Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 299
Le lundi 10 juin 2019
L’honorable George J. Furey, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- Projet de loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins
- Les travaux du Sénat
- Projet de loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis
- Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2019
- Projet de loi prévoyant une procédure accélérée et sans frais de suspension de casier judiciaire pour la possession simple de cannabis
- Projet de loi sur le moratoire relatif aux pétroliers
LE SÉNAT
Le lundi 10 juin 2019
La séance est ouverte à 18 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Le Mois de la sensibilisation à la sclérose en plaques
L’honorable Pat Duncan : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour attirer l’attention sur la sclérose en plaques. Notre collègue le sénateur Duffy intervient habituellement pour parler de cette question en mai, qui est le Mois de la sensibilisation à la sclérose en plaques, et pour féliciter la Division de l’Atlantique de la Société canadienne de la sclérose en plaques pour ses activités de sensibilisation à la maladie. Le mois de mai est passé, mais il est toujours nécessaire de faire connaître et de souligner les efforts déployés par la Division de l’Atlantique et toutes les autres divisions de la Société canadienne de la sclérose en plaques.
Le Canada présente l’un des taux les plus élevés de sclérose en plaques au monde. À l’échelle mondiale, #MaSEPinvisible est le thème de la campagne de sensibilisation à la sclérose en plaques pour 2019. Il y a 15 ans, quand j’ai appris à mieux connaître la sclérose en plaques, celle-ci était qualifiée de « maladie inconnue ». Chers collègues, c’est toujours le cas. Nous savons que la sclérose en plaques est une maladie chronique et souvent invalidante du système nerveux central. Elle peut nuire à la vue, à la mémoire, à l’équilibre et à la mobilité; c’est pourquoi on dit qu’elle est invalidante. On ignore quels seront les effets de la sclérose en plaques sur une personne qui en est atteinte.
Chers collègues, nous ne savons pas combien de Canadiens exactement vivent avec la sclérose en plaques. Au Canada atlantique, on croit que 7 000 personnes en sont atteintes. On dit souvent que la Saskatchewan présente l’une des incidences les plus élevées au pays. On croit aussi que le Nord du Canada enregistre un taux élevé par habitant; cependant, les gouvernements des territoires ne recueillent ni ne communiquent habituellement les données de ce genre en matière de santé pour des raisons de confidentialité.
Selon la Société canadienne de la sclérose en plaques, 77 000 Canadiens sont atteints de cette maladie. Chaque jour, un Canadien sur 11 reçoit ce diagnostic. La sclérose en plaques est la maladie neurologique la plus répandue chez les jeunes adultes. Soixante pour cent des adultes qui reçoivent ce diagnostic ont entre 20 et 49 ans. Les Canadiens atteints peuvent obtenir l’aide de la Société canadienne de la sclérose en plaques.
Au Canada, la campagne de sensibilisation cette année s’intitule #vivreaveclaSP. Pour cette campagne, la Société canadienne de la sclérose en plaques établit quatre grandes priorités en matière de politiques, indiquant que le temps est maintenant venu d’aider les gens à mieux vivre avec la sclérose en plaques. Elle demande qu’on accélère le rythme des découvertes en lien avec la sclérose en plaques et qu’on améliore les lois, les politiques et les programmes en place de manière à ce que les gens touchés par cette maladie puissent mener une vie aussi satisfaisante que possible.
Chers collègues, le travail que vous avez fait, surtout l’ajout du mot « épisodique » dans la définition du terme handicap dans la Loi canadienne sur l’accessibilité, correspond à ses recommandations. Félicitations au Sénat pour avoir adopté cette mesure législative.
J’encourage tous les sénateurs à tenir compte des autres priorités en matière de politiques et à sensibiliser la population à la sclérose en plaques et à faire connaître la Société canadienne de la sclérose en plaques. Merci.
[Français]
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Lucia Di Poi, de Johnny Celestin et de Magalie Noel Dresse. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Coyle.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
[Traduction]
Le décès d’Andre Gerolymatos
L’honorable Leo Housakos : Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un ami très cher, un grand Canadien qui a été inhumé jeudi dernier, à Vancouver, après avoir perdu son combat contre un grave cancer du cerveau. Il était âgé de 68 ans seulement. Le professeur Andre Gerolymatos était un éminent historien et un membre important de la dynamique communauté grecque de notre grand pays. Il détenait une maîtrise ès arts en lettres classiques et un doctorat en histoire de l’Université McGill. Ces 25 dernières années, M. Gerolymatos a vécu à Vancouver, où il a exercé la présidence du congrès canado-hellénique de la Colombie-Britannique, au centre d’études helléniques de l’Université Simon Fraser. Il a aussi été directeur du centre d’études helléniques de la fondation Stavros Niarchos, à l’Université Simon Fraser.
Chers collègues, les réalisations professionnelles de M. Gerolymatos sont beaucoup trop nombreuses pour que je puisse leur rendre justice dans une courte déclaration. Chercheur et auteur prolifique, il a publié des centaines d’articles et d’ouvrages savants durant sa brillante carrière universitaire, qui était axée sur l’histoire de la Grèce moderne, des Balkans, de la politique étrangère et de la diplomatie. Expert très respecté en matière de sécurité, il a codirigé le programme de maîtrise professionnelle d’études du terrorisme, du risque et de la sécurité de l’Université Simon Fraser.
Honorables sénateurs, cet éminent universitaire a également mis son expertise au service de son pays. À son impressionnant curriculum vitæ figurent, plus tôt dans sa carrière, un mandat à titre de conseiller au ministre du Patrimoine et, plus récemment, un mandat à titre de membre du Conseil consultatif sur la sécurité nationale, de 2010 à 2012.
Même si son parcours universitaire est impressionnant, tous ceux qui ont connu M. Gerolymatos conviennent qu’il était un pédagogue et un chef de file hors pair. Pendant sa carrière de près de 40 ans, qui a débuté à Montréal, M. Gerolymatos a côtoyé des milliers d’étudiants et créé le centre des études helléniques du Collège Dawson. C’est au Collègue Dawson qu’il a commencé à s’engager dans la communauté hellénique. Il a milité et travaillé au sein du Congrès hellénique du Québec et du Congrès hellénique canadien, dans une foule de dossiers, notamment la reconnaissance du caractère hellénique de la Macédoine d’Alexandre le Grand et la reconnaissance des horreurs du génocide des Grecs pontiques. C’est ce travail qui l’a finalement mené à l’Université Simon Fraser, où, en tant que titulaire de la chaire d’études helléniques, il a collaboré avec la Stavros Niarchos Foundation, organisme de réputation mondiale, afin de créer le plus grand centre d’études helléniques en dehors de la Grèce.
Chers collègues, M. Gerolymatos était un Canadien exceptionnel, et ses nombreuses contributions méritent d’être soulignées. Je vous invite à vous joindre à moi afin d’offrir nos condoléances à sa formidable épouse, Beverly, ainsi qu’à ses proches et à ses amis. On se souviendra de lui comme d’un pilier du milieu universitaire canadien et véritable chef de file de la communauté hellénique.
Que Dieu ait son âme. Reposez en paix, cher ami.
La Semaine nationale du don de sang
L’honorable Terry M. Mercer (leader suppléant des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, nous soulignerons du 10 au 16 juin la Semaine nationale du don de sang. Les dons de sang sont d’une importance capitale, car les Canadiens comptent uniquement sur la générosité et le dévouement des donneurs pour assurer ce service essentiel.
(1810)
Selon la Société canadienne du sang, plus de 100 000 nouveaux donneurs contribuent chaque année à répondre aux besoins des patients du pays.
Les raisons pour donner du sang ne manquent pas. Toutes les 60 secondes, quelqu’un au Canada a besoin de sang, et le pays a besoin de sang 365 jours par année. Il faut jusqu’à cinq donneurs pour soigner un père qui subit une chirurgie cardiaque, huit pour traiter un enfant atteint de leucémie et 50 pour sauver un accidenté de la route.
Hélas, honorables sénateurs, moins de 4 p. 100 des donneurs admissibles assurent l’approvisionnement national en sang. Le pays a besoin de plus de donneurs réguliers afin de maintenir les réserves de sang et de produits sanguins.
Je suis l’heureux fils d’un homme qui a donné des centaines de litres de sang dans sa vie. J’ai aussi eu la chance de recevoir plusieurs transfusions de sang il y a de cela quelques années. Le don de sang est le moyen le plus simple et le plus efficace de venir en aide à votre prochain. Sans les donneurs, le Canada serait incapable de répondre aux besoins des patients.
Je vous invite tous, si ce n’est déjà fait, à profiter de la Semaine nationale du don de sang pour devenir un donneur actif et inciter vos proches à faire de même. Vous ne savez jamais quand vous ou un être cher aurez besoin de sang.
Merci également à tous les donneurs du pays de donner un peu d’eux-mêmes afin de sauver la vie de leurs compatriotes.
Des voix : Bravo!
La Journée nationale de sensibilisation au bien-être (cancer)
L’honorable Diane F. Griffin : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la Journée nationale de sensibilisation au bien-être pour les personnes atteintes de cancer, qui sera célébrée pour la première fois le 26 juin prochain. C’est l’occasion de se souvenir que les soins ne se limitent pas aux opérations, à la chimiothérapie et à la radiothérapie. Il s’agit de traiter la personne dans son ensemble, et non seulement la maladie.
Un Canadien sur deux sera atteint d’un cancer au cours de sa vie. Les programmes de bien-être pour les personnes atteintes de cancer peuvent les aider à faire des changements concrets en ce qui concerne leurs comportements, leur spiritualité et leur condition physique afin d’améliorer leurs résultats en matière de santé. Ces programmes ciblent les difficultés associées à la fatigue, à l’alimentation et à la santé mentale qui sont provoquées par le cancer et les traitements.
Des organismes comme le Centre de bien-être de l’Ouest-de-l’Île pour personnes atteintes de cancer et la Fondation du cancer de la région d’Ottawa aident les personnes vivant avec cette maladie à surmonter ces difficultés importantes.
Je sais que le cancer a touché la plupart d’entre nous, au Sénat. Pour paraphraser Winston Churchill : « Si vous traversez un cancer, surtout continuez d’avancer. »
Demandez de l’aide à votre famille, à vos amis et à votre communauté. Prenez soin de votre santé mentale et spirituelle ainsi que de votre santé physique. Tous mes vœux vous accompagnent.
La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Le centième anniversaire
L’honorable David Tkachuk : Honorables sénateurs, jeudi dernier, le Canadien National fêtait son centième anniversaire. C’est un exploit important pour toute entreprise. Pour les Canadiens, c’est particulièrement important compte tenu de l’importance du rôle joué par les chemins de fer dans l’édification du pays.
La création du CN, le 6 juin 1919, découle du regroupement orchestré par le gouvernement fédéral de plusieurs petites compagnies de chemin de fer en faillite ou sur le point de l’être : le chemin de fer canadien du Nord; le chemin de fer Intercolonial; le chemin de fer national transcontinental; le chemin de fer de l’Île-du-Prince-Édouard et, éventuellement, le chemin de fer du Grand Tronc du Pacifique; certaines avaient une histoire au pays qui remontait à près de 100 ans avant 1919.
Je crois pouvoir affirmer sans susciter la moindre contestation que, sans le chemin de fer et sans le CN, le Canada tel que nous le connaissons aujourd’hui n’existerait pas. Si vous allez sur le site web du CN, vous trouverez une image épatante d’une voie ferrée sur laquelle on peut faire défiler, à l’aide d’une souris, l’histoire chronologique de la compagnie, des préludes, en 1822, à aujourd’hui et même 10 ans au-delà. On comprend ainsi toute l’étendue et la diversité des activités de cette entreprise qui, au fil des ans, a œuvré dans les secteurs de l’hébergement, des communications et du transport maritime.
Au bout du compte, cette entreprise a toujours été connue non seulement comme une société ferroviaire, mais comme une société ferroviaire des plus impressionnantes. Le communiqué de presse qui souligne son centenaire la décrit d’ailleurs à merveille. En voici un extrait :
Au cours de son évolution, d’une société de la Couronne fédérale pendant 75 ans, en passant par sa privatisation en 1995, le CN est devenu le seul réseau ferroviaire couvrant toute l’Amérique du Nord, de l’est à l’ouest du Canada et jusqu’au golfe du Mexique. Tout au long de ces 100 ans, le CN s’est mis au service de l’économie canadienne : d’abord, en contribuant à bâtir le pays et, désormais, en transportant chaque année des marchandises d’une valeur de plus de 250 G$. Le CN transporte fort probablement les aliments, les objets et les véhicules que vous consommez et utilisez chaque jour.
Honorables sénateurs, je vous invite à vous joindre à moi pour souhaiter au Canadien National un très heureux 100e anniversaire.
[Français]
AFFAIRES COURANTES
Le directeur parlementaire du budget
La gestion active ou passive des régimes de retraite généraux du Canada : analyse comparative—Dépôt du rapport
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget intitulé La gestion active ou passive des régimes de retraite généraux du Canada : analyse comparative, conformément à la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1, par. 79.2(2).
[Traduction]
Le Budget des dépenses de 2019-2020
Le Budget principal des dépenses—Dépôt du quarantième rapport du Comité des finances nationales
L’honorable Percy Mockler : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le quarantième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales intitulé Premier rapport intérimaire sur le Budget principal des dépenses 2019-2020. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.
(Sur la motion du sénateur Mockler, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
Agriculture et forêts
Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport sur la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés globaux auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat
L’honorable Diane F. Griffin : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat, au plus tard le 26 juillet 2019, un rapport final portant sur son étude sur la manière dont le secteur alimentaire à valeur ajoutée peut être plus compétitif sur les marchés globaux, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.
Peuples autochtones
Préavis de motion tendant à autoriser le comité à siéger en même temps que le Sénat
L’honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé à se réunir le mercredi 12 juin 2019, aux fins de son étude sur le projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.
La vie de Gerald Campbell
Préavis d’interpellation
L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :
J’attirerai l’attention du Sénat sur la vie de Gerald Campbell.
PÉRIODE DES QUESTIONS
Les finances
L’oléoduc Trans Mountain
L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Il y a un peu plus d’un an, en mai 2018, alors que le ministre des Finances annonçait que le gouvernement allait dépenser 4,5 milliards de dollars de l’argent des contribuables pour acheter le pipeline Trans Mountain à Kinder Morgan, aucun plan n’a été présenté pour donner suite au projet d’expansion. À ce moment-là, le ministre Morneau avait affirmé aux Canadiens que les travaux liés à ce projet étaient déjà prévus pour la saison de la construction de 2018.
(1820)
Comme on le sait, les travaux n’ont pas commencé sur-le-champ, puis, environ trois mois plus tard, la Cour d’appel fédérale a annulé l’approbation du projet d’expansion.
Sénateur Harder, on nous annonce que le ministre Morneau va prendre la parole à Calgary le lendemain du jour où le gouvernement fera connaître sa décision dans le dossier Trans Mountain. Lorsque le projet sera autorisé, la semaine prochaine, le ministre Morneau va-t-il également présenter un plan viable et crédible pour que les travaux commencent immédiatement?
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Je remercie également le leader suppléant des libéraux au Sénat de l’aide qu’il m’a apportée pour ma réponse.
Le sénateur se rappellera qu’au moment où la date limite a été reportée au 18 juin, le gouvernement s’est engagé à annoncer sa décision dans les plus brefs délais, avant cette échéance. Je suis persuadé que c’est exactement ce qui se produira.
Le sénateur Smith : C’est une réponse un peu plus longue que « oui ». Je vous en remercie.
Plus tôt cette année, le directeur parlementaire du budget a publié un rapport sur l’achat du pipeline Trans Mountain par le gouvernement, et on y lit ceci :
[...] si l’échéancier du projet accusait un retard d’un an, la valeur du PARTM serait amputée de 693 millions de dollars. De même, si les coûts de construction augmentaient de 10 %, sa valeur serait réduite de 453 millions de dollars.
Sénateur Harder, nous savons que le projet est déjà en retard. Une fois que l’approbation sera donnée, la semaine prochaine, le gouvernement indiquera-t-il la date à laquelle il prévoit mettre le pipeline en service?
Le sénateur Harder : Je remercie le sénateur de sa question. Je ne peux pas prédire ce que le gouvernement annoncera la semaine prochaine. Je me permets de rappeler au sénateur l’engagement qu’il a pris à faire en sorte que le projet soit réalisé. Non seulement le gouvernement a acheté le pipeline au nom de la population canadienne, mais il a aussi pris toutes les mesures nécessaires pour faire progresser le projet le plus rapidement possible. Comme le sénateur l’a indiqué dans sa question, il est vrai que la Cour d’appel fédérale a donné des directives. Le gouvernement les respecte, mais il est déterminé à construire et à terminer cette importante infrastructure.
Le revenu national
La taxe sur le carbone
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse aussi au leader du gouvernement au Sénat.
En fin de semaine, l’Agence du revenu du Canada a révélé que le remboursement moyen accordé dans le cadre du régime de taxe sur le carbone du premier ministre est inférieur de près du tiers de ce que le gouvernement avait promis. Par exemple, en Ontario, le gouvernement avait dit que le remboursement moyen serait de 307 $. Au 3 juin, le remboursement moyen était plutôt de 203 $.
Nous avons appris récemment que la campagne de sensibilisation du gouvernement à la taxe sur le carbone a coûté environ 3,4 millions de dollars aux contribuables. De plus, le directeur parlementaire du budget a découvert que, d’ici la fin de l’exercice 2021-2022, l’administration de la taxe sur le carbone coûtera 174,5 millions de dollars aux contribuables.
Sénateur, certains grands pollueurs industriels ont obtenu une exemption spéciale de la taxe sur le carbone, tandis que les familles sont obligées de la payer et que le montant du remboursement est inférieur à ce qu’on leur avait promis. Comment peut-on parler d’équité fiscale?
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénatrice de sa question. En instaurant une tarification de la pollution, le Parlement du Canada a mis en place un système qui respecte le plan des provinces si ce dernier respecte le cadre national. Le gouvernement signale aussi que le remboursement de la taxe qui a été envisagé peut être réclamé à partir de maintenant et qu’un certain nombre de Canadiens en ont fait la demande et l’ont obtenu.
En ce qui concerne la répartition des remboursements par province, je vais m’informer et vous reviendrai avec une réponse.
La sénatrice Martin : Dans l’ensemble du Canada, je pense que les remboursements sont moins élevés. La situation n’est pas ce qui avait été annoncé. Comme je l’ai déjà mentionné, la taxe sur le carbone et la capacité insuffisante des pipelines ont fait grimper le prix de l’essence partout au Canada, y compris dans ma province, la Colombie-Britannique. Récemment, lorsque le nouveau gouvernement provincial de l’Alberta a aboli sa taxe sur le carbone, le prix de l’essence a baissé.
Monsieur le sénateur, le gouvernement admet-il que la taxe sur le carbone et les remboursements moins élevés que prévu nuisent aux familles et aux petites entreprises canadiennes qui ont déjà de la difficulté à joindre les deux bouts?
Le sénateur Harder : Je remercie la sénatrice de sa question. C’est la question qu’elle a posée la semaine dernière, à laquelle j’ai répondu en rappelant à la sénatrice que le prix de l’essence au pays dépend d’un certain nombre de facteurs. En effet, le prix de l’essence est déterminé non seulement par des mesures du gouvernement du Canada en matière de taxes prélevées sur l’essence, mais aussi par des politiques provinciales et publiques mises en place par les autres ordres de gouvernement.
La volatilité du prix de l’essence est une réalité qu’ont connue différents gouvernements successifs. À mon avis, il serait plutôt malvenu de laisser entendre que l’absence d’un pipeline — dont la construction tarde depuis des décennies — a contribué à la flambée du prix de l’essence en Colombie-Britannique.
La sécurité publique et la protection civile
Les médias sociaux
L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Monsieur le sénateur Harder, il y a trois semaines, le gouvernement libéral a annoncé qu’il lancerait une charte numérique. Il n’est pas entré dans les détails, mais il a promis qu’il mettrait en place des mesures d’application vigoureuses à l’encontre des entreprises qui contreviennent aux lois. Cela fait partie de la stratégie du gouvernement visant à surveiller ce qui se passe sur Internet avant les élections. Cependant, je ne pense pas qu’il revient au gouvernement d’assurer cette surveillance. Je pourrais invoquer plusieurs raisons, raisons qui sont trop nombreuses pour que l’on s’y attarde ici, mais j’aimerais me pencher sur celle qui est la plus récente.
À la fin de la semaine dernière, nous avons appris que le Parti libéral du Canada et le premier ministre lui-même se sont servis de Facebook pour solliciter des dons de personnes à l’extérieur du Canada, notamment de gens qui habitent aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Monsieur le sénateur Harder, comme le gouvernement libéral le sait pertinemment, la loi interdit aux partis politiques du Canada de recueillir des dons de tout individu qui n’est pas citoyen canadien ou résident permanent du Canada.
Voici ma question : au lieu de surveiller l’utilisation que font les autres personnes d’Internet, pourquoi le gouvernement ne s’assure-t-il pas que son propre parti, votre parti, respecte les règles? Comment se fait-il que le gouvernement, plus précisément le premier ministre Trudeau, ait autant de mal à se conformer aux mêmes normes que celles imposées au reste de la population? Qui est chargé de veiller à ce que le gouvernement de votre parti ne fasse pas une mauvaise utilisation ou une utilisation abusive du Web?
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question et je vais essayer de dénouer tous les éléments qu’il essaie de regrouper.
Les engagements qu’a pris le gouvernement du Canada par rapport aux inquiétudes que suscitent les plateformes et les médias sociaux sont grosso modo les mêmes que ceux qu’ont pris diverses démocraties libérales soucieuses de trouver un juste équilibre entre la liberté d’expression et la volonté que ces plateformes et médias sociaux ne servent pas, par inadvertance ou autrement, à promouvoir la haine ou certains discours, voire le crime organisé et la sédition. Comparer cela à ce que les partis pourraient faire sur le Web pour lever des fonds, c’est comparer des pommes et des oranges.
L’automne dernier, le Sénat et le Parlement du Canada ont adopté, au titre de la réforme électorale, une loi qui régit exactement les dépenses en la matière.
Le sénateur Housakos : Ce n’est pas une hypothèse, monsieur le leader du gouvernement. Le premier ministre et le Parti libéral du Canada ont violé les règles sur les activités de financement. Ce n’est pas une hypothèse.
De plus, la ministre des Institutions démocratiques a manifesté à la fin de la semaine dernière un comportement qui était tout sauf démocratique lorsqu’elle a refusé d’exclure la possibilité que le gouvernement — votre gouvernement — ferme Twitter en prévision des élections.
À propos, sénateur Harder, je vous défie de nommer une seule démocratie libérale dans le monde qui menace de fermer les médias sociaux et autres plateformes. C’est encore de l’hypocrisie et la norme des deux poids deux mesures que l’on a de la part du gouvernement.
Je vous poserai donc la même question que la semaine dernière. Jusqu’où le gouvernement est-il prêt à aller pour étouffer les voix de l’opposition dans ce pays? Le gouvernement va-t-il s’engager à ne pas aller aussi loin que des pays tels que la Chine, la Corée du Nord et l’Iran en fermant Twitter et d’autres plateformes sociales?
Le sénateur Harder : La question est absurde.
[Français]
Le cabinet du premier ministre
Le vice-amiral Mark Norman
L’honorable Jean-Guy Dagenais : Comme nous avons terminé la semaine avec une question, nous allons commencer celle-ci avec une autre question. Plusieurs commentateurs politiques au pays ont tourné en ridicule les larmes versées par le premier ministre à la cérémonie de commémoration du 75e anniversaire du débarquement de Normandie. Malgré l’émotion que commande une telle cérémonie, il n’était pas, de l’avis de plusieurs, opportun de se livrer à une telle prestation théâtrale, du type de celles auxquelles il nous a habitués depuis son élection.
Monsieur le leader, pouvez-vous nous expliquer comment le premier ministre peut éprouver autant d’émotions envers nos soldats morts au combat, alors qu’il tarde toujours à s’excuser publiquement à l’un de nos grands militaires de carrière, qui, lui, est toujours bien vivant, le vice-amiral Mark Norman, dont la carrière a été ruinée par des accusations sans preuve qui ont été invoquées pour des raisons politiques?
(1830)
[Traduction]
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie le sénateur de sa question divertissante. Je vais simplement répondre que j’étais fier de la participation du premier ministre aux événements de la semaine dernière. Je sais que le sénateur Black était présent à titre de parlementaire. Il peut parler pour lui-même. Le Canada était bien représenté par les participants, y compris les participants provinciaux et, il va sans dire, la gouverneure générale. Je dirais que la commémoration du 75e anniversaire du débarquement en Normandie ne devrait pas donner lieu à des démonstrations de partisanerie durant la période des questions, ce soir.
La sécurité publique et la protection civile
Les médias sociaux
L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, j’ai une question supplémentaire, Votre Honneur.
Monsieur le leader du gouvernement, en réponse à ma question, il y a quelques minutes, tout ce que vous avez trouvé à dire est qu’elle était absurde. Est-ce ma question qui est absurde ou le fait que votre ministre des Institutions démocratiques menace de fermer Twitter et la plateforme d’un média social? Lequel des deux trouvez-vous absurde, monsieur le leader du gouvernement?
Le sénateur Harder : La question.
[Français]
ORDRE DU JOUR
Projet de loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins
Projet de loi modificatif—Message des Communes
Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi S-203, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins), accompagné d’un message informant le Sénat qu’elle a adopté ce projet de loi sans amendement.
Les travaux du Sénat
L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : la deuxième lecture du projet de loi C-92, suivie de la deuxième lecture du projet de loi C-97, suivie de la deuxième lecture du projet de loi C-93, suivie de la troisième lecture du projet de loi C-48, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.
[Traduction]
Projet de loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis
Deuxième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, appuyée par l’honorable sénatrice Simons, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
[Français]
Ce projet de loi est très important, et je suis fière d’être ici ce soir pour parler de ce sujet qui fait beaucoup l’actualité.
[Traduction]
Il ne fait aucun doute que les services de protection de la jeunesse du Canada sont déficients, surtout en ce qui a trait aux enfants autochtones, qui comptent pour la majorité des enfants pris en charge par l’État ou recevant des services de protection.
Dans ma province, l’Alberta, près de 70 p. 100 des enfants pris en charge sont membres des Premières Nations, Métis ou Inuits, même si les enfants et les adolescents autochtones ne représentent que 10 p. 100 de l’ensemble de la population de jeunes de l’Alberta.
Le bilan en dents de scie de la province pour ce qui est de prendre soin de ces enfants est profondément troublant, en particulier en ce qui concerne le décès d’enfants et de jeunes qui étaient censés recevoir des services de protection.
Entre 1999 et 2013, un total de 741 jeunes clients des services de protection de la jeunesse de l’Alberta sont décédés alors qu’ils étaient à la charge de la province ou sous sa surveillance. La vaste majorité d’entre eux étaient Autochtones.
Ce nombre est choquant pour deux raisons. Premièrement, il représente la perte de 741 jeunes vies dont la responsabilité nous avait été confiée.
Pis encore, des gouvernements successifs de l’Alberta ont dissimulé ces décès pendant des années.
Entre 1999 et 2013, seules 56 de ces 741 morts ont été signalées ou déclarées publiquement. Il a fallu de multiples années d’enquête et de bataille juridique par mon ancien journal, l’Edmonton Journal, pour forcer le gouvernement à admettre que le nombre total de décès était en réalité de 741.
Depuis ce temps, près de 200 autres enfants pris en charge ont perdu la vie, ce qui représente en moyenne 22 décès par an.
