivé et qu’on ne pourrait guère parler de choix politiques?

La sénatrice Forest-Niesing : Je ne sais pas si je répondrais oui à votre question, qui tient lieu de conclusion à votre déclaration. Toutefois, vous m’avez demandé si j’étais consciente. Oui, je suis consciente. Comme je vous l’ai dit, j’ai lu attentivement chaque ligne des délibérations du comité lors de l’étude article par article de ce projet de loi. Je n’ai pas le sentiment que votre déclaration a apaisé mes craintes et je suis encore préoccupée.

[Français]

Son Honneur le Président : Madame la sénatrice, votre temps de parole est écoulé, mais un autre sénateur voudrait vous poser une question. Désirez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Forest-Niesing : Malgré la tentation de m’asseoir confortablement, je vais dire oui.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Malgré ma voix qui s’éteint, sénatrice Forest-Niesing, je vous félicite pour votre présentation, mais je vais prendre votre argument au mot. Si je comprends bien, vous nous dites que vous ne pouvez pas accepter le rapport du comité parce qu’il va carrément à l’encontre d’un engagement électoral pris par M. Trudeau. Est-ce bien le cas?

La sénatrice Forest-Niesing : Est-ce une question?

Le sénateur Boisvenu : C’est ma première question. J’ai compris que vous voterez contre ce rapport parce qu’il va à l’encontre d’un engagement qu’a pris un gouvernement dûment élu. J’essaie de comprendre pourquoi cet argument vous sert aujourd’hui, alors que, lorsque j’ai déposé plus tôt un amendement au projet de loi C-58 qui allait dans le même sens qu’un engagement gouvernemental, vous avez voté contre.

La sénatrice Forest-Niesing : Désirez-vous une réponse? Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris la question, mais si vous me demandez si mon argumentaire est entièrement fondé sur l’objectif de nous ramener à ce qui ressemblait le plus au fondement d’une promesse électorale, la réponse est non. J’ai apporté deux arguments que j’estime tout à fait convaincants, l’un autant que l’autre.

(Sur la motion du sénateur Housakos, le débat est ajourné.)

[Traduction]

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

L’honorable Yvonne Boyer : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

Honorables sénateurs, le fait de passer des journées enfermé dans une cellule de la taille d’une petite salle de bain provoque et aggrave sans doute des problèmes de santé mentale. Les hallucinations, la paranoïa, l’anxiété paralysante et la dissociation ne sont que quelques-uns des dommages psychologiques, neurologiques et physiques causés par l’isolement.

Honorables sénateurs, nous devons prendre le temps de nous mettre dans la peau d’un prisonnier placé en isolement et d’envisager des solutions de rechange à ces conditions inhumaines. Après tout, les établissements correctionnels ont pour but de réhabiliter et non de punir. Ils ne visent certainement pas à aggraver les problèmes de santé mentale préexistants.

Comme le sénateur Klyne l’a indiqué, l’article 72 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition accorde aux sénateurs, à l’instar des députés et des juges, des droits spéciaux d’accès aux prisons. Les gens qui se sont prévalus de ces droits savent que les prisons fédérales, et les unités d’isolement en particulier, sont remplies de gens qui comptent parmi les plus marginalisés de notre société, à savoir les pauvres, les personnes racialisées, les victimes et les personnes ayant des déficiences. Ils sont des éléments des groupes minoritaires que nous avons le devoir particulier de représenter en tant que sénateurs, c’est-à-dire les personnes qui n’ont pas voix et qui ne sont pas représentées au sein du système démocratique.

Le Service correctionnel du Canada contrôle strictement l’information sur les réalités carcérales qui est communiquée au monde extérieur. Nous devons éviter que ces lacunes en matière d’information donnent lieu à des suppositions et à des idées préconçues. Dans beaucoup trop de milieux, les prisons sont les seuls établissements qui ne peuvent pas refuser des gens à cause de listes d’attente, d’un nombre insuffisant de lits ou d’un manque de ressources. Par conséquent, un nombre croissant de personnes, plus particulièrement des femmes, des gens pauvres, des gens qui ont été maltraités, des Autochtones, des Noirs et des personnes aux prises avec des problèmes mentaux, sont abandonnées en prison. Dans le cas des femmes, en particulier, des réactions raisonnables à des situations déraisonnables, qui se manifestent souvent initialement par une réaction négative à la fouille à nu, peuvent et sont caractérisées comme des comportements criminels, y compris des gestes ou des comportements qui sont symptomatiques de troubles mentaux ou psychiatriques.

La façon arbitraire dont les gens sont qualifiés de risques pour la sécurité publique et finissent par être mis en isolement est devenue évidente durant l’enquête sur la mort d’Ashley Smith. Je vous épargnerai les détails, car je suis certaine que vous connaissez tous cette histoire horrible.

Lisa Neve, une Autochtone, a connu un sort similaire. Membre de la génération volée qui a été déracinée de sa collectivité, elle a été l’une des quelques femmes déclarées « délinquantes dangereuses ». La Cour d’appel de l’Alberta a supprimé cette désignation et la peine d’une durée indéterminée après avoir conclu que la décision reposait sur ce qu’elle avait dit et ce qu’elle avait écrit, et non sur ce qu’elle avait fait.

Au bout de six ans et demi, les autorités ont finalement annulé la peine qui lui avait été imposée et la désignation de délinquante dangereuse. Elle a passé tout ce temps, sauf six mois, en isolement. Il y aura 20 ans, le 1er juillet prochain, qu’elle est sortie de prison. Or, les centaines de cicatrices sur son corps témoignent des séances d’automutilation et des tentatives de suicide qui ont été provoquées par les horreurs de l’isolement.

Placer des personnes en isolement peut sembler une solution facile et une mesure raisonnable en cas de comportement difficile, mais nous savons que cette approche crée et exacerbe des problèmes de santé mentale. En fait, les experts des diverses professions médicales s’entendent sur les dangers et l’inconstitutionnalité de l’isolement, comme l’a affirmé dernièrement le professeur Allan Manson.

Aujourd’hui, environ la moitié des femmes qui sont placées en isolement souffrent de troubles mentaux invalidants. De plus, environ la moitié d’entre elles sont autochtones. Selon les recherches menées par le Service correctionnel du Canada ainsi que la Commission des libérations conditionnelles du Canada, les femmes, particulièrement les Autochtones souffrant de problèmes de santé mentale, ne posent pas le plus grand risque pour la sécurité publique.

Il est important de rappeler que les méthodes de classification discriminatoires du système actuel font en sorte que des personnes qui présentent peu de risques pour la société, voire aucun, sont isolés pendant de longues périodes.

De plus, conclure des accords au titre de l’article 81 pour permettre aux Autochtones de purger leur peine dans une collectivité autochtone serait beaucoup moins coûteux que d’attribuer une cote de sécurité plus élevée aux prisonniers et de les isoler. Le directeur parlementaire du budget a confirmé que, pour les femmes en particulier, ces accords coûtent moins du dixième de l’estimation des coûts associés aux unités d’intervention structurée. Même si les coûts ne devraient pas être un obstacle aux efforts de réconciliation avec les peuples autochtones, l’adoption de solutions de rechange plus économiques qui respectent les droits de la personne et qui produisent de meilleurs résultats pour les prisonniers autochtones et pour leur communauté devraient être l’un des principaux objectifs du système correctionnel.

De plus, si on devait, comme c’est trop souvent le cas, désigner injustement ou indûment un prisonnier comme un membre d’un gang et l’inclure dans la catégorie des prisonniers qui présentent une menace pour la sécurité, alors on devrait lui donner les moyens de se débarrasser de cette étiquette en temps opportun au lieu de lui imposer l’isolement et d’éliminer pratiquement toutes les possibilités d’abaisser sa cote de sécurité et d’être réintégré dans la communauté. Par exemple, un programme de désaffiliation comme le programme Breakaway, élaboré par des groupes non gouvernementaux et des personnes directement concernées comme Rick Sauvé, devrait véritablement être mis en œuvre. Le directeur parlementaire du budget a confirmé récemment qu’un tel programme, mis en œuvre à l’échelle nationale, ne coûterait que 200 000 $ par année et réduirait les coûts de l’isolement préventif des détenus.

(1640)

Comme l’a dit l’expert des questions pénitentiaires Andrew Coyle, le « besoin » d’isoler les détenus est généré et renforcé par les conditions problématiques de l’isolement et l’absence de solutions de rechange plus humaines. Service correctionnel Canada a investi dans des mesures de sécurité statique comme les moyens de contention pendant l’isolement, plutôt que de prévoir des unités privées de visite familiale pour ceux qui cherchent à s’isoler en raison du surpeuplement ou encore des transfèrements dans des unités fournissant des soins à ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale.

Les exemples précédents montrent clairement que nous pouvons faire les choses autrement. C’est l’idée qui sous-tend une proposition faite par l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry à Service correctionnel Canada, dans le but de mettre fin à l’isolement sous toutes ses formes parmi les détenues. La Société Elizabeth Fry a proposé de collaborer avec Service correctionnel Canada, la Commission canadienne des droits de la personne et d’autres organismes afin d’élaborer des solutions de rechange individualisées pour chaque détenue que Service correctionnel Canada songerait à mettre en isolement.

Comme l’a souligné la sénatrice McPhedran dans sa question au parrain du projet de loi, cette proposition n’a jamais été acceptée par Service correctionnel Canada. Toutefois, après avoir étudié le projet de loi C-83, le comité de l’autre endroit a adopté la recommandation suivante :

[Le comité encourage vivement] Service correctionnel Canada à trouver des mesures autres à cette pratique, par exemple le projet pilote proposé en 2016 par l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.

Selon une estimation réalisée récemment par le directeur parlementaire du budget, l’adoption du projet des sociétés Elizabeth Fry n’entraînerait à peu près aucun coût supplémentaire. Le directeur parlementaire du budget estime qu’à l’heure actuelle, les cellules d’isolement coûtent chacune 2,5 millions de dollars par année. Le projet de loi C-83 devrait ajouter 7,5 millions de dollars par unité d’intervention structurée par année. Si on considère que, selon les plus récentes données fournies par le Service correctionnel, trois femmes sont présentement en isolement dans l’ensemble du pays, on peut supposer que les coûts augmenteront de 3,3 millions de dollars par année par détenue — rien de moins.

On nous a vanté les unités d’intervention structurée comme un gage de sécurité, mais dans les faits, elles pourraient bien compromettre directement la santé et la sécurité des détenus, surtout les jeunes, les femmes, les Autochtones ainsi que les personnes racialisées ou aux prises avec des problèmes de santé mentale. Quel que soit le nom qu’on lui donne, l’isolement prolongé peut seulement engendrer des risques pour la santé ou exacerber les risques existants, ce qui se traduit forcément par l’augmentation des coûts liés aux soins de santé. Quand on connaît les torts causés par l’isolement, que ce soit dans une cellule ou dans une unité d’intervention structurée, et qu’on sait que de nombreuses solutions de rechange ne coûteraient qu’une fraction de ce qu’on prévoit actuellement que coûteront les unités d’intervention structurée et des coûts supplémentaires que l’isolement entraînera en fait de soins de santé, nous devrions nous demander pourquoi ces solutions n’ont pas été retenues, surtout quand il est question des personnes les plus marginalisées ou les plus souvent placées en isolement.

Pour tout dire, le projet de loi C-83 risque de faire augmenter le recours à l’isolement. L’enquêteur correctionnel rappelle qu’à l’heure actuelle, les prisons comptent un nombre limité de cellules d’isolement, mais que le projet de loi C-83 permet de désigner n’importe quelle partie de la prison comme unité d’intervention structurée. Autrement dit, l’ensemble d’un établissement correctionnel pourrait être considéré comme une unité d’intervention structurée ou comme une série d’unités. Comme le Comité des droits de la personne l’a déjà fait remarquer, cette tendance gagne peut-être déjà du terrain dans l’ensemble des unités et des prisons à sécurité maximale.

Si nous devions débattre ici d’un projet de loi censé normaliser l’isolement dans une cellule et l’appliquer à presque tous les autres groupes de Canadiens, nous nous attendrions à être inondés de courriels et d’appels téléphoniques. Or, ce projet de loi, qui vise les droits constitutionnels de certaines des personnes les plus marginalisées et les moins aptes à se défendre, a été généralement accueilli dans un silence assourdissant. En leur nom, honorables sénateurs, il nous incombe de travailler ensemble pour défendre les droits constitutionnels de tous et de remettre en question la nécessité de ce projet de loi.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Jane Cordy : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénatrice?

La sénatrice Boyer : Oui.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. La visite d’un certain nombre de prisons que j’ai effectuée dans tout le pays avec le Comité des droits de la personne m’a décillé les yeux. Je n’étais jamais allée dans une prison. Quelques sénateurs profitent de leur statut pour le faire. J’inviterais donc ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans une prison à le faire.

Nous avons constaté qu’il y a un nombre élevé de Noirs en prison et que leur pourcentage est disproportionné en Nouvelle-Écosse. Dans les provinces des Prairies, il y a un pourcentage extrêmement élevé d’Autochtones en prison et, malheureusement, dans l’ensemble du système carcéral, on constate que beaucoup de gens ont des problèmes de santé mentale.

Vous avez dit dans votre discours que la moitié des femmes placées en isolement ont des problèmes de santé mentale.

Si un détenu a un problème de santé mentale et qu’il est maintenu en isolement pendant de longues périodes de temps, quel effet pensez-vous que cela aura sur l’évolution de sa maladie?

La sénatrice Boyer : Merci de votre question.

Imaginez ce que ce serait d’être placé dans une pièce et de ne pas pouvoir en sortir avant une journée, une semaine, un mois ou une année. Et si c’était deux ans? On comprend quel effet cela aurait sur notre santé mentale. Je crois que cela causerait beaucoup d’anxiété et de stress. Il y aurait assurément beaucoup de souffrance. Merci.

L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, j’ai eu l’occasion, il y a quelques jours, de parler du projet de loi C-375. Je ferai écho à plusieurs de mes commentaires en parlant du présent projet de loi, le projet de loi C-83, surtout en ce qui a trait au traitement des détenus atteints de maladies mentales et, en deuxième lieu, aux questions relatives à la constitutionnalité.

J’aimerais aborder en détail ces deux questions, particulièrement celle de la constitutionnalité. Si ce projet de loi est renvoyé à un comité après l’étape de la deuxième lecture, je demande à celui-ci d’examiner en priorité les plus récentes décisions des tribunaux afin de déterminer la constitutionnalité — ou l’inconstitutionnalité, à mon avis — du projet de loi.

Ce projet de loi découle de bonnes intentions, comme le soulignait le professeur Allan Manson dans une présentation à laquelle la sénatrice Boyer a fait allusion. M. Manson a dit que, s’il avait été présenté il y a quelques années, ce projet de loi aurait représenté une mesure progressiste, qu’il n’aurait pas été suffisant, mais qu’il aurait constitué une étape importante. Il a souligné que, aujourd’hui, le projet de loi est loin d’être suffisant. Je voudrais refaire le fil des événements, car cela servira à l’étude du comité.

Le projet de loi C-83 a été présenté à la Chambre des communes en octobre 2018. Le comité de la Chambre a terminé son rapport en décembre 2018 et le projet de loi a franchi l’étape de la troisième lecture en mars 2019.

C’est important que nous le comprenions parce que, pendant cette période — souvenons-nous que le projet de loi a été rédigé et présenté l’an dernier —, différentes choses se sont produites. En fait, différentes choses se sont produites depuis la troisième lecture.

D’abord, il y a, en Colombie-Britannique, l’affaire de l’association des libertés civiles de la Colombie-Britannique et de la Société John Howard du Canada contre le procureur général du Canada. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu sa décision en janvier 2018 et la Couronne l’a portée en appel. La cour a conclu que des éléments du projet de loi portent atteinte à plus d’un droit constitutionnel important.

L’appel a été entendu en novembre 2018, si je ne m’abuse. Nous attendons la décision.

La plus haute instance à avoir examiné les dispositions non pas de ce projet de loi, mais relatives à l’isolement, était un tribunal de l’Ontario. C’était dans l’affaire de l’Association canadienne des libertés civiles contre le procureur général du Canada. Encore une fois, la procureure générale a interjeté appel de la décision de première instance. La cour d’appel a maintenu la décision judiciaire initiale.

(1650)

L’appel a été entendu en novembre 2018 et la décision a été publiée le 28 mars 2019. Ainsi, toute cette étude démocratique s’est faite avant que la décision ne soit rendue. Je vais parler de certaines des normes dans la décision et des justifications qui ont mené la cour à juger inconstitutionnelles des dispositions qui se trouvent toujours dans le projet de loi.

La troisième affaire dont j’aimerais parler est l’affaire Brazeau contre le procureur général du Canada. Je crois qu’il s’agit d’un recours collectif. Quoi qu’il en soit, la décision a été rendue le 25 mars 2019.

Tout cela est récent. Le projet de loi vient peut-être d’une bonne intention, mais je crois que, même sans tenir compte de ces décisions, nous sommes nombreux à l’estimer lacunaire. Or, le Sénat se retrouve maintenant aux prises avec un problème beaucoup plus grave, soit celui de l’inconstitutionnalité probable du projet de loi.

Nous parlons souvent de mandat électoral. Une de nos plus grandes responsabilités consiste à assurer le respect de la Constitution et de la Charte. J’aimerais aborder ce point, si vous me le permettez, en termes généraux puisque je ne suis pas avocate. Je pense sincèrement que certains de ces éléments sont faciles à comprendre, surtout quand on fait le lien avec des cas bien connus, comme celui d’Ashley Smith. En réalité, ce projet de loi donne suite en partie à ce cas et à des décisions antérieures des tribunaux touchant des questions liées à l’isolement, qu’on appelait isolement dans une cellule au temps où je travaillais dans le système carcéral de l’Ontario. C’est ensuite devenu l’isolement préventif et, à présent, on parle d’unités d’intervention structurée. Quand on prend connaissance du projet de loi, je pense qu’on peut voir que les décisions des tribunaux montrent bien pourquoi il est insuffisant.

À cet égard, j’aimerais aborder trois lacunes en particulier. Elles ressortent des décisions des tribunaux. La première touche l’isolement. Les tribunaux ont décrit les risques que présente le temps passé en isolement, plus particulièrement pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Voici ce qu’a dit la Cour supérieure de l’Ontario :

La preuve démontre que le risque et la possibilité de dommages psychiatriques commencent presque dès que l’on ferme les portes de la cellule d’isolement, surtout quand la personne a déjà des problèmes de santé mentale.

Voici ce qu’a conclu la Cour d’appel de l’Ontario :

En principe [...] les personnes atteintes de maladie mentale ne devraient pas être placées en isolement préventif.

Comme vous le savez, je m’intéresse tout particulièrement aux questions de santé mentale. À mon avis, les tribunaux en viennent à des conclusions semblables dans le cas de nombreuses populations vulnérables.

