Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 43e Législature
Volume 152, Numéro 31

Le mardi 16 mars 2021
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 16 mars 2021

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le décès de Rhéal Cormier

L’honorable Rose-May Poirier : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un ambassadeur acadien, un vrai héros et un homme qui fait la fierté de la communauté, qui a malheureusement rendu l’âme le 8 mars dernier. Pour les Acadiens, aussitôt qu’on mentionne le nom de Rhéal Cormier, un sourire et une fierté s’affichent sur les visages. Pour un petit gars de Cap-Pelé qui a commencé sa carrière au baseball en lançant des roches sur la boîte aux lettres, jouer 16 saisons dans les ligues majeures, c’est tout simplement exceptionnel! Imaginez-vous, moins de 1 % des joueurs repêchés dans la Ligue majeure de baseball se présente à l’alignement d’une équipe. Un jeune Acadien d’un village d’un peu plus que 2 400 habitants l’a fait.

Rhéal Cormier commence sa carrière avec les Mets de Moncton à l’âge de 18 ans, où il se fait remarquer par Bill Lee, un ancien joueur des Expos qui le prend sous son aile. Par la suite, il représente le Canada aux Jeux olympiques de 1988, pour ensuite se faire repêcher par les Cardinals de Saint-Louis, la même année. Trois ans plus tard, le 15 août 1991, il joue son premier match en tant que lanceur partant. C’est digne d’un film qu’un Acadien fasse ses débuts dans les ligues majeures le jour de la Fête nationale de l’Acadie. Il a en plus gagné son premier match! Le tintamarre était particulièrement bruyant en 1991, je vous le garantis. Il a par la suite joué à Montréal, à Boston et à Philadelphie, puis il a terminé sa carrière dans les ligues majeures en 2007, à Cincinnati.

Pendant son passage chez les Expos, il a été le premier francophone à lancer lors d’un match d’ouverture de l’équipe. Une fois l’aventure dans les ligues majeures terminée, Rhéal retourne aux Mets de Moncton pour retrouver la forme et participer aux Jeux olympiques une deuxième fois, en 2008. À l’âge de 41 ans, après avoir été lanceur dans les ligues majeures, il a repris du service avec son équipe locale, redonnant à la communauté et à l’équipe qui lui a donné sa première chance. Il n’y a pas beaucoup d’anciens sportifs professionnels qui sont retournés à leurs sources, comme Rhéal, et ont partagé leur amour du baseball avec les plus jeunes comme les plus vieux. C’est une qualité hors pair de Rhéal. Il a toujours su garder les pieds sur terre, malgré son statut de vedette. Il a quitté l’Acadie comme le petit gars de Cap-Pelé qui lançait des roches sur la boîte aux lettres. Il a poursuivi son rêve, et il est revenu de son aventure comme le même petit gars de Cap-Pelé.

Honorables sénateurs, joignez-vous à moi pour reconnaître la vie exceptionnelle et inspirante de Rhéal Cormier et offrir toutes nos condoléances à sa famille et à ses proches en ces temps douloureux. Merci.

[Traduction]

L’industrie du vin au Canada

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour souligner un problème qui touche l’industrie du vin au Canada.

Comme vous le savez sans doute, le secteur a connu un essor considérable au cours des 15 dernières années, mais on produit du vin au Canada depuis plus de 200 ans. C’est en 1866 que le premier établissement vinicole commercial a ouvert ses portes au Canada, et il se situe sur l’île Pelée, dans ma province, l’Ontario.

À l’instar de nombreuses autres industries, l’industrie vinicole a été durement touchée par la pandémie actuelle de COVID-19. Toutefois, bon nombre de ces petites entreprises subissent des pressions, et pas seulement à cause de la pandémie. En 2018, l’Australie a demandé de tenir des consultations avec le Canada au sujet des mesures régissant la vente de vin maintenues par le gouvernement fédéral ainsi que par la Colombie-Britannique, l’Ontario, le Québec et la Nouvelle-Écosse.

L’Australie est préoccupée par l’exemption de la taxe d’accise, mise en œuvre en 2006, qui aide les producteurs canadiens. Il est important de souligner que l’exemption s’applique seulement aux produits fabriqués entièrement à partir de raisins canadiens.

Grâce aux travaux du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts sur le secteur alimentaire à valeur ajoutée, il était évident que, pour combler l’écart d’exportation entre les aliments primaires et les produits alimentaires à valeur ajoutée et pour tirer parti de la demande internationale de produits canadiens, il fallait investir afin de favoriser l’innovation, notamment à l’aide de programmes comme l’exemption de la taxe d’accise.

D’après Vignerons Canada, l’exemption de la taxe d’accise a permis d’investir dans plus de 400 nouveaux établissements vinicoles et d’en moderniser 300 autres, en plus de contribuer à une augmentation des ventes de vins 100 % canadiens qui s’est chiffrée à 40 millions de litres de 2006 à 2018.

L’été dernier, le gouvernement du Canada et le gouvernement australien ont conclu une entente selon laquelle les producteurs de vins canadiens perdront officiellement l’exemption de la taxe d’accise d’ici la fin de juin 2022.

J’ai rencontré dernièrement des représentants des Grape Growers of Ontario pour discuter des mesures à prendre pour soutenir les entreprises de petite et de moyenne taille pendant cette période difficile. Ils ont souligné que l’exemption de la taxe d’accise a énormément contribué à la croissance du secteur et à sa capacité de concurrencer des entreprises internationales de premier plan. En 2006, l’Ontario comptait 86 établissements vinicoles ayant obtenu l’appellation VQA; il y en a maintenant 183.

(1410)

Honorables sénateurs, je sais que bon nombre d’entre nous apprécient le fruit du travail vinicole de nos provinces. J’espère que nous ferons notre possible pour soutenir les producteurs artisanaux, par exemple en choisissant une bouteille de vin canadien à déguster avec modération, en visitant une entreprise locale lorsqu’il sera sécuritaire de le faire, ou en défendant les intérêts de ce secteur ici même, au Sénat. Nous devons travailler de concert et veiller à ce que la politique commerciale ne vienne pas nuire à une bonne politique nationale qui soutient l’industrie locale.

Je profite de l’occasion pour lever mon verre, au sens figuré, aux membres des Grape Growers of Ontario qui élaborent actuellement une proposition visant à répondre à ces préoccupations et qui collaborent avec l’industrie et le gouvernement afin qu’on arrive à une résolution qui respectera et protégera le commerce et permettra, du même coup, de soutenir les producteurs artisanaux de partout au pays qui persévèrent pendant cette période difficile. Merci. Meegwetch.

Steve Konchalski

Félicitations à l’occasion de sa retraite

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à Steve Konchalski, un entraîneur accompli, connu localement, partout au Canada et à l’échelle internationale sous le nom de Coach K.

En 2009, Steve a été proclamé l’entraîneur le plus victorieux de l’histoire du sport universitaire canadien, après avoir remporté sa 735e victoire en tant qu’entraîneur-chef de l’équipe de basketball des X-Men de l’université St. Francis Xavier.

Coach K a quitté New York pour la Nouvelle-Écosse afin de jouer pour les Axemen de l’Université Acadia. ll a mené cette équipe universitaire à son premier titre national en 1965. Bien qu’il ait poursuivi ses études à l’Université Dalhousie pour obtenir un diplôme en droit en 1969, Steve Konchalski a en fin de compte exprimé son talent et son brio sur un terrain de basketball plutôt que dans un tribunal.

Au cours de ses 46 années à titre d’entraîneur, Coach K a permis à l’université St. Francis Xavier de remporter neuf titres de championne de la région de l’Atlantique ainsi que trois championnats canadiens. Je me souviens bien des sensations fortes que nous ont procurées les championnats nationaux consécutifs de 2000 et 2001. J’adorais voir le degré de concentration de Coach K, son sens aigu de la stratégie et l’attention qu’il portait à ses joueurs, dont il savait exploiter les capacités et l’énergie pour que la magie opère. C’était vraiment quelque chose de remarquable à voir.

Steve Konchalski a également servi l’équipe nationale du Canada pendant 31 ans à plusieurs titres, notamment comme entraîneur adjoint de l’équipe nationale du Canada pendant 16 ans — au cours desquels il a participé aux Jeux olympiques à trois reprises — et comme entraîneur-chef de cette même équipe pendant quatre ans.

Le présentateur des Raptors et ancien joueur de la NBA Leo Rautins, qui a joué pour Coach K lorsque ce dernier travaillait à titre d’entraîneur adjoint de l’équipe nationale, a déclaré ce qui suit :

Il était intense. Les gens oublient que Steve était aussi un joueur [...] C’est un gars de New York. Il a donc beaucoup joué au basket-ball dans la rue.

Jay Triano, l’assistant principal des Hornets de Charlotte, a dit ceci :

Je m’estime chanceux qu’il ait été assistant chaque année où j’ai fait partie de l’équipe nationale canadienne. C’est non seulement un grand entraîneur, mais aussi un grand homme. En conséquence, tous ceux qui ont joué pour lui sont devenus de meilleurs joueurs et de meilleures personnes.

Steve Konchalski est une vedette du basket-ball, un héros local et national et un membre du Temple de la renommée du basket-ball canadien et des temples de la renommée des sports de la Nouvelle-Écosse, de l’Université St. Francis Xavier et d’Acadia.

En tant que grand entraîneur, il aime évidemment gagner. Cependant, ce matin, il a déclaré qu’il tire le plus de satisfaction de ses liens soutenus avec tous ses joueurs et de leurs succès après l’Université St. Francis Xavier.

Alors que Steve Konchalski prend sa retraite de l’Université St. Francis Xavier à la fin du mois, je veux le saluer et lui souhaiter une longue et heureuse retraite avec son épouse, Charlene MacFarlane, ses enfants, Julieanne, Christopher et Maria, et ses petits-enfants, Francis et Luther. J’ai également hâte d’apprendre quel sera son prochain projet dans le monde du basket-ball. Compte tenu de son palmarès, il connaîtra du succès. Merci. Welalioq.

[Français]

Le décès de Raymond Lévesque

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénateurs, je veux prendre quelques instants aujourd’hui pour rendre hommage au poète et chanteur québécois Raymond Lévesque, décédé il y a quelques semaines à l’âge de 92 ans après avoir contracté la COVID-19.

Je ne partageais certes pas les idéaux séparatistes de Raymond Lévesque, mais ses textes et ses chansons ont marqué l’histoire culturelle du Québec pendant plus de 50 ans. Des chansons comme Bozo les culottes, Quand les hommes vivront d’amour et Les trottoirs ont été reprises par les plus grands de la chanson, tant au Québec qu’en France. Jacques Brel, Barbara, Gilles Vigneault et Robert Charlebois ont chanté les textes de Raymond Lévesque.

Sa carrière a commencé peu après la Seconde Guerre mondiale. Comme plusieurs Canadiens français talentueux de l’époque, il est allé s’installer à Paris au milieu des années 1950, où il a chanté pendant plusieurs années dans les bars de Saint-Germain-des-Prés. C’est principalement là qu’il a connu la grande chanson française. C’est d’ailleurs le producteur français Eddie Barclay qui lui a fait enregistrer un premier disque, dont plusieurs chansons ont été interprétées par le comédien Eddie Constantine.

De retour au Québec, en 1959, il a fondé avec d’autres artistes de l’époque la première boîte à chansons du Québec, qui s’appelait justement Chez Bozo. Le succès de l’endroit a été rapidement copié et plusieurs boîtes à chansons ont ensuite vu le jour dans plusieurs villes du Québec, ce qui a permis à de nombreux chanteurs de se produire et de développer leurs talents.

Raymond Lévesque faisait partie des grands de la chanson française du Québec, au même titre que Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Claude Léveillée.

Atteint de surdité à la fin des années 1970, il a mis fin à sa carrière de chanteur pour se consacrer à l’écriture de poèmes.

Nationaliste et indépendantiste convaincu bien avant René Lévesque, il était au premier rang de la première campagne référendaire de 1980. Il montait régulièrement sur scène avec les politiciens pour réciter ses textes patriotiques afin de réchauffer la foule avant les discours politiques.

En réalité, ce que visait Raymond Lévesque avec ses textes, c’était de réveiller les Québécois francophones pour qu’ils prennent la place qui leur revenait dans la société de l’époque, encore freinée par le duplessisme et le clergé.

Il était aussi un homme de conviction, au point de refuser en 2005 un prix que voulait lui décerner la gouverneure générale, Michaëlle Jean. Il a affirmé qu’elle avait renié l’idée des deux nations au Canada dans son discours d’acceptation et qu’elle était, de fait, la chef des Forces armées canadiennes, qui étaient intervenues pour faire appliquer la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970.

Passons outre les convictions politiques et revenons aux chansons. Sa plus importante chanson à mes yeux, Quand les hommes vivront d’amour, lui a été inspirée alors qu’il vivait à Paris. Il voulait dénoncer le traitement raciste dont était victime le peuple algérien. Étonnamment, ce texte, que je vous invite à consulter, est encore aujourd’hui, en 2021, très pertinent. C’est pourquoi je joins ma voix à ceux et celles qui ont déjà dit que le Québec venait de perdre un grand poète.

[Traduction]

Le studio Artbeat

L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à une organisation artistique spéciale de Winnipeg, Artbeat, et pour remercier quelques personnes qui se trouvent au cœur du projet. Je félicite Ernie et Lucille Bart ainsi que leur fils et fondateur d’Artbeat, Nigel Bart, pour la vision, la détermination et le dévouement dont ils ont fait preuve.

Depuis 2005, cet impressionnant programme, qui fait aussi office de studio et d’espace communautaire, a nourri l’inspiration artistique de gens dans le besoin en plus de favoriser leur santé mentale, spirituelle et économique. Le soutien offert en matière de santé mentale et les cas de rétablissement se sont avérés excellents.

Ernie et Lucille, qui se retirent du conseil d’administration, ont depuis le début contribué de façon volontaire et désintéressée. En effet, Ernie a mis sur pied un projet florissant, Studio Central, alors que Lucille a également occupé les fonctions de directrice générale. Je remercie les deux du fond du cœur. Artbeat fait partie intégrante de la scène artistique de Winnipeg. Grâce à ses cinq employés dévoués, Artbeat améliore sans contredit la qualité de vie et la confiance en soi d’un grand nombre de personnes. Quant aux artistes professionnels, ils contribuent en jouant le rôle de mentor, en offrant du soutien et en partageant leur passion.

Artbeat tisse également des liens avec d’autres organisations, comme l’Arts AccessAbility Network Manitoba et le programme de soins infirmiers psychiatriques de l’Université de Brandon, ce qui permet à un grand nombre de personnes de partout au Manitoba d’en bénéficier.

Au cours de la pandémie, Artbeat a inauguré des ateliers en ligne et a remis des trousses artistiques spéciales aux participants. Artbeat connaît l’importance de maintenir des liens directs avec ses bénéficiaires. J’ose à peine penser à ce qui aurait pu arriver à tant de personnes sans cette détermination et ces relations.

Je cite la directrice générale Uyen Pham :

Au studio Artbeat, nous nous employons à créer une communauté. Appartenir à une communauté qui a tant à vous donner va vous remonter le moral et améliorer votre qualité de vie.

J’ai vu les effets que cela peut avoir sur la santé mentale d’une personne, et c’est inestimable. Le sentiment d’appartenance, la création d’une œuvre d’art aux côtés d’une autre personne qui crée de l’art, sachant que cette personne vit également avec des problèmes de santé mentale, a profondément amélioré l’estime de soi de ces gens et leur regard sur la vie. J’imagine un monde où il y a un studio Artbeat dans chaque ville, où les expressions créatives peuvent favoriser et renforcer la santé mentale de nombreuses personnes.

L’art et la santé mentale se croisent de plus en plus souvent. J’ai parlé des programmes d’art à Kingston. Récemment, je me suis entretenue avec l’Alliance for Arts and Culture de la Colombie-Britannique au sujet de ses récentes recherches dans ce domaine, ainsi qu’avec des dirigeants du Groupe Artruism de Montréal, créé il y a deux ans, qui gagne du terrain et aide les personnes atteintes de maladies mentales. Il en va de même pour le partenariat entre l’Association médicale du Québec et le Musée des beaux-arts de Montréal. J’ai également assisté à une séance de formation avec les promoteurs du réseau de prescription sociale du Royaume-Uni.

(1420)

Toutes ces organisations poursuivent le même objectif : améliorer la santé mentale grâce aux arts.

Je salue les personnes qui se donnent la peine d’aider les personnes dans le besoin. Je suis solidaire des personnes qui pensent que les arts font partie intégrante de la santé mentale. J’encourage les collectivités à travailler de manière créative et valorisante.

Honorables sénateurs, les programmes d’art aident les personnes atteintes de santé mentale. Ils sont importants et valorisants. Merci.

Les Héritières du suffrage

L’honorable Donna Dasko : Honorables sénateurs, comment augmenter le nombre de femmes élues aux parlements et aux assemblées législatives? S’il est une chose que nous devons faire, c’est encourager les jeunes femmes à s’intéresser à la politique et à l’envisager comme un champ de carrière honorable et enrichissant.

La semaine dernière, l’ONG À voix égales a fait un pas important dans cette voie. Sur une période de quatre jours, 338 jeunes femmes âgées de 18 à 23 ans, représentant chacune des circonscriptions fédérales du pays, se sont réunies à distance pour se renseigner à propos du Parlement et des politiques publiques. Tous les chefs des partis politiques se sont adressés à elles, de même que des députés, du personnel politique et, oui, un groupe multipartite de sénatrices d’un peu partout au pays. Elles ont aussi siégé à la Chambre des communes à distance.

L’ensemble des déléguées participait à un programme appelé Les Héritières du suffrage, lequel a été créé par À voix égales en 2017 et est tenu normalement en personne aux deux ans à Ottawa.

Je tiens à remercier les sénatrices Martin, LaBoucane-Benson, Miville-Dechêne et Bernard d’avoir livré leurs judicieuses réflexions, qui ont été fort bien reçues par les déléguées. Un grand merci également à la sénatrice Saint-Germain du chaleureux accueil qu’elle a réservé aux déléguées francophones. Je suis persuadée que ces jeunes femmes sont ressorties de la conférence avec beaucoup de motivation et avec le sentiment que la politique et la vie publique peuvent être enrichissantes.

Toutefois, chers collègues, nous ne pouvons pas attendre que la prochaine génération de femmes vienne changer la politique. Davantage de femmes doivent être élues dès maintenant.

Lors des élections fédérales de 2019, tous les partis politiques ont désigné plus de femmes candidates que jamais auparavant, ce qui était louable. Malheureusement, à l’issue de ces élections, cela ne s’est traduit que par une représentation féminine de 29 % au Parlement. Le Canada se classe maintenant 52e au monde pour ce qui est de la représentation des femmes. Nous devons faire mieux.

Il est très probable que des élections fédérales auront lieu cette année. Discrètement, les partis nomment partout leurs candidats. Voici ce que je demanderais aux partis politiques : quels sont vos plans? Que comptez-vous faire pour attirer des femmes candidates, surtout dans les circonscriptions clés? Je leur dirais aussi de s’engager à faire mieux que la dernière fois. C’est le seul moyen d’accomplir des progrès.

Meegwetch. Merci.


AFFAIRES COURANTES

Régie interne, budgets et administration

Présentation du cinquième rapport du comité

L’honorable Sabi Marwah, président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, présente le rapport suivant :

Le mardi 16 mars 2021

Le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration a l’honneur de présenter son

CINQUIÈME RAPPORT

Votre comité, qui est autorisé par le Règlement du Sénat à examiner les questions financières et administratives et, conformément au Règlement administratif du Sénat, à préparer les prévisions des sommes que le Parlement sera appelé à affecter au fonctionnement du Sénat, a approuvé le budget principal des dépenses du Sénat pour l’exercice financier 2021-2022 et en recommande l’adoption.

Un résumé du budget des dépenses est joint au présent rapport. Votre comité fait remarquer que le budget proposé se chiffre à 115 563 738 $.

Respectueusement soumis,

Le président,

SABI MARWAH

(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 393.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion du sénateur Marwah, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

L’ajournement

Préavis de motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 23 mars 2021, à 14 heures.

[Traduction]

Projet de loi sur la Journée nationale de la jupe à rubans

Première lecture

L’honorable Mary Jane McCallum dépose le projet de loi S-227, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice McCallum, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Première lecture

L’honorable Salma Ataullahjan dépose le projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (traite de personnes).

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Ataullahjan, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

Projet de loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances

Projet de loi modificatif—Première lecture

L’honorable Gwen Boniface dépose le projet de loi S-229, Loi concernant une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Boniface, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

L’Union interparlementaire

La session du Conseil directeur, tenue du 1er au 3 novembre 2020—Dépôt du rapport

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Union interparlementaire concernant la 206e session du Conseil directeur, tenue sous forme de session extraordinaire en ligne, du 1er au 3 novembre 2020.

L’aéroport international d’Edmonton

Dépôt d’une pétition

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer une pétition des résidants de l’Alberta demandant que l’aéroport international d’Edmonton soit nommé en l’honneur de Max Ward et qu’il soit appelé l’Edmonton Max Ward International.


(1430)

PÉRIODE DES QUESTIONS

La justice

Le projet de loi C-7—Le message des Communes

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse aujourd’hui au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, le moment où notre assemblée devra décider si elle accepte ou non le message des Communes au sujet du projet de loi C-7 approche à grands pas. Le gouvernement Trudeau, que ce soit par l’entremise du ministre de la Justice, d’un autre ministre ou d’un représentant quelconque, a-t-il pris contact avec certains honorables sénateurs ou a-t-il fait pression sur eux afin de les inciter à accepter ce message? Si oui, le gouvernement a-t-il promis quoi que ce soit aux sénateurs en échange de leur appui? Si oui, que leur a-t-il promis?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, sénateur. À ma connaissance, il n’a appelé personne et il n’a rien promis non plus.

Le sénateur Plett : Dans ce cas, j’aimerais que vous vous renseigniez et que vous nous transmettiez la réponse. Je ne vous demande pas de révéler quoi que ce soit de secret ou de confidentiel. Cela dit, si le gouvernement que vous représentez a fait des promesses aux sénateurs dans le dossier du projet de loi C-7, j’aimerais en connaître la teneur. Tous les honorables sénateurs, pour ne pas dire tous les Canadiens, ont le droit de savoir ce que le gouvernement a pu leur promettre — et avant la tenue du vote idéalement.

Je vous pose de nouveau la question : auriez-vous l’obligeance de vérifier si le gouvernement Trudeau a pris contact avec certains sénateurs afin de les convaincre d’accepter le message des Communes et s’il leur a promis quoi que ce soit en échange de leur appui?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je vais faire quelques vérifications, mais je peux vous garantir que le gouvernement a été transparent, autant devant le comité que dans la sphère publique, quand il affirme croire sincèrement que le projet de loi C-7, tel qu’il a été amendé par le Sénat et selon les changements contenus dans le message de l’autre endroit, servira l’intérêt des Canadiens, surtout les Canadiens dont les droits constitutionnels seront dorénavant respectés.

Le sénateur Plett : Ce n’est pas la question.

[Français]

La défense nationale

L’inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, hier, à une question posée par mon collègue le sénateur Dagenais au sujet du témoignage du ministre de la Défense nationale, vous avez répondu ceci :

[... ] selon le témoignage du ministre, il est tout à fait clair qu’il n’est pas resté sans rien faire. Au contraire, il a agi de façon responsable, compte tenu du fait qu’il aurait été inapproprié pour lui de jouer le rôle d’enquêteur sur cette question. Le ministre a suggéré à l’ombudsman de continuer de discuter du dossier auprès des instances appropriées.

On a appris en même temps que le ministre de la Défense nationale a refusé à sept reprises de rencontrer l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes. Si le ministre a fait son possible pour gérer les plaintes contre le général Vance, pouvez-vous m’expliquer pourquoi il a refusé à sept reprises de rencontrer l’ombudsman?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie mon cher collègue de sa question. Je ne suis pas au courant des détails que vous avez mentionnés. Je le répète, le ministre de la Défense a un rôle important à jouer, mais il y a d’autres instances et processus appropriés pour gérer les plaintes quand des plaintes officielles sont déposées.

Comme l’a expliqué le ministre à plusieurs reprises, il a agi de manière responsable en discutant avec le Conseil privé et en lui transmettant l’information qu’il avait.

La Déclaration des droits des victimes

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Il y a quelques semaines, j’ai rencontré l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes. J’ai aussi fait une vérification. Vous étiez parmi nous au Sénat, en 2019, lorsque nous avons adopté une mesure législative qui ajoutait au code de discipline militaire la Déclaration des droits des victimes.

Si le ministre de la Défense ne peut pas s’occuper des cas d’agression sexuelle par les hauts gradés, et que l’ombudsman ne peut pas non plus s’en occuper, étant donné qu’il a demandé aussi récemment que cette semaine de ne plus relever du ministre de la Défense, pouvez-vous m’expliquer pourquoi la Déclaration des droits des victimes, adoptée en 2019, n’a pas encore été mise en application dans les rangs des forces armées?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de cette question. Vous avez tout à fait raison de dire que la législation comprenant la Déclaration des droits des victimes adoptée au Parlement représente une avancée importante. Je ne dispose pas des informations à savoir pourquoi elle n’a pas été mise en application, mais je vais m’informer à ce sujet.

Cependant, il ne faut pas mélanger les choses. L’ombudsman a un rôle à jouer, mais les plaintes doivent être traitées de façon appropriée selon les règles du jeu et cela comprend aussi la nécessité d’avoir une plainte officielle avant que l’on puisse procéder.

[Traduction]

La justice

Les consultations auprès des Canadiens noirs et autochtones

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, je poserai ma question au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, il y a quelques semaines, le gouvernement a présenté le projet de loi C-22, une loi visant à abroger certaines peines minimales. Nous avons eu la chance dans cette enceinte de débattre de ce sujet à de nombreuses reprises grâce au projet de loi S-207 parrainé par la sénatrice Pate. Nous savons que les peines minimales obligatoires causent des distorsions dans notre système de justice, car elles enlèvent le pouvoir de discrétion des juges. De plus, elles sont à l’origine d’une grande part du racisme dans le système pénal, notamment parce qu’elles entraînent une surreprésentation des Noirs et des Autochtones dans les prisons canadiennes.

Sénateur Gold, quand le gouvernement prépare une mesure dans le but, dit-il, d’aider les Noirs et les Autochtones, les gens s’attendent à ce qu’il consulte les intervenants, les dirigeants et les autres personnes qui sont touchés par les systèmes concernés. Le gouvernement a-t-il consulté les Noirs et les Autochtones canadiens avant de présenter ce projet de loi? Pourriez-vous nous indiquer quels groupes et quelles personnes ont participé à ces consultations?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Sénatrice Moodie, je vous remercie d’avoir soulevé cette question. Comme vous m’aviez prévenu de la question, j’ai pu me renseigner auprès du gouvernement et j’ai le plaisir de vous faire part de ce qui suit : d’abord, le gouvernement a entendu les témoignages d’experts qui travaillent sur le terrain, de défenseurs des droits des collectivités autochtones et noires, des partenaires provinciaux et territoriaux ainsi que des membres de ses propres caucus autochtones et noirs sur les améliorations à apporter au système de justice pénale. Le gouvernement a également entendu les appels à la réforme lancés par des organisations et des commissions telles que le Caucus des parlementaires noirs, qui inclut des sénateurs et des députés, la Commission de vérité et de réconciliation du Canada et la commission responsable de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

On m’a aussi dit, honorable sénatrice, que le projet de loi C-22 reflète bien, en fait, la diversité des opinions exprimées. Enfin, le gouvernement reste déterminé à réformer le système de justice pénale afin de remédier aux injustices de ce système tout en tenant les délinquants responsables de leurs actes et en protégeant les victimes, bien entendu.

La sénatrice Moodie : Comme je suis membre du Caucus des parlementaires noirs et que j’ai parlé à bon nombre de mes collègues, permettez-moi de vous dire, sénateur Gold, qu’il est très difficile de trouver une personne qui ait bel et bien été consultée à ce sujet. Maintenant que le projet de loi a été présenté, le gouvernement prend-il des mesures pour engager le dialogue avec les Canadiens sur cette question?

Le sénateur Gold : Honorable sénatrice, pour répondre à votre question, je vous dirais que maintenant que le projet de loi a été présenté, il va suivre toutes les étapes du processus législatif. C’est dans ce cadre qu’il sera étudié et fera l’objet de discussions. Je vais me renseigner pour savoir si le gouvernement prévoit faire d’autres consultations, et je vous indiquerai ce qu’il en est.

La santé

Le registre national des vaccins

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, la pandémie actuelle a révélé douloureusement les nombreux problèmes qui nuisent à la mise en œuvre d’une stratégie nationale coordonnée et efficace dans le cadre du système fédéral. Parmi ces problèmes se trouvent les incohérences dans l’information diffusée par les autorités de la santé publique, les tests de dépistage, la distribution des vaccins et la difficulté d’obtenir certaines données clés.

En ce qui a trait aux données, il est très important de pouvoir recueillir et communiquer les données relatives à la vaccination des personnes qui pourraient voyager à l’intérieur et à l’extérieur du Canada. Nous n’avons pas de base de données nationale sur la vaccination, et la pandémie actuelle nous a fait comprendre très clairement que nous en avons besoin. Pouvez-vous nous dire ce que le gouvernement fédéral compte faire pour encourager la conception et la mise en place d’une base de données nationale efficace sur la vaccination?

(1440)

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de soulever cette question très importante et de souligner les difficultés que pose le système fédéral et le fait que la santé relève exclusivement des provinces.

En ce qui concerne la collecte de données sur la vaccination à l’échelle nationale, le problème, c’est que, même si certaines provinces ont des systèmes de suivi de l’immunisation, ils ne permettent pas d’échanger les données au moyen d’une technologie de l’information, un problème qui n’est malheureusement pas rare et auquel les entreprises et les gouvernements doivent encore faire face à mesure que les systèmes évoluent au fil du temps.

Cela dit, le gouvernement fédéral a entamé des discussions avec ses homologues provinciaux et territoriaux ainsi que ses partenaires afin de mettre au point un système national. Il faudra cependant tenir compte de l’importance de protéger le droit à la vie privée et veiller à l’exactitude des données recueillies faisant l’objet d’un suivi.

Le passeport vaccinal

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, on entend de plus en plus parler d’un passeport vaccinal lié à la COVID-19. Ayant travaillé pendant des décennies en Afrique subsaharienne, je connais très bien la valeur qu’accordent les autorités de santé publique au Certificat international de vaccination ou de prophylaxie. Le mien comprend les vaccins contre la fièvre jaune, la polio, la diphtérie et le tétanos, le choléra, l’hépatite A et B, et l’encéphalite japonaise.

Il est impossible d’entrer dans certains pays sans présenter un document de la sorte. Sénateur Gold, le Canada envisage-t-il une mesure semblable pour la vaccination contre la COVID-19? Le cas échéant, qu’envisage-t-il exactement?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Le gouvernement est conscient, et les sénateurs doivent l’être aussi, que certaines provinces et certains territoires examinent déjà des options d’accréditation des personnes qui se font vacciner.

Du point de vue du gouvernement fédéral, le premier ministre s’est récemment exprimé sur cette question en affirmant que, bien qu’elle faisait l’objet de discussions et qu’elle était prise en considération, comme dans d’autres pays, un passeport vaccinal ou un certificat de vaccination soulève des enjeux d’équité, de confidentialité et de discrimination, et qu’il faut tenir compte de ces facteurs.

Il a également été suggéré à maintes reprises qu’un passeport s’avérerait utile du point de vue de la santé publique pour contrôler les déplacements internationaux. À cet égard, le gouvernement continue de recommander aux Canadiens d’éviter les voyages non essentiels.

L’emploi et le développement social

Le financement de l’accès équitable aux bibliothèques

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, dans l’Énoncé économique de l’automne 2020, le gouvernement revient sur sa promesse d’appuyer le Centre d’accès équitable aux bibliothèques, lequel fournit des imprimés aux Canadiens handicapés. D’ici 2024, le gouvernement prévoit d’annuler entièrement sa contribution annuelle de 4 millions de dollars. La décision a été prise sans avertissement ni consultation et survient à un moment où la communauté des personnes handicapées est déjà aux prises avec des difficultés majeures.

Cette annulation de financement forcera sans doute le centre à fermer ses portes, ce qui éliminera l’accès aux imprimés et les soutiens offerts aux personnes handicapées. En fait, cela signifie que les aveugles n’auront plus accès à des livres audio.

J’ai avisé le sénateur Gold que je poserais cette question, alors la voici. Qui a pris cette décision? Pourquoi a-t-on décidé d’éliminer un service aussi essentiel qui représente une si petite portion du budget annuel, mais qui a une incidence fondamentale sur la vie de tant de personnes?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de soulever cette question, sénatrice Wallin. Je n’étais pas au courant que cette question serait soulevée et je suis désolé qu’elle ne me soit pas parvenue. Je vais certainement me renseigner et rendrai réponse à la sénatrice dès que possible.

La sénatrice Wallin : Je suis navrée. Mon bureau l’a fait parvenir au vôtre. Pourriez-vous, je vous prie, promettre de faire annuler cette décision ou, à tout le moins, nous fournir une justification pour l’annulation de ce financement?

Le sénateur Gold : Merci. Je m’engage certainement à me renseigner et à vous donner une réponse dans les plus brefs délais.

Les affaires étrangères

Le financement accordé à l’Office de secours et de travaux des Nations unies

L’honorable Linda Frum : Sénateur Gold, le 8 février dernier, je vous ai demandé pourquoi le gouvernement Trudeau n’avait pas arrêté de financer l’Office de secours et de travaux des Nations unies, qui a distribué du matériel pédagogique haineux et antisémite à ses élèves. Trois semaines plus tôt, le 22 janvier, la ministre Gould a réagi aux révélations à propos de l’Office de secours et de travaux en affirmant que le gouvernement allait lancer une enquête. Elle a aussi souligné que l’organisme avait reconnu son erreur et mis en place des mesures correctives. Or, un rapport de l’organisation non gouvernementale IMPACT indique que l’office n’avait jamais cessé la distribution du matériel haineux et qu’il l’avait simplement déplacé vers une plateforme sécurisée.

Près de deux mois se sont écoulés depuis que la ministre a annoncé la tenue d’une enquête. Pouvez-vous nous dire quels sont les résultats de cette enquête jusqu’à maintenant? Des conclusions ont-elles été tirées, même de façon provisoire? Dans l’affirmative, certaines conclusions du gouvernement contredisent-elles celles de l’organisation IMPACT?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Je n’ai pas encore reçu de réponse de la ministre. Je vais faire de nouvelles démarches pour obtenir une réponse et la transmettre au Sénat dès que possible.

La sénatrice Frum : Sénateur Gold, également en février, la ministre Gould s’est fait demander à la Chambre pourquoi l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient continuait à distribuer du matériel pédagogique haineux malgré les « mesures correctives » qu’il était censé avoir prises en janvier. La ministre a excusé l’office en affirmant que même s’il n’y a de place ni pour la haine ni pour l’incitation à la violence, au moins il offre une éducation aux enfants.

Sénateur Gold, distribuer du matériel pédagogique haineux n’est pas une forme d’éducation, mais d’endoctrinement, et poursuivre sa distribution après avoir dit qu’on y mettrait fin n’est pas un accident, mais une politique. Enfin, utiliser continuellement l’excuse qu’il faut mener une enquête plus poussée sur des accusations amplement démontrées est une forme de complicité.

Sénateur Gold, comme l’a dit la ministre, le gouvernement libéral croit qu’il n’y a pas du tout de place ni pour la haine ni pour l’incitation à la violence dans le matériel pédagogique de l’Office de secours et de travaux des Nations unies. Alors, étant donné cette dernière révélation, pourquoi le gouvernement ne suspend-il pas tout financement canadien de cet organisme jusqu’à l’issue de l’enquête gouvernementale? Ne croyez-vous pas que ce serait la meilleure façon d’étayer les paroles du gouvernement et d’envoyer le bon message à cet organisme?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question et de votre détermination à vous assurer que les fonds canadiens sont utilisés adéquatement. C’est quelque chose qui me tient aussi à cœur. Je me renseignerai, et je vous fournirai une réponse dès que possible.

L’emploi et le développement social

Le financement de l’accès équitable aux bibliothèques

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat et elle s’apparente à celle que lui a posée la sénatrice Wallin un peu plus tôt.

Nous savons que le gouvernement fédéral élimine progressivement le financement de deux organismes qui aident les Canadiens handicapés, soit le Centre d’accès équitable aux bibliothèques et le Réseau national de services équitables de bibliothèque.

Comme nous l’a fait comprendre la sénatrice, cette coupe aura un effet dévastateur sur la production et la diffusion de livres dans des formats accessibles s’adressant aux Canadiens qui sont non voyants, qui ont des troubles d’apprentissage ou qui ont une maladie qui affecte leur vision, comme la maladie de Parkinson.

Le montant du financement qui sera supprimé est de 4 millions de dollars, une somme bien petite comparativement à l’ensemble des dépenses du gouvernement du Canada. Vous vous êtes déjà engagé à revenir avec une réponse quant aux raisons qui ont amené le gouvernement à procéder à des coupes qui touchent les Canadiens handicapés. Ce que je voudrais savoir, c’est si le gouvernement reviendra sur sa décision.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de cette question. Je ne peux rien faire de plus que répéter mon engagement à m’informer au sujet de ces coupes et à revenir avec des réponses aussitôt que possible.

La sénatrice Seidman : Merci.

En pleine pandémie, le problème est d’autant plus grave. Le Réseau national de services équitables de bibliothèque affirme que la réduction du financement pour l’exercice à venir :

[...] exacerbera davantage les effets de la pandémie de COVID-19 qui a une incidence disproportionnée sur les Canadiens en situation de handicap.

(1450)

Ces deux organismes, qui vont souffrir de ces coupes, disent que le gouvernement fédéral a pris sa décision sans d’abord les consulter ni les avertir.

Sénateur Gold, pourriez-vous nous dire pourquoi votre gouvernement n’a pas consulté le Centre d’accès équitable aux bibliothèques ou le Réseau national de services équitables de bibliothèque? Par ailleurs, pourriez-vous nous dire pourquoi ils n’ont pas été informés qu’on allait mettre fin à leur financement en pleine pandémie?

Le sénateur Gold : Je vais me renseigner. Merci.

[Français]

La santé

Le vaccin contre la COVID-19

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. La liste des pays européens qui ont suspendu leur campagne de vaccination avec AstraZeneca s’allonge. On parle maintenant d’une vingtaine de pays, dont les quatre principaux pays du continent. Pendant ce temps, le premier ministre Trudeau continue de dire qu’il n’y a pas de danger pour les Canadiens en affirmant que nos vaccins d’AstraZeneca ne proviennent pas de ce qu’il a appelé, et je cite, la même batch. Voilà une réponse pas très scientifique.

Quelque chose d’autre me dérange : Santé Canada est, en général, des semaines, voire des mois en retard sur les États-Unis pour approuver certains produits de santé. Pourtant, dans le cas d’AstraZeneca, les États-Unis n’ont même pas encore approuvé ce vaccin, et AstraZeneca ne fournira pas les rapports requis pour obtenir une telle approbation avant le mois d’avril.

