Débats du Sénat (Hansard)
2e Session, 43e Législature
Volume 152, Numéro 54
Le mercredi 23 juin 2021
L’honorable George J. Furey, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- Le Code criminel
- La Loi sur la radiodiffusion
- Projet de loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité
- Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie
- Projet de loi favorisant l’identification de criminels par l’ADN
- L’étude des questions concernant les droits de la personne en général
- Le Sénat
- La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre
- Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2021
- L’ajournement
LE SÉNAT
Le mercredi 23 juin 2021
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Les Jeux olympiques et paralympiques de 2020
L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, la gloire n’est limitée ni par l’âge, ni par les antécédents, ni par l’expérience, ni par l’orientation, ni même par le certificat de naissance. Elle peut venir de partout et survenir n’importe où. Elle appartient à ceux qui dépassent les limites, qui surmontent les obstacles et qui surpassent les attentes. Le potentiel de la gloire réside en chacun de nous.
Aujourd’hui, j’aimerais rappeler deux événements importants prévus cet été : les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques. À l’heure où je vous parle, des athlètes tentent encore de se qualifier et une équipe de représentants est en route pour vérifier que les conditions sont optimales pour Équipe Canada.
Il y a plus d’un an, nos athlètes ont suspendu leur rêve olympique. Ils voulaient protéger leur famille et se conformer aux règles de Santé Canada. Ils sont rentrés au Canada et ont fait preuve de créativité pour continuer de s’entraîner même s’ils ont manqué plus de 170 compétitions internationales. Les familles ont tenté de s’adapter et de demeurer fortes et en santé tandis que les règles du jeu changeaient d’heure en heure et de jour en jour, tout cela tandis que les athlètes tentaient d’atteindre le summum de leur performance.
Voici quelques mots de l’un de nos jeunes athlètes, Brian Yang :
Se qualifier pour les Olympiques pour la première fois cette année est tout simplement époustouflant! Le long cheminement qui s’est étalé sur 24 mois pour atteindre la qualification, tout cela pendant la pandémie, fait de ma participation aux Jeux olympiques de Tokyo une réalisation extrêmement spéciale. Je suis vraiment enthousiaste de pouvoir compétitionner et vraiment fier de pouvoir représenter le Canada à l’épreuve la plus importante au monde, sur la scène la plus importante au monde, avec les meilleurs athlètes au monde.
Honorables sénateurs, au sein de cette Équipe Canada, il n’y a qu’un seul équipage avec un barreur, la personne certes petite, mais puissante qui dirige l’embarcation, marque la cadence et crie des ordres du départ jusqu’à la ligne d’arrivée. Cette année, Kristen Kit sera la barreuse du huit féminin à ses premiers Jeux olympiques. Mme Kit a remporté la médaille de bronze à l’épreuve du quatre mixte avec barreur aux Jeux paralympiques de 2016 à Rio.
À Tokyo, elle sera la deuxième athlète canadienne à participer aux Jeux olympiques et paralympiques d’été. Qui a été la première? Nulle autre que l’honorable sénatrice Petitclerc. Elle a remporté l’or aux Jeux olympiques de 2004 à Athènes, dans l’épreuve de démonstration paralympique. J’y étais en compagnie de mes athlètes. C’était très inspirant, et je suis fière de pouvoir dire qu’en août prochain, les athlètes de ma discipline sportive participeront pour la première fois aux Jeux paralympiques.
Nous avons aussi des entraîneurs qui, il y a à peine quelques années, étaient des néo-Canadiens en train d’apprendre l’anglais. Ils porteront maintenant fièrement la feuille d’érable.
Même s’il serait insensé de croire que tout se passera exactement comme prévu, nous serons rassurés de savoir que les jeux de Tokyo seront les olympiades les plus organisées et les plus sûres que l’on a jamais vues. Le monde entier se prête à l’optimisme et espère que cet événement atteindra exactement son objectif : rassembler les peuples pour célébrer les exploits de leurs athlètes dans un esprit d’unité, de camaraderie et de respect.
Chers collègues, c’est le moment idéal de nous unir pour soutenir les athlètes olympiques et paralympiques. L’absence de leurs parents, grands-parents, compagnes, compagnons et enfants leur pèsera profondément. Les tests de dépistage, la quarantaine et les protocoles sont extrêmement contraignants, alors nous avons besoin de vous tous pour encourager vos athlètes, Équipe Canada. Acclamez-les, découvrez leur parcours et aidez-nous à unifier le Canada, d’un quartier à l’autre, d’un océan à l’autre.
Pour finir, honorables sénateurs, vous avez récemment été conviés à réaliser une vidéo pour souhaiter beaucoup de succès à nos athlètes et à Équipe Canada. Je vous invite à participer. Merci. Meegwetch.
Le Sentier—Maison de transition pour vétérans
L’honorable Larry W. Smith : Honorables sénateurs, aujourd’hui, dans cette quatrième allocution sur Le Sentier, je salue le travail que fait cet organisme pour contribuer au bien-être des anciens combattants. J’ai déjà parlé des débuts de cet organisme caritatif, du travail qu’il accomplit à Montréal et dans les environs et de son partenariat avec Équi-Sens, un centre équestre à mission thérapeutique.
Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir de vous annoncer que la Maison de transition pour vétérans Le Sentier, un établissement à l’avant-garde de la technologie, sera bâtie à côté de l’hôpital pour anciens combattants dans l’Ouest-de-l’île de Montréal, plus précisément à Sainte-Anne-de-Bellevue. La construction se fera en trois étapes.
La première étape portera sur la construction de l’édifice principal, selon les normes les plus élevées pour assurer le bien-être des employés et des clients. Cet édifice comprendra des salles de réunions qui seront mises à la disposition d’autres organismes qui offrent des services aux vétérans. Il inclura également une maison de transition à court terme comptant 20 chambres et des salles de consultation médicale où des médecins et d’autres professionnels de la santé pourront prodiguer des soins aux résidants. Un local polyvalent servira de lieu de socialisation pour les résidants, qui seront par ailleurs encouragés à s’occuper de leur bien-être physique par la présence d’un gymnase. Un patio sera aménagé sur le toit de l’édifice, et un parc pourra accueillir les animaux d’assistance. Il ne fait aucun doute que cet établissement répondra aux besoins des membres des Forces armées canadiennes et des anciens combattants qui souhaitent retourner à la vie civile. Les responsables espèrent que la première pelletée de terre sera bientôt levée et que les travaux commenceront sur le terrain.
Les étapes 2 et 3 sont toujours en planification. Le Sentier — The Trail tient à s’assurer de pouvoir répondre totalement aux besoins de ses clients et terminera ces plans après avoir cerné les lacunes de l’étape 1.
Chers collègues, je vous remercie de l’intérêt que vous portez au bien-être de nos militaires. Je vous ferai un rapport sur les progrès de cet organisme de bienfaisance à notre retour cet automne. Merci.
Le décès de la révérende mère Phyllis Marilyn Marsh-Jarvis
L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à une amie chère qui est décédée le 6 juin dernier. Phyllis Marsh-Jarvis était la révérende mère de l’église orthodoxe africaine St. Philip’s de Whitney Pier à Sydney, en Nouvelle-Écosse. C’était aussi la première femme à diriger cette église. Matriarche, sœur, leader de la communauté, aînée et dirigeante religieuse, elle possédait un profond sens de la justice sociale, du changement social et du travail social.
Phyllis a connu des revers dans la vie, mais elle a su les transformer en victoires. Elle a participé à de nombreux projets et organismes communautaires visant à améliorer la vie des Néo‑Écossais d’origine africaine. C’était une femme qui n’hésitait pas à donner de son temps, à partager ses talents et son amour et à pardonner. Phyllis était un point de contact à Sydney, et lorsqu’on lui demandait de participer à l’organisation d’un événement, on pouvait être certain que tout allait bien se passer.
Phyllis était une écrivaine douée. Si elle était née dans un monde plus juste, elle aurait publié davantage de ses œuvres.
Permettez-moi de vous lire un extrait de son livre intitulé Still Fighting for Change, que j’ai édité en 2015 afin d’aider les travailleurs sociaux à se préparer à œuvrer de façon culturellement responsable. Dans le chapitre intitulé « My Journey to Health and Becoming Visible » se trouve un puissant message à l’intention des travailleurs sociaux :
Si je n’avais pas traversé toutes ces épreuves, je n’aurais pas pu aider d’autres victimes à survivre et à retrouver l’espoir. Je me suis relevée et j’ai transformé mes cicatrices en larmes. J’espère que mon histoire sera utile aux travailleurs sociaux qui la liront. Réjouissons-nous et annonçons au monde que nous avons trouvé notre voix.
(1410)
Chère révérende mère Phyllis, votre voix continuera d’aider les travailleurs sociaux dans leur carrière. Votre héritage de justice sociale continuera à servir votre collectivité, et votre héritage de bienveillance et d’amour sera toujours ressenti par ceux qui ont eu le bonheur de vous connaître. Asante. Merci.
[Français]
L’avancement des droits linguistiques au Canada
L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, alors que nous nous apprêtons à faire une pause pour la saison estivale, le temps est venu de remercier tous ceux et celles qui nous ont accompagnés dans la réalisation de nos travaux en cette année si particulière.
Je désire rendre un hommage particulier aux personnes qui ont travaillé avec ardeur et détermination à l’avancement des droits linguistiques au Canada au cours de cette dernière année.
Le dépôt récent du projet de loi C-32 à l’autre endroit, visant la modernisation de la Loi sur les langues officielles, est beaucoup plus qu’une simple initiative du gouvernement actuel. Bien que nous soyons loin de son adoption — ce que je déplore —, il marque un jalon important dans l’avancement de nos droits linguistiques.
[Traduction]
Ce projet de loi est le fruit d’une mobilisation exceptionnelle de députés, de sénateurs et, surtout, de citoyens et d’organismes de la société civile qui ont fait tout en leur pouvoir pour que notre pays se dirige aussi rapidement que possible vers l’égalité réelle des deux langues officielles, tout en gardant à l’esprit l’urgence d’assurer la protection et la promotion des magnifiques langues autochtones du pays.
[Français]
Vous me permettrez de remercier plus particulièrement les membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, qui ont travaillé dans un esprit de collaboration formidable afin que notre comité puisse, malgré les défis rencontrés, étudier le document de réforme de la ministre du Développement économique et des Langues officielles, rencontrer des témoins clés et publier des faits saillants que je vous invite tous et toutes à consulter sur la page Web produite à cet effet.
Je tiens à remercier le personnel associé à ce comité : les analystes, le greffier, l’agent aux communications, ainsi que les interprètes qui font un travail remarquable en ces temps particuliers. Vos compétences, votre expertise et surtout votre engagement envers nos travaux sont une source d’inspiration intarissable qui nous motivent et nous donnent la force, le courage et la détermination d’agir.
Enfin, mes plus profonds remerciements vont aux leaders des communautés de langues officielles en situation minoritaire, soit les francophones à l’extérieur du Québec et les anglophones au Québec, dont l’engagement pour assurer le respect de leurs droits linguistiques est absolument remarquable. Ce sont vos voix que nous nous efforçons de faire entendre au Parlement du Canada et c’est avec fierté et gratitude que nous y travaillons chaque jour.
[Traduction]
En conclusion, je veux vous dire merci, chers collègues de la Chambre haute, qui travaillez au bien-être de tous les Canadiens avec tout votre cœur, votre savoir et votre bonne volonté.
[Français]
Je vous souhaite un magnifique été et des retrouvailles festives, en toute sécurité, avec vos proches et votre communauté. Merci. Meegwetch.
La distribution des vaccins contre la COVID-19
L’honorable Marie-Françoise Mégie : Chers collègues, j’aimerais saluer la progression des campagnes de vaccination contre la COVID-19. À ce jour au Québec, plus de 70 % de la population générale a reçu sa première dose de vaccin.
De plus, une personne sur cinq est « adéquatement vaccinée ». Selon l’Institut national de santé publique du Québec, être adéquatement vacciné correspond à la proportion de la population qui a reçu deux doses de vaccin ou une seule dose pour les personnes ayant reçu un diagnostic de COVID-19 confirmé.
À compter du lundi 28 juin, tout le Québec passera en zone verte. C’est une bonne nouvelle! Cependant, le cas confirmé de COVID-19 de l’entraîneur adéquatement vacciné des Canadiens de Montréal devrait nous appeler à la prudence, car même si on est vacciné, on peut encore attraper la COVID-19.
En cette veille de la Saint-Jean, sachant que la Sainte-Flanelle revient jouer à Montréal — et on espère qu’elle va se rendre en finale de la Coupe Stanley :
Les manifestations sont permises, mais le port du masque ou du couvre-visage et la distanciation physique sont obligatoires en tout temps.
Je rappellerai aussi les directives déjà prescrites par la santé publique, soit le lavage des mains pendant 20 secondes; c’est encore de mise pour bien éliminer le virus.
Enfin, un dernier point sur la vaccination. La première page du journal Le Devoir de ce matin titrait : « Seulement 55 % des Montréalais de 12 à 17 ans ont reçu une première dose de vaccin ». De plus, le journal rapporte que dans la circonscription de Papineau, celle de notre premier ministre, dans le quartier Parc-Extension, un jeune sur trois est vacciné.
C’est dans nos quartiers défavorisés, où la proportion de nouveaux arrivants est élevée, que nous devons faire preuve d’une grande vigilance pour éviter qu’ils ne soient laissés pour compte, parce que les élèves les plus vulnérables sont aussi les moins vaccinés.
J’espère que nos gouvernements agiront ensemble pour atteindre l’immunité collective nécessaire afin de se débarrasser enfin de la COVID-19.
Sur ce, je vous souhaite une bonne fête nationale en santé!
AFFAIRES COURANTES
Le Sénat
Adoption de la motion tendant à prolonger la séance d’aujourd’hui
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, la séance d’aujourd’hui continue au-delà de 16 heures et soit levée à la fin des affaires du gouvernement ou à 18 heures, selon la dernière éventualité, à moins d’être ajournée plus tôt par voie de motion.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
[Traduction]
Adoption de la motion tendant à autoriser le Sénat à étudier le projet de loi C-10 à l’étape de la deuxième lecture plus tard aujourd’hui
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-12 du Règlement, je propose, appuyé par les honorables sénateurs Plett, Woo, Tannas et Cordy :
Que, nonobstant l’ordre du Sénat adopté hier, concernant la date pour l’étude à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, le projet de loi soit plutôt pris en considération à l’étape de la deuxième lecture plus tard aujourd’hui.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
Projet de loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité
Première lecture
Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050, accompagné d’un message.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)
(1420)
PÉRIODE DES QUESTIONS
L’emploi et le développement social
L’Allocation canadienne aux parents des jeunes victimes de crimes
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.
En 2018, monsieur le leader, le gouvernement Trudeau a instauré l’Allocation canadienne aux parents des jeunes victimes de crimes en remplacement d’une mesure similaire qui avait été mise en place par le gouvernement conservateur. Les libéraux critiquaient le programme existant et soutenaient qu’il n’en faisait pas assez pour aider les parents incapables de retourner au travail après le décès ou la disparition d’un enfant survenus en raison d’un acte criminel.
Lorsque les libéraux ont présenté leur programme, ils estimaient à 320 le nombre de familles qui en profiteraient chaque année. En réalité, d’après la réponse que j’ai obtenue à une question que j’avais fait inscrire au Feuilleton, il y aurait eu seulement 75 demandes, dont 50 qui ont été approuvées, de la fin de septembre 2018 à la fin d’octobre 2020.
Monsieur le leader, pourquoi n’y a-t-il pas eu autant de familles qui ont profité de cette allocation que ce qui avait été promis au moment de sa création? Qu’est-ce que votre gouvernement a fait depuis 2018 pour promouvoir ce programme?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, cher collègue. Je vais devoir me renseigner et obtenir l’information. Je vous ferai rapport dès que je le pourrai.
Le sénateur Plett : Je vous remercie. Je dois probablement respecter le fait que vous n’avez pas ces réponses à portée de main, contrairement à moi. Cependant, il vous faut beaucoup trop de temps pour nous fournir ces réponses. J’espère sincèrement que cela s’améliorera. Je crois que le sénateur Black a souligné le problème l’autre jour.
Monsieur le leader, en 2018, il était estimé qu’environ 5 millions de dollars seraient versés annuellement aux familles d’enfants disparus ou assassinés dans le cadre de ce programme. Au lieu de cela, la réponse que j’ai reçue montre que seulement 583 850 $ ont été versés au cours de la période d’environ deux ans que je viens de mentionner, soit de septembre 2018 à octobre 2020.
Monsieur le leader, le projet de loi C-30 propose de modifier le Code canadien du travail afin que les employés du secteur privé qui sont assujettis à la réglementation fédérale bénéficient de la protection d’emploi lorsqu’ils reçoivent cette allocation. C’est une mesure que votre gouvernement a promis de prendre il y a bien plus de deux ans, monsieur le leader.
Tout indique que ces familles n’ont pas été une priorité pour votre gouvernement. Pourquoi?
Le sénateur Gold : Merci de votre question. Pour répondre à la première partie de votre question, je n’ai pas l’information concernant les sommes qui ont été versées et je vous remercie de vous le rappeler. Toutefois, je ne peux pas adhérer à la prémisse de votre deuxième question.
En réalité, le projet de loi C-30, que nous débattrons et adopterons la semaine prochaine, je l’espère, prévoit des mesures pour aider l’ensemble des familles et des entreprises du Canada. Le gouvernement est fier et heureux de pouvoir fournir ce niveau d’aide à tous les Canadiens.
Le Bureau du Conseil privé
L’envoyé spécial pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme
L’honorable Linda Frum : Sénateur Gold, comme nous le savons, il y a une montée inquiétante de l’antisémitisme au Canada. Voilà pourquoi ce fut une bonne nouvelle pour la communauté juive d’apprendre que le premier ministre Trudeau allait créer le poste d’envoyé spécial pour la lutte contre l’antisémitisme il y a sept mois. Je vous ai donné préavis de la question parce que je crois qu’il est important de comprendre l’engagement du gouvernement dans ce dossier.
Sénateur Gold, pouvez-vous nous dire quels sont le budget et la taille de l’effectif de l’envoyé spécial pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme? Quand le budget est-il entré en vigueur?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et du préavis, sénatrice Frum.
Le gouvernement est profondément troublé, comme chacun d’entre nous l’est ou devrait l’être, par la montée de l’antisémitisme au Canada. Les crimes haineux commis à l’endroit de la communauté juive ne font pas toujours la une des journaux, mais les sénateurs doivent savoir que ces crimes demeurent parmi les plus nombreux d’une année à l’autre.
Le gouvernement est fier et heureux d’avoir nommé l’honorable Irwin Cotler au poste d’envoyé spécial pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme en novembre 2020. Comme vous m’aviez informé de votre question à l’avance, j’ai pu obtenir les renseignements que voici. L’envoyé spécial dirige la délégation du Canada auprès de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, avec l’appui de deux chefs adjoints provenant respectivement d’Affaires mondiales Canada et de Patrimoine canadien. Le mandat international de l’envoyé spécial consiste notamment à renforcer l’éducation, la mémoire et la recherche dans le monde, une tâche pour laquelle il peut compter sur les ressources de la direction Inclusion et liberté de religion et de la direction Démocratie du Bureau des droits de la personne, des libertés et de l’inclusion, qui fait partie d’Affaires mondiales Canada.
Dans le cadre de son mandat national, l’envoyé spécial communique avec des Canadiens, la société civile et le milieu universitaire, et il fournit au gouvernement du Canada des renseignements qui guident la conception des politiques et des programmes. Pour ce travail, il peut compter sur les ressources de la Direction générale du multiculturalisme et de la lutte contre le racisme, qui fait partie de Patrimoine canadien et comprend le Secrétariat de lutte contre le racisme.
Le gouvernement du Canada est déterminé à s’opposer à la haine et à la discrimination sous toutes leurs formes et il s’engage à travailler avec des partenaires nationaux et internationaux pour promouvoir et défendre le pluralisme, l’inclusion et les droits de la personne au pays et à l’étranger.
La sénatrice Frum : Sénateur Gold, ce que je viens d’entendre, c’est que lorsque le premier ministre Trudeau a annoncé qu’il y aurait un poste d’envoyé spécial pour l’antisémitisme et qu’il a nommé l’honorable Irwin Cotler, que je respecte profondément, aucun budget n’a été affecté à ce poste.
Le sénateur Gold : Sénatrice Frum, les informations que j’ai reçues en réponse à votre question, c’est que les ressources disponibles pour soutenir l’honorable Irwin Cotler proviennent d’un certain nombre de sources dans le cadre des budgets existants, mais je crois comprendre qu’il dispose des ressources nécessaires pour faire le travail que nous voulons qu’il fasse.
La sécurité publique
L’Agence des services frontaliers du Canada—Le traitement des demandeurs d’asile
L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
Sénateur Gold, le Montreal Gazette a récemment publié un article sur les conclusions d’un rapport conjoint de l’organisme Human Rights Watch et d’Amnistie internationale, dans lequel on apprend les détails des conditions de détention et d’incarcération de certains demandeurs d’asile au Canada. Dans ce rapport conjoint, certaines personnes qui fuient la persécution et qui cherchent à être protégées sont régulièrement menottées, enchaînées et détenues avec peu ou pas d’accès au monde extérieur.
Apparemment, près de 9 000 personnes ont été incarcérées dans ces conditions d’avril 2019 à mars 2020, y compris 73 enfants de moins de 6 ans. L’article précise que nombre de ces personnes sont détenues dans des établissements provinciaux et qu’elles sont souvent placées en isolement.
Sénateur Gold, êtes-vous au courant de ce rapport et de l’identité de ces personnes incarcérées? Quels sont les motifs invoqués pour justifier leur incarcération? Quelles mesures sont mises en place pour subvenir à leurs besoins en matière de santé et de santé mentale pendant et après leur incarcération?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie beaucoup de votre question, sénateur. Le gouvernement est au courant de la situation et du rapport auquel, je crois, vous faites référence. Je remercie également Amnistie internationale de son rapport, dont nous examinerons attentivement les conclusions et les recommandations.
Je n’ai pas sous la main l’information que vous demandez, mais j’aimerais faire part des observations suivantes au nom du gouvernement. La détention liée à l’immigration est généralement considérée comme une mesure de dernier recours. On s’en sert dans certaines circonstances seulement, par exemple, en cas de sérieuses préoccupations pour la sécurité du public, de risque de fuite ou de doutes quant à l’identité d’une personne.
À cet égard, on m’a informé que le gouvernement avait fait beaucoup de progrès quant à la mise en œuvre d’éléments clés du Cadre national en matière de détention liée à l’immigration, proposé en 2016. Par exemple, on retrouve l’instauration d’une directive ministérielle en 2017 pour cesser la détention ou l’hébergement de mineurs dans la mesure du possible, des solutions de rechange à la détention qui sont toujours envisagées en premier, un programme officiel de surveillance instauré en 2017 avec la Croix-Rouge canadienne, l’amélioration des services de santé et de l’ensemble des conditions dans les centres de surveillance de l’immigration, ainsi que la réduction du recours aux installations provinciales, où, comme vous l’avez fait remarquer, les personnes sont souvent détenues.
(1430)
Il reste encore beaucoup à faire, mais je conclus en rappelant que Filippo Grandi, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, est d’avis que le système canadien reste largement un exemple à suivre dans le monde.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie beaucoup, sénateur Gold. J’attends avec impatience que vous nous donniez plus de détails à ce sujet.
Je note également que, d’après l’article, le représentant de l’Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC, aurait dit que l’organisme est au courant du rapport. Cependant, on ne sait pas exactement quelles mesures l’ASFC prend pour remédier à ces préoccupations.
Des voix ont réclamé à maintes reprises une surveillance civile indépendante des activités de l’ASFC, ce qui pourrait être nécessaire pour assurer le respect des droits de la personne et un traitement humain aux personnes avec lesquelles l’ASFC interagit.
Sénateur Gold, quelles mesures le ministre de la Sécurité publique prend-il actuellement pour que soit mis sur pied un organisme civil chargé de surveiller les activités de l’Agence des services frontaliers du Canada?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Le gouvernement reste déterminé à veiller à ce que les Canadiens aient confiance dans les services qu’ils reçoivent à la frontière. Même si la grande majorité des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada s’acquittent de leurs tâches de façon honorable et admirable, le gouvernement sait que, dans certains cas, leur conduite a laissé à désirer et sera remise en question. Dans de tels cas, il est essentiel que les plaintes soient examinées et traitées de façon juste et impartiale.
À cet égard, le gouvernement reste déterminé à remédier aux lacunes des agences de sécurité nationale du Canada et à demander la tenue d’un examen externe de l’Agence des services frontaliers du Canada.
Le cabinet du premier ministre
L’avancement des travaux législatifs
L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au sénateur Gold. Le comportement du gouvernement a été particulièrement choquant pendant la session qui se termine pour ce qui est de pousser l’adoption de mesures législatives. Dans certains cas, il a tenu des réunions secrètes de comités et fait adopter des amendements en catimini. Il a même été réprimandé par le Président de l’autre endroit.
Sénateur Gold, pourriez-vous s’il vous plait nous assurer qu’après avoir eu six ans pour présenter certaines mesures législatives, le gouvernement ne nous refilera pas un projet de loi à minuit moins une en prétendant qu’il faut l’adopter en quelques heures à peine, en particulier alors que nous ne l’avons même pas encore vu dans sa forme finale, comme ce fut le cas hier?
Après m’être informée, je viens de recevoir une copie du projet de loi, tout juste avant le début de cette séance.