Certains de ces décès, bien sûr, étaient inévitables. Certains de ces enfants sont morts de causes naturelles, allant de la leucémie infantile aux complications survenues après une chirurgie cardiaque. D’autres sont morts dans des accidents où personne n’est à blâmer, par exemple un accident de voiture où le gardien de l’enfant n’était en aucun cas responsable ou fautif.
Toutefois, beaucoup trop des enfants que perd l’Alberta meurent des suites de la négligence ou, franchement, de la méchanceté de leurs gardiens — parents adoptifs, parents biologiques, ou membres de la famille dans les cas de prise en charge par la parenté.
De toutes les provinces, je suis plus familière avec les tristes antécédents de l’Alberta en matière de protection de la jeunesse, parce que j’ai passé des décennies comme journaliste à couvrir ce dossier très difficile et à travailler fort avec mes collègues pour découvrir des histoires que les gouvernements voulaient garder cachées. Toutefois, je crains qu’aucune province au Canada n’ait un bilan exemplaire en matière de protection et de soin des enfants autochtones. La situation actuelle est déplorablement et même mortellement déficiente.
Pour cette raison, je fais preuve d’un optimisme prudent — très prudent — quant au projet de loi C-92, qui recèle la promesse d’un nouveau paradigme dans la prestation des services de protection de la jeunesse, les familles et les communautés autochtones assumant désormais la charge de ces services.
Depuis bien trop longtemps au Canada, les enfants autochtones sont arrachés à leur foyer et à leur communauté pour être placés, sans que l’on se soucie trop de leur culture et de leur sentiment d’appartenance. Dans le passé, on recourait aux pensionnats autochtones. Maintenant, nous nous servons de foyers d’accueil.
Ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise de dire que cette approche a donné lieu à un génocide culturel. Cependant, il est indiscutable qu’enlever des enfants à leur famille pour qu’ils soient élevés dans des foyers collectifs et des foyers d’accueil non autochtones a trop souvent eu comme conséquence de priver les enfants de la chance d’apprendre à connaître leurs traditions, leurs langues, leur spiritualité et leur histoire et de tirer fierté de leurs racines.
Il y a une vingtaine d’années, l’Alberta a commencé à déléguer des pouvoirs à certaines Premières Nations pour qu’elles puissent gérer leurs propres services de protection de la jeunesse. Cette expérience a parfois eu des conséquences pénibles et, dans certains cas, tragiques, surtout au commencement. Pour dire les choses franchement, certains des organismes à qui ces services avaient été délégués étaient voués à l’échec par le gouvernement. En effet, ils étaient sous-financés, ils manquaient de ressources et ils ne possédaient ni de personnel formé et expérimenté ni les capacités pratiques nécessaires pour traiter les dossiers complexes et exigeants. Pour toutes ces raisons, des enfants sont morts.
Le problème tient notamment au fait que, depuis 20 ans, Ottawa finance les services d’aide à l’enfance dans les réserves, mais pas les provinces. En Alberta, le manque à gagner est considérable. Depuis des dizaines d’années, les services de protection de la jeunesse des bandes reçoivent moins d’argent pour faire le même travail de première ligne. Comme si ce n’était pas suffisant, le sous-financement est encore pire pour les services liés à la prévention, c’est-à-dire pour les mécanismes sociaux de première ligne censés aider les parents en difficulté à conserver la garde de leurs enfants et les familles à s’épanouir et à vivre en santé et en harmonie.
Depuis que j’ai lu le projet de loi C-92 pour la première fois, je me prends à espérer que le nouveau cadre qu’il instaure, qui accordera plus de pouvoirs directs aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits afin qu’ils puissent administrer eux-mêmes leurs services de protection de la jeunesse, permettra de rétablir l’équilibre et accordera aux communautés concernées les ressources dont elles ont besoin et auxquelles elles ont droit — car je rappelle que le Tribunal canadien des droits de la personne a déjà rendu une ordonnance en ce sens —, mais vous me pardonnerez si je demeure d’un optimisme prudent.
Quand il en fera l’étude, j’estime que le comité devra établir une chose d’entrée de jeu : sans argent, ce nouveau cadre ne sera rien d’autre qu’une coquille vide, un édifice sans murs ni toit dont la façade de carton ne convainc personne. Nous ne pouvons pas promettre aux peuples autochtones qu’ils pourront administrer eux-mêmes leurs services d’aide à l’enfance sans leur garantir du même coup l’argent et les ressources nécessaires pour qu’ils puissent s’acquitter de leurs responsabilités.
Nous devons aller au-delà des mots. Un simple cadre sans argent équivaudrait à la pire et à la plus irresponsable des fausses promesses.
[Français]
Je tiens toutefois à vous faire part d’une autre préoccupation précise qui a été soulevée au moment de l’étude en comité. Le projet de loi C-92 accorde beaucoup d’importance au principe de l’intérêt de l’enfant concerné. Il va de soi que l’intérêt de l’enfant devrait être le fondement de toute politique de protection de l’enfance et de toute décision relative à la garde ou à la tutelle.
[Traduction]
Le projet de loi C-92 insiste sur le maintien, autant que possible, des enfants dans leur famille élargie et dans une communauté autochtone. En fait, il privilégie une forme très particulière de prise en charge, c’est-à-dire la prise en charge par la parenté. Selon le projet de loi, cette approche prévaudra sur tout le reste.
Or, pour dire les choses franchement, la prise en charge par la parenté ne sert pas toujours l’intérêt supérieur de l’enfant. Quand cette méthode fonctionne bien, elle peut être extraordinaire; c’est la meilleure façon de perturber le moins possible la vie de l’enfant. C’est une chose qu’on peut comprendre intuitivement à partir de notre propre vie de famille.
(1840)
Pour être honnête, je crains qu’en faisant de la prise en charge par la parenté le modèle privilégié, celui pour lequel on opte automatiquement, on mette sans le vouloir certains enfants en danger.
La prise en charge par la parenté ne fonctionne que si les mécanismes de contrôle appropriés sont en place, si les personnes qui prennent l’enfant en charge font l’objet d’une vérification adéquate et reçoivent la formation et le soutien appropriés. J’ai trop souvent écrit à propos de cas où les enfants avaient été confiés à de la parenté parce que cela coûtait moins cher et était plus rapide que de trouver des parents d’accueil qualifiés et accrédités, Autochtones ou non, ou, encore, de cas où l’idéologie voulant qu’il faille à tout prix confier les enfants à des membres de la famille, dont leurs parents, avait coûté la vie à ces enfants.
J’ai vu des cas qui se sont soldés par de la négligence ou des mauvais traitements épouvantables et même la mort, et ce, parce que les membres de la famille à qui ont avait confié l’enfant n’avaient pas fait l’objet d’une vérification des antécédents adéquate ou n’avaient pas obtenu les ressources nécessaires. J’ai aussi vu des cas où les enfants placés auprès d’un membre de la famille étaient morts parce que les travailleurs sociaux n’avaient pas fait de suivi ou étaient même allés jusqu’à fermer le dossier et à cesser de s’occuper de l’enfant.
Cela ne signifie pas que la prise en charge par la parenté ne peut pas fonctionner. En fait, si les membres de la famille qui s’occupent des enfants sont bien préparés et qu’ils obtiennent le soutien constant dont ils ont besoin, ce peut être la meilleure solution, un paradigme de soins qui préserve l’unité des familles et permet aux enfants de garder contact avec leurs parents et leurs racines. Cela peut réduire l’aliénation sociale et culturelle et donner aux enfants une stabilité affective dont ils ont désespérément besoin.
Il est essentiel que les membres de la famille reçoivent un appui réel, solide et constant. Je demande donc aux membres du comité de tenir compte du fait que considérer automatiquement la prise en charge par la parenté comme le modèle à privilégier peut parfois être une question de vie ou de mort. À cause des traumatismes intergénérationnels, il peut arriver qu’aucun membre de la famille de naissance d’un enfant ne soit en mesure de s’occuper de cet enfant comme il se doit.
Il arrive aussi parfois qu’un enfant se soit déjà attaché à la famille d’accueil où il a été placé, et que le retirer de cette famille le priverait du sentiment de sécurité que lui donne le fait de rester avec les seuls gardiens adultes dont il se souvienne, qu’il connaisse ou qu’il aime.
Je tiens à être très claire. Je serais bien la dernière personne à vanter les mérites d’un modèle qui arrache des enfants autochtones de leur réserve, de leur établissement métis ou de leur voisinage pour les placer dans des familles d’accueil ou des foyers collectifs non autochtones. J’ai couvert des cas horribles d’enfants qui sont morts après avoir été pris en charge par la parenté ou après avoir été remis à leurs parents. Toutefois, j’ai aussi couvert de nombreux cas d’enfants qui sont morts entre les mains de parents nourriciers, dont un bon nombre n’avaient pas convenablement fait l’objet d’une vérification, d’une formation, d’un soutien ou d’une surveillance.
Comme je l’ai dit, le système actuel est défectueux au point de causer des décès. Il faut mettre en place un meilleur modèle de prise en charge des enfants à risque et d’aide destinée aux familles autochtones.
[Français]
Je souscris de tout cœur au fait qu’il faut donner aux collectivités autochtones les droits fondamentaux qu’elles n’auraient jamais dû perdre, à savoir leur droit de diriger leur propre système de protection de l’enfance et de prendre soin des leurs.
Ces droits auraient dû être restitués depuis au moins un siècle. Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il nous faut des cadres et des efforts pour qu’une telle autonomie gouvernementale soit possible, mais assurons-nous que les communautés autochtones, métisses et inuites disposent des ressources dont elles ont besoin pour garantir que cette autonomie gouvernementale fonctionne.
[Traduction]
Permettez-moi de revenir à la métaphore de la charpente. Quand on installe les barres d’armature d’une maison en construction, il faut qu’elles reposent sur des fondations solides. On ne peut pas avoir recours à des matériaux de mauvaise qualité pour économiser de l’argent.
Il faut construire cette charpente convenablement. Veillons à ce que l’intérêt supérieur des enfants passe vraiment avant les querelles de compétence des politiciens et des organismes gouvernementaux. Faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour donner à la prochaine génération le départ dont elle a besoin. Faisons-le au nom de Korvette Crier, de J’lyn Cardinal, de Traezlin Starlight, de Shalaina Arcand, de Serenity R., de Caleb Merchant et de Jay Johnson, ainsi que des centaines d’autres enfants autochtones qui sont morts à cause du statu quo et des soins déficients qu’ils ont reçus. Je vous remercie.
L’honorable Mary Jane McCallum : L’une des principales préoccupations que l’Assemblée des chefs du Manitoba et moi avons au sujet de ce projet de loi, c’est qu’il ne prévoit aucune relation avec la province. J’ai rencontré les chefs en fin de semaine et j’ai vu tous les enfants qu’ils ont ramenés dans leur famille.
Pouvez-vous garantir que le projet de loi obligera la province à confier les programmes aux Premières Nations et à leur fournir les fonds nécessaires? Comme vous le savez, dans le cas contraire, les enfants des Premières Nations, des Métis et des Inuits seront en péril.
Lorsque nous examinons les ressources nécessaires pour appliquer les programmes, il est question des ressources humaines et du financement. Il est question du lien de parenté. Il est question des logements et des personnes qui vivent dans ces régions urbaines.
Je suis très préoccupée par ce projet de loi. Je veux juste que l’on réponde à certaines des questions que nous posons sans cesse au député, mais qui demeurent sans réponse. Je ne comprends pas la réponse qu’il a donnée. Ce n’en est pas une.
La sénatrice Simons : Je remercie la sénatrice de sa question. Je suis très heureuse que vous l’ayez posée parce que je partage bon nombre de ces préoccupations.
Je ne suis pas la marraine du projet de loi. Je prends la parole à ce sujet pour soulever certaines des préoccupations que vous soulevez. Cette mesure doit fonctionner de façon à ce que toutes les administrations collaborent — les gouvernements fédéral et provinciaux, les Premières Nations et d’autres organismes autochtones. Autrement, elle dégénérera en querelles de compétences. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que, si on ne prévoit pas d’enveloppe budgétaire, il s’agit d’un cadre vide.
Je ne peux pas me porter à la défense du projet de loi. Je suis vraiment ravie que vous ayez posé cette question parce que j’estime qu’il fallait vraiment la poser et qu’il faut y répondre.
L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à reconnaître que nous sommes sur les terres non cédées des Algonquins anishinabes.
Pour comprendre cette mesure législative nécessaire, il faut d’abord comprendre que nous sommes tous visés par les traités.
Ce qui a mené le Sénat à l’étude du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, est directement attribuable à la négligence des droits issus de traités, aux promesses non tenues et aux violations des droits des enfants autochtones.
Je suis un Métis cri du territoire visé par le Traité no 4 et des terres ancestrales des Métis de la Saskatchewan. Le 14 septembre 1874, au cours des négociations du Traité no 4, le chef Kamooses a posé une question prophétique au représentant du gouvernement, le lieutenant-gouverneur du Manitoba, Alexander Morris.
M. Kamooses a posé la question suivante à M. Morris :
Est-il vrai que mon enfant n’aura pas d’ennuis à cause de ce que vous lui apportez?
M. Morris lui a répondu ceci :
Il sera protégé par la Reine.
Cette discussion était autant éclairée qu’effrayante. De toute évidence, M. Kamooses et tous les dirigeants présents lors de ces négociations savaient que le traité pourrait avoir des effets négatifs sur leurs enfants.
Chers collègues, que devrions-nous retirer de la question de M. Kamooses?
Il y a plus d’un siècle, nos aînés savaient que les traités pouvaient aller à l’encontre de l’intérêt de leurs enfants et de leur famille. Pourtant, ils ont accepté de bonne foi les garanties de la Couronne.
Il ne faudra que deux ans après la signature du traité no 4 pour que la question du chef Kamooses obtienne sa réponse, lorsque le gouvernement fédéral adoptera l’Acte des Sauvages, en 1876.
L’Acte des Sauvages, qui est devenu la Loi sur les Indiens, était et est toujours un cadre explicitement conçu pour séparer les enfants de leur famille afin de commettre un génocide culturel, que l’on appelle « assimilation » pour être politiquement correct.
Cette loi y est parvenue de plusieurs façons. Je vais parler particulièrement de la discrimination fondée sur le sexe au titre de l’article 6.1.
Au titre de cet article, une femme des Premières Nations qui quittait la réserve et qui épousait un homme non inscrit ou non soumis au régime d’un traité perdait automatiquement son statut, une perte qui s’appliquait également à ses enfants. Par conséquent, ses enfants et elle n’étaient plus considérés comme des membres de leur communauté autochtone.
Cela signifie que des femmes qui avaient grandi dans une réserve avec leur mère, leur père, leurs frères, leurs sœurs, leurs cousins et cousines, leurs oncles, leurs tantes et leurs aînés ne jouissaient plus des droits inhérents issus des traités de leur communauté, sans compter qu’il en allait de même pour leurs enfants et les générations suivantes.
(1850)
La Couronne a agi ainsi pour séparer délibérément les familles afin que les enfants ne puissent pas connaître leur patrimoine culturel de même que leurs droits protégés par des traités, garants d’une relation de nation à nation.
Lors du débat sur le projet de loi S-3, en juin 2017, un projet de loi qui visait à supprimer la discrimination sexuelle qui était présente dans la Loi sur les Indiens, la sénatrice Dyck a résumé ainsi les conséquences de l’article 6.1 :
Les femmes non inscrites et leurs enfants étaient obligés — et le sont encore aujourd’hui — de quitter leur communauté.
Honorables sénateurs, l’histoire ne se termine pas avec la présentation de l’Acte des Sauvages, puisque d’autres efforts ont été faits pour séparer les enfants de leur famille à l’arrivée des pensionnats, dans les années 1870. Sir John A. Macdonald a déclaré que le but des pensionnats était de séparer délibérément les enfants de leur famille, culturellement, émotionnellement et physiquement. C’était assez évident lorsqu’il a dit :
Lorsque l’école est dans une réserve, l’enfant vit avec ses parents, qui sont des sauvages [...] et bien qu’il puisse apprendre à lire et à écrire, ses habitudes, son développement et sa façon de penser sont indiens [...] On m’a fortement recommandé, en tant que chef de ce département, que les enfants indiens [soient] retirés le plus rapidement possible de l’influence parentale [...]
Honorables collègues, les pensionnats indiens étaient obligatoires en 1969. En 1996, le dernier a été fermé. Leur seul but était d’opérer un génocide culturel, en ciblant environ 150 000 enfants des Premières Nations, métis et inuits. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
En 1959, l’ajout de l’article 88 à la Loi sur les Indiens a donné aux provinces la capacité législative d’assumer la responsabilité de tous les domaines qui n’étaient pas visés par des traités, y compris la protection de l’enfance au sein des communautés autochtones. Cela a permis aux provinces de s’insinuer directement dans la relation entre les Autochtones du Canada et la Couronne, ce qui a donné lieu à ce que nous appelons maintenant la rafle des années 1960.
Les résultats de l’ajout de l’article 88 sont troublants parce que les provinces ont eu l’occasion de contribuer au génocide et d’en accélérer le déroulement. Elles ont obtenu le pouvoir de retirer et de séparer les enfants de leur famille. Par conséquent, il y a encore aujourd’hui des Canadiens autochtones qui ne savent pas qui étaient leurs parents ni qui sont leurs frères et sœurs ou tout autre membre de leur famille, et certains de ceux qui ont été enlevés à leurs proches continuent de chercher la famille qu’ils ont perdue.
En 1959, les jeunes Autochtones représentaient 1 p. 100 des jeunes placés sous la responsabilité du système de protection de la jeunesse. Cette proportion a toutefois grimpé en flèche pour atteindre 30 ou 40 p. 100, selon les estimations, à peine 10 ans plus tard, à la fin des années 1960. On estime que près de 20 000 jeunes auraient été retirés de leur famille.
La plupart des provinces se sont fondées sur leurs lois en matière d’enfance et d’assistance sociale pour justifier le retrait de milliers d’enfants de leur famille. Par ailleurs, en 1967, la Saskatchewan a mis en œuvre un programme d’adoption de Métis et d’Indiens, l’un des rares à avoir expressément pour objectif de retirer les enfants métis et des Premières Nations de leur famille et de les placer en foyer d’accueil en attendant qu’ils soient adoptés au Canada.
Le gouvernement de la Saskatchewan offrait des incitatifs aux travailleurs du programme. Un article de la CBC publié le 20 mars 2018 montre des exemples de publicités à propos d’enfants métis et des Premières Nations. De plus, dans une note de service datée du 25 septembre 1973, le directeur du programme indique à une superviseure de North Battleford qu’elle a été proposée pour le titre de « meilleure vendeuse de l’année », puisqu’elle a réussi à retirer de leur famille un nombre remarquable d’enfants métis et des Premières Nations.
Le programme d’adoption de Métis et d’Indiens a été efficace dans l’atteinte de ses objectifs. Selon le gouvernement, les résultats étaient tels que, en 1969, les enfants autochtones représentaient 41,9 p. 100 des enfants en foyer d’accueil en Saskatchewan, alors que la population de la province ne comptait que 7,5 p. 100 d’Autochtones. Ces chiffres n’ont pas beaucoup changé depuis : 52 p. 100 des enfants en foyer d’accueil au pays sont Autochtones, alors que les enfants des Premières Nations et des peuples métis et inuit représentent 8 p. 100 de la population canadienne.
Le projet de loi C-92 a été présenté à un moment de notre histoire où on a promis aux communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits que la relation changerait. Or, la proportion d’enfants appréhendés demeure trop élevée et inacceptable.
Le projet de loi répond à la recommandation 1(ii) de la Commission de vérité et réconciliation, qui demande au gouvernement fédéral de voir à :
[...] l’affectation de ressources suffisantes pour permettre aux collectivités autochtones et aux organismes de protection de l’enfance de garder les familles autochtones ensemble, dans les cas où il est sécuritaire de le faire, et de garder les enfants dans des environnements adaptés à leur culture, quel que soit l’endroit où ils habitent.
Le projet de loi C-92 donne suite également à la recommandation 4(i) de la Commission de vérité et réconciliation, qui demande que le gouvernement fédéral :
confirm[e] le droit des gouvernements autochtones d’établir et de maintenir en place leurs propres organismes de protection de l’enfance.
Je partage les préoccupations énoncées dans le 17e rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, y compris les problèmes déjà mentionnés, notamment que le projet de loi ne prévoit pas de dispositif de financement.
Le gouvernement fédéral a plutôt décidé de prendre l’engagement suivant, dans le préambule du projet de loi C-92 :
[...] que le gouvernement du Canada reconnaît la demande constante d’obtention d’un financement des services à l’enfance et à la famille qui soit prévisible, stable, durable, fondé sur les besoins et conforme au principe de l’égalité réelle afin d’atteindre des résultats qui sont positifs à long terme pour les enfants, les familles et les collectivités autochtones [...]
Cependant, l’histoire nous apprend que les Autochtones du pays et leurs enfants ont failli disparaître parce qu’ils ont cru à la parole du gouvernement fédéral. Les communautés ne veulent pas une reconnaissance, mais des gestes et des engagements financiers concrets.
Honorables collègues, notre système a encore des lacunes. Il continue de cibler délibérément nos enfants, et il faudra des efforts soutenus pour que les Autochtones du pays jouissent des mêmes droits que les non-Autochtones.
Il a fallu plus d’un siècle pour bâtir ce système qui a servi à priver les peuples autochtones du Canada de leurs droits. Cette aliénation durera jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de volonté politique pour abolir la Loi sur les Indiens et que le gouvernement fédéral joue son rôle de représentant de la Couronne et honore ses obligations au titre des traités qu’il a conclus.
Ne nous y trompons pas : les Premières Nations, les Métis et les Inuits sont résilients. Par le passé, des gouvernements et des décideurs ont tenté de faire disparaître notre culture, nos coutumes, nos croyances et nos langues, d’effacer notre histoire et de nous empêcher de transmettre nos récits et nos enseignements d’une génération à l’autre. Ils y sont parvenus en partie, mais seulement en partie. Il y a eu des changements positifs et des efforts pour redresser les torts. J’ai été témoin personnellement de tout le pouvoir de la création de son propre cadre pour atteindre l’autonomie gouvernementale et l’indépendance économique, sans parler des grands progrès faits par de nombreuses communautés.
Les Canadiens inuits, métis et des Premières Nations sont industrieux lorsqu’on élimine les obstacles et qu’on leur donne la chance de prendre en main leur propre destinée. Nos enfants représentent notre avenir. Ils apprennent non seulement les enseignements et les arts traditionnels, mais ils profitent également de l’éducation, de la formation et des habiletés du monde contemporain. Ils pourront ainsi participer activement à l’économie de la société majoritaire, apporter de précieuses contributions à l’économie canadienne et passer de la dépendance à l’autosuffisance.
(1900)
Honorables collègues, le projet de loi C-92 est un pas dans la bonne direction pour éliminer les obstacles qu’affrontent quelque 40 000 enfants qui sont placés auprès des services d’aide à l’enfance ou dans des familles d’accueil non autochtones, en leur permettant de réintégrer leur communauté. Ils auront ainsi la chance de développer leur plein potentiel et d’apporter leurs précieuses contributions au Canada.
Honorables sénateurs, je vous prie de vous joindre à moi pour appuyer cette mesure législative. Merci.
Son Honneur le Président : Le sénateur Patterson a la parole.
L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Je suis le porte-parole pour le projet de loi, je vais donc faire ressortir les éléments qui devraient faire l’objet d’un amendement, mais je tiens tout d’abord à dire que je souscris au principe de cet important projet de loi.
Lors de l’étude du projet de loi, j’ai été très impressionné par l’avis juridique qui a été formulé au sujet du projet de loi C-92 par Mary Ellen Turpel-Lafond, de l’Assemblée des Premières Nations. Elle est une éminente avocate spécialisée dans les droits des Autochtones qui a été la représentante de la Colombie-Britannique pour l’enfance et la jeunesse. Elle a dit que le projet de loi C-92 modifiera les services à l’enfance en reconnaissant la nécessité d’accorder une place aux lois, aux politiques et aux pratiques des Premières Nations. Les Premières Nations seront libres de déterminer si elles souhaitent se charger du champ de compétence de l’enfance et de la famille. Si c’est le cas, les lois et les règles provinciales ne seront plus les seules qui s’appliquent à leurs enfants et à leur famille au Canada. Ainsi viendra une reconnaissance des lois des Premières Nations, de leurs pratiques et d’un système bien rodé pour les enfants et les familles qui évoluera au fil du temps.
Il s’agit d’un bel objectif louable.
Comme le fait également remarquer Mme Turpel-Lafond, le projet de loi C-92 fait un pas de plus vers la compétence des Premières Nations en prévoyant qu’une Première Nation a l’option de demander un accord de coordination avec le gouvernement fédéral ou provincial. Si, après les efforts raisonnables attendus, et peut-être l’exécution d’un mécanisme de résolution des différends qui est en place, il n’y a pas d’accord, les lois de la Première Nation auront préséance sur les lois provinciales ou fédérales après 12 mois. C’est sans précédent dans un projet de loi fédéral, indique Mme Turpel-Lafond.
En ce sens, le projet de loi C-92 fournit une voie vers le changement, en laissant les Premières Nations prendre les devants, si elles le veulent. L’examen quinquennal prévu dans le projet de loi constituera une occasion importante de voir comment cette option fonctionne réellement et si les cadres réglementaire, stratégique et financier appropriés ont été mis en place pour atteindre les nobles objectifs énoncés dans le préambule.
Les Premières Nations qui souhaitent exercer leur droit de gouverner en ce qui a trait au bien-être de leurs enfants devront être bien prêtes à relever le défi, notamment les défis opérationnels de la gouvernance, dont le renforcement des capacités, les structures organisationnelles et les systèmes.
Nous connaissons tous les graves problèmes qui existent en matière de services d’aide à l’enfance autochtone au Canada. Jeudi dernier, la sénatrice LaBoucane-Benson a fait un discours poignant sur les raisons qui font que nous avons besoin de ce projet de loi. Elle a parlé des pensionnats autochtones au Canada et des politiques colonialistes discriminatoires qui ont fait que de nombreux enfants ont été séparés de leur famille autochtone et assimilés de force, perdant ainsi leur sentiment d’appartenance à leur culture et la connexion avec leurs racines.
La sénatrice a parlé avec éloquence de l’effet perturbateur que ces mesures ont eu sur les enfants et sur leur avenir et de la souffrance qu’elles leur ont causée, et elle a donné l’espoir que ce projet de loi allait peut-être permettre de changer l’image dévastatrice d’isolement, de désespoir, d’impuissance, de découragement et de honte qui est associée à leur identité autochtone du fait des politiques sociales défaillantes des gouvernements provinciaux et fédéral au fil de nombreuses générations.
La semaine dernière, le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été rendu public. Il a permis de révéler plus en détail les liens qui existent entre certaines des lacunes des systèmes de services d’aide à l’enfance et la violence à l’endroit des femmes et des filles autochtones.
Pour reprendre les propos de Katherine Whitecloud, mère, grand-mère, leader communautaire et gardienne du savoir de la nation Wipazoka Wakpa Dakota :
Il existe une corrélation directe entre toutes les conséquences des politiques de gouvernements antérieurs — les pensionnats, la rafle des années 1960, l’aide à l’enfance — et les conséquences d’autres politiques gouvernementales qui ont arraché nos enfants à nos communautés et à nos familles. Les femmes et les filles, en particulier, ont été directement touchées. Elles ont souffert, elles ont été portées disparues et/ou assassinées à cause de ce qu’elles ont vécu notamment comme parents dans le cadre de toutes les politiques que j’ai mentionnées.
Selon Cindy Blackstock, directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, de 1989 à 2012, les jeunes des Premières Nations ainsi que les jeunes Métis et Inuits ont passé plus de 66 millions de nuits au sein des services de protection de la jeunesse, soit l’équivalent de 187 000 ans.
