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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 44

Le mardi 17 mai 2022
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 17 mai 2022

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L’honorable Dan Christmas

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour attirer l’attention sur ce que j’estime être le secret le mieux gardé de la Nouvelle-Écosse. Vous vous demandez peut-être ce qui mérite ce qualificatif élogieux. Serait-ce la beauté géographique de la Nouvelle-Écosse ou nos fabuleux fruits de mer? Bien sûr que non. Ce ne sont pas des secrets.

Comme c’est souvent le cas, il n’y a pas à regarder bien loin pour découvrir le secret le mieux gardé de la Nouvelle-Écosse. Il s’agit de nul autre que notre ami et collègue le sénateur Dan Christmas. Ses efforts en tant que défenseur des nations mi’kmaqs dans sa communauté, Membertou, sur l’île du Cap-Breton, précèdent de plusieurs décennies sa nomination à cette auguste Chambre. Il y a cinq ans ce mois-ci, le sénateur Christmas a souligné ce qui suit dans son tout premier discours au Sénat : « Il n’y avait pas de développement économique, aucune perspective d’emploi quelle qu’elle soit, aucun espoir ni aucun avenir. »

La communauté était en sérieuse difficulté; elle était entièrement prisonnière des mesures oppressives de la Loi sur les Indiens. Regardons les faits : en 1995, Membertou avait 37 employés, un budget de 4 millions de dollars — dont 99 % provenaient du gouvernement — et un déficit de fonctionnement annuel de 1 million de dollars. Vingt-cinq ans plus tard, Membertou emploie près de 600 personnes, soit 16 fois plus d’employés; dispose d’un budget annuel de 112 millions de dollars, soit 28 fois plus de fonds, dont les trois quarts proviennent de revenus commerciaux; et est bien connue pour avoir fait l’acquisition transformatrice de Clearwater Seafoods pour 1 milliard de dollars.

Comment ont-ils fait? Eh bien, Membertou a libéré la ressource naturelle la plus puissante qu’elle possédait, la seule ressource qu’on lui avait laissée : le pouvoir de son peuple. Tout au long de cette transition remarquable et durement achevée, Dan a agi à titre de conseiller principal du chef de Membertou, Terrance Paul, de son directeur des opérations, Bernd Christmas, et de son conseil de bande. Le miracle de Membertou, un revirement économique et social complet, est maintenant considéré comme une pratique exemplaire en matière de développement économique communautaire et dans les dossiers autochtones.

Dan était sur le point de prendre sa retraite lorsque les dirigeants de sa collectivité lui ont demandé d’envisager de poser sa candidature au poste de sénateur. Évidemment, peu de temps après, il a reçu un appel du premier ministre, et le reste, comme on dit, appartient à l’histoire.

Comme nous le savons tous, Dan est un homme qui parle peu et qui pèse ses mots quand il le fait. C’est un père de famille dévoué, qui fait toujours preuve d’une gentillesse, d’une distinction et d’une sagesse apaisantes. Il se consacre à la préservation des coutumes et des lois autochtones avec dignité et honneur. Il est l’un des meilleurs mentors que beaucoup d’entre nous avons connus. Dan est également allergique à l’autopromotion.

En ce sens, j’espère qu’il me pardonnera les mots que j’ai prononcés aujourd’hui, mais il me semblait important de reconnaître que le secret est en train de s’ébruiter. Cette semaine, l’Université du Cap Breton décernera un doctorat ès lettres honoris causa au sénateur Dan Christmas.

Nos félicitations les plus chaleureuses et les plus sincères pour cette reconnaissance longuement méritée, sénateur Christmas. Votre dévouement est une source d’inspiration pour d’innombrables personnes. Wela’lioq. Merci.

Des voix : Bravo!

La Semaine nationale de la police

L’honorable Vernon White : Honorables sénateurs, nous sommes en pleine Semaine nationale de la police, et je voulais dire quelques mots à ce sujet. On aborde souvent cette semaine d’un point de vue commémoratif. Nous devrions bien entendu nous rappeler ceux qui ont perdu la vie, souvent en la sacrifiant pour se défendre et défendre autrui, car cela fait partie des objectifs de cette semaine. Mais nous devrions aussi parler d’autres choses.

En ce moment, des policiers en service partout au pays sont prêts à perdre tout ce qu’ils ont pour défendre la vie de ceux qu’ils servent. Ils travaillent dans de grandes villes, de petites municipalités, ou encore des collectivités rurales et isolées. Qu’ils travaillent à Toronto ou à Grise Fiord, ils ont reçu une formation semblable et leur collectivité s’attend à ce qu’ils offrent des services semblables.

Trop souvent, le public a une certaine opinion des policiers, mais le public oublie trop souvent de nombreux éléments qui entrent en ligne de compte : le travail par quarts; l’équilibre — ou le déséquilibre — travail-famille; les longs quarts de travail; la violence commise par certains à l’endroit des policiers et d’autres membres de la collectivité; les déménagements; et j’en passe.

À titre d’exemple, Bill Blair, l’ancien ministre de la Sécurité publique, a déjà déclaré qu’être policier n’est pas une carrière, mais plutôt 10 carrières, trois ans à la fois. Il suffit de songer aux cinq personnes dans cette salle qui ont servi dans différents corps policiers du pays. À eux cinq, ils ont déménagé plus de 40 fois et ont servi dans presque toutes les provinces ainsi que dans les trois territoires.

(1410)

Depuis des générations, les hommes et les femmes qui œuvrent au sein des forces de l’ordre de notre pays consacrent leur vie à protéger leurs concitoyens dans les grandes villes, les petits villages et les communautés éloignées. Le public est rapide à critiquer la police quand elle se trompe. Comme la majorité d’entre nous, il arrive aussi aux policiers de faire des erreurs. C’est normal. Cependant, nous devons aussi être équitables envers les policiers et reconnaître leur excellent travail. Bien que les corps policiers doivent rendre des comptes par rapport à leurs actions, nous devons aussi reconnaître que les modèles en matière de services du maintien de l’ordre d’un bout à l’autre de notre pays nous permettent de vivre dans l’un des endroits les plus sûrs au monde — un privilège pour lequel nous devons être très reconnaissants.

Cette année, la Semaine nationale de la police célèbre les liens entre les corps policiers et le public. Évidemment, le travail des policiers repose sur ces liens, non seulement dans l’exercice de leurs fonctions au quotidien, mais aussi durant les innombrables heures, jours et semaines que les membres des corps policiers du Canada — civils ou assermentés — consacrent à aider les Canadiens de manière bénévole.

Par conséquent, je profite de cette semaine de célébrations pour remercier les membres des forces de l’ordre de toutes les régions du pays pour leurs valeureux services. Merci.

Des voix : Bravo!

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’un groupe de la Maison des guerrières, d’un groupe de l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues et de Diane Tremblay. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Boisvenu.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Semaine des victimes et survivants d’actes criminels

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénatrices et sénateurs, dans le cadre de la Semaine des victimes et survivants d’actes criminels, c’est avec beaucoup d’émotion que je prends la parole aujourd’hui, accompagné de plusieurs femmes victimes de violence conjugale et de familles dont un proche a été assassiné dans un contexte de violence conjugale, que l’on vient de nommer. Elles sont un exemple tangible de force et de détermination.

Ces femmes, ici présentes, font partie du groupe d’une centaine d’autres femmes qui nous écoutent et à qui cette déclaration est dédiée pour souligner leur courage parce que, un jour, elles ont dit non au silence dont elles étaient prisonnières. Ces courageuses sont les auteures de mon projet de loi S-205 qui vise, comme vous le savez, à protéger des milliers de Canadiennes actuellement contraintes au silence par peur pour leur vie et celles de leurs enfants.

Ces femmes présentes au Sénat aujourd’hui sont des héroïnes. Elles sont devenues des modèles pour d’autres femmes qui ont dénoncé la violence subie en disant : « assez, c’est assez ». Elles sont aussi des héroïnes devant le système de justice qui ne les a pas protégées, car lorsqu’elles ont décidé de dénoncer leur agresseur, elles l’ont fait au péril de leur vie.

Si elles m’accompagnent aujourd’hui dans cette Chambre, c’est pour deux raisons : d’abord, pour mettre un visage sur les femmes victimes de violence conjugale blessées et pour la mémoire de celles qui ont été assassinées, celles que le système de justice n’a pas réussi à protéger. Ces survivantes sont également ici pour une seconde raison : la poursuite de leur engagement indéfectible pour changer les lois afin de mieux protéger celles qui voudront dénoncer leur agresseur, un jour.

Rappelons qu’en 2021, l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation a fait état de 173 femmes et filles assassinées, dont plus de 50 % dans un contexte de violence conjugale, ce qui représente une augmentation de 30 % au cours des trois dernières années. L’action du gouvernement fédéral est insuffisante pour remédier à ces violences qui tuent trop de femmes.

En 2022, il ne suffit plus de cacher les victimes pour cacher le problème. Dans quelques instants — avec deux autres collègues de l’autre endroit, les députées Dancho et Vecchio —, nous procéderons au lancement officiel de la pétition nationale e-4011, qui demande au gouvernement fédéral d’adopter mon projet de loi S-205 pour freiner les centaines de féminicides que connaît le Canada chaque année. Le Canada doit se mettre au diapason d’autres pays en faisant preuve de leadership et prendre les décisions qui s’imposent pour protéger efficacement 52 % de la population : les femmes.

J’invite mes chers collègues à faire preuve de solidarité envers toutes les femmes de partout au Canada en signant et en partageant cette pétition. Sans une forte solidarité, nous continuerons à pleurer des femmes et des enfants en nous demandant pourquoi nous n’en avons pas fait assez pour les sauver. Nous en avons trop pleuré; nous devons maintenant en sauver.

Chères collaboratrices, chères familles des victimes assassinées, votre courage est indéniable et vous méritez tout notre respect et notre engagement. Je suis convaincu, chers collègues, que vous vous joindrez tous et toutes à moi pour saluer ces gens qui le méritent.

Merci.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

La Journée mondiale des abeilles

L’honorable Marty Klyne : Je vous remercie, sénateur Boisvenu, de nous sensibiliser à cet enjeu et de nous inviter à agir.

Honorables sénateurs, j’ai une seule question pour vous : aimeriez-vous voler au secours des abeilles?

Sentez-vous un bourdonnement dans l’air? Vous ne rêvez pas. Vendredi, donc dans quelques jours, ce sera la Journée internationale des abeilles. Célébrée chaque année le 20 mai, cette journée offre l’occasion de faire mieux connaître les abeilles, les autres pollinisateurs et le rôle essentiel qu’ils jouent dans notre écosystème.

Nous savons tous que les abeilles transportent le pollen d’une fleur à l’autre, mais elles font beaucoup plus : elles participent à la production de fruits, de graines, de noix et, bien sûr, de miel. En fait, selon une étude menée en 2015 par le très estimé Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, sur les 100 espèces végétales qui fournissent 90 % de la production alimentaire dans le monde, plus de 70 sont pollinisées par les abeilles. Cela vous donne une idée du rôle crucial que jouent les abeilles dans l’alimentation mondiale.

Malheureusement, les populations d’abeilles de la planète sont en déclin. Une combinaison de facteurs, soit la surutilisation de pesticides, l’adoption de nouvelles pratiques agricoles et la hausse des températures associée au réchauffement climatique, entraînent une forte baisse des populations d’abeilles.

Cela menace non seulement les abeilles, mais aussi les récoltes dont nous dépendons dans la vie de tous les jours. Il s’agit d’un problème mondial et le Canada doit en faire davantage pour renverser cette tendance. Se faire piquer par une abeille est peut-être douloureux, mais le long déclin des espèces pollinisatrices nous fera beaucoup plus mal à long terme.

Honorables sénateurs, lorsqu’il s’agit de protéger la population des abeilles du Canada, nous en avons tous quelque chose à cirer. Nous devons faire plus en tant que pays pour protéger les abeilles ici, au Canada, et partout dans le monde.

Je demande donc au gouvernement du Canada de faire tout en son pouvoir pour promouvoir la santé et la viabilité de la population des abeilles du Canada. J’ose espérer que tous les sénateurs se joindront à moi pour célébrer, le 20 mai, la Journée mondiale des abeilles. Merci.

Des voix : Bravo!

[Français]

Les assises annuelles de l’Union des municipalités du Québec

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs et sénatrices, je voudrais prendre un moment pour revenir sur la 100e édition des Assises de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), qui a eu lieu la semaine dernière dans la ville de Québec.

C’était la première occasion pour la nouvelle cohorte d’élus de se rencontrer. Plus de 1 500 délégués étaient présents. Il était rafraîchissant de constater le très grand nombre de femmes et de jeunes à la table des grandes villes du Québec.

Le thème mis de l’avant par l’UMQ reflète aussi le fait que les nouveaux élus sont particulièrement conscients du rôle essentiel des municipalités pour faire face à l’urgence climatique. L’optimisation du territoire, la lutte à l’étalement urbain et la nécessaire densification des milieux de vie étaient au cœur des échanges.

Pour réduire significativement nos émissions de gaz à effet de serre, il est nécessaire de cibler les émissions produites par le secteur des transports. Électrifier les transports, c’est bien; concevoir des milieux de vie qui minimisent les transports, c’est mieux. Les villes sont prêtes à faire leur part. Il suffit de leur offrir les leviers juridiques et le financement pour y parvenir.

Lors de ce grand forum, l’UMQ a aussi dévoilé les résultats d’une étude inédite sur les répercussions des changements climatiques sur les finances municipales. Selon l’économiste spécialisé en changements climatiques Charles Antoine Gosselin, le choc des événements climatiques se traduit par une augmentation moyenne de 30 % des dépenses en matière de sécurité, le quatrième poste budgétaire en importance des villes.

Selon l’étude, 75 % de la population québécoise vivra bientôt dans une municipalité susceptible d’être exposée à une zone de risque, comme les inondations ou les mouvements de sols. Les gouvernements doivent donner les moyens aux administrations municipales de faire face à la menace que représentent les changements climatiques, tant pour l’avenir de notre planète que pour nos finances publiques.

Dans l’immédiat, les yeux seront tournés vers le gouvernement du Québec et sa nouvelle politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire qui, espérons-le, pourrait offrir de nouveaux pouvoirs aux municipalités pour lutter contre les changements climatiques. À moyen terme, il faudra toutefois impérativement penser à un nouveau partage des sources de revenus entre Ottawa, les provinces et territoires, et les villes si nous voulons mener une lutte efficace aux changements climatiques.

(1420)

On ne peut pas demander aux municipalités d’être sur la ligne de front de la lutte aux changements climatiques et leur octroyer, comme seule ressource, la taxe foncière, qui ne parvient pas à couvrir les services de base offerts par les municipalités.

Encore cette année, l’Union des municipalités du Québec a su démontrer sa pertinence en mettant de l’avant les préoccupations des Québécoises et Québécois. Le monde municipal est mobilisé comme jamais et résolu à mener cette bataille importante contre les changements climatiques.

Merci.

[Traduction]

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Lori DeGraw. Elle est l’invitée de l’honorable sénatrice Deacon (Ontario).

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le décès de David Milgaard

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, David Milgaard est décédé dimanche dernier à l’âge de 69 ans. Pour plusieurs, David Milgaard était un défenseur de la justice, mais il n’était pas un défenseur ordinaire. Son histoire est bien connue. À l’âge de 17 ans, David Milgaard a été déclaré coupable d’avoir assassiné Gail Miller, une jeune infirmière, à Saskatoon en janvier 1970 — un crime en réalité commis par une autre personne.

