Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 35
Le mardi 26 avril 2022
L’honorable George J. Furey, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- Les travaux du Sénat
- Projet de loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie
- Projet de loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement
- Projet de loi sur la réaffectation des biens bloqués
- Projet de loi sur la Journée nationale de la jupe à rubans
- Projet de loi instituant la Journée canadienne de l’alimentation
- Le Code criminel
- Le Code criminel
- Projet de loi sur la protection des établissements d’enseignement postsecondaire contre la faillite
- La Loi constitutionnelle de 1867
- La Loi sur le Parlement du Canada
- Projet de loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant
- Règlement, procédure et droits du Parlement
- Les contributions et l’impact des Premières Nations, des Métis et des Inuits
- Droits de la personne
- Agriculture et forêts
- Les travaux du Sénat
LE SÉNAT
Le mardi 26 avril 2022
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
Les travaux du Sénat
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, en vertu de l’article 4-3(1) du Règlement, le leader du groupe progressiste du Sénat a demandé que la période consacrée aux déclarations des sénateurs soit prolongée aujourd’hui afin que nous puissions rendre hommage à l’honorable Joyce Fairbairn, qui est décédée le 29 mars 2022.
Je rappelle aux sénateurs que, en vertu du Règlement, chaque intervention ne peut dépasser trois minutes et qu’aucun sénateur ne peut parler plus d’une fois.
Êtes-vous d’accord pour que l’on poursuive les hommages à notre ancienne collègue dans le cadre des déclarations de sénateurs? Par conséquent, nous disposerons d’au plus 30 minutes pour lui rendre hommage. Le temps qu’il restera après les hommages pourra servir aux autres déclarations.
Des voix : D’accord.
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Hommages
Le décès de l’honorable Joyce Fairbairn, c.p., C.M
L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je tiens à rendre un bref hommage à ma chère amie Joyce Fairbairn, qui est décédée le 29 mars. Journaliste, conseillère avisée et adjointe législative du premier ministre Pierre Elliott Trudeau, membre du Cabinet à titre de leader du gouvernement au Sénat, ministre régionale de l’Alberta, ministre responsable de l’alphabétisation, présidente de la Fondation paralympique canadienne, cheffe honoraire Kainah de la Confédération des Pieds-Noirs. Ce ne sont que quelques-uns des faits saillants d’une remarquable carrière.
Joyce avait elle-même déclaré être venue au Sénat :
[...] pour travailler [...] pour être la voix qui relie Ottawa et l’Alberta, qui met en lumière leurs intérêts communs et s’emploie à les expliquer aux parties intéressées [...]
Joyce estimait que les gens étaient vraiment importants. Presque chaque fin de semaine, même lorsqu’elle siégeait au Cabinet et même si son époux, Michael Gillan, vivait à Ottawa, elle se rendait à Lethbridge, sa ville natale, pour y rencontrer des gens et participer à des événements locaux.
Même si elle était une partisane libérale avouée, elle avait dit :
[...] lorsqu’on travaille sur le terrain dans la collectivité, on est confronté à des enjeux qui ne concernent pas uniquement le parti politique, mais tout le monde [...] Il faut mettre la partisanerie de côté et s’atteler à la tâche.
Il n’est pas étonnant que les députés conservateurs qui ont représenté Lethbridge à la Chambre des communes ont toujours présenté chaleureusement Joyce Fairbairn en public comme « notre sénatrice », car c’est bien ce qu’elle était.
Les habitants de Lethbridge étaient importants pour Mme Fairbairn et, grâce à sa présence et à son attention constantes, ils le savaient. Ces gens incluaient les membres de la communauté autochtone, dont les aspirations lui tenaient particulièrement à cœur.
La sénatrice Fairbairn a dit :
S’il y a quelque chose qui entache la réputation du Canada, c’est le traitement des Autochtones [...] Il est tout à fait ridicule de dire que le Canada a été bâti par deux peuples fondateurs. Ce n’est pas le cas. Comme le disent mes amis autochtones, ils avaient une politique d’immigration très généreuse.
La création du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones est l’une des réalisations dont Mme Fairbairn est la plus fière au Sénat. Elle croyait que le Sénat avait :
un véritable rôle à jouer en fournissant un forum pour des discussions de grande envergure sur les préoccupations des Autochtones et leur position fondamentale au Canada aujourd’hui [...]
Elle a été l’un des membres fondateurs de ce comité en 1989 et a continué à y siéger pendant de nombreuses années.
Lorsque Mme Fairbairn a choisi de prendre une retraite anticipée du Sénat en 2013 pour des raisons de santé, elle a été accueillie chez elle par les habitants du Sud-Ouest de l’Alberta. En 2015, elle a reçu l’Ordre du Canada et, en 2018, la Senator Joyce Fairbairn Middle School a ouvert ses portes à Lethbridge en hommage à son travail dans le domaine de l’alphabétisation et dans sa collectivité.
Malgré tout ce que Mme Fairbairn a accompli au cours de sa vie, ce dont je me souviendrai le plus à son sujet, c’est sa gentillesse, parce que les gens se souviennent surtout de la façon dont ils sont traités.
Mme Fairbairn nous manquera à tous, mais elle manquera surtout à sa nièce Patricia et au partenaire de cette dernière, Martin, ainsi qu’à ses deux petites-nièces, Jessica et Natalie. C’est auprès d’eux qu’elle a trouvé le refuge familial dont ont besoin tous les titulaires d’une charge publique, surtout après le décès de son compagnon de vie en 2002. Je leur offre mes plus sincères condoléances. Merci.
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends aussi la parole aujourd’hui pour rendre hommage à l’ancienne sénatrice Joyce Fairbairn, qui est décédée le 29 mars. Je n’ai pas eu le plaisir de la connaître, mais on m’a dit que sa petite taille n’enlevait rien à sa présence imposante.
Joyce Fairbairn a entrepris sa carrière en tant que journaliste de la Tribune de la presse parlementaire canadienne. Par la suite, elle a été embauchée comme adjointe législative du Cabinet du premier ministre Pierre Trudeau, dont, plus tard, elle est devenue la coordonnatrice des communications.
[Français]
En 1984, elle a été nommée au Sénat. Elle a ensuite été nommée au Cabinet par le premier ministre Chrétien comme leader du gouvernement au Sénat, et a occupé cette fonction de 1993 à 1997. L’ancienne sénatrice Joyce Fairbairn a été la première femme à être leader du gouvernement au Sénat et la première ministre chargée de l'Alphabétisation. Elle a également présidé le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts et le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste.
(1410)
[Traduction]
Je laisserai aux collègues qui l’ont connue personnellement le soin de nous relater leurs souvenirs précieux de la sénatrice Fairbairn. Il y a néanmoins une histoire que m’a racontée notre ancien collègue Hugh Segal et que j’aimerais vous raconter à mon tour.
En 1979, l’ancien premier ministre John Diefenbaker, encore député, vivait seul à Ottawa. Joyce était adjointe législative du premier ministre Trudeau, et le pays était en pleine campagne électorale. La santé de M. Diefenbaker se détériorait et, même si son aide domestique s’assurait que ses repas étaient prêts, il s’est plaint à un membre du personnel que son repas habituel, « une soupe chaude et consistante », lui manquait. Joyce en a entendu parler et, le lendemain, elle livrait personnellement un récipient de soupe chaude et consistante à M. Diefenbaker, à son domicile de Rockcliffe. À partir de ce jour-là, elle a veillé à ce que de la soupe lui soit livrée la plupart des jours de la semaine et elle s’en est personnellement chargée aussi souvent que possible. Elle et M. Diefenbaker sont devenus amis.
Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait fait preuve d’une telle gentillesse envers un ancien premier ministre du parti adverse, elle a répondu : « Il va de soi que je n’ai pas voté pour lui, mais il était quand même mon premier ministre ». Le premier ministre Diefenbaker est décédé quelques semaines plus tard.
Honorables sénateurs, je n’ai jamais rencontré la sénatrice Fairbairn, mais je sais que je l’aurais appréciée. Je présente mes sincères condoléances à toute sa famille et à ses amis.
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, j’interviens moi aussi aujourd’hui pour rendre hommage à notre collègue et amie, l’honorable Joyce Fairbairn.
Au fil des ans, notre collègue a occupé plusieurs postes, et ce, avec grâce et influence. Je joins ma voix à tous ceux qui ont déclaré que la sénatrice Fairbairn était une femme incroyable et une véritable pionnière, non seulement pour les habitants de Lethbridge, mais aussi pour l’ensemble des Canadiens.
Elle a eu plusieurs carrières au fil des ans et, chaque fois, elle a fait preuve de dynamisme et de détermination pour faire avancer les dossiers qui lui tenaient à cœur. Son énergie et sa passion attiraient l’attention de tous, mais elle gardait les deux pieds sur terre, peu importe les importants postes de leadership qu’elle a occupés.
Il convient de noter qu’elle a été la première journaliste dans la tribune de la presse et la première femme leader du gouvernement au Sénat. Communicatrice efficace, elle comprenait la politique. Les cinq décennies qu’elle a passées sur la Colline du Parlement témoignent de la valeur de ses importantes contributions en matière de politiques publiques. La sénatrice Fairbairn a aussi occupé plusieurs postes au sein du Parti libéral du Canada. Elle a porté son blazer rouge avec confiance et loyauté envers son affiliation politique.
Au-delà de la partisanerie, elle était une défenseure de l’alphabétisation chez les adultes, une championne de la collecte de fonds pour l’équipe paralympique canadienne et une défenseure des peuples autochtones. En lui remettant l’Ordre du Canada, le gouverneur général a résumé les réalisations de la sénatrice Fairbairn en ces mots : « [Elle] cherche activement à améliorer la vie des Canadiens et à aider les gens à surmonter des obstacles. »
Chers collègues, aucun d’entre nous ne pourrait rêver d’un meilleur hommage à la fin de notre carrière dans la fonction publique.
J’ai eu le plaisir de siéger au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts en compagnie de la sénatrice Fairbairn. J’ai de très bons souvenirs de l’un de nos déplacements au Nouveau-Brunswick, où nous avions participé à une cérémonie de plantation d’arbres. Le sénateur Mercer était aussi présent. J’avais eu beaucoup de plaisir à cet événement, mais mon souvenir le plus cher lors de ce voyage est le moment où nous nous étions entassés, la sénatrice Fairbairn et moi-même, sur le petit siège d’une gigantesque pièce d’équipement servant à couper les arbres. Le siège était minuscule, mais nous avions réussi à nous y asseoir tous les deux pour une photo. Cette dernière est d’ailleurs l’une de mes préférées à ce jour.
En terminant, malgré ma loyauté envers les bleus et sa loyauté envers les rouges, je tiens à joindre ma voix à toutes les personnes profondément reconnaissantes envers la sénatrice Joyce Fairbairn pour ses nombreuses réalisations dans la sphère publique. En mon nom personnel, mais aussi au nom de l’opposition officielle au Sénat, j’aimerais transmettre mes sincères condoléances à la famille et aux amis de la sénatrice Fairbairn. Que Dieu vous bénisse durant cette épreuve. Merci.
L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénateurs, j’ai toujours eu beaucoup d’affection pour l’honorable Joyce Fairbairn, qui a longtemps soutenu le mouvement paralympique canadien avec passion et dévouement.
En 1998, elle a assisté aux Jeux paralympiques d’hiver de Nagano en sa qualité de sénatrice. Lorsqu’elle a appris qu’il risquait d’être impossible d’envoyer une équipe canadienne aux Jeux paralympiques de Sydney en 2000 faute de financement, elle a fondé le groupe des Amis des Jeux paralympiques afin que l’équipe ait les moyens d’aller aux Jeux.
Ce groupe a joué un rôle décisif, car il a grandement contribué à mettre en valeur le mouvement paralympique canadien. Peu après les Jeux paralympiques de Sydney en 2000, la sénatrice Fairbairn a joué un rôle clé dans la création de la Fondation paralympique canadienne, dont elle est devenue présidente. Il s’agit du premier organisme de bienfaisance officiel lié au Comité paralympique canadien.
[Français]
L’honorable Joyce Fairbairn m’avait beaucoup épaulée aux Jeux paralympiques de Sydney. Je me souviens avec émotion de sa douceur, de son charisme et de sa grande gentillesse envers toute l’équipe canadienne.
[Traduction]
Honorables sénateurs, permettez-moi de citer les propos du président du Comité paralympique canadien, Marc-André Fabien, qui m’avait présentée à sa bonne amie la sénatrice Fairbairn :
C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de la sénatrice Joyce Fairbairn. Elle a été un pilier du Mouvement paralympique au Canada pendant de nombreuses années, y compris pendant des années cruciales pour la croissance de celui-ci. Son leadership, sa passion et sa détermination à travailler pour le renforcement du sport paralympique ont fait toute une différence. [...] Elle laisse un grand vide.
En lisant ces mots, je me revoyais dans un stade, quelque part, alors que j’apercevais le plus grand des drapeaux du Canada pendant mon réchauffement. Qui le tenait? C’était toujours elle. Elle souriait, portant le t-shirt rouge d’Équipe Canada qui lui donnait fière allure et faisait entendre ses encouragements depuis les estrades. Voilà le souvenir que je garderai de la sénatrice Joyce Fairbairn, une femme fantastique qui a contribué à changer les choses et qui a été un modèle à suivre dans le mouvement paralympique. Reposez en paix, chère Joyce. Meegwetch.
L’honorable Larry W. Campbell : Honorables sénateurs, il y a quatre semaines jour pour jour, mon bureau a reçu un courriel disant qu’après deux jours glorieux de printemps, la neige est arrivée la nuit dernière et a emporté Joyce.
C’est un privilège pour moi de prendre la parole aujourd’hui pour rendre hommage à l’une des personnes les plus remarquables à avoir siégé dans cette enceinte, la sénatrice Joyce Fairbairn, qui, à sa mort, a été décrite par ses concitoyens albertains comme étant une source d’inspiration, une porte-parole influente, une bâtisseuse et une pionnière, une personne passionnée, réfléchie et attentionnée.
Le Comité paralympique canadien l’a qualifiée de pilier du mouvement paralympique au Canada pendant de nombreuses années. Un pilier, a-t-on dit. C’est le mot parfait pour décrire la présence de Joyce dans ce monde.
Je ne vais pas rappeler les nombreuses réalisations qu’elle a accomplies au cours de ses 50 ans de carrière. Je veux plutôt célébrer et me souvenir de la personne bienveillante et douce qu’elle était. Je ne l’ai rencontrée qu’au moment de ma nomination au Sénat et je n’ai eu que sept courtes années comme collègue, mais pendant cette période, j’ai pu constater qu’elle était sévère, mais juste, et toujours inclusive; une collègue de confiance pour chacun d’entre nous, quelle que soit notre affiliation politique.
J’ai la chance de compter dans mon équipe une personne qui était considérée par Joyce comme un membre de sa famille. Par conséquent, j’ai eu le privilège de voir une facette d’elle réservée à ses proches. Elle avait le plus grand des cœurs. Elle n’a pas eu d’enfants, mais elle en traitait beaucoup comme s’ils étaient les siens. Elle aimait les animaux et avait une affinité pour les chiens et les chats errants, car elle ne pouvait pas supporter l’idée qu’un être vivant soit seul ou mal aimé.
Il en était de même pour les plantes et, en général, son époux bien-aimé Mike était d’accord.
(1420)
C’était une cuisinière formidable et elle adorait faire des pâtisseries. Bon nombre de parlementaires raffolaient de ses biscuits. C’était remarquable qu’une femme si dévouée à son travail puisse aussi dévouer autant de temps à chérir et à soutenir quiconque en avait besoin.
Joyce était une leader honnête et attentionnée, et chacun de ses gestes reflétait qui elle était dans son essence. Sa meilleure compétence, c’était de mettre l’accent sur les autres. Elle était toujours à l’aise, que ce soit dans une réunion avec de hauts dirigeants ou dans une classe de 4e année. Dans chaque interaction, peu importe avec qui, elle veillait à ce que les gens se sentent exceptionnels et sentent que leur voix était écoutée.
J’ai été très heureux d’apprendre qu’une nouvelle école intermédiaire avait été nommée en son honneur dans le quartier SunRidge de Lethbridge, la Senator Joyce Fairbairn Middle School. Les prochaines générations d’Albertains apprendront ses merveilleuses réalisations et elle continuera à inspirer les Canadiens pendant des dizaines d’années.
Après sa retraite du Sénat, Joyce est rentrée chez elle, dans son terrain de prédilection, comme elle aimait appeler le Sud de l’Alberta, où elle et sa famille habitaient depuis trois générations.
Dans la maison de retraite qu’elle habitait depuis plus de huit ans à Lethbridge, Joyce était connue au départ pour accompagner les soignants pendant leurs rondes et pendant leurs pauses tout en donnant ses célèbres discours, toujours vêtue de rouge, bien entendu.
Par la suite, elle a continué de les accompagner, même en fauteuil roulant, qu’elle faisait avancer énergiquement avec les pieds. Joyce a toujours eu autant d’énergie que le lapin d’Energizer.
Sa nièce Patricia m’a raconté que, lorsqu’elle rendait visite à sa tante Joyce, elle lui faisait jouer ses chansons préférées de Frank Sinatra, que Joyce chantait ou fredonnait en même temps avec bonheur. Elle a maintenu ce lien avec la musique jusqu’à ses derniers jours.
Je vous remercie, sénatrice Joyce, d’avoir servi la population pendant de nombreuses années et d’avoir donné l’exemple à ceux qui vous ont succédé. Vous avez fait du Canada un meilleur pays.
Pour paraphraser son fabuleux Frank Sinatra, elle a tout fait à sa manière.
Merci.
L’honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à ma chère amie et ancienne collègue, la sénatrice Joyce Fairbairn.
En réfléchissant à ce que j’allais dire aujourd’hui, j’ai d’abord pensé au fait que Joyce fut la première femme à occuper la fonction de leader du gouvernement au Sénat, mais elle a été bien plus que cela. Elle a été une pionnière qui a ouvert la voie aux femmes dans le domaine du journalisme et des communications, et son parcours lui a finalement permis de décrocher un emploi au bureau de l’ancien premier ministre Pierre Trudeau.
Elle a été une guide pour moi et pour d’autres en tant que présidente du Comité de l’agriculture et dans le cadre de ses autres fonctions. Son travail à la Chambre haute a poussé les gens du Sénat — en particulier les greffiers — à offrir le meilleur d’eux‑mêmes.
Elle adorait l’équitation. Au Canada, l’alphabétisation et le mouvement paralympique étaient des dossiers qui lui tenaient à cœur. C’était aussi une femme qui défendait fièrement les intérêts de l’Ouest.
Ce qui m’a frappé le plus, c’est qu’elle se désignait comme la fille de Lethbridge et que les gens de Lethbridge disaient qu’elle était leur sénatrice. Oui, je parle bel et bien d’une libérale du Sud de l’Alberta. Voilà qui montre bien à quel point les gens l’aimaient, et à quel point elle aimait ses concitoyens de l’Alberta et de l’ensemble du pays et elle avait à cœur de les aider.
Même si sa carrière a été écourtée, elle a continué de travailler avec ardeur le plus longtemps possible, et de profiter pleinement de la vie. Nous offrons nos sincères condoléances à sa famille et aux nombreux amis qu’elle laisse dans le deuil.
Il me semble bien choisi qu’elle ait souhaité que la célébration de sa vie se tienne durant les jours chauds de l’été, puisqu’elle a toujours agi de manière chaleureuse et lumineuse.
Vous nous manquerez, Joyce.
L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, je n’ai pas connu Joyce Fairbairn, mais, en tant qu’Albertaine et journaliste moi aussi, je suis reconnaissante d’avoir l’occasion d’honorer sa mémoire.
Joyce Fairbairn est née le 6 novembre 1939 à l’ancien hôpital Galt de Lethbridge. Je le souligne, puisque cet édifice abrite maintenant le Galt Museum & Archives, qui a été fondé en partie grâce à sa vision et au financement qu’elle a assuré pour le projet.
Son père, Lynden Eldon Fairbairn, était pilote dans le Royal Flying Corps durant la Première Guerre mondiale. Par la suite, il a été procureur de la Couronne, juge et libéral impliqué. En effet, il a été candidat libéral à Lethbridge lors des élections fédérales de 1935 et de 1940, qu’il a perdues à la faveur d’un candidat du Crédit social.
Lynden Fairbairn a trouvé la mort dans un accident d’équitation en 1946, peu après le sixième anniversaire de Joyce, qui a donc été élevée principalement par Mary, sa mère devenue veuve.
Elle a décroché son premier emploi de journaliste alors qu’elle fréquentait encore l’école secondaire. Elle a rédigé une chronique pour le Lethbridge Herald, qui s’intitulait Teen Chatter, ou discussions d’adolescents. Elle a obtenu un baccalauréat en littérature anglaise à l’Université de l’Alberta à Edmonton, puis elle s’est installée à Ottawa pour entreprendre des études en journalisme à l’Université Carleton.
Véritable pionnière du journalisme, elle a été la première femme à devenir membre de la Tribune de la presse parlementaire, où elle a travaillé jusqu’en 1970 avant de se joindre au personnel de l’ancien premier ministre Pierre Trudeau.
D’autres ont souligné ses réalisations en tant qu’attachée politique et sénatrice, de son travail à titre de championne du mouvement paralympique et des organismes de bienfaisance dans le domaine de la littératie.
Je vais parler de la façon dont la communauté de Lethbridge se souviendra de cette femme que la Première Nation Kainai a baptisée Morning Bird Woman lors de sa nomination comme cheffe honoraire en 1990.
Les citoyens de Lethbridge retiendront que Joyce Fairbairn était une politicienne qui se présentait aux événements publics, aux défilés et aux festivals, petits et grands. Ardente promotrice de la ville et de la région, Joyce était respectée des politiciens de toutes les allégeances et de tous les ordres de gouvernement.
David Carpenter, maire de Lethbridge de 1986 à 2001, a parlé au Lethbridge Herald après la mort de Joyce Fairbairn :
Je me souviens que chaque année, elle participait au plus grand nombre de défilés qu’il était humainement possible de faire dans les localités avoisinantes. Elle revenait ensuite à Lethbridge et assistait avec le sourire à toutes les cérémonies de la fête du Canada organisées par la ville. Cette fougueuse oratrice qui n’utilisait jamais de notes savait capter l’attention de tous les types d’auditoires, y compris les foules.
Il a ajouté : « Mon pire cauchemar était de découvrir que je devais prendre la parole après elle. »
Vers la fin, la mémoire de Joyce Fairbairn s’est effritée de la façon la plus traître et tragique qui soit. Quant à eux, les habitants de Lethbridge garderont en mémoire le souvenir de Joyce, qui confortera les prochaines générations.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous invite à vous lever et à observer avec moi une minute de silence.
(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)
Le décès de Guy Lafleur, O.C.
L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, c’est avec une profonde tristesse que je prends la parole aujourd’hui alors que nous pleurons le décès du légendaire Guy Lafleur. Dans les jours suivant l’annonce de son décès, une vague d’hommages a déferlé aux quatre coins du pays, soulignant ce que nous savons tous à propos de M. Lafleur : il était une personne aimée dotée d’un talent remarquable.
Guy Lafleur était mon joueur préféré et mon idole pendant ma jeunesse, comme c’était le cas de beaucoup d’amateurs de hockey. Il était toujours enivrant de regarder son style unique, ses performances spectaculaires et ses prouesses de compteur prolifique, qui en ont fait un joueur sans pareil.
[Français]
Lafleur a mené l’une des carrières de hockey les plus exceptionnelles en remportant cinq coupes Stanley avec les Canadiens de Montréal, en étant intronisé au Temple de la renommée du hockey en 1988, et en étant nommé l’un des 100 plus grands joueurs de la LNH en 2017.
Ses nombreuses réalisations ont concrétisé son héritage en tant que figure dominante dans l’histoire du hockey montréalais et en tant que l’un des meilleurs hockeyeurs de tous les temps.
[Traduction]
L’engagement et le dévouement de Guy Lafleur à l’égard du sport chéri qu’est le hockey étaient inébranlables, même après avoir accroché ses patins. Pendant des dizaines d’années après sa retraite en 1991, il a continué de redonner à ce sport au moyen d’innombrables contributions, notamment en assumant le rôle d’ambassadeur des Canadiens de Montréal et en établissant les Prix d’excellence Guy-Lafleur, un prix annuel remis au meilleur athlète étudiant et joueur de hockey dans ma province, le Québec.
[Français]
Ses contributions ne se limitent pas seulement au hockey. Au cours des dernières années de sa vie, il s’est impliqué pour faire avancer la recherche sur le cancer à l’aide du Fonds Guy Lafleur, en soutenant la Fondation du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, où il a été lui-même un patient.
[Traduction]
M. Lafleur laisse derrière lui un legs d’une valeur inestimable. Il a marqué l’ensemble du monde du hockey et bien au-delà. Des millions de Canadiens continuent de l’adorer profondément. C’est non seulement en raison de son talent légendaire, mais aussi de sa nature humble à l’extérieur de la patinoire, de sa générosité, de son abord facile et, surtout, des souvenirs précieux qu’il a laissés aux amateurs de hockey et aux Canadiens, des souvenirs qu’ils chériront indubitablement pour toujours.
(1430)
Guy Lafleur a déjà parlé à un groupe de jeunes hockeyeurs, à qui il a offert des sages conseils. Il leur a dit de toujours travailler fort et de toujours jouer avec passion, comme si c’était le dernier match de leur vie.
[Français]
Sur ces mots, chers collègues, je tiens à offrir mes plus sincères condoléances à toute la famille Lafleur ainsi qu’aux millions d’amateurs de hockey avec qui il a forgé un lien unique tout au long de sa carrière.
[Traduction]
Les chants glorieux de « Guy, Guy, Guy! » nous manqueront énormément, et nous nous en souviendrons toujours affectueusement. Merci.
[Français]
L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénatrices et sénateurs, je veux intervenir aujourd’hui pour rendre hommage dans cette Chambre à une légende du hockey qui est décédée vendredi dernier, Guy Lafleur.
Depuis vendredi, on dirait que la Terre a cessé de tourner, surtout au Québec. Dans les nouvelles, on ne parle plus de la guerre en Ukraine, de l’inflation à 6 % ou encore de la prochaine vague de la pandémie. En fait, il n’y a qu’un seul sujet qui mobilise toute l’attention, et c’est le décès du numéro 10 du Canadien de Montréal, Guy Lafleur, emporté par un cancer du poumon à l’âge de 70 ans.
Depuis vendredi, les chaînes de télévision du pays nous montrent sans arrêt les exploits sur la glace d’un joueur surdoué, d’un compteur de buts extraordinaire et spectaculaire, surnommé « Flower » par les anglophones, ou encore le « Démon blond » par les francophones.
Guy Lafleur était la dernière grande vedette vivante du Canadien de Montréal, après Maurice Richard et Jean Béliveau. Plus de 35 ans après avoir accroché ses patins, Guy Lafleur était encore l’idole des amateurs de hockey québécois et l’idole de tout un peuple. Sa personnalité, sa franchise et sa très grande humilité avaient fait de lui un personnage plus grand que nature.
Les hommages continuent de pleuvoir depuis cinq jours et ils continueront probablement jusqu’à la semaine prochaine lorsque des funérailles nationales seront célébrées le 3 mai, à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde, à Montréal.
Quand on regarde la carrière de Guy Lafleur, on comprend vite à quel point le talent était présent en lui. À 12 ans, le jeune hockeyeur de Thurso épatait déjà au Tournoi pee-wee de Québec où il a marqué 64 buts en trois saisons.
Dans les rangs juniors, en 1971, il a eu une saison de 130 buts en 62 matchs avec les Remparts de Québec, en plus de remporter le tournoi de la Coupe Memorial.
Puis, avec le Canadien de Montréal, Guy Lafleur a marqué l’histoire avec six saisons consécutives de 50 buts et plus. Il a récolté tous les trophées individuels possibles de la Ligue nationale de hockey, et rien de moins que cinq tournois de la Coupe Stanley, dont quatre consécutifs de 1976 à 1979.
Soit dit en passant, il a remporté sa première coupe Stanley en 1973, alors qu’il avait comme coéquipier Frank Mahovlich, que plusieurs sénateurs connaissent bien puisqu’il a siégé au Sénat pendant 15 ans.
Au-delà du hockey, on peut dire que Guy Lafleur a été une figure importante de la culture populaire du Québec. Selon moi, il a contribué autant, sinon davantage que Maurice Richard à la motivation des Québécois francophones de réussir dans toutes les sphères de la société.
Depuis vendredi, les ovations se multiplient pour le héros qu’était Guy Lafleur. Il était important pour moi que ce concert d’éloges ait des échos jusque dans cette Chambre.
Merci à Guy Lafleur pour tout ce qu’il a été pour les amateurs de hockey et pour tous les Canadiens. Je me permets également d’offrir en votre nom les condoléances de tout le Sénat à sa femme, à ses enfants et à toute sa famille.
Des voix : Bravo!
L’honorable Patrick Brazeau : Honorables sénateurs, le printemps est habituellement le temps des bourgeons et des fleurs; malheureusement, la semaine dernière, une fleur s’est éteinte.
Le 22 avril dernier, le Démon blond nous a quittés à la suite d’un combat contre le cancer du poumon.
Le « Turbo de Thurso » a joué 15 années pour le Canadien de Montréal, lors desquelles il a récolté cinq coupes Stanley, connu six années consécutives de 50 buts et accumulé plus de 100 points. Ajoutons à ce palmarès trois trophées Lester-B.-Pearson et deux trophées Hart, le trophée Conn-Smythe, le trophée Rocket Richard, le trophée Ted-Lindsay, six participations au Match des étoiles, le retrait de son chandail et son intronisation au Temple de la renommée du hockey.
Guy Lafleur a touché le cœur de beaucoup de gens. Tous les enfants parlaient de Guy Lafleur et voulaient être comme lui. C’était l’idole de beaucoup de Québécois, peu importe leur âge.
Quand on voyait le vent soulever les cheveux blonds de Guy en pleine accélération sur la glace, les partisans savaient que quelque chose de spécial allait se produire sur la glace. Guy Lafleur était non seulement l’un des meilleurs joueurs au monde, mais il était et sera toujours une légende.
J’ai eu l’occasion de rencontrer Guy Lafleur et de jouer contre lui. Lors du passage de l’équipe des Anciens Canadiens à Maniwaki, il y a quelques années, j’ai eu l’honneur de jouer contre mon idole de jeunesse pour la somme de 1 000 $.
Les nombreux partisans faisaient la file pour avoir l’occasion de serrer la main de Guy ou de prendre une photo avec lui. Comme le temps passait et que l’heure de la partie approchait, certaines personnes commençaient à être nerveuses, car la file d’admirateurs qui voulaient rencontrer Guy était encore longue. Tout à coup, Guy s’est levé de sa chaise et a crié aux adeptes : « Ne vous inquiétez pas, l’autobus ne partira pas pour l’aréna tant que je ne serai pas dedans! », ce qui a calmé la foule qui voulait rencontrer son idole.
J’ai rencontré beaucoup de personnes que les gens idolâtrent, peu importe leur métier, mais quand j’ai rencontré Guy Lafleur, j’ai senti que je serrais la main d’une légende, d’une personne très spéciale. Jamais je n’ai vu quelqu’un avec un profil tel que celui de Guy Lafleur traiter les admirateurs avec tant de classe.
Quand on était devant lui, c’était comme si on le connaissait depuis longtemps. Il démontrait un intérêt envers ses admirateurs qu’on ne voit pas souvent. Il leur posait autant de questions qu’il en recevait. Ce jour-là, j’ai vu un athlète, un des meilleurs de sa profession, avec tous ses trophées et ses coupes Stanley, être simplement un petit gars de la place. C’est un moment qui m’a touché et que je voulais partager avec vous.
Pendant plusieurs années, au printemps, Guy Lafleur nous a inspirés, mais ce printemps, nous lui demandons de reposer en paix, et nous le remercions pour tous ces souvenirs.
J’offre mes condoléances à toute la famille Lafleur, parce qu’elle est maintenant intronisée dans nos cœurs.
Merci.
Des voix : Bravo!