Les problèmes associés aux services de protection de la jeunesse ne sont pas chose du passé, car certains enfants autochtones continuent d’en pâtir aujourd’hui. Les enfants autochtones sont toujours largement surreprésentés dans le système de protection de la jeunesse. Certains intervenants l’ont signalé, mais on ne saurait trop insister sur ce fait. Selon Statistique Canada, en 2016, les jeunes autochtones représentaient environ 8 p. 100 de tous les enfants de 4 ans et moins au Canada. Ils constituaient par contre plus de la moitié des enfants de ce groupe d’âge en foyer d’accueil, 51,2 p. 100 précisément. Il y a aujourd’hui plus d’enfants autochtones pris en charge par les services de protection de la jeunesse qu’à l’apogée des pensionnats.
Le fait d’être arrachés à leur foyer, à leurs parents et à leur famille et d’être pris en charge par l’État n’est pas le seul drame que vivent les enfants autochtones. Nombreux sont ceux qui, du même coup, perdent tout lien avec leur famille, leur culture et leur communauté.
Le projet de loi C-92 constitue un pas important dans la bonne direction. J’appuie l’objectif premier d’un projet de loi qui reconnaît et affirme le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, y compris le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale qui comprend la compétence relative aux services à l’enfance et à la famille.
Le projet de loi peut permettre d’améliorer la façon dont les services à l’enfance et à la famille sont fournis aux peuples autochtones et de réduire le nombre d’enfants arrachés à leur famille et à leur communauté que l’on place dans des familles non autochtones.
Je suis d’accord que le projet de loi et les principes qu’il tente de promouvoir sont dans l’intérêt de l’enfant. Nous espérons que son adoption permettra d’appliquer ces principes afin que les enfants et les familles autochtones soient traités avec dignité et que leurs droits soient respectés.
(1910)
Cela dit, le projet de loi C-92 pourrait et devrait être renforcé. J’ai été heureux d’appuyer une étude préalable de cette importante mesure législative au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones pour nous préparer à la recevoir et à la traiter en temps voulu lorsqu’elle arriverait au Sénat.
Or, au cours de l’étude préalable, on a souligné des lacunes importantes dans ce projet de loi, lacunes qui n’ont pas encore été corrigées. Le comité a eu le privilège d’entendre plus de 30 témoins et a reçu de nombreux mémoires détaillés sur le projet de loi C-92. Les opinions de ces témoins sont importantes et devraient être prises en compte.
Dans un esprit de collaboration et dans le but de veiller au bien-être et à la santé des enfants autochtones, j’invite le gouvernement à tenir compte des préoccupations qui ont été soulevées et à accepter ou à apporter des amendements appropriés au projet de loi.
Le premier point que je tiens à soulever est le fait qu’il n’y a pas dans le projet de loi de principes touchant le financement. De nombreux témoins ont mentionné que le projet de loi C-92 ne prévoit aucun financement garanti pour permettre aux Premières Nations d’assumer cette compétence.
Voici ce qu’on peut lire dans le mémoire présenté par l’organisme Carrier Sekani Family Services le 8 avril dernier :
Pour le moment, le projet de loi C-92 ne contient aucune disposition de fond concernant (i) le mécanisme ou (ii) le niveau de financement à prévoir. Cela est très inquiétant, car, selon le libellé actuel, une collectivité autochtone pourrait fort bien obtenir compétence sur les services aux enfants et aux familles en application des articles 20 et 21 du projet de loi, mais sans obtenir l’aide financière nécessaire pour exercer cette compétence. Même s’il est vrai que le projet de loi C-92 prévoit des « arrangements fiscaux » associés à des accords de coordination négociés, rien n’oblige les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à financer les services aux enfants et aux familles dispensés par un organisme dirigeant autochtone à ses membres ou à un niveau en particulier.
Bon nombre de témoins ont déclaré que sans financement, les collectivités autochtones n’auront pas l’assurance de pouvoir exercer pleinement leur compétence. Ils craignent donc que rien ne change pour les familles et les enfants autochtones.
Comme il est écrit dans le rapport d’étude préalable du Sénat, le projet de loi doit comprendre un engagement de financement :
[...] au-delà de la mention à cet égard dans le préambule et la mention des arrangements fiscaux qui pourraient s’inscrire dans un accord de coordination.
Chers collègues, nous avons connu le même problème avec le projet de loi C-91, qui portait sur les langues autochtones. Dans ce cas également, il n’y avait pas d’engagement financier obligatoire. Comme avec le projet de loi actuellement à l’étude, le financement était inclus comme objectif, mais il n’y avait pas d’engagement ou de plan à cet égard. Nous avons demandé au gouvernement de joindre une recommandation royale au projet de loi afin que le ministre puisse obtenir de l’argent frais au lieu de devoir s’en tenir aux différentes enveloppes budgétaires existantes.
Puisque le Sénat ne semble pas en mesure de joindre une recommandation royale au projet de loi, il faut absolument y inscrire des principes rigoureux sur le plan du financement, comme de nombreux témoins l’ont demandé.
L’inclusion de principes pour encadrer le financement permettrait de fournir un financement prévisible, stable, durable, fondé sur les besoins et conforme au principe de l’égalité réelle. L’inclusion de ces principes est réclamée par les témoins que nous avons entendus.
Lorsqu’elle a témoigné devant le comité, le 9 avril 2019, Francyne Joe, présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, a dit ceci :
Faute de financement clair, stable et structuré, comme le prévoit la loi, les objectifs énoncés dans le préambule sont nuls et non avenus.
Beaucoup de communautés souffrent depuis longtemps d’un sous-financement chronique. On ne peut pas compter sur des promesses non écrites quand il s’agit de s’occuper des enfants et des familles. On doit se contenter de supposer que le gouvernement fédéral a bien l’intention d’aborder cette question dans les accords de contribution, mais ce n’est pas non plus précisé dans le projet de loi, de sorte qu’aucun représentant futur du gouvernement ne sera tenu de respecter cette intention.
Ce financement ne peut pas être structuré comme les accords de contribution parce que cela reviendrait à laisser aux gouvernements fédéral et provinciaux le contrôle de l’utilisation de cet argent par les corps dirigeants autochtones. Ce n’est pas cela, l’autonomie gouvernementale.
Le projet de loi C-92 prévoit clairement des structures de financement qui profiteront directement aux enfants, aux familles et aux communautés dans lesquelles ils résident, dans les réserves ou hors réserve, ou en milieu urbain, rural ou éloigné. Un financement stable favorise effectivement l’autonomie gouvernementale des Autochtones.
Des témoins ont dit au comité que le projet de loi C-92 devrait renvoyer explicitement au principe de Jordan. Le renvoi explicite à ce principe juridique confirmerait l’engagement du gouvernement de continuer à servir les enfants des Premières Nations, de veiller à ce qu’il n’y ait aucune lacune dans les services gouvernementaux et d’empêcher que les conflits de compétence deviennent un obstacle à la prestation des services et des mesures de soutien dont les enfants ont besoin. Qui plus est, le renvoi explicite au principe de Jordan insisterait sur le fait que les enfants des Premières Nations peuvent avoir besoin de services qui vont au-delà de la norme habituelle de soins afin que l’on puisse atteindre réellement l’égalité.
Voici ce qu’a déclaré Jennifer Cox, une avocate mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse qui possède une vaste expérience dans le domaine des services à l’enfance et à la famille :
Le principe de Jordan a été un énorme soulagement pour nos collectivités et a grandement changé les choses pour ce qui est de la mise sur pied de services, la capacité d’offrir des services de prévention et de placement. C’est une grosse affaire. On devrait le mentionner précisément, et pas juste y faire allusion.
L’inclusion d’un renvoi explicite au principe de Jordan serait conforme à l’appel à l’action no 3 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada :
Nous demandons à tous les ordres de gouvernement de voir à la pleine mise en œuvre du principe de Jordan.
Une autre préoccupation que nous avons entendue, c’est que la définition des services à l’enfance et à la famille dans le projet de loi est très étroite. Les lois provinciales et territoriales qui régissent actuellement la question comprennent des définitions variables et souvent vagues des services d’aide à l’enfance et à la famille. Comme l’a souligné le mémoire présenté par les Carrier Sekani Family Services, l’absence d’une définition claire de la gamme de services offerts pourrait limiter les types de services sur lesquels les Premières nations décident d’exercer leur compétence et entraîner des retards et des refus de services essentiels aux enfants et aux familles autochtones. On y lit ceci :
[...] le projet de loi C-92 est muet au sujet des services de tutelle pour les enfants pris en charge, des soins après la majorité et de l’adoption (y compris l’adoption selon les coutumes autochtones). [...] il est essentiel de protéger la gamme de services qu’une Première Nation peut décider d’inclure dans son programme de services aux enfants et aux familles. Bref, l’exclusion de ces services crée une plus grande incertitude aux chapitres de la compétence et du financement pour les Premières Nations qui désirent adopter des lois.
La professeure Blackstock, qui est très respectée dans ce domaine, a fait valoir en outre que la définition des services à l’enfance et à la famille, selon la coutume ou autrement, n’inclut pas les soins après la majorité, la tutelle ou l’adoption. Elle conclut en ces termes :
Comment pouvons-nous prévenir la tragédie de la rafle des années 1960 si les Premières Nations n’ont aucune compétence en matière d’adoption? Cela n’a aucun sens.
(1920)
Les témoignages répétés sur le même sujet enlèvent toute ambiguïté. Il faut modifier et élargir la définition des services à l’enfance et à la famille.
Selon le mémoire soumis par Jason LeBlanc, directeur exécutif de la Tungasuvvingat Inuit :
Certains termes ne sont pas définis, comme « enfant » ou « parent(s) », ainsi que les types de mauvais traitements entraînant l’intervention non volontaire des services à l’enfance et à la famille, les soins à la majorité, de même que des éléments clés comme la continuité culturelle et l’égalité réelle. Les définitions de cet article sont toutes vagues et ambiguës, ce qui laisse les différents points, le projet de loi lui-même et toutes les questions complémentaires ouverts à l’interprétation des personnes ou des organismes. Cette imprécision n’offre pas de garanties et dilue le caractère particulier des diverses cultures autochtones. Plus important encore, la version actuelle du projet de loi occulte les Inuits vivant hors de Nunangat aux yeux des Canadiens.
Le projet de loi n’indique pas clairement quel sera le tribunal qui interprétera ces principes et déterminera si les lois autochtones y sont compatibles. Cela signifie que, probablement, les divergences entre les lois inuites et la législation provinciale/territoriale et fédérale seront réglées par les tribunaux canadiens, qui reflètent les perceptions occidentales sur la base desquelles ils ont été créés.
L’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse a trouvé que la définition de « fournisseurs de soins » présente un grave problème qu’elle caractérise en ces termes dans son mémoire :
Dans le libellé actuel du projet de loi C-92, la définition de « fournisseur de soins » pourrait finir par permettre à des parents d’accueil non autochtones de devenir parties à une procédure en vertu de l’article 13, ce qui risque de retarder ou de compliquer davantage les instances. Nous ne croyons pas que cette définition a ce sens.
La clarté des définitions est importante. Nous devons veiller à ce que la gamme de services fournis et les définitions soient claires. Nous devons veiller à ce qu’il n’y ait aucune incertitude quant au champ de compétence et au financement qui résulterait d’un libellé qui n’est pas clair.
En ce qui concerne le champ de compétence, certains témoins ont dit craindre que ce projet de loi empiète sur les champs de compétence provinciaux ou territoriaux.
À cet égard, j’ai une mention spéciale pour le gouvernement du Nunavut. Je sais qu’il y a certainement eu des critiques des gouvernements provinciaux lors de l’examen de ce projet de loi. Ce projet de loi part du principe que les gouvernements des Premières Nations devraient avoir le droit d’adopter leurs propres lois et, en gros, d’usurper les lois provinciales si des efforts raisonnables ne mènent pas à un accord de coordination.
Ne mettons pas dans le même panier le Nunavut et les gouvernements provinciaux. Le gouvernement du Nunavut est issu de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, comme il est indiqué à l’article 4 de cet accord protégé par la Constitution.
Le gouvernement du Nunavut, gouvernement public, représente une population composée à 86 p. 100 d’Inuits. Une grande partie des députés territoriaux et des ministres sont Inuits, tout comme la ministre des Services à l’enfance et à la famille.
Rien n’indique que la Nunavut Tunngavik, la grande organisation inuite active au Nunavut, souhaite prendre la responsabilité de ce dossier.
Par ailleurs, le gouvernement du Nunavut a élaboré avec soin une Loi sur les services à l’enfance et à la famille qui reflète, selon moi, les particularités démographiques et le contexte du territoire.
Tout cela n’est pas une tâche facile, notamment parce que le Nunavut est aux prises avec beaucoup d’indicateurs sociaux et d’indicateurs de santé qui sont négatifs.
Le gouvernement du Nunavut déploie des efforts considérables afin de former et d’embaucher des travailleurs sociaux inuits, mais c’est tout un défi étant donné l’étendue des liens familiaux qui unissent notre population peu nombreuse. Dans le contexte du projet de loi C-92, l’enjeu consiste à protéger la compétence du gouvernement du Nunavut. En effet, certaines dispositions de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille du Nunavut vont au-delà des normes minimales prévues par le projet de loi C-92.
Je dirais, en fait, qu’elles « semblent » aller au-delà de ces normes, puisqu’on ne sait pas avec certitude si le projet de loi établit effectivement des normes minimales. S’il le fait, il faudra voir comment procéder lorsque des normes provinciales ou territoriales vont au-delà des critères prévus dans le projet de loi.
L’honorable Elisapee Sheutiapik, ministre des Services à la famille et leader du gouvernement à la Chambre pour le gouvernement du Nunavut, a témoigné devant le comité le 30 avril dernier. Elle a exprimé la crainte que le projet de loi C-92 saperait les efforts investis pour créer méticuleusement des lois spécifiquement adaptées au Nunavut.
Au cours de son témoignage devant le comité, elle a expliqué :
[...] lorsqu’il y a un conflit entre la Loi du Nunavut sur les services à l’enfance et à la famille et le projet de loi — même si le conflit découle du fait que les dispositions territoriales respectent ou dépassent ce qu’exige le projet de loi —, les dispositions de la loi du Nunavut seront remplacées par le projet de loi C-92. En effet, même si, dans le titre de l’article 4 du projet de loi, il est question de « normes minimales », le libellé de l’article 4 en tant que tel — une disposition qui a force exécutoire — n’en parle pas.
Je vais vous donner un exemple pour illustrer à quel point tout ça est problématique. Pensons au recours à des accords de planification des soins en vertu de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille. Ce sont des accords axés sur la collaboration entre les familles et le gouvernement qui visent à assurer la sécurité et le bien-être des enfants. Les dispositions de ces accords pourraient être en conflit avec la liste de priorités strictes en matière de placement du paragraphe 16(1) du projet de loi C-92. On pourrait faire valoir que l’approche axée sur la collaboration des accords de planification des soins est une bonne ou une meilleure méthode pour assurer l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, même si cette méthode respecte ou dépasse les normes minimales du projet de loi C-92, au bout du compte, les dispositions de placement du projet de loi C-92 pourraient l’emporter sur les accords de planification des soins prévus dans la Loi sur les services à l’enfance et à la famille.
Je crois qu’il serait utile d’apporter des amendements au projet de loi tel qu’il est actuellement rédigé pour répondre aux préoccupations de la ministre et éviter les problèmes liés aux compétences ou d’ordre constitutionnel.
De plus, sur la question des consultations avec les provinces, les territoires et les groupes autochtones, certains témoins ont tout à fait remis en question la validité des consultations avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et les groupes autochtones.
Selon le mémoire présenté au comité par l’organisme Chiefs of Ontario :
Le gouvernement fédéral prétend que le projet de loi C-92 a été « élaboré conjointement ». Nous ne sommes pas d’accord. Le projet de loi C-92 n’a pas été élaboré conjointement au vrai sens du terme.
L’étape initiale a été les « séances de mobilisation » organisées avec divers représentants des Premières Nations au cours de l’été et de l’automne 2018. Il s’agissait d’une piètre forme de consultation, ou à tout le moins d’une consultation de routine. Des observations générales ont été recueillies, mais le Canada a pris toutes les décisions finales.
L’étape de rédaction, de décembre 2018 à février 2019, s’est déroulée de façon exclusive, précipitée et secrète. Chiefs of Ontario a fait partie du groupe de travail législatif mis sur pied à ce moment par le gouvernement du Canada, mais a été exclu de l’étape de rédaction. Nos représentants ont eu la possibilité d’examiner et de commenter une ébauche, dans un laps de temps extrêmement court, en janvier dernier. Lorsque le projet de loi a ensuite été soumis le 28 février, nous avons constaté que nos commentaires avaient en grande partie été ignorés.
Si l’un ou l’autre des membres de nos Premières Nations prétendaient avoir « élaboré conjointement » un document avec le gouvernement de cette façon, le gouvernement serait assurément en désaccord.
L’expression « élaboré conjointement » laisse entendre un partenariat égal et un consentement. Avant d’utiliser un tel langage ou d’appuyer son utilisation, il est nécessaire de s’entendre sur le processus et ses résultats.
(1930)
C’est dommage que le gouvernement semble ne pas vraiment vouloir collaborer avec les groupes autochtones ni en écouter les représentants. Ce n’est pas la première fois que nous entendons ce genre de commentaire.
Honorables sénateurs, je suis également déçu que le gouvernement ait attendu aussi tard dans la session pour présenter ce projet de loi. La Chambre des communes a eu très peu de temps pour l’étudier avec toute la rigueur et l’attention qu’il aurait méritées. Le Comité des affaires autochtones et du Nord de l’autre endroit a eu à peine quelques semaines.
Les enfants autochtones du pays méritent mieux que cela, et un projet de loi aussi important n’aurait pas dû être présenté à la dernière minute. Comme le disait Cindy Blackstock :
[...] nous ne sommes pas ici pour avoir raison, mais pour faire ce qui s’impose.
Les enfants autochtones devraient avoir les mêmes droits et les mêmes chances de réussite que les autres enfants du Canada et ils devraient avoir accès aux mêmes services qu’eux.
Le projet de loi C-92 est important et il est très prometteur. J’espère que nous pourrons en faire encore plus pour les enfants autochtones en l’amendant et en l’améliorant. Je vous remercie.
L’honorable Lillian Eva Dyck : L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Patterson : Oui.
La sénatrice Dyck : Merci beaucoup de votre discours, sénateur Patterson. Vous vous êtes acquitté de votre tâche de porte-parole avec une grande rigueur. J’aimerais vous poser deux questions. La première porte sur le financement et la deuxième concerne l’Assemblée des chefs du Manitoba.
Vous avez beaucoup parlé du financement, mais le projet de loi n’en garantit aucun. Je me demande si vous parlez de la version initiale ou amendée du projet de loi.
Au départ, sous l’intertitre « Accord de coordination », on pouvait lire ceci dans le projet de loi :
[...] des arrangements fiscaux liés à un exercice efficace de la compétence législative [...]
Il s’agissait là des accords entre l’organisation ou le corps dirigeant autochtone et le gouvernement fédéral, ce qui était plutôt vague.
Cette partie a été modifiée ainsi à la Chambre des communes :
[...] des arrangements fiscaux concernant la fourniture de services à l’enfance et à la famille par le corps dirigeant autochtone qui soient durables, fondés sur les besoins et conformes au principe de l’égalité réelle afin d’atteindre des résultats qui sont positifs à long terme pour les enfants, les familles et les collectivités autochtones et de soutenir la capacité du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones d’exercer efficacement la compétence législative [...]
Ma question est la suivante : affirmez-vous que la version amendée demeure inadéquate?
Le sénateur Patterson : Il faut de solides principes en ce qui concerne le financement, comme l’ont demandé de nombreux témoins. Je pense que l’amendement dont vous parlez est une amélioration à cet égard.
La sénatrice Dyck : Ma deuxième question porte sur les préoccupations soulevées par l’Assemblée des chefs du Manitoba. Vous en avez peut-être parlé. J’ai peut-être manqué cette partie de votre intervention.
On nous a dit que l’Assemblée des chefs du Manitoba est très préoccupée par le fait qu’elle négociait avec la province du Manitoba depuis un certain temps sans avoir réussi ou bien à entrer en négociation elle, ou bien à parvenir à un accord. Le comité a recommandé qu’une disposition clarifie que, lorsqu’un corps dirigeant autochtone tente déjà de collaborer avec le gouvernement provincial ou territorial, cette période de négociation doit être prise en compte. Le corps dirigeant autochtone ne devrait pas avoir à recommencer du début et à attendre une autre année.
Proposez-vous un amendement qui remédierait aux préoccupations de l’Assemblée des chefs du Manitoba?
Le sénateur Patterson : Je remercie la sénatrice de la question. Oui, lorsque l’Assemblée des chefs du Manitoba a signalé le problème, nous avons tous convenu que, lorsqu’un corps dirigeant autochtone a déjà amorcé de bonne foi la négociation d’un accord et que celle-ci progresse bien, il faut en tenir compte dans le projet de loi, car il ne devrait pas avoir à tout recommencer.
Je n’en ai pas parlé dans mon discours, mais je crois qu’il faudra examiner la question au comité. J’irais même jusqu’à dire que les membres du comité étaient très réceptifs à la position que les chefs du Manitoba nous ont présentée.
Ils ont une longueur d’avance. Ils ont fait des progrès à l’égard d’un système mis au point et dirigé par les Autochtones conformément à un accord de bonne foi conclu avec le Canada. Ils ne doivent pas être désavantagés. Je suis d’accord. Nous devons tenter de corriger cela.
Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président : L’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, avec l’appui de l’honorable sénatrice Simons, propose que le projet de loi soit lu pour la deuxième fois.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)
Renvoi au comité
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion de la sénatrice LaBoucane-Benson, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.)
Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2019
Deuxième lecture
L’honorable Peter M. Boehm propose que le projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures, soit lu pour la deuxième fois.
—Honorables sénateurs, c’est un plaisir de prendre la parole au sujet du projet de loi C-97, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2019 et mettant en œuvre d’autres mesures.
Dans la préparation de mes commentaires, j’ai pu me servir des discours prononcés au sujet des autres projets de loi d’exécution du budget de la présente législature. Je vais paraphraser mon collègue le sénateur Pratte lors de son discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-86, le 4 décembre 2018 : c’est un long projet de loi, alors ce sera un long discours. Assoyez-vous confortablement.
Oui, il s’agit d’un projet de loi omnibus, mais, en raison de leur nature même, les projets de loi d’exécution du budget sont des projets de loi omnibus.
Honorables sénateurs, je vais commencer par affirmer que, bien honnêtement, il s’agit d’un bon projet de loi. Évidemment, c’est moi qui le parraine, alors personne ne sera surpris de m’entendre le dire, mais je crois sincèrement que c’est un budget solide. Il n’est pas parfait, mais aucun projet de loi ne l’est jamais.
Ma conviction est double, car, en plus d’être le parrain du projet de loi, je suis également membre du Comité des finances nationales, un des neuf comités sénatoriaux qui ont participé à l’étude préalable.
Lors de l’étude préalable menée par le Comité des finances nationales au sujet du projet de loi C-97, nous avons reçu des témoins de partout au sein du gouvernement ainsi que différents intervenants au cours des 12 réunions tenues avant même que le Sénat ne soit saisi du projet de loi, jeudi dernier. Bref, j’ai grandement réfléchi à ce projet de loi, comme beaucoup d’entre vous l’ont aussi fait j’en suis sûr.
[Français]
Le projet de loi C-97 comprend des mesures clés qui avaient été énoncées dans le plus récent budget du gouvernement. Celui-ci expose la prochaine phase de son plan en vue d’assurer la croissance de l’économie en investissant dans la classe moyenne, ce qui signifie qu’il accorde davantage de soutien à ceux qui en ont le plus besoin.
Un certain nombre d’éléments ont particulièrement retenu l’attention; par exemple, la Loi sur la réduction de la pauvreté, l’amélioration de la sécurité de la retraite pour les aînés, les mesures incitatives pour les acheteurs d’une première habitation, le soutien aux vétérans pendant leur transition vers la vie civile après le service militaire, l’Allocation canadienne pour la formation et les modifications apportées aux prêts étudiants, la partie du projet de loi qui s’intitule « Agir pour le climat » et les enjeux touchant les Autochtones, qui touchent aussi tous les Canadiens et les Canadiennes.
(1940)
Ce sont les thèmes sur lesquels je me pencherai au cours de cette allocution, mais j’aborderai également les dispositions qui se sont avérées plus controversées : l’officialisation de la création du ministère des Services aux Autochtones Canada et du ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada après la dissolution, en 2017, du ministère des Affaires autochtones et du Nord du Canada, les dispositions relatives au journalisme et les modifications proposées à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[Traduction]
Chers collègues, j’aimerais tout simplement expliquer pourquoi ce projet de loi mérite votre attention et votre soutien.
Premièrement, j’aimerais faire quelques observations sur une chose dont on parle toujours abondamment pendant une campagne électorale ou lorsqu’on présente un programme électoral ou un budget, surtout lorsque cette chose ne se réalise pas. Je parle évidemment de l’équilibre budgétaire.
Nous semblons toujours déchirés entre l’idée d’équilibrer le budget et celle de faire des déficits pour stimuler l’économie, comme si on ne pouvait pas atteindre un équilibre entre les deux. Ce n’est un secret pour personne que ce budget n’est pas équilibré. Il a beaucoup été question d’équilibre budgétaire depuis qu’on a promis, pendant la campagne électorale de 2015, d’atteindre cet équilibre avant la fin du mandat du gouvernement. Le gouvernement fédéral précédent a promis et tenté d’atteindre le même objectif pendant ses quelque 10 ans au pouvoir, mais une série de facteurs externes et internes lui ont rendu la tâche difficile.
Pensons, chers collègues, à la crise de la dette souveraine qui a ébranlé le monde entier, de 2008 à 2009. Depuis ce temps, nous avons vu les conséquences de la baisse des prix des produits de base et des changements soudains dans le système commercial mondial. Il y a toujours des pressions sur notre cadre financier. Le projet de loi C-97 propose des dépenses supplémentaires d’un peu moins de 23 milliards de dollars sur six ans. On propose d’assumer un déficit afin de pouvoir stimuler des secteurs de l’économie canadienne en ralentissement.
Honorables sénateurs, la décision du gouvernement de dépenser de l’argent dans ce budget et, par conséquent, de ne pas rétablir l’équilibre budgétaire a été prise par nécessité, et non parce que le gouvernement est un piètre gestionnaire ou qu’il est irresponsable.
Le gouvernement précédent a très habilement géré la crise financière mondiale de 2008-2009, ce dont j’ai été témoin et ce à quoi j’ai participé en collaborant avec la Banque centrale européenne, à Berlin. Ces questions ne sont pas faciles, surtout pas pour un pays comme le Canada. Comme le dit le vieil adage, « il faut dépenser de l’argent pour faire de l’argent ». Il ne s’agit pas de dépenser des fonds publics sur de gros articles luxueux. Il s’agit du besoin économique d’investir judicieusement dans l’avenir du Canada et la classe moyenne au lieu de rembourser la dette. Toutefois, il faut agir ainsi de façon responsable pour garantir que les générations futures bénéficient de services et d’un enseignement de calibre international aujourd’hui afin qu’elles puissent réussir demain.
En réalité, selon un certain nombre d’indicateurs importants, l’économie canadienne se porte bien. Elle continue à s’appuyer sur des assises solides, notamment une grande confiance chez les consommateurs et un marché du travail en pleine croissance. Depuis 2015, plus d’un million d’emplois ont été créés, et le taux de chômage national est à son niveau le plus bas depuis plus de 40 ans.