Monsieur le leader, pouvez-vous nous garantir que le premier ministre n’a pas pris de risques pour rehausser son image politique de grand vaccinateur? Sur quelles bases scientifiques avons-nous approuvé ce vaccin que les Américains refusent toujours de déclarer sûr pour la population?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. La question de la sécurité des vaccins est primordiale. Le gouvernement du Canada prend ses décisions en se basant sur les données scientifiques et sur l’avis de ses conseillers scientifiques. Selon l’information disponible et les conseils qui ont été fournis, le vaccin d’AstraZeneca est considéré comme sûr. Aujourd’hui, nous avons appris, grâce à la première étude menée en Europe sur la question des cas de caillots sanguins, que des millions de ces vaccins ont déjà été administrés, surtout en Angleterre. Il n’y a, apparemment, aucun lien entre ce problème de caillots sanguins et le vaccin. Nous aurons d’ailleurs bientôt les résultats du suivi qui a été fait sur cette question.

Selon l’information que nous ont fournie les scientifiques, au Canada et ailleurs, il n’y a pas de lien et il n’y a aucun danger. Tous les organismes canadiens ont souligné qu’il existe un équilibre entre le risque et les bénéfices. Sur la base de conseils scientifiques, tous les organismes au pays — y compris le premier ministre du Québec et le premier ministre du Canada — encouragent les Canadiennes et les Canadiens à avoir confiance en ces vaccins, de même qu’en tous les vaccins offerts au Canada.

Le sénateur Dagenais : Je vais répéter ce que le premier ministre a dit. Il a dit que les vaccins destinés au Canada ne provenaient pas de la même batch. Croyez-vous sincèrement qu’AstraZeneca a développé un vaccin différent pour l’Europe que celui qui est proposé au Canada et aux États-Unis? Ce pays attend encore d’obtenir des informations avant d’approuver ce vaccin.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Il n’est pas question d’un vaccin différent. Il n’y a même pas de preuves qui ont confirmé qu’il y avait un problème avec le vaccin. Apparemment, il y a une augmentation de 20 % environ pour ce qui est du risque que les personnes atteintes de la COVID-19 développent ce problème sanguin. Les recherches se poursuivent. C’est normal — et c’était le cas au Canada — que les organismes prennent le temps de s’assurer que le vaccin est sécuritaire. En fait, le gouvernement a été critiqué par le passé parce qu’il n’a pas approuvé le vaccin aussi rapidement que d’autres pays. On ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Ici, au Canada, nous prenons notre temps et nous mettons l’accent sur nos compétences et nos capacités scientifiques, afin de prendre des décisions appropriées pour les Canadiens et les Canadiennes.

L’honorable Claude Carignan : Ma question porte sur le même sujet. Pouvez-vous nous confirmer que le Canada n’est pas en train de négocier avec AstraZeneca pour augmenter la quantité de vaccins livrés et profiter des annulations en Europe afin d’acheter des surplus de ce vaccin, qui n’est pas nécessairement sûr aux yeux de l’Europe, afin qu’on l’importe au pays pour vacciner des Canadiens?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Chaque jour, la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement travaille avec son équipe afin que le Canada puisse bénéficier des vaccins nécessaires pour protéger la population le plus vite possible. Je n’ai aucune information sur des négociations qui auraient eu lieu par rapport à ce que vous avez souligné, mais je vous invite à croire que le bien-être des Canadiens est au cœur des décisions prises par notre gouvernement. Tous les vaccins qui seront achetés par notre pays et distribués au Canada doivent subir des tests rigoureux et indépendants de la part de Santé Canada. Je vous invite à avoir confiance dans le fait que le gouvernement travaille 24 heures par jour, 7 jours par semaine, pour nous protéger.

[Traduction]

La justice

Le projet de loi C-22—Les incidences sur les Canadiens noirs et autochtones

L’honorable Kim Pate : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Je souhaite d’abord m’excuser, car je ne savais pas que j’aurais l’occasion de poser cette question, alors je n’ai pas envoyé de préavis, quoiqu’on a déjà posé cette question deux fois au ministre de la Justice.

Dans la foulée de la question posée par la sénatrice Moodie concernant la liste des parties prenantes des communautés noires et autochtones ayant été consultées, nous aimerions savoir combien de Noirs et d’Autochtones ont été reconnus coupables des infractions qui seront modifiées par le projet de loi C-22 s’il venait à être adopté, et dans quelle mesure on prévoit réduire le nombre de détenus noirs et autochtones en fonction du plan élaboré dans le cadre de ce projet de loi. Merci beaucoup.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Je ne peux y répondre pour l’instant, et je ne crois d’ailleurs pas être le mieux placé pour le faire. Je ne pense même pas que le Sénat soit le meilleur endroit pour obtenir réponse à cette question légitime. Je vous invite à la poser au ministre et à ses représentants lorsque nous étudierons ce projet de loi. Cela dit, je vais m’informer et tenter de vous fournir les renseignements demandés.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Nous avons demandé que l’on nous fournisse cette information à deux reprises, sans succès, donc si vous pouviez nous aider d’une quelconque façon, je vous en serais très reconnaissante.

Les affaires étrangères

L’exportation de la technologie de la défense en Turquie

L’honorable Leo Housakos : Monsieur le Sénateur Gold, cette semaine, je vous ai posé une question concernant certaines révélations contenues dans des documents déposés à la Chambre relativement à la décision de Justin Trudeau d’exempter le président turc Erdogan de l’interdiction d’exportation de matériel militaire en Turquie. Cette exemption entraîne de très graves conséquences puisque nous savons maintenant que le matériel en question a servi à tuer des civils innocents dans le conflit du Nagorno-Karabakh. De plus, grâce à des demandes d’accès à l’information, certains médias ont réussi à obtenir des documents similaires sur l’exemption, et la crise humanitaire était à peine mentionnée dans les 400 pages d’informations reçues sur la question.

Le gouvernement s’intéresse-t-il réellement à la crise humanitaire qui sévit dans cette région, oui ou non?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : La réponse est oui. Lorsque le gouvernement a pris connaissance de ces allégations, il a ordonné à des fonctionnaires de faire enquête, et cette dernière est en cours.


(1500)

ORDRE DU JOUR

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Motion de renonciation aux amendements du Sénat et d’adoption des amendements des Communes—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénateur Boehm,

Que, relativement au projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), le Sénat :

a)n’insiste pas sur ses amendements 1a)(i), 1a)(iii), 1b) et 1c), auxquels la Chambre des communes n’a pas acquiescé;

b)accepte les amendements apportés par la Chambre des communes à son amendement 2;

c)accepte l’amendement apporté par la Chambre des communes par suite de ses amendements 1a)(ii) et 3;

d)accepte les amendements apportés par la Chambre des communes à son amendement 3;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

L’honorable Carolyn Stewart Olsen : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du message reçu de la Chambre des communes au sujet des amendements que le Sénat a apportés au projet de loi C-7. Ces amendements portent sur l’examen final du remaniement en profondeur du régime légalisant l’aide médicale à mourir au Canada.

À l’époque où j’étais infirmière aux urgences, j’ai souvent côtoyé la mort et la souffrance. Vous pouvez me croire quand je dis que j’ai été témoin des pires sévices qui puissent être infligés à une personne ou qu’une personne peut s’infliger à elle-même.

Comme l’aide médicale à mourir est maintenant inscrite dans la législation canadienne, il nous incombe, à titre de législateurs, de veiller à ce que les Canadiens puissent faire de façon raisonnable, sûre et humaine ce choix des plus difficiles. Cependant, notre tâche ne s’arrête pas là. J’estime qu’en modifiant légèrement cet amendement et en le renvoyant tel qu’adopté, la Chambre des communes n’a pas fait preuve du jugement auquel on s’attend de cette institution et que, par surcroît, sa décision ne correspond pas à l’opinion de la majorité des Canadiens.

Alors que je suivais le débat sur le projet de loi C-7 et ses amendements, ma principale préoccupation était d’adopter une mesure législative établissant un juste équilibre entre la protection des Canadiens et le respect de la décision du tribunal de première instance. Toutefois, nous devons également protéger les Canadiens pour lesquels toutes les possibilités de traitements raisonnables n’ont peut-être pas été envisagées ainsi que ceux qui, pour une raison quelconque, ne sont pas en mesure de prendre une décision éclairée.

Malheureusement, nous en sommes maintenant arrivés à considérer la maladie mentale comme un motif suffisant en soi pour justifier l’aide médicale à mourir. Je trouve cela perturbant parce que la maladie mentale n’est pas une science exacte et ne peut être évaluée de la manière qu’on évalue le traitement de personnes en phase terminale. Comme un médecin l’a dit dans le Journal of Ethics in Mental Health :

[...] Je ne suis pas un agent porteur de mort. De par ma vocation et le serment que j’ai prêté, je suis, au contraire, un agent porteur d’espoir. J’ai juré de faire de mon mieux pour soulager la souffrance physique et émotionnelle, et lorsque mon art, mes compétences et mes outils sont jugés inadéquats par mon patient, et que la vie ne lui semble plus valoir la peine d’être vécue, alors il a le droit de choisir sa réponse à la question « être ou ne pas être? ».

Si nous acceptons l’idée que la maladie mentale puisse être l’unique condition préalable au recours à l’aide médicale à mourir, nous ouvrons la porte à la mort prescrite comme traitement du désir de mourir. Cela pose des problèmes éthiques énormes à de nombreux professionnels de la santé.

L’argument du gouvernement, c’est que ces changements garantissent la qualité de traitement à laquelle nous avons tous droit. Je me demande quand même si nous avons vraiment pris en considération le fait que, pour beaucoup, le vrai problème n’est pas l’accès au suicide assisté, mais l’accès à une vie assistée.

Chers collègues, l’accès aux soins psychiatriques, aux soins palliatifs, aux cliniques de traitement de la douleur et à une aide sociale adéquate sont autant d’éléments qui diffèrent largement selon le lieu de résidence au Canada, et qui jouent un rôle important pour déterminer si un patient demandera l’aide médicale à mourir.

L’Association canadienne pour la santé mentale en convient. Ses représentants ont déclaré au Sénat en novembre 2020 que jusqu’à ce que le système de soins de santé puisse répondre adéquatement aux besoins des Canadiens qui souffrent de maladies mentales, le suicide assisté ne devrait pas être envisagé. La question de la qualité de vie n’est pas une simple question binaire qui commence par la vie et se termine par la mort. Les gouvernements provinciaux ont beaucoup de marge de manœuvre pour améliorer les options accessibles aux personnes souffrant de maladie mentale, et nous devrions les encourager à avoir davantage recours à ce genre de pouvoirs.

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale, le plus important hôpital universitaire en santé mentale au pays, a créé un groupe de travail chargé d’étudier l’enjeu de l’aide médicale à mourir. Après deux ans de délibérations — une date qui me paraît bien familière —, les chercheurs du centre ont conclu que nous ne devrions pas permettre aux personnes dont le trouble mental est seul problème médical de recevoir l’aide médicale à mourir.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, la santé mentale n’est pas une science exacte, et il est loin d’être évident que les maladies mentales sont incurables.

Un document d’orientation du Centre de toxicomanie et de santé mentale publié en 2017 indique ceci :

La gravité d’une maladie est subjective, et il ne fait aucun doute que la maladie mentale peut occasionner des souffrances aux personnes [...]

En revanche, le caractère irrémédiable d’une maladie — l’incapacité à la traiter ou la guérir — est établi au terme d’un processus objectif tenant compte des meilleures données médicales disponibles.

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale conclut aussi qu’il n’y a généralement aucune preuve selon laquelle il existerait un seuil objectif sur lequel on s’appuierait pour dire : « Voici une maladie mentale qu’il est impossible de traiter ou de guérir ». Étant donné l’expérience profondément personnelle que de nombreux patients ont de la maladie mentale, il sera difficile de fixer une norme permettant de prédire la trajectoire du déclin chez une personne. Une personne qui semble impossible à traiter aujourd’hui peut être guérissable demain.

Un ouvrage universitaire qui traite uniquement de l’expérience de la souffrance mentale abonde dans le même sens. On peut y lire ceci :

[...] en pratique, nous estimons qu’il est hautement improbable que l’euthanasie représente un jour une réponse adaptée à la souffrance mentale et que le fait d’autoriser cette approche reviendrait à médicaliser de manière inacceptable des problèmes qui ne sont pas de nature médicale.

Honorables sénateurs, j’ai lu ces citations parce qu’elles ont été produites sur une période de deux ans par des personnes objectives et qui connaissent bien le sujet pour l’avoir étudié en profondeur. Je doute donc que nous puissions faire mieux que l’amendement que nous avons envoyé. C’est pourquoi je ne peux pas accepter le message.

L’objectif du programme initial d’aide médicale à mourir n’était pas de cesser de soigner les personnes qui pouvaient être guéries, mais de fournir un départ digne à celles dont l’état était incurable. Les problèmes soulevés par le fait d’offrir l’aide médicale à mourir aux personnes dont la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale ne sont pas uniques au Canada. Dans le guide de 2008 de la loi de l’Oregon sur la mort dans la dignité, on peut lire ceci :

[...] jusqu’en 2006, la loi de l’Oregon sur la mort dans la dignité n’offrait pas à tous les patients atteints de maladies mentales une protection adéquate contre la prescription de médicaments létaux. Il est nécessaire de faire preuve de plus de vigilance et de procéder à un examen systématique [...]

En Belgique, une pétition a été signée par plus de 360 médecins et universitaires qui demandaient un contrôle plus strict de l’euthanasie pour les patients psychiatriques. Cela reflète également la position de l’American Psychiatric Association, qui, lorsqu’elle s’est prononcée sur la question en décembre 2016, a déclaré qu’elle n’était pas favorable à ce que les psychiatres interviennent de toute façon que ce soit auprès des malades qui ne sont pas en phase terminale dans le but de provoquer leur mort.

Honorables sénateurs, pour en revenir à mon expérience de professionnelle de la santé, je me suis toujours fait un devoir d’offrir aux patients les meilleurs soins et les meilleurs traitements disponibles. J’avais aussi le devoir de les traiter avec dignité et de respecter les choix éclairés qu’ils faisaient au sujet de leur santé. Selon moi, rien ne justifie que l’on puisse invoquer la maladie mentale comme seule condition pour demander l’aide médicale à mourir. Il manque encore beaucoup de données scientifiques à ce chapitre avant de pouvoir dire avec certitude que nous pouvons appliquer une norme uniforme et objective.

En tant que législateurs, nous sommes ici pour protéger les Canadiens, et cela signifie parfois que nous devons protéger ceux qui ne peuvent se protéger eux-mêmes. Nous devrions rejeter la maladie mentale comme seule condition pour demander l’aide médicale à mourir — et j’aurais sincèrement préféré que la Chambre des communes le fasse —, jusqu’à ce que la mesure législative initiale ait été examinée par le comité prévu et que nous ayons davantage de certitude découlant des données scientifiques. Je ne peux pas appuyer le message de la Chambre des communes. Merci, honorables sénateurs.

(1510)

L’honorable Frances Lankin : Je suis enchantée d’avoir la possibilité d’aborder le message de l’autre endroit au sujet du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

J’ai bien aimé le discours que la sénatrice Stewart Olsen vient tout juste de prononcer. Je crois que la prévenance dont tous les sénateurs ont fait preuve malgré les opinions divergentes a grandement contribué à la qualité des débats et à la profondeur des délibérations pour tenir compte des nombreux enjeux.

Après mûre réflexion, j’en suis arrivée à une conclusion différente. J’ai l’intention de voter en faveur du message de la Chambre des communes et je tiens à expliquer brièvement quelles sont mes raisons. Cela ne diminue en rien l’importance des autres points de vue qui ont été exprimés ni l’intégrité des arguments qui sont présentés.

Avant d’expliquer mes raisons, j’aimerais souligner qu’un grand nombre de sénateurs ayant pris la parole avant moi ont remercié tous ceux et celles qui ont apporté leur contribution à ce dossier, que ce soit les membres du personnel, les sénateurs ou les témoins. Je joins ma voix à la leur pour remercier sincèrement à mon tour les personnes qui ont travaillé fort pour faire avancer ce dossier et participer au bon déroulement des débats, qui ont été essentiels et constructifs.

Permettez-moi de faire quelques commentaires à ce sujet et aussi de remercier les leaders, les facilitateurs et le représentant du gouvernement au Sénat de s’être entendus pour programmer les débats du Sénat sur ce projet de loi de manière à ce que nous puissions avoir un débat libre continu, où nous pouvons nous entendre, où nous pouvons répliquer, où nous pouvons poser des questions lors des débats et où nous savons quand ce projet de loi sera à l’ordre du jour. Cela relève du simple bon sens. Pendant toutes les années que j’ai passées à l’Assemblée législative de l’Ontario, nous savions toujours quel débat était prévu et combien de temps y serait consacré dans une semaine donnée. Cela ne veut pas dire que nous connaissions la date du dernier jour de débat, mais la tenue de débats raisonnables et cohérents jouait un rôle important dans notre approche.

Personnellement, je crois que tous les projets de loi devraient être inscrits au Feuilleton de cette manière, après discussions entre les leaders. Je les remercie énormément d’avoir abordé ce projet de loi de cette manière; j’espère qu’ils procéderont ainsi plus souvent à l’avenir. À mon avis, cela accroît grandement la qualité des débats et des délibérations.

Quand nous débattons d’un message envoyé par la Chambre des communes, il faut tenir compte, je crois, d’une grande variété de normes et de critères pour arriver à une conclusion. Certaines personnes s’opposent fortement à des dispositions du projet de loi C-7, et ce, pour diverses raisons. Ces raisons sont parfois liées à une question de conscience, à des convictions religieuses ou, comme l’a mentionné la sénatrice qui est intervenue avant moi, à l’expérience, aux antécédents ou à la profession de chacun. Pour certains, il s’agit d’un enjeu personnel. Bref, de multiples raisons peuvent nous amener à approuver ou à désapprouver certains objectifs du projet de loi. Nous avons longuement débattu et discuté de ces éléments et, au final, nous n’avons pas tous le même point de vue à propos de ce projet de loi, et les Canadiens non plus. On ne s’attend pas à une opinion unanime, et l’absence d’unanimité n’a pas à être un sujet de préoccupation. L’important, c’était de tenir un débat très approfondi sur les enjeux, ce que nous avons fait.

Nous avons par exemple débattu de la liberté de conscience des médecins, et nous en sommes arrivés à une conclusion. Ce point ne devrait donc plus entrer en ligne de compte dans notre décision d’accepter ou non le message des Communes. Je ne suis absolument pas en train de dire que les sénateurs ne doivent pas se fier à leurs objections morales ou de conscience pour guider leur vote; je dis seulement que cet élément ne fait pas partie des facteurs que nous devons prendre en considération pour décider si nous allons voter en faveur de ce message ou non. Il en va de même des mesures de sauvegarde. Certains les trouvent suffisantes, d’autres pas. Personnellement, j’ai voté pour l’amendement de la sénatrice Batters, qui aurait rétabli la période de réflexion de 10 jours, mais cet amendement a été rejeté par le Sénat. Or, même si je ne suis pas d’accord avec la majorité, ce n’est pas ce qui sera mis aux voix aujourd’hui. Le Sénat en a décidé ainsi.

Une question qui n’est pas si simple est celle des arguments liés à la Constitution ou à la Charte. J’ai eu la chance de siéger au Sénat lorsque les débats ont eu lieu sur le prédécesseur du projet de loi actuel, soit le projet de loi C-14, qui visait l’intégration au Code criminel de dispositions sur l’aide médicale à mourir ou la mise à jour de ces dispositions pour mettre sur pied un régime d’aide médicale à mourir. Au bout du compte, lorsque des sénateurs se sont opposés, en invoquant la Constitution ou la Charte, aux restrictions ou aux contraintes imposées à l’accès et à l’admissibilité à l’aide médicale à mourir en fonction des critères de mort raisonnablement prévisible ou de maladie terminale, bon nombre d’entre nous étaient d’avis que cela allait à l’encontre de la Constitution et de la Charte, étant donné la décision de la Cour suprême sur laquelle nous nous étions fondés à l’origine pour proposer le projet de loi C-14 et offrir l’aide médicale à mourir.

Nous avions eu le net sentiment que cela ne respectait ni la Constitution ni la Charte. Lorsque nous avons reçu le message de l’autre endroit indiquant que notre amendement était rejeté, il s’est avéré extrêmement ardu de déterminer jusqu’où nous pouvions aller. Je n’utiliserai pas la même terminologie que certains emploient pour faire référence à ce jeu de va-et-vient. Il s’agit là d’une importante responsabilité partagée par les deux Chambres du Parlement, par ses deux éléments constitutifs. La Chambre des communes et le Sénat jouent des rôles différents et se concentrent sur des aspects distincts lorsque vient le temps de baliser leurs processus de réflexion et de décision respectifs.

Dans ce cas-ci, avec le projet de loi C-14, cette question avait été extrêmement difficile pour le Sénat. Au bout du compte, nous avions convenu d’accepter les assertions du gouvernement ou le message qu’il avait envoyé. Ce faisant, nous n’avions pas tranché la question à savoir si le critère de la constitutionnalité était respecté. Beaucoup d’entre nous prédisaient qu’une décision comme Truchon serait éventuellement rendue et que nous en reviendrions au même point, et c’est ce qui s’est produit. Mais ce n’était pas certain. Nous ne savons jamais ce que les tribunaux décideront et, dans ce cas-ci, la ministre de la Justice de l’époque avait écarté la possibilité d’envisager l’amendement, et ce, avant même la fin de nos délibérations, la tenue du vote et le renvoi du projet de loi assorti d’amendements, ce qui est déplacé selon moi. Je ne crois donc pas que le gouvernement a tenu compte de ce que nous avions à dire, mais il affirmait dès le départ que le projet de loi était constitutionnel. C’est dans cet état d’esprit que la ministre avait décidé — prématurément, à mon avis — de faire cette annonce.

Toutefois, ce que nous examinons en ce moment est légèrement différent. Le gouvernement a accepté notre amendement à propos du délai d’entrée en vigueur de la disposition concernant l’inadmissibilité des personnes dont la seule condition médicale invoquée est un problème de santé mentale. Il a accepté notre amendement. Il a fait passer le délai d’entrée en vigueur de la disposition de 18 à 24 mois. Je suis d’accord avec le gouvernement. Cela me rend plus à l’aise. Nous avons adopté un amendement pour 18 mois. Je crois qu’une telle période permet de réaliser beaucoup de travail important.

Je crois aussi que c’est différent parce que nous ne savons pas exactement ce qui se serait produit si cette affaire s’était rendue en Cour suprême. Il s’agit de la décision d’un tribunal du Québec, qui a été prise par une seule juge. Il n’y a eu aucun renvoi par la suite, pour quelque raison que ce soit. La question de la constitutionnalité se pose encore davantage, à mon avis, pour le projet de loi C-7 qu’elle se posait pour le projet de loi C-14. Je suis donc disposée à accepter la décision du gouvernement, qui, comme je l’ai dit, n’a pas ménagé ses efforts pour répondre à nos préoccupations en allant encore plus loin que nous l’avons fait nous-mêmes.

Je suis très déçue que les amendements de la sénatrice Wallin aient été rejetés. Je conviens que la question est complexe, bien sûr, mais les provinces y ont répondu en prenant des mesures législatives à l’égard du consentement aux soins et de la capacité de consentir. Tous les éléments nécessaires ont été établis à l’échelle provinciale. Nous devons prendre les mesures requises pour que ces critères soient appliqués à l’aide médicale à mourir. Cependant, comme je l’ai dit dans mon discours à l’étape de la troisième lecture, il y a une grande différence entre les processus fédéraux et provinciaux actuellement en place. Ce n’est pas le cas actuellement au titre des dispositions fédérales du Code criminel. Cela dit, il n’y a pas beaucoup de différences, mais il est inhumain de dire qu’une personne peut refuser les soins, alors que, selon mon expérience familiale, cela peut amener la personne à mourir d’inanition et de déshydratation au lieu de demander l’aide médicale à mourir. Nous aurons toutefois l’occasion d’aborder le sujet dans le cadre de cet examen. J’ai hâte à l’étape du comité, dont j’espère pouvoir faire partie.

(1520)

Votre Honneur, je vais conclure mes commentaires en déclarant une fois de plus que j’appuie la motion d’adoption du message de la Chambre des communes. Je suis consciente du fait que, dans un gouvernement minoritaire, le gouvernement et les parlementaires ont écouté avec attention les éléments soulevés par le Sénat avant d’y donner suite. Je me réjouis de ce pas en avant, mais il reste encore beaucoup à faire. Merci beaucoup.

L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, le Parlement devrait avoir honte de la façon dont il a agi au sujet de ce projet de loi d’aide au suicide. Avec l’appui du Bloc québécois, le gouvernement Trudeau a mis fin après seulement sept heures et demie au débat sur un amendement du Sénat afin de permettre aux personnes souffrant de maladie mentale d’avoir accès au suicide sanctionné par l’État. Comme les cas où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée avaient été spécifiquement exclus du projet de loi C-7 original, la Chambre des communes n’avait pas du tout examiné ou débattu cette question. Il est répréhensible que le temps consacré par la Chambre à un changement aussi fondamental dans la politique sociale de notre pays ait représenté l’équivalent de moins d’une journée de travail pour de nombreux Canadiens.

Cette débâcle démontre bien que le premier ministre dirige le pays sans boussole morale et qu’il est à la tête d’un Cabinet composé de ministres qui se soucient plus de se faire remarquer le moins possible afin de conserver leur emploi que de défendre les Canadiens. Dans la même semaine, le premier ministre a fébrilement célébré la Journée internationale des femmes et son gouvernement a tenu un sommet virtuel de deux jours sur les enjeux qui concernent les femmes, puis il a forcé l’adoption de cet amendement extrêmement nuisible qui touchera les femmes de façon disproportionnée. À cause de cet amendement sur la maladie mentale, de nombreuses Canadiennes vulnérables souffrant de maladie mentale auront accès à des moyens garantis de se donner la mort plutôt qu’à de l’aide pour vivre et s’épanouir.

Si nous savons depuis un bon moment que Justin Trudeau est un faux féministe, cet amendement du gouvernement sur la maladie mentale nous prouve qu’il est aussi un faux défenseur de la cause de la santé mentale. J’imagine que nous ne devrions pas être surpris. Lorsque Justin Trudeau était un simple député, il a facturé des honoraires de 20 000 $ par allocution à des associations locales œuvrant dans le milieu de la santé mentale. C’est épouvantable, d’autant plus qu’il était un député et que s’adresser à des groupes de ce genre sur des questions de politiques publiques importantes faisait partie de son travail.

Les membres du caucus libéral ont suivi son exemple, y compris ceux qui avaient auparavant remporté des prix nationaux dans le domaine de la santé mentale : Carolyn Bennett, Sean Fraser, Patty Hajdu, Seamus O’Regan, et même le président du caucus parlementaire sur la santé mentale, le député libéral Majid Jowhari. Ils sont tous rentrés dans le rang et ont voté contre les personnes atteintes d’une maladie mentale lorsque leur avenir politique au sein du caucus libéral de Justin Trudeau était en jeu.

Comble de l’insulte, le premier ministre Trudeau a imposé l’adoption de cet amendement lors de la Journée nationale de commémoration pour la COVID-19 et de l’anniversaire de la ratification par le Canada de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. C’est cette même convention que le projet de loi C-7 viole, comme nous l’ont dit trois experts des droits de la personne des Nations unies, dont deux rapporteurs spéciaux. Cela ne s’invente pas.

Le projet de loi C-7 trahit beaucoup de groupes de personnes que le premier ministre Trudeau aime prétendre qu’il appuie, tels que les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées ainsi que les Canadiens noirs et racialisés. Maintenant, le gouvernement Trudeau ajoute à cette liste les personnes atteintes de maladie mentale. L’amendement aura des conséquences dévastatrices sur ces personnes vulnérables.

Lors de la présentation du projet de loi C-14, il y a cinq ans, le gouvernement Trudeau a dû s’abstenir d’y inclure la maladie mentale. Bien sûr, à l’époque, Jody Wilson-Raybould était ministre de la Justice, et Jane Philpott, ministre de la Santé. Quand ces deux ministres ont été expulsées du Cabinet libéral, il semble que ce dernier ait perdu ce qui lui restait de courage et de bon sens.

Nous avons maintenant un ministre de la Justice militant, David Lametti, qui souhaite élargir l’aide médicale à mourir. En effet, il a voté contre le projet de loi C-14 parce qu’il estimait qu’il n’allait pas assez loin. Lorsqu’on l’a interrogé sur ce sujet dans une récente entrevue médiatique, le ministre Lametti a affirmé que, il y a 30 ans, il avait été auxiliaire juridique auprès du juge Peter Cory, qui avait exprimé une opinion dissidente dans l’arrêt Rodriguez sur l’aide médicale à mourir. Manifestement, cela a forgé en grande partie sa philosophie juridique, et cette cause est sa mission depuis 30 ans.

J’ai trouvé cela plutôt curieux que le ministre Lametti ne veuille pas répondre aux questions très faciles que je lui ai posées lorsque je lui ai demandé de défendre la constitutionnalité de l’exclusion des maladies mentales dans le projet de loi C-7. J’ai défendu la constitutionnalité de cette disposition plus vigoureusement que lui. Le ministre a aussi négligé de corriger l’analyse comparative entre les sexes contenue dans le projet de loi. Ensuite, comme par magie, le Sénat composé majoritairement de sénateurs « indépendants » nommés par Trudeau a présenté des amendements au projet de loi en vue d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir bien au-delà de ce qui était attendu. La Chambre des communes a examiné les amendements à fond de train, et ces derniers ont été adoptés en sept heures et demie seulement.

Le premier ministre Trudeau a laissé le Sénat supposément indépendant faire le sale boulot pour parvenir à ses fins, et aux fins du ministre Lametti, à savoir élargir de manière radicale l’accès à l’aide médicale à mourir.

Pendant et après l’étude préalable du projet de loi C-7 au Comité sénatorial des affaires juridiques qui a eu lieu l’automne dernier, de nombreux sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants se sont opposés au projet de loi au nom des personnes handicapées, des Autochtones, des Noirs et des minorités racialisées et des personnes atteintes de maladie mentale. Cela dit, en février dernier, la situation était complètement différente. Du jour au lendemain, les sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants qui s’étaient catégoriquement opposés à l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir étaient maintenant ouverts à l’idée, ou du moins, s’y étaient résignés.

Même si beaucoup de sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants ont soulevé de nombreuses préoccupations lors de l’étude préalable, la majorité des amendements qu’ils ont présentés étaient mineurs, à l’exception notable de la disposition de caducité de 18 mois concernant l’exclusion des maladies mentales proposée par le sénateur Kutcher.

Le premier jour où nous avons discuté d’amendements au projet de loi C-7 au Sénat, le sénateur Kutcher était le premier à prendre la parole et a proposé, en amendement, sa disposition de caducité avant même que nous ayons prononcé nos discours généraux sur le thème de la maladie mentale, un ordre qui défie l’entendement. Toutefois, cela a bien servi le gouvernement Trudeau pour orienter le débat sur l’aide médicale à mourir dans le contexte de la maladie mentale et, au bout du compte, a produit le résultat que le ministre de la Justice espérait depuis le début : étendre le suicide assisté aux personnes souffrant d’une maladie mentale. Sans compter que la sénatrice du Groupe des sénateurs indépendants marraine du projet de loi et le leader du gouvernement au Sénat regardaient fixement le sol quand est venu le temps de défendre l’exclusion de la maladie mentale dans le projet de loi. De plus en plus étrange!

Le gouvernement s’est avancé imprudemment au sujet des études sur la maladie mentale qu’il promet d’entreprendre une fois le projet de loi C-7 adopté. Il est effarant que le gouvernement étende l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale avant même d’avoir étudié la question. De plus, alors que l’amendement initial du Sénat sur la maladie mentale laissait place à toutes les éventualités, l’amendement du gouvernement que nous étudions aujourd’hui est beaucoup plus prescriptif. Il ne fait aucun doute que le mandat du groupe d’experts n’est pas de déterminer s’il convient d’étendre l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale, mais bien de déterminer comment elle sera étendue à ces personnes. C’est une distinction majeure.

Le gouvernement a utilisé à son avantage la confusion des parlementaires qui est telle qu’à mon avis, de nombreux députés et sénateurs ne savent même pas exactement ce sur quoi ils votent. Lorsque j’ai demandé au sénateur Gold de clarifier cette question, hier, il n’a pas pu — ou n’a pas voulu — le faire, même après que j’eus posé la question à trois reprises.

Le Bloc québécois, qui s’est rallié au gouvernement libéral pour imposer la clôture et faire adopter de force par la Chambre des communes l’amendement concernant la maladie mentale, n’avait pas compris non plus ce dont il avait convenu. Dans une conférence de presse, le chef du Bloc, Yves-François Blanchet, a mentionné que tout débat concernant l’amendement relatif à la maladie mentale devrait être renvoyé à un comité spécial. D’autres députés du Bloc ont répété la croyance erronée selon laquelle la période de 24 mois prévue dans la disposition de caducité servirait à décider si la maladie mentale sera incluse ou non. Le ministre de la Justice, M. Lametti, s’est montré très évasif, cherchant, d’après ce que j’ai appris de source sûre, à apaiser un grand nombre de députés libéraux d’arrière-ban que la volte-face concernant la maladie mentale a rendus extrêmement nerveux.

Je vous demande donc, honorables sénateurs, si, en votant pour cet amendement visant à élargir l’accès à l’aide médicale à mourir, vous êtes absolument certains de ce à quoi vous vous engagez. Comme dans le cas du suicide assisté, il n’y a pas de retour en arrière possible. Ne vous y méprenez pas, cet amendement ne donnera pas aux parlementaires davantage de temps pour débattre du bien-fondé d’appliquer à la maladie mentale l’aide médicale à mourir; tout ce qu’il nous donnera, c’est un manuel d’instruction. Cependant, les conséquences qu’aura le projet de loi sur les Canadiens les plus vulnérables, en particulier ceux qui souffrent de maladie mentale, seront incommensurables et irréversibles.

Certains sénateurs soutiennent que l’aide médicale à mourir et le suicide sont deux choses complètement différentes. Je suis en total désaccord avec eux. La seule différence, c’est que le suicide implique de s’enlever soi-même la vie et que l’aide médicale à mourir, elle, est prodiguée par un professionnel de la santé. Comme l’a souligné le Dr John Maher :

Ceux qui affirment que le suicide est impulsif et violent alors que l’aide médicale à mourir est mûrement réfléchie, paisible et digne définissent de façon arbitraire ce qu’est le suicide [...] Le suicide consiste à prendre des mesures pour s’enlever la vie, peu importe ce que sont ces mesures.

On pouvait également lire ce qui suit dans un article paru dans le site Web de l’organisme National Right to Life News :

Dans 75 % des cas, les gens ont planifié leur suicide avec soin, en tenant compte de la portée que leur acte aura pour les premiers répondants et les autres. Dire que tous les suicides sont des actes impulsifs et violents commis parce que la personne n’avait pas d’autre choix est erroné et ne fait que perpétuer les stéréotypes propagés par les médias. Ce qui est évident, c’est que le suicide cause une douleur atroce aux proches. La façade des soins médicaux de confort et le prétexte mutuel d’exonération morale que promet la cérémonie de l’aide médicale à mourir ne font rien pour atténuer cette peine. En fait, le sentiment d’avoir été trahi par la médecine et par l’État peut même l’envenimer.

Je ne suis absolument pas convaincue que le recours à l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de troubles mentaux serait mieux pour les familles, comme certains sénateurs l’ont affirmé. Je ne sais que trop bien ce que signifie appartenir à une famille où il y a eu un suicide, et je peux vous assurer que ma peine n’aurait pas été moins déchirante si le suicide assisté avait été une option dans le cas de mon mari. Je suis certaine que j’aurais accusé le gouvernement d’être horrible et dénué de compassion et les médecins d’être incompétents pour lui avoir proposé la mort comme option.

(1530)

Il y a quelques semaines, j’ai donné une entrevue au sujet de l’élargissement de l’admissibilité au suicide assisté aux personnes souffrant de troubles mentaux. C’était en Saskatchewan, à la tribune radiophonique « John Gormley Live » Des auditeurs ayant souffert de troubles mentaux ont déclaré qu’ils auraient eu recours à l’aide médicale à mourir si cette possibilité leur avait été offerte à l’époque. Or, aujourd’hui, ils sont rétablis et vivent une vie enrichissante. Un auditeur appelé Tom a déclaré :

Si l’émotion me serre la gorge et m’empêche momentanément de parler, ne coupez pas la communication... Je souffre de troubles mentaux depuis près de 40 ans. J’ai envisagé le suicide à plus d’une reprise. Ce n’est pas une situation facile... Parfois, je souhaite vraiment avoir cette possibilité, mais d’autres fois, je me réjouis de ne pas l’avoir eue parce que j’aurais pu prendre cette décision.

Une auditrice, Erica, a dit :

J’arrête ma voiture, j’envoie des messages textes et je suis en larmes. Lorsque j’étais une jeune femme de 20 ans, j’ai particulièrement souffert d’une maladie mentale et j’ai été hospitalisée pendant des mois... J’étais une jeune femme qui avait encore toute la vie devant elle et j’ai perdu ma famille parce qu’elle ne pouvait plus s’occuper de moi... Un thérapeute a dit que je ne pourrais plus jamais vivre de façon autonome... Je n’avais aucune envie de vivre. Et puis j’ai fini par trouver le bon traitement, le bon médicament, et une raison de vivre. Vingt-cinq ans plus tard, je suis pleine de gratitude pour la vie qui m’a été donnée. Je suis une bonne mère pour mes enfants. Je possède deux diplômes. J’ai un emploi. Je suis propriétaire d’une maison... Enfin, je ne suis plus jamais tombée malade depuis que j’ai reçu le traitement adéquat.

Jeff a texté ce qui suit :

Je m’oppose totalement à ce projet de loi visant à autoriser le suicide assisté pour les personnes atteintes de maladie mentale. J’ai maintenant peur pour mon fils. Il y a plusieurs années, il nous a suppliés pendant des mois de l’emmener en Europe pour qu’il puisse mettre fin à sa vie. En effet, le suicide assisté avait alors été légalisé dans certains pays. Mon fils a essayé différents médicaments. Son état est désormais plutôt stable. Mais s’il fait une rechute, ou s’il cesse de prendre ses médicaments, ce qui arrive souvent, le suicide assisté sera-t-il désormais une option à sa portée?

Lorne, un autre citoyen qui s’intéresse à ce débat, m’a envoyé un courriel pour exprimer sa frustration. Il m’a écrit :

J’ai consulté mon médecin pour qu’il me renvoie à un spécialiste pouvant m’aider à combattre ma dépression. Il a augmenté le dosage de mes médicaments.

Il m’a fallu attendre un mois, c’est-à-dire jusqu’à aujourd’hui, pour recevoir un appel d’un conseiller. Il a téléphoné pour annuler le rendez-vous. Les rendez-vous en personne ne sont pas possibles en raison de la COVID-19.