Pouvez-vous nous fournir cette assurance?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Sénatrice Wallin, je vous remercie de votre question. Comme mes collègues au Sénat et mes collègues leaders le savent sans doute, j’ai toujours défendu avec fierté et respect le rôle du Sénat dans l’examen critique et en bonne et due forme des projets de loi du gouvernement. Il y a lieu de féliciter tous les sénateurs, car il y a eu de nombreuses circonstances au cours de la dernière année où nous nous sommes dispensés de suivre nos processus habituels, quoiqu’il serait peut-être plus juste de dire que nous avons utilisé des processus extraordinaires pour adopter des lois beaucoup plus rapidement. Je ne m’excuse pas d’avoir demandé à mes collègues, c’est-à-dire vous et les leaders, de l’aide à cet égard dans ces circonstances extraordinaires.
En ce qui concerne la situation actuelle, mes collègues ne sont pas sans savoir que, bien que nous ayons récemment reçu plusieurs projets de loi, notamment le projet de loi C-10 et le projet de loi C-6, nous estimons collectivement qu’il s’agit de projets de loi importants qui doivent être étudiés comme il se doit, et ils le seront.
À cet égard, le gouvernement et moi vous donnons l’assurance que nous continuerons de respecter le rôle important et légitime du Sénat et des sénateurs, qui consiste à étudier comme il se doit les mesures législatives du gouvernement.
La sénatrice Wallin : Quand une mesure législative change profondément nos droits démocratiques fondamentaux, comme la liberté d’expression, qui est l’un de nos droits les plus fondamentaux et les plus chèrement acquis — pour lequel nos parents et nos grands-parents ont littéralement versé leur sang —, un gouvernement est obligé d’informer le public de ses intentions.
Je vais paraphraser John F. Kennedy : une nation qui craint de laisser son peuple juger librement est une nation qui a peur de son propre peuple.
Sénateur Gold, le processus secret entourant le projet de loi C-10 prouve-t-il que le gouvernement craint de laisser le peuple le juger?
Le sénateur Gold : Sénatrice Wallin, avec tout le respect que je vous dois, il est évident que je ne peux pas adhérer à certaines de vos insinuations. Toutefois, nous entamerons le débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi aujourd’hui. Le débat se poursuivra la semaine prochaine, et je suis sûr que, à ce moment-là, tous les sénateurs auront l’occasion de prendre part au débat, s’ils le souhaitent, et d’écouter avec intérêt, ce qu’ils feront, j’en suis certain, les observations qu’on continuera à faire ainsi que les commentaires que les sénateurs feront alors que nous entamerons l’étude du projet de loi.
L’innovation, les sciences et le développement économique
Le Centre de production de produits biologiques
L’honorable Terry M. Mercer : Sénateur Gold, au début de 2020, les Canadiens ont appris qu’en raison des décisions prises par les gouvernements précédents, le Canada n’avait plus la capacité de fabriquer des vaccins à l’intérieur de ses frontières. Ce mois-ci, le gouvernement a terminé la construction du Centre de production de produits biologiques, une toute nouvelle installation dont le Conseil national de recherches du Canada est à la fois le propriétaire et l’exploitant. Pouvez-vous y croire? Le tout a été complété en moins d’un an; parfois, il est possible de mener rapidement les projets à bien.
Dès qu’elle aura atteint sa pleine capacité, cette installation pourra fabriquer jusqu’à 2 millions de doses par mois. Le centre a conclu une entente avec Novavax pour fabriquer leur vaccin dès que Santé Canada aura donné son approbation. Il est à espérer que ce sera fait avant la fin de 2021.
Sénateur Gold, étant donné que les Canadiens se font vacciner à un rythme encourageant avec les autres vaccins, le gouvernement a‑t‑il l’intention d’utiliser les vaccins de Novavax pour respecter ses engagements à l’échelle internationale en matière de vaccination, par exemple par l’entremise du programme COVAX?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et de souligner nos progrès pour rétablir la capacité de fabrication vaccinale en sol canadien. Nous avons très hâte que cette installation reçoive l’équipement attendu pour commencer à fabriquer le vaccin de Novavax.
Je suis vraiment content que vous ayez mentionné l’engagement du Canada à participer à la distribution mondiale des vaccins, surtout aux pays dont la situation est moins bonne que la nôtre.
Cependant, pour l’instant, je ne sais pas si la fabrication de vaccins contre la COVID-19 à Montréal servira à cette fin; d’ailleurs, nous ne pouvons pas encore savoir quand ces vaccins seront distribués au Canada. Dès que des détails à cet effet seront disponibles, j’en ferai certainement part au Sénat.
Le sénateur Mercer : Sénateur Gold, vous avez répondu partiellement à ma question complémentaire. Dois-je comprendre de votre réponse que l’établissement pourrait ne pas produire de vaccins contre la COVID-19? Si c’est le cas, va-t-il produire d’autres vaccins qui pourront être utilisés tant au Canada qu’ailleurs dans le monde?
Le sénateur Gold : Merci de votre question. Je crois comprendre que la priorité sera de commencer à produire des vaccins contre la COVID-19. On ne sait toujours pas avec précision combien on en produira ni à quel rythme. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que cet établissement et les autres que nous espérons voir apparaître nous fourniront les capacités nécessaires pour produire les vaccins dont nous aurons besoin, quels que soient les types de virus auxquels nous devrons faire face.
Comme je l’ai dit, c’est une étape importante pour récupérer, à l’échelle nationale, des capacités de production qui nous permettront de composer avec différentes maladies et de produire différents vaccins selon les besoins.
Les affaires étrangères
Les relations sino-canadiennes
L’honorable Thanh Hai Ngo : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Un comité de la Chambre des communes a publié un rapport sur le processus d’approvisionnement du gouvernement concernant l’équipement de contrôle de la sécurité qui est employé dans les ambassades canadiennes partout dans le monde. En juillet 2020, le marché a été attribué à Nuctech, une entreprise chinoise qui relève du Parti communiste chinois et qui entretient des liens avec l’Armée populaire de libération, parce que le prix est convenable.
La première recommandation du comité est la suivante :
Que le gouvernement du Canada interdise aux entreprises d’État chinoises, aux entreprises partiellement détenues par l’État chinois, y compris celles recevant des subventions gouvernementales non divulguées, et aux entreprises chinoises spécialisées dans les technologies, d’obtenir des contrats fédéraux dans les domaines des technologies de l’information, de l’équipement ou des services de sécurité.
(1440)
Sénateur Gold, vous savez que le gouvernement chinois utilise tous les moyens pour infiltrer et espionner notre pays et nos alliés. Comment le gouvernement peut-il envisager de permettre à une entreprise d’État chinoise de soumissionner pour des contrats de nature si délicate visant à équiper nos ambassades, et plus encore, lui attribuer le contrat?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de la question, sénateur.
Le gouvernement est reconnaissant au Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes pour le rapport, et il l’étudie en profondeur. Le gouvernement prend très au sérieux la sécurité des personnes dans les ambassades, les consuls et les hauts-commissariats du Canada dans le monde entier; c’est une priorité absolue.
Cependant, sénateurs, pour être clair, le gouvernement n’a pas acheté d’équipement de Nuctech et n’utilisera pas l’offre à commandes attribuée à Nuctech.
Comme vous le savez, Deloitte Canada a effectué un examen par un tiers des pratiques d’achat du gouvernement et a conclu qu’il n’y avait aucun cas de non-conformité en ce qui concerne l’offre à commandes. Toutefois, l’examen a permis de cerner des possibilités d’amélioration pour l’achat futur d’équipement de sécurité.
J’ai été informé qu’Affaires mondiales Canada prend des mesures pour améliorer le processus gouvernemental, comme l’examen par un tiers l’a recommandé.
Le sénateur Ngo : Le rapport du comité a aussi noté que les entreprises d’État comme Nuctech sont tributaires de généreuses subventions du gouvernement qui leur permettent de couper l’herbe sous le pied des concurrents lors des processus d’appel d’offres. Le gouvernement du Canada en est bien conscient, et c’est même l’objet d’un différend avec la Chine. Le gouvernement Trudeau a récompensé le gouvernement chinois en lui accordant non seulement ce contrat, mais aussi quatre autres contrats, et cela remonte à 2017.
Sénateur Gold, à la lumière du rapport de ce comité, le gouvernement Trudeau va-t-il revoir les autres contrats encore en cours?
Le sénateur Gold : Merci de votre question.
Le gouvernement est en train d’examiner sa relation avec la Chine sous toutes ses coutures, notamment les questions relatives aux contrats et autres. Le gouvernement du Canada est très conscient des problèmes de plus en plus graves que ses relations avec la Chine posent en matière de sécurité.
L’Agence de la santé publique du Canada
La Stratégie pancanadienne de données sur la santé
L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Un groupe consultatif d’experts a été créé à l’automne 2020 pour encadrer la mise sur pied d’une stratégie pancanadienne de données sur la santé. La semaine dernière, ce groupe d’experts a indiqué, dans son premier rapport, que l’écosystème hautement fragmenté des données sur la santé du Canada s’explique essentiellement par une assise relativement mauvaise en ce qui concerne la collecte, la transmission et l’utilisation des données.
Les failles dans le système ont gravement affecté la capacité du Canada à répondre efficacement à la pandémie de COVID-19. Par exemple, il s’est avéré difficile de recueillir et d’utiliser rapidement les données sur les tests, les cas et la vaccination. Il s’est avéré aussi difficile de partager les données génomiques pour gérer les variants.
Sénateur Gold, compte tenu de ces informations et de l’urgence de prendre des décisions fondées sur des données pour lutter contre la pandémie de COVID-19, pouvez-vous nous dire quelles mesures le gouvernement fédéral a prises pour combler les graves lacunes de l’écosystème actuel des données sur la santé, au Canada?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie, sénatrice, de votre question et d’avoir soulevé ce problème très grave et fâcheux. J’ai abordé ce dossier, d’une façon peut-être indirecte, dans plusieurs de mes réponses au cours de la dernière année.
Le problème que vous signalez est réel. Il est de nature structurelle. Il découle du partage des compétences dans de nombreux secteurs, notamment la compétence exclusive des provinces en matière de santé, et du fait que la collecte de l’information est compliquée — ce n’est peut-être pas le terme approprié — par des préoccupations légitimes en matière de protection de la vie privée, tant à l’échelle fédérale, sur le plan législatif, qu’à l’échelle provinciale.
Pour ce qui est de ce problème et des nombreux autres qui existaient avant la pandémie de COVID, mais qui ont été mis en lumière par elle, le gouvernement fédéral communique régulièrement avec les gouvernements provinciaux et territoriaux pour trouver un meilleur moyen, tout en respectant la Constitution, de recueillir, de communiquer et de diffuser ces renseignements utiles sur la santé dont vous avez parlé.
La sénatrice Seidman : Il serait plus que temps que le Canada se dote d’une stratégie pancanadienne de données sur la santé. De nombreux rapports produits au cours des 60 dernières années ont mis en évidence les failles de l’écosystème canadien des données sur la santé, et ces failles existent encore aujourd’hui. À titre d’exemple, le rapport produit en 2003 par le Comité consultatif national sur le SRAS et la Santé publique, dont nous avons parlé plus tôt pendant la période des questions, soulignait ces faiblesses systémiques et parlait des risques associés à l’absence de protocoles concernant le partage de données et de renseignements entre les divers ordres de gouvernement. C’était en 2003.
Sénateur Gold, comment pouvons-nous être certains que le gouvernement fédéral donnera suite, cette fois-ci, aux recommandations du comité consultatif d’experts sur la Stratégie pancanadienne de données sur la santé?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.
Je ne peux pas estimer avec certitude quel sera le degré de confiance des Canadiens, car je dois tout d’abord me renseigner sur l’état actuel des consultations, de la collaboration et des discussions entre tous les acteurs provinciaux, territoriaux, fédéraux, et ainsi de suite. Je me renseignerai et je ferai mon possible pour communiquer au Sénat la réponse que j’aurai obtenue.
La sénatrice Seidman : Merci.
[Français]
La défense nationale
Le ministre de la Défense nationale
L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, nous savons que, durant cette trêve estivale, les femmes au sein des Forces armées canadiennes ne seront toujours pas protégées par la Déclaration des droits des victimes adoptée il y a deux ans.
Pendant que le Parlement sera fermé, il y aura d’autres victimes dans ce système où la hiérarchie nous montre un peu plus chaque jour son refus de changer. Le ministre Sajjan est responsable de ce système de justice contaminé de l’intérieur. Au lieu d’agir avant la fin de la session, il s’est contenté de faire de beaux discours à l’autre endroit.
Aujourd’hui, l’ombudsman des Forces armées canadiennes qualifie la situation non pas de crise au sein des forces armées, mais de tragédie. Dans son nouveau rapport, Surveillance civile indépendante : la communauté de la défense ne mérite rien de moins — un document de position, l’ombudsman, M. Lick, pointe plusieurs problèmes majeurs quant à l’indépendance du poste d’ombudsman, aux ressources, aux recommandations et au fait qu’il y a eu, non pas un, mais trois examens indépendants. Il mentionne aussi un rapport qui n’a pas été mis en place et souligne l’inutilité de votre future enquête, qui sera menée par la juge Louise Arbour. Ce sont les déclarations de l’ombudsman. Il dénonce une ingérence de la part du ministre et du ministère qu’il qualifie de subtile, insidieuse, et constituant une forme représailles d’ordre institutionnel et personnel.
Je suis sûr que vous êtes très troublé par cette déclaration. La seule décision que vous devriez prendre n’est-elle pas de congédier le ministre de la Défense? Allez-vous prendre cette décision?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie. Le gouvernement est en train d’étudier le rapport de l’ombudsman. Je répète ce que j’ai dit à plusieurs reprises : le gouvernement est engagé à faire en sorte qu’il y ait un changement culturel et structurel au sein des Forces armées canadiennes. C’est pourquoi le lieutenant-général Carignan a accepté son rôle de chef de conduite professionnelle et culturelle. Les forces armées sont dès maintenant en train de mettre en œuvre 36 des 107 recommandations du rapport indépendant de l’ancien juge Fish. C’est également pourquoi le budget de 2021 consacre plus de 230 millions de dollars à l’objectif visant à mettre fin aux inconduites sexuelles dans les forces armées. Comme je l’ai dit récemment, j’espère que nous allons adopter le projet de loi C-30 dans les jours qui viennent.
Le sénateur Boisvenu : Je comprends que votre gouvernement a l’habitude de consacrer des millions de dollars aux conséquences d’un problème plutôt qu’à ses causes. Dans la conclusion de son rapport, l’ombudsman écrit ceci, et je cite :
Le cycle des scandales, suivis par des études, des recommandations émanant de mécanismes de surveillance indépendants, des demi-solutions et la résistance du Ministère ou des Forces armées canadiennes, ne sera brisé que si des mesures sont prises.
(1450)
Sénateur Gold, si votre gouvernement ne prend aucune mesure d’ici à la prochaine élection, il sera complice, aux yeux des Canadiens et surtout aux yeux des femmes militaires qui nous écoutent, de la négligence du ministre à faire le nécessaire pour corriger ces problèmes. De façon concrète, que prévoyez-vous faire d’ici la fin de 2021?
Le sénateur Gold : Merci de cette question.
Le gouvernement prend déjà des mesures concrètes; il n’est pas vrai que le gouvernement n’a rien fait ou ne fera rien. Pour répondre au premier aspect de votre question, je désire vous informer que j’ai pris l’initiative de rencontrer ceux et celles qui sont responsables de la mise en œuvre de la Charte canadienne des droits des victimes afin de vérifier les progrès accomplis, et je peux assurer aux honorables sénateurs que le travail est sur la bonne voie. C’est compliqué, car il y a des règlements à rédiger et tout un processus à suivre, mais je tiens à affirmer à tous nos collègues dans cette enceinte que les travaux visant à apporter des changements à la culture et à la structure des Forces armées canadiennes sont en cours.
ORDRE DU JOUR
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable René Cormier propose que le projet de loi C-6, Loi modifiant le Code criminel (thérapie de conversion), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je suis honoré de prendre la parole aujourd’hui à titre de parrain du projet de loi C-6, Loi modifiant le Code criminel (thérapie de conversion), un projet de loi qui permet de réformer le droit criminel afin de répondre aux pratiques de thérapie de conversion au Canada.
Ces pratiques sont discriminatoires et néfastes pour les personnes qui y sont soumises, et sont préjudiciables pour la société en général. Elles partent de la prémisse selon laquelle les personnes LGBTQ2+ peuvent et doivent changer pour se conformer aux normes sociétales et perpétuent des stéréotypes et des mythes qui n’ont pas leur place dans la société canadienne.
Grâce au travail inlassable des communautés LGBTQ2+ et de leurs alliés depuis des décennies, ce projet de loi s’inscrit dans la continuité d’une longue démarche de reconnaissance de leurs droits dans notre pays.
De la décriminalisation partielle de l’homosexualité en 1969, en passant par l’adoption du projet de loi C-23 en 2000 qui accordait aux couples de même sexe les mêmes avantages sociaux et fiscaux qu’aux hétérosexuels vivant en union libre, de la promulgation de la Loi sur le mariage civil qui permettait aux couples de même sexe de se marier partout au Canada en 2005 à l’adoption, en 2017, du projet de loi C-16 qui ajoutait l’identité de genre et l’expression de genre aux motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne, jusqu’à l’adoption, en 2018, du projet de loi C-66 que j’ai eu le privilège de parrainer au Sénat et qui visait à radier des condamnations historiquement injustes, chers collègues, notre pays a franchi d’importants jalons quant au respect des droits fondamentaux et à la dignité de tous les citoyens.
Le projet de loi C-6 représente donc un autre pas important dans la reconnaissance des droits de la personne au Canada.
Notre pays célèbre avec fierté sa diversité et vise le respect et l’intégration de toutes les personnes. Eh bien, il va sans dire que les pratiques dont il est question aujourd’hui ne sont pas du tout en phase avec ces objectifs. C’est pourquoi nous devons veiller à ce que tous les Canadiens, peu importe leur âge, et quelles que soient leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leur expression de genre, soient libres d’être eux-mêmes et le soient en toute sécurité. C’est ce que le projet de loi C-6 vise à faire.
Avant d’entrer dans le cœur du projet de loi, permettez-moi, chers collègues, de partager avec vous ces quelques réflexions.
Il y a quelques semaines, dans le cadre d’un discours sur les bienfaits de l’art que j’ai prononcé dans cette Chambre, j’ai souligné le rôle important de l’empathie dans la société canadienne et au sein du Parlement. L’empathie, cette faculté qui permet de s’identifier à l’autre, de comprendre ce qu’il ressent et de se mettre à sa place, est une qualité essentielle pour saisir l’impact de ces prétendues thérapies sur la vie de nos concitoyens.
Je vous invite à vous arrêter un instant, honorables sénateurs, et à penser à la personne que vous aimez le plus au monde, celle pour qui vous donneriez tout, celle avec qui vous partagez vos joies, vos peines et vos rêves, celle à qui vous avez dit « oui » un jour, et avec qui vous avez voulu créer une famille et construire un avenir commun, enfin, celle qui est plus précieuse à vos yeux que vous-même et pour qui vous seriez prêt à donner votre propre vie.
Réfléchissez aussi un instant à qui vous êtes, vous, au fondement de vous-même, à ce qui vous définit. Pensez à ce que vous avez mis tant de temps à reconnaître, à construire et à accepter; votre identité profonde. C’est ce qui vous constitue et vous définit comme individu, ce sentiment inébranlable et inhérent que vous êtes qui vous êtes, dans le genre qui est le vôtre et que vous assumez.
Maintenant, imaginez que vos parents, vos amis ou votre communauté vous communiquent constamment, parfois d’un simple regard ou de quelques mots, qu’il est anormal et inacceptable d’aimer la personne que vous aimez, et qu’il y a dans notre monde des amours légitimes et d’autres qui ne le sont pas.
Imaginez que l’on critique votre identité, ce que vous avez mis toute votre vie à accepter et à construire à l’intérieur de vous-même, afin d’avoir confiance en vous et de pouvoir aimer, agir et contribuer à notre société, en vous disant qu’il est honteux de se croire ainsi, de se « prétendre » ainsi, et que cela peut changer ou, en fait, que cela doit changer afin de correspondre aux normes de notre société.
Que ressentiriez-vous, honorables sénateurs? Un violent déchirement, sans doute, entre ce que vous êtes et ce qu’on voudrait que vous soyez; une crainte de décevoir, de perdre vos proches, d’être rejeté par votre famille, de ne plus être aimé; une solitude si profonde qu’il vous serait inconcevable de la surmonter. Bref, vous ressentiriez sans aucun doute une profonde détresse.
Un jour, j’ai rencontré un jeune homme de 19 ans qui était aux prises avec ces tiraillements. C’était un jeune homme habité d’une profonde douleur d’être, une personne qui faisait face à des choix déchirants et inavouables : s’accepter, tenter de changer, ou mettre fin à ses jours.
Ce tiraillement, de nombreux Canadiens et Canadiennes le vivent, chers collègues. Alors, peut-être que, comme certains d’entre eux, si vous viviez cette situation insupportable, vous souhaiteriez ardemment changer. Peut-être accepteriez-vous la voie vers une « thérapie » qui pourrait miraculeusement effacer cette douleur? Peut-être que vos parents, si vous étiez un enfant, voudraient vous conduire dans cette voie, par amour pour vous, en pensant que vous seriez guéri et heureux à nouveau.
Voilà la réalité à laquelle de nombreux citoyens et citoyennes font face malheureusement. Si je vous dis tout cela aujourd’hui, chers collègues, c’est qu’il faut beaucoup d’efforts pour reconnaître, comprendre et accepter une manière d’être différente de la nôtre, surtout quand il s’agit d’identité et de sexualité. C’est donc à votre empathie que je fais appel aujourd’hui au nom de tous les membres des communautés LGBTQ2+ et de tous les survivants de ces pratiques.
Depuis le début des conversations au Canada sur les pratiques de thérapie de conversion, plusieurs se sont montrés surpris d’apprendre leur existence, et d’autres ont manifesté une incompréhension de celles-ci. Or, il suffit d’effectuer de brèves recherches pour découvrir avec stupéfaction nombre d’organisations canadiennes ou d’individus qui les offrent encore et qui font la promotion des prétendus bienfaits de ces pratiques. J’ai été estomaqué par les propos que véhiculent les tenants de cette approche et par la description qu’en font les survivants de ces pratiques.
Cependant, qu’est-ce que la thérapie de conversion et quelles sont ses incidences sur les personnes qui y sont soumises? Eh bien, la thérapie de conversion fait référence aux interventions qui visent à modifier l’orientation sexuelle d’une personne pour la rendre hétérosexuelle, à modifier l’identité de genre d’une personne pour qu’elle soit cisgenre, c’est-à-dire pour que le genre auquel elle s’identifie corresponde à celui qui lui a été assigné à la naissance, ou à modifier l’expression de genre afin qu’elle soit conforme au genre attribué à la naissance.
Cette pratique tire son origine dans la conception erronée et discriminatoire selon laquelle toute identité autre qu’hétérosexuelle ou toute identité de genre ou expression de genre diverse constitue une anomalie qui doit être traitée, une maladie, bref, une « pathologisation » de ces réalités, un point de vue qui est complètement déphasé de la science moderne.
(1500)
Aussi, malgré l’emploi de l’expression « thérapie de conversion », ces pratiques n’ont de thérapeutique que leur appellation. D’ailleurs, elles sont parfois appelées « thérapie réparatrice », « thérapie de réorientation » ou « change therapy ».
[Traduction]
Selon un rapport publié en 2020 par l’Association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes, intitulé Réduire la tromperie, les thérapies de conversion incluent la lobotomie, la castration, la thérapie par aversion, la thérapie hormonale, l’hypnose, l’internement dans une clinique ou un camp, la psychothérapie et le counseling. Le rapport Pratique des thérapies dites « de conversion » de 2020 de l’expert indépendant chargé de la question de la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et l’identité de genre confirme la diversité des pratiques de thérapie de conversion :
« Thérapie de conversion » est une expression générique désignant des pratiques de nature très diverse, qui se fondent toutes sur la croyance selon laquelle l’orientation sexuelle et l’identité de genre d’une personne, y compris son expression du genre, peuvent et devraient être changées ou réprimées lorsqu’elles ne correspondent pas à celles que d’autres personnes, dans un contexte et une époque donnés, perçoivent comme étant la norme, en particulier lorsque la personne est lesbienne, gay, bisexuelle, trans ou de genre variant. Ainsi, ces pratiques visent systématiquement à transformer une personne non hétérosexuelle en personne hétérosexuelle, et une personne trans ou de genre variant en personne cisgenre.
Honorables sénateurs, d’autres données sont aussi profondément alarmantes. Par exemple, un sondage mondial entrepris en 2019 par l’organisme OutRight Action International indique que 67 % des répondants disent avoir été contraints de suivre une thérapie de conversion. Le même sondage rapporte que 82 % de ceux qui ont subi une thérapie de conversion étaient âgés de moins de 24 ans et 37 % âgés de moins de 18 ans. Fait encore plus alarmant, 74 % des répondants âgés de moins de 18 ans disent avoir été contraints.
De nombreuses études ont recensé les préjudices subis par les personnes qui ont été soumises à une thérapie de conversion. En 2009, le groupe de travail de l’American Psychological Association sur les mesures thérapeutiques convenables visant l’orientation sexuelle a effectué un examen systématique des articles évalués par des pairs qui portent sur les thérapies de conversion. Selon l’étude de ces données, ces thérapies causent une foule de préjudices graves, y compris une baisse de l’estime de soi, une augmentation de la haine de soi, de la confusion, de la dépression, de la culpabilité, du désespoir, de l’impuissance, de la honte, un retrait social, des idées suicidaires, une augmentation des toxicomanies, des symptômes du trouble de stress post-traumatique, une dysfonction sexuelle et de la douleur physique. Les thérapies de conversion offertes aux jeunes posent des risques de préjudice encore plus importants, surtout si on les pousse à y participer.