Le décès de Nicole Gladu
L’honorable Marie-Françoise Mégie : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à Mme Nicole Gladu, décédée le 27 mars dernier de façon naturelle, à l’âge de 76 ans. Ses funérailles se sont tenues la fin de semaine dernière, à Montréal.
Je ne l’ai pas connue personnellement, mais son nom était sur toutes les lèvres, et il le restera tant qu’on parlera de l’aide médicale à mourir.
C’est elle qui, aux côtés de M. Jean Truchon, avait contesté la constitutionnalité du critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible afin d’être admissible à l’aide médicale à mourir.
Mme Gladu a été atteinte de la poliomyélite à l’âge de 4 ans, moment où le vaccin n’existait pas encore, mais cette maladie dégénérative incurable n’a pas été un frein pour la réalisation de ses rêves. Malgré les séquelles de la polio, elle a eu une vie professionnelle bien remplie : journaliste, syndicaliste, directrice des communications, et cetera. Elle a fait sa marque tant au Québec que sur la scène internationale.
Malgré la détérioration de son état de santé, elle a eu la force de se battre avec détermination, et a eu gain de cause le 11 septembre 2019.
Cependant, en dépit de cette victoire, Mme Gladu n’a pas eu recours à l’aide médicale à mourir. Elle s’est battue pour avoir le droit de choisir sa fin de vie et aussi pour léguer ce choix à toutes les personnes dont l’existence serait devenue intolérable, comme dans le cas de M. Truchon.
Mme Gladu a fait le choix de vivre chaque moment de sa vie; elle nous a quittés doucement et naturellement.
Dans son avis de décès, Mme Gladu a rendu hommage à sa famille, à tous ses amis et collègues qui l’ont entourée et accompagnée aux différentes étapes de sa vie. Je lui fais écho pour reconnaître leur dévouement et je leur présente mes plus sincères condoléances.
J’en profite également pour remercier tous les proches aidants du Canada et saluer leur courage, leurs sacrifices et leur abnégation. On souligne d’ailleurs tous les 5 avril la Journée nationale des soignants.
J’ai eu le privilège de côtoyer les proches aidants de mes patients au cours de ma pratique médicale. Leur accompagnement demeure crucial pour assurer le maintien à domicile sécuritaire des personnes malades et assurer une fin de vie en toute dignité à celles qui sont en soins palliatifs.
À tous les aidants du Canada, je tire mon chapeau, et je souhaite à Mme Gladu de reposer en paix.
Des voix : Bravo.
[Traduction]
(1440)
AFFAIRES COURANTES
Le budget de 2022
Dépôt de document
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le budget de 2022 intitulé Budget 2022 : Un plan pour faire croître notre économie et rendre la vie plus abordable.
[Français]
Projet de loi concernant la modernisation de la réglementation
Préavis de motion tendant à autoriser certains comités à étudier la teneur du projet de loi
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, et sans entraver les travaux relatifs au projet de loi S-6, Loi concernant la modernisation de la réglementation :
1.les comités suivants soient individuellement autorisés à examiner la teneur des éléments suivants du projet de loi S-6 :
a)le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce : les éléments de la partie 1;
b)le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles : les éléments des parties 2 et 3;
c)le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts : les éléments des parties 4, 5 et 6;
d)le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans : les éléments de la partie 7;
e)le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie : les éléments de la partie 8;
f)le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international : les éléments de la partie 9;
g)le Comité sénatorial permanent des transports et des communications : les éléments de la partie 10;
2.chacun des comités qui sont autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi S-6 soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 30 mai 2022, et soit autorisé à déposer son rapport auprès du greffier du Sénat si le Sénat ne siège pas à ce moment-là;
3.le comité auquel le projet de loi S-6 pourrait être renvoyé, s’il est adopté à l’étape de la deuxième lecture, soit autorisé à prendre ces rapports en considération au cours de son examen du projet de loi.
[Traduction]
Le budget de 2022
Préavis d’interpellation
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :
J’attirerai l’attention du Sénat sur le budget intitulé Budget 2022 : Un plan pour faire croître notre économie et rendre la vie plus abordable, déposé à la Chambre des communes le 7 avril 2022 par la ministre des Finances, l’honorable Chrystia Freeland, c.p., députée, et au Sénat le 26 avril 2022.
Droits de la personne
Autorisation au comité de tenir des séances à huis clos dans le cadre de son étude des droits de la personne en général
L’honorable Nancy J. Hartling : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5a) du Règlement, je propose :
Que, nonobstant l’article 12-15(2) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à tenir des séances à huis clos pour entendre des témoignages et recueillir des informations particulières ou délicates dans le cadre de son étude des droits de la personne en général, spécifiquement sur le sujet de la stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
PÉRIODE DES QUESTIONS
L’agriculture et l’agroalimentaire
La cible de réduction des émissions
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question d’aujourd’hui s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Elle concerne le plan du gouvernement Trudeau qui vise à réduire de 30 % les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’utilisation d’engrais dans les exploitations agricoles d’ici 2030.
L’automne dernier, l’organisme Fertilisants Canada a commandé un rapport dont les conclusions montrent que le plan du gouvernement coûterait aux agriculteurs environ 48 milliards de dollars sur les huit prochaines années. Voici ce qu’a déclaré l’organisme :
Quand le gouvernement fédéral a annoncé cette cible de 30 % de réduction de l’usage de fertilisants, il l’a fait sans consulter les provinces, le secteur agricole et les principaux intervenants quant au réalisme d’une telle cible.
Monsieur le leader, pourquoi le gouvernement néo-démocrate—libéral n’a-t-il pas travaillé avec les agriculteurs sur ce plan de réduction des émissions pour 2030 avant d’imposer une cible qui dévasterait l’ensemble de ce secteur?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Je ne suis pas au courant de l’étendue des discussions qui ont eu lieu ou qui se poursuivent avec les différents acteurs de ce secteur, mais je peux assurer au Sénat que la cible fixée par le gouvernement a été décidée en fonction des recommandations et qu’elle reflète l’engagement du Canada à faire sa part dans la réduction des gaz à effet de serre et à lutter contre le changement climatique.
Le sénateur Plett : La raison pour laquelle vous n’êtes pas au courant des consultations est que, comme je l’ai dit, il n’y en a pas eu. Voilà le problème.
Les agriculteurs ont de la difficulté à payer le coût des intrants, notamment de l’engrais. Statistique Canada a rapporté récemment que les prix de l’ammoniac et des engrais chimiques ont augmenté pendant 10 mois consécutifs et qu’ils ont grimpé de plus de 88 % d’une année à l’autre. L’engrais est non seulement dispendieux, mais aussi très difficile à trouver. Les problèmes continus de la chaîne d’approvisionnement et la guerre illégale de la Russie en Ukraine ont entraîné une pénurie mondiale d’engrais, et on craint de plus en plus pour la sécurité alimentaire mondiale.
Monsieur le leader, compte tenu de tout cela, pourquoi le gouvernement néo-démocrate—libéral pense-t-il que c’est le bon moment pour imposer plus de restrictions sur l’emploi des engrais aux agriculteurs canadiens?
Le sénateur Gold : Merci de votre question. Le plan de lutte contre les changements climatiques du gouvernement touche tous les aspects de la vie et de l’économie. Il s’agit d’une initiative heureuse et nécessaire pour contrer cette menace existentielle pour la planète. Merci.
[Français]
La défense nationale
Le matériel militaire fourni à l’Ukraine
L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Monsieur le leader, nos amis ukrainiens font actuellement face à une invasion de la part de leurs voisins russes, et la Russie possède l’une des armées les plus puissantes au monde. J’ai été heureux de constater que le Canada s’était engagé à envoyer du matériel afin d’aider l’Ukraine à défendre son territoire. Cependant, j’ai été extrêmement surpris, ces dernières heures, lorsque j’ai appris que le Canada envoyait quatre obusiers et huit véhicules blindés. Ma question est la suivante : êtes-vous sérieux?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : La réponse est oui. Comme vous le savez, les ministres Anand et Joly sont allées en Europe pour discuter avec nos alliés. Cela leur a permis d’apprendre ce que nous pouvons faire de plus pour aider les Ukrainiens et les forces ukrainiennes à contrer l’invasion illégale. De plus, nous en avons appris davantage sur la façon dont nous pourrons continuer à travailler avec nos alliés pour faire notre part et fournir du matériel et les biens essentiels afin que les forces ukrainiennes puissent combattre avec succès l’invasion russe.
(1450)
Le sénateur Carignan : Êtes-vous gêné?
Le sénateur Gold : Non.
[Traduction]
La santé
La pandémie de COVID-19—Les effets à long terme
L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au sénateur Gold.
Plus la pandémie progresse, plus nous constatons que le virus de la COVID a des répercussions négatives sur la santé dans l’immédiat et à long terme. L’expression « COVID de longue durée » fait maintenant partie de notre vocabulaire. Selon les premières études effectuées, un nombre considérable de personnes qui contractent la COVID risquent de développer la COVID de longue durée, même si leurs symptômes sont légers. Récemment, je me suis entretenu avec le Dr Peter Hotez, qui est en nomination pour le prix Nobel, au sujet de la nécessité de mieux comprendre la nouvelle incidence des effets neurodégénératifs de la COVID de longue durée, notamment les taux supérieurs de démence, de maladie de Parkinson et de maladie mentale. D’autres soulèvent des préoccupations semblables concernant les répercussions négatives à long terme sur la santé cardiaque et vasculaire.
En gros, on s’attend à ce que la COVID de longue durée entraîne un déluge de répercussions graves sur la santé, y compris celle des enfants, répercussions qui coûteront cher aux Canadiens. De plus, nos connaissances sont limitées quant à son épidémiologie, à son étiologie et à ses traitements potentiels.
Que fait le gouvernement du Canada à l’heure actuelle pour nous doter d’une stratégie nationale intégrée globale afin d’améliorer notre compréhension de la COVID de longue durée et les moyens dont nous la traitons?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, sénateur, de votre question et merci de parler de cet important enjeu.
Le gouvernement est conscient que certaines personnes qui ont attrapé la COVID-19 doivent faire face à une très longue convalescence. On m’a informé que le gouvernement collabore activement avec des experts canadiens et étrangers à recueillir des données sur les problèmes de santé à long terme qui découlent de la COVID-19 en vue de soutenir les Canadiens qui sont aux prises avec ces problèmes. Bien entendu, il est essentiel de mieux comprendre la COVID-19 pour lutter contre la pandémie et en sortir.
C’est pourquoi, depuis mars 2020, le gouvernement du Canada a investi plus de 250 millions de dollars dans des domaines de recherche clés sur la COVID-19. Il investit également 119 millions de dollars supplémentaires dans la recherche sur la COVID-19, notamment en finançant des études supplémentaires visant à mieux comprendre les problèmes de santé à la suite de la COVID-19.
Plus tôt cette semaine, chers collègues, le gouvernement a annoncé qu’il lançait le deuxième cycle de l’Enquête canadienne sur la santé et les anticorps contre la COVID-19, menée par Statistique Canada, l’Agence de la santé publique du Canada et le Groupe de travail sur l’immunité face à la COVID-19. Cette enquête vise à mieux comprendre les effets de la pandémie sur la santé et le bien-être des Canadiens.
Le sénateur Kutcher : Ce sont là de bonnes nouvelles, sénateur Gold, et nous sommes très heureux de voir que ces démarches ont commencé, mais la COVID de longue durée sera probablement un problème qui touchera plusieurs générations. Notre pays fait des progrès, mais nous ne pouvons pas y arriver seuls. Nous devons vraiment nous associer à d’autres pays disposant d’une solide capacité de recherche, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.
Que fait le gouvernement pour s’assurer que ces partenariats voient le jour?
Le sénateur Gold : Comme je l’ai dit, sénateur, le gouvernement du Canada collabore avec des experts au pays et à l’étranger.
En ce qui concerne votre question, je vais certainement m’informer et je serai heureux de vous revenir avec des réponses.
[Français]
L’emploi et le développement social
La prestation canadienne pour les personnes handicapées
L’honorable Chantal Petitclerc : Sénateur Gold, ma question concerne encore une fois le projet de loi sur la Prestation canadienne pour les personnes handicapées qui est mort au Feuilleton et qui tarde à être réintroduit.
Le 12 avril dernier, 73 députés de tous les partis ont publié une lettre ouverte demandant la réintroduction immédiate de ce projet de loi et son adoption accélérée. Plusieurs sénateurs ont récemment fait une demande semblable. De plus, une pétition de 18 000 noms a été déposée le mois dernier à la Chambre des communes pour réclamer l’élaboration et la mise en œuvre rapide de cette nouvelle prestation.
Malgré l’urgence des besoins des personnes en situation de handicap et malgré le fait que neuf Canadiens sur dix appuient cette aide financière directe, ni dans la mise à jour fiscale de décembre ni dans le budget d’avril il n’est fait mention de cette mesure.
Sénateur Gold, pourquoi le gouvernement tarde-t-il à réintroduire ce projet de loi et à faire le nécessaire pour accélérer son adoption?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question et pour votre engagement dans cette importante cause.
Je n’ai pas de réponse précise pour ce qui est du délai, mais je vais faire des vérifications auprès du gouvernement et je vais essayer d’avoir une réponse dans les plus brefs délais.
La sénatrice Petitclerc : Sénateur Gold, dans la réponse écrite que j’ai reçue la dernière fois que j’ai posé la question, on me mentionnait des consultations en cours qui prennent du temps. Cependant, c’est un projet de loi qui a déjà été introduit sans consultations préalables. Donc, encore une fois, ne serait-il pas temps que le gouvernement entende les Canadiens et commence par déposer de nouveau ce projet de loi? Il me semble que rien n’empêche de faire les deux en parallèle.
Le sénateur Gold : Merci pour votre question complémentaire. Je vais faire le suivi, comme je l’ai mentionné, et je vous reviendrai avec une réponse.
Le Bureau du Conseil privé
La nomination des lieutenants-gouverneurs
L’honorable Pierre J. Dalphond : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Le 14 avril dernier, la juge en chef DeWare, de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, rendait un jugement qui a fait les manchettes non seulement au Nouveau-Brunswick, mais également partout au pays. Elle concluait que la recommandation d’une personne unilingue de la part du premier ministre pour combler le poste de lieutenant-gouverneur était inconstitutionnelle. Est-ce que le gouvernement a l’intention d’en appeler de cette décision ou plutôt de s’y conformer?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question. Le gouvernement du Canada s’est engagé à assurer l’égalité du français et de l’anglais au Canada et à renforcer la Loi sur les langues officielles. Comme nous le savons, de nombreux critères sont pris en compte lors de ces nominations, pour veiller à nommer la meilleure personne pour servir les Canadiens. Bien que le gouvernement prenne le temps d’examiner cette décision et de déterminer les prochaines étapes, il demeure engagé à protéger et à promouvoir le français partout au pays et à faire progresser notre dualité linguistique.
Le sénateur Dalphond : Je remercie le représentant du gouvernement pour la réaffirmation de l’engagement du gouvernement à assurer l’égalité linguistique et je m’en réjouis. Cependant, dois-je comprendre que, pour l’instant, aucune décision n’a été prise et que nous ne saurons qu’à la fin du délai de 30 jours si le gouvernement fera appel ou non de la décision?
Le sénateur Gold : Vous avez raison; le gouvernement continue à réfléchir en ce qui concerne les prochaines étapes.
[Traduction]
Les finances
Le Conseil consultatif en matière de croissance économique
L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
En 2017, le Conseil consultatif en matière de croissance économique, mis sur pied par le gouvernement et présidé par Dominic Barton, avait désigné l’agriculture comme l’un des secteurs clés pour la croissance. Le rapport du conseil préconisait, à l’horizon 2025, une croissance des exportations du secteur agroalimentaire canadien de 55 milliards de dollars à au moins 75 milliards de dollars.
Au moment de la publication du premier rapport, le ministre des Finances de l’époque avait remercié les membres du conseil de leurs recommandations et avait déclaré :
J’ai hâte de poursuivre ma collaboration avec le Conseil alors que nous continuons de renforcer la classe moyenne et d’assurer la croissance de l’économie du Canada [...]
(1500)
Si ces objectifs faisaient la une des journaux il y a quelques années, ils semblent dernièrement avoir été relégués aux oubliettes par le gouvernement. Je suis toutefois heureux de constater que l’industrie de l’agriculture a été mise en évidence dans le budget fédéral de cette année : elle recevra du soutien pour assurer la stabilité des chaînes d’approvisionnement et la croissance économique et des efforts seront déployés pour accroître sa durabilité.
Les objectifs n’ont pas été relégués aux oubliettes par l’industrie. Le mois dernier, la Fédération de l’agriculture de l’Ontario a présenté une résolution lors de l’assemblée générale annuelle de la Fédération canadienne de l’agriculture concernant la nécessité d’appuyer la mise en œuvre des initiatives énoncées dans le rapport Barton.
Honorables sénateurs, comme je l’ai dit à maintes reprises, il est évident que l’agriculture peut être un véritable moteur de l’économie canadienne et nous aider à nous rétablir après la pandémie. Pour atteindre les objectifs ambitieux du rapport Barton, nous devons mieux promouvoir l’agriculture canadienne à l’échelle nationale et internationale.
Sénateur Gold, voici ma question : comme il ne reste que trois ans pour atteindre les objectifs de 2025 établis dans le rapport Barton, pouvez-vous dire si nous sommes en voie de les atteindre?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question, cher collègue.
Comme vous l’avez dit, le rapport Barton a désigné l’agriculture comme l’un des six secteurs présentant un potentiel de croissance, et le gouvernement partage cet avis. On m’a informé que la recommandation d’atteindre 75 milliards de dollars en exportations agricoles d’ici 2025 est un objectif que le gouvernement s’efforce d’atteindre et qu’il a d’ailleurs intégré. Je souligne, chers collègues, que le rapport sur les résultats des Prévisions du revenu agricole pour 2020 et 2021 nous apprend qu’en 2020 le gouvernement est parvenu à accroître les exportations agricoles pour qu’elles totalisent 74 milliards de dollars. Il ne manquait que 1 milliard de dollars pour atteindre l’objectif de 2025, avec 5 ans d’avance. Étant donné la croissance du secteur, le gouvernement prévoit n’avoir aucune difficulté à atteindre cet objectif.
Le sénateur Black : Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai été heureux de constater que l’agriculture et ses thèmes connexes sont mentionnés 36 fois dans le budget de cette année. J’ai hâte d’en apprendre davantage sur les plans du gouvernement pour soutenir ce secteur essentiel. Comme l’agriculture est l’un des secteurs les plus importants du Canada, sénateur Gold, vous engagez-vous à informer le Sénat des mesures prises par le gouvernement pour aider le secteur agricole à atteindre les objectifs fixés dans le rapport Barton? Merci.
Le sénateur Gold : Merci, sénateur, de votre question. Comme je viens de le dire, le gouvernement croit qu’il est en bonne voie d’atteindre la cible recommandée dans le rapport Barton. Comme vous l’avez indiqué, dans le dernier budget, le Budget 2022 que j’ai déposé au Sénat aujourd’hui, le gouvernement a instauré de nombreuses mesures pour appuyer le secteur agricole.
Je rappelle bien entendu à mes collègues que la lettre de mandat de la ministre inclut l’obligation d’aider à favoriser et à renforcer l’industrie agricole en général.
[Français]
La justice
La nomination des juges
L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Ma question s’adresse au sénateur Gold. En 2019-2020, plusieurs articles de journaux ont fait de graves révélations sur la nomination de juges partisans par le gouvernement libéral.
Il avait été premièrement reproché aux libéraux d’utiliser la Libéraliste pour nommer des juges, une base de données détenant des informations confidentielles sur les candidats qui avaient eu des interactions au fil des ans avec le Parti libéral du Canada, notamment en matière d’appui au premier ministre, d’engagement au sein de la campagne fédérale, mais surtout de dons au Parti libéral.
Il a également été révélé que le conseiller au ministre de la Justice de l’époque, M. François Landry, avait écrit des courriels à sa cheffe de cabinet indiquant que lui et d’autres adjoints subissaient des pressions de la part du Cabinet du premier ministre concernant la nomination de juges. Il disait ceci, et je le cite :
Ce que nous faisons est similaire à ce qui a mené à l’établissement de la Commission d’enquête sur le processus de nomination des juges en 2010 au Québec.
On apprend maintenant que le juge chargé de présider l’enquête publique indépendante qui donne suite à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, M. Paul Rouleau, s’est impliqué par le passé au sein du Parti libéral.
Est-ce que vous êtes d’accord avec le choix du premier ministre d’avoir nommé un de ses amis à la tête d’une enquête attendue des Canadiens et qui est surtout censée être indépendante?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement fait pleinement confiance au juge Rouleau. Au bénéfice de tous, rappelons qu’il a été nommé en 2002 et que depuis ce temps, il est assujetti à des obligations déontologiques faisant en sorte qu’il n’a aucunement le droit de participer de quelque façon que ce soit à des activités partisanes. Permettez-moi d’utiliser un anglicisme pour dire que quelque chose circule actuellement sur les médias sociaux, que l’on peut qualifier de « fake news ».
Dans les faits, le juge Rouleau est très respecté, non seulement en Ontario, mais partout au pays, pour le travail qu’il a accompli en tant que juge et aussi comme avocat pour la défense des droits des Franco-Ontariens, entre autres dans l’affaire Montfort.
Le fait que le gouvernement ait mis en place une enquête publique menée par un juge d’expérience, de grande qualité et de réputation montre l’engagement du gouvernement non seulement à faire la lumière sur sa décision d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, mais aussi à faire en sorte que l’on puisse apprendre des leçons pour l’avenir.
Voilà donc une longue réponse à une courte question. Le gouvernement est convaincu de l’intégrité et de l’impartialité du juge Rouleau et il fait entièrement confiance au processus d’enquête qu’il mènera.
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Gold, vous savez comme moi qu’en matière de justice, les apparences de conflit d’intérêts sont aussi dommageables que les conflits eux-mêmes. Les révélations que j’ai mentionnées plus tôt ont soulevé des inquiétudes légitimes au sein de l’opinion publique en juin 2020.
Le gouvernement Trudeau a répondu aux critiques en indiquant ne plus vouloir consulter la Libéraliste. Pourtant, les nominations partisanes qui ont eu lieu récemment ont montré que l’on continuait d’utiliser cette liste — même qu’un proche du ministre Lametti, qui a contribué à la campagne électorale, a été nommé juge.
Afin de dissiper tout soupçon de dépendance du système judiciaire à l’égard du système politique et afin que le Sénat puisse jouer un rôle dans ce processus, seriez-vous favorable à ce qu’une étude soit menée par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles afin de faire toute la lumière sur la nomination de juges partisans au sein du gouvernement libéral?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Ce n’est pas à moi de me prononcer sur ce que veut faire un comité ou non. Ultimement, ce sera au Sénat de décider. Toutefois, je peux dire que la prémisse de votre question n’est pas correcte. Je le dis avec respect, cher collègue.
Le gouvernement du Canada a mis en place un processus de nomination des juges afin de s’assurer que tous ceux et celles qui sont nommés juges par le gouvernement fédéral sont les meilleurs candidats pour bien servir la cause de la justice et les Canadiens.
[Traduction]
La sécurité publique
L’Agence des services frontaliers du Canada
L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement, le sénateur Gold. Plus tôt cette année, le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a déclaré qu’il allait envoyer une directive claire à l’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC, pour que les Canadiens qui reviennent de l’étranger puissent présenter aux agents des services frontaliers tout document nécessaire en version papier sans être pénalisés pour ne pas avoir utilisé l’application ArriveCAN.
Sénateur Gold, des compagnies aériennes continuent d’empêcher des Canadiens de prendre leur vol à moins qu’ils n’utilisent cette application. Les Canadiens risquent toujours des amendes s’ils arrivent à un poste frontalier terrestre sans avoir préalablement utilisé l’application.
Sénateur Gold, ma question est simple. Pourquoi cette directive n’a-t-elle toujours pas été communiquée aux agents de l’ASFC?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question, sénateur. Je dois m’informer à ce sujet. Je vous reviendrai dès que possible. Je n’ai pas la réponse à votre question en ce moment.
Le sénateur Housakos : Sénateur Gold, je comprends, mais cela fait un certain temps que le gouvernement s’est engagé à corriger le tir en ce qui concerne l’utilisation de cette application. Je comprends que l’application ArriveCAN peut être un outil pratique pour certaines personnes, et je suis convaincu que certaines générations de Canadiens l’ont adoptée plus facilement que d’autres, mais le fait est que cette application devrait être optionnelle. Ce n’est pas sans raison qu’il y a des agents aux points d’entrée. Leurs responsabilités ne devraient pas reposer entièrement sur l’utilisation d’une application, surtout si cette dernière est vulnérable aux problèmes techniques. Par ailleurs, on ne devrait pas refuser à des Canadiens d’entrer dans leur propre pays, peu importe les circonstances. Je tiens à rappeler à mes honorables collègues qu’à une certaine époque, le premier ministre a déclaré qu’un Canadien est un Canadien, un point c’est tout.
(1510)
Pouvons-nous obtenir un engagement que cette situation sera corrigée? Cela fait un certain temps qu’elle dure. J’ai posé cette question auparavant et le ministre a donné publiquement des directives à l’Agence des services frontaliers du Canada. À l’heure actuelle, des Canadiens sont encore pénalisés à la frontière, surtout ceux qui sont âgés et qui n’ont pas accès à cette application.
Le sénateur Gold : Je vous remercie d’avoir porté ce point à mon attention, sénateur. Je vais certainement me renseigner et faire rapport.
Le patrimoine canadien
Le drapeau national du Canada
L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, cette question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Il n’y a pas si longtemps, en février, c’était le Jour du drapeau national du Canada. Bien sûr, cela coïncidait avec l’occupation d’Ottawa par le convoi et avec d’autres manifestations semblables partout au pays, où le drapeau a été utilisé de manières qui ont troublé bien des gens. La Légion royale canadienne, par exemple, a condamné l’utilisation qui en a été faite. À ce jour, nombre de Canadiens ont communiqué avec nous pour nous dire qu’ils ont retiré le drapeau qui occupait une place importante chez eux.
Vous vous souviendrez aussi que, l’an dernier, certaines collectivités ont décidé de célébrer la fête du Canada de manière plus discrète. Puisque cette fête approche à grands pas, je crains que trop de Canadiens voient eux aussi notre drapeau d’une façon différente.
Aujourd’hui, je veux savoir ce que fait le gouvernement pour rétablir le caractère symbolique du drapeau et de la fête du Canada, dans le respect de l’histoire et du passé de tous les Canadiens. Nous voulons que le drapeau et la fête du Canada soient des symboles de paix, d’ordre, d’inclusion et de bon gouvernement pour tous les Canadiens.
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de soulever cette question, madame la sénatrice. Comme le dit la Loi concernant le drapeau national du Canada, tous les Canadiens sont encouragés à déployer fièrement le drapeau national du Canada conformément à l’étiquette du drapeau.
Notre démocratie subit de graves attaques sans précédent qui attisent l’extrémisme, minent la confiance envers le gouvernement et rongent le tissu social du pays. Pour lutter contre la désinformation et la mésinformation dans les médias sociaux, le gouvernement a lancé divers programmes, comme l’Initiative de citoyenneté numérique, afin d’équiper les Canadiens avec les outils nécessaires pour évaluer l’information en ligne avec un esprit critique. Renforcer la confiance envers nos institutions, notamment envers le drapeau, est un devoir collectif qui nous revient à tous. Nous avons tous un rôle à jouer pour que l’ensemble des Canadiens puissent se réapproprier ce symbole.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de votre réponse. Je dirais, au nom de tous les Canadiens, que nous sommes impatients de voir les progrès tangibles que produira ce travail collectif, car nous souhaitons tous être fiers des célébrations de la fête du Canada et de notre drapeau. Merci.
L’environnement et le changement climatique
La Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)
L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, je veux vous poser une question sur le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), plus précisément sur les bassins de décantation à Athabasca, une région où l’on exploite les sables bitumineux et où les barrages ont atteint la limite de leur capacité.
Les exploitants des sables bitumineux ont accumulé de très grands volumes d’eau résiduelle et n’ont prévu aucun plan pour les traiter ou les gérer véritablement. J’ai récemment rencontré le personnel du ministre Guilbeault et on n’a pas été en mesure de répondre directement à ma question sur ce sujet.
Auriez-vous l’obligeance de préciser si les produits chimiques nocifs qui se trouvent dans les bassins de décantation sont inscrits à la liste en annexe du projet de loi S-5, et sous quelle rubrique? Si ces produits chimiques ne sont pas pris en compte par la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, quelle mesure législative serait la plus appropriée pour régler le problème des bassins de décantation?
J’ajoute qu’à mon avis, la Loi sur les pêches n’est pas la solution, car elle ne tient pas compte des répercussions nuisibles et cumulatives sur la santé des terres, des animaux et des gens qui sont aux prises avec ce problème depuis 1995, c’est-à-dire les Premières Nations de la région d’Athabasca. Merci.
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour votre question et pour la foi que vous avez en ma capacité de vous répondre mieux que le ministre, que vous avez rencontré, si j’ai bien compris. Je ferai de mon mieux pour fournir au moins un peu de contexte sur cet enjeu.
Le gouvernement travaille collectivement avec les peuples autochtones, l’industrie, les provinces et des intervenants afin de veiller à protéger l’environnement, car il envisage une réglementation stricte de toute fuite des bassins de décantation des sables bitumineux. On m’a indiqué que le gouvernement travaillait à élaborer des exigences strictes pour la propreté des eaux traitées, comme il l’a fait dans des secteurs comme l’exploitation minière et les pâtes et papiers. Ces travaux collaboratifs se poursuivront, ou doivent se poursuivre, tout au long du processus de réglementation, qui devrait continuer jusqu’en 2025, et il favorisera une économie saine et un environnement sain pour les années et les générations à venir.
[Français]
ORDRE DU JOUR
Les travaux du Sénat
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’ordre adopté le 7 décembre 2021, je souhaite informer le Sénat que la période des questions avec l’honorable Karina Gould, c.p., députée, ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, aura lieu le mercredi 27 avril 2022, à la fin des affaires courantes ou à 14 h 30, selon la dernière éventualité.
Projet de loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie
Troisième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Marie-Françoise Mégie propose que le projet de loi S-209, Loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je réservais mon discours pour la prochaine séance du Sénat. Je pensais que la sénatrice Duncan pourrait demander l’ajournement.
(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, au nom de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)
Projet de loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement
Troisième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Julie Miville-Dechêne propose que le projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, j’interviens à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-211, qui vise à lutter contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement.
Je suis soulagée que ce projet de loi ait enfin passé une étape importante au Sénat, étant donné que sa progression a été interrompue quatre fois depuis 2018 : d’abord à la Chambre des communes, puis au Sénat à cause d’élections et de prorogations; bref, voilà le cheminement ordinaire et difficile de tout projet de loi d’initiative parlementaire.
N’oublions pas, par ailleurs, que c’est un comité de la Chambre des communes qui a été à l’origine de cette profonde réflexion et que ce comité réclamait déjà, il y a quatre ans, l’élimination du travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnements des entreprises basées au Canada.
[Traduction]
Je veux premièrement remercier la sénatrice Salma Ataullahjan, qui, en plus d’être porte-parole pour le projet de loi, préside le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, qui a dédié cinq réunions à l’étude diligente de ce projet de loi.
(1520)
J’ai été impressionnée par la diversité des opinions exprimées et des témoins convoqués. Le comité a entendu le témoignage de partisans du projet de loi, mais aussi de dissidents éloquents qui souhaitaient que le Canada en fasse davantage pour défendre les êtres humains soumis au travail forcé, notamment pour l’exploitation des enfants.
Voici quelques-uns des intervenants dont nous avons entendu le témoignage au comité dans le cadre de l’étude du projet de loi S-211.
La Chambre de commerce du Canada soutient les objectifs de ce projet de loi, mais elle le considère comme étant trop sévère à certains égards et elle souhaiterait qu’il s’applique à un moins grand nombre d’entreprises.