Il a passé plus de 22 ans en prison, tout en protestant de son innocence. Les efforts incessants de sa mère, Joyce Milgaard, et de ses avocats, notamment Hersh Wolch et David Asper, ont abouti à la révision de sa condamnation, qui a finalement été annulée par la Cour suprême du Canada en 1992.

Après un certain nombre d’examens de l’affaire, dont un que j’ai initié en 1993, David Milgaard a été disculpé et innocenté du meurtre. Sa disculpation a été obtenue grâce à des tests d’empreintes génétiques, un sujet sur lequel j’espère revenir lorsque nous discuterons du projet de loi du sénateur Carignan dans les semaines à venir. Aujourd’hui, nous pensons et devons penser à la tragique épreuve de David Milgaard — qui a duré plus de 22 ans, soit un tiers de sa vie —, à la souffrance qui n’aurait jamais dû être infligée à David Milgaard ni à aucun d’entre nous, et à l’homme qu’il est devenu.

Presque immédiatement à sa sortie de prison, David Milgaard s’est donné pour mission d’améliorer le système de justice, et en particulier les cas de personnes accusées et condamnées à tort. Il a prononcé de nombreuses allocutions et il a raconté son histoire à quiconque voulait l’entendre. Il a exprimé sa propre souffrance, tout en demandant à la société, avec force et générosité, de travailler plus fort pour rendre le système plus adéquat, plus juste et plus déterminé à s’attaquer aux condamnations injustifiées qui sont inévitables dans notre système de justice.

Il a prononcé de nombreux discours à notre faculté de droit, toujours devant des salles bondées, toujours récompensé par une ovation debout, et suscitant toujours une grande émotion. Il est devenu un héros pour mes étudiants. Pour moi aussi. Comment aurait-il pu en être autrement? Cet homme a autant souffert, il a probablement vécu tant de douleur, mais il s’est tourné non pas vers la souffrance et vers les ténèbres, mais plutôt vers la lumière, pour tenter de transformer un système qui lui a tout pris en un système qui sera meilleur pour tous.

D’autres personnes ont été condamnées à tort et en ont grandement souffert. Je pense précisément à un autre Néo-Écossais, Donald Marshall fils, qui a aussi été aidé par des avocats courageux. M. Marshall a eu un cheminement similaire, et l’examen de son dossier a apporté d’importants changements à l’administration de la justice pénale partout dans notre pays.

M. Milgaard et sa famille dévouée pourraient être honorés comme M. Marshall l’a été. M. Milgaard a longtemps milité pour la création d’une commission indépendante d’examen des affaires criminelles qui étudierait les cas allégués d’erreurs judiciaires. Pour honorer sa mémoire, nous nous devons de faire de cette commission une réalité. Merci.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Shawn Davidson, de Josh Watt et d’Isabelle Girard, représentants de l’Association canadienne des commissions et conseils scolaires. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Gagné.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Projet de loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada

Projet de loi modificatif—Préavis de motion tendant à autoriser le Comité des langues officielles à étudier la teneur du projet de loi

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé à examiner la teneur du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, déposé à la Chambre des communes le 1er mars 2022, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir, même si le Sénat siège à ce moment-là ou est alors ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard.

Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Projet de loi modificatif—Préavis de motion tendant à autoriser le Comité des transports et des communications à étudier la teneur du projet de loi

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à examiner la teneur du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, déposé à la Chambre des communes le 2 février 2022, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir, même si le Sénat siège à ce moment-là ou est alors ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard.

[Traduction]

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés

Projet de loi modificatif—Première lecture

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) dépose le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les finances

Le transfert d’une petite entreprise

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Monsieur le leader, en juin 2021, lors du débat sur le projet de loi C-208, présenté par Larry Maguire, député conservateur du Manitoba, vous avez déclaré ceci :

[...] le projet de loi C-208 procurerait des avantages considérables à certains contribuables, qui pourraient distribuer les surplus d’une entreprise en franchise d’impôt sans faire le nécessaire pour procéder à un réel transfert intergénérationnel.

Selon le récent budget du gouvernement néo-démocrate—libéral, la ministre des Finances et le gouvernement mèneront des consultations sur les modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu proposées dans ce projet de loi, qui a reçu la sanction royale en juin dernier.

(1430)

Monsieur le leader, l’année dernière, vous avez exhorté le Sénat à ne pas adopter le projet de loi C-208, mais maintenant, le gouvernement est d’avis qu’il n’y a pas d’urgence, que les conséquences ne sont pas si importantes et qu’il suffira de tenir une consultation à une date indéterminée.

Sénateur Gold, maintenez-vous ce que vous avez dit en juin dernier, et si c’est le cas, pourquoi le gouvernement ne croit-il pas, comme vous, qu’il est urgent de corriger cette situation? Par ailleurs, auriez-vous exagéré les risques liés au projet de loi C-208, ou est-ce que le gouvernement néo-démocrate—libéral maintient en place une échappatoire? Qu’en est-il exactement, sénateur Gold?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de vos questions.

Je maintiens ce que j’ai dit. À mon avis, la décision du gouvernement de consulter est tout à fait appropriée, vu la complexité des questions que soulève le projet de loi. C’est ce que j’ai tenté de souligner dans mes observations.

J’oublie la troisième question, mais je suis certain que vous la répéterez si vous en avez l’occasion.

Le sénateur Plett : Avez-vous exagéré les risques liés au projet de loi C-208, oui ou non? En fait, il y avait quatre questions.

Monsieur le leader, pendant le débat sur le projet de loi C-208, notre collègue le sénateur Harder, qui défendait la position de votre gouvernement, a déclaré que « le projet de loi représente un coût fiscal considérable pour le gouvernement du Canada ».

Sénateur Gold, maintenant, un an plus tard, quel est le coût estimé du projet de loi C-208 pour le gouvernement fédéral?

Le sénateur Gold : Merci de m’avoir rappelé la question.

La réponse à la première partie de votre question est non; je n’ai pas exagéré les risques. Deuxièmement, je ne connais pas les chiffres, mais je vais m’informer et je reviendrai avec une réponse.

[Français]

Le Bureau du Conseil privé

La nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue

L’honorable Rose-May Poirier : Sénateur Gold, vendredi dernier, le gouvernement fédéral a porté en appel la décision qui reconnaissait que le poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick devrait être pourvu par une personne « capable de s’acquitter de toutes les tâches requises de son rôle en anglais et en français ». Malgré les belles paroles du gouvernement, les intentions sont maintenant claires : le premier ministre veut conserver son privilège de nommer des lieutenants-gouverneurs qui ne peuvent pas communiquer en français. Sénateur Gold, pourquoi le gouvernement libéral traîne-t-il les Acadiens en appel plutôt que de les appuyer dans la reconnaissance de leurs droits?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de la question. C’est un enjeu fondamental. Le gouvernement du Canada reconnaît qu’il est essentiel de nommer des lieutenants-gouverneurs qui ont une bonne connaissance des deux langues officielles, compte tenu du statut du Nouveau-Brunswick en tant que province bilingue.

La décision d’interjeter appel auprès de la Cour du Banc de la Reine n’affecte en rien l’engagement du gouvernement à protéger et à promouvoir notre dualité linguistique, ce qui comprend la modernisation de la Loi sur les langues officielles. À l’avenir, le gouvernement s’engage à nommer des lieutenants-gouverneurs bilingues au Nouveau-Brunswick, et ce, dès le prochain processus de nomination.

La sénatrice Poirier : Deux nominations unilingues de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur, un quasi-appel à la suite d’une interprétation large de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, des inquiétudes concernant les ententes sur les garderies sans clause linguistique pour les francophones, l’unilinguisme des dirigeants du CN et d’Air Canada, une conférence de presse donnée en anglais seulement par le ministre de l’Immigration, et finalement, cette décision d’aller en appel de la décision de la juge DeWare; la liste des controverses s’allonge, sénateur Gold. Comment les Acadiens et les communautés linguistiques en situation minoritaire peuvent-ils être sûrs que votre gouvernement fait progresser la dualité linguistique, alors que des actions comme celle de vendredi dernier, de porter la décision en appel, démontrent le contraire?

Le sénateur Gold : Merci pour la question. La décision de porter le jugement en appel, comme je l’ai dit, ne constitue pas un manque d’engagement. Comme le ministre de la Justice l’a exprimé — et je traduis ses propos, car il les a articulés en anglais —, des principes importants sont en jeu dans les motifs du jugement que le gouvernement a décidé de porter en appel. Ceux-ci comprennent les processus d’amendement de la Constitution et de la Charte canadienne des droits et libertés.

Pour ce qui est de votre question, de façon plus générale, je vous encourage à étudier en profondeur le projet de loi sur les langues officielles pour voir l’engagement du gouvernement à l’égard des communautés linguistiques qui se trouvent en situation minoritaire, y compris les francophones de votre province.

[Traduction]

L’agriculture et l’agroalimentaire

La grippe aviaire

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Il s’agit d’une question qui porte sur la grippe aviaire, ce dont je ne crois pas que nous ayons déjà discuté au Sénat. L’Alberta se trouve au cœur d’une épidémie de grippe aviaire. À ce jour, 24 fermes sont touchées et 900 000 oiseaux — presque 1 million — ont été euthanasiés. Les producteurs de dindons et les producteurs d’œufs d’incubation sont parmi les plus touchés.

Le représentant du gouvernement au Sénat peut-il expliquer ce que l’Agence canadienne d’inspection des aliments fait pour surveiller et contenir les épidémies de grippe aviaire qui, je pense, sévissent en Alberta, en Ontario et au Québec en ce moment?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. En effet, il y a eu une épidémie pas très loin de l’endroit où j’habitais dans les Cantons-de-l’Est, au Québec.

Le gouvernement comprend que la grippe aviaire cause beaucoup de tort à tous les producteurs de volaille, même si ceux-ci se montrent vigilants et rigoureux — et ils le sont — dans l’application des mesures de biosécurité pour protéger leurs animaux. On m’informe que l’Agence canadienne d’inspection des aliments agit rapidement pour empêcher la propagation de la maladie et pour appliquer les protocoles d’abattage intégral et de désinfection dans les installations touchées. Lorsqu’un élevage de volailles est infecté par la grippe aviaire, l’agence suit un protocole pour procéder à l’abattage intégral et pour désinfecter les installations concernées. Le gouvernement suit de près la situation et demeure en contact avec les provinces touchées de même qu’avec l’industrie.

La sénatrice Simons : Vous parlez d’abattage intégral et de décontamination, qui sont des processus coûteux pour les agriculteurs qui, en plus de perdre leurs volailles, doivent assumer les coûts liés au nettoyage et à la décontamination de leurs installations. Pouvez-vous nous parler du soutien que le gouvernement fédéral offre aux agriculteurs touchés?

Le sénateur Gold : Je vous remercie, chère collègue, de votre question complémentaire.

On m’a informé que les entreprises dont la production est perdue en raison d’un abattage intégral reçoivent une indemnisation selon la juste valeur du marché. Les producteurs ont également accès à une série de programmes de gestion des risques de l’entreprise. Comme il a été indiqué, le gouvernement surveille la situation et s’occupe activement du dossier, notamment en travaillant avec l’industrie pour fournir une indemnisation dans un délai raisonnable et pour soutenir la reprise sécuritaire des opérations le plus rapidement possible.

La justice

Les peines minimales obligatoires

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Hier, nous avons publié un rapport découlant d’une collaboration entre notre bureau, 12 femmes autochtones qui ont subi des injustices et des erreurs judiciaires au sein du système de justice pénale, des sénateurs et des dirigeants autochtones et un grand nombre d’experts et de conseillers. Le rapport souligne comment le colonialisme, le racisme et la misogynie systémiques contribuent à marginaliser, à victimiser, à judiciariser et à institutionnaliser les femmes, y compris en ne protégeant pas les femmes qui subissent de la violence, puis en leur imposant une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité lorsqu’elles ont recours à la force pour tenter de se protéger ou de protéger d’autres personnes. Le rapport demande une révision en bloc des condamnations et des peines visant ces 12 femmes autochtones par l’entremise de la Commission du droit du Canada ou de la commission tant attendue sur les erreurs judiciaires.

Compte tenu du rôle que les peines obligatoires d’emprisonnement à perpétuité jouent dans les erreurs judiciaires qui touchent les femmes autochtones, le gouvernement s’engage-t-il à amender le projet de loi C-5 avant de le renvoyer au Sénat afin que les juges puissent faire leur travail en évaluant toutes les circonstances au moment de déterminer la peine au lieu d’avoir injustement les mains liées par les peines minimales obligatoires, comme ce fut le cas dans les affaires d’un bon nombre de ces 12 femmes?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Le gouvernement a présenté le projet de loi C-5 pour remédier à la surreprésentation des Autochtones, de même qu’au racisme et à la discrimination systémiques, au sein du système de justice. Le projet de loi vise à rétablir l’accès aux peines communautaires et à abroger les peines minimales inutiles qui ont nui indûment aux Autochtones, aux Noirs et aux Canadiens marginalisés. Le gouvernement effectue des investissements majeurs à cet égard, y compris une somme de 9 millions de dollars annoncée récemment qui servira à financer et à agrandir les centres de justice autochtone en Colombie-Britannique.

En effet, le projet de loi C-5 s’inscrit dans une stratégie de justice globale, plus particulièrement en ce qui concerne la lutte contre le racisme systémique, qui est l’une des tâches figurant dans la lettre de mandat du ministre. En outre, j’ai cru comprendre que le ministre avait eu des discussions fructueuses avec des sénateurs autochtones la semaine dernière et qu’il continuera de discuter avec eux. On m’a également informé que le ministre est disposé à avoir de plus vastes discussions sur les stratégies en matière de justice.

La sénatrice Pate : Merci, sénateur Gold.

Toutefois, les recherches menées par le gouvernement lui-même montrent que les mesures prévues dans le projet de loi ne réduiront pas la surreprésentation des Autochtones. J’aimerais donc savoir quand ces commissions seront opérationnelles et quelles étapes il reste à franchir avant que ce soit le cas. Si le gouvernement ne prévoit pas que ces commissions réexaminent dans l’immédiat les affaires mettant ces femmes en cause, comment compte-t-il remédier à ces erreurs judiciaires?

(1440)

Le sénateur Gold : Comme je l’ai dit, le gouvernement est déterminé à lutter contre la surreprésentation des Autochtones, le racisme systémique, la discrimination, et l’injustice qui en découle dans notre système judiciaire.

Pour répondre à votre question, sénatrice, on m’a dit que le gouvernement était en train d’examiner avec soin le rapport dont vous avez parlé ainsi que les recommandations qu’il contient. Par conséquent, je n’ai pas encore de renseignements concernant le calendrier. Toutefois, j’ai aussi été informé que le gouvernement travaille à l’élaboration d’une commission indépendante d’examen des affaires pénales à partir du rapport soumis par les anciens juges LaForme et Westmoreland-Traoré.

Le gouvernement souhaite remercier toutes les personnes qui ont participé aux délibérations et aux consultations, y compris les personnes condamnées à tort, d’avoir fait part de leurs réflexions, de leurs expériences directes et de leurs connaissances.