La deuxième lacune qui fait que ce projet de loi ne répond pas aux exigences constitutionnelles établies par les tribunaux, c’est la durée du placement d’un détenu dans une cellule d’isolement. Le projet de loi fait passer l’isolement de 22 à 20 heures par jour, et ce, pour une période indéterminée.

Rien ne garantit que, au cours de ces deux heures supplémentaires, le détenu aura la possibilité d’avoir des contacts humains réels, de suivre des programmes ou d’obtenir du soutien. Les tribunaux ont statué que la pratique actuelle, qui est inscrite dans le projet de loi — soit la visite obligatoire d’un professionnel de la santé une fois par jour, en compagnie d’agents de correction —, ne représente pas un contact humain valable.

La troisième lacune, c’est la durée totale de l’isolement en cellule, de l’isolement préventif ou de ce qu’on appelle maintenant le placement dans une unité d’intervention structurée. Le projet de loi C-83 accorde un délai de 30 jours avant que les autorités doivent procéder à un examen pour déterminer s’il y a lieu de sortir le détenu de l’isolement. À cause du temps nécessaire pour trouver un endroit où envoyer le détenu, il est possible que celui-ci reste cinq jours de plus en isolement. Puis, le projet de loi prévoit une période pour l’examen par le commissaire et emploie des termes comme « le plus tôt possible ».

La possibilité que la période d’isolement excède la durée prévue existe. On nous a dit qu’elle pourrait dépasser 60 jours. N’oubliez pas que les tribunaux ont conclu que les dommages psychologiques commencent dès que la porte se ferme.

En raison de ces décisions, qui ont toutes été rendues depuis que le projet de loi est à l’étude, je crois qu’il est important que le comité considère en priorité le point de vue du Sénat quant à la constitutionnalité du projet de loi. D’ailleurs, certains tribunaux, dont la Cour d’appel de l’Ontario, ont fait remarquer, dans un autre contexte, que les dispositions du projet de loi C-83 ne règlent pas les problèmes qui ont été soulevés.

Je ne vais pas prendre beaucoup de temps de parole puisque d’autres sénateurs veulent participer au débat, mais revenons au décès d’Ashley Smith. Comme la sénatrice Boyer l’a dit, je ne reviendrai pas sur les faits. Nous les connaissons, mais je voulais rappeler à tous les sénateurs que l’emploi violent et excessif de la force par le personnel de l’établissement représente les seuls contacts humains qu’elle a eus pendant son isolement.

On a recommandé aux agents correctionnels de présenter la souffrance qu’elle a vécue en isolement comme des tentatives d’attirer l’attention. Ashley a été filmée en train de mourir pendant que les agents correctionnels l’ont regardée sans intervenir pour retirer la dernière ligature qu’elle s’était faite autour du cou. Elle était en droit de croire que le personnel avait le devoir de s’occuper d’elle et de lui sauver la vie. Je crois, et je pense que nous croyons tous, qu’elle avait le droit de s’attendre à cela.

Son histoire est une tragédie. L’agonie d’une jeune fille de 19 ans a été filmée pendant que des agents correctionnels l’ont regardée sans rien faire. Malheureusement, il ne s’agit pas d’une exception. Je pense que peu d’entre nous peuvent concevoir le degré de désespoir nécessaire pour faire des gestes qui pourraient nous blesser ou entraîner notre mort pour combler un grand besoin de contact humain.

J’ai moi-même été témoin de cas. Pour tout dire, j’ai conservé une blessure morale de ce que j’ai observé lorsque j’étais agente correctionnelle responsable d’une unité d’isolement. J’ai vu des gens faire des choses que la plupart d’entre nous ne penseraient jamais à faire pour avoir un contact humain.

Selon moi, nous pouvons examiner la constitutionnalité du projet de loi du gouvernement sans rejeter ses bonnes intentions et ses objectifs. Nous pouvons trouver qu’il ne va pas assez loin, mais je crois que nous avons maintenant le devoir d’évaluer la constitutionnalité de cette mesure législative, et c’est l’une des tâches les plus importantes que nous avons en tant que sénateurs.

Si ce projet de loi est renvoyé au comité, j’exhorte celui-ci à entreprendre d’abord un examen des décisions des tribunaux et de la constitutionnalité de cette mesure législative.

Merci beaucoup.

L’honorable Marty Klyne : L’honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Lankin : Oui, bien sûr.

Le sénateur Klyne : Merci beaucoup. Vous avez parlé de la constitutionnalité du projet de loi; j’aimerais, si possible, obtenir quelques éclaircissements à ce sujet.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendu sa décision initiale en janvier 2018, et la Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa décision en décembre 2017. Comme vous l’avez souligné, le projet de loi C-83 a été présenté à la Chambre des communes en 2018, soit après que ces deux décisions ont été rendues. Ai-je bien compris? Vous dites que les décisions rendues par la suite au sujet des appels — et je ne suis pas avocat non plus —, l’emportent, de sorte qu’on ne reviendrait pas aux décisions initiales.

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup, sénateur. J’ai négligé de vous remercier de votre travail de parrain et d’avoir présenté ce projet de loi pour étude.

En ce qui concerne l’affaire en Colombie-Britannique, ce que j’essaie de faire valoir, c’est qu’il y a une décision de première instance écrite qui, en soi, laisse entendre que ce projet de loi ne serait pas constitutionnel. Toutefois, la Couronne a porté la décision en appel, comme elle en a certainement le droit, et n’a pas donné suite à cela dans ce projet de loi. L’appel a été entendu, mais aucune décision n’a été rendue. Dans l’affaire de l’Association canadienne des libertés civiles de l’Ontario, nous avions la décision initiale. Il y avait une série de constatations qui nous amèneraient à comprendre que le contenu de ce projet de loi ne serait pas constitutionnel.

(1700)

La Couronne a porté cette décision en appel. La décision de la cour d’appel n’a été rendue publique que le 28 mars de cette année, après avoir été débattue à l’autre endroit. Par conséquent, elle n’a pas été prise en compte. Il s’agit de la décision du plus haut tribunal du pays.

J’ai également mentionné l’affaire Brazeau, qui a eu lieu le 25 mars de cette année, et qui énonce un certain nombre de ces facteurs. Lorsque vous examinez les facteurs dont j’ai parlé — l’isolement, la durée de l’isolement quotidien — et que vous examinez les questions que la cour d’appel a dû trancher ainsi que les décisions de première instance qui ont été rendues, vous pouvez constater que ce projet de loi ne reflète pas où en sont les décisions judiciaires à l’heure actuelle.

Le sénateur Klyne : Merci, sénatrice. À cet égard, je suis d’accord avec vous. J’ajouterais que nous avons probablement besoin d’un tableau blanc pour relier tous les points. Ce serait une tâche à faire, probablement la première, pour le comité lorsqu’il en sera saisi.

La sénatrice Lankin : Sénateur, je suis d’accord avec vous. C’est une tâche très importante que le comité doit entreprendre.

[Français]

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui dans le cadre de la deuxième lecture du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

Malheureusement, ce projet de loi aurait dû recevoir plus d’attention de la part du public, parce qu’il m’apparaît être un projet de loi très important.

D’entrée de jeu, j’aimerais vous dire que j’ai visité, depuis quelques années, l’ensemble des pénitenciers du Québec et que je suis fréquemment en contact avec les représentants des agents carcéraux. Je puis donc affirmer avoir une certaine connaissance du milieu carcéral. Je puis également affirmer que la vision que j’ai ou, du moins, la critique que je fais de ce projet de loi est liée à la vision que j’ai moi-même des victimes qui se cachent derrière ces gens incarcérés.

Le projet de loi C-83 est porteur de conséquences négatives à long terme en ce qui a trait à la sécurité des criminels dans les prisons, à leur réhabilitation, à la sécurité des agents correctionnels, mais également à l’égard de la sécurité des victimes et des Canadiens en général.

Je n’ai jamais eu la prétention de croire qu’il n’y a pas eu d’abus au sein du système carcéral. On a eu des exemples selon lesquels cette approche, si elle est utilisée outre mesure, pourrait entraîner des abus. Une approche de généralisation quant à l’interdiction ou, du moins, quant à l’usage restrictif de cette mesure peut aussi entraîner des effets négatifs.

Je crois donc qu’il est important d’aborder certains des enjeux soulevés dans ce projet de loi, parce qu’ils témoignent d’une approche irréaliste à l’égard des délinquants à risque élevé, qui est préoccupante pour la sécurité des Canadiens et, je le répète, celle des agents correctionnels.

S’il est vrai qu’on doit tenir compte de la santé mentale des détenus fédéraux lorsqu’on impose l’isolement, il faut également que toute décision portant sur leur détention et leur libération puisse s’appuyer sur la priorité fondamentale que devraient représenter la sécurité et la protection des gardiens de prison, des travailleurs et des autres détenus.

Le projet de loi C-83 réintroduit le concept de mesures « les moins privatives de liberté » dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Cela signifie que les contrevenants à haut risque seront incarcérés à un niveau de sécurité le plus bas possible à la limite de la sécurité publique. Ce concept de mesures « les moins privatives de liberté » avait été retiré en 2010 lors de l’adoption du projet de loi C-10. À l’époque, les victimes avaient salué ce changement important, ainsi que le personnel carcéral.

M. Rob Sampson, ancien ministre des Services correctionnels de l’Ontario et ancien membre d’un groupe de travail sur la réforme du système correctionnel, avait déclaré ceci à propos du retrait du concept de mesures « les moins privatives de liberté » le 24 février 2012 devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, et je cite :

Cela veut dire que le niveau de sécurité appliqué au détenu selon le projet de loi serait le niveau de sécurité correspondant au plan correctionnel qui a été élaboré pour l’aider à s’améliorer, à changer de vie pour qu’il puisse retourner dans la société, prêt à vivre une vie normale. Ce n’est pas un niveau de sécurité déterminé par la loi. C’est un niveau de sécurité qui est adapté à la personne concernée.

Au lieu d’essayer de mettre tout le monde dans la même catégorie, on choisit un niveau de sécurité adapté à la personne concernée.

C’est le gros bon sens.

La réinsertion de cette expression dans la loi fera en sorte qu’il sera certainement plus difficile de garder les contrevenants, comme ceux qui ont perpétré le meurtre de la jeune Tori Stafford, dans un établissement à sécurité élevé. Le ministre Goodale avait affirmé, lorsque la controverse McClintic a éclaté, que le gouvernement était sensible aux préoccupations de ceux et celles qui ont soulevé des objections concernant la réduction du niveau de sécurité de cette criminelle.

J’ai donc été étonné de constater le retour de l’expression « mesures les moins privatives de liberté » dans le projet de loi. Cela contredit manifestement les propos du ministre de la Sécurité publique. En fait, cela nous prouve que ce gouvernement a abandonné les victimes pour privilégier la libération de criminels comme Terri-Lynne McClintic, et ce, à tout prix.

Il a aussi abandonné les agents correctionnels qui risquent tous les jours leur santé pour nous protéger et protéger la société.

Terri-Lynne McClintic avait été transférée dans un établissement à niveau minimum, un pavillon de ressourcement. Un amendement proposé par les conservateurs à l’autre endroit aurait fait en sorte qu’une personne comme Terri-Lynne McClintic, coupable d’avoir enlevé, violé et assassiné sauvagement à coups de marteau Tori Stafford, fillette âgée de 8 ans, ne puisse pas être incarcérée dans un pavillon de ressourcement où pourraient se trouver des enfants et où la fuite et l’évasion sont possibles. Pire, un amendement visant à ce que le ministre soit prévenu par écrit au moins 15 jours avant l’entrée en vigueur de l’octroi d’une nouvelle cote de sécurité a aussi été rejeté.

J’en déduis donc que le gouvernement n’accorde pas d’attention aux témoignages entendus au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes ni aux préoccupations des Canadiens en matière de sécurité publique ou aux préoccupations du père et des proches de Tori qui, eux, vivent à leur façon une sentence que je qualifierais de sentence à vie.

En ce qui concerne les libérations accélérées, l’utilisation de l’expression « mesures les moins privatives de liberté » crée une présomption favorable à une détention toujours moins restrictive. Elle suppose également la prise de décisions favorables à la libération anticipée, y compris des absences temporaires de la prison, la libération conditionnelle de jour et la libération conditionnelle complète.

Certains sénateurs trouveront certainement qu’il s’agit là d’une bonne idée. Cependant, il ne faut pas oublier que l’élément primordial de toute libération éventuelle prévue dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est le risque. Un détenu peut avoir commis le crime le plus crapuleux, il peut même refuser d’admettre sa culpabilité. Cependant, si l’on ne peut faire la preuve qu’il existe un risque, alors, en vertu d’un régime aux mesures moins restrictives, il pourrait fort bien se retrouver en liberté.

Je crois que c’est une réalité que ce gouvernement refuse d’admettre, sans compter les autres enjeux très graves qui sont soulevés à l’égard d’autres parties du projet de loi.

Notamment, le projet de loi C-83 réduira les outils dont le Service correctionnel du Canada dispose pour assurer un minimum de sécurité.

Le mois dernier, Jason Godin, président national du Syndicat des agents correctionnels du Canada, a dit ce qui suit devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne au sujet du projet de loi C-83 :

Si on élimine l’isolement préventif et disciplinaire, la capacité de garder le contrôle des diverses populations sera substantiellement touchée. Nous comprenons que le recours trop fréquent à l’isolement comme mesure disciplinaire peut avoir un résultat négatif. Il y a néanmoins des situations où une réponse rapide et immédiate à un comportement dangereux est nécessaire.

C’est aussi une question de gestion des détenus. Je cite de nouveau M. Godin :

[…] l’incapacité de gérer des détenus incompatibles mènera à des tragédies comme celles vécues dans l’établissement Archambault et l’établissement de Millhaven, où des détenus ont été assassinés, lors d’incidents distincts, au début de 2018. […]

Il a aussi ajouté ceci :

La réduction de notre capacité de gérer de manière sécuritaire les cas les plus difficiles au moyen de l’isolement lorsque cela est nécessaire ne fera qu’exacerber la situation dans les milieux de travail déjà dangereux pour les agents correctionnels. J’ai mentionné plus tôt que deux détenus ont été tués en 2018 dans des centres de traitement. Je n’ai rien vu de tel en 27 ans.

(1710)

M. Godin nous a appris que, à la suite de l’adoption des directives du commissaire DC 709, Isolement préventif, et DC 843, Interventions pour préserver la vie et prévenir les blessures corporelles graves, les politiques sur l’isolement ont déjà été modifiées. Il avance que ces politiques ont considérablement réduit la possibilité du Service correctionnel du Canada de gérer ses établissements à l’aide de l’isolement. Il ajoute ceci :

Quoiqu’ils étaient bien intentionnés, ces changements ont mené à une hausse marquée de la violence dans les milieux carcéraux fédéraux.

Aujourd’hui, le gouvernement se propose d’aller plus loin encore en vertu du projet de loi C-83, tout en n’offrant aucune ou peu de mesures alternatives aux agents carcéraux pour assurer leur sécurité. La violence ira donc plus loin. L’introduction des unités d’intervention structurée permettra aux détenus d’interagir avec d’autres détenus pendant au moins deux heures, ainsi que de passer quatre heures à l’extérieur de leur cellule. Malgré les bonnes intentions qu’inspirent ces changements, Jason Godin estime que ces derniers ne sont pas réalisables à l’aide du nombre actuel d’employés et des infrastructures existantes. Nos pénitenciers ne sont pas adaptés à ce projet de loi.

Les mesures du projet de loi auront pour effet d’accroître le danger dans les établissements correctionnels pour les gardiens de prison, les travailleurs correctionnels, les autres détenus et les détenus placés en isolement pour leur propre protection. L’une des conséquences pourrait être que davantage de prisonniers classés dans la catégorie de haute sécurité seraient incarcérés à des niveaux de sécurité minimums. Plus précisément, la mesure législative proposée aurait des impacts sur le transfert des délinquants, et permettrait au commissaire d’accorder une cote de sécurité à chaque zone ou même cellule d’un pénitencier. Il pourrait donc y avoir des cotes de sécurité différentes dans chaque cellule. C’est complètement illogique.

Sans un contrôle des interactions entre les détenus de divers niveaux de sécurité, le trafic de drogue de même que les conflits entre détenus risquent d’augmenter. On ne peut pas placer un membre des Hells Angels avec un détenu d’un autre niveau de sécurité, c’est tout à fait absurde. On le voit, ce projet de loi a été pensé par des fonctionnaires dans leur bureau plutôt que par des gens sur le terrain. Dans un pénitencier à sécurité maximale comme celui de Port-Cartier, rien n’entre et rien n’en sort, car tous les prisonniers sont dans un pénitencier à sécurité élevée. Avec raison, car on y retrouve les individus les plus dangereux du pays : Paul Bernardo, des membres des Hells Angels, et cetera.

Les députés conservateurs ont décrié le fait que le projet de loi C-83 ne contient aucune mesure pour éviter qu’un contrevenant à haut risque soit incarcéré à un faible niveau de sécurité. Je suis très inquiet quant à la direction prise par le gouvernement actuel en matière de politique correctionnelle. Nous reculons en mettant la santé du personnel carcéral en grand danger. Je m’oppose totalement à toute politique qui accroîtra la violence dans nos établissements, et je pense que la grande majorité des Canadiens s’y oppose aussi.

Il faut plutôt renforcer les mesures et les outils de réhabilitation, encourager la formation scolaire et favoriser le travail. Ce projet de loi ne fera pas des détenus des citoyens plus réhabilitables. Au contraire, il augmentera le surmenage et le taux d’absentéisme du personnel.

Ce que l’on constate à la lecture des mesures du gouvernement libéral, c’est sa préoccupation à l’égard des droits des détenus au détriment des droits et de la protection des victimes. Or, même les droits des détenus ne sont pas protégés en vertu du projet de loi C-83, si on croit le témoignage de Jason Godin, qui souligne que des détenus sont tués dans nos établissements à cause de directives plus libérales sur l’isolement.

Il est essentiel que la sécurité publique soit toujours au cœur des mesures que nous introduisons dans notre système de justice pénale. Or, je ne crois pas que la sécurité publique soit dûment prise en cause dans le projet de loi C-83.

Honorables sénateurs, j’ose espérer que vous vous joindrez à moi pour vous opposer au projet de loi C-83, tant que des mesures d’atténuation ne seront pas mises en place pour assurer la sécurité de notre personnel de première ligne dans les pénitenciers. Merci.

[Traduction]

L’honorable Kim Pate : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Oui.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Je vous remercie pour tout votre travail et vos recherches poussées dans ce domaine.

J’étais ravie de vous entendre dire que vous êtes contre toute mesure qui aurait pour effet de réduire la réadaptation des détenus et d’accroître la violence dans les prisons. Vous savez sûrement que la loi actuelle sur le système correctionnel, qui contenait la notion de « mesures les moins privatives de liberté », a été adoptée en réponse à un gouvernement conservateur précédent et conçue pendant une législature conservatrice. Deux députés de l’époque, David Daubney et Rob Nicholson, avaient recommandé d’adopter une mesure sur le système correctionnel qui serait axée sur les droits de la personne et contribuerait à réduire le nombre de détenus, particulièrement le nombre d’Autochtones, de femmes et de personnes atteintes de troubles mentaux, un enjeu qui commençait à retenir l’attention.