Évidemment, malgré les bonnes nouvelles à cet égard, il ne faut pas oublier qu’il y a des régions au pays qui ont souffert. Le taux de chômage national du Canada est actuellement de 5,7 p. 100. Toutefois, les quatre provinces de l’Atlantique ont depuis longtemps un taux de chômage supérieur à la moyenne. Cette situation s’explique en grande partie par la prédominance du travail saisonnier dans cette région et de l’existence d’emplois plus sûrs et mieux rémunérés dans d’autres régions du Canada.
Les travailleurs qualifiés du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve-et-Labrador sont tiraillés par ces réalités. Au cours des années passées, de nombreux Canadiens de l’Atlantique sont allés travailler dans l’Ouest, en particulier en Alberta, dans des emplois bien rémunérés du secteur de l’énergie de cette province. Ils ne le font plus autant qu’avant.
En effet, l’Alberta est aux prises avec un grave ralentissement économique. Le ralentissement a commencé en 2014 et il s’est aggravé en 2015 lorsque le prix du pétrole a chuté. Nous connaissons l’effet que cela a eu non seulement à l’échelle provinciale, mais aussi à l’échelle nationale. La Saskatchewan a également été touchée par la baisse des prix des produits de base, en particulier du pétrole et de l’uranium.
Par ailleurs, au-delà de l’aspect purement économique, la situation a des conséquences négatives sur les gens. En effet, vivre dans la précarité entraîne un stress qui nuit à la santé mentale.
Bien que le ralentissement économique ait pris fin en 2016 et que la situation ait commencé à s’améliorer, selon la plus récente enquête mensuelle sur la population active menée par Statistique Canada, l’Alberta a toujours un taux de chômage supérieur au taux national, soit 6,7 p. 100 en avril. Il s’agit d’une amélioration, quoique légère, par rapport au taux de mars. Espérons que la tendance se maintienne et qu’elle apporte un peu de répit à une province qui a longtemps été un moteur économique essentiel du Canada.
Malgré les difficultés que connaissent l’Alberta et le Canada atlantique, en particulier, ainsi que la Saskatchewan, l’économie canadienne dans son ensemble est forte.
[Français]
Notre réussite est aussi reconnue au-delà de nos frontières : l’Organisation de coopération et de développement économiques, et le Fonds monétaire international s’attendent à ce que le Canada se classe au deuxième rang des pays du G7, après les États-Unis, en ce qui a trait à la moyenne de cette année et de l’année prochaine au chapitre de la croissance économique.
En tant qu’ancien d’ambassadeur de l’un de nos plus proches alliés du G7, l’Allemagne, et étant donné que j’ai occupé le poste de sous-ministre à quelques reprises, notamment l’an dernier, à l’occasion du Sommet du G7 de Charlevoix, je ne puis qu’insister sur l’importance de cette statistique. Concrètement, cela signifie que le ratio de la dette fédérale par rapport au PIB, soit notre dette par rapport à notre économie, suit non seulement une courbe descendante, mais est aussi en bonne voie d’atteindre son plus bas niveau en près de 40 ans.
Chers collègues, ces données ne retiennent pas suffisamment l’attention au pays. Je peux vous assurer cependant qu’il s’agit d’un fait impressionnant qui fait l’envie de nos nombreux alliés parmi les pays développés, car un ratio dette-PIB peu élevé est un indicateur crucial de santé financière.
[Traduction]
Dans le même ordre d’idées, le ratio du déficit par rapport au PIB devrait atteindre 0,4 p. 100, son niveau le plus bas, d’ici 2023-2024. Par contre, aux États-Unis, l’un de nos partenaires du G7, le ratio déficit-PIB du gouvernement fédéral s’élevait à 3,9 p. 100 lors du dernier exercice financier, et il pourrait atteindre près de 5 p. 100 au cours des prochaines années.
Un autre fait important à souligner est que le Canada est le seul pays du G7 qui a conclu des accords de libre-échange avec tous ses partenaires du G7. Une fois que le nouvel ALENA — ou Accord Canada—États-Unis—Mexique comme nous l’appelons maintenant — sera adopté au Parlement, nous serons dans une position encore meilleure. Je reviendrai sur ce point, chers collègues.
Le budget de 2019 montre que le gouvernement continue d’investir dans les gens et révèle une stratégie visant à stimuler la croissance économique à long terme et d’une manière financièrement responsable. On s’attend à ce que les investissements effectués dans la dernière année par le gouvernement pour soutenir les ménages et pour promouvoir l’expansion des exportations et les investissements commerciaux favorisent la croissance, maintenant et à l’avenir. Cela a contribué à faire du Canada l’un des 10 pays qui continuent à se voir attribuer la cote de crédit AAA, et à être considéré comme ayant des perspectives stables par les trois plus grandes agences de notation du monde : Standard and Poor’s, Fitch et Moody’s.
Au début de l’année, afin d’aider les entrepreneurs canadiens, qui travaillent fort, le gouvernement a réduit le taux d’imposition des petites entreprises, qui est passé de 10 à 9 p. 100. Il s’agit de la deuxième réduction du taux d’imposition des petites entreprises en un peu plus d’un an. Pour les petites entreprises, cela se traduira par des économies d’impôt fédéral pouvant atteindre 7 500 $ par année par rapport à 2017. Elles pourront réinvestir ces économies pour acheter de nouveaux équipements, concevoir de nouveaux produits ou créer des emplois.
Compte tenu des mesures visant à accélérer les investissements des entreprises annoncées dans l’Énoncé économique de l’automne 2018, le taux global moyen d’imposition des nouveaux investissements des entreprises en 2018 était inférieur de près de cinq points de pourcentage à celui des États-Unis et le plus bas des pays du G7.
Chers collègues, l’engagement à long terme à renforcer l’économie canadienne et à promouvoir l’investissement devrait l’emporter sur le court terme. Je suis sûr que la prochaine campagne électorale nous le démontrera.
[Français]
Dans sa volonté de réduire la pauvreté, le gouvernement a adopté, à l’automne 2018, la Loi sur la réduction de la pauvreté. Il s’agit d’une cause que notre collègue, la sénatrice Miville-Dechêne, a été la première à défendre au Sénat. La Loi sur la réduction de la pauvreté propose de codifier d’ambitieuses cibles de réduction de la pauvreté de façon concrète. Plus particulièrement, par rapport au taux de pauvreté de 2015, la loi a pour objectif de réduire la pauvreté de 20 p. 100 au cours des cinq prochaines années et de 50 p. 100 d’ici 15 ans.
Par ailleurs, pour la première fois dans l’histoire du Canada, le projet de loi C-97 propose un seuil officiel de la pauvreté au Canada. Cette mesure fondée sur le marché est établie en fonction du coût de l’achat de biens et de services de base, comme les vêtements, le logement, la nourriture et le transport.
La loi mettra aussi sur pied le Conseil consultatif national sur la pauvreté, lequel aura pour mandat de tenir des consultations publiques, notamment auprès de personnes qui ont une expérience personnelle de la pauvreté et auprès d’experts en la matière. Le conseil fournira des recommandations au ministre responsable de la surveillance de la Loi sur la réduction de la pauvreté, notamment sur les façons de réduire la pauvreté, en plus de soumettre un rapport annuel sur les progrès réalisés.
(1950)
[Traduction]
Depuis 2015, un montant de 22 milliards de dollars a été investi dans des mesures visant à réduire la pauvreté, dont l’Allocation canadienne pour enfants, le Supplément de revenu garanti, la Stratégie nationale sur le logement, l’Allocation canadienne pour les travailleurs et le Programme de formation pour les compétences et l’emploi destiné aux personnes autochtones.
Grâce en partie aux récents investissements, le gouvernement a dépassé son objectif pour 2020 trois ans à l’avance et ce sont plus de 825 000 personnes qui ont pu sortir de la pauvreté entre 2015 et 2017.
C’est en partie pourquoi l’investissement — qui suppose de modestes déficits plutôt que l’équilibre budgétaire — est si important. Aider les Canadiens à absorber le coût de la vie est un élément clé du soutien de la classe moyenne. L’aide aux aînés prévu dans le projet de loi C-97 en est un exemple.
Parlant des aînés, un grand nombre d’entre eux décident de rester sur le marché du travail — j’en vois quelques-uns ici — pour diverses raisons. Malheureusement, certains aînés qui restent ou reviennent sur le marché du travail sont pénalisés.
Ils se heurtent à des réductions importantes de leurs prestations du Supplément de revenu garanti ou de l’Allocation pour chaque dollar gagné au travail dépassant l’exemption des gains du Supplément de revenu garanti, qui est de 3 500 $ par année.
Le problème tient en partie au fait que cette exemption ne comprend pas le revenu tiré d’un travail indépendant. Par conséquent, les aînés y perdent.
C’est une chose que la loi d’exécution du budget vise à corriger. À compter de juillet 2020, le projet de loi C-97 propose d’aider les aînés à conserver davantage d’argent de leur Supplément de revenu garanti ou de leur Allocation et de leur revenu en bonifiant l’exemption des gains du Supplément de revenu garanti.
La bonification aura trois effets : étendre l’admissibilité à l’exemption des gains au revenu tiré d’un travail indépendant; faire passer le montant de l’exemption complète de 3 500 $ à 5 000 $ par année; instaurer une exemption partielle de 50 p. 100, qui s’appliquera à jusqu’à 10 000 $ en revenu d’emploi et de travail indépendant annuel au-delà du nouveau seuil de 5 000 $.
Essentiellement, les aînés admissibles pourront profiter d’une exemption complète ou, à tout le moins, partielle pour leur revenu allant jusqu’à 15 000 $. Ainsi, les aînés qui souhaitent continuer à travailler après leur retraite pourront conserver une plus grande partie de l’argent qu’ils gagnent. Le projet de loi C-97 veillerait également à ce que les travailleurs canadiens reçoivent la valeur intégrale des prestations du régime de pension auquel ils ont contribué.
On propose ici d’inscrire de manière proactive, à compter de 2020, les cotisants au Régime de pensions du Canada qui sont âgés de 70 ans ou plus et qui n’ont pas encore demandé à recevoir leurs prestations de retraite.
Même si le nombre de personnes qui ne demandent pas leurs prestations de retraite est relativement peu élevé — on estime qu’elles seront 1 600 en 2020 —, il demeure considérable.
L’effet de cette mesure est important. Environ 40 000 Canadiens de plus recevraient les prestations de retraite auxquelles ils ont droit.
Notons que deux tiers de ces personnes âgées nons inscrites sont des femmes. La pension mensuelle moyenne sera d’environ 300 $, ce qui pourrait être un énorme avantage pour bien des personnes âgées.
[Français]
Que vous soyez un aîné ou une jeune personne qui vient de terminer ses études, vous devez réfléchir à l’endroit où vous allez vivre et à la façon dont vous paierez ce logement. Un logement adéquat est, après tout, un droit reconnu par le droit international qui s’applique à tous les êtres humains. Le budget de 2019 a fait l’annonce d’un certain nombre de nouvelles initiatives visant à faire en sorte qu’il soit plus abordable pour les Canadiens de louer ou d’acheter une maison. Le budget met à profit le plan du gouvernement destiné à abolir les enjeux relatifs à l’accessibilité des logements, une question qui concerne les adultes de tous les âges et de nombreuses familles de la classe moyenne.
Tous les Canadiens et les Canadiennes désirent et méritent de vivre en un lieu sûr et abordable. Toutefois, pour de nombreuses personnes, ce n’est pas un objectif facile à atteindre. Les prix élevés des maisons dans certaines grandes villes du Canada font en sorte que beaucoup de Canadiens et de Canadiennes continuent d’éprouver des difficultés à trouver, entretenir et payer un logement sûr et approprié.
[Traduction]
Pour faciliter les choses, le projet de loi C-97 mettra en place un nouvel incitatif à l’achat d’une première propriété, qui permettrait aux acheteurs d’une première habitation qui mettent de côté la mise de fonds minimale de 5 p. 100 de financer une partie de leur acquisition au moyen d’un prêt hypothécaire avec participation avec l’aide de la Société canadienne d’hypothèques et de logement.
Par l’intermédiaire de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, les acheteurs d’une première propriété qui répondent aux critères seraient admissibles à un prêt hypothécaire avec participation de 10 p. 100 pour une construction neuve ou de 5 p. 100 pour une maison déjà construite.
On s’attend à ce qu’environ 100 000 acheteurs d’une première propriété soient en mesure de bénéficier de l’incitatif au cours des trois prochaines années.
Grâce à cette aide, les Canadiens pourront réduire leurs mensualités hypothécaires et accéder plus facilement à la propriété.
Le projet de loi C-97 propose également de hausser le montant maximal du retrait dans le cadre du régime d’accession à la propriété de 25 000 $ pour le faire passer à 35 000 $, ce qui permettra aux acheteurs d’une première propriété de retirer plus d’argent de leur REER pour acheter une propriété.
De nouveaux investissements seront aussi faits pour accroître le parc immobilier, que ce soit pour acheter ou louer. C’est la meilleure façon d’atténuer la flambée des prix et de refroidir ce qui est devenu un marché résidentiel en ébullition.
[Français]
Trouver un logement abordable n’est jamais facile et peut rendre la transition à la vie civile encore plus difficile pour les membres des Forces armées canadiennes. La réalité est que le retour à la vie civile après des années, et parfois des décennies, de dévouement au service militaire peut représenter un défi pour certains membres des forces armées. Cette situation touche particulièrement ceux qui quittent les forces en raison d’une maladie ou d’une blessure. Afin de faciliter la transition à la vie civile des anciens militaires, le budget de 2019 propose un certain nombre d’initiatives, par exemple des services de soutien spécialisés à l’intention des anciens combattants et une amélioration de la formation pour faciliter la transition à la vie civile.
En outre, le projet de loi C-97 propose d’élargir l’admissibilité à l’allocation pour études et formation aux membres de la Réserve supplémentaire. Cette allocation offre déjà aux anciens combattants qui étaient des membres réguliers des Forces canadiennes un montant pouvant aller jusqu’à 80 000 $ pour parfaire leur éducation. Les membres de la Réserve supplémentaire pourront désormais bénéficier de ce soutien.
[Traduction]
Après tout, la valeur de l’éducation et de la formation ne saurait être sous-estimée. Elles sont essentielles à l’établissement et au maintien d’une main-d’œuvre solide. Nous le savons, le monde évolue rapidement de différentes manières. Vu cette évolution, le budget de 2019 aidera les étudiants et les travailleurs de tous âges à trouver un bon emploi et à le garder aujourd’hui et demain.
C’est essentiel, parce que les emplois du futur ne seront peut-être en rien comparables à ceux d’aujourd’hui. La nature évolutive du travail signifie que les gens devront peut-être changer plusieurs fois d’emploi au cours de leur carrière. Je crois que la plupart d’entre nous sont conscients que les jeunes d’aujourd’hui sont déjà beaucoup plus enclins à le faire que les générations précédentes.
Dans le budget de 2019, le gouvernement lance un outil personnalisé et transférable afin d’aider tous les Canadiens à acquérir les compétences dont ils ont besoin pour trouver et conserver un bon emploi : l’Allocation canadienne pour la formation.
Le projet de loi C-97 met en œuvre une partie importante de l’allocation, le crédit canadien pour la formation. Ce crédit accordera aux Canadiens de 25 à 64 ans jusqu’à 5 000 $ au cours de leur carrière pour couvrir 50 p. 100 des frais de formation admissibles.
En outre, le budget de 2019 annonçait la création de la prestation de soutien à la formation de l’assurance-emploi, qui accordera aux travailleurs jusqu’à quatre semaines de congés payés aux quatre ans pour suivre de la formation.
L’une des meilleures nouvelles concernant le projet de loi d’exécution du budget, ce sont les modifications qu’il propose d’apporter à la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants. Le but de ces modifications est d’alléger une partie des pressions financières considérables qui pèsent sur les étudiants qui doivent contracter un emprunt.
Les modifications feront en sorte que les nouveaux diplômés n’auront pas besoin de se soucier de l’accumulation d’intérêt sur leur prêt étudiant dès la fin de leurs études, comme c’est le cas à l’heure actuelle.
Grâce à cette mesure, les prêts étudiants n’accumuleront plus d’intérêt pendant la période de non-remboursement de six mois, que l’on appelle le délai de grâce, une fois que l’étudiant qui a emprunté quitte l’école.
Ces modifications, qui entreraient en vigueur en novembre, combinées à l’engagement pris dans le budget de 2019 de réduire le taux d’intérêt des prêts étudiants, permettront à l’emprunteur moyen d’économiser environ 2 000 $ de frais liés aux prêts étudiants.
Le budget de 2019 propose également une cible ambitieuse : que, en l’espace de 10 ans, chaque jeune Canadien désirant une possibilité d’apprentissage intégré au travail puisse en obtenir une. Pour appuyer cet objectif, le budget de 2019 propose de fournir des fonds pour soutenir jusqu’à 40 000 possibilités d’apprentissage intégré au travail par année d’ici 2023-2024.
En outre, le budget de 2019 propose de fournir du financement à la Table ronde sur le milieu des affaires et l’enseignement supérieur pour créer autant de stages d’ici 2021.
En tout, cela signifie que le gouvernement appuiera jusqu’à 84 000 nouveaux stages par année d’ici 2023-2024.
Bon nombre de ces stages, ainsi que ceux sur le marché du travail général, mettront l’accent sur la transition vers une économie verte et porteront directement sur la dure réalité des changements climatiques.
Comme nous le savons tous, la lutte contre les changements climatiques est, en général, un sujet chaud, pour ainsi dire. Que vous croyiez que les changements climatiques posent un danger réel ou que vous pensiez que la menace qu’ils présentent est exagérée ou même que ces changements sont un canular, vous devez admettre que notre planète est en difficulté.
Ce sont les êtres humains qui ont provoqué la désastreuse crise environnementale qui afflige la Terre, mais ce sont aussi eux qui peuvent la régler. Des mesures peuvent être prises, mais elles doivent l’être rapidement et efficacement.
[Français]
Le projet de loi C-97 tente de protéger à la fois l’environnement et les Canadiens et les Canadiennes et de renverser certains des effets dommageables du changement climatique grâce à d’importantes mesures.
(2000)
La première mesure consiste à offrir du soutien pour accroître le nombre d’immeubles résidentiels, commerciaux et à logements multiples écoénergétiques tout en réduisant les coûts de l’énergie. Cela représente un investissement qui appuiera de nombreuses activités comme les améliorations écoénergétiques résidentielles, qui peuvent aider à réduire la facture d’électricité mensuelle des Canadiens et des Canadiennes et la consommation d’énergie.
Deuxièmement, la Loi d’exécution du budget accorde des fonds supplémentaires ponctuels aux municipalités pour qu’elles puissent bâtir de nouvelles communautés plus propres et plus saines. Cet engagement permettra de doubler les fonds accordés aux municipalités et d’aider les communautés à financer leurs priorités en matière d’infrastructure, comme le transport en commun, l’eau et les projets d’énergie verte. Ces mesures permettent de mettre en place un plan visant à protéger la santé des Canadiens et des Canadiennes, aujourd’hui et pour l’avenir, tout en soutenant notre croissance économique d’une façon durable. La santé de notre économie est, en grande partie, liée à la santé de nos terres, les deux étant essentielles à notre relation de nation à nation avec les peuples autochtones.
[Traduction]
Pour favoriser la réconciliation et l’autodétermination, et ainsi renforcer cette importante relation, il est essentiel de voir à ce que les peuples autochtones puissent participer pleinement à la réussite économique du pays, dont j’ai parlé au début de mon discours, et en bénéficier pleinement aussi.
Le budget de 2019 prévoit des investissements considérables dans le développement économique autochtone. De tels investissements sont importants, car ils génèrent des revenus pour les communautés autochtones, revenus qui sont en général investis dans le développement des compétences, la santé et les services sociaux.
Parmi ces investissements, mentionnons l’appui aux entrepreneurs et au développement économique autochtones dans les communautés des Premières Nations et les communautés inuites dans le cadre du Programme de préparation des collectivités aux possibilités économiques; l’augmentation du financement accordé aux sociétés métisses de financement pour soutenir le démarrage et l’expansion de petites et moyennes entreprises métisses; la création du Fonds de croissance autochtone pour permettre aux institutions financières autochtones, y compris aux sociétés métisses de financement et d’autres, de soutenir plus d’entrepreneurs autochtones et plus de projets ambitieux; et l’accroissement du soutien ciblé pour la prochaine génération d’entrepreneurs autochtones par l’entremise de Futurpreneur Canada.
De plus, le budget de 2019 renferme des mesures pour aider les communautés à se réapproprier les langues autochtones, à les revitaliser, à les maintenir et à les renforcer, ainsi qu’à conserver les traditions culturelles et les histoires importantes.
Comme je l’ai dit au départ, bien que ce soit un budget de mesures positives, il y en a trois qui ont retenu particulièrement l’attention et soulevé des critiques : l’officialisation de la création du ministère des Services aux Autochtones et du ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada; la modification de la Loi de l’impôt sur le revenu pour appuyer le journalisme, plus précisément le comité d’experts indépendant mis sur pied par le gouvernement pour formuler des recommandations sur les critères d’admissibilité aux mesures fiscales proposées dans le projet de loi C-97; et la modification de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Le projet de loi C-97 créera officiellement le ministère des Services aux Autochtones, qui travaillera en collaboration avec des partenaires pour améliorer l’accès des Premières Nations, des Inuits et des Métis à des services de haute qualité. L’une des raisons les plus importantes pour lesquelles le ministère a été créé, c’est pour assurer une prestation de services et de programmes aux peuples autochtones par les peuples autochtones. L’atteinte de cet objectif, au fil du temps, sera également un des grands critères pour mesurer la réussite du ministère.
Ce projet de loi établira aussi officiellement le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, dont le mandat continuera de consister à renouveler les relations de nation à nation, entre les Inuits et l’État, et de gouvernement à gouvernement entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
La relation qui existe entre le Canada et les peuples autochtones est extrêmement importante pour que nous puissions assurer la solidité et la prospérité de notre Confédération, maintenant et pour les générations futures. Cette relation doit être entretenue et respectée soigneusement afin de favoriser une réconciliation qui profitera à tout le monde.
Des préoccupations ont été exprimées, notamment par d’honorables sénateurs, au sujet de ces dispositions contenues dans le projet de loi d’exécution du budget. Dans son rapport au Sénat, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a aussi exprimé des préoccupations sur la création de deux ministères distincts.
On souhaitait plus particulièrement que soient éclaircis certains termes utilisés dans le projet de loi. Comme il est important de prendre les bonnes mesures, le gouvernement a collaboré avec ses partenaires, dont l’Assemblée des Premières Nations, afin d’apporter des amendements qui tiennent davantage compte des préoccupations particulières des Autochtones.
Compte tenu de ces discussions, des amendements ont été apportés au projet de loi à la Chambre des communes avant qu’il soit renvoyé au Sénat. Comme c’est le cas pour la plupart des mesures législatives, ces dispositions pourront être revues à l’avenir, si les circonstances le justifient.
Sur la voie de la réconciliation et de l’autodétermination, il faut reconnaître que les choses peuvent évoluer au fil du temps. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a recommandé que la section 25 de la partie 4 soit retirée du projet de loi C-97 afin d’être présentée dans un projet de loi distinct.
Chers collègues, j’insiste pour soulever un dernier point sur cette question — pour l’instant —, soit que cette disposition ne vient pas de nulle part. La scission du ministère des Affaires autochtones et du Nord en vue de créer le ministère des Services aux Autochtones et le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord a été annoncée il y a près de 2 ans et recommandée il y a plus de 20 ans.
En août 2017, lors de l’annonce de la création de ces deux ministères, le gouvernement mettait en œuvre une recommandation formulée par la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996. Depuis près de deux ans, ces deux ministères sont entièrement fonctionnels et ils accomplissent du bon travail. Le projet de loi C-97 ne fait qu’officialiser la création de ces deux ministères et préciser leurs rôles et responsabilités. Ces ministères ont le vent dans les voiles : on a nommé un ministre et un sous-ministre pour chacun d’eux, et ils disposent d’un budget, d’employés et de fonctionnaires en raison du décret désignant Services aux Autochtones en tant que ministère en novembre 2017.
Nous ne pouvons pas, et ne devrions pas, simplement annuler tout cela.
Le nom des ministères recommandés a changé en 23 ans, mais l’objet de la proposition d’aujourd’hui est, en réalité, la même que celle d’hier : améliorer la prestation de services essentiels aux Autochtones afin que nous puissions progresser vers une réelle réconciliation et améliorer l’une de nos relations les plus importantes.
Le deuxième point qui a retenu l’attention et qui a soulevé des critiques porte sur la modification apportée à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant le journalisme. Le gouvernement a choisi des associations qui représentent le secteur canadien du journalisme pour faire partie d’un groupe d’experts indépendant chargé de formuler des recommandations sur les critères d’admissibilité aux mesures fiscales proposées dans le projet de loi C-97. Des doutes ont été exprimés par des gens qui s’inquiètent de l’indépendance de ce groupe. La disposition a soulevé la controverse au comité du Sénat — le Comité des finances nationales — et à celui de la Chambre. Dans l’ensemble, on s’inquiète que la mesure nous mène sur une pente glissante : une liberté de la presse restreinte.
Honorables collègues, comme beaucoup d’entre vous, j’ai travaillé dans des pays où non seulement la liberté de la presse est limitée, mais elle est inexistante. Dans de nombreux pays, les journalistes travaillent courageusement dans des situations véritablement dangereuses où ils risquent de subir des violences ou de mourir. Pour trop de journalistes, les choses ont mal tourné.
Cela ne veut pas dire que les journalistes au Canada n’ont pas à s’inquiéter, mais ici, les histoires cruciales sur de grandes entreprises et le gouvernement ne donnent pas lieu à des représailles violentes. Ce qui préoccupe les journalistes au Canada et tous ceux qui se soucient de la liberté de la presse, c’est la diminution du nombre de quotidiens et de journaux régionaux.
[Français]
Depuis 2008, 250 organes de presse canadiens ont dû fermer leurs portes en grande partie en raison de revenus publicitaires en baisse et de l’augmentation des sites de nouvelles et des réseaux sociaux sur Internet. Il n’a fallu qu’une journée pour que 36 organes de presse fassent faillite lorsque Postmedia Network et Torstar ont conclu une entente en novembre 2017. Trois cents personnes ont perdu leur emploi ce jour-là. C’est déjà inquiétant lorsque la presse écrite et ses partenaires numériques font faillite dans les grandes villes. Toutefois, lorsque la même chose arrive à de petits journaux en milieu rural, c’est dévastateur.
Plusieurs d’entre vous, ici au Sénat, ont été journalistes dans le passé. Vous êtes les mieux placés pour comprendre que le journalisme, et plus généralement la liberté de presse, est d’une importance fondamentale pour la démocratie. Le devoir d’un journaliste est de découvrir la vérité et de la partager avec les citoyens afin de s’assurer que les gouvernements et les entreprises sont tenus responsables. Tout cela renforce notre démocratie et notre pays. Cependant, les journalistes ne peuvent accomplir leur travail sans disposer d’un financement adéquat.
En effet, il est indéniable que l’industrie de la presse écrite est en difficulté, comme je viens de l’évoquer brièvement. C’est pourquoi le gouvernement a présenté des dispositions dans le projet de loi C-97, qui découlent des engagements qui figurent dans l’Énoncé économique de l’automne 2018 et le budget de 2019, afin d’offrir de l’aide et un soutien supplémentaire à la presse indépendante. Je suis persuadé que les mesures proposées vont renforcer nos organes de presse à l’échelle nationale et améliorer, plutôt qu’entraver, la liberté de presse au Canada.