[Français]

Les affaires étrangères

La nomination d’ambassadeurs dans les pays francophones

L’honorable Amina Gerba : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, la semaine dernière, les gouvernements du Québec et du Canada ont reçu la secrétaire générale de la Francophonie, Mme Louise Mushikiwabo. Son passage à Québec a été l’occasion d’inaugurer une nouvelle représentation de l’Organisation internationale de la Francophonie pour les Amériques, ce qui confirme la place de choix du Québec dans la Francophonie.

Le gouvernement du Canada, bien que très impliqué dans la Francophonie, semble négliger l’importance de ces représentations dans les pays francophones.

Sénateur Gold, pouvez-vous nous dire pourquoi le gouvernement n’a toujours pas nommé d’ambassadeurs dans 14 pays francophones, dont 2 très importants, à savoir la France et le Sénégal, qui sont sans chef de mission depuis 2021?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour la question. Les Canadiens sont bien servis par les femmes et les hommes dévoués de notre service extérieur, qui travaillent sans relâche afin de promouvoir nos valeurs et nos intérêts, en incluant la Francophonie à l’étranger. Le caractère bilingue de notre diplomatie et la présence des deux langues officielles au sein de nos ambassades, de nos hauts-commissariats et de nos missions à l’étranger sont également importants. On m’a assuré qu’une annonce concernant la nomination d’ambassadeurs sera faite en temps opportun.

[Traduction]

Les transports

La pandémie de COVID-19—Les restrictions
concernant les voyages

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, la plupart des sénateurs, sinon tous les sénateurs ont vu dans les médias les files d’attente de plus en plus longues dans les principaux aéroports du Canada, notamment l’aéroport international Pearson, à Toronto.

Récemment, le ministre des Transports a blâmé les retards et la congestion sur les voyageurs eux-mêmes, disant qu’ils ont un peu perdu la main, ce qui est plutôt incroyable.

Sénateur Gold, la vérité, c’est que le traitement des passagers des vols internationaux à leur arrivée prend quatre fois plus de temps qu’auparavant en raison de la vérification des preuves de vaccination, du précontrôle et du recours à l’application ArriveCAN. Ces longs délais sont entièrement imputables au gouvernement et aux mesures liées à la pandémie qui demeurent inutilement en place. Apparemment, la situation est devenue si chaotique que le gouvernement envisage aujourd’hui d’annuler des vols pour alléger le fardeau.

Ma question est simple : pourquoi le gouvernement ne cesse-t-il pas ses manœuvres politiques et ne fait-il pas ce qui s’impose plutôt que d’annuler le vol de millions de Canadiens qui n’ont pas pu voyager et voir leur famille et leurs amis depuis deux ans? Pourquoi le gouvernement ne lève-t-il pas les exigences qu’il impose inutilement et à tort aux voyageurs?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Malgré tout le respect que je dois à mon honorable collègue, le gouvernement n’est pas d’accord pour dire que les mesures qui demeurent en place sont inutiles. Le gouvernement lèvera ces mesures lorsqu’il aura déterminé qu’elles ne sont plus nécessaires pour assurer la santé et la sécurité des Canadiens et des voyageurs qui empruntent notre espace aérien.

Le sénateur Housakos : Sénateur Gold, à entendre le gouvernement, on pourrait croire que l’application ArriveCAN réduit la pression dans les aéroports et que ses mesures ont un effet positif. En fait, c’est cette application qui cause les retards. Nous continuons d’entendre des histoires d’horreur concernant son inefficience et son inefficacité. Pourtant, le gouvernement s’entête à l’utiliser et à la rendre obligatoire, exigeant des transporteurs aériens qu’ils refusent l’embarquement à des passagers qui ont pourtant le droit d’entrer au Canada.

Sénateur Gold, ArriveCAN, comme l’exigence de présenter une preuve de vaccination, devait être une mesure temporaire. Est-ce encore vrai? Plutôt que d’empêcher les Canadiens qui attendent depuis deux ans pour voir leurs proches ou qui veulent aller travailler de prendre l’avion, le gouvernement peut-il nous donner la date où on cessera d’utiliser l’inefficace application ArriveCAN et d’exiger une preuve de vaccination, une autre mesure inefficace? Quand ces exigences inutiles seront-elles levées?

Le sénateur Gold : Le gouvernement du Canada évalue continuellement la pertinence des mesures qu’il a mises en place pour protéger les Canadiens. Dès qu’une décision sera prise quant à la modification des règles, elle sera communiquée.

Les finances

Les frais de transaction de carte de crédit

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse également au leader du gouvernement au Sénat.

Au cours de la campagne électorale fédérale de 2019, le premier ministre avait promis d’éliminer les frais d’utilisation des cartes de crédit sur la TVH et la TPS, affirmant que cela permettrait aux petites entreprises d’économiser près de 500 millions de dollars par an. À la suite du dépôt du budget néo-démocrate—libéral le mois dernier, Dan Kelly de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a déclaré :

Malgré la promesse électorale de 2019 et un engagement budgétaire en 2021, ce budget ne propose aucune réduction des frais de carte de crédit pour les PME. La seule chose qu’on y trouve, c’est une série de consultations.

Pourquoi, donc, monsieur le leader, le gouvernement néo-démocrate—libéral ne tient-il pas sa promesse envers nos entreprises locales? Pourquoi choisissez-vous d’autres consultations plutôt que d’honorer l’engagement que vous avez pris d’éliminer les frais de carte de crédit?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de soulever cette importante question et l’enjeu de la viabilité et du dynamisme des petites entreprises au Canada.

Honorables sénateurs, le gouvernement poursuit ses consultations pour s’assurer que les modifications qu’il proposera seront efficaces. Comme je l’ai déjà indiqué, il continuera de le faire.

La sénatrice Martin : Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, 36 % des propriétaires de petites entreprises affirment que les frais liés aux cartes de crédit ont augmenté pendant la pandémie. Dans le présent contexte de forte inflation et de perturbations constantes de la chaîne d’approvisionnement, les petites entreprises ont besoin d’aide et notamment que le premier ministre honore sa promesse de réduire les frais, non de mener davantage de consultations.

Monsieur le leader, le gouvernement a déjà fait des consultations sur les frais de transaction des cartes de crédit d’août à décembre 2021. Espérez-vous entendre quelque chose de nouveau dans le cadre de nouvelles consultations, alors que les dernières se sont terminées il y a à peine cinq mois? Pourriez-vous également vous renseigner pour savoir quand les prochaines consultations doivent commencer?

Le sénateur Gold : Je vais certainement me renseigner et je vous reviendrai là-dessus.

[Français]

Le patrimoine canadien

Le Comité consultatif sur les nominations vice-royales

L’honorable René Cormier : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, comme l’a indiqué ma collègue, vendredi dernier, les Canadiens et Canadiennes ont appris que le gouvernement fédéral portera en appel la décision de la Cour du Banc de la Reine qui ordonnait ce qui suit :

Le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick doit être bilingue et capable de s’acquitter de toutes les tâches requises de son rôle en anglais et en français.

Sénateur Gold, bien que le gouvernement se soit engagé à ce que le successeur ou la successeure de la lieutenante-gouverneure actuelle du Nouveau-Brunswick soit bilingue et comme l’a souligné le ministre Dominic LeBlanc, que l’insertion d’exigences linguistiques dans une loi soulève des questions complexes, particulièrement de nature constitutionnelle, quel processus le gouvernement entend-il mettre en place pour assurer le bilinguisme de cette fonction à long terme?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie le sénateur pour la question. Comme je l’ai dit et je le répète, le gouvernement reconnaît qu’il est essentiel de nommer des lieutenants-gouverneurs qui ont une bonne connaissance des deux langues officielles, compte tenu du statut du Nouveau-Brunswick en tant que province bilingue.

Comme vous l’avez mentionné, et je l’ai aussi souligné, le gouvernement s’engage à nommer des lieutenants-gouverneurs bilingues au Nouveau-Brunswick dès le prochain processus de nomination. Pour ce qui est du processus, quant au format de celui-ci, je ferai le suivi auprès du gouvernement et je reviendrai à la Chambre si de telles informations sont disponibles.

Le sénateur Cormier : Sénateur Gold, en 2012, le premier ministre Harper avait créé le Comité consultatif sur les nominations vices-royales, qui était chargé de présenter des recommandations au premier ministre relativement à la sélection du gouverneur général, des lieutenants-gouverneurs et des commissaires territoriaux. Ce comité ne s’est pas réuni depuis 2015.

Sénateur Gold, par souci de transparence quant à un éventuel processus de nomination d’un lieutenant-gouverneur bilingue au Nouveau-Brunswick, le gouvernement entend-il remettre sur pied un comité consultatif sur les nominations vice-royales qui aurait notamment comme mandat de présenter des recommandations de candidats ou candidates bilingues au premier ministre? Si oui, quand et comment? Sinon, pourquoi?

(1450)

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question.

Comme je l’ai mentionné, je n’ai pas d’information sur le processus envisagé par le gouvernement. Cependant, je lui poserai la question et je vous reviendrai avec une réponse dans les plus brefs délais.

[Traduction]

Régie interne, budgets et administration

Les travaux du comité

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, j’adresse ma question au sénateur Marwah en sa qualité de président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration. Elle porte non seulement sur la crise climatique mondiale, mais aussi sur le Sénat.

Le Sierra Club et six autres organisations à but non lucratif ont récemment rapporté que le financement des combustibles fossiles par les 60 plus grandes banques du monde a atteint 4,6 billions de dollars américains depuis l’adoption de l’Accord de Paris. Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU, qui a été publié le 4 avril, c’est le temps ou jamais d’agir et il est impératif que le secteur financier réduise rapidement son soutien aux combustibles fossiles.

Sénateur Marwah, la question que je vous adresse en votre qualité de président du Comité de la régie interne est motivée par le fait que les cinq grandes banques du Canada — la Banque Scotia, la RBC, la CIBC, la Banque de Montréal et la TD — figurent parmi les 20 institutions bancaires qui financent le plus les producteurs de combustibles fossiles, et que le rapport du Sierra Club a désigné trois grandes banques canadiennes parmi les douze pires institutions bancaires en matière de financement des combustibles fossiles. La RBC occupe le cinquième rang, la Banque Scotia le neuvième et la TD le onzième. Sénateur Marwah, pouvez-vous nous dire avec quelles banques le Sénat du Canada fait affaire pour l’administration de ses activités, y compris le paiement des salaires des sénateurs et de leur personnel?

L’honorable Sabi Marwah : Merci, madame la sénatrice, de votre question. Vous avez raison. Le Sénat fait appel à plusieurs fournisseurs de services financiers. Pour ce qui est du climat, j’imagine que de très nombreuses facettes des activités du Sénat doivent changer si nous voulons réduire notre empreinte carbone. C’est pourquoi nous avons approuvé la création d’un groupe de travail sur l’environnement chargé d’examiner tous les aspects des activités du Sénat afin de déterminer quelles mesures nous pourrions prendre. Je suppose que ce groupe de travail communiquera notamment avec nos fournisseurs de services financiers, mais aussi avec tous les fournisseurs et les entrepreneurs, pour connaître leurs intentions et parler de ce qu’il leur faudrait faire pour que leurs services soient retenus à l’avenir.

La sénatrice McPhedran : Sénateur Marwah, pouvez-vous nous donner une idée, s’il vous plaît, du calendrier des travaux de ce comité spécial, et du moment où nous pouvons nous attendre à recevoir un rapport?

Le sénateur Marwah : Si ma mémoire est bonne, nous avons donné au groupe de travail jusqu’à la fin du mois de décembre. Colin Deacon est le président de ce comité. Nous leur avons donné jusqu’à la fin du mois de décembre pour faire un rapport au Comité de la régie interne, puis au Sénat.

Les services publics et l’approvisionnement

La réfection du 24, promenade Sussex

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma prochaine question s’adresse aussi au sénateur Gold. La résidence officielle du premier ministre, située au 24, promenade Sussex, est vacante depuis que Justin Trudeau est devenu premier ministre en 2015. En 2016, l’ancienne ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, a déclaré que le gouvernement avait l’intention de rénover le 24, promenade Sussex. Sénateur Gold, une réponse récente à ma question inscrite au Feuilleton montre que, depuis 2016, le gouvernement Trudeau a dépensé 767 000 $ pour tenter de déterminer quoi faire avec cette résidence, et il n’a même pas réussi à concevoir un plan. Cet argent a été dépensé sur des rapports techniques, des études de faisabilité, des estimations des coûts et la validation de tiers, entre autres.

Monsieur le leader, combien de fonds publics supplémentaires le gouvernement néo-démocrate—libéral dépensera-t-il avant qu’une décision soit prise sur l’avenir du 24, promenade Sussex?

Une voix : Faites appel à Mike Holmes.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. C’est un triste fait que la résidence officielle du premier ministre et de nombreux immeubles canadiens ici, ainsi qu’à l’étranger, ont souffert après des dizaines et des dizaines d’années de sous-investissement et de négligence. Par conséquent, ceux d’entre nous qui ont voyagé à l’étranger et ont eu le privilège d’être reçus dans les ambassades canadiennes peuvent témoigner de l’état lamentable dans lequel certaines d’entre elles se trouvent. C’est honteux.

La résidence officielle du premier ministre est tout simplement impropre à l’habitation, et des études doivent être menées pour s’assurer que le premier ministre du Canada, peu importe son identité, possède une résidence qui est à la hauteur de sa fonction.

Le sénateur Plett : Je suppose que quelque chose dans votre réponse se rapportait à ma question. Bien entendu, ce sont surtout des gouvernements libéraux qui se sont succédé au fil des dizaines et des dizaines d’années dont vous parlez.

Monsieur le leader, lorsque les propriétaires canadiens réfléchissent à ce qu’ils vont faire de leur maison, ils n’ont pas le luxe de pouvoir attendre six ans et d’avoir 750 000 $ à dépenser pour peut-être prendre une décision un jour. Toutefois, lorsque ce sont les contribuables qui paient la note, il est facile pour ce gouvernement — et c’est loin d’être le seul cas — de consacrer un temps fou et des sommes astronomiques à l’élaboration d’un plan de rénovation.

Monsieur le leader, ces plans sont en cours d’élaboration depuis 2016. Combien de temps encore — et pas à qui la faute, s’il vous plaît —, monsieur le leader, ce gouvernement néo-démocrate—libéral croit-il qu’il lui faudra pour parvenir à une décision au sujet du 24, promenade Sussex? Cette décision sera-t-elle prise cette année, l’an prochain, ou faudra-t-il attendre le prochain gouvernement?

Le sénateur Gold : Je vais me renseigner et vous revenir le plus rapidement possible.

La Société canadienne d’hypothèques et de logement

L’Incitatif à l’achat d’une première propriété

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question pour le leader du gouvernement fait suite à la dernière réponse qu’il a donnée à la sénatrice Ataullahjan concernant l’Incitatif à l’achat d’une première propriété. Le budget présenté le mois dernier ne contient aucun renseignement sur les changements que le gouvernement néo-démocrate—libéral compte apporter à ce programme ni sur la date d’entrée en vigueur de ces changements. Dans le budget, il est uniquement précisé que le gouvernement explore des options pour rendre le programme plus souple et mieux adapté aux besoins des acheteurs d’une première propriété, y compris les ménages monoparentaux.

Monsieur le leader, les personnes susceptibles d’acheter leur premier logement ont besoin d’aide maintenant. Si le gouvernement néo-démocrate—libéral tient à conserver ce programme inefficace, pourquoi fait-il miroiter de vagues changements sans préciser de date?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Vous partez donc du principe que la crise du logement au Canada ne peut et ne doit être réglée que par le gouvernement fédéral.