Au milieu des années 1990, tous les directeurs de services correctionnels du pays, y compris un ancien membre de votre caucus, ont indiqué dans des recommandations que nous pourrions libérer 75 p. 100 des personnes qui étaient alors dans des centres de détention fédéraux, provinciaux et territoriaux sans accroître les risques pour la sécurité publique.

Récemment, le Bureau de l’enquêteur correctionnel a publié des informations montrant que notre ratio employés-détenus est le plus élevé au monde et que, selon toutes les données, plus il y a de mesures de sécurité, plus le risque de violence envers les employés et les autres prisonniers augmente, moins on a accès aux programmes et aux services et moins on a recours à la mise en liberté graduelle et structurée, ce qui est la meilleure façon d’assurer la sécurité du public et la réhabilitation du détenu qui réintègre la collectivité.

Sénateur Boisvenu, avez-vous eu l’occasion de prendre connaissance des travaux de recherche et des recommandations auxquelles certains d’entre nous ont travaillé, concernant la manière de mieux aider les victimes sans nécessairement libérer les détenus dans un état pire que celui dans lequel ils étaient au moment de leur entrée en prison?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : S’il y a un sujet auquel je me suis intéressé depuis 15 ans, c’est notamment tout le phénomène de la désinstitutionnalisation. On remarque que la courbe de la désinstitutionnalisation est en baisse constante depuis 1972, et que celle de l’incarcération est en constante croissance depuis 1972. Ce sont deux courbes qui sont proportionnellement inverses l’une de l’autre. Aujourd’hui, dans les pénitenciers fédéraux, on nous dit qu’on approche les 30 p. 100 de cas de troubles de santé mentale chez les hommes, et qu’on a dépassé 40 p. 100 chez les femmes.

Évidemment, le choix de l’institution est très important. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’une bonne portion de gens qui sont dans les pénitenciers n’y ont pas leur place; ils devraient plutôt se trouver en hébergement surveillé, où les gens sont encadrés quant au couvre-feu, à la prise de médicaments, et cetera. On sait que, dans ces conditions, le taux de récidive baisse de 90 p. 100.

Malheureusement, les budgets accordés aux soins de santé dans les provinces et les budgets du système carcéral canadien ne sont pas alignés. Il faudrait qu’ils soient liés. Une personne qui souffre de problèmes de santé mentale dans un pénitencier fédéral coûte 200 000 $ par année; la même personne dans un hébergement contrôlé coûte 50 000 $ par année. Cela signifie que, pour le coût d’une personne incarcérée souffrant de troubles mentaux, on pourrait s’occuper de quatre personnes en hébergement contrôlé.

Cependant, la question que je me pose est la suivante : si les pénitenciers sont devenus des endroits où une grande proportion de la clientèle souffre de problèmes de maladie mentale, que ferait-on si, à Pinel, une institution de soins en santé mentale bien connue, on ne pratiquait plus l’isolement de patients? Pour les médecins et pour les gens qui travaillent dans ce milieu, ce serait impossible à gérer. Nos pénitenciers, en grande partie, n’ont plus seulement la vocation de réhabiliter les criminels, ils ont vocation à soigner des gens qui souffrent de maladie mentale. Dans le domaine de la santé mentale, l’isolement fait partie — car j’ai une formation en psychologie — des outils permettant de protéger le patient de lui-même, d’une part, et des autres patients, d’autre part, surtout si les autres patients sont violents. Or, ce qu’on observe à l’heure actuelle dans les pénitenciers fédéraux, c’est que les gens qui souffrent de maladie mentale, souvent, deviennent victimes des vrais criminels.

(1720)

Donc, en voyant ce projet de loi devant moi, j’éprouve une grande crainte par rapport à l’augmentation de la violence, parce que nous allons perdre un outil indispensable, qui est l’isolement. Il faudrait maintenant gérer l’isolement en fonction de chaque détenu, puisqu’ils n’ont pas le même profil psychologique.

Si, demain matin, on n’isole plus les gens dans les pénitenciers, la gravité des problèmes psychiatriques augmentera. Dans les pénitenciers, on s’est retrouvé avec deux clientèles, des gens qui auraient dû trouver dans des centres de santé et d’autres qui sont vraiment à leur place dans les pénitenciers.

Si, demain matin, les gardiens et les agents des services correctionnels ne sont plus en mesure de disposer de cet outil qu’est l’isolement, vous verrez sans doute une augmentation proportionnelle de la violence. Je crois donc qu’il faut être très prudent.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : J’ai une autre question, sénateur. Je suis d’accord avec une bonne partie de votre réponse à la question de la sénatrice Pate. Toutefois, vers la fin de votre réponse, vous avez parlé de l’isolement et de la protection des personnes souffrant d’une maladie mentale, et avez mentionné que l’isolement est utilisé à cette fin. Je souligne qu’il existe une nette distinction entre la détention protégée et l’isolement comme on le connaît. Il y a aussi les exemples des établissements médico-légaux. Je me demande si vous considéreriez d’autres options que l’isolement préventif qui est actuellement proposé pour répondre aux préoccupations que vous soulevez.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je pense que votre question va au cœur du problème. J’ai assisté à certaines audiences. Je me rappelle lorsque, à l’autre endroit, le syndicat des agents des services correctionnels est venu témoigner. On leur a posé une question à la toute fin de leur comparution et on n’a pas eu le temps d’échanger. On leur a demandé ceci : « Avez-vous des moyens alternatifs à l’isolement? » Ils ont répondu que non, il n’y en a pas. Le problème est là. Si on décide demain matin d’éliminer l’isolement et qu’il n’y a pas d’alternative, je pense qu’on va aggraver la situation.

Trouvons des moyens alternatifs à l’isolement et réduisons l’isolement, mais, dans beaucoup de cas, ce que les agents me disent, c’est que c’est le seul moyen dont ils disposent pour des gens incarcérés qui ont un haut niveau de dangerosité.

[Traduction]

La sénatrice Pate : L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Boisvenu : Je semble être populaire.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup.

Comme la sénatrice Lankin, j’ai été très heureuse de vous entendre faire certaines observations. Je veux mettre l’accent sur ce que vous avez dit à propos de la désinstitutionnalisation parce que ce sont assurément les provinces qui sont responsables des changements progressifs ayant mené à la détérioration du filet de sécurité sociale, ce qui a entraîné une hausse des taux d’incarcération et une baisse du nombre de personnes ayant accès à des programmes sociaux.

Sénateur Boisvenu, seriez-vous favorable à l’idée que le gouvernement fédéral établisse des stratégies et des normes nationales avec l’aide des parlementaires, pour que des services soient offerts et financés par les accords fiscaux et les accords de transfert qui existent et qui permettent de mettre en œuvre de telles stratégies? En fait, l’une des lacunes du projet de loi C-83 est, comme vous l’avez mentionné, qu’il amoindrit la capacité de transférer, au titre de l’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale dans des établissements de santé mentale. Aimeriez-vous vous pencher sur cette question ou que nous travaillions ensemble sur elle?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais vous donner un moyen très facile et qui ne coûte rien. Tout le monde connaît le programme At Home/Chez soi. Il y a des programmes à Toronto, au Nouveau-Brunswick et au Québec. Je l’ai dit plus tôt que ce sont des gens qui, au lieu de faire incarcérer les contrevenants ou parfois, dans le cas de personnes qui sortent du milieu carcéral, les amènent dans des milieux qui sont dits « contrôlés ». Il y a une infirmière qui prend soin du patient et lui donne ses médicaments. Il y a un couvre-feu à 23 heures et on habitue ces gens à travailler en société. Le taux de récidive a baissé de 90 p. 100. Il y a donc un moyen.

J’obligerais le ministre de la Sécurité publique et la ministre de la Santé à voir quel montant d’argent nous pourrions épargner en sortant 10 personnes d’une prison, alors que les garder en prison nous coûte 2 millions de dollars. Ils pourraient plutôt octroyer ce budget à des centres d’accueil pour les gens qui souffrent de problèmes de santé mentale. Cela ne nous coûterait rien et nous permettrait de réduire le personnel dans les prisons. Il faut que les ministres créent un programme de ce genre.

Je reçois des demandes d’organisme qui veulent accueillir ces gens à Sherbrooke et à Québec et qui veulent ouvrir ce genre de centre, mais il n’y a pas d’argent. L’argent est dans les pénitenciers. Allons chercher l’argent dans les pénitenciers, sortons ces gens de prison et donnons-leur un milieu qui s’en occupe, mais de manière contrôlée et encadrée, pas dans la rue. Actuellement, à Montréal, deux interventions policières sur trois pendant la nuit se font auprès de gens qui souffrent de troubles mentaux.

Les nouveaux centres d’accueil pour les gens qui souffrent de problèmes de santé mentale, cela s’appelle la rue. Il y a des façons de faire qui ne coûtent rien. Il suffit de s’asseoir avec les deux ministres, de mettre nos ressources en commun et de construire des centres pour ces gens.

[Traduction]

Son Honneur le Président : La sénatrice McPhedran souhaite-t-elle intervenir dans le débat?

[Français]

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-83, qui porte sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Je tiens à spécifier que j’ai plusieurs inquiétudes au sujet du projet de loi et de ses conséquences potentielles.

[Traduction]

Les experts médicaux ont établi hors de tout doute que le fait de placer un être humain en isolement entraîne de graves préjudices psychologiques. La porte de la cellule se ferme, et les effets néfastes commencent presque aussitôt. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que ces préjudices représentent un traitement et une punition à ce point inhabituels et cruels qu’ils violent la Constitution. Selon les normes internationales, plus de 15 jours d’isolement relèvent de la torture et les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ne devraient jamais être placées en isolement.

Malgré les promesses bien intentionnées d’une approche plus progressiste, de programmes plus nombreux et de contacts humains plus fréquents, comme d’autres collègues l’ont souligné, le projet de loi C-83 perpétue les conditions inconstitutionnelles du système d’isolement qu’il affirme vouloir remplacer. On ne sait pas exactement pourquoi le projet de loi C-83 n’a pas été rédigé de façon à respecter les droits de la personne en mettant fin à cette pratique. Le parrain du projet de loi a toutefois essayé de faire croire qu’abandonner l’isolement préventif ou s’éloigner trop du système actuel d’isolement créerait un environnement problématique et précaire. Il est même allé jusqu’à dire que cela irait :

[...] au-delà de tout ce qu’on peut imaginer [...]

Voilà la justification que nous avons entendue. Or, on a très peu reconnu que les conséquences atroces et même mortelles du système en font une menace directe à la sécurité des détenus.

Honorables sénateurs, si ceux qui appuient ce projet de loi réussissent à mieux dormir la nuit en niant l’existence de ces méfaits, nous avons le devoir de tenir compte de l’expérience vécue par ceux qui sont placés dans des cellules d’isolement et d’insister pour que des solutions de rechange soient trouvées afin d’éviter qu’ils souffrent dans des conditions dignes de la torture.

D’ailleurs, pas plus tard que cette semaine, une avocate a écrit à de nombreux sénateurs pour leur demander d’intervenir pour aider un de ses clients autochtones atteint de maladie mentale et placé en isolement. Grâce à l’intervention de la sénatrice Dyck et de la Federation of Sovereign Indigenous Nations, une tragédie potentielle a pu être évitée.

Le renvoi du projet de loi C-83 au comité permettra à ce dernier d’étudier les risques liés à la vision inflexible qui ne se concentre que sur la sécurité et nie les droits que ce projet de loi met de l’avant. Le comité aura également l’occasion de poser un œil critique sur les lacunes du projet de loi C-83 qui, de l’aveu du sénateur Klyne, inquiétaient le comité de l’autre endroit.

(1730)

Où, ailleurs qu’en prison, devrait-on avoir à préciser que le temps qu’une personne peut passer à l’extérieur ne devrait pas être au milieu de la nuit ou que les contacts humains réels ne devraient pas inclure les conversations qui ont lieu à travers la fente servant à passer les repas?

Quand je regarde ces modifications, il n’y a pas lieu de se réjouir. Ce ne sont pas des mesures moins restrictives. Cela tend plutôt à démontrer l’absence de mesures de protection des droits de la personne dans les prisons ainsi que les défis que peuvent poser les lois sur la protection des droits de la personne dans un environnement dépourvu de mécanismes efficaces pour surveiller les mesures correctives.

Même si le privilège que nous avons, en tant que parlementaires, nous permet de visiter une prison puis de retourner dans le confort de notre quotidien, nous ne devons pas nous leurrer ou vivre dans le déni. Combien nous faudra-t-il encore de contestations judiciaires, d’enquêtes, de décès et d’études pour confirmer que le Service correctionnel du Canada est incapable de respecter ces normes par lui-même?

Nous avons l’occasion de donner suite à la recommandation que l’ancienne juge de la Cour suprême, Louise Arbour, a faite, il y a 23 ans, au sujet de la surveillance des services correctionnels, dans le cadre de sa commission d’enquête sur les événements survenus à la prison des femmes de Kingston. Elle a fait l’observation suivante : « La primauté du droit est absente bien que les règles soient partout. »

Le rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel sur le décès évitable d’Ashley Smith, dont la sénatrice Lankin a cité nombre de détails bouleversants, tire la conclusion suivante :

Mme Smith serait probablement vivante aujourd’hui si elle n’avait pas été toujours en isolement et si elle avait reçu des soins appropriés. Un arbitre indépendant, comme l’avait recommandé la juge Arbour, aurait pu procéder à un examen approfondi du cas de Mme Smith, ce qui aurait obligé le Service correctionnel à étudier avec soins d’autres solutions que le placement de Mme Smith dans des conditions de détention de plus en plus restrictives...

— ce qui semblait souvent divertir les gardes qui la surveillaient jour et nuit.

Même lorsque les décisions de sanctionner, de menotter, de vaporiser de poivre, d’isoler, de transférer ou de restreindre autrement les prisonniers alourdissent la peine ordonnée à l’origine par les juges, les prisonniers n’ont aucun droit de demander une révision de la peine.

Une grande couverture médiatique a sensibilisé les gens à la décision du tribunal ontarien d’abandonner les accusations de meurtre contre Adam Capay, un jeune Autochtone, à la lumière des conditions d’isolement inadmissibles qu’il a vécues pendant quatre ans et demi en attendant son procès.

Il n’existe actuellement pas de mesure de réparation postsentencielle comparable. La responsabilisation des services correctionnels nécessite une surveillance judiciaire rigoureuse ainsi que des mesures de réparation efficaces. La société et les prisonniers méritent que le Service correctionnel fasse l’objet d’une surveillance judiciaire, d’autant plus que les autorités correctionnelles viennent miner l’intégrité des peines en les rendant plus punitives.

C’est notamment pour cette raison, contrairement à ce qu’a pu avancer le sénateur Klyne, que les témoins entendus par le comité de l’autre endroit ont sérieusement remis en cause la raison d’être des cellules d’isolement. Peu importe qu’on en change le nom, elles demeureront le produit des mêmes approches inefficaces qui ont donné lieu à des conditions d’isolement contraires aux garanties constitutionnelles et aux normes internationales contre les traitements ou peines cruels et inusités, ces derniers équivalant à de la torture en droit international.

La Cour d’appel de l’Ontario a affirmé que « ce qui caractérise avant tout l’isolement cellulaire, c’est l’élimination de toute forme d’interaction ou de stimulation sociale valable ».

Le gouvernement a dit avoir sérieusement l’intention de défendre les droits fondamentaux des détenus. Si tel est le cas, il ne devrait pas faire croire aux Canadiens que le projet de loi C-83 mettra fin à l’isolement préventif à moins d’ajouter le mécanisme crédible de surveillance externe qu’il lui manque.

Dans les faits, l’approche retenue par le gouvernement ne permettra pas de défendre les droits fondamentaux de qui que ce soit. Elle ne permettra pas aux détenus de jouir de leurs droits. Oui, dans notre démocratie constitutionnelle, les détenus ont des droits.

Le gouvernement a au contraire choisi de faire fi du témoignage et des recommandations des spécialistes. En se contentant de donner un autre nom à l’isolement préventif et de supprimer les balises procédurales actuelles — aussi inadéquates soient-elles — au lieu de mettre carrément fin à l’isolement et d’établir des balises efficaces, ce projet de loi n’apporte pas les changements qui auraient dû être faits depuis longtemps au régime carcéral.

Je vous remercie. Meegwetch.

Le sénateur Klyne : L’honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice McPhedran : Oui.

Le sénateur Klyne : Honorable sénatrice, que pensez-vous des Règles Nelson Mandela de l’ONU?

La sénatrice McPhedran : Merci de votre question, sénateur Klyne, et merci du travail que vous faites en parrainant le projet de loi.

Nous savons tous que le fait de parrainer un projet de loi ne signifie pas que l’on doive appuyer chacun des éléments qu’il comporte. Je pense que vous avez soulevé certaines questions importantes. Je sais que, pendant les vacances, vous avez passé beaucoup de temps à visiter des prisons. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je pense que, dans son libellé actuel, le projet de loi contrevient aux normes internationales en matière d’isolement.

La sénatrice Pate : Honorables collègues, certains d’entre vous s’imaginent peut-être que l’isolement et les unités d’intervention structurée dont traite le projet de loi C-83 correspondent à un certain type de cellule, dans laquelle on passe un certain nombre d’heures ou de jours. Ces termes abstraits ne donnent pas un tableau réel des horribles conséquences d’un système qui continue d’accorder au personnel du Service correctionnel du Canada le pouvoir arbitraire de placer indéfiniment en isolement certaines des personnes les plus vulnérables de la société.

Pendant quatre décennies, j’ai passé d’innombrables heures à genoux sur le sol en ciment devant des cellules d’isolement, essayant de raisonner à travers le guichet de la porte en métal l’être cher de quelqu’un — un enfant, un frère ou une sœur, un parent ou un conjoint — qui se frappait la tête contre le mur ou le sol en ciment, lacérait son corps, se nouait un lien autour du cou, essayait de s’arracher les yeux ou de se mutiler par des moyens incroyables, ou maculait son corps, les fenêtres et les murs de son sang et de ses excréments. J’ai entendu des cris de tourments et de désespoir impossibles à décrire, et qui me hantent encore aujourd’hui.

Je pense que ce projet de loi a été proposé avec les meilleures intentions. J’applaudis la volonté déclarée du ministre de mettre fin à l’isolement. Malheureusement, ce projet de loi ne le fait pas. Il ne comprend même pas les mesures minimales jugées nécessaires par les tribunaux pour prévenir les violations des droits de la personne attribuables aux unités d’isolement et les situations qui s’apparentent à la torture.