Le conseiller à l’accueil m’a dit que je verrais un psychiatre dans quelques mois et n’a pas pu me donner de date.

Puis le gouvernement veut tuer des gens comme nous?

Ce sont ces gens que je défends dans ce dossier. Ce sont leurs voix que j’essaie toujours de faire entendre au cours du débat. Je ne cesserai jamais de me battre pour eux. Maintenant que le Parlement a ouvert la boîte de Pandore, où nous dirigeons-nous?

Très peu de pays ont approuvé le recours à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladie mentale. Cependant, parmi ceux qui l’ont fait, la dépression et l’anxiété sont souvent citées comme les principales raisons invoquées pour demander cette aide. Aux Pays-Bas, l’aide médicale à mourir pour des motifs psychiatriques a été accordée à des patients atteints de divers troubles psychiatriques, notamment la toxicomanie, les troubles de l’alimentation, l’autisme, le deuil prolongé, les troubles obsessionnels-compulsifs, la kleptomanie et l’hypocondrie. Dans le cadre d’une étude, 56 % des patients atteints de maladie mentale avaient refusé au moins un traitement. En 2019, 34 cas d’euthanasie ont été pratiqués simultanément sur les deux membres d’un couple.

Au cas où il y aurait des doutes sur l’avenir de cette question au Canada, le ministre Lametti a récemment déclaré que « [...] nous allons aller de l’avant avec la question des maladies mentales et la question des mineurs à la prochaine étape ».

La « question des mineurs »? Les enfants représentent la prochaine étape. C’est choquant.

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le projet de loi C-7 sera jugé inconstitutionnel parce qu’il est discriminatoire à l’égard des personnes handicapées. Voyons si le ministre Lametti accepte aussi facilement qu’il a accepté l’arrêt Truchon la décision d’un tribunal inférieur contestant la constitutionnalité de ce projet de loi.

Honorables sénateurs, la semaine dernière, je me suis réveillée le lendemain de l’adoption par la Chambre des communes du projet de loi sur le suicide assisté, le projet de loi C-7, en me disant : « S’agissait-il d’un cauchemar? Est-ce que cela a vraiment eu lieu hier soir? » J’ai syntonisé CPAC, et la chaîne diffusait les audiences du Comité sénatorial des affaires juridiques sur le projet de loi. À l’écran, j’ai vu le visage de Jonathan Marchand, une personne handicapée qui, lors de son témoignage, a comparé sa vie dans un établissement de soins de longue durée à celle d’un détenu en prison. Il nous a implorés de ne pas adopter le projet de loi, étant donné qu’il fera subir aux Canadiens handicapés encore plus de discrimination en leur permettant d’accéder plus facilement à une mort certaine plutôt que de leur fournir l’aide dont ils ont besoin pour vivre.

Voir le visage de M. Marchand m’a rendue encore plus triste. Non seulement le Parlement a laissé tomber M. Marchand et les millions de Canadiens comme lui en adoptant le projet de loi C-7, mais le Sénat — et la Chambre des communes maintenant — a ouvert grand la porte aux Canadiens atteints de maladie mentale en élargissant l’accès au suicide assisté.

Honorables sénateurs, si vous votez en faveur du projet de loi, j’espère que vous prendrez le temps de penser aux visages des nombreux Canadiens à qui vous tournez le dos. Vous voulez offrir aux Canadiens une belle mort, mais pourquoi ne pas leur donner plutôt les moyens d’une belle vie? L’aide médicale à mourir peut mettre fin à une vie qui se détériore, mais elle écarte aussi la possibilité d’une vie meilleure. Nous ne pouvons pas abandonner les Canadiens vulnérables. S’il vous plaît, ne votez pas pour mettre fin à leur vie.

Merci.

L’honorable Gwen Boniface : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le message concernant le projet de loi C-7.

Je serai brève. Je crois que les sénateurs et le Sénat ont marqué des points.

Tous les amendements du Sénat sont abordés d’une manière ou d’une autre dans le message. Le gouvernement n’a pas accepté l’amendement du sénateur Dalphond visant à préciser le libellé, mais l’examen indépendant qui est prévu tiendra compte des préoccupations du sénateur, comme celui-ci l’a indiqué hier.

En ce qui concerne l’amendement sur les directives anticipées, la sénatrice Wallin en a parlé avec éloquence hier; je n’ai pas besoin de répéter ce qu’elle a dit.

Les trois autres amendements envoyés à l’autre endroit ont été acceptés, bien qu’ils aient été modifiés pour amender davantage le texte du projet de loi.

Dans tous les cas, je crois que le gouvernement a pris en considération les préoccupations du Sénat. Je tiens à féliciter les sénateurs pour le travail qu’ils ont accompli.

Bien que le message ne soit pas exactement ce que j’espérais, et je suis sûre que d’autres sont du même avis, l’essentiel de nos préoccupations a été pris en compte. Autrement dit, nous avons fait part de nos préoccupations à la Chambre des communes, qui les a examinées et a accepté une partie de nos propositions.

Je vais maintenant aborder la question de la modification du processus d’examen. Comme vous le savez, j’ai appuyé l’amendement proposé par le sénateur Tannas qui demandait un échéancier serré pour l’examen des dispositions du Code criminel. Après avoir entendu 81 témoins lors de l’étude préalable et 64 autres témoins lors de l’étude du projet de loi, il est évident que de plus amples discussions doivent avoir lieu, surtout dans le contexte où l’examen parlementaire qui devait être amorcé en juin 2020 n’a toujours pas eu lieu.

À mon avis, les modifications détaillées que le gouvernement a apportées aux amendements du sénateur Tannas démontrent sa volonté ferme de mettre sur pied un comité mixte afin de lancer l’examen parlementaire. Il est clair que le gouvernement a entendu l’appel, qui a notamment été réitéré par de nombreux témoins, et il l’a pris au sérieux.

Comme les sénateurs s’en souviendront, la version initiale de l’amendement proposé par le sénateur Tannas comportait certains points : un comité mixte composé de 5 sénateurs et de 11 députés; 1 poste de présidence occupé par un sénateur; une période de 30 jours accordée après la sanction royale pour mettre sur pied le comité; et une obligation de présenter un rapport au plus tard 180 jours après la date de création du comité.

Le gouvernement a accepté cette idée d’un comité mixte, mais il a réduit le nombre de députés, le faisant passer de 11 à 10. Cette proportion est plus avantageuse pour le Sénat et j’appuie ce changement. Rien n’a été changé en ce qui concerne le poste de coprésidence pour un sénateur et la mise sur pied du comité au plus tard 30 jours suivant la sanction royale du projet de loi C-7.

Le gouvernement a apporté des changements à certaines dispositions de l’examen. Il a apporté des précisions quant au nombre de députés de chaque caucus et au quorum pour les votes ou pour entendre des témoignages. En ce qui a trait au Sénat, nous devons décider nous-mêmes de nos membres. Le gouvernement a aussi reporté la date limite du dépôt du rapport à une année au lieu des 180 jours proposés dans l’amendement du sénateur Tannas. À mon avis, c’est acceptable, car je crois que le gouvernement tient à avoir le rapport parlementaire entre les mains comme outil d’information lors de l’élaboration des nouvelles dispositions qui s’imposeront.

Pour faire suite à la question posée hier par le sénateur Tannas à la sénatrice Petitclerc, je suis déçue que le gouvernement n’ait pas accepté la disposition qui aurait garanti que les prochains gouvernements poursuivront l’examen. Le plus grand changement aux dispositions de l’examen se trouve dans le nouvel article 5(1), qui dit ceci :

Un examen approfondi des dispositions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir et de l’application de celles-ci, notamment des questions portant sur les mineurs matures, les demandes anticipées, la maladie mentale, la situation des soins palliatifs au Canada et la protection des Canadiens handicapés, est fait par un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes.

Ce nouveau libellé est certainement le bienvenu, car il élargit l’examen pour y inclure les sujets d’étude des dispositions d’examen prévues au projet de loi C-14. Essentiellement, cela applique l’ensemble de cet autre examen au projet de loi C-7, y compris les soins palliatifs, dont nous avons beaucoup entendu parler. La nouvelle version contient maintenant des précisions sur la date du début de l’examen et la composition du comité mixte.

(1540)

À noter que les Canadiens handicapés seront inclus dans l’examen, ce qui représente un ajout important. L’examen prévu est maintenant plus strict que celui que prévoyait le projet de loi C-14, à mon avis, et nous avons maintenant un échéancier clair et beaucoup de sujets cruciaux à examiner. C’était exactement ce que nous souhaitions accomplir grâce à cet amendement, honorables sénateurs. Nous avons demandé un dispositif, et nous en avons obtenu un.

Comme le sénateur Gold l’a dit pendant les débats précédents sur l’amendement du sénateur Tannas, le Sénat aurait pu prendre l’initiative de lancer un examen, un point sur lequel le sénateur s’était renseigné. Je crois toutefois qu’un comité mixte est préférable. Les deux Chambres du Parlement ont consacré d’innombrables heures de travail au projet de loi C-7 et, de façon plus générale, à l’aide médicale à mourir. Ce travail continuera puisque, à partir de maintenant, les modifications apportées au régime d’aide médicale à mourir découleront en partie des résultats de l’examen et que s’il y a un autre projet de loi un jour, il sera probablement débattu à la Chambre dans un premier temps. Le recours à un comité mixte reflète mieux notre rôle complémentaire que ne le ferait le recours à un comité sénatorial spécial auquel ne participeraient pas les élus de la Chambre des communes.

Honorables sénateurs, nous ne reverrons peut-être pas d’autres situations dans lesquelles nous préoccupations sont prises en compte comme elles le sont aujourd’hui. L’aide médicale à mourir est un sujet difficile, controversé et rempli de défis, qui suscite des points de vue divergents tant à l’intérieur du Sénat que dans la population. Certaines de nos préoccupations, des préoccupations du Sénat, ont été prises en compte. Il est temps d’ouvrir la voie à la prochaine étape du travail. Merci, meegwetch.

Des voix : Bravo!

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, je parlerai aujourd’hui du message que l’autre endroit nous a fait parvenir au sujet du projet de loi C-7, qui modifie les dispositions du Code criminel portant sur l’aide médicale à mourir, et je vous expliquerai pourquoi je suis dans l’impossibilité de l’appuyer.

Notre tâche première, à nous parlementaires, consiste à étudier les projets de loi, à en débattre et à les amender au besoin. Pour ce faire, nous devons tenir compte de deux éléments fondamentaux de chacun des textes législatifs qui nous sont soumis : leur principe et leur portée.

Le « principe » correspond « à l’objet [du projet de loi] ou à la fin qu’il vise à réaliser ». Selon le guide de la Chambre des communes sur l’amendement des projets de loi et La Procédure du Sénat en pratique :

Le principe du projet de loi est établi lors de son adoption à l’étape de la deuxième lecture. Tout amendement qui contredit le principe du projet de loi est irrecevable.

La « portée », elle, correspond :

[...] aux paramètres fixés par le projet de loi pour atteindre les buts ou objectifs visés, ou aux mécanismes généraux envisagés pour parvenir aux fins voulues.

Comme le Président Kinsella l’a rappelé au Sénat dans la décision qu’il a rendue le 9 décembre 2009 et qui guide depuis les délibérations de notre assemblée :

[Un] amendement respecte le principe et la portée du projet de loi en plus d’être pertinent.

Ce principe est énoncé à la page 141 de La Procédure du Sénat en pratique :

Il existe un principe fondamental : « le vote de la Chambre en faveur du principe du projet de loi, lors de son adoption en deuxième lecture, lie le comité. Il ne doit pas, par conséquent, proposer des amendements qui portent atteinte à ce principe. »

Dans mon propre discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7, j’ai décrit le contexte historique qui a précédé la présentation de cette mesure législative et pressé le Sénat de continuer à se concentrer sur l’unique objectif du projet de loi C-7, c’est-à-dire de donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec. La tâche qui nous incombait était claire : il fallait trouver comment se conformer à la décision Truchon de manière à respecter l’autonomie, la liberté et la dignité de personnes compétentes souffrant d’une maladie grave et irrémédiable tout en protégeant les plus vulnérables.

Pourtant, au cours des dernières semaines, nous avons été bien au-delà de cette tâche et présenté des amendements dont on peut dire qu’ils dépassent à la fois le principe et la portée du projet de loi C-7 dont nous étions saisis.

Honorables sénateurs, des modifications qui changent considérablement le régime canadien d’aide médicale à mourir prescrit en 2016 requièrent une étude et un examen sérieux. C’est pour cette raison que nous avons amendé le projet de loi C-14 afin d’inclure deux importantes dispositions.

La première porte sur la réalisation d’un examen indépendant, mené par le ministre de la Justice et la ministre de la Santé, sur les questions liées aux demandes d’aide médicale à mourir présentées par les mineurs matures et aux demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale évoquée.

La deuxième disposition concerne la mise sur pied d’un comité du Sénat, de l’autre endroit, ou des deux Chambres du Parlement, cinq ans après que la loi a reçu la sanction royale, afin d’examiner les dispositions du projet de loi C-14 et la situation des soins palliatifs au Canada.

Honorables sénateurs, il est important de noter que la première disposition est déjà chose faite.

Le 12 décembre 2018, le Conseil des académies canadiennes a diffusé les trois rapports finaux du groupe d’experts, portant sur chacun des types de demande : L’état des connaissances sur l’aide médicale à mourir pour les mineurs matures, L’état des connaissances sur les demandes anticipées d’aide médicale à mourir et L’état des connaissances sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué.

Les rapports finaux du groupe d’experts tiennent compte d’un large éventail de connaissances, d’expériences et de perspectives provenant de professionnels de la santé, de diverses disciplines et de groupes de défense. Ces rapports devaient servir de point de départ à l’examen quinquennal obligatoire, qui devait commencer à l’été 2020.

Honorables sénateurs, nous ne pouvons pas ignorer nos responsabilités de parlementaires et de législateurs, ni y renoncer. Nous devons examiner les trois rapports finaux du groupe d’experts publiés par le Conseil des académies canadiennes, et avoir l’assurance, avant tout, que nous avons rempli nos obligations par rapport aux dispositions du projet de loi C-14.

L’amendement d’une nouvelle mesure législative pour exercer un pouvoir accordé par une mesure législative déjà en vigueur — dans ce cas-ci, l’examen quinquennal obligatoire du projet de loi C-14 — sape dans mon esprit l’autorité du Parlement et crée un dangereux précédent.

Chers collègues, voilà pourquoi je n’ai pas appuyé le projet de loi C-7 tel qu’amendé par le Sénat à l’étape de la troisième lecture, et voilà pourquoi je ne peux pas en appuyer la version proposée dans le message de la Chambre. Merci.

Des voix : Bravo.

[Français]

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre encore la parole à l’occasion de l’étude de la réponse de la Chambre des communes au projet de loi C-7 sur l’aide médicale à mourir. Je tiens d’abord à souligner que nous avons tenu d’excellents débats dans cette Chambre, de façon très sereine et très responsable. Le projet de loi C-7 a été renvoyé à la Chambre des communes après que le Sénat a apporté plusieurs amendements qui ont étendu de manière significative la portée du projet de loi qui a été adopté par l’autre endroit.

Le Sénat a adopté cinq amendements qui ont traité de deux principaux sujets , soit l’exclusion de l’aide médicale à mourir pour les personnes dont la maladie mentale est la seule raison invoquée et les demandes anticipées pour les personnes souffrant de maladies neurocognitives.

L’amendement le plus important à mes yeux et aux yeux de la population, avant qu’il soit refusé par l’autre endroit, était celui qui concerne les troubles neurocognitifs. À cet effet, j’ai reçu des dizaines de témoignages très émouvants de personnes qui souffrent de la maladie d’Alzheimer, qui ne comprennent pas, encore aujourd’hui, qu’on puisse laisser des familles dans la souffrance pour des périodes qui se comptent parfois en années. De plus, ces personnes m’ont dit qu’elles n’avaient aucunement l’intention de vivre dans une dépendance totale vis-à-vis de leurs proches. Ces patients souhaitent être libérés de leurs souffrances dans la dignité et, malheureusement, ce projet de loi fait le contraire en les condamnant à une mort déshumanisée.

Dans un article paru dans Le Devoir le 12 mars dernier, le Dr Georges L’Espérance a écrit ce qui suit :

Les maladies neurodégénératives cognitives sont un problème organique physique dégénératif à composante symptomatique cognitive ; les gens qui en souffrent ont une espérance de vie limitée et relativement connue ; le pronostic est connu ; leur symptomatologie est toujours progressive ; les balises, en ce qui les concerne, sont assez faciles à établir ; l’appui sociétal à leur égard est quasi unanime. On peut citer, comme exemples, la maladie de Parkinson ou la maladie d’Alzheimer, parmi les plus connues.

(1550)

En refusant d’autoriser le recours aux demandes anticipées, notre Parlement a condamné ces personnes à vivre des années remplies d’inquiétude et à chercher des solutions alternatives, comme le suicide; surtout, on prive ces personnes d’un droit qui leur est reconnu dans ce projet de loi.

Depuis deux mois, j’accompagne un patient atteint de la maladie d’Alzheimer, et celui-ci m’a permis de parler de nos discussions. Il s’appelle Yves Monette. Il est né dans les années 1960, mais il ne s’en souvient plus beaucoup. Atteint de la maladie d’Alzheimer depuis près de cinq ans, son état s’est dégradé récemment pour atteindre une phase de démence. Il est devenu incontinent, ce qui provoque chez lui bien des moments de dépression. Il compte aller en Suisse pour obtenir l’aide médicale à mourir, car il est un autre oublié de ce projet de loi. Ainsi, il devra dépenser toutes les économies qu’il a accumulées au cours de sa vie pour avoir le droit de mourir dans la dignité, et ce, à l’étranger, loin de sa famille.

Yves m’écrit tous les jours et, souvent, je dois déchiffrer ses mots pour comprendre ses pensées. Toutefois, je comprends bien sa souffrance et sa déception de ne pas avoir été entendu, comme celles de Sandra Demontigny et de dizaines d’autres personnes qui m’ont parlé de leurs souffrances et, surtout, de leur grande appréhension de ne pas être en mesure de mourir dignement. Ils ne comprennent tout simplement pas.

Je trouve regrettable que le gouvernement n’ait pas davantage pris en compte la disposition du projet de loi C-14 qui prévoyait d’étudier en détail les demandes anticipées. Depuis maintenant cinq ans, chers collègues, nous voyons autour de nous des personnes mourir de la maladie d’Alzheimer ou de démence, et ces personnes n’ont aucun pouvoir qui leur permettrait d’exercer un contrôle sur la fin de leur vie. Leurs familles sont condamnées à assister au déclin de leurs fonctions et à les voir mourir dans la souffrance. Ce projet de loi étend la souffrance de ces personnes à toute leur famille, alors qu’elles souhaitent à tout prix les en épargner.

Le projet de loi C-7 était, selon moi, une occasion de régler la question des demandes anticipées, ce qui aurait permis à ces nombreuses personnes de choisir la façon dont elles souhaitent mourir, en paix avec elles-mêmes et leurs familles. Malheureusement, le gouvernement en a décidé autrement et il a préféré rejeter l’amendement de la sénatrice Wallin, visant à inclure les demandes anticipées dans le projet de loi. Le gouvernement prévoit réévaluer cette question dans le cadre de l’examen parlementaire du projet de loi C-14, qui, normalement, devrait commencer cette année. Toutefois, comme vous le savez, nous sommes déjà au mois de mars. Avec la pandémie et les rumeurs d’élections, il est possible que l’examen parlementaire soit retardé. Cela risque d’accentuer la souffrance de nombreux patients qui avaient l’espoir de mourir dignement grâce au projet de loi C-7.

Je m’oppose également à la façon dont le gouvernement a choisi de mettre fin aux discussions sur le projet de loi C-7 à l’autre endroit. En effet, le ministre de la Justice a proposé une motion de clôture pour mettre fin au débat afin que le projet de loi soit immédiatement renvoyé au Sénat. Comme je le disais au début de mon discours, le Sénat a renvoyé le projet de loi à la Chambre des communes en lui donnant une portée plus large que celle qui était prévue à l’origine.

Le gouvernement a accepté l’amendement du sénateur Kutcher, mais en apportant une modification qui prévoit la fin de l’exclusion pour les personnes atteintes de troubles mentaux dans deux ans. Les partis de l’opposition, sauf le Bloc québécois, ont réclamé un délai supplémentaire pour étudier cet amendement en profondeur, car il s’avérait, à leur avis, discutable. Afin de faire leur travail correctement, les parlementaires ont besoin de temps pour traiter de sujets aussi délicats que celui de l’aide médicale à mourir. À ce chapitre, ma pensée a beaucoup évolué depuis quelques semaines, après les nombreux messages que j’ai reçus de la part de personnes qui ont souffert de maladies psychologiques et de familles dont un proche est atteint d’une pathologie de ce genre. Contrairement aux maladies neurodégénératives, je constate que le consensus médical et social n’est pas au rendez-vous, et qu’il nous reste beaucoup de chemin et de recherche à faire avant d’établir une ligne de conduite permettant d’éviter toute forme de dérapage, surtout pour les personnes les plus vulnérables.

Le Conseil des académies canadiennes (CAC) a été consulté sur le projet de loi. Dans son rapport intitulé L’état des connaissances sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué, le CAC a consacré un chapitre entier au profil des personnes souffrant de troubles mentaux. Ce rapport montre à quel point le portrait de ces personnes est complexe sur les plans juridique et médical. J’aimerais vous citer certains passages du rapport :

Parce que les troubles mentaux sont divers et hétérogènes, et parce qu’ils affectent les personnes de différentes façons, les implications de chaque critère d’admissibilité varient d’une personne à l’autre. Cette variabilité est également liée aux réseaux de soutien individuel des personnes. L’évolution d’un trouble mental et son impact reposent donc sur une interaction complexe entre le trouble, la personne et son environnement social.

L’amendement du Sénat, qui a été adopté par le ministre de la Justice, me semble aujourd’hui poser un certain risque, soit celui de conduire des personnes vers une mort qui, selon moi, ne devrait pas être une solution pour mettre fin à leurs souffrances. La science médicale évolue à grands pas dans le traitement de ces maladies, et la barrière entre ce qui est incurable et curable me semble bien trop mince pour décider aujourd’hui que, dans deux ans ces patients, pourraient avoir recours à l’aide médicale à mourir.

J’aimerais vous citer un autre extrait du rapport du Conseil des académies canadiennes. Il se lit comme suit :

L’évaluation de la capacité décisionnelle des personnes atteintes de troubles mentaux, en ce qui a trait à [l’aide médicale à mourir] pose un défi unique : leur désir de mourir pourrait être un symptôme de leur état [...]. Bien que la plupart des personnes atteintes de troubles mentaux ne veuillent pas mourir, les idées suicidaires sont un symptôme courant de certains troubles mentaux (p. ex. trouble dépressif majeur). Bien sûr, le désir de mourir peut aussi refléter la décision autonome et mûrement réfléchie d’une personne de mettre fin à ses jours, même si elle est atteinte d’un trouble mental. Le désir de mourir chez une personne atteinte d’un trouble mental n’est pas nécessairement pathologique ou non autonome. Cependant, il peut être difficile, même pour des cliniciens expérimentés, de faire la distinction entre (i) une décision autonome et mûrement réfléchie de mourir chez une personne atteinte d’un trouble mental et (ii) un désir pathologique de mourir qui est un symptôme du trouble mental de cette personne.

Mes réticences s’appuient également sur le fait que les députés, et même notre Chambre, ont pris très peu de temps pour traiter de ce sujet. Cet amendement est si important, et les impacts sont si grands qu’il aurait dû être modifié en obligeant le gouvernement, après cette période de deux ans, à présenter une modification législative qui obligerait les deux Chambres à tenir des audiences publiques sur le sujet. À mon avis, ce projet de loi modifié aura deux conséquences pour la population. Premièrement, il fera du Canada le pays le plus permissif en matière d’aide au suicide. Deuxièmement, ce projet de loi, une fois adopté, entretiendra chez plusieurs citoyens et citoyennes la perception selon laquelle l’aide médicale à mourir est une simple formalité.

Pour toutes ces raisons, et par solidarité vis-à-vis des personnes qui ont placé leur confiance en nous pour écouter leurs souhaits, je ne peux pas accepter le message de l’autre endroit.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Projet de loi de mise en œuvre de l’Accord de continuité commerciale Canada—Royaume-Uni

Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Harder, c.p., appuyée par l’honorable sénateur Gold, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-18, Loi portant mise en œuvre de l’Accord de continuité commerciale entre le Canada et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-18, qui porte sur la poursuite des relations commerciales du Canada avec le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord alors qu’ils organisent leur sortie de l’Union européenne.

En tant que sénateurs, nous connaissons tous le rôle important que joue le Royaume-Uni au Canada. D’ailleurs, c’est en raison du gouverneur général, le représentant de la reine en sol canadien, que nous siégeons ici même au Sénat aujourd’hui.

C’est pourquoi nos relations sont inextricablement liées et qu’elles continueront de l’être. Nous partageons un même système de gouvernement, un même monarque, ainsi qu’une langue et des traditions communes, entre autres. En outre, de nombreux citoyens canadiens, moi y compris, peuvent remonter leurs origines jusqu’en Angleterre, en Écosse, au pays de Galles et en Irlande du Nord.

Nos nations entretiennent des relations commerciales depuis des centaines d’années. Depuis les balbutiements de la traite des fourrures jusqu’aux exportations actuelles de métaux précieux, de minerais et de bois, notamment, le Royaume-Uni et le Canada jouent chacun un rôle crucial dans des activités d’importation et d’exportation mutuellement avantageuses. En fait, le Royaume-Uni est le partenaire commercial le plus important du Canada en Europe et le cinquième en importance dans le monde.

Selon le Conseil de recherches en sciences humaines, le Canada a exporté et investi davantage au Royaume-Uni que dans tout autre pays de l’Union européenne lorsque celui-ci en faisait encore partie. De la même façon, le Royaume-Uni a exporté et investi davantage au Canada que tout autre pays membre de l’Union européenne. En effet, la base de données Comtrade des Nations unies sur le commerce international indique que les exportations canadiennes vers le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord se chiffraient à plus de 14,8 milliards de dollars américains en 2020. Les échanges commerciaux entre l’Ontario et le Royaume-Uni représentaient à eux seuls 19,6 milliards de dollars canadiens en 2019, ce qui fait du marché britannique le deuxième en importance pour l’Ontario. C’est un marché dont on ne peut pas faire abstraction et qu’il faudra renforcer et considérer comme une priorité.

(1600)

Le Canada est le cinquième exportateur de produits agricoles et agroalimentaires en importance dans le monde, la valeur de ces exportations s’élevant à environ 56 milliards de dollars par année. Selon l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, environ la moitié de tout ce que le Canada produit est exporté, et ces exportations comprennent des produits de base ainsi que des produits alimentaires et des boissons.

Il est également à noter que le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire compte pour 11 % du PIB et près de 10 % du commerce de marchandises du Canada. Le secteur de la transformation des aliments, qui emploie plus de 250 000 personnes dans l’ensemble du pays, est de loin le plus grand employeur de l’industrie manufacturière canadienne. Comme vous le savez peut-être, le Royaume-Uni est un importateur net de la plupart des produits alimentaires. Alors que le Royaume-Uni doit organiser sa sortie de l’Union européenne, le Canada a l’occasion unique de se tailler une place sur le marché agroalimentaire britannique en offrant ses excellents produits dans un pays où les obstacles réglementaires seraient probablement moins nombreux que dans les pays membres de l’Union européenne.

Pendant que le gouvernement continue de travailler avec ses homologues britanniques et nord-irlandais en vue de négocier un nouvel accord global de libre-échange, j’aimerais attirer l’attention sur l’importance de remédier aux lacunes des accords commerciaux conclus précédemment.

Pour l’industrie agricole canadienne, ces pourparlers en vue de conclure un accord commercial avec le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord sont une occasion de redresser des torts découlant de l’entente existante avec l’Europe, plus particulièrement de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne. En fait, comme l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire l’a déjà souligné, plus de 90 % des agriculteurs canadiens dépendent des exportations, et c’est aussi le cas d’environ 40 % de notre secteur de la transformation des aliments. Il est impératif que le gouvernement déploie des efforts pour soutenir cette industrie. L’Alliance a exprimé son appui envers l’accord de continuité commerciale entre le Canada et le Royaume-Uni en tant que mesure provisoire. Toutefois, elle continue avec raison de déplorer les éléments de l’accord qui renforcent les obstacles et les difficultés pour les exportations canadiennes.

Je me réjouis qu’une variété d’intervenants, y compris le Conseil canadien des affaires, la Chambre de commerce du Canada et Manufacturiers et Exportateurs du Canada, aient insisté sur l’importance de cet accord transitoire tout en présentant des recommandations pour renforcer, moderniser et stimuler les échanges commerciaux du Canada. Il est essentiel que le gouvernement tienne compte de leurs opinions alors que les négociations se poursuivent.

Récemment, j’ai communiqué avec un certain nombre d’intervenants du milieu agricole, y compris la Fédération canadienne de l’agriculture, les Producteurs de grains du Canada, la Canadian Cattlemen’s Association, les Producteurs laitiers du Canada et Manitoba Pork, pour mieux comprendre ce que pense l’industrie de l’accord de continuité commerciale.

Durant ces discussions, les intervenants m’ont fait part des opinions et des priorités de l’industrie, et je me dois d’en souligner quelques-unes dans cette enceinte. Les intervenants s’entendent sur l’importance de maintenir un accès ininterrompu aux marchés du Royaume-Uni à l’aide de mécanismes mis en place pour éviter la perturbation des exportations vers le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord. Ils estiment aussi qu’il pourrait y avoir des possibilités accrues de croissance pour l’industrie agroalimentaire canadienne et que la libéralisation et l’ouverture du commerce pourraient bénéficier d’un solide appui de la part de la population. Ils ont déclaré qu’on créait un précédent positif en tenant compte de l’engagement de reconnaître les zones de contrôle des maladies du Canada en cas de flambée d’une maladie animale venant de l’étranger. Les intervenants ont exprimé quelques autres préoccupations relatives au commerce du bœuf et des produits laitiers, qui découlent de l’Accord économique et commercial global, et les Producteurs de grains du Canada ont signalé que l’accord de continuité commerciale assure le maintien des tarifs de préférence dont bénéficie l’industrie du grain aux termes de l’accord Canada-Union européenne.

La Canadian Cattlemen’s Association, quant à elle, a précisé que, au-delà de l’accord transitoire, le Canada doit assurer et maintenir un accès réciproque afin d’éviter des déséquilibres commerciaux, comme ceux observés entre l’Union européenne et le Canada. L’organisation a aussi insisté sur le fait que le Canada devrait tenter de procéder à une approbation complète des systèmes pour favoriser la confiance et la conformité entre les parties, ainsi que pour s’assurer que le Royaume-Uni respecte les lignes directrices internationales en supprimant l’exigence imposée par l’Union européenne d’élever du bétail sans technologie moderne.

La Fédération canadienne de l’agriculture a soulevé un point intéressant, à savoir que le Royaume-Uni a récemment présenté une demande pour adhérer à l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste, le PTPGP. À l’instar de nombreux autres champions du monde agricole, je suivrai cette affaire de près pour voir comment elle s’inscrira dans le contexte de l’accord de continuité en question.

Enfin, les Producteurs laitiers du Canada m’ont informé qu’ils appuient le projet de loi C-18 parce que ce dernier n’accorde aucun accès supplémentaire à notre marché intérieur. Toutefois, il demeure essentiel de veiller à ce qu’aucun accès supplémentaire ne soit accordé dans le cadre d’éventuelles ententes permanentes de libre-échange avec le Royaume-Uni. Comme je l’ai mentionné plus tôt, le Royaume-Uni cherche à adhérer au PTPGP, et les Producteurs laitiers du Canada ont indiqué que si le Royaume-Uni y parvient, il ne devrait pas se voir accorder un accès supplémentaire à notre marché intérieur au moyen de l’accord de continuité ou par tout autre moyen.

Dans l’ensemble, les intervenants et les organisations du secteur agricole ont souligné qu’il est dans l’intérêt supérieur de toutes les parties d’adopter le projet de loi en question en vue de maintenir la stabilité du marché post-Brexit. De plus, ils ont fait savoir que même s’ils avaient comparu au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts pour faire part de leurs préoccupations, l’essentiel pour l’instant est de garantir la continuité et de poursuivre les négociations en vue d’un accord futur.

Honorables sénateurs, j’ai pris la parole à maintes reprises pour parler des enjeux concernant les exportations agricoles canadiennes et les défis auxquels les agriculteurs sont confrontés en raison de leur accès restreint au marché européen.

Cela dit, je suis content d’entendre que, selon la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international, cet accord de continuité commerciale protège entièrement les secteurs canadiens du lait, de la volaille et des œufs et ne fournit un accès progressif au marché pour aucun produit assujetti à la gestion de l’offre.

Il est évident que tous les intervenants, y compris les représentants de l’industrie et du gouvernement, doivent être consultés pour refléter le mieux possible les besoins et les intérêts à l’égard de la relation bilatérale Canada—Royaume-Uni. Nous avons l’occasion d’améliorer notre accès à un marché étranger, ce qui avantagera les secteurs du Canada. Pour renforcer encore plus nos industries intérieures, nous devons pouvoir mettre à profit notre capacité concurrentielle et saisir ces occasions à l’étranger à mesure qu’elles se présentent.

Depuis la Confédération, le Canada entretient une relation étroite avec la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord dans de nombreux domaines, notamment le commerce, l’investissement étranger, la sécurité et la défense.

Honorables collègues, il est évident que cette relation est essentielle pour les trois pays. Ce projet de loi nous permettra de continuer d’accéder aux biens et aux services offerts par les autres parties. Je suis impatient de voir se poursuivre notre relation prospère avec le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de l’Irlande du Nord.

Maintenant, j’aimerais exprimer mon appui pour ce projet de loi et féliciter les deux gouvernements d’avoir travaillé rapidement pour que les importations et les exportations se poursuivent aisément et sans heurt en cette période de transition.

En conclusion, je saisis l’occasion pour souhaiter à tous les habitants du Royaume-Uni, de l’Irlande du Nord, de l’Irlande, du Canada et de partout dans le monde une joyeuse Sant-Patrick. Bien que nous ne pourrons pas célébrer comme nous le ferions en temps normal, je suis convaincu que beaucoup d’entre nous communiqueront par Internet pour célébrer l’événement. Merci. Meegwetch.

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi C-18, Loi portant mise en œuvre de l’Accord de continuité commerciale entre le Canada et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Dans l’ensemble, je suis soulagé que nous ayons un accord. Le commerce avec le Royaume-Uni est vital pour le Canada, pour les entreprises canadiennes et pour les travailleurs canadiens.

En 2018 et 2019, les exportations canadiennes vers l’Union européenne, et notamment le Royaume-Uni, ont atteint en moyenne 46,6 milliards de dollars. En 2016, avant que le Canada ne signe son Accord économique et commercial global avec l’Union européenne, ces exportations atteignaient 40 milliards de dollars. En d’autres termes, après la signature de cet accord, les exportations ont augmenté de 16,6 %.

Les exportations vers la Grande-Bretagne sont vitales. Elles représentent à elles seules environ 38 % de nos exportations vers l’Union européenne et se sont chiffrées à 18 milliards de dollars en 2018 et 2019.

Le Royaume-Uni est, en fait, le principal débouché des exportations canadiennes en Europe. À l’échelle mondiale, c’est notre troisième débouché et notre deuxième partenaire commercial en matière de services. L’an dernier, la valeur des exportations de services a atteint 7,1 milliards de dollars.

Si l’on considère à la fois les exportations et les importations, le commerce bilatéral entre le Canada et le Royaume-Uni représente plus de 29 milliards de dollars. Le Royaume-Uni est le cinquième partenaire commercial du Canada et notre quatrième source d’investissements étrangers directs, leur valeur totale ayant atteint 62,3 milliards de dollars en 2019 seulement.

Chers collègues, je cite ces statistiques pour différentes raisons. D’abord, nous vivons des temps agités à l’échelle mondiale. Les tensions politiques entre les grandes puissances augmentent. Sur le plan de nos relations politiques et commerciales avec la Chine et l’Asie orientale, nous pouvons nous attendre à une plus grande instabilité et à des perturbations dans nos échanges commerciaux. Cela signifie que certains de nos partenaires commerciaux plus stables acquerront probablement plus d’importance pour nous. Ce sont peut-être les marchés stables sur lesquels nous devrons de plus en plus compter. Le Royaume-Uni est l’un de ces marchés. À mon avis, nous devrions travailler bien davantage à consolider, à élargir et à approfondir notre accès à ce marché.

(1610)

Depuis plusieurs années, le Canada s’est attaché à protéger et à approfondir ses relations commerciales avec l’Union européenne. À bien des égards, l’Accord économique et commercial global conclu entre le Canada et l’Union européenne était le point culminant des efforts entrepris par le précédent gouvernement conservateur pour donner davantage de débouchés aux Canadiens sur les marchés internationaux.

Ce dont il faut être conscients, c’est que, pour le Canada, le Royaume-Uni représente la plus importante part du marché européen. À lui seul, le Royaume-Uni absorbait près de 40 % des exportations canadiennes vers le bloc commercial de l’Union européenne. C’est pour cette raison que, lorsque le Royaume-Uni a décidé de quitter l’Union européenne en 2016, le Canada aurait dû immédiatement accorder la priorité absolue à la conclusion d’un nouvel accord avec ce pays. Or, cela n’a pas été le cas, chers collègues. À mon avis, il s’agit d’une grave erreur et je vais en parler davantage dans la suite de mon discours.

Tout d’abord, je tiens néanmoins à rappeler pourquoi je pense que cet accord est important. Il est important d’abord et avant tout parce qu’il préserve et prolonge les gains que le Canada a faits dans le cadre de l’AECG et de notre relation commerciale bilatérale avec le Royaume-Uni. Je rappelle que 99 % des produits canadiens exportés au Royaume-Uni seront exempts de droits de douane en vertu de cet accord. C’est particulièrement important. Nos produits soumis à la gestion de l’offre seront également protégés sur une base similaire à celle de l’AECG.

Les fournisseurs de services canadiens auront un accès prioritaire au marché d’approvisionnement du gouvernement du Royaume-Uni. Ce marché est estimé à 118 milliards de dollars par année. Par ailleurs, les dispositions de l’AECG concernant le règlement des différends, la main-d’œuvre et la protection de l’environnement seront maintenues.

À mon avis, toutes ces dispositions sont importantes, et je crois que nous devons accorder beaucoup de mérite à nos négociateurs commerciaux.

Toutefois, je crois aussi que nous avons eu de la chance. Je dis cela parce qu’il est clair qu’il y a eu une véritable course de dernière minute pour parvenir à cet accord. Je pense que la raison de cette précipitation était le manque total d’engagement du gouvernement actuel dans ces négociations. C’est pourquoi l’accord de continuité commerciale avec le Royaume-Uni ne fait essentiellement que préserver ce que le gouvernement Harper avait déjà négocié avec l’Union européenne dans des circonstances très différentes.