Honorables sénateurs, le gouvernement fédéral fournit sa part d’efforts avec les provinces, les municipalités et le secteur privé, afin de régler ce problème très sérieux pour les acheteurs d’une première habitation. C’est pourquoi le gouvernement a proposé des mesures pour aider ceux qui cherchent à acheter leur premier logement. Le gouvernement va notamment investir 200 millions de dollars pour élaborer et élargir les programmes de location avec option d’achat. Il va aussi créer un compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété afin que les Canadiens puissent économiser jusqu’à 40 000 $ sur l’achat de leur premier logement. En outre, il va interdire l’investissement étranger dans le logement canadien pendant deux ans et il va aussi élaborer une charte des droits des acheteurs de propriété en collaboration avec les provinces et les territoires.

Vous m’excuserez du sarcasme au début de ma réponse. En réalité, le problème est très sérieux et il mérite qu’on lui apporte une réponse tout aussi sérieuse, pas seulement de la part du gouvernement fédéral, mais de la part de tous les ordres de gouvernement, dans un esprit de collaboration. C’est en travaillant main dans la main que nous réussirons — je l’espère — à aider les Canadiens pour l’achat de leur première propriété.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter)

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McPhedran, appuyée par l’honorable sénateur White, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-201, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter).

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-201, concernant l’âge de voter, à titre de porte-parole de l’opposition. Le débat sur ce projet de loi a été ajourné au nom du sénateur Dean. Bien sûr, s’il veut qu’il soit de nouveau ajourné à son nom, je n’y vois aucun inconvénient, mais je vais lui laisser le soin d’en décider.

(1500)

Chers collègues, le 23 octobre 1969, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau a abaissé l’âge du droit de vote, le faisant passer de 21 à 18 ans. Même si la population n’avait, pour ainsi dire, pas été consultée avant que ce changement n’entre en vigueur, celui-ci a été largement accepté et qualifié de bonne décision.

De nombreux de facteurs ont contribué à faciliter ce changement. D’abord, plus de 700 000 militaires ayant moins de 21 ans étaient déjà autorisés à voter dans le cadre de leur service militaire.

En outre, plusieurs provinces avaient amorcé des démarches en ce sens depuis un certain temps. En 1944, l’Alberta avait fait passer à 19 ans l’âge du droit de vote. La Saskatchewan avait abaissé celui de ses habitants à 18 ans en 1945. La Colombie-Britannique avait emboîté le pas en faisant passer l’âge du droit de vote à 19 ans en 1952, suivie du Québec, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Manitoba, où l’âge avait été fixé à 18 ans.

Quand le gouvernement du Canada a décidé de modifier l’âge du droit de vote à l’échelon fédéral, l’idée était loin d’être radicale. Toutefois, s’il a fallu plus de 100 ans pour faire passer l’âge du droit de vote de 21 ans à 18 ans, il a fallu moins de deux décennies pour que des pressions soient exercées afin d’abaisser encore plus l’âge du droit de vote et de permettre aux jeunes de 16 ans de voter.

Il est difficile de déterminer ce qui a fait naître ces pressions pour abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans. Par contre, durant la période allant de 1969 à 1989, un changement marquant a eu lieu au Canada : nous nous sommes dotés de la Charte des droits et libertés.

La Charte donne à tous les citoyens canadiens le droit de voter aux élections. C’est donc dire, comme l’explique la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis dans son rapport publié en 1991, que la Charte a renversé le fardeau de la preuve. Il ne s’agissait plus de justifier « pourquoi il faudrait modifier l’âge requis pour voter », mais bien « pourquoi il ne faudrait pas le faire ».

En 1969, il fallait justifier l’extension du droit de vote. Aujourd’hui, comme l’indique le rapport de 1991, « [...] c’est sa limitation qu’il faut justifier ». L’adoption de la Charte a changé la donne, puisqu’elle accorde à tous les Canadiens le droit de voter.

La Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis — appelée Commission Lortie — a été la première à s’attaquer à la question suivante : pourquoi permettre le vote à 18 ans mais pas à 16 ans?

Selon la commission, quand le gouvernement a réduit de 21 ans à 18 ans l’âge requis pour voter, il a tenu compte de trois facteurs. Il s’est demandé, premièrement, si les personnes qui obtiendraient ainsi le droit de vote détenaient un intérêt dans la gestion de la société; deuxièmement, si elles pouvaient voter de façon mûre et éclairée; et troisièmement, si elles participaient à des activités citoyennes.

La commission s’est ensuite servie de ces mêmes arguments pour évaluer la possibilité de réduire davantage l’âge du vote pour le faire passer de 18 à 16 ans. À propos du premier argument, qui consistait à déterminer à quel point les personnes de 16 ans détenaient un intérêt dans la gestion de la société, la commission a dit ceci :

On constate à cet égard que la nature et la portée des responsabilités adultes confiées aux moins de 18 ans sont considérables. Par exemple, en 1990, près de 50 % des 700 000 Canadiens et Canadiennes de 16 et 17 ans faisaient partie de la population active et près de 50 % des personnes de 16 ans ont présenté une déclaration d’impôt sur le revenu. D’autre part, les lois provinciales régissant les politiques sociales et les politiques d’emploi confèrent divers droits et responsabilités aux personnes de 16 ans, notamment le droit d’obtenir un permis de conduire.

À propos du deuxième argument, la mesure dans laquelle on peut s’attendre à ce que les personnes âgées de 16 ou 17 ans puissent exercer le droit de vote de façon mûre et éclairée, on affirme ceci :

[...] à l’âge de 15 ou 16 ans, la plupart [des jeunes] ont acquis une vision du monde social et politique qui ne diffère pas tellement de celle des adultes. Il est également vrai que même si le nombre et la portée des cours d’éducation civique varient d’une province et d’une région à 1’autre, de tels cours sont généralement offerts dans toutes les écoles secondaires du pays. De surcroît, comme pour le reste de la population, les jeunes d’aujourd’hui ont accès à plus de sources d’information sur les questions d’affaires publiques que leurs prédécesseurs, même d’il y a vingt ans. Ainsi, du point de vue de la compétence politique, 16 ans paraît aussi défendable que 18 ans.

À propos du troisième argument, le niveau de participation des jeunes de 16 ou 17 ans à la vie politique, on indique ce qui suit :

Le troisième argument porte sur le sens des responsabilités civiques. Rien ne prouve que les jeunes manquent de sens civique. Au contraire, des recherches sur les attitudes politiques des jeunes indiquent qu’ils ont tendance à être moins cyniques face au processus politique et plus aptes à croire à l’utilité de la participation politique que leurs aînés.

Et pourtant, chers collègues, même après avoir reconnu les qualités positives des jeunes de 16 et de 17 ans, la commission est tout de même parvenue à la conclusion suivante :

Parmi les arguments invoqués pour abaisser l’âge électoral à 16 ans, ceux que nous venons de citer sont les plus valables. Mais ils ne sont pas suffisamment convaincants. En définitive, pour établir l’âge électoral, une société doit déterminer à quel moment les individus atteignent la maturité au plan de la citoyenneté. La plupart des lois fixent l’âge adulte à 18 ans. Par exemple, un individu de moins de 18 ans n’est pas réputé être un adulte aux fins de poursuites criminelles à moins d’une requête spéciale aux termes de la Loi sur les jeunes contrevenants. De plus, un mineur a besoin du consentement de ses parents pour plusieurs décisions importantes, par exemple pour présenter une demande de citoyenneté, se marier ou subir certaines interventions chirurgicales. Comme cela a été souligné à maintes reprises lors de nos audiences, beaucoup de Canadiens et Canadiennes demeurent profondément persuadés que le moment n’est pas venu de fixer l’âge électoral à moins de 18 ans.

La commission a invoqué comme principal argument le fait que même si tous les critères semblaient satisfaits, il fallait se demander à quel moment une personne atteint la maturité sur le plan citoyen, une question incontournable.

La commission n’a pas fourni de réponse définitive à cette question; elle a plutôt reconnu l’absence de consensus à l’époque pour baisser davantage l’âge du vote.

Dix ans plus tard, en 2001, deux Albertains de 16 ans ont demandé au tribunal de se prononcer pour savoir si on devait permettre à des personnes de 16 et de 17 ans de voter. Ainsi, dans l’affaire Fitzgerald c. Alberta, Eryn Fitzgerald et Christine Jairamsingh ont contesté la constitutionnalité de la restriction liée à l’âge. Ce n’était pas la première contestation judiciaire concernant le droit de vote, mais c’était la première fois qu’il s’agissait d’établir si la limite d’âge pour voter prévue dans la loi violait les droits des Canadiens.

Dans sa décision, le juge Lefsrud a reconnu que les demandeurs avaient raison d’affirmer que la limite d’âge pour voter violait leurs droits en vertu de l’article 3 de la Charte qui dit :

Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

Par surcroît, comme le juge l’a indiqué, si tout citoyen a le droit de vote, alors toute loi qui limite ce droit aux personnes de 18 ans et plus viole un droit garanti par la Charte. Chers collègues, cette limite ne viole pas uniquement les droits garantis par la Charte aux personnes de 16 et 17 ans, elle viole aussi les droits de tous les citoyens canadiens de moins de 18 ans.

Le juge Lefsrud a également conclu que la limite d’âge pour voter violait les droits des demandeurs en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte, dont voici le libellé :

La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(1510)

Ceux qui disent qu’empêcher les personnes de 16 ans de voter viole leurs droits garantis par la Charte ont raison. Là-dessus, il n’y a aucun doute. Cependant, comme bien des Canadiens l’ont appris pendant la pandémie, les droits garantis par la Charte ne sont pas absolus. La loi peut prévoir des limites raisonnables à ces droits si on peut démontrer que ces limites sont justifiées dans une société libre et démocratique.

Lors de ses délibérations à l’égard de l’affaire Fitzgerald c. Alberta, instruite en 2002, le juge Lefsrud avait l’avantage de pouvoir se fonder sur des décisions précédentes qui portaient sur les limites prévues par la loi en ce qui concerne le droit de vote. Ces limites avaient déjà été soumises à l’épreuve des tribunaux, notamment dans le cadre de l’affaire Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), instruite en 2002. La Cour suprême du Canada a alors invalidé les interdictions visant le droit de vote des prisonniers.

Dans l’affaire Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), la juge en chef McLachlin a fait l’observation suivante :

Les rédacteurs de la Charte ont souligné l’importance privilégiée que revêt [le droit de vote] non seulement en employant des termes généraux et absolus, mais aussi en le soustrayant à l’application de l’art. 33 (clause de dérogation).

La juge en chef a ajouté ceci :

Les droits garantis par la Charte ne sont pas une question de privilège ou de mérite, mais une question d’appartenance à la société canadienne qui ne peut être écartée à la légère. Cela est particulièrement vrai du droit de vote, pierre angulaire de la démocratie, qui, contrairement à d’autres droits, ne peut faire l’objet d’une dérogation par application de l’art. 33.

La cour faisait valoir que non seulement le droit de vote est protégé par la Charte, mais le libellé est intentionnellement et particulièrement ferme, de sorte qu’un gouvernement ne puisse pas le contourner en utilisant la clause de dérogation.

Comme nous le savons, la clause de dérogation permet à un gouvernement de suspendre les droits garantis par la Charte dans diverses situations et elle a déjà été utilisée de nombreuses fois dans les provinces. Elle ne peut cependant pas servir à suspendre le droit de vote.

En outre, bien que la cour s’en remette souvent à la volonté du Parlement dans ses délibérations, la juge en chef McLachlin a fait remarquer qu’une telle retenue s’avérait inappropriée lorsqu’il s’agit du droit de vote.

Bien qu’une attitude de retenue judiciaire à l’égard des décisions du législateur en matière de politique sociale puisse être appropriée dans certains cas, la loi en cause n’entre pas dans cette catégorie. Au contraire, c’est justement lorsque les choix du législateur risquent de saper les fondements de la démocratie participative défendue par la Charte que les tribunaux doivent se montrer vigilants dans l’accomplissement de leur obligation constitutionnelle de protéger l’intégrité de ce système.

Chers collègues, je souligne ces éléments pour deux raisons. Tout d’abord, pour faire valoir que toute limite imposée au droit de vote ne doit pas être prise à la légère par les tribunaux ni par les parlementaires. Comme l’a indiqué la juge en chef, « [l]e droit de vote est un droit fondamental pour notre démocratie et la primauté du droit ».

Toutefois, en deuxième lieu, ces faits sont importants pour notre examen du projet de loi S-201 puisque tous ont été pris en considération dans l’affaire Fitzgerald, en 2002, lorsque les instances judiciaires se sont penchées sur la pertinence de faire passer de 18 à 16 ans l’âge de voter.

Lorsqu’il a rendu sa décision dans l’affaire Fitzgerald, le juge Lefsrud avait en main le jugement de la juge en chef McLachlin dans l’affaire Sauvé c. Canada, qui avait été publié trois mois plus tôt, en octobre 2002.

Pourtant, même après avoir mentionné que la Cour suprême a conclu que limiter l’âge de voter portait atteinte aux droits protégés par la Charte des Canadiens âgés de moins de 18 ans, et même après avoir dit être d’accord avec la juge en chef McLachlin à l’égard du caractère sacré et prioritaire du droit de voter, le juge Lefsrud a conclu qu’il est justifié, en vertu de l’article 1 de la Charte, de réserver le droit de voter aux personnes âgées de 18 ans et plus.

Chers collègues, deux questions s’imposent : pourquoi le juge est-il parvenu à cette décision et pourquoi l’analyse qui l’a mené à cette conclusion est-elle pertinente dans nos délibérations aujourd’hui? Il est intéressant de constater que les personnes qui militent aujourd’hui pour faire passer à 16 ans l’âge de voter s’en tiennent plus ou moins aux mêmes arguments que ceux présentés dans le rapport de 1991 de la Commission Lortie et dans l’affaire Fitzgerald.

Dans son discours, la sénatrice McPhedran a dit que « [l]a maturité et la responsabilité sociale devraient être le facteur décisif qui détermine si une personne est admissible ou non à voter ».

Sur ce point, je suis d’accord avec la sénatrice McPhedran. La Commission Lortie était du même avis en 1991, puisqu’elle a affirmé :

En définitive, pour établir l’âge électoral, une société doit déterminer à quel moment les individus atteignent la maturité au plan de la citoyenneté.

Le juge Lefsrud a exprimé le même sentiment, déclarant :

Lorsqu’il a établi l’âge de voter à 18 ans, il est évident que le législateur avait pour objectif de s’assurer autant que possible que les personnes admissibles à voter soient assez matures pour faire un choix rationnel et éclairé concernant la personne qui les représentera au gouvernement.

Chers collègues, de nombreux arguments ont été présentés pour justifier qu’on abaisse l’âge de voter à 16 ans. À mon avis, la plupart ne sont pas pertinents. Par exemple, pensons à l’argument qu’on a entendu plusieurs fois quant à l’effet positif que cela aurait sur la participation aux élections. Si on suit cette logique, on devrait abaisser l’âge de voter à 14 ans, ou peut-être 12 ans, voire 10 ans.

Vouloir augmenter la participation aux élections est louable, mais cela ne peut servir de fondement à la décision d’abaisser l’âge de voter. S’il y a un problème de participation, nous devrions cibler les causes fondamentales, plutôt que de simplement élargir l’admissibilité au vote dans le simple but d’augmenter le nombre de personnes qui pourront se présenter dans les bureaux de scrutin lors des élections.