Nombre de parties, comme la Cour d’appel de l’Ontario et plus d’une vingtaine de juristes théoriciens et praticiens, disent craindre que le projet de loi C-83 soit inconstitutionnel. Permettez-moi de résumer brièvement quelques-unes des raisons pour lesquelles le projet de loi équivaut à un simple changement de nom — une variante inconstitutionnelle — et à une perpétuation de l’isolement.

Premièrement, il n’y a aucune garantie que deux heures de plus à l’extérieur d’une cellule constituent un contact humain réel ou même un contact humain tout court. Le projet de loi offre aux détenus « la possibilité » d’avoir deux heures de plus à l’extérieur d’une cellule, dans une unité d’intervention structurée. Si les détenus peuvent seulement quitter leur cellule pour aller dans des espaces restreints, deux heures de plus n’amélioreront pas les conditions d’isolement.

Deuxièmement, l’Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, connu comme les Règles Nelson Mandela, et les Règles de Bangkok concernant les femmes, exigent des preuves de contacts humains réels. La discrétion presque illimitée de Service correctionnel Canada offre peu d’assurances que les conditions d’isolement dans les unités d’intervention structurée répondront à la Charte ou aux normes internationales.

Troisièmement, le projet de loi ne contient aucun exigence ou plan de surveillance. Malgré le non-respect continu de la loi, Service correctionnel Canada nous demande d’accepter qu’il observera de telles normes à l’avenir.

(1740)

Il y a plus de 23 ans, l’ancienne juge Louise Arbour a recommandé que le Service correctionnel fasse l’objet d’un contrôle judiciaire afin de prévenir les violations des droits de la personne associées à l’isolement. Il est temps de donner suite à cette recommandation.

Quatrièmement, outre le fait qu’il porte un nouveau nom, le projet de loi C-83 ne prévoit aucune modification réelle des unités ou des cellules d’isolement. Pire encore, aux termes du projet de loi, il sera possible d’étendre à l’ensemble d’une prison des conditions et des routines extrêmement restrictives.

Cinquièmement, le projet de loi ne prévoit rien pour éliminer ou même imposer des limites strictes à l’isolement et à la séparation. On peut donc prévoir que des gens continueront de passer des jours, des semaines, voire des années en isolement ininterrompu.

Le projet de loi repose sur la prémisse voulant qu’une certaine forme d’isolement — peu importe comment on l’appelle — soit nécessaire, et ce, au détriment d’autres options qui respectent les droits de la personne. Or, ce n’est pas le cas. Je crois que, en tant que sénateurs, nous nous devons d’examiner les solutions de rechange avant d’appuyer un projet de loi qui, à bien des égards, est inconstitutionnel.

Partout au Canada, des prisons exemptes d’unités d’isolement fonctionnent sans problème depuis des mois, voire des années. D’après mon expérience de travail, j’ai pu constater que le Pénitencier de Dorchester a fonctionné sans aire d’isolement pendant qu’il faisait l’objet de travaux de rénovation. Après avoir abandonné l’idée d’ouvrir une aire d’isolement à sécurité maximale de 34 places pour femmes au Pénitencier de Kingston pour hommes, le Service correctionnel a mené ses opérations pendant cinq ans sans unité à sécurité maximale ni aire d’isolement pour les délinquantes sous responsabilité fédérale en Ontario.

Lorsque le Comité sénatorial permanent des droits de la personne s’est penché sur les droits des prisonniers, nous avons entendu des témoignages au sujet d’autres prisons comme celle de Fraser Valley, une autre prison fédérale pour femmes, qui a fonctionné pendant 18 mois sans unité d’isolement ni unité à sécurité maximale, en se servant uniquement d’unités à sécurité minimale et moyenne.

Lorsque je travaillais à la Société Elizabeth Fry, mes enfants m’accompagnaient parfois lorsque je me rendais dans une prison pour défendre les droits des prisonniers. La première fois que ma fille — elle était alors bébé — est venue à l’unité d’isolement pour femmes du Pénitencier de la Saskatchewan pour hommes, le chef de la sécurité m’a informée qu’il prévoyait envoyer l’équipe d’intervention en cas d’urgence parce que les femmes hurlaient, criaient des menaces et frappaient les barreaux de leur cellule. J’ai demandé ce qui se passait. J’avais rencontré les femmes de cette unité plus tôt dans la journée; elles étaient toutes autochtones. J’ai indiqué que, même si elles étaient contrariées par le manque de programmes et de soutien spirituel, elles étaient calmes quand je suis partie. Elles avaient convenu de s’attaquer à leurs problèmes en déposant un grief collectif.

J’ai d’abord proposé de retarder le déploiement de l’escouade antiémeute afin que je puisse retourner dans la rangée pour déterminer pourquoi la situation avait dégénéré. Le personnel a accepté mon offre. Un des employés a fait une suggestion : « Pourquoi n’amenez-vous pas votre bébé avec vous? J’ai entendu dire qu’elles l’aiment. » À quel point le risque posé par les femmes pouvait-il être grave si le chef de la sécurité croyait qu’un bébé pouvait calmer la situation?

Il est possible d’utiliser autre chose que des mesures de sécurité draconiennes. Or, on néglige trop souvent, honorables sénateurs, d’envisager ces possibilités. Soit dit en passant, la situation s’était envenimée inutilement parce que le personnel n’avait pas remis aux femmes les formulaires de grief malgré les demandes répétées de ces dernières.

Le personnel de pénitenciers fait encore appel à moi parfois. Il n’y a pas très longtemps, j’ai été appelée par un agent qui tentait de désamorcer une situation qui aurait pu dégénérer. Une mère était bouleversée parce qu’on avait refusé de l’autoriser à assister aux funérailles de son enfant. Même si on l’avait exhorté à le faire, ce membre du personnel a décidé de ne pas recourir à l’Équipe pénitentiaire d’intervention en cas d’urgence, de ne pas utiliser de gaz poivré, de ne pas utiliser les chaînes et de ne pas placer la femme en isolement. À la place, on lui a offert un soutien, on a travaillé avec ses pairs et on lui a permis de parler au téléphone avec des membres de sa famille et d’autres personnes. La situation s’est dénouée sans incident. La décision administrative a été revue, et cette mère a pu assister aux funérailles deux jours plus tard.

Les autorités correctionnelles invoquent souvent la sécurité des détenus et du personnel pour justifier l’isolement, mais la majorité des hommes et des femmes qui sont placés en isolement sont des personnes qui ont un handicap — problèmes de santé mentale ou incapacité mentale ou physique liée à l’âge — qui les rend extrêmement vulnérables. L’isolement comme moyen de protéger un individu dont l’état est tel qu’il ne pose aucun risque pour autrui ne devrait pas être accepté.

Imaginons que des personnes âgées — vos parents ou les miens — qui souffrent de démence soient enfermées dans une petite pièce verrouillée. Imaginons les effets que cela aurait sur leurs symptômes ou les autres dommages qui pourraient être causés. Il faudrait passer des contrats pour avoir des places dans des établissements de soins psychiatriques ou de soins pour personnes âgées pour les individus vulnérables plutôt que de les placer en isolement.

Il existe de meilleures façons, plus efficaces, d’atteindre les objectifs de sécurité publique et de réadaptation de Service correctionnel Canada que de simplement donner un autre nom à l’isolement. Le directeur parlementaire du budget prévoit que le coût annuel de la mise en œuvre du projet de loi C-83 sera de 1,8 million de dollars par pénitencier pour hommes et de 1,5 million de dollars par pénitencier pour femmes. La majeure partie de cet argent servira à payer du personnel correctionnel supplémentaire.

Service correctionnel Canada a déjà le plus grand ratio de personnel par rapport au nombre de détenus dans le monde. Imaginez si cet argent était plutôt investi dans des programmes d’aide communautaires — comme en ont parlé le sénateur Boisvenu et d’autres — non seulement par souci de respecter les droits fondamentaux, mais aussi pour apporter des changements profonds dans la vie des détenus, de leur famille ainsi que des personnes marginalisées et des victimes.

Honorables sénateurs, je ne pense pas que ce projet de loi devrait aller plus loin. Cela dit, je reconnais que certains collègues voudront avoir la possibilité d’entendre des témoignages avant de prendre une décision sur le projet de loi.

Si ce projet de loi franchit l’étape de la deuxième lecture, honorables sénateurs, je m’attends à ce que vous vous engagiez faire à deux choses. Premièrement, je veux que vous vous engagiez à aller dans des prisons rencontrer des personnes placées en isolement avant de prendre une décision relativement à ce projet de loi.

Suivant l’article 72 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les sénateurs et les députés ont tous accès aux pénitenciers fédéraux, y compris aux cellules d’isolement. Aussi inusitée cette démarche soit-elle, une cour d’appel on ne peut plus respectable a pris sur elle de nous indiquer clairement les éléments de ce projet de loi qui vont à l’encontre de la Constitution. Or, si nous adoptons un projet de loi non constitutionnel, nous devrons tous accepter que, personnellement et collectivement, nous autorisons et cautionnons ainsi des conditions de détention équivalant à de la torture. Je ne peux pas — je ne veux pas — renoncer à mes responsabilités et faire taire le sentiment de culpabilité qui ne pourra pas manquer de m’habiter en espérant qu’un détenu réussira un jour à contester le nouveau régime. En plus de prendre des années, ce genre de démarche suppose des ressources que les détenus en isolement n’ont tout simplement pas. C’est à nous, honorables sénateurs, que revient la responsabilité de mettre fin à cette pratique scandaleuse.

On pourrait presque affirmer que ce projet de loi viole les droits fondamentaux des personnes marginalisées et judiciarisées. La Constitution exige que les sénateurs défendent les droits garantis par la Charte et représentent les intérêts des minorités. Nous devons donc jouer notre rôle avec sérieux et rigueur et évaluer les conditions d’isolement en fonction de données probantes. Or, ce sont des données qui sont particulièrement difficiles à obtenir.

Le deuxième engagement, c’est de retourner régulièrement dans les prisons pour vérifier les conditions d’isolement. Si le projet de loi C-83 est adopté, il restera peu de façons de faire respecter les droits des personnes placées en isolement ou dans une unité d’intervention structurée : il n’y aura pas de surveillance judiciaire; il faudra attendre plus longtemps avant le déclenchement de mécanismes inadéquats qui dépendent d’un pouvoir de surveillance discrétionnaire; de plus, les communautés et les défenseurs des droits seront confrontés à des obstacles accrus. Dans un tel contexte, le droit d’accès aux prisons que prévoit l’article 72 deviendrait crucial; ce serait l’une des seules méthodes encore disponibles pour demander des comptes au milieu correctionnel.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-83 donne un nouveau nom à l’isolement sans faire de réel changement. Comme d’autres sénateurs l’ont dit avant moi, nous savons, grâce aux experts, comment procéder si nous voulons vraiment changer les choses et mettre fin à la séparation et à l’isolement peu importe le nom qu’on leur donne.

Sur cette note, je conclus en dédiant ce discours à toutes les personnes qui, ici même au Canada, ont été placées en isolement, à celles qui y ont survécu, à celles qui ont dépéri et à celles qui, comme Ashley Smith, sont mortes, trop souvent par homicide.

Au lieu d’adopter le projet de loi C-83, j’exhorte le Sénat à se pencher sur la Loi de Tona. Tona est une femme que les membres du Comité sénatorial des droits de la personne ont rencontrée durant leur visite d’un centre hospitalier médico-légal de la région atlantique. Tona nous a raconté les 10 années qu’elle a passées dans des établissements sous responsabilité fédérale. Pendant ces 10 années, elle a toujours été isolée des autres en raison d’un problème de comportement qui était décrit, même par les psychologues de ces établissements, comme une recherche d’attention. Or, lorsqu’elle a été admise dans le système de santé mentale, elle a reçu un diagnostic de schizophrénie. En outre, la gravité de sa psychose a maintenant été directement liée aux longues périodes qu’elle a passées en isolement et au trouble de stress post-traumatique causé par la torture d’un tel isolement.

(1750)

Tona nous a implorés de prendre des mesures législatives pour mettre fin à l’isolement et sortir des prisons les femmes et les personnes qui ont des problèmes de santé mentale afin de les confier aux services de santé mentale appropriés. Tona est loin d’être la seule personne à réclamer un tel changement. L’enquête sur le décès d’Ashley Smith, la commission d’enquête de 1996, dirigée par la juge Louise Arbour, sur certains événements survenus à la prison des femmes de Kingston, le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les commissions canadienne et ontarienne des droits de la personne, l’Association médicale canadienne, l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, l’Association des femmes autochtones du Canada et le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada : tous considèrent l’isolement et l’isolement préventif comme étant des pratiques profondément inhumaines, en particulier pour les jeunes, les femmes, les prisonniers racialisés et autochtones et ceux qui ont des problèmes de santé mentale.

Le projet de loi à l’étude aujourd’hui n’est pas la loi de Tona. Malgré les meilleures intentions, il risque de constituer une série de promesses creuses à l’intention de ceux qui travaillent à la reconnaissance des droits de la personne que la plupart d’entre nous tiennent pour acquis et qui attendent depuis trop longtemps.

Il est temps de rejeter le projet de loi et de travailler à un véritable changement.

Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

L’honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, je tiens à participer au débat d’aujourd’hui parce que j’estime que ce projet de loi soulève une question très importante. Il met à l’épreuve notre conception de l’humanité.

Avez-vous déjà visité un centre de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux? Quand on entre dans l’établissement, on voit plein d’animaux en cage; des chats, des chiens et d’autres animaux de compagnie que les gens aiment avoir à la maison. On les examine pour en choisir un, mais ils sont en cage. Derrière les barreaux, ils sont à la merci des gens qui prennent soin d’eux.

Lorsque la société décide, par l’entremise du système de justice, d’envoyer un humain en prison, elle se trouve à ordonner sa mise en cage. Une fois que le détenu est dans sa cellule, les gens qui possèdent la clé contrôlent ses faits et gestes. Les conditions de détention qu’on impose au prisonnier reflètent essentiellement le degré d’humanité de notre société.

Quand on met en cage une personne atteinte de troubles mentaux, ou une personne dont les symptômes de troubles mentaux n’ont pas été détectés, cela entraîne la plupart du temps la manifestation de ces déficiences. Quand on met en cage des Autochtones parce qu’on croit qu’ils vivent toujours dans une société qui ne peut pas apprécier ce qu’ils étaient et ce qu’ils devraient être, il faut se rappeler que ce sont des personnes. Pourquoi met-on ces personnes en cage? C’est parce qu’elles sont sans défense. Les gens atteints de maladies mentales n’ont pas une pleine maîtrise de leurs capacités. Les Canadiens autochtones peuvent eux aussi être mis en cage, car ils ne se défendent et ne s’affirment pas suffisamment. S’ils agissent ainsi, c’est parce qu’ils ont été privés de leur identité, qu’ils n’ont pas été libres d’être ce qu’ils sont puisque, pendant 150 ans, nous avons tenté de leur imposer une façon d’être qui ne leur était pas destinée.

Le projet de loi soulève d’importantes questions constitutionnelles et voici pourquoi. Lorsque le gouvernement a rédigé le projet de loi il y a quelques années, les décisions du tribunal de la Colombie-Britannique et de la cour d’appel de l’Ontario auraient pu l’éclairer. Nous sommes confrontés à un dilemme. Le projet de loi a été rédigé à une époque où la Charte n’avait pas encore été interprétée afin de déterminer le niveau d’humanité qu’il faut protéger lorsqu’on met quelqu’un en cage. Pourquoi la Charte existe-t-elle? Nous n’avons pas une charte pour la transporter. La Charte vise à protéger ceux qui vivent dans une condition où leur liberté est déterminée par d’autres personnes. Trois articles de la Charte sont en jeu dans le projet de loi.

Je vais lire l’article 7 et, pendant ma lecture, je vous invite à penser au concept de l’encagement. L’article 7 se lit comme suit :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

« Qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale » — et quels sont les principes de justice fondamentale qui sont en jeu lorsqu’on place une personne en isolement? La Cour d’appel de l’Ontario a établi trois critères à cet égard. Je veux que le Comité des affaires sociales soumette le projet de loi à ces critères.

Le premier critère est fondé sur la durée. Pendant combien de temps peut-on garder quelqu’un en cage? Cinq jours? Trente jours? Soixante jours? La cour a déterminé que l’isolement ne pouvait dépasser 15 journées consécutives. Que contient le projet de loi C-83 quant au nombre de jours? C’est le premier élément. Pourquoi? Parce que, de l’avis de la cour :

L’effet d’un isolement prolongé constitue donc un traitement exagérément disproportionné, parce qu’il expose le détenu au risque de dommages psychologiques graves et potentiellement permanents.

La durée est le premier facteur important.

Le deuxième, comme l’a affirmé la cour, est le caractère indéterminé et inadéquat du mécanisme de surveillance. Autrement dit, lorsque vous mettez quelqu’un en cage, vous devez pouvoir le surveiller. Cela signifie qu’une personne doit aller faire une vérification adéquate et la juge Arbour a dit que cela devrait être consigné dans la loi. Il ne suffit pas qu’une personne entrouvre une petite fenêtre pour constater si la personne est toujours vivante. Cela ne constitue pas un mécanisme de surveillance. Un tel mécanisme doit être conçu en conformité avec les principes de justice fondamentale comme il est prévu à l’article 7 de la Charte dont je viens de parler.

Le troisième élément, qui est fondamental, est l’article 15 de la Charte, qui porte sur les Autochtones et les personnes souffrant de déficience mentale. Lorsque vous êtes privé de liberté et à la merci de quelqu’un et que cette personne exerce un contrôle sur vous, elle ne peut pas faire de distinction et doit tenir compte du fait que, dans la position de faiblesse où vous vous trouvez, vous ne serez peut-être pas en mesure d’affirmer vos droits en tant que personne souffrant de déficience mentale ou en tant qu’Autochtone.

Honorables sénateurs, j’espère que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles interprétera la décision de la Colombie-Britannique et de l’Ontario à l’aune des critères déterminés par le tribunal et des articles de la Charte qui sont en jeu dans ce projet de loi et nous dira, à l’étape du rapport, si ces critères sont respectés dans le projet de loi — qui a été rédigé avant que les tribunaux aient ainsi éclairé le législateur.

Voilà quel est notre rôle, honorables sénateurs. C’est pour cela que nous sommes ici. Nous sommes ici pour mettre le projet de loi à l’épreuve en l’examinant à l’aune des avis et des expertises juridiques les plus récents concernant la protection de la liberté des personnes les plus faibles de la société. Voilà pourquoi je vous dis que nous mettons ici à l’épreuve notre concept d’humanité. C’est cela qui est en jeu lorsque nous avons le contrôle total d’un être humain que nous enfermons en prison.

Honorables sénateurs, c’est le second examen objectif de ce projet de loi. Pensez-y bien, car le degré de liberté des plus vulnérables de la société est entre nos mains avec ce projet de loi, qui a été rédigé dans une bonne intention. En tout respect, je suis personnellement d’avis que l’interprétation judiciaire a évolué depuis la rédaction de cette mesure législative, qui doit être adaptée à ce que traiter une personne avec humanité, conformément à la Charte canadienne des droits et libertés, devrait vouloir dire aujourd’hui. Merci, honorables sénateurs.