Lorsque la ministre Ng a pris la parole à la Chambre des communes en janvier au sujet de ce projet de loi elle a dit : « La dernière chose que souhaitent le Canada et le Royaume-Uni, c’est de créer un climat d’incertitude pour les entreprises et les travailleurs. »

Malheureusement, chers collègues, c’est précisément ce qu’a fait le gouvernement. Je rappelle à mes collègues que lors de son passage au Canada, en septembre 2017, l’ancienne première ministre Theresa May avait déclaré :

[...] l’AECG doit rapidement faire place à un nouvel accord bilatéral entre le Royaume-Uni et le Canada à la suite du Brexit[...]

Nous tenons à nous assurer que lorsque nous quitterons l’Union européenne, ce changement se fasse autant que possible en douceur et dans l’ordre, autant pour les entreprises que pour les citoyens.

Cependant, à ce moment-là, le Canada avait déjà mis le dossier de côté. Deux mois avant la visite de la première ministre Theresa May, le secrétaire d’État au Commerce international du Royaume-Uni, Liam Fox, avait confirmé à un comité parlementaire britannique que le Canada « se couvrait ». Pourquoi le Canada avait-il pris cette attitude? Qu’est-ce qui explique cette situation? De toute évidence, ni le premier ministre Trudeau ni la ministre Freeland n’avaient apprécié la décision prise par le peuple britannique lors du référendum sur le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Comme ils ne souscrivaient pas au Brexit, avant d’amorcer des négociations commerciales en bonne et due forme, ils ont attendu de voir quelle orientation prendrait le débat politique national en Grande-Bretagne.

Cette décision était une grave erreur. D’autres pays n’ont pas attendu, chers collègues. À ce moment-là, alors que le Canada tergiversait, divers pays et groupes, notamment la Colombie, l’Équateur, le Pérou, le Chili, la Côte d’Ivoire, l’Islande, la Norvège, Israël, le Japon, la Jordanie et le Forum des États ACP des Caraïbes ont conclu un accord commercial avec le Royaume-Uni.

Pendant ce temps, le Canada restait à l’écart. Je soutiens que les entreprises canadiennes paient depuis lors le prix de l’incertitude. Ce faux pas ressemble fort à celui qui a été commis dans le cadre des négociations entourant le nouvel accord de libre-échange nord-américain, alors que le Canada a rejeté la proposition de négociations bilatérales des États-Unis. Comment ont réagi les États-Unis? Ils ont négocié avec le Mexique et nous ont ensuite invités à la fête une fois l’accord négocié.

En abordant ses négociations avec le Royaume-Uni comme il l’a fait, le gouvernement a garanti le résultat que nous avons obtenu. En réalité, au lieu de veiller à ce qu’un accord soit mis en œuvre à temps pour la fin de 2020, comme l’exigeaient les entreprises, le gouvernement a rendu la chose impossible par ses retards. Nous avons eu beaucoup de chance que le Canada et le Royaume-Uni aient pu conclure un accord provisoire à peine trois jours avant Noël, assurant ainsi le maintien du traitement commercial préférentiel des produits canadiens. Je souligne le mot « provisoire ». Cet accord est resté en suspens parce que le gouvernement a simplement laissé traîner sa négociation et sa mise en œuvre. La raison en est on ne peut plus claire : ni le premier ministre ni ses principaux ministres n’ont pris au sérieux la continuité des échanges avec le Royaume-Uni. S’ils l’avaient fait, les travaux auraient commencé bien plus tôt et, comme l’a dit Liam Fox, nous n’aurions pas cherché à nous couvrir.

Récemment, le premier ministre a même eu l’audace de laisser entendre que c’était les Britanniques qui avaient traîné les pieds dans les négociations. Il leur a imputé les retards en affirmant qu’ils n’avaient pas la capacité de négocier un accord complexe comme l’Accord de continuité commerciale avec le Canada. On voit là son manque d’élégance habituel.

Le gouvernement et le premier ministre adoptent sans cesse de telles approches en matière de politique étrangère et commerciale. C’est d’abord arrivé en Inde, où le premier ministre a fait reculer nos relations de plusieurs décennies. Puis, c’est arrivé en 2017, lors des réunions sur le Partenariat transpacifique, où les Australiens et les Japonais ont été renversés par la performance du premier ministre, qui a presque entraîné l’expulsion du Canada des négociations entourant le Partenariat.

Plus récemment, nous avons été témoins d’une telle approche lorsque nous avons subi une humiliation nationale face aux Chinois. Il s’agit du même gouvernement qui a clamé haut et fort que le Canada était de retour sur la scène internationale. En réalité, tout ce dont nous avons été témoins, ce sont des cafouillages continus sur la scène internationale et dans les dossiers liés aux affaires étrangères.

Je crains que ce soit les entreprises et les travailleurs canadiens qui fassent les frais de nos relations commerciales internationales. Plusieurs organismes commerciaux canadiens ont critiqué l’approche adoptée par le gouvernement pour les consultations qui sont essentielles aux négociations commerciales.

Le rapport provisoire du comité de la Chambre des communes souligne que le Conseil canadien du homard et le Congrès du travail du Canada ont indiqué que les consultations entourant les négociations entre le Canada et le Royaume-Uni avaient été insuffisantes. L’Association canadienne des importateurs et exportateurs a indiqué qu’elle n’avait pas été consultée ou mise au courant au sujet des exigences liées aux exportations qui seraient imposées à partir du 1er janvier 2021 si un accord entre le Canada et le Royaume-Uni était ratifié d’ici là.

Le faible engagement du gouvernement dans ce dossier a nécessairement contribué au fait que les problèmes qui découlent des barrières non tarifaires ne sont toujours pas résolus dans cet accord. Malheureusement, les industries agricole et agroalimentaire en subissent encore les conséquences.

Je m’inquiète du fait que ce sera le même gouvernement qui, au cours des trois prochaines années, nous entraînera dans les négociations en vue de conclure un accord global entre le Canada et le Royaume-Uni. Je suis curieux de voir s’il atteindra les cibles voulues. Pour que ces négociations soient fructueuses pour le Canada, le gouvernement doit modifier son approche pour qu’elle soit plus exhaustive.

Quand M. Matthew Poirier, de Manufacturiers et exportateurs du Canada, a témoigné devant le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes, le mois dernier, il a insisté sur la nécessité pour le Canada d’établir une stratégie claire afin, d’une part, que ses négociations soient réussies et, d’autre part, qu’il puisse tirer parti des accords commerciaux internationaux comme celui-ci une fois qu’ils sont conclus.

Ces conseils ne sont pas nouveaux. En fait, notre propre comité sénatorial sur le commerce exhorte le gouvernement à emprunter cette voie depuis de nombreuses années. Or, il semble que nous entendions sans cesse la même inquiétude au sujet de l’absence d’une stratégie de mise en œuvre efficace.

Comme M. Poirier l’a expliqué, une telle stratégie est cruciale parce que le rendement du Canada en matière d’exportation de produits à valeur ajoutée connaît une baisse notable. Il a dit précisément ceci :

[...] les exportations de produits manufacturés [...] sont en baisse constante depuis cinq ans, et cette diminution s’est poursuivie même après la signature de l’AECG. Le Canada ne peut plus se permettre d’ignorer cette perte de potentiel économique que représente le déclin des exportations à valeur ajoutée. Ce n’est tout simplement pas viable.

Honorables sénateurs, je pense que si le pays veut réussir à inverser les tendances, le gouvernement doit tout simplement commencer à accorder plus d’attention aux relations commerciales. Nous ne pouvons tout simplement plus nous permettre les accords de dernière minute, les consultations inadéquates et l’absence de transparence publique dont nous avons été témoins jusqu’à présent.

Lorsque le Comité du commerce international de la Chambre des communes a initialement étudié l’accord, il l’a fait sans avoir accès au texte de l’accord. En effet, le rapport du comité devait être déposé le jour où le comité a reçu les documents.

Honorables sénateurs, j’estime qu’au Sénat, nous devons jouer un rôle plus actif en demandant au gouvernement de rendre des comptes dans ces dossiers, car la façon dont il les gère a une incidence sur le gagne-pain d’un grand nombre de Canadiens. Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international peut jouer un rôle prépondérant à cet égard. J’irais jusqu’à dire que ce rôle, qui consiste à protéger et à promouvoir le bien-être des entreprises et des travailleurs du Canada, est le plus important qu’il puisse jouer.

(1620)

Le gouvernement entreprend maintenant de nouvelles négociations afin de conclure un accord commercial global avec le Royaume-Uni. Comme ces discussions ne sont assorties d’aucune disposition de caducité, je crains que le gouvernement n’entreprenne les négociations aussi cavalièrement qu’il l’a fait au sujet des discussions.

Nous ne pouvons tout simplement pas permettre que cela se produise. Dans un monde de plus en plus instable, il n’a jamais été aussi important de renforcer et d’étendre nos relations avec nos partenaires les plus stables. Je demande à tous les sénateurs de faire front commun afin de veiller à ce que nous puissions contribuer à assurer le meilleur avenir possible aux entreprises et aux travailleurs du Canada dans le cadre des négociations à venir.

Avant de conclure, j’aimerais inviter tous mes collègues à appuyer ce projet de loi et à lui faire franchir toutes les étapes le plus rapidement possible, car il est essentiel au développement continu de notre économie et au bien-être des travailleurs canadiens. Nous, parlementaires, devons faire preuve de vigilance et rappeler au gouvernement que le Parlement a un rôle à jouer.

C’est le deuxième accord commercial essentiel que nous examinons à la dernière minute, tant à la Chambre des communes qu’au Sénat, en grande partie parce que le gouvernement n’a pas entamé le dialogue assez tôt et prudemment pour que le processus soit complété à temps. Chers collègues, combien de fois, ces derniers temps, avons-nous entendu qu’il fallait faire au plus vite pour adopter des mesures de dépenses gouvernementales ou des budgets — et maintenant d’importants accords commerciaux —, et ce, sans examen approfondi? Si nous commençons à passer outre à cet examen approfondi, nous pénalisons les parties intéressées et les Canadiens qui souhaitent venir témoigner devant les comités parlementaires.

Chers collègues, j’appuie totalement le contenu de ce projet de loi, mais c’est à contrecœur que j’appuie la façon dont nous l’adoptons. Merci beaucoup.

L’honorable Peter M. Boehm : Sénateur Housakos, je vous remercie de votre exposé et de votre discours. Je crois que nous convenons tous que le projet de loi C-18 est un projet de loi important.

Dans mon ancienne vie, j’étais très fier d’avoir travaillé avec deux gouvernements différents sur l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne. Comme vous le savez, les négociations ont duré plusieurs années. Un gouvernement a mis le processus en branle et un autre l’a finalisé.

Or, en raison du Brexit, le gouvernement du Royaume-Uni a aussi participé à de longues négociations avec l’Union européenne, et la direction que celles-ci allaient prendre n’était pas claire. Cela dit, croyez-vous qu’il était sensé d’entamer des négociations? Vous avez énuméré un certain nombre de pays qui ont conclu des accords, mais pas du même genre que l’Accord économique et commercial global. En modifiant celui-ci pour créer un accord de continuité avec le Royaume-Uni, on crée en fait un accord assez étendu. Nous pourrons négocier un accord plus complet — c’est ce qu’on vise, d’ailleurs — à mesure que les négociations avancent.

Je me demande s’il aurait vraiment été logique d’entamer tôt les négociations. Je sais qu’il y a eu des discussions, mais on a jugé prématuré de les rendre publiques tant que le Royaume-Uni négociait encore avec l’Union européenne.

Deuxièmement, les avis sont partagés sur la question des dispositions de caducité. Cette question a aussi été soulevée lors des négociations pour conclure le nouvel ALENA, car on considérait qu’une disposition de caducité pouvait également nuire aux nouveaux investissements et échanges commerciaux.

Que pensez-vous de ces deux aspects de la question en particulier?

Le sénateur Housakos : Sénateur Boehm, je ne suis pas du tout d’accord sur le premier point. D’abord et avant tout, le processus de négociation mené dans le cadre de l’Accord économique et commercial global était beaucoup plus complexe que celui engagé avec le Royaume-Uni. En effet, l’accord a servi de feuille de route pour les négociations avec le Royaume-Uni. En outre, nos deux pays avaient déjà ratifié de nombreuses mesures dont l’application a tout simplement été étendue à cette entente particulière. Nous n’avons pas réinventé la roue pour l’accord de continuité : comme je l’ai souligné dans mon discours, de nombreux éléments déjà inclus dans l’Accord économique et commercial global ont tout simplement été renégociés entre le Canada et le Royaume-Uni.

Toutefois, vous avez absolument raison de dire que l’Accord économique et commercial global était complexe parce qu’il était sans précédent. Sa complexité venait aussi du fait que nous négociions, si je ne m’abuse, avec 28 pays qui avaient tous leur mot à dire et leurs intérêts propres. À certains moments, les négociations se faisaient de manière multilatérale et bilatérale en continu, ce qui a compliqué les choses. Sans parler du fait que le parlement respectif de tous ces pays devait ratifier l’accord, ce qui n’était pas simple.

À titre de parlementaire, j’ai participé à quelques-unes des discussions bilatérales qui ont eu lieu avec certains pays visés par l’Accord économique et commercial global. Les objectifs et intérêts économiques des pays de l’Europe du Nord et des pays de l’Europe du Sud étaient parfois si diamétralement opposés que les négociations se sont avérées plus ardues.

Dans le cas du Royaume-Uni, il y avait une volonté politique, pour des raisons évidentes. Le Royaume-Uni souhaitait manifestement négocier avec ses trois ou quatre plus grands partenaires commerciaux afin d’indiquer à leurs marchés et à leur économie que les choses se passaient comme à l’habitude. Le Royaume-Uni avait intérêt à discuter avec le Canada. Je me souviens d’un comité parlementaire, l’Association interparlementaire Canada-Royaume-Uni, auquel de nombreux sénateurs ont siégé en 2016, après le vote sur le Brexit en Angleterre. Il y avait un tel engouement pour un cousin du Commonwealth comme le Canada, qui est un partenaire commercial crucial pour les Britanniques, que tous les parlementaires et les fonctionnaires étaient ouverts à cela.

Nous l’avons constaté lors de la visite de la première ministre May à Ottawa. Elle a explicitement dit qu’elle souhaitait entamer des négociations aussitôt que possible, en 2017.

Le gouvernement a été le seul à freiner le cours des choses. En fait, il l’a fait uniquement parce qu’il ignorait l’issue du Brexit. À Affaires mondiales Canada, les opinions étaient partagées quant à l’issue du Brexit. Si le gouvernement canadien avait été certain que le Brexit se réaliserait, comme l’ont montré le referendum tenu en 2016 et la volonté politique au Royaume-Uni, nous aurions dû agir sans tarder. Selon moi, ce fut une grave erreur, sénateur Boehm.

Le sénateur Boehm : Merci, sénateur Housakos. Je pense que nous parlons d’à peu près la même chose, mais en adoptant un point de vue différent.

En ce qui concerne la disposition de caducité, vous n’avez pas répondu à cette partie de ma question, et je peux le comprendre. Je voudrais toutefois ajouter que, en temps normal, nous aurions étudié le projet de loi au comité. Je m’en serais réjoui. Par ailleurs, je suis d’accord avec vous pour dire que le comité sénatorial pourrait se pencher sur la mise en œuvre plus tard. Pour le moment, j’aimerais savoir ce que vous pensez du recours à une disposition de caducité.

Le sénateur Housakos : Une disposition de caducité joue un rôle essentiel dans les négociations. Je ne crois pas qu’elle entraînera des pressions préjudiciables. Au contraire, elle établit des points de repère. Lorsqu’on négocie, de tels points de repère sont grandement utiles — c’est du moins ce que j’ai appris de mon expérience dans le monde des affaires. Voilà ce que j’en pense.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Troisième lecture

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

La Loi sur l’assurance-emploi
La Loi sur les prestations canadiennes de relance économique

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, appuyée par l’honorable sénateur Gold, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-24, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi (prestations régulières supplémentaires), la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique (restriction de l’admissibilité) et une autre loi en réponse à la COVID-19.

L’honorable Patti LaBoucane-Benson : Honorables sénateurs, la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique a été créée pour permettre aux Canadiens de prendre des congés de maladie avec protection de l’emploi lorsqu’ils n’y ont pas accès par l’entremise de leur employeur. Comme l’a dit la ministre Qualtrough le 2 janvier 2021 :

La Prestation canadienne de maladie pour la relance économique n’a jamais eu pour but d’inciter ou d’encourager les Canadiens à ne pas suivre les directives de santé publique ou de voyage international.

Par conséquent, le projet de loi C-24 modifie la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique en ajoutant un nouveau critère d’admissibilité aux trois prestations de relance. Cela exige que les personnes attestent qu’elles n’ont pas été tenues, à aucun moment au cours de la période de prestations, de se mettre en quarantaine ou de s’isoler à la suite de déplacements internationaux en application d’un décret pris en vertu de la Loi sur la mise en quarantaine.

(1630)

Ce projet de loi offre des exemptions limitées à cette nouvelle exigence d’admissibilité. Les personnes qui seraient normalement exemptées des exigences de quarantaine obligatoire prévues par la Loi sur la mise en quarantaine, comme les travailleurs de la santé ou les camionneurs qui doivent traverser la frontière pour travailler, pourraient quand même faire une demande à leur retour au pays si elles sont incapables de travailler à cause de la COVID-19. En outre, les personnes qui se sont rendues à l’étranger pour recevoir un traitement médical nécessaire ou pour accompagner quelqu’un qui devait recevoir un traitement médical nécessaire sont exemptées de cette nouvelle exigence d’admissibilité.

Afin de faciliter les mesures de vérification relatives à cette nouvelle exigence d’admissibilité, le projet de loi C-24 autorise le ministre de la Santé à aider le ministre de l’Emploi et du Développement social à vérifier si une personne remplit les conditions d’admissibilité telles que définies par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, et à communiquer à cette fin certains renseignements personnels obtenus sous le régime de la Loi sur la mise en quarantaine au ministre de l’Emploi et du Développement social. Le projet de loi modifie aussi la Loi sur les douanes afin de permettre la communication de renseignements pour l’application ou l’exécution de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique.

Au bout du compte, ces amendements permettront d’assurer que les prestations canadiennes de relance économique continueront de cibler les Canadiens qui en ont vraiment besoin. Les règles d’admissibilité seront appliquées de façon rétroactive au 2 octobre 2020, date à laquelle la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique a reçu la sanction royale.

En conclusion, honorables sénateurs, le projet de loi à l’étude n’est pas seulement simple et clair, il est essentiel. Des dizaines de milliers de personnes partout au pays verront bientôt leurs prestations régulières d’assurance-emploi prendre fin en pleine pandémie. Le projet de loi fera en sorte qu’elles obtiennent l’aide dont elles ont besoin en cette période inédite de l’histoire du pays. Il est vital que les Canadiens reçoivent le soutien financier requis pour traverser ce qui est assurément l’une des pires crises de leur vie. Honorables sénateurs, je vous invite tous à faire comme moi et à appuyer l’adoption du projet de loi C-24. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Rose-May Poirier : Honorables sénateurs, c’est à titre de porte-parole officielle de l’opposition que je prends la parole aujourd’hui, et il sera question du projet de loi C-24, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi (prestations régulières supplémentaires), la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique (restriction de l’admissibilité) et une autre loi en réponse à la COVID-19.

Je ne décortiquerai pas le texte en détail, puisque la sénatrice LaBoucane-Benson, qui en est la marraine, en a très bien expliqué les tenants et les aboutissants, mais en deux mots, le projet de loi C-24 facilite l’accès à l’assurance-emploi en faisant temporairement passer à 50 le nombre de semaines de prestations qu’une personne peut toucher, à condition que sa demande ait été présentée entre le 27 septembre 2020 et le 25 septembre 2021. Il permet aussi aux travailleurs autonomes du pays d’avoir plus facilement droit à des prestations.

La deuxième partie du texte vise pour l’essentiel à corriger une erreur de la part du gouvernement. Comme c’est la coutume depuis le début de la pandémie, les programmes de prestations spéciales du gouvernement ont été adoptés à toute vitesse par le Parlement, sans que celui-ci puisse les étudier à fond. Je comprends que, dans certaines situations, il faille faire vite, et la preuve que le caucus conservateur l’a bien compris, c’est qu’il a tendu la main au gouvernement et accepté que les projets de loi correspondants soient adoptés rapidement, car il fallait que les personnes qui avaient besoin d’aide en obtiennent sans tarder. Cela dit, j’estime que ce raisonnement ne s’applique pas au projet de loi dont nous sommes saisis, car il a été adopté sous pression au début de l’automne, après la prorogation du Parlement. Essayez de comprendre, pour voir : le gouvernement n’a pas prorogé le Parlement une seule fois pendant son premier mandat, mais il a jugé que la pandémie offrait un contexte parfait pour le proroger durant un mois.

Les honorables sénateurs se souviendront que le projet de loi C-4 a été présenté à la Chambre des communes le 29 septembre et qu’il a été adopté rapidement par les deux Chambres avant de recevoir la sanction royale le 2 octobre. Autrement dit, il a été présenté à la Chambre des communes le mardi et promulgué par la gouverneure générale de l’époque le vendredi, avant l’heure du souper. Ce n’est toutefois qu’à la fin février que le gouvernement a présenté le projet de loi C-24 dans le but de corriger l’erreur qui avait été repérée. De plus, la deuxième lecture ne s’est produite que plus d’un mois plus tard, le 8 mars 2021. Il est décevant que le gouvernement ait attendu des mois avant d’éliminer l’échappatoire de la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique et de fournir des prestations supplémentaires au moyen de l’assurance-emploi. Le fait qu’il se soit traîné les pieds au lieu de régler des enjeux cruciaux pour les Canadiens en cette période de crise socioéconomique témoigne d’un manque de leadership.

Le problème, c’est que les Canadiens qui ont besoin d’aide sont confrontés à messages contradictoires à propos des échappatoires non réglées et quand il s’agit de déterminer qui est admissible à quelle prestation, pendant combien de temps, comment présenter une demande, et ainsi de suite. Permettez-moi, honorables sénateurs, d’illustrer cette situation en parlant de l’expérience de mon bureau, qui est probablement semblable à celle d’autres bureaux. Nous avons reçu énormément de demandes et de questions sur les prestations de la part de Canadiens inquiets. lls avaient du mal à s’y retrouver en raison du manque de clarté et des messages changeants, contradictoires et erronés du gouvernement.

Je me permets d’énumérer les programmes: la Prestation canadienne de la relance économique, ou PCRE; la Prestation canadienne de la relance économique pour proches aidants, ou PCREPA; la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique, ou PCMRE; la Prestation canadienne d’urgence, ou PCU; la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants, ou PCUE. Ajoutons à cela la Subvention salariale d’urgence du Canada, ou SSUC, et la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer, ou SUCL, mises en place pour aider les entreprises. Enfin, il y a le programme d’assurance-emploi.

Avec tous ces programmes — PCRE, PCREPA, PCMRE, PCU, PCUE, SSUC et SUCL —, on peut se demander par où commencer pour demander de l’aide. Les critères d’admissibilité changent tous les jours. On peut recevoir des prestations d’assurance-emploi un jour, la PCU le lendemain, puis encore des prestations d’assurance-emploi. Pour bien des Canadiens, c’était la première fois qu’ils se tournaient vers des programmes gouvernementaux pour obtenir de l’aide, et il a dû être encore plus difficile pour eux d’obtenir les réponses et l’aide dont ils avaient besoin.

Non seulement ils ont été bombardés de messages du gouvernement fédéral, mais ils ont dû tenir compte également des normes et des programmes provinciaux. Chaque province avait sa propre loi sur les mesures d’urgence et son propre système de restrictions avec un code de couleurs. Les provinces offraient aussi leurs propres programmes d’aide aux entreprises et aux particuliers. Ainsi, un Canadien qui voulait de l’aide pour joindre les deux bouts pouvait être obligé de s’informer sur plus d’une demi-douzaine de programmes et de déterminer ceux auxquels ils avaient droit. J’espère qu’on passera en revue les mesures prises par le gouvernement en réponse à la pandémie de COVID-19 et qu’on se penchera plus particulièrement sur l’importance pour le gouvernement de communiquer des messages clairs et directs et d’offrir des programmes d’aide plus simples pour les Canadiens qui voudront de l’aide lors des prochaines situations d’urgence.

Au bout du compte, les mesures que nous avons adoptées au Parlement dans la dernière année ont eu un effet direct sur des millions de Canadiens qui ont perdu la totalité ou une partie de leurs revenus. Alors que le nombre de cas et de décès commence enfin à diminuer dans l’ensemble du pays, il ne faut pas oublier que des millions de Canadiens souffrent encore des conséquences de la pandémie de COVID-19.

Selon l’Enquête sur la population active, en janvier 2021, le taux de chômage a grimpé à 9,4 % et 18 272 000 Canadiens étaient employés, par rapport à janvier 2020, où le taux de chômage s’élevait à 5,5 % et 19 159 000 Canadiens étaient employés. Par ces chiffres, on peut voir que la COVID-19 a nui considérablement à la capacité d’environ 1 million de Canadiens de subvenir aux besoins de leur famille. En outre, d’après l’Enquête sur la population active de janvier 2021 :

Le nombre de chômeurs de longue durée (les personnes qui cherchent du travail ou qui ont été mises à pied temporairement depuis 27 semaines ou plus) s’est maintenu à un niveau record (512 000).

C’est environ la moitié des chômeurs de l’année dernière qui cherchent du travail ou qui ont été mis à pied temporairement depuis plus de 27 semaines. N’oublions pas que cela n’inclut pas les personnes dont le revenu a diminué à cause d’une pénurie de travail, d’une réduction des heures de travail ou de la nécessité pour les entreprises de baisser les salaires pour survivre. Les chiffres ne racontent pas toute l’histoire.

Les jeunes Canadiens doivent jouer un rôle déterminant dans la reprise économique, et le gouvernement doit prendre des mesures proactives pour les aider avant qu’il soit trop tard. Une étude de la RBC a révélé que, dans toutes les provinces et les grandes villes canadiennes, les jeunes âgés de 14 à 29 ans sont devenus bien plus pessimistes qu’avant en ce qui concerne leurs perspectives d’emploi et leur aptitude à trouver un emploi. Le gouvernement devra agir rapidement pour stimuler l’économie ainsi que pour augmenter la confiance et les perspectives d’emploi des jeunes.

Alors que je préparais mon discours, l’Enquête sur la population active de février a été publiée. Il n’est que juste de préciser que le taux de chômage a baissé, passant de 9,4 % en janvier à 8,2 % pour le mois dernier. Il est rassurant de voir le taux diminuer, mais Statistique Canada prévient que nous ne sommes pas au bout de nos peines. En effet, la baisse de 1,2 % est principalement attribuable à la reprise de l’activité économique dans les domaines de la vente au détail et de la restauration, le mois dernier, au Québec et en Ontario. Comparativement à il y a 12 mois, 599 000 personnes de moins occupent un emploi et 406 000 personnes de plus travaillent moins de la moitié du nombre d’heures qu’elles avaient l’habitude de travailler.

(1640)

La nouvelle Enquête sur la population active publiée en février fait le point sur la situation des jeunes :

Le taux de chômage des jeunes a diminué de 2,6 points de pourcentage pour s’établir à 17,1 % en février. Il s’agit d’un taux similaire au récent creux observé en novembre 2020, mais d’un taux tout de même plus élevé que celui enregistré un an plus tôt (10,4 %). Le taux de chômage a diminué tant chez les jeunes hommes (-3,2 points de pourcentage pour s’établir à 16,1 %) que chez les jeunes femmes (-2,0 points de pourcentage pour s’établir à 18,1 %). Le taux de chômage est habituellement plus élevé chez les jeunes hommes que chez les jeunes femmes. Cette tendance a toutefois a été inversée en raison des confinements de mars et avril 2020 et de janvier et février 2021 étant donné que la moitié des jeunes femmes travaillent dans les services d’hébergement et de restauration et dans le commerce de détail — des secteurs parmi les plus touchés par les restrictions liées à la pandémie.

J’en parle rapidement, honorables sénateurs, parce que je crains que le gouvernement commence à perdre l’objectif de vue. Il voit la fin potentielle d’une pandémie approcher grâce au lent déploiement de la vaccination et, bien franchement, notre relance économique doit se faire avec plus de vigueur et de proactivité.

On constate, avec le projet de loi C-24, que le gouvernement commence tranquillement à modérer ses mesures de soutien à un moment où il doit garder le cap sur ce qui importe le plus : protéger les Canadiens de la COVID-19 et veiller à ce que le confinement auquel ils sont soumis depuis un an ne nuise pas à leurs possibilités d’emploi plus longtemps que nécessaire.

Les entreprises canadiennes sont prêtes à mettre la main à la pâte et à jouer un rôle dans la réduction de la transmission de la COVID-19. Des groupes d’entreprises, notamment la Chambre de commerce du Canada, ont fait parvenir une lettre au premier ministre disant qu’ils veulent faire partie de la solution globale en vue de gérer la pandémie et de revenir à la normalité plus rapidement.

Le projet de loi C-24 modifie également la Loi sur l’assurance-emploi afin que les travailleurs autonomes canadiens ayant subi une perte de revenus puissent plus facilement avoir accès aux prestations d’assurance-emploi. La pandémie nous a également montré que les filets de sécurité comme l’assurance-emploi doivent être adaptés à l’économie du XXIe siècle. Les paramètres actuels de l’assurance-emploi sont conçus en fonction d’une économie où c’était la norme pour les travailleurs d’occuper le même emploi de 9 à 5 au sein de la même entreprise pendant 25 ans. Aujourd’hui, avec l’avènement de l’économie de petits boulots, les travailleurs à la demande ne sont pas employés à long terme par la même entreprise. Selon une étude réalisée par Statistique Canada sur les données fiscales, la proportion des travailleurs à la demande parmi tous les travailleurs est passée de 5,5 % en 2005 à 8,2 % en 2016, et ce, exclusivement dans l’économie numérique. Cela comprend notamment les chauffeurs d’Uber, les personnes qui louent leur logement sur Airbnb, etc., qui représentent 5,5 % de la totalité de l’activité économique au Canada.

Alors que les Canadiens se sont adaptés aux nouvelles réalités depuis le début, le programme d’assurance-emploi est demeuré bloqué au milieu du XXe siècle. De trop nombreuses personnes sont passées entre les mailles du filet de l’assurance-emploi.

La pandémie a mis au jour les grandes failles des programmes d’assurance-emploi : ils ne sont pas facilement adaptables et ne sont pas conçus pour répondre aux besoins d’un nombre considérable de Canadiens. Le gouvernement a constamment dû modifier les critères d’admissibilité et le nombre de semaines de prestations pour aider les Canadiens qui avaient besoin d’un coup de main. Il a dû intervenir de nouveau en présentant le projet de loi C-24, pour aider les travailleurs autonomes, comme il l’avait fait en mai pour les travailleurs saisonniers et à l’automne, pour les mères, par voie de règlement.

Pendant la pandémie, le temps pressait, mais la désuétude du système d’assurance-emploi a retardé le versement des prestations aux Canadiens qui les attendaient. Une fois que les autres programmes ont été mis en place, il n’y a pas eu simplification du processus entre les divers ministères, ce qui a entraîné des retards et des frustrations pour les Canadiens.

Je songe au cas d’une Ontarienne qui a eu de la difficulté à s’y retrouver dans les changements apportés aux prestations d’urgence pendant la pandémie de COVID-19. Cette mère de deux enfants qui travaillait dans le secteur de la vente au détail avait perdu son emploi au printemps dernier à cause de la pandémie. Elle a d’abord touchée la PCU, puis elle est passée à l’assurance-emploi en septembre. Cependant, comme elle travaille à temps partiel, la moitié de son salaire est récupéré. En janvier, comme elle était la seule personne à pouvoir s’occuper de sa fille de cinq ans lorsque les écoles ont été fermées à London, elle a déclaré dans sa demande de prestations d’assurance-emploi qu’elle n’était pas disponible pour travailler. Dès lors, elle n’était plus admissible à l’assurance-emploi parce que les demandeurs doivent être disponibles pour travailler.

La jeune femme a alors fait une demande au titre de la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique, mais on lui a dit qu’elle n’était pas admissible parce qu’elle avait déjà fait une demande à l’assurance-emploi. Nous sommes en mars, mais elle n’a toujours pas reçu d’argent pour ces deux semaines en janvier. Je cite ce que cette jeune mère a déclaré aux médias.

De nombreuses personnes se retrouvent dans une situation comme la mienne où pendant deux semaines, elles n’ont aucune rentrée d’argent. Ça fait peur et, pour bien des gens, ce manque d’argent les empêchera de payer le loyer ou la mensualité hypothécaire ou d’acheter de la nourriture.

Je suis consciente que le gouvernement a promis de réformer le régime d’assurance-emploi, mais j’ai appris, en tant qu’ancienne membre du Comité sénatorial permanent des langues officielles, qu’il ne tient pas nécessairement parole, malgré ses promesses. Nous l’avons souvent entendu répéter qu’il moderniserait la Loi sur les langues officielles. Pourtant, deux ans après que le comité sénatorial ait publié son rapport sur la réforme, nous attendons toujours le projet de loi.

En conclusion, honorables sénateurs, nous appuyons le projet de loi C-24 à titre d’excellent rappel de la meilleure façon d’éviter les erreurs et les échappatoires et de donner au Parlement le temps nécessaire pour surveiller adéquatement ses dépenses. Nous avons d’excellents comités qui font un excellent travail au nom des Canadiens. Laissons-les surveiller comme il se doit le projet de loi du gouvernement, car nous ne serions pas ici des mois plus tard à corriger des erreurs s’il y avait une surveillance adéquate.

C’est pourquoi je termine en implorant le gouvernement de lire l’excellent rapport intitulé COVID-19 : Du soutien en temps de crise, qui a été publié l’été dernier par le Comité sénatorial permanent des finances nationales, présidé par le sénateur Mockler, et d’accorder une attention et une importance particulières à la recommandation no 16 :

Que les procédures habituelles d’approbation des dépenses du gouvernement par le Parlement soient rétablies afin d’exercer une surveillance appropriée des dépenses du gouvernement.

Merci, honorables sénateurs.

Des voix : Bravo!

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, les semaines supplémentaires d’accès à l’assurance-emploi proposées dans le projet de loi C-24 sont essentielles, tout comme les mesures réglementaires que prend le gouvernement pour ajouter des semaines à la Prestation canadienne de relance économique et à d’autres programmes, qui continuent à fournir aux gens un soutien direct du revenu.

Je tiens à féliciter toutes les personnes qui ont travaillé sur cette approche d’intervention et de relance économique et qui l’ont appuyée. Tout au long de la pandémie, nous avons constaté que ces prestations ont permis d’aider ceux qui ont pu s’en prévaloir, ce qui a contribué aux efforts visant à ralentir la propagation de la COVID-19. La rapidité, l’empressement, l’audace et l’urgence avec lesquels les mesures comme la Prestation canadienne d’urgence ont été mises en œuvre ont été jugées nécessaires pour éviter une catastrophe pour des millions de personnes, de familles et de collectivités.

Prenons un instant pour nous demander quelle est cette catastrophe. Il s’agit de la pauvreté. Alors que nous déployons des tonnes de ressources, d’ingéniosité et d’infrastructures pour éviter aux gens bien nantis de sombrer dans la pauvreté, je demeure extrêmement préoccupée par le fait que nous n’avons presque rien fait pour plus de 1 Canadien sur 10 qui vivent sous le seuil de la pauvreté et qui s’exposent tous les jours aux risques et aux dangers que les mesures comme le projet de loi C-24 comprennent et reconnaissent clairement.

Des 407 milliards de dollars de dépenses gouvernementales liées à la COVID-19 mentionnées dans l’énoncé économique de l’automne, les Canadiens en âge de travailler les plus dans le besoin, soit ceux dont le revenu est inférieur à 5 000 $, ont reçu peut-être 400 $, et ce, seulement s’ils étaient inscrits en vue de recevoir le crédit pour la TPS.

Un Canadien sur cinq, principalement ceux qui ont un revenu supérieur à 100 000 $, ont vu leur situation financière s’améliorer au cours de la pandémie. Entretemps, deux fois plus de gens, soit les plus démunis, ceux qui vivent dans la pauvreté, ont été laissés pour compte et ont dû affronter de dures réalités : la faim, l’insécurité en matière de logement, l’itinérance, le stress et la maladie.

Bien franchement, les choix politiques entourant les mesures de soutien économique destinées aux Canadiens marginalisés, tant durant que bien avant la pandémie, ont été mortels. Le taux de décès et d’infections lié à la COVID-19 est plus élevé dans les quartiers défavorisés et racialisés. En Ontario, on a enregistré un taux d’hospitalisation quatre fois plus élevé dans ces communautés ainsi qu’un taux de mortalité deux fois plus élevé.

(1650)

C’est inquiétant pour nous tous, honorables collègues. C’est inquiétant pour les cinquante d’entre nous, représentant différents groupes et diverses régions, qui ont signé une lettre ouverte au premier ministre au début de cette pandémie, pour lui demander d’étendre la PCU de manière à en faire un programme accessible à tous ceux qui sont dans le besoin. C’est inquiétant pour le Comité des finances nationales, qui a lancé un appel pour qu’on examine l’idée d’un revenu national garanti comme mesure de relance après la COVID-19. Ces dernières semaines, cet appel a été repris par le Comité des finances de l’autre endroit. C’est inquiétant pour nos collègues possédant la plus longue expérience au Sénat qui ont pris part au travail mené par nos ex-collègues les sénateurs Eggleton et Segal dans l’espoir d’éradiquer la pauvreté.

Nous sommes tous responsables d’agir et de jouer le rôle dont nous sommes capables dans la lutte contre la pauvreté, comme l’a mis en évidence le Comité spécial du Sénat sur la pauvreté. Il y a cinquante ans, sous la direction du sénateur Croll, nos prédécesseurs réclamaient un revenu minimum garanti. Ils disaient que « La pauvreté est le grand problème de notre société. Les pauvres n’ont pas choisi de vivre dans la misère. La pauvreté est une affliction pour eux et une honte pour notre nation entière. »

Aucune nation ne peut arriver à la véritable grandeur s’il lui manque le courage et la résolution nécessaires pour extirper le cancer de l’indigence.

Un demi-siècle plus tard, qu’est-ce qui a changé, honorables collègues? Ce soir, à quelques pas seulement de cette enceinte, à Ottawa, des travailleurs d’établissements de soins de longue durée, surtout des femmes, des personnes racialisées et des nouveaux arrivants, termineront, éreintés, leur quart de travail en première ligne, où ils prennent soin des personnes parmi les plus vulnérables face au virus. Toutefois, ils ne rentreront pas chez eux. Ils passeront plutôt la nuit dans un refuge pour sans-abri, à l’ombre de la Colline du Parlement, parce qu’en retour du travail essentiel qu’ils accomplissent, on les applaudit et on en fait des héros, mais on ne les paie pas assez pour qu’ils puissent s’offrir un logement.