Un autre argument que nous avons entendu est que si l’on permet aux jeunes de 16 ans de voter, il est probable qu’ils continueront à voter plus tard dans leur vie et qu’ils s’intéresseront davantage à leur éducation civique. Encore une fois, c’est un argument intéressant et la participation des électeurs est importante, mais le même argument pourrait s’appliquer aux jeunes de 14 ans et probablement même à ceux de 10 ans. Je suis certain qu’en accordant le droit de vote aux jeunes de 14 ans, il est possible de stimuler l’intérêt d’au moins certains d’entre eux envers leurs cours d’études sociales. Toutefois, là encore, aussi louable que soit cet objectif, il ne constitue pas un critère pertinent pour décider d’abaisser à 16 ans l’âge du droit de vote.

Au cours du débat sur ce projet de loi, un sénateur a fait valoir que puisque nos jeunes sont éloquents, sont confiants et demandent à faire partie de notre processus démocratique, ils devraient avoir le droit de voter. J’applaudis l’éloquence, la confiance et la ferveur de nos jeunes. Malgré tout, encore une fois, je ne suis pas du tout d’accord sur le fait que cela constitue un argument solide pour réduire l’âge du droit de vote. J’ai vu des enfants de quatre ans éloquents et confiants sur YouTube, mais je doute que quiconque veuille leur donner le droit de vote. L’éloquence, la confiance et l’intérêt ne sont pas des critères que nous devrions employer pour déterminer à qui donner le droit de vote.

Ce que je veux dire, sénateurs, c’est que nous devons faire preuve de rigueur dans la façon dont nous évaluons si nous devrions abaisser l’âge de voter. Il ne s’agit pas de savoir si nous valorisons le point de vue et la contribution des jeunes, car je sais que nous le faisons tous. Il ne s’agit pas de notre respect pour les jeunes et du fait qu’ils sont déjà des leaders à part entière. Il ne s’agit pas non plus de faire en sorte qu’ils se sentent réconfortés ou inclus ou quoi que ce soit d’autre qui se situe sur le plan des émotions. Cette décision amène à examiner la question de la maturité.

(1520)

Comme je l’ai indiqué plus tôt, le juge Lefsrud a été clair à ce sujet. Voici ce qu’il a dit :

Dans le même ordre d’idées, l’objectif de l’exigence en matière d’âge est clair si on considère que, en l’absence d’une limite d’âge, un bébé satisfaisant aux exigences en matière de citoyenneté et de résidence aurait le droit de voter. Lorsqu’il a établi l’âge de voter à 18 ans, il est évident que le législateur avait pour objectif de s’assurer autant que possible que les personnes admissibles à voter soient assez matures pour faire un choix rationnel et éclairé concernant la personne qui les représentera au gouvernement. Il est essentiel que l’électorat prenne des décisions rationnelles et éclairées pour assurer l’intégrité du processus électoral, dont le maintien est toujours un enjeu pressant et important dans toute société qui entend respecter les principes fondamentaux d’une société libre et démocratique.

Le juge Lefsrud a conclu en disant :

J’estime pressant et important l’objectif du gouvernement de s’assurer, dans la mesure du possible, que les personnes admissibles au vote aient suffisamment de maturité pour prendre des décisions électorales rationnelles et éclairées.

Dès lors qu’il est établi que l’imposition d’une limite d’âge viole des droits garantis par la Charte et que cette violation vise à faire en sorte que les électeurs soient suffisamment mûrs, voici la prochaine question à se poser, et je cite le juge Lefsrud :

[...] établir, aussi raisonnablement que possible, si le fait de fixer l’âge du vote à 18 ans, plutôt qu’à 16 ou 17 ans par exemple, nuit au droit de vote et au droit à l’égalité.

C’est la question fondamentale dont le Sénat est saisi : les jeunes de 16 ans sont-ils assez matures pour prendre des décisions rationnelles et éclairées sur les personnes qui devraient les représenter au gouvernement?

Chers collègues, comme l’a noté la Commission Lortie en 1991, je concède que la question est quelque peu arbitraire, ce qui rend difficile tout dogmatisme d’un côté ou de l’autre du débat. Comment peut-on définir la maturité? Comment peut-on tenir compte du fait que le degré de maturité varie beaucoup dans chaque tranche d’âge? Ces questions ont été examinées par des universitaires pendant des années.

Dans le long article qu’elle a publié en 2012 dans la Brooklyn Law Review, la professeure Vivian Hamilton, qui recommande d’abaisser l’âge de voter à 16 ans, fait remarquer qu’il « [...] n’existe aucune conception de la compétence électorale reposant sur des principes [...] » Elle explique, comme d’autres avant elle, comment l’âge est devenu un substitut imparfait à la compétence. Elle a écrit ceci :

C’est donc le manque de compétence des jeunes qui doit justifier leur exclusion électorale. Il est incontestable que les nouveau-nés ne possèdent pas cette compétence et que la personne type l’acquiert à un moment donné au cours de son développement. L’âge et le développement cognitif sont liés de manière prévisible. Il y a donc un aspect temporel à l’acquisition de la compétence électorale, pour lequel l’âge est sans doute l’indicateur le plus raisonnable. De plus, étant donné qu’il est impossible de procéder à des évaluations généralisées de la compétence individuelle, il est raisonnable d’appliquer une restriction fondée sur l’âge.

Appliquer une restriction fondée sur l’âge contribue donc à garantir que les électeurs satisfont au critère de compétence électorale. Ce qu’implique la compétence électorale reste toutefois mal défini, même parmi les experts du suffrage [...].

Cela pose des défis importants à ceux qui tentent de modifier l’âge de voter. En l’absence de critères clairs permettant de définir et de mesurer la « maturité », il est tout simplement difficile de justifier un nouvel abaissement de l’âge du droit de vote. C’est peut-être pour cette raison qu’au moins 15 projets de loi visant à abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans ont été présentés au Parlement depuis 1998 et qu’aucun n’a dépassé l’étape de l’étude en comité.

Si vous demandez à des gens ordinaires dans la rue ce qu’ils pensent du droit de vote à 16 ans, vous obtiendrez des réponses très diverses. Je ne dispose pas d’une étude officielle pour étayer cette affirmation, mais je soupçonne que la plupart des gens fondent leur réponse sur l’impression qu’ils ont des jeunes de 16 ans qu’ils connaissent personnellement.

Les jeunes eux-mêmes sont divisés sur la question. Un sondage réalisé par l’organisme Enfants d’abord Canada a révélé que la majorité des jeunes étaient en faveur de l’abaissement de l’âge du vote, mais que beaucoup ne l’étaient pas. Il est tout simplement difficile de contourner la subjectivité de la question.

Ces défis ne sont pas nouveaux. Dans l’affaire Fitzgerald c. Alberta, le juge Lefsrud a fait des observations astucieuses qui, selon moi, continuent d’éclairer le débat aujourd’hui. Avec votre permission, j’aimerais lire trois paragraphes de son jugement :

Comme il est nécessaire d’appliquer une restriction fondée sur l’âge au droit de vote, le seul facteur qu’il reste à considérer consiste à déterminer si le fait d’établir cet âge à 18 ans plutôt qu’à 16 ans, 17 ans ou tout autre âge nuit aussi peu que cela est raisonnablement possible au droit de voter et au droit à l’égalité. Comme les individus se développent et prennent de la maturité à des rythmes différents et que leurs expériences de vie varient grandement, toute restriction fondée sur l’âge raisonnable va exclure certains individus qui pourraient voter de façon rationnelle et éclairée, et va en inclure d’autres qui en sont incapables.

Le bon sens veut qu’établir cette restriction à 18 ans n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif législatif. En général, les individus âgés de 18 ans ont terminé leurs études secondaires et commencent à prendre en main leur propre destinée. Ils doivent décider s’ils poursuivront leurs études ou s’ils rejoindront le marché du travail. Cela coïncide souvent avec la décision de rester à la maison avec leurs parents ou de voler de leurs propres ailes. Il est logique qu’ils obtiennent la responsabilité de voter en même temps qu’ils assument de plus grandes responsabilités au sujet de leur propre avenir. L’expérience est une considération légitime relativement à l’évaluation d’une restriction au droit de vote.

De plus, il est possible de présumer qu’à 18 ans, la majorité des personnes ont terminé leurs parcours d’études secondaires où elles auront appris les notions fondamentales sur la vie en société, notre système politique et l’histoire de notre pays. La réussite de ces cours a permis à ces personnes d’acquérir les connaissances de base importantes qui leur permettent de voter de façon rationnelle et informée.

Je suis conscient que le fait d’avoir 18 ans ne signifie pas automatiquement qu’une personne a terminé des études secondaires. Certaines personnes obtiennent leur diplôme d’études secondaires avant 18 ans, d’autres l’obtiennent après, et d’autres encore ne l’obtiennent jamais. Par ailleurs, je ne peux ignorer le fait que de nombreuses personnes sont contraintes de faire des choix difficiles avant de pouvoir terminer leurs études secondaires, par exemple quitter le foyer familial. Cependant, comme je l’ai mentionné précédemment, l’application de toute restriction fondée sur l’âge sera imparfaite, et aucun autre âge ne coïncide avec un tournant si décisif dans la vie d’une personne. Par conséquent, j’estime que 18 ans est l’âge approprié pour fixer la limite.

Je tiens à souligner que la partie demanderesse a par la suite interjeté appel de la décision. En 2004, la Cour d’appel de l’Alberta a maintenu la décision originale, en déclarant ceci :

Après un examen approfondi des motifs qu’il a invoqués, nous n’avons trouvé aucune erreur dans son jugement et nous sommes essentiellement en accord avec son analyse et sa décision.

Chers collègues, voilà un excellent sommaire des motifs pour lesquels l’âge du droit de vote devrait demeurer à 18 ans. Ces motifs sont aussi valables aujourd’hui qu’ils l’étaient quand ils ont été rédigés il y a 20 ans.

En fait, depuis ce temps, la société est de plus en plus d’accord pour définir un citoyen pleinement responsable comme ayant 18 ans; l’âge n’a donc pas diminué.

Pendant près de 20 ans après l’abaissement de l’âge du droit de vote à 18 ans, les jeunes de 17 ans qui étaient membres des Forces armées canadiennes avaient le droit de vote. La Commission Lortie a signalé que cela s’avérait problématique au titre de la Charte, et a déclaré ceci :

Le fait de donner le droit de vote aux membres des Forces canadiennes âgés de 17 ans peut être vu comme discriminatoire envers les civils du même âge [...] il s’agi[t] d’une mesure discriminatoire difficile à justifier à la lumière de l’article 1 de la Charte, qui garantit l’égalité de tous devant la loi [...] La question est donc de savoir s’il est préférable d’abaisser l’âge électoral à 17 ans pour tous les citoyens et citoyennes, ou de le porter à 18 ans pour les membres des Forces canadiennes. Chers collègues, on a choisi la seconde option. Le droit de vote qu’avaient les membres des Forces armées âgés de 17 ans a donc été annulé dans les années 1990, ce qui a ramené à 18 ans l’âge requis pour voter.

(1530)

On peut aussi regarder comment les exigences fixées pour le permis de conduire ont évolué. Avant 1994, quand une personne de 16 ans obtenait son permis de conduire, aucune restriction ne limitait ses privilèges de conducteur. À partir de 1994, les provinces ont commencé à délivrer des permis de conduire graduels, qui restreignent les privilèges du conducteur pendant un certain temps et requièrent des examens supplémentaires. Ainsi, le droit de conduire des personnes de 16 ans a reculé, et non avancé, au cours des 30 dernières années. En Ontario, les restrictions limitant le privilège du conducteur ne sont pas pleinement levées avant l’âge de 20 ans. En Alberta, elles le sont à 18 ans.

Par ailleurs, comme je l’ai dit plus tôt, au titre de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, les personnes de 16 et de 17 ans ne sont pas traitées de la même façon que les personnes de 18 ans. Ajoutons que l’âge minimum pour consommer de l’alcool est de 18 ans dans trois provinces, et de 19 ans dans le reste du pays. L’âge de la majorité est de 19 ans dans la plupart des provinces et de 18 ans au fédéral. Comme le montrent les données provenant de divers domaines, la société croit encore que ses citoyens deviennent adultes vers 18 ans.

Chers collègues, comme je l’ai dit plus tôt, il n’existe pas de limite claire, fondée sur la science. Dans l’ensemble, je crois toutefois que nous sommes arrivés à un bon compromis en choisissant l’âge de 18 ans, qui concorde avec le consensus social concernant l’âge adulte. Pour citer le juge Lefsrud :

[...] l’application de toute restriction fondée sur l’âge sera imparfaite, et aucun autre âge ne coïncide avec un tournant si décisif dans la vie d’une personne. Par conséquent, j’estime que 18 ans est l’âge approprié [...]

 — et nous ne devrions pas l’abaisser davantage.

En conclusion, je voudrais attirer votre attention sur une autre considération. Comme nous sommes des parlementaires nommés et non élus, je ne pense pas qu’un projet de loi visant à modifier l’âge légal du droit de vote doive émaner de notre assemblée. À mon avis, c’est la prérogative de la Chambre élue, pas la nôtre.

En outre, je signale que le projet de loi C-210, qui est identique au projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui, fait actuellement l’objet d’une deuxième lecture à l’autre endroit, ce qui m’amène à poser la question suivante : pourquoi utilisons-nous le temps et les ressources précieuses du Sénat pour répéter ce qui est déjà en cours à l’autre endroit? Nous devrions attendre et permettre à l’autre endroit de rendre sa décision sur le projet de loi C-210. S’ils adoptent le projet de loi, il nous sera soumis pour examen. S’ils ne le font pas, nous aurons alors la décision que nous attendons.

Chers collègues, comme la plupart d’entre vous le savent, je suis normalement favorable au renvoi des projets de loi au comité pour une étude plus approfondie. Toutefois, dans ce cas et pour les raisons que je viens de mentionner, je ne peux pas le faire et je ne le ferai pas. Je vous remercie, chers collègues.

L’honorable Marilou McPhedran : Sénateur Plett, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Plett : Certainement.

La sénatrice McPhedran : Merci. Le Sénat a déjà présenté plusieurs projets de loi qui visaient à modifier la Loi électorale du Canada, et je voudrais savoir si vous vous rappelez que beaucoup de celles-ci ont été présentées par des sénateurs conservateurs.

S’il faut accepter que toute mesure législative concernant la Loi électorale du Canada doive venir de l’autre endroit, qu’en est-il du projet de loi S-239 de l’ancienne sénatrice Linda Frum, qui visait à modifier la Loi électorale du Canada; du projet de loi S-202 de l’ancien sénateur Lowell Murray, qui visait, durant la 40e législature, à supprimer les élections à date fixe; ou du projet de loi S-224 de l’ancien sénateur Wilfred P. Moore qui visait, durant la 39e législature, à modifier la Loi sur le Parlement du Canada pour imposer des limites de temps? Chacun de ces projets de loi comportait des répercussions sur le déroulement des élections dans ce pays; pourtant, ils viennent tous du Sénat, et ils ont été débattus dans cette enceinte.

Sénateur Plett, pourquoi ce qui est bon pour les uns, c’est-à-dire les anciens sénateurs, n’est-il pas bon pour les autres?

Le sénateur Plett : Je ne suis pas certain de savoir qui sont les uns et qui sont les autres, mais je vais tenter de répondre.