Des recherches récentes tendent à étayer ces conclusions. Par exemple, les résultats du sondage Sexe au présent réalisé au Canada en 2020 recense un ensemble similaire d’effets négatifs sur la santé et l’état psychosocial, et selon un récent article sur les adolescents de la communauté LGBTQ, les personnes qui ont suivi une thérapie de conversion dans leur jeunesse sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale. Les plus récents résultats du sondage ont été publiés ce mois-ci. D’après ces données, on estime que 1 homme sur 10 au sein de la communauté LGBTQ2+ du Canada a subi une thérapie de conversion. Cela signifie que, jusqu’à présent, plus de 50 000 personnes ont été soumises à cette pratique au Canada seulement.
C’est la raison pour laquelle les associations professionnelles canadiennes et internationales ont dénoncé ces pratiques. Pour n’en citer que quelques-unes, des associations comme l’Organisation mondiale de la santé, le Comité des Nations unies contre la torture, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, le Comité des droits de l’homme des Nations unies, l’Association des psychiatres du Canada, la Société canadienne de psychologie, l’Ordre professionnel des sexologues du Québec et l’Association canadienne des travailleurs sociaux ont clairement exprimé leur avis concernant ces pratiques.
Même si certains avancent qu’elles partent d’un bon sentiment, ces pratiques ont engendré — et continueront d’engendrer jusqu’à ce qu’elles cessent — de la détresse, des tentatives de suicide et des vies brisées. Comment envisager qu’il est plus important d’essayer de changer les fondements mêmes d’une personne plutôt que de l’aider à s’accepter comme elle est, tout en protégeant sa santé psychologique, voire sa vie?
[Français]
Le Canada est un pays d’inclusion qui reconnaît, par sa Charte et ses lois, le droit à l’égalité de tous.
Peu après mon arrivée au Sénat, nous avons étudié et adopté le projet de loi C-16 qui ajoutait l’identité de genre et l’expression de genre à la Loi canadienne sur les droits de la personne et au Code criminel. Ensemble, nous avons reconnu le caractère immuable et intrinsèque de l’identité de genre et de l’expression de genre de l’être humain.
Il n’est donc plus question de choix, puisque ces composantes de notre personne, au même titre que l’orientation sexuelle, ne découlent pas d’un choix, mais de notre état, de qui nous sommes.
C’est pourquoi on ne peut dire qu’une personne choisit d’être homosexuelle ou trans ni que l’on puisse changer cette réalité. Le seul choix que cette personne a est d’affirmer qui elle est, publiquement ou non. Pour certains, ce choix est malheureusement encore impossible. La sortie du placard récente du footballeur américain Carl Nassib, des Raiders de Las Vegas, en est un exemple éloquent.
Le projet de loi C-6 constitue la réponse du gouvernement à ces données alarmantes en proposant cinq nouvelles infractions afin de criminaliser les actions suivantes : faire suivre une thérapie de conversion à des enfants de moins de 18 ans; faire passer un enfant de moins de 18 ans à l’étranger pour lui faire suivre une telle thérapie; faire suivre une thérapie de conversion à un adulte sans son consentement; bénéficier d’un avantage matériel provenant directement ou indirectement de la thérapie de conversion; faire de la publicité ou de la promotion en vue d’offrir de la thérapie de conversion.
Pour chacune de ces nouvelles infractions, nous devons revenir à la définition même de la thérapie de conversion, comme elle est énoncée dans le projet de loi.
[Traduction]
Le projet de loi définirait la pratique d’une façon qui correspond aux faits dont je viens de parler. Selon le projet de loi, la thérapie de conversion s’entend d’une pratique, d’un traitement ou d’un service qui vise à modifier l’orientation sexuelle d’une personne pour la rendre hétérosexuelle, à modifier l’identité de genre ou l’expression de genre d’une personne pour la rendre cisgenre ou à réprimer ou à réduire toute attirance ou tout comportement sexuel non hétérosexuels ou toute expression de genre non cisgenre. En employant les termes « pratique », « traitement » et « service », le projet de loi fait référence à toute forme d’intervention officielle, peu importe la forme qu’elle prend, qui constitue une thérapie de conversion si elle cherche à changer une personne.
Honorables sénateurs, il est important de se souvenir que l’intervention doit viser à changer la personne. Ainsi, une conversation portant sur ces questions qui ne viserait pas à changer la personne ne répondrait pas aux critères des définitions qui constituent une thérapie de conversion, à moins qu’elle ne fasse partie d’un effort systématique visant à rendre la personne hétérosexuelle ou cisgenre. De plus, la définition est assortie d’une disposition de précision qui indique ce que la thérapie de conversion n’est pas. Ainsi, la thérapie de conversion ne vise pas les pratiques, les traitements ou les services qui se rapportent à l’exploration et au développement d’une identité personnelle intégrée sans privilégier une quelconque orientation sexuelle, identité de genre ou expression de genre.
Les professionnels de la santé mentale nous ont appris que l’identité comporte de multiples facettes. Je vais les laisser expliquer davantage le concept d’identité personnelle intégrée, mais je crois comprendre, honorables sénateurs, qu’une identité personnelle intégrée suppose l’atteinte d’une certaine forme de cohérence interne concernant les multiples aspects de nos identités sociales, par exemple, l’âge, le sexe, l’identité de genre, l’expression de genre, la race, la culture et la religion. Par conséquent, les interventions légitimes qui aident les gens à intégrer les différents aspects d’eux-mêmes, mais qui ne dictent pas un résultat particulier, ne sont pas considérées comme une thérapie de conversion.
Grâce à un amendement apporté à l’autre endroit, le libellé de la disposition est maintenant adapté au contexte des professionnels de la santé mentale afin de préciser que les interventions jugées légitimes par cette profession ne sont pas visées par la définition. Ce changement répond aux préoccupations à propos de la définition qui aurait pu inclure, de façon non intentionnelle, les thérapies légitimes.
(1510)
La définition dans le projet de loi est fondée sur les préoccupations qui ont été soulevées jusqu’à maintenant. Elle précise que les thérapies de conversion peuvent prendre diverses formes et inclure des interventions visant à réprimer ou à réduire une série de comportements, y compris l’expression de genre non conforme. Le terme « expression de genre » ne figurait pas dans la version initiale du projet de loi. Son ajout au moyen d’un amendement à l’autre endroit a permis au projet de loi de refléter son intention initiale : protéger tous les membres de la communauté LGBTQ2+.
Il est clair pour moi, chers collègues, que le projet de loi cible les torts causés aux personnes ayant subi des thérapies de conversion, comme le démontrent les preuves.
Avec deux infractions relatives aux thérapies de conversion visant des enfants, le projet de loi les protège pleinement. Nous savons que les enfants sont touchés de façon disproportionnée par les thérapies de conversion, que l’on pense à la fréquence avec laquelle ils ont été soumis à de telles pratiques ou aux torts qui en résultent.
Le projet de loi interdit aussi de contraindre quiconque à subir des thérapies de conversion, ce qui arrive à une fréquence alarmante selon les données internationales. Cela dit, le projet de loi est une solution équilibrée : il laisse une certaine marge de manœuvre aux adultes, qui peuvent choisir librement de suivre une thérapie de conversion.
En érigeant en infraction le fait de tirer des profits de telles pratiques ou d’en faire la promotion ou la publicité, le projet de loi C-6 cherche à protéger tous les Canadiens contre les dommages des thérapies de conversion en réduisant leur disponibilité et leurs messages discriminatoires dans la sphère publique.
[Français]
Chers collègues, cette prise de conscience collective qui est provoquée aujourd’hui quant à ces pratiques discriminatoires est le fruit de l’engagement perpétuel des membres des communautés LGBTQ2+ et de leurs alliés dans la défense et la promotion de leurs droits.
Au cours des dernières années, ceux-ci se sont mobilisés partout au pays pour provoquer ce changement. Ils ont ouvert les yeux d’une partie de la population à l’existence de ces pratiques au Canada. Leur mobilisation fut telle que des municipalités canadiennes comme Vancouver, Calgary, Edmonton et Saskatoon ont répondu à l’appel. En raison de leur compétence en la matière, de nombreuses municipalités ont adopté des règlements pour interdire les pratiques commerciales liées aux pratiques de thérapie de conversion sur leur territoire. D’autres ont adopté des motions ou des déclarations pour les dénoncer.
Par ailleurs, l’Ontario, l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Québec et le Yukon ont adopté des lois visant à spécifier que les thérapies de conversion ne constituent pas un service de santé assuré et à interdire aux professionnels de la santé de fournir aux mineurs des services qui souhaitent changer leur orientation sexuelle ou leur identité. Le Manitoba a, pour sa part, adopté une politique pour interdire ces pratiques.
L’éradication de ces pratiques au Canada est une responsabilité collective envers toutes les personnes qui les ont subies et les subiront, mais aussi envers l’ensemble de la population canadienne qui est exposée à ces messages discriminatoires et stéréotypés. Chaque règlement et chaque loi sont essentiels pour permettre l’avènement d’une société exempte de pratiques de thérapie de conversion. Au moyen d’amendements au Code criminel, le projet de loi C-6 s’ajoute à ces actions déterminantes. C’est grâce à des survivants comme Matt, Erika et Victor et au travail de nombreux experts et militants que nous sommes ici aujourd’hui. Leurs témoignages émouvants, empreints de courage, prouvent qu’il est nécessaire d’agir.
Chaque année, chaque mois et chaque semaine qui s’écoulent, plus de larmes sont versées et plus de vies sont détruites pour une seule et unique raison : vouloir être soi-même. Or, l’une des pires choses dans la vie n’est-elle pas de renier le fondement même de notre personne? Aussi, à défaut d’avoir agi plus tôt dans notre histoire, nous avons maintenant l’occasion d’intervenir immédiatement et collectivement pour protéger l’ensemble des membres, jeunes et moins jeunes, des communautés LGBTQ2+.
Avant de conclure, chers collègues, je m’en voudrais de ne pas remercier notre ancien collègue, l’honorable Serge Joyal, qui a commencé la discussion sur cet enjeu dans cette enceinte il y a deux ans. Sans son travail et sa détermination, nous n’étudierions probablement pas le projet de loi C-6 en ce moment.
Je peux affirmer sans craindre de me tromper qu’il est plus que temps de mettre un terme à ces pratiques préjudiciables et discriminatoires que constituent les thérapies de conversion. J’espère que nous pourrons tous convenir que le projet de loi C-6 représente une réponse équilibrée à l’égard d’une lacune flagrante dans le domaine du droit et qu’il est plus urgent que jamais de renvoyer le projet de loi en comité pour qu’il fasse l’objet d’un examen approfondi.
Chers collègues, ce projet de loi n’est pas présenté en opposition à quiconque ni à quelque croyance que ce soit, bien au contraire. Il ne vise pas à porter des jugements sur les convictions religieuses des individus. Il ne vise pas à empêcher les parents qui ont à cœur la santé et le bonheur de leurs enfants d’avoir des conversations avec eux. Il s’agit plutôt d’une étape de plus vers la pleine reconnaissance de la dignité humaine, de l’intégrité et de l’égalité de tous.
Après plus de deux ans à réfléchir et à enquêter sur cette question, et en songeant aux 50 000 personnes qui ont subi des thérapies de conversion au Canada, je peux dire qu’il me tarde que le projet de loi C-6 soit étudié et adopté le plus rapidement possible.
En terminant, permettez-moi de vous donner des nouvelles du jeune homme de 19 ans dont je vous ai parlé au début de cette allocution; vous savez, celui qui faisait face à des choix déchirants, soit d’accepter son orientation sexuelle, d’essayer de changer ou de mettre fin à ses jours. Eh bien, grâce à ses parents, à sa famille, à sa communauté, grâce à ses amis qui l’ont appuyé, il n’a pas eu à faire ce choix impossible. Heureusement, on ne lui a pas imposé une supposée thérapie de conversion. Il a finalement réussi à s’accepter, à vivre sa vie, à rencontrer l’amour et à contribuer le mieux possible à notre société. Ce jeune homme, qui avait 19 ans en 1975, il est devant vous aujourd’hui, et il est rempli de gratitude face au soutien qu’il a reçu.
Honorables sénateurs, en tant que législateurs, et à quelques jours du 52e anniversaire des émeutes de Stonewall, faisons donc en sorte que tous ces citoyennes et citoyens qui doivent faire face aux mêmes choix déchirants puissent, eux aussi, être pleinement qui ils sont et, grâce au projet de loi C-6, assurons-nous qu’ils ne soient pas amenés dans des directions qui entraînent des impacts désastreux pour eux. Continuons de travailler ensemble pour qu’ils soient plutôt accompagnés et aimés dans ce qu’ils sont : des êtres humains qui ne demandent qu’à vivre, à aimer et à être heureux.
Je vous remercie de votre attention.
[Traduction]
L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, je suis honorée de m’adresser à vous aujourd’hui depuis le territoire non cédé du peuple mi’kmaq.
Chers collègues, juin est le Mois de la fierté au Canada, une occasion de célébrer les membres de la communauté LGBTQ+, de reconnaître leur histoire, les difficultés qu’ils ont endurées par le passé et que beaucoup continuent d’endurer, les progrès et les victoires qu’ils ont obtenus ainsi que les nombreuses contributions qu’ils apportent à notre société, à nos collectivités, à nos familles et, chers collègues, à notre Parlement.
Dans son rapport publié le 15 juin à l’occasion du Mois de la fierté, Statistique Canada signale que le Canada compte maintenant 1 million de personnes qui d’identifient comme étant membres de la communauté LGBTQ+, ce qui représente 4 % de la population canadienne.
Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui à l’appui du projet de loi C-6, loi modifiant le Code criminel relativement aux thérapies de conversion, car le temps est venu de démontrer notre respect pour les droits des Canadiens LGBTQ+ et de reconnaître que nous avons la responsabilité de répondre à leur demande en vue de mettre un terme aux thérapies de conversion, lesquelles leur ont causé des préjudices et continuent de leur en causer. Le Mois de la fierté aurait été un moment opportun pour adopter ce projet de loi qui s’impose depuis longtemps.
J’aimerais féliciter mon collègue le sénateur René Cormier de son leadership à titre de parrain de cet important projet de loi, ainsi que de sa version antérieure, le projet de loi S-202, présentée à l’origine par notre ancien collègue, le sénateur Serge Joyal.
[Français]
Sénateur Cormier, vous avez raison; il est grand temps que les Canadiens défendent les droits de la personne et réclament justice et compassion.
[Traduction]
Le changement n’est pas toujours rapide, mais il est nécessaire si on considère le genre de Canada que nous voulons pour chacun d’entre nous, en particulier pour nos enfants et petits-enfants. En 1971, l’ancien premier ministre Pierre Trudeau a dit ceci :
Il n’existe pas de type canadien, ni pour l’homme ni pour la femme. Une société qui prônerait l’uniformité n’engendrerait que haine et intolérance. Une société qui prendrait pour modèle le citoyen moyen engendrerait inévitablement la médiocrité. La bienveillance, la compréhension, la solidarité, voilà des valeurs humaines qui, à l’échelle universelle, éclipsent heureusement toute tendance à l’uniformité. Voilà le genre de valeurs que nous autres, Canadiens, devons continuer à cultiver.
(1520)
Chers collègues, il est temps d’arrêter d’ostraciser les personnes qui ne se conforment pas à un quelconque concept artificiel de ce qu’est la « normalité ». Il est temps d’arrêter d’avoir peur des différences des autres. Il est temps, plus que jamais, d’embrasser la diversité.
Depuis des décennies, les membres de la communauté LGBTQ+ subissent l’oppression et la violence systémiques. On leur a dit qu’ils étaient malades et que leurs comportements étaient immoraux. Leur collectivité, leur congrégation, leur milieu de travail, leur école et, malheureusement parfois, leur famille les ont fait se sentir comme des parias.
Pendant une bonne partie de notre passé commun, le gouvernement s’est fait complice de cette violation des droits en intentant des poursuites criminelles contre des Canadiens pour sodomie, en refusant l’entrée au pays aux homosexuels et en interdisant aux personnes LGBTQ+ de s’enrôler dans les Forces canadiennes. La liste est longue.
Par ses actions, le gouvernement a envoyé un message clair à tous ceux qui n’étaient pas hétérosexuels ou cisgenres : ils n’avaient pas leur place dans la société canadienne et ils n’y avaient pas les mêmes droits, les mêmes libertés et les mêmes protections que les gens qu’on disait « normaux ». C’est cet environnement qui a vu apparaître les thérapies de conversion. Depuis les années 1950 au Canada, ces thérapies sont vantées comme étant un remède pour des gens qu’on traitait déjà comme des parias. Un remède contre quoi au juste? Un remède contre le fait de ne pas se conformer aux attentes hétéronormatives de la société, soit carrément un remède contre l’identité de ces personnes?
Soyons clairs, chers collègues, les thérapies de conversion sont une forme de torture comme l’avait déclaré Randy Boissonnault, l’ancien conseiller spécial du premier ministre sur les questions LGBTQ+2. Par surcroît, étant donné que, dans la plupart des cas, ce genre d’approche est utilisée auprès d’enfants, j’estime bien franchement, chers collègues, qu’il s’agit d’une forme de violence faite aux enfants. Les thérapies de conversion prennent diverses formes et sont offertes par des cliniciens professionnels, des autorités religieuses, des dirigeants communautaires et de nombreux charlatans.
Dans son exposé de position sur les thérapies de conversion au Canada, la division du Nouveau-Brunswick de l’Association canadienne pour la santé mentale dit ceci :
Les thérapies de conversion remontent à la fin du XIXe siècle, lorsque le psychiatre allemand Albert von Schrenk-Notzing a soutenu avoir rendu hétérosexuel un homosexuel grâce à des séances d’hypnose et plusieurs visites dans un bordel. Cette pratique s’est généralisée au cours du XXe siècle, mais les techniques employées sont demeurées élémentaires, voire souvent barbares. L’historien Chris Babits, par exemple, a trouvé des preuves que dans les années 1940 et 1950, on a couramment effectué des lobotomies transorbitales sur des enfants homosexuels. Mentionnons également d’autres techniques comme la castration forcée chez les hommes et les électrochocs.
Bien franchement, je frémis à l’idée de la cruauté et de la souffrance infligées à des personnes innocentes, particulièrement des enfants et des jeunes.
George Barasa, un homosexuel kényan de genre non conforme qui vit en Afrique du Sud et qui a été soumis à une thérapie de conversion, a déclaré ceci :
La thérapie de conversion n’est pas un événement unique; c’est un long processus qui vise à rabaisser et à attaquer ce que nous sommes au plus profond de notre être. Il s’agit souvent de violations répétées sous la forme de sévices psychologiques et parfois physiques [...] Cela ne se produit pas en une seule fois. Il s’agit d’une impression perpétuelle d’abandon. La pression est énorme.
David Kinitz, un étudiant au doctorat à l’Université de Toronto, a écrit ceci :
Comme je suis un survivant de la thérapie de conversion, je sais d’expérience à quel point elle peut être néfaste. À l’âge de 16 ans, j’ai moi-même décidé de m’inscrire à une thérapie de conversion dans l’espoir d’être « hétéro » et de me comporter de façon plus masculine. Les années précédentes avaient été remplies d’expériences négatives et de pressions hétéronormatives qui m’avaient poussé à croire qu’être queer était incompatible avec la vie dans notre société. Tout cela m’a incité à envisager de changer ma vie, ou, pire, de me suicider.
Erika Muse, qui a témoigné au sujet du projet de loi C-6 au Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre, a déclaré ceci :
[...] je suis une survivante de la thérapie de conversion transgenre. J’ai suivi à Toronto une thérapie de conversion avec M. Kenneth Zucker à la clinique de l’identité sexuelle pour jeunes du Centre de toxicomanie et de santé mentale, le CAMH. Cette clinique est maintenant fermée.
J’ai été l’une des patientes de M. Zucker pendant sept ans, de 16 à 23 ans. Il a refusé de me donner des soins d’affirmation de genre sous forme d’hormones et de chirurgie jusqu’à ce que j’aie 22 ans [...] [I]l m’a [...] interrogée au cours d’une thérapie conversationnelle pendant des heures, en m’attaquant de façon inquisitoire, en me blessant et en essayant de détruire mon identité et mon estime personnelle. Il s’efforçait de me faire ressentir de la honte et de la haine envers moi-même.
La thérapie de conversion m’a presque détruite, et je vis encore aujourd’hui avec ses cicatrices physiques et émotionnelles.
Chers collègues, les thérapies de conversion ont recours à différentes méthodes, dont bon nombre sont maintenant proposées en ligne, qui vont de la thérapie par la parole, aux interventions spirituelles, en passant par la prescription de médicaments et des méthodes extrêmes. Les thérapies de conversion sont connues sous divers noms, notamment les thérapies réparatrices, les thérapies de réintégration, les thérapies de réorientation, les thérapies pour les anciens homosexuels, les cures pour les homosexuels et les efforts visant à changer l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre, qui ont le même objectif : rendre une personne hétérosexuelle ou cisgenre.
Chers collègues, aucune étude scientifique crédible ne peut prouver que les thérapies de conversion ont une incidence sur l’orientation sexuelle ou encore l’identité ou l’expression de genre d’une personne. La Société canadienne de psychologie a déclaré que les thérapies de conversion pouvaient :
[…] avoir des conséquences négatives comme la détresse, l’anxiété, la dépression, une image négative de soi, un sentiment d’échec personnel, et même de la difficulté à maintenir des relations […], l’automutilation, l’idéation suicidaire, un dysfonctionnement sexuel, un sentiment de culpabilité, un sentiment d’impuissance et de découragement, la honte, un retrait social, la toxicomanie, le stress, la déception, un sentiment de responsabilité, une baisse de l’estime de soi, une augmentation de la haine de soi, l’hostilité ou les récriminations envers les autorités, la colère, la perte d’amis, les comportements sexuels à risque élevé et la perte de foi.
En 2012, l’Organisation panaméricaine de la santé a affirmé que les thérapies de conversion constituent « une grave menace pour la santé et les droits des personnes touchées ».
Selon les résultats de l’enquête Sexe au présent, menée en 2019-2020, 10 % de ses répondants ont été exposés à une forme de thérapie de conversion au Canada, et 72 % d’entre eux ont commencé leur thérapie alors qu’ils avaient moins de 20 ans. Parmi les répondants exposés à une thérapie de conversion, les transgenres, les Autochtones, les membres de minorités raciales et les personnes à faible revenu étaient surreprésentés.
Comme l’a fait remarquer le ministre Lametti à l’autre endroit :
Ces données à elles seules sont préoccupantes. Donc, en plus d’avoir un effet négatif sur les personnes marginalisées, la thérapie de conversion nuit encore davantage aux personnes les plus marginalisées au sein de ce groupe.
Le Yukon, le Manitoba, l’Ontario, le Québec, l’Île-du-Prince-Édouard et ma province, la Nouvelle-Écosse, ont mis en place des lois limitant le recours aux thérapies de conversion.
L’objectif du projet de loi C-6 est de protéger tous les mineurs canadiens contre les thérapies de conversion, que ce soit au Canada ou à l’étranger. Pour ce faire, il donne une définition claire de la thérapie de conversion, que vous avez entendue, et crée cinq nouvelles infractions au Code criminel. Il s’agit de faire suivre une thérapie de conversion à un enfant; d’agir en vue de faire passer un enfant à l’étranger pour qu’il y suive une thérapie de conversion; de faire suivre une thérapie de conversion à une personne sans son consentement; de bénéficier d’un avantage matériel provenant de la prestation de thérapies de conversion et de faire de la promotion ou de la publicité en vue d’offrir de la thérapie de conversion.
Le projet de loi C-6 représente un pas en avant important dans le domaine des droits des personnes LGBTQ+ et envoie un message clair aux jeunes LGBTQ+, à savoir que personne ne devrait être forcé de renier qui il est.
Cependant, chers collègues, le projet de loi C-6 ne répond qu’à une partie d’un beaucoup plus vaste ensemble de questions qui doivent être abordées en ce qui concerne les droits de la communauté LGBTQ+ au Canada. Cela fait 36 ans que le Sous-comité parlementaire sur les droits à l’égalité a publié son rapport intitulé Égalité pour tous mettant en évidence la tyrannie physique et psychologique à laquelle sont soumises les minorités sexuelles au Canada. Nous devons poursuivre les progrès que nous avons déjà réalisés et nous efforcer de faire mieux dans les domaines où il y a encore du travail à faire.
Ces dernières années ont été marquées par des changements positifs pour les personnes LGBTQ+ du monde entier. En janvier 2020, la loi sur le mariage entre personnes de même sexe est entrée en vigueur en Irlande du Nord. En mai de l’année dernière, l’Allemagne a interdit la thérapie de conversion pour les mineurs. En juillet dernier, Mexico a interdit la thérapie de conversion et le Soudan a supprimé la peine de mort pour les homosexuels.
Pourtant, il existe encore plus de 70 pays dans le monde où faire partie de la communauté LGBTQ+ est criminel. Chers collègues, je suis horrifiée de dire qu’il y a encore six pays où les membres de la communauté LGBTQ+ sont passibles de la peine de mort. Dans près de 30 pays, la pratique de la thérapie de conversion est encore soutenue par l’État par le biais de cliniques et d’écoles privées qui fournissent ce « service ».
Chers collègues, le projet de loi C-6 vise à faire en sorte que la pratique dangereuse et préjudiciable de la thérapie de conversion soit interdite partout au Canada et que nos enfants et petits-enfants grandissent dans un monde où il est non seulement plus facile de dire ouvertement qui nous sommes, mais où nos différences sont célébrées et acceptées.
Il y a une dynamique de changement, tant au Canada que dans le monde entier, et nous ne devons pas relâcher les grands efforts que nous déployons pour défendre les droits de la personne. En tant que sénateurs, il est de notre devoir de représenter les intérêts et de protéger les droits de toutes les minorités du pays, en particulier les plus vulnérables.