Leur réalité est si éloignée des stéréotypes qui perdurent contre les pauvres. Je parle des préjugés dangereux et dégradants selon lesquels les gens sont pauvres parce qu’ils n’ont pas travaillé assez ou suffisamment épargné; si on ne les soutient pas adéquatement, ce doit être parce qu’ils ne le méritent pas.

Depuis des années, les programmes d’aide du Canada, des provinces et des territoires sont inadéquats au point où une pareille négligence peut être qualifiée de criminelle. On offre aux personnes défavorisées sur le plan économique trop peu pour vivre, apparemment parce qu’on ne leur fait pas confiance et qu’on les juge paresseuses. Ces préjugés servent à justifier que l’on n’ait rien d’autre à leur offrir qu’un enchevêtrement de programmes d’aide inadéquats.

On soumet les gens à un examen complexe et souvent humiliant, à un jugement arbitraire et à des normes moralisatrices que peu ont à subir. Pour beaucoup de gens, il est normal que, dans la vie de tous les jours, un enfant doive prendre part à une sortie scolaire, qu’il faille s’acheter de nouveaux vêtements pour une entrevue ou que l’on doive prendre une journée de congé et s’absenter du travail. Or, cette normalité devient un luxe lorsqu’il s’agit des assistés sociaux si jamais ils osent réclamer les moyens nécessaires pour y accéder, voire supplier la société de les leur accorder, ce qu’ils font rarement.

À l’instar de la majorité des mesures de soutien du revenu adoptées en raison de la pandémie jusqu’à maintenant, le projet de loi C-24 accentue l’écart entre les travailleurs qui ont droit à une aide et les démunis qui n’y ont pas droit pour une raison ou une autre. Le fait d’avoir de bonnes intentions, de travailler dur, de chercher à faire de son mieux pour sa famille et de souhaiter contribuer à la collectivité ne garantit pas, malheureusement, qu’une personne obtiendra un emploi convenablement payé qui agira comme un garde-fou contre la pauvreté. En outre, depuis des décennies, nous avons recours à des programmes d’aide sociale qui punissent les gens et les maintiennent dans la pauvreté.

Le projet de loi C-24 nous met sur une voie qui nous aidera à sortir de la pandémie et à revenir à une normalité où la moitié des personnes qui se trouvent sous le seuil de la pauvreté travaillent, mais pour un salaire qui ne leur permet pas de joindre les deux bouts; où d’autres en sont réduits à vivre de l’aide sociale et de prestations d’invalidité qui leur procurent aussi peu que 600 $ par mois dans certaines provinces; où un appartement d’une chambre à coucher est inabordable dans 9 quartiers sur 10 au pays pour une personne travaillant à temps plein au salaire minimum; où 31 % des occupants des refuges sont des Autochtones; et où près de la moitié des Canadiens vivent d’un chèque de paye à l’autre et s’endettent toujours davantage pour payer les dépenses courantes et celles de leur famille.

Les sénateurs savent depuis au moins 50 ans que nous pouvons et que nous devons faire mieux, que personne ne choisit — ni ne mérite — d’être pauvre, affamé, itinérant ou en danger dans un pays aussi riche que le Canada. Dans l’intérêt de notre santé économique et de notre bien-être social, les gens doivent pouvoir sortir de la pauvreté. Dans l’intérêt de tous ceux qui ont souffert et consenti des sacrifices pendant la pandémie de COVID-19, nous devons sortir de cette épreuve avec quelque chose de mieux.

Beaucoup nous exhortent à aller de l’avant. À l’autre endroit, un projet de loi et une motion sur un revenu de base garanti gagnent en popularité. Le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard, avec l’appui de tenaces sénateurs et députés fédéraux de cette province, cherche à obtenir l’aide du fédéral pour lancer un programme de revenu de base.

Quelles mesures de soutien du revenu doit-on prendre afin que ce pays soit à la hauteur des valeurs que sont l’égalité réelle et les droits de la personne qu’il prône? Le gouvernement nous demande d’adopter le projet de loi C-24. Ce faisant, nous devons aussi nous acquitter de notre devoir en veillant à ne pas exclure des millions de Canadiens de nos discussions.

Honorables collègues, nous allons adopter ce projet de loi. J’espère donc que vous allez aussi pousser le gouvernement à ne pas s’arrêter là. Meegwetch. Merci.

Des voix : Bravo.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui pour parler brièvement du projet de loi C-24, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi (prestations régulières supplémentaires), la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique (restriction de l’admissibilité) et une autre loi en réponse à la COVID-19.

J’aimerais remercier mes collègues, les sénatrices LaBoucane-Benson et Poirier, pour leur travail à titre de marraine et de porte-parole de ce projet de loi. Comme la sénatrice Poirier l’a dit dans son intervention, nous appuierons ce projet de loi. Nous devons l’appuyer. Les Canadiens en ont besoin.

Nous avons toujours pensé qu’il fallait appuyer ceux qui ont été durement touchés par la pandémie. Par contre, nous n’appuyons pas l’incompétence du gouvernement. Notre collègue, le sénateur Housakos, l’a très bien mise en évidence dans son discours sur le projet de loi C-18, que le gouvernement a mal géré, comme le projet de loi C-24. On a vu ça à maintes reprises : un projet de loi est présenté à la dernière minute puis passe en accéléré à travers le processus législatif pendant que les parlementaires se démènent pour rattraper le temps précieux que le gouvernement a gaspillé en retards inutiles, réécritures de mesures législatives et cafouillages procéduraux.

Prenons, par exemple, la partie de ce projet de loi qui modifie la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique. Ces modifications comblent une lacune qui découle d’une politique annoncée il y a plus de sept mois.

C’est le 20 août dernier que le gouvernement a annoncé qu’il allait créer la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique. Le seul problème, c’est que, deux jours avant l’annonce, le premier ministre avait prorogé le Parlement, qui n’allait pas être rappelé avant cinq semaines.

Même si le gouvernement savait depuis un mois que la Prestation canadienne d’urgence allait se terminer le 26 septembre, il n’a pris aucune mesure législative pour combler le vide avant le 24 septembre, deux jours avant la date limite, lorsqu’il a présenté le projet de loi C-2, Loi relative à la relance économique en réponse à la COVID-19.

Les sénateurs se souviendront que le projet de loi devait mettre en place la Prestation canadienne de la relance économique et la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique. Sachant que les délais étaient serrés, l’opposition conservatrice a offert de travailler pendant la fin de semaine pour faire adopter le projet de loi. Elle a proposé de faire de même pour le projet de loi C-7. On lui a dit non, puis on l’a accusée de faire de l’obstruction alors que le débat n’avait même pas encore commencé.

Le gouvernement a refusé et il a plutôt décidé de rentrer chez lui. Puis, quatre jours plus tard, le 28 septembre, le gouvernement a abandonné complètement le projet de loi C-2 et il a recommencé le processus législatif avec le projet de loi C-4, Loi relative à certaines mesures en réponse à la COVID-19. Or, c’est le projet de loi C-4 qui allait mettre en œuvre les nouveaux programmes, y compris l’inadéquate Prestation canadienne de maladie pour la relance économique, et le gouvernement a précipité l’adoption du projet de loi à toutes les étapes à la Chambre des communes en une seule journée.

(1700)

Étant donné que le gouvernement avait décidé de s’accorder une pause de cinq semaines en prorogeant le Parlement sans raison valable — en fait, j’ose croire que le premier ministre estimait avoir une bonne raison de le faire; il voulait éviter un autre scandale —, le Sénat n’a eu d’autre choix que d’accélérer le processus de son côté aussi.

Nous avons reçu le projet de loi le lendemain, le mercredi 30 septembre, puis nous l’avons renvoyé deux jours plus tard, le vendredi 2 octobre. Il a fallu attendre trois mois pour que la ministre Qualtrough reconnaisse que le projet de loi comportait de sérieuses lacunes. Des gens en quarantaine après un séjour hors du pays pouvaient présenter une demande de prestation. Malheureusement, le gouvernement avait traité entretemps 450 000 demandes pour la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique.

Le 20 janvier, soit trois semaines plus tard, le gouvernement a fait circuler une ébauche de projet de loi visant à corriger la faille. Or, il ne l’a jamais présenté. Le gouvernement a plutôt choisi d’attendre cinq semaines, soit le 25 février, pour présenter le projet de loi C-24, que nous examinons aujourd’hui. En plus de finalement corriger la faille, le projet de loi permettra aux gens touchés par la COVID-19 d’avoir plus facilement accès aux prestations d’assurance-emploi. Cependant, puisque le 25 février tombait un jeudi avant une semaine de pause, le projet de loi C-24 n’est passé à l’étape de la deuxième lecture que 11 jours plus tard, soit le 8 mars 2021.

Le 8 mars, cela faisait 201 jours que le gouvernement avait annoncé le programme de la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique. Ce jour-là, après avoir attendu 201 jours pour corriger l’erreur, la ministre Qualtrough a publié une lettre ouverte adressée au chef des conservateurs Erin O’Toole, le pressant de donner son plein appui au gouvernement, qui voulait accélérer l’adoption du projet de loi à toutes les étapes législatives. Il s’agissait d’une grossière manœuvre politique de la part du gouvernement, ayant pour but de détourner l’attention des Canadiens de sa gestion désastreuse du programme législatif et de donner l’impression que l’opposition était responsable des retards.

Plus tard le même jour, on a débattu du projet de loi pendant un gros deux heures et demie. Trois jours plus tard, le 11 mars, on en a débattu pendant trois heures. Ensuite, il a été renvoyé au Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, qui a fait rapport à la Chambre, sans proposition d’amendement, le même jour.

Le lendemain, le 12 mars, le projet de loi a été adopté à la Chambre des communes. Cela signifie qu’entre le jour où le gouvernement a annoncé les nouveaux programmes et le jour où il s’est rendu compte qu’il y avait une énorme lacune, 136 jours se sont écoulés. Il lui a fallu ensuite 55 jours pour présenter un nouveau projet de loi pour corriger cette lacune. Cela veut dire que 191 jours se sont écoulés entre le jour où le gouvernement a créé le problème et le jour où il a présenté un plan au Parlement pour y remédier.

La Chambre des communes a ensuite adopté le projet de loi après seulement trois jours de séance, et le Sénat prévoit faire la même chose. Le gouvernement avait réparti ces trois jours de séance sur une période de plus de deux semaines, mais il ne faut pas s’en étonner étant donné sa piètre gestion du programme législatif.

Honorables sénateurs, alors que le pays est confronté à la pire crise économique et sanitaire qu’il ait connu depuis plus d’un siècle, le gouvernement se montre souvent incompétent, comme en fait foi le scénario répétitif et inquiétant qui se déroule habituellement comme suit :

Premièrement, le gouvernement attend jusqu’à la dernière minute puis s’empresse de présenter une mesure législative.

Deuxièmement, il souligne avec impatience que le temps presse et exige que le Parlement traite le projet de loi à toute vitesse sans prendre le temps de le soumettre à un examen et à un débat appropriés.

Troisièmement, quand l’opposition tente de signaler qu’un examen attentif permettrait d’éviter d’autres retards ou des surprises, le gouvernement lui reproche de ralentir les travaux.

Quatrièmement, un fois le projet de loi adopté, le gouvernement admet à contrecœur qu’il contient des erreurs qu’il faut maintenant corriger.

Cinquièmement, le gouvernement met plus de temps à rédiger les modifications pour corriger les erreurs qu’il n’en avait mis à la rédaction du projet de loi initial.

Sixièmement, il finit par présenter la mesure législative modifiée et par apporter des changements rétroactifs pour réparer le gâchis qu’il a créé.

Sept : il insiste pour que le Parlement se précipite pour modifier la loi parce que le temps tire à sa fin.

Huit : il revient au point de départ et reprend le processus du début pour toute nouvelle mesure législative requise.

Honorables sénateurs, l’incompétence n’est pas la seule cause de tout cela. La volonté du gouvernement de faire passer ses intérêts politiques avant les intérêts des Canadiens, même en pleine pandémie, y est aussi pour quelque chose. Plutôt que d’admettre et de corriger ses erreurs sans tarder, le gouvernement choisit d’attendre jusqu’à ce qu’il puisse enfouir ses modifications législatives dans un projet de loi plus vaste.

Pensons à la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique, pour laquelle un projet de loi était prêt à être présenté le 20 janvier. Le gouvernement a plutôt choisi d’attendre jusqu’à ce qu’il puisse distraire le public et camoufler son erreur dans un projet de loi incluant d’autres mesures de soutien en réponse à la COVID.

En outre, je vous rappelle que nous attendons toujours la correction promise à la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer. Vous vous souviendrez peut-être que le projet de loi C-9 a été rédigé de manière à obliger les propriétaires d’entreprise à payer leur loyer avant de pouvoir être admissibles à la subvention pour le loyer. Si une entreprise ne peut pas payer son loyer en raison de la COVID-19, elle peut demander une subvention pour le loyer, mais seulement après avoir payé son loyer.

Le gouvernement a promis de corriger ce problème. Toutefois, aujourd’hui encore, le texte de loi correspond à celui qui a été adopté par le Parlement le 19 novembre de l’année dernière. Au lieu de faire le travail de façon appropriée, la ministre s’est contentée de hausser les épaules et de donner instruction à l’Agence du revenu du Canada de ne pas tenir compte de cette mesure législative parce que les libéraux allaient un jour la corriger, ce qu’ils ont fini par faire. La correction se trouve maintenant quelque part à l’article 4 du projet de loi C-14. Elle tient en quelque 160 mots.

Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas présenté un simple projet de loi de 160 mots pour corriger ce problème, au lieu d’attendre plus de quatre mois avant d’enfouir la correction dans un projet de loi de plus de 2 500 mots, qui n’a rien à voir avec la subvention pour le loyer?

Il est difficile de déterminer si la réponse à cette question relève de l’opportunisme politique ou de l’incompétence. Chose certaine, cette approche ne sert pas bien la population du Canada.

Chers collègues, la dernière année a été très difficile pour la plupart des Canadiens. Comme je l’ai dit plus tôt, les conservateurs appuient sans réserve l’acheminement de l’aide aux gens qui ont été durement touchés par la pandémie et la mauvaise gestion du gouvernement dans ce dossier. Ce que nous refusons de cautionner, ce sont l’incompétence et l’égoïsme flagrants dont a fait preuve le gouvernement en plein cœur d’une pandémie mondiale.

Nous appuierons ce projet de loi, mais nous regrettons que le gouvernement ait échoué à maintes reprises à offrir l’aide dont les Canadiens avaient grandement besoin dans des délais raisonnables. Merci, chers collègues.

L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-24, que j’ai l’intention d’appuyer, car il vient compléter les mesures d’urgence temporaires mises en œuvre jusqu’ici par le gouvernement fédéral à cause de la pandémie.

Selon moi, la santé et la sécurité financière des Canadiens doivent passer avant tout le reste et, dans la mesure où la pandémie n’est pas encore derrière nous, nous devons offrir un soutien du revenu aux Canadiens les plus durement touchés.

Cela dit, certaines des politiques prévues dans le projet de loi C-24 me font tiquer. Pour commencer, il est temps de se préparer pour la reprise, et nous devons profiter de l’occasion pour aider les Canadiens à acquérir les compétences fondamentales dont ils ont besoin. En fait, je partage l’avis publié par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, dans sa dernière édition de Perspectives de l’emploi, en décembre 2020 :

À court terme, il faut continuer de soutenir certains secteurs pour protéger les emplois et le bien-être, mais les mécanismes du marché du travail doivent recommencer à fonctionner.

(1710)

Je crois comprendre que cette recommandation indique qu’il est temps de se préparer à la relance. Il est temps d’investir dans l’employabilité des Canadiens qui ont été touchés par la pandémie. Cela signifie davantage d’investissements dans des mesures actives en matière de main-d’œuvre, comme de la formation sur les compétences numériques et l’alphabétisation, des programmes de subvention salariale pour financer la formation en cours d’emploi et des mesures telles que définies dans la partie II de la Loi sur l’assurance-emploi. Je crois que nous n’en faisons pas assez à cet égard.

Je veux aussi soulever une deuxième question. Il est temps que le gouvernement fédéral participe directement au financement de l’assurance-emploi, puisqu’il s’agit du principal programme dont il se sert pour stabiliser l’économie en période de crise, de même que pour soutenir l’adaptation du marché du travail lors des changements structurels. Comme vous le savez, l’assurance-emploi est financée entièrement par les cotisations des employés et des employeurs, qui n’ont tout simplement pas la capacité financière de soutenir à eux seuls les responsabilités publiques. Ce rôle ne leur revient pas.

En troisième lieu, il est temps de tenir un débat public sur la réforme de l’assurance-emploi. Le gouvernement devrait mandater un comité spécial chargé de recueillir de l’information partout au pays, d’échanger avec les représentants des gouvernements provinciaux qui fournissent les services publics d’emploi, de discuter avec les représentants des entreprises et des syndicats pour définir leurs besoins, et d’établir un consensus sur la réforme de l’assurance-emploi.

[Français]

Permettez-moi maintenant de traiter de ces thèmes en français.

Je suis inquiète de constater que le projet de loi C-24 n’est pas accompagné d’une stratégie de reprise et d’investissement dans le développement des compétences de la main-d’œuvre. Pourtant, c’est maintenant le bon moment, alors que plusieurs personnes sont en arrêt de travail et en situation de sous-emploi, de se servir de cette pause imposée pour se préparer pour l’avenir.

D’ailleurs, le dernier rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les perspectives d’emploi, qui a été publié en décembre dernier, est on ne peut plus clair. Ce rapport invite les pays membres non seulement à prolonger les bénéfices pour les personnes en arrêt de travail involontaire, mais aussi à réhabiliter les mesures d’emploi.

Comme l’a souligné la sénatrice LaBoucane-Benson, le projet de loi C-24 augmentera sans doute l’accessibilité des mesures d’emploi pour certains groupes, mais le gouvernement n’a pas encore prévu d’assurer le financement des mesures d’emploi gérées par les provinces.

Comme vous le savez, près de la moitié des Canadiens n’ont pas le seuil de compétences de base exigé pour changer d’emploi et s’adapter facilement à un nouvel emploi de bonne qualité. Les résultats d’un sondage que j’ai produit en 2019 indiquent clairement que les Canadiens en sont conscients, mais ils affirment eux-mêmes qu’en temps normal, ils n’ont ni le temps ni l’argent nécessaire pour développer leurs compétences. Pourquoi alors ne pas profiter de la période actuelle pour ce faire?

L’OCDE appelle également tous les acteurs économiques à mettre la main à la pâte et à agir de manière responsable pour reconstruire un meilleur marché du travail. Les principes de responsabilisation et de réciprocité doivent être mis de l’avant pour assurer une reprise durable de l’économie. Tous les acteurs économiques, y compris les entreprises qui ont bénéficié ou qui bénéficient toujours de l’aide gouvernementale, doivent participer activement à la réembauche et à la formation de leurs employés.

L’assurance-emploi, comme on le reconnaît dans la loi, a un rôle important à jouer pour assurer le développement et l’employabilité des Canadiens. Or, l’investissement du régime dans ce qu’on appelle dans le jargon les « mesures actives du marché du travail » est inférieur à la moyenne parmi les pays membres de l’OCDE.

Il est temps que le gouvernement fédéral amorce un dialogue sur ces questions avec ses homologues provinciaux. Le cas échéant, le chômage de longue durée s’installera. Ce sera alors très long pour les jeunes, les femmes, les personnes autochtones, les personnes racisées et les personnes immigrantes de retrouver ou de trouver un emploi convenable. L’inclusion sociale, économique et politique des groupes vulnérables passe par leur employabilité et par la chance d’exercer un emploi de qualité.

Je crois qu’il est temps de revoir le financement de l’assurance-emploi. La loi doit prévoir une participation directe du gouvernement fédéral au financement du régime. Ce programme, comme vous le savez, joue un rôle économique majeur au chapitre du soutien du revenu, de la stabilisation de l’économie et du développement des compétences, sans parler des protections sociales au chapitre de la santé, de la maternité et d’autres protections. Pour toutes ces raisons, et parce que l’assurance-emploi doit jouer un rôle essentiel sur les plans de la stabilisation et du développement économique, le gouvernement fédéral doit inévitablement participer au financement du régime.

Les entreprises et les salariés sont incapables de financer le coût de la stabilisation économique. Depuis sa création en 1940 jusqu’en 1990, la Loi sur l’assurance-emploi a toujours sous-entendu que la stabilisation économique était la responsabilité financière du gouvernement fédéral. Ainsi, de 1940 à 1970, le gouvernement y contribuait à hauteur de 20 % des dépenses. En 1971, on a décidé que le gouvernement fédéral payerait la facture pour toutes les dépenses associées à un taux de chômage de plus de 4 %. Le financement du gouvernement a donc grimpé à 51 % des dépenses en 1975. On a alors modifié la formule de financement en 1976 pour réduire la facture du gouvernement fédéral. En conséquence, entre 1976 et 1990, cette facture a oscillé autour de 22 %. Malheureusement, en 1990, le gouvernement s’est retiré complètement du financement du régime. Pourtant, à quelques reprises, le gouvernement fédéral a utilisé les surplus tirés du compte de l’assurance-emploi pour équilibrer son budget.

Aujourd’hui, chers collègues, les salariés payent des cotisations de 1,58 $ pour chaque tranche de 100 $ assurable, jusqu’à un maximum de 56 300 $. Les employeurs payent une cotisation de 2,21 $ pour chaque tranche de 100 $ pour cette même masse salariale assurable. Cette cotisation est déterminée à un niveau qui permet de financer les dépenses du programme sur sept ans. Le taux de cotisation est actuellement gelé pour deux ans. Toutefois, comme l’a souligné le directeur parlementaire du budget, si la Loi sur l’assurance-emploi reste inchangée, les cotisations augmenteront considérablement dans deux ans.

J’aimerais souligner que la formule de financement du régime a un impact négatif sur la répartition des revenus. Je parie même que, si l’on effectuait une analyse de l’incidence du mode de financement du régime selon les genres, les femmes seraient désavantagées par rapport aux hommes.

En effet, les petits salariés, tout comme les petites et moyennes entreprises dans les secteurs à faible valeur ajoutée, portent davantage le fardeau fiscal du régime que les hauts salariés et les entreprises dans les secteurs à forte valeur ajoutée. Comme un taux fixe s’applique jusqu’au revenu maximum assurable de 56 300 $, les employés qui ont un revenu égal ou inférieur au maximum assurable doivent supporter un fardeau plus élevé que les salariés dont les revenus sont supérieurs. Il en est de même pour les entreprises qui œuvrent dans des secteurs où les salaires sont faibles. Cette réalité explique pourquoi les petites et moyennes entreprises sont souvent opposées à toute hausse de leurs cotisations sociales.

Pour conclure sur mon deuxième point, le financement du régime mérite donc d’être revu, et nous devrions adopter une formule de financement plus progressive.

Le troisième point dont je veux parler concerne la réforme de l’assurance-emploi. Les associations patronales et syndicales exigent une réforme majeure du régime depuis plusieurs années. Elles désirent conserver le régime; il n’est pas question de le remplacer par un revenu minimum garanti. C’est ce qu’on peut déduire de leurs positions traditionnelles.

Il est temps, cependant, de revoir le régime pour qu’il soit inclusif et qu’il prenne en compte les besoins du nouveau marché du travail et des nouveaux statuts d’emplois. C’est d’ailleurs ce que recommande l’OCDE, soit de s’attaquer aux problèmes structurels du marché du travail pour que les institutions publiques soutiennent la résilience et l’inclusivité des citoyens.

Une telle réforme ne peut se faire sans consultation et sans obtenir une adhésion collective de la part des Canadiens et des gouvernements provinciaux, qui seront affectés par les changements à l’assurance-emploi.

Le Sénat est bien placé pour recevoir un mandat officiel de la part du gouvernement pour entreprendre des consultations majeures sur ce régime, de concert avec les représentants des entreprises et des employés qui financent celui-ci. Nous avons le temps et les moyens technologiques requis pour entreprendre cette réflexion. Le gouvernement pourrait ainsi donner un mandat à une commission tripartite où il serait représenté par des membres du Sénat et accorder des ressources financières et humaines pour s’atteler à cette tâche qui pourrait prendre plusieurs mois, mais qui est fort impérative.

(1720)

Je conclus mes propos en affirmant qu’un régime contributif d’assurance sociale comme celui de l’assurance-emploi, adapté au XXIe siècle, est le véhicule qui permet le mieux de promouvoir la sécurité économique de tous les Canadiens ainsi que le principe de l’égalité des chances.

Depuis plusieurs mois déjà, l’échec du programme de l’assurance-emploi à répondre à l’urgent besoin, créé par la pandémie, d’offrir un soutien au revenu en incite certains à demander qu’il soit remplacé par un programme universel de revenu garanti. À mon avis, ce serait une grave erreur que de poursuivre dans cette voie.

Un programme permanent et universel de revenu garanti est extrêmement coûteux, comme en témoigne l’ensemble des travaux d’analyse sur le sujet. Un tel programme de remplacement de l’assurance-emploi serait inefficace, car il ne ciblerait pas les problèmes des groupes qui en ont le plus besoin. De plus, il entraînerait des conséquences négatives importantes sur le marché du travail et sur l’économie du pays. Un pays comme le Canada peut lutter contre la pauvreté et promouvoir la sécurité économique de tous les Canadiens par d’autres moyens qu’un programme universel et permanent de revenu de base.

N’oublions pas qu’un programme de revenu de base universel rendra impossible le financement de plusieurs services publics, notamment l’établissement d’un réseau de garderies à travers le pays, le financement public du développement des compétences ainsi que le financement d’autres services publics, ce qui serait néfaste pour les groupes vulnérables qu’il prétend vouloir aider, comme les femmes, les jeunes et les Autochtones qui ne pourront bénéficier des services publics nécessaires pour intégrer le marché du travail. J’ose même affirmer qu’un programme de revenu de base universel est en quelque sorte un mirage.

Vivement un livre blanc sur la réforme de l’assurance-emploi et une commission spéciale qui puisse prendre le pouls des Canadiens sur cette question! Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice LaBoucane-Benson, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Le discours du Trône

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Gagné, appuyée par l’honorable sénatrice Petitclerc,

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Son Excellence la gouverneure générale du Canada :

À Son Excellence la très honorable Julie Payette, chancelière et compagnon principal de l’Ordre du Canada, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite militaire, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite des corps policiers, gouverneure générale et commandante en chef du Canada.

QU’IL PLAISE À VOTRE EXCELLENCE :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Sa Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’elle a adressé aux deux Chambres du Parlement.

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole aujourd’hui en réponse au discours du Trône.

L’année 2020 a été difficile, mais elle nous a aussi apporté un discours du Trône sans précédent qui porte notamment sur certaines réalités des Afro-Canadiens. C’était une première. Nous avons entendu bien des promesses en ce qui a trait à la lutte contre le racisme systémique. Maintenant que je suis au Sénat depuis un peu plus de quatre ans, j’aimerais faire des observations sur le racisme anti-Noirs dans notre institution et les efforts qui ont été faits dans la Chambre rouge.

Je vais m’appuyer sur deux principes afrocentristes pour faire des recommandations quant à l’approche que nous devrions suivre collectivement tout en faisant fond sur les réalisations des gens de tous les partis qui nous ont précédés.

(1730)

Selon la Commission ontarienne des droits de la personne :

La discrimination raciale peut atteindre un niveau systémique ou institutionnel lorsqu’elle découle de règles et structures courantes qui n’ont pourtant pas été conçues pour créer une discrimination. Des comportements, des politiques et des pratiques habituels qui font partie intégrante des structures d’un organisme ou d’un secteur tout entier peuvent créer ou perpétuer des désavantages pour des groupes racialisés. Cela signifie que même si vous n’en aviez pas l’intention, vos méthodes « habituelles » peuvent avoir des répercussions négatives sur des personnes racialisées.

D’après cette définition, la question n’est pas de savoir si notre institution perpétue le racisme systémique, mais de déterminer comment pourfendre les tendances de racisme systémique. Bon nombre de personnes s’attendent à ce que les institutions fédérales tracent la voie à suivre.

L’honorable Murray Sinclair a dit qu’il considérait le Sénat comme un « conseil des aînés », et cette description me ravit. Honorables collègues, je vous exhorte vous aussi à nous considérer comme un conseil des aînés tandis que nous cherchons à trouver des solutions au sein de notre institution. Je suggère que nous adoptions une approche antiraciste conjuguée aux principes afrocentriques d’umoja, qui signifie unité, et d’ujima, qui signifie travail collectif et responsabilité.

En 2020, nous avons été témoins d’un mouvement mondial lors des manifestations de Black Lives Matter. Le discours du Trône a reconnu le racisme systémique et a promis de s’attaquer aux iniquités dans le système de justice pénale, les forces de l’ordre, la GRC et les services de police, de promouvoir l’équité et la diversité dans la fonction publique, de recueillir des données fondées sur la race et de favoriser le développement économique des communautés marginalisées.

Les lettres de mandat supplémentaires, qui ont été remises par le premier ministre en janvier 2021, reflètent les objectifs principaux énoncés dans le discours du Trône. Il y a entre autres l’engagement de soutenir la culture et le patrimoine des Noirs; de renforcer le Programme pour l’entrepreneuriat des communautés noires; d’accroître la participation des Noirs dans des rôles de direction au sein de la fonction publique; de revoir la Loi sur l’équité en matière d’emploi; et de mettre l’accent sur l’importance de prendre en compte l’analyse comparative entre les sexes plus dans tous les secteurs d’activité.

De nombreux dirigeants de tous les partis reconnaissent la présence persistante du racisme systémique. Cela dit, depuis que je siège au Sénat, je constate une absence générale d’unité, ou d’ujima. Sans cette notion d’unité, il est difficile de tracer clairement la voie à suivre et nos efforts deviennent désordonnés et isolés les uns des autres. Je suis fière de faire partie du nouveau groupe des sénateurs noirs. Nous sommes un petit groupe qui harmonise ses efforts à ceux du Caucus des parlementaires noirs. Tous les membres, quelle que soit leur allégeance politique, travaillent ensemble pour défendre les droits des Afro-Canadiens et veiller à leur avancement, tout en s’attaquant aux problèmes de racisme au Canada.

Il est temps de transformer les aspirations en actes. Je constate la bonne intention d’instaurer un changement systématique et que ce projet soulève un grand enthousiasme. Je ressens de l’espoir pour l’avenir; toutefois, à moins que des actes ne suivent ces paroles, j’entrevois un cycle répétitif d’alliances symboliques. Une alliance symbolique ou illusion d’alliance s’entend de la création d’une illusion d’alliance au moyen de paroles et de gestes non appuyés par des actes ou par un changement. Les alliances symboliques sont nuisibles puisque le travail se termine à son commencement, ce qui empêche le progrès vers un changement systémique. J’encourage les alliés à réfléchir à des actes personnels porteurs de changement et à approfondir leur compréhension des efforts antiracisme déployés par nos prédécesseurs.

Je m’appuie sur mes ancêtres, en particulier au Sénat. Deux anciens sénateurs néo-écossais d’origine africaine, feu l’honorable Calvin Ruck ainsi que l’honorable Don Oliver, ont lutté au Sénat contre le racisme bien avant juin 2020 et bien avant mon interpellation sur le racisme anti-Noirs, amorcée le 1er mai 2018. Ces anciens sénateurs ont tous deux souligné les réalisations de Canadiens noirs, notamment celles du 2e Bataillon de construction, ainsi que le Mois de l’histoire des Noirs. J’invite tous mes collègues à se familiariser avec le travail effectué par nos prédécesseurs plutôt que de réinventer la roue.

Chers collègues, il est temps d’agir. Il faut se concentrer sur les principes d’umoja et d’ujima — l’unité et le travail collectif et la responsabilité. Je vais emprunter une phrase à un autre groupe marginalisé : « Rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous. » Qu’il s’agisse des militants autochtones ou des défenseurs des droits des personnes handicapées, cette phrase met en évidence que ceux qui ont une identité marginalisée intersectionnelle ont le droit d’être consultés pour les enjeux qui les concernent directement et qu’il faut leur faire confiance. Je voudrais que nous cessions de dire que nous aspirons à un monde meilleur et de faire des déclarations pour la forme et que nous mettions en œuvre des mesures concrètes. Il faut exiger du gouvernement qu’il tienne les promesses qu’il a faites dans le discours du Trône et il faut absolument élaborer une approche unifiée qui permettra réellement de mettre fin au racisme systémique. Pour que des changements systémiques surviennent, un travail collectif est nécessaire; c’est l’ujima. Il est temps d’agir.

Merci.

Des voix : Bravo!

(1740)

[Français]

L’honorable Marie-Françoise Mégie : Honorables sénateurs, le discours du Trône prononcé le 23 septembre 2020 portait le titre suivant : Un Canada plus fort et plus résilient. J’aimerais en rappeler deux grandes lignes pour souligner les défis grandissants que doivent affronter les communautés noires du Canada en ces durs temps de COVID-19.

Pour vaincre une pandémie, il faut du travail et de la détermination de la part de tous les ordres de gouvernement, de chaque communauté et de chacun d’entre nous. Nous sommes immensément redevables à celles et ceux qui ont servi et qui servent encore en première ligne et qui sont souvent issus des communautés noires et immigrantes, comme le personnel de la santé et d’autres travailleurs essentiels. Ces personnes assument la charge des soins et d’autres charges, trop souvent moins bien rémunérées.

Pensons aussi aux femmes et aux hommes en uniforme, ainsi qu’aux bénévoles de partout au pays. Comme vous le savez, cette pandémie constitue la plus grave crise de santé publique de l’histoire du Canada. Plus de 22 000 Canadiens sont décédés en l’espace d’un an, et près d’un million de personnes ont été infectées. Dans le monde, ce sont plus de 2 millions et demi de personnes qui ont été fauchées, et plus de 120 millions de personnes qui ont été atteintes.

Mais il n’y a pas que les chiffres. La pandémie, c’est l’histoire de parents qui sont morts seuls, sans leurs proches pour leur tenir la main; c’est l’histoire de travailleurs qui ont perdu leur emploi. Les Canadiens racisés, les jeunes et les femmes sont ceux qui ont subi le plus lourdement les pertes d’emplois. Les effets de cette crise ont été décrits comme une « récession au féminin ».

Les campagnes de vaccination ont pris leur envol. Les mesures aux frontières se multiplient, avec des quarantaines renforcées pour affronter les différents variants plus contagieux.

Face à la montée constante du nationalisme vaccinal dans le monde, le risque de prolonger la crise sanitaire persiste. C’est maintenant que nous devons profiter de l’occasion pour participer à contenir la crise mondiale et à rebâtir en mieux, ensemble. Il n’y aura pas de fin de pandémie sans un accès équitable au vaccin pour tous. Peut-être devrions-nous demander la levée des brevets? Après tout, ce sont des deniers publics qui ont subventionné les recherches et le développement des vaccins.

À l’aube d’une troisième vague imminente que nous prédisent nos autorités sanitaires, il est crucial de réitérer les mesures à respecter pour se protéger les uns les autres : bien se laver les mains régulièrement et les désinfecter, porter adéquatement le masque, c’est-à-dire en englobant le nez et la bouche, et garder une distance de deux mètres entre nous. J’espère que ces mesures de base seront respectées par tous, aussi bien à l’intérieur de cette Chambre qu’à l’extérieur. C’est une question de vie et de mort pour nous-mêmes et pour notre entourage.

Malgré le déploiement des vaccins au pays, nous ne devons pas baisser la garde. Nous devons atteindre une vaste couverture vaccinale avant de songer à un retour à la normale, sans masque, dans notre société. J’invite tous les intervenants publics, politiciens, médias et influenceurs à bien doser leurs critiques à l’égard du déploiement vaccinal au pays. Certains sondages font état d’une baisse de près de 10 % de la proportion des Canadiens qui sont prêts à se faire vacciner. C’est très inquiétant. Nous devons peser les conséquences de nos propos à l’ère de la désinformation. En plus de l’influence des médias sociaux qui diffusent ces messages, d’autres facteurs influencent nos communautés noires en ce qui concerne l’acceptation du vaccin.

Pour contrer cette tendance, un groupe de travail de scientifiques noirs de Toronto sur l’équité en matière de vaccins cherche à pallier une méfiance historique des communautés noires envers les vaccins. Il y a deux fois plus de Noirs que de Blancs qui éprouvent de la méfiance à l’égard des vaccins.

Dans un article paru sur le site de Radio-Canada le 13 février dernier, avec les informations de Nick Boisvert, de CBC, on a appris que la méfiance envers les vaccins et les professionnels de la santé en général trouve ses racines dans différents événements historiques. Des chercheurs, des activistes et des patients ont aussi dénoncé à maintes reprises le racisme anti-Noirs dans le système de santé du Canada. Malheureusement, cette semaine encore, une femme autochtone, Mme Ottawa, a fait l’objet de propos racistes de la part du personnel du CLSC de Joliette, la ville où se trouve l’hôpital où est décédée Mme Joyce Echaquan. Nous devons trouver des moyens de redonner confiance à tous les Canadiens dans le système public.

Le Bureau de santé publique de Toronto a évalué que les résidants noirs de descendance africaine et caribéenne présentent, d’une part, les taux les plus élevés d’infection à la COVID-19 et, d’autre part, les taux les plus élevés d’hésitation vis-à-vis de la vaccination.

Le lundi 22 mars prochain, je recevrai ma première dose de vaccin. Je tenterai, avec l’aide des organismes du milieu, de persuader les membres de nos communautés de recevoir le vaccin. Chers collègues, je vous prie de médiatiser votre vaccination, afin d’encourager tous les gens à recevoir leur vaccin dès que possible.

Un passage très important du discours du Trône traite de la lutte contre le racisme systémique. Le gouvernement a promis de s’attaquer au racisme systémique et s’est engagé à le faire. Des améliorations devraient être réalisées dans l’ensemble des services de police et du système de justice. Tous les Canadiens doivent avoir la certitude que le système judiciaire est là pour les protéger, et non pour leur nuire. Ce n’est pas un secret d’affirmer que les Canadiens noirs et les Autochtones sont surreprésentés dans le système de justice pénale; il faut que cela change. Quand ce gouvernement prendra-t-il des mesures pour garantir que la justice pénale soit juste et égale pour tous les Canadiens?

À Montréal, l’affaire Camara a, encore une fois, mis en lumière le fait qu’il est primordial que le gouvernement tienne les promesses qu’il a faites de renforcer la surveillance civile de nos organismes de mise en œuvre de la loi et de mettre à niveau la formation des policiers et des agents responsables de faire respecter la loi, notamment en ce qui concerne les normes pour le recours à la force.

Honorables sénateurs, j’ai eu l’honneur de participer à un panel portant sur le racisme et la santé mentale chez les jeunes des communautés noires du Canada. Je remercie la Fondation des médecins canado-haïtiens et Mosaïque interculturelle d’avoir organisé des panels avec ces jeunes. Briser les tabous du racisme et de la santé mentale n’est pas une mince affaire. Les jeunes Noirs affrontent aujourd’hui de multiples défis.