Sénatrice McPhedran, je ne crois pas avoir dit dans mon discours que je parlais au nom du Parti conservateur ou du caucus conservateur. Je donnais mon opinion en mon propre nom. Je n’ai présenté aucun de ces projets de loi, alors je maintiens ce que j’ai dit.

Je considère que des projets de loi comme celui-ci, qui concernent l’âge de voter ou les processus électoraux, devraient émaner de l’autre endroit. C’est pour des raisons semblables que je n’appuie pas de nombreux autres projets de loi d’initiative parlementaire, et pas nécessairement parce que je m’oppose à leur objectif.

La sénatrice McPhedran : Sénateur Plett, ma question complémentaire se fonde sur des rapports publiés dernièrement que j’ai portés à votre attention, quoique récemment, qui émanent de théoriciens conservateurs comme ceux du Tory Reform Group, un groupe de réflexion affilié au Parti conservateur du Royaume-Uni, et qui concluent que le fait d’abaisser l’âge de voter aurait des effets positifs à la fois sur l’engagement politique en général et sur l’adhésion au Parti conservateur en particulier. Un autre rapport rédigé par des députés conservateurs du pays de Galles, de l’Écosse et de l’Angleterre à propos des processus et des résultats qui ont été constatés à la suite de l’abaissement de l’âge de voter expose des arguments très convaincants voulant que les mesures non partisanes qui accordent des droits se trouvent au cœur de l’abaissement de l’âge requis pour voter au fédéral. Ces députés conservateurs ont réfuté des perceptions erronées dont certaines, sauf votre respect, ont été répétées dans le discours que vous venez de prononcer, et ils ont conclu que l’abaissement de l’âge de voter ne favorisait pas de façon disproportionnée les partis de centre gauche. D’ailleurs, on pourrait dire que c’est plutôt le contraire.

Sénateur Plett, avez-vous tenu compte des conclusions de rapports comme ceux-là?

Le sénateur Plett : Encore une fois, sénatrice McPhedran, je n’irais pas jusqu’à dire que vous l’avez affirmé, mais il m’a semblé que vous avez laissé entendre que je m’oppose au projet de loi parce qu’il nuirait à nos chances électorales. Je ne pense pas avoir dit cela. Je pourrais nommer un certain nombre de jeunes de 16 ans qui voteraient pour le Parti conservateur et d’autres qui ne le feraient pas. Ce n’est pas ce qui explique ma position. À mon avis, j’ai été très clair. Mon opposition n’a rien à voir avec les gains ou les pertes que ce changement entraînerait lors des élections.

Permettez-moi de soulever un point, sénatrice McPhedran. Je pense que nous ne commençons pas au bon endroit. Changeons quelques-unes des autres lois canadiennes. Nous pourrions accorder la majorité aux jeunes de 16 ans, mais nous ne le faisons pas. Les contrevenants de 16 ans sont considérés comme de jeunes contrevenants. Nous ne pouvons pas les juger comme des adultes à moins qu’une disposition spéciale s’applique et qu’il s’agisse, bien évidemment, d’un crime odieux et très grave. La même logique s’appliquerait à la consommation d’alcool et à l’enrôlement dans l’armée. Nous allons proposer ou plutôt vous proposez que nous permettions à une personne de voter alors qu’elle ne peut même pas siéger au Parlement. Nous devrions peut-être commencer par les élections municipales et nous devrions abaisser l’âge du droit de vote pour les personnes pouvant me représenter.

Je ne pense pas qu’une personne devrait pouvoir voter pour moi si elle n’est pas autorisée à siéger à la Chambre des communes. De toute évidence, les jeunes de 16 ans ne le peuvent pas. Nous appartenons à différentes tranches d’âge ici, mais s’ils ne peuvent pas siéger à la Chambre des communes, je ne pense pas qu’ils devraient avoir le droit de vote.

Par conséquent, lorsque vous dites que les personnes de 16 ans sont suffisamment matures, l’idée est louable, et elle est peut-être juste, mais si ces personnes sont suffisamment matures et peuvent être considérées comme des adultes, alors traitons-les comme des adultes à tous les égards. Commençons par le commencement et on ira de l’avant ensuite. On ne devrait pas faire les choses à l’envers. On commence par le commencement, puis on va de l’avant.

L’honorable Marty Deacon : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Plett : Certainement.

La sénatrice M. Deacon : C’est un débat très intéressant. On se penche sur cette question depuis longtemps. Je pense à certaines informations et à certaines causes juridiques dont vous nous avez parlé aujourd’hui, et je crois que nous nous sommes tous penchés sur ces données qui, pour la plupart, remontent à 20 ou 22 ans.

Je m’interroge sur un point. En parlant à des milliers de jeunes afin d’avoir une idée plus précise des programmes scolaires en vigueur dans l’ensemble du pays et de l’évolution dans les écoles des cours sur le savoir institutionnel, les fonctions gouvernementales et la participation à la vie civique, j’ai découvert qu’on a fait bien des progrès à cet égard dans les deux dernières décennies.

(1540)

Aujourd’hui, sénateur Plett, vous avez parlé de plusieurs choses qui ne devraient pas être utilisées comme critères. Croyez-vous que les critères pour prendre cette décision ont changé entre les causes juridiques de 2000-2002 et 2022, notamment en raison de ce que nous observons chez les jeunes Canadiens?

Le sénateur Plett : Je dirais que, lorsque j’avais 16 ans, je croyais être assez mûr pour voter. En fait, je croyais être assez mûr pour faire presque tout, à part être jugé devant un tribunal pour adultes parce que j’étais alors considéré comme un enfant contrevenant, ou quelle que soit la terminologie utilisée.

Est-ce que je crois que les choses ont changé depuis? Bien sûr, sénatrice Deacon. Je pense à mes petits-enfants, notamment à ma petite-fille de 17 ans, dont je chantais les louanges il y a une semaine. Elle est tellement plus mûre que je l’étais à son âge. Cela ne fait aucun doute.

Aujourd’hui, je me prends à souhaiter avoir demandé à certains de mes petits-enfants s’ils croient être assez vieux pour voter. Je ne l’ai pas fait. J’aurais probablement dû, et c’est probablement ce que je ferai.

Cependant, comme je l’ai dit dans mon intervention, nous baserons probablement notre jugement sur les jeunes de 16 ans que nous connaissons personnellement. J’aimerais croire que mes trois petits-enfants de 16 et 17 ans — deux garçons et une fille — sont les gens les plus mûrs de leur âge. Ce n’est pas le cas, mais j’aimerais croire qu’ils le sont.

Sont-ils assez âgés pour prendre des décisions? Oui. Sont-ils assez âgés pour être députés? Non, en aucun cas. Comme je l’ai dit à la sénatrice McPhedran, je ne pense pas que nous prenions les choses par le bon bout. Je ne dis pas qu’ils ne sont pas matures. D’ailleurs, les juges n’ont pas dit le contraire. Ils ont dit qu’ils avaient trouvé un équilibre acceptable. Comme je l’ai dit plus tôt, le premier changement a pris une centaine d’années, et on a commencé à envisager un autre changement il y a 20 ans. Je pense que nous avons besoin de prendre un peu plus de temps pour réfléchir et que nous devrions attaquer le problème sous un autre angle.

La sénatrice M. Deacon : Je voudrais dire à mon collègue que je suis impatiente de poursuivre cette discussion pour définir ensemble quels seront les critères déterminants précis que nous devrons prendre en compte afin d’arriver à une décision en 2022.

Le sénateur Plett : Je suis tout à fait d’accord avec cette proposition, et j’espère que beaucoup de sénateurs participeront à ce débat. Cela ne change pas mon opinion concernant l’origine du projet de loi. Cela ne change pas mon opinion à propos du fait qu’il existe un projet de loi similaire à l’autre endroit.

Même si j’accepte l’affirmation de la sénatrice McPhedran selon laquelle nous devrions pouvoir proposer des projets de loi de ce genre ici comme à l’autre endroit, je ne crois pas qu’il soit très logique que la Chambre des communes utilise des ressources pour étudier là-bas ce que nous sommes en train d’examiner ici. En définitive, le projet de loi doit être adopté par les deux Chambres. Si un projet de loi est présenté à la Chambre des communes — et je pense que c’est bien là qu’il doit être initié — et est rejeté par la Chambre, les députés vont probablement rejeter le nôtre lorsque nous le leur enverrons. S’ils rejettent leur projet de loi, nous ne le recevrons pas; s’ils l’adoptent, nous aurons alors la possibilité de faire un second examen objectif.

L’honorable Pat Duncan : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Plett : Bien sûr.

La sénatrice Duncan : Merci, sénateur Plett. Dans vos observations, vous avez parlé d’appuyer le renvoi des projets de loi au comité, et nous avons beaucoup discuté dernièrement des différents comités et de leurs mandats respectifs. En ce moment, la charge de travail des différents comités varie considérablement. Je remarque que la charge de travail du Comité des affaires sociales est très lourde, et c’est aussi le cas du Comité des finances nationales.

Sénateur Plett, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le comité auquel nous devrions renvoyer ce projet de loi après l’examen des sénateurs?

Le sénateur Plett : Je ne veux pas me contredire, mais je ne pense pas que le projet de loi devrait être renvoyé à un comité. Si je dois perdre cette bataille, ma première recommandation serait de le renvoyer au Comité des affaires juridiques, qui est probablement le comité sénatorial le plus occupé.

La sénatrice Duncan : Je voulais simplement remercier le sénateur Plett de sa réponse et d’avoir clarifié ce point. Merci beaucoup.

L’honorable Denise Batters : Sénateur Plett, dans votre discours, vous avez parlé de la Commission Lortie et du fait que, lorsqu’elle a effectué cette étude, en 1990, si je ne m’abuse, elle a dit qu’un nombre considérable de personnes âgées de 16 et de 17 ans faisaient alors déjà partie de la population active. Ayant moi-même été âgée d’un peu plus de 16 ans en 1990, je crois pouvoir affirmer que ce nombre a diminué depuis, étant donné la façon dont les choses ont évolué. Par conséquent, cela donne du poids à la suggestion voulant qu’il vaille probablement mieux maintenir l’âge de voter à 18 ans pour le moment.

Qu’en pensez-vous? Y a-t-il plus de personnes âgées de 16 ou 17 ans au sein de la population active à l’heure actuelle qu’en 1990?

Le sénateur Plett : Je crois qu’il y en avait probablement plus en 1990 et que cette proportion était certainement encore plus grande à l’époque où votre grand-père et mon père, sénatrice Batters, puisque vous êtes beaucoup plus jeune que moi, avaient cet âge. À l’époque, il était courant que les jeunes cessent leurs études après l’école élémentaire. Je crois donc que le pourcentage de personnes de 16 ou 17 ans faisant partie de la population active a certainement diminué au fil des ans.

Je n’ai pas les chiffres exacts, sénatrice Batters, mais je crois que, en dépit du pourcentage que j’ai mentionné, le fait de faire partie de la population active ou d’avoir présenté une déclaration d’impôt sur le revenu ne veut pas nécessairement dire que l’on travaille à plein temps. Même aujourd’hui, mes petits-enfants, dont j’ai parlé, font partie de la population active l’été et fréquentent l’école le reste de l’année. Cela dit, je crois que vous avez raison.

L’honorable Ratna Omidvar : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question, s’il vous plait?

Le sénateur Plett : Certainement.

La sénatrice Omidvar : Sénateur Plett, j’ai écouté attentivement votre intervention, et je pense que vous tracez une ligne entre le passé, le présent et l’avenir. Cela me fait penser que Winston Churchill a dit : « Si nous nous querellons sur le passé et le présent, nous nous apercevrons que l’avenir est perdu. » Ce débat porte sur l’avenir de nos jeunes adultes, c’est-à-dire nos jeunes de 16, 17 ou 18 ans, peu importe le nom qu’on leur donne.

Ma question, cependant, porte sur ce que je crois vous avoir entendu dire, à savoir que vous vous exprimiez à titre personnel et non en tant que membre de votre caucus. Est-il donc juste de supposer que lorsque la question sera mise aux voix pour renvoyer ce projet de loi au comité, chaque membre de votre caucus sera libre de voter comme il l’entend?

Le sénateur Plett : Sénatrice Omidvar, voilà qui m’agace. Les membres de mon caucus votent à titre individuel sur tous les projets de loi, et pas seulement sur celui-ci. Je me demande si ce sera le cas des membres de votre caucus ou si leur vote sera soumis à la discipline de parti. Comme pour quelque projet de loi que ce soit, ce ne sera pas le cas des membres de notre caucus.

Sénatrice Omidvar, aux fins du compte rendu, puisque nous parlons de remonter dans le passé et de nous projeter dans l’avenir, je vous invite à consulter les comptes rendus des votes. Je prendrai pour exemple le projet de loi le plus délicat dont nous ayons été saisis, soit le projet de loi sur le suicide assisté. Nous étions à peu près à 40 contre 60. Donc, oui, nous nous prononcerons à titre individuel.

(Sur la motion du sénateur Patterson, le débat est ajourné.)

(1550)

Projet de loi sur la protection des établissements d’enseignement postsecondaire contre la faillite

Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moncion, appuyée par l’honorable sénateur Dean, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire.

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, j’interviens pour appuyer le projet de loi S-215, Loi concernant des mesures visant la stabilité financière des établissements d’enseignement postsecondaire. Je tiens à remercier la sénatrice Moncion de son initiative, parce qu’elle ouvre la porte à une discussion qui s’impose impérativement.

Je sais que nous pouvons nous entendre sur de nombreux sujets, notamment sur le fait que l’éducation, plus particulièrement l’éducation postsecondaire, est l’un des piliers essentiels pour bâtir une nation. C’est la pierre d’assise de la prospérité, de l’innovation et du positionnement d’une nation dans le monde sur les plans économique, scientifique et culturel.

Sur le plan individuel, l’éducation débouche sur la carrière et l’emploi, mais l’évaluation d’une bonne éducation postsecondaire ne peut se faire uniquement en termes économiques; ce serait rater la cible. L’éducation participe à la formation des gens dans tous les aspects de leur vie et à l’édification de la société. Le Parlement ne doit pas invoquer le fait que l’éducation relève de la compétence provinciale pour ne pas intervenir dans ce domaine et se dérober à sa responsabilité envers la nation.

Nous pouvons intervenir de manière respectueuse, comme la sénatrice Moncion le propose dans cette mesure législative.

La santé de nos établissements d’enseignement postsecondaire repose sur leur viabilité financière. La situation actuelle n’est pas jolie. En fait, c’est un peu la pagaille. Si nous sommes francs au sujet du bourbier dans lequel se trouvent les universités et les collèges, surtout les petits établissements et les établissements en région, nous ferons un examen de conscience sur la Colline. Nous nous sommes laissés entraîner dans un modèle financier qui n’est pas viable et qu’il faut sérieusement reconsidérer ainsi que renouveler.

Le système repose sur les transferts fédéraux, les subventions provinciales aux établissements et les frais de scolarité. Le gouvernement fédéral finance aussi directement des bourses de recherche. S’il y a une embellie à l’horizon, c’est l’annonce dans le budget de 2022 d’une augmentation du financement de la recherche alloué aux universités. On considère généralement qu’avoir différentes sources de revenus est un bon modèle économique, mais ce n’est malheureusement pas le cas ici.

En dehors du financement fédéral des bourses de recherche, le reste du modèle de revenus est en difficulté. Premièrement, le financement de tous les ordres de gouvernement, qui est la principale source de financement de ces établissements, a soit stagné, soit diminué. Entre 1992-1993 et 2015-2016, la contribution du gouvernement fédéral a diminué de 40 % par étudiant.