(2010)
[Traduction]
Enfin, j’aimerais souligner les préoccupations soulevées au sujet des changements que le projet de loi C-97 propose aux règles canadiennes en matière d’asile. Notre collègue la sénatrice Omidvar, en particulier, a fait entendre haut et fort ses préoccupations légitimes et celles d’autres personnes. Le système d’évaluation des réfugiés et des demandeurs d’asile de notre pays fait l’envie du monde entier. Comme l’a dit la sénatrice, c’est un modèle d’excellence, et je pense qu’elle a raison. C’est ce qui explique en grande la réputation bien méritée du Canada en tant que société ouverte, accueillante et compatissante.
Dans mon ancienne vie, lorsque je travaillais dans le domaine du service extérieur, ma première affectation à l’étranger a été à notre ambassade à Cuba, où l’un des nombreux chapeaux que j’ai portés a été celui d’agent des visas. J’étais responsable de la délivrance des visas aux Cubains et aux autres personnes qui souhaitaient visiter le Canada. Beaucoup d’entre eux ont décidé de rester.
Pour toutes les raisons possibles et imaginables, des quatre coins du monde, des gens veulent venir dans notre pays, que ce soit pour en admirer la beauté incomparable ou pour se mettre à l’abri de la violence et de la persécution. Le Canada est considéré comme un symbole d’espoir et de tolérance pour les personnes les plus vulnérables de la planète.
Les amendements proposés dans le projet de loi C-97 n’y changeront rien. La loi de mise en œuvre du budget prévoit essentiellement que les demandeurs d’asile et de statut de réfugié ne seraient pas admissibles à la protection au Canada s’ils ont déjà présenté une demande dans des pays avec lesquels nous avons des ententes de partage du renseignement et de données biométriques. Ces pays sont nos partenaires du Groupe des cinq, à savoir l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis. Cette mesure a pour objectif de décourager la migration irrégulière, de réduire le nombre des immigrants illégaux qui a commencé à croître en 2017 et d’encourager les gens qui ont vraiment besoin de protection à présenter leur demande dans le premier pays où ils arrivent et qui applique un système sérieux d’octroi d’asile, plutôt que de faire des demandes dans plusieurs pays. Nos partenaires du Groupe des cinq ont tous de solides systèmes en place.
Toutes ces mesures font craindre que le Canada ait tourné le dos à sa réputation mondiale de refuge sûr pour les demandeurs d’asile et à ses obligations internationales. Ce n’est pas le cas. Même le bureau canadien du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés appuie les changements proposés à notre droit d’asile. En contrepartie, Amnistie internationale et l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés ne les appuient pas.
Le Canada n’essaie pas de décourager les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile. Le Canada essaie de décourager les migrants illégaux. Il se propose de le faire en respectant ses obligations nationales et internationales.
Pour atténuer les craintes, toutefois, le gouvernement a amendé le projet de loi C-97 à l’autre endroit au sujet des audiences. Plus précisément, le projet de loi C-97 a été amélioré pour dire expressément que le droit à une audience est garanti. Aucune personne demandant le statut de réfugié ou demandant asile ne sera renvoyée sans avoir eu la possibilité de plaider sa cause. S’il était établi qu’un demandeur risquerait vraiment d’être victime de préjudices ou persécuté s’il retournait dans le pays qu’il a fui, il resterait au Canada sous notre protection.
En fin de compte, le gouvernement tente d’améliorer la gestion du flux de migrants pour la rendre plus efficace et pour régler les demandes tout en respectant nos obligations et notre tradition de pays ouvert, accueillant et plein de compassion.
[Français]
Chers collègues, je vous promets que la fin de mon discours approche.
J’espère avoir atteint mon objectif, qui était d’énoncer les principales raisons pour lesquelles je crois que le projet de loi C-97 est un projet de loi muni de mesures rigoureuses et bénéfiques.
J’espère également avoir allégé les préoccupations qui ont été soulevées en ce qui a trait à certaines dispositions du projet de loi.
Je suis sénateur depuis seulement huit mois et c’est la première fois que je parraine un document législatif au Sénat, que ce soit un projet de loi du gouvernement ou un autre document.
[Traduction]
J’avais beaucoup à apprendre, mais c’est toujours plus facile quand on peut compter sur un bon soutien. Je tiens d’ailleurs à remercier les sénateurs chevronnés de tous les groupes qui m’ont offert aide et conseils. J’ai aussi apprécié les excellentes discussions qui se sont déroulées dans divers comités pendant l’étude préalable. Je tiens particulièrement à remercier mes collègues du Comité sénatorial permanent des finances nationales, notamment le sénateur Mockler, président du comité. J’exprime aussi tous mes remerciements à la greffière du comité, Gaëtane Lemay, ainsi qu’à nos analystes, Alex Smith et Shaowei Pu.
Nous sommes tous solidaires et, comme on le sait, il reste encore du travail à faire concernant ce projet de loi.
Honorables sénateurs, nous sommes conscients de l’importance des projets de loi de mise en œuvre du budget, y compris de celui-ci. J’espère qu’au terme d’une étude préalable à la fois exhaustive et réfléchie vous appuierez le projet de loi C-97 à l’étape de la deuxième lecture pour qu’il puisse obtenir la sanction royale dès que possible. Je vous remercie de votre patience et de votre attention.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Boehm, accepteriez-vous de répondre à des questions?
Le sénateur Boehm : Bien sûr.
L’honorable Dennis Glen Patterson : Je vous remercie et je vous félicite de votre discours, sénateur.
Vous avez mentionné la mise en place de deux ministères dans une importante section du projet de loi C-97, le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord et le ministère des Services aux Autochtones. Le projet de loi donne aussi la possibilité au premier ministre de créer un ministère des Affaires du Nord.
Vous avez indiqué qu’un décret a permis ces changements dont fait partie la création du portefeuille des Affaires du Nord, qui a d’abord été confié au ministre LeBlanc, puis à la ministre Bennett, et que les choses fonctionnent bien depuis deux ans. À votre avis, est-il juste que l’avenir du ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord soit laissé à la discrétion du premier ministre? Devrait-il, au contraire, avoir un statut permanent?
Le sénateur Boehm : Merci de votre question, sénateur Patterson. Bien franchement, je suis au courant de cette disposition, mais je ne peux pas vraiment dire si la chose devrait être laissée à la discrétion du premier ministre.
D’après ce que j’ai su quand la division a eu lieu et que les ressources ont été transférées — je travaillais alors au sein de la fonction publique — on pensait qu’il y avait encore davantage à faire. Lorsque j’ai dit dans mon allocution que les choses sont en place et qu’elles fonctionnent, c’est le cas, mais on pourrait en faire plus. Je dirais que ce que vous avez suggéré, c’est-à-dire un troisième ministère, est pris en considération.
D’après ce que je comprends des séances d’information sur le projet de loi C-97 auxquelles j’ai assisté, l’idée était simplement d’officialiser, de droit, la création des deux ministères qui a eu lieu il y a deux ans.
L’honorable Frances Lankin : Merci, sénateur Boehm, de votre exposé très détaillé et instructif. Je crois qu’il est très utile pour ceux d’entre nous qui n’ont pas participé à l’étude préliminaire en comité. Vous avez couvert beaucoup de matière.
Je vais naturellement vous poser une question sur un aspect dont vous n’avez pas parlé. Vous pouvez compter là-dessus. Nombre d’organisations ont demandé au gouvernement d’entreprendre une réforme en profondeur du cadre législatif sur les pensions, plus particulièrement en ce qui concerne les faillites, l’ordre de priorité des créanciers et la protection des retraités. Ce projet de loi d’exécution du budget ne fait rien à cet égard, mais il propose des changements modestes en ce qui a trait aux pensions.
Je me demande si le comité s’est penché là-dessus, s’il a fait des observations à ce sujet ou si vous avez des renseignements à nous communiquer sur cette question.
Le sénateur Boehm : Merci, sénatrice Lankin. Je n’ai aucun détail, mais la réponse est oui. Il y a des leçons à tirer des situations passées, comme celles de Nortel et de Sears. Il y a des dispositions dans le projet de loi. On en a discuté au comité.
Il n’y a aucun détail qui me vient à l’esprit et que je pourrais vous fournir pour l’instant.
L’honorable Ratna Omidvar : Félicitations, sénateur Boehm. C’était un excellent discours, particulièrement pour ceux d’entre nous qui ne siègent pas au Comité des finances nationales. J’ai été ravie, je dois l’avouer, de vous entendre parler de 40 000 possibilités d’apprentissage intégré au travail pour les étudiants. Pourriez-vous nous en parler un peu plus longuement ou s’agit-il tout simplement de stages en langage parlementaire, un concept que je comprends très bien?
Le sénateur Boehm : Merci, sénatrice Omidvar. Vous me mettez sur la sellette. C’est une mesure très vaste. Il y a un certain nombre de dispositions dans le projet de loi qui portent sur l’appui aux étudiants et sur les occasions de formation. Je me ferai un plaisir de vous transmettre plus d’information. Je ne l’ai pas sous la main en ce moment.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Martin, souhaitez-vous poser une question?
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Oui.
Merci, sénateur Boehm, de votre discours. Vers la fin, vous avez parlé de la section 16, soit des modifications à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Je remarque que le gouvernement ne règle pas la question de l’Entente sur les tiers pays sûrs dans cette modification. J’ai vu quelques chiffres à propos de ce qui se produit à la frontière canado-américaine. J’aimerais que vous nous parliez un peu des coûts associés à cette situation et au traitement des demandes en retard. Pourriez-vous nous dire ce que prévoit le budget à ce sujet?
(2020)
Le sénateur Boehm : Je vous remercie, sénatrice Martin. J’ai probablement ces renseignements dans l’un des trois classeurs qui se trouvent sous ma chaise, mais je n’ai pas de détails. Je sais que des mesures ont déjà été prises. C’est avec plaisir que je vous fournirai ces renseignements plus tard.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Patterson, avez-vous une deuxième question?
Le sénateur Patterson : Oui, si vous le permettez, Votre Honneur.
Sénateur, vous avez parlé de la section 75 qui constitue le ministère des Services aux Autochtones, autrefois appelé ministère des Affaires indiennes. Savez-vous que le Comité des peuples autochtones a reçu une lettre du grand chef Perry Bellegarde de l’Assemblée des Premières Nations expliquant qu’aucune consultation n’avait eu lieu auprès de cette organisation qui représente les Premières Nations de l’ensemble du pays, relativement à ces importants changements apportés à la Loi sur les Indiens, laquelle touche les Premières Nations au quotidien?
Le grand chef Bellegarde a demandé que cette section soit complètement retirée du projet de loi puisque les principes de la déclaration des Nations Unies dont tout le monde parle ces jours-ci exigent que les Autochtones participent et donnent leur consentement préalable et éclairé. Le Comité des peuples autochtones a simplement reconnu qu’il n’y avait pas eu assez de temps pour consulter l’Assemblée des Premières Nations et a recommandé que cette section fasse l’objet d’un projet de loi distinct afin que les consultations puissent avoir lieu.
Aujourd’hui, vous balayez tout cela du revers de la main en disant que tout va bien et que ces changements sont en vigueur depuis deux ans.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Patterson, le temps de parole du sénateur Boehm est écoulé.
Sénateur Boehm, demandez-vous cinq minutes de plus?
Le sénateur Boehm : Pourquoi pas?
Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Le sénateur Patterson : Je m’apprêtais à poser ma question, Votre Honneur. Je vous remercie.
Il me semble que, quand le grand chef de l’Assemblée des Premières Nations vous écrit de toute urgence pour vous demander de rejeter un chapitre, faute de consultations adéquates, vous devriez l’écouter, qu’en dites-vous? Êtes-vous en train de dire que nous devrions faire fi de son opinion, lui qui affirme que les Premières Nations n’ont à peu près rien élaboré de ce projet de loi? Ne croyez-vous pas que les Premières Nations ont le droit, avant d’être mises devant les faits accomplis, de dire ce qu’elles pensent d’une réorganisation aussi importante d’un ministère qui les concerne directement?
Le sénateur Boehm : Je vous remercie de votre question, sénateur Patterson. Je suis au courant de la lettre du chef national. Je l’ai même lue. Je sais aussi que les ministres Bennet et O’Regan ont écrit au chef national Bellegarde. Selon ce que j’en comprends, et vous me corrigerez si je me trompe, les deux lettres se sont croisées, mais des discussions ont eu lieu depuis. J’ai aussi pris la fin de semaine pour lire attentivement le rapport du Comité des peuples autochtones.
Quand je disais que les ministères sont maintenant opérationnels et que les choses suivent leur cours, je ne voulais pas donner l’impression que rien ne bouge et que tout va bien dans le meilleur des mondes. Pour l’avoir vécu moi-même en tant que sous-ministre, je peux vous garantir que la création d’un nouveau ministère ou la transformation d’un ministère existant n’est pas toujours facile. Mais dans ce cas-ci, je voulais simplement dire que les deux entités sont maintenant sur pied, qu’elles ont obtenu leur financement, que les mouvements de personnel ont eu lieu, que les « équivalents temps plein ont été divisés », comme on dit en jargon bureaucratique, bref que les choses progressent. Reste-t-il des choses à faire? Absolument. Je suis d’accord avec vous. Je ne sais pas où en sont rendues ces lettres, je ne sais pas si elles se sont croisées et je ne sais pas si les parties se sont entendues.
L’honorable Elizabeth Marshall : Merci de votre discours, sénateur Boehm. Je suis la porte-parole pour le projet de loi C-97. Je vais vous présenter l’autre côté de la médaille sur certains des points soulevés par le sénateur Boehm, dont celui que vient d’aborder le sénateur Patterson.
Honorables sénateurs, avant d’entrer dans les détails du budget de 2019 et du projet de loi C-97, j’aimerais dire quelques mots sur les quatre budgets présentés par le gouvernement actuel. Comme vous le savez, un de ses grands objectifs était d’assurer la croissance de la classe moyenne. C’était d’ailleurs le titre du budget de 2016 : Assurer la croissance de la classe moyenne. Il a été suivi du budget de 2017 : Bâtir une classe moyenne forte et du budget de 2018 : Égalité et croissance : Une classe moyenne forte. À présent, nous avons le budget de 2019 : Investir dans la classe moyenne.
Au cours des quatre dernières années, on a demandé à de nombreuses reprises au ministre Morneau de définir « classe moyenne ». En effet, comment le gouvernement peut-il déterminer si la classe moyenne a connu une croissance s’il ne sait pas qui la compose? Le ministre Morneau n’a jamais défini cette notion.
Plus tôt cette année, l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, dont le Canada est membre et à laquelle le sénateur Boehm a fait allusion tout à l’heure, a publié un rapport sur la classe moyenne. Selon l’OCDE, la classe moyenne de ses 36 pays membres est en train de se contracter. Ce phénomène est plus marqué au Canada que dans la moyenne des pays membres de l’OCDE. Après quatre budgets axés sur la classe moyenne, il est décevant de constater qu’un gouvernement qui s’était engagé à mesurer les résultats n’a jamais indiqué s’il était en mesure de faire croître la classe moyenne.
Honorables sénateurs, le dernier examen exhaustif du régime fiscal canadien a été effectué dans les années 1960, soit il y a plus de 50 ans, et je me souviens de cette époque. Depuis, notre régime fiscal a accumulé un ensemble disparate de crédits, de mesures incitatives et d’autres changements, dont beaucoup sont importants. Nous nous retrouvons avec un système complexe et inefficace.
De nombreuses organisations ont réclamé un examen complet de notre régime fiscal, notamment l’OCDE, le Fonds monétaire international, le Conseil canadien des affaires, les Comptables professionnels agréés du Canada et la Chambre de commerce du Canada. Même le Comité consultatif en matière de croissance économique, qui a été mis sur pied par le gouvernement et qui est dirigé par Dominic Barton, a recommandé en 2017 la tenue d’un examen ciblé de notre régime fiscal, soulignant que le dernier examen important du genre remonte à plusieurs décennies.
Le Canada accuse un retard par rapport à d’autres pays, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et le Japon, en ce qui concerne le maintien de la compétitivité de notre régime fiscal. Le régime fiscal est essentiel pour créer un environnement concurrentiel et inciter les entreprises à investir et à prendre de l’expansion. Il crée des emplois de qualité, il stimule l’innovation et il produit des revenus pour financer les programmes et les services gouvernementaux.
Honorables sénateurs, les membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales se sont réunis avec des représentants de Comptables professionnels agréés du Canada et de la Chambre de commerce du Canada pour discuter de divers aspects du budget de 2019. Le représentant de Comptables professionnels agréés du Canada a indiqué que l’organisme appuie les mesures qui visent à accélérer les investissements des entreprises, mais qu’il faut en faire davantage pour renforcer la compétitivité à long terme et qu’un examen complet du régime fiscal s’impose. Un tel examen permettrait de simplifier le régime fiscal et de le rendre plus équitable et plus concurrentiel. Le représentant a aussi fait remarquer que l’absence d’une telle annonce dans le budget constituait une occasion ratée. Il y a un mouvement favorable à un examen fiscal complet au Canada. Une évaluation dont nous avons grandement besoin ouvrirait la voie à un régime amélioré qui mettrait le pays dans la meilleure position pour stimuler la croissance économique et sociale.
Avec plus de 210 000 membres, Comptables professionnels agréés du Canada est l’un des plus grands organismes nationaux de comptables dans le monde. En février dernier, l’organisme a commandé un sondage au sujet du régime fiscal canadien à Nanos Research. Le sondage a donné plusieurs résultats intéressants. Il a révélé que près de la moitié des Canadiens — 47 p. 100 — considèrent que le régime fiscal est plus complexe qu’il y a 10 ans, alors que 37 p. 100 considèrent qu’il est demeuré le même. Seuls 5 p. 100 pensent que le régime fiscal s’est simplifié.
Ce sondage indique également que 81 p. 100 des Canadiens sont d’avis qu’un examen en profondeur du régime fiscal devrait être une priorité du gouvernement fédéral. Parmi eux, plus d’un tiers, ou 35 p. 100, affirment que ce devrait être une priorité importante. C’est un nombre impressionnant pour une question comme la réforme fiscale.
(2030)
Honorables sénateurs, bon nombre des fiscalistes au Canada font partie de Comptables professionnels agréés du Canada. En fonction de leurs connaissances et de celles d’autres membres de l’organisme, ce dernier a produit deux rapports qui préconisent un examen du régime fiscal canadien.
Le premier rapport a étudié ce qu’ont fait d’autres pays en matière de réforme et d’examen du régime fiscal. Le deuxième porte sur les raisons qui justifient une refonte d’urgence du régime fiscal du Canada. Un dernier rapport portera sur la façon de concevoir un régime fiscal indépendant afin de maximiser les avantages.
Honorables sénateurs, lorsque le ministre Morneau est venu témoigner au Comité des finances, mercredi dernier, plusieurs sénateurs lui ont demandé pourquoi il n’avait pas entrepris un examen en profondeur du régime fiscal canadien. Bien que le ministre Morneau ait affirmé qu’il était toujours important d’écouter les gens, il a également dit qu’une refonte du code fiscal n’est présentement pas dans les cartons, ce à quoi un membre du comité a répondu : « Qui écoutez-vous? Si vous n’écoutez pas les 80 p. 100 qui veulent un examen du régime fiscal, c’est que vous devez écouter les 20 p. 100 qui n’en veulent pas. »
Honorables sénateurs, le budget de 2019 comprend la Stratégie de gestion de la dette du gouvernement pour 2019-2020 et il énonce les objectifs, la stratégie et les plans d’emprunt du gouvernement pour l’an prochain. Les opérations d’emprunt comprennent le refinancement des titres du gouvernement qui arrivent à échéance, l’exécution du plan budgétaire et les opérations financières du gouvernement.
Comme les honorables sénateurs se rappellent peut-être, le gouvernement libéral, dans le cadre de sa plateforme électorale de 2015, avait promis de s’en tenir à de modestes déficits de 10 milliards de dollars par année et de rétablir l’équilibre budgétaire cette année, soit en 2019-2020. Toutefois, dans son premier budget, le gouvernement a abandonné sa promesse d’enregistrer de petits déficits ainsi que celle de rétablir l’équilibre budgétaire cette année.
Depuis son élection, le gouvernement fédéral a enregistré un déficit de 17 milliards de dollars en 2016-2017, de 19 milliards de dollars en 2017-2018, de 15 milliards de dollars en 2018-2019, et on prévoit un déficit de 19 milliards de dollars cette année. Il n’y a aucun plan pour rétablir un jour l’équilibre budgétaire, comme on l’avait promis. Je crois que j’ai vu quelque chose au sujet des années 2040, mais c’est tellement loin.
On a beaucoup insisté sur la dette du gouvernement du Canada contractée sur les marchés, qui devrait atteindre 754 milliards de dollars à la fin de l’année, mais on ignore souvent la dette de ses sociétés d’État. Le total des dettes des sociétés d’État n’est pas compris dans la dette du gouvernement du Canada contractée sur les marchés ni dans ses états financiers consolidés. Toutefois, en tant que mandataire de la Couronne, ultimement, le gouvernement est légalement responsable de ses actions et de ses dettes.
La dette de ces sociétés d’État devrait s’élever à 316 milliards de dollars d’ici la fin de l’exercice. Pour en tenir compte, le gouvernement a intégré cette dette dans la Loi de 2017 autorisant certains emprunts.
Si l’on examine la dette du Canada au fil des ans, on constate que la dette du gouvernement, y compris celles des sociétés d’État, s’élevait à 918 milliards de dollars à la fin de l’exercice 2014-2015, juste avant l’élection du gouvernement actuel. Dans son budget de 2019, le gouvernement indique que cette dette, y compris celle des sociétés d’État, atteindra 1,07 billion de dollars. En d’autres termes, le gouvernement actuel, depuis son élection en 2015, aura augmenté la dette du Canada de 152 milliards de dollars.
L’endettement a un coût, honorables sénateurs. Cette année, le service de la dette publique devrait s’élever à 26 milliards de dollars, par rapport à 23 milliards de dollars l’an dernier et 21 milliards l’année d’avant.
On constate aussi des augmentations si l’on fait des projections pour les quatre prochaines années, à savoir : 28 milliards de dollars en 2020-2021, 30 milliards en 2021-2022, 31 milliards en 2022-2023 et 33 milliards en 2023-2024.
Les services de la dette passés et prévus montrent clairement qu’ils ont considérablement augmenté au cours des quatre dernières années et que la tendance se poursuivra. Au gré de l’accroissement de la dette et, éventuellement, des taux d’intérêt, le service de la dette nous coûtera plus cher et nous aurons moins d’argent pour financer d’autres programmes du gouvernement.
Honorables sénateurs, je m’en voudrais de ne pas m’étendre un peu sur la question de la dette et des taux d’intérêt.
La SCHL a récemment indiqué que la dette des ménages canadiens avait atteint un niveau record à la fin de 2018, même si le marché des prêts hypothécaires avait ralenti, car les Canadiens continuaient à accumuler des dettes non hypothécaires.
La Banque du Canada, dans sa Revue du système financier du mois dernier, a ciblé les grandes vulnérabilités et les principaux risques relativement à la stabilité financière au Canada. En voici un extrait :
Les vulnérabilités associées à l’endettement élevé des ménages et aux déséquilibres sur le marché du logement ont légèrement diminué, mais restent importantes.
La Banque du Canada poursuit ainsi :
Malgré ces progrès, nous devons rester vigilants. En effet, le niveau global d’endettement reste élevé et une grande part de cette dette est détenue par les ménages fortement endettés.
La Revue du système financier de la Banque du Canada indique également que la précarité du financement par emprunt des sociétés est une nouvelle vulnérabilité.
Honorables sénateurs, il ne faut pas croire que le gouvernement du Canada, qui a cumulé une dette importante au cours des quatre dernières années, est immunisé au risque.
La Banque du Canada, dans sa revue financière, ajoute que :
Le risque global auquel est exposé le système financier canadien a légèrement augmenté depuis notre dernière évaluation, en juin 2018 [...] causé en partie par l’incertitude entourant les politiques commerciales à l’échelle mondiale, la chute des prix du pétrole de l’an dernier, les difficultés persistantes dans le secteur de l’énergie et la prise de risques accrue sur les marchés financiers mondiaux.
Le Fonds monétaire international a aussi présenté des commentaires sur l’économie du Canada. Tous les ans, il envoie une équipe d’économistes dans la plupart des 189 pays membres pour évaluer leur situation économique.
Le mois dernier, le Fonds monétaire international a publié les conclusions préliminaires de sa plus récente consultation auprès du Canada. Le rapport indique que les risques s’accentuent à l’approche des élections fédérales.
Comme l’indique le rapport préliminaire :
L’économie mondiale ralentit, et le bas niveau des prix du pétrole, aggravé par des contraintes de capacités intérieures des oléoducs, freine les exportations et l’investissement des entreprises, tandis que la consommation privée et l’investissement résidentiel, qui ont contribué largement à la croissance rapide récente, ont fléchi en phase avec le ralentissement du marché de l’immobilier, la hausse des taux d’intérêt et l’affaiblissement de la croissance du revenu réel. Si l’accord de réforme de l’ALENA a été signé, le nouvel Accord Canada-États-Unis-Mexique doit encore être approuvé par le parlement, et les tensions commerciales entre les États-Unis et leurs principaux partenaires commerciaux continuent d’assombrir les perspectives économiques.
Dans un témoignage devant le comité des finances, la Chambre de commerce du Canada a indiqué que la dette croissante et les déficits répétés au fédéral posent problème. La marge de manœuvre financière du Canada est extrêmement limitée et il n’y a pas de plan clair pour rétablir l’équilibre. Elle est d’avis que c’est une politique exécrable à long terme, car l’incapacité de mettre de l’ordre dans les finances rend le Canada plus vulnérable au prochain ralentissement économique qui surviendra éventuellement.
Comptables professionnels agréés du Canada a aussi déclaré que, si le gouvernement poursuit son engagement à réduire le ratio dette-PIB, il n’a fixé aucune date pour l’élimination du déficit.
Cette organisation a ajouté que le Canada a besoin d’un plan de stabilité financière, qui fixe une date pour le retour à l’équilibre budgétaire à moyen terme. Le gouvernement doit montrer qu’il a un plan pour limiter les dépenses et voir aux déficits qui persistent. Cela contribuerait grandement à rassurer le milieu des affaires et à minimiser le fardeau laissé aux générations futures.
Même Kevin Page, l’ancien directeur parlementaire du budget, a fait le commentaire suivant dans un article récent :
L’augmentation de la dette fédérale et des intérêts associés à la dette publique suscitera des inquiétudes légitimes à propos de la capacité du gouvernement à gérer les finances.
Il a ajouté :
Si l’économie entre en récession d’ici les élections, le gouvernement aura l’air sérieusement pris au dépourvu.
Honorables sénateurs, le budget de 2019 élargit l’initiative Financement de la construction de logements locatifs, qui a été créée en 2017 et qui consiste à offrir des prêts à faible taux d’intérêt pour encourager la construction de logements locatifs un peu partout au Canada. Les projets doivent répondre à certains critères pour être admissibles. Le programme a été bonifié dans le budget de 2018, pour permettre la construction de 14 000 nouveaux logements locatifs au cours de la durée du programme.
Le budget de 2019 élargit encore le programme en y injectant 10 milliards de dollars de plus sur neuf ans. Avec cette augmentation, on estime que le programme appuiera la construction de 42 500 nouveaux logements locatifs au Canada.
Dans le budget de 2019, on indique que cinq projets ont été annoncés, ce qui représente 500 logements locatifs.