D’un point de vue opposé, le comité a aussi entendu le témoignage de Surya Deva, une experte des Nations unies qui croit que le projet de loi devrait aller encore plus loin, notamment pour englober tous les droits de la personne, pour imposer une obligation de diligence raisonnable aux entreprises et pour accorder aux victimes un accès direct aux tribunaux canadiens, afin d’obtenir une compensation des entreprises visées.
D’un point de vue pragmatique, l’avocat et expert Stephen Pike a soutenu que le projet de loi S-211 :
[...] constitue un premier pas raisonnable, approprié et évolutif. Il a recours à des rapports sur la transparence des chaînes d’approvisionnement pour [...] catalyser l’action pour lutter contre ces violations des droits de la personne.
Je souligne aussi que Vision mondiale Canada, une ONG qui fait la promotion des droits des enfants et qui jouit d’une expertise spéciale dans le domaine du travail des enfants, a également indiqué qu’une loi sur les chaînes d’approvisionnement pourrait servir à paver une voie constructive dans la lutte contre le travail des enfants.
Il y a eu un choc des idées, et le comité a entendu à la fois l’avis des gens d’affaires et celui des militants les plus engagés. Les observations recueillies indiquent que le projet de loi S-211 représente un certain compromis entre les attentes des uns et des autres. Le projet de loi vise à promouvoir la transparence afin d’encourager les entreprises à faire les efforts nécessaires pour prévenir et atténuer les risques que leurs chaînes d’approvisionnement soient alimentées par le travail forcé et le travail des enfants.
Les membres du Comité des droits de la personne sont bien au fait des limites du projet de loi S-211, mais ils ont appuyé ce projet de loi parce qu’il représente un pas dans la bonne direction. C’est véritablement une première étape pour sensibiliser tous ceux qui s’efforcent constamment de faire fabriquer des produits au plus bas prix possible partout dans le monde. Des sanctions sont prévues pour les entreprises qui ne fournissent pas l’information requise ou qui fournissent de l’information erronée ou trompeuse.
[Français]
Je remercie la sénatrice Gerba d’avoir présenté un amendement qui précise et renforce un des enjeux les plus difficiles liés à la mise en œuvre de ce projet de loi de transparence. Que se passe-t-il après, une fois que l’entreprise retire les enfants des chaînes de production?
Plusieurs sénatrices ont répété avec raison qu’un enfant qui travaille peut faire vivre toute une famille. Il y a donc un risque que le projet de loi S-211 appauvrisse indirectement des familles, ou qu’il pousse les enfants vers du travail moins payant, ou plus dangereux, dans l’économie informelle. L’amendement adopté ajoute ainsi une obligation pour une entreprise de faire rapport au sujet de ce qui suit :
d.1) l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour remédier aux pertes de revenus des familles les plus vulnérables engendrées par toute mesure visant à éliminer le recours au travail forcé ou au travail des enfants dans le cadre de ses activités et dans ses chaines d’approvisionnement.
Par exemple, cela pourrait être une compensation à la famille touchée, notamment pour que l’enfant puisse aller à l’école.
Un texte de loi de transparence comme le projet de loi S-211 oblige les entreprises à faire rapport sur ce qu’elles font ou ne font pas pour éliminer le travail forcé et indemniser les victimes. Ces rapports sont rendus publics et deviennent des outils pour les groupes de défense des droits de la personne et les consommateurs, afin de dénoncer des contrevenants ou, tout simplement, de changer de fournisseur.
La bonne nouvelle, c’est que le mouvement a déjà commencé. Le comité a entendu avec bonheur Jennie Coleman, présidente d’Equifruit, qui fait le commerce de bananes équitables. Elle a expliqué que, en payant quelques sous de plus notre livre de bananes, nous avons une incidence directe sur les conditions de travail des enfants et des adultes qui les récoltent. J’espère être en mesure de compter aujourd’hui sur l’appui de mes collègues au Sénat pour que ce projet de loi puisse migrer vers l’autre Chambre, poursuivre sa progression et, qui sait, retenir l’attention du gouvernement.
Le ministre du Travail, Seamus O’Reagan, vient de rappeler qu’une loi contre le travail forcé est une priorité de son gouvernement. Il a promis d’examiner les projets de loi d’initiative parlementaire sur cet enjeu — y compris le mien — avant de décider s’il va adapter l’un d’entre eux ou présenter son propre projet de loi. Quel que soit le moyen choisi, ce qui compte avant tout pour moi, c’est qu’il y ait une loi, et ce, au plus vite. Les projets de loi d’initiative parlementaire sont utiles non seulement s’ils sont adoptés tels quels, mais aussi à cause de la pression qu’ils exercent sur le gouvernement pour qu’il légifère sans délai.
Dans mon cas, c’était la première fois que je portais un projet de loi d’initiative sénatoriale. J’ai beaucoup appris grâce au projet de loi S-211. Au cours des deux ans que j’ai investis dans cette aventure, j’ai obtenu l’appui précieux de citoyens engagés, de groupes de défense des droits, de sénateurs indépendants et conservateurs, de députés de toutes les allégeances et du Groupe parlementaire multipartite de lutte contre l’esclavage moderne et la traite des personnes, ce qui montre bien qu’il existe un consensus non partisan pour combattre ces violations révoltantes des droits de la personne. Merci à toutes et à tous.
L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, la troisième lecture du projet de loi S-211 marque à la fois une étape nouvelle en vue de son adoption et une occasion pour certains d’entre nous de clarifier leur position vis-à-vis de ce projet de loi. La mienne est sans ambiguïté. J’apporte mon appui enthousiaste à ce projet de loi.
Une fois adopté, ce projet de loi obligera les entreprises canadiennes dont le chiffre d’affaires est supérieur à 40 millions de dollars à une reddition de comptes annuelle, qui prendra la forme d’un rapport public concernant leurs activités et les actions qu’elles ont prises pour lutter contre le travail forcé et le travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Chers collègues, cette loi comble un vide juridique dans notre législation. En effet, nombre de pays occidentaux ont adopté des lois pour faire face à l’esclavage moderne, ce qui n’a pas été fait au Canada jusqu’à maintenant.
Aujourd’hui, ce sont 160 millions d’enfants — oui, 160 millions d’enfants —, soit près de cinq fois la population du Canada, qui, selon les données de l’UNICEF, sont astreints au travail. Selon ces données, la majorité des enfants vivent dans des pays du Sud, dans ces régions du monde où la pauvreté impose des impératifs désastreux, comme le travail des enfants.
Honorables sénateurs, j’ai moi-même travaillé durant mon enfance. Je viens d’une famille nombreuse, comme on en voit dans la majorité des pays du Sud. Je suis née dans un petit village du Cameroun appelé Bafia, situé à environ 200 kilomètres de Yaoundé, la capitale du pays. Je suis la 18e d’une fratrie de 19 enfants. Durant mon enfance, il fallait se battre pour avoir le minimum. La situation était tellement difficile qu’à l’âge de 8 ans, je devais déjà apporter une contribution continue aux besoins de la maison, des travaux ménagers à l’alimentation en eau puisée à la source, de la cueillette du bois dans des forêts parfois assez lointaines pour la cuisson à la vente de produits agricoles ou autres dans de petits commerces improvisés.
Chers collègues, la majorité des enfants de mon âge était astreinte à ce genre de travail. Les filles, de surcroît, devaient être très méticuleuses afin d’être prêtes pour le mariage dès qu’elles avaient atteint l’âge de la puberté, soit à 13 ou 14 ans.
Je fais ce récit narratif pour signifier qu’en Afrique, les enfants étaient et sont encore souvent considérés comme une main-d’œuvre et une source de revenus pour la famille. C’est l’une des raisons qui explique, en partie du moins, la lourde démographie qui pèse sur le développement du continent et le besoin de mesures complémentaires pour rendre les lois contre le travail des enfants efficaces.
Chers collègues, selon la Banque mondiale, près de la moitié de la population mondiale vit avec moins de 5,50 $ par jour. Dans les pays à faible revenu, le seuil de l’extrême pauvreté est fixé à 1,90 $ par jour.
Vous aurez compris qu’un grand nombre de familles dans les pays du Sud n’ont pas d’autre choix que de mettre leurs enfants à contribution, quels que soient les risques pour ces enfants. Le projet de loi S-211 doit tenir compte de ces réalités pour être efficace.
(1530)
Durant les discussions avec les experts au Comité permanent des droits de la personne, deux interventions m’ont particulièrement marquée.
Mme Jennie Coleman, que la sénatrice Miville-Dechêne vient de mentionner, la présidente d’Equifruit, a mentionné la nécessité d’une certification équitable dans les activités des entreprises. Cette certification permettrait une traçabilité de l’origine des produits, de leur cueillette à leur fabrication.
Cette certification permettrait aussi de déterminer et de vérifier les conditions de travail du personnel employé dans les activités et les chaînes d’approvisionnement des entreprises. Si elle était mise en œuvre de manière sérieuse, cette mesure permettrait de détecter et de sanctionner les entreprises qui emploient toujours des enfants et, d’autre part, de valoriser celles qui paient un prix équitable aux producteurs, de même que celles qui prennent des mesures pour remédier aux pertes de revenu des familles. Une telle obligation de certification ne pourrait, malheureusement, pas faire partie du projet de loi S-211, mais il serait nécessaire, à mon avis, que les entreprises s’y soumettent volontairement et que le gouvernement réfléchisse à une façon de créer une obligation en ce sens.
En tant qu’entrepreneure et cheffe d’entreprise, j’ai moi-même souvent procédé à la certification de mes activités et je peux vous confirmer que ça fonctionne.
Durant son témoignage, le professeur Surya Deva, membre du Groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, nous a dit que le fait que le projet de loi S-211 se concentre sur la finalité — c’est-à-dire la transparence au moyen de la rédaction de rapports —, limite sa capacité d’empêcher le travail des enfants. Selon lui, ce projet devrait aussi comporter des mesures préventives permettant de lutter efficacement contre le travail forcé et le travail des enfants.
Ma proposition d’amendement va dans ce sens. En effet, comme je l’ai mentionné précédemment, la majorité des enfants dans les pays visés travaillent pour aider leur famille et pour leur survie. Cet amendement répond à l’objectif numéro 1 des 17 objectifs de développement durable des Nations unies qui appellent à mettre fin à la pauvreté.
Cet amendement fait aussi appel à la responsabilité sociale des entreprises, pas seulement dans des documents normatifs, mais dans des politiques vérifiables, notamment dans la détermination de l’ensemble des mesures qu’elles ont prises pour remédier aux pertes de revenu des familles les plus vulnérables, engendrées par l’élimination du travail forcé ou du travail des enfants dans le cadre de leurs activités et dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Lutter efficacement contre le travail des enfants nécessite que l’on dégage les moyens pour soutenir les victimes et leur famille. Un revenu équivalant au minimum du revenu généré par le travail des enfants doit être accessible. Autrement, le phénomène continuera sous d’autres formes ou par le biais d’autres entreprises qui ne sont pas assujetties à la loi sur le travail forcé et le travail des enfants.
J’ai décidé d’apporter mon appui à ce projet de loi pour deux principales raisons : renforcer l’indispensable transparence des entreprises dans leurs activités et les amener à déterminer précisément les dispositifs engagés pour, concrètement et publiquement, prévenir le travail des enfants.
J’ai choisi aussi d’apporter mon soutien à ce projet pour renforcer les dispositifs qui contribuent au respect concret et effectif de la dignité humaine partout et pour tous. En 2022, la vue d’une fillette de 8 ans qui se tue à la tâche dans une usine de textile ou celle d’un garçon de 10 ans descendant dans une mine est insoutenable. Elle contredit absolument notre conception de la dignité humaine.
Honorables sénateurs, nous sommes un pays des droits de la personne, un pays d’équité et de justice sociale. Nous sommes un pays soucieux du bien-être des enfants. Plusieurs pays occidentaux, à l’instar de l’Australie, la France, l’Allemagne et bien d’autres, ont adopté des lois semblables. Il nous faut de façon urgente combler notre retard. Je vous invite donc à apporter votre appui à ce projet de loi pour combler le vide juridique en la matière dans notre pays.
Je remercie la sénatrice Miville-Dechêne pour son initiative et son leadership dans le cadre de ce projet de loi.
Je vous remercie.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
[Traduction]
Projet de loi sur la réaffectation des biens bloqués
Troisième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Ratna Omidvar propose que le projet de loi S-217, Loi sur la réaffectation de certains biens saisis, bloqués ou mis sous séquestre, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.
— Je crois comprendre que d’autres sénateurs souhaitent intervenir avant moi. J’aimerais parler en dernier et clore le débat, si vous le permettez.
L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour dire que j’appuie sans réserve le projet de loi S-217 de la sénatrice Omidvar, Loi sur la réaffectation de certains biens saisis, bloqués ou mis sous séquestre, dont le titre abrégé est Loi sur la réaffectation des biens bloqués. Je voterai en faveur de cette mesure, et j’espère que vous le ferez aussi.
Je félicite la sénatrice Omidvar pour la persévérance qu’elle a démontrée en présentant pour la troisième fois cette importante mesure législative, et pour avoir piloté cette dernière avec doigté au Sénat afin qu’elle soit présentée à l’autre endroit le plus rapidement possible. Ce projet de loi pourrait apporter une aide précieuse aux personnes déplacées et lésées dans le monde. Il aiderait également les pays qui sont la cible d’agresseurs étatiques et non étatiques.
Avant de devenir sénateur, j’ai travaillé à des endroits où j’ai été forcé de voir les impacts horribles de la guerre et ses effets immédiats et durables sur la santé physique et mentale des personnes touchées. Ces expériences m’ont changé et m’ont fait prendre conscience que nous avons une obligation morale collective de faire tout ce que nous pouvons pour soutenir concrètement les personnes qui souffrent pendant et après les combats.
Aujourd’hui, je prends également la parole en tant que fils de réfugiés ukrainiens qui ont fui après la Deuxième Guerre mondiale pour s’installer au Canada, où ils se sont rencontrés et ont fondé une famille. Ils ont chacun de leur côté quitté leur terre natale bien-aimée, affronté des situations horribles et frôlé la mort à quelques reprises. Ils ont tous les deux perdu de nombreux membres de leur famille, tout ce qu’ils possédaient et la plupart de leurs amis et voisins. Ils font toutefois partie de ceux qui ont eu de la chance : ils ont réussi à s’échapper et à rebâtir leur vie.
Nous sommes aujourd’hui témoins d’un autre exode d’Ukrainiens à cause de la guerre d’agression génocidaire que la Russie mène contre l’Ukraine, contre des gens qui vivaient en paix, qui allaient au travail, qui avaient des enfants, qui cultivaient les champs et qui tombaient amoureux. En somme, ils vivaient les hauts et les bas du quotidien, une vie très semblable à celle que menaient les sénateurs pendant la même période.
Beaucoup de gens sont morts, ont été témoins d’actes de violence et d’exécutions visant des proches et des amis, ont vu leur maison être réduite à un tas de décombres et ont été emmenés contre leur gré en terre étrangère pour y être emprisonnés.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, plus de 12 millions d’Ukrainiens ont fui leur demeure. C’est plus du quart de la population du pays. Plus de 7 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays, et 5 millions sont parties à l’étranger. Certains membres de ma famille sont partis. Les femmes et les enfants ont quitté le pays alors que les maris restent derrière pour se battre.
L’Ukraine subit d’énormes pertes économiques et humaines à cause de l’invasion brutale, barbare et non provoquée de la Russie. Beaucoup de pays se sont unis pour condamner cet acte terroriste. Nous avons vu de nombreux pays offrir une aide militaire et humanitaire grandement nécessaire. Le Canada est l’un de ces pays, j’en suis très reconnaissant et je l’exhorte sans cesse à en faire davantage.
(1540)
Quand cette guerre aura pris fin, et qu’on aura repoussé l’invasion russe, l’Ukraine devra se rebâtir. Comme nous le savons, combattre le terrorisme ainsi que reconstruire les maisons, les infrastructures et les vies détruites coûte extrêmement cher. Si elle est adoptée rapidement par les deux Chambres pour permettre sa mise en œuvre rapide et efficace, la Loi sur la réaffectation des biens bloqués peut être un outil important que le Canada peut utiliser pour obtenir les fonds nécessaires afin d’aider l’Ukraine à se défendre maintenant et à se remettre sur pied à l’avenir.
Actuellement, des millions de personne se trouvant en Ukraine ou ayant trouvé refuge dans des pays voisins ont un besoin urgent d’aide humanitaire. Nous savons tous que les tactiques militaires de la Russie incluent des actes terroristes, des actes de torture et des meurtres perpétrés à l’endroit de femmes, d’enfants et de gens ayant la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Il faudra prévoir des mesures de soutien supplémentaires pour guérir les séquelles immédiates et à long terme de ces actes horribles.
Selon l’ambassade de l’Ukraine au Canada, les pertes économiques subies par l’Ukraine depuis l’attaque russe s’élèvent à environ 600 milliards de dollars américains. On n’a pas encore calculé le coût de la reconstruction des villes comme Marioupol, qui a été presque totalement réduite en ruines.
Pour l’aider à faire face à ces réalités, l’Ukraine a besoin d’un afflux massif de capitaux. Ce pays a besoin de fonds maintenant et il en aura besoin après le conflit. Lorsque la guerre sera finie, la Russie devra réparer les torts causés, mais il est probable qu’elle ne le fera pas de son plein gré. L’OTAN et d’autres pays occidentaux devront prendre des mesures pour s’assurer que les torts sont réparés. Le Canada pourra apporter son aide grâce à la Loi sur la réaffectation des biens bloqués.
De nombreux sénateurs et moi-même avons entendu l’appel à l’aide lancé par de courageux députés ukrainiens qui nous ont parlé de vive voix ou par courriel, et aussi par l’ambassadrice désignée de l’Ukraine au Canada, Yulia Kovaliv. Ils estiment tous que la Loi sur la réaffectation des biens bloqués est intéressante.
Honorables sénateurs, partout au pays, des Canadiens ont ouvert leur cœur, leur maison et leur portefeuille pour apporter leur aide. Nombre d’entre nous avons fait de même. Récemment, alors qu’elle avait la parole dans cette enceinte, la sénatrice Batters a évoqué un besoin particulier et nous a tous encouragés à faire un don.
Dans la même optique, si nous adoptons la Loi sur la réaffectation des biens bloqués, nous pourrons répondre à ces besoins et donner au gouvernement du Canada les moyens d’offrir de l’aide.
Partout dans le monde il y a des actifs gelés russes qui pourraient contribuer à répondre aux besoins de l’Ukraine et à ceux de bien des personnes lésées dans le monde.
Les gouvernements ont besoin de se doter d’outils pour accéder à ces fonds. C’est à cela que cette loi nous servira. La Banque mondiale a signalé que des actifs gelés d’une valeur de plus de 20 milliards de dollars restent intouchés chaque année. Imaginez à quoi pourrait servir cet argent si on pouvait le donner à ceux qui en ont le plus besoin.
Le Canada et ses partenaires internationaux ont pris des mesures pour geler les avoirs du régime et des oligarques russes. Cela a permis d’exercer des pressions pour que cesse l’agression russe. Nous devons maintenant réfléchir à la façon dont ces fonds peuvent être utilisés légalement, dans le cadre d’un mécanisme de surveillance judiciaire, pour payer pour les dommages causés.
Je pense que le processus de gel, de saisie et de distribution de ces avoirs sera bien encadré par les mesures prévues par la Loi sur la réaffectation des biens bloqués. Sénateurs, je suis conscient qu’il ne s’agit là que d’un seul des nombreux conflits qui sévissent actuellement dans le monde et que des millions de personnes ont été déplacées. Notre collègue la sénatrice Omidvar a bien expliqué la situation critique des personnes déplacées dans le monde dans son discours en deuxième lecture. Elle nous a également sensibilisés aux sommes d’argent que s’approprient divers acteurs mondiaux malveillants par le biais de détournements de fonds, de l’évasion fiscale, de pots-de-vin et de paiements illicites. Le Canada ne doit plus rester les bras croisés lorsque certains de ces capitaux parviennent jusque chez nous. Nous devons aller de l’avant et trouver des moyens justes, légaux et transparents pour saisir et réaffecter ces fonds afin d’améliorer le sort des personnes les plus touchées.
L’Ukraine et le peuple ukrainien ne sont qu’un pays et un peuple parmi d’autres qui bénéficieraient du leadership exercé par le Canada dans l’adoption du projet de loi S-217. Une fois promulgué, ce projet de loi permettra de venir en aide à ceux qui en ont le plus rapidement besoin et signalera que le Canada est prêt à défendre ceux qui font les frais de situations injustes et de personnes malveillantes, et qu’il ne constitue plus un refuge pour les biens mal acquis.
Je nous encourage à appuyer le projet de loi S-217 à l’unanimité.
D'akuju, merci.
L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, notre étude du projet de loi S-217 coïncide avec une période de fortes pressions pour le système international et, surtout, de grandes souffrances humaines en Ukraine en raison de l’invasion de ce pays par la Russie. Il n’est pas étonnant que de nombreuses interventions au sujet de ce projet de loi commencent par une mention de la guerre déplorable qui se déroule en Ukraine et se servent de l’agression russe pour justifier l’adoption de ce projet de loi, comme s’il s’agissait en fait d’un panier assuré, comme si c’était déjà dans la poche.
Il existe effectivement de bonnes raisons d’adopter ce projet de loi. Vous avez entendu différents intervenants le décrivant comme un panier assuré, notamment, il y a quelques minutes, notre honorable collègue, mon ami le sénateur Kutcher. Toutefois, nous ne jouons pas au basketball, et j’ai des réserves à l’idée de nous précipiter vers le panier. J’estime que ce projet de loi est pour nous une occasion de réfléchir de manière plus générale au rôle des sanctions et à l’importance de créer des lois qui résistent à l’épreuve du temps.
Commençons par un point de vue hétérodoxe, c’est-à-dire l’idée que la guerre en Ukraine ne devrait pas être la raison pour laquelle nous adoptons ce projet de loi. En effet, on pourrait faire valoir que, étant donné que la Russie continue de faire la guerre à l’Ukraine, ce n’est peut-être pas le moment de songer à réaffecter les actifs russes saisis.
Laissez-moi vous expliquer. Le projet de loi permet la saisie et la réaffectation de biens bloqués en application du régime canadien de sanctions, qui comprend la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LSMES, la loi de Magnitski et la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, ou LBBDEC, qui ne fait pas partie du régime de sanctions à strictement parler, mais qui y est étroitement liée.
Il n’y a rien dans le projet de loi S-217 qui augmente notre capacité à imposer des sanctions à la Russie. Toutes les sanctions que nous avons imposées à la Russie depuis le début de la guerre l’ont été dans le cadre des pouvoirs existants, y compris le train de sanctions supplémentaires imposées pendant la relâche des deux dernières semaines. C’est pour cette raison que des centaines de Russes et d’entités du pays sont touchés par la LSMES. Tous les actifs en sol canadien des personnes et entités frappées de sanctions ont été bloqués. Ils ne peuvent plus être dépensés, vendus, échangés, donnés en garantie ou transférés. Les propriétaires russes de ces actifs ne peuvent tout simplement plus les utiliser. S’il reste des actifs au Canada que nous voulons rendre inutilisables par leurs propriétaires russes, nous pouvons le faire sans le projet de loi à l’étude.
Le projet de loi S-217 confère au gouverneur en conseil le pouvoir d’aller plus loin en saisissant et en réaffectant les biens comme il le jugerait opportun moyennant l’approbation du tribunal. Autrement dit, le projet de loi S-217 ne vise pas à alourdir les sanctions en tant que telles; il vise plutôt à assurer la justice, la réparation et des représailles appropriées. Certains soutiendront que la réaffectation des biens renforcerait l’effet dissuasif des sanctions, mais ce n’est pas le cas. La principale mesure prise, soit le gel des biens, a déjà eu un effet dissuasif sur les individus ayant fait l’objet de sanctions ou sur les oligarques corrompus.
Chers collègues, la justice et la réparation sont d’importants objectifs, mais il est également important de provoquer un changement de comportement. Il s’agit en fait de la motivation classique qui sous-tend l’imposition de sanctions. Un bien gelé dans le cadre d’une sanction peut être rendu à son propriétaire si celui-ci modifie son comportement, ce qui est l’objectif recherché. Par ailleurs, la réaffectation d’un bien saisi enlève à son propriétaire toute raison de modifier son comportement.
Cela m’amène à parler de la Russie et à préciser pourquoi nous ne devrions pas envisager d’appliquer immédiatement le projet de loi S-217 au gouvernement russe à cause de l’invasion actuelle.
Si le choix devait se situer entre, d’une part, sanctionner comme nous le faisons actuellement les oligarques russes, ce qui pourrait avoir un effet positif pour changer le cours de la guerre et réduire la souffrance humaine en Ukraine, et, d’autre part, supprimer les mesures incitatives qui encouragent les oligarques russes à faire pression en faveur d’un changement de cap à Moscou, je choisirais en une nanoseconde la première option. Nous sommes peut-être irrités par la pensée que les oligarques récupèrent leurs actifs, qu’ils ont probablement obtenus grâce à la corruption massive et, possiblement, en commettant des violations des droits de la personne, mais il faut comprendre que les sanctions récentes qui leur ont été imposées avaient comme objectif de les inciter à exercer des pressions sur le président Poutine pour qu’il mette fin à la guerre, et non pas pour les punir pour leurs activités antérieures.
Je ne connais pas la façon de penser des oligarques, mais j’imagine que les efforts effrénés de Roman Abramovich pour établir une diplomatie informelle avec des interlocuteurs ukrainiens sont motivés par les sanctions qui touchent ses résidences somptueuses, ses bateaux, ses clubs, ses entreprises et son argent. Cesserait-il ces efforts s’il n’y avait plus aucune chance de récupérer sa fortune gelée?
(1550)
C’est pourquoi je pense que nous devrions considérer le projet de loi S-217 non pas en fonction de son utilité dans la crise ukrainienne, mais en fonction de ce que nous attendons d’un régime de sanctions.
Comme je l’ai laissé entendre plus tôt, des sanctions sont imposées pour diverses raisons, notamment la politique intérieure, pour punir les actes malveillants, pour inciter les gens à changer de comportement et pour dissuader les mauvais acteurs potentiels.
Le projet de loi S-217 est conforme aux deux premiers objectifs, mais il va à l’encontre du troisième et du quatrième.
C’est pourquoi j’ai proposé au comité une série d’amendements qui auraient limité la portée du projet de loi S-217 à une seule des trois lois énoncées dans le projet de loi. L’amendement a été rejeté et je ne le proposerai pas à nouveau à l’étape de la troisième lecture. Cependant, je tiens à préciser que, dans notre empressement à lier le projet de loi S-217 à la guerre en Ukraine, nous risquons d’embrouiller certains principes importants qui touchent à l’utilisation des sanctions et à la diplomatie en général.
Par exemple, le projet de loi S-217 ira de pair avec la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, même si cette loi ne fait pas réellement partie du régime de sanctions. Elle se veut plutôt d’un outil d’entraide juridique et de coopération entre le Canada et un pays demandeur pour rapatrier, par voie de négociation, des biens obtenus de façon irrégulière de ce pays. Imposer une fonction unilatérale de réaffectation de biens dans la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus est inapproprié, car cette loi devrait plutôt favoriser la coopération entre le Canada et le pays demandeur.
Dans les situations où le pays touché est dirigé par un régime avec lequel le Canada ne peut tout simplement pas travailler, il est préférable, à mon avis, de mettre sous séquestre les biens jusqu’à ce qu’un régime acceptable revienne au pouvoir plutôt que de les réaffecter de façon unilatérale.
Le projet de loi S-217 ira également de pair avec la Loi sur les mesures économiques spéciales, qui couvre les sanctions que le Canada a choisi d’imposer à des personnes, des entités ou des États étrangers en dehors du cadre d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. La Loi sur les mesures économiques spéciales est un outil important de la politique étrangère canadienne qui s’ajoute à d’autres outils politiques utiles en diplomatie. En ce sens, essayer d’induire un changement de comportement constitue un objectif majeur, mais non exclusif, des sanctions prévues dans cette loi. Voilà pourquoi cette loi permet explicitement d’annuler la sanction.
Saviez-vous qu’une sanction imposée en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales peut être modifiée ou révoquée au moyen d’une motion signée par au moins 50 députés de la Chambre des communes et au moins 20 sénateurs? Un actif visé par une sanction en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales qui serait réaffecté en vertu du projet de loi S-217 ne contribuerait pas à atteindre l’objectif qui consiste à changer les comportements. De plus, je pense que cela réduirait le nombre d’outils diplomatiques dont nous disposons.
Par ailleurs, le projet de loi S-217 est bien adapté à l’application de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, aussi appelée loi de Sergueï Magnitski, puisque celle-ci porte essentiellement sur les moyens de punir les individus malveillants. Comme son titre officiel l’indique, cette loi vise à rétablir la justice pour les victimes de dirigeants corrompus. Les changements de comportement ne font pas partie des objectifs de la loi de Magnitski. C’est pourquoi le projet de loi S-217 est non seulement approprié pour les actifs gelés en vertu de cette loi, mais il en est en fait le prolongement logique.
Dans la mesure où vous êtes d’accord avec mon raisonnement, vous pouvez être rassurés sur le fait qu’inclure la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus et la Loi sur les mesures économiques spéciales dans le projet de loi S-217 — sous réserve qu’il soit adopté — n’obligera pas le gouverneur en conseil à réaffecter les actifs gelés. Cela lui conférerait seulement le pouvoir de le faire. Autrement dit, le projet de loi S-217 a un caractère facultatif et non obligatoire.
Les partisans de cette approche diraient que nous devons faire confiance au gouvernement du moment pour qu’il ne saisisse et ne réaffecte pas imprudemment des biens qu’il serait préférable de laisser gelés dans l’espoir d’encourager des changements de comportement. Peut-être. Toutefois, on constate déjà un sentiment quasi unanime parmi les politiciens, les leaders d’opinion et les intellectuels de gauche concernant le fait que le projet de loi S-217 est nécessaire maintenant à cause de l’agression russe. Cela me porte à croire qu’à tout le moins, le public fera pression pour qu’on vende rapidement les biens des oligarques russes qui sont actuellement gelés en vertu de nos sanctions. Peu importe que les propriétaires de ces biens ne puissent déjà plus y avoir accès et que l’objectif avoué de ces sanctions était à l’origine d’inciter les oligarques à persuader Poutine de mettre fin à la guerre.
Un autre problème, plus fondamental, concerne notre façon d’aborder les mesures législatives en tant que sénateurs et notre façon d’élaborer des projets de loi qui sauront résister à l’épreuve du temps au lieu de réagir aux émotions du moment. Nous ne devrions pas donner au gouvernement des pouvoirs qui n’ont pas leur place dans une mesure législative, même si ceux-ci prennent la forme d’une permission et non d’une obligation. Il se peut que le gouverneur en conseil utilise de manière judicieuse et positive les pouvoirs que nous lui accordons avec le projet de loi S-217, mais il est aussi possible qu’il les utilise de manière inappropriée, influencé par le climat émotif du moment plutôt que par des objectifs plus vastes et plus durables. Il faut donc se demander si une mesure comme le pouvoir de réaffecter certains biens concorde avec les objectifs des projets de loi auxquels ce pouvoir s’applique. Une approche facultative peut avoir des effets positifs ou très négatifs. C’est pourquoi je considère que, bien que le projet de loi S-217 concorde avec la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, il cadre trop maladroitement avec la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus pour qu’une approche facultative soit envisageable.
Certains d’entre vous réfléchiront à la réaffectation des avoirs visés par les sanctions sous un autre angle, c’est-à-dire la manière de payer les coûts imposés aux victimes de la corruption et des atteintes aux droits de la personne ainsi qu’aux personnes déplacées de force, auxquels on porte une attention particulière dans le projet de loi S-217. Indépendamment des objectifs de dissuasion ou de contrainte d’un régime de sanctions, quelqu’un doit assumer les coûts de la reconstruction des villes qui ont été rasées, de la nourriture, des vêtements et des fournitures médicales pour une population ravagée par la guerre, de la réinstallation des personnes déplacées dans de nouvelles collectivités et de l’indemnisation des survivants de la guerre. Pourquoi ne pas saisir les biens des auteurs de ces crimes pour payer ces coûts très réels et très importants?