(1800)

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Des voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Klyne, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il est 18 heures. Vous plaît-il de faire abstraction de l’heure?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Comme il n’y a pas d’entente, la séance sera suspendue jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

[Français]

(2000)

(Le Sénat reprend sa séance.)

Projet de loi sur l’instrument multilatéral relatif aux conventions

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-82, Loi mettant en œuvre une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Harder, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

[Traduction]

Discours du Trône

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Jaffer, appuyée par l’honorable sénatrice Cordy,

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Son Excellence le Gouverneur général du Canada :

À Son Excellence le très honorable David Johnston, Chancelier et Compagnon principal de l’Ordre du Canada, Chancelier et Commandeur de l’Ordre du mérite militaire, Chancelier et Commandeur de l’Ordre du mérite des corps policiers, Gouverneur général et Commandant en chef du Canada.

QU’IL PLAISE À VOTRE EXCELLENCE :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Sa Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’elle a adressé aux deux Chambres du Parlement.

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, c’est un privilège de prendre la parole et de me présenter aujourd’hui. Je suis honoré qu’on me confie la responsabilité de sénateur. Il me tarde de travailler avec chacun de vous afin de créer les conditions où « tous les Canadiens [ont] des chances réelles et égales de réussite ».

Cette vision, que je partage, est exprimée dans le discours du Trône qui a ouvert la 42e législature. Pour moi, cela veut dire travailler de concert pour faire en sorte que tous les Canadiens aient une possibilité égale d’améliorer leur sort et celui de leur famille. Au fil des ans, la qualité de vie s’est améliorée pour la plupart des Canadiens, mais pas tous.

Ces dernières années, nous avons toutefois été témoins d’une fragmentation accrue, qui nous éloigne du civisme dans le discours et nous fait cesser de voir comme des égaux les gens qui ne reflètent pas notre point de vue. Cette fragmentation a augmenté les obstacles qui nous séparent des possibilités et de l’égalité. Elle nous a aussi empêchés de voir la réalité, soit que l’égalité des chances n’est pas donnée à tous les Canadiens.

Nous savons que l’indice du développement humain est élevé au Canada, mais l’Organisation de coopération et de développement économiques classe le Canada au vingtième rang parmi ses pays membres pour ce qui est de l’inégalité du revenu.

Au Canada, plus de 1 million d’enfants vivent dans la pauvreté, 4 millions de personnes sont touchées par l’insécurité alimentaire et 3 millions de personnes vivent dans la précarité sur le plan du logement. De nombreux Canadiens n’ont pas accès à de l’eau propre ou à des soins de santé de qualité. La prospérité n’est pas donnée à tout le monde au Canada.

Trop souvent, le succès dépend de l’endroit où l’on vit, de qui l’on est et de ses origines personnelles et familiales. Il faut changer ces conditions et les autres facteurs qui nuisent à l’égalité des chances.

Nous vivons dans un pays d’abondance, mais les Canadiens ne jouissent pas tous de chances égales pour profiter de ces richesses. Nous devons reconnaître qu’il n’est pas possible d’améliorer le sort de tous nos concitoyens s’ils ne peuvent pas bénéficier de chances égales.

Je me suis rendu compte que, au Sénat, nous avons la possibilité et la responsabilité de nous attaquer à ce problème grave en adoptant des lois, en menant des études et en défendant des causes. Notre travail contribue à créer un milieu dans lequel tous les Canadiens peuvent s’attendre à avoir des chances égales et à en bénéficier, un milieu qui élimine les obstacles à la prospérité.

À mon avis, nous pouvons agir sur deux plans pour atteindre cet objectif, soit en favorisant la recherche et l’innovation, ainsi qu’en renforçant la prise de décisions fondées sur les meilleures données disponibles, afin d’améliorer la santé des personnes, des familles et des collectivités. Je suis conscient qu’il est nécessaire de se pencher sur d’autres enjeux, mais, de concert avec mes collègues du Sénat, j’espère examiner ces deux-là.

Honorables sénateurs, afin de mettre ces orientations en contexte, j’aimerais vous faire part de mon histoire et de celle de ma famille, en particulier les défis que nous avons dû relever et les possibilités qui se sont offertes à nous au Canada.

Mon expérience à titre d’enfant de réfugiés et de personne qui a réussi dans son domaine malgré un trouble d’apprentissage m’a fait connaître, comme beaucoup d’entre vous, ma juste part des vicissitudes de la vie. Ensemble, ces expériences forment ma tapisserie personnelle, qui fait partie d’un ensemble plus vaste qui me lie à tous les Canadiens.

Mes parents se sont tous deux retrouvés au Canada en tant que réfugiés de l’Ukraine à la fin de la Seconde Guerre mondiale. À l’âge de 16 ans, mon père a quitté sa famille pour étudier la médecine. Le jour de son départ est la dernière fois qu’il a vu les membres de sa famille. Beaucoup des personnes qui ont survécu à la guerre sont décédées lors de l’Holodomor, une famine orchestrée par Staline. Les survivants se sont vu confisquer leurs terres et, comme ils étaient des koulaks, ils ont été envoyés en Sibérie et qualifiés d’« ennemis du peuple ». Se frayant un chemin à travers les armées en guerre, mon père a survécu au bombardement de Dresde et est parvenu on ne sait trop comment à se rendre au Canada.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, plus de 32 000 Ukrainiens ont trouvé refuge au Canada. À leur arrivée, beaucoup de ces immigrants, à l’instar de mon père, ont dû apprendre une nouvelle langue et trouver un nouvel emploi tout en surmontant de nombreux obstacles propres aux réfugiés. Mon père souhaitait poursuivre ses études de médecine. Toutefois, il n’a pas été admis à l’école, car les étrangers n’y étaient pas acceptés. Il a plutôt choisi de devenir ministre presbytérien et, en cours de route, il a rencontré et marié ma mère.

Ma mère est venue au Canada avec ses parents et ses frères en tant que réfugiés parrainés par un groupe religieux. Ils sont arrivés au Quai 21, à Halifax, un terminal portuaire avec un hangar qui a accueilli plus de 1 million d’immigrants de 1928 à 1971.

Des décennies plus tard, je suis retourné là où ma mère était débarquée, et j’ai fait d’Halifax mon chez-moi.

En Ukraine, mon grand-père était tailleur. Conscrit dans l’armée polonaise lorsque la guerre a éclaté, il a survécu à l’anéantissement de son unité et il a réussi à retrouver sa famille. Peu après, la famille a été transportée en wagon à bestiaux jusqu’au Reich. Elle a réussi à éviter l’exécution, elle a survécu au choléra, elle est parvenue on ne sait comment à rester ensemble et, enfin, elle est venue au Canada.

Mes grands-parents se sont installés à Toronto et ils ont travaillé dans les usines de schmata. En épargnant chaque sou, ils ont pu acheter une maison, qu’ils ont transformée pour héberger d’autres réfugiés. Quand ils sont morts, ils ont laissé des petits-enfants très instruits et un certain nombre de propriétés. Toutefois, ni l’un ni l’autre n’avait appris à lire ou à écrire l’anglais.

(2010)

En tant qu’enfant de pasteur, j’ai habité un peu partout au pays. Nous avons vécu dans des régions rurales et urbaines de l’Alberta, du Manitoba et de l’Ontario. Cependant, où que nous nous installions, ma famille était toujours « l’autre ». Nous étions les enfants qui parlaient une drôle de langue à la maison. Mon père avait trouvé sa vocation dans les missions intérieures. Il travaillait avec des immigrants et des réfugiés dans le centre-ville. Il m’a appris à ne jamais abandonner. Il aimait bien dire que le succès, c’est 10 p. 100 d’inspiration et 90 p. 100 de transpiration.

Pour ma famille, le Canada était un pays d’accueil et de possibilités. C’était un endroit qui lui donnait la chance dont elle avait besoin pour se bâtir une nouvelle vie réussie, et c’est ce qu’elle a fait. C’est pourquoi il est essentiel que le Canada appuie les réfugiés. Il doit préserver sa réputation en tant que terre d’accueil et de possibilités.

D’ailleurs, ma merveilleuse épouse, Jan, a consacré la majeure partie de sa vie professionnelle à aider à uniformiser les règles du jeu pour les immigrants et les réfugiés ici, au Canada. Je sais que ce travail aurait aidé mes parents et d’autres migrants comme eux lorsqu’ils sont arrivés ici.

J’ai eu des difficultés à l’école, gracieuseté d’un TDAH et de la dyslexie. À l’époque, ni l’un ni l’autre de ces troubles n’étaient connus ou compris par les éducateurs ou les enfants. Mes parents, toutefois, comprenaient l’utilité de faire des études : ils y voyaient un moyen de réussir. Ce sont leurs attentes, leur insistance et leurs pressions considérables qui m’ont aidé à tirer profit de la possibilité qu’offrait la scolarisation.

C’est la technique que nous avons utilisée avec succès avec nos trois enfants, Daniel, Matthew et Leah. J’espère qu’ils vont maintenant en faire autant avec nos sept petits-enfants.

Ma vie à l’université n’a pas toujours été facile. Vous ne le savez peut-être pas, mais j’ai décroché à l’université d’un programme de doctorat en histoire. J’ai décidé d’aller à la Faculté de médecine de l’Université McMaster. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai fait mon internat à Toronto, puis j’ai consacré ma formation post-internat à la recherche sur le métabolisme du cerveau à Édimbourg. À mon retour, j’ai créé le premier programme complet de recherche clinique sur la santé mentale des adolescents au Canada. Comme porte-parole dans mon domaine, j’ai contribué à imprimer des orientations nouvelles à la recherche clinique et communautaire en santé mentale.

Tout au long de ma carrière, j’ai constaté l’importance d’encourager la créativité en appuyant la recherche et l’innovation. Ma priorité a toujours été les sciences, la technologie, le génie et la médecine. Toutefois, j’ai vu que les perspectives dans ces domaines ne sont pas les mêmes pour tous. Il y a trop de groupes qui ont trop longtemps été ignorés. Pendant trop longtemps, ils n’ont pas eu des chances égales d’accès ou d’avancement. Cela doit cesser.

J’ai aussi eu la chance d’occuper les fonctions de doyen adjoint du programme de santé internationale et de directeur du centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la Santé, à l’Université Dalhousie. Ma carrière m’a fait voyager dans plus de 20 pays, dont beaucoup en développement, où j’ai mené différents travaux dans le domaine de la santé. J’ai notamment travaillé dans le domaine de la santé mentale des adolescents, contribué à fonder des écoles de médecine et participé au renforcement des capacités de recherche.

Plus récemment, j’ai participé à la mise au point de mesures d’intervention efficaces en santé mentale dans des écoles canadiennes et étrangères. Pendant ces travaux, j’ai remarqué que, la plupart du temps, il y a des lacunes considérables au chapitre des connaissances scientifiques et médicales, non seulement dans la population en général, mais aussi parmi les enseignants, les professionnels et les décideurs. C’était le cas dans les pays en développement, mais aussi dans des pays développés comme le Canada.

Par conséquent, bien des gens ne possèdent pas les connaissances et les compétences nécessaires pour améliorer leur qualité de vie et celle de leur famille. Cela entraîne des inégalités au chapitre des résultats en santé, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif. J’ai constaté que, en améliorant leurs connaissances scientifiques et médicales, les gens peuvent prendre des décisions plus éclairées qui contribuent à améliorer leur qualité de vie.

Ce n’est pas une idée révolutionnaire. Elle faisait déjà partie des orientations mises de l’avant par le Canada il y a plus de 30 ans dans la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé. Cela dit, les besoins sont probablement plus criants aujourd’hui qu’ils l’étaient alors. De nos jours, les Canadiens se fondent beaucoup, pour prendre leurs décisions en matière de santé et de santé mentale, sur la pseudoscience et les tendances bien-être popularisées par des célébrités. Résultat : nous assistons au retour de maladies qui peuvent être prévenues, et nous voyons la population acheter des produits et des programmes qui n’ont aucune valeur reconnue par la science.

Il est possible de renverser cette tendance. Il faut pour cela renforcer le système réglementaire, diffuser abondamment des renseignements fondés sur la science, et donner à tous les Canadiens l’occasion d’améliorer leur littératie en matière de science et de santé. Les difficultés que j’ai vécues et les inégalités que j’ai constatées m’ont amené à réévaluer l’idée de comparer le Canada à une mosaïque.

En effet, une mosaïque donne l’impression d’un tout quand on la regarde de loin, mais lorsqu’on l’examine de près, il est clair que les pièces sont de tailles différentes et séparées les unes des autres. Ces séparations peuvent devenir des cloisons. Elles nous empêchent de nous connaître les uns les autres et peuvent perpétuer les inégalités existantes. Nous ne voulons pas de cloisons de ce genre au Canada.

Plutôt, je vois notre pays comme une tapisserie. Chaque fil unique est tissé avec de nombreux autres fils uniques. Chaque fil renforce les autres et, à son tour, est renforcé par les autres. Ces fils nous maintiennent ensemble plutôt que de nous séparer. Ce sont les liens qui nous unissent.

Chers collègues, le Canada est un pays qui a été bâti et qui continuera d’être édifié par de nombreuses mains. Les Canadiens raconteront notre histoire au moyen de bien des voix différentes. Certains d’entre nous sont ici depuis longtemps. D’autres sont arrivés plus récemment. Tissées ensemble, nos histoires forment la tapisserie de notre pays. Ce que le Canada est et ce qu’il pourrait être dépendent de notre capacité à fournir à « tous les Canadiens et Canadiennes [...] des chances réelles et égales de réussite ». Comment faire cela? En assurant l’égalité des chances pour tous.

Honorables sénateurs, je suis impatient de travailler avec vous tous pour que, collectivement, nous fassions notre possible afin de faire davantage de notre pays une nation qui traite tous ses citoyens de manière égale. Merci.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion du sénateur Harder, au nom de la sénatrice Bellemare, le débat est ajourné.)

Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2019

Autorisation à certains comités d’étudier la teneur du projet de loi

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 1er mai 2019, propose :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier la teneur complète du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures, déposé à la Chambre des communes le 8 avril 2019, avant que ce projet de loi soit soumis au Sénat;

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à se réunir pour les fins de son examen de la teneur du projet de loi C-97, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;

Que, de plus, et nonobstant toute pratique habituelle :

1.Les comités suivants soient individuellement autorisés à examiner la teneur des éléments suivants du projet de loi C-97 avant qu’il soit présenté au Sénat :

a)le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones : les éléments de la section 25 de la partie 4;

b)le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts : les éléments de la sous-section C de la section 9 de la partie 4, dans la mesure où elle traite des aliments, et de la sous-section J de la section 9 de la partie 4;

c)le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce : les éléments des sections 1, 5 et 26 de la partie 4, et de la sous-section A de la section 2 de la partie 4;

d)le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles : les éléments des sections 23 et 24 de la partie 4;

e)le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles : les éléments de la section 17 de la partie 4, et des sous-sections B, C et D de la section 2 de la partie 4;

f)le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense : les éléments des sections 10 et 21 de la partie 4;

g)le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie : les éléments des sections 15, 16, 18, 19 et 20 de la partie 4, et des sous-sections C, K et L de la section 9 de la partie 4;

h)le Comité sénatorial permanent des transports et des communications : les éléments des sections 11, 12, 13 et 14 de la partie 4, et de la sous-section I de la section 9 de la partie 4;

2.Que chacun des différents comités indiqués au point numéro un, qui sont autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-97, soit autorisé à se réunir pour les fins de son étude, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;

3.Que chacun des différents comités indiqués au point numéro un, qui sont autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-97, soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 6 juin 2019;

4.Que, au fur et à mesure que les rapports des comités autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-97 seront déposés au Sénat, l’étude de ces rapports soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance;

5.Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit simultanément autorisé à prendre en considération les rapports déposés conformément au point numéro quatre au cours de son examen de la teneur complète du projet de loi C-97.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Le Sénat

Adoption de la motion concernant la période des questions de la séance du 7 mai 2019

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 1er mai 2019, propose :

Que, pour permettre au Sénat de recevoir un ministre de la Couronne au cours de la période des questions tel qu’autorisé par le Sénat le 10 décembre 2015, et nonobstant ce que prévoit l’article 4-7 du Règlement, lorsque le Sénat siégera le mardi 7 mai 2019, la période des questions commence à 15 h 30, toutes les délibérations alors en cours au Sénat étant interrompues jusqu’à la fin de la période des questions, qui sera d’une durée maximale de 40 minutes;

Que, si un vote par appel nominal coïncide avec la période des questions tenue à 15 h 30 ce jour-là, ce vote soit reporté et ait lieu immédiatement après la période des questions;

Que, si la sonnerie d’appel pour un vote retentit à 15 h 30 ce jour-là, elle cesse de se faire entendre pendant la période des questions et qu’elle retentisse de nouveau à la fin de la période des questions pour le temps restant;

Que, si le Sénat termine ses travaux avant 15 h 30 ce jour-là, la séance soit suspendue jusqu’à 15 h 30, heure de la période des questions.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 1er mai 2019, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 7 mai 2019, à 14 heures.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(2020)

La Loi sur les aliments et drogues

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Motion d’adoption des amendements des Communes—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Seidman, appuyée par l’honorable sénateur Boisvenu,

Que le Sénat agrée aux amendements de la Chambre des communes au projet de loi S-228, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (interdiction de faire de la publicité d’aliments et de boissons s’adressant aux enfants);

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

L’honorable Pamela Wallin : J’ai parlé avec la sénatrice Martin à propos de ceci et j’ai des renseignements que j’aimerais communiquer. Je ne le ferai pas ce soir, mais j’aimerais proposer l’ajournement à mon nom.

(Sur la motion de la sénatrice Wallin, le débat est ajourné.)

La Loi sur la faillite et l’insolvabilité

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Eggleton, C.P., appuyée par l’honorable sénateur Richards, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-253, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, d’autres lois et un règlement (régimes de pension).

L’honorable Leo Housakos (leader adjoint suppléant de l’opposition) : J’aimerais que le débat soit ajourné à mon nom.

(Sur la motion du sénateur Housakos, le débat est ajourné.)

La Loi sur l’Agence du revenu du Canada

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Mercer, appuyée par l’honorable sénateur Day, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-316, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (donneurs d’organes).

L’honorable Vernon White : Honorables sénateurs, j’ai aujourd’hui le plaisir de parler du projet de loi C-316, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (donneurs d’organes).

J’ai aussi le plaisir d’annoncer que, pour la première fois en sept ans, je suis d’accord avec mon collègue de la Nouvelle-Écosse. Le projet de loi C-316 propose un moyen simple et efficace d’élargir le bassin de donneurs d’organes du Canada. En plus de contribuer à la mise à jour des bases de données existantes, il permettra surtout de sauver des vies.