(2040)
Les sénateurs se sont demandé pourquoi il n’y avait que cinq projets représentant 500 unités pour un programme annoncé il y a deux ans. Les représentants de la Société canadienne d’hypothèques et de logement ont indiqué qu’ils s’attendent toujours à atteindre les objectifs et qu’il faut du temps pour construire un immeuble locatif. Leur explication était la suivante :
Il y a un certain décalage entre le début du programme, la prise en compte des demandes, l’obtention des fonds et le début des travaux.
Je dois dire qu’il a été fort décevant d’attendre deux ans et d’entendre que seulement 500 unités étaient annoncées.
Le budget de 2019 propose également d’instaurer le programme incitatif à l’achat d’une première propriété, et le sénateur Boehm a fait des observations à ce sujet. Ce programme a été renvoyé au Comité sénatorial des affaires sociales. Toutefois, le PDG et président de la Société canadienne d’hypothèques et de logement a témoigné devant le Comité sénatorial des finances et a traité de cette initiative budgétaire.
Dans le cadre de ce programme, un incitatif de 5 p. 100 ou de 10 p. 100 du prix d’achat de la maison serait offert par la Société canadienne d’hypothèques et de logement; l’incitatif de 5 p. 100 serait offert pour une maison existante et celui de 10 p. 100 pour une maison nouvellement construite. Le prêt hypothécaire avec participation de 10 p. 100 pour les maisons nouvellement construites vise à encourager la construction de nouvelles maisons dans les régions où l’offre de logements est insuffisante.
Pour être admissible, le participant doit acheter sa première maison, le revenu du ménage doit être inférieur à 120 000 $ par année, et le total du prêt hypothécaire assuré et de l’incitatif ne doit pas représenter plus de quatre fois le revenu du ménage. L’incitatif permettrait aux acheteurs d’une première propriété admissibles qui ont le montant minimal de mise de fonds pour un prêt hypothécaire assuré de demander à la SCHL de financer une partie de l’achat au moyen d’un prêt hypothécaire avec participation. On s’attend à ce qu’environ 100 000 acheteurs d’une première maison puissent profiter de l’incitatif pendant les trois prochaines années.
Le gouvernement consacre des sommes considérables à ce programme, soit 1,25 milliard de dollars sur trois ans, répartis comme suit : 250 millions de dollars cette année, un demi-milliard de dollars l’an prochain et un demi-milliard de dollars l’année suivante. Le gouvernement a indiqué que le programme serait mis en œuvre en septembre 2019.
L’Incitatif à l’achat d’une première propriété prendra la forme d’un prêt hypothécaire avec participation qui sera remboursé quand le participant vendra la propriété. Il nous faudra plus de détails pour comprendre le fonctionnement exact du programme. À titre d’exemple, si le prix de vente d’une propriété est inférieur au solde de l’hypothèque, comment la SCHL récupérera-t-elle son investissement? La formule relative à la récupération de l’investissement de la SCHL n’a pas encore été communiquée.
Bien que ce programme jouisse d’une bonne promotion, il inspire certaines critiques. Certains disent qu’il aura pour effet d’accroître la demande de maisons. Le prix des maisons risque donc d’augmenter considérablement en attendant que de nouvelles propriétés soient construites et que l’offre de maisons augmente. Dans les marchés où les prix sont stables ou à la baisse, ce qui rend les habitations plus abordables, le programme pourrait nuire à cette abordabilité. Signalons toutefois que des représentants de la SCHL ont dit être confiants que le programme n’aurait essentiellement aucun effet sur le prix des maisons.
La menace la plus importante et la plus évidente pour la stabilité économique du pays est l’endettement sans précédent des ménages, fortement lié aux hypothèques. D’ailleurs, les Canadiens affichent le plus fort taux d’endettement des économies du Groupe des sept. Or, ce programme encouragera plus de gens vulnérables à s’endetter davantage tout en contribuant à la hausse du coût des logements qui est à l’origine de l’actuel problème d’endettement des Canadiens.
D’ailleurs, selon la Banque du Canada, le taux d’endettement élevé des ménages canadiens est la principale vulnérabilité du système financier canadien. De plus, le Fonds monétaire international a mis le Canada en garde contre son fort taux d’endettement et les pressions que cela fait subir aux ménages canadiens pour qu’ils remboursent cette dette.
Lors de son témoignage, CPA Canada a soulevé plusieurs préoccupations à l’égard de l’incitatif à l’achat d’une première propriété. Premièrement, selon cet organisme, le programme proposé exposerait directement la Société canadienne d’hypothèques et de logement aux risques du marché hypothécaire, alors que l’endettement des ménages atteint un niveau sans précédent et que les taux d’intérêt sont à la hausse.
Deuxièmement, si la SCHL prend en charge une partie du prêt hypothécaire de l’emprunteur, celui-ci va seulement emprunter plus. Le représentant de Comptables professionnels agréés du Canada estime en outre que, dans un marché immobilier où l’offre est limitée et la demande, suffisante, le seul fait de pousser les acheteurs à s’endetter davantage risque d’avoir peu d’effet sur l’offre.
Les Professionnels hypothécaires du Canada avaient eux aussi des réserves concernant l’Incitatif à l’achat d’une première propriété, car, à leur avis, ce programme n’aidera pas les gens à acheter une maison qu’ils n’avaient pas déjà les moyens de se payer.
Ils ont expliqué que le prêt hypothécaire admissible correspond à quatre fois le revenu réel du ménage, alors que, sur le marché, les couples qui ont un crédit raisonnablement élevé peuvent contracter un prêt assuré traditionnel équivalant à 4,7 ou 4,8 fois leur revenu.
Les Professionnels hypothécaires du Canada ont ajouté qu’à leur connaissance, l’industrie n’avait pas vraiment été consultée avant l’annonce de ce programme.
Le Comité des finances de la Chambre des communes s’est aussi intéressé à l’Incitatif à l’achat d’une première propriété, et je vous résume quelques-unes des discussions entendues.
Les députés ont admis que personne, aux plus récentes réunions du Comité des comptes publics, ne semblait connaître les détails du programme. Selon le président de la SCHL, le conseil d’administration de son organisme en a appris l’existence le soir où le budget a été présenté. Les députés du Comité des finances des Communes ont bien indiqué qu’il devrait aider 100 000 personnes à acquérir une première maison, mais ils ont été incapables de dire d’où venait ce chiffre.
On n’a pas pu obtenir d’autres renseignements sur le programme auprès de la SCHL, que ce soit sur le processus de demande, les modalités du programme, ce qui arrive en cas de défaut de paiement hypothécaire, les montants à rembourser et les modalités de remboursement ou sur la réalisation d’une évaluation du risque par la SCHL.
En résumé, les discussions au Comité des finances de la Chambre des communes étaient semblables à celles du Comité sénatorial des affaires sociales. Cette partie du projet de loi d’exécution du budget a été renvoyée au Comité des affaires sociales. J’en reparlerai plus tard quand j’aborderai les rapports des comités.
Étant donné qu’on estime que cette initiative budgétaire coûtera 1,25 milliard de dollars au cours des trois prochaines années, je me serais attendu à ce que le programme soit plus étoffé.
Honorables sénateurs, je vais parler un peu de Phénix parce que le budget prévoit de grosses sommes d’argent pour régler ses problèmes.
Comme vous le savez, le système de paie Phénix pour les fonctionnaires fédéraux découle de l’Initiative de transformation de l’administration de la paye. Dans le cadre de ce système, plus de la moitié des fonctionnaires du gouvernement fédéral ont éprouvé des problèmes de rémunération, ce qui a causé des difficultés à des milliers de personnes.
Le vérificateur général du Canada a publié deux rapports sur Phénix. Ce système est toujours utilisé pour administrer la paie d’environ 300 000 fonctionnaires fédéraux.
En 2016, dès le lancement de Phénix, les problèmes ont commencé à surgir. Les causes de cet échec sont multiples, notamment l’incapacité à gérer le système de paie de manière intégrée avec les processus des ressources humaines, le choix de ne pas mener de projet pilote, la suppression, pour respecter les budgets, de fonctions de traitement essentielles, la mise à pied de conseillers en rémunération chevronnés et le déploiement d’un système de paie qui n’était pas prêt.
Le total des investissements pour régler les problèmes de paie du système Phénix s’élève maintenant à 1,2 milliard de dollars. Passons en revue comment cet argent a été dépensé.
En 2017, on a investi 142 millions de dollars pour renforcer les capacités, améliorer la technologie et soutenir les employés. Autrement dit, les sommes ont servi à corriger les problèmes qui étaient soulevés. L’an passé, le budget de 2018 a prévu 431 millions de dollars sur cinq ans pour permettre à Services publics et Approvisionnement Canada et au Secrétariat du Conseil du Trésor d’embaucher du personnel, de renforcer les capacités, d’améliorer la technologie et de soutenir les employés. Encore une fois, il s’agissait de régler les problèmes du système de paie Phénix. Le budget a aussi prévu une enveloppe de 5 millions de dollars sur deux ans pour l’Agence du revenu du Canada afin qu’elle traite les nouvelles cotisations à l’égard de l’impôt sur le revenu, qui sont nécessaires en raison de problèmes de paie.
Dans le budget de 2018, le gouvernement du Canada a aussi prévu de verser 16 millions de dollars sur deux ans au Conseil du Trésor, à compter de 2018-2019, afin de travailler avec des experts, les syndicats de la fonction publique fédérale et des fournisseurs de technologies sur les prochaines étapes de la mise en place d’un nouveau système de paie. Les fonds ont aussi servi à établir une équipe temporaire des ressources humaines et de la paie de prochaine génération en tant que solution pour le gouvernement du Canada. Cette initiative doit mener à des options ce mois-ci. Nous les attendons avec intérêt.
Lorsqu’elle a comparu devant le Comité des finances nationales, la ministre Qualtrough a déclaré que le gouvernement avait déjà commencé à mettre Phénix de côté et à mettre au point la prochaine génération du système de paie du gouvernement fédéral. Le budget de 2019 prévoit 22 millions de dollars de plus en 2018-2019 pour répondre aux pressions urgentes en matière d’administration de la paie afin de continuer à stabiliser le système de paie actuel.
Dans son budget de 2019, le gouvernement propose également d’injecter 523 millions de dollars supplémentaires sur cinq ans, à compter de 2019-2020, dans Services publics et Approvisionnements Canada et dans le Secrétariat du Conseil du Trésor pour faire en sorte que suffisamment de ressources soient consacrées au règlement des problèmes de paie. Il octroie également 9 millions de dollars à l’Agence du revenu du Canada pour traiter les réévaluations de l’impôt sur le revenu.
(2050)
Le gouvernement a mis en place un nouveau modèle de prestation des services pour le traitement des mouvements de paie. Il s’agit d’une initiative des employés du Centre des services de paie appelée équipes mixtes. On s’attend à ce que ces équipes mixtes favorisent une utilisation plus efficace des ressources et un traitement plus rapide des mouvements de paie.
Lorsque nous avons rencontré la ministre en avril, elle nous a dit que d’ici mai, c’est-à-dire le mois dernier, l’ensemble des 46 ministères servis par le Centre des services de paie adhéreraient au modèle des équipes mixtes.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-97 traite des trop-payés. Le système de paie Phénix ne paie pas assez certains fonctionnaires et en paient d’autres trop. En vertu de la loi en vigueur, un employé qui reçoit un trop-payé est tenu de rembourser à l’employeur le montant brut du paiement excédentaire. Il lui appartient ensuite de recouvrer auprès de l’Agence du revenu du Canada l’impôt sur le revenu, les cotisations au Régime de pensions du Canada et les cotisations à l’assurance-emploi qui ont été déduits par l’employeur lorsque le trop-payé a été versé.
Les articles 33, 45 et 50 du projet de loi C-97 établissent que, moyennant certaines conditions, un employé à qui l’on a versé un trop-payé par suite d’une erreur d’écriture, administrative ou systémique serait tenu de rembourser à l’employeur seulement le montant net du paiement excédentaire versé à une année précédente plutôt que le montant brut.
Selon les nouvelles règles, l’Agence du revenu du Canada pourrait rembourser directement à l’employeur l’impôt, les cotisations au Régime de pensions du Canada et au régime d’assurance-emploi retenues sur un trop-payé qui lui ont été versés pour l’employé en question. Ainsi, les employés touchés n’auraient plus à récupérer ces montants auprès de l’Agence du revenu du Canada et à les rembourser à l’employeur.
Pour que ces nouvelles règles s’appliquent, l’employé doit avoir remboursé son employeur ou pris une entente pour le faire dans les trois ans suivant la fin de l’année pendant laquelle il y a eu trop-payé. Les règles actuelles continueraient de s’appliquer lorsque ces conditions ne sont pas respectées. Les employeurs des secteurs public et privé peuvent décider d’appliquer ces nouvelles règles pour tout trop-payé effectué après 2015 à la condition de ne pas avoir émis de relevé T4 pour le corriger.
Les témoins qui ont comparu devant le Comité des finances nationales étaient d’avis que, puisque les retraités et les employés n’étaient ni l’un ni l’autre responsables des trop-payés, ils ne devraient pas avoir à assumer le fardeau du remboursement du montant brut, d’années de confusion au niveau de l’impôt et de problèmes ou de difficultés financières et d’incertitude.
Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant dire quelques mots au sujet du blanchiment d’argent. Cette question a été renvoyée au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, mais le sujet m’intéressait. J’étais en train de faire des recherches avant que cette partie du projet de loi soit renvoyée à un autre comité. J’aimerais en parler, puis, plus tard, je soulignerai ce que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a dit à ce sujet.
Honorables sénateurs, dans le budget de 2019, le gouvernement a fait part de ses préoccupations au sujet du blanchiment d’argent. Depuis quelques années, les médias de la Colombie-Britannique font état du problème du blanchiment d’argent. L’an dernier, le gouvernement de la Colombie-Britannique a retenu les services de Peter German, sous-commissaire de la GRC à la retraite, pour mener un examen indépendant du phénomène du blanchiment d’argent dans les casinos de la vallée du bas Fraser. Son rapport a été publié en mars 2018.
Plus récemment, deux autres rapports ont été publiés sur le blanchiment d’argent dans l’immobilier, les voitures de luxe et les courses de chevaux. Ces rapports ont été commandés en septembre 2018, à la suite d’inquiétudes généralisées au sujet de la réputation de la province en tant que paradis pour le blanchiment d’argent.
Le premier rapport provenait d’un groupe d’experts sur le blanchiment d’argent, qui a été nommé par le gouvernement de la Colombie-Britannique pour examiner le blanchiment d’argent dans le secteur immobilier. Le deuxième rapport portait sur la deuxième étude de Peter German sur le blanchiment d’argent, qui était axée sur l’industrie de la construction, le secteur immobilier, les voitures de luxe et les courses de chevaux.
L’Institut C.D. Howe a également publié un rapport intitulé Why We Fail to Catch Money Launderers 99.9 percent of the Time. Selon Kevin Comeau, l’auteur du rapport, les mesures de protection du Canada contre le blanchiment d’argent, surtout celles qui touchent à l’immobilier, sont parmi les plus permissives des démocraties libérales occidentales, et des milliards de dollars sont blanchis au Canada chaque année.
De plus, le Comité des finances de la Chambre des communes a publié un rapport en novembre dernier sur son étude de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
En 2013, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a également publié un rapport, intitulé Suivre l’argent à la trace : Le Canada progresse-t-il dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes? Pas vraiment.
On a reproché au gouvernement fédéral de n’avoir pas pris suffisamment de mesures pour contrer le blanchiment d’argent.
Le budget de 2019 prévoit 11 millions de dollars cette année et 141 millions de dollars sur cinq ans pour la GRC, Sécurité publique Canada, l’Agence des services frontaliers du Canada et le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada afin de renforcer le régime canadien de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
En plus du financement, le projet de loi C-97 propose des amendements au Code criminel et à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Comme je l’ai indiqué plus tôt, la partie de la loi d’exécution du budget portant sur le blanchiment d’argent a été renvoyée au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J’y reviendrai plus tard dans mon discours.
Honorables sénateurs, le projet de loi d’exécution du budget ajoute trois nouvelles mesures à la Loi de l’impôt sur le revenu afin d’aider le journalisme canadien. Le sénateur Boehm a fourni des précisions à ce sujet dans son discours. Je vais simplement mentionner les trois nouvelles mesures et donner quelques observations.
D’abord, le projet de loi instaure un crédit d’impôt pour abonnement aux nouvelles numériques. Il modifie aussi la définition de « donataire reconnu », qui, actuellement, comprend les organismes de bienfaisance enregistrés, pour y inclure les organisations journalistiques enregistrées par le ministre du Revenu national. Cette mesure permettra aux organisations journalistiques de délivrer des reçus officiels pour les dons qu’elles reçoivent.
Le projet de loi C-97 prévoit une troisième nouvelle mesure, soit l’instauration d’un crédit d’impôt remboursable de 25 p. 100 sur les traitements versés aux employés de salle de presse admissibles.
Pour mettre en œuvre ce programme, le gouvernement a ciblé huit organisations, qui ont été invitées à nommer un membre au groupe d’experts indépendants pour faciliter l’implantation de ces mesures, notamment en recommandant des critères d’admissibilité. Le gouvernement propose aussi de créer un organisme administratif indépendant, qui sera responsable de déterminer l’admissibilité des organisations journalistiques aux trois mesures. Le gouvernement soutient que des médias d’information forts et indépendants sont essentiels au bon fonctionnement d’une démocratie.
Toutefois, le programme a été vivement critiqué, étant donné que les personnes qui ont réclamé de l’aide sont désormais celles qui sont chargées de définir les critères d’admissibilité, et que ce sont ces mêmes personnes qui en seront les bénéficiaires.
Comme John Miller, professeur à l’Université Ryerson, l’a indiqué :
Le projet de loi C-97 comprend plus de 106 000 mots, dont quatre me préoccupent [soit] organisations journalistiques « qualifiées » ou « enregistrées », qui seront les seules à recevoir du soutien fédéral.
[Q]uels journalistes se qualifient, où sont[-ils] enregistrés et qui profite de ces mesures[?]
Il s’est également dit préoccupé par le fait que le danger ici est que le gouvernement a un pouvoir sur les organisations journalistiques.
Le budget du programme est substantiel. Le budget de 2019 indique que le budget du programme au cours des cinq prochaines années sera de 594 millions de dollars.
Un certain nombre de questions ont fait l’objet de discussions au cours de la réunion du comité. Le programme porte atteinte à l’indépendance de la presse, car les médias seront désormais subventionnés par le gouvernement. Bien que le gouvernement ait mis sur pied un groupe d’experts indépendant chargé de recommander des critères d’admissibilité, si vous examinez le budget de 2019, vous constaterez qu’il a déjà établi les critères d’admissibilité. La participation d’Unifor au groupe d’experts indépendant est particulièrement préoccupante.
De plus, l’Association canadienne des journalistes, qui est membre du comité, a soulevé un certain nombre de préoccupations concernant la transparence du processus. Elle a demandé que le mandat, les procès-verbaux et les ordres du jour du groupe soient du domaine public. Elle a également demandé que la liste complète des demandeurs de financement soit publiée en ligne.
Aucune information sur l’organe administratif indépendant n’a été publiée, donc nous ignorons la façon dont il fonctionnera.
Honorables sénateurs, voici ma principale préoccupation au sujet de ce programme : lorsque le gouvernement a été élu en 2015, il s’est concentré sur la façon d’obtenir des résultats concernant les mesures promises. Les ministères étaient tenus d’établir des indicateurs de rendement pour leur programme et une unité des résultats et de la livraison a été créée au Bureau du Conseil privé. Un sous-ministre a été nommé à sa tête.
Même si 594 millions de dollars seront dépensés pour soutenir le journalisme, personne ne nous a dit ce que ces 594 millions de dollars sont censés accomplir. Je sais que le sénateur Boehm a utilisé les mots « renforcer » et « améliorer », mais je pense que le gouvernement devrait être plus précis quant à ce qu’il attend de ces 594 millions de dollars.
Des voix : Bravo!
La sénatrice Marshall : Quels résultats pouvons-nous espérer? Que se passera-t-il lorsque le financement cessera, après la cinquième année? Ce sont des questions restées sans réponse.
(2100)
Honorables sénateurs, je vais maintenant passer aux véhicules sans émission. Le Comité des finances a tenu une réunion au sujet des véhicules zéro émission, qui s’est révélée très intéressante et instructive.
Le budget de 2019 propose plusieurs mesures qui encourageront plus de gens et d’entreprises à acquérir des véhicules zéro émission pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Le projet de loi C-97 propose que les véhicules zéro émission donnent droit à un taux de déduction pour amortissement bonifié de 100 p. 100 l’année où le véhicule est mis en service, jusqu’à concurrence de 55 000 $.
Pour avoir droit à cette déduction pour amortissement bonifiée, le véhicule doit soit être entièrement électrique, soit être un hybride rechargeable avec une capacité de batterie d’au moins 15 kilowattheures, soit être uniquement alimenté à l’hydrogène.
Le projet de loi C-97 étend aussi la déduction pour amortissement accéléré aux bornes de recharge. Cette initiative devrait coûter 130 millions de dollars sur cinq ans.
La mesure visant à aider les entreprises à investir dans des véhicules zéro émission devrait coûter 265 millions de dollars sur cinq ans. Beaucoup d’argent est consacré à cette initiative.
En plus de la déduction pour amortissement accéléré pour les entreprises, le budget de 2019 propose un nouvel incitatif fédéral pouvant atteindre 5 000 $ pour l’achat d’un véhicule électrique à batterie électrique ou à pile à hydrogène dont le prix de détail du fabricant est de moins de 45 000 $. Cette initiative devrait coûter 300 millions de dollars sur trois ans.
Des témoins nous ont dit que plus de 40 modèles de véhicules électriques étaient en vente actuellement. Ce nombre devrait augmenter considérablement au cours des prochaines années. Rappelons que seulement sept modèles étaient offerts en 2011.
Les témoins nous ont aussi dit qu’il existe une corrélation entre la hausse des achats de véhicules électriques et l’existence d’un incitatif pour l’achat d’un tel véhicule. Il y a une corrélation.
Le gouvernement propose 130 millions sur cinq ans pour la mise en place de nouvelles stations de recharge et de ravitaillement. Cette somme représente un pas dans la bonne direction, mais, comme l’a dit un témoin, il y a encore du chemin à faire.
Comme environ 8 p. 100 du parc automobile changent chaque année, il faudra du temps pour que les véhicules électriques se taillent une place.
Selon des témoins, les habitudes du conducteur et la température ambiante ont des incidences sur les piles. lls ont indiqué qu’une distance moyenne de 340 kilomètres pourrait se situer dans les limites maximales, selon le véhicule, le genre de pile et la charge de la pile. Le comportement du conducteur peut aussi avoir une incidence importante sur la performance de la pile et la distance parcourue.
Selon les témoins, il est clairement nécessaire d’élargir le réseau de recharge.
D’après un représentant de l’industrie de la recharge, recharger complètement la pile d’un véhicule électrique ordinaire prend de 15 à 25 minutes, et les propriétaires de véhicules électriques se sentiront davantage en confiance lorsqu’il y aura davantage de stations de recharge.
Ces discussions étaient très intéressantes et très éclairantes.
Dans le cadre du budget de 2019, le gouvernement établit pour ce programme l’objectif de ne vendre que des véhicules zéro émissions d’ici 2040, ce qui est encore loin, et on prévoit des objectifs à plus court terme de 10 p. 100 d’ici 2025 et de 30 p. 100 d’ici 2030.
Même si les années 2030 et 2040 sont encore loin, des témoins ont semblé hésiter quelque peu à donner leur avis sur ces deux dates, mais ils ont accepté de commenter l’objectif de 10 p. 100 d’ici 2025. Selon eux, nous sommes actuellement à moins de 4 p. 100. Il se pourrait donc qu’on atteigne les 10 p. 100, selon les remises qui sont offertes, l’accessibilité des bornes de recharge et les types de véhicules disponibles.
Selon un autre témoin, les cibles, bien qu’ambitieuses, sont atteignables si on adopte un bon ensemble de politiques.
Il y avait trois témoins principaux, et un quatrième est venu répondre à des questions sur le réseau de recharge. À la fin de cette audience, tous les témoins se sont montrés très favorables à ces véhicules.
Fait intéressant, à la fin de notre réunion, le sénateur Mockler a demandé aux trois témoins qui étaient favorables aux mesures du budget de 2019 s’ils possédaient un véhicule électrique, et ils ont tous répondu que non.
C’était une séance intéressante. Elle m’a donné le goût d’avoir un véhicule électrique.
Honorables sénateurs, je veux parler de l’Allocation canadienne pour la formation. Le budget de 2019 propose d’établir cette nouvelle allocation pour aider les Canadiens à acquérir les compétences dont ils ont besoin dans un monde en évolution.
L’allocation sera administrée par l’Agence du revenu du Canada. Aux termes de ce programme, les travailleurs admissibles accumuleraient un solde de crédits de 250 $ par année, jusqu’à une limite cumulative à vie de 5 000 $ qu’ils pourraient utiliser pour payer leurs frais de formation. Je pense que le sénateur Boehm a parlé de ce programme.
Pour avoir droit à cette allocation, les gens doivent être âgés de 25 à 64 ans, gagner entre 10 000 $ et 150 000 $ par an, et les travailleurs doivent être en mesure d’appliquer leur solde du crédit canadien pour la formation accumulé à la moitié des coûts de formation.
Les travailleurs demanderaient ce remboursement au moment de produire leur déclaration de revenus. Puisque l’Agence du revenu du Canada administrera ce programme, le solde du crédit mis à jour sera inclus dans les renseignements qu’envoie l’Agence aux Canadiens chaque année.
Lorsque nous avons étudié cette partie du projet de loi C-97, notre comité a entendu cinq témoins externes, qui ont soulevé plusieurs questions sur cette nouvelle allocation.
Je vais les nommer parce qu’ils ont fait de nombreuses remarques. Il y en a eu huit en tout.
Tout d’abord, Dan Kelly, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, a dit que l’employeur n’avait aucun rôle à jouer et qu’il était obligé d’accorder le congé, qu’il y ait ou non un avantage pour l’entreprise.
Deuxième observation : le crédit annuel de 250 $ n’est peut-être pas suffisant pour payer une formation valable.
Troisième observation : le travailleur doit attendre la saison des impôts pour être remboursé.
Une autre plainte, je suppose, est que seulement la moitié des coûts de la formation, et non le plein montant, est couverte.
Les témoins ont aussi souligné que le programme et son administration par l’Agence du revenu du Canada alourdit la complexité de notre système fiscal. J’ai déjà soulevé cette question par le passé.
On devrait définir les attentes en matière d’impact à long terme sur la main-d’œuvre et, encore une fois, mentionner les résultats des programmes.
L’allocation est réservée aux travailleurs âgés de 25 à 64 ans. Comme le sénateur Boehm l’a mentionné, beaucoup de gens travaillent passé l’âge de 64 ans, de nos jours. Peut-être que le programme devrait s’appliquer passé 64 ans.
Les personnes doivent gagner un revenu de 10 000 $ ou plus.
Il a été très décevant d’entendre qu’aucun des cinq témoins n’a été consulté à propos du projet de loi, d’autant plus qu’un représentant de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante comptait parmi nos cinq témoins.
Honorables sénateurs, l’un des avantages de siéger au Comité des finances nationales est qu’on se renseigne sur tous les ministères et organismes gouvernementaux.
Lorsque le projet de loi d’exécution du budget a été déposé à la Chambre des communes, certaines des sections que je pensais voir confiées au Comité des finances ont plutôt été confiées à d’autres comités. Les rapports issus des différents comités sur les sections du projet de loi d’exécution du budget qui leur avaient été confiées ont été remis au Comité sénatorial des finances. J’ai lu une partie des rapports pour avoir une idée des préoccupations des comités par rapport à certaines parties du projet de loi. J’ai trouvé certaines portions du projet de loi intéressantes, notamment la question des deux nouveaux ministères, soulevée par le sénateur Patterson, et celle qui traite du blanchiment d’argent.