Récemment, aux États-Unis, le président Biden a pris un décret visant à saisir les réserves de devises de l’Afghanistan, d’une valeur de plus de 7 milliards de dollars, qui sont détenues en Amérique. La moitié de cette somme sera distribuée à titre d’indemnisation aux victimes américaines des événements du 11 septembre 2001 et l’autre moitié sera consacrée aux efforts humanitaires que dirigent les États-Unis en Afghanistan. Aucune somme ne sera restituée au gouvernement taliban avec lequel les États-Unis ont négocié le retrait de l’Afghanistan.
Cette mesure offre une forme de justice, de dédommagement et de représailles, et elle correspond à la volonté populaire aux États-Unis après 20 années de guerre inefficace en Afghanistan et vu les effets persistants des attentats terroristes du 11 septembre. Il s’agit cependant au mieux d’une justice sévère qui aggravera sûrement la misère du peuple de l’Afghanistan, dont l’économie s’est pratiquement effondrée en raison des sanctions actuelles.
Il est important de dire que le projet de loi S-217 ne permettrait pas au Canada de faire la même chose avec les biens de la banque centrale russe qui sont dans notre pays. Ce n’est pas parce que la banque centrale russe n’est pas sanctionnée par la Loi sur les mesures économiques spéciales — elle l’est —, mais plutôt parce que le projet de loi à l’étude permet seulement la réaffectation des biens appartenant à des personnes et non à des entités. Cette exclusion des entités est étrange, car elle signifie que le projet de loi dont nous sommes saisis ne s’appliquera pas à la vaste majorité des biens sanctionnés par la Loi sur les mesures économiques spéciales. En fait, je suis heureux que ce soit le cas, mais je suis aussi persuadé que, dans peu de temps, on ressentira la pression d’inclure les entités dans le projet de loi S-217 en raison de l’immense désir de punir toute la Russie, et non seulement ses dirigeants et ses oligarques. Croyez-moi.
Les personnes qui appuient le projet de loi rétorqueront que le processus fondé sur la primauté du droit qui est prévu dans le projet de loi S-217 empêche de réaffecter des biens de manière irréfléchie, car la cour a un rôle à jouer dans l’approbation de toutes les mesures prises par décret. Je pense cependant qu’un tribunal aurait beaucoup de difficulté à rejeter un décret gouvernemental visant à saisir des biens pour des raisons ayant trait à la paix et à la sécurité internationales, d’autant plus que ce genre de dossier impliquerait certainement une foule de renseignements confidentiels et classifiés. Dans de telles circonstances, je crains que l’approbation par la cour soit davantage une simple formalité qu’une question de respect de la primauté du droit, malgré ce qu’on laissera entendre.
Si nous croyons vraiment à l’importance du droit international, le moyen le plus approprié d’exiger une indemnisation pour l’invasion de l’Ukraine par la Russie serait de faire appel à une commission chargée de se pencher sur les crimes de guerre et les réparations, comme à la suite des deux guerres mondiales, en nous fondant évidemment sur les leçons que nous avons tirées de ces situations. La Russie doit payer pour le carnage infligé à l’Ukraine, mais on devrait procéder de manière à contribuer efficacement à la reconstruction, à la réinstallation et au maintien d’une paix durable.
Est-ce à dire qu’on ne devrait rien faire? Non. Si on convient qu’un bien saisi n’est plus utile à son propriétaire même sans une réaffectation, alors on devrait se concentrer sur la façon de saisir plus de biens au lieu de se pencher seulement sur la façon de réaffecter les biens. De cette façon, nous intensifions la pression sur le belligérant sans édulcorer la contrainte inhérente à la sanction et son effet dissuasif. C’est en fait ce qui se produit à mesure que la guerre s’éternise, et ce, même sans l’adoption de mesures telles que le projet de loi S-217.
(1600)
La question plus fondamentale est évidemment de savoir si les sanctions fonctionnent vraiment. Les recherches sur cette question font état d’un taux de succès d’environ 20 %, probablement pour les sanctions très ciblées dont la portée est modeste.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorable sénateur Woo, votre temps de parole est écoulé.
Le sénateur Woo : Pourrais-je avoir une minute pour terminer?
Son Honneur la Présidente intérimaire : Le sénateur Woo demande une minute pour terminer son discours.
Des voix : D’accord.
Le sénateur Woo : Les sanctions très ambitieuses qui ratissent large, celles qui visent, par exemple, à modifier considérablement l’orientation stratégique du gouvernement d’un pays ou à provoquer un changement de régime, atteignent rarement leurs objectifs. Ce qui est très clair, toutefois, c’est que les sanctions à grande portée ont des impacts dévastateurs sur les citoyens ordinaires et produisent des effets délétères à long terme sur la population. Elles peuvent également entraîner un effet boomerang lorsque le ressentiment à l’égard des sanctions, combiné à la répression exercée par le gouvernement du pays concerné, fait naître dans la population une animosité à l’endroit des États ayant imposé les sanctions. Si les sanctions ne donnent pas de résultats, devrait-on les utiliser? En vérité, les gouvernements n’ont probablement pas l’intention de renoncer à ce mécanisme, même si ce n’est que pour plaire à leur électorat.
Par contre, si les sanctions ne fonctionnent pas et que nous continuons à les utiliser, ce ne sera plus en tant qu’outils diplomatiques, mais bien en tant qu’armes dans des guerres économiques. Si nous vivons dans un monde où les sanctions sont utilisées sans vergogne pour mener des guerres économiques, ce projet de loi, malgré ses bonnes intentions, deviendra une des armes mortelles de cet arsenal.
La sénatrice Omidvar : Votre Honneur, je sais que le temps de parole du sénateur Woo est écoulé. Cependant, avec le consentement du Sénat, pourrais-je poser une question?
Le sénateur Plett : Non.
(Sur la motion du sénateur MacDonald, le débat est ajourné.)
Projet de loi sur la Journée nationale de la jupe à rubans
Troisième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice Pate, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans.
L’honorable Nancy J. Hartling : Honorables sénateurs, je m’adresse à vous de mon domicile à Riverview, au Nouveau-Brunswick, sur le territoire non cédé des Mi’kmaqs. Je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans.
Je remercie sincèrement la sénatrice Mary Jane McCallum du leadership dont elle a fait preuve pour défendre ce projet de loi et de ses efforts continus pour nous expliquer et nous rappeler les nécessaires gestes de réconciliation.
L’objectif de mon bref discours est d’appuyer cet important projet de loi. J’ai découvert que beaucoup d’entre nous connaissent très mal les événements historiques et la culture des Autochtones, des Métis et des Inuits au Canada. Je suis sincèrement reconnaissante d’être ici et d’avoir continuellement des occasions de parfaire mes connaissances.
En tant que femme, je suis consciente du besoin d’honorer les femmes au moyen de rituels et de célébrations qui résonnent en elles de diverses façons. Je crois que le projet de loi S-219 encourage les femmes et les filles à porter leur jupe à rubans pour célébrer leur culture et qu’il leur fournit des occasions claires de le faire. Il crée aussi un cadre favorisant l’éducation, la décolonisation et la réconciliation. On peut lire ce qui suit dans le préambule du projet de loi :
Attendu : que les femmes autochtones sont des donneuses de vie et qu’elles usent du savoir traditionnel hérité pour prendre soin de leur famille, de leur communauté et de l’environnement;
que, depuis des siècles, la jupe à rubans est un symbole spirituel de féminité, d’identité, d’adaptation et de survie et qu’elle constitue pour les femmes un moyen de s’honorer elles-mêmes et d’honorer leur culture [...]
Pour commencer, je veux vous dire que j’ai été particulièrement touchée par l’histoire d’un des témoins du comité, c’est-à-dire Isabella Kulak, une fille de 11 ans de la Première Nation Cote en Saskatchewan, qui a raconté l’expérience qu’elle avait vécue en portant sa jupe à rubans à l’occasion de la journée de tenues habillées à son école.
Elle nous a dit qu’à son réveil ce jour-là, elle se sentait très fière et excitée à l’idée de porter sa jupe et qu’elle avait hâte d’arriver à l’école. Cependant, une fois à l’école, un auxiliaire d’enseignement l’a ridiculisée en affirmant que sa tenue n’était pas assez habillée.
Bien entendu, cette remarque a profondément blessé Isabella. Cependant, avec les encouragements de ses parents, Isabella a donné à cette mauvaise expérience un dénouement positif. Elle a commencé à parler publiquement et à obtenir beaucoup de soutien et de reconnaissance à propos de l’importance d’honorer et de porter une jupe à rubans.
Son récit captivant était déchirant. Il m’a fait penser à toutes ces jeunes filles comme Isabella dont l’estime d’elles-mêmes a été anéantie par une simple remarque. Anouk Bella, ma petite-fille de 11 ans, me fait penser à Isabella. Ce sont tant de jeunes filles si précieuses au grand cœur et aux idées passionnées. Isabella a fait entendre sa voix et elle est devenue une leader. Elle a parlé de son expérience et elle a aidé beaucoup de gens à comprendre la valeur du port de la jupe à rubans.
Isabella a transformé un événement qui aurait pu être tragique en un résultat positif. Je crois effectivement que le projet de loi S-219 créera des occasions d’honorer ces femmes et ces filles que l’on a si souvent muselées. Les difficultés sont même peut-être pires pour les femmes et les filles des Premières Nations marginalisées qui ont été touchées par des traumatismes intergénérationnels et dont la voix n’a pas été entendue.
En me renseignant au sujet de la jupe à rubans, j’ai trouvé des articles intéressants de partout au Canada et j’aimerais vous en transmettre les grandes lignes.
La jupe à rubans autochtone fait partie intégrante de nombreuses tranches de la société canadienne. Le regain d’intérêt pour la jupe à rubans autochtone revêt différentes significations pour les femmes qui la portent. Par exemple, dans l’Ouest canadien, Suzanne Life-Yeomans, présidente du First Nations Women’s Council on Economic Security et membre de l’Alberta Joint Working Group on Missing and Murdered Indigenous Women and Girls, a déclaré que sa mère a perdu sa culture autochtone en raison des pensionnats autochtones et de la rafle des années 1960 :
[...] lorsque je porte ma jupe à rubans, cela apaise mon esprit et me rapproche de la Terre mère. J’espère aider d’autres Autochtones à embrasser fièrement leur culture ainsi que les enseignements concernant la confection et le port de la jupe à rubans.
Georgina Lightning, une cinéaste, scénariste et actrice des Premières Nations, a déclaré :
[...] on porte la jupe à rubans en symbole d’une grande force, de fierté et d’espoir pour un avenir meilleur dans notre défense commune de nos enfants, de nos petits-enfants et de toutes les générations à venir.
Puis, j’ai été très heureuse de trouver aussi des exemples dans l’Est du Canada.
Annie Bernard-Daisley, la première cheffe de la Première Nation We’koqma’q, en Nouvelle-Écosse, a expliqué que :
[...] le port de la jupe à rubans vient avec un sentiment d’habilitation, parce que vous portez plus qu’une jupe, vous portez un symbole de votre culture et de vos croyances ancestrales et de l’identité du peuple mi’kmaq. Ce vêtement est l’expression de notre histoire, de notre résilience et surtout [...] des valeurs que nous défendons [...]
Avant de devenir cheffe, Mme Bernard-Daisley a travaillé pour l’association des femmes autochtones de la Nouvelle-Écosse. La jupe à rubans qu’elle porte a été confectionnée par Candia Flynn de l’organisme Healing Stitches de façon à refléter ce qui compte le plus pour la cheffe : son rôle de mère de trois filles, son travail au sujet des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées et ses racines familiales.
Le 6 mars 2022, CBC présentait un reportage sur la Première Nation de Fort Folly, qui se trouve à seulement 30 kilomètres de chez moi, au Nouveau-Brunswick. Il était question d’un nouvel endroit où on peut emprunter des costumes traditionnels dans la Première Nation de Fort Folly, au Nouveau-Brunswick. Tous ceux qui ont besoin d’un costume traditionnel peuvent s’y rendre pour en obtenir un et il est également possible d’y apprendre à confectionner ses propres costumes.
Nicole Porter, qui est coordonnatrice culturelle et responsable du projet, en a expliqué le fonctionnement. L’idée de créer un tel endroit lui a semblé importante, car sa communauté connaissait un regain d’intérêt pour la culture et ressentait le besoin d’avoir accès à des costumes traditionnels pour les cérémonies ancestrales ou les sueries, à l’occasion desquelles les femmes doivent parfois porter des jupes à rubans.
Non seulement Nicole a des jupes à prêter, mais elle enseigne aussi aux femmes comment les fabriquer. Selon elle, réduire, réutiliser et recycler constituent un aspect important du projet.
Laura Lymburner, a qui Nicole a appris à fabriquer sa propre jupe de rubans, a déclaré que cela :
[...] m’a vraiment aidée à prendre conscience de mon rôle en tant que femme dans ma communauté, à comprendre notre caractère sacré et notre pouvoir, et à renouer avec la culture, par le biais de cette jupe.
Pour terminer, je souhaite vous faire part de l’histoire inspirante d’Agnes Woodward, une couturière crie des plaines de la Première Nation de Kawacatoose, en Saskatchewan, qui vit maintenant au Dakota du Nord.
Grâce à son entreprise, ReeCreeations, elle conçoit et vend des jupes à rubans. Woodword a déclaré :
La jupe est avant tout une question de représentation, c’est-à-dire de la façon dont les femmes autochtones choisissent de [se] représenter, et cela est particulièrement important aujourd’hui, car on les a réduites au silence.
Agnès a eu le grand honneur de confectionner une jupe de rubans pour la cérémonie d’assermentation de la première secrétaire de l’Intérieur autochtone des États-Unis, Deb Haaland. Ce moment était historique à bien des égards, car la première vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, faisait assermenter la première Secrétaire à l’Intérieur autochtone, Deb Haaland. La magnifique jupe bleu royal que portait Deb était décorée d’un arc-en-ciel de rubans de satin, superposés d’une tige de maïs artistique, de papillons bleu nuit et d’étoiles, et avait été confectionnée avec soin par Agnes Woodward, une Canadienne.
(1610)
Ici, au Canada, la cérémonie a été très appréciée par de nombreuses personnes, notamment la cheffe Annie Bernard-Daisley, qui a regardé l’assermentation avec un groupe de femmes en Nouvelle-Écosse. Tout le monde avait les larmes aux yeux.
Ces genres d’événements et de liens sont d’une importance cruciale, surtout pour montrer aux jeunes filles des modèles de ce qui est possible. Il y a tellement d’histoires que j’ai trouvées très intéressantes sur ce sujet.
Chers collègues, la jupe à rubans possède un grand pouvoir et représente un moyen de faire avancer la réconciliation et de favoriser l’équité à l’égard des femmes et des filles autochtones. Grâce à elle, faisons un premier pas en ce sens en appuyant cet important projet de loi. Welalioq.
L’honorable Elizabeth Marshall : Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans.
Je vais d’abord décrire les origines de la jupe à rubans, sur laquelle porte le projet de loi. Cette jupe semble dater du XVIIIe siècle, lors de l’élargissement des relations entre les tribus des Grands Lacs et les colons français. La pratique qui consiste à intégrer des rubans dans des vêtements autochtones semble s’être répandue après que la soie est devenue démodée en France, à la suite de la Révolution française. À l’époque, il y avait plus d’échanges de biens, y compris de rubans. Les fabricants de vêtements autochtones des régions des Prairies et des Grands Lacs ont commencé à intégrer les rubans de soie colorés à leurs œuvres.
Toutefois, il existe des traces de l’utilisation des rubans dans l’art autochtone bien plus anciennes. Dans l’Est, les femmes mi’kmaqs ont commencé au XVIIe siècle à remplacer les peaux et les fourrures des vêtements par des tissus qu’elles décoraient parfois de perles de verre et de rubans de soie.
Selon le Musée public de Milwaukee :
Le premier cas enregistré de vêtement orné de rubans satinés est une robe de mariée menominee fabriquée en 1802. Les ouvrages en rubans ont atteint leur apogée dans le dernier quart du XIXe siècle, quand leur fabrication a arrêté d’être réservée aux tribus des Grands Lacs et qu’elle s’est étendue à plusieurs tribus des Prairies, des plaines et du Nord-Est.
Même si les matériaux utilisés pour produire des jupes à rubans ne sont pas d’origine autochtone, la méthode d’application utilisée pour créer l’aspect plié du ruban est devenue un marqueur visuel d’identité depuis des siècles.
Dans son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, la sénatrice McCallum a évoqué les propos d’une aînée métisse concernant l’importance de la coupe de la jupe :
[Elle dit que c’est comme] un tipi qu’on porte, la pointe entourant la taille. En parcourant la Terre, c’est comme si on la protégeait tout en étant reliée à elle. C’est ce genre d’enseignement qu’on recherchera à l’approche de la discussion sur l’origine de cette jupe.
Il est important de reconnaître que la jupe à rubans revêt une grande importance pour les communautés autochtones et pour les femmes qui la portent. Elle représente la force, la résilience, l’identité culturelle et la féminité. Il est nécessaire de rappeler ce contexte pour comprendre l’importance d’un incident qui a eu lieu en Saskatchewan le 18 décembre 2020. Même si vous avez entendu cette histoire plusieurs fois auparavant — notamment dans l’intervention que la sénatrice Hartling vient de faire — il reste que cette histoire inspirante mérite d’être répétée.
C’est l’histoire d’Isabella Kulak, une jeune fille de 10 ans de la Première Nation Cote, en Saskatchewan. Le 18 décembre 2020, son école avait organisé une journée de tenues habillées. Isabella portait fièrement une jupe à rubans traditionnelle. Malheureusement, elle a été humiliée par une éducatrice qui ne comprenait pas la signification de cette jupe. Avec tristesse, Isabelle a enlevé sa jupe et l’a mise dans son sac à dos. Lorsqu’elle est retournée chez elle, elle a raconté à ses parents ce qui s’était passé.
Lorsque les détails de l’incident ont été connus, Isabella a reçu du soutien de sa communauté et de partout dans le monde. Comme Isabella l’a déclaré au Comité des peuples autochtones : « C’est comme si le monde s’était réveillé. »
Le mois suivant, le 4 janvier 2021, Isabella est retournée à l’école pour la première fois à la suite de l’incident. Elle était accompagnée des dirigeants de sa nation et de nombreuses femmes de sa communauté qui portaient toutes des jupes à rubans. Voilà qui justifie l’importance de désigner le 4 janvier comme Journée nationale de la jupe à rubans.
Le 4 janvier 2022, l’école que fréquente Isabella a célébré pour la première fois la Journée nationale de la jupe à rubans comme symbole de réconciliation et de sensibilisation, et a invité des élèves d’autres nationalités à porter un costume représentatif de leur identité culturelle. Comme Isabella l’a dit : « Ce fut la plus belle journée de ma vie. »
Le mois dernier, plus précisément le 21 mars, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones s’est réuni pour étudier le projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans. Cette mesure législative montre l’importance des jupes à rubans, sensibilise les Canadiens et leur donne l’occasion d’en apprendre davantage sur les cultures et le patrimoine autochtones.
Lisa J. Smith, directrice principale à l’Association des femmes autochtones du Canada, a déclaré lors d’une séance du comité sur l’étude du projet de loi :
La culture autochtone doit être célébrée de la manière dont Isabella l’a démontré [...] il n’y a actuellement aucune journée de célébration de la culture autochtone reconnue par le gouvernement fédéral pendant l’hiver. L’AFAC soutient que la désignation du 4 janvier comme Journée nationale de la jupe à rubans est une mesure qui sera bien accueillie pour faire avancer la réconciliation.
[...] il s’agit de la vérité et de la réconciliation à l’œuvre.
Comme l’a dit la sénatrice McCallum lors de son témoignage à une réunion du comité :
[...] le fait de désigner chaque année le 4 janvier pour reconnaître la jupe à rubans est fondamentalement un geste de réconciliation et de conciliation. Cela sert non seulement à défendre et à honorer un objet culturel de grande importance aux yeux de nombreuses personnes autochtones au Canada, mais également à reconnaître et à valoriser l’autodétermination.
Avant de conclure, j’aimerais parler des excuses historiques présentées par le pape le 1er avril, qui ont été très médiatisées. Il y avait plusieurs vidéos sur des sites médiatiques qui montraient des femmes portant des jupes à rubans, tandis qu’un autre site avait une galerie de photos qui comprenait également des photos de femmes portant des jupes à rubans. Sans ce projet de loi, je n’aurais pas reconnu la jupe.
Le projet de loi S-219 propose de désigner le 4 janvier comme Journée nationale de la jupe à rubans. J’encourage mes collègues à appuyer le projet de loi.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Projet de loi instituant la Journée canadienne de l’alimentation
Troisième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Robert Black propose que le projet de loi S-227, Loi instituant la Journée canadienne de l’alimentation, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-227, qui vise à désigner le samedi de la longue fin de semaine d’août en tant que Journée canadienne de l’alimentation.
D’entrée de jeu, j’aimerais remercier la sénatrice Simons de m’avoir remplacé à la présidence du Comité de l’agriculture et des forêts afin de me permettre d’agir comme témoin au sujet du projet de loi S-227. Je tiens à remercier les sénatrices Poirier et McCallum d’avoir pris la parole au sujet de cet important projet de loi, et j’ai hâte de les entendre dans un avenir rapproché. Enfin, j’aimerais remercier l’industrie agricole pour son appui généralisé à ce projet de loi, ainsi que les témoins qui ont comparu devant le Comité de l’agriculture et des forêts pour partager leurs réflexions sur l’institution d’une journée nationale de l’alimentation au Canada.
Chers collègues, vous m’avez entendu à maintes reprises souligner l’importance de l’industrie agricole et agroalimentaire au Canada. La nourriture est au cœur de nos foyers, de nos collectivités et de notre économie, et l’un des aspects positifs de la pandémie est que de nombreux Canadiens, en particulier ceux qui ne vivent pas dans des collectivités rurales et agricoles, s’intéressent maintenant beaucoup plus à savoir où et comment leurs aliments sont cultivés.
Pour ce qui est de l’accès à la nourriture, nous sommes extrêmement chanceux ici au Canada. En fait, le Canada est l’un des principaux producteurs et exportateurs de produits agricoles et agroalimentaires au monde. De nombreuses personnes, dont moi et les intervenants de l’industrie, estiment qu’il est grand temps de reconnaître l’important rôle que jouent l’agriculture et l’industrie alimentaire locale au Canada, dans le cadre d’un événement national.
La création de la journée canadienne de l’alimentation renforcerait la fierté et la confiance que nombre d’entre nous avons et que davantage de Canadiens doivent avoir dans les aliments produits au Canada, non seulement pour la consommation nationale, mais aussi pour le marché international. Un tel événement favorisera les discussions sur la souveraineté et la sécurité alimentaires.
(1620)
Même si j’ai dit que nous sommes extrêmement chanceux d’avoir un secteur agroalimentaire aussi abondant, il n’en demeure pas moins que des Canadiens continuent d’avoir de la difficulté à se procurer des aliments abordables et nutritifs. Il faut s’attaquer à cette question. Aucun Canadien ne devrait avoir faim.
Pendant la séance du Comité de l’agriculture et des forêts sur ce projet de loi, on nous a dit combien il est important pour les générations à venir de comprendre que les agriculteurs, les producteurs, les transformateurs et les détaillants agroalimentaires travaillent fort pour produire de bons aliments. Les Canadiens, jeunes et vieux, doivent constater eux-mêmes que les collectivités agricoles prennent soin de la terre, des produits qu’elles cultivent et des animaux qu’elles élèvent.
Nos ressources naturelles sont parmi les meilleures; notre industrie compte d’innombrables chefs de file talentueux; et nous possédons une technologie et de l’équipement hautement novateurs pour nourrir notre pays et le monde.
Il est clair que le fait d’instaurer une journée canadienne de l’alimentation peut aider nos amis, nos voisins et les générations futures à comprendre qu’il y a tant à apprendre au sujet de l’agriculture et de la production alimentaire dans notre pays.
Le Comité de l’agriculture et des forêts a aussi entendu des témoins parler de la valeur d’un tel hommage rendu aux aliments canadiens et aux excellentes personnes qui travaillent au sein du système alimentaire, ainsi que de l’incommensurable valeur de cet appui positif et de cette confiance à l’égard des aliments et du secteur agricole canadiens, en particulier à la lumière de tout ce que nous avons appris au sujet de notre système alimentaire national pendant la pandémie.
Si elle était instaurée, cette célébration annuelle contribuerait non seulement à réunir les Canadiens pour célébrer notre industrie alimentaire — y compris les gens qui produisent les aliments, de la ferme à la table —, mais aussi à encourager les Canadiens à mieux connaître notre secteur agroalimentaire. Ce serait une occasion de mettre en évidence les divers produits alimentaires nutritifs auxquels nous avons accès et de souligner leur importance dans notre vie.
Les entreprises du secteur agroalimentaire jouent un rôle essentiel non seulement dans notre pays, mais aussi dans le monde entier. Il ne faut pas oublier qu’il est absolument primordial d’accroître la sensibilisation à l’échelle planétaire à l’égard des produits alimentaires canadiens et des cultures de qualité que nous produisons dans le cadre des efforts que nous déployons pour atteindre les cibles énoncées dans le rapport Barton, qui a été publié il y a quelques années.
Honorables collègues, parler des produits alimentaires locaux, c’est aussi parler des gens qui partagent notre quotidien. Ce sont les agriculteurs qui cultivent les champs le long des autoroutes sur lesquelles nous circulons d’un bout à l’autre du Canada, les entreprises agroalimentaires qui produisent les aliments qui se retrouvent sur les tablettes à l’épicerie, les chefs et les restaurateurs qui nous nourrissent ainsi que les viticulteurs et les brasseurs qui fabriquent le vin, la bière et les spiritueux que nous savourons.
Les produits alimentaires locaux, ce n’est pas seulement ce que nous mangeons; c’est aussi le vie des Canadiens. Si le projet de loi S-227 était adopté, les Canadiens auraient l’occasion de se réunir chaque été pour célébrer à la fois le secteur agroalimentaire et toutes les personnes qui participent à la grande chaîne d’approvisionnement alimentaire d’un océan à l’autre.
Je souligne avec plaisir que ce projet de loi a bénéficié d’un solide appui de tous les partis à l’autre endroit. J’espère que nous l’adopterons rapidement ici, à la Chambre rouge, afin que la Journée canadienne de l’alimentation puisse être célébrée cet été.
Cela dit, peu importe le sort que connaîtra mon projet de loi, je vous remercie tous, à l’avance, de célébrer les aliments canadiens à l’année longue, d’un océan à l’autre.
Merci, meegwetch.
L’honorable Terry M. Mercer : Le sénateur Black accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Black : Bien sûr.
Le sénateur Mercer : Sénateur, je vois dans cette initiative une occasion de continuer à faire participer les Canadiens à la défense du secteur agricole canadien, un secteur d’une grande importance.
Ne pourrions-nous pas en profiter pour inviter les Canadiens à demander à leur épicier pourquoi on trouve sur les tablettes des produits de l’étranger alors que le Canada cultive ces mêmes produits?
C’est moi qui fais l’épicerie dans notre famille. Je vous prie donc de me pardonner si j’entre trop dans les détails. Imaginons que je vais acheter des tomates cerises pour faire l’une de mes recettes. Je lis l’étiquette, comme toujours, et je vois que les tomates viennent du Mexique ou du Sud des États-Unis. Le Canada compte pourtant d’immenses serres. Il y en a une, par exemple, juste au nord de Trois-Rivières, au Québec, dont la superficie correspond à cinq terrains de football canadien. On n’y cultive que des tomates cerises.
Bref, si je vais dans une épicerie Sobeys de la Nouvelle-Écosse pour acheter des tomates cerises, je pourrais demander au gérant des fruits et légumes pourquoi on y vend des tomates cerises du Mexique alors que le Québec et l’Île-du-Prince-Édouard en cultivent en grande quantité.
La création d’une journée canadienne de l’alimentation ne serait-elle pas l’occasion d’inviter nos concitoyens à militer pour que nos épiciers ne choisissent pas, par paresse, d’acheter des aliments d’autres pays quand ces mêmes aliments sont aussi cultivés ici?
Le sénateur Black : Je vous remercie de votre question, sénateur Mercer. Pour répondre brièvement : oui, absolument.
J’ai bon espoir que célébrer une journée canadienne de l’alimentation encouragerait les gens à poser ces questions aux épiciers du pays, ce jour-là et toute l’année. Je sais que, durant les périodes froides de l’année, on n’a pas accès à des fruits et légumes cultivés au Canada.
Nous devons certainement nous poser ces questions plus souvent qu’à notre tour. Je suis ravi que vous le fassiez en tant qu’acheteur de produits alimentaires dans votre famille. Je fais la même chose. Parfois, je les agace beaucoup, mais je pense que c’est très important.
L’honorable Mary Jane McCallum : La réconciliation par l’alimentation.
Pour citer Harry S. Truman : « À long terme, aucune nation n’est en meilleure santé que ses enfants, ou plus prospère que ses agriculteurs [...] »
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-227, qui vise à instituer la Journée canadienne de l’alimentation.
Je tiens à remercier le sénateur Black pour son engagement indéfectible à défendre la terre, la sécurité des sols et la communauté agricole de l’île de la Tortue.
L’agriculture a toujours été et continue d’être un élément clé de la solution visant à produire des aliments nutritifs et élevés en liberté pour les Canadiens. Mon intérêt pour l’agriculture est issu d’une relation personnelle. Mon mentor et père de substitution, le Dr Robert Glenn, avait une ferme aux environs de Russell, dans la région d’Interlake, au Manitoba.
Un jour, alors qu’il avait près de 80 ans, il m’a parlé de sa ferme tandis que nous nous trouvions à la clinique dentaire. Je lui ai demandé :
Dr Glenn, pourquoi continuez-vous à accomplir ce dur labeur qui commence à quatre ou cinq heures du matin et se poursuit jusqu’à tard dans la soirée, sans être certain d’en tirer un revenu à la fin de la saison?
Il a répondu : « C’est dans le sang, ma fille. » C’est à ce moment qu’est né mon profond respect pour les agriculteurs et leur travail difficile et acharné — et souvent peu apprécié et ingrat.
D’après ce que j’en sais maintenant, l’agriculture est une source d’enseignements liée à la terre. Comme le savoir autochtone, cette activité est une source de connaissances et de sagesse qui ne s’acquièrent pas dans les manuels et les classes d’école.
Honorables sénateurs, peu de gens savent que l’une des plus importantes contributions des peuples autochtones d’Amérique a trait à l’agriculture. Nombre d’aliments comme le chocolat, la pomme de terre, le maïs et la tomate sont originaires des Amériques et ont d’abord été cultivés ou sélectionnés par des agriculteurs autochtones.
Les cultures qu’on appelle les trois sœurs, soit le maïs, le haricot et la courge, étaient habituellement produites ensemble par les agriculteurs autochtones. Dès les premiers contacts entre les Autochtones et les Européens, ces derniers se fondaient souvent sur les connaissances des peuples autochtones au sujet des aliments et du territoire pour assurer leur survie dans ces contrées étrangères.
L’article de l’Encyclopédie canadienne sur les Premières Nations dit notamment que, pendant les années 1600, la technologie et le savoir autochtones en ce qui a trait à la chasse, au piégeage, à l’orientation, à l’alimentation et aux maladies se sont avérés essentiels à la survie des Européens et à la prospérité des premières économies et sociétés coloniales.
Sans le partage du savoir et des ressources des Autochtones, ainsi que de leurs connaissances entourant les techniques de préparation des aliments, comme la récolte du riz sauvage à l’automne et la production du sirop d’érable au printemps, les colonies des Européens n’auraient pas survécu et n’auraient certainement pas pu se développer.
Dans son livre intitulé A Brief History of Indigenous Agriculture, Diana Bizecki Robson, du Musée du Manitoba, dit ceci :
Après l’arrivée des Européens dans les Amériques, des cultures de « l’Ancien Monde » (comme le blé, l’orge et l’avoine) ont été apportées sur ce continent, tandis que des cultures des Amériques ont été transportées jusqu’en Afrique, en Asie et en Europe. Ce processus fait partie de ce qu’on appelle l’échange colombien.