(1530)
Chers collègues, je vais appuyer ce projet de loi, car j’estime que c’est la bonne chose à faire. Nos concitoyens, en particulier les enfants, doivent avoir la liberté d’être qui ils sont véritablement, d’aimer qui ils veulent et de vivre sans peur.
Honorables sénateurs, avant de conclure mes observations, j’aimerais citer Jonathan Brower, un artiste du monde du théâtre qui a survécu à une thérapie de conversion. Jonathan a dit :
Je ne veux plus guérir, du moins, pas de ma vraie nature. Je veux seulement guérir les cicatrices causées par mes efforts pour changer.
En terminant, chers collègues, j’ai pensé qu’il serait approprié de citer un militant des droits de la personne, Martin Luther King Jr., qui a dit : « L’arc de l’univers moral est long, mais il tend vers la justice. »
Honorables sénateurs, allons de l’avant avec ce projet de loi crucial afin que cet arc continue de tendre vers la justice pour Jonathan, Erika et David ainsi que tous les Canadiens de la communauté LGBTQ+. Joyeux Mois de la fierté, mes chers collègues. Merci, wela’lioq.
Des voix : Bravo!
L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, je souhaite vous parler du projet de loi C-6, Loi modifiant le Code criminel (thérapie de conversion). Si vous me le permettez, je commencerai, comme toujours, par une histoire.
Lorsque j’ai été nommée au Sénat, il y a deux ans et demi, l’huissier du bâton noir, Greg Peters, m’a téléphoné pour régler différents détails en prévision de l’assermentation. Il m’a demandé si je voulais jurer sur la Bible. Quand je lui ai répondu n’être pas vraiment portée sur la religion, il m’a proposé de prêter serment en ayant à la main la Charte des droits et libertés.
Ce symbolisme me semblait parfait, puisqu’il montrait que je m’engageais, en tant que sénatrice, à faire respecter les droits et les libertés de tous les Canadiens. L’huissier du bâton noir m’a fait remarquer qu’un simple parchemin enroulé manquerait peut-être d’éclat. Il a proposé de nouer, autour du parchemin, un ruban qui symboliserait une cause qui m’est chère. Peut-être un ruban aux couleurs de l’arc-en-ciel?
J’avais, en effet, écrit beaucoup d’articles sur les batailles menées, et durement gagnées, au Canada et dans ma province pour les droits des personnes gaies. J’avais couvert l’affaire Delwin Vriend, à l’issue de laquelle la Cour suprême du Canada avait statué que l’Alberta devait inclure l’orientation sexuelle dans la loi provinciale sur les droits de la personne.
J’ai écrit à propos des luttes menées par des couples de même sexe pour adopter des enfants ou recevoir un héritage. J’ai couvert le combat pour le mariage gai, depuis l’époque où il était perçu comme une idée radicale et subversive jusqu’au moment où il est devenu une banalité. J’ai couvert le premier mariage lesbien d’Edmonton, du premier rang, puisque l’une des mariées se trouvait à être ma propre belle-sœur. En fait, on peut dire qu’après la cérémonie, les deux mariées étaient mes belles-sœurs.
J’ai écrit au sujet de jeunes Albertains qui se battaient pour mettre sur pied des alliances gais-hétéros dans leur école. J’ai écrit sur le combat pour le financement d’opérations chirurgicales vitales pour des Albertains trans.
Mais je ne suis pas moi-même homosexuelle. Je craignais de donner l’impression que je m’appropriais un symbole puissant du combat pour les droits des personnes allosexuelles et trans, car ce combat n’est pas le mien.
J’ai consulté mes amis et parents homosexuels. Seraient-ils offensés si un ruban arc-en-ciel ornait ma copie de la Charte? Ils m’ont tous dit que le ruban serait vu comme un compliment à leur endroit et le signe que je continuerais à lutter pour leurs droits.
Seulement une personne a remis mon choix en question, mais il se trouve que c’est son opinion qui compte le plus à mes yeux, parce qu’il s’agit de la personne que j’aime et que je respecte le plus au monde : ma fille.
« Tu n’es pas lesbienne, a-t-elle dit, juste une amie des lesbiennes. »
Elle a eu raison d’être sceptique et de remettre ma sincérité en question, car même si je me dis une alliée, lorsque ma propre fille m’a fait cette confidence, il y a quatre ans, je n’ai pas réagi comme une mère parfaite. Je n’ai certainement pas réagi comme la militante sensible aux injustices que je croyais être.
Je n’ai pas renié ma fille. Je ne pourrais pas me passer d’elle, tout comme je ne pourrais pas me passer de mon cœur. Je ne l’ai pas rejetée, mais je n’ai pas voulu l’écouter.
Je lui ai dit d’un ton moqueur : « Bien sûr que tu n’es pas gaie. Tu es une abonnée de Sephora. Ton placard est rempli de robes. Tu portes des chaussures à talons hauts. » Je ne pouvais tout simplement pas admettre que ma gracieuse princesse, mon ange, était lesbienne.
Au lieu d’accueillir son annonce courageuse avec joie et enthousiasme, j’ai voulu balayer cela du revers de la main. J’ai dit : « C’est juste une phase. Quand tu rencontreras le bon garçon, tu oublieras tout ça. » Ensuite, j’ai dit d’autres stupidités impardonnables qui correspondent à tous les stéréotypes blessants qui sont entretenus par les hétérosexuels : « Tu es peut-être juste bisexuelle. Tu penses peut-être que tu es gaie parce que tu as des amis gais qui sont cool. Ai-je été une mauvaise mère? Est-ce ma faute? »
Pourquoi est-ce que je raconte cette histoire profondément personnelle à propos de mon pire échec parental, ou peut-être de mon pire échec moral? Parce que je veux que tous les parents qui m’ont écrit, qui ont rempli ma boîte de réception de messages furieux et anxieux à propos du projet de loi C-6, comprennent que je ne leur fais pas la leçon en raison d’une attitude pharisaïque de supériorité morale.
Je veux que tout le monde sache que je comprends cette crainte et cette douleur. Je sais que le monde bascule quand notre enfant nous apprend une nouvelle pour laquelle nous n’étions pas préparés. Même les parents les plus affectueux peuvent se sentir pris de court lorsque leur enfant leur annonce qu’il est gai, lesbienne ou transsexuel. Je comprends ce déni, parce que je l’ai moi-même vécu, en dépit de ma défense des intérêts publics, de ma participation à tous ces défilés et de toutes mes professions d’alliance.
J’étais une des défenseures les plus ferventes d’Edmonton de l’égalité des queers. Cependant, alors que ma propre fille souffrait sous mes yeux, je me suis rendu compte — avec une clarté cuisante — que même si j’aimais mes amis gais et leur famille, même si je les avais défendus bec et ongles, je l’avais fait non seulement par sentiment de justice, mais par pitié. D’une certaine manière profonde, inconsciente et embarrassante, je considérais l’homosexualité ou la transsexualité comme une espèce d’affliction.
J’ai lutté pour les droits des personnes homosexuelles et trans, et je ne l’ai pas fait d’une façon uniquement symbolique ou hypocrite, du moins je l’espère. Toutefois, en mon for intérieur, je ne voulais pas que ma fille parfaite — la prunelle de mes yeux — fasse partie d’« eux ». Je ne voulais pas qu’elle soit victime de préjugés ou de bigoterie.
Je me suis soudainement rappelé le moment où l’orthodontiste nous a annoncé que ma fille avait besoin d’un appareil orthodontique et d’un appareil pour sa mâchoire. J’étais bouleversée. Ma fille? Ma fille était magnifique et parfaite. Elle ne faisait pas partie de ces enfants avec des dents croches. Comment pouvait-elle bien avoir besoin d’un appareil orthodontique? Étais-je en quelque sorte responsable de ses problèmes orthodontiques?
J’ai réalisé que j’avais le même type de réaction à la suite de l’annonce de ma fille sur sa sexualité, comme si mes compétences parentales étaient mises en cause. Alors que ma fille me révélait quelque chose de très intime sur qui elle était et sur sa vérité, j’ai réussi à faire comme s’il s’agissait de moi.
Or, la sexualité de ma fille n’avait pas besoin d’être corrigée ou convertie. Nous avions réussi à corriger sa mâchoire avec des appareils. Il n’y avait toutefois aucun outil ni aucune tactique pour corriger qui elle était. En fait, il ne devrait pas y en avoir.
Je n’ai pas à accepter ou à tolérer sa sexualité. C’est quelque chose à célébrer parce que c’est un aspect de la personne aimante, créative et réfléchie qu’elle est. Sa sexualité fait partie de ce qui fait d’elle une plume élégante et de ce qui l’a inspiré à lutter pour la justice en tant qu’étudiante en droit.
Quand je pense à son merveilleux cercle d’amis queers, transgenres, bisexuels, non-conformistes sexuels ou ayant une identité sexuelle changeante, quand je pense à Basil, à Manny, à Leo, à Sasha, à Geena, à Kaili ou à Blue, je suis si reconnaissante de ce que toutes ces personnes m’ont appris, et je leur suis si reconnaissante d’appuyer ma fille et d’avoir été là pour elle lorsque je ne l’étais pas.
En fin de compte, ma généreuse et narquoise fille m’a donné son approbation pour que j’attache mon parchemin enroulé portant la Charte avec un ruban arc-en-ciel, pas tant parce que j’avais gagné le droit de me qualifier d’alliée, mais plutôt parce que ce ruban servirait à me rappeler tout le travail qu’il me reste à faire. Tout comme Dieu a donné à Noé un arc-en-ciel comme symbole de leur alliance, ce ruban arc-en-ciel était le symbole d’une alliance entre ma fille et moi, le symbole du serment que j’ai prêté ce jour-là de protéger les droits de tous les Canadiens tels qu’ils figurent dans la Charte.
Permettez-moi de m’exprimer clairement. Les thérapies de conversion constituent une pratique abusive n’ayant aucune crédibilité dans le domaine médical, même lorsque les familles qui forcent leur enfant à les subir le font, selon elles, par amour.
Nous devons adopter ce projet de loi le plus rapidement possible. Nous devons judiciariser les charlatans et les pseudo-scientifiques qui mettent en péril la santé physique et mentale des personnes vulnérables. Nous devons faire clairement comprendre à tous les parents canadiens et à leurs enfants que les diverses identités sexuelles ou de genre ne sont pas des maladies à guérir, mais qu’elles font partie de la glorieuse diversité humaine qui fait de notre pays et du monde de meilleurs endroits où vivre.
Le terme « thérapies de conversion » est un euphémisme qui dissimule de sombres vérités. Il n’y a rien de thérapeutique dans cette forme de rééducation forcée. Le dictionnaire Oxford définit la thérapie comme un « traitement visant à guérir ou à soulager une maladie ».
Cependant, ce n’est pas du tout ce que font les thérapies de conversion. Elles détruisent et minent le sentiment d’identité d’une personne gaie ou transgenre et la portent à croire qu’il y a quelque chose qui cloche avec elle, qu’elle délire, qu’elle est malade ou qu’elle est immorale.
Bon nombre des gens qui nous ont écrit au sujet de ce projet de loi, ou qui m’ont appelée, ont insisté sur le fait qu’ils ne sont pas homophobes ou transphobes, mais qu’ils craignent simplement que le projet de loi porte atteinte à la liberté religieuse ou à la liberté d’expression. Mes amis, il n’y a rien dans ce projet de loi qui empêche les membres du clergé de s’exprimer de leur chaire ou les parents de parler à leurs enfants dans la cuisine. Rien ne leur interdit d’enseigner ou de prêcher que l’homosexualité est un péché. Honnêtement, rien dans ce projet de loi n’interdit aux parents de dénoncer ou de rejeter leur propre enfant.
(1540)
Le projet de loi C-6 est plutôt bien ciblé et précis. Il protège les adultes vulnérables contre le risque d’être contraints de subir un lavage de cerveau sadique. Il protège les enfants contre les dommages de la manipulation psychologique qui pourrait entacher leur identité et il les protège contre la possibilité qu’ils soient emmenés à l’étranger pour subir des pseudo-thérapies abusives.
Le projet de loi C-6 n’empêche pas les enfants, les adolescents ou les adultes qui se posent des questions ou qui sont confus ou perturbés au sujet de leur sexualité ou de leur identité de genre d’obtenir des conseils d’un établissement laïque ou religieux. Il ne permettra pas non plus aux enfants qui se perçoivent comme trans d’obtenir immédiatement l’accès à l’hormonothérapie ou à une intervention chirurgicale d’affirmation du genre envers et contre tous. Contrairement à ce que certains semblent croire, le projet de loi ne criminaliserait pas le fait de refuser à quelqu’un une reconstruction de la poitrine masculine et une thérapie à la testostérone.
Non. Le projet de loi C-6 criminaliserait plutôt les activités de nature purement coercitive ou de nature commerciale qui visent à contraindre des gens à se conformer, à effacer leur identité contre leur gré et à leur empoisonner l’esprit avec des idées visant à leur faire développer un dégoût d’eux-mêmes.
Plus précisément, le projet de loi C-6 criminaliserait la promotion, parmi des clients potentiels, de ce qu’on appelle les thérapies de conversion et le fait de bénéficier d’un avantage pécuniaire provenant de la prestation des traitements bidons dangereux comme la thérapie par aversion, l’hypnotisme ou l’exorcisme. C’est important, parce que le projet de loi vise à interdire aux gens qui pratiquent ces « thérapies » frauduleuses de se faire passer pour des psychologues ou des conseillers.
Il est effectivement possible que le projet de loi C-6 pousse certaines personnes à poursuivre cette pratique néfaste dans la clandestinité. On ne peut exorciser l’homophobie ou la transphobie, pas plus qu’un thérapeute charlatan ne peut exorciser l’homosexualité. Nous pouvons par contre envoyer un message en dénonçant la commercialisation et la rentabilisation de l’homophobie et ceux qui s’enrichissent en exploitant les craintes et les points faibles des Canadiens queer et de leur famille. Nous pouvons aussi faire comprendre à toutes les personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles, bispirituelles, trans, queer, asexuelles, à l’identité sexuelle changeante, non binaire ou de genre non conforme qu’elles n’ont pas un problème, mais un don.
Aujourd’hui, je tiens à présenter publiquement mes excuses aux merveilleux membres queer de ma famille pour ma maladresse lorsque j’ai voulu être l’alliée dont vous aviez besoin. Paul et Brian, Tina et Sandra, Taylor et Laura, Peter, Kristy, Lisa, Julie et Jason, je vous aime tous beaucoup. Merci d’avoir été de si merveilleux oncles et tantes lorsque ma fille —et moi aussi, d’ailleurs — a eu besoin de vous comme modèles et mentors.
À tout le posse comitatus de ma fille, autrement dit tous ses merveilleux amis, je vous remercie pour l’intelligence et le courage dont vous avez fait preuve.
Enfin, à ma fille : tu m’inspires au quotidien. Je te remercie de m’avoir permis de raconter ton histoire et de me demander constamment des comptes. Ma plus grande joie et mon plus grand privilège dans la vie, c’est d’être ta mère. Avec toi comme fille, chaque mois est le Mois de la fierté.
Merci. Hiy hiy.
Des voix : Bravo!
L’honorable Rosa Galvez : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-6, Loi modifiant le Code criminel qui interdira la pratique nuisible de la thérapie de conversion au Canada. Je ne souhaite pas prendre trop longtemps, mais j’ai insisté pour le faire, de manière à afficher mon soutien pour les membres de la communauté LGBTQ2+ qui ont systématiquement été victimes de discrimination, de haine et de violence en raison de ce qu’ils sont et de ceux qu’ils aiment.
Puisque nous prendrons encore une fois une décision qui touche des personnes sous-représentées au Sénat, j’ai choisi d’adopter une approche différente pour mon discours.
Étant donné que je ne suis pas membre de la communauté LGBTQ, je vais me servir du temps qui m’est accordé pour laisser la parole à Lucas Wilson, candidat au doctorat en études comparatives à l’Université Florida Atlantic, chargé de cours à temps partiel à l’Université de Toronto et jeune Canadien ayant connu les horreurs d’une thérapie de conversion. Avec sa permission, je vais vous lire aujourd’hui ce qu’il écrit.
Je m’appelle Lucas Wilson, et je suis un survivant de la thérapie de conversion. Avant, je n’aimais pas trop utiliser le terme « survivant » pour me décrire, mais après des années de travail sur la honte, la culpabilité, la haine de soi et l’anxiété profondément ancrées en moi, qui ont été instillées encore et encore en moi, je pense maintenant que le terme « survivant » est le mot adéquat pour décrire mes quatre années de thérapie de conversion. En effet, la thérapie de conversion amplifie et aggrave l’homophobie culturelle qui nous a été inculquée dès notre plus jeune âge, car elle cherche à effacer et à éradiquer une partie constitutive de ce qui fait qu’une personne est allosexuelle. On peut donc dire que le désir de ceux qui dirigent des thérapies de conversion, c’est de ne plus voir de personnes allosexuelles au Canada. Par définition et au sens propre du terme, cela relève de l’intention génocidaire. Il en résulte des abus soutenus, dont j’ai fait l’expérience et que des milliers de personnes continuent de subir aux mains des thérapeutes de conversion. Or, est-ce que j’exagère si je dis que personne ne devrait avoir à subir des abus? Il me paraît ahurissant qu’on débatte en ce moment de la question de savoir si des individus aux intentions génocidaires devraient pouvoir ou non abuser d’innombrables personnes LGBTQ+.
Je vous en prie, faites ce qui est juste. Faites un geste noble. Protégez les Canadiens contre les ignobles et mortelles thérapies de conversion.
Chers collègues, si vous méritez de vivre une vie riche, pleine d’amour et de fierté pour la personne que vous êtes et votre moi qui se manifeste en toute liberté, alors tous les Canadiens le méritent aussi.
Merci. Meegwetch.
Des voix : Bravo!
L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, en tant que sénatrice indépendante du Manitoba, territoire du Traité no 1 et terre natale de la nation métisse, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-6, qui interdit à quiconque de forcer ou d’encourager un mineur à suivre une thérapie de conversion, et ce, en définissant de nouvelles infractions qui se limitent aux pratiques, aux services ou aux traitements et qui excluent les discussions privées entre une personne qui se posent des questions sur leur orientation sexuelle ou leur identité de genre et les gens qui cherchent à la soutenir.
Je remercie les sénateurs Joyal et Cormier du leadership dont ils ont fait preuve lorsqu’ils ont soulevé plus d’une fois cette question au Sénat et je remercie le ministre David Lametti d’avoir présenté la version du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui.
Honorables sénateurs, je ne vous ferai pas perdre votre temps en répétant les puissants arguments qui ont déjà été avancés aujourd’hui par les intervenants précédents. Je parlerai brièvement pour appuyer le projet de loi, qui est un ajout important aux lois de l’Ontario, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard, aux projets de loi présentés au Yukon, au Québec et au Nouveau-Brunswick, aux règlements municipaux de Vancouver et de Calgary, ainsi qu’aux lois maltaises. Les infractions proposées se limiteraient aux pratiques, aux services et aux traitements et excluraient donc les discussions purement privées. Elles n’incluraient pas non plus les services liés au changement de sexe d’une personne ou à l’exploration de son identité ou de son développement lorsque ce processus est volontaire.
Les infractions prévues dans le projet de loi criminaliseraient le fait de faire suivre une thérapie de conversion à un enfant ou d’en faire suivre une à un adulte contre son gré. Le projet de loi criminaliserait aussi la prestation d’une thérapie de conversion en échange d’un avantage matériel. Par conséquent, les infractions ont été soigneusement définies pour atteindre les objectifs du projet de loi.
L’article 320.103 qui serait ajouté au Code criminel érigerait en infraction le fait de faire suivre une thérapie de conversion à une personne âgée de moins de 18 ans. Autrement dit, aux termes de la loi, un enfant ne peut pas consentir à suivre une thérapie de conversion, et un parent ou un gardien ne peut pas non plus y consentir en son nom.
Le projet de loi est un exemple d’utilisation adéquate du Code criminel pour établir des normes juridiques afin d’encadrer ce qui constitue une conduite acceptable dans la société.
(1550)
Chers collègues, je suis l’heureuse maman d’une personne allosexuelle non binaire, qui, pendant son enfance, s’est fait secrètement emmener à des séances de conversion de genre, jusqu’à ce que je m’en rende compte. Il s’agit d’une personne brillante, forte et pleine de compassion qui illumine notre monde. À ce jour, plus de 30 ans plus tard, elle se souvient de cette époque terrible, même si elle a non seulement survécu, mais elle s’est aussi épanouie et elle répand le pouvoir de l’amour chaque jour, de bien des façons et avec de nombreuses personnes.
Je suis aussi fière d’être la tante d’un enfant adopté par un homme transgenre, qui est venu au Canada en tant que réfugié qui a fui lorsque, on a tenté de l’assassiner en invoquant l’honneur parce qu’on rejetait sa vraie nature.
En ce Mois de la fierté, avançons ensemble pour renforcer notre démocratie, nos familles et nos collectivités grâce à l’amour et à l’inclusion. C’est la raison d’être du projet de loi. L’amour, c’est l’amour, chers collègues, et le projet de loi sera un acte d’amour. Merci. Meegwetch.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
La Loi sur la radiodiffusion
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Dennis Dawson propose que le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour vous présenter le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Comme vous le savez, nous ne nous attendions pas à passer à l’étape de la deuxième lecture aujourd’hui, et comme nous prévoyons maintenant siéger la semaine prochaine, j’espère que nous pourrons renvoyer le projet de loi au Comité sénatorial permanent des transports et des communications le plus tôt possible. Des négociations sont en cours pour savoir quand le comité se réunira, mais pour l’instant, je vais me concentrer sur le renvoi du projet de loi au comité.
Le projet de loi C-10 mérite beaucoup d’attention et de rigueur, et nous devons remplir notre rôle de Chambre de second examen objectif. L’intention du gouvernement n’a jamais été de faire adopter le projet de loi à toute vapeur à la fin de la session. Je suis heureux d’en parler aujourd’hui.
Je tiens à informer les sénateurs que le ministère du Patrimoine canadien organisera des séances d’information sur le projet de loi lundi prochain. Vous recevrez les détails plus tard aujourd’hui ou demain. Ce sera à 11 h 30 en français et à 11 h 45 en anglais. Je passe maintenant à mon discours.
En juin 2018, le gouvernement du Canada a nommé un groupe d’experts pour passer en revue le cadre législatif de la radiodiffusion et des télécommunications. Ils ont reçu plus de 2 000 mémoires et entendu de nombreux témoignages lors des conférences organisées d’un bout à l’autre du pays. Le rapport Yale a été publié en janvier 2020. Les recommandations fondées sur l’examen exhaustif des experts ont jeté les assises du projet de loi C-10 et de la modernisation de la Loi sur la radiodiffusion.
Le projet de loi C-10 a été présenté le 3 novembre 2020, et il est resté 112 jours entre les mains du Comité permanent du patrimoine canadien pour l’étape de l’étude en comité. Cela représente plus de 40 réunions et près de 50 témoins, sans compter les séances d’information ministérielles. Donc, la version actuelle du projet de loi comporte plus de 100 amendements, et d’innombrables sous-amendements.
Le Bloc québécois et le NPD ne cachent pas leur mépris à l’égard du Sénat : ils voudraient que les sénateurs s’en remettent à leur analyse du projet de loi et que nous l’acceptions et l’approuvions aveuglément sans lui accorder le second examen objectif qu’il mérite.
Regardons de plus près le projet de loi, ses objectifs et la raison pour laquelle c’est une mesure législative d’une grande importance.
Honorables sénateurs, le Canada appuie depuis longtemps les industries canadiennes du film, de la musique et de la télévision. Permettez-moi de vous faire part de ce que j’avais déclaré à l’autre endroit en 1982 :
La politique est conçue de manière à offrir aux Canadiens un plus grand choix de services de télévision et de radiodiffusion, tout en leur permettant d’apprécier davantage le riche patrimoine social, historique et culturel du Canada.
J’avais mis l’accent sur la nécessité de mettre à jour régulièrement la Loi sur la radiodiffusion. Or elle n’a pas été révisée depuis 30 ans. Il est grand temps de le faire.
[Français]
Même si la Loi sur la radiodiffusion a été promulguée à l’origine en 1936, elle n’a pas connu de révision majeure depuis 1991, soit bien avant que tout le monde ait un téléphone cellulaire dans sa poche et qu’Internet soit assez rapide pour diffuser des émissions de télévision. Il est inutile de vous dire que ce projet de loi était attendu depuis longtemps.
Le projet de loi vise à étendre le régime législatif et réglementaire pour inclure les télédiffuseurs en ligne en confirmant la compétence et le pouvoir réglementaire du CRTC sur ces services.
Il favorisera également une plus grande diversité et une meilleure inclusion dans le secteur de la radiodiffusion. Plus précisément, le projet de loi précisera que la radiodiffusion en ligne entre dans les champs d’application de la loi.
[Traduction]
Il actualisera les politiques de radiodiffusion et de réglementation afin, notamment, qu’elles tiennent mieux compte des Autochtones, des personnes handicapées et des divers groupes qui forment le Canada.
[Français]
Ce projet de loi donnera un appui solide au contenu original en français.
Je veux maintenant parler de la question du soutien aux créateurs francophones et au contenu de langue française, y compris celui qui est produit par les communautés francophones en situation minoritaire. J’en profite d’ailleurs pour féliciter la ministre Joly d’avoir reconnu le Québec comme un État français.
De prime abord, il est important de reconnaître qu’il s’agit d’un enjeu fondamental et que les préoccupations exprimées par les parties prenantes sont tout à fait légitimes.
Il ne faut pas oublier le statut minoritaire des francophones en Amérique du Nord. On peut présumer que, dans un univers dominé par l’anglais, les géants de la radiodiffusion en ligne comme Netflix et Spotify n’auront pas nécessairement le réflexe de penser aux besoins des francophones du Canada, qu’ils habitent au Québec ou en milieu minoritaire ailleurs au Canada. Pourtant, nous savons que la radio et la télévision sont d’une importance vitale pour la langue, la culture et l’identité de la seule minorité francophone en Amérique du Nord.