En ces temps de pandémie de COVID-19, nos jeunes redoublent d’efforts et de rigueur pour persévérer à l’école. À cet égard, je veux souligner la contribution exceptionnelle de M. Réginald Fleury, coordonnateur des services pédagogiques du Centre de services scolaire de Montréal, qui est un maillon communautaire important qui contribue à la persévérance scolaire. Je remercie également une enseignante, Mme Georgette Isidore, pour la préparation de ma rencontre avec les jeunes de l’école Lucien-Pagé, à Montréal. Ce fut un honneur de pouvoir collaborer avec eux, justement durant les Journées de la persévérance scolaire au Québec.

Parallèlement, les sénateurs Bernard, Jaffer, Moodie et Ravalia ont aussi participé à une discussion virtuelle avec des étudiants de partout au Canada pour parler de l’importance du Mois de l’histoire des Noirs et de la question du leadership dans leurs communautés. Chacun d’entre nous a rencontré virtuellement des étudiants de nos provinces respectives, avec le soutien de l’équipe S’ENgage, de la Direction des communications du Sénat. Cette année, le thème du Mois de l’histoire des Noirs était : « L’avenir, c’est maintenant ».

En tant que parlementaires, nous devons prendre du temps avec nos jeunes afin qu’ils profitent de toutes les occasions qui se présentent à eux pour discuter et prendre conscience des enjeux sociaux actuels. Encourageons tous nos jeunes, car ils façonnent notre avenir maintenant. Ils sont nos leaders de demain. Merci.

[Traduction]

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia : Honorables sénateurs, c’est avec un sentiment de grand privilège et avec beaucoup d’humilité que je prends la parole pour répondre au discours du Trône. J’avais prévu présenter mon discours en février dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, mais on doit pouvoir parler de l’histoire des Noirs et de l’excellence des gens de cette communauté à n’importe quel moment de l’année. Le Mois de l’histoire des Noirs est l’occasion de souligner les nombreuses réalisations des Canadiens noirs et leur contribution essentielle aux arts, aux sciences, à la culture et à la politique, tout au long de l’histoire du Canada. C’est également l’occasion d’en apprendre davantage sur le vécu de nos concitoyens noirs et sur les obstacles systémiques auxquels les communautés noires du Canada sont encore confrontées au quotidien.

(1750)

Tel qu’indiqué dans le discours du Trône prononcé à l’ouverture du Parlement en septembre dernier :

Pour trop de Canadiens, le racisme systémique est une réalité bien présente.

De nombreuses personnes — en particulier les Autochtones, les Noirs et les Canadiens racisés — ont demandé haut et fort à ce que les choses changent.

Ils nous disent que nous devons en faire plus. Le gouvernement est d’accord.

Honorables sénateurs, le Mois de l’histoire des Noirs ne se limite pas à une célébration du passé. C’est l’occasion de s’engager à faire les changements que réclament les communautés noires du Canada, maintenant et pour l’avenir.

Je prends un moment pour souligner les efforts des militants de la communauté noire de Terre-Neuve-et-Labrador — Precious Familusi, Brian Amadi, Raven Khadeja, Rioko Milani et Nuna Toweh —, qui ont pris le changement en main dans notre province. À la suite des manifestations contre la brutalité policière déclenchées par le meurtre de George Floyd, Precious, Brian et Raven ont fondé la section de Black Lives Matter de Terre-Neuve-et-Labrador et ont créé la page Facebook correspondante. Cette page constitue une ressource et une plateforme où les Noirs de notre province peuvent s’exprimer. Le groupe offre du soutien à toutes les personnes désireuses de lutter activement contre le racisme à l’égard des Noirs ainsi qu’à toutes celles qui sont simplement épuisées de le subir.

Quatre jours seulement après le lancement de la page Facebook, le groupe avait plus de 6 000 abonnés et, dans un communiqué officiel, la Ville de St. John’s déclarait son appui au groupe et invitait les citoyens à s’élever contre le racisme. Je remercie le maire Danny Breen et les conseillers municipaux de leur appui.

Avec l’aide de groupes d’action communautaire et d’autres partisans, Raven, Rioko et Nuna ont organisé un rassemblement historique à l’édifice de la Confédération, à St. John’s, contre le racisme à l’égard des Noirs et la violence policière en juin dernier. Ils ont été abasourdis par la participation populaire. Des milliers de personnes de toutes les origines raciales se sont présentées, brandissant des pancartes et entonnant ensemble des chansons dénonçant le racisme, la brutalité policière et la discrimination. Des participants se sont agenouillés en signe de solidarité tandis que les organisateurs et des orateurs passionnés ont parlé du besoin d’agir pour contrer le racisme à l’égard des Noirs. Les organisateurs ont veillé à réduire les risques pour la santé publique en installant notamment des postes sanitaires près des escaliers, en distribuant des masques à ceux qui n’en avaient pas et en invitant tout le monde à pratiquer la distanciation sociale.

À l’édifice de la Confédération, des intervenants de tous âges se sont relayés au micro pour partager leurs expériences du racisme à Terre-Neuve-et-Labrador. Certains ont offert à leurs concitoyens des conseils pour mieux comprendre les notions de race et de suprématie blanche, tandis que d’autres se sont adressés aux participants noirs présents dans la foule et les ont encouragés à poursuivre la lutte.

Honorables sénateurs, le lancement de la page Facebook et la manifestation pacifique qui a suivi sont des catalyseurs de changement. Le groupe a reçu des milliers de messages de sympathisants qui voulaient savoir comment ils pouvaient aider.

Le Mois de l’histoire des Noirs vise à honorer et à célébrer la contribution des Canadiens noirs, mais il offre également l’occasion d’en apprendre davantage et de s’engager à agir. Comme on a pu le constater tout particulièrement cette année, c’est aussi le moment de reconnaître que le racisme systémique a des racines historiques profondes au Canada et qu’il continue d’avoir des conséquences négatives sur les Canadiens noirs. Ici, au Sénat, nous avons l’honneur et le privilège de représenter nos régions. Nous devons continuer à remettre en question nos propres préjugés et nous devons lutter contre ceux qui peuvent être solidement ancrés dans la culture de nos villes et de nos provinces. Il est crucial d’ouvrir le dialogue pour créer un Canada plus juste et plus inclusif et, ultimement, plus fort et plus résilient.

Je remercie Precious, Brian, Raven, Rioko, Nuna et tous les groupes de défense et autres organisateurs communautaires locaux, y compris la coalition contre le racisme de Terre-Neuve-et-Labrador, l’association étudiante de l’Université Memorial, l’organisme Planned Parenthood de Terre-Neuve-et-Labrador et SARFest, d’avoir initié cette discussion cruciale et de leurs efforts visant à éliminer le racisme contre les Noirs à Terre-Neuve. Ils sont la prochaine génération de leaders.

Voici un extrait du discours du Trône :

Le Canada doit continuer de défendre les valeurs qui le définissent [...] Il reste encore du travail à faire, notamment sur le chemin de la réconciliation et dans la lutte contre le racisme systémique.

En effet, chers collègues, il reste encore du travail à faire. Merci. Meegwetch.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole aujourd’hui au sujet du discours du Trône. Je sais que beaucoup d’entre nous ont assisté au discours dans lequel le gouverneur général a exposé le plan du gouvernement visant à construire un nouveau Canada plus progressiste au milieu de la pandémie mondiale de COVID-19.

Premièrement, le gouvernement a réitéré son engagement à donner la priorité à la santé et à la sécurité de tous les Canadiens alors que nous poursuivons le combat de nos vies. Deuxièmement, il a illustré la nécessité de soutenir les Canadiens et leurs entreprises alors qu’ils affrontent les difficultés économiques grandissantes qui résultent de la pandémie de COVID-19. Le gouvernement a fait de grandes promesses pour « reconstruire en mieux » dans le but de créer un pays plus fort, plus unifié et plus résilient. Enfin, et surtout, le gouvernement s’est engagé à défendre l’égalité, à emprunter la voie de la réconciliation et à lutter contre toutes les formes de discrimination.

Honorables sénateurs, je suis convaincu que le gouvernement est sincère dans son désir de bâtir un Canada meilleur, dans lequel tous les Canadiens sans exception peuvent se sentir acceptés au sein de la grande société canadienne.

Toutefois, pour y parvenir réellement, nous devons travailler tous ensemble. En particulier au Sénat, nous sommes les gardiens des droits des personnes marginalisées, et nous devons, en tant que sénateurs, nous prononcer en faveur des personnes les plus vulnérables autour de nous.

Le député Greg Fergus, qui est, comme tout le monde le sait, président du Caucus des parlementaires noirs, m’a gentiment fourni quelques informations sur les engagements financiers actuels du gouvernement fédéral visant à résoudre les problèmes graves que les personnes racialisées, notamment les Noirs et les Autochtones, continuent d’éprouver quotidiennement. Il a déclaré ceci :

Depuis 2018, le gouvernement a investi 25 millions de dollars pour renforcer la capacité des communautés canadiennes noires, 45 millions de dollars pour élaborer une nouvelle stratégie de lutte contre le racisme, 9 millions de dollars pour soutenir les jeunes canadiens noirs, 10 millions de dollars pour mettre en place des programmes de santé mentale axés sur la culture et 221 millions de dollars pour aider des milliers de propriétaires d’entreprise noirs à prendre de l’expansion alors que nous nous remettons de la crise de la COVID-19.

Dans le cadre d’un appel de propositions, 85 projets, d’une valeur de 15 millions de dollars, ont été retenus pour appuyer les objectifs du Programme d’action et de lutte contre le racisme, ce qui contribuera à lutter contre toutes les formes de racisme et de discrimination, notamment le racisme anti-Noirs, anti-Asiatiques et anti-Autochtones, l’antisémitisme et l’islamophobie.

Sur la scène internationale, le Canada est reconnu comme pays pluraliste, inclusif et progressiste. Honorables sénateurs, nous avons réalisé de grands progrès pour lutter contre le racisme, mais il reste encore beaucoup à faire. Nous devons joindre le geste à la parole. Nous devons rester déterminés à éliminer toutes les formes de discrimination.

(1800)

Nous en particulier, les sénateurs, ne pouvons pas perdre de vue — ou simplement balayer sous le tapis — le fait que le pays est fondé sur une histoire qui a privé les personnes racialisées et qui continue de discriminer ces dernières, en particulier les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous avons du pain sur la planche alors que les communautés autochtones doivent faire face...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Jaffer, je dois vous interrompre, parce qu’il est 18 heures.

Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et à l’ordre adopté le 27 octobre 2020, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures.

La séance est suspendue jusqu’à 19 heures. Sénatrice Jaffer, il vous restera 10 minutes lorsque la séance reprendra.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(1900)

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Gagné, appuyée par l’honorable sénatrice Petitclerc,

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Son Excellence la gouverneure générale du Canada :

À Son Excellence la très honorable Julie Payette, chancelière et compagnon principal de l’Ordre du Canada, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite militaire, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite des corps policiers, gouverneure générale et commandante en chef du Canada.

QU’IL PLAISE À VOTRE EXCELLENCE :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Sa Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’elle a adressé aux deux Chambres du Parlement.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, nous ne devons pas perdre de vue ou passer sous silence le fait que notre propre pays est fondé sur une histoire de dépossession et de discrimination soutenue contre les personnes racialisées, en particulier les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Nous avons beaucoup de travail à faire, car les membres des communautés autochtones sont confrontées à une crise sanitaire sans précédent et beaucoup d’entre eux vivent dans des réserves vétustes, surveillées et sous-financées, dont les conditions sont comparables, selon de nombreux chercheurs et universitaires, à celles que l’on retrouve dans des pays sous-développés.

Les Canadiens attendent du gouvernement fédéral qu’il tienne les promesses qu’il a faites dans le discours du Trône, ce qui doit être suivi de mesures concrètes et d’une condamnation sans équivoque de la normalisation continue du racisme. Au cours des dernières années, j’ai travaillé aux côtés de nombreux militants, notamment ceux de l’African Descent Society dans ma province, la Colombie-Britannique. Comme vous le savez, honorables sénateurs, bon nombre des premiers Afro-Canadiens se sont installés en Colombie-Britannique. Quand j’y songe, cela m’attriste de constater que peu de Canadiens savent que sir James Douglas, le premier lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique, est né au Guyana et a émigré en Colombie-Britannique dans les années 1870. En réalité, des personnes d’origine africaine se sont installées en Colombie-Britannique bien avant que la province ne se joigne au Dominion du Canada et avant l’intégration de Vancouver en 1886.

Quand ils sont arrivés, un grand nombre de ces premiers immigrants ont bâti de belles communautés afro-canadiennes au cœur de Vancouver. Ils ont lancé des entreprises florissantes et ils ont élu domicile dans cette ville. L’une de ces communautés est souvent appelée Hogan’s Alley, mais les habitants du coin l’appellent, plus justement, Strathcona.

J’ai de vifs souvenirs d’avoir parcouru en voiture les rues de Vancouver et d’avoir vu Strathcona, ainsi que d’autres communautés qui incarnent les valeurs sur lesquelles repose Vancouver : l’ouverture, l’inclusion et la diversité. Beaucoup de ces communautés ont été malheureusement forcées de subir l’impact des projets de développement et de renouvellement urbains dans les quartiers où sont installées des personnes ayant des racines africaines, surtout dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. Dans Strathcona, à la suite d’un trop grand nombre de projets de développement et d’embourgeoisement, la Vancouver Heritage Foundation a déclaré ce qui suit :

Au cours des années, les Noirs ont souffert des efforts de la Ville pour modifier le zonage de Strathcona, de sorte qu’il est devenu plus difficile d’obtenir un prêt hypothécaire ou d’effectuer des rénovations. De plus des articles parus dans les journaux brossaient un portrait peu flatteur de certains secteurs, comme Hogan’s Alley, les qualifiant de repaires où sévissent la misère, l’immoralité et la criminalité.

Par conséquent, dans les années 1960, beaucoup de maisons et d’entreprises d’Hogan’s Alley ont été détruites pour être remplacées par le viaduc Georgia, auquel s’est ajouté le viaduc Dunsmuir en 1971.

L’année 2021 fait partie de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. La résolution 68/237 des Nations unies demande à tous les États membres de l’ONU, y compris les municipalités et les sociétés provinciales et civiles, de reconnaître les nombreuses contributions des personnes d’ascendance africaine dans le monde. Dans le même ordre d’idées, bien que le quartier ne soit plus ce qu’il était, je suis ravie de savoir qu’il existe des plans pour réaménager Strathcona et en faire une plaque tournante pour les habitants de Vancouver, quelles que soient leur race, leur classe sociale, leurs capacités et leur origine ethnique. C’est un honneur pour moi de travailler avec mes compatriotes ougandais Yasin Kiraga Misago et Rita Margaret Buwule pour relancer et mieux reconnaître les communautés africaines qui vivaient auparavant dans le quartier.

Honorables sénateurs, comme je l’ai dit, je continue de travailler aux côtés d’organisations militantes locales et provinciales comme l’African Descent Society de la Colombie-Britannique et j’espère que ces communautés seront reconnues comme il se doit pour leur contribution inestimable au Canada. Je suis les traces de Rosemary Brown, la première députée noire de la Colombie-Britannique, et d’Emery Barnes, le premier président noir de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, qui ont tracé la voie de la réussite pour nous tous.

Honorables sénateurs, j’ai énuméré tous les programmes que le gouvernement va mettre en place. Les programmes ne veulent rien dire si la communauté n’a pas l’impression de faire partie de notre grand pays. Par conséquent, je m’adresse à vous pour vous dire qu’il faudra l’effort de ceux d’entre nous qui peuvent mobiliser les plus hauts niveaux de pouvoir et de privilège parlementaires pour continuer à mettre les dirigeants au pied du mur et s’assurer qu’ils assument leurs responsabilités à l’égard de tous les Canadiens.

Honorables sénateurs, nous avons entendu aujourd’hui plusieurs interventions qui soulèvent des préoccupations provenant de différentes régions du pays, mais nous vous demandons d’une seule voix de ne pas oublier ce qui s’est passé en juillet dernier, et de vous rappeler qu’il faut éviter à tout prix que l’histoire se répète. Merci beaucoup.

(Sur la motion de la sénatrice Gagné, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie

Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-203, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.

L’honorable René Cormier : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui afin d’appuyer le projet de loi S-203, Loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie, qui a été déposé dans cette Chambre par la sénatrice Miville-Dechêne. Je la remercie de son engagement et de sa détermination.

Depuis la présentation de ce projet de loi le 9 septembre 2020, beaucoup d’encre a coulé. Bien des choses ont été dites et annoncées, que ce soit la publication, dans le New York Times, d’un article intitulé « The Children of Pornhub », de l’annonce du projet de loi du ministre du Patrimoine canadien, visant la création d’un organe régulateur afin de lutter contre l’exploitation des enfants et les discours haineux en ligne, ou encore de l’étude menée par le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de l’autre endroit, portant sur la protection de la vie privée et de la réputation sur les plateformes comme Pornhub.

(1910)

D’ailleurs, les récents témoignages reçus au comité de l’autre endroit ont été plus que troublants. Entendre une jeune femme victime de ces plateformes expliquer l’enfer qu’elle a vécu pour faire retirer des images d’elle à caractère sexuel, alors qu’elle était mineure, a de quoi choquer. Entendre des dirigeants d’entreprise affirmer qu’ils font tout ce qui est possible pour protéger les jeunes contre l’exploitation sexuelle, alors qu’ils n’ont fait aucun signalement aux autorités avant le mois de juin 2020, confirme mes doutes quant à certaines pratiques de cette industrie.

[Traduction]

Étant donné les récents développements, je crains toujours que la plateforme Pornhub ne puisse respecter les engagements qu’elle a pris en matière de protection — ou, selon ses propres termes, de confiance et de sécurité — de la collectivité, et que le Canada ne puisse la tenir responsable et lui imposer une plus grande transparence au chapitre des mesures de protection.

Comme cela fait déjà un certain temps que l’on exhorte le gouvernement du Canada à prendre des mesures concrètes dans ce dossier, j’espère que le projet de loi qui sera présenté par le ministre du Patrimoine canadien répondra à quelques-unes de ces questions.

[Français]

Le projet de loi S-203 est complémentaire à ces récents développements puisqu’il s’attaque à une autre composante de ce problème. Plutôt que d’agir sur le contenu ou le téléversement du matériel sexuellement explicite, il agit sur l’accès au visionnement de ce contenu.

Le projet de loi S-203 vise à assurer la protection des Canadiennes et des Canadiens, particulièrement les femmes et les jeunes, contre les effets néfastes de l’exposition au matériel sexuellement explicite, y compris du matériel dégradant et du matériel qui présente de la violence sexuelle.

Il habilite également le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à exiger des fournisseurs de services Internet qu’ils prennent des mesures pour empêcher que du matériel sexuellement explicite soit rendu accessible aux jeunes sur Internet.

En bref, chers collègues, il aspire à protéger la santé de nos jeunes et il s’inscrit dans les efforts internationaux visant à assurer une meilleure réglementation des activités en ligne, activités qui sont, malheureusement, en augmentation depuis le début de la pandémie.

En effet, des sites pornographiques ont dévoilé des statistiques au sujet de l’affluence des utilisateurs sur leurs plateformes depuis l’apparition de la COVID-19. Selon les données de Pornhub publiées le 25 mars 2020, ce site a enregistré une hausse de fréquentation de sa plateforme de 21.5 % au Canada seulement, par comparaison à une journée moyenne « prépandémie ». Comme par hasard, cette hausse coïncidait avec l’accès gratuit à une section du site qui est habituellement payante.

Cette tendance vers une consommation à la hausse n’est pas propre à notre territoire. Dans tous les pays où les données étaient disponibles pour la période allant de la fin de février à la fin de mars 2020, une augmentation de l’utilisation de la pornographie en ligne qui variait de 4 à 24 % a été enregistrée. L’augmentation était plus marquée dans les pays où l’accès a été rendu gratuit, comme ce fut le cas au Canada.

Ces plateformes ont justifié la gratuité temporaire de leur contenu en affirmant que c’était une façon de contribuer au bien-être des consommateurs en ces temps de pandémie. Permettez-moi de douter du caractère humanitaire d’une telle décision, chers collègues. Ne nous leurrons pas : offrir la gratuité d’accès est une façon d’attirer une nouvelle clientèle et, potentiellement, de nouveaux abonnements payants.

Par ailleurs, les données récoltées par ces plateformes peuvent également constituer une mine d’or pour certaines d’entre elles.

[Traduction]

En me penchant sur le projet de loi S-203, je me suis surtout intéressé aux conséquences de la pornographie sur les jeunes de la communauté LGBTQ2+. Ce n’était pas facile, je dois l’avouer, car peu d’études sont consacrées à ces jeunes gens.

De plus, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une population diversifiée. Une étude sur les effets de la pornographie sur les jeunes hommes gais, par exemple, n’est pas représentative de ses effets sur les personnes trans.

J’ai été stupéfait d’apprendre à quel point regarder du contenu sexuellement explicite peut choquer les jeunes gens ou même causer des traumatismes sur leur cerveau en développement. Parfois, ils ne peuvent pas assimiler ou comprendre ce qu’ils voient, et ils peuvent y réagir de multiples façons. Certains jeunes ont dit qu’ils ont eu peur. D’autres étaient tristes, perplexes ou excités lorsqu’ils ont vu de la pornographie pour la première fois. La réaction de chacun dépend de son état de développement, de l’âge auquel il est exposé aux images pornographiques pour la première fois et de ses expériences personnelles.

[Français]

Tout aussi troublantes, la vaste majorité des études consultées précisent que l’une des principales motivations qui poussent les jeunes, notamment ceux des communautés LGBTQ2+, à consulter de la pornographie, c’est le besoin de recueillir des renseignements sur la sexualité.

Chez les jeunes des communautés LGBTQ2+, cela s’explique en partie par un manque d’information et de représentation dans la sphère publique d’une sexualité non hétéronormative. Plusieurs jeunes sont à la recherche de modèles différents, représentatifs de la diversité sexuelle et de genre dont la société est véritablement constituée. Or, comme ils ne les trouvent pas forcément ailleurs, ils se tournent vers les sites pornographiques.

Chers collègues, j’ai reçu des courriels de la part de jeunes qui me demandaient de ne pas interdire l’accès à la pornographie pour les mineurs, car c’était pour eux la seule manière de faire leur éducation sexuelle. Il est immensément triste, vous en conviendrez, de constater que nos jeunes doivent se tourner vers les sites pornographiques en ligne pour faire ce type d’apprentissage.

Certains sites commerciaux de pornographie ont mis en place des sections dites « pédagogiques » pour supposément répondre à ce besoin d’éducation. On peut s’interroger sur les motivations visant l’instauration de telles sections. Est-ce véritablement pour offrir de l’éducation de bonne foi, ou simplement pour attirer plus de consommateurs et générer plus de visionnements? La question se pose.

Le danger de cette forme d’apprentissage en ligne, à mon avis, réside dans le fait que les jeunes mineurs n’ont pas nécessairement le discernement ou la maturité nécessaires pour départager le réel de la fiction, ce qui est acceptable ou non, et ce qu’est une saine relation à la sexualité.

En s’éduquant ainsi, ils risquent de vouloir reproduire certains comportements inadéquats observés dans ces sites. Ils seront portés à se comparer à ce qu’ils voient et à avoir certaines attentes envers leurs partenaires et envers eux-mêmes, ce qui pourrait influencer leur estime personnelle, leur vie sexuelle et leurs relations interpersonnelles.

Une étude en comité du projet de loi S-203 permettrait aux propriétaires de ces plateformes de nous expliquer les objectifs de ces missions éducatives qu’ils s’attribuent.

[Traduction]

Une étude éclairante a été menée sur les habitudes de consommation de contenus médiatiques sexuellement explicites par les jeunes hommes de 14 à 17 ans issus de minorités sexuelles. Je vous présente quelques-unes de ses constatations.

L’exposition à la pornographie, y compris aux comportements sexuels risqués, comme la pénétration sans condom, peut inciter les jeunes à reproduire ces comportements. Quand un jeune homme a peu de relations homosexuelles saines et positives dans son entourage, la consommation de pornographie trop tôt dans son développement, parfois avant même ses premières expériences, peut augmenter le risque que les comportements observés façonnent sa vision de la sexualité et de ses relations amoureuses.

Pendant cette étude, certains jeunes ont affirmé que la pornographie avait modifié leurs attentes et qu’elle avait sinon créé de toutes pièces, du moins façonné leurs champs d’intérêt sexuels. Bien que les auteurs affirment d’entrée de jeu que leurs constatations doivent être analysées plus en profondeur avant de pouvoir en conclure quoi que ce soit, je suis persuadé que vous trouverez vous aussi que ces données font réfléchir.

Si nous voulons que le développement sexuel des jeunes se passe bien et qu’ils aient une bonne santé sexuelle, les écoles du pays doivent absolument offrir un programme inclusif et positif d’éducation sexuelle. Même si je suis conscient que l’éducation relève des provinces et des territoires, j’estime que le projet de loi S-203 constitue l’occasion idéale de lancer une campagne nationale d’information et de sensibilisation sur la sexualité ou, à tout le moins, de mettre à jour les lignes directrices publiées en 2008 par l’Agence de la santé publique du Canada, soit il y a près de 13 ans.

[Français]

Chers collègues, comme les études l’ont montré et comme le rappelle le préambule du projet de loi de la sénatrice Miville-Dechêne, il s’avère que le visionnement d’images sexuellement explicites a des effets néfastes sur le développement de nos jeunes. Il nous faut impérativement prendre les mesures nécessaires pour réduire la disponibilité de tels contenus aux mineurs.

Or, nous savons que l’univers d’Internet est vaste et non contrôlé. À l’heure actuelle, il revient malheureusement au consommateur d’ériger les barrières requises pour contrer une partie du contenu nuisible, comme l’a affirmé le CRTC, et je cite :

Le CRTC ne réglemente pas le contenu d’Internet parce que les consommateurs peuvent déjà contrôler leur accès à du contenu inapproprié à l’aide de logiciels de filtrage. De plus, tout contenu potentiellement illicite est régi par les lois en vigueur sur les crimes haineux, et il peut être contré par d’autres avenues, comme une poursuite au civil ou en cour.

Est-ce là une justification suffisante lorsqu’il est question d’exposer des jeunes à du matériel sexuellement explicite qui peut avoir des effets néfastes sur leur développement? Absolument pas, à mon avis. D’ailleurs, détrompons-nous, chers collègues : les jeunes savent souvent mieux que nous comment contourner les logiciels de contrôle parentaux, dans le cas où de tels logiciels sont effectivement utilisés.

(1920)

Nous savons qu’il est difficile de réglementer le contenu en ligne. D’ailleurs, le Canada n’est pas le seul État à devoir réfléchir à la question. Bien que le projet de loi S-203 ne réussisse pas à tout régler en cette matière, il atteint, à mon avis, un bon équilibre en permettant l’accès au contenu pornographique aux adultes qui le désirent, tout en limitant l’exposition de ce contenu aux mineurs.

En outre, il serait intéressant d’imaginer la façon dont ce projet de loi s’intégrerait aux autres initiatives gouvernementales, notamment la Charte numérique du Canada et le projet de loi C-11, ou encore l’engagement du gouvernement à créer de nouveaux règlements qui encadrent les médias sociaux en ce qui concerne le retrait de contenu illégal en 24 heures.

Pour le savoir, chers collègues, il nous faut étudier le projet de loi S-203, l’adopter et l’acheminer à l’autre endroit. C’est ce que je vous invite à faire dès que possible.

[Traduction]

En terminant, le projet de loi S-203 ne fait pas que créer des infractions pour protéger les jeunes contre les répercussions des images sexuellement explicites, il nous offre aussi l’occasion d’entamer une conversation franche et ouverte sur la protection des jeunes en général. Il nous met au défi de mettre sur pied un programme d’éducation sexuelle positif et inclusif qui ne juge personne et qui aidera les jeunes à atteindre leur plein potentiel.

J’attends avec impatience le moment où nous devrons nous prononcer sur ce projet de loi afin qu’il soit renvoyé à un comité et étudié plus attentivement. Honorables sénateurs, il est temps de le mettre aux voix. Je vous remercie.

[Français]

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Miville-Dechêne, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)

[Traduction]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ataullahjan, appuyée par l’honorable sénateur Ngo, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-204, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains).

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Ataullahjan, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des droits de la personne.)

La Loi sur le Parlement du Canada

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Bovey, appuyée par l’honorable sénateur Munson, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (artiste visuel officiel du Parlement).

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada, concernant l’artiste visuel officiel du Parlement. Je prends la parole en tant que porte-parole du projet de loi et je demande à la Chambre d’adopter celui-ci à l’unanimité, comme elle l’a fait le 8 mai 2018.

Au cours de la dernière session parlementaire, la sénatrice Bovey a prononcé un discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi. Elle a expliqué avec beaucoup d’éloquence l’importance d’intégrer le langage universel de l’art dans la sphère parlementaire. La prise en compte des arts visuels dans le dialogue gouvernemental accroît la sensibilisation et l’inclusion, autant d’idéaux auxquels nous devrions tous aspirer.

Je tiens à remercier aussi le sénateur Moore, qui a présenté le projet de loi pour la première fois en 2016. Je salue également les efforts des sénateurs Eggleton, McIntyre et Harder, qui sont aussi intervenus pour appuyer le projet de loi au cours de sessions parlementaires précédentes.

Aux collègues qui ne connaissent pas le projet de loi concernant l’artiste visuel officiel du Parlement, je signale qu’il vise simplement à créer, au sein du personnel de la Bibliothèque du Parlement, un poste d’agent dont la fonction consiste à promouvoir les arts au Canada par l’intermédiaire du Parlement, notamment en encourageant la population à mieux connaître les arts, à les apprécier, à y être sensible et en favorisant leur développement. Le titulaire du poste apportera des œuvres d’art contemporain à l’institution et nous offrira de nouvelles perspectives tout en préservant l’histoire du Parlement au moyen des arts visuels.

L’artiste visuel officiel du Parlement serait sélectionné par le Président du Sénat et le Président de la Chambre des communes, à partir d’une liste de trois candidats qui incarnent la diversité du Canada. Les candidats seront nommés par le bibliothécaire parlementaire avec le concours du directeur général du Musée des beaux-arts du Canada, du commissaire aux langues officielles du Canada, du président du Conseil des arts du Canada et du président de l’Académie royale des arts du Canada.

Les fonctions de l’artiste visuel officiel comprendraient la création d’œuvres artistiques et la promotion des arts au Canada par l’intermédiaire du Parlement. Son travail servirait à parrainer des événements artistiques, à enrichir la collection de la bibliothèque et à remplir des fonctions connexes à la demande du Président ou du bibliothécaire parlementaire.

À l’instar du poète officiel du Parlement, l’artiste visuel officiel n’occupe pas un poste salarié. Il s’agit plutôt d’un poste d’artiste visuel à temps partiel d’une durée de deux ans, qui comprend une rétribution et un budget pour les matériaux. Néanmoins, les aspirants posent leur candidature avec enthousiasme, car il s’agit d’une occasion qui ouvre les portes à beaucoup d’artistes, y compris des néo-Canadiens et des citoyens de toutes les régions de notre pays.

Le travail exigeant, mais passionnant de l’artiste visuel officiel du Parlement consisterait à utiliser son talent unique pour présenter les enjeux sociaux et les remettre en cause ou en question. Par conséquent, un artiste visuel officiel contribuerait à présenter des politiques et des lois aux Canadiens sous un angle différent. Il nous aiderait aussi à mieux comprendre les divers aspects sociétaux, puisque les artistes peuvent exprimer visuellement leurs préoccupations et peuvent communiquer des messages à l’aide de différents médias, atteignant bien plus de gens que nous pourrions jamais le faire par nous-mêmes. Les artistes sont souvent en mesure de décortiquer des problèmes complexes et de les présenter d’une manière accessible qui transcende les barrières linguistiques.

Les contributions du secteur culturel canadien à la société sont nombreuses. N’oublions pas que presque 800 000 Canadiens exerçaient des professions culturelles en 2015, ce qui représente 4 % de tous les emplois au pays. En outre, en 2016, les établissements culturels représentaient plus de 3 % de tous les établissements économiques du Canada.

Il va sans dire que les arts et la culture contribuent grandement à l’économie canadienne. En effet, en 2017, ce secteur a généré des retombées de 58,8 milliards de dollars, ce qui représentait 2,7 % du PIB total du pays.

Les artistes contribuent aussi à accroître la qualité de vie et l’espérance de vie des Canadiens. Selon une étude, les sorties culturelles augmentent l’espérance de vie, et le fait de pratiquer une activité artistique une ou deux fois par année réduit le risque de mortalité de 40 %. Ce pourcentage s’élève à 51 % chez les personnes qui pratiquent fréquemment de telles activités.

Une étude révèle même que les arts et la musique permettent de réduire la durée des hospitalisations. Par exemple, dans le cas des patients en soins intensifs ayant subi une intervention chirurgicale, le fait d’avoir participé à des séances d’imagerie guidée ou d’avoir pu voir l’image d’un paysage sur un mur a réduit le besoin d’administrer des analgésiques narcotiques à ces patients et a permis à ceux-ci de quitter l’hôpital plus tôt.

Les arts nous rendent aussi plus intelligents. Les étudiants qui visitent des musées ont de meilleurs résultats d’examen, ils ont un sens accru de la responsabilité sociale et ils savent mieux apprécier les arts. Il y a aussi une importante corrélation entre la pratique d’une forme d’art et l’évolution du développement cognitif de l’étudiant par la suite. Je crois donc que le Canada devrait reconnaître l’importance des artistes visuels.

En adoptant ce projet de loi, nous reconnaîtrons publiquement l’importance des artistes et nous pourrons mieux promouvoir leurs talents. Par conséquent, je vous demande humblement, honorables sénateurs, d’appuyer ce projet de loi. Merci.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Bovey, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)

(1930)

Projet de loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter)

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McPhedran, appuyée par l’honorable sénateur Loffreda, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter).

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-209. En 2019, des membres des 4-H venus de partout au pays ont passé du temps dans l’enceinte du Sénat à l’occasion de leur Congrès sur la citoyenneté. Ils ont simulé une séance du Sénat pendant laquelle j’ai joué le rôle de l’huissier du bâton noir. Leur débat portait sur l’idée de réduire à 16 ans l’âge requis pour voter et il m’a vraiment impressionné. Je ne peux qu’espérer que le nôtre soit à la hauteur.

En 2020, bien que les membres des 4-H n’aient pas pu venir à Ottawa et je n’aie pas pu animer le congrès dans l’enceinte du Sénat en raison de la pandémie, la qualité du congrès et du débat était impressionnante. J’ai d’ailleurs demandé aux participants ce qu’ils pensaient de l’idée de réduire l’âge requis pour voter. Les avis étaient partagés, mais la majorité des jeunes Canadiens approuvaient l’idée de réduire l’âge du vote à 16 ans.

Isobel Kinash, une jeune femme de 18 ans originaire de Wishart en Saskatchewan, a expliqué qu’elle venait de voter pour la première fois et qu’elle aurait voté dès l’âge de 16 ans si cela avait été possible. Le principal obstacle à la participation des jeunes vient, à son avis, du manque d’information sur le processus du scrutin. Je suis tout à fait d’accord avec Isobel et je crois, comme elle, que « si on réduit l’âge requis pour voter, il sera essentiel de voir à ce que les jeunes disposent de l’information dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées ».

Je pense qu’il est facile pour certains d’entre nous, en particulier ceux qui ne sont plus très jeunes, de rejeter l’idée sous prétexte que les jeunes de 16 ans n’ont pas les connaissances requises ou l’intérêt voulu pour prendre une décision éclairée. Or, j’estime que c’est faux. Lorsqu’un jeune atteint l’âge de 16 ans, on lui permet de conduire un véhicule, on lui permet de se marier et on lui permet de s’enrôler dans l’armée. Toutes ces choses nécessitent à la fois de la maturité et un sens des responsabilités. De plus, les personnes âgées de 16 ou 17 ans sont suffisamment âgées pour travailler et payer de l’impôt. Pourtant, elles n’ont pas voix au chapitre quant à la façon dont leurs impôts sont dépensés par le gouvernement.

Dire à ces personnes qu’elles peuvent faire toutes ses choses, mais qu’elles ne peuvent pas voter équivaut à leur donner une gifle au visage. Nous enseignons à nos adolescents qu’il faut assumer ses responsabilités et prendre des décisions intelligentes quant à son avenir et à ses fréquentations. Leur permettre de voter dès 16 ans est tout simplement un autre moyen de montrer que nous croyons en nos jeunes et en leur capacité de prendre des décisions responsables.

Lorsque nous disons que les jeunes ne devraient pas avoir le droit de vote parce qu’ils ne sont pas assez mûrs, nous leur rendons un mauvais service. Quiconque passe beaucoup de temps avec des jeunes peut vous dire que beaucoup d’entre eux sont très engagés politiquement et s’intéressent aux questions sociales. Selon Statistique Canada, les jeunes sont parmi les personnes les plus engagées sur le plan social. En 2013, 74 % des jeunes de 15 à 19 ans faisaient partie d’un groupe, d’une organisation ou d’une association, contre 65 % des personnes de 45 à 54 ans et 62 % des personnes de 65 à 74 ans.

L’année dernière, nous avons vu des jeunes descendre dans la rue pour réclamer l’égalité et la fin de l’injustice raciale et pour attirer l’attention sur la crise climatique mondiale. Bien sûr, ils ne se tiennent pas tous au courant de la politique et de l’actualité, mais je pourrais dire la même chose de personnes de 18, de 30 ou de 65 ans. Les connaissances et l’expérience ne devraient pas être un critère pour avoir le droit de voter. Tous les citoyens canadiens ont le droit de voter parce qu’ils sont des citoyens canadiens, et non pas parce qu’ils ont réussi une sorte de test sur leurs connaissances et la politique.

Les jeunes représentent notre avenir et sont tout aussi concernés par les résultats d’une élection que les adultes. En fait, il y a de nombreuses questions importantes de politiques qui les toucheront plus que nous, comme la protection de l’environnement. Si nous les autorisons à voter à 16 ans, les jeunes se sentiront responsabilisés et cela leur permettra de jouer un rôle dans un système politique qui les concerne directement.

Comme je l’ai déjà mentionné, l’éducation jouera un rôle déterminant pour mobiliser les jeunes et leur permettre de prendre des décisions plus éclairées. Le programme scolaire devrait être adapté pour couvrir les élections, les candidats et les plateformes d’une façon non partisane. Les enseignants pourraient aider les élèves à s’inscrire sur la liste électorale. L’apprentissage en classe pourrait donner aux jeunes les outils et les connaissances nécessaires pour voter — on parlerait d’un apprentissage très concret. La devise des 4-H est « Apprendre en travaillant », ce qui est particulièrement indiqué pour la mobilisation des jeunes.

Au Sénat du Canada, nous avons un excellent programme appelé S’ENgage. L’équipe de S’ENgage travaille fort pour joindre les écoles primaires, les écoles secondaires, les collèges et les universités afin que la jeune génération saisisse mieux le système politique canadien. Je suis fier de soutenir ce programme par tous les moyens possibles et j’ai visité de nombreuses écoles partout en Ontario, que ce soit en personne ou par vidéoconférence, pour parler du Sénat. Ce n’est là qu’un seul exemple des façons pour les écoles de s’impliquer davantage afin d’aider les jeunes à voter et à comprendre le processus électoral.