Grâce à cette mesure législative, le gouvernement fédéral pourra s’entendre avec les provinces et les territoires afin d’autoriser les Canadiens à utiliser leur déclaration de revenus fédérale pour s’inscrire au registre des dons d’organes de leur province.

Comme les gens transmettent de plus en plus souvent leur déclaration par voie électronique ou la confient à un comptable, il s’agira d’une démarche toute simple et rapide. Il suffira de répondre à une seule question, mais à une question importante. Une fois que cette décision sera prise, les Canadiens devront la renouveler chaque année.

Aucune donnée de la déclaration de revenus ne sera transmise à la province ou au territoire de résidence des personnes concernées à moins qu’elles n’y autorisent expressément l’Agence du revenu du Canada. Le respect des renseignements personnels des contribuables sera ainsi préservé et demeurera de la plus haute importance.

Au Canada, l’innocuité des organes et tissus à transplanter est régie par le Règlement sur la sécurité des cellules, tissus et organes humains destinés à la transplantation, qui relève de la Loi sur les aliments et drogues. C’est là que sont décrites les règles encadrant l’évaluation préliminaire et l’examen des futurs donneurs.

Les provinces et les territoires ont des lois régissant tous les autres aspects du don d’organes et de tissus, à l’exception du Québec, où de telles dispositions sont incluses dans son Code civil.

Les provinces et les territoires sont également responsables de l’administration et de la prestation des services de soins de santé, y compris le don et la transplantation d’organes. Chaque province a mis sur pied son propre organisme de don d’organes et des programmes spécifiques pour le don et la transplantation d’organes. Le gouvernement fédéral fournit une aide financière aux provinces et aux territoires pour la prestation de ces services conformément à la Loi canadienne sur la santé.

Le projet de loi C-316 vise à régler un grave problème de notre système de soins de santé, avec lequel de nombreux Canadiens sont aux prises. Malgré l’augmentation du taux de dons d’organes au Canada, la liste d’attente des Canadiens ayant besoin d’une greffe continue de s’allonger. Chaque année, le nombre de Canadiens en attente d’une transplantation dépasse le nombre d’organes disponibles. En moyenne, plus de 200 patients meurent chaque année en attente d’une greffe. La demande d’organes n’est toujours pas satisfaite et les taux de dons d’organes au Canada sont inférieurs à ceux de nombreux pays.

Bien que le nombre de donneurs vivants ait augmenté, principalement ceux donnant un rein, mais aussi une partie du foie, le taux de donneurs d’organes vivants n’a pas augmenté de façon significative au cours de la dernière décennie.

On a accentué les efforts pour améliorer le système de don et de transplantation après 2008, au moment où la Société canadienne du sang s’est vu confier la responsabilité de la coordination des initiatives nationales en matière de don et de transplantation d’organes. Depuis ce temps, le nombre de transplantations a augmenté au Canada grâce au Programme de don croisé de rein et à la liste d’attente de receveurs mise à jour en temps réel grâce au registre des patients hyperimmunisés et à la Liste d’attente nationale pour un organe.

Au Canada et dans d’autres pays, le débat se poursuit pour déterminer si l’introduction d’un régime de consentement présumé — où il est considéré que la personne accepte de faire don de ses organes à moins d’une déclaration expresse du contraire — augmente les taux de dons d’organes, comme nous l’avons vu en Nouvelle-Écosse, qui est la seule province à avoir adopté un tel programme ici. Beaucoup de pays qui ont introduit une telle mesure législative ont enregistré des hausses de taux, mais, en règle générale, des investissements simultanés dans le système de don et de transplantation ont aussi été faits.

Nous sommes aujourd’hui saisis d’un projet de loi qui a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit. L’ajout d’une seule ligne aux formulaires de déclaration de revenus des Canadiens renforcerait le système de don et de transplantation d’organes. C’est une méthode simple et efficace pour élargir le bassin de donneurs au Canada, sans oublier qu’elle pourrait sauver des vies.

Honorables sénateurs, je vous encourage fortement à appuyer le projet de loi C-316. J’aimerais qu’il soit renvoyé au Comité des affaires sociales, qui en ferait un examen approfondi.

L’honorable Ratna Omidvar : J’aimerais ajourner le débat à mon nom.

Son Honneur le Président : Je crois qu’il vous faudra le consentement du Sénat, sénatrice Omidvar. Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Le sénateur Plett : Non.

(Sur la motion de la sénatrice Ringuette, le débat est ajourné.)

La Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Omidvar, appuyée par l’honorable sénateur Gold, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-344, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (retombées locales).

L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-344, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, en ce qui a trait aux retombées locales. Je remercie la sénatrice Omidvar d’avoir piloté ce projet de loi au Sénat et d’avoir énuméré de façon impressionnante et détaillée les nombreuses bonnes raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral doit prendre en considération les conséquences concrètes de ses décisions.

Le sénateur Plett : Votre Honneur, il y a des problèmes de traduction. J’ai syntonisé le canal anglais, mais j’entends parler français. Les sénateurs ayant un peu de mal à entendre ont besoin de leur écouteur, même quand la langue parlée est celle de leur choix. J’espère que ce problème pourra être corrigé.

Le sénateur Francis : Le gouvernement fédéral consacre des dizaines de millions de dollars par année à des travaux de construction, d’entretien et de réparation. Ces travaux ont lieu dans toutes les régions du pays, de l’Est à l’Ouest, et du Nord au Sud.

Le gouvernement a affirmé qu’il tenait à faire preuve de transparence et à organiser un processus d’appel d’offres ouvert. Le fait de demander à une entreprise qui répond à un appel d’offres pour des travaux fédéraux de décrire dans sa soumission les retombées pour la localité montre l’engagement du gouvernement envers les collectivités qui forment la base de notre pays ainsi qu’envers les jeunes, les chômeurs et les membres de communautés autochtones que cette disposition très simple aidera.

(2030)

À elle seule, cette demande facultative du ministre, faite aux entreprises qui souhaitent obtenir un contrat du gouvernement fédéral, n’a rien d’erroné ou d’excessif. Tout contrat fédéral — qu’il porte sur des travaux de construction, de remise en état ou de rénovation — aura une incidence, à espérer positive, sur les localités environnantes et la vie de leurs habitants. Le projet de loi C-344 demande que les entreprises décrivent les répercussions positives d’un projet et fournissent une évaluation des retombées locales qui auront été réalisées à la fin de ce projet.

À mon avis, l’aspect le plus important du projet de loi C-344 sera l’effet connexe qu’il aura pour les jeunes à risque et les jeunes Autochtones, qui pourront profiter des possibilités engendrées par une telle initiative.

Buy Social Canada est une entreprise sociale dont l’objectif est l’éducation, la sensibilisation et le dialogue avec les fournisseurs et les acheteurs à vocation sociale, qu’ils soient gouvernementaux, institutionnels ou commerciaux, en vue de promouvoir des politiques et des pratiques d’approvisionnement ayant des retombées sociales. Imagine Canada travaille avec d’autres organismes de bienfaisance et souvent en collaboration avec le secteur privé, les gouvernements et les particuliers de la collectivité, afin de faire en sorte que les organismes de bienfaisance continuent de jouer un rôle central dans l’édification, l’enrichissement et la définition du Canada.

Ces deux organismes appuient l’objectif du projet de loi C-344. À leur avis, les projets fédéraux de construction et de rénovation devraient ajouter de la valeur pour les entreprises des collectivités où ils sont menés et ils devraient profiter aux habitants de ces collectivités.

Même s’il ne s’agit pas d’un fournisseur du gouvernement fédéral, Ontario Power Generation a spécifiquement ciblé les groupes autochtones et demandé l’élaboration d’une politique concernant les relations avec les Autochtones, qui a été élaborée en 2007. Cette société exerce des activités dans l’industrie nucléaire, dont une bonne partie sont menées sur des territoires des Premières Nations. Elle a donc choisi d’impliquer les Autochtones dans son processus décisionnel afin de favoriser la bonne entente et de créer des avantages socioéconomiques pour les communautés concernées.

Parmi les plus récents exemples de cette collaboration, on compte le partenariat avec la Coral Rapids Power Corporation, une entreprise qui appartient entièrement à la Première Nation Taykwa Tagamou, pour la construction de la centrale Peter Sutherland Sr. à New Post Creek, dans le nord-est de l’Ontario. Au plus fort, ce projet de 300 millions de dollars a donné de l’emploi à 220 travailleurs et il a été achevé en 2017.

Le projet de la partie inférieure de la rivière Mattagami était un projet de réaménagement hydroélectrique de 2,6 milliards de dollars en partenariat avec la Première Nation crie de Moose. Il a été achevé en 2014, plus tôt que prévu et dans le respect du budget. Deux cent cinquante Autochtones de la région ont travaillé à ce projet à titre de partenaires actionnaires. Les compétences qu’ils ont acquises et la formation qu’ils ont reçue ont été d’une immense valeur.

Comme l’a mentionné la sénatrice Omidvar, les retombées locales ne sont pas un concept nouveau. Nos cousins du Commonwealth au Royaume-Uni ont adopté une loi sur les services publics relative à la valeur sociale en 2012. Cette loi oblige tous les approvisionnements du secteur public à tenir compte du bien-être économique, social et environnemental en lien avec les contrats de services publics. Elle oblige toutes les entités publiques d’Angleterre et du pays de Galles à considérer comment les services qu’elles commandent pourraient améliorer le bien-être social, économique et environnemental de la région. Cela comprend la prestation de programmes de stages et de formation des apprentis.

En Australie, le gouvernement de l’État de Victoria a publié un guide à l’intention des administrations municipales concernant l’approvisionnement social. Il oblige les administrations municipales à tenir compte, notamment, des facteurs suivants dans l’octroi des marchés d’approvisionnement : renforce les collectivités par la création d’emplois locaux, en particulier pour les résidants désavantagés; favorise l’inclusion sociale et renforce l’économie locale; renforce les partenariats avec un éventail diversifié d’intervenants des domaines communautaire et de l’administration publique; constitue un exemple dans un secteur communautaire et municipal élargi; en donne plus pour leur argent aux collectivités.

En 2016, l’Union européenne a commandé et publié un rapport intitulé Faire progresser les entreprises sociales et l’économie sociale. Ce rapport plaide en faveur d’un plan d’action européen qui donnerait un nouvel élan à la promotion d’un environnement propice au développement des entreprises sociales et de l’économie sociale, en se basant sur leurs valeurs fondamentales telles que la gouvernance démocratique, l’impact social, l’innovation, le réinvestissement des profits et, surtout, la place centrale accordée aux êtres humains dans la prise de décisions économiques.

Le projet de loi C-344 ne représente pas un fardeau supplémentaire imposé aux entreprises qui souhaitent obtenir des contrats du gouvernement fédéral. C’est plutôt une façon, pour le gouvernement, de tenir compte des retombées que ses décisions auraient sur l’emploi et sur la situation économique et sociale d’une région, puisqu’il s’agit d’utiliser des fonds publics.

La sénatrice Omidvar a présenté des exemples fondés sur les zones urbaines du Canada et sur d’autres pays. Pour ma part, j’ai surtout porté attention aux retombées qui se sont concrétisées ou qui seraient possibles dans les communautés autochtones du Canada. Le chômage et le sous-emploi sont de grandes sources de découragement et de désespoir pour les jeunes Autochtones. Bien que l’isolement géographique puisse contribuer à la situation, il s’agit souvent d’un simple manque de débouchés. Ce serait donc un grand changement très bénéfique que les entreprises indiquent, dans les offres qu’elles présentent au gouvernement, quelles en seraient les retombées sur les emplois locaux, surtout pour les jeunes Autochtones, comme le fait déjà Ontario Power Generation, je le rappelle.

À l’article 20.1 du projet de loi C-344, les « retombées locales » sont définies comme suit :

[...] retombées locales s’entend des retombées sociales, économiques et environnementales générées à l’échelle locale par des travaux de construction, d’entretien ou de réparation, notamment la création d’emplois et les possibilités de formation, l’amélioration de l’espace public et toutes autres retombées précisées par la population locale.

Il n’y a rien de négatif dans cette définition ni rien qui s’avérerait onéreux pour les entreprises qui veulent faire des affaires avec le gouvernement du Canada. Il faudrait toujours chercher à avantager les collectivités canadiennes et les gens qui les habitent; sinon, ce que nous faisons n’aurait aucun sens.

Je demande aux honorables sénateurs de prendre le temps de lire le projet de loi et de le renvoyer au comité. Les objectifs du projet de loi C-344 ne peuvent être que gagnants pour les régions, les provinces, les minorités et les peuples autochtones — bref, pour toutes les choses et toutes les personnes que nous représentons en tant que sénateurs.

Wela’lioq. Thank you.

Des voix : Bravo!

L’honorable Tony Dean : Honorables sénateurs, j’aimerais faire comme la sénatrice Omidvar et le sénateur Francis et donner mon appui au projet de loi C-344, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux en ce qui concerne les retombées locales. Aussi modeste soit-il, ce projet de loi permettra de tirer le maximum des investissements dans les infrastructures fédérales en obligeant les soumissionnaires à s’associer aux gens du coin afin que tout le monde sorte gagnant des projets proposés, y compris la population, le secteur public et l’entreprise privée. Nous devrions renvoyer cette mesure législative au comité le plus rapidement possible, car elle est aussi brève qu’elle est simple.

J’ai rayé certaines parties de mon discours, parce que je ne veux pas répéter ce que mes collègues ont déjà dit. Je prendrai toutefois un instant pour rappeler que les initiatives ayant des retombées locales positives contribuent à la santé publique et renforcent le tissu social, entre autres parce qu’elles répondent à certains besoins qui échappent parfois aux grands programmes universels.

La sénatrice Omidvar a donné de nombreux exemples un peu partout au Canada. Comme nous venons tous les deux de Toronto, nous connaissons bien le projet Metrolinx, qui intègre les retombées locales aux projets de train léger sur rail Crosstown et Finch. Je crois qu’elle a aussi souligné que, le mois dernier en Colombie-Britannique, on a annoncé que 1,377 milliard de dollars serviraient au remplacement du pont Pattullo, à Vancouver. Nous savons qu’ici, à Ottawa, l’article 37 du plan de développement de la Ville empêche que l’on tienne compte des retombées pour la construction, le financement ou l’amélioration d’immeubles si une modification au zonage est requise.

Chers collègues, voici ce sur quoi je veux particulièrement mettre l’accent relativement à ce projet de loi. Les retombées locales contribuent également à la croissance des secteurs sociaux et de l’économie sociale du Canada, qui, comme on le sait, se situent entre le secteur privé traditionnel, d’une part, et le secteur public, d’autre part. C’est là où se trouvent les entreprises sociales et les autres entreprises sans but lucratif, ainsi que le secteur caritatif, qui est souvent un acteur d’importance dans les ententes sur les retombées locales.

Les entreprises sociales peuvent être des groupes communautaires ou des entreprises ou des œuvres caritatives régionales ou nationales. Elles fournissent un vaste éventail de services communautaires et sociaux qui participent de façon importante au développement personnel et au développement communautaire.

(2040)

Si nous savons — et nos collègues du Québec le savent pertinemment — que le Québec est depuis des décennies le champion de l’économie sociale et de la création d’entreprises sociales, nous avons vu le reste du Canada commencer à rattraper son retard au cours de la dernière décennie.

Selon une enquête menée en 2016, il y a aujourd’hui au Canada plus de 1 300 entreprises sociales qui emploient 254 000 personnes et offrent des services à 5,5 millions de personnes. Encourager les ententes sur les retombées locales permettra d’aller plus loin. Je le répète, il s’agit de l’espace à occuper entre les secteurs public et privé traditionnels.

Pourquoi est-ce que je reviens sans cesse sur le lien qui existe entre les retombées locales et le développement global d’une économie sociale? Chers collègues, pour avoir été conseiller en services publics successivement auprès d’un gouvernement néo-démocrate, d’un gouvernement libéral et d’un gouvernement conservateur en Ontario, je suis en mesure de m’étendre sur les différences qu’il y a entre eux. Cependant, en tant que fonctionnaire travaillant de façon non partisane, ce qui m’a vraiment frappé, ce sont les réussites du secteur public et des politiques publiques qui ont survécu d’un gouvernement à l’autre en dépit d’affiliations politiques différentes. On peut en effet parler de vraie réussite lorsque les gouvernements de toutes allégeances politiques reconnaissent ce qui présente une valeur ajoutée.

Les initiatives d’économie sociale en sont un excellent exemple. C’est ce que j’ai remarqué dans mes recherches universitaires, tant au Royaume-Uni qu’au Canada. Dans ce cas-ci, il est important de souligner que le gouvernement actuel a continué de s’appuyer sur les travaux de ses prédécesseurs, notamment le gouvernement de Stephen Harper et, auparavant, le gouvernement de Paul Martin. Le gouvernement du premier ministre Harper participait aux initiatives d’entreprise sociale et de financement social et il les appuyait activement, ce que mes collègues d’en face se rappelleront. Tant les initiatives d’entreprise sociale que les initiatives de financement social sont liées au projet de loi C-344, étant donné qu’elles ajoutent aux retombées sociales. Les entreprises sociales sont souvent des fournisseurs de services sociaux ou d’autres services, alors elles ont le potentiel d’augmenter leur part du marché grâce à des initiatives d’approvisionnement social.

Il faut féliciter le gouvernement précédent, car, en 2013, il a mis en place un financement pour le développement de l’entreprise sociale au Canada grâce au programme Enterprising Non-profits. Il a aussi lancé l’initiative Exploiter le pouvoir de la finance sociale du ministère de l’Emploi et du Développement social.

J’ajouterais le travail réalisé par le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes dans son étude sur les finances sociales, qui avait aussi été amorcée sous le gouvernement précédent. Cette étude portait notamment sur des initiatives d’approvisionnement à vocation sociale très semblables aux programmes de retombées locales. Le comité a aussi entendu des témoins décrire le rôle que jouent les finances sociales en appuyant des approches novatrices à l’égard de problèmes persistants et complexes, que ni le secteur privé ni le secteur public n’ont réussi à éliminer à eux seuls.

Voici un fait intéressant : au Forum mondial des entreprises sociales, qui s’est tenu à Calgary — il existe des forums de ce genre un peu partout dans le monde —, le ministre de l’Emploi et du Développement social de l’époque, une personne qui s’est jointe à nous ce matin, Jason Kenney, a parlé du soutien indéfectible du gouvernement à l’égard des entreprises sociales. Au début de l’année 2015, le gouvernement précédent a lancé un appel pour la présentation de modèles de soutien à l’entreprise sociale et a lancé le projet d’écosystème de l’entreprise sociale, qui comprend l’approvisionnement à vocation sociale.

Ce processus a été interrompu par l’élection générale tenue le 19 octobre 2015. Le projet a donc dû être mis en œuvre par le gouvernement actuel, après l’élection. Aujourd’hui, le projet de loi dont nous sommes saisis permettra de boucler la boucle.