Il va sans dire que les histoires et la musique francophones doivent faire l’objet de mesures de soutien et de promotion. Là-dessus, je pense que nous sommes tous d’accord, d’autant plus que l’arrivée des radiodiffuseurs en ligne est venue chambouler le secteur canadien de la radiodiffusion et que le marché de langue française n’a pas été épargné.
Les radiodiffuseurs en ligne présentent des défis particuliers en ce qui concerne la disponibilité et la promotion du contenu de langue française, notamment le contenu produit par nos communautés francophones en situation minoritaire.
À cet égard, il est important de noter que, à l’heure actuelle, 47 % des francophones regardent un contenu majoritairement anglophone sur Netflix. Il s’agit d’un fort contraste avec le visionnement d’émissions de la télévision traditionnelle et les services en français, qui captent 92 % de l’auditoire dans le marché francophone.
Par ailleurs, alors que la moyenne des budgets de production de films et de vidéo en anglais est en hausse depuis de nombreuses années, tout comme le financement provenant d’investisseurs étrangers, on peut constater que les budgets moyens pour les productions en français ont diminué et que le financement provenant d’investisseurs étrangers demeure très peu élevé. Pour ce qui est de la musique et des plateformes numériques, il est important de souligner que, en 2017, il n’y avait que 6 artistes canadiens francophones figurant dans le palmarès des 1 000 artistes les plus populaires au Canada dont la musique était diffusée en continu; on parle bien de 6 sur 1 000.
[Traduction]
Honorables sénateurs, le projet de loi C-10 modernisera l’approche canadienne en matière de réglementation pour veiller à ce que les diffuseurs traditionnels et en ligne soient tous les deux traités de manière juste et équitable. Il modernisera aussi les pouvoirs d’exécution par l’intermédiaire d’un nouveau régime de sanctions administratives pécuniaires.
Le projet de loi C-10 mettra à jour les dispositions sur la surveillance et l’échange de renseignements afin de renforcer le rôle du CRTC en tant qu’organisme de réglementation moderne et indépendant, prêt pour le XXIe siècle.
Le projet de loi C-10 avantagera tous les artistes et les créateurs canadiens. Il offrira davantage de possibilités aux producteurs, aux réalisateurs, aux écrivains, aux acteurs et aux musiciens canadiens. Cela leur permettra de créer du contenu audio et audiovisuel d’excellente qualité, et ils pourront rendre ce contenu accessible au public canadien.
Le cadre réglementaire sera à la fois équitable et flexible, car des services de radiodiffusion comparables seront soumis à des exigences réglementaires semblables. Il tiendra également compte de leurs modèles d’affaires distincts.
(1600)
Le système de radiodiffusion du Canada sera plus diversifié, plus inclusif, et correspondra mieux à la société canadienne. Mais surtout, on aura accès plus facilement à la musique et aux histoires du Canada à partir de divers services.
Examinons quelques aspects techniques du projet de loi. À l’heure actuelle, les licences obligent les services de programmation télévisuelle à consacrer, chaque année, un certain pourcentage de leurs revenus à du contenu canadien. Les distributeurs de services par câble et par satellite doivent verser un pourcentage de leurs revenus et de leurs redevances à des fonds de production et contribuer à une programmation locale, de manière à soutenir la conception et la production de contenu canadien. Les radiodiffuseurs commerciaux et les entreprises de radio par satellite consacrent une partie de leurs revenus au soutien de projets liés à la conception de contenu et au contenu canadien, notamment à la musique. Ces contributions se sont chiffrées à 3,4 milliards de dollars en 2019.
La concurrence exercée par les diffuseurs en ligne crée toutefois des perturbations qui menacent ce soutien. Avec la présence accrue des diffuseurs en ligne, les services traditionnels voient leurs revenus baisser. Ainsi, les revenus des diffuseurs traditionnels ont baissé de 1,5 % de 2018 à 2019. Résultat : en fin de compte, il y aura moins de financement pour la musique et les productions canadiennes.
La domination du marché est en train de changer de mains, comme le montre l’exemple de Netflix, un service qui est accessible actuellement dans la plupart des foyers canadiens — plus précisément dans 62 % d’entre eux — et qui a généré des revenus d’un milliard de dollars au Canada en 2019. D’après des estimations faites, à l’interne, par Patrimoine canadien, la production de contenu télévisuel canadien pourrait diminuer de 34 % entre 2018 et 2023 en raison de la baisse des revenus des diffuseurs commerciaux.
Si le CRTC exige des diffuseurs en ligne qu’ils contribuent au contenu canadien à un taux similaire à celui des diffuseurs traditionnels, les contributions des diffuseurs en ligne à la musique canadienne pourraient atteindre 830 millions de dollars par an d’ici 2023.
Les services de médias sociaux sont devenus un lieu important d’accès aux productions, y compris aux productions musicales et audiovisuelles. YouTube est devenu l’application de diffusion musicale en continu la plus utilisée à tous les âges, le nombre d’heures d’utilisation active par semaine étant le plus élevé parmi les 16-19 ans, où le taux de pénétration est de 70 %.
Si la loi est modifiée pour confirmer qu’elle s’applique aux plateformes de médias sociaux, le CRTC pourra s’assurer que ces services contribuent à l’équilibre du système de distribution. Les services de médias sociaux sont également devenus un lieu d’expression personnelle. Le projet de loi C-10, tel qu’il a été adopté par la Chambre des communes, comprend des garanties spéciales pour assurer la sécurité de la liberté d’expression des Canadiens. Croyez-moi, les vidéos de chats seront toujours autorisées, et le CRTC ne vous empêchera pas d’en faire si vous aimez cela.
Soulignons, par exemple, que les utilisateurs des services de médias sociaux ne seront pas réglementés et ne seront pas considérés comme des diffuseurs, contrairement à ce qui a été affirmé à maintes reprises aux cours des dernières semaines et des derniers mois.
En outre, le CRTC sera autorisé à recueillir des informations sur les services de médias sociaux et leurs utilisateurs, à demander aux services de médias sociaux des contributions financières pour soutenir le secteur canadien de la création et à exiger des services de médias sociaux qu’ils rendent les œuvres des créateurs canadiens accessibles en ligne. Ces exigences réglementaires seront imposées au service lui-même, et non aux utilisateurs des services de médias sociaux.
Le CRTC doit interpréter la Loi sur la radiodiffusion de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion. Le ministère de la Justice a examiné ces changements et a déterminé que le projet de loi demeure conforme à la Charte.
[Français]
Le projet de loi C-10 améliorera la représentation de tous les Canadiens dans les émissions qu’ils consomment. Lorsque la majorité des émissions mises à la disposition des Canadiens ne reflètent pas les expériences réelles vécues par la population, quelque chose doit changer.
C’est pourquoi le projet de loi fait des progrès pour veiller à ce que la Loi sur la radiodiffusion favorise une plus grande diversité. Une programmation représentative des peuples autochtones, des minorités ethnoculturelles, des communautés racialisées, des francophones et des anglophones, y compris ceux qui appartiennent à la communauté LGBTQ+ — dont d’autres discours ont traité aujourd’hui —, et des personnes qui sont en situation de handicap ne sera plus fournie « au fur et à mesure de la disponibilité des moyens ». L’offre et la responsabilité de cette programmation sont essentielles à la réalisation personnelle.
Les objectifs des politiques énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion feront en sorte que notre système de radiodiffusion reflète la société canadienne et qu’une programmation diversifiée et inclusive soit accessible pour tous. Cela est essentiel pour que le système canadien de radiodiffusion puisse contribuer à l’élargissement des perspectives, à susciter l’empathie et la compassion parmi les citoyens et à célébrer nos différences tout en renforçant les liens communs de notre société si typiquement canadienne.
[Traduction]
Honorables collègues, lorsque nous aurons fait notre devoir en étudiant le projet de loi C-10, le ministre du Patrimoine canadien compte demander au gouverneur en conseil de fournir des instructions au CRTC pour orienter l’application des nouveaux outils réglementaires que le projet de loi met à sa disposition.
Ensuite, en consultation avec les intervenants, le CRTC va concevoir et mettre en œuvre un nouveau cadre de réglementation pour que les services de radiodiffusion traditionnels et en ligne offrent suffisamment de contenu canadien et contribuent à la création de contenu canadien, et ce, dans les deux langues officielles, évidemment.
[Français]
Le projet de loi C-10 profitera à nos artistes et à nos créateurs canadiens partout au pays. Il y aura plus de possibilités pour les producteurs, les réalisateurs, les scénaristes, les acteurs et les musiciens canadiens. Ils seront habilités à créer le contenu audio et audiovisuel de haute qualité et ils pourront rendre le contenu accessible aux auditoires canadiens.
Le cadre réglementaire sera à la fois équitable et flexible, car des services de radioffusion comparables seront soumis à des exigences réglementaires semblables. Il tiendra également compte de leurs modèles d’affaires distincts.
Honorables sénateurs, j’en ai parlé plus tôt dans mon discours, mais ce sont des aspects qui méritent d’être répétés et clairs. Actuellement, comme condition pour obtenir une licence, les services de programmation de télévision sont tenus de consacrer chaque année un pourcentage de leurs revenus au contenu canadien. Les entreprises de câblodistribution et de satellite sont tenues de verser un pourcentage de leurs revenus sous forme de redevance aux fonds de production et de contribution à la programmation locale qui appuient le développement et la production de contenu canadien. Les radiodiffuseurs commerciaux et les entreprises de radio par satellite consacrent une partie de leurs revenus annuels au soutien d’initiatives de développement de contenu canadien, y compris le contenu musical. Ces contributions totalisaient 3,4 milliards de dollars en 2019.
Cependant, la perturbation numérique et la concurrence des diffuseurs en ligne menacent ce soutien. La concurrence croissante des radiodiffuseurs en ligne entraîne une diminution des revenus et des services traditionnels, les revenus de la radiodiffusion traditionnelle ayant diminué de 1,5 % entre 2018 et 2019. En fin de compte, cela entraînera une diminution du financement de la musique et de la programmation canadiennes.
La domination changeante du marché est illustrée par Netflix, qui est maintenant présent dans 62 % des foyers canadiens et a généré 1 milliard de dollars de revenus en 2019. Les projections internes du ministère révèlent que la baisse de revenus de la radiodiffusion commerciale devrait entraîner une baisse de production du contenu télévisuel canadien de 34 % de 2018 à 2023.
Honorables sénateurs, encore une fois, j’aimerais revenir sur ce point important. Si le CRTC exige que les télédiffuseurs en ligne contribuent au contenu canadien à un taux semblable à celui des télédiffuseurs traditionnels, les contributions des télédiffuseurs en ligne à la musique et aux histoires canadiennes pourraient atteindre jusqu’à 830 millions de dollars de nouveaux revenus par année d’ici 2023.
Les médias sociaux sont devenus un lieu important pour accéder à la programmation, y compris la programmation musicale et audiovisuelle. YouTube est devenue l’application de diffusion musicale en continu la plus utilisée par les personnes de tous les âges, l’utilisation active hebdomadaire étant la plus élevée chez les 16 à 19 ans, avec un taux de pénétration de 70 %.
Chers collègues, comme je l’ai indiqué plus tôt, le Bloc québécois et le NPD ne cachent pas leur mépris envers cette Chambre et voudraient bien qu’on se fie à leur analyse du projet de loi, qu’on l’accepte aveuglément et qu’on ne lui accorde pas le second examen sérieux qu’il mérite.
(1610)
[Traduction]
Je crois que nous devons aller de l’avant.
Lors des délibérations du comité de l’autre endroit, on a beaucoup parlé de la liberté d’expression. J’aimerais faire des observations à ce sujet. La Loi sur la radiodiffusion comprend une disposition disant expressément que la loi doit être interprétée de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance en matière de journalisme et de création. C’est une disposition qui existe depuis 30 ans. Lors des travaux du Comité permanent du patrimoine canadien, le gouvernement a ajouté une disposition qui réaffirme que cette protection s’applique plus précisément aux entreprises de médias sociaux.
L’énoncé concernant la Charte et l’analyse de l’amendement par le ministère de la Justice du Canada confirment que le projet de loi C-10 ne porte pas atteinte à la liberté d’expression. Ce projet de loi uniformise les règles du jeu et oblige les géants du Web à contribuer à la production d’émissions et d’œuvres musicales canadiennes. Je répète : il ne porte pas atteinte à la liberté d’expression.
[Français]
Le projet de loi C-10 profitera à nos artistes et à nos créateurs canadiens partout au pays. Ce projet de loi mettra aussi à jour les dispositions sur la surveillance et le partage de renseignements afin de renforcer le rôle du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en tant qu’organisme de réglementation moderne et indépendant, prêt pour le XXIe siècle.
Le ministère du Patrimoine canadien organisera une séance d’information la semaine prochaine.
[Traduction]
Je veux fournir une liste de personnes et d’organisations qui sont en faveur de cette mesure législative, qui obtient un très vaste appui des intervenants de l’industrie : Peter Grant, avocat-conseil et ancien président du groupe du droit de la technologie, des communications et de la propriété intellectuelle chez McCarthy Tétrault; Janet Yale, présidente du Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications; Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal et premier titulaire de la Chaire L.R. Wilson en droit des technologies de l’information et du commerce électronique; la Coalition pour la diversité des expressions culturelles; l’Alliance nationale de l’industrie musicale; l’Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française; la Canadian Actors’ Equity Association, et j’en passe.
Je vous exhorte donc à renvoyer ce projet de loi au comité pour qu’il puisse être analysé et que nous puissions faire le second examen objectif que je crois qu’il mérite.
Merci.
Son Honneur le Président : Sénateur Dawson, quelques sénateurs aimeraient vous poser des questions. Accepteriez-vous de répondre à des questions?
Le sénateur Dawson : Oui, Votre Honneur.
L’honorable Pamela Wallin : Je suis en désaccord avec plusieurs choses que vous venez de dire, sénateur Dawson.
J’ai des questions à propos des atteintes à la liberté d’expression des gens. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi l’article 4.1 a été délibérément retiré du projet de loi, en dépit des demandes répétées de tiers et des députés eux-mêmes?
Il s’agissait de la disposition d’exemption du contenu généré par les utilisateurs. En l’excluant et en refusant d’inclure une disposition de protection, les gazouillis, les publications sur Facebook et sur YouTube, et ainsi de suite, sont sujets à la découvrabilité par les géants de la technologie.
Pourquoi cette section a-t-elle été supprimée?
Le sénateur Dawson : Lorsque le gouvernement est minoritaire et qu’il est dans une situation minoritaire dans un comité, il faut faire des compromis. Plusieurs partis, y compris les conservateurs, ont demandé de se pencher sur cette question pour essayer de l’encadrer. Au fil du travail, il y a eu un va-et-vient d’amendements — c’est une des raisons pour lesquelles j’estime que nous devons faire un examen objectif de ce projet de loi —, et je pense que nous devons les réexaminer.
Croyez-moi, cette disposition ne s’applique pas aux gens, elles s’appliquent aux organisations. La liberté de parole et d’expression n’est pas menacée par ce projet de loi.
Nous appliquons simplement les mêmes règles aux réseaux sociaux que nous avions déjà pour la radiodiffusion et les émissions radiophoniques depuis 50 ans. Le CRTC mène cette mission depuis toujours et n’a jamais étouffé la liberté d’expression, et je ne crois pas que nous devrions nous inquiéter de la liberté d’expression du fait que des sociétés américaines seront désormais concernées.
La sénatrice Wallin : J’ai une question complémentaire.
Je crains que ce ne soit tout simplement pas le cas. C’est le gouvernement lui-même qui a supprimé l’article 4.1. Je ne crois donc pas que vous puissiez attribuer cela à l’opposition ou aux détracteurs.
L’étude de ce projet de loi a été suivie très attentivement, même si bon nombre des audiences ont été tenues sans préavis. Des amendements ont été « adoptés » — et je mets cela entre guillemets — en secret, sans la moindre présentation de leur libellé.
Nous venons d’examiner ce projet de loi et l’article 4.1 n’y figure pas. On peut confier la surveillance du contenu généré par les usagers aux entreprises de technologie. Cette possibilité existe toujours : la possibilité que les géants de la technologie assurent cette surveillance au nom du CRTC, du gouvernement ou d’autres intérêts particuliers.
Je reviens à la question fondamentale. Si vous croyez que la liberté d’expression est protégée, alors pourquoi n’a-t-on pas conservé l’article 4.1 pour la protéger?
Le sénateur Dawson : Comme je l’ai dit, des amendements ont été présentés à l’étape de l’étude en comité. Comme vous le savez, le gouvernement a modifié son propre projet de loi parce qu’il subissait des pressions extérieures pour qu’il clarifie certains éléments, et c’était l’un d’entre eux.
Je répète que le CRTC ne se voit pas confier de nouveaux pouvoirs pour contrôler la liberté d’expression. Oui, il y a un rétablissement de l’égalité entre les radiodiffuseurs et les sociétés comme Netflix et Google. Les particuliers qui publient des vidéos de chaton sur Google ne seront pas soumis à ce contrôle. Les sociétés qui utilisent ces choses — si elles en tirent un profit et ne partagent pas ces revenus avec les Canadiens — devront respecter les nouvelles règles. Elles participeront au financement des artistes et des producteurs canadiens, et je crois que c’est tout à fait normal.
Son Honneur le Président : Sénatrice Wallin, un autre sénateur veut poser une question. S’il reste du temps, je reviendrai à vous.
La sénatrice Wallin : Merci.
L’honorable Leo Housakos : Sénateur Dawson, je vous remercie de votre allocution.
Cette mesure législative compte peu d’éléments auxquels je souscris, mais je reconnais que vous en êtes le parrain, non l’auteur. Nous devons l’examiner et, dans la mesure du possible, l’améliorer, l’élaguer et faire en sorte qu’elle atteigne l’objectif initialement visé.
Sénateur, avant que j’aborde le contenu du projet de loi, j’aimerais parler de méthode. Vous siégez au Sénat depuis longtemps et vous avez également siégé à la Chambre des communes. Je suis fort préoccupé par ce qu’on pourrait essentiellement qualifier de processus législatif secret à la Chambre des communes. A-t-on déjà vu un comité de la Chambre des communes qui siège à huis clos proposer des amendements que le Président de la Chambre juge irrecevables?
Sénateur Dawson, je sais que vous souscrivez au principe de la suprématie du Parlement. Pouvez-vous nous faire part de vos observations? Êtes-vous, comme la sénatrice Wallin, d’autres collègues et moi, préoccupé par la méthode utilisée à l’autre endroit pour que ce projet de loi arrive coûte que coûte à la fin du processus législatif ici au Sénat?
Le sénateur Dawson : Je dois vous corriger, Sénateur Housakos. Les travaux concernant les amendements ont eu lieu en public et ont été diffusés sur la chaîne CPAC dans le cadre de la diffusion parlementaire; ils ne se sont pas faits pendant une séance à huis clos. De toute évidence, puisque le Président a dû annuler la décision que le comité avait prise pour dire au président de procéder de cette façon, le Règlement a été appliqué. Voilà pourquoi le Président l’a fait. Le processus a été repris et les amendements ont été étudiés de nouveau en respectant la structure des amendements à la Chambre.
Évidemment, comme on avait imposé l’attribution de temps, le comité n’allait pas débattre des 100 amendements car, comme je l’ai dit, il disposait de cinq heures pour en débattre. Il était impossible de débattre de chacun des amendements en cinq heures puisque — et je ne suis pas partisan — les conservateurs avaient manifestement pour objectif de faire de l’obstruction pour empêcher l’adoption des amendements. Ils ont réussi. La communication a été rompue parce que le comité n’a pas respecté la décision de son président, après quoi le Président a invalidé la décision du comité.
Tout cela n’a pas été fait en secret, et puisque vous en parlez, ce n’était pas un secret.
(1620)
Le sénateur Housakos : Sénateur Dawson, ce n’est pas une question de partisanerie. La question est de savoir comment, pour la première fois dans l’histoire du Parlement, la présidence libérale d’un comité parlementaire a été renversée par ses propres membres qui ont tenté de faire approuver à toute vitesse des amendements dans une réunion à huis clos. Vous avez tout à fait raison : Dieu merci pour le rappel au Règlement soulevé par les conservateurs. Encore une fois, le Président de la Chambre a fait la bonne chose.
Ma question, pour en revenir au sujet discuté, concerne le ministre du Patrimoine canadien, qui déclare constamment que le projet de loi C-10 permettra d’investir 830 millions de dollars par année dans la culture canadienne. Pourtant, il refuse toujours de fournir la formule qu’il a utilisée pour en arriver à ce montant.
Lors d’un débat à la Chambre cette semaine, le secrétaire parlementaire a déclaré que le projet de loi C-10 devait être adopté pour que le gouvernement sache quelles sont les recettes des fournisseurs de services de diffusion en continu au Canada. Si c’est le cas, comment peut-il connaître la somme d’argent obtenue grâce au projet de loi? Sur quoi fonde-t-on les promesses faites au secteur des arts avec de tels chiffres?
Le sénateur Dawson : Évidemment, comme les services de diffusion en continu ne sont pas soumis aux dispositions de divulgation du CRTC, une partie de ce qui a été dit repose sur des spéculations. Une fois de plus, je vous invite à écouter les séances d’information lundi.
Une des raisons pour lesquelles nous renvoyons le projet de loi à un comité est pour que vous ayez la possibilité de demander au ministre d’expliquer comment il a obtenu ce chiffre. Essentiellement, une des raisons pour lesquelles ces chiffres sont contestés est que nous savons combien certaines entreprises gagnent; toutefois, il est difficile de savoir le montant qui sera redistribué au contenu canadien, car cela dépendra de la quantité de contenu canadien qui n’est pas payé en ce moment.
Le sénateur Housakos : Sénateur Dawson, l’ensemble de ce projet de loi semble plutôt spéculatif. Les chiffres semblent peu fiables, puisque nous ne savons pas comment ils sont calculés. Beaucoup de gens répètent, comme vous l’avez fait dans votre discours, qu’il suffit de vous faire confiance et que la liberté d’expression ne sera nullement en péril.
Je vous ai aussi entendu dire que ce projet de loi renforcerait la diversité et la présence des groupes minoritaires. Je crois personnellement qu’à l’heure actuelle, la Loi sur la radiodiffusion ne renforce pas la voix des minorités, notamment celle des communautés multiculturelles. Le premier ministre et d’autres députés de son parti répètent souvent que la diversité fait notre force, et je suis d’accord. Des gens répètent que ce projet de loi protégera la diversité, notamment la voix des Autochtones et des personnes LGBTQ. Selon mon évaluation, le projet de loi C-10 aura plutôt pour effet de nuire à la diversité, ce qui est paradoxal. La façon de définir le contenu canadien forcera les créateurs autochtones et LGBTQ à adapter leur contenu en fonction des gens avec lesquels, de l’avis du CRTC, ils devraient travailler.
Comment cela aidera-t-il les minorités à faire entendre leur voix, sénateur Dawson?
Le sénateur Dawson : La première réalité, c’est que tout le monde aura beaucoup plus d’argent à sa disposition et obtiendra sa juste part, qui sera déterminée d’avance. Évidemment, les lois sur la radiodiffusion, rédigées il y a 30 ans, ont besoin d’être modernisées en grande partie. C’est l’un des objectifs du projet de loi.
J’essaie de trouver le chapitre, mais je vais donner des directives au Conseil privé au sujet des mandats clairs à confier au CRTC sur la manière dont cela s’appliquera, après consultation, aux groupes, aux industries et aux personnes concernées, qui sont essentiellement les artistes.
La sénatrice Wallin : Honorables sénateurs, j’aimerais revenir sur certaines observations formulées par le sénateur Dawson.
Sénateur Dawson, vous dites que l’étude effectuée par la Chambre des communes était publique. Il est vrai que les audiences du comité étaient télédiffusées. Le problème, c’est que la discussion, le débat et les amendements étaient secrets. Les amendements étaient écrits sur des bouts de papier, et il fallait voter pour l’amendement no 1, le no 2 ou le no 3. Même les membres du comité n’étaient pas autorisés à voir cela. Il est tout simplement scandaleux que l’on ait présenté un projet de loi ainsi construit.
Le ministre lui-même a dit, à l’occasion, que le but était la découvrabilité, pour que nous — qui que soit ce « nous » de majesté — puissions voir le contenu des messages en ligne, des gazouillis et des vidéos publiées sur YouTube. Le gouvernement veut pouvoir surveiller ce contenu et prendre des décisions à son égard. Il ne le fera pas nécessairement lui-même, mais plutôt sous les auspices du CRTC ou, pis encore, par l’entremise des services de diffusion en continu eux-mêmes. Ainsi, on pourrait se mettre à censurer le contenu qu’on n’aime pas.
En quoi cela équivaut-il à préserver, à sauvegarder ou à protéger la liberté d’expression? C’est tout simplement illogique.
Le sénateur Dawson : Cela m’étonne que la question vienne de quelqu’un comme vous, qui a travaillé si longtemps dans le domaine des médias.
La sénatrice Wallin : C’est exactement pour cela que je pose la question.
Le sénateur Dawson : Pourriez-vous me donner des exemples de cas où le CRTC vous a dit ce que vous étiez autorisé à dire ou ne pouviez pas dire? Ce n’est vraiment pas de cela qu’il s’agit.
La seule chose que fera le projet de loi, c’est appliquer au contenu d’Internet les mêmes règles qui vous sont appliquées. Il ne s’agit pas d’étrangler la liberté d’expression. Vous aurez les mêmes libertés que vous aviez lorsque vous émettiez en tant que radiodiffuseur depuis chez vous. Votre balado en est un bon exemple. Personne ne le bloquera, mais si les balados canadiens commencent à gagner de l’argent avec des programmes produits par des Canadiens, le CRTC voudra sa juste part des revenus. C’est le seul objectif de cet ajout au projet de loi.