Cela dit, honorables collègues, il faut mentionner que, malgré les contributions des peuples autochtones dans le domaine de l’agriculture, les rapports que nous avons entretenus avec ce chapitre méconnu de l’histoire des Autochtones sont complexes au Canada.
(1630)
Dans le livre intitulé Lost Harvests, Prairie Indian Reserve Farmers and Government Policy, l’autrice connue Sarah Carter affirme :
L’agriculteur indien s’est vu accorder un rôle insignifiant dans l’histoire des Prairies canadiennes. Même si les Indiens des Plaines étaient parmi les premiers et les plus importants groupes à tenter l’agriculture à l’ouest de la colonie de la rivière Rouge, c’est habituellement les immigrants venus d’Europe et des plus anciennes provinces canadiennes qu’on qualifie de pionniers de l’agriculture dans les Prairies. Non seulement les Indiens ont été exclus des histoires de défricheurs, mais on ne leur a même pas reconnu la capacité de travailler la terre.
Elle poursuit :
[...] les Cris des plaines avaient hâte d’acquérir les compétences et les outils qui leur permettraient de cultiver la terre, mais ils ont fini par abandonner l’agriculture en raison de la réglementation gouvernementale restrictive, notamment le système de permis, la subdivision des réserves et l’interdiction d’utiliser de la machinerie.
Chers collègues, la raison pour laquelle les agriculteurs autochtones n’ont pas eu autant de succès que les colons est la suivante, comme l’indique Sarah Carter :
[...] ce n’est pas que la culture des Indiens limitait leur capacité pour l’agriculture, mais que, en plus des obstacles environnementaux, les agriculteurs indiens ont été assujettis à une réglementation qui les empêchait d’avoir les possibilités technologiques et financières nécessaires pour prospérer dans ce domaine.
L’autrice résume bien le problème en écrivant :
Le consensus voulant que les Indiens de l’Ouest canadien n’aient pas réussi à s’adapter à l’agriculture en raison de leurs traditions culturelles doit être revisité.
Les gens qui insistent pour dire que le problème fondamental était la réticence des Indiens à devenir des agriculteurs en raison de leur culture ou de leur tempérament ont ignoré ou minimisé les facteurs économiques, juridiques, sociaux et climatiques. Les agriculteurs des réserves ont fait face aux mêmes adversités et malheurs que leurs voisins blancs, mais ils ont en plus été assujettis à des politiques gouvernementales qui avaient tendance à aggraver plutôt qu’à améliorer la situation déjà sombre dans laquelle se trouvaient tous les agriculteurs.
Honorables sénateurs, j’ai donné un très bref aperçu de l’histoire des peuples autochtones relativement à la nourriture et à l’agriculture. Cela inclut leur volonté de faire part de leurs idées sur la production alimentaire et d’offrir de la nourriture aux premiers colons, leurs capacités, leur ingéniosité et leur volonté de prospérer dans le secteur agricole, ainsi que les nombreux obstacles qu’ils ont dû surmonter au début, des forces insurmontables qui nuisaient à leur succès dans ce domaine.
Chers collègues, j’aimerais maintenant aborder la question de la sécurité alimentaire et sa dépendance à l’égard d’un environnement sain et de la biodiversité.
Dans l’ouvrage Saving Farmland : The Fight for Real Food, l’autrice cite la description des droits de la nature donnée par Vandana Shiva.
Sur Terre, les organismes vivants et les collectivités humaines sont confrontés à de multiples crises de changement climatique, d’extinction massive des espèces, de déforestation endémique, de désertification, d’effondrement des stocks de poissons et de contamination toxique, dont les conséquences sont tragiques pour toute forme de vie. Dans le système juridique actuel, la nature est considérée comme un objet ou comme une propriété dont le propriétaire a le droit de détruire les écosystèmes en contrepartie d’un gain financier. La doctrine juridique des droits de la nature reconnaît que les écosystèmes et les espèces végétales et animales ne peuvent être considérés comme de simples objets, mais qu’ils sont des entités ayant le droit inhérent d’exister. La population, les collectivités et les autorités ont la responsabilité de garantir ces droits au nom de la nature. Ces lois correspondent aux concepts de droit naturel et de directives originales des peuples autochtones, ainsi qu’à la vision voulant que les humains fassent partie de la nature et qu’ils ne constituent qu’un brin dans la toile de la vie.
Chers collègues, il est maintenant compris et accepté que la santé de l’environnement naturel qui nous entoure a des conséquences directes et profondes sur notre propre santé. La perte de diversité, qu’elle soit culturelle, biologique ou environnementale, qui se poursuit au Canada nuit à l’approvisionnement et à la production alimentaires.
Lorsque ces chaînes d’approvisionnement fondamentales sont compromises, nous vivons une rupture dans notre lien avec la terre, ainsi qu’avec les animaux, qui font partie intégrante d’une biodiversité saine et vigoureuse.
Il faut noter également que la sécurité alimentaire prend souvent différentes formes selon le segment de la population. Vu le mode de vie traditionnel fondé sur la terre que de nombreux peuples autochtones pratiquent encore et s’efforcent de préserver, il n’est pas étonnant que ces derniers soient plus vulnérables à la menace liée à l’insécurité alimentaire. Cette réalité est décrite dans un article intitulé « The History of Food in Canada Is the History of Colonialism » publié dans le magazine en ligne The Walrus. Voici un passage :
Dans les grandes villes, les choix alimentaires sont horizontaux. Comme dans un buffet, tous les éléments sont indépendants les uns des autres. Souvent, dans les systèmes alimentaires autochtones, le menu est vertical. Comme dans un jeu de Jenga, où plusieurs pièces soutiennent l’édifice, enlever un élément peut tout faire basculer. Dans ce type de système alimentaire, un animal comme le phoque n’est pas seulement une source de protéines, mais peut aussi servir à la fabrication de combustible, de vêtements et d’outils. Les produits du phoque peuvent également être commercialisés. Tout cela a été anéanti en 2009, lorsque l’Union européenne, sous la pression de militants environnementaux, a banni l’importation des produits du phoque.
Chers collègues, la réalité et l’importance du phoque ne sont qu’un exemple qui illustre l’imbrication et l’intersectionnalité de la biodiversité pour un très grand nombre de peuples autochtones au pays.
Honorables sénateurs, bon nombre de Canadiens ont l’impression que nos systèmes alimentaires sont sûrs tant que les tablettes des épiceries sont bien remplies, et ils ne se soucient souvent pas de la provenance des produits ou des processus d’approvisionnement. Il est pourtant crucial que nous nous posions des questions. Quelle est notre relation avec la nourriture? Il est dans notre intérêt de chercher à savoir comment le blé a été cultivé ou comment le bétail a été élevé, par exemple. Les produits sont-ils biologiques? Les animaux ont-ils été élevés en liberté? S’agit-il d’une production locale? A-t-on eu recours à des manipulations génétiques?
Pour mieux soutenir les entreprises d’ici et, plus particulièrement, les agriculteurs locaux, il est important de poser de telles questions. Appuyer et comprendre les entreprises locales nous aide à prendre pleinement conscience que les aliments nutritifs ne doivent pas être tenus pour acquis. Ils sont le résultat de la rencontre entre une saine biodiversité et les personnes qui la protègent et la cultivent.
Chers collègues, le préambule du projet de loi S-227 indique ce qui suit :
[...] la population canadienne tirera avantage d’une journée de l’alimentation destinée à célébrer les aliments locaux, qui constituent l’une des caractéristiques les plus fondamentales de chacune des cultures qui forment notre nation [...]
C’est un aspect important du projet de loi. Les célébrations où la nourriture est à l’honneur font partie intégrante de la vie des Premières Nations et d’autres Canadiens. Souvent, elles prennent la forme de festins qui ont toujours été une occasion de se réunir, de fêter et de partager, au son des rires et dans la joie.
Autour de la nourriture, les gens se rassemblent pour partager des histoires, pour s’écouter, pour apprendre et pour guérir. Ainsi, les festivités autour de la nourriture contribuent à créer des liens et à gommer les différences. De telles festivités soulignent aussi l’importance du travail collectif, que ce soit pour récolter, pour chasser ou pour cueillir. La nourriture est toujours un moyen de passer du temps ensemble et de partager notre humanité.
Honorables sénateurs, l’importance de la nourriture n’est pas à démontrer, mais l’idée de célébrer et de commémorer son passé, son présent et son futur au Canada est une initiative intéressante. Je souhaite féliciter tous les agriculteurs du Canada pour leur formidable travail, ainsi que tous les petits commerces qui proposent des produits, des articles et des aliments locaux, sans oublier les chefs cuisiniers qui contribuent à la découverte des aliments locaux, à la maison comme dans les restaurants.
Pour conclure, chers collègues, j’aimerais citer les propos de Frances Moore Lappé :
L’objectif de la protection des biens communs, c’est de prévenir le mal avant qu’il n’arrive. Cela signifie qu’il faut apprendre à penser comme un écosystème.
Ainsi, les richesses naturelles ne nous apparaissent plus comme de simples biens à partager entre nous, mais comme des offrandes protégées par des limites que nous instaurons et que nous respectons, et nous savons que toute forme de vie dépend de leur intégrité.
Kinanâskomitin. Merci.
(1640)
L’honorable Robert Black : Sénatrice McCallum, je vous remercie d’avoir fait ce discours important. J’aimerais savoir comment vous pensez que ce projet de loi instituant la Journée canadienne de l’alimentation contribuera à la santé de notre environnement.
La sénatrice McCallum : Pour de nombreux Canadiens, tant que les épiceries sont bien remplies, les systèmes alimentaires du pays fonctionnent, peu importe d’où vient la nourriture. Il suffit pourtant de penser à ce qui s’est produit en Colombie-Britannique lors des inondations qui ont isolé la ville de Vancouver pour réaliser à quel point l’approvisionnement alimentaire est fragile.
Dans son livre intitulé Saving Farmland, Mme Chambers affirme ceci :
D’ailleurs, sur l’île de Vancouver, il y a de la nourriture pour nourrir la population pendant seulement trois jours environ si l’approvisionnement de l’extérieur de l’île est interrompu et, à même l’heure actuelle, beaucoup de gens n’ont pas de quoi se nourrir suffisamment. Une crise nous guette et elle a même commencé à se faire sentir alors que nous continuons à accaparer les meilleures terres agricoles pour faire du développement et à endommager les zones de production alimentaire déjà restreintes.
Soutenir les entreprises locales nous aide à réaliser que la nourriture n’est pas un luxe. Manger local réduit l’empreinte de carbone, parce que la nourriture ne vient pas d’aussi loin.
Selon une étude menée par le Leopold Center for Sustainable Agriculture de l’Université d’État de l’Iowa, une carotte produite localement ne parcourt que 27 miles, alors que la carotte provenant des sources conventionnelles doit faire 1 838 miles avant d’arriver dans notre assiette. Manger local fait en sorte que l’argent demeure dans l’économie locale et que les entreprises locales peuvent prospérer au lieu des grandes sociétés.
Les terres agricoles hébergent de larges pans des écosystèmes...
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice McCallum, je suis désolée, votre temps est écoulé.
La sénatrice McCallum : Merci.
Des voix : Bravo!
(Sur la motion de la sénatrice Poirier, le débat est ajourné.)
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Boisvenu, appuyée par l’honorable sénateur Plett, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale).
L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui à titre de porte-parole au sujet de ce projet de loi. Je conviens qu’il est de la plus haute importance que nous ne renoncions pas à lutter contre la violence faite aux femmes. Comme le soulignent le récent sondage de la sénatrice Dasko et les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la violence faite aux femmes, notamment les femmes autochtones, demeure dramatique et exige que tous les niveaux de gouvernement prennent des mesures immédiates et systématiques.
Le projet de loi S-205 met l’accent sur l’utilisation de dispositifs de surveillance à distance pour les hommes qui ont commis des actes de violence contre des femmes. Il prévoit le recours à ces dispositifs lorsque les individus ne sont pas en détention comme moyen d’assurer la sécurité des femmes. Cependant, le projet de loi S-205 ne fait pas ce qu’il faut pour s’attaquer au tissu de la misogynie, du racisme et des préjugés de classe qui alimente la violence faite aux femmes et qui est entretenu par les systèmes de justice criminelle et pénale. Le projet de loi S-205 ne s’attaque pas aux inégalités économiques, sociales, raciales et de genre qui condamnent les femmes à être victimes de violence, de pauvreté et de racisme. Il ne cherche pas non plus à démanteler les valeurs et les attitudes qui renforcent ces inégalités. Il convient plutôt de donner la priorité à la mise en place de services et de méthodes qui apportent sécurité et soutien.
La violence physique n’est qu’un aspect d’un ensemble plus vaste de comportements coercitifs et contrôlants. Les stratégies utilisées contre les femmes comprennent l’intimidation, l’isolement et le contrôle, et ces facteurs sont plus prédictifs des homicides commis contre un partenaire intime que la gravité ou la fréquence des violences physiques.
Les messages sociaux et culturels qui privilégient les idées et les attitudes patriarcales, l’hyperresponsabilisation des femmes dès l’enfance afin qu’elles se considèrent comme responsables de la prévention de leur propre victimisation et les comportements qui contrôlent, isolent ou intimident les femmes par des moyens émotionnels, physiques, sociaux ou financiers, l’abus des inégalités ou une combinaison de ces éléments contribuent à une sous-déclaration flagrante de la violence contre les femmes.
Selon des études menées dans d’autres pays sur l’utilisation de la surveillance électronique pour lutter contre la violence faite aux femmes par les hommes, l’un des problèmes fondamentaux de cette approche est le suivant :
En général, les victimes de violence familiale ne signalent pas leur agression à la police et ne quittent pas leur conjoint violent, car elles reconnaissent qu’une telle action les expose généralement à un risque plus élevé d’agression.
Le mythe selon lequel les femmes quitteraient leur conjoint s’il était vraiment dangereux est démenti par les preuves. Selon une étude qui souligne l’incapacité de la surveillance électronique à prévenir la violence contre les femmes, 75 % des victimes d’homicide et 85 % des femmes victimes de violence grave, mais non mortelle avaient quitté ou tenté de quitter leur agresseur dans l’année précédant leur décès.
La violence est un problème particulièrement inquiétant pour les femmes défavorisées de manière intersectionnelle, que ce soit sur le plan de la race, de la classe sociale, de la pauvreté, de la langue, de la capacité, de l’orientation sexuelle ou d’autres formes de discrimination. Les femmes autochtones en particulier courent un risque élevé. Afin d’endiguer la violence faite aux femmes, nous devons perturber et éliminer les inégalités profondément enracinées qui sont à la base de leur oppression. Le projet de loi S-205 ne le fait pas.
Nous faisons peser un énorme fardeau sur les femmes qui subissent de la violence. Trop souvent, leurs appels à l’aide ne reçoivent pas de réponse adéquate du système de justice pénale. Les victimes décrivent comment la violence et le harcèlement qu’elles subissent sont minimisés, voire ignorés. Une étude de l’Université Western a révélé que seulement 25 % des femmes qui ont signalé des actes de violence à la police ont eu des interactions « positives » avec celle-ci, tandis que 45 % ont indiqué que leur expérience avait été « négative ».
L’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et l’Association des femmes autochtones du Canada ont documenté l’hyper-responsabilisation des femmes par le système juridique, en particulier quand elles sont pauvres, racialisées, handicapées ou aux prises avec un problème de santé mentale invalidant.
Le système juridique canadien ne protège pas adéquatement les femmes. Par exemple, les femmes qui signalent des actes de violence ont constamment peur que ce signalement soit utilisé contre elles dans des décisions concernant la sécurité et la garde de leurs enfants. Un rapport de 2008 a révélé que le fait d’avoir été victime de violence familiale était utilisé dans 46 % des cas comme facteur de risque pour légitimer des interventions des services de protection de l’enfance. Les problèmes de santé mentale, y compris ceux liés à la violence domestique, étaient utilisés dans 27 % des cas.
Pire encore, la police continue de porter des accusations contre les femmes après leur avoir refilé la responsabilité de se protéger elles-mêmes et de protéger leurs enfants. Lorsqu’elles répondent à la violence par une résistance physique, elles se heurtent aux mêmes « politiques de tolérance zéro à l’égard de la violence » introduites sous prétexte d’offrir une protection aux femmes battues.
Le projet de loi S-205 prévoit une plus grande intervention policière, sans rien faire pour s’attaquer au problème de l’hyperresponsabilisation des femmes ou pour améliorer leur expérience avec le système juridique.
Le sénateur Boisvenu dit que ce sont des femmes qui ont demandé et même rédigé le projet de loi S-205. Lorsqu’on offre seulement un modèle d’application de mesures pénales aux femmes, notamment lorsqu’elles n’ont connu que des réponses inadéquates pendant des millénaires, on ne devrait pas s’étonner qu’elles acceptent de saisir la seule option qui s’offre, au lieu de privilégier des approches globales efficaces pour s’attaquer à la violence faite aux femmes. Il s’agit d’un cas où l’insuffisance des options donne l’illusion d’un choix et d’une sécurité qui ne sont que des leurres illusoires.
Il existe une multitude d’autres approches fondées sur des données probantes qui pourraient réellement contrer et prévenir la violence faite aux femmes, bien plus efficacement que celle que propose le projet de loi S-205.
(1650)
Par exemple, dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Boisvenu a cité Elizabeth Sheehy, une experte, mais il a omis de parler de son point de vue :
Le droit pénal à lui seul ne peut pas prévenir la violence domestique : il s’agit d’une réponse après le fait à la violence qui a déjà causé du tort et parfois mis un terme à la vie d’une femme et de ses enfants.
Ce dont les femmes ont urgemment besoin, ce sont des ressources, telles que des logements sûrs, des services sociaux et des conseils juridiques pour échapper à la violence et pouvoir s’y retrouver dans le système de justice pénale. Elles ont besoin de tribunaux de la famille et de systèmes de protection de l’enfance pour « constater » la violence qu’elles subissent et le contrôle coercitif qui les met en danger. Et elles ont besoin de la police et de leur réaction efficace afin d’éloigner d’elles les hommes violents.
Cet appel de Mme Sheehy ne vise pas seulement des changements en matière de droit pénal, mais bien des changements systémiques afin de prévenir la violence faite aux femmes plutôt que de faire des efforts inadéquats après coup. Nous pouvons prévenir la violence faite aux femmes en transformant les attitudes, les croyances et les normes. Un changement est nécessaire afin que les femmes qui cherchent de l’aide auprès de la police ne constatent pas qu’on minimise leurs plaintes en matière de violence. Ce changement ne passe pas nécessairement par de lourdes peines, mais par la prévention, afin que les femmes soient en sécurité.
Les groupes de femmes demandent depuis longtemps que les solutions touchent les causent à la source de la violence contre les femmes. Le cadre législatif dont nous avons besoin pour prévenir la violence contre les femmes et y remédier doit aussi être conçu de manière à reconnaître et à combattre la pauvreté et l’insécurité économique des femmes, qui jettent les bases de la violence à leur égard, surtout pour les femmes membres des groupes particulièrement vulnérables à la violence sous toutes ses formes. Il est essentiel de veiller à bien comprendre le contexte historique et actuel de la violence contre les femmes, surtout les aspects liés au colonialisme et les séquelles qui se font sentir encore de nos jours et qui ont un impact sur la violence contre les femmes autochtones. Les groupes de femmes ont également souligné que toutes les réformes législatives dans le domaine de la violence contre les femmes au Canada doivent tenir compte de l’analyse intersectorielle féministe et prendre appui sur les droits fondamentaux, surtout les droits fondamentaux des femmes.
Tout changement significatif devra tenir compte des problèmes cognitifs et comportementaux sous-jacents qui mènent à la violence. Placer un bracelet électronique à la cheville d’une personne ne l’empêchera pas de continuer de commettre des gestes de violence, pendant que le bracelet électronique est en marche ou après qu’il ait été enlevé. Les experts sont catégoriques : nous ne devons pas confondre appareil électronique et traitement efficace. Un traitement qui se veut efficace doit s’attarder aux raisons fondamentales qui poussent une personne à agir de manière violente afin de véritablement éliminer le problème et de briser le cycle de la violence.
S’attaquer à l’inégalité des femmes sur le plan économique est un aspect essentiel de la réduction de la violence faite aux femmes. Comme l’ont indiqué ONU Femmes et l’Organisation mondiale de la santé, « les liens entre la pauvreté et la violence faite aux femmes sont bien établis ». Selon des recherches du groupe Surviving Economic Abuse, 95 % des victimes de violence familiale britanniques vivent aussi de l’exploitation économique. Voilà un chiffre à ne pas prendre à la légère. Cela signifie que presque toutes les victimes de violence font également l’expérience d’exploitation économique. Pour que nous nous attaquions à la racine de ce problème, il est primordial que les femmes disposent d’autres solutions sur le plan économique plutôt que de rester dans des situations familiales dangereuses. Il leur faut des solutions de rechange économiques et des mesures de soutien que, contrairement aux programmes actuels, elles ne risqueront pas de perdre après avoir demandé de l’aide, et une fois qu’elles pourront subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.
Le rôle des ressources économiques pour faciliter l’accès à la sécurité physique est clair, et cela souligne la nécessité de programmes comme le revenu de base garanti suffisant, qui réduirait le fardeau financier que portent les femmes et leur permettrait de déterminer la meilleure façon de prendre soin d’elles-mêmes et de leur famille, et de pouvoir viser plus loin que la sécurité à court terme. Nous devons d’abord faire tout en notre pouvoir pour prévenir la violence plutôt que de régulièrement concentrer nos efforts sur des interventions en aval inadéquates comme la surveillance électronique. L’accès à des choix significatifs que permettent des solutions comme le revenu garanti suffisant n’est pas seulement une question de dignité et d’égalité; pour les femmes qui essaient de fuir la violence, c’est une question de sécurité également.
Pendant des décennies, on a présenté de nombreuses recommandations en vue d’habiliter les femmes et de leur offrir des mesures de soutien destinées à accroître leur indépendance et à leur permettre de mettre fin aux relations violentes. Ces recommandations incluaient l’augmentation des ressources et du financement des refuges pour femmes battues établis et d’autres mesures de soutien qui permettent aux femmes de sortir en sécurité des situations de violence.
Au Québec, on a présenté récemment un projet de loi semblable au projet de loi S-205. Lors des réunions de la commission consacrées à l’étude de ce projet de loi, une représentante de l’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale a informé la commission qu’à Montréal seulement, 75 % des demandes de refuge sont refusées faute de places disponibles. Cela signifie que trois femmes sur quatre qui ont besoin d’un logement sûr pour échapper à la violence n’y ont pas accès. Un récent article du Globe and Mail décrit ainsi la situation au Québec :
[...] alors que les lignes d’urgence enregistrent une forte augmentation du nombre d’appels et de messages textes de la part de victimes qui ont besoin de soutien cette année, les femmes se voient refuser l’accès à des refuges qui peinent à suffire à la tâche.
Cela montre que même au Québec, où, selon le sénateur Boisvenu, on appuie le projet de loi S-205, il y a un besoin urgent d’offrir les mesures de soutien nécessaires pour mettre réellement fin à la violence faite aux femmes.
Des données datant du 18 avril 2018 et fournies par Statistique Canada montrent que 36 % des femmes ayant pu s’abriter dans un refuge de courte durée ne savaient pas où elles iraient à leur départ du refuge; les responsables de ces établissements l’ignoraient aussi. Pour 21 % de ces femmes, retourner à l’endroit où leur agresseur continue de vivre était la seule option qui s’offrait à elles et à leur famille. La situation n’a fait que s’empirer depuis. Être au même endroit que leur agresseur, même si ce dernier doit porter un dispositif de surveillance à distance, ne mettra pas ces femmes à l’abri du danger.
La violence faite aux femmes n’est pas uniquement une violation des droits des femmes. Elle est maintenant considérée aussi comme un problème de santé publique. En effet, l’Organisation mondiale de la santé affirme clairement que la violence contre les femmes a de multiples conséquences négatives. Elle nuit à la santé physique, mentale, sexuelle et génésique des femmes. Nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour aider les femmes à composer avec ces problèmes de santé. Il est essentiel que les femmes disposent des ressources nécessaires pour échapper à des relations violentes et que nous ne nous contentions pas de proposer des solutions temporaires et inadéquates après-coup. Le sous-financement chronique des services aux femmes continue d’exposer les femmes à des risques élevés et de les replonger dans des situations dangereuses — et trop souvent mortelles — pour leurs enfants et elles. Comme je l’ai déjà dit, le projet de loi S-205 ne prévoit rien pour régler ce problème.
La surveillance électronique ne fonctionne pas. Elle ne protège certainement pas les femmes de la violence lorsqu’elle est utilisée seule, comme le propose ce projet de loi. Accroître le pouvoir conféré par la loi d’imposer une surveillance électronique ne constitue pas la pièce manquante de la prévention de la violence et elle n’est pas efficace. La surveillance électronique et les autres mesures ont des effets différents d’une personne à l’autre. Les conséquences négatives de la surveillance et du contrôle sont particulièrement prononcées pour les personnes, pour leur famille et pour les communautés qui sont déjà marginalisées, surtout lorsqu’elles sont racialisées. Des études étatsuniennes indiquent une utilisation disproportionnée de la surveillance électronique chez les personnes racialisées et pauvres. Il en résulte une augmentation de l’incarcération et des préjudices pour ces groupes.
Les Autochtones sont surreprésentés dans le système judiciaire pénal. Les mêmes problèmes documentés par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui font que les femmes autochtones disparaissent, sont assassinées ou deviennent itinérantes à un taux beaucoup plus élevé que la personne moyenne, sont les mêmes problèmes qui ont mené les femmes autochtones à devenir la population carcérale qui connaît la plus forte croissance, si bien qu’elles représentent maintenant une femme sur deux purgeant une peine d’emprisonnement dans les établissements fédéraux. Les femmes, en particulier les Autochtones, les Noires, et les autres femmes racialisées, sont moins susceptibles de jouir de la protection de l’État lorsqu’elles sont victimes de violence. Paradoxalement, bien qu’elles soient essentiellement mandatées de se protéger et de protéger leurs enfants de la violence perpétrée contre eux, elles sont également plus susceptibles d’être criminalisées lorsqu’elles le font. Beaucoup finissent par se voir accuser d’infractions violentes alors qu’elles tentaient de se défendre. La Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont toutes révélé les répercussions multigénérationnelles du racisme colonial, de la marginalisation socioéconomique et des préjugés sexistes.
Dans le rapport Racisme systémique au sein des services policiers au Canada du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, des témoins représentant divers groupes autochtones ont cerné des pratiques policières racistes, des abus de pouvoir, le refus d’aider des victimes ou l’inaction en cas de violence sexuelle, et plus encore. La cheffe Doris Bill de la Première Nation des Kwanlin Dün explique que les citoyens de sa collectivité se méfient fortement de la police en raison des événements en cours.
Le manque de soutien pour les femmes autochtones dans le système judiciaire pénal persiste. Leur crédibilité et leur valeur en tant que victimes sont souvent remises en question. Le rapport du Comité de la sécurité publique et nationale souligne également que, dans certains cas, les femmes autochtones craignent de signaler la situation dont elles sont victimes à cause du traitement que leur réservent parfois les policiers. Cette situation est bien documentée dans l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
(1700)
Comme nous a prévenus l’ancienne présidente du Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, la regrettée Glenda Simms :
La violence contre les femmes est le problème le plus grave de notre époque. Êtes-vous conscients que certaines femmes noires choisissent de ne pas dénoncer les hommes qui les battent parce qu’elles savent que les hommes noirs sont victimes de racisme et de violence à tous les paliers du système judiciaire? Vers qui vous tournez-vous lorsque vous ne faites pas confiance aux personnes qui sont chargées de rendre justice?
Le projet de loi S-205 ne fera rien pour résoudre ces problèmes pour les femmes autochtones, les femmes noires et les autres femmes racisées au Canada. Au lieu de cela, il s’appuiera davantage sur un système qui inspire déjà la méfiance, qui laisse déjà tomber de nombreux groupes et qui demande à ces derniers de faire simplement confiance à ce système.
À première vue, le recours à la surveillance à distance pour tenir à l’œil les hommes violents et protéger les femmes contre leur conjoint violent peut sembler attrayant. Il est toutefois essentiel de reconnaître que la surveillance à distance est bien moins efficace que la surveillance communautaire offerte par des mécanismes comme la probation ou la surveillance des personnes en liberté sous caution.
Des gens affirment que d’autres pays ont eu recours à des dispositifs de surveillance à distance et ont obtenu des résultats favorables. Il est impératif de reconnaître que, dans ces situations, ces dispositifs n’ont pas été utilisés de manière isolée. Au contraire, la surveillance à distance n’était qu’un élément d’une approche à plusieurs volets adoptée pour régler un problème complexe. Les études démontrent d’ailleurs que la surveillance à distance n’est pas efficace à elle seule.
Dans un rapport sur l’utilisation, les défis et les succès de la surveillance à distance, le gouvernement écossais a conclu que ce n’était pas une stratégie efficace pour réduire la récidive, mais que cela contribuait sans aucun doute à l’élargissement du filet pénal. Autrement dit, le nombre de personnes criminalisées augmente — généralement des personnes quasi marginalisées —, mais la violence contre les femmes ne diminue pas.
Une étude menée récemment en Norvège a révélé que les individus libérés avec un appareil de surveillance à distance qui bénéficiaient d’un soutien supervisé pour réintégrer la communauté risquaient moins de récidiver. Malheureusement, il est impossible de déterminer si la surveillance à distance était un facteur de ce succès ou si ce dernier était plutôt attribuable à la libération anticipée combinée aux avantages découlant des mesures de soutien pour la réintégration supervisée dans la communauté.
Il y a aussi l’hypothèse selon laquelle une surveillance à distance permettra d’enrayer la violence contre les femmes. Cette hypothèse repose sur le principe qu’un individu n’ayant pas tenu compte de toutes les autres normes sociales et juridiques les respectera du jour au lendemain simplement parce qu’il a un bracelet autour de sa cheville. Selon une étude menée en France, le bracelet électronique est efficace surtout pour les individus qui sont conscients des conséquences s’ils récidivent. Le projet de loi S-205 ne prévoit rien pour contribuer à changer les valeurs communautaires, pas plus que des ressources axées sur la réadaptation individualisée ou des mécanismes de reddition des comptes.
En 2012, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de l’autre endroit a mené une étude sur la surveillance électronique et son utilité.
Après avoir entendu les 29 témoins, parmi lesquels des représentants du gouvernement et plusieurs fabricants de dispositifs de surveillance à distance utilisés au Canada, le comité a recommandé de ne jamais utiliser ces dispositifs seuls, de manière isolée, et, si on s’en servait, de les combiner à un programme adéquat dans le cadre d’un plan complet de supervision et de réintégration dans la communauté.
C’est une recommandation qu’on ne devrait pas négliger.
Le projet de loi S-205 fait fi de cette recommandation et propose des mesures utilisées seules, dont la mise en œuvre donne faussement l’impression de protéger les femmes, comme nous l’entendons déjà dire. Il est franchement terrifiant de penser aux résultats inadéquats ou même horribles que cette méthode risque de produire.
Examinons maintenant les nombreux problèmes technologiques que posent les dispositifs de surveillance à distance.
Une étude menée en Californie a révélé que les dispositifs de surveillance à distance utilisés dans la moitié de l’État, qui étaient censés superviser des milliers d’hommes reconnus coupables de délits sexuels, étaient à ce point inexacts et peu fiables qu’ils représentaient un « danger imminent » pour la population.
Les chercheurs ont découvert des piles qui avaient peu duré, des boîtiers fissurés et des cas où la personne se trouvait à trois milles de l’endroit indiqué par le dispositif. Ils ont aussi découvert que les avertissements qui devaient être envoyés en cas de tentative de modification du dispositif ne fonctionnaient pas et que des gens réussissaient à disparaître en recouvrant le dispositif de papier d’aluminium, en utilisant des brouilleurs de GPS illégaux ou en se faufilant dans des voitures ou des immeubles.