Honorables sénateurs, appuyer le développement d’une économie sociale plus vaste crée une situation avantageuse pour tous. Les gouvernements de toute allégeance au pays le reconnaissent. Il importe que les entreprises de construction et les collectivités profitent de l’argent déjà investi dans ces grands projets. Le produit de ces investissements pourrait être considérable.

Le gouvernement gallois a évalué récemment les bénéfices économiques de 35 projets valant environ 465 millions de livres et a conclu que les collectivités récoltaient des bénéfices à hauteur de 1 livre et 80 pence pour chaque livre dépensée. Il s’agit là d’un rendement de 80 p. 100 assorti d’avantages sociaux qu’on ne peut pas mesurer de manière concrète.

Du côté des entreprises, les ententes sur les retombées locales peuvent aider à rehausser l’image publique et la participation des employés. Elles peuvent aussi aider les sociétés à attirer et à retenir des investisseurs potentiels, car elles montrent leur engagement envers les collectivités locales. Les sociétés exploitent également le potentiel économique des entreprises et des travailleurs locaux, qui possèdent des compétences et des connaissances peut-être uniques concernant la région où a lieu le projet d’infrastructure. Plus il y aura d’ententes sur les retombées locales, plus on verra des entreprises sociales et les petites entreprises gagner des parts de marché, ce qui est un résultat que nous souhaitons tous, je crois.

Honorables sénateurs, en conclusion, je vous encourage à réfléchir à ce que le projet de loi C-344 peut faire pour vos collectivités, surtout celles qui comptent un grand nombre de personnes vulnérables et qui connaissent d’importantes pénuries de main-d’œuvre et celles qui offrent peu de possibilités de formation. Il est logique de mettre à profit les investissements actuels afin que tout le monde y gagne. Je vous incite tous à voter en faveur du renvoi immédiat du projet de loi au comité et à profiter de l’occasion pour améliorer les conditions sociales et économiques des habitants de vos collectivités qui pourraient profiter de votre appui.

L’honorable David M. Wells : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dean : Avec plaisir.

Le sénateur Wells : Sénateur Dean, je vous remercie de votre intervention. Personne ne met en doute les retombées locales qui découlent de l’investissement de fonds fédéraux dans un projet donné. Cependant, je me demande ce que vous pensez du fardeau supplémentaire qui serait imposé aux petits entrepreneurs, qui sont très souvent des fournisseurs du gouvernement fédéral. Prenons l’exemple d’une compagnie d’électricité qui emploie 10 électriciens pour travailler sur un projet d’une valeur de 50 000 $ pouvant durer une semaine.

Ne croyez-vous pas que l’obligation d’inclure un énoncé des retombées locales dans l’appel d’offres serait un lourd fardeau à imposer à un petit entrepreneur tentant d’obtenir un contrat fédéral? Je pense, par exemple, à un entrepreneur qui emploie des travailleurs syndiqués. S’il était forcé d’embaucher des membres de groupes mentionnés dans plusieurs interventions, notamment des Autochtones, ne pensez-vous pas que cela imposerait un lourd fardeau à un petit entrepreneur voulant travailler sur un petit projet fédéral?

Le sénateur Dean : Je vous remercie de votre question, sénateur. Elle est extrêmement importante. Tout effort visant à améliorer l’équité sociale comporte des aspects complexes. Vous avez parlé des difficultés liées à l’un de ces aspects. Je ne m’attends pas à ce qu’on impose des choses à quiconque : ce serait contre-productif.

Je connais bien le secteur syndiqué de l’industrie de la construction et le cadre rigide où évoluent les employeurs et les syndicats. Je suis aussi bien conscient des graves pénuries de main-d’œuvre dans les petites et grandes collectivités de partout au pays. Plus précisément, je suis pleinement conscient du manque d’apprentis et d’employés des corps d’état secondaire qui appuient le système d’apprentissage.

Je pense que les petites, moyennes et grandes entreprises font face à des pénuries de travailleurs. Les programmes de retombées locales créent des occasions d’apprentissage pour ces gens, peu importe leurs antécédents, qu’ils soient autochtones ou non, qu’ils appartiennent à une communauté racialisée ou non. Grâce à ces initiatives de retombées locales et à d’autres efforts de promotion des emplois, ils peuvent s’inscrire à des formations en apprentissage et à des programmes de formation professionnelle.

(2050)

Je pense que, peu importe la taille de l’entreprise, il y a des défis, mais aussi des avantages pour les employeurs, y compris ceux qui doivent composer avec certaines rigidités. Je sais que les syndicats du secteur de la construction qui offrent des programmes de formation sont tout à fait au courant, comme les employeurs du secteur, de l’importance d’attirer des gens vers les métiers spécialisés. Je crois que les projets qui génèrent des retombées locales offrent des occasions d’attirer et d’intégrer des personnes qui veulent exercer un métier spécialisé, et qu’ils peuvent encourager les gens qui s’intéressent aux métiers à suivre un programme de formation.

C’est une excellente question. Merci.

Le sénateur Wells : Accepteriez-vous de répondre à une autre question, sénateur Dean?

Le sénateur Dean : Oui.

Le sénateur Wells : Le projet de loi est très clair. Il dit : « Le ministre peut [...] exiger [...] ». Par conséquent, il est possible que ce soit laissé à la discrétion du ministre. Si le ministre exige que l’on tienne compte de ce critère lors de l’évaluation pour déterminer si une soumission sera retenue ou non, au lieu s’en tenir simplement à ce que factureraient telle et telle entreprise pour construire un pont, par exemple, croyez-vous que l’évaluation des retombées locales sera prise en considération au moment de déterminer si une soumission dans le cadre de l’appel d’offres sera retenue?

Le sénateur Dean : Tout dépend de la situation du promoteur et de la façon dont il envisage les initiatives liées aux retombées locales.

Je pense que l’initiative liée aux retombées locales dans le cadre d’un projet devrait être examinée à la fin du projet pour en déterminer le succès. Ce genre de chose devrait toujours être évalué. J’hésite cependant à éliminer toute souplesse. Je doute que ce soit quelque chose qui sera imposé à des intervenants réticents. Il faudra veiller à ce que cela fonctionne. Les personnes qui voient l’avantage d’une entente sur les retombées locales, et je pense qu’elles seront de plus en plus nombreuses, doivent se manifester, constater les avantages généraux possibles et en tirer parti.

Je regarde donc le bon côté de la chose, le côté positif, et je...

L’honorable Patricia Bovey (Son Honneur la Présidente suppléante) : Honorable sénateur, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps?

Le sénateur Dean : Non, ce n’est pas nécessaire. Merci.

(Sur la motion du sénateur Harder, au nom de la sénatrice Bellemare, le débat est ajourné.)

Modernisation du Sénat

Neuvième rapport du comité spécial—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Frum, appuyée par l’honorable sénatrice Beyak, tendant à l’adoption du neuvième rapport (intérimaire) du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, intitulé La modernisation du Sénat : Aller de l’avant (période des questions), présenté au Sénat le 25 octobre 2016.

L’honorable Leo Housakos (leader adjoint suppléant de l’opposition) : J’aimerais demander que le débat soit ajourné à mon nom.

(Sur la motion du sénateur Housakos, le débat est ajourné.)

L’étude sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone

Dixième rapport du Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’étude du dixième rapport (intérimaire) du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, intitulé La décarbonisation des transports au Canada, déposé au Sénat le 22 juin 2017.

L’honorable Leo Housakos (leader adjoint suppléant de l’opposition) : Honorables sénateurs, avec votre consentement, je voudrais que le débat soit ajourné au nom du sénateur Neufeld.

(Sur la motion du sénateur Housakos, au nom du sénateur Neufeld, le débat est ajourné.)

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Cinquième rapport du comité—Suite du débat

Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, conformément à l’article 12-30(2) du Règlement, nous ne pouvons pas encore prendre une décision au sujet de ce rapport. À moins qu’un sénateur ne veuille proposer l’ajournement, le débat sera ajourné d’office jusqu’à la prochaine séance du Sénat.

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Conformément à l’article 12-30(2) du Règlement du Sénat, la suite du débat sur la motion est ajournée à la prochaine séance.)

Affaires juridiques et constitutionnelles

Motion tendant à autoriser le comité à étudier certaines questions liées à l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada et à inviter des témoins—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Plett, appuyée par l’honorable sénateur Wells,

Que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, les allégations graves et troublantes voulant que des personnes au sein du cabinet du premier ministre aient tenté de faire pression sur l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada, l’honorable Jody Wilson-Raybould, C.P., députée, et d’entraver son indépendance, pouvant ainsi porter atteinte à l’intégrité de l’administration de la justice;

Que, dans le cadre de cette étude, et sans limiter le droit du comité d’inviter d’autres témoins s’il le juge opportun, le comité invite l’honorable Jody Wilson-Raybould, C.P., députée;

Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 15 juin 2019;

Que le comité conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

L’honorable Donald Neil Plett : Honorables sénateurs, je pense que cela a déjà été proposé.

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, j’invoque le Règlement. La pratique habituelle de cette assemblée veut que, lorsqu’un sénateur demande l’ajournement — comme celui demandé plus tôt cette semaine sur cette motion —, le sénateur qui prend la parole, s’il n’est pas celui qui demande l’ajournement, dise : « À la fin de mon discours, j’ajournerai le débat au nom de », dans ce cas-ci, la sénatrice Ringuette.

(2100)

J’invoque le Règlement parce que j’aimerais que le sénateur Plett procède conformément à notre pratique. C’est l’objet de mon recours au Règlement.

Son Honneur la Présidente suppléante : Voulez-vous répondre, sénateur Plett?

Le sénateur Plett : Premièrement, j’ai dit « honorables collègues ». Cette expression n’indiquait aucunement ce que j’avais l’intention de faire ou non. Je ne comprends pas très bien ce qui a inspiré le recours au Règlement. Je n’ai même pas eu le temps de dire autre chose qu’« honorables collègues ». Votre recours au Règlement porte-t-il sur cette expression?

Votre Honneur, je souhaite intervenir dans ce débat. Je crois que d’autres sénateurs souhaitent aussi le faire. À la suite de nos discours, nous avons l’intention de refuser l’ajournement du débat. Je ne sais pas sur quoi portera le recours au Règlement.

Son Honneur la Présidente suppléante : Sénateur Plett, la sénatrice Ringuette avait commencé à prononcer un discours et l’ajournement était à son nom pour le reste de son temps de parole. S’il n’y a pas consentement pour que le débat soit ajourné à son nom, elle perdra son temps de parole.

Vous avez le droit d’intervenir. Consentirez-vous à ce que la sénatrice Ringuette puisse utiliser le temps de parole qu’il lui reste, sénateur Plett?

Le sénateur Plett : Je ne suis pas certain d’avoir bien compris ce que vous avez dit parce que, comme je le disais plus tôt, j’ai un problème d’ouïe et le microphone fonctionnait encore mal. Je ne sais pas trop quoi faire.

C’est ma motion. Je veux pouvoir en parler. Nous voulons qu’elle soit mise aux voix aujourd’hui. J’estime que nous avons le droit de réclamer quand bon nous semble qu’une motion soit mise aux voix. Je n’ai aucune objection à dire quand j’ai terminé. La sénatrice Ringuette peut demander de nouveau l’ajournement, et il se peut que nous refusions. Si c’est ce qu’exige la procédure, cela me convient tout à fait.

La sénatrice Ringuette : Je suis contente d’avoir pris les devants, alors. On voit tout de suite que le sénateur Plett n’a pas l’intention de respecter le fait que j’ai demandé l’ajournement du débat sur cette motion cette semaine.

À vrai dire, la motion du sénateur Plett date du 2 avril, il y a exactement un mois. Je me suis montrée courtoise et je m’attendais à ce que le sénateur Plett parle de sa motion pendant le mois qui vient de s’écouler. Il n’en a rien fait, alors j’ai demandé cette semaine que le débat soit ajourné à mon nom parce que j’ai commencé à faire des recherches et que j’ai l’intention de prendre la parole, comme j’en ai la prérogative.

Le sénateur Plett : Je ne sais pas si la sénatrice Ringuette voulait que je prenne la parole le Vendredi saint ou un autre jour pendant les deux dernières semaines où le Sénat faisait relâche. C’est un peu fort de café de sa part de parler d’un mois, alors que l’on n’a pas siégé pendant deux semaines de ce mois.

Je suis à votre disposition, madame la Présidente. Vous devez me dire ce que je peux faire. Je ne le demanderai pas à la sénatrice Ringuette. Vous devez me le dire. Je veux prendre la parole. C’est ma motion. Je pense que j’ai présenté la motion. La sénatrice Ringuette a demandé l’ajournement du débat sur la motion. Elle peut continuer d’essayer de faire ajourner le débat lorsque j’aurai fini, mais nous voulons demander le vote aujourd’hui.

Son Honneur la Présidente suppléante : Vous avez certainement le droit de parler, sénateur Plett, et à la conclusion de votre discours, la sénatrice Ringuette aura le droit de demander que le débat soit ajourné à son nom.

L’honorable Leo Housakos (leader adjoint suppléant de l’opposition) : Vous avez tout à fait raison, madame la Présidente, mais nous avons aussi le droit de demander le vote dès maintenant et nous le demandons.

La sénatrice Ringuette : Si le sénateur Plett n’est pas prêt à intervenir, je le suis.

Son Honneur la Présidente suppléante : J’ai donné la parole au sénateur Plett.

La sénatrice Ringuette : S’ils demandent le vote, cela veut dire que le sénateur Plett ne veut pas intervenir. Je veux prendre la parole au sujet de cette motion et j’exerce mon droit d’intervenir immédiatement.

Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, j’avais donné la parole au sénateur Plett.

La sénatrice Ringuette : Mais leur leader a demandé le vote.

Son Honneur la Présidente suppléante : Leur leader, si je comprends bien, a indiqué qu’ils pouvaient demander le vote.

Des voix : Non.

La sénatrice Ringuette : Non, il s’est levé et a demandé le vote.

Son Honneur la Présidente suppléante : J’ai donné la parole au sénateur Plett. Je donnerai ensuite la parole à la sénatrice Ringuette.

Le sénateur Plett : Je voudrais être certain de bien comprendre, madame la Présidente. Donc, vous m’avez donné la parole. La sénatrice Ringuette pourra ensuite prendre la parole ou essayer de faire ajourner le débat et tout autre sénateur qui désire prendre la parole pourra aussi le faire aujourd’hui. C’est bien cela?

Son Honneur la Présidente suppléante : Sénateur Plett, vous avez le droit de prendre la parole, ensuite la sénatrice Ringuette peut demander le consentement afin de prendre la parole après vous.

Le sénateur Plett : Merci. Je vais reprendre depuis le début.

Sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler de la motion dont nous sommes saisis et qui propose que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, les allégations graves et troublantes voulant que des personnes au sein du cabinet du premier ministre aient tenté de faire pression sur l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada, l’honorable Jody Wilson-Raybould, C.P., députée, et d’entraver son indépendance, pouvant ainsi porter atteinte à l’intégrité de l’administration de la justice.

Sénateurs, je pense que cette motion est probablement la question la plus importante à avoir été présentée au Sénat depuis le début de la présente législature. En fait, c’est peut-être l’une des motions les plus importantes à avoir été examinées dans l’histoire du Sénat.

C’est une déclaration audacieuse, mais je vous encourage à mettre la politique de côté pendant un instant — ceux d’entre vous qui croient que tout ce que nous faisons dans cette enceinte relève de la partisanerie. Je vous invite à examiner les circonstances qui m’ont incité à proposer cette motion au Sénat.

Deux ministres ont démissionné pour une question de principe fondamentale. En même temps, elles ont formulé des allégations très graves contre leur propre gouvernement en disant qu’il s’était ingéré dans l’administration de la justice. Chers collègues, c’est du jamais vu.

Je suis conscient qu’un certain temps s’est écoulé depuis le moment où ces événements étaient frais dans les médias et dans notre mémoire, mais je vous exhorte à ne pas laisser cela vous inciter à minimiser à tort l’importance des événements qui sont survenus et qui n’ont toujours pas été réglés.

Lorsqu’elle a comparu devant le Comité de la justice de la Chambre des communes, l’honorable Jody Wilson-Raybould a clairement déclaré :

[...] j’ai été soumise aux démarches incessantes et soutenues de nombreuses personnes au sein du gouvernement qui ont tenté de s’ingérer politiquement dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire de procureure [...]

Mme Wilson-Raybould a témoigné que l’ingérence s’est poursuivie pendant plusieurs mois et que l’ancien secrétaire principal du premier ministre lui aurait dit en décembre 2018 :

[...] il n’y a pas de solution ici qui n’implique pas une certaine ingérence.

L’ancienne procureure générale a aussi déclaré dans son témoignage que lorsque le greffier du Conseil privé a continué d’exercer des pressions lors d’une conversation subséquente, elle lui a clairement dit :

[...] nous nous aventurions en terrain dangereux. J’ai également émis un avertissement sévère, soit qu’en tant que procureure générale, je ne pouvais pas agir de telle façon de mon côté tandis que la poursuite agirait de telle autre façon. Cela n’aurait pas été objectif et il n’y aurait pas eu d’indépendance.

(2110)

Lors de sa conversation avec le greffier, elle lui a dit ceci :

Cela revient à violer le principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire.

On ne saurait trop insister sur l’importance de cette situation. Tous les sénateurs doivent réfléchir sérieusement au témoignage de l’ancienne procureure générale.

Jamais un ancien procureur général ou un ancien ministre n’avait fait de telles allégations contre son propre gouvernement. Jamais.

Comme vous le savez, depuis ce témoignage, une autre ministre a démissionné du Cabinet, soit l’honorable Jane Philpott. Depuis sa démission, Mme Philpott a déclaré ceci :

J’ai démissionné parce que je ne pouvais plus rester solidaire avec le Cabinet sur la question de la gestion du dossier SNC-Lavalin. Je considère qu’il y avait des preuves qu’on avait tenté de s’ingérer politiquement dans le fonctionnement du système judiciaire, relativement à une procédure susceptible de conduire à un procès criminel que certains qualifient de poursuite la plus importante et la plus grave de l’histoire moderne du Canada concernant des actes de corruption reprochés à une entreprise.

C’est Mme Philpott qui l’a dit, pas moi. Mme Philpott, ancienne ministre, a aussi déclaré ceci :

Il y a beaucoup plus à dire dans cette histoire.

Honorables sénateurs, à mon avis, ces témoignages devraient suffire à eux seuls pour que le Sénat soit convaincu de la nécessité d’adopter la motion dont nous sommes saisis. Je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement et demeurer un organe législatif crédible.

Nous avons entendu des sénateurs d’en face déclarer ouvertement que, pour des raisons partisanes, des sénateurs de ce côté-ci de la Chambre tentent d’exploiter cette question ou des questions dont nous sommes saisis relativement au projet de loi C-71. En fait, nous ne faisons que répondre aux allégations faites par d’anciennes ministres de premier plan du gouvernement actuel.