La sénatrice Wallin : Il y avait un moyen beaucoup plus simple de faire cela, qui semblait contenter tout le monde. Si vous voulez plus d’argent pour générer plus de contenu canadien ou francophone — ce qui semble être la priorité du ministre —, il suffit d’imposer une taxe pour les géants du Web, et voilà l’argent. Vous n’avez pas besoin de passer par ce chemin détourné pour faire du contenu généré par l’utilisateur une source possible de revenus. Il y a un moyen d’obtenir ces revenus.
Le sénateur Dawson : Vous soutenez que beaucoup de personnes ne croient pas que ce projet de loi est la bonne solution. Or, il a été adopté par la Chambre des communes, ce qui signifie que la majorité des députés ne partage pas cet avis.
Depuis le début du débat, tout le monde mentionne que cette mesure législative est un premier pas. Nous devons examiner la Loi sur les télécommunications et toutes les autres lois, mais ce projet de loi est la première étape dans la modernisation de la Loi sur la radiodiffusion. Comme je l’ai dit, cette dernière ne mentionne aucunement Internet parce qu’elle a été rédigée avant qu’il devienne l’outil puissant qu’il est actuellement.
Ces modifications à la loi signifient que davantage de personnes toucheront des revenus parce que nous obtiendrons de l’argent d’organisations qui n’en donnaient pas auparavant. Je le répète : ce n’est pas uniquement une question d’ordre fiscal. Il ne s’agit pas de donner de l’argent au gouverneur en conseil. Le projet de loi aidera plutôt les artistes parce qu’ils pourront obtenir leur juste part de ces revenus.
L’honorable Donna Dasko : Honorables sénateurs, il est bon que le gouvernement donne une autre séance d’information. J’en ai parlé à la secrétaire parlementaire en avril dernier, avant la présentation des amendements. Elle m’avait promis qu’il y aurait une séance d’information. J’ai hâte d’y assister.
J’ai une question à poser au sénateur Dawson à propos du contenu canadien. Des représentants des radiodiffuseurs ont donné leur avis sur le sujet au Groupe des sénateurs indépendants et à d’autres personnes. Certains d’entre eux ont notamment affirmé qu’ils souhaitent un allègement des règles sur le contenu canadien. Ils espèrent que ce projet de loi ou les mesures qui le suivront supprimeront une partie de leurs obligations actuelles.
J’aimerais vous entendre à ce sujet. Pensez-vous que c’est ce qui se passera? Comment un tel allègement cadrerait-il avec la réglementation des services en ligne en ce qui concerne le contenu canadien? Merci.
Le sénateur Dawson : Merci, sénatrice Dasko. Je pourrais continuer à énumérer les personnes qui soutiennent le projet de loi et qui ne sont pas d’accord avec vous. Je ne sais pas qui vous avez invité à vos rencontres. De mon côté, j’ai rencontré un grand nombre de ces organisations, et tout le monde reconnaît qu’il contient des lacunes. Personne ne dit que le projet de loi est parfait. C’est un pas dans la bonne direction. Si toutes ces organisations qui survivent grâce à l’existence de cette mesure législative et si tous ces intervenants soutiennent cette solution, je ne vois pas pourquoi nous serions préoccupés. Bien sûr, il y aura toujours des avis divergents.
En ce qui concerne la définition de contenu canadien, je le répète : c’est un compromis. Vous aurez l’occasion d’en savoir plus lors de la séance d’information lundi prochain. Étant donné que vous êtes membre du Comité des transports et des communications, je serais très heureux que vous posiez ces questions.
(1630)
Tout d’abord, comme je ne suis pas membre de votre caucus, je n’ai pas été invité à ces séances d’information. Je ne suis donc pas au courant des informations qui vous y ont été fournies.
La sénatrice Dasko : Les informations dont on nous a fait part ne sont pas secrètes. Il s’agit des positions publiques des intervenants qui sont venus nous parler ainsi qu’à d’autres personnes, qui se sont exprimés publiquement et ainsi de suite.
Je m’interroge simplement sur leur allègement souhaité des règles sur le contenu canadien à l’avenir. C’est tout ce que je veux savoir. Cette information n’est pas secrète. Ce sont des positions publiques qu’ils ont prises.
Ils disent vouloir un allègement des règles sur le contenu canadien en raison des conditions onéreuses actuelles, qui sont attribuables à l’environnement économique dans lequel ils se trouvent et dont vous avez parlé dans votre discours. Je vous demande simplement si vous envisagez cette possibilité à l’avenir, c’est tout.
Le sénateur Dawson : Tout d’abord, je serai modeste en disant que je ne fais pas partie du gouvernement, alors je dois limiter ce que je peux vous promettre.
Je peux vous donner une copie de la liste des personnes qui ont appuyé le projet de loi. J’ignore qui a fait cette déclaration. Bien sûr, je ne suis pas contre le fait que vous avez tenu des séances d’information. J’encourage le plus de gens possible à en apprendre autant qu’ils le peuvent sur le projet de loi, mais je ne peux pas me prononcer sur des gens alors que je n’étais même pas là. Je sais qu’on a déployé beaucoup d’efforts afin de mener des consultations pour le projet de loi, et j’en suis reconnaissant. Je crois que nous aurons l’occasion d’utiliser ces consultations plus tard, et on répondra convenablement à vos questions.
Comme je l’ai mentionné et parce que c’est vrai, on a parlé de certaines de ces lacunes au comité de l’autre endroit. Au bout du compte, en dépit de ces lacunes, trois partis sur quatre à la Chambre des communes, représentant la majorité des parlementaires, ont appuyé le projet de loi, puis ils nous l’ont renvoyé pour que nous l’étudiions. Selon moi, si l’autre endroit a adopté le projet de loi, cela doit répondre en partie à votre question.
Son Honneur le Président : Sénateur Housakos, souhaitez-vous poser une autre question?
Le sénateur Housakos : Oui. Sénateur Dawson, j’ai une ou deux autres questions pour vous.
Le sénateur Dawson : Sénateur Housakos, comment puis-je refuser?
Le sénateur Housakos : Vous êtes toujours bienveillant, sénateur Dawson.
Je ne vous fais pas de reproche puisque vous n’êtes pas l’architecte du projet. Je vous remercie de reconnaître que c’est un projet de loi qui doit faire l’objet d’une étude.
Vous avez souligné à plusieurs reprises que nous n’avons pas à nous inquiéter de la liberté d’expression, que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes continuera de faire ce qu’il a toujours fait, soit étendre et appliquer ces règles, bien sûr, à d’autres plateformes.
Le fait est, comme vous l’avez reconnu, qu’il s’agit d’une loi sur la radiodiffusion désuète et que les temps ont radicalement changé. L’approche est très différente. Cela n’a rien à avoir avec la réglementation, par le Conseil, des diffuseurs traditionnels, classiques. Il s’agit de réglementer les nouvelles plateformes. Twitter est une nouvelle plateforme. YouTube est une nouvelle plateforme. Les jeunes Canadiens — pas notre génération, sénateur Dawson — font désormais partie intégrante de ces plateformes et ils tiennent à ce que leurs libertés soient protégées.
J’aimerais savoir ce que vous pensez du fait que le Conseil poursuive ses activités comme si de rien n’était, et que nous devons simplement croire qu’il n’empiétera pas sur la liberté d’expression des particuliers sur diverses plateformes.
Brian Wyllie, de Calgary, est un joueur chevronné de jeux vidéo qui a 1 million d’abonnés à son compte Twitch. La Montréalaise Kiana Gomes a créé une entreprise en bonne et due forme au moyen de TikTok. Justin Bieber — je pense que vous avez déjà entendu parler de lui —, offre du contenu canadien ayant une visibilité internationale. Il y a aussi Shawn Mendes et Lilly Singh. Ce sont tous des Canadiens qui ont bâti leur succès avec des plateformes comme YouTube, cette nouvelle plateforme qui terrifie tant les diffuseurs traditionnels canadiens. Aujourd’hui, ces artistes ne seraient pas assez « Canadiens » en vertu de la nouvelle loi, en raison de cette exigence de pourcentage de contenu canadien pour réduire les écarts.
Sénateur Dawson, pourrais-je connaître votre point de vue au sujet de ces deux aspects?
Le sénateur Dawson : Premièrement, je répète que la modernisation ne s’applique pas uniquement aux nouveaux diffuseurs. Elle s’applique aussi aux diffuseurs traditionnels. Le ministre donnera des directives au CRTC pour clarifier ce point. Cela sera intégré dans le processus de consultation des joueurs prévu dans le projet de loi. Tout cela sera clarifié.
En ce qui a trait à la question hypothétique des gagnants et des perdants en lien avec l’arrivée d’Internet, il est évident que beaucoup de ces gens n’auraient pas eu autant de visibilité. S’ils avaient obtenu des revenus garantis dès le départ parce que la loi aurait été applicable à Internet — évitant que des milliards de dollars ne soient détournés des diffuseurs canadiens —, les artistes canadiens et les distributeurs canadiens n’auraient pas eu à s’en remettre aux entreprises américaines. Ces milliards de dollars auraient plutôt été envoyés aux artistes, aux producteurs et aux organisations du Canada.
L’honorable Patricia Bovey : Sénateur Dawson, je me demande si vous pourriez remonter un peu dans le temps. J’ai sous les yeux le rapport de la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada, publié en 1951. On y dit que la télévision représente un dangereux rival pour d’autres médias de masse et on souligne le rôle important qu’elle pourrait jouer pour les artistes.
Je me demande si certaines des préoccupations dont nous discutons actuellement sont semblables à celles qui ont été soulevées, à la fin des années 1940, à propos de cette nouvelle technologie qu’était la télévision.
Le sénateur Dawson : Je citerai encore une fois un extrait de l’entrevue que j’ai accordée en 1982 sur ce même enjeu :
Si on ne met pas en place de nouvelles politiques, l’industrie sera confrontée à une nouvelle concurrence technologique et mondiale qui risque de détruire l’infrastructure servant à la production de programmes canadiens.
Ce n’est pas la première fois que ces enjeux sont soulevés. La modernisation de 1991 devait les régler. Trente ans ont passé depuis, et il faut maintenant mettre à jour la réglementation. Si nous avons l’industrie culturelle qui est la nôtre aujourd’hui, c’est parce que les deux partis qui ont été alors au pouvoir se sont servis de ces outils pour aider l’industrie canadienne de la production et de la culture.
J’espère que les gens appuieront ce projet de loi, car, en ce moment même, des fonds qui pourraient aider les artistes, les producteurs et les distributeurs d’ici s’en vont à l’étranger.
L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, je veux faire quelques remarques sur le projet de loi C-10, qui vise à moderniser la Loi sur la radiodiffusion, en deuxième lecture. L’un de ses principaux objectifs est d’étendre la portée de la loi aux entreprises offrant du contenu audio ou audiovisuel en ligne et de donner de nouveaux pouvoirs au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour qu’il puisse réglementer ce contenu.
Comme vous le savez, la Loi sur la radiodiffusion a été adoptée en 1991. À l’époque, nous n’avions pas de téléphones intelligents, Mario Lemieux avait gagné sa première coupe Stanley, et la TPS venait de faire son apparition. Nous en avons fait du chemin. Mario Lemieux a maintenant cinq coupes Stanley à son actif.
Par ailleurs, la façon dont nous regardons, écoutons et consommons ce contenu audio et audiovisuel a changé considérablement en 30 ans. Internet et les technologies numériques se sont développés à la vitesse de l’éclair, ce qui a eu des conséquences majeures sur les diffuseurs traditionnels. Il ne fait aucun doute qu’il est grand temps de moderniser la Loi sur la radiodiffusion, et je suis heureux d’avoir l’occasion de participer au débat sur le projet de loi C-10.
Mon intention n’est pas de commenter certaines des questions controversées qui ont été soulevées depuis que le projet de loi a été présenté en novembre dernier, à savoir les dispositions qui, selon certains, censureront l’Internet ou restreindront la liberté d’expression. Je ne suis pas en mesure de faire des commentaires sur ces questions à ce stade précoce de l’étude du projet de loi par le Sénat. J’ai pleinement confiance dans le fait que nos collègues qui siègent au comité qui étudiera ce projet de loi feront un travail remarquable et étudieront le texte de loi en profondeur.
Je conviens que le projet de loi mérite une étude approfondie du comité. Je pense que maintenant, plus que jamais, le Sénat a l’occasion de passer outre à tout le bavardage et de prendre le temps nécessaire pour examiner ce projet de loi, en adoptant une approche indépendante et non partisane.
Aujourd’hui, je veux axer mon intervention sur une question qui a suscité peu d’intérêt à l’autre endroit et qui, à mon humble avis, mérite l’attention du Sénat. Dans son document d’information sur le projet de loi C-10, le gouvernement déclare :
On y reconnaît que le système canadien de radiodiffusion, tant dans son contenu que dans les possibilités d’emploi qui découlent de ses activités, devrait répondre aux besoins et aux intérêts de toute la population canadienne, c’est-à-dire les francophones, les anglophones, les Autochtones, les Canadiens et Canadiennes issus de groupes racisés et de diverses origines ethnoculturelles, conditions socioéconomiques, capacités et incapacités, orientations sexuelles, identités et expressions de genre et de tous âges.
(1640)
Malgré cet objectif louable, certains groupes et particuliers au sein des communautés ethnoculturelles et racisées du Canada estiment que la Loi sur la radiodiffusion ne permet pas d’inclure et de refléter adéquatement leurs contributions au système de radiodiffusion canadien, et le projet de loi C-10 ne permet pas non plus d’y remédier complètement.
Selon certains intervenants, y compris la Canadian Ethnocultural Media Coalition, qui regroupe le Conseil ethnoculturel du Canada, la Canadian Ethnic Media Association, l’Ethnic Channels Group et le TLN Media Group, la Loi sur la radiodiffusion et le projet de loi C-10 ne permettent pas aux communautés racisées du Canada de participer pleinement et équitablement au système de radiodiffusion.
Le projet de loi C-10 propose de modifier le sous-alinéa 3(1)d)(iii) de la loi pour préciser que le système canadien de radiodiffusion :
[...] par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d’emploi, [répond] aux besoins et aux intérêts de l’ensemble des Canadiens — notamment des Canadiens qui sont issus des communautés racisées ou qui représentent la diversité de par leurs antécédents ethnoculturels [...]
Cependant, le projet de loi C-10 vise seulement les programmes et les emplois, et non les exploitants et les propriétaires de services de radiodiffusion qui s’adressent aux minorités ethnoculturelles et racisées. Selon moi, cette modification vise à s’assurer que la diversité est reflétée à l’écran, sur les ondes et au sein de la main d’œuvre, mais on ne prévoit pas accorder de l’aide, des garanties ou un traitement équitable aux médias ethniques. Je crois qu’il faut se pencher davantage là-dessus au comité.
De plus, le projet de loi C-10 comprend une nouvelle section, le sous-alinéa 3(1)(d)(iii), qui stipule que le système canadien de radiodiffusion doit offrir des possibilités aux Autochtones en vue de l’exploitation d’entreprises de radiodiffusion et de la production d’une programmation en langues autochtones, en français, en anglais ou toute combinaison de ces langues.
J’appuie fermement cette disposition, mais je pense qu’elle ne va peut-être pas assez loin et qu’elle laisse en plan un segment important de la population qui voudrait produire du contenu dans une langue autre que le français, l’anglais ou une langue autochtone.
Des représentants des secteurs canadiens de la radiodiffusion et des médias ethnoculturels avec lesquels j’ai discuté considèrent qu’il serait justifié de proposer un amendement qui assurerait la création de contenu pour les communautés ethniques et son accès par celles-ci. Un très grand nombre de médias partout au pays proposent du divertissement perspicace et de qualité dans d’autres langues, qui mérite d’être reconnu et protégé par la Loi sur la radiodiffusion.
En outre, un des amendements proposés au projet de loi C-10 veut changer le sous-alinéa 3(1)(k) sur la politique canadienne de radiodiffusion. Cette section indique qu’« une gamme de services de radiodiffusion en français et en anglais doit être offerte à tous les Canadiens. » Il pourrait y avoir lieu d’élargir cet énoncé pour inclure diverses langues. Je crois qu’il s’agit là aussi d’un élément qu’il vaut la peine d’examiner au comité.
Les prévisions indiquent que les minorités visibles pourraient représenter environ 30 % de la population canadienne d’ici 2031, et le Canada veut accueillir plus de 1 million de nouveaux immigrants au cours des trois prochaines années. À mon avis, cela justifie la nécessité de prendre au moins en considération ce que les organismes ethnoculturels suggèrent comme modifications à la Loi sur la radiodiffusion en matière d’inclusion et de diversité.
Chers collègues, il était important pour moi de soulever brièvement la question à l’étape de la deuxième lecture dans l’espoir qu’elle pique votre curiosité et, espérons-le, qu’elle mette en lumière une question qui a été étouffée par toute la controverse entourant le projet de loi C-10.
J’espère que le comité qui sera chargé d’étudier le projet de loi C-10 envisagera sérieusement de se pencher sur la question et qu’il lancera une invitation à tout témoin pertinent qui pourrait en parler. Je pense que c’est le moins que nous puissions faire, puisque ces personnes n’ont pas eu l’occasion de comparaître devant la Chambre des communes.
Je vous remercie, meegwetch.
Son Honneur le Président : Sénateur Housakos, souhaitez-vous poser une question?
Le sénateur Housakos : Le sénateur Loffreda accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Loffreda : Oui.
Le sénateur Housakos : Sénateur Loffreda, je vous remercie de votre discours réfléchi et, surtout, d’avoir souligné l’étroitesse du champ d’application du projet de loi et le fait qu’il entrave les voix minoritaires extrêmement importantes du Canada, comme les communautés ethnoculturelles, les peuples autochtones et d’autres groupes.
Je tiens également à aborder un autre sujet. Je comprends que le gouvernement voudrait nous faire croire que la suppression du fameux article dont nous discutons de part et d’autre, soit l’article 4.1, est pertinente parce que les utilisateurs individuels sont protégés par d’autres articles. Combien de fois le sénateur Dawson nous a-t-il demandé de lui faire confiance? Je fais évidemment confiance au sénateur Dawson, mais je ne fais pas confiance ni au CRTC ni à des bureaucrates qui auraient seulement à rendre des comptes à l’exécutif.
Cependant, grâce à la découvrabilité et au fait que cette loi accorde au CRTC le pouvoir d’obliger les plateformes à élaborer et à utiliser des algorithmes qui déterminent la priorité du contenu en fonction des sujets qui devraient être prioritaires, la vérité est que le contenu n’est pas protégé. C’est clairement indiqué : c’est écrit noir sur blanc quand vous lisez le projet de loi. Le contenu apparaîtra en tête des suggestions de visionnement, non pas en fonction de ce que le consommateur regarde ou recherche habituellement, mais en fonction de ce que le CRTC pense qu’il devrait regarder.
En quoi est-ce neutre? Convenez-vous que ce n’est pas neutre, comme ils le prétendent?
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie de votre question, sénateur Housakos. Comme je l’ai mentionné aujourd’hui dans mon discours, mon intention n’est pas de commenter certains des aspects les plus controversés. Ils sont nombreux; nous sommes tous au courant de ce dossier.
Cependant, je souscris à ce qui a été dit et à ce que le sénateur Dawson a déclaré : ce projet de loi doit être soumis à un examen approfondi en comité. Encore une fois, le Sénat a la possibilité d’améliorer la mesure législative, de l’étudier comme il se doit et d’inviter des témoins qui répondront à votre question et qui répondront à vos inquiétudes — et aux miennes — à l’égard de ce projet de loi. Je fais entièrement confiance au comité. Les sénateurs sont compétents et ils font de l’excellent travail. Attendons de voir le rapport du comité.
Le sénateur Housakos : Merci, sénateur Loffreda.
Le sénateur Loffreda : Merci.
L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, nous avons entamé aujourd’hui le débat sur le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Comme son nom plutôt long l’indique, le projet de loi C-10 est un ensemble de modifications importantes à la Loi sur la radiodiffusion du Canada. Cette loi n’a pas été modifiée de façon importante depuis 30 ans. À l’époque, nous regardions tous des émissions à la télévision, nous écoutions de la musique à la radio et nous louions des films chez Blockbuster. Internet en était encore à un stade expérimental et il comptait quelques utilisateurs précoces qui utilisaient un accès par ligne commutée. Les téléphones étaient fixés au mur et servaient à passer des appels téléphoniques. Parallèlement, nous avions des règlements stricts en matière de contenu canadien et des exigences rigoureuses en matière de propriété canadienne pour les radiodiffuseurs et les télédiffuseurs commerciaux dont la programmation était réglementée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou le CRTC.
Aujourd’hui, les radiodiffuseurs conventionnels sont plongés dans une crise existentielle. Les stations de radio et de télévision privées de tout le pays sont dans une situation financière très précaire, et bon nombre d’entre elles sont au bord de la fermeture et de l’effondrement, ce qui risque de créer de nouveaux déserts médiatiques dans certaines régions rurales du Canada. Ces stations ont perdu leurs clients publicitaires au profit de sites Web comme Google et Facebook, et leurs auditoires au profit de services de diffusion en continu comme Spotify, de sites de partage de vidéos comme YouTube et de services vidéo qui vont prétendument trop loin, notamment Netflix, Disney+, Prime Video, BritBox et j’en passe. Le CRTC ne réglemente aucun de ces géants internationaux de la diffusion en continu. Techniquement, ils bénéficient d’une exemption officielle, mais la question de savoir si le CRTC a le pouvoir légal de les réglementer demeure en quelque sorte ouverte.
Dans ce contexte, certains pourraient être étonnés d’apprendre que la production cinématographique et télévisuelle canadienne est plus robuste que jamais : en 2018-2019, avant la COVID, les productions ont atteint des niveaux records. Soulignons par exemple que Netflix, qui n’a pas l’obligation légale de produire du contenu canadien, finance une quantité surprenante et non négligeable de productions canadiennes originales. Elle met aussi à la disposition d’un vaste public international des films et des émissions de télévision tels que Schitt’s Creek, Kim’s Convenience et Funny Boy.
Par contre, les productions et le contenu canadiens sont inexistants ou presque dans d’autres services de diffusion en continu spécialisés, comme BritBox. Pour sa part, Disney produit des émissions ici, mais aucune ne comporte des thèmes ou un environnement clairement canadiens.
Le projet de loi C-10 met à la disposition du CRTC un cadre réglementaire plus large. Il conserve un système de licences pour les diffuseurs conventionnels, mais il crée aussi une nouvelle catégorie d’entreprises enregistrées pour les services de diffusion en continu comme Prime et Spotify, qui seraient assujettis à la réglementation du CRTC selon le nouveau cadre proposé.
Cela dit, le projet de loi C-10, ne cherche pas à gérer tous les détails de ce système, du moins en théorie. Il vise à fournir un large cadre réglementaire qui laisserait de nombreuses décisions — la plupart des décisions spécifiques, en fait — à l’organisme de réglementation, le CRTC.
(1650)
La mise à jour de la Loi sur la radiodiffusion n’est pas une mince affaire. Il y a tellement d’intérêts divergents et d’intervenants qui ont des visions différentes à savoir à quoi sert le projet de loi et à qui il est destiné. Il y a ensuite une question plus vaste : le Canada devrait-il réglementer ou microgérer les entreprises en ligne qui sont hébergées sur des plateformes se trouvant à l’extérieur du Canada?
L’idée de réglementer la radiodiffusion est née durant les balbutiements de la radio, alors que les décideurs canadiens craignaient que le Canada soit envahi par des signaux de radio provenant de l’autre côté de la frontière avec les États-Unis. C’est ce qui a mené à la Commission Aird, dont le nom officiel est la Commission royale de la radiodiffusion, qui a été créée en 1927. Elle a formulé des recommandations en 1929, qui ont mené à la création de CBC/Radio-Canada et du Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion, qui allait devenir le CRTC que nous connaissons aujourd’hui.
En 1929, la logique était relativement simple : il n’y avait qu’un accès limité au spectre de radiodiffusion et une place limitée sur le cadran de la radio AM. Ce spectre était un bien public, et il n’y en avait pas beaucoup pour tout le monde. L’État, par l’entremise de l’organisme de réglementation de la radiodiffusion, a donc joué le rôle de gardien. Il a décidé quelles stations de radio étaient approuvées et quel serait leur contenu général afin de s’assurer que les auditeurs canadiens étaient exposés à un large éventail de contenu en ondes. Cette philosophie a été transposée dans le domaine de la télévision et a servi de base philosophique aux règles musclées de contenu canadien défendues par Pierre Juneau au début des années 1970. Les règles sur le contenu canadien ont beaucoup contribué à soutenir et à promouvoir la production musicale, cinématographique et télévisuelle canadienne à une époque où, une fois de plus, le Canada risquait de voir les Américains prendre le dessus sur ses secteurs de la culture populaire.
Cependant, nous ne sommes pas en 1927. Nous ne sommes pas en 1971. Les technologies auxquelles nous avons affaire aujourd’hui ne sont pas la radio et la télévision. À l’époque, la Couronne avait un lien juridique clair pour réglementer et contrôler le contenu de la radio et de la télévision. Elle était, après tout, responsable du rationnement du nombre limité de stations de radio et de télévision canadiennes. Elle était responsable de la gestion du spectre dans l’intérêt national et public.
Les perturbations numériques ont complètement renversé l’ancien ordre des choses. Au lieu d’un nombre restreint de chaînes voyageant sur les ondes ou de services limités de câblodistribution, nous avons maintenant accès à ce qui semble parfois une gamme infinie d’options : nous pouvons suivre les nouvelles en diffusion continue sur nos ordinateurs portables, nos téléphones et nos tablettes. Les technologies et l’air du temps évoluent constamment. Il y a à peine quelques années, nous commencions à apprivoiser les innovations comme YouTube, Facebook et Netflix. Elles représentent maintenant la vieille garde. Les jeunes branchés passent notamment à TikTok, Discord et Disney+.