Ces résultats alarmants le sont d’autant plus que, dans le cadre d’un procès, les avocats de l’administration pénitentiaire ont persuadé un juge d’interdire la divulgation de l’information relative aux lacunes, arguant que les résultats des tests pourraient montrer aux criminels comment éviter d’être suivis et donner aux contrevenants à la liberté conditionnelle des motifs d’appel des condamnations. Ils ont également fait valoir que cela « éroderait la confiance du public » dans les programmes de surveillance électronique et atténuerait tout effet dissuasif sur les personnes qui les portent si elles savaient à quel point ils sont inefficaces. On ne peut pas dire que l’accent soit mis sur le bien-être et la sécurité des femmes ou sur la lutte contre la violence à leur égard.
« Eh bien, c’est aux États-Unis », pourriez-vous dire. Mais la compagnie impliquée dans cette étude, 3M, a des activités au Canada. En effet, ses représentants ont témoigné lors de l’enquête du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. De plus, ils ne sont pas les seuls fournisseurs, mais ils offrent des services de surveillance électronique et ils connaissent les mêmes problèmes.
Les dispositifs de surveillance électronique fonctionnent avec des services de géolocalisation. De nombreuses localités au Canada ont un accès limité ou inexistant à la technologie nécessaire. Dans ses échanges avec l’Assemblée nationale du Québec au sujet du projet de loi, l’Association des femmes autochtones du Québec a soulevé des questions concernant l’impact du faible accès à la technologie de géolocalisation dans de nombreux endroits éloignés, en particulier pour les femmes autochtones dans les communautés autochtones. Elles ont également souligné que de nombreuses victimes et auteurs de violence autochtones vivent dans la même communauté. Les interventions policières et les délais d’intervention sont déjà des problèmes importants dans ces communautés.
Les problèmes de connexion et les fausses alertes sont aussi au cœur de ces complications. Lorsqu’une personne perd la connexion, une fausse alerte peut être déclenchée, et cette situation peut comporter des risques pour la personne qui porte le dispositif ainsi que pour d’autres personnes. En cas de fausse alerte, quelqu’un peut être arrêté, à tort, pour manquement aux conditions de libération conditionnelle, des agents peuvent se pointer au lieu de travail de la personne qui porte le dispositif, et cette situation peut même mener à un incident dangereux ou fatal. Il y a aussi des cas bien documentés de fausses alertes menant à une plus forte baisse des interventions policières.
Des études réalisées au Tennessee, au Colorado et dans l’État de New York ont révélé que, en raison des fausses alertes, il est arrivé à maintes reprises que des alertes concernant une défaillance du dispositif ne soient pas détectées ou prises en considération, et qu’aucune intervention n’ait été effectuée lorsqu’une personne censée faire l’objet d’une surveillance électronique ne respectait pas la loi. Dans le cas de la Floride, les autorités policières et correctionnelles ont été tellement inondées d’alertes que non seulement un homme a pu enfreindre le couvre-feu à 53 reprises en un mois, sans la moindre intervention, mais il a aussi tué trois personnes par la suite.
Le problème des fausses alertes est tellement grave que, lorsqu’il s’est penché sur ce genre d’approches, en 2019, le gouvernement de l’Écosse a cité des résultats d’étude révélant que, en Allemagne, les fausses alarmes se produisaient en moyenne tous les trois jours pour chaque personne censée faire l’objet d’une surveillance électronique.
De plus, en raison des retards fréquemment observés dans les interventions des autorités policières ou correctionnelles, on a conclu que cette situation avait pour effet d’annuler l’effet dissuasif qu’on associe à la surveillance électronique. Fait plus important encore, les résultats de recherche ont révélé que ces retards fréquents entraînent des risques pour les victimes, et les risques sont particulièrement importants lorsqu’on n’intervient pas du tout.
Ces exemples démontrent clairement qu’en encourageant l’utilisation d’outils de surveillance électronique, le projet de loi S-205, dont l’intention est louable, risque d’avoir un effet contraire au but escompté. En effet, il pourrait, involontairement, alourdir davantage le système et mettre encore plus les femmes en danger.
Le sénateur Yussuff a mentionné le faux sentiment de sécurité que la surveillance électronique peut créer. Pour avoir travaillé avec une multitude de victimes de violence et pour avoir défendu les droits de ces personnes, je tiens à souligner les risques réels et fondamentaux que nous courons en nous en remettant à la surveillance électronique pour protéger les femmes et les enfants contre la violence.
L’adoption du projet de loi S-205 pourrait cautionner le recours à la surveillance électronique. Je ne peux pas en mon âme et conscience appuyer cette mesure, car elle équivaut à dire aux femmes de faire confiance à ce système. Au mieux, cela donnerait de faux espoirs et risquerait de cautionner une méthode qui se solde plus souvent par des échecs que par des succès. Je considère que cette approche est irresponsable et dangereuse pour ces femmes.
Finalement, je vais parler d’un autre terrible paradoxe. Dans certains pays, ce sont les femmes victimes qui font l’objet d’une surveillance électronique. En Espagne, les femmes hésitaient, avec raison, à utiliser le dispositif, car cela les traumatisait encore plus et leur causait encore plus de tort. En effet, ce dispositif déclenche souvent un stress post-traumatique chez les femmes abusées.
Une des plus grandes lacunes de la surveillance électronique est son effet sur les porteurs du dispositif, leur famille et la capacité de réhabilitation ou de réintégration sereine dans la communauté des personnes en cause. Pour faire diminuer le taux de récidive, il est essentiel que la personne concernée reçoive du soutien. Toutefois, le recours à la surveillance électronique stigmatise et affecte des familles entières, ce qui entrave le processus.
(1710)
En Écosse, on a fait sentir aux cooccupants qu’ils étaient responsables de s’assurer que la personne soumise à une surveillance électronique respectait ses conditions. Ce sentiment de responsabilité a été une source d’anxiété, de culpabilité et de stress.
Des recherches menées à Winnipeg ont révélé que les jeunes ont vécu de l’isolement parce que leurs connaissances refusaient de les voir, non pas en raison des gestes posés, mais parce qu’ils craignaient de subir eux aussi une surveillance policière et des atteintes à la vie privée à cause du dispositif de surveillance à distance.
L’importance de la famille pour réintégrer la société et réduire les taux de récidive est bien documentée. Le retrait ou la diminution de ces mécanismes de soutien pendant l’intervention policière, la mise en liberté provisoire par voie judiciaire ou sous caution, ou encore le processus de réintégration peut pousser les gens encore plus en marge de la société et, par conséquent, les rendre plus dangereux pour la sécurité publique.
La surveillance électronique peut aussi nuire à l’emploi. Selon une étude menée par le National Institute of Justice en 2011, beaucoup de gens placés sous surveillance électronique ont dû prendre des pauses au travail pour rétablir une connexion perdue, et 22 % ont été renvoyés ou ont dû quitter leur emploi en raison d’un bracelet électronique à la cheville.
Honorables collègues, permettez-moi de résumer les cinq principales raisons qui expliquent pourquoi le projet de loi ne permettra pas d’atteindre les objectifs louables de son parrain et de ses partisans.
Premièrement, aussi inefficace soit elle pour prévenir la violence contre les femmes, la surveillance électronique est déjà en place dans certaines provinces. Ce projet de loi n’est donc pas nécessaire. De toute évidence, le fait de rendre la surveillance électronique obligatoire dans une loi n’est pas la clef qui permettra de remédier à la violence contre les femmes.
Deuxièmement, le projet de loi ne tient pas compte des nombreux problèmes technologiques de la surveillance électronique; ce qui risque manifestement de susciter une fausse impression de sécurité pour ceux qui pensent que cela les protégera.
Troisièmement, ce texte ne tient pas non plus compte du fait que la police n’est pas toujours en mesure d’intervenir immédiatement, aussi bien intentionnée soit-elle. Lorsqu’une alarme est déclenchée, l’intervention de la police n’est pas systématiquement efficace, et le problème peut venir de l’éloignement géographique, des ressources insuffisantes, des autres urgences à gérer et parfois des stéréotypes, des préjugés ou des conclusions rapides — par exemple dans le cas de déclenchements répétés, voire de fausses alarmes selon les autorités.
Quatrièmement, ce projet de loi part du principe qu’un homme qui a jusqu’alors ignoré toute forme de normes sociales ou légales sera soudainement disposé à respecter la loi, simplement parce qu’on lui passe un bracelet autour de la cheville ou du poignet.
Dernièrement, la surveillance électronique ne permet pas de résoudre les problèmes systémiques qui sont au cœur de la question et qui engendrent et perpétuent la violence misogyne. Cet outil permet encore moins de modifier la gestion de la colère et d’autres facteurs qui poussent ces hommes à perpétrer des actes de violence envers des femmes.
Pour conclure, j’aimerais remercier le sénateur Boisvenu et mes collègues de leur engagement à éradiquer la violence contre les femmes. Il y a plusieurs façons de s’attaquer à ce problème pour répondre aux préoccupations soulevées aujourd’hui. Malheureusement, comme je l’ai déjà expliqué en détail, l’approche proposée dans ce projet de loi n’est pas la meilleure à suivre. Il faudrait plutôt s’attaquer aux problèmes, aux comportements et aux idées qui alimentent la violence misogyne dans notre société et dans nos systèmes juridique et pénal, tout en mettant en place parallèlement de solides réseaux de soutien social, sanitaire et économique qui peuvent concrètement aider les femmes à éviter ou à fuir la violence. Meegwetch, merci.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice McCallum, avez-vous une question à poser?
L’honorable Mary Jane McCallum : Oui.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Pate, acceptez-vous de répondre à une question?
La sénatrice Pate : Oui.
La sénatrice McCallum : Sénatrice Pate, ma question porte sur la violence dans les collectivités. Cette violence a diverses origines, qui exigent des interventions différentes. Certaines de ces interventions vont au-delà des lois. On ne peut pas les inclure dans les lois. Ce sont des réponses sociétales. Les collectivités doivent jouer un rôle dans ce qui arrive chez elles. Voilà pourquoi j’ai organisé une rencontre entre le sénateur Boisvenu et des groupes autochtones de Winnipeg qui s’occupent de cette violence. Ces groupes travaillent de pair avec le sénateur Boisvenu à l’heure actuelle.
Comme vous l’avez dit, je pense que ce n’est pas un vase clos. Je l’ai constaté à maintes reprises avec les lois lorsqu’il n’y avait aucune implication de la collectivité. Le travail que font les collectivités à Winnipeg porte ses fruits, et ces collectivités sont disposées à travailler avec le sénateur Boisvenu. Ne serait-ce pas une bonne idée d’expliquer cette initiative au comité pour que les gens puissent savoir ce qui se passe dans les collectivités?
La sénatrice Pate : Oui, absolument. Cette mesure législative devrait être renvoyée au comité. Je pense que vous savez que, au Manitoba seulement, il y a des communautés autochtones qui ont dû intervenir justement à cause de ce dont je viens de parler et qui ont décidé de retirer les hommes des maisons et de fournir du soutien aux femmes et à leurs enfants à la maison. Cette approche est incroyable et a vraiment été couronnée de succès, mais les communautés ont besoin de ressources et de mesures de soutien pour l’appliquer. L’étude de telles approches serait certes une occasion formidable. Je vous remercie donc d’avoir fait cette suggestion.
La sénatrice McCallum : Quand ces groupes nous parlent, au sénateur Boisvenu et à moi, des programmes qu’ils ont mis en place, ils me disent qu’ils travaillent avec les auteurs des actes de violence. Ils ont un taux de réussite très élevé. Ils travaillent individuellement avec les femmes, et ils travaillent également avec les jeunes. Le potentiel est énorme.
L’une des raisons de cette rencontre était de déterminer les ressources nécessaires. Je pense que si nous travaillons davantage avec la communauté, avec la mesure législative dont nous sommes saisis, les chances de réussite seront bien plus élevées. Le projet de loi comportera moins de lacunes, et nous verrons si ces interventions porteront leurs fruits. Les groupes sont prêts à suivre le processus et à travailler au sein du système. Je pense donc que c’est un important pas en avant.
La sénatrice Pate : Je ne suis pas certaine qu’il y ait eu une question, mais je rajouterai volontiers que je suis d’accord avec vous. Comme vous l’avez constaté dans vos échanges avec ces femmes, le problème, c’est que lorsque la seule intervention offerte relève du droit pénal, les femmes qui n’ont jamais eu la possibilité d’obtenir de l’aide vont sauter sur cette occasion et s’y accrocher, alors que, comme vous l’avez déjà constaté, quand on leur parle, on se rend compte que c’est la dernière chose qu’elles souhaitent. Elles souhaitent tout un éventail d’autres mesures de soutien et services qui leur permettront d’éviter de se retrouver en cour en premier lieu.
Ma crainte est qu’en offrant la surveillance électronique comme si cela allait régler le problème, on crée ce faux sentiment de sécurité et on donne à tort l’impression qu’il s’agit d’une solution efficace alors que, comme j’espère l’avoir bien expliqué, dans les faits, il existe amplement de preuves qui démontrent que ce n’est pas vrai. Je crois qu’il serait merveilleux que le comité saisisse l’occasion pour examiner ce qui devrait plutôt être fait. Merci beaucoup.
[Français]
L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question de ma part?
Merci beaucoup, sénatrice Pate, pour votre discours sur la révolution sociale entourant la violence faite aux femmes. Cependant, mon projet de loi ne concerne pas ce sujet, car je n’ai pas cette ambition.
J’ai bien écouté l’intervention de la sénatrice McCallum, avec qui j’ai eu le plaisir d’échanger des propos sur la thérapie qu’on offre aux hommes violents dans les communautés autochtones, avec un très grand succès.
Vous semblez vous opposer au mécanisme de contrôle évoqué dans le projet de loi S-205. Est-ce que vous vous opposez également à l’approche de la thérapie obligatoire pour les agresseurs?
[Traduction]
La sénatrice Pate : D’après ce que j’ai compris, il n’est pas question de thérapies obligatoires. Il est question d’offrir des traitements comme solution de rechange aux mécanismes déjà en place.
Selon mon expérience de travail auprès des hommes reconnus coupables de crimes sexuels, ces derniers choisissent presque toujours ces solutions lorsqu’elles leur sont offertes. Le problème, c’est qu’elles le sont rarement. Nous avons plutôt tendance à opter pour les solutions dites de « la loi et l’ordre ».
En tout respect, je ne crois pas qu’il faille une révolution. Je crois cependant qu’il faut mener une évaluation honnête de ce que propose le projet de loi et reconnaître qu’il y a des lacunes importantes quant à la volonté d’utiliser la surveillance électronique dans l’espoir que cela réglera le problème.
(1720)
Dans les discussions que j’ai eues avec les groupes de femmes au sujet de votre projet de loi et de l’approche proposée, il est clair que certaines considèrent que c’est l’une des seules solutions qui leur sont offertes et je crois aussi que c’est sur nous que retombe le blâme si c’est là la seule solution qui est offerte. Je ne mets pas en cause votre volonté de mettre fin à la violence contre les femmes. Je crois cependant que nous devons être honnêtes quant à la meilleure façon d’y arriver. Il est évident qu’un des problèmes du projet de loi est que, même s’il donne l’impression que des mesures sont prises et qu’il empêchera peut-être un ou deux hommes d’agir, il est peu probable qu’il en empêche beaucoup, s’il en empêche même un seul.
[Français]
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Renvoi au comité
Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Boisvenu, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Jaffer, appuyée par l’honorable sénateur Forest, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-213, Loi modifiant le Code criminel (indépendance des tribunaux).
L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que porte-parole du projet de loi S-213, qui a été déposé par l’honorable Mobina Jaffer.
Comme vous le savez, chers collègues, et comme je l’ai dit à plusieurs reprises dans cette Chambre, je considère que les peines minimales obligatoires sont importantes afin de garantir un équilibre dans la détermination de la peine et d’assurer aux victimes l’accès à un système de justice rigoureux et crédible.
Je m’oppose à ce projet de loi, car il tente de nous faire croire que les juges auront toujours la possibilité d’utiliser les peines minimales obligatoires, alors que les groupes de victimes y voient une manœuvre masquée pour tenter de les abolir.
Avec le projet de loi S-213, les peines minimales obligatoires ne sont plus « minimales » et ne sont plus « obligatoires ». Elles deviennent une sorte de catégorie de peines que le juge peut utiliser à sa guise et elles s’ajoutent à une palette de sentences qui existent déjà. Elles sont vidées de leurs sens, ce qui, au passage, détruit le travail de tous les gouvernements précédents, libéraux comme conservateurs, au nom d’une fausse morale progressiste appuyée par un gouvernement préoccupé avant tout par un système de justice devant être le moins contraignant possible pour les criminels. Comme d’habitude, on s’appuie sur la Charte des droits et libertés pour réclamer le droit des criminels à cette justice laxiste.
Ce n’est pas ma conception d’une justice juste et équitable et ce n’est pas le système de justice que les Pères de la Confédération ont édifié en ce lieu, qui a toujours reconnu le principe sacré selon lequel une peine doit être juste, équitable et proportionnelle à la gravité du crime commis. Selon moi, les victimes doivent être reconnues et protégées, et les criminels doivent être condamnés et réhabilités.
Honorables sénateurs, j’aimerais d’abord commenter l’un des passages du préambule du projet de loi S-213, qui me semble assez troublant et que j’aimerais citer :
que les tribunaux doivent disposer du pouvoir discrétionnaire de déroger à l’obligation d’infliger une peine minimale afin d’éviter les erreurs judiciaires, notamment les plaidoyers de culpabilité erronés, et de garantir l’imposition de peines justes et appropriées;
Chers collègues, l’enregistrement d’un plaidoyer se fait avant la détermination de la peine. À ce stade, le tribunal est obligé de s’assurer de la validité du plaidoyer de culpabilité, et plus particulièrement s’assurer que la personne reconnaît les éléments constitutifs de l’infraction. Une personne doit donc admettre qu’elle a commis les gestes qui lui sont reprochés et qu’elle était dans l’état d’esprit requis pour le faire, en plus d’avoir été informée que le tribunal n’est lié par aucune suggestion ou aucun accord quant à la peine qui doit être imposée à la suite de la déclaration de culpabilité, et ce, avant qu’un tribunal puisse accepter le plaidoyer et déclarer la personne coupable de l’infraction qu’elle a admis avoir commise. Cette démarche est prévue à l’article 606 du Code criminel.
Voilà une première affirmation erronée.
Il n’est donc pas juste de dire que le pouvoir discrétionnaire d’un tribunal de ne pas imposer de peine minimale pourrait avoir une incidence sur des plaidoyers de culpabilité validés avant la détermination de la peine et, de surcroît, empêcher des plaidoyers erronés.
La sénatrice Pate, lorsqu’elle a prononcé son discours sur le projet de loi S-207 — qui est identique au projet de loi S-213 —, a pris en exemple la suggestion de la Cour suprême du Canada dans la décision R. c. Lloyd pour justifier la présentation de ce projet de loi. Je la cite :
[...] recourir à un mécanisme qui permettrait au tribunal d’écarter la peine minimale obligatoire dans les cas exceptionnels où elle constituerait une peine cruelle et inusitée.
En effet, il semble que ce projet de loi a pour ambition d’être une réponse législative à cette décision de la Cour suprême du Canada. Toutefois, je réfute l’idée selon laquelle ce projet de loi répond à la recommandation que je viens de citer. Il ne développe aucun mécanisme, car il n’a pas pour seul but d’abolir les peines minimales obligatoires; il n’apporte aucune nouvelle solution et il ne répond pas à la recommandation de la Cour suprême, qui a bien précisé que ceci devait seulement s’appliquer dans des « cas exceptionnels ».
Je rappelle que les législateurs canadiens ont fixé dans le Code criminel des objectifs qui doivent guider les tribunaux dans la détermination de la peine, et ces objectifs figurent à l’article 718 du Code criminel. Il est acquis que les tribunaux doivent faire preuve de déférence à l’égard de la volonté exprimée par le législateur relativement aux principes de détermination de la peine et aux restrictions prévues en la matière. Les peines minimales édictées par le législateur représentent une indication de la forte réprobation sociale éprouvée envers des comportements moralement inacceptables dans notre société et elles sont le reflet des valeurs de celle-ci. Dans certains cas, les objectifs de dissuasion et de punition doivent l’emporter sur les autres objectifs.
La décision R. c. Lloyd donne certaines indications au législateur dans l’objectif d’éviter que des peines minimales obligatoires puissent être invalidées sur la base de leur constitutionnalité. J’aimerais en citer quelques passages :
Un autre moyen d’assurer la constitutionnalité d’une infraction qui ratisse large consiste à conférer au tribunal un pouvoir discrétionnaire résiduel qui lui permet de déterminer une peine juste et constitutionnelle dans des cas exceptionnels. Largement retenue à l’étranger, cette dernière solution établit un compromis entre le droit du Parlement d’arrêter la fourchette de peines qui convient pour une infraction et le droit constitutionnel de chacun à la protection contre les peines cruelles et inusitées.
De plus :
Si le législateur tient à l’application de peines minimales obligatoires à des infractions qui ratissent large, il lui faut envisager de réduire leur champ d’application de manière qu’elles ne visent que les délinquants qui méritent de se les voir infliger.
Lorsque les tribunaux se penchent sur la constitutionnalité d’une peine minimale obligatoire, ils adoptent une approche prudente et rigoureuse envers le travail du législateur. Dans cette même décision, la Cour suprême est claire sur la portée du pouvoir discrétionnaire que pourraient prendre les tribunaux. La Cour suprême dit ceci :
Le pouvoir discrétionnaire résiduel ne peut habituellement être exercé qu’à titre exceptionnel, et le tribunal peut devoir préciser les raisons pour lesquelles il n’inflige pas la peine minimale obligatoire que prescrit la loi. Il appartient au législateur d’arrêter les paramètres du pouvoir discrétionnaire résiduel du tribunal.
Toutefois, à la lecture du projet de loi S-213, il est évident que celui-ci a une portée beaucoup plus large que ce qui est nécessaire pour éviter qu’une disposition soit déclarée inconstitutionnelle et qu’elle s’écarte de façon disproportionnée de l’objectif de la Cour suprême, comme cette dernière l’a établi dans l’arrêt Lloyd. Les tribunaux reconnaissent qu’ils doivent faire preuve d’une grande déférence envers le législateur fédéral et envers le but législatif sous-jacent à la peine minimale prévue par ce dernier pour différentes infractions. D’ailleurs, les peines minimales seront proportionnelles et appropriées dans la plupart des cas.
(1730)
Avec le projet de loi S-213, il sera dorénavant obligatoire pour les tribunaux d’envisager toutes les alternatives possibles pour éviter de devoir imposer une peine minimale d’emprisonnement. L’effet combiné de ces nouvelles dispositions forcera donc le tribunal à faire fi des restrictions déjà prévues au Code criminel, notamment en ce qui concerne le type de peines applicables pour certaines infractions, pour envisager tout autre type de peine qu’une peine d’emprisonnement. Le tribunal devra être convaincu qu’il n’existe aucune autre option que d’infliger une peine minimale d’emprisonnement, que ladite peine minimale constitue une peine juste et raisonnable et, dans un tel cas, il devra donner ses motifs par écrit.
Ce projet de loi privilégie une approche qui est dangereuse pour tous les crimes graves, comme les meurtres au premier degré et au second degré, car il permet de donner aux juges les plus laxistes la liberté d’outrepasser les peines minimales pour des peines inférieures à 10 ans ou à 25 ans.
D’ailleurs, c’est un élément surprenant du projet de loi, car dans l’arrêt R c. Luxton, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la peine concernant le meurtre au premier degré en disant ce qui suit, et je cite :
Ces dispositions prescrivent une peine pour le crime le plus grave de notre droit criminel, celui de meurtre au premier degré. C’est un crime qui comporte le niveau le plus élevé de culpabilité morale, à savoir la prévision subjective de la mort. La peine est sévère, et ce, à bon droit. L’obligation de purger au moins 25 années de la peine avant toute possibilité de libération conditionnelle traduit la réprobation par la société d’une personne qui a exploité une situation de pouvoir et de domination jusqu’à la limite la plus extrême en tuant la personne qu’elle séquestrait. La peine n’est pas excessive et ne constitue manifestement pas une atteinte à nos normes de décence.
Prenons le cas de Marylène Levesque, qui a ébranlé le Québec en 2020. Le meurtrier, qui avait été condamné une première fois pour le meurtre de sa femme, Chantale Deschênes, a échappé à la surveillance du Service correctionnel du Canada et a assassiné une deuxième femme, Marylène Levesque.
Le meurtrier, qui avait massacré sa première femme à coups de couteau, avait réussi à berner le tribunal en se faisant condamner pour meurtre au second degré, en clamant que son meurtre était non intentionnel et que c’était sa femme qui était responsable de tout, car elle avait d’abord tenté de l’attaquer avec un marteau. Une peine minimale aurait permis d’éloigner cet assassin de nos rues pour un bon nombre d’années.
Malheureusement, à cause de la négligence du SCC — laquelle avait déjà était dénoncée par le rapport du vérificateur général en 2018 —, le meurtrier s’est retrouvé en semi-liberté et il a massacré une jeune femme de 22 ans, Marylène Levesque, avec 30 coups de couteau. Dans cette sordide affaire, l’enquêteur Guy Carrier a réussi à faire admettre à l’assassin que le meurtre était prémédité. Une peine minimale de 25 ans de prison est prévue pour s’assurer que ce monstre est écarté de la société pour longtemps.
La question que je me pose, naturellement, est la suivante : si ce projet de loi avait été en vigueur au moment de ces affaires, comment auraient-elles été jugées, avec un homme aussi manipulateur qu’Eustachio Gallese?
Le projet de loi exige que le juge considère toutes les autres options possibles avant d’imposer une peine minimale, ce qui transformerait les peines minimales obligatoires en peines de dernier recours.
Ce projet de loi est un terrible danger pour la population canadienne, car il donne la possibilité à ces délinquants de sortir beaucoup plus rapidement des prisons ou des pénitenciers. Des hommes comme Gallese ne peuvent pas être réhabilités aussi facilement que vous le croyez.
D’après le rapport du directeur parlementaire du budget sur le projet de loi précédent, le projet de loi S-207, 3 % des personnes condamnées pour meurtre ne recevront pas de peines d’emprisonnement à perpétuité, mais plutôt des peines à durée déterminée, ce qui représente, à terme, 100 délinquants de moins dans les pénitenciers. Nous savons que les personnes qui reçoivent des peines à durée déterminée sont libérées d’office après qu’elles ont purgé les deux tiers de leur peine, en vertu de l’article 127 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. On a appris également que 87 délinquants condamnés pour meurtre purgeront leur peine dans la collectivité.
Par exemple, en 2017, dans Lanaudière, au Québec, un homme de 78 ans a assassiné sa conjointe. Il l’a enfermée dans le coffre de sa voiture et il a délibérément percuté un camion. Cet accident a enflammé la voiture et asphyxié sa conjointe, qui n’a pas survécu. Il a été condamné à une peine tout à fait insuffisante de six ans et neuf mois de détention. Il est donc en semi-liberté, car il a purgé la moitié de sa peine, et les commissaires aux libérations conditionnelles jugent que son taux de récidive est faible.
Pourtant, un des commissaires a déclaré ce qui suit au sujet du comportement de cet homme, et je cite :
Votre capacité à reconnaître votre entière responsabilité est déficiente. Vous avez mis beaucoup l’emphase sur la consommation d’alcool de la victime, et c’est inapproprié.
Le fils de la victime a déclaré ce qui suit dans La Presse, et je cite :
Qu’est-ce qu’on veut des services correctionnels? Qu’ils réhabilitent vraiment les gens, ou simplement les libérer le plus vite possible?
C’est une affaire grave, chers collègues, car cet homme a provoqué la mort d’une personne. Il a été libéré sans vraiment reconnaître sa responsabilité.
J’estime que le projet de loi S-213 aura pour conséquence de multiplier ce type d’injustices et de peines incompréhensibles. Ce n’est pas ce que nous voulons pour assurer la sécurité des Canadiens et des Canadiennes, et ce n’est pas ce que nous voulons pour montrer du respect aux victimes.
J’aimerais revenir sur le rapport du vérificateur général de 2018, qui s’intitule La surveillance dans la collectivité. Quand on lit ses constatations, on remarque qu’il y a un vrai problème en ce qui a trait aux places en hébergement lorsque les délinquants font leur réinsertion dans la société. Le SCC n’a pas de programme à long terme pour traiter la demande croissante de libérations. Nous avons déjà des problèmes en matière de surcharge de travail pour les agents et agentes de libérations conditionnelles du Canada. L’affaire Gallese a montré ces failles. Je suis très préoccupé par tout cela, car le projet de loi S-213 risque d’accélérer le processus de libérations, et donc d’aggraver la situation. L’engorgement de notre processus de libérations amènera forcément plus de risques pour ce qui est de l’évaluation, de la réinsertion et de la surveillance. On veut donc assouplir le système sans pour autant l’adapter à ces réalités.
Le pénitencier — ou la prison — n’est peut-être pas la meilleure des solutions, selon votre perception de la justice. Cependant, encore aujourd’hui, ces institutions permettent à la société de protéger ses membres en mettant à l’écart des personnes dangereuses. Dans bien des cas, cela permet d’éviter que de nouveaux drames se produisent. Mieux encore, le système correctionnel permet aux délinquants de faire une pause dans leur parcours criminogène et de travailler sur leurs comportements déviants.
Le rôle des tribunaux est d’administrer la justice. Ils exécutent les règles de justice, conformément à la structure juridique et constitutionnelle. Ce pouvoir judiciaire est indépendant, mais il a la responsabilité d’interpréter les lois adoptées par le pouvoir législatif. Nous sommes le pouvoir législatif et nous représentons la population canadienne dans son ensemble. Sur ce principe, notre responsabilité n’est pas de chercher à donner davantage de pouvoir discrétionnaire aux juges, mais plutôt de nous assurer que les Canadiens sont protégés adéquatement des criminels. Les peines minimales sont importantes, car elles remplissent cet objectif. J’aimerais citer un passage de ce qu’a dit le ministère de la Justice à ce sujet, et je cite :
Il peut s’agir, pour les politiques qui décident de leur adoption, de réagir au fait que la population perçoive ces types de crimes (ou ces catégories de délinquants) comme étant particulièrement choquants ou impardonnables.
Les juges ne peuvent pas décider, à eux seuls, de la détermination de la peine. C’est à nous, législateurs, de fixer des balises et d’instaurer des règles pour mieux les outiller. Le Code criminel ne peut pas se « désincarner » de la réprobation populaire, qui exige que certains crimes soient punis plus sévèrement.
Votre philosophie, madame la sénatrice, se heurte à la réalité; le juge a un certain pouvoir, mais il n’a pas un pouvoir absolu.
Selon le ministère de la Justice, et je cite :
Ce pouvoir discrétionnaire n’est toutefois pas absolu et ne saurait être exercé de manière fantaisiste; son exercice est au contraire encadré, et son titulaire doit tenir compte de la jurisprudence, des faits de l’espèce et des lois existantes en matière de détermination de la peine.
Dans votre volonté de supprimer les peines minimales obligatoires, vous vous heurtez à un autre problème. En conférant un plus grand pouvoir aux juges, vous allez accroître les inégalités de peines entre des délinquants qui ont commis le même crime dans des circonstances semblables.
(1740)
Vous devez considérer qu’en l’absence de peine minimale le jugement peut différer d’un juge à l’autre et que cette différence peut être influencée par des éléments extérieurs ou des considérations autres que les arguments du débat judiciaire. Cela aura pour conséquence de déconsidérer l’administration de la justice aux yeux des familles des victimes et de la population.
Un juge doit toujours naviguer avec prudence entre son indépendance et son impartialité. Ce sont deux éléments où l’équilibre est très fragile. Les juges ne peuvent être considérés comme des individus qui détiennent la vérité absolue. Ce sont des êtres humains qui, comme tout le monde, ont leurs propres contradictions. Le débat sur l’impartialité des juges ne date pas d’hier. Il est d’ailleurs très difficile de trouver des réponses à ces questions. Il faudrait analyser toutes les décisions qu’un juge a prises dans sa carrière pour connaître son degré d’impartialité.