J’avais l’intention de parler de chacune de ces parties. Je ne sais pas si j’ai le temps. Je vais commencer par la fin et parler du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, chargé d’étudier la section 25 de la partie 4 du projet de loi, qui porte sur les deux nouveaux ministères.
Après la création de ces deux nouveaux ministères, chaque fois qu’un représentant de ces deux ministères est venu au Comité des finances, nous lui avons demandé quel était l’état des progrès par rapport à la nouvelle loi régissant les ministères. En posant des questions aux témoins, nous avons trouvé parfois difficile de comprendre quel ministère est responsable de quels programmes. Je vous donne un exemple.
Pourrais-je avoir cinq minutes de plus, s’il vous plaît?
Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils d’accord pour accorder cinq minutes de plus?
Des voix : D’accord.
La sénatrice Marshall : Lorsque les fonctionnaires de ces deux ministères viennent témoigner, nous leur demandons toujours de préciser de quoi ils sont responsables. Par exemple, il semble que plusieurs ministères touchent à la question du logement pour les peuples autochtones. Si on ajoute la SCHL aux deux nouveaux ministères responsables des questions autochtones, la situation peut parfois devenir difficile à démêler, alors nous attendions la nouvelle législation.
(2110)
Comme l’a souligné le sénateur Boehm, le premier ministre a annoncé la dissolution d’Affaires autochtones et du Nord Canada en août 2017, alors nous attendions la nouvelle législation.
J’étais un peu surprise quand quelqu’un m’a dit : « Oh, les mesures législatives concernant les deux nouveaux ministères font partie du projet de loi d’exécution du budget, elles sont là, à la toute fin. » Alors, avant de savoir que le Comité des peuples autochtones les étudierait, je me suis dit que le Comité des finances aurait l’occasion de le faire, car cela nous intéressait.
J’ai lu le projet de loi. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais, après avoir lu les deux projets de loi, je me suis dit que ces mesures législatives étaient vraiment superficielles. Je ne sais pas pourquoi et je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais peu importe quelles étaient mes attentes, elles n’ont pas été comblées.
Lorsque je suis allée au Comité des peuples autochtones, j’avais hâte d’entendre ce que les membres avaient à dire. Le sénateur Patterson en a un peu parlé. Il a parlé d’une lettre de l’Assemblée des premières nations dont j’ai en main une copie. Ce sont des extraits du rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
[...] l’Assemblée des Premières Nations a informé le Comité qu’il n’y a pas eu de véritable consultation sur la création des deux ministères et possiblement d’un troisième ministère.
Le Comité a également dit :
L’Assemblée des Premières Nations a ajouté estimer que « les gouvernements et les organisations représentatives des Premières Nations n’ont pas eu assez de temps pour examiner attentivement et analyser le projet de loi, pour obtenir des avis juridiques sur les questions abordées dans le projet de loi et pour produire des mémoires sur le sujet ». Le manque de consultation a même amené certains témoins à affirmer que leurs droits issus des traités ont été violés, et d’autres témoins à recommander la suppression de la section 25 de la partie 4 du projet de loi C-97.
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a donc formulé deux recommandations dans son rapport. Voici ce qu’il a dit dans sa première recommandation :
Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales amende le projet de loi C-97 en y supprimant la section 25 de la partie 4 et en la présentant dans un projet de loi distinct afin de favoriser la participation des titulaires de droits autochtones au processus législatif.
Dans sa deuxième recommandation, le Comité a dit :
Que Services aux Autochtones Canada et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada :
•mènent d’autres consultations auprès des peuples, des communautés et des organisations autochtones sur la création de deux ministères pour remplacer le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord et possiblement d’un troisième ministère des Affaires du Nord;
• fassent rapport au comité, d’ici un an, de l’état d’avancement du processus de consultation et des progrès réalisés pour s’attaquer aux questions soulevées, notamment par les Premières Nations au sujet des traités antérieurs à 1975, et de la nomination, facultative ou obligatoire, d’un ministre des Affaires du Nord.
Voilà les deux recommandations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Il y a plusieurs autres rapports de comité qui ont un lien avec le travail que nous avons fait au Comité des finances. J’aimerais parler du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles parce qu’il s’est penché sur le blanchiment d’argent. Il a été autorisé à étudier cette partie du projet de loi d’exécution du budget. Voici ce qu’il a dit :
Le comité reconnaît que le projet de loi C-97 contient des modifications visant à renforcer la capacité des organismes d’application de la loi, des services des poursuites et du CANAFE dans le but de dissuader, de prévenir et de poursuivre les activités de blanchiment d’argent, et d’enquêter à leur sujet. Toutefois, le comité est d’avis que le gouvernement ne démontre pas le leadership nécessaire pour lutter efficacement contre le blanchiment d’argent et combler les pertes que le Trésor public subit. Selon de récents rapports d’experts et des renseignements publiés par le gouvernement de la Colombie-Britannique, les pertes oscillent entre $40 et $100 milliards par année. Le gouvernement fédéral apparaît dépendre des instances internationales, et même des provinces avant d’agir.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Marshall, votre temps de parole est écoulé.
Des voix : Le vote!
Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)
Renvoi au comité
Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Boehm, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des finances nationales.)
Projet de loi prévoyant une procédure accélérée et sans frais de suspension de casier judiciaire pour la possession simple de cannabis
Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Tony Dean propose que le projet de loi C-93, Loi prévoyant une procédure accélérée et sans frais de suspension de casier judiciaire pour la possession simple de cannabis, soit lu pour la deuxième fois.
—Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-93, Loi prévoyant une procédure accélérée et sans frais de suspension de casier judiciaire pour la possession simple de cannabis. Au moyen de cette importante mesure législative, le gouvernement propose un mécanisme accéléré de pardon pour les personnes ayant une infraction pour possession simple de cannabis inscrite à leur casier judiciaire, les frais habituels de demande étant éliminés à cet égard.
L’objectif du projet de loi C-93 est de donner à ces personnes la possibilité de se débarrasser d’un fardeau, d’éliminer les obstacles à l’emploi, à l’éducation et au logement, et de leur donner la capacité de faire du bénévolat et de voyager plus facilement. Tous ces éléments sont conformes à l’un des objectifs clés du projet de loi C-45, qui légalisait le cannabis et que nous avons étudié l’an dernier.
Comme nous l’avions fait pour le parrainage du projet de loi C-45, mon bureau fera parvenir de la documentation à tous les sénateurs tout au long du processus. Vous avez d’ailleurs déjà reçu une trousse d’information par courriel ce soir, dans les deux langues officielles.
Je profite de cette occasion pour inviter tous les sénateurs et leur personnel à assister à une séance d’information sur ce projet de loi ce mercredi 12 juin à 11 h 30. Une invitation avec tous les détails vous sera envoyée.
Je vais être proactif ce soir en décrivant les principaux enjeux qui ont émergé des débats à la Chambre des communes afin d’orienter nos discussions sur cette importante mesure législative.
Je commence toutefois mon discours en soulignant à quel point la situation peut évoluer en une année. Il y a un an le vendredi 7 juin, les sénateurs votaient à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-45, Loi sur le cannabis. C’était en quelque sorte un moment historique pour le Sénat et pour les Canadiens. Les leaders se sont entendus pour mener des débats thématiques et planifiés, pour effectuer une étude vaste et approfondie au comité et, fait important, pour fixer une date bien à l’avance pour le vote à l’étape de la troisième lecture. Après des mois d’examen approfondi au Sénat, de débats et de réflexion, le Canada est devenu le deuxième pays du monde à légaliser et réglementer rigoureusement le cannabis.
La semaine dernière, j’ai eu le privilège de siéger au Comité des finances nationales, qui est présidé par le sénateur Mockler, pour participer à l’étude préalable du projet de loi d’exécution du budget. J’imagine que vous en avez suffisamment entendu parler. Cependant, les sénateurs et les témoins y ont discuté de la taxation du cannabis. La discussion s’est révélée captivante, réfléchie et axée sur les politiques, ce qui était très rafraîchissant. Nous aurions pu être en train de parler de n’importe quel produit ou marché. Le ton de la réunion montre les progrès que nous avons faits pour éliminer les préjugés en quelques mois, ainsi que le chemin parcouru vers l’atteinte des objectifs d’ordre social et de santé publique de la réforme législative concernant le cannabis.
Aujourd’hui, chers collègues, nous faisons un autre bond en avant. Nous nous apprêtons en effet à faciliter la vie des personnes qui ont été reconnues coupables de possession simple de cannabis. Le gouvernement propose une procédure accélérée de suspension du casier judiciaire — ce qu’on appelle communément le pardon — pour toutes les infractions désormais légales au Canada. Cette procédure accélérée est en fait une version plus simple et plus rapide du processus permettant depuis déjà de nombreuses années de demander la suspension de son casier judiciaire. Voilà pourquoi le projet de loi lui-même n’est pas très long — il fait à peine quatre pages et demie dans les deux langues officielles. Cela dit, il aura de profondes répercussions sur la société canadienne. Je dois d’ailleurs vous prévenir : mon intervention sera loin d’être aussi brève que le projet de loi.
(2120)
Le projet de loi C-93 améliorera et accélérera le processus actuel de suspension des casiers judiciaires, qui est bien connu et fréquemment utilisé. Ce faisant, il permettra aux personnes concernées de se débarrasser rapidement des préjugés associés à la possession d’une drogue désormais légale et réglementée.
Les frais de 631 $ et la période d’attente de 5 à 10 ans qui font partie du processus actuel seront éliminés, et du moment où les critères de base seront remplis, la Commission des libérations conditionnelles n’aura pas d’autres critères subjectifs à évaluer, et le pardon sera automatiquement accordé. Ce n’est pas ce qui se fait actuellement : pour qu’un casier judiciaire soit suspendu, une série de critères subjectifs doivent aussi être satisfaits.
Commençons par mettre les choses brièvement en contexte. En 2016, après s’être engagé à revoir le processus de suspension des casiers judiciaires, le gouvernement a lancé deux séries de consultations distinctes. La première était dirigée par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, l’autre par le ministère de la Sécurité publique. Il est clairement ressorti des plus de 3 000 mémoires reçus et des témoignages des groupes qui luttent pour la justice sociale que la plupart des Canadiens voyaient généralement d’un bon œil qu’on crée une procédure accélérée de suspension du casier judiciaire pour les personnes reconnues coupables de possession simple de cannabis.
Aux termes du projet de loi C-93, les personnes reconnues coupables de possession simple de cannabis auront désormais la possibilité de demander un pardon à condition d’avoir purgé leur peine. En raison d’un amendement apporté au Comité de la sécurité publique de la Chambre des communes, les personnes qui ont encore des amendes à payer à la suite d’une condamnation antérieure peuvent quand même présenter une demande. Cette marge de manœuvre permettra aux demandeurs les plus démunis d’amorcer le processus même s’ils ont encore des amendes à payer. Les demandeurs ne seront plus soumis aux délais, frais et critères de décision qui s’appliquent à ceux qui demandent un pardon aux termes de la Loi sur le casier judiciaire.
Voyons d’un peu plus près, honorables sénateurs, ce qu’un pardon signifie en pratique, les raisons pour lesquelles c’est le mécanisme recommandé et certains des enjeux que nous devrons examiner à l’occasion de l’étude du projet de loi.
Le projet de loi C-93 fait allusion à la fois au « pardon » et à la « suspension du casier judiciaire ». En 2012, l’ancien gouvernement conservateur avait adopté une loi pour transformer le « pardon » en « suspension du casier judiciaire », pour augmenter les frais de demande et pour prolonger le délai exigé avant qu’on puisse présenter la demande. De plus, des changements avaient été apportés pour faire en sorte que les personnes reconnues coupables d’agression sexuelle sur un mineur et les personnes ayant fait l’objet de plus de trois infractions punissables sur déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation, chacune accompagnée d’une peine de prison de deux ans ou plus, ne soient plus admissibles à la suspension du casier judiciaire.
Selon la Commission des libérations conditionnelles du Canada :
La suspension du casier entraîne le classement de votre casier judiciaire à part des autres dossiers judiciaires [...] Il permet de retirer du Centre d’information de la police canadienne (CIPC) les renseignements liés à vos condamnations.
Une fois qu’une suspension du casier est accordée, les organismes fédéraux ne peuvent plus divulguer de renseignements concernant la condamnation sans l’approbation du ministre de la Sécurité publique. Une suspension du casier n’efface pas la condamnation, mais la classe à part des autres dossiers judiciaires.
La Commission des libérations conditionnelles traite les demandes de suspension du casier selon la nature de l’infraction. Les demandes visant des condamnations pour infractions punissables par procédure sommaire sont actuellement traitées par la commission dans les six mois suivant l’acceptation de la demande, ce qui signifie que la demande a été acceptée comme étant admissible par la Commission des libérations conditionnelles, alors que le délai est de moins de 12 mois pour les demandes visant des infractions punissables par mise en accusation.
Lorsqu’il sera mis sur pied et fonctionnel, le processus accéléré proposé dans le projet de loi C-93 verra probablement les demandes traitées à l’intérieur de quelques semaines par opposition à des mois.
Une demande de pardon au Canada coûte maintenant 631 $ et est assujettie à un délai d’attente de 5 à 10 ans une fois la peine entièrement purgée. Une peine signifie la punition assignée à un défendeur jugé coupable par un tribunal ou fixé par la loi pour une infraction donnée. Il peut s’agir d’une période d’emprisonnement, d’une période de probation ou de service communautaire.
Au titre du projet de loi C-93, la période d’attende de 5 à 10 ans et les frais de demande seraient éliminés dans les cas de possession simple de cannabis, et le traitement des demandes serait accéléré. Toutefois, je tiens à souligner que, étant donné qu’il faut entamer de façon autonome la procédure accélérée de suspension de casier judiciaire, les demandeurs devront peut-être payer d’autres frais pour obtenir les documents juridiques nécessaires pour présenter leur demande. Par exemple, ils devront peut-être payer pour faire prendre leurs empreintes digitales dans un poste de police local. Les fonctionnaires ont estimé que le coût maximal pour obtenir tous les documents nécessaires est d’environ 220 $. Il s’agit du coût le plus élevé possible parce qu’il se fonde sur l’addition des coûts les plus élevés au pays pour l’obtention d’empreintes digitales, de dossiers judiciaires et de dossiers de police.
Soyons clairs : même si les frais de 631 $ pour présenter une demande de pardon seront éliminés, il y aura tout de même certains coûts liés à la demande.
Enfin, dans le cadre de cette procédure accélérée, lorsque les dossiers liés à la condamnation auront été classés, un employé de la Commission des libérations conditionnelles ordonnera la suspension du casier judiciaire à condition que le demandeur ait purgé sa peine et qu’il n’y ait pas d’autre infraction inscrite à son casier. La décision est tout à fait objective. Il sera ensuite possible de traiter la demande de pardon.
Honorables sénateurs, le pardon serait, tout compte fait, automatique.
Je souhaite maintenant parler des critères d’admissibilité. Seules les personnes accusées de possession simple de cannabis sont admissibles à une procédure accélérée de suspension de casier judiciaire aux termes du projet de loi C-93. La possession simple désigne généralement une accusation criminelle pour possession d’une substance contrôlée, en l’occurrence du cannabis, à des fins personnelles et sans qu’il y ait une intention d’en faire le trafic. Les demandeurs seront inadmissibles à la procédure accélérée si d’autres condamnations figurent dans leur casier judiciaire, mais ils peuvent tout de même demander une suspension de casier au titre de la procédure actuelle et payer les frais exigés à cet effet; les temps d’attente prévus pour les infractions relatives à la possession de cannabis ne s’appliquent alors pas.
C’est une précision importante. En tout cas, c’est quelque chose que j’ai appris. En effet, la suspension s’applique à l’ensemble du casier judiciaire d’un demandeur. Il n’est pas possible d’établir une distinction entre les diverses condamnations qui sont recensées. Même si c’était possible, ce ne serait pas utile au demandeur, puisque les condamnations restantes figureraient toujours au casier lors d’une vérification et qu’elles continueraient potentiellement à être un facteur pour obtenir un emploi.
Comme nous l’avons appris l’an dernier lors de notre étude du projet de loi C-45, les Autochtones et les autres Canadiens racialisés, ainsi que ceux qui vivent dans des quartiers vulnérables, sont touchés de façon disproportionnée par les condamnations pour possession de cannabis. La procédure accélérée sera importante pour les membres de ces communautés. Cela va sans dire. La Commission des libérations conditionnelles communiquera de l’information à ces communautés et elle simplifiera ses processus afin d’accélérer et de faciliter le mécanisme de demande. La procédure accélérée sera également offerte aux personnes qui ne sont pas des citoyens canadiens ou des résidents du Canada.
Des préoccupations ont été soulevées pendant les travaux du Comité de la sécurité publique et au cours des débats à la Chambre des communes au sujet de l’accès à la procédure accélérée. En réponse à certaines de ces préoccupations, plusieurs amendements au projet de loi ont été acceptés. Ces modifications simplifient davantage le processus de suspension de casier, le rendant plus accessible aux populations marginalisées.
En gros, certains amendements feraient en sorte que les amendes ou les suramendes compensatoires en souffrance associées à des condamnations pour possession simple de cannabis ne nuisent pas à la suspension d’un casier et que les périodes d’attente liées aux condamnations pour possession simple de cannabis n’entravent pas les demandes.
Une autre modification importante fait en sorte que les suspensions de casier judiciaire associées uniquement à des condamnations pour possession simple de cannabis ne peuvent pas être révoquées si la commission détermine qu’une personne n’affiche plus une bonne conduite.
Mon bureau a décrit ces modifications dans la trousse d’information que vous avez reçue, si vous souhaitez les examiner de plus près. Je suis convaincu que ces amendements ont renforcé le projet de loi. J’ai hâte de poursuivre l’étude en comité afin de m’assurer que la procédure proposée atteindra l’objectif visé.
(2130)
Permettez-moi de prendre quelques minutes pour expliquer la différence entre le pardon et la radiation de condamnations. En lieu et place d’un processus de pardon accéléré, certains militants prônent la radiation des condamnations pour possession simple de cannabis. D’autres soutiennent que le processus de pardon accéléré proposé dans le projet de loi C-93 ne devrait pas exiger la présentation d’une demande et qu’il devrait relever entièrement de la Commission des libérations conditionnelles.
À ce sujet, le comité de la Chambre des communes a entendu bon nombre de défenseurs de la justice sociale, dont l’avocate Annamaria Enenajor. Rappelons que Me Enenajor a livré un témoignage fort utile sur cet enjeu durant notre étude sur le projet de loi C-45, l’an dernier. J’ai longuement réfléchi à la question. Au début, je partageais les réserves des gens craignant qu’un processus qui oblige les Canadiens à présenter une demande eux-mêmes ne désavantage certaines personnes vulnérables.
Or, plus j’y songe, plus je comprends et j’appuie la décision stratégique prise par le gouvernement.
Premièrement, la radiation de condamnations n’a pas été conçue aux fins qui nous intéressent ici. C’est un concept créé par le gouvernement en 2018 à l’égard des infractions liées aux activités consensuelles entre personnes de même sexe, infractions jugées contraires à la Charte des droits. La radiation peut s’appliquer à d’autres infractions qui constituent une injustice historique et qui s’avèrent souvent inconstitutionnelles. Je précise par ailleurs que la radiation des condamnations liées aux relations entre personnes de même sexe exige aussi la présentation d’une demande. Ce n’est pas automatique.
En revanche, les condamnations pour possession de cannabis ne sont pas inconstitutionnelles. Cependant, il est évident que la loi n’a pas été appliquée de façon uniforme, ce qui a désavantagé certains groupes de la population. Pour tenir compte de cet aspect — et du fait que le cannabis est maintenant légal, au titre de la Loi sur le cannabis —, le gouvernement propose d’accélérer le processus de suspension du casier judiciaire et d’éliminer les frais de traitement des demandes.
Deuxièmement, selon le processus accéléré que propose le projet de loi, dans le cas des infractions liées au cannabis, il faudrait présenter soi-même une demande de suspension du casier judiciaire, et le délai serait beaucoup plus court que pour le processus de suspension ou de radiation de la Commission des libérations conditionnelles. Pourquoi? C’est notamment parce que, dans bien des cas, l’accusation ou la condamnation liée au cannabis est désignée par la mention « possession d’une substance désignée », un terme générique qui peut s’appliquer à l’héroïne, à la cocaïne, aux méthamphétamines ou aux autres drogues dures auxquelles on associait le cannabis.
Dans bien des cas, les dossiers fédéraux ne contiennent pas suffisamment d’information pour distinguer efficacement les accusations pour possession simple de cannabis. La recherche d’information dans les dossiers des services de police et des tribunaux locaux est une étape nécessaire du processus de suspension du casier judiciaire que le demandeur pourrait amorcer immédiatement.
Même si l’idée de recourir au processus de radiation ou de suspension administré par la Commission des libérations conditionnelles peut sembler attrayante, dans les faits, ce processus pourrait prendre des années. Par conséquent, cette solution pourrait aggraver les inconvénients liés au casier judiciaire et coûter des dizaines de millions de dollars aux contribuables.
Concrètement, la distinction entre le pardon et la radiation est minime. Le casier d’une personne qui obtient un pardon n’est rouvert que dans des circonstances particulières, comme la commission d’une nouvelle infraction. Cela ne s’est produit que dans environ 5 p. 100 des cas depuis le milieu des années 1970.
Le pardon présente un troisième avantage par rapport à la radiation. Par exemple, si les États-Unis ou un autre pays détiennent des renseignements sur la condamnation d’une personne, en raison probablement d’une tentative de passage à la frontière par le passé, les agents des services frontaliers américains exigent une dispense, qu’on ait obtenu un pardon ou une dispense au Canada. Si un pardon a été obtenu, la Commission des libérations conditionnelles conserve les documents qui prouvent que le pardon a été accordé.
En cas de radiation du casier, seul le demandeur a la preuve, car le gouvernement du Canada détruit tous les documents relatifs aux casiers judiciaires radiés. Aussi, il pourrait être difficile de prouver que la condamnation a été radiée si le demandeur perd ou n’a pas en sa possession l’avis de radiation.
Bref, chers collègues, bien que, dans le projet de loi C-93, le pardon exige plus de démarches de la part du demandeur, il pourrait être accéléré avec les conseils de la Commission des libérations conditionnelles. Le demandeur qui entame lui-même le processus pourra être considéré pour un emploi et la location d’un logement, et se libérer du fardeau des préjugés beaucoup plus rapidement qu’avec le processus de radiation.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, lorsque le nouveau système accéléré sera en place — si le projet de loi est approuvé, — les demandes seront probablement traitées en quelques semaines plutôt qu’en quelques mois. C’est certainement ce que nous souhaiterions voir. Le fait d’imposer à un demandeur des délais d’attente supplémentaires de plusieurs années pourrait être considéré comme injuste et même contraire aux objectifs stratégiques énoncés dans le projet de loi C-93.
Comme on pouvait s’y attendre, les Canadiens qui sont vulnérables et qui ont besoin d’aide supplémentaire pour présenter une demande de suspension de casier en vertu de ce projet de loi bénéficieront d’un soutien.
La Commission des libérations conditionnelles élabore actuellement une série d’outils, de produits et de services destinés à aider les personnes à obtenir le pardon prévu dans le projet de loi C-93. Certains de ces services comprendront une boîte de courriel distincte, un numéro sans frais, une campagne sur les médias sociaux et une série de documents en langage clair élaborés en collaboration avec des groupes d’intervenants comme la Société Elizabeth Fry et la Société John Howard. Bien sûr, il est très important que le gouvernement continue de collaborer avec ceux qui souhaitent présenter une demande et de fournir de l’aide, surtout à ceux qui sont les plus vulnérables.
En conclusion, honorables sénateurs, je vous remercie d’avoir étudié les principes et les objectifs du projet de loi C-93. Je crois que cette mesure législative permettra de corriger les injustices sociales causées par les condamnations pour possession simple de cannabis. Les personnes reconnues coupables de possession simple pourront ainsi se débarrasser de la marginalisation et des obstacles qui les empêchent de trouver un bon emploi, de suivre des études, de se loger, de faire du bénévolat et de voyager, entre autres.
C’était l’un des objectifs clés de la légalisation et de l’encadrement strict du cannabis au Canada l’année dernière.
Honorables sénateurs, le projet de loi à l’étude concrétisera ces occasions et mettra en œuvre les importants objectifs de justice sociale du projet de loi C-45, objectifs que le Sénat appuyait largement, comme l’idée des pardons, je le rappelle.
Je souligne également l’important appui qu’a obtenu le projet de loi C-93 à la Chambre des communes. Il a été adopté avec dissidence après un débat animé et une étude minutieuse.
Maintenant que nous avons abondamment discuté de pardons accélérés et de suspension des casiers judiciaires, je vous invite à vous joindre à moi pour renvoyer le projet de loi C-93 au comité aussi rapidement que possible afin que les personnes reconnues coupables de possession simple de cannabis n’aient plus à attendre davantage pour pouvoir participer pleinement à la société.
Je vous remercie, chers collègues.
Des voix : Bravo!
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Projet de loi sur le moratoire relatif aux pétroliers
Troisième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Yuen Pau Woo propose que le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables collègues, je suis heureux d’amorcer l’étape de la troisième lecture en lisant un discours rédigé par l’honorable sénatrice Mobina Jaffer, la marraine du projet de loi C-48. Elle nous regarde peut-être en ce moment. Si c’est le cas, je saisis l’occasion pour lui transmettre nos meilleurs vœux de prompt rétablissement.
Voici les mots de l’honorable sénatrice Jaffer :
Honorables sénateurs, je commence par remercier le sénateur Tkachuk, le président du Comité des transports et des communications, pour tout le travail qu’il a fait sur ce projet de loi et la courtoisie qu’il m’a témoignée. Merci, sénateur.
J’exprime aussi toute ma gratitude à la sénatrice Miville-Dechêne, dont le travail passionné sur le projet de loi est inspirant. Les mots me manquent pour vous remercier de tout ce que vous avez fait pour moi. Je remercie également tous les membres du Comité des transports de votre dévouement et de votre travail dans le cadre de l’étude du projet de loi.
Honorables sénateurs, je suis extrêmement fière de prendre la parole aujourd’hui à titre de marraine du projet de loi C-48, Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers. Cette importante mesure législative en matière d’environnement vise à protéger la côte nord de la Colombie-Britannique des conséquences dévastatrices d’un déversement de pétrole.
(2140)
Pour protéger la côte nord du Pacifique, le projet de loi C-48 inscrit dans la loi un moratoire de longue date sur les navires transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants le long de la côte nord vierge de ma province. Il inscrit dans la loi des mesures environnementales qui sont mises en pratique depuis longtemps pour atténuer le risque et l’ampleur d’un déversement potentiel de pétrole dans un écosystème très particulier.
Sur cette côte isolée et vierge, l’effet d’un seul déversement de pétrole brut ou d’hydrocarbures persistants serait catastrophique pour les pêches, le rétablissement des populations d’épaulards et le trésor écologique que représente la forêt pluviale de Great Bear. Un seul déversement dévasterait les eaux riches qui alimentent les Premières Nations côtières qui gèrent cette terre depuis 14 000 ans et qui dépendent de l’océan pour nourrir leurs familles et pour soutenir leur économie marine en pleine expansion.