De plus, nous n’avons pas seulement accès aux services américains de nos voisins du Sud. Il est possible d’accéder tout aussi facilement à des fournisseurs de contenu en Inde, à Taïwan, en Grande-Bretagne ou en France. Si le service n’est pas officiellement offert au Canada, il suffit d’utiliser un réseau privé virtuel, ou VPN, pour voyager partout dans le monde sans quitter son canapé ou sa terrasse arrière. Il est aussi possible de se tourner vers un abonnement à la télévision par IP, qui permet d’accéder à un monde de contenu international, voire de le pirater.
Dans le contexte actuel, comment le Canada peut-il exercer un pouvoir juridique, un pouvoir moral et, surtout, un pouvoir concret de façon à réglementer les émissions des services internationaux de diffusion en continu qui ne sont pas diffusées sur les ondes canadiennes? Quels sont les moyens juridiques à notre disposition pour réglementer ou promouvoir la production d’émissions par des entreprises internationales? Dans un monde numérique sans frontières, les consommateurs canadiens devraient-ils être libres de regarder n’importe quelle émission en provenance de n’importe quelle région du monde sans ingérence de la part du gouvernement, ou est-ce que les entreprises qui font des affaires au Canada et qui reçoivent de l’argent des consommateurs canadiens peuvent être assujetties à la réglementation canadienne? Voilà la question fondamentale qui se trouve au cœur du projet de loi C-10. Est-il même logique d’essayer de réglementer Internet? Allons-nous essayer d’imposer un modèle uniforme qui date des années 1970 à un médium imprévisible qui fait fi des obstacles, des barrières et des frontières nationales?
Comme l’a si bien dit un de mes concitoyens d’Edmonton, le grand théoricien des communications Marshall McLuhan, le médium est le message. Il entendait par là que le médium lui-même change notre façon d’assimiler l’information que nous recevons et d’y réagir. De façon similaire, on ne peut pas réglementer un médium numérique comme on réglemente un système conventionnel de radiodiffusion ou de câblodistribution; on ne peut pas réglementer convenablement des médias numériques avec des instruments conçus pour les médias analogiques. Les médias numériques sont utilisés différemment, d’une manière moins passive et plus interactive qui privilégie avant tout la possibilité pour le spectateur et le consommateur de choisir et d’interagir.
Une génération du numérique est arrivée à maturité et recherche avec assurance, en ligne, les contenus audiovisuels du monde entier qui l’intéressent. L’époque où nous lisions le guide des émissions de télévision et consommions docilement ce qui était programmé est révolue. Bien sûr, il y aura un schisme générationnel si nous essayons de dire aux jeunes que des surveillants en ligne vont gérer ce qu’ils regardent et entendent.
Au cours des derniers mois, semaines, jours et heures, les discours politiques concernant le projet de loi C-10 se sont quelque peu éloignés de la réalité. Permettez-moi de prendre un instant pour expliquer ce que le projet de loi fait et ne fait pas. Le projet de loi C-10 n’impose pas de quotas de contenu canadien aux services internationaux de diffusion en continu. Il n’exige pas qu’un pourcentage précis des revenus canadiens d’un service de diffusion en continu soit investi au Canada. Malgré ce que vous avez pu entendre — et le sénateur Housakos a tout à fait raison à ce sujet —, il ne crée pas une sorte de merveilleux fonds de production d’un milliard de dollars par an fourni par les services internationaux pour soutenir la production canadienne. Au lieu de cela, le projet de loi donne une grande latitude au CRTC pour élaborer des arrangements appropriés avec chacun des services de diffusion en continu en fonction de ses modèles de programmation uniques. Ne vous méprenez pas : il ne s’agit pas d’une sorte de manne financière instantanée pour les producteurs canadiens.
Le projet de loi C-10 ne réglemente pas directement le contenu des services de diffusion en continu sur Internet. Il n’interdit ni ne réglemente le contenu haineux, les fausses nouvelles politiques ou la pornographie. Il ne confère pas à la Couronne le pouvoir de retirer vos vidéos de YouTube, vos gazouillis de Twitter ou vos publications de Facebook parce qu’ils ne sont pas assez canadiens ou pas assez purs. Malgré ce que vous avez pu lire ou entendre, il ne s’agit pas d’une mesure de censure. Il ne limite pas votre liberté de parole.
Toutefois, le projet de loi augmente considérablement le risque d’obstacles réglementaires. Il pourrait, surtout compte tenu des récents amendements apportés, limiter les services auxquels nous pouvons nous abonner. Nous pouvons débattre, à juste titre, des avantages et inconvénients d’un tel modèle. Le projet de loi, tout récemment amendé, impose un nombre absurde de directives et donne toutes sortes de précisions sur la façon dont les services de diffusion en continu doivent sélectionner, organiser et afficher le contenu canadien. Je crois que ces amendements sont fondamentalement malavisés, et je pense qu’ils découlent d’une méconnaissance de ce qu’est la découvrabilité et du fonctionnement des algorithmes. Cependant, ce n’est pas de la censure par l’État, dans le sens traditionnel du terme.
Le projet de loi C-10 ne réduit ni ne modifie les obligations des radiodiffuseurs conventionnels. Rien dans le projet de loi ne les dispense des quotas de contenu canadien actuels ou de leurs obligations d’investir dans la production télévisuelle et cinématographique canadienne. Le projet de loi ne fait rien non plus pour remédier aux pressions économiques qui mènent à la fermeture des stations de radio et de télévision régionales — pressions qui sont largement liées à l’effondrement des marchés publicitaires et au quasi-monopole que des entreprises comme Facebook et Google détiennent sur les revenus publicitaires canadiens. Même si l’on affirme vouloir rendre les règles du jeu équitables, le projet de loi ne fait pas grand-chose pour aider les radiodiffuseurs ou les câblodistributeurs canadiens ou pour empêcher l’appauvrissement de la production journalistique.
Bref, après toute la série d’amendements de dernière minute, tous les malentendus et toute la désinformation, ce projet de loi a désespérément besoin de faire l’objet d’une étude approfondie et d’une révision complète au Sénat, car de graves questions restent en suspens. Quelle est la meilleure façon de renforcer et de soutenir l’industrie canadienne du cinéma et de la télévision? Comment faire de même pour l’industrie canadienne de la musique? Comment veiller à ce que les scénaristes, les compositeurs, les acteurs, les réalisateurs et les producteurs canadiens puissent avoir la chance de raconter des histoires canadiennes? Comment pouvons-nous préparer nos industries du divertissement à livrer concurrence à l’élite mondiale et à trouver un auditoire au Canada comme à l’étranger? Comment faire en sorte que toutes les communautés du Canada — les communautés autochtones, francophones, ethnoculturelles, rurales et des personnes handicapées — puissent accéder aux choix dont elles ont besoin et qu’elles méritent en matière d’information et de divertissement? En même temps, nous devons veiller à ne pas établir par inadvertance un régime de réglementation qui étouffe l’innovation, qui décourage ou écrase les nouveaux artistes en ligne ou qui les désavantage par rapport aux artistes établis.
Voici la principale question : le protectionnisme culturel est-il toujours le modèle fondamental que nous souhaitons employer en 2021, ou devons-nous effectuer un changement de paradigme au profit d’un modèle qui met l’accent sur la préparation de nos secteurs technologiques et culturels à former des acteurs robustes sur la scène mondiale pour faire connaître au reste du monde le contenu canadien exceptionnel créé en français, en anglais, en mandarin, en inuktitut, en pendjabi, etc.?
J’espère que nous pourrons renvoyer ce projet de loi au comité dès que possible, non pas parce que je l’appuie sans réserve, mais parce que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications a besoin de temps pour l’étudier comme il se doit, entendre des témoins — notamment des défenseurs des droits des consommateurs ainsi que des producteurs de contenu numérique, qui n’ont pas été entendus à l’autre endroit —, et comprendre les répercussions réelles de tous les amendements apportés récemment à ce projet de loi important. Merci, hiy hiy.
Le sénateur Housakos : La sénatrice Simons accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Simons : Je serais ravie de répondre à une question.
Le sénateur Housakos : J’aimerais entendre vos observations sur quelques points. Premièrement, vous avez tout à fait raison de dire que le projet de loi ne donne pas au CRTC le pouvoir de retirer du contenu, mais convenez-vous qu’il donne au CRTC le pouvoir d’ordonner aux plateformes d’enterrer du contenu ou de le retirer?
(1700)
Nous reconnaissons tous à quel point le Web et les nouvelles plateformes sont puissants aujourd’hui. À bien y penser, le projet de loi montre-t-il le fossé entre les manières archaïques dont nous avons réglementé la radiodiffusion et l’état d’esprit des jeunes générations du monde entier et des Canadiens en matière de contenu?
La sénatrice Simons : Je vais d’abord répondre à la deuxième question, parce qu’elle est plus facile. Oui, il le montre. Personne de moins de 30 ans ne regarde la télévision comme vous et moi le faisions lorsque nous étions jeunes. Nous avons un certain âge et nous consommions l’offre médiatique d’une façon complètement différente de celle de nos enfants et qui sait comment nos petits-enfants le feront. Nous avons besoin d’un cadre réglementaire qui est assez souple pour s’adapter à l’évolution rapide des plateformes numériques.
Le projet de loi me fait un peu penser à la ligne Maginot. Les Français avaient creusé des tranchées où devait s’engouffrer la cavalerie, mais les Panzers sont arrivés et la ligne Maginot n’a pas servi à grand-chose. Nous sommes à réglementer pour rattraper un retard de 10 ans, alors que nous devrions travailler à prévoir la réglementation dont nous aurons besoin dans 10 ans.
Quant à votre première question, je m’inquiète effectivement, non pas de la possibilité pour le CRTC de faire retirer du contenu, mais du fait que le projet de loi, dans sa forme actuelle, obligera le CRTC à contraindre les services de vidéo en continu à privilégier certains types de contenus canadiens d’une façon tellement pointue que, honnêtement, ce sera carrément impossible pour bien des plateformes. Ce n’est pas de cette façon que ces plateformes fonctionnent. Leurs algorithmes ne fonctionnent pas comme ça.
Il est important de faire la distinction. Je ne crois pas que ce projet de loi censure ou réglemente la liberté d’expression, mais je pense qu’il impose des conditions presque impossibles pour les plateformes de diffusion en continu, dont certaines pourraient tout simplement se retirer du marché canadien, ce qui réduirait notre choix. Nous savons tous que les Canadiens de moins de 30 ans se servent de leur réseau privé virtuel pour obtenir ce qu’ils veulent, alors que devons-nous faire?
(Sur la motion du sénateur Housakos, le débat est ajourné.)
Projet de loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité
Troisième rapport du Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles sur la teneur du projet de loi—Fin du débat
Le Sénat passe à l’étude du troisième rapport du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles (teneur du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050), déposé au Sénat le 22 juin 2021.
L’honorable Paul J. Massicotte : Honorables sénateurs, le comité a terminé l’étude préalable du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050, conformément à l’ordre de renvoi du mercredi 2 juin 2021.
[Français]
Le Canada a grandement besoin d’adopter un cadre national de responsabilisation en matière de changement climatique. Il lui faudra contribuer pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, qui vise à limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 degré Celsius au cours du présent siècle.
Il est essentiel que le Canada et le monde entier atteignent ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les conséquences d’un échec sont graves. Ce cadre de responsabilisation permettrait d’atteindre cet objectif.
[Traduction]
Le comité estime que retarder l’adoption du projet de loi C-12 risque de retarder davantage l’intervention et la reddition de comptes du gouvernement fédéral. Le cadre de responsabilisation en matière de lutte contre les changements climatiques proposé dans le projet de loi C-12 peut accroître la certitude à long terme quant à l’orientation de la politique climatique du Canada. Il obligera le gouvernement du Canada à fixer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de plus en plus ambitieux pour le Canada avant les années jalons.
Le gouvernement devra mener des consultations et élaborer des plans détaillés pour atteindre ces objectifs et ces cibles. Le gouvernement rendra régulièrement compte des progrès qu’il a réalisés à l’égard de ces plans, et un commissaire à l’environnement et au développement durable évaluera les mesures du gouvernement.
[Français]
Ce cadre de responsabilisation en matière de changement climatique arrive avec beaucoup trop de retard, mais il demeure essentiel. Malgré cela — et comme le souligne notre rapport —, le projet de loi C-12 comporte de nombreuses lacunes. Je vais énumérer les principales préoccupations des membres du comité.
En tant que mécanisme de responsabilité, le projet de loi C-12 est faible, puisqu’il ne contraint pas le gouvernement à atteindre ses objectifs.
Le projet de loi permet d’apporter une plus grande transparence et de favoriser une meilleure production de rapports, mais le comité n’est pas convaincu que cela se traduira par une obligation de rendre des comptes à l’échelle politique.
Le Groupe consultatif pour la carboneutralité, établi en vertu du projet de loi C-12, n’a pas encore l’indépendance institutionnelle et l’autorité nécessaires pour fournir au gouvernement et aux Canadiens des conseils crédibles et fondés sur des données scientifiques.
Aussi, même s’il représente un moyen de soutenir la collaboration à l’échelle de la fédération, le projet de loi C-12 ne va pas assez loin dans l’exigence d’une consultation et d’une harmonisation entre les ordres de gouvernement et avec les peuples autochtones.
En ce qui concerne les peuples autochtones, le projet de loi C-12 n’exige ni une consultation ni une intégration adéquate de leurs perspectives.
[Traduction]
En ce qui concerne les possibilités et les difficultés liées à la transition vers la carboneutralité, le projet de loi C-12 n’exige pas que les mesures économiques et sociales soient prises en compte dans l’élaboration des plans et des rapports.
Malgré ces lacunes, le comité recommande au Sénat d’adopter le projet de loi C-12. Le Canada doit briser le cycle qui consiste à fixer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, puis à les rater, et le projet de loi C-12 peut y contribuer.
Atteindre la carboneutralité est, bien sûr, extrêmement important pour tous les Canadiens. Dans cette optique, le comité demande au gouvernement du Canada de donner suite à ces observations dès que possible et de ne pas attendre l’examen législatif exigé par le projet de loi cinq ans après son entrée en vigueur. Merci.
(Le débat est terminé.)
Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie
Troisième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, appuyée par l’honorable sénatrice Moncion, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-203, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite, tel que modifié.
L’honorable Julie Miville-Dechêne : J’aimerais qu’on passe au vote.
L’honorable Marilou McPhedran : Le vote!
Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président : L’honorable sénatrice Miville-Dechêne, avec l’appui de l’honorable sénatrice Moncion, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.
L’honorable Pierre J. Dalphond : J’invoque le Règlement, Votre Honneur. Le débat a été ajourné à mon nom la dernière fois.
Son Honneur le Président : Voulez-vous prendre la parole maintenant, sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Je souhaite que le débat soit reporté. Je ne suis pas prêt à prendre la parole à ce sujet. Nous avons reçu le rapport en début de semaine.
Son Honneur le Président : Sénatrice Miville-Dechêne, acceptez-vous d’attendre que le sénateur Dalphond soit prêt?
La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais que la question soit mise aux voix, car nous sommes presque à la fin de la session. Je ne veux pas que ce projet de loi soit bloqué.
(1710)
Son Honneur le Président : Accepteriez-vous d’attendre que le sénateur Dalphond ait présenté son discours?
La sénatrice Miville-Dechêne : S’il me dit qu’il le prononcera lundi.
Le sénateur Dalphond : Je le prononcerai quand je serai prêt. Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup, sénateur.
[Traduction]
Des voix : Le vote!
Le sénateur Dalphond : Je propose l’ajournement du débat, Votre Honneur.
Son Honneur le Président : Le sénateur Dalphond a proposé l’ajournement du débat, avec l’appui de la sénatrice Duncan, jusqu’à la prochaine séance.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l’emportent.
(Sur la motion du sénateur Dalphond , le débat est ajourné avec dissidence.)
[Français]
Projet de loi favorisant l’identification de criminels par l’ADN
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Claude Carignan propose que le projet de loi S-236, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-236, dont le titre abrégé est la Loi favorisant l’identification de criminels par l’ADN.
Ce projet de loi propose de modifier la législation en droit criminel relative au prélèvement de l’ADN de personnes vivantes pour résoudre des enquêtes policières. Les dispositions législatives dans ce domaine du droit sont techniques. C’est pourquoi je souhaite commencer mon discours en vous présentant certains concepts de base de la législation actuelle. Cela vous permettra de mieux comprendre les principales modifications proposées à la loi et leur nécessité.
Le prélèvement d’ADN en droit criminel repose sur plusieurs lois fédérales, dont les principales sont le Code criminel et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques (LIEG).
Le Code criminel permet à un juge de délivrer un mandat pour prélever l’ADN d’une personne soupçonnée ou accusée de certaines infractions, ce qu’on appelle des « infractions désignées ». Cette loi autorise aussi un juge à ordonner le prélèvement de l’ADN d’une personne lorsqu’elle est déclarée coupable d’une infraction désignée. Ces mesures du Code criminel s’appliquent autant aux adultes qu’aux adolescents et leur constitutionnalité a été confirmée dans plusieurs décisions de tribunaux d’appel dont je me suis fortement inspiré dans l’élaboration du projet de loi.
Il s’agit des arrêts R. c. S.A.B. de 2003 et R. c. Rodgers de 2006 de la Cour suprême du Canada, de la décision R. c. TT de 2019 de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, et de l’arrêt R. c. K.M. de 2011 de la Cour d’appel de l’Ontario.
Or, la liste qui définit les infractions qui sont des infractions désignées dans le Code criminel est longue et complexe et n’inclut pas toutes les infractions criminelles. Le projet de loi propose de corriger cette situation en simplifiant le texte de la loi et en faisant en sorte que presque toutes les infractions au Code criminel soient désormais des infractions désignées.
Par ailleurs, le Code criminel et la LIEG prévoient que l’ADN des personnes condamnées d’une infraction désignée sera stocké dans la Banque nationale de données génétiques.
La Banque nationale de données génétiques est un outil très fiable qui aide les policiers à déterminer si un suspect est l’auteur d’une infraction. En fait, cette banque permet de vérifier si l’ADN recueilli sur la scène d’un crime correspond à celui d’un délinquant qui, en raison d’une condamnation antérieure, serait fiché dans la base de données.
La Cour d’appel de l’Ontario a rendu une décision majeure qui décrit l’importance de la banque de données. Dans l’arrêt R. c. Briggs rendu en 2001, la cour a indiqué au paragraphe 22 que l’intérêt de l’État dans les prélèvements d’échantillons d’ADN, et je cite :
[...] ne réside pas seulement dans l’application de la loi à un particulier — l’objectif est beaucoup plus général. La banque de données génétiques (1) dissuadera la récidive éventuelle, (2) favorisera la sécurité de la collectivité, (3) permettra de détecter la perpétration d’infractions en série, (4) contribuera à résoudre de vieux crimes jamais résolus, (5) simplifiera les enquêtes et, surtout, (6) permettra aux personnes innocentes d’être disculpées au tout début de l’enquête (ou aux victimes d’erreurs judiciaires d’être innocentées).
Je souligne que la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques et le Code criminel prévoient actuellement que le fonctionnement de la banque de données comporte d’importantes protections de la vie privée des personnes condamnées qui doivent fournir leur ADN à cette banque, notamment en encadrant strictement l’usage des informations provenant de leur ADN. Toutes ces protections sont maintenues dans le projet de loi.
Voici comment la loi actuelle est mise en application. Les policiers n’ont aucun accès à l’échantillon d’ADN qui a été prélevé chez le délinquant une fois qu’il est entré dans la banque de données. L’ADN et le nom du délinquant sont séparés une fois entrés dans la banque. En fait, les employés de la banque de données ont un code-barre numérique pour chaque échantillon d’ADN, mais ignorent le nom du délinquant à qui il appartient. De plus, les profils d’ADN présents dans les fichiers de la Banque nationale de données génétiques sont produits uniquement à partir de fragments non codants d’ADN, soit des parties de l’ADN qui différencient chaque personne, mais qui ne révèlent aucun renseignement de nature médicale ou physique à propos d’un donneur.
Toujours afin de protéger la vie privée des délinquants qui sont fichés dans la Banque nationale de données génétiques, le Code criminel prévoit des infractions criminelles dans les cas où des fonctionnaires ou des policiers utilisent l’ADN recueilli à d’autres fins que celles autorisées par la loi.
Le Code criminel prévoit aussi que le prélèvement de l’ADN se fait par des techniques qui sont peu intrusives sur le plan physique pour le délinquant, comme le frottis buccal ou la prise d’un cheveu ou d’une gouttelette de sang.
(1720)
Comme on peut le voir, la loi actuelle permet d’atténuer grandement l’atteinte à la vie privée des délinquants, qui doivent fournir leur ADN au moment de leur condamnation, et le projet de loi ne modifie pas ces importantes mesures de protection de la vie privée.
En fait, le projet de loi a plutôt pour but de recourir plus souvent et plus efficacement aux prélèvements d’ADN dans le contexte du droit criminel. La société en bénéficiera, étant donné les avantages de cette technique d’enquête, notamment en raison du fait qu’elle permet rapidement et avec fiabilité de résoudre des enquêtes en incriminant ou en disculpant des personnes soupçonnées ou accusées d’une infraction criminelle.
À cette fin, le projet de loi propose notamment sept mesures importantes.
Premièrement, il augmente considérablement le nombre d’infractions criminelles autorisant le tribunal à ordonner un prélèvement d’ADN à un délinquant en raison de sa déclaration de culpabilité. Plus précisément, il rend automatique le prélèvement de l’ADN de tous les délinquants adultes ou adolescents à leur condamnation pour des infractions prévues au Code criminel ou dans d’autres lois fédérales, y compris la Loi sur le cannabis, lorsque la peine maximale d’emprisonnement est de cinq ans ou plus. Ainsi, le projet de loi fera en sorte que toute personne condamnée pour une infraction de violence ou une infraction sexuelle devra, sans exception possible, fournir son ADN à la banque, puisque ces infractions peuvent toutes entraîner une condamnation à une peine maximale égale ou supérieure à cinq ans, en vertu du Code criminel.
Cette mesure du projet de loi vise à répondre à une recommandation formulée dans trois rapports publiés par des comités de la Chambre des communes et du Sénat.
En 2009, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a publié un rapport à la suite de son examen parlementaire de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques et des dispositions du Code criminel sur l’ADN. Ce rapport a recommandé de faire le prélèvement d’échantillons d’ADN pour l’ensemble des infractions désignées.
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a également étudié ces dispositions législatives et a publié son rapport en juin 2010. Ce rapport recommandait d’effectuer le prélèvement immédiat et automatique d’un échantillon d’ADN sur tout adulte ayant été reconnu coupable d’une infraction désignée. Cette recommandation a été réitérée par ce même comité en 2017, sept ans plus tard, dans son rapport portant sur les délais dans le système judiciaire.
Il faut savoir que cette recommandation a été faite dans le contexte où la Banque nationale de données génétiques du Canada contient moins de profils génétiques par habitant comparativement à celles d’autres pays.
En effet, le Canada possède une petite banque de données qui croît à pas de tortue. À la fin de 2019-2020, la banque comptait 401 546 profils enregistrés dans le fichier des condamnés, c’est-à-dire environ un profil pour 94 Canadiens.
À titre de comparaison, le Royaume-Uni compte 6,6 millions de profils, soit environ un profil pour 10 personnes. Le FBI compte 18,4 millions de profils, soit environ un par groupe de 18 Américains. La Nouvelle-Zélande, qui compte seulement 5 millions d’habitants, compte plus de 200 000 profils, soit un profil pour 25 personnes.
La résolution des crimes par l’utilisation d’une banque nationale de données génétiques repose sur le nombre de profils génétiques qu’elle contient, qui proviennent de scènes de crime ou de personnes condamnées. L’auteur d’une infraction est identifié par la banque lorsque son ADN, qui a été obtenu au moment de sa condamnation pour un crime, correspond avec l’ADN contenu dans le fichier d’ADN obtenu sur la scène d’un crime. Ainsi, les chances d’arriver à une correspondance entre l’ADN contenu dans le fichier des scènes de crime et l’ADN contenu dans le fichier des condamnés sont moindres dans notre Banque nationale de données génétiques que dans celles des autres pays. Le problème n’est pas nouveau et la solution saute aux yeux. En fait, il faut verser davantage de profils au fichier des condamnés, car plus il y aura de profils de criminels dans notre Banque nationale de données génétiques, plus les policiers pourront facilement identifier les auteurs d’infractions ou disculper des suspects.
La deuxième mesure importante du projet de loi, comme la première, aura pour effet bénéfique d’augmenter le nombre de profils génétiques de personnes condamnées dans la banque.
Cette mesure vise à réduire le pouvoir discrétionnaire du tribunal de refuser d’imposer une ordonnance de prélèvement d’ADN à un délinquant en raison de sa déclaration de culpabilité lorsqu’elle concerne une infraction ayant donné lieu à une peine maximale inférieure à cinq ans. Actuellement, la loi prévoit deux types d’infractions désignées pouvant donner lieu à un prélèvement d’ADN sur un délinquant condamné, soit les infractions primaires et secondaires. Dans le cas de certaines infractions primaires, le juge jouit actuellement d’un pouvoir discrétionnaire très limité pour refuser de rendre l’ordonnance de prélèvement.
Pour les infractions secondaires, le juge a plus de latitude pour refuser de prononcer l’ordonnance, et la Couronne a le pouvoir de ne pas réclamer cette ordonnance.