Luc Bégin, de l’Université Laval, dans une analyse qu’il a effectuée en 1997, a reconnu que les juges procèdent à une analyse morale des droits. Toutefois, les contraintes structurelles autres que celles qui ont été décrites par le philosophe Dworkin peuvent être susceptibles de garantir l’impartialité des juges.
Avec votre projet de loi sur la dénonciation du racisme systémique et sur la discrimination des communautés, c’est l’inverse qui peut se produire. Il y a toujours des risques que le jugement puisse être biaisé par des considérations autres que le débat judiciaire, ce qui ouvre la porte à un risque de discrimination envers les personnes que vous défendez.
C’est la deuxième contradiction que je relève dans le projet de loi S-213. Les juges, depuis l’arrêt Gladue de 1999, ont toute la latitude requise quand il est temps de juger une personne issue des communautés autochtones. Cet arrêt, et vous le savez, exige du magistrat qu’il tienne compte de la culture d’origine de l’accusé.
D’ailleurs, la sénatrice Jaffer a donné l’impression, dans son discours, que son projet de loi représente une réponse à la demande des communautés autochtones, noires et handicapées.
Je crois qu’il y a des familles issues des communautés autochtones, noires ou handicapées qui subissent des crimes graves et qui souhaitent que les criminels soient jugés par les tribunaux et écartés de leur communauté.
Voilà pourquoi les peines minimales sont nécessaires : elles mettent tout le monde sur un pied d’égalité et elles évitent de faire de la discrimination. Si des personnes sont jugées coupables de meurtre alors qu’elles étaient en situation de légitime défense, c’est la procédure judiciaire qu’il faut réformer au lieu de la sentence. Les peines minimales obligatoires permettent d’indiquer au système judiciaire le degré de la sentence qui devrait s’appliquer au type de crime qui a été commis.
Je conviens tout à fait que la société doit trouver des solutions à la fois économiques et sociales pour empêcher les délinquants potentiels de commettre des infractions ou des crimes. Je suis bien conscient que notre société n’est pas parfaite. Certains milieux favorisent la délinquance, comme les quartiers défavorisés, les gangs de rue, la toxicomanie ou les enfances malheureuses.
Honorables sénatrices et sénateurs, ce projet de loi ne prend pas en considération le point de vue des victimes. Il prend plutôt en considération, une fois de plus, le point de vue des délinquants et des criminels. Il victimise les détenus et culpabilise notre système de justice.
Dans les discours qui ont été prononcés pour appuyer ce projet de loi, j’ai entendu beaucoup d’arguments sur les difficultés éprouvées par les délinquants et leurs familles, et j’entends souvent dire que les délinquants qui ont été déclarés coupables de meurtre sont, la plupart du temps, prêts à donner leur vie pour ramener à la vie la personne qui est décédée.
Personne ne me rendra ma fille. Personne ne pourra effacer la souffrance qu’elle a vécue. Chaque jour, comme de nombreuses familles, je dois vivre avec l’image de sa fin de vie brutale. Ma mission, maintenant, c’est de m’assurer que son meurtrier, quand il sortira de prison, ne fasse pas subir le même sort à une autre victime que celui qu’a subi ma Julie et qu’il ne fasse pas vivre à une autre famille ce que ma famille a vécu.
Pour la sénatrice Pate, dont je reconnais les efforts incessants en vue de rendre notre Code criminel plus souple face à la criminalité, la conception d’un système de justice équitable est-elle que l’on doit permettre à des récidivistes de crimes commis contres des enfants, des femmes ou des personnes âgées d’être condamnés à des peines inférieures à celles prévues par les peines minimales?
D’ailleurs, je suis assez consterné par le fait qu’aucun de ses discours n’a évoqué les victimes d’actes criminels.
Le sénateur Wetston, qui a rapporté les propos du professeur Kent Roach sur les peines minimales, en a donné une parfaite illustration parfaite. Je le cite :
[...] elles ne se penchent pas sur la question de savoir si les délinquants vivent dans une pauvreté abjecte, ont des déficiences intellectuelles ou des problèmes de santé mentale, ont été victimes de racisme et de violence ou ont des enfants qui comptent sur eux.
Je voudrais vous rappeler que, dans les affaires de meurtres, les familles des victimes sont détruites à jamais. Trop souvent, on ignore les dégâts collatéraux chez les proches, ce dont la télévision ne parle pas : perte d’emploi, dépression, taux de suicide élevé chez les pères, décrochage scolaire, divorce, mais surtout, on ne dit pas que bien des familles ne s’en relèvent jamais.
Les victimes qui ont survécu à des tentatives de meurtre ou à des agressions sexuelles peuvent subir des séquelles toute leur vie et peuvent développer de graves pathologies.
En ce qui a trait à la violence conjugale, d’après les statistiques, ce fléau représente le tiers des crimes violents commis et déclarés par la police. Les chiffres ne représentent pas tout à fait la réalité, car beaucoup de femmes n’osent pas dénoncer leur conjoint par peur de représailles. D’après les données recueillies en 2021, durant la pandémie, derrière chaque féminicide, 3 000 femmes vivent dans la peur de dénoncer leur agresseur. Je suis d’avis que l’un des éléments problématiques de ce système de justice est justement le manque de garanties en ce qui a trait à la protection dont les victimes de violence conjugale ont besoin pour dénoncer les agresseurs. Ce projet de loi va encore aggraver ce sentiment, car il ne garantit pas de peine minimale pour les tentatives de meurtre, les agressions sexuelles et les homicides.
On va éloigner encore plus les victimes du système de justice et on va dissuader beaucoup de victimes de porter plainte. En effet, ces femmes prennent souvent énormément de risques quand elles dénoncent leur agresseur. Pour plusieurs, cela signifie qu’elles signent leur arrêt de mort. Pour être en mesure de faire ce pas, elles ont besoin d’avoir l’assurance qu’elles seront en sécurité et protégées et que leur agresseur sera éloigné d’elles. Pourtant, on leur envoie un signal selon lequel, nous, législateurs, avons décidé d’assouplir les peines, ce qui altérera leur confiance à notre égard. Par conséquent, la vie de nombreuses femmes sera automatiquement menacée.
Ce projet de loi vise à discréditer les peines minimales obligatoires et même à les diaboliser. Pourtant, les peines minimales obligatoires ne sont pas une question idéologique. Les gouvernements libéraux et conservateurs précédents ont choisi de les augmenter, car ils ont jugé qu’elles étaient efficaces et qu’elles s’adaptaient bien à la réalité de la criminalité. Ce n’est pas un débat soulevé par les conservateurs, mais bien un débat que les libéraux et les conservateurs tiennent depuis très longtemps. D’ailleurs, je réfute les soi-disant sondages ou études faisant croire que les Canadiens sont contre les peines minimales obligatoires et qu’ils les trouvent injustes. Les scénarios qui ont été proposés dans ces études montraient des exemples extrêmes qui ne sont pas représentatifs des crimes commis au Canada.
Plusieurs exemples ont été cités dans le discours que la sénatrice Pate a prononcé en 2018 sur l’importance des peines minimales. J’aimerais vous en citer quelques-uns :
En 1988, par exemple, Gordon Stuckless, un ancien préposé à l’équipement au Maple Leaf Gardens, a plaidé coupable à 24 chefs d’accusation de grossière indécence et d’agression sexuelle. Il agressait sexuellement de jeunes garçons au Maple Leaf Gardens depuis des années. Quelle peine lui a-t-on imposée? Deux ans moins un jour.
Quatre jours après le prononcé de la sentence de Stuckless, Martin Kruze, une de ses victimes, s’est suicidé. Le crime a fait une victime, et la peine aussi. Bien que, plus tard, la peine de Stuckless ait été portée à cinq ans par la Cour d’appel de l’Ontario, cela reste vraiment trop peu.
Il y a ensuite eu le cas de Graham James en 1997. Il a plaidé coupable à deux chefs d’accusation d’agression sexuelle impliquant plus de 350 actes posés sur deux joueurs mineurs sur une période de 10 ans. Il a reçu une peine d’emprisonnement de seulement trois ans et demi.
En 2010, de nouvelles accusations ont été portées contre M. James pour des agressions sexuelles commises sur deux autres joueurs. Il a plaidé coupable et il a reçu une peine de deux ans pour chaque chef d’accusation, mais il a pu les purger concurremment.
À l’époque, les juristes ont souligné que de telles peines légères n’étaient pas inhabituelles. Ils ont cité le cas d’un homme de Terre-Neuve qui a reçu une peine d’emprisonnement de trois ans en 2012 pour avoir violé et agressé sexuellement sa nièce de 11 ans sur une période de six ans. La même année, un homme de la Saskatchewan a été condamné à une peine de 18 mois pour le viol de sa belle-fille.
Chers collègues, bien entendu, je ne suis pas indifférent aux arguments concernant la détention des femmes autochtones. Je suis bien conscient que c’est un sujet majeur et préoccupant. Je suis prêt à m’asseoir avec la sénatrice Pate ou avec la sénatrice Jaffer pour que nous puissions trouver des solutions constructives à ce problème.
(1750)
Je suis ouvert au dialogue et aux solutions. Je crois que la sénatrice Pate soulève un problème légitime, mais je ne crois pas que la solution qu’apporte son projet de loi soit appropriée. Cependant, il est pour moi inconcevable que ce projet de loi puisse franchir les différentes étapes du processus parlementaire. L’abolition pure et simple des peines minimales est un danger pour la sécurité publique et un affront pour les victimes d’actes criminels.
Chers collègues, en toute honnêteté, je m’oppose fortement au renvoi de ce projet de loi en comité et j’exhorte cette Chambre, au nom des victimes, à rejeter ce projet de loi. Merci.
[Traduction]
L’honorable Kim Pate : Le sénateur Boisvenu accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Boisvenu : Certainement.
La sénatrice Pate : Merci, sénateur Boisvenu, tant pour votre discours que pour vos idées. J’aimerais beaucoup travailler avec vous sur ce genre d’initiative et j’en serais ravie. Je suis toutefois troublée par l’idée que vous avancez. Comme vous le savez, un grand nombre d’entre nous, dans cette Chambre, ont également des membres de leur famille qui ont été assassinés, agressés sexuellement et victimisés et nous savons que les organisations policières, les groupes de femmes et les groupes de victimes remettent en question les peines minimales obligatoires, surtout lorsqu’il s’agit des problèmes que vous avez abordés à la fin de votre discours, à savoir ceux des femmes autochtones. C’est d’ailleurs, entre autres, pour cette raison que c’est l’une des recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones, de la Commission de vérité et réconciliation et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Je suis troublée par votre idée selon laquelle le projet de loi abrogerait en fait les peines minimales obligatoires. En réalité, c’est tout le contraire. Vous soulignez l’importance de l’article 718.2(e), plus particulièrement pour les détenus racialisés et, surtout, pour les femmes autochtones. Pourtant, cela correspond précisément à l’effet, à l’importance et au rôle du projet de loi. Il s’agirait de permettre, dans des cas exceptionnels, ces peines minimales obligatoires que les tribunaux ont déjà contestées, y compris la Cour suprême du Canada, lorsqu’elle a statué, dans l’affaire R. c. Luxton, qu’en ce qui concerne la peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre, la seule raison pour laquelle elle n’a pas été jugée inconstitutionnelle est l’existence d’une « disposition de la dernière chance », qui n’existe plus.
Conviendriez-vous que vous avez peut-être exagéré un peu le fait que ce projet de loi abrogera les peines minimales obligatoires? En fait, il ne fera rien de la sorte. Dans des cas exceptionnels comme ceux dont certains d’entre nous ont discuté au Sénat, le projet de loi pourrait offrir aux juges l’occasion d’expliquer pourquoi ils ne recourent pas à la peine minimale obligatoire.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup de votre question, sénatrice Pate. En ce qui concerne tout le dossier autochtone, j’ai eu l’occasion de réviser des jugements de cours, et plusieurs juges se sont servis des directives de la Cour suprême pour reconnaître la spécificité culturelle au moment d’imposer des peines ou d’obtenir des jugements qui sont plus favorables aux communautés autochtones. Ce sont des gens qui vivent dans des situations très particulières. Dans le contexte de mon projet de loi, j’ai eu l’occasion d’en discuter avec plusieurs membres de communautés autochtones, aussi bien au Québec qu’à l’extérieur de la province. La pauvreté et la violence chez les Autochtones représentent un enjeu beaucoup plus social qu’un enjeu strictement lié au Code criminel.
Pour ce qui est de votre projet de loi, évidemment, nous n’avons pas la même perception. Je crois que vous empruntez une avenue déviante pour arriver à vos fins et faire en sorte que les juges aient tous le choix d’imposer les peines qu’ils veulent plutôt que d’être obligés, dans certains cas, d’imposer des peines minimales. La Cour suprême autorise déjà les juges, dans des cas exceptionnels, à ne pas imposer de peines minimales lorsqu’ils sont en mesure de justifier leur décision.
Malheureusement, cette semaine, quand j’ai eu des discussions avec des avocats de la Couronne, j’ai constaté que même les juges n’ont pas toute l’information sur les décisions que la Cour suprême a rendues historiquement. Lorsqu’on regarde en arrière, il y a 5, 10 ou 15 ans, on est surpris de découvrir que certaines des directives émises par la Cour suprême n’ont pas été appliquées.
Ce que je dis, c’est que votre projet de loi adopte une approche qui, à mon avis, fait dévier le débat, parce qu’actuellement, les peines minimales qui sont imposées par les juges peuvent, dans certains cas exceptionnels, ne pas être appliquées. Pourquoi les abolir ou changer le régime? Si vous me dites que ce projet de loi n’abolit pas les peines minimales, pourquoi le déposer, si les juges ont déjà la possibilité, conformément à la directive de la Cour suprême, de les appliquer ou non, s’ils peuvent en justifier la non‑application?
[Traduction]
La sénatrice Pate : Peut-être pourriez-vous me montrer exactement où se trouve cette disposition. Je sais que vous avez donné lecture d’une partie d’une décision, mais elle portait sur une peine minimale obligatoire que les juges n’étaient pas tenus d’appliquer. Une des difficultés est qu’il y a maintenant au moins 43 décisions des tribunaux qui invalident des dispositions qui prévoient une peine minimale obligatoire. Nous avons maintenant une application disparate au Canada, où la loi s’applique à certains endroits, mais pas à d’autres. En fait, aucune décision ne dit que les juges ne sont pas obligés d’appliquer les peines minimales obligatoires, d’où la nécessité d’adopter le projet de loi de la sénatrice Jaffer. N’êtes-vous pas d’accord?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vais faire une remarque. Retournons à mon discours, et plus spécifiquement à l’arrêt que j’ai cité, soit l’arrêt de la Cour suprême qui permet au juge de ne pas appliquer la peine minimale dans la mesure où le juge peut justifier sa décision.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Renvoi au comité
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)
Projet de loi sur la protection des établissements d’enseignement postsecondaire contre la faillite
Deuxième lecture—Débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moncion, appuyée par l’honorable sénateur Dean, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire.
L’honorable Bernadette Clement : Honorables sénateurs, il y a plusieurs décennies, j’ai pu faire un choix qui allait avoir un impact sur le reste de ma vie : j’ai choisi d’étudier en français à l’Université d’Ottawa. Ayant grandi à Montréal et parlant couramment les deux langues officielles, j’ai pu étudier le droit en français, ce qui m’a permis de servir des clients vulnérables dans les deux langues. Tout ceci m’a permis de m’enraciner dans la vibrante ville de Cornwall, ce qui a solidifié mon identité d’avocate bilingue de l’aide juridique et de fière Franco-Ontarienne.
J’interviens aujourd’hui en faveur du projet de loi S-215, mais au-delà de cela, je veux souligner l’importance de l’éducation postsecondaire en français. Les établissements de ce secteur doivent être financés équitablement, compte tenu de l’importance du service qu’ils fournissent. En temps de crise, ils doivent être soutenus par tous les ordres de gouvernement, qui doivent collaborer entre eux pour trouver des solutions et une voie à suivre.
J’appuie le projet de loi S-215 parce que je veux que plusieurs générations d’étudiants canadiens aient la même chance que moi : choisir une éducation de qualité, dispensée par un établissement financièrement stable qui inspire confiance, et dans la langue officielle de leur choix.
(1800)
[Traduction]
L’histoire des langues au Canada est riche et complexe; il s’y parle plus de 70 langues autochtones. Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation contient huit appels à l’action qui concernent les langues autochtones. Le gouvernement du Canada doit faire une priorité de son engagement à tenir ces promesses.
L’enseignement postsecondaire peut jouer un rôle de premier plan dans la préservation des langues autochtones, mais ces établissements doivent...
Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénatrice Clement, mais je dois vous interrompre.
Comme il est maintenant 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil et suspendre la séance pendant une heure, à moins que le Sénat souhaite faire abstraction de l’heure.
Si vous voulez suspendre la séance pendant une heure, veuillez dire « suspendre ».
Le sénateur Plett : Suspendre.
Son Honneur le Président : Nous allons suspendre la séance pendant une heure.
À notre retour, sénatrice Clement, vous disposerez du reste de votre temps de parole. Merci.
(La séance du Sénat est suspendue.)
[Français]
(Le Sénat reprend sa séance.)
(1900)
Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moncion, appuyée par l’honorable sénateur Dean, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire.
L’honorable Bernadette Clement : Ayant grandi à Montréal et parlant couramment les deux langues officielles, j’ai pu étudier le droit en français, ce qui m’a permis de servir des clients vulnérables dans les deux langues.
Cette capacité m’a aussi permis de m’enraciner dans la vibrante ville de Cornwall, ce qui a solidifié mon identité d’avocate bilingue de l’aide juridique et de fière Franco-Ontarienne.
J’interviens aujourd’hui en faveur du projet de loi S-215, mais au-delà de cela, je veux souligner l’importance de l’éducation postsecondaire en français. Les établissements de ce secteur doivent être financés équitablement, compte tenu de l’importance du service qu’ils fournissent. En temps de crise, ils doivent être soutenus par tous les ordres de gouvernement, qui doivent collaborer entre eux pour trouver des solutions et une voie à suivre.
J’appuie le projet de loi S-215 parce que je veux que plusieurs générations d’étudiants canadiens aient la même chance que moi : choisir une éducation de qualité, dispensée par un établissement financièrement stable qui inspire confiance, et dans la langue officielle de leur choix.
[Traduction]
L’histoire linguistique de notre pays est riche et complexe, car on parle plus de 70 langues autochtones au Canada. Huit appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation portent sur les langues autochtones. Le gouvernement du Canada doit accorder la priorité au respect des promesses qu’il a faites à leur égard.
L’enseignement postsecondaire peut jouer un rôle de premier plan dans la préservation des langues autochtones, mais il faut pour cela assurer le financement durable des établissements concernés. La crise financière de l’Université Laurentienne et la restructuration qui en a découlé ont affaibli son mandat triculturel, ce qui a eu des effets négatifs sur les étudiants et les langues autochtones.
Dans un esprit de réconciliation, nous devons garder en tête les engagements linguistiques du Canada en examinant ce projet de loi. Le projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire, a deux objectifs.
Premièrement, il retire les universités subventionnées par l’État de la liste des compagnies qui peuvent recourir à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et de la liste des sociétés qui peuvent recourir à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
Deuxièmement, il charge un ministre fédéral de trouver des solutions. Celui-ci doit notamment tenir des consultations et faire rapport au Parlement en proposant des initiatives fédérales visant à réduire le risque qu’un établissement d’enseignement postsecondaire fasse faillite ou devienne insolvable, à protéger les étudiants, les employés et les professeurs lorsqu’un établissement fait faillite ou devient insolvable, et à appuyer les communautés qui seraient touchées par une situation aussi désastreuse.
[Français]
Je tiens à saluer ma collègue la sénatrice Moncion qui a déposé ce projet de loi. Nous convenons que les établissements postsecondaires jouent un rôle essentiel pour maintenir la santé économique, culturelle et sociale de leur région. En effet, les communautés francophones — en fait, toutes les communautés — bénéficient de la présence de ces établissements, qui sont source de dynamisme, de développement et d’inspiration. Lorsque l’université s’épanouit, la communauté le peut aussi, et il semble que le gouvernement fédéral le comprenne également. Le projet de loi C-13, qui vise à modifier la Loi sur les langues officielles, a été déposé à l’autre endroit et il indique très clairement que le gouvernement du Canada :
[…] s’est engagé à protéger et à promouvoir le français, reconnaissant que cette langue est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais;
[Traduction]
Le projet de loi C-13 affirme également ce qui suit :
Le gouvernement fédéral s’engage à renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité dans leur propre langue tout au long de leur vie, notamment depuis la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires.
C’est donc la première question que je me suis posée quand j’ai examiné le projet de loi S-215 : quel est le rôle du gouvernement fédéral dans cette compétence provinciale? La réponse est la suivante : en plus de ses obligations concernant les langues officielles, le gouvernement fédéral apporte aussi une contribution en versant des paiements de transfert aux provinces.
La seconde question est plus compliquée. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il apporter son aide? Un responsable d’un collège ontarien a avancé que, quand les établissements postsecondaires ont des problèmes, il revient aux gouvernements provincial et fédéral de trouver des solutions ensemble.
[Français]
Une autre responsable à qui j’ai parlé, Mme Lise Bourgeois, la présidente-directrice générale innovatrice et dynamique du collège La Cité, a expliqué que les collèges pourraient être moins susceptibles de connaître une crise financière, car ils sont confrontés à des exigences provinciales strictes en matière de rapports financiers et de conformité. Bien qu’ils aient moins d’autonomie, les collèges sont encore agiles et sont des outils essentiels au développement d’une main-d’œuvre qui reflète les besoins du Canada.
[Traduction]
Cela dit, le financement des collèges et des universités francophones n’est pas aussi stable qu’il devrait l’être. Le financement de base du Programme des langues officielles en enseignement n’a pas été augmenté depuis des années, malgré la hausse des inscriptions.
L’enseignement en français a tendance à être plus coûteux, car il y a moins de collèges dans le secteur francophone pour collaborer à l’élaboration de programmes d’études et pour tirer profit des économies d’échelle. Les collèges francophones doivent aussi financer des programmes de recrutement intensifs pour attirer les étudiants qui ont le choix d’étudier dans l’une ou l’autre des langues.
[Français]
Le projet de loi S-215 demande au gouvernement fédéral d’assurer la stabilité financière de tous les établissements d’enseignement postsecondaire au Canada.
Le projet de loi est une tentative de répondre non seulement à la récente crise de l’Université Laurentienne, mais à la possibilité très réelle que d’autres institutions soient confrontées à une crise financière qui leur est propre. Encore une fois, l’objectif est de protéger les étudiants, les facultés, le personnel et les communautés.
Le 13 avril, la vérificatrice générale de l’Ontario a publié un point de vue préliminaire sur l’Université Laurentienne. Le Comité permanent des comptes publics de la province a fait une demande d’examen pour déterminer ce qui a mené l’institution à avoir recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ou la LACC. Le rapport note que la Laurentienne a été la première université publique au Canada à utiliser un processus juridique conçu comme un dernier recours pour les entités du secteur privé, et l’incidence pourrait être importante :
En raison du recours à la procédure prévue par la LACC, il pourrait être plus difficile pour d’autres universités de contracter un emprunt ou d’embaucher et de maintenir en poste des membres du corps professoral.
Si nous choisissons de négliger la façon dont le projet de loi S-215 peut aider à résoudre ce problème, envisagez l’alternative : une autre institution fait face à une crise, elle coupe des programmes, moins d’étudiants canadiens et internationaux la fréquentent, et la communauté est privée du potentiel qu’apporte cette institution.
[Traduction]
Je vais me concentrer sur les étudiants étrangers en tant qu’exemple.
En 2021, Statistique Canada a publié un rapport sur les répercussions financières projetées de la pandémie sur les universités canadiennes. Avec l’augmentation des coûts, les universités dépendent de plus en plus des frais de scolarité. Le rapport indique que les frais des étudiants étrangers sont plus élevés et qu’ils montent plus rapidement que ceux des étudiants canadiens.
La COVID-19 a eu des répercussions sur le nombre d’étudiants étrangers inscrits dans des universités canadiennes.
Statistique Canada, en tenant compte de la variation des taux d’inscriptions et des fonds pour le financement de la recherche, a estimé que les universités canadiennes pourraient perdre de 438 millions de dollars à 2,5 milliards de dollars des revenus projetés pour 2020-2021.
(1910)
N’oublions pas que les étudiants étrangers ne sont pas qu’une source de revenus. S’ils choisissent de rester et qu’ils le peuvent, ils contribuent au renouvellement et à la vitalité de notre pays, bien sûr, mais aussi des communautés linguistiques minoritaires. Nous en parlons en ce moment au Comité des langues officielles, plus particulièrement dans le cadre de notre étude de l’immigration francophone dans ces communautés.
Plus important encore, le financement des universités ne peut pas s’appuyer seulement sur les frais de scolarité. Elles doivent pouvoir résister aux variations du nombre d’inscriptions ou aux crises internationales comme la pandémie de COVID-19. Les étudiants actuels et potentiels devraient pouvoir avoir confiance dans la stabilité de ces établissements. Est-ce le cas actuellement? Le statu quo est-il viable? Est-ce le mieux que nous pouvons faire?
[Français]
L’Unité des services en français du Bureau de l’ombudsman de l’Ontario a enquêté sur des plaintes concernant des coupures dans les programmes en français à l’Université Laurentienne. En mars de cette année, le bureau a publié ses conclusions et ses recommandations. Le rapport indique ce qui suit :
Plusieurs des plaignant(e)s étaient des étudiant(e)s à l’université, située à Sudbury, qui n’avaient pas eu d’autre choix que de déménager ou de poursuivre leurs études en anglais. Certain(e)s, comme celles et ceux du programme de sage-femme, ont souligné que l’élimination de leur programme aurait également des répercussions sur l’ensemble de la communauté franco-ontarienne – par exemple, aucune autre école de la province ne forme les sages-femmes en français.
Il est clair que l’accès stable à l’éducation postsecondaire en français mérite notre attention immédiate et des actions décisives. Le projet de loi S-215 devrait être renvoyé au Comité sénatorial permanent des langues officielles, où nous pourrions étudier comment le gouvernement fédéral peut soutenir des universités comme l’Université Laurentienne.
Comme l’a dit ma collègue la sénatrice Moncion, et je cite :
La transparence et la reddition de comptes font partie des solutions qui peuvent aider de manière considérable la viabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire, et le gouvernement fédéral est très au courant de cet enjeu. Il y a moyen pour le gouvernement de respecter la compétence des provinces, tout en s’assurant que ses investissements en faveur de la francophonie se rendent à bon port, conformément à ses obligations constitutionnelles.
[Traduction]
Il y a une voie à suivre. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer. Il existe des solutions pour assurer la pérennité des universités et collèges canadiens. Comme la sénatrice Moncion, j’ai bénéficié d’une éducation stable et de qualité dans la langue de mon choix, une langue qui a été vitale pour ma vie quotidienne et qui m’a soutenue dans certains moments où j’étais le plus vulnérable.
L’éducation en français est la porte d’entrée vers une vie pleinement vécue en français. Elle a besoin de nos soins et de notre attention, et pas seulement de la part des francophones. La francophonie est un atout pour tous les Canadiens, et nous avons tous comme responsabilité de l’aider non seulement à survivre, mais à s’épanouir. Merci.
Des voix : Bravo!
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
La Loi constitutionnelle de 1867
La Loi sur le Parlement du Canada
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
À l’appel des autres affaires, projets de loi d’intérêt public du Sénat, deuxième lecture, article no 12, par l’honorable Terry M. Mercer :
Deuxième lecture du projet de loi S-226, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi sur le Parlement du Canada (présidence du Sénat).
L’honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, je remarque que cet article en est au 15e jour, et j’ai l’intention de prendre la parole à ce sujet. Par conséquent, avec le consentement du Sénat, je demande que l’étude de cet article soit reportée à la prochaine séance.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
(Le débat est reporté à la prochaine séance du Sénat.)
Projet de loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant
Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénateur Dean, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-233, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant.
L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, avant de commencer mon discours sur le projet de loi S-233, permettez-moi d’exprimer ma grande admiration pour le travail de la sénatrice Pate sur le système pénal et sa ténacité à promouvoir un programme de revenu de base garanti sans condition. Je partage son désir de voir la fin de la pauvreté. Je reconnais, comme elle et d’autres l’ont souligné, que recevoir un revenu de base stable a des effets positifs sur la santé physique et mentale de chaque personne.
Cependant, il est possible d’obtenir les mêmes résultats avec des politiques publiques moins coûteuses, plus équitables et plus socialement acceptables que la politique proposée dans le projet de loi S-233.
Même si j’ai beaucoup d’estime pour la sénatrice Pate, les problèmes socioéconomiques soulevés par le projet de loi S-233 sont si importants pour moi que je ne peux pas appuyer le projet de loi.
[Français]
Le projet de loi S-233 propose d’obliger la ministre des Finances à élaborer un cadre national pour mettre en œuvre un revenu de base qui garantit inconditionnellement un revenu suffisant pour vivre à tous les citoyens canadiens de plus de 17 ans ainsi qu’aux résidants permanents, aux réfugiés et aux travailleurs temporaires.
Rappelons brièvement qu’à travers l’histoire, quelques philosophes et certains économistes ont promu l’idée d’un revenu inconditionnel de base garanti, ou RBG. Le plus souvent, ils ont été qualifiés d’utopistes par leurs pairs.
Au début des années 1960, l’économiste de droite Milton Friedman a redonné vie à l’idée d’un RBG quand il a proposé un impôt négatif dans son ouvrage célèbre Capitalisme et liberté. Il visait justement à réduire le rôle de l’État et à privatiser les programmes sociaux. Depuis, certains groupes de droite et de gauche en font néanmoins l’éloge.
Dans la plupart des pays industrialisés, le système de protection sociale que l’on connaît s’est développé autour des concepts de mutualisation, de réciprocité et d’inclusion sociale. Il s’appuie sur la participation au marché du travail, les assurances sociales, les allocations de revenus ciblés et l’aide sociale pour toutes les personnes dans le besoin. Ce système est perfectible. Malheureusement, il est incompatible avec un système fondé sur un revenu de base garanti inconditionnel et suffisant, comme le prévoit le projet de loi S-233.
Comme le démontrent plusieurs études, cette idée manque de réalisme économique et est discutable sur le plan de l’équité et de son acceptabilité sociale.
Pourquoi un RBG est-il irréaliste sur le plan économique? C’est simple : c’est parce que les coûts d’un revenu de base garanti suffisant sont prohibitifs. Il vise à aider un peu plus de 11 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté en distribuant à 100 % des adultes un revenu de base. Pour financer un tel système, il faudra revoir complètement la fiscalité du revenu.
Récemment, le directeur parlementaire du budget a calculé qu’il en coûterait 87,8 milliards de dollars, en 2022-2023, pour mettre en œuvre un programme de revenu de base garanti pour les adultes de 18 à 64 ans semblable au projet pilote ontarien adopté en 2017. Ces estimations prévoient un revenu de base de 17 000 $ pour les célibataires et de 24 000 $ pour les couples, ainsi qu’une récupération de 50 cents par dollar gagné en sus du revenu garanti. Les coûts d’un revenu de base augmentent rapidement dès que diminue le taux de récupération, comme en témoigne un autre rapport du directeur parlementaire du budget produit en 2020.
De son côté, en 2019, le Réseau canadien pour le revenu garanti a évalué que le coût d’un programme de revenu garanti de 22 000 $ par année pour les Canadiens de 18 ans et plus était de 187 milliards de dollars par an lorsque le gouvernement récupère 40 cents par dollar gagné. Le projet de loi S-233 se rapproche de ce modèle. C’est l’équivalent de tout l’impôt fédéral sur le revenu des particuliers versé en 2021-2022, qui était de 189,4 milliards de dollars.
(1920)
Une allocation universelle est encore plus coûteuse. Garantir à tous les Canadiens adultes un revenu, comme un revenu de 22,000 $, coûterait 637 milliards de dollars, selon le Réseau canadien pour le revenu garanti. C’est presque deux fois tous les revenus budgétaires du gouvernement fédéral. Même après l’impôt, un tel revenu de citoyenneté absorberait tous les revenus fédéraux. Bref, les coûts d’un revenu de base garanti sont prohibitifs.