Deuxièmement, certaines provinces ont plafonné les frais de scolarité et la demande des étudiants au pays est limitée. Ce sont les étudiants qui souffrent le plus de ces réductions. De nombreuses universités font désormais appel à des professeurs à temps partiel ou auxiliaires, ce qui a sans aucun doute une incidence sur la qualité de l’enseignement que les étudiants reçoivent.

D’ailleurs, les recherches montrent qu’un étudiant sur quatre, voire un étudiant sur cinq, qui obtient un diplôme d’un collège ou d’une université en Ontario possède un niveau de littératie et de numératie inférieur aux normes de l’OCDE. C’est inouï.

Le financement des universités par les provinces est disparate. Dans certaines provinces, le financement se fait par quota, dans d’autres provinces, il se fait en fonction du nombre d’étudiants, et d’autres provinces encore fonctionnent au moyen de subventions; peu importe les moyens employés, le système est sous pression.

Par exemple, l’année dernière, l’Alberta a réduit de 135 millions de dollars les budgets de fonctionnement des universités. Le Manitoba, lui, a réduit de 10 millions de dollars le financement des établissements d’enseignement postsecondaire au cours des trois dernières années.

S’ajoutent à ce stress financier les impacts de la crise de la COVID. À l’échelle du pays, les universités et les collèges doivent combler un manque de 2,5 milliards de dollars. Dans ma province, l’Ontario, le manque est de 1,7 milliard de dollars. L’Université de l’Alberta doit faire face à un manque de 120 millions de dollars, et c’est la même chose pour l’Université Dalhousie, à Halifax.

Évidemment, les établissements d’enseignement postsecondaire ont trouvé d’autres façons de générer des revenus et, dans bien des cas, la solution est de recruter des étudiants étrangers. Les frais de scolarité pour les étudiants étrangers sont cinq fois plus élevés que ceux des étudiants canadiens. En moyenne, un étudiant étranger doit payer 32 000 $ en frais de scolarité annuels, comparativement à 6 500 $ pour un jeune Canadien.

Pour un étudiant étranger, le Canada est un endroit attrayant. Aussi élevés que soient les frais de scolarité, ils le sont bien moins que ceux exigés dans d’autres pays comparables. En outre, les étudiants sont autorisés à travailler ici sous certaines conditions, et il existe une voie claire vers la résidence permanente. Il n’est donc pas étonnant que nous ayons observé une augmentation spectaculaire du nombre d’étudiants étrangers venant au Canada. En 2010, il n’y avait que 142 710 étudiants étrangers, mais en 2019, ce nombre était passé à 388 782 étudiants qui, collectivement, ont apporté une contribution de 22 milliards de dollars à notre économie.

C’est une bonne chose. C’est tout à notre honneur, car c’était un impératif national de donner à l’Australie et aux États-Unis une certaine concurrence dans ce domaine.

Cependant, la plupart des écoles qui attirent les étudiants étrangers sont les grandes écoles urbaines, telles que l’Université de Toronto, l’Université McGill ou l’Université de la Colombie-Britannique. Les universités plus petites et parfois plus rurales luttent pour attirer leur part de ces étudiants. À l’Université Laurentienne, dont la faillite a précipité ce projet de loi, les étudiants étrangers ne représentaient qu’environ 3 % de la population étudiante.

L’Université Nipissing, qui connaît également des difficultés financières, compte au total environ 60 étudiants étrangers sur une population étudiante de 4 500 personnes. Les petits établissements sont privés de la seule autre source de revenus.

Peut-être qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada devrait envisager d’accélérer le traitement des demandes d’étudiants étrangers en accordant la priorité aux demandes visant des établissements plus petits afin d’encourager le fait d’étudier et de vivre dans de plus petites collectivités. Nous savons tous que les étudiants étrangers en ont plus qu’assez de l’arriéré dans les approbations. De tels programmes pourraient permettre de faire bouger les choses.

Je suis entièrement en faveur d’attirer les meilleurs étudiants dans les écoles canadiennes, mais je suis consternée par le fait qu’en général, la santé financière de nos établissements d’enseignement postsecondaire dépende autant des étudiants étrangers. C’est un peu comme si on disait que toutes les opérations à la hanche au Canada allaient être payées par des patients étrangers. J’espère que nous réalisons tous que l’externalisation des revenus n’est ni saine ni souhaitable à long terme pour le Canada.

Cette pratique n’est pas non plus bonne pour les étudiants, qu’ils soient étrangers ou non. Il ne faut pas croire que ces étudiants étrangers se promènent tous en voiture de luxe et qu’ils vivent dans des villas, car ce n’est pas le cas. Bon nombre de ces étudiants ont eu de la difficulté à payer leurs frais de scolarité, leur famille vit dans la pauvreté, et les attentes des parents à l’égard de ces pauvres étudiants vivant seuls sont extrêmement élevées.

Le Toronto Star a documenté ces expériences et est arrivé à la conclusion que, même si bon nombre de ces étudiants viennent de milieux modestes, ils doivent payer des frais de scolarité très élevés pas seulement pour pouvoir étudier, mais pour pouvoir demeurer au Canada. Ils doivent faire face à des défis complexes, à des échéances impitoyables, à l’isolement, au stress parental et, souvent, à l’exploitation exercée notamment par des employeurs.

Si vous viviez dans ma ville, vous auriez entendu parler des suicides commis par des étudiants étrangers et même d’un réseau de trafic sexuel qui exploite les étudiantes étrangères qui n’ont personne pour les protéger et qui n’arrivent pas à payer leur loyer.

C’est nous qui avons créé cette tragédie. Nous ne devrions pas faire porter ce fardeau aux étudiants étrangers sans leur offrir l’aide requise parce que nous voulons que les établissements d’enseignement canadiens puissent survivre. Dans ce cas-ci, la fin ne justifie pas les moyens.

Je ne veux pas parler plus longuement du sort des étudiants étrangers, parce que je crois fermement qu’il s’agit d’un excellent et important sujet pour une étude à part entière par un comité, mais je pense que nous devons revoir la façon d’assurer la santé financière des établissements d’enseignement postsecondaire au pays.

C’est pour cette raison que j’appuie l’intention du projet de loi à l’étude et le fait que, s’il est adopté, le ministre devra élaborer une proposition pour la prise d’initiatives fédérales visant notamment à réduire le risque qu’un établissement fasse faillite ou devienne insolvable, à protéger les étudiants, les professeurs et les employés si un établissement faisait faillite ou devenait insolvable, et à appuyer les communautés qui seraient touchées si un établissement faisait faillite ou devenait insolvable.

En outre, lorsqu’il réfléchira à ces questions, le ministre pourra aussi réfléchir au rôle que peut jouer le gouvernement fédéral pour soutenir les universités qui offrent des programmes en français et qui sont plus que de simples établissements d’enseignement, mais des éléments fondamentaux d’un pays bilingue. Il faut penser au-delà du nombre d’étudiants ou du déclin de la population francophone hors Québec.

(1600)

La sénatrice Moncion a réfléchi à l’idée des transferts directs aux départements de langue française des collèges ou des universités. D’aucuns pourraient faire valoir qu’une telle initiative relève du gouvernement fédéral parce que l’objectif consiste à renforcer le bilinguisme de notre pays.

Nous constatons l’impact de ce déclin ici même sur la Colline du Parlement. Nous avons débattu, discuté et déploré la pénurie d’interprètes francophones, car cela signifie que nous ne pouvons pas exercer nos fonctions comme nous le souhaiterions. À mon avis, les parlementaires ont aussi un rôle important à jouer pour relever ce défi. Évidemment, nous devons toujours respecter les limites de nos responsabilités constitutionnelles et éviter de nous éloigner de notre rôle, comme la sénatrice Martin nous l’a si bien rappelé. Toutefois, cette proposition ferait en sorte que le ministre fédéral serait tenu de collaborer avec les gouvernements provinciaux, de consulter les intervenants et de proposer à l’échelon fédéral des solutions et des initiatives qui auraient pour but de renforcer la viabilité de notre système d’éducation postsecondaire.

Chers collègues, le deuxième élément du projet de loi de la sénatrice Moncion concerne une faille importante qu’elle a signalée et qui mérite notre attention. Cet élément vise à éviter que des établissements d’enseignement postsecondaire publics aient recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité — à ne pas confondre avec les autres aspects de cette loi sur lesquels nous nous penchons — afin de prévenir des situations comme celle dans laquelle l’Université Laurentienne s’est trouvée.

La question est vraiment de savoir si la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la LACC, qui relève de la compétence fédérale, est la bonne loi pour les collèges et les universités aux prises avec des problèmes financiers. J’ai parcouru le Web et consulté une liste d’entreprises qui ont demandé la protection contre l’insolvabilité en vertu de la LACC au cours des trois derniers mois. Voici ce que j’ai obtenu : une franchise sportive, une société immobilière, une société de gestion de l’eau et une pizzeria.

Essentiellement, la loi vise le secteur privé. Il y a lieu de se demander comment une université financée par les deniers publics s’est trouvée dans le même lot.

Comme la sénatrice Martin l’a mentionné dans son discours, il n’était pas nécessaire qu’il en soit ainsi. La vérificatrice générale de l’Ontario a étudié le dossier de l’Université Laurentienne et a conclu que l’établissement n’avait pas besoin de se placer sous la protection de la LACC. Bien que la province lui ait offert plus d’argent, l’université a plutôt choisi stratégiquement de prendre des mesures afin de demander la protection contre les créanciers. C’est ce qui a amené la vérificatrice générale de l’Ontario, Bonnie Lysyk, à déclarer que les répercussions de cette demande sont profondes et suscitent de vives réactions, surtout à Sudbury, où l’université est un employeur important qui contribue au tissu social et économique de la collectivité.

En choisissant la protection contre les créanciers prévue par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, l’Université Laurentienne a pu contourner des dispositions de ses conventions collectives, ce qui a permis à l’administration de congédier davantage d’employés ayant plus d’ancienneté et de régler un certain nombre de griefs de longue date. L’université a supprimé 36 % de ses programmes et a congédié 195 employés, ce qui a eu de graves répercussions sur les aspirations de plus de 930 étudiants.

La vérificatrice générale a conclu que de solides arguments permettent de dire que la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, un outil important pour le secteur privé, est un recours inapproprié pour des entités publiques. Dans le secteur public, certains principes rigoureux, comme la transparence, la reddition de comptes et la primauté de l’intérêt public, font qu’une ordonnance de protection judiciaire au titre de la LACC est un choix néfaste pour les entités publiques.

Aujourd’hui, c’est l’Université Laurentienne qui a choisi cette voie. Demain, cela pourrait être un hôpital ou un musée, sait-on jamais. Nous devons éliminer cette échappatoire pour protéger l’intérêt public en garantissant la santé de nos institutions publiques.

Pour conclure, chers collègues, j’appuie le projet de loi et j’aimerais avoir votre soutien pour le renvoyer au comité.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Moncion, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.)

[Français]

Projet de loi de Jane Goodall

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux).

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui sur le projet de loi S-241, le projet de loi de Jane Goodall, qui a été présenté par mon collègue le sénateur Marty Klyne.

D’emblée, je crois qu’il est nécessaire de renforcer la protection des animaux sauvages en captivité, et même carrément d’interdire l’achat ou la reproduction d’éléphants, de grands singes et de cétacés. Dans un monde qui se préoccupe de plus en plus du bien-être animal, emprisonner des animaux sauvages pour le plaisir des êtres humains est de moins en moins acceptable.

Un exemple honteux de cette situation s’est produit en plein cœur du Québec et a bien montré qu’il était nécessaire d’agir. En mai 2018, la plus importante saisie d’animaux victimes de négligence et de cruauté a eu lieu au Canada, au Zoo de Saint-Édouard, dans la Mauricie. Il s’agissait dans ce cas-ci de 200 animaux exotiques, notamment des lions, des tigres, des ours et des kangourous, qui avaient été privés de soins vétérinaires et qui ont été retirés d’installations inadéquates et insalubres. La bougie d’allumage a été le signalement de maltraitance qui a été fait par une visiteuse du zoo.

Ce scandale a soulevé bien des questions sur les bonnes pratiques des zoos. En effet, le Zoo de Saint-Édouard avait été condamné à plusieurs reprises, mais il avait toujours réussi à conserver son permis.

Comment empêcher que de telles dérives se produisent? Certains voudraient mettre la clé dans la porte de tous les zoos et des aquariums. Toutefois, ce n’est pas ce que vise le projet de loi du sénateur Klyne.

Il propose plutôt de faire une réforme approfondie et complexe en matière d’espèces interdites et de permis nécessaires. La législation imposerait des règles nationales beaucoup plus strictes pour la possession de certaines espèces de félins, de primates et de canidés.

Le projet de loi permet aux zoos et aux aquariums de conserver les animaux sauvages qu’ils possèdent déjà, mais il resserre les conditions de leur captivité pour l’avenir.

(1610)

[Traduction]

Le projet de loi S-241 interdirait à presque tous les zoos de garder en captivité plus de 800 espèces d’animaux sauvages, y compris les grands félins, les ours, les loups, les phoques, les otaries et certains reptiles, comme les crocodiles et les serpents venimeux. Ces animaux ont été choisis parce qu’ils sont plutôt dangereux, d’autres parce qu’ils ont besoin d’un plus grand espace ou d’un climat différent du nôtre.

Pour outrepasser l’interdiction, les quelque 100 jardins zoologiques devront demander des licences du gouvernement fédéral ou provincial et respecter des conditions strictes concernant la recherche scientifique et les intérêts des animaux.

Les établissements seront aussi en mesure d’obtenir la désignation d’organisme animalier admissible si elles respectent une série de conditions, y compris l’observation des normes les plus élevées en conservation d’animaux, le respect des pratiques exemplaires et l’établissement d’un mécanisme de protection des dénonciateurs qui travaillent dans les zoos.

Certains croient que l’obtention des licences sera compliquée. Le propriétaire du Parc Safari, à Hemmingford, au Québec, croit aussi que le projet de loi S-241 est la première étape vers l’interdiction des jardins zoologiques, étant donné les restrictions sur l’importation et l’exportation d’animaux.

Je n’ai rien contre l’idée d’adopter des normes plus rigoureuses et d’imposer des restrictions supplémentaires afin de mieux protéger les animaux. Cependant, je m’inquiète des traitements différents que ce projet de loi réserve aux zoos et aux aquariums du pays. D’une part, presque tous les zoos et aquariums devront tenter d’obtenir une autorisation de l’administration fédérale une fois que la loi entrera en vigueur, mais, d’autre part, le projet de loi accorde des exemptions à sept zoos et aquarium au Canada parce qu’ils sont membres d’un organisme privé des États-Unis, soit l’Association of Zoos and Aquariums, ou AZA. Ces sept organismes sont le Zoo de Granby, le zoo de Calgary, le Biodôme de Montréal, le zoo de Toronto, l’aquarium Ripley du Canada, le parc zoologique Assiniboine de Winnipeg et l’aquarium de Vancouver. Ce sont essentiellement de grands établissements qui ont plus de ressources. Pour obtenir une accréditation de l’AZA, il faut payer environ 12 000 dollars américains, mais il faut surtout un personnel dévoué et des mois de préparation, voire des années.