En réduisant les situations où l’ordonnance de prélèvement d’ADN n’est pas prononcée à l’endroit d’une personne condamnée, le projet de loi veut répondre à une réalité observée par les policiers sur le terrain. Une personne qui commet un crime sexuel ou violent peut commettre aussi d’autres types de crimes. Ainsi, on peut les arrêter au moyen de leur ADN, qu’on aura prélevé au moment de leur condamnation pour des délits moins graves, comme des infractions de manquement à une condition d’ordonnance de libération provisoire ou le vol d’un bien de moins de 5 000 $, qui sont deux infractions donnant lieu à une peine d’emprisonnement maximale de moins de cinq ans.
Toutefois, je précise que le projet de loi ne permet pas d’ordonner le prélèvement d’ADN dans le cas de deux catégories d’infractions entraînant une condamnation de moins de cinq ans d’emprisonnement, parce qu’elles sont jugées moins graves par la loi.
La première catégorie est formée de toutes les infractions criminelles dites « purement sommaires », qui peuvent faire l’objet de poursuites uniquement par voie de procédure de déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Autrement dit, les infractions purement sommaires ne sont pas des infractions dites « mixtes », qui peuvent faire l’objet de poursuites par la procédure par acte criminel ou par la procédure sommaire. Le manquement à une condition d’une peine imposée à un adolescent représente un exemple très courant de ce type d’infractions purement sommaires. La deuxième catégorie est celle des infractions à la Loi sur le cannabis dans les cas où la poursuite entreprise permet uniquement d’imposer une contravention, c’est-à-dire une petite amende. Il s’agit d’un genre d’infraction de faible gravité que peuvent commettre des adolescents ou de jeunes adultes.
En resserrant la latitude du juge de refuser d’ordonner le prélèvement d’ADN pour les autres infractions susceptibles d’entraîner une peine d’emprisonnement de moins de cinq ans, le projet de loi permet de répondre aux recommandations nos 4 et 5 du rapport du comité sénatorial de 2010 dont j’ai parlé précédemment, qui concernaient les délinquants adolescents.
Ce rapport recommandait d’effectuer le prélèvement automatique d’un échantillon d’ADN sur un adolescent reconnu coupable d’une infraction primaire désignée et de resserrer le pouvoir du juge de refuser d’ordonner un prélèvement d’ADN dans le cas d’une infraction secondaire.
Troisièmement, le projet de loi augmente considérablement le nombre d’infractions criminelles permettant à un juge de délivrer un mandat pour prélever l’ADN d’un suspect ou d’une personne accusée. J’estime que cette mesure est essentielle, parce que l’identification par l’ADN est une preuve très fiable pour incriminer ou disculper l’auteur d’une infraction. Elle est beaucoup plus fiable qu’une preuve d’identification par témoin oculaire, qui a souvent mené à plusieurs erreurs judiciaires bien documentées. Le projet de loi, même s’il augmente le nombre d’infractions désignées permettant à un juge de délivrer un mandat de prélèvement d’ADN, ne modifie pas les conditions rigoureuses prévues en vertu de l’article 487.05 du Code criminel, qui doivent être établies par le policier devant le juge pour obtenir un mandat. Le projet de loi ne modifie pas les conditions prévues à l’article 487.05, car celles-ci ont été jugées constitutionnelles et importantes par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. S.A.B. en 2003.
J’ajoute qu’il n’y a aucune raison de ne pas augmenter le nombre d’infractions permettant de délivrer un mandat pour prélever l’ADN lorsqu’on croit que la police peut obtenir un mandat de perquisition pour la fouille d’un domicile pour toute infraction qui relève de toute loi du Parlement.
Quatrièmement, le projet de loi autorise, dans certaines circonstances, l’utilisation d’une technique d’enquête fondée sur l’ADN, qui permet de résoudre des crimes graves en cas d’urgence ou lorsque d’autres méthodes d’enquête ne permettent pas d’identifier ou de disculper un suspect. Cette technique, qui s’appelle la recherche de liens de parenté, permet de repérer un suspect en comparant l’ADN qu’il aurait pu laisser sur une scène de crime à celui d’un parent biologique, dans le cas où ce dernier aurait dû fournir son ADN à la banque en raison d’une condamnation. Cette technique est, essentiellement, le même genre d’analyse effectuée dans les tests d’ADN qui établissent la paternité ou déterminent si deux personnes ont des liens de parenté.
(1730)
Utilisée d’abord au Royaume-Uni, la recherche de liens de parenté est utilisée dans plusieurs pays partout dans le monde, mais pas au Canada, qui tarde à les imiter.
Cette technique a permis de résoudre l’affaire du violeur qui gardait comme des trophées les talons aiguilles des femmes qu’il a violées pendant les années 1980. James Lloyd a été arrêté en 2006 après qu’une recherche de liens de parenté l’a associé à ces crimes. Il a plaidé coupable à quatre viols et à deux tentatives de viol et a été condamné à 15 ans de prison.
Fait intéressant, le profil qui se trouvait dans la banque de données britannique et qui a permis de l’identifier était celui de sa sœur, qui avait été reconnue coupable de conduite en état d’ébriété, une infraction qui, en pratique, ne donne à peu près jamais lieu à une ordonnance de prélèvement d’échantillon d’ADN au Canada. Or, le projet de loi fera en sorte qu’une personne condamnée pour cette infraction liée à la conduite automobile devra fournir son ADN à la banque de données génétiques, et ce, sans exception possible, puisque cette infraction est passible d’une peine d’emprisonnement maximale supérieure à cinq ans.
À Los Angeles, il y a eu l’affaire du « Grim Sleeper », que l’on appelait ainsi parce que, après avoir assassiné plusieurs femmes avant 1988, le meurtrier a semblé arrêter de commettre des crimes pendant 14 ans avant de reprendre ses macabres activités en 2002. En juillet 2010, Lonnie David Franklin Jr. a été arrêté et, ultimement, reconnu coupable d’avoir tué neuf femmes et une adolescente. On l’a également soupçonné d’avoir tué plusieurs autres femmes dont les corps n’ont jamais été retrouvés.
Son arrestation a été le fruit d’une recherche de liens de parenté qui l’a lié à son fils, dont le profil se trouvait dans la banque de données pour une infraction mettant en cause une arme à feu. Sans cette recherche familiale, nous pouvons supposer qu’il serait probablement encore en liberté et en mesure de commettre des crimes odieux.
Je suis convaincu qu’il y a au Canada des affaires graves qui n’attendent qu’une autorisation pour mener une recherche de liens de parenté. Je présume, par exemple, qu’il existe des traces d’ADN liées aux meurtres non résolus de nombreuses femmes autochtones. Nous devons assurément aux familles d’utiliser tous les outils à notre disposition pour trouver les meurtriers de leurs proches.
J’ajouterais que le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques a recommandé que la loi canadienne soit modifiée pour autoriser la recherche de liens de parenté, ce qui est exactement ce que le projet de loi propose de faire. On peut assurément se fier à sa recommandation en raison de la vaste expertise juridique et scientifique du comité. En effet, en vertu d’un règlement de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, le rôle du comité consiste à étudier toute question qui concerne la banque.
La recommandation du comité visant à autoriser la recherche de liens de parenté est bien expliquée dans l’extrait suivant de son rapport annuel, et je cite :
En 2015, le Comité consultatif […] s’est de nouveau penché sur la question et a conclu que la valeur de la recherche de parenté pour ce qui est de résoudre des cas difficiles et graves et protéger les Canadiens l’emporte sur les risques inhérents à son utilisation. Il faut aussi prendre en compte l’aspect humanitaire de ne pas prendre toutes les mesures possibles pour protéger la population puisque celle-ci continue de courir un risque tant que des criminels violents restent en liberté. De plus, la recherche de parenté a été utilisée pour disculper des innocents.
Par conséquent, le Comité consultatif a écrit au commissaire de la GRC en décembre 2015, recommandant que le ministre de la Sécurité publique examine la valeur de la recherche de parenté pour des crimes graves, violents et en série dans des dossiers ouverts lorsque toutes les autres méthodes d’enquête ont été épuisées. Le Comité consultatif est conscient que l’actuelle Loi sur l’identification par les empreintes génétiques empêche dans les faits la recherche de parenté puisque la [Banque nationale de données génétiques] ne peut faire état que de concordances exactes et de concordances partielles lorsque le profil ne peut être exclu à titre de candidat. Il serait donc nécessaire de faire adopter des modifications législatives pour qu’il soit possible de faire état de concordances similaires avec des membres de la famille.
Le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques n’est pas le seul organisme à avoir fait cette recommandation. En effet, la GRC a aussi recommandé que la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques soit modifiée afin d’autoriser la banque à effectuer des recherches de liens de parenté, comme le mentionnent les pages 66 et 67 de la version française du rapport du comité sénatorial de 2010 sur l’ADN. Signe du vif intérêt de la GRC pour la recherche de liens de parenté, cet organisme a préparé un imposant document de travail en 2018, portant sur l’utilisation de cette technique d’enquête dans d’autres pays démocratiques. Il s’agit d’un document que mon équipe et moi avons étudié avec une grande attention au moment de rédiger la mesure du projet de loi autorisant la recherche de liens de parenté.
Passons à la cinquième mesure importante du projet de loi : il permet d’éliminer des irritants administratifs pour les policiers et les fonctionnaires de la banque afin de faciliter pour ces intervenants la gestion d’information à la suite d’un prélèvement d’ADN, mais sans affecter les mesures de protection de la vie privée. Voici un exemple : à l’heure actuelle, lorsqu’un juge rend une ordonnance de prélèvement d’ADN à une personne condamnée ou délivre un mandat pour autoriser un prélèvement sur un suspect ou un accusé, le policier qui effectue le prélèvement de substances corporelles contenant l’ADN doit écrire par la suite un rapport à un juge en donnant des précisions sur la date et l’heure du prélèvement, de même que sur les substances qui ont été prélevées.
Le projet de loi éliminerait cette obligation, parce que, en pratique, ces rapports n’ont pas d’utilité particulière dans le contexte où le prélèvement, pour être effectué, doit faire l’objet d’une autorisation judiciaire.
Sixièmement, le projet de loi exige du ministre de la Sécurité publique qu’il produise un rapport dans les deux ans suivant la sanction royale. Ce rapport vise à déterminer la possibilité au Canada de prélever l’ADN de personnes arrêtées ou accusées d’une infraction, et ce, sans avoir besoin d’obtenir un mandat d’un juge. Autrement dit, ce rapport étudiera s’il est dans l’intérêt public de modifier la loi pour autoriser le prélèvement d’ADN sur une personne présumée innocente de la même façon que l’on peut actuellement, en vertu de la Loi sur l’identification des criminels, recueillir ses empreintes digitales, prendre ses mensurations et la photographier.
J’estime qu’il est nécessaire qu’un rapport soit produit rapidement pour réfléchir à cette question. D’abord, depuis plusieurs années, de nombreux États démocratiques, notamment le Royaume-Uni, prélèvent l’ADN dès l’arrestation. Par exemple, la Cour suprême des États-Unis a confirmé qu’il était valide de procéder au prélèvement d’ADN au moment de l’arrestation dans l’arrêt Maryland v. King, qu’elle a rendu en 2013.
Je rappelle aussi que la Cour suprême du Canada a jugé, dans l’arrêt Rodgers en 2006, que le prélèvement d’ADN, étant donné les protections prévues dans le Code criminel et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, se compare à la perte de vie privée d’une personne qui doit fournir ses empreintes digitales aux policiers. Cela peut vous convaincre que le prélèvement d’ADN est une technique d’enquête bien acceptée par les tribunaux et qu’il pourrait être fort avantageux de recourir à cette technique dès l’arrestation, comme la loi canadienne le permet actuellement pour la prise d’empreintes digitales. Je cite le paragraphe 38 de l’arrêt R. c. Rodgers :
Il est incontestable que l’analyse génétique est un moyen d’identification beaucoup plus performant que la comparaison des empreintes digitales, d’où le plus grand intérêt de la société à l’ajouter aux outils dont elle dispose en la matière.
Septièmement, le projet de loi modifie le texte du Code criminel qui a trait aux prélèvements d’ADN en simplifiant, comme je l’ai expliqué précédemment, la liste des infractions désignées autorisant ces prélèvements.
En résumé, le projet de loi S-236 permettra d’améliorer la sécurité publique en aidant les policiers à résoudre des crimes au moyen de l’identification par l’ADN. Puisque la preuve d’ADN est très fiable, on verra un plus grand nombre de causes qui se solderont par un plaidoyer de culpabilité plutôt que par un procès, ce qui permettra de réduire les délais au sein du système judiciaire. Ce projet de loi permettra également d’éviter de condamner des personnes innocentes en disculpant rapidement des suspects, étant donné la fiabilité de la preuve par l’ADN.
Je conclus mon discours en remerciant deux personnes qui m’ont offert une aide très précieuse dans la conception de ce projet de loi. Il s’agit de M. David Bird, qui a été avocat au sein de la GRC sur les questions concernant le matériel génétique pendant près de 20 ans avant de prendre sa retraite en 2013. La seconde est M. Greg Yost, qui a été avocat pendant 20 ans dans le domaine de l’ADN au ministère de la Justice.
(1740)
Ces deux personnes ont notamment comparu à titre de témoins experts dans le cadre des audiences du comité sénatorial, lesquelles ont mené au rapport du comité sur l’ADN, en 2010. Il n’arrive pas souvent qu’un sénateur ait accès à des experts comme eux dans le cadre de l’élaboration de mesures législatives.
D’ailleurs, j’encourage toute personne — citoyen, parlementaire, policier, avocat, juge, scientifique, chercheur universitaire, ou représentant d’un organisme public ou de la société civile — à contacter mon bureau pendant l’ajournement du Sénat, cet été, pour me faire part de ses idées et de ses suggestions au sujet du projet de loi S-236, afin d’y apporter des améliorations, tant du point de vue de la rédaction que de l’efficience.
Je vous remercie de votre attention et je vous invite à adopter ce projet de loi important à l’étape de la deuxième lecture. Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)
[Traduction]
L’étude des questions concernant les droits de la personne en général
Adoption du quatrième rapport du Comité des droits de la personne et de la demande de réponse du gouvernement
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ataullahjan, appuyée par l’honorable sénatrice Martin,
Que le quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, qui a été déposé le 16 juin 2021, soit adopté et que, conformément à l’article 12-24(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile étant désigné ministre chargé de répondre à ce rapport, en consultation avec le ministre de la Justice et procureur général du Canada, le vice-premier ministre et ministre des Finances, le ministre des Services aux Autochtones, le ministre des Relations Couronne-Autochtones, le ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et du Développement économique rural, ainsi que le ministre de la Diversité et de l’Inclusion et de la Jeunesse.
L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, sur les rives de la Kitchissippi et sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes, je prends la parole au sujet du rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne intitulé Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral. Les mots me manquent pour exprimer toute ma gratitude envers tous ceux qui ont contribué à faire de ce rapport une réalité.
Je tiens à commencer par saluer le leadership de la présidente actuelle, la sénatrice Ataullahjan, et des présidents précédents, la sénatrice Bernard et le sénateur Munson. Je veux remercier tous les membres du comité qui ont travaillé ensemble depuis quatre ans et demi, y compris pendant la pandémie de COVID-19. Je souhaite adresser des remerciements particuliers, en toute humilité, aux nombreuses personnes purgeant une peine dans des prisons fédérales qui ont accepté de rencontrer les sénateurs pour leur raconter les expériences qu’elles ont vécues, souvent au risque de subir des représailles, et qui ont patiemment suivi les réunions du comité à la télévision. Elles ont envoyé des centaines de comptes rendus et de demandes de renseignements sur l’avancée des travaux du comité au fil des quatre ans et demi qui ont été nécessaires à la production du rapport.
Je remercie également tous ceux qui travaillent avec les détenus ou qui les défendent. Je pense aux fonctionnaires, aux agents de correction, aux organisations non gouvernementales, aux universitaires et aux militants qui s’efforcent tous les jours d’attirer l’attention des Canadiens et de les sensibiliser concernant le non‑respect des droits de la personne dans les pénitenciers fédéraux.
Je tiens aussi à souligner le soutien et la motivation que nous ont offerts nos anciens collègues, les sénateurs Baker, Joyal et Fraser, qui ont vivement encouragé le Comité sénatorial des droits de la personne à se pencher sur les atteintes aux droits de la personne qui se passent dans les pénitenciers.
À peine un mois après ma nomination, ils nous ont exhortés à sillonner le Canada, à aller dans de nombreuses prisons et à faire de sérieuses enquêtes sur ce qui s’y passe.
Je tiens absolument à dire combien j’admire le travail incroyable et soutenu du greffier actuel du comité, François Michaud; des anciens greffiers Mark Palmer, Joëlle Nadeau et Barbara Reynolds; des analystes actuels du comité, Jean-Philippe Duguay, Robert Mason, Martin McCallum et Lara Coleman; des anciennes analystes Erin Shaw et Alexandra Smith; des membres actuels et des anciens membres de l’équipe des télécommunications du Sénat, notamment l’agent des communications du comité, Ben Silverman, ainsi que de Sarah Dea et Siofra McAllister. Je tiens aussi à remercier Emily Grant, Evan Cathcart et tous les autres internes et membres du personnel de notre bureau et du vôtre qui ont contribué à cette œuvre collective.
Les personnes qui ont accepté de nous rencontrer et de nous parler ont dit l’avoir fait dans l’espoir de contribuer à changer le système pour que leurs droits et ceux des autres personnes incarcérées soient respectés. J’espère humblement que nous ferons honneur à la confiance qu’elles nous ont accordée et que nous continuerons de travailler ensemble, inlassablement, pour que leurs droits fondamentaux soient respectés.
Sans plus tarder, je remercie la sénatrice Martin et ses collègues d’avoir accepté de nous permettre de passer maintenant au vote et d’accepter le rapport. Meegwetch, merci.
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée avec dissidence, et le rapport est adopté.)
Le Sénat
Motion tendant à exhorter le gouvernement à adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice McPhedran,
Que le Sénat du Canada exhorte le gouvernement fédéral à adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé, en vue d’interdire toute discrimination basée sur le racisme et d’offrir à chacun le droit égal à la protection et au bienfait de la loi.
L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion de la sénatrice McCallum, la motion no 41 qui exhorte le gouvernement fédéral à adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé. En effet, les cinq piliers existants ne protègent pas adéquatement les Canadiens racialisés. Des iniquités en matière de santé désavantagent les Autochtones et les Noirs au Canada et ceux-ci disent être victimes de racisme au sein du système de santé actuel. Ces communautés réclament un changement. L’ajout de l’antiracisme en tant que sixième pilier jetterait les fondements d’un changement systémique dont on a grandement besoin.
En bref, chers collègues, le racisme est mauvais pour la santé. Selon la Black Health Alliance, les personnes noires au Canada sont plus susceptibles que le reste des Canadiens de vivre dans la pauvreté et présentent un écart au chapitre de la santé par rapport au reste des Canadiens, notamment en ce qui a trait aux maladies chroniques telles que les maladies du cœur, le diabète et les problèmes de santé mentale.
Dans son étude sur la stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a entendu de nombreux témoignages, dont celui de la Dre Josephine Etowa, racontant comme le racisme et les mauvais traitements au sein du système médical ont mené à des stérilisations forcées et contraintes. Le témoignage de la Dre Etowa a contribué à informer le rapport du comité, intitulé La stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada, dans lequel on peut lire :
Comme dans le cas des communautés autochtones, le racisme structurel, la discrimination et l’exclusion de longue date au Canada créent des iniquités chez les Canadiens d’origine africaine sur les plans de la santé et du bien-être.
Quand s’ajoutent à la notion de race des notions de genre, de handicap, d’âge ou encore un statut d’immigrant, une personne se heurte à encore plus d’obstacles que les politiques et les pratiques par défaut ne permettent pas de franchir, si bien qu’une telle personne peut parfois sembler invisible.
Chers collègues, imaginez-vous, un instant, dans la peau de quelqu’un d’autre. Imaginez qu’en vous rendant au travail à pied, vous glissez sur une surface glacée. Plus tard ce soir-là, ressentant une vive douleur à la hanche et à l’épaule, vous vous présentez à l’urgence. Après 10 heures d’attente, après avoir à peine été examiné par le personnel médical, on vous envoie pour une radiographie. Lorsque le médecin de garde peut enfin vous voir, on ne vous demande pas d’enfiler une chemise d’hôpital et le médecin ne vous examine pas non plus. Il regarde simplement votre radiographie, vous dit que vous n’avez rien de cassé et vous dit de mettre de la glace, de prendre de l’ibuprofène et de l’acétaminophène. Il dit que vous irez mieux dans quelques jours. Au moment où vous quittez l’hôpital, la douleur que vous ressentez, sur une échelle de 1 à 10, atteint 12. Vous vous rendez alors compte que le médecin ne vous a même pas interrogé au sujet de votre douleur.
(1750)
Vous continuez d’endurer la douleur, parce qu’on vous a dit de retourner travailler. Finalement, la douleur devient insupportable au point où vous ne pouvez plus vous habiller tout seul. Deux semaines plus tard, vous obtenez un deuxième avis et on diagnostique une fracture de l’épaule. Malheureusement, le mauvais diagnostic reçu au départ et le fait que vous n’ayez pas obtenu les traitements nécessaires ont aggravé la fracture et causé de multiples lésions à votre épaule. Même si vous avez essayé d’obtenir de l’aide médicale immédiatement après votre chute, votre douleur et votre santé n’ont pas été prises au sérieux, et c’est ce qui fait que vous continuez de souffrir.
Imaginez que, deux ans plus tard, votre épaule vous fait toujours souffrir et chaque jour vous rappelle qu’on ne s’est pas bien occupé de vous et qu’on a mal diagnostiqué votre problème. Vous êtes fâché et enragé et vous vous sentez impuissant, parce qu’une chute sur une plaque de glace ne devrait pas vous faire souffrir pendant deux ans. Imaginez maintenant qu’au lieu d’une chute, il s’agisse d’une maladie potentiellement mortelle ne vous laissant pas le temps d’obtenir un deuxième avis.
Chers collègues, ceci n’est pas de la fiction. C’est quelque chose qui m’est arrivé en avril 2019, et je continue à ressentir les effets de cet incident sur ma vie tous les jours. Je ne suis pas un cas isolé. Lorsque je raconte mon histoire à des Afro-Canadiens, ils acquiescent. Ils me comprennent parce qu’ils ont eux aussi été victimes de racisme et de discrimination dans le système médical canadien.
J’ai vu mon époux, d’autres membres de ma famille et d’autres communautés à travers le pays recevoir le même traitement : des problèmes différents et des médecins différents, mais le même système médical qui fait fi de notre souffrance. Ce type d’expérience est bien trop fréquent chez les Autochtones et les Noirs, en particulier pour ceux d’entre nous qui ont des identités qui se recoupent. On ne peut pas accepter qu’il y ait encore d’autres morts et une baisse générale du sentiment de bien-être dans nos collectivités.
En théorie, l’antiracisme devrait être intégré aux cinq autres piliers, mais comme mon histoire le montre bien, il n’est pas toujours vrai que ces piliers réussissent à « protéger, [...] favoriser et [...] améliorer le bien-être physique et mental », comme ils le devraient.
L’inclusion de l’antiracisme comme pilier vise à garantir l’équité en matière de santé pour les personnes victimes de racisme systémique. L’équité en matière de santé est une façon de reconnaître et de prendre en compte les obstacles qui existent, et de travailler en vue de les éliminer. L’accessibilité et l’universalité, deux des cinq piliers existants, ne sont pas garanties pour les personnes qui vivent en marge de la société.
Comme l’a demandé la sénatrice McCallum : « Comment peut-on affirmer que les soins de santé sont accessibles lorsque les gens ont peur de se rendre aux centres de santé en raison du racisme? » Tant que l’universalité et l’accessibilité ne seront pas garanties pour tous, nous devrons prendre des décisions et des mesures délibérées.
Honorables sénateurs, les Autochtones et les Noirs ne se sentent pas en sécurité au sein du système de santé actuel. Nous nous heurtons à des préjugés, et nous sommes victimes de déshumanisation. Certaines personnes racisées évitent les médecins à tout prix. Au Sénat, nous prenons nos décisions en nous fondant sur les recherches effectuées, et nous prenons en considération les expériences des Canadiens marginalisés. Par conséquent, j’appuie la motion no 41. J’espère que ma contribution à ce débat vous aidera à mieux comprendre les expériences vécues par les Autochtones, les Noirs et d’autres personnes marginalisées dans notre système de santé.
La motion à l’étude jettera les bases d’un avenir où tous les Canadiens auront un accès équitable à des soins de santé sûrs et adaptés à leur culture. Asante. Merci.
(Sur la motion du sénateur Wells, le débat est ajourné.)
La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre
Projet de loi modificatif—Première lecture
Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-206, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (combustible agricole admissible), accompagné d’un message.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)
[Français]
Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2021
Première lecture
Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-30, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 avril 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures, accompagné d’un message.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)
[Traduction]
L’ajournement
Adoption de la motion
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle :
1.lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au lundi 28 juin 2021, à 14 heures;
2.lorsque le Sénat siégera le lundi 28 juin 2021 et le mardi 29 juin 2021, la séance continue au-delà de 21 heures ou de la fin des affaires du gouvernement, selon le cas, et se poursuive jusqu’à minuit, à moins d’être ajournée plus tôt par voie de motion;
3.le lundi 28 juin 2021, il y ait une suspension du soir, d’une durée d’une heure, qui commencera à 18 heures;
4.les dispositions de tout ordre ou décision du Sénat qui prennent fin le 23 juin 2021, concernant les séances hybrides du Sénat, soient prolongées jusqu’à la fin de la journée le 29 juin 2021;
5.les dispositions de l’ordre du 8 février 2021, concernant les sièges, les votes et les interventions dans la salle du Sénat, soient également prolongées jusqu’à la fin de la journée le 29 juin 2021.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
(À 18 heures, conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’au lundi 28 juin 2021, à 14 heures.)