C’est là où le bât blesse. Pour financer un tel programme, les gouvernements devront revoir l’impôt sur le revenu. Or, les modifications fiscales nécessaires pour financer un tel programme nuiront à la participation au marché du travail, pas parce que les gens sont paresseux, mais tout simplement parce qu’ils sont rationnels. En somme, le nombre de personnes soutenues par ce programme augmentera au-delà du nombre de personnes qu’on voulait aider à l’origine. Or, moins d’heures travaillées et imposées, cela signifie moins de revenus pour le gouvernement. Bref, le financement du revenu de base garanti est insoutenable.
Comme vous le savez, dans un passé récent, les gouvernements du Québec et de la Colombie-Britannique ont tous deux créé un groupe d’experts afin de proposer un plan pour implanter un RBG au Québec et instaurer un projet pilote en Colombie-Britannique. Les deux groupes d’experts ont rejeté la faisabilité d’un tel programme. Le groupe de la Colombie-Britannique a même rejeté cette idée. Pourquoi? Parce qu’aucun projet pilote ne peut prévoir toutes les conséquences macroéconomiques des modalités de financement d’un RBG.
[Traduction]
Je cite le panel de la Colombie-Britannique :
De nombreuses propositions canadiennes de revenu de base suggèrent d’éliminer la plupart ou la totalité des crédits d’impôt, y compris le montant personnel de base, pour créer un revenu de base sous forme de crédit d’impôt remboursable « autofinancé ». Il s’agirait d’une réforme fondamentale du régime fiscal, qui ferait en sorte que l’impôt deviendrait payable dès le premier dollar gagné, ce qui aurait pour effet de décourager davantage le travail pour les personnes à faible revenu qui ne reçoivent pas d’aide au revenu.
Dans le rapport, on précise que l’impôt générerait des fonds insuffisants.
Le panel ajoute :
La dissolution des programmes est une autre option possible, mais nous pensons que les nombreux services fournis par les programmes existants qui visent à répondre aux besoins de base — combinés aux transferts d’argent liquide — sont essentiels à une société juste.
Le rapport conclut ainsi :
[...] comme nous l’avons souligné, un revenu de base doit être considéré en tenant compte de la manière dont il est financé et de la manière dont les modifications apportées à l’impôt et aux programmes pour couvrir ses coûts se combinent aux effets incitatifs du revenu de base même. Les effets relatifs au financement d’un revenu de base majeur pourraient dépasser les effets incitatifs et économiques présentés par les seuls avantages.
[Français]
Mon deuxième point concerne l’équité et la justice sociale. Les deux groupes d’experts provinciaux ont analysé l’impact d’un RBG sous l’angle de l’équité sociale à travers les principes philosophiques de justice sociale qui ont été énoncés notamment par le philosophe bien connu John Rawls. Selon ces principes et selon ce philosophe, le RBG provoque des problèmes majeurs d’équité sociale. L’explication sommaire est simple à comprendre : en effet, un revenu de base égal pour tous n’est pas nécessairement équitable, parce qu’il ne garantit pas l’égalité des chances pour tous. Chacun a des besoins différents, on se le rappelle. En revanche, une approche ciblée peut davantage assurer le principe de l’égalité des chances.
Comme l’a souligné le groupe d’experts de la Colombie-Britannique, et je cite :
[Traduction]
L’adoption d’un système fondé sur un revenu de base n’est pas le changement stratégique le plus équitable qu’on puisse envisager. L’ampleur des différents besoins de la population au sein de cette société est telle qu’on ne saurait y répondre efficacement avec un simple chèque du gouvernement.
Le rapport ajoute également ceci :
Nous sommes par ailleurs préoccupés par les conséquences que la mise en place d’un revenu de base pourrait avoir sur la société dans laquelle nous vivrons. Le revenu de base vise à promouvoir l’autonomie individuelle, un aspect important d’une société juste. Cependant, cette mesure ne tient pas compte d’autres aspects essentiels d’une société juste qui, selon nous, doivent également être considérés, soit la communauté, les interactions sociales, la réciprocité et la dignité. À notre avis, l’approche axée sur le revenu de base nous semble plus individualiste par rapport à la façon dont les Britanno-Colombiens se perçoivent.
[Français]
Les travaux de la philosophe américaine Elizabeth Anderson abondent dans le même sens.
Notre système actuel prévoit de soutenir tous les gens dans le besoin grâce à une variété de programmes divers qui, je le répète, peuvent être améliorés tant à l’échelon fédéral qu’à l’échelon provincial. Ces programmes répondent davantage aux besoins variés de tous ceux qui subissent des épreuves dans différentes circonstances à différents moments de leur vie qu’un revenu de base égal pour tous en tout temps.
Parce que l’approche du revenu de base garanti est uniforme — comme on le dit en anglais, it is a one size fits all —, l’implantation de cette approche peut avoir des conséquences inattendues et non souhaitables.
Voici un exemple pour illustrer mon propos. Selon le dernier rapport du directeur parlementaire du budget qui évoque les effets redistributifs d’un RBG, une famille monoparentale à faible revenu pourrait perdre 5 315 $ par année en raison de l’implantation d’un RBG. Or, ce sont justement ces familles, dont le chef est généralement une femme, qu’on veut aider.
Chers collègues, à l’instar de la sénatrice Simons, je vous invite à réfléchir sur les défis que comporte le projet de loi S-233 pour la jeunesse. Comment la société pourra-t-elle donner des racines et des ailes à ses enfants si elle leur assure un revenu de base à 18 ans, sans aucune contrepartie d’éducation, de formation ou d’inclusion dans la société? Est-ce qu’un parent, même fortuné, accepterait de financer son enfant de 18 ans s’il décidait d’abandonner ses études, sa formation, et qu’il refusait d’aller travailler? Poser la question, c’est y répondre. La société devrait-elle agir conformément à ces principes?
Parlons maintenant des problèmes politiques. Chers collègues, le projet de loi S-233 soulève des enjeux d’acceptabilité sociale et des problèmes constitutionnels. En mars 2022, avec la firme Angus Reid, j’ai réalisé un sondage sur l’éthique du travail et le RBG. Vous pourrez bientôt consulter ces données sur mon site Web.
Les conclusions sommaires sont les suivantes.
Premièrement, les Canadiens ont une éthique du travail qui se maintient par rapport à d’autres sondages du même genre que j’ai réalisés en 1981 et 2014. Environ 79 % des Canadiens pensent que tous les adultes qui sont en état de travailler devraient travailler pour gagner leur vie. Toutefois, 54 % des Canadiens aimeraient quand même pouvoir vivre sans travailler. C’est pourquoi l’idée d’un revenu de base garanti polarise les Canadiens. Si 46 % des Canadiens appuient cette idée, 37 % s’y opposent. Lorsqu’on demande aux Canadiens s’ils sont prêts à financer ce programme au moyen de leurs taxes et impôts et des réductions de services, seulement 19 % des Canadiens sont prêts à le faire, alors que 62 % s’y opposent. Par surcroît, seulement 5 % des Canadiens appuient fortement l’idée d’assurer le financement d’un revenu de base garanti grâce à des augmentations d’impôt et à des réductions de services, alors que 43 % des Canadiens s’y opposent fortement.
Bref, le RBG est une idée qui peut faire rêver, mais les Canadiens ne sont pas prêts à en payer les coûts. Donc, qui paierait la note?
Le projet de loi S-233 soulève aussi des enjeux constitutionnels réels. Il implique d’abolir de nombreux transferts sociaux aux provinces. Le gouvernement fédéral pourrait décider unilatéralement de le faire. Il va sans dire que les réactions des provinces seraient vives. Les provinces ne sont pas prêtes à accepter cela ni à céder au gouvernement fédéral leurs responsabilités en matière d’aide sociale. Les discussions seraient interminables.
En conclusion, il y a des solutions sur lesquelles on peut travailler pour réduire la pauvreté au Canada. La Loi sur la réduction de la pauvreté au Canada, que nous avons adoptée en 2019, vise à réduire la pauvreté et établit des objectifs liés à l’agenda 2030 des Nations unies. Les rapports de la Colombie-Britannique et du Québec font état de nombreuses possibilités d’action inspirantes. Par exemple, les deux rapports recommandent l’adoption d’un revenu de base garanti, comme celui qui existe déjà pour les personnes âgées, pour les personnes qui ont des handicaps, et c’est tout à fait faisable.
La recommandation no 5 du rapport québécois propose la mise en place d’un programme facilitant les transitions sur le marché du travail et la formation. Vous y trouverez plusieurs propositions réalistes visant à réduire et à prévenir la pauvreté.
Le système actuel, qui est privilégié par les pays industrialisés et promu par l’OCDE, l’Organisation internationale du travail et les Nations unies, a fait ses preuves. Il permet de réduire la pauvreté et, surtout, il aide à la prévenir.
(1930)
[Traduction]
Il existe de nombreuses solutions auxquelles nous pouvons travailler pour éliminer la pauvreté et l’inégalité au Canada, mais un revenu de base garanti ne devrait pas en faire partie. Il est grand temps que nous abandonnions ce rêve utopique et que nous choisissions plutôt des programmes pratiques, ciblés et ayant déjà rigoureusement fait leurs preuves qui réduiront et préviendront la pauvreté, offriront des formations pour acquérir des compétences et permettront de créer un marché du travail inclusif. Merci, meegwetch.
Son Honneur le Président : Je suis désolé, mais le temps de parole de la sénatrice Bellemare est écoulé. Elle devra demander plus de temps pour répondre à des questions.
[Français]
Demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à des questions?
[Traduction]
Une voix : Non.
Son Honneur le Président : J’ai entendu un « non ».
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
[Français]
Règlement, procédure et droits du Parlement
Deuxième rapport du comité—Ajournement du débat
Le Sénat passe à l’étude du deuxième rapport (provisoire) du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, intitulé L’utilisation d’étalages, de pièces et d’accessoires pendant les délibérations du Sénat, déposé au Sénat le 5 avril 2022.
L’honorable Diane Bellemare : Je vais être assez rapide. Ce rapport n’exige pas la tenue d’un vote. C’est un rapport que j’ai déposé, mais il traite d’une question importante. Comme il est court, je crois que je vais le partager avec vous et le lire rapidement pour que vous en preniez connaissance :
Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement a l’honneur de déposer son
DEUXIÈME RAPPORT
Votre comité qui, conformément à l’article 12-7(2)c) du Règlement, est autorisé à étudier les ordres et pratiques du Sénat et les privilèges parlementaires, s’est penché sur les pratiques du Sénat relativement à l’utilisation d’étalages, de pièces et d’accessoires pendant les délibérations du Sénat.
[Traduction]
Le 10 juin 2021, il y a eu un rappel au Règlement – qui a été retiré par la suite – au sujet d’un éventail en plumes d’aigle tenu par une sénatrice pendant les délibérations. Le 15 juin 2021, le Président a invité le comité à se pencher sur cette question et à réfléchir à ce que le Sénat devrait faire pour adapter et moderniser ses règles et ses pratiques de manière à respecter les croyances culturelles et religieuses. Cette demande a été officialisée par une lettre transmise le jour suivant. Le 21 mars 2022, votre comité a entendu le témoignage de l’honorable sénatrice McCallum, qui a expliqué la signification de l’éventail en plumes d’aigle pour les peuples autochtones.
Dans La procédure du Sénat en pratique, on peut lire que « [l]’usage parlementaire n’autorise pas le recours à des accessoires, c’est-à-dire des objets physiques utilisés pour appuyer un argument ». C’est ce que le Président a rappelé dans la décision qu’il a rendue le 6 novembre 2012, où il cite La procédure et les usages de la Chambre des communes : « Les Présidents ont systématiquement déclaré que les étalages et les manifestations de toutes sortes employés par des députés pour illustrer leurs interventions ou pour souligner leurs positions étaient irrecevables. De même, les accessoires de quelque sorte que ce soit ont toujours été jugés inacceptables à la Chambre. »
[Français]
Votre comité souligne que cette interdiction porte sur les objets utilisés « comme moyen de commenter silencieusement des questions » ou pour « appuyer un argument ». Le témoignage de la sénatrice McCallum fait clairement comprendre que ce n’est pas le cas de l’éventail en plumes d’aigle et que cet objet n’aurait donc pas été visé par l’interdiction. Les objets revêtant une importance culturelle ou religieuse ne sont pas des outils rhétoriques, mais l’expression de l’identité de la personne qui l’a en main. Ils devraient donc avoir leur place dans un Sénat inclusif.
[Traduction]
Votre comité signale en outre que cette interdiction n’est pas codifiée dans le Règlement du Sénat, mais qu’elle découle plutôt de l’application d’un précédent. Les pratiques à cet égard ne sont donc pas figées et, par le fait même, elles sont susceptibles d’évoluer. Dans les faits, la présidence ne prend que rarement, voire jamais, l’initiative de signaler ce genre de cas. Ce sont les sénateurs qui doivent soulever la question en invoquant le Règlement, et il en est ainsi parce que, au Sénat, ce sont les sénateurs eux-mêmes qui sont en grande partie responsables du bon déroulement des travaux.
[Français]
Votre comité est d’avis que cette façon de procéder permet aux pratiques du Sénat d’évoluer et de s’adapter aux nouvelles normes culturelles. Il ne préconise pas de dresser une liste exhaustive d’objets à proscrire ni de modifier les dispositions du Règlement qui se rapportent à cette question, car une approche prescriptive ne ferait que figer indûment le fonctionnement du Sénat.
[Traduction]
Votre comité invite enfin les sénateurs qui auraient des questions ou des doutes quant à savoir si un objet qu’ils veulent porter ou présenter pendant une intervention pourrait être considéré comme un étalage, une pièce ou un accessoire, à communiquer au préalable avec le bureau du Président, ou avec le Bureau, pour obtenir des conseils et informer la présidence du sens de cet objet.
Respectueusement soumis [...]
Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Troisième rapport du comité—Ajournement du débat
Le Sénat passe à l’étude du troisième rapport (provisoire) du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, intitulé Modifications au Règlement — Mandats des comités, présenté au Sénat le 6 avril 2022.
L’honorable Diane Bellemare propose que le rapport soit adopté.
— Ce rapport a été adopté à l’unanimité par le Comité du Règlement. Il a été soumis à une consultation auprès de chacun des groupes et il vise à modifier l’article 12-7(2)a) en y apportant un changement stylistique et en présentant de façon uniforme le mandat des comités, en plus de modifier la présentation. C’est très simple. S’il est adopté, il entrerait en vigueur en juillet ou au début de septembre.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Les contributions et l’impact des Premières Nations, des Métis et des Inuits
Interpellation—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Boyer, attirant l’attention du Sénat sur les contributions et les retombées positives réalisées par les Métis, les Inuits et les Premières Nations au Canada, et dans le monde.
L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, je prends la parole depuis les terres traditionnelles non cédées des Algonquins et des Anishinaabe.
J’ai l’honneur de parler ce soir de l’interpellation de la sénatrice Boyer concernant les contributions et l’impact positifs des Premières Nations, des Métis et des Inuits, au Canada et dans le monde, en particulier après la visite de dirigeants autochtones au Vatican. J’ai trouvé très émouvant de voir ces trésors autochtones exposés dans les musées du Vatican.
(1940)
Chers collègues, les contributions et l’impact des peuples autochtones canadiens sont considérables et on ne le dira jamais assez. Je me contenterai de parler de ce que je connais le mieux, soit les artistes visuels des Premières Nations, des Métis et des Inuits, du Nord et de l’Ouest. Leurs contributions ne sont pas suffisamment connues, reconnues, voire comprises. Je remercie la sénatrice Boyer de m’avoir donné la possibilité de tourner les projecteurs vers certains des plus importants créateurs du monde entier.
Les artistes autochtones ont créé des œuvres bien avant l’arrivée des Européens, sous la forme de gravures, de sculptures en pierre, de pétroglyphes, de tissage, ou encore d’écorce de bouleau mâché. Ces œuvres étaient toutes réalisées à partir d’éléments naturels comme des piquants de porc-épic, des plantes pour les teintures, des pierres, du bois, des os ou de l’écorce de cèdre.
Dans les années 1880, la section winnipegoise de la Women’s Art Association of Canada s’est donnée pour priorité de présenter des œuvres des Premières Nations; une priorité qu’elle a su respecter. Toutefois, il faudra attendre 1967 pour que des œuvres artistiques des Premières Nations soient exposées pour la première fois au Musée des beaux-arts du Canada. Quant aux œuvres inuites, elles ont d’abord été considérées comme des objets ethnographiques et anthropologiques, mais pas comme de l’art, jusqu’au début des années 1950, à l’époque où le Musée des beaux-arts de Winnipeg a été le premier à commencer sérieusement à collectionner et à exposer des œuvres inuites. Cette ville dispose maintenant d’une importante collection internationale regroupant des œuvres inuites modernes et contemporaines qui sont exposées au nouveau Centre des arts inuits, Qaumajuq.
Des expositions d’art inuit ont eu lieu à Washington et en Europe. D’ailleurs, pendant de nombreuses années, l’art inuit était le visage du Canada à l’étranger. Des artistes tels que Pitseolak Ashoona, Kenojuak Ashevak et Shuvinai Ashoona ont été fièrement acclamés dans de grands établissements internationaux. Une exposition de Cape Dorset se trouve actuellement à Varsovie et la critique est excellente, comme en témoignent les grands titres tels que « Une exposition d’art de la West Baffin Eskimo Cooperative ouvre ses portes à Varsovie et reçoit un excellent accueil au milieu des turbulences politiques ». J’ai appris hier soir que l’exposition a été prolongée.
En 1972, le collectif autochtone nommé le Groupe indien des Sept a été fondé par la célèbre artiste Daphne Odjig, décédée en 2016 à l’âge de 97 ans. Mme Odjig, Norval Morrisseau, Jackson Beardy, Alex Janvier, Eddie Cobiness, Carl Ray et Joseph Sanchez ont développé le style de peinture Woodland. Cette année-là, le Musée des beaux-arts de Winnipeg a présenté leur première grande exposition. Il s’agissait de la première grande exposition entièrement vouée à l’art autochtone dans une galerie d’art. Les œuvres de ces artistes ont été exposées partout au Canada et à l’étranger, et Jackson Beardy s’est rendu à Paris avec des artistes du Grand Western Canadian Screen Shop, à Winnipeg, pour leur exposition au milieu des années 1970.
Individuellement et collectivement, les artistes inuits, métis et des Premières Nations de chez nous attirent l’attention sur des problèmes sociaux importants, sur leur histoire et la nôtre, et inventent des moyens d’expression et des méthodes de création novateurs. Les œuvres des artistes autochtones sont visionnaires, poignantes, célébrées et avant-gardistes.
J’ai déjà parlé des artistes et de l’art autochtones, notamment de Robert Houle, de Joane Cardinal-Schubert, d’Arthur Vickers, d’Art Thompson et de Faye Heavyshield, entre autres. Je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit. De nombreux ouvrages accomplis sont maintenant diffusés à l’échelle mondiale. Certains programmes d’art internationaux comprennent maintenant des cours sur l’art autochtone nord-américain. Chers collègues, c’est une reconnaissance de l’importance, de la substance et de la portée des œuvres des artistes inuits, métis et des Premières Nations. Leur art change le monde pour le mieux.
L’art autochtone incarne la spiritualité, le mode de vie, l’histoire, la place et les problèmes contemporains, offre une meilleure compréhension du passé et du présent et donne de l’espoir envers l’avenir.
Une œuvre majeure de l’artiste mitchif Christi Belcourt se trouve à l’édifice du Centre. Son vitrail à plusieurs panneaux intitulé Giniigaaniimenaaning (Regard vers l’avenir) présente l’histoire des pensionnats autochtones et a été dévoilé en novembre 2012. L’artiste décrit son œuvre de la façon suivante :
C’est l’histoire des peuples autochtones, de nos cérémonies, de nos langues et des connaissances culturelles toujours intactes. Il raconte la noirceur de l’épisode des pensionnats indiens, du son du tambour qui nous réveille et des excuses qui nous touchent profondément. Il illustre l’espoir de la réconciliation, de la transformation et de la guérison grâce à la danse, aux cérémonies, à la langue. On voit la résilience de nos peuples jusqu’à aujourd’hui.
Le verre brisé représente aussi les vies, les familles et les collectivités détruites [...] Le danseur au tambour annonce le début de la guérison. Les cercles qui s’élèvent [...] [pavent] la voie vers des excuses [...] La colombe à la branche d’olive apporte un don d’espoir pour le début de la réconciliation et le renouvellement de la relation entre les Autochtones et les autres Canadiens.
L’artiste métisse Rosalie Favell explore son adoption par une famille blanche dans sa poignante série de 1999 intitulée Longing and Not Belonging. Elle a également porté son attention sur les aspects visuels de l’art autochtone qui ont mené à l’inclusion de l’art et des artistes autochtones dans les recueils d’art. Joseph Tisiga, originaire du Yukon, a mis en image l’expérience de la rafle subie par sa mère. Ces artistes, ne craignant pas d’exprimer leurs propres expériences, créent des œuvres brutes et profondes et apportent une contribution importante à l’identité du pays dans son ensemble.
La spiritualité fait partie du travail de beaucoup d’artistes autochtones. L’artiste haïda Robert Davidson explore sa spiritualité à l’aide de ses œuvres à deux et à trois dimensions. Sa sculpture, L’œil surnaturel, qui fait partie de la collection du Musée des beaux-arts du Canada, en est un exemple parfait. En travaillant avec de l’aluminium, l’artiste a coupé les élégants contours linéaires de l’œuvre à l’aide d’un processus de découpage au jet d’eau, évoquant les formes découpées des couvertures à motifs appliqués — les couvertures qui ont propagé la variole qui a dévasté la nation haïda. Robert Davidson combine l’iconographie visuelle traditionnelle avec sa propre esthétique contemporaine. Inspiré par sa spiritualité haïda, ses racines supernaturelles et historiques à Haida Gwaii, l’œil, le trait dominant de l’œuvre nous force à regarder vers l’intérieur et vers l’extérieur.
L’artiste anishinabe Scott Benesiinaabandan pratique la photographie et réalise des vidéos et des gravures. Il explore sa fascination pour les rêves et célèbre son sentiment de fierté ancestrale. Puisant au fond de ses racines et de ses avenirs, il illustre son histoire culturelle et les réalisations de ses ancêtres autochtones. Pendant sa résidence en Australie, il a superposé des images de l’Australie et du Canada.
L’œuvre de Terrance Houle, qui habite en Alberta, est à la fois humoristique et directe. Dans sa série sur les « Indiens urbains », il se livre à des activités quotidiennes — faire l’épicerie, prendre l’autobus et travailler dans un bureau contemporain — dans un costume traditionnel de pow-wow pour mettre en évidence l’évolution du mode de vie des peuples autochtones au Canada. Il y a 10 ans, une œuvre plus frappante intitulée « Iiniiwahkiimah » faisait partie de l’exposition Oh, Canada du musée d’art contemporain du Massachusetts. Il s’agit d’un grand décalque d’un bison dégoulinant d’huile qui est accroché au mur. Quatre bidons d’huile se trouvent sur le sol sous le décalque. Il m’a dit que les Premières Nations ont dû apprendre à se passer du bison, qui a été leur source de nourriture, d’outils, de logements et de vêtements pendant des siècles. Elles pourront maintenant enseigner au reste de la société comment s’adapter à la vie sans pétrole.
L’artiste crie Jane Ash Poitras, qui est reconnue à l’échelle internationale et qui a reçu de nombreuses distinctions, dépeint également l’histoire autochtone, les croyances spirituelles et la vie personnelle des membres des Premières Nations. Son esthétique visuelle sans fard donne du pouvoir aux nations autochtones, tout en troublant les spectateurs qui ignorent l’histoire. Son œuvre Preservation Reservation 2020, qui a été commandée par le gouvernement de l’Alberta, porte sur les pensionnats. Pleine de détails qui élucident des décennies d’histoires difficiles et souvent enfouies, l’œuvre inclut du matériel éphémère, comme Mme Poitras l’appelle, c’est-à-dire des découpage et des photocollages, des photographies, un timbre de 14 cents de la Colline du Parlement, l’alphabet et les bandes caractéristiques des couvertures de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Divisées en segments, ses peintures racontent de multiples histoires qui couvrent plusieurs périodes et situations. Elle insiste sur le fait que l’histoire doit être racontée au complet.
Val Vint, artiste métisse et gardienne du savoir, a dévoilé son œuvre Education is the New Bison à La-Fourche, à Winnipeg, en 2020. Faisant le lien entre le passé, le présent et l’avenir, comme le fait l’art de Poitras, l’œuvre est composée de livres et de films en acier, d’auteurs et d’artistes autochtones et, comme elle le dit, d’alliés des peuples autochtones.
Les titres au dos des livres montrent des ouvrages anciens et récents, ce qui témoigne de la profondeur et de l’étendue des activités intellectuelles, des idées et des réalisations des auteurs autochtones. Vint cite Louis Riel, l’ancien sénateur Murray Sinclair et l’artiste Robert Davidson dans les trois volumes polis et ouverts. Le bison fait face, de l’autre côté de la rivière, à la tombe de son grand-père et regarde vers l’avant.
Voici ce que Vint m’a dit à propos de son travail :
Les gens entament des conversations significatives autour du bison. La conversation est essentielle dans tout travail de guérison. Lorsque les gens se parlent, ils se regardent généralement dans les yeux et ne sont plus « l’autre ». Quand il n’y a pas d’autre, cela change la façon dont nous nous voyons l’un l’autre, dont nous pensons à l’autre. Nous découvrons rapidement que personne n’est « l’autre ». Nous sommes tous les mêmes, nous sommes tous liés.
Ce message puissant nous touche tous.
(1950)
Robert Boyer, un artiste cri et métis de la Saskatchewan et fondateur de la Société des artistes canadiens d’origine autochtone, ou SCANA, a joué un rôle important dans l’art au Canada. Ayant été un véritable chef de file grâce à son art et à la SCANA, il a grandement contribué à accroître la sensibilisation à l’art autochtone et à remettre en question son paradigme au sein des galeries, des collections, des expositions et des recherches dans le domaine des arts au Canada. Ses toiles aux couleurs vives et portant sur des thèmes viscéraux abordent le colonialisme, la destruction de l’environnement et la culture autochtone. Les œuvres de Robert Boyer chevauchent les traditions visuelles autochtones et non autochtones, une approche qui met en évidence la profondeur et le caractère poignant de son message. Au sujet de sa série captivante de couvertures, qui font partie d’une importante exposition mobile, il avait déclaré avoir utilisé des formes géométriques pour représenter des expériences personnelles, des problèmes sociaux et des valeurs spirituelles.
De son côté, Rebecca Belmore a également joué un rôle important de leadership dans le domaine des arts visuels en améliorant la sensibilisation, les droits et la représentation des œuvres des artistes des Premières Nations. Elle a été la première artiste féminine autochtone à représenter le Canada à la Biennale de Venise, à laquelle elle a participé en 2005. Tout au long de sa carrière, elle a bénéficié de résidences, de postes d’enseignement et de nombreuses expositions individuelles. Son installation à multiples étages en argile intitulée Trace a été exposée au Musée canadien des droits de la personne.
L’exposition de Lawrence Paul Yuxweluptun, artiste salish du littoral, à la Maison du Canada à Londres, a été chaleureusement accueillie. Son œuvre combine art moderne, surréalisme, pop art, expressionisme abstrait et images des Salish du littoral pour représenter la cruelle réalité de la soumission des Premières Nations. Il met en valeur à la fois la puissance et la force des peuples autochtones. Il représente souvent des hommes d’affaires en complet portant un masque des Premières Nations de la côte Ouest, ce qui rappelle les réunions et les confrontations qui surviennent dans les entreprises et les conseils d’administration. Il souligne l’importance de l’environnement ainsi que le caractère spirituel et patrimonial des arbres de la côte Ouest. Il qualifie son approche de « visionniste ». Son style, ses couleurs franches et ses images symboliques captivent le spectateur et le transforment.
Le travail de Kent Monkman, artiste des Premières Nations natif de Winnipeg, est chaleureusement salué au Canada et à l’étranger. Il a présenté récemment des expositions et des installations au Metropolitan Museum of Art de New York et au Musée Hirshhorn de Washington.
Dana Claxton, récipiendaire du Prix du gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques en 2020, enseigne les arts visuels à l’Université de la Colombie-Britannique. Ses racines spirituelles sont au cœur de son œuvre :
Mon travail porte sur l’esprit de nos ancêtres, les savoirs traditionnels, les enseignements lakotas — générosité / sagesse / cran / courage / davantage d’esprit / pour célébrer et honorer qui nous sommes / sans jamais capituler / en montrant la beauté de notre indianité.
Ses vidéos, ses installations et ses performances multimédias et multisensoriels combinent audio et vidéo pour faire entrer le spectateur dans son art. Comme elle l’écrit :
Je suis influencée par ma propre expérience de femme lakota, canadienne et métissée, et par la relation que j’entretiens avec le monde naturel et surnaturel.
KC Adams, qui a reçu la médaille du 150e anniversaire du Sénat, s’est attaquée au racisme à Winnipeg de façon significative avec sa série de diptyques, des portraits en noir et blanc de personnes autochtones, réalisée dans la foulée du mouvement Idle No More. Les portraits ont été présentés à l’extérieur, dans les rues et les abribus de Winnipeg, sous forme de panneaux, de murales et d’affiches. Ils étaient complètement accessibles. C’était une importante mobilisation positive.
Pas plus tard qu’hier, le Victoria Times Colonist a mis en vedette la représentation d’un héron salish sur la coque d’un traversier de Colombie-Britannique par l’artiste Maynard Johnny Jr., un Salish du littoral.
Chers collègues, je vais m’arrêter ici. Vous avez compris. L’art des artistes métis, inuits et des Premières Nations du Canada est bel et bien puissant et important; il fait changer les choses pour le mieux. Leur vocabulaire visuel unique transmet des messages profondément ressentis. J’espère que la société les écoute. Leur talent et leur innovation sont révolutionnaires. Leurs retombées ici et à l’étranger mettent en exergue leurs objectifs, leurs sensibilités et leurs gestes culturels. Ces artistes jouent un rôle important pour faire bouger les choses et favoriser la réconciliation.
Je leur rends hommage et je leur exprime mon respect. Merci.
Des voix : Bravo!
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Droits de la personne
L’étude de questions ayant trait aux droits de la personne en général—Adoption de la motion tendant à autoriser le comité à être saisi des documents reçus et des témoignages entendus au cours de la première session de la quarante-deuxième législature et de la deuxième session de la quarante-troisième législature
L’honorable Nancy J. Hartling, conformément au préavis donné le 30 mars 2022, propose :
Que les documents reçus, les témoignages entendus et les travaux accomplis par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne au cours de la première session de la quarante-deuxième législature et la deuxième session de la quarante-troisième législature dans le cadre de son étude de diverses questions ayant trait aux droits de la personne soient renvoyés au comité.
— Honorables sénateurs, je propose l’adoption de la motion inscrite au nom de la sénatrice Ataullahjan.
Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
Agriculture et forêts
Autorisation au comité d’étudier l’état de la santé des sols
L’honorable Robert Black, conformément au préavis donné le 7 avril 2022, propose :
Que le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada afin de trouver des solutions pour l’améliorer, hisser les produits forestiers et les agriculteurs au rang de chefs de file en matière de développement durable, et multiplier les possibilités de prospérité économique offertes aux agriculteurs;
Que le comité se penche en particulier sur les aspects suivants :
a)l’état actuel des sols au Canada;
b)les mesures que pourrait prendre le gouvernement fédéral pour favoriser et améliorer la santé des sols agricoles et forestiers, notamment en ce qui concerne la conservation, la séquestration du carbone et la lutte contre les effets des changements climatiques;
c)les effets de la santé des sols sur la santé humaine, la sécurité alimentaire, la productivité et la prospérité forestières et agricoles ainsi que la qualité de l’eau et de l’air;
d)le rôle des nouvelles technologies dans la gestion et l’amélioration de la santé des sols;
Que le comité présente son rapport au Sénat au plus tard le 31 décembre 2023 et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.
— Honorables sénateurs, je propose l’adoption de la motion inscrite à mon nom.
Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
(À 19 h 59, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)