Honorables sénateurs, le Sénat et le Comité des transports et des communications ont beaucoup entendu parler du fonctionnement du moratoire et de ses objectifs. Par conséquent, je concentrerai mes remarques sur la réponse à la question sous-jacente, qui est la suivante : pourquoi le projet de loi C-48, Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers, cherche-t-il à protéger la côte nord du Pacifique du Canada?
Honorables sénateurs, les raisons de légiférer pour protéger cette région sont multiples. Premièrement, les mesures proposées dans le projet de loi C-48 viennent renforcer un héritage de longue date en matière de politique qui existe sur la côte nord de ma province depuis des dizaines d’années. Dans les années 1980, le gouvernement provincial, de concert avec la Garde côtière des États-Unis, a réalisé un exploit remarquable : à la demande de Canadiens inquiets espérant atténuer les effets d’un éventuel déversement de pétrole sur notre précieux écosystème, il a créé la zone d’exclusion volontaire des pétroliers.
Il s’agit d’une politique qui exige que tous les pétroliers américains circulent à 70 milles marins à l’ouest de la côte nord de la Colombie-Britannique. Ainsi, si un pétrolier tombait en panne, ce qu’il transporte ne pourrait pas dévaster la côte nord du Pacifique et les économies locales.
[Français]
Le projet de loi C-48 se veut le complément de cet héritage de longue date en matière de politique.
[Traduction]
La zone d’exclusion des pétroliers ne s’applique qu’aux pétroliers américains qui traversent les eaux canadiennes, et il n’existe actuellement aucune politique qui interdit aux pétroliers canadiens de naviguer au large de cette côte. C’est une lacune que le projet de loi C-48 vise à combler.
Deuxièmement, pour répondre à la question de savoir pourquoi le projet de loi C-48 protège la côte nord de la Colombie-Britannique, nous serions négligents de ne pas parler de l’écosystème vierge et des caractéristiques écologiques particulières qui méritent une protection spéciale. Examinons aujourd’hui les caractéristiques distinguées de la côte nord de la Colombie-Britannique. Le projet de loi C-48 offre une protection sans précédent à la plus grande forêt pluviale côtière de la planète, soit la forêt pluviale de Great Bear. D’ailleurs, la région de Great Bear est de la taille de l’Irlande. Souvent appelée l’Amazone canadienne, la côte de Great Bear est vraiment l’un des plus grands joyaux naturels du monde et elle combine beauté, histoire et culture.
La forêt pluviale de Great Bear est l’une des dernières forêts pluviales tempérées du genre sur la planète. Cet endroit enchanteur qui est parsemé d’anciens cèdres rouges et traversé par des rivières limpides et riches en saumon abrite un ours blanc rare qui n’est ni un ours polaire ni un ours albinos, mais un « ours esprit ». Il s’agit d’un ours noir au pelage de couleur vanille si mystiquement beau qu’il est vénéré par les Premières Nations qui ont vécu parmi ces ours et les ont protégés pendant des millénaires.
Dans ses eaux à marée, la zone marine de Great Bear abrite aussi divers animaux marins en voie de disparition, comme l’épaulard, une espèce menacée qui compte à peine 205 individus, et le saumon quinnat, dont la population est en baisse, pour ne nommer que ceux-là.
Nous devrions saisir cette occasion pour protéger cet écosystème spectaculaire contre un déversement de pétrole en adoptant le projet de loi C-48.
Finalement, le projet de loi C-48 est une étape importante pour la réconciliation avec les communautés côtières des Premières Nations qui ne peuvent pas se permettre de mettre en péril des emplois durables à long terme ni d’assumer les risques liés à un déversement de pétrole dans leur écosystème précieux. Le projet de loi C-48 découle directement de la demande des communautés côtières des Premières Nations qui cherchent à protéger leurs eaux et leurs rivières à saumons pour leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs arrières-petits-enfants. À bien des égards, ces eaux sont indispensables à leur vie. Elles créent des emplois et assurent la subsistance de ces communautés. Pour la plupart des Premières Nations qui vivent sur cette côte, le projet de loi C-48 vise à préserver le bien-être économique, culturel et social des communautés qui dépendent des écosystèmes marins sains et qui y sont liées.
Ce sont les Premières Nations côtières dont l’existence, le bien-être et les emplois dépendent des eaux qui les soutiennent, et ce, depuis des milliers d’années. En effet, au Canada, la côte nord du Pacifique est plus qu’une simple étendue de terre. Pour de nombreuses collectivités côtières qui vivent le long de la côte, elle représente un précieux patrimoine et un mode de vie. Joignons-nous aux Premières Nations de la côte pour dire que les transporteurs de pétrole brut et d’hydrocarbures persistants ne sont pas les bienvenus sur la côte nord de la Colombie-Britannique. Nous ne devrions pas nous opposer aux Premières Nations côtières.
Honorables sénateurs, permettez-moi d’expliquer chacun de ces facteurs cruciaux pour justifier le décret d’un moratoire sur les transporteurs de pétrole brut et d’hydrocarbures persistants dans cette région précise.
Le projet de loi C-48 constitue une mesure essentielle pour protéger un écosystème précieux en enchâssant des mesures en complémentarité avec la zone d’exclusion volontaire des pétroliers qui existe déjà. En fait, il n’est pas exagéré de dire que le projet de loi a pris des décennies à voir le jour. En 1977, après l’achèvement de l’oléoduc trans-Alaska, un réseau semblable a été établi pour les pétroliers américains transportant du pétrole brut sur la côte nord de la Colombie-Britannique. Les pétroliers américains ont commencé à circuler dans les eaux canadiennes à une fréquence d’environ trois pétroliers par jour.
Les Britanno-Colombiens et de nombreuses nations autochtones côtières se sont dits inquiets. Ils savent que, si un pétrolier désemparé se mettait à dériver vers le rivage dans la partie la plus au nord de la côte pacifique, ce serait impossible de l’arrêter à temps pour prévenir une catastrophe environnementale. L’industrie pétrolière et la Garde côtière américaine ont compris le message. Peu de temps après avoir été créée, la voie de circulation trans-Alaska a été abandonnée par la Garde côtière des États-Unis au motif que, faute de relevés océaniques suffisants, les eaux de la portion la plus au nord du trajet étaient dangereuses.
En fait, pour mieux comprendre le danger que posent les pétroliers pour le nord de la côte Pacifique, le gouvernement a lancé une étude afin de déterminer ce qui arriverait si un pétrolier désemparé se mettait à dériver dans la partie la plus au nord du littoral. Il a alors découvert que seulement deux bateaux-remorqueurs sont disponibles en cas d’urgence, comme un déversement, et que les deux sont dans l’État de Washington. La Garde côtière canadienne a étudié divers scénarios afin de savoir où aboutirait un pétrolier à la dérive. Elle a calculé qu’il faudrait 37 heures aux deux remorqueurs pour atteindre le cap St. James, à la pointe sud des îles de la Reine-Charlotte, qu’on appelle désormais Haida Gwaii, et 54,5 heures pour atteindre la pointe de l’île Langara, à l’extrémité nord des Charlotte.
Bref, le danger est bien réel, et si un gros pétrolier devenait désemparé près du littoral, il atteindrait le rivage bien avant que les remorqueurs puissent le ramener en sûreté.
Honorables sénateurs, bien que le Canada n’ait jamais interdit légalement la circulation des pétroliers dans la partie nord de la côte de la Colombie-Britannique, nous avons bel et bien, en 1988, créé une zone d’exclusion volontaire des pétroliers en collaboration avec la Garde côtière américaine. Cette zone garantit que les pétroliers américains transportant du pétrole brut et des hydrocarbures persistants se déplacent à 70 milles nautiques à l’ouest de la partie nord de la côte du Pacifique de sorte que, si un pétrolier tombe en panne, il ne dérivera pas jusqu’à la terre ferme habitée par les Premières Nations côtières et ne fera pas des ravages en traversant nos eaux.
Toutefois, comme tous les sénateurs dans cette enceinte le savent, en 1989, il y a eu pire qu’un pétrolier à la dérive: l’Exxon Valdez a dévié de sa trajectoire et a heurté un gros récif, déversant 40,9 millions de litres de brut dans le golfe du Prince William, en Alaska. Les Canadiens ont regardé le désastre environnemental avec horreur, sachant que le riche milieu marin de l’Alaska ressemblait à celui de la Colombie-Britannique, mais aussi avec soulagement, en pensant que cela ne pourrait pas se produire en Colombie-Britannique parce que les pétroliers comme l’Exxon Valdez n’ont pas le droit de naviguer dans nos eaux.
Aujourd’hui, la zone d’exclusion des pétroliers est respectée par les pétroliers américains. La zone est continuellement surveillée par les Services de communications et de trafic maritimes, une division de la Garde côtière canadienne. De plus, des rappels de cette interdiction sont constamment envoyés aux marins dans des avis et des instructions nautiques.
(2150)
Les navires transportant du pétrole brut traversent les eaux du sud pour se rendre à un terminal situé à Burnaby. Ils suivent une route près de la queue de la zone d’exclusion volontaire des pétroliers, qui est proche des remorqueurs de sauvetage et qui a été laissée ouverte pour permettre aux navires de se rendre aux ports de l’État de Washington.
Bref, la zone d’exclusion des pétroliers fonctionne. À ce jour, il n’y a eu aucune incursion dans la zone. Toutefois, il est important de souligner qu’elle n’est destinée qu’à atténuer la circulation des pétroliers américains sur cette côte. Il s’agit de la lacune que le projet de loi C-48 comblerait.
En tant que Canadiens, nous avons pris la décision consciente de ne pas expédier de gros volumes de pétrole brut dans la région, ce qui contribue à la garder relativement intacte. Autrement dit, le projet de loi C-48 vient renforcer une politique de longue date qui a été largement acceptée par les Britanno-Colombiens et qui demeure la priorité du gouvernement de la province.
En fait, plus tôt cette année, le ministre de l’Environnement et des Changements climatiques de la Colombie-Britannique a fait une déclaration en faveur du projet de loi C-48 :
La côte nord de la Colombie-Britannique est un milieu marin unique et riche sur le plan écologique et apprécié à l’échelle internationale, et encore plus par les communautés dont l’histoire et l’avenir sont liés à sa santé et à sa protection.
Notre gouvernement a fait savoir clairement qu’il est résolu à protéger l’environnement, l’économie et les côtes des effets dévastateurs qu’aurait un déversement de pétrole lourd. Les Britanno-Colombiens n’en attendent pas moins de nous. Notre position demeure la même : nous ne voulons pas que la circulation de pétrole lourd dans les eaux côtières s’intensifie.
En termes simples, le projet de loi C-48 n’a rien d’arbitraire ni de surprenant. Il correspond à une approche mûrement réfléchie concernant la côte nord de la Colombie-Britannique.
Interdire la circulation de pétroliers ailleurs au Canada, par exemple sur la côte Atlantique ou dans la voie maritime du Saint-Laurent, nuirait aux emplois et aux industries en place. Ce n’est toutefois pas le cas dans le Nord de la Colombie-Britannique, en raison d’une politique de longue date que nous respectons depuis des décennies et qui signale que la côte nord du Pacifique doit rester à l’abri des déversements de pétrole.
Le projet de loi C-48 constitue une étape nécessaire pour faire en sorte que les pétroliers canadiens et américains se dirigent vers l’ouest, au large d’une côte qui ne dispose pas de la capacité d’intervention requise pour aider un pétrolier désemparé avant qu’il s’échoue et détruise un écosystème précieux.
Honorables sénateurs, en deuxième lieu, je souhaite parler de l’écosystème extraordinairement immaculé que protège le projet de loi C-48, un écosystème qui mérite notre attention et notre protection.
Tournons-nous vers la belle côte nord de la Colombie-Britannique et la plus grande forêt pluviale tempérée du monde, appelée les « poumons de la Terre » par les résidents en raison de sa production élevée d’oxygène.
Je pourrais moi-même m’oxygéner un peu en ce moment.
Sur la côte nord de la Colombie-Britannique, la terre et la mer sont totalement interdépendantes. L’ours esprit dépend du saumon. Les loups des régions côtières traversent des bras de mer à la nage pour chasser le phoque. Les arbres grandissent plus vite les années où le saumon abonde. Ces interconnexions sont telles qu’un déversement de pétrole en milieu marin aurait des conséquences désastreuses sur la vie sauvage, les animaux marins, l’écosystème et les emplois qu’ils appuient.
Nombre d’études scientifiques font état de l’abondance de poissons, de fruits de mer, de mammifères marins et d’espèces d’oiseaux dans la région. Pêches et Océans Canada a désigné près de la moitié de la région comme « zone d’importance écologique ou biologique » aux termes des critères adoptés par la Convention sur la diversité biologique.
En fait, c’est dans la forêt pluviale de Great Bear que se rencontrent l’une des plus grandes forêts pluviales tempérées de la côte encore intacte et l’un des plus vastes réseaux de rivières sans barrage que remonte le saumon sauvage. En effet, plus de 2 500 migrations de saumon ont lieu chaque année dans ces rivières.
La mer de Great Bear abrite de nombreuses populations de saumon, particulièrement le saumon quinnat, saumon du Pacifique Nord classé récemment comme espèce en voie de disparition par Pêches et Océans Canada. Près de la moitié des stocks de saumon de la Colombie-Britannique est en déclin, et le saumon quinnat risque de disparaître complètement.
Honorables sénateurs, le saumon joue un rôle de premier plan pour l’épanouissement de la forêt pluviale de Great Bear. Il représente une composante essentielle pour la santé de l’écosystème de cette forêt, qui dépend de la saison de la fraie. Certains animaux retardent leur reproduction pour que la période d’allaitement des petits ait lieu durant la fraie du saumon.
Une grande variété de plantes et d’animaux dépendent et profitent de la nourriture que constitue le saumon, un mets nutritif et délicieux, y compris les otaries, les ours et les épaulards, les plus majestueux mammifères qui soient. En fait, la disponibilité du saumon quinnat est l’un des facteurs les plus importants pour prédire la survie et le rétablissement des épaulards du Pacifique Nord qui vivent dans la région située entre le milieu de l’île de Vancouver et le sud-est de l’Alaska.
Leur population a décliné à quelque 250 spécimens au large de la côte nord, et la plus grande menace à leur survie est le manque de saumon quinnat, qui constitue 90 p. 100 de l’alimentation des épaulards. Pour des raisons que les scientifiques ne comprennent pas encore tout à fait, les épaulards du Pacifique Nord changent ne choisissent que rarement une autre espèce que le saumon quinnat comme principale source d’alimentation. Par conséquent, ils vont faire face à une famine étant donné le déclin des remontes de saumon quinnat.
La triste réalité, c’est que l’épaulard du Pacifique Nord passe la plus grande partie de sa journée à chercher de la nourriture, laquelle devient de plus en plus difficile à trouver.
En plus de devoir composer avec une source de nourriture moins abondante, les épaulards du Pacifique souffrent aussi d’une concentration élevée de polluants dans leurs eaux, qui menace leur système immunitaire. Un déversement d’hydrocarbures bruts ou persistants aurait des conséquences catastrophiques pour les épaulards. Un épaulard adulte exposé aux émanations de ces hydrocarbures peut perdre connaissance et se noyer. Ces hydrocarbures peuvent aussi boucher l’évent des baleines et les empêcher de respirer ou de communiquer adéquatement. Même si les épaulards parviennent à échapper aux conséquences immédiates d’un déversement, les hydrocarbures bruts ou persistants peuvent contaminer leur source de nourriture et recouvrir les rives d’une épaisse couche de résidus noirs.
Les conséquences d’un déversement d’hydrocarbures pour ce précieux écosystème et pour les espèces de mammifères marins menacées ou en voie de disparition seraient trop graves pour que l’on prenne ce genre de risque.
Honorables sénateurs, les particularités de cet environnement ont amené le gouvernement de la Colombie-Britannique à mettre en place, en collaboration avec les Premières Nations, la Great Bear Rainforest Act, qui permet de conserver 85 p. 100 de la forêt en interdisant la coupe à blanc à certains endroits.
Plus du tiers de la forêt est protégé par la Great Bear Rainforest Act. Sur le reste de la superficie, les activités d’exploitation des ressources à faibles impacts comme la foresterie et la production d’hydroélectricité seront autorisées pour aider les Premières Nations qui vivent dans la région.
À cet égard, on peut voir le projet de loi C-48, qui propose également des mesures de protection sans précédent, comme un effort complémentaire et cohérent pour protéger l’une des dernières forêts pluviales tempérées.
La forêt pluviale de Great Bear est véritablement l’un des rares endroits sur Terre où l’on peut rencontrer un grizzly qui se cache derrière de gros troncs d’arbres, un épaulard qui plonge dans la mer et un albatros qui prend son essor dans le ciel. Il s’agit d’un écosystème vraiment unique et fragile, un trésor, et nous devons saisir cette occasion de le protéger d’un déversement de pétrole majeur.
Honorables sénateurs, en octobre 2016, le Nathan E. Stewart, un bateau-remorqueur, s’est échoué sur le récif Edge, tout près de Bella Bella, déversant 109 000 litres de diesel et d’autres produits pétroliers. Aux dires des spécialistes, c’était un petit déversement. Toutefois, pour la nation des Heiltsuks, il a été catastrophique. Ce déversement a dévasté un riche écosystème où les Premières Nations côtières récoltent traditionnellement des éléments de la faune et de la flore marines au moyen de pratiques viables transmises de génération en génération. Le pétrole a pollué leur mode de vie. L’échouement s’est produit là où les Heiltsuks et d’autres Premières Nations côtières pêchent les mollusques, les crustacés et la mye.
Pour illustrer l’incidence que ce déversement a eue sur les communautés des Premières Nations de la région, il est important de signaler qu’une localité entière dépend de ce secteur de pêche aux mollusques et aux fruits de mer pour assurer sa subsistance et gagner sa vie. Bella Bella compte une épicerie, une station-service et aucun restaurant. À cause du déversement, les habitants ont été privés de leur seule façon de se nourrir, polluée par la nappe de pétrole.
Les Premières Nations côtières sont des communautés de subsistance. Elles dépendent des ressources naturelles pour répondre à leurs besoins fondamentaux et elles pratiquent la pêche et l’agriculture de subsistance. Les Premières Nations côtières de la côte nord survivent grâce aux ressources marines, non pas par plaisir, mais pas nécessité.
Bella Bella est une petite localité accessible seulement par bateau, par avion et par traversier une fois par semaine. Pareil isolement signifie qu’il est impossible de survivre sans utiliser les ressources terrestres et marines.
(2200)
Marilyn Slett, présidente des Premières Nations côtières et conseillère en chef de la Première Nation des Heiltsuks, m’a parlé du traumatisme vécu par les membres de cette nation en raison du déversement du Nathan E. Stewart.
Honorables sénateurs, quand le lait coûte 10 $ le gallon et que les poivrons rouges coûtent 8 $ l’unité, il y a de quoi craindre de ne pas être capable de nourrir ses enfants. Ce qui était considéré comme un petit déversement par l’industrie a dévasté une communauté entière.
Dans les grandes villes, nous tenons pour acquis qu’il est facile de se rendre en voiture au supermarché le plus proche pour acheter du saumon et des fruits et légumes frais, mais pour les Premières Nations de Bella Bella, le supermarché, c’est l’eau, et l’épicier, c’est le pêcheur.
Les Premières Nations côtières disent toujours que « si nous prenons soin de la mer, la mer prendra soin de nous ». Dans ces précieuses contrées, les Premières Nations côtières coexistent avec les baleines, les ours, les loups et les saumons, comme le faisaient leurs ancêtres. Voilà pourquoi la protection de leurs ressources est une question de survie. Sans le projet de loi C-48 pour protéger les terres contre les risques de déversement, des milliers d’années de développement durable de subsistance seront menacées.
Ce sont les Premières Nations côtières qui habitent dans la région, notamment dans la forêt pluviale de Great Bear, depuis 14 000 ans. Ce sont les Premières Nations côtières qui occupent le territoire, qui le possèdent et qui y exercent leur souveraineté préexistante sur les terres et les cours d’eau le long de la côte nord, qu’on considère aujourd’hui comme étant la Colombie-Britannique. C’est la voix des Premières Nations côtières qui devrait peser le plus dans ce débat.
Le projet de loi C-48 vient directement des Premières Nations côtières, qui vivent des ressources de la côte et qui ont le droit de gouverner leur territoire et de protéger les eaux en interdisant aux pétroliers de circuler le long de cette précieuse côte. D’ailleurs, la majorité des Premières Nations qui habitent dans la région appuient fortement le projet de loi C-48. Cela comprend les chefs et les dirigeants élus de la nation haïda, des Gitga’at, des Gitxaala, des Heiltsuks, des Kitasoo/Xai’Xais, des Nuxalk, des Wuikinuxv et les leadears héréditaires des Lax Kw’alaams.
Les Premières Nations côtières sont des gens de la mer. Leur culture est inextricablement liée à la santé du littoral et des eaux côtières. La côte est leur source de revenus. Elle les nourrit et elle leur donne des emplois. La côte est leur épicerie, et les eaux du littoral sont leur force vitale.
Permettez-moi de vous donner quelques statistiques. Sur la côte nord de la province, il y a 7 620 emplois qui dépendent du secteur marin dans les territoires traditionnels des Premières Nations côtières. Actuellement, les activités économiques dépendant du secteur marin génèrent 386,5 millions de dollars en revenus annuels. Voici plus en détail la ventilation de ce nombre : la pêche commerciale génère 134 millions de dollars; la transformation des fruits de mer, 88 millions de dollars; le tourisme marin, 104 millions de dollars; le transport marin, 22 millions de dollars. Il y a aussi de nombreuses autres industries qui produisent des revenus pour les Premières Nations côtières.
Honorables sénateurs, je tiens aussi à souligner que les habitants de la Colombie-Britannique ne sont pas les seuls à profiter de l’économie marine. Les Canadiens viennent en grand nombre pour pêcher dans leurs rivières et visiter la côte nord de la province. Pendant la saison de la truite arc-en-ciel, les vols de l’aéroport de Terrace sont complets, et les hôtels, les restaurants et les magasins d’articles de sport attirent beaucoup de clients. Selon le nombre de jours de pêche sportive, la région de Skeena sur la côte nord a la plus grande proportion de visiteurs étrangers des sept régions de pêche de la Colombie-Britannique.
Les répercussions d’un déversement de pétrole le long de cette côte incroyable seraient durables et dévastatrices, en plus de risquer d’anéantir toute une économie entièrement fondée sur la pêche. Il n’est pas surprenant que les Premières Nations côtières s’inquiètent qu’un déversement de pétrole pourrait menacer la viabilité d’une industrie de la pêche diversifiée, qui crée des milliers d’emplois dans la région, des pêcheurs eux-mêmes aux usines de transformation sur les rives.
Le projet de loi C-48 représente un pas important vers la réconciliation avec les Premières Nations qui détiennent ces terres et veulent les protéger pour leurs enfants et les générations qui suivront.
J’aimerais vous lire quelques passages d’un article d’opinion écrit par la chef Marilyn Slett, présidente de Premières Nations de la côte, une alliance regroupant neuf tribus de la côte nord :
Nous demandons simplement que soient préservées la productivité et la sécurité de certains des écosystèmes côtiers les plus riches et les plus diversifiés qui restent dans le monde.
Elle a écrit :
Nous voulons que toutes les générations futures puissent bénéficier d’un environnement sain et d’une économie durable, car l’océan est la source de nos cultures, de nos valeurs, de notre richesse et de notre identité.
Elle poursuit en disant :
L’adoption du projet de loi C-48 permettra à nos nations de se concentrer sur la création d’une bonne économie côtière pour notre peuple au lieu de nous lancer dans des batailles juridiques coûteuses pour les protéger d’intérêts extérieurs qui amèneraient la circulation de pétroliers sur notre côte. C’est nous qui subirions directement les conséquences d’un déversement et nous avons collectivement la responsabilité de protéger les terres, l’eau et les ressources afin d’assurer à nos enfants, à nos petits-enfants et à tous les Canadiens un environnement sain et une économie durable.
En fin de compte, c’est l’héritage culturel de toutes les Premières Nations de ce territoire qui perdrait le plus en cas de déversement.
Le projet de loi C-48 permettra concrètement de favoriser la réconciliation avec les communautés autochtones côtières qui ne peuvent pas se permettre de perdre des emplois durables à long terme ni courir le risque qu’un déversement vienne bouleverser un écosystème d’une si grande valeur.
Grâce à leur longue expérience de la gestion des eaux côtières et en misant ainsi sur la réconciliation, les Premières Nations de la côte Pacifique pourraient bien voir ressusciter très bientôt les zones de pêche autre fois abondantes qui ont été endommagées par l’échouement du Nathan E. Stewart. Elles sont impatientes de voir revivre leurs entreprises de pêche au mollusque et leurs fermes d’élevage, car elles y voient d’excellentes occasions de développement économique.
Qui sommes-nous pour leur dire, après 14 000 ans sur leurs terres ancestrales, comment elles doivent gérer leurs plans d’eau et leur économie?
Certains les ont accusées de vouloir nuire au développement communautaire ou à la création d’emplois. Or, comme l’a dit la chef Slett :
[...] c’est précisément parce que nous appuyons le retour d’économies côtières vigoureuses sur nos terres traditionnelles que nous insistons autant pour que l’environnement et ses écosystèmes soient bien protégés [...]
[...] la poursuite de la prospérité doit concilier la préservation culturelle, le développement économique et la protection de l’environnement.
Honorables sénateurs, si la réconciliation a le moindre sens pour nous, nous devons respecter la volonté des Premières Nations de la côte de la Colombie-Britannique. Individuellement, aucun de ces facteurs ne justifie qu’on protège la partie nord de la province contre les effets dévastateurs d’un déversement de pétrole, mais pris ensemble, oui.
Le projet de loi C-48 ne vise pas à mettre un terme à la circulation actuelle des pétroliers. Il s’agit d’inscrire dans la loi une politique déjà en vigueur afin d’empêcher les superpétroliers transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants de se mettre à circuler le long de la côte et afin de réduire les risques au minimum.
Comme nous l’avons constaté, l’imposition d’une interdiction visant les pétroliers au large de la côte nord de ma province découle d’un long processus. Tout a commencé il y a des dizaines d’années. La province a forgé un important partenariat avec la Garde côtière des États-Unis dans le but de protéger nos eaux. En a résulté la zone d’exclusion volontaire des pétroliers. Les fruits de ce partenariat sont encore évidents de nos jours. L’accord est bien respecté.
Même si une zone d’exclusion a vu le jour, elle n’a jamais été assortie d’un mécanisme législatif en bonne et due forme permettant d’officialiser une interdiction visant les pétroliers le long de la côte nord de la Colombie-Britannique.
[Français]
Aujourd’hui, nous légiférons sur une importante partie de l’histoire.
[Traduction]
Honorables sénateurs, je reconnais que bien des gens sont mal à l’aise avec le projet de loi dans sa forme actuelle et envisagent des amendements afin de l’améliorer. Comme le projet de loi relève d’une promesse électorale, je crois qu’il nous revient de faire en sorte que la meilleure version possible du projet de loi soit renvoyée à l’autre endroit. J’espère que nous pourrons respecter l’intention du projet de loi, puisqu’elle nous a été expliquée de bonne foi, et que nous pourrons procéder au vote à l’étape de la troisième lecture le plus tôt possible.
Il est temps que nous nous exprimions et que nous travaillions en collaboration avec la grande majorité des habitants de la côte pour protéger leurs terres et leurs eaux traditionnelles contre la dévastation potentielle causée par une marée noire, un risque qu’ils ne peuvent pas laisser se concrétiser de nouveau.
Je demande respectueusement aux sénateurs de prendre également en considération la volonté des gens qui détiennent les titres de propriété légaux de ces terres depuis des millénaires. Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
(À 22 h 9, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)