Je vais prendre un instant pour remercier Kate McCarthy de S’ENgage pour son excellent travail au fil des années. Mme McCarthy a quitté la famille du Sénat pour relever de nouveaux défis, mais je tenais à la remercier de tous ses efforts. Elle nous manquera.

Après 46 ans d’engagement auprès des 4-H du Canada, je reste déterminé à soutenir et à représenter les jeunes et à m’engager auprès d’eux en tant que sénateur. J’ai récemment rendu une visite virtuelle à une classe d’élèves de 7e année du conseil scolaire du district d’Upper Grand. J’ai également posé la question de l’abaissement du droit de vote à 16 ans à ces élèves. Même à 12 ans, beaucoup d’entre eux avaient des opinions intéressantes à partager avec leurs camarades de classe. Qu’ils soient ou non favorables à ce projet de loi, j’ai été encouragé par la discussion qu’ils ont été capables de mener sur cet enjeu important.

Honorables sénateurs, il est temps de montrer notre soutien à nos jeunes en votant en faveur de ce projet de loi. Le vote est une tradition, une habitude. En incitant les jeunes à voter tôt, on augmente la probabilité qu’ils continuent de voter et peut-être qu’ils aillent plus loin dans leur engagement politique tout au long de leur vie.

Nous ne pouvons pas continuer de dire que les jeunes représentent l’avenir, de les féliciter pour la valeur de leur contribution à la société, mais leur refuser la possibilité d’agir directement et de faire partie d’un système qu’ils financent avec leur argent. Je vais donc voter pour le projet de loi S-209, et j’espère que vous vous joindrez à moi. Je vous remercie de votre attention. Meegwetch.

L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, je prends la parole pour exprimer mon appui au projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum relativement à l’âge de voter. Je veux remercier la sénatrice McPhedran et son personnel du vaillant travail qu’ils ont accompli en vue de présenter ce projet de loi et de permettre au Sénat de débattre de cette importante question.

Le débat entourant l’abaissement de l’âge de voter n’a pas commencé avec la présentation du projet de loi à l’étude. Au fil des ans, chaque fois que j’abordais la question, des gens me répondais des choses du genre « quand j’avais 16 ans, j’étais trop jeune et immature pour faire des choix éclairés » ou alors ils me parlaient d’un jeune de leur entourage qui ne s’intéressait pas à la politique et qui soit n’irait pas voter, soit voterait pour le mauvais candidat, selon eux, parce qu’il ne comprenait pas les enjeux politiques du moment. À ces personnes, je réponds que nous savons tous d’expérience que, lorsqu’une personne atteint l’âge de 18 ans, il n’y a pas d’interrupteur qui est activé pour lui donner les facultés mentales lui permettant de faire des choix éclairés et réfléchis dans divers domaines. Je suis certaine que nous avons tous en tête un ou deux exemples d’adultes au sujet de qui on pourrait faire le même genre de commentaires que ceux que je viens de rapporter.

Même si la loi fixe à 18 ans l’âge de majorité, les Canadiens de moins de 18 ans sont en mesure de faire un certain nombre de choses qui seraient considérées comme du domaine des adultes. Ils peuvent avoir une relation sexuelle consensuelle, conduire une voiture, payer des impôts et même s’enrôler dans la réserve des Forces armées canadiennes. Évidemment, il faut établir des âges pour un certain nombre d’actions, mais le consensus et le point de vue relativement aux actions qui devraient être permises à un âge précis évoluent. Ils changent au fil du temps, à mesure que notre société et notre culture évoluent. C’est pour cette raison que nous devons étudier sérieusement le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui.

J’aimerais prendre un moment pour parler des choses que les élèves au primaire et au secondaire apprennent à l’heure actuelle. Pour préparer mon discours, j’ai fait deux choses. J’ai rencontré des élèves du secondaire, qui représentaient plus de 60 000 élèves de la région issus de tous les milieux et j’ai examiné une poignée de descriptions de cours liés au civisme dans les écoles primaires et secondaires dans l’ensemble du Canada. Au fil de cette recherche, j’ai vu des demi-cours et des cours obligatoires assortis, entre autres, des attentes et des résultats suivants. Écoutez attentivement le langage employé et les buts qui s’y rattachent.

Tout d’abord, les élèves doivent appliquer les concepts de la pensée politique pour étudier, débattre et exprimer des opinions éclairées sur un éventail de questions et de développements politiques qui sont à la fois importants dans le monde d’aujourd’hui et qui présentent un intérêt personnel pour eux. Les élèves étudient la démocratie dans des contextes locaux, nationaux et mondiaux et la façon dont les décisions politiques sont prises au Canada. Les élèves doivent également se pencher sur des question importantes et influentes relatives à la vie civique dans les médias sociaux.

(1940)

Presque d’un bout à l’autre du pays, avant qu’ils aient terminé la 10e année, les élèves emploient des concepts associés à la pensée politique et usent d’un processus d’enquête politique pour examiner des questions d’importance civique. Ils peuvent décrire les valeurs clés de la citoyenneté démocratique et indiquer en quoi l’action citoyenne contribue au bien commun au Canada. Ils sont en mesure d’expliquer les rôles et responsabilités des diverses institutions, structures et personnalités de la gouvernance canadienne ainsi que de comprendre les droits et responsabilités associés à la citoyenneté au Canada et les façons dont ces droits sont protégés.

Je suis encore éblouie par un élève de 5e année qui continue de m’écrire par courriel pour critiquer la structure de gouvernance actuelle au Sénat. Lorsque je me suis informée de ce qu’il apprenait, il m’a dit que le fonctionnement du gouvernement fait partie du programme scolaire de la 5e année.

J’ai participé à une table ronde avec divers élèves représentant toutes les dimensions communautaires. C’est le travail le plus instructif que j’ai fait en préparation au débat d’aujourd’hui sur le projet de loi à l’étude. Les élèves se sont montrés passionnés et ouverts, ils ont exprimé leur désaccord et ils ont débattu de cette question de fond en comble, sous tous les angles. J’ai observé et animé le débat, mais au final, ce sont les participants qui ont transmis ce message important.

Aujourd’hui, les expériences locales et mondiales et la transmission instantanée de l’information font en sorte que les jeunes sont davantage informés, s’expriment mieux et jouent un rôle plus actif que ce que nous imaginons. Dans le cadre de mes diverses fonctions — apprenante, professeure, entraîneuse et maintenant sénatrice —, je suis constamment impressionnée par l’intelligence et l’engagement des jeunes Canadiens.

Un examen rapide de la recherche le confirme. Les jeunes Canadiens sont plus susceptibles de rechercher des informations sur une question ou un sujet politique ou de participer à une marche ou à une manifestation que les Canadiens de plus de 25 ans. Ils sont plus susceptibles d’avoir fait du bénévolat au cours des 12 derniers mois que leurs homologues plus âgés. Selon une étude, ils sont également 41 % plus susceptibles de s’engager dans des activités politiques informelles et, chose incroyable, 97 % d’entre eux sont plus susceptibles de s’engager dans une organisation civile que les Canadiens de 25 ans et plus.

Certains de mes collègues ont déjà indiqué que le fait de voter dès un jeune âge inculque aux Canadiens l’importance d’exercer leur droit de vote et de porter un jugement critique sur le candidat pour lequel ils votent. C’est plus important que jamais. Les médias sociaux et les services de nouvelles qui ne servent qu’à renforcer le point de vue d’un individu polarisent de plus en plus l’électorat du Canada. Fait inquiétant, selon un sondage Abacus réalisé il y a quelques années, environ un Canadien sur quatre affirme détester ses adversaires politiques. Nous devons apprendre à la prochaine génération de Canadiens à garder l’esprit ouvert et à considérer d’autres points de vue.

Les pays qui ont déjà abaissé l’âge minimal requis pour voter, comme l’Écosse et l’Autriche, ont constaté des résultats positifs relatifs à l’engagement politique des jeunes. Si les données probantes le confirment, l’idée mérite d’être poursuivie.

Chers collègues, le projet de loi nous est présenté à ce moment crucial de notre histoire. Même avant la pandémie, on avait l’impression que le monde était à un tournant à bien des égards. La COVID-19 a fait monter encore plus les enjeux. Dans les prochaines années, les gouvernements prendront des décisions qui auront des répercussions pendant des décennies et qui toucheront non seulement les jeunes Canadiens d’aujourd’hui, mais aussi leurs enfants. Je pense qu’il serait tout à fait normal que nous renvoyions le projet de loi au comité, où l’idée pourra être examinée et étudiée comme il se doit. Nous devons au moins cela aux jeunes Canadiens.

Merci, meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Dasko, au nom de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice McPhedran, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-213, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres.

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, j’aborderai aujourd’hui le projet de loi S-213. En vertu de ce projet de loi, le ministre des Femmes et de l’Égalité des genres serait tenu d’examiner les effets possibles des projets de loi sur les femmes, surtout sur les femmes autochtones. J’aimerais remercier la sénatrice McCallum d’avoir présenté ce projet de loi et d’avoir travaillé si fort chaque jour, lors des débats dans cette enceinte et lors de ses rencontres avec les sénateurs, pour défendre les droits des femmes, des Autochtones et d’autres groupes de personnes marginalisées.

En ce qui concerne ce projet de loi, sénatrice McCallum, nous devons souligner votre persévérance pour que la législation du Canada rende justice aux réalités que vivent les femmes autochtones.

Notre débat actuel sur le projet de loi C-7 a mis l’accent sur le besoin fondamental de tenir compte des enjeux en matière de féminisme, d’invalidité et d’ethnicité quand nous examinons des projets des lois. Les systèmes pénal, juridique et carcéral sont d’autres exemples flagrants qui démontrent cette nécessité.

En 1988, le rapport Daubney a sonné l’alarme au sujet de la crise de la surreprésentation des Autochtones dans les pénitenciers. En 1992, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été promulguée et présentée comme une loi axée sur les droits de la personne, dont l’un des objectifs était de réduire la population autochtone dans les prisons. En 1996, le Code criminel a été amendé pour obliger les juges à considérer en priorité d’autres sanctions que l’incarcération, surtout pour les Autochtones.

Malgré ces réalités, en 1999, lorsque la Cour suprême du Canada est intervenue, 12 % des prisonniers condamnés à l’échelle fédérale étaient autochtones. Aujourd’hui, ce chiffre s’élève à 32 %, et si l’on considère uniquement les femmes, il s’élève à 44 %. Les deux tiers des femmes incarcérées dans les prisons fédérales sont des mères qui assument les responsabilités parentales. Leur incarcération perpétue des décennies de politiques de séparation forcée, notamment des enfants autochtones de leurs parents, de retrait des enfants par l’État et de pratiques et politiques discriminatoires en matière de protection de l’enfance.

Les dispositions législatives adoptées par le Parlement ont indéniablement contribué à la surreprésentation des femmes autochtones dans la population carcérale ainsi que parmi les femmes qui vivent dans la pauvreté, qui souffrent de déficiences, qui sont sans abri ou qui sont disparues, mourantes ou décédées.

Depuis l’élimination du Régime d’assistance publique du Canada en particulier, nous avons assisté à l’éviscération du filet de sécurité sociale, économique et sanitaire du Canada. Un trop grand nombre de personnes ont été abandonnées à la pauvreté, à l’itinérance ou au système auquel on a fini par s’en remettre, c’est-à-dire, bien sûr, les systèmes juridique et pénal, pour s’occuper des personnes les plus à risque ou qui vivent en marge de la société.

Parallèlement, le nombre de mesures de détermination de la peine a connu une croissance exponentielle : dans le droit pénal, le nombre de peines minimales obligatoires est passé d’environ 10 à près de 72. Les peines minimales obligatoires empêchent les juges d’accomplir leur travail, qui est de tenir compte de la situation du délinquant et des circonstances de l’infraction, puis de se demander si d’autres types de peine ne conviendraient pas mieux, notamment lorsqu’il est question de reconnaître et de corriger les torts causés par le colonialisme et le racisme systémique dans la vie des Canadiens autochtones, noirs, de couleur et handicapés.

C’est pourquoi la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont formulé des appels à l’action sur les peines minimales obligatoires. Il y a aussi eu une augmentation des frais, des délais d’attente et des exigences liés aux demandes visant à se libérer du fardeau que représente le casier judiciaire, ce qui permet aux gens de tourner la page et de réussir leur réinsertion sociale. Les casiers judiciaires empêchent d’accéder à des emplois, à des possibilités d’éducation, à des occasions de bénévolat, à des logements, voire à des soins de longue durée. Il s’ensuit de la marginalisation, des préjugés et de la pauvreté, non seulement pour les femmes non autochtones et autochtones qui ont déjà été déclarées coupables et qui ont depuis longtemps subi les conséquences de leurs actes, mais aussi pour leurs enfants et leur famille.

L’histoire d’une jeune Autochtone qui a été condamnée récemment après avoir plaidé coupable d’actes qu’elle a commis lorsqu’elle était adolescente, sur le point de devenir adulte, a mis tristement en évidence les résultats inéquitables du système juridique actuel et des structures qui s’y rattachent. Cette jeune femme occupait un emploi au salaire minimum, mais puisque son revenu, ses avantages sociaux et ses soutiens sociaux et économiques étaient insuffisants pour qu’elle puisse subvenir à ses besoins, elle a commencé à trafiquer des stupéfiants.

Tel que permis, voire encouragé, par les mesures sévères de détermination de la peine, comme l’imposition des peines minimales obligatoires, prévues dans le Code criminel, la Couronne cherchait à obtenir une peine d’emprisonnement pour cette jeune femme. Elle avait accepté la responsabilité des torts qu’elle avait causés et elle s’efforçait de les réparer au sein de plusieurs communautés, dont la sienne. Si on l’avait envoyée en prison, cela l’aurait privée de sa relation avec son enfant, de son logement et de l’emploi qu’elle avait trouvé. Une peine d’emprisonnement n’aurait absolument pas été avantageuse pour personne.

Au bout du compte, elle a eu une peine suspendue, ce qui veut dire que même si elle doit porter le fardeau d’un casier judiciaire, elle a échappé à une peine d’emprisonnement pour une erreur qu’elle avait commise à un très jeune âge et qu’elle continue de tenter de réparer, ce qui aurait été un simulacre de justice.

Le projet de loi S-213 permettrait de veiller à ce que nous ne perdions pas de vue les conséquences des lois que nous adoptons.

(1950)

Alors que les projets de loi d’intérêt public du Sénat S-207 et S-208, qui ont été présentés l’automne dernier dans le but de contribuer à l’élimination des inégalités, du racisme et du sexisme systémiques associés, respectivement, aux peines minimales obligatoires et au casier judiciaire, le projet de loi S-213 permettrait d’obtenir des données d’analyse qui aideraient les parlementaires à analyser l’effet de ces phénomènes sur les femmes, particulièrement sur les femmes autochtones.

Contrairement aux énoncés concernant la Charte instaurés par le gouvernement fédéral il y a quelques années, le projet de loi S-213 s’appliquerait non seulement aux mesures législatives du gouvernement, mais aussi aux projets d’initiative parlementaire, lesquels nécessiteraient une analyse lorsqu’ils seraient renvoyés au comité. Dans le cas des mesures législatives du gouvernement, les renseignements exigés par le projet de loi S-213 serviraient de complément aux énoncés concernant la Charte.

Pendant la dernière législature, l’énoncé concernant la Charte associé au projet de loi C-83 sur l’isolement cellulaire dans les pénitenciers fédéraux nous a permis de constater, de façon frappante, qu’il nous faut plus de détails sur les inégalités auxquelles sont confrontées les femmes, en particulier les femmes autochtones. En effet, alors que ces enjeux n’étaient pas abordés dans l’énoncé concernant la Charte, des témoins ont expliqué au comité sénatorial chargé de cette étude quelles personnes se retrouvaient le plus souvent en isolement. Ces témoignages ont remis en question les hypothèses selon lesquelles il était nécessaire d’avoir recours à des périodes de séparation et d’isolement néfastes et semblables à de la torture pour gérer les « problèmes de sécurité ».

En effet, on a constaté qu’environ la moitié des femmes mises en isolement sont autochtones et presque autant souffrent de troubles mentaux invalidants. Des recherches menées par les services correctionnels du Canada ainsi que la Commission des libérations conditionnelles du Canada révèlent que les femmes, en particulier les femmes autochtones qui ont été maltraitées toute leur vie et celles qui ont des troubles mentaux, ne présentent que peu, ou pas, de menace pour la sécurité publique. La discrimination systémique leur fait plutôt subir la marginalisation, la criminalisation et l’institutionnalisation de manière disproportionnée. En détention, la discrimination se poursuit en raison des outils d’évaluation employés, de la classification et des politiques qui limitent subséquemment leur accès à des programmes et à des services.

En réponse à ces conclusions, entre autres, le Sénat a amendé le projet de loi C-83 afin de prévoir des mécanismes de surveillance et de reddition de comptes, en plus de favoriser le recours aux options de libération visant à réduire le nombre de détenus autochtones et noirs ainsi que le nombre de détenus ayant des problèmes de santé mentale.

Le projet de loi C-83 a été présenté comme une solution pour mettre fin à l’isolement dans les prisons fédérales, mais c’est tout le contraire. En effet, comme le révèle les travaux du groupe consultatif du ministère qui surveille la mise en œuvre du projet de loi, des personnes continuent d’être mises dans des conditions qui se résument à la mise en isolement et à la torture, et les femmes autochtones sont surreprésentées parmi ces personnes. Cette tendance s’est exacerbée durant la pandémie de COVID-19, au cours de laquelle des prisons entières ont été illégalement mises en confinement et la plupart des détenus placés dans des conditions d’isolation et de confinement interdites par le projet de loi C-83.

Récemment, le projet de loi C-7 et la crise de la COVID-19 ont tout deux exposé au grand jour de grandes inégalités concurrentes façonnées par les politiques sanitaires, sociales et économiques du Canada. Ces inégalités montrent le besoin vital pour le genre d’optique proposé par le projet de loi S-213. Depuis le début de la pandémie — et c’était le cas même avant —, les femmes et les femmes autochtones sont plus susceptibles de vivre sous le seuil de la pauvreté et d’occuper un emploi précaire, risquent davantage de perdre leur emploi et d’être inadmissibles à l’assurance-emploi, ont davantage tendance à effectuer du travail non rémunéré pour prendre soin d’un proche, qu’il s’agisse d’un enfant, d’un aîné ou d’une personne handicapée, et risquent davantage de subir de la violence familiale ou des mauvais traitements.

Les appels lancés publiquement pour réclamer des lois, des politiques et des pratiques plus adaptées, plus transparentes et assorties d’une reddition de comptes accrue sont évidents dans tout ce que nous faisons et sont actuellement mis en évidence par notre examen de l’incidence de décennies de négligence en ce qui a trait à nos systèmes sociaux, économiques et de santé.

Tandis que nous envisageons d’autres débats, nous devons être à l’écoute des femmes marginalisées, y compris des femmes handicapées et des femmes autochtones. Beaucoup signalent que nous risquons d’aggraver toutes sortes de problèmes intersectionnels lorsque nous n’examinons pas l’intersectionnalité des soutiens économiques, sociaux et sanitaires — ou, plus précisément, leur insuffisance — et que nous ne faisons pas en sorte que la qualité de vie promise par l’article 15 de la Charte soit accessible et offerte à tous.

Grâce à une analyse rigoureuse de l’incidence des projets de loi sur les personnes les plus marginalisées, nous serons mieux en mesure d’adopter des projets de loi qui honorent la promesse du gouvernement de « rebâtir en mieux » et de ne laisser personne pour compte. Le projet de loi S-213 nous permettrait d’être mieux outillés afin que les mesures législatives que nous adoptons mènent à une société plus juste et plus équitable pour tous.

Meegwetch, merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je parlerai aujourd’hui du projet de loi S-213, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres. Je remercie d’ailleurs la sénatrice McCallum de l’avoir présenté, car elle a fait preuve de vision.

Ce projet de loi est aussi simple que les réclamations traditionnelles des femmes, car il permet de se poser la question suivante : en quoi cette politique ou ce processus influeront-ils sur les hommes et sur les femmes? Aussi simple soit-il, il est malgré tout porteur d’une transformation immense qui pourrait changer la vie de tous les Canadiens, et pour le mieux.

Pendant son émouvant discours à l’étape de la deuxième lecture, la sénatrice McCallum a surtout parlé des femmes autochtones et du fait que ce projet de loi permettra de corriger une anomalie à l’origine de trop nombreuses tragédies.

Les analyses comparatives entre les sexes aident le gouvernement à comprendre les facteurs qui, dans les politiques et les projets de loi qu’il entend proposer, risquent d’avoir des répercussions sur les femmes. Il permet de connaître l’effet que tel ou tel projet public aura sur elles et de prendre en considération la réalité et les besoins des deux sexes. Il tient aussi compte d’autres facteurs comme l’âge, la race et les limitations fonctionnelles.

En ratifiant la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, en 1995, le Canada s’est engagé à avoir recours aux analyses comparatives entre les sexes. Pourtant, dans un rapport publié en 2015, le vérificateur général concluait que les ministères et organismes gouvernementaux du Canada en faisaient un usage incomplet ou s’en servaient mal, et ce, c’est s’ils l’utilisaient, point.

Bien que le gouvernement du Canada actuel se soit engagé à réaliser une analyse comparative entre les sexes dans tous les ministères et les organismes gouvernementaux, comme la sénatrice Boyer l’a mentionné dans son discours, une telle analyse est entreprise à la discrétion et selon le bon vouloir du gouvernement. Rien n’oblige le gouvernement à entreprendre cette analyse. Ce n’est pas une mesure durable et cela ne suffit pas à assurer l’égalité des sexes en tout temps.

Nous connaissons la réalité des femmes en grande partie, mais la loi ne la reflète pas toujours. Par exemple, nous savons que le taux d’emploi des femmes demeure inférieur à celui des hommes. Nous savons que les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’occuper un poste temporaire ou à temps partiel. Nous savons que les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’obtenir un horaire de travail réduit ou de s’absenter du travail pour offrir des soins à un proche. Nous savons que 26 % des familles avec une mère célibataire vivent avec un faible revenu, comparativement à 13 % pour les familles avec un père célibataire. Les femmes sont plus touchées par les écarts en matière de rémunération, notamment les femmes racialisées, noires et autochtones.

En 2006, le Conseil canadien pour les réfugiés a publié une analyse comparative entre les sexes à l’égard de l’établissement. Cette recherche comprenait diverses questions devant être posées au moment de planifier des initiatives ou des projets de loi. Je doute cependant que nous ayons la moindre idée de l’impact que nous pourrions créer en réalisant une analyse approfondie. Les chercheurs ont soulevé des questions très pertinentes quant à la différence entre les sexes associée à certains enjeux d’établissement.

Dans le contexte de l’immigration, les politiques et les pratiques ont des répercussions différentes selon les groupes de réfugiés ou d’immigrants. On constaterait toute une différence si une analyse comparative entre les sexes était toujours réalisée. Nous savons que les pires situations concernent les femmes célibataires, les veuves et celles qui n’ont nulle part où aller. Elles doivent faire partie de l’analyse comparative entre les sexes.

De nos jours, alors que les iniquités sociales et fondées sur le sexe sont mises en lumière en raison de la pandémie, ce projet de loi est essentiel pour faire en sorte que les femmes ne soient pas oubliées, en particulier les femmes autochtones, racialisées et noires.

(2000)

Selon un mémoire des Nations unies sur les politiques, dans tous les domaines, y compris la santé, l’économie, la sécurité ou la protection sociale, les femmes et les filles ont été plus durement touchées par les effets de la pandémie de COVID-19 en raison de leur sexe.

La Commission canadienne des droits de la personne a fait des observations semblables. Cependant, pour les femmes autochtones, la situation était encore pire. L’Alliance féministe pour l’action internationale, un organisme canadien, et Pamela Palmater, titulaire de la chaire de gouvernance autochtone de l’Université Ryerson, ont publié un rapport qui fait état de la détérioration des conditions socioéconomiques et de l’augmentation des cas de violence fondée sur le sexe, d’exploitation, de disparition et d’assassinat chez les femmes et les filles autochtones.

Avec le projet de loi S-213, on pourra s’assurer que toutes les politiques gouvernementales prennent en considération les conséquences démesurées subies par les femmes. Par exemple, les mesures proposées pour la relance après la pandémie pourront être soumises à une analyse des effets sur les femmes, plus particulièrement les femmes autochtones, les femmes racialisées et les femmes noires. Si on peut soumettre tous les projets de loi à une analyse comparative entre les sexes, cela améliorera la vie de tous les Canadiens.

Honorables sénateurs, nous avons appris récemment que, même si le gouvernement a mené des analyses comparatives entre les sexes, celles-ci n’incluaient pas les femmes racialisées. Il y a beaucoup de travail à faire, et je remercie la sénatrice McCallum de cette initiative très importante. Merci.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Loi de l’impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Ratna Omidvar propose que le projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (utilisation des ressources), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-222, Loi sur l’efficacité et la responsabilité des organismes de bienfaisance.

Ce projet de loi modifie la Loi de l’impôt sur le revenu qui prévoit actuellement que les organismes de bienfaisance enregistrés doivent dépenser leurs dons pour leurs propres activités seulement. Les organismes de bienfaisance peuvent, bien évidemment, faire des dons ou verser des subventions à d’autres organismes de bienfaisance, mais, autrement, le libellé actuel de la loi les empêche de consacrer leurs ressources à des activités qu’elles ne mènent pas elles-mêmes.

Cependant, à mon avis, nous sommes tous d’accord pour dire que, dans certains cas, la meilleure façon pour un organisme de bienfaisance de réaliser des fins de bienfaisance, c’est de collaborer avec des organismes d’autres types, comme les groupes à but non lucratif, les entreprises sociales, les coopératives, les groupes de la société civile et les entreprises, qui sont sur le terrain et qui peuvent se révéler les meilleurs partenaires pour avoir les effets escomptés. Honorables sénateurs, c’est vrai pour les organismes de bienfaisance qui œuvrent au Canada et à l’international.

Prenons un exemple au Canada. Le YWCA reçoit des dons de bienfaisance des Canadiens. Il peut verser ces sommes sous la forme de subventions à d’autres organismes de bienfaisance ou les utiliser pour mener ses propres projets et programmes. Cette approche est justifiée par la nécessaire reddition de comptes en ce qui concerne les dons de bienfaisance exemptés d’impôt. Jusque-là, tout va bien. Je ne pense pas que quiconque mettra en cause l’importance de la reddition de comptes.

Cependant, qu’arrive-t-il si le YWCA veut travailler, disons, avec des Afghanes qui parlent peu ou pas l’anglais pour les aider à acquérir des connaissances financières? En l’occurrence, la meilleure solution pourrait être de travailler avec un groupe local d’Afghanes, qui pourrait ne pas être un organisme de bienfaisance, mais plutôt un organisme sans but lucratif. Dans ce cas, puisque la Loi de l’impôt sur le revenu prescrit que les organismes de bienfaisance doivent consacrer leurs dons de bienfaisance à leurs « propres activités », les lignes directrices de l’Agence du revenu du Canada sur cette loi s’appliquent. L’agence précise que, lorsque les organismes de bienfaisance versent des dons de bienfaisance exemptés d’impôt à d’autres types d’organismes, ils doivent maintenir « la direction et le contrôle » de tout le travail qu’ils effectuent ensemble afin que les activités menées par l’organisme non caritatif soient considérées théoriquement comme des activités de l’organisme de bienfaisance. L’Agence du revenu du Canada cherche ainsi à assurer la conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu.

Comme l’ont dit Terrance Carter et Theresa Man, deux avocats très connus se spécialisant dans le secteur des organismes de bienfaisance, cette façon de procéder est démodée, pas pratique, inefficace, excessivement coûteuse et impopulaire. De plus, elle ne répond pas aux objectifs de la mesure législative. Elle repose sur la fausse croyance que tout ce qu’un organisme de bienfaisance fait par l’intermédiaire d’un tiers doit être structuré comme l’activité de l’organisme de bienfaisance quand toutes les parties concernées savent que c’est celle du tiers. C’est là où la fiction juridique entre en scène.

Ce sont les faits, chers collègues. Tout cela peut sembler passablement technique, mais il y a des impacts démesurés pour les organismes de bienfaisance. Vous m’entendrez parler de l’expression « propres activités » de la loi et de « direction et contrôle » en ce qui concerne les directives énoncées par l’Agence du revenu du Canada. Ces quatre mots — propres activités, direction et contrôle — ont des incidences à grande échelle pour les organismes de bienfaisance et déterminent avec qui ils peuvent travailler et de quelle manière, ce qui a pour effet de limiter l’étendue de l’offre caritative possible.

Dans le rapport du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance, adopté à l’unanimité par le Sénat l’année dernière, le comité a indiqué que cette approche — qui vise à assurer une reddition de compte quant aux sommes libres d’impôt dans le secteur de la bienfaisance — était coûteuse, inefficiente et incompatible avec les valeurs contemporaines d’établissement de partenariats égaux, d’inclusion et de prise de décision par les instances locales.

Le comité a donc recommandé de délaisser cette approche, ainsi que les expressions « propres activités » et « direction et contrôle » et de passer à un nouveau régime qui sera meilleur, plus efficace et plus efficient, sans toutefois sacrifier les mesures relatives à la reddition de comptes.

Le secteur caritatif — et j’entends par là les nombreux organismes de bienfaisance répartis dans tout le pays et oeuvrant au Canada et à l’étranger — appuie sans réserve cette recommandation. Ce sont notamment Imagine Canada, la plus grande organisation sectorielle d’organismes de bienfaisance du Canada; Coopération Canada, l’organisme-cadre, au Canada, qui regroupe les organismes de bienfaisance engagés dans le développement international; le Canadian Centre for Christian Charities; Centraide Canada, ainsi que 37 des meilleurs avocats spécialisés dans le secteur caritatif au Canada. Ces derniers ont demandé le mois dernier un changement à cette loi dans une lettre ouverte. Pas plus tard que la semaine dernière, le comité consultatif sur le secteur caritatif pour le ministère du Revenu national a déposé son propre rapport, qui souligne lui aussi l’urgence de retirer de la loi les termes d’« activités propres ».

Beaucoup m’ont dit que, parmi les 42 recommandations très importantes que le Sénat a présentées dans son rapport, c’est celle-là qui nécessite une action immédiate. Donc, d’une certaine manière, chers collègues, je joue un peu le rôle ici de leur mandataire, en ce qui concerne cette mesure législative.

Cependant, je tiens aussi à souligner que ces règles juridiques sont une parfaite expression du racisme systémique qui trouve sa place dans le droit canadien. Comme on l’a entendu en comité plénier, au débat d’urgence et à l’interpellation déposée par le sénateur Plett sur le racisme, le racisme systémique est difficile à détecter. Il est profondément enraciné, il n’a peut-être pas de cibles toutes trouvées, il est inconscient, il se cache dans les coins poussiéreux des institutions, et pourtant, il a des conséquences démesurées sur certains groupes marginalisés.

Les choses n’ont pas toujours été ainsi. Cette disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu a vu le jour dans les années 1950 afin que les organismes de bienfaisance et les fondations ne puissent pas se renvoyer continuellement les dons entre elles, sans que l’argent ne profite jamais à la population. Or, même si au départ, elle visait à empêcher les transactions intéressées, elle a fini par avoir un effet imprévu en étouffant la collaboration et la coopération entre les organismes de bienfaisance et les autres. Résultat : un système qui oblige les organismes de bienfaisance soit à se comporter de manière contrôlante et oppressive afin de se conformer aux exigences législatives, soit à renoncer à faire le bien.

Je vous donne un exemple précis, chers collègues. Un exemple qui illustre en détail en quoi ce système est inefficace, improductif et coûteux et en quoi il constitue une forme de racisme systémique profond. Je vais illustrer ce que j’essaie de dire en mettant l’accent sur trois scénarios différents.

(2010)

J’aimerais d’abord parler des répercussions de cette loi sur les dons accordés aux organisations autochtones ou à d’autres agents de changement qui ne sont pas des organismes de bienfaisance. Dans la plupart des cas, les organisations autochtones qui ne sont pas des conseils de bande ou toute autre forme de gouvernement local ne sont pas des organismes de bienfaisance enregistrés. Ainsi, la seule façon pour elles d’obtenir des dons de bienfaisance est de conclure une entente très compliquée et onéreuse avec un organisme de bienfaisance, qui joue le rôle d’intermédiaire. En vertu de cette entente, l’organisme de bienfaisance qui verse les fonds doit exercer une direction et un contrôle sur les activités de l’organisme sans vocation de bienfaisance qu’il finance.

Nul besoin de vous dire ce que signifient les termes « direction » et « contrôle » pour les organisations autochtones et les peuples autochtones. Toute propriété intellectuelle découlant de cette entente appartient exclusivement à l’organisme de bienfaisance et non à l’organisation autochtone, à quelques minces exceptions près. Toutes les déclarations publiques, y compris les communiqués de presse, doivent être approuvées par l’organisme de bienfaisance assurant le financement. Chaque poste budgétaire doit être approuvé et réapprouvé par l’organisme de bienfaisance. L’organisation sans vocation de bienfaisance peut être tenue de fournir des reçus et des photographies, de se soumettre à des inspections sur place, de fournir des procès-verbaux de réunions et des comptes rendus écrits de décisions, etc. Tout document juridiquement contraignant doit être signé par l’organisme de bienfaisance, y compris les baux, les contrats, et ainsi de suite. Parfois, les organisations autochtones peuvent même être contraintes d’apporter des modifications à leur personnel si l’organisme de bienfaisance le lui demande. Chers collègues, il ne s’agit pas ici d’un partenariat, mais bien d’une prise de contrôle.

Il n’est donc pas surprenant que beaucoup d’organismes de bienfaisance hésitent à financer des causes autochtones en raison de la complexité des règlements et de la crainte d’offenser les Premières Nations. Selon le Cercle sur la philanthropie et les peuples autochtones au Canada, très peu de subventions sont accordées aux groupes et aux causes autochtones. Seulement 6 % des fondations canadiennes qui accordent des subventions en donnent à des bénéficiaires ou à des causes autochtones. Il n’est pas étonnant que beaucoup de partenaires autochtones considèrent la loi et son application comme étant encore une autre forme de racisme flagrant et systémique.

Darcy Wood, directeur général de l’organisme à but non lucratif winnipegois Aki Foods et ancien chef de la première nation de Garden Hill, a fait valoir que la loi est coloniale et paternaliste, en plus d’être excessivement bureaucratique. Elle envoie le message qu’on ne peut pas faire confiance aux organismes autochtones pour dépenser convenablement de l’argent.

Deuxièmement, permettez-moi de décortiquer la façon dont ces mécanismes sont appliqués de manière très similaire aux communautés racialisées. J’ai travaillé par le passé avec un organisme sans but lucratif exemplaire de Toronto, le Black Daddies Club. Il a pour objectif de changer l’image de père absent accolée aux Noirs dans les médias. Il aide les jeunes hommes à devenir de meilleurs pères et à épauler les enfants et les familles noirs, de même que leur collectivité au sens large. Puisqu’il ne s’agit pas d’un organisme de bienfaisance, il connaît les mêmes difficultés que les organisations autochtones au moment de collaborer avec des organismes de charité. Le Black Daddies Club doit ainsi conclure une entente élargie et compliquée avec des intermédiaires. Parfois, il doit même accepter d’être embauché par l’organisme de bienfaisance en question. Autrement dit, le Black Daddies Club doit lui aussi accepter d’être dirigé et contrôlé. Comme toutes les autres organisations dans la même situation, il doit consentir à transférer sa propriété intellectuelle à l’organisme de bienfaisance.

Comme vous pouvez le voir, chers collègues, cette façon de faire compromet autant l’organisme de charité que l’organisme sans vocation de bienfaisance. En effet, l’organisme de charité doit assumer toutes les responsabilités associées à la gouvernance fiduciaire et aux ressources humaines, de même que l’ensemble des obligations et des risques connexes.

De son côté, l’organisme sans vocation de bienfaisance doit céder le contrôle du projet à l’organisme de charité. Personne n’est gagnant dans ce scénario. Tous s’en trouvent amoindris.

Enfin, j’aimerais vous parler de plusieurs organismes de bienfaisance canadiens qui œuvrent à l’étranger et pour lesquels ce genre de travail est une réalité quotidienne. Certains organismes de bienfaisance canadiens apportent leur aide dans des endroits très éloignés dans le monde et ils fournissent des services de santé, d’éducation et de logement ainsi que d’autres services dont la population locale a besoin. Nous pouvons offrir un don à ces organismes. Les organismes de bienfaisance internationaux ayant un siège social situé au Canada sont tenus de collaborer avec des partenaires locaux, ce qui nécessite parfois certaines contorsions afin de demeurer à l’intérieur des limites de la loi. Ils doivent parvenir à des accords intermédiaires, ce qui est excellent, mais ils doivent ensuite montrer que ce sont eux qui ont les commandes d’un organisme situé à des milliers de kilomètres à l’étranger. Cela implique non seulement des frais juridiques, le coût de la formation des parties de l’accord, des documents énonçant les politiques, des protocoles et des processus distincts, mais également la planification et les importants coûts associés à une charge administrative considérable. Une partie de ce qu’il en coûte pour tout cela pourrait être utilisée directement à des fins caritatives.

Par exemple, je vais raconter l’expérience de la Bourse du samaritain du Canada, qui est affiliée aux organismes de bienfaisance de Billy Graham. Dans le cadre de ses activités caritatives, la Bourse du samaritain gère un programme de 300 000 $ au Népal pour fournir des services de santé essentiels à des enfants, notamment des soins médicaux vitaux à environ 200 enfants par année. L’organisme collabore avec sept partenaires locaux pour assurer la prestation du programme.

Étant donné que, au titre de la loi canadienne, ces partenaires locaux ne sont pas des organismes de bienfaisance, la Bourse du samaritain doit les diriger et les contrôler. Pour se conformer aux exigences de l’Agence du revenu du Canada, la Bourse du samaritain est tenue d’avoir un contrat de mandat distinct avec les sept organismes locaux. Pour ce faire, il faut un système financier différent et 22 paiements périodiques, et les organismes doivent soumettre 38 rapports distincts. Étant donné qu’il y a sept organismes, le processus est sept fois plus compliqué que nécessaire.

Des organismes de bienfaisance m’ont indiqué que les risques, le fardeau administratif et les obligations sont trop importants pour eux. De plus, les organismes de bienfaisance du Canada ne peuvent pas de façon réaliste joindre leurs efforts à ceux d’organismes de bienfaisance étrangers, alors que des organismes de bienfaisance du Royaume-Uni, des États-Unis et de l’Australie, par exemple, le font pour s’attaquer à d’importantes questions de développement international. Les organismes de bienfaisance du Canada en sont incapables parce qu’ils ne peuvent pas concrètement remplir des fonctions de direction et de contrôle au sein d’un fonds commun. Par conséquent, nous ratons l’occasion de nous joindre à des efforts de bienfaisance collectifs visant à régler un problème précis.