Ces mêmes sénateurs prétendraient-ils que Mme Wilson-Raybould et Mme Philpott font preuve de partisanerie en faisant leurs allégations? Qu’on le veuille ou non, une seule organisation au Canada s’oppose à la tenue d’une enquête complète sur cette affaire, et cette organisation, honorables sénateurs, c’est le Parti libéral du Canada.

Si les sénateurs d’en face votent contre la motion dont nous sommes saisis, ce sont eux qui, à mon avis, feront preuve de partisanerie flagrante pour le compte du gouvernement actuel.

Permettez-moi de vous citer un extrait d’un éditorial paru dans un journal canadien :

Les libéraux qui siègent au Comité de la justice de la Chambre des communes ne rendent pas service aux Canadiens et à leur propre gouvernement en ne permettant pas à Jody Wilson-Raybould de raconter toute son histoire.

Elle veut pouvoir s’exprimer, et il ne fait aucun doute qu’elle devrait être entendue. Essayer de l’en empêcher ou même de retarder son témoignage dans l’espoir que tout le monde s’en désintéresse est à la fois inacceptable et contreproductif.

Honorables sénateurs, cet éditorial est tiré du Toronto Star. Vous conviendrez comme moi que le Toronto Star n’est pas tout à fait un journal conservateur. Il s’agit d’une affaire qui préoccupe les Canadiens d’un peu partout au pays, peu importe leur allégeance politique. Examinons la citation suivante :

[Nous sommes préoccupés] par les allégations récentes d’interférences dans le cadre des poursuites engagées contre SNC-Lavalin, qui font l’objet d’une procédure devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Le groupe canadien d’ingénierie et de construction fait l’objet de poursuites judiciaires pour des faits présumés de corruption d’agents de l’État libyen en vue d’obtenir un contrat de 58 millions de dollars canadiens pour la remise en état d’un réseau d’adduction d’eau.

En sa qualité d’État partie à la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, le Canada s’est engagé à se conformer pleinement aux dispositions de la Convention, qui consacre l’indépendance des poursuites dans les affaires de corruption transnationale en vertu de son article 5.

D’où vient cette citation? Elle est tirée d’un communiqué de presse du Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption. Soit dit en passant, dans le même communiqué de presse, le Groupe de travail de l’OCDE louange le gouvernement pour avoir confié au Comité de la justice de la Chambre des communes une enquête sur l’affaire.

Le problème, c’est que, quelques jours après cette déclaration de l’OCDE, le gouvernement a mis un terme à l’enquête du Comité de la justice, comme il vient de le faire avec le Comité d’éthique de la Chambre des communes, qui tentait de lancer une enquête semblable.

Je ne peux qu’espérer que les sénateurs d’en face ne suivent pas l’exemple du Parti libéral en mettant un terme à une enquête par le Sénat. Jusqu’à maintenant, le Canada a toujours joui d’une excellente réputation sur la scène internationale en ce qui concerne le respect de la primauté du droit et de l’administration de la justice.

Toutefois, les mesures que le gouvernement a prises pour étouffer une enquête complète sur cette affaire n’ont pas amélioré sa réputation. En fait, c’est exactement le contraire.

Honorables sénateurs, certaines personnes dans cette enceinte prétendent qu’il revient à l’autre endroit d’enquêter sur cette question. Je ne suis pas d’accord. En fait, l’histoire contredit cette affirmation.

En 1961, le gouvernement Diefenbaker présente un projet de loi visant à congédier James Coyne, qui est le père d’Andrew Coyne, du poste de gouverneur de la Banque du Canada. Le gouvernement utilise ensuite sa majorité à la Chambre des communes afin d’empêcher M. Coyne de témoigner devant un comité pour se défendre, tout en adoptant à toute vapeur le projet de loi.

Lorsque le projet de loi est renvoyé au Sénat, le Comité des banques invite James Coyne à témoigner. Il accepte pour présenter sa version des faits. Après avoir écouté son témoignage, le Comité sénatorial des banques lui donne raison. Dans son rapport, il recommande l’abandon du projet de loi visant à l’expulser de son poste de gouverneur. Le jour de la publication du rapport qui l’exonère, James Coyne démissionne. Le projet de loi devient caduc.

Cet incident a, par la suite, été surnommé « l’affaire Coyne ». C’est un bel exemple d’une occasion où le Sénat a permis à un très haut fonctionnaire de donner sa version des faits lorsque le gouvernement avait exploité sa majorité à la Chambre des communes pour tenter de le réduire au silence. Il s’agit là d’un précédent dont nous ne devons pas faire fi ni atténuer la grande importance. Il a un lien direct avec la motion dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Honorables sénateurs, nous sommes à un grand tournant : soit les sénateurs décident d’appuyer la motion à l’étude, soit ils laissent le Sénat être réduit au silence.

Par le passé, j’ai entendu le sénateur Harder affirmer que l’un des principaux rôles de cette assemblée était d’agir comme une soupape de sécurité pour protéger les Canadiens contre la tyrannie de la majorité. Ses paroles étaient-elles vides de sens ou sincères? Nous le découvrirons bientôt quand les sénateurs voteront enfin sur la motion à l’étude. J’espère que tous les sénateurs appuieront la motion, car c’est ce qui s’impose.

L’honorable Pierre J. Dalphond : L’honorable sénateur acceptera-t-il de répondre à une question? Merci. Accepterez-vous plutôt la motion présentée par le sénateur Pratte, qui poursuit le même objectif, mais dans un contexte différent, plutôt que de renvoyer l’affaire au Comité de la justice? Sinon, pourquoi?

Le sénateur Plett : Honorables sénateurs, le sénateur Pratte a présenté une motion après que j’ai présenté la mienne, donc, si elles se ressemblent à ce point, peut-être le sénateur Pratte n’aurait-il pas dû présenter la sienne, mais plutôt accepter la mienne. Je pense que je peux relancer la question.

Je ne crois pas qu’il s’agit de motions semblables. Le sénateur Pratte propose une motion visant à créer une sorte de comité indépendant. Je ne demande pas que nous créions un comité. Nous avons un comité. Le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles est bien capable d’effectuer ce travail. Je ne vois aucune raison de créer un autre comité. Avec tout le respect que je vous dois, sénateur Dalphond, je considère que ces deux motions sont très différentes.

(2120)

Le sénateur Dalphond : Oui, mais la principale différence entre ces deux motions est que, premièrement, le Comité des affaires juridiques doit étudier le projet de loi C-75, et nous devons ensuite étudier le projet de loi C-78 puis le projet de loi C-337 et vous voulez que nous entreprenions cette enquête en même temps. Le sénateur Pratte a proposé un groupe composé principalement d’indépendants qui se pencheraient sur la question.

Concernant l’efficience et l’indépendance accrue, quel est le problème? Je pense que sa proposition est de loin supérieure à la vôtre.

Le sénateur Plett : Sénateur Dalphond, en affirmant qu’une proposition est supérieure à l’autre, vous êtes en train de dire que les deux propositions sont complètement différentes. Dans ce cas, je suppose que nous ne sommes pas d’accord. Je pense que ma proposition est supérieure à la motion du sénateur Pratte. Nous aurons évidemment l’occasion de nous prononcer sur la mienne, et j’espère sincèrement qu’elle sera adoptée. Sinon, alors je suis sûr que nous aurons l’occasion de nous prononcer sur la motion du sénateur Pratte.

Cependant, vous nous demandez d’appuyer la création d’un autre groupe dont vous avez dit qu’il se composerait principalement de sénateurs indépendants, donc, évidemment, de membres de votre groupe. Vous êtes donc déjà en train de proposer que ce soit les membres de votre groupe qui se penchent sur ce qu’ils ont fait de mal. J’estime que ce n’est pas le comité qu’il nous faut pour étudier la question. C’est pour cela que je vais continuer de demander au Sénat d’appuyer cette motion. Évidemment, nous avons le droit de considérer la question de façon non partisane, et j’espère que c’est ce que nous ferons. Nous allons procéder de façon non partisane. Nous allons atteindre l’illumination et nous rendre compte que nous devons appuyer cette motion.

Son Honneur le Président : Je vais d’abord donner la parole à la sénatrice Ringuette.

La sénatrice Ringuette : L’étude de cette motion est certainement intéressante jusqu’à présent.

Son Honneur le Président : Sénatrice Ringuette, avant que vous commenciez, je devrais peut-être préciser quelque chose. Le plumitif du Feuilleton indique que la sénatrice Ringuette avait une étoile associée à son ajournement, ce qui signifie que, pour ajourner le débat une deuxième fois, elle aurait besoin du consentement. Dans le présent cas, étant donné que la présidence a déjà reconnu le sénateur Plett, et que la sénatrice Ringuette avait une étoile, elle requiert le consentement afin de participer au débat.

Je dois dire, honorables sénateurs, que lorsqu’un article est ajourné au nom d’un sénateur, la pratique habituelle est que si un autre sénateur souhaite participer au débat, ce dernier consulte le premier et ils en arrivent normalement à une entente à cet égard. Toutefois, cela ne s’est pas fait dans ce cas, et le sénateur Plett a donc été reconnu et il a pris la parole. Pour que la sénatrice Ringuette puisse parler maintenant, elle aura besoin du consentement du Sénat. Je tiens à signaler, honorables sénateurs, qu’il serait courtois de donner à un sénateur au nom duquel un article était ajourné l’occasion de parler.

Sénatrice Ringuette, demandez-vous le consentement?

La sénatrice Ringuette : Merci beaucoup. J’apprécie vraiment...

Le sénateur Mockler : L’esprit de coopération.

La sénatrice Ringuette : ... l’esprit de coopération.

Honorables sénateurs, sénateur Plett, si l’on met de côté la justesse de votre proposition, des événements se sont produits qui remettent en question son utilité. Il y a de nombreuses semaines, les anciennes ministres Wilson-Raybould et Philpott ont toutes les deux déclaré publiquement qu’il n’y avait plus rien à ajouter. L’ancienne ministre Wilson-Raybould a livré un témoignage qui a duré des heures au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.

Subséquemment, l’ex-procureure générale a soumis au comité un long mémoire ainsi qu’un enregistrement audio. À la page 19 de ce mémoire, l’ancienne ministre Wilson-Raybould déclare :

Ainsi donc, pour ma part, je ne crois pas avoir autre chose à offrir dans un processus officiel sur cette affaire.

Dans une entrevue à l’émission Power Play, l’ancienne ministre Philpott a déclaré :

[...] je crois que suffisamment de renseignements ont été rendus publics pour que les Canadiens constatent ce qui s’est passé et se fassent leur propre opinion.

Dans une autre entrevue, celle-ci accordée à Maclean’s, on a posé la question suivante à la Dre Philpott :

Avez-vous toujours le sentiment qu’il y a autre chose que les Canadiens doivent savoir?

La Dre Philpott a répondu :

[...] en ce qui a trait à mes propos précédents, il est évident que, depuis, d’autres renseignements ont été rendus publics. L’élément le plus important est probablement le document de 43 pages présenté par l’ancienne procureure générale [...]

Elle a poursuivi en disant :

Il s’agissait de renseignements importants à divulguer. Y a‑t-il d’autres choses à dire? Selon les conversations que j’ai eues, je pourrais divulguer d’autres éléments d’information, d’autres parties de l’histoire. À ce stade-ci, j’estime qu’il n’y a aucun intérêt à faire tout un plat avec ces renseignements parce que, selon moi, les Canadiens disposent désormais d’assez d’information pour déterminer ce qui s’est passé.

Il n’existe aucune dispense de la sorte devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne ni devant l’examen du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique.

Au contraire, je suis surprise par l’ouverture dont les sénateurs d’en face font preuve. Après tout, la pression exercée par le cabinet du premier ministre sur le caucus conservateur du Sénat au cours de la dernière législature est bien documentée. À ce stade-ci, permettez-moi de citer du paragraphe 10-29 au paragraphe 10-38 de la décision rendue le 21 avril 2016 par la Cour de justice de l’Ontario concernant la cause R. c. Duffy :

Les courriels produits en preuve dans la présente affaire m’obligent à prendre un peu de recul et à me poser quelques questions. Ai-je vraiment eu un aperçu des rouages du cabinet du premier ministre?

Nigel Wright dictait-il vraiment la conduite de sénateurs influents comme s’il s’agissait de simples pions sur un échiquier?

Ces mêmes sénateurs influents obéissaient-ils tête baissée aux ordres de M. Wright?

Acceptaient-ils de répéter benoitement les déclarations toutes faites qu’on leur fournissait?

Nigel Wright a-t-il vraiment ordonné à un sénateur d’aller voir un des cadres du cabinet comptable bien en vue qui était chargé de superviser la vérification indépendante dont le Sénat faisait l’objet, dans le but soit de consulter son rapport — ou une partie de son rapport — avant qu’il soit remis aux autorités sénatoriales compétentes, soit d’influer d’une quelconque manière sur le contenu de ce même rapport?

La lecture de ces courriels me donne-t-elle l’impression que le sénateur Duffy n’avait d’autre que choix d’obéir s’il ne voulait pas subir des conséquences?

La réponse à toutes ces questions est : OUI, OUI, OUI, OUI, OUI et OUI!!!!!

La place du politique dans toute cette affaire et l’aura de secret qui l’entourait sans cesse ont de quoi choquer et laisser pantois.

La précision et le caractère planifié de l’exercice feraient sans doute la fierté du commandant militaire le plus strict. Cela dit, dans le contexte d’une société démocratique, les complots que ces courriels mettent au jour peuvent seulement être qualifiés d’inacceptables.

C’était un extrait d’une décision rendue par un juge. Grâce à un recul objectif, nous pourrons peut-être en apprendre davantage sur les relations de pouvoir qui existaient, pendant la dernière législature, entre les échelons supérieurs du Cabinet de l’ancien premier ministre conservateur et le caucus conservateur au Sénat, et sur les pressions constantes exercées sur le Sénat, une institution indépendante.

(2130)

Peut-être le Sénat devrait-il soumettre cette question à un second examen objectif. Il ne l’a jamais fait. Après tout, ce qui vaut pour les uns vaut aussi pour les autres.

[Français]

Dans la langue de Molière, on dit ceci : « Ce qui est bon pour minou est aussi bon pour pitou. »

[Traduction]

Motion d’amendement

L’honorable Pierrette Ringuette : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que la motion ne soit ne soit pas maintenant adoptée, mais qu’elle soit modifiée :

1.par adjonction, après les mots « afin d’en faire rapport, », des mots « le rôle du personnel politique au sein du cabinet du premier ministre relativement à leurs interactions avec les parlementaires, les ministres et le procureur-général, y compris »;

2.par adjonction, après les mots « Jody Wilson-Raybould, C.P. députée; », du nouveau paragraphe suivant :

« Que, dans le cadre de cette étude, et sans limiter le droit du comité d’inviter d’autres témoins s’il le juge opportun, le comité invite les témoins suivants qui ont potentiellement de l’expérience en ce qui concerne des cas antérieurs d’allégations d’ingérence politique, de direction et d’exercice de pression sur les parlementaires et leur travail au sein du cabinet du premier ministre :

Nigel Wright, ancien chef de cabinet du premier ministre;

Benjamin Perrin, ancien conseiller principal et conseiller juridique du premier ministre;

Ray Novak, ancien chef de cabinet du premier ministre;

L’honorable sénateur David Tkachuk;

L’honorable Marjory LeBreton, C.P., ancienne sénatrice;

L’honorable Irving Russell Gerstein, ancien sénateur;

Le très honorable Stephen Harper, C.P., ancien premier ministre du Canada; ».

Merci.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, en amendement, l’honorable sénatrice Ringuette, avec l’appui de l’honorable sénateur Woo, propose que...

Des voix : Suffit!

Son Honneur le Président : Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : S’il vous plaît.

Son Honneur le Président : Quelqu’un souhaite-t-il débattre? Le sénateur Plett souhaite en débattre. Je suis désolé, je devrais d’abord le demander.

Sénatrice Omidvar, avez-vous une question pour la sénatrice Ringuette ou souhaitez-vous participer au débat?

L’honorable Ratna Omidvar : Je voulais demander l’ajournement du débat.

Le sénateur Plett : Oubliez ça...

La sénatrice Omidvar : Je pourrai le faire après, allez-y.

Le sénateur Plett : Cela n’arrivera pas avant un bon bout de temps.

Vous savez, Votre Honneur, il est rare que les mots me manquent.

Le sénateur Harder : Demandez l’ajournement du débat dans ce cas là.

Le sénateur Plett : Je serais gêné de tourner en dérision et de bafouer un projet de loi de nature sérieuse, de faire presque revenir du tombeau des gens pour témoigner en pensant que c’est plaisant. Je pense qu’il est honteux de se moquer d’une situation grave, alors que les Canadiens ont été trompés, alors que le premier ministre est sous enquête, sur les plans éthique et criminel, alors que des ministres sont tombés pour avoir condamné le premier ministre et le gouvernement. On fait ensuite revenir des gens cinq, six et dix ans après. Comme si c’était un amendement. Ce n’est pas un amendement. C’est une motion complètement distincte. Il est clair, monsieur le Président, que vous allez finalement prendre une décision à ce sujet, et je n’invoque pas le Règlement pour cela. C’est même très loin d’être un amendement et je suis stupéfait, sidéré et offensé que quelqu’un plaisante au sujet d’une situation aussi grave.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Omidvar : Je propose l’ajournement du débat.

Des voix : Non, non, poursuivons le débat.

Son Honneur le Président : La sénatrice Omidvar a proposé l’ajournement. L’honorable sénatrice Omidvar... je regrette, j’ai donné la parole à la sénatrice Omidvar en premier, mais je me suis tourné de l’autre côté vers le sénateur Plett parce qu’il s’est levé à peu près en même temps. Je donne maintenant la parole à la sénatrice Omidvar.

Le sénateur Housakos : Respectueusement, la présidence a l’obligation de confirmer que plus personne ne veut participer au débat avant d’en venir à l’ajournement. C’est de cette façon que les choses fonctionnent ici, et la présidence devrait le respecter.

Son Honneur le Président : La sénatrice Omidvar a proposé l’ajournement du débat. J’en tiens compte, et les sénateurs ont le droit de rejeter sa proposition s’ils le souhaitent. L’honorable sénatrice Omidvar, avec l’appui de l’honorable sénateur Woo, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Je vois deux sénateurs se lever. Y a‑t-il entente au sujet de la sonnerie? La sonnerie rententira pendant une heure. Le vote aura lieu à 22 h 36. Convoquez les sénateurs.

(2230)

La motion, mise aux voix, est adoptée :

POUR
Les honorables sénateurs

Anderson Lankin
Boehm McPhedran
Bovey Mitchell
Coyle Moncion
Dalphond Omidvar
Dean Pate
Duncan Pratte
Dyck Ravalia
Forest-Niesing Ringuette
Harder Simons
Klyne Sinclair
Kutcher Woo—24

CONTRE
Les honorables sénateurs

Beyak Plett
Housakos Wells—5
Martin

ABSTENTION
L’honorable sénatrice

Griffin—1

(À 22 h 40, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 7 mai 2019, à 14 heures.)

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