De plus — et je trouve que c’est un résultat vraiment intéressant —, le Canada se prive de la possibilité d’accueillir sur son territoire des organismes de bienfaisance internationaux avec leur siège social, ce qui créerait de nombreux emplois. Par exemple, je crois savoir que, lorsque Oxfam voulait quitter Oxford, au Royaume-Uni, et qu’il cherchait un nouvel endroit pour son siège social, Montréal avait été envisagée, et ce, pour de très bonnes raisons. Cependant, dès qu’Oxfam a découvert qu’en s’installant au Canada, il serait soumis à cette loi complexe, il a préféré étudier d’autres endroits.

Alors que le reste du monde s’éloigne du colonialisme et se tourne vers le développement participatif, notre loi nous empêche de le faire. Voilà un autre exemple de la façon dont le racisme systémique se manifeste. Tout le pouvoir est entre les mains de l’organisme de bienfaisance canadien, qui est forcé de participer à cette contorsion juridique, et perpétue ainsi le terrible héritage du colonialisme et de l’emprise du Nord sur le Sud.

Je vous propose une autre solution qui permettrait d’accroître l’efficience et l’efficacité et de responsabiliser les partenaires, et ce, sans sacrifier la reddition de comptes.

Avant de vous en parler, je vais répondre à une question que vous pourriez raisonnablement vous poser. Pourquoi tous ces organismes ne deviennent-ils pas simplement des organismes de bienfaisance? La réponse n’est pas simple. D’abord, les groupes à l’étranger ne seront pas admissibles au statut d’organisme de bienfaisance canadien parce que l’organisme doit résider sur le territoire canadien.

Les coopératives et les entreprises sociales ne sont pas admissibles parce que leur vocation n’est pas exclusivement axée sur la bienfaisance. Les mouvements sociaux, comme Black Lives Matter, ont un caractère spontané et ils ne sont pas admissibles parce que ce ne sont pas des organisations à proprement parler, mais bien des mouvements. Concernant les organismes sans but lucratif, un grand nombre ne sont pas considérés comme des organismes de bienfaisance étant donné que la reddition de comptes qui accompagne cette désignation est hors de leur portée. Le Black Daddies Club, par exemple, est essentiellement un tout petit regroupement de bénévoles qui n’ont pas la capacité de gérer le statut d’organisme de bienfaisance.

Finalement, chers collègues, comme la définition de la bienfaisance au Canada n’a pas évolué depuis son inscription dans la loi, nous sommes pris à l’époque élisabéthaine. Les quatre critères de la bienfaisance sont demeurés inchangés depuis des décennies : le soulagement de la pauvreté, l’avancement de l’éducation, l’avancement de la religion ou d’autres fins. D’autres pays, comme l’Australie, ont modernisé leur définition de ce qu’est la bienfaisance. Or, le rapport sénatorial sur le secteur de la bienfaisance a déterminé le besoin urgent de permettre l’évolution de la définition de la bienfaisance. D’ici à ce que ce soit fait, nous sommes à la merci de la vieille définition à laquelle ne correspondent pas de nombreux organismes que j’ai mentionnés.

(2020)

Quelle serait donc la solution? Je propose de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu de manière à délaisser la notion de « propres activités » pour parler plutôt d’« utilisation responsable des ressources ». Le projet de loi que vous avez sous les yeux est très simple, malgré sa longueur et son apparente complexité. Il accomplirait trois choses.

Tout d’abord, il remplace les références aux « activités de bienfaisance qu’elle mène elle-même » par « activités de bienfaisance ». Comme cette notion des « propres activités » revient à de nombreuses reprises dans la loi, le projet de loi est long, mais 90 % de son contenu porte sur ce changement.

Ensuite, il modifie un article de la loi de manière à élargir la définition d’« activité de bienfaisance » afin que les organismes de bienfaisance puissent utiliser leurs ressources à des fins de bienfaisance s’ils prennent des mesures raisonnables.

Enfin, il ajoute à la loi un article important afin d’expliquer le sens des « mesures raisonnables ». D’autres articles portent sur les examens et sur l’entrée en vigueur.

À l’époque actuelle, les organismes de bienfaisance et les autres types d’organismes doivent pouvoir collaborer, mais il faut prévoir des mesures de sauvegarde pour éviter les activités répréhensibles. L’utilisation responsable des ressources donnera aux organismes de bienfaisance et aux autres organismes plus de moyens d’agir tant au Canada qu’à l’étranger, et ce, sans affaiblir la reddition de comptes liée à l’utilisation des dons de bienfaisance.

Cette approche amène les organismes de bienfaisance à axer leurs efforts sur la prise de mesures raisonnables et adéquates pour faire en sorte que leurs ressources soient consacrées à des fins de bienfaisance, plutôt que sur le contrôle continu des activités opérationnelles. Elle offre à l’Agence du revenu du Canada un cadre de travail fiable dont les fonds et les ressources généreront rapidement des bénéfices tout en protégeant l’aide fiscale que reçoivent les organismes de bienfaisance.

Chers collègues, je tiens à être parfaitement claire. La reddition de comptes pour l’argent exempté de l’impôt est primordiale. Les organismes caritatifs feront pleinement preuve de diligence raisonnable dès le départ, élaboreront des accords sur les résultats attendus et les activités, les budgets, la production de rapports et les échéanciers. Les organisations non caritatives devront pleinement rendre des comptes aux organismes de bienfaisance sur l’argent reçu et devront faire rapport sur l’utilisation des fonds conformément aux échéanciers convenus. Une fois ces accords terminés, les organisations non caritatives feront rapport aux organismes de bienfaisance sur la manière dont l’argent a été dépensé ou dont les ressources ont été utilisées, et sur les progrès accomplis, en termes de résultats et d’impact, mais l’organisation non caritative ne sera pas contrôlée par l’organisme de bienfaisance. La gestion du projet revient à l’organisation non caritative.

Ainsi, la loi modifiée permettra aux organismes de bienfaisance de s’éloigner de la direction et du contrôle en tant que mesure de reddition de comptes, pour plutôt exercer d’emblée la diligence raisonnable, le contrôle des finances et la production de rapports. La loi n’exigera plus que l’organisme de bienfaisance agisse en tant que gestionnaire de projet, comme si l’activité était celle de l’organisme de bienfaisance lui-même alors que nous savons tous qu’il n’en est rien.

L’avantage de travailler avec les organisations sans vocation de bienfaisance, c’est qu’elles sont sur le terrain. Elles connaissent mieux la collectivité ou la situation, et elles sont les mieux placées pour déterminer comment utiliser les fonds. Le secteur de la bienfaisance a besoin d’avoir l’assurance que l’argent sera dépensé à des fins de bienfaisance. Il est donc tout à fait justifié de prévoir des mesures de reddition de comptes sur l’utilisation des ressources pour veiller à ce que les fonds réservés à des fins de bienfaisance soient bel et bien utilisés à cette fin et pour rendre des comptes sur les dons à des fins de bienfaisance.

Si on pouvait changer le libellé de la Loi de l’impôt sur le revenu grâce à cette modification, l’ARC changerait alors ses directives concernant la façon dont les organismes de bienfaisance devraient rendre des comptes. L’adoption de mesures de reddition de comptes sur l’utilisation des ressources obligerait l’ARC à envisager d’ajouter des questions et d’exiger des renseignements plus précis dans les formulaires de déclaration de revenus que les organismes de bienfaisance doivent soumettre chaque année, mais c’est une mesure raisonnable.

Certains se sont demandé si les dispositions législatives et les directives actuelles sont nécessaires et pertinentes lorsqu’il s’agit d’éviter que les fonds réservés à des fins de bienfaisance ne tombent entre les mains de personnes malhonnêtes ou malveillantes, en particulier celles qui mènent des activités terroristes. Ma réponse est un « non » catégorique. Les mesures de reddition de comptes sur l’utilisation des ressources ne nuiront aucunement à la lutte contre le terrorisme. Je vais vous expliquer pourquoi.

Premièrement, il est extrêmement rare que des organismes de bienfaisance malhonnêtes financent des activités terroristes. Seulement 8 des 85 000 organismes de bienfaisance qui ont été enregistrés au Canada ont été suspendus dans les dernières décennies, et leur statut d’organisme de bienfaisance a été révoqué.

Ensuite, le Code criminel du Canada inclut des dispositions législatives antiterroristes, et de nombreuses institutions, comme la GRC, le SCRS, le CANAFE et le Groupe des cinq, unissent leurs forces pour lutter contre le terrorisme. Il est inutile d’obliger les organismes de bienfaisance à mener leurs propres activités et à conserver la direction et le contrôle de leurs ressources pour prévenir le terrorisme. Comme l’a dit Phil Gurski, un analyste de la sécurité reconnu et ancien agent du SCRS, « nous avons d’autres outils à notre disposition pour cibler les cas problématiques ».

Parmi ces outils, en plus de la GRC, du SCRS et du Groupe des cinq, mentionnons une pièce maîtresse de la législation. La partie 6 de la Loi antiterroriste porte précisément sur le financement potentiel d’activités terroristes par des organismes de bienfaisance voyous du Canada. Selon le paragraphe 2(1), la loi a pour objet de donner l’assurance aux contribuables canadiens que les avantages conférés par l’enregistrement des organismes de bienfaisance ne profitent qu’à des organismes administrés exclusivement à des fins de bienfaisance. Le paragraphe 4(1) décrit le processus de révocation de l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance s’il met, directement ou indirectement, des ressources à la disposition d’une entité terroriste inscrite. Cette loi incorpore la précédente Loi sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité), qui avait le même objectif : empêcher que les dons de bienfaisance ne tombent dans les mains d’organismes voyous.

Ce processus inclut un certificat signé par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre du Revenu national, qui donnent leur avis sur un cas en particulier avec un renvoi à la Cour fédérale. La cour examine ensuite le certificat et, s’il est jugé raisonnable, elle révoque l’enregistrement de l’organisme de bienfaisance.

Honorables sénateurs, j’espère que vous vous rendez compte que nous disposons d’une variété d’organismes, d’instruments et de mesures législatives solides pour lutter contre le terrorisme et d’autres activités répréhensibles. Nous devrions absolument nous en servir. Mon projet de loi complète ces autres mesures parce qu’il met l’accent sur l’utilisation responsable des ressources pour garantir que les ressources d’un organisme de bienfaisance sont utilisées exclusivement à des fins de bienfaisance, sans obstacle et sans la fiction juridique sur le critère des « propres activités » et l’exigence connexe de « direction et contrôle », qui est paternaliste.

Chers collègues, je veux répondre à une question que vous vous poserez probablement. Comment des pays comparables traitent-ils de la question? D’après mes recherches, l’approche canadienne est remarquablement unique par rapport à celle d’autres pays développés. Les organismes de bienfaisance dans d’autres pays doivent surveiller tout versement de fonds à des organismes sans vocation de bienfaisance et rendre des comptes à ce sujet. Cependant, pour eux, l’exigence relative à la direction et au contrôle et le critère des « propres activités » qu’impose le Canada sont inhabituels et pratiquement impossibles à appliquer.

Les États-Unis, qui sont le pays le plus vigilant en matière de sécurité, emploient un modèle semblable à celui que je propose ici. En fait, ma proposition correspond à la leur à bien des égards. Cependant, ils se servent de l’expression « responsabilité des dépenses », alors que je parle d’« utilisation responsable des ressources » parce que cette expression est plus adaptée à la réalité du travail des organismes de bienfaisance.

Aux États-Unis, les fondations peuvent accorder des subventions à des entités étrangères à condition que la fondation conserve ce que l’on appelle la « responsabilité des dépenses ». Cela signifie que la fondation est tenue de déployer des efforts raisonnables pour mettre en place des procédures adéquates afin de s’assurer que la subvention est dépensée uniquement pour atteindre le but dans lequel elle a été accordée, d’obtenir des rapports complets et de faire des rapports complets et détaillés concernant ces dépenses. C’est semblable à ce que je propose, comme je l’ai dit.

Au Royaume-Uni, les organismes de bienfaisance peuvent transférer des fonds à des partenaires étrangers, à condition que l’utilisation des fonds soit subordonnée exclusivement à la raison d’être de l’organisme de bienfaisance britannique, qu’une diligence raisonnable appropriée soit exercée avant l’octroi et qu’il y ait un suivi de l’utilisation des fonds et des rapports sur la question. Là encore, c’est très similaire à ce que je propose.

En Australie, les organismes de bienfaisance sont tenus de gérer de manière appropriée leurs activités et ressources à l’étranger. Ils doivent procéder à un examen annuel de ces activités, s’assurer qu’ils ont mis en place des mesures appropriées de lutte contre la fraude et la corruption et protéger les personnes vulnérables contre l’exploitation et les abus.

Dans une analyse comparative de l’approche du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Australie et du Canada, Natalie Silver, de la Faculté de droit de l’Université de Sydney, a conclu que les exigences de contrôle du Canada sont excessives et pénibles.

Honorables sénateurs, j’espère vous avoir donné un bon aperçu de la loi actuelle et des directives de l’ARC quant à l’application de la loi. J’espère avoir réussi à vous donner une idée de l’incidence de ces critères limitatifs sur les organismes de bienfaisance qui œuvrent au Canada et à l’étranger et vous avoir fourni une solution raisonnable pour y remédier.

(2030)

En terminant, permettez-moi une réflexion sur le rôle des organismes de bienfaisance dans les moments sombres de la crise de la COVID-19.

Ces organismes sont sur la ligne de front, assurant la prestation de services essentiels aux Canadiens. Je pense notamment aux banques alimentaires, aux refuges, aux services de consultation en santé mentale et j’en passe. Plus tôt cette année, le secteur a communiqué un appel urgent au gouvernement pour qu’il supprime le critère des « propres activités » et l’exigence de « direction et contrôle » afin d’aider le secteur à offrir les services rapidement aux personnes dans le besoin. Malheureusement, son appel n’a pas été entendu.

Il est grand temps d’écouter cet appel. Faisons en sorte qu’il soit moins difficile de faire le bien, surtout à une période où nous avons besoin d’un secteur de la bienfaisance fort pour engager le Canada sur la voie de la relance. Celui-ci ne devrait pas avoir à le faire les mains liées.

Merci beaucoup.

Des voix : Bravo!

L’honorable Robert Black : Mon honorable collègue accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar : Bien sûr.

Le sénateur R. Black : Je vous remercie, sénatrice Omidvar, de tout le travail que vous avez accompli dans ce dossier. J’ai eu l’occasion de travailler avec vous au sein du comité sur le secteur de la bienfaisance lors de la dernière législature et nous avons produit un excellent rapport qui a eu l’appui de nombreux organismes de bienfaisance de partout au pays, comme vous l’avez souligné.

Ma question vise à obtenir davantage de clarté, pour moi, en ce qui concerne mes propres activités, mais probablement aussi pour ceux qui nous regardent aujourd’hui. Je suis un grand défenseur de la SHARE Agriculture Foundation, qui établit des partenariats avec des organismes ruraux aux vues similaires dans les pays en développement où les gouvernements locaux ne sont pas en mesure d’offrir du soutien et des services aux communautés rurales pauvres.

Bon nombre des projets de SHARE ont pour objectif de soutenir les femmes et les familles, ainsi que les programmes d’éducation et d’alphabétisation partout dans le monde. L’organisme a travaillé avec des organisations au Guatemala et au Belize dans le but de distribuer des filtres à eau et de faire de la sensibilisation et un suivi au sujet de l’utilisation de l’eau potable. Pour que SHARE ou tout autre organisme de bienfaisance canadien puisse soutenir une telle initiative, que font ces organismes et leurs partenaires locaux des pays en développement dans le cadre de l’actuelle Loi de l’impôt sur le revenu et que feraient-ils si votre projet de loi était adopté? Merci.

La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur le sénateur Black. C’est une excellente question. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous donner une idée de la situation actuelle et de ce qu’elle pourrait être à l’avenir.

En ce moment, si la fondation SHARE, que vous avez mentionnée, si je ne me trompe pas, veut se conformer à la loi, elle doit avoir une conversation avec une organisation au Guatemala, par exemple, ou avec une organisation ailleurs dans le monde, qui ressemble à ceci : je vais investir de l’argent pour fournir une éducation aux femmes dans votre collectivité. Ce sera mon projet et non le vôtre. Comme je ne suis pas sur place, je vous demande, organisation XYZ, de m’aider à élaborer le projet et à le mettre en œuvre. Puisqu’il s’agit de mon argent, de mon projet et de mes activités, je vais diriger et contrôler la façon dont vous, organisation XYZ au Guatemala, utilisez mon argent pour mettre en œuvre ce programme.

Si la loi est modifiée, la conversation changerait. Voici ce que dirait maintenant la fondation SHARE à l’organisation du Guatemala : j’aime votre projet consistant à offrir une éducation aux femmes, car il s’harmonise avec ma mission caritative. Je vous donne ainsi, organisation XYZ, des fonds destinés à la réalisation de ce projet. L’argent doit être uniquement utilisé à cette fin, et vous devez me fournir des rapports qui le confirment. Il s’agit tout de même de votre projet et de votre programme, mais il est réalisé avec mon argent.

Avec ce scénario, on obtient non seulement de la reddition de compte, mais aussi de l’autonomisation. J’espère que cela répond à votre question, sénateur Black.

L’honorable Donna Dasko : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Omidvar : Oui.

La sénatrice Dasko : Merci, sénatrice, de votre présentation très détaillée. J’avais quelque cinq questions à poser et vous y avez presque toutes répondu dans votre présentation. Je voulais vous questionner sur les autres pays et sur tout ce dont vous avez parlé dans votre discours.

J’aimerais obtenir une précision. Si je comprends bien, cette proposition ne change pas les organismes de bienfaisance qui obtiennent l’argent, n’est-ce pas? Vous avez commencé par l’exemple du YWCA, qui continuerait d’obtenir des fonds. L’objectif n’est pas de permettre à un plus grand nombre d’organismes de bienfaisance d’obtenir ce financement. Est-il plutôt question de leur donner davantage de souplesse pour dépenser l’argent qu’on leur octroie?

La sénatrice Omidvar : Vous avez tout à fait raison, sénatrice Dasko.

La conduite des organismes de bienfaisance changerait, parce que la loi changerait aussi. Ces organismes disposeraient d’une souplesse accrue. Ils auraient davantage d’autorité et de pouvoir pour travailler en collaboration et en partenariat avec des organismes non caritatifs, et ils se libéreraient ainsi des contraintes de « propres activités » et de « direction et contrôle ». Rien ne changerait pour les organismes sans but lucratif, mais tout changerait pour les organismes de bienfaisance. De nombreux organismes de bienfaisance m’ont confié qu’ils avaient hâte d’être libérés de ces contraintes.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Lankin, avez-vous une question?

L’honorable Frances Lankin : Oui, merci.

Sénatrice Omidvar, je vous remercie beaucoup de votre présentation. Elle était concise, instructive et convaincante. Je partageais votre avis avant que vous ne donniez votre discours, mais je pense qu’il a donné aux sénateurs de bonnes bases pour débattre du projet de loi.

Le Black Daddies Club est un bon exemple. Nous avons dû créer un Fonds Action Jeunesse par l’intermédiaire de Centraide Toronto pour acheminer des fonds publics et nous voulions qu’il soit contrôlé par des membres des communautés noires, qui connaissaient les solutions. Il a été difficile de le mettre en place sans que Centraide en ait le contrôle direct. Vous soulevez une question pertinente.

J’aime ce que vous avez dit au sujet du suivi des ressources et de la reddition de comptes. Dans certains des nombreux exemples que nous avons donnés et que nous avons découverts par le passé, les efforts de renforcement des capacités qui peuvent accompagner l’établissement d’un groupe qui n’a pas la capacité d’obtenir le statut d’organisme de bienfaisance à ce stade peuvent constituer une ressource importante. Il ne s’agit pas seulement d’acheminer de l’argent vers les programmes qu’ils offrent, mais aussi de soutenir le développement.

À votre avis, est-ce que le temps du personnel et d’autres facteurs de ce genre expliquent en bonne partie pourquoi vous ne définissez pas le travail comme un simple suivi, contrôle ou surveillance des dépenses, mais comme une ressource?

La sénatrice Omidvar : Sénatrice Lankin, vous avez tout à fait raison de faire ce lien, et d’établir cette distinction avec les États-Unis pour ce qui est de la responsabilité des dépenses. J’ai été conseillée tout au long de ce processus par les meilleurs avocats spécialisés dans les organismes de bienfaisance, et nous en sommes venus à parler de reddition de comptes à l’égard des ressources parce qu’il s’agit d’un excellent outil pour mesurer avec précision toutes les ressources dont dispose un organisme de bienfaisance. Je ne parle pas uniquement de financement, mais aussi de personnel, d’espace, de technologie et de connaissances. La synergie de ces éléments nous rendra non seulement puis résilients, mais également plus responsables.

(Sur la motion du sénateur Mercer, le débat est ajourné.)

[Français]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu propose que le projet de loi S-224, Loi modifiant le Code criminel (prolongation du délai préalable à la libération conditionnelle), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, ce projet de loi a pour principal objectif d’assurer un plus grand respect aux familles des personnes assassinées et brutalisées. Il reprend les éléments essentiels du projet de loi C-266, qui était parrainé par le député James Bezan lors de la précédente législature. J’aimerais le remercier pour la pertinence de son travail, et je suis heureux de pouvoir parrainer son projet de loi au Sénat.

(2040)

J’espère aussi pouvoir convaincre cette Chambre de l’importance de ce projet de loi pour les familles de victimes brutalement assassinées.

Chers collègues, la plupart d’entre vous connaissent la fin de vie horrible de ma fille aînée, Julie. Comme vous le savez, ma mission dans cette Chambre est d’honorer sa mémoire et celle de toutes les victimes qui ont connu un sort similaire.

Je me suis donné le rôle de m’assurer que les peines soient plus justes, plus proportionnelles et plus pertinentes dans l’objectif de respecter la souffrance des familles des victimes lorsqu’un crime violent est perpétré contre une personne innocente.

Je vous parle de ma chère fille Julie, car elle fait malheureusement partie des victimes concernées par ce projet de loi, tout comme ma famille en fait partie. Vous comprendrez l’importance que représente ce projet de loi pour moi, mais également pour des milliers de familles de victimes qui doivent subir chaque année une ou plusieurs comparutions aux audiences de libérations conditionnelles.

Ma fille Julie était âgée de 27 ans. Elle était une jeune femme heureuse, pleine de vie, et elle réussissait très bien dans sa vie professionnelle. Le soir du 22 juin 2002, il y a maintenant 18 ans, Julie participait à une fête organisée en son honneur. Elle venait d’être promue gérante d’un commerce de Sherbrooke. Elle célébrait cette nouvelle promotion en compagnie de ses amis et elle était très motivée à l’idée d’occuper ses nouvelles fonctions. Malheureusement, c’est lors de cette soirée du 22 juin que le destin allait frapper. En se rendant à son véhicule, Julie a été kidnappée par un criminel récidiviste qui avait déjà été condamné à deux peines d’emprisonnement de 18 mois pour la séquestration et le viol d’une jeune femme à Gaspé, trois ans plus tôt.

Ce récidiviste n’avait rien à faire à Sherbrooke, car il était à ce moment-là en bris de probation. Il habitait à Montréal. Julie a été retrouvée 10 jours plus tard par un cycliste. Elle avait été assassinée et jetée dans un fossé, près d’un champ agricole.

Ce meurtrier n’a eu aucun respect pour la vie de ma fille et aucun scrupule pour ce qu’il lui a fait subir. Il a été retrouvé trois mois plus tard et accusé d’enlèvement, de séquestration, de viol et de meurtre au premier degré. Il a été reconnu coupable 30 mois plus tard et condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant d’avoir purgé 25 ans de sa peine. Cependant, après sa 15e année d’incarcération, il a eu droit à une révision judiciaire de sa sentence.

À ma grande surprise, au prononcé du verdict de culpabilité, la sentence n’a jamais fait allusion au kidnapping, à la séquestration ou au viol. Pour la cour, Julie avait été tout bonnement assassinée. Toutes ces sentences prévues par le Code criminel ont été effacées au profit du meurtre.

Je me suis toujours posé cette question : pourquoi notre système de justice ne montre-t-il pas plus de respect envers les familles de victimes en pareilles circonstances? Pourquoi notre système de justice ne laisse-t-il pas la responsabilité au juge de considérer comme des facteurs aggravants les crimes qui ont précédé l’assassinat d’une innocente victime? Je me suis toujours posé des questions sur ce meurtre sordide, sur la douleur et la peur que ma fille a pu subir en raison d’une atteinte aussi grave à sa dignité, elle qui a été violée et jetée comme un déchet, sans aucun respect pour sa vie.

Certains propos dans les médias m’ont toujours marqué, parce qu’ils mettent trop souvent le fardeau de la responsabilité sur la victime. On peut lire parfois des choses comme celles-ci : « La victime était au mauvais endroit au mauvais moment. »

J’ai toujours corrigé les propos des gens qui utilisaient cette expression en leur répondant : « Non, c’est le criminel qui était au mauvais endroit au mauvais moment. » Le criminel qui a assassiné Julie n’aurait jamais dû se retrouver cette nuit-là au centre-ville de Sherbrooke pour chercher « une proie ».

Je ne souhaite cela à personne. Je me sens privilégié de pouvoir raconter mon histoire devant cette Chambre, car, à l’extérieur de ces murs, il y a des milliers de familles qui ont vécu ce que j’ai vécu, et elles doivent, chaque jour, vivre en silence avec leur douleur et leur peine, et aussi avec la crainte que ce genre de meurtrier puisse être relâché un jour dans la société et fasse une autre victime, comme ma fille.

Croyez-moi, une peine minimum de 15 ou de 25 ans pour le meurtrier de ma fille est insuffisante, et je ne souhaite à aucune femme de croiser la route de ce criminel un jour.

Chers collègues, ce projet de loi vise à donner aux juges la discrétion nécessaire à la détermination de la peine en vue des circonstances aggravantes du crime.

J’estime qu’un délinquant doit être condamné pour tous les crimes qu’il a commis, sans exception, et qu’il doit recevoir une peine d’emprisonnement proportionnelle aux peines d’emprisonnement prévues dans le Code criminel pour chaque crime qu’il a commis.

En vertu du Code criminel, l’enlèvement, l’agression sexuelle grave et le meurtre sont tous des crimes pour lesquels l’auteur peut être condamné à la prison à vie.

Les juges sont contraints, conformément à l’article 718.2d) du Code criminel, d’envisager les peines les moins contraignantes possible lorsqu’il s’agit de l’emprisonnement. C’est profondément injuste pour les familles de victimes, car un meurtrier qui est reconnu coupable d’un meurtre au premier degré avec des facteurs aggravants reçoit une sentence uniquement pour le meurtre qu’il a commis.

L’un des objectifs de ce projet de loi est justement de réparer cette injustice en donnant aux juges la possibilité, qui est prévue par le Code criminel, de prononcer une peine de plus de 25 ans de prison ferme pour un criminel qui a enlevé, violé et tué une victime innocente.

En soi, cette proposition législative porte uniquement sur la modification de l’article 745 du Code criminel, soit l’emprisonnement à perpétuité.

Le texte prévoit que la période d’inéligibilité à la libération conditionnelle peut varier de 25 ans au minimum à 40 ans au maximum. Ce projet de loi instaurerait un équilibre proportionnel entre les crimes commis et les peines encourues.

Nous ajoutons également au Code criminel l’article 745.22, qui porte sur la recommandation du jury. Lors du prononcé de la sentence, le juge prendra en considération la recommandation du jury et il tiendra compte de son avis sur la peine à prononcer. Cela signifie que le meurtrier pourrait être admissible à une libération conditionnelle après avoir purgé une peine de 40 ans de détention.

Il revient au juge et au jury de décider de la peine appropriée. Il est important de préciser que ce projet de loi traite uniquement des criminels qui ont été reconnus coupables d’enlèvement, d’agression sexuelle et de meurtre sur la même personne.

Je rappelle que ces délits font partie des infractions les plus graves inscrites au Code criminel. Je crois qu’un individu responsable d’avoir enlevé, séquestré, violé et assassiné une personne mérite de recevoir une peine qui reflète la gravité de ses actes.

Comme je le disais précédemment, personne ne peut rendre une personne assassinée à sa famille.

Honorables sénateurs, ce projet de loi n’a pas simplement pour objectif d’autoriser les juges à prononcer des peines plus méritoires et proportionnelles aux crimes qui ont été commis. Il vise également à retarder l’épreuve des audiences de libérations conditionnelles pour les familles de victimes.

Il est important de rappeler que la réhabilitation des délinquants concernés par ce projet de loi est très rare. Il est donc inutile de convoquer des familles de victimes à comparaître régulièrement, à répétition, à des audiences de la Commission des libérations conditionnelles .

Au cours de la dernière année, j’ai eu l’occasion de vivre cette expérience avec des familles. Ce processus est pénible, surtout quand elles savent que la comparution arrivera prochainement, souvent au cours de la même année.

(2050)

Vous comprendrez que je ne cherche pas à alourdir les peines actuelles, car la plupart de ces criminels ne sont pas libérés après les 25 ans prévus par la loi. Il n’est tout simplement pas nécessaire de faire revivre aux familles des victimes des audiences à répétition qui ne font qu’alourdir leurs souffrances et leur anxiété, car après la première admissibilité, le meurtrier peut demander sa libération conditionnelle régulièrement, même si sa première demande a fait l’objet d’un refus.

J’aimerais souligner également le fait que ce projet de loi n’aura que très peu d’impact sur la population carcérale.

Par ailleurs, lors de son étude à la Chambre des communes, le projet de loi C-266 avait fait l’objet d’un rapport de la part du directeur parlementaire du budget. Permettez-moi d’en citer un extrait :

Service correctionnel Canada (CSC) a informé le DPB que tous les cinq ans, environ trois personnes sont condamnées pour ces trois crimes commis contre une même personne et au vu des mêmes faits. CSC a inféré que les infractions sont commises par la même personne et au vu des mêmes faits, et le délinquant a été condamné pour l’ensemble des trois infractions à la même date. Ce cas représente environ 0,3 % des quelque 180 délinquants admis dans un établissement correctionnel fédéral pour une peine d’emprisonnement à perpétuité ou à durée indéterminée chaque année et un pourcentage tout aussi petit des 960 délinquants qui purgeaient une peine dans le système correctionnel fédéral pour un meurtre au premier degré à la fin de l’exercice 2016-2017.

Ce projet de loi concernera seulement 0,3 % de la population carcérale. Même si son impact est très faible sur le système carcéral, il permet de soulager la souffrance de nombreuses familles de victimes. Imposer à des familles déjà meurtries des audiences inutiles est en quelque sorte leur faire revivre le drame qu’elles ont vécu. Devoir être confronté de nouveau à la personne responsable de ses chagrins est une torture que personne ne peut réellement imaginer.

Lorsque j’ai déposé mon projet de loi précédent, soit le projet de loi S-219, la famille de Brigitte Serre était venue témoigner pour parler de la difficulté que peut représenter une comparution à une audience. Elle avait déclaré ce qui suit :

Chaque convocation et chaque audience nous font revivre toutes les émotions que nous gardions au plus profond de nous pour pouvoir avancer dans notre vie. Chaque audience est une torture émotionnelle.

Je m’appuie notamment sur des témoignages recueillis par le député Bezan, comme celui qui traite de la triste affaire Prioriello :

Darlene Prioriello a été enlevée, violée, mutilée et tuée par David [...] Dobson en 1982. [...] Voici ce que Terri, la sœur de Darlene, a dit sur le fait de devoir subir ces audiences de libération conditionnelle pénibles, répétitives et inutiles: « Les familles subissent déjà une épreuve. Elles ne devraient pas être obligées de revivre cette épreuve tous les deux ans. Aucun être humain ne devrait avoir à faire face, ne serait-ce qu’une fois, à l’assassin d’un être qui lui était cher. Personne ne devrait avoir à se remémorer comment ce décès tragique a changé le cours de sa vie. Personne ne devrait être obligé de lire ce que l’assassin a fait à l’être cher. »

Chers collèges, la souffrance que provoque la perte d’un être cher vous marque toute votre vie. Comme je le dis souvent, vous passez de la lumière à l’obscurité. Il est très difficile de survivre à ce qui est innommable. Il est donc nécessaire que la justice, le juge et les jurés puissent imposer des peines plus longues aux contrevenants pour donner aux familles des victimes une période de quiétude plus longue. Le simple fait que ce type de criminel puisse être libéré un jour est un risque constant pour la sécurité des Canadiennes et des Canadiens.

Ce projet de loi s’adressera à des cas tels que ceux de meurtriers tristement célèbres comme Paul Bernardo ou Luka Magnotta. Je vous cite le témoignage de Joseph Wamback, fondateur et président de la Canadian Crime Victim Foundation, lors de son passage au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes en 2019 :

Le deuil est un voyage sans fin, et les audiences de libération conditionnelle ne font que prolonger et raviver le chagrin. Beaucoup de victimes, de survivants, d’amis et de proches ne sont pas en mesure de travailler durant des mois avant la tenue d’une audience. Ils doivent revivre ces expériences pendant l’audience, et ils en ressortent profondément ébranlés. Certains perdent leur emploi. Ils ne peuvent plus jouer un rôle actif. Ils ne peuvent plus devenir des membres à part entière de la société canadienne.

J’aimerais également vous faire part du témoignage personnel que m’a fait parvenir cette semaine Madeleine Hébert, la mère de Maurice Marcil, assassiné en 1979 avec Chantal Dupont sur le pont Jacques-Cartier de Montréal :

Pendant plus de vingt ans, je me suis murée dans le silence, j’ai gardé ma douleur au fond de moi. Je ne pouvais pas évoquer ces crimes. Toute manifestation de groupes sur la voie publique me faisait fondre en larmes, il m’était impossible de prendre un bébé dans les bras. Ce sont là quelques manifestations de ma souffrance.

Puis au début des années 2000, les criminels ont eu droit aux demandes de libération conditionnelle. J’ai alors rédigé des lettres pour expliquer mon point de vue et pour que l’on n’oublie pas Maurice.

Mais le coût à payer a été extrêmement lourd pour moi et pour mon environnement.

Il a fallu faire remonter en surface une douleur que les années avaient quelque peu enfouie au fond de moi. C’était, à chaque fois, comme si on ouvrait une plaie qui avait eu tant de mal à cicatriser.

Les criminels avaient, comme ils le clament, payé leur dette à la société et ils ne concevaient pas de mourir en prison. Moi, ils m’ont condamné à une vrai perpétuité et je ne comprends pas qu’ils puissent oser penser qu’ils sont quittes face à la justice.

Ils ont tué et c’est irréparable.

J’ajoute que l’un des criminels responsables de la mort du fils de Mme Hébert a déjà volontairement repoussé son audience à quelques jours de la date prévue. Mme Hébert vit en France et s’était déplacée au Canada pour y assister; elle s’est vue impuissante face à cette contrainte imposée volontairement par le meurtrier de son fils.

Les actes commis par ces criminels ne détruisent pas simplement la vie des personnes concernées. Ils détruisent à jamais la vie des familles de victimes.

Honorables sénateurs, le projet de loi initial C-266 est passé par les différentes étapes du processus parlementaire et il a été largement soutenu par les divers partis politiques. Lors de son passage au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, ce projet de loi n’a fait l’objet d’aucun amendement et a été adopté par le comité. On a jugé à l’autre endroit que, peu importe ses affiliations politiques, ce projet de loi était nécessaire et juste pour les familles et pour les victimes.

Nous devons parler de certaines de ces familles, comme celle de Linda Bright, qui n’avait que 16 ans lorsqu’elle a été enlevée par Donald Armstrong à Kingston, en 1978. Il a présenté de nombreuses demandes de libération conditionnelle. Susan Ashley, la sœur de Linda, a fait la déclaration suivante au sujet des audiences de la Commission des libérations conditionnelles du Canada qui ont eu lieu par le passé :

[...] « Mon cœur se brise à l’idée de devoir revivre cela encore une fois. Mon cœur se brise à l’idée de voir ma mère et mon père être obligés de creuser au plus profond de leur être, où ils avaient enfoui leur chagrin, afin de ressasser ces souvenirs et cette douleur. »

Nous devons donc nous assurer que la mesure législative vise les personnes les plus dépravées de la société, les tueurs sadiques qui s’en prennent souvent aux enfants et aux femmes, ces criminels qui, bien souvent, enlèvent, abusent sexuellement et assassinent des personnes de façon atroce. Je parle de gens comme Robert Pickton, Russell Williams, Michael Rafferty, Clifford Olson, Paul Bernardo, et j’en passe.

Veillons à ce que les familles n’aient plus à souffrir une nouvelle fois des assassinats en assistant inutilement à toutes les audiences que la Commission des libérations conditionnelles du Canada doit tenir pour répondre à la demande de criminels et de prisonniers psychopathes et qui obligent les familles à se rappeler en détail les circonstances brutales du meurtre de leur proche.

Comme l’a dit Yvonne Harvey, de l’organisme Canadian Parents of Murdered Children: « Je n’ai pas eu moi-même à affronter l’épreuve d’une audience de libération conditionnelle, mais j’ai parlé à beaucoup de gens qui ont dû le faire. Je suis persuadée que le projet de loi, dont l’objectif premier est d’éviter aux familles des victimes d’avoir à assister inutilement à des audiences de libération conditionnelle, sera très bien reçu. »

Honorables sénateurs, mon combat pour les droits des victimes dans cette Chambre n’a jamais changé. Le 3 mars 2002, j’ai célébré les 10 ans de mon entrée au Sénat. Pendant ces 10 ans, j’ai essayé de donner une voix aux victimes. Je crois que nous avons progressé dans la bonne direction. Cependant, le combat n’est pas terminé.

(2100)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Boisvenu, je suis désolée, mais je dois vous interrompre.

Le sénateur Boisvenu : J’avais presque terminé.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Il vous reste tout de même 26 minutes de temps de parole.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

[Traduction]

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Je ne sais pas si le sénateur Boisvenu est sur le point de terminer son discours, mais il a perdu cinq minutes encore une fois à cause des difficultés techniques, qui posent un véritable problème aujourd’hui. Je demanderais l’indulgence du Sénat, s’il reste moins de cinq minutes au sénateur, pour qu’il termine son discours ce soir. S’il en a pour plus de cinq minutes, j’accepte bien sûr que ce ne soit pas possible.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, sommes-nous d’accord? Sénateur Boisvenu, vous pouvez poursuivre.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’en ai pour deux minutes. Merci beaucoup, sénateur Plett. Merci aux sénatrices et aux sénateurs.

Il reste beaucoup à faire. Depuis la disparition de ma fille Julie en 2002, je me suis promis de consacrer le reste de ma vie à ce combat. Toutefois, je ne peux le faire tout seul. C’est avec vous, chers collègues, que tout est possible.

Honorables sénatrices et sénateurs, je demande que cette Chambre procède à la deuxième lecture de ce projet de loi pour qu’il soit ensuite renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le plus rapidement possible.

Je vous remercie.

(Sur la motion du sénateur Woo, au nom de la sénatrice Pate, le débat est ajourné.)

(À 21 h 2, conformément aux ordres adoptés par le Sénat le 27 octobre 2020 et le 17 décembre 2020, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

Haut de page