Selon le sénateur Marty Klyne et les groupes qu’il a consultés, le traitement accordé à ces sept établissements est justifié, puisque l’AZA impose des critères très rigoureux avant d’accorder son approbation. L’AZA, qui est basée au Maryland, accorde principalement son accréditation à des attractions des États-Unis, mais aussi d’une dizaine d’autres pays. À certains égards, ses normes sont plus rigoureuses que celles de son homologue canadien, l’Association des zoos et aquariums du Canada, ou AZAC.

Je répète que lorsqu’il s’agit du bien-être des animaux, il est très important d’appliquer les normes les plus élevées, comme le fait le projet de loi S-241. Là n’est pas la question et c’est la raison pour laquelle j’appuie ce projet de loi. Cependant, il me paraît injuste de favoriser certains établissements plutôt que d’autres. À mon avis, tous les zoos et les aquariums devraient avoir les mêmes procédures administratives. Ou bien ils suivent tous le même processus pour obtenir un permis, ou bien tous ceux qui répondent aux critères sont exemptés, peu importe l’accréditation de l’AZA.

Le système à deux vitesses que propose le projet de loi accorde à ces sept zoos et aquariums un avantage majeur, étant donné que si certains d’entre eux ne respectent pas leurs obligations à l’avenir, il pourrait s’avérer nécessaire de modifier la loi, ce qui ne se fait pas toujours rapidement.

[Français]

À vrai dire, c’est cet aspect du projet de loi qui a été jugé plutôt injuste par certains zoos qui ont moins de moyens, mais qui font des efforts pour améliorer le sort de leurs animaux. Le Zoo sauvage de Saint-Félicien fait partie du lot. Je remercie d’ailleurs le bureau du sénateur Klyne d’avoir pris le temps de rencontrer Lauraine Gagnon, directrice de ce zoo. Cette dernière, qui s’inquiétait que ce projet de loi compromette l’avenir de son zoo, s’était d’abord adressée à son député, Alexis Brunelle-Duceppe, qui ne comprenait pas lui non plus le traitement différencié prévu dans le projet de loi S-241. Le dialogue est donc entamé.

Le Zoo de Saint-Félicien est une attraction touristique importante au Saguenay-Lac-St-Jean, qui attirait plus de 200 000 visiteurs par an avant la pandémie. C’est une organisation à but non lucratif qui traite ses animaux de manière exemplaire. Tous les animaux sont dans la zone boréale et ils ont énormément d’espace. En fait, au Zoo de Saint-Félicien, ce sont les visiteurs qui sont en cage, dans un train, et les animaux qui sont en semi-liberté, dans un parc de 324 hectares. Les animaux qui sont gardés dans des enclos bénéficient d’espaces qui dépassent largement les exigences. Le Zoo de Saint-Félicien participe à des activités scientifiques de recherche et collabore à un programme étranger réputé sur les espèces menacées.

Le projet de loi S-241 vise 10 des 75 espèces présentes au Zoo de Saint-Félicien, d’où l’inquiétude de la directrice, qui a rappelé que son zoo était un organisme à but non lucratif et que l’obtention des licences prendra du temps et des ressources. Elle aimerait pouvoir bénéficier du même traitement que les sept zoos et aquariums qui ont été exemptés de démarches administratives. Elle ne comprend pas pourquoi des organisations qui satisfont aux normes prévues dans le projet de loi S-241 sont désavantagées, uniquement parce qu’elles ne sont pas membres de l’AZA.

Le Zoo de Saint-Félicien n’est qu’un exemple, bien sûr, et je ne prétends pas connaître les conditions de vie des animaux dans la centaine d’autres zoos et aquariums du Canada. Toutefois, il me semble qu’il y aurait lieu d’examiner le processus d’octroi des licences pour s’assurer que toutes les organisations qui satisfont aux normes sont traitées équitablement, sans avantage administratif injustifié.

Selon le professeur de droit de l’Université d’Ottawa Benoît Pelletier, ce traitement différencié sur la base d’une adhésion à un organisme privé étranger pourrait être contesté sous l’angle des principes de justice naturelle propres à notre droit administratif.

La mise en œuvre de la loi pourrait aussi s’avérer complexe. Le gouvernement fédéral partage avec les provinces la compétence en matière d’animaux sauvages en captivité. Comment réagiront les provinces si le gouvernement fédéral refuse ou tarde à accorder une désignation d’organisme animalier à une attraction qui contribue au développement régional? Le ministère de l’Environnement aura-t-il les moyens d’inspecter régulièrement les zoos, ou comptera-t-il seulement sur les lanceurs d’alerte, les visiteurs ou les organismes de défense des animaux? Les zoos qui devront se conformer aux nouvelles règles auront un certain temps pour effectuer la transition. Ils pourront garder les animaux visés par des interdictions jusqu’à leur mort. La tendance au renforcement des normes est toutefois inéluctable. Le public est de plus en plus sensible au bien-être animal, et les Autochtones l’ont été bien avant les autres.

La professeure Valéry Giroux, de l’Université de Montréal, spécialiste en éthique animale, s’est prononcée sur les ondes de Radio-Canada à ce sujet. Elle a dit ceci :

Les parents qui amènent leurs enfants au zoo sont souvent motivés par d’excellentes raisons. Ils veulent stimuler chez leurs enfants un intérêt pour la nature, un respect envers les animaux. Le problème, c’est que les animaux qui se trouvent dans les zoos sont aliénés, et représentent donc très mal leurs cousins qui vivent de leur milieu naturel. Visiter le zoo, ce n’est pas comme visiter un bout de nature, mais c’est plutôt comme visiter une prison ou un hôpital psychiatrique. Ce qu’on apprend aux enfants en les amenant au zoo, ce n’est pas à développer de la compassion envers les animaux ou à respecter la biodiversité; on leur apprend plutôt que les animaux sauvages sont faits pour être gardés captifs et pour nous divertir. On leur apprend qu’il est correct de capturer des animaux, de les priver de leur liberté, d’interférer dans leurs liens sociaux, tout ça pour notre bon plaisir.

C’est une vision du bien-être animal qui contraste fortement avec celle de notre enfance et celle que plusieurs d’entre nous ont transmise à leur progéniture.

Je remercie le sénateur Klyne de cet effort ambitieux. Une étude en profondeur menée par un comité permettra d’évaluer si des amendements sont nécessaires pour rendre le projet de loi plus équitable et pour s’assurer que sa mise en œuvre soit aussi efficace et harmonieuse que possible.

Merci.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Klyne, avez-vous une question?

(1620)

L’honorable Marty Klyne : Oui, j’ai une question, si la sénatrice accepte d’y répondre.

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie de vos observations, pour lesquelles je vous suis très reconnaissant.

J’ai deux questions à poser. Voici la plus simple : êtes-vous au courant que le zoo de Toronto se trouve en plein processus de renouvellement de son accréditation de l’Association of Zoos and Aquariums, ou AZA?

La sénatrice Miville-Dechêne : Non.

Le sénateur Klyne : Merci.

En conséquence, il pourrait ne pas se voir accorder une licence. Aucune exemption ne s’applique simplement parce que l’organisme est membre de l’AZA. Cette association établit des normes très élevées. Si l’organisme respecte les normes de l’AZA, on lui octroie une licence, et non pas une exemption.

Tous ces zoos doivent renouveler leur certification. Idéalement, la plupart d’entre eux l’obtiendront. Certains pourraient avoir des difficultés; il y aura alors une suspension qui pourrait pousser le ministre responsable à remettre en question le maintien de la licence, si le projet de loi est adopté.

Il n’y a pas de système à deux vitesses. Il n’est pas obligatoire d’être membre de l’AZA. En fait...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Avez-vous une question, monsieur le sénateur?

Le sénateur Klyne : Oui, j’en venais à ma question.

Je me demande simplement si vous comprenez qu’il n’y a pas de système à deux vitesses. Tous les zoos peuvent demander une licence, et le ministre s’en occupera.

Je souligne donc le fait qu’il n’y a pas de système à deux vitesses et je veux savoir si vous êtes au courant que tous les zoos ont le droit de demander une licence.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, il y a un système à deux vitesses puisque les seuls zoos qui sont nommés dans le projet de loi sont ceux qui ont obtenu une certification de l’AZA. Vous les nommez dans le projet de loi. Ce faisant, vous leur donnez une protection supplémentaire parce que, bien qu’ils puissent à un moment donné perdre leur certification, ils apparaîtront toujours dans le projet de loi comme étant désignés, alors que les 100 autres zoos doivent passer par un programme de certification. Je comprends que vous avez adapté les normes à respecter, mais vous avez aussi donné un privilège et un passe-droit à ces sept zoos dont le nom est inscrit dans le projet de loi. Cela peut poser problème, selon moi. Cependant, je pense qu’on peut effectivement continuer d’y réfléchir.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le temps de parole de la sénatrice est écoulé.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

La Loi sur la radiocommunication

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Patterson, appuyée par l’honorable sénateur Cormier, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-242, Loi modifiant la Loi sur la radiocommunication.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-242, Loi modifiant la Loi sur la radiocommunication.

Je voudrais remercier notre collègue le sénateur Dennis Patterson d’avoir présenté ce projet de loi qui, je l’espère, permettra d’inciter enfin le gouvernement à agir dans ce dossier important.

Le projet de loi du sénateur Patterson vise à créer une mesure juridique qui dissuadera les entreprises de déconnecter des collectivités canadiennes, notamment des collectivités rurales, des infrastructures à large bande. À mon avis, ce projet de loi donnerait enfin suite à une recommandation de longue date, à savoir que le gouvernement exige que les entreprises utilisent le spectre qui leur a été alloué ou qu’elles ont développé si elles ne veulent pas le perdre. Si nous pouvons finalement imposer cette exigence, le projet de loi garantirait que les régions rurales du Canada profitent de l’attribution des fréquences du spectre.

Comme le sénateur Patterson l’a indiqué dans son discours, le problème c’est que trop de collectivités canadiennes, en particulier les collectivités rurales, ne sont pas connectées à des réseaux à large bande. Pour que les entreprises de télécommunications puissent offrir des services sans fil comme des services cellulaires ou des services sans fil à large bande, elles doivent avoir accès à un spectre suffisant pour fournir des services sans fil de haute qualité.

Comme le sénateur Patterson l’a affirmé, la disponibilité limitée des spectres pourrait nuire aux grandes sociétés de télécommunications, ainsi qu’aux petites entreprises présentes dans tant de collectivités rurales. En effet, dans une ère où le numérique occupe de plus en plus de place, ces entreprises ont besoin d’un accès aux spectres pour demeurer concurrentielles, et cet accès deviendra certes plus crucial au fil des années et des décennies à venir, à mesure que nous nous tournerons vers les technologies 5G et au-delà.

Étant donné qu’une entreprise novatrice peut maintenant, en réalité, être située n’importe où au Canada, nous ne pouvons nous permettre de laisser de grandes parties du pays dépourvues d’infrastructure à large bande efficace. Comme l’a dit le sénateur Patterson, le problème, c’est que le Canada rural n’est pas bien positionné pour la mise en œuvre du service 5G.

Une grande partie du problème découle du squattage de spectre. Le gouvernement fédéral est responsable de la vente aux enchères du spectre, laquelle lui rapporte des recettes considérables. La dernière vente aux enchères de la bande de fréquence de 3 500 mégahertz au Canada a généré des recettes records de 8,9 milliards de dollars, les trois sociétés de télécommunication dominantes du pays comptant pour plus de 80 % de cette somme.

À quelle fin affecte-t-on ces fonds? Si l’on consacrait l’intégralité de ces 9 milliards de dollars à l’amélioration de la connectivité, pourrions-nous remédier en tout ou en partie aux obstacles à la prestation d’une connectivité équitable au Canada? Presque assurément.

Cependant, si nous tentions de découvrir à quelles fins ces fonds sont affectés, nous risquerions fort probablement d’être déçus. Je crains que ces recettes soient simplement considérées comme une vache à lait pour alimenter les dépenses toujours plus injustifiées d’un gouvernement irresponsable.

En fait, rien ne prouve que la moindre partie des sommes que touche le gouvernement grâce aux enchères du spectre serve à améliorer la connectivité pour les Canadiens.

Qu’en est-il de l’importance, sur le plan de la politique publique, d’exiger des comptes des acheteurs du spectre?

Le problème est qu’il n’y a guère d’incitation pour beaucoup d’acheteurs de spectre à y avoir recours dans un délai raisonnable. En réalité, comme l’a souligné le sénateur Patterson, moins de 20 % des parties du spectre accordées en milieu rural sont utilisées par les fournisseurs régionaux. Soit les entreprises n’ont pas les ressources nécessaires pour le déployer, soit elles décident de ne pas le faire pour des raisons stratégiques.

Le sénateur Patterson a tout à fait raison de dire que nous avons besoin d’un environnement politique qui ne tolère plus cette pratique qui consiste à squatter le spectre, pour reprendre son expression. Dans ce contexte, il nous faut également réfléchir aux répercussions de cette pratique sur les collectivités les plus vulnérables.

Comme l’explique un récent article de James Hobart et de Cindy Woodhouse dans Options politiques, « bon nombre de collectivités autochtones situées dans des régions éloignées sont coupées du monde numérique [...] »

Le gouvernement des États-Unis a récemment décidé d’accorder aux communautés autochtones américaines des régions rurales un accès prioritaire au spectre inutilisé et non attribué. Le Canada devrait-il suivre cet exemple? Pour répondre à cette question, nous devons tenir compte de la triste réalité : seulement 37 % des communautés rurales et 24 % des communautés autochtones ont accès à Internet haute vitesse. Nous savons que le manque de connectivité exacerbe les inégalités socioéconomiques, notamment sur le plan des occasions d’affaires, de l’emploi, de l’éducation et de la santé physique et mentale.

Si nous souhaitons sincèrement nous réconcilier avec les peuples autochtones, il faut mettre fin aux inégalités. Le gouvernement doit prendre des mesures afin de combler les écarts importants qui touchent les communautés les plus vulnérables. Lors des élections de 2021, la plateforme électorale du Parti conservateur proposait une politique pour remédier à ces inégalités. En voici un premier extrait :

Alors que la technologie continue à évoluer, l’infrastructure de l’avenir — large bande et 5 G — sera de plus en plus essentielle à la création d’emplois.

La plateforme proposait aussi ce qui suit :

Construire une infrastructure numérique pour connecter tous les Canadiens à Internet haute vitesse d’ici 2025 [...]

Accélérer la mise en place de la large bande dans les régions rurales.

Accélérer le processus de vente du spectre pour que ce dernier soit plus utilisé et appliquer des dispositions « utilisé ou perdu » pour assurer qu’il est réellement développé (surtout dans les régions rurales) [...]

Le gouvernement actuel s’est engagé, lui aussi, à adopter une approche « utilisé ou perdu ». Cet engagement figure dans la lettre de mandat du ministre Champagne, selon laquelle le ministre doit :

Accélérer le déploiement du service à large bande en exigeant que ceux ayant acheté des droits pour déployer la large bande respectent les jalons établis dans l’offre de la large bande, sous peine de perdre leurs droits de spectre.

Malgré le consensus qui existe à ce sujet, les progrès sont beaucoup trop lents et l’écart continue de se creuser. Il ne fait aucun doute que, parce que le gouvernement actuel tarde à agir, le Canada a maintenant un retard considérable à rattraper. Selon Michael Geist, professeur à l’Université d’Ottawa, le Canada se situe en queue de peloton parmi les pays en ce qui concerne le nombre d’abonnements au service mobile à large bande par 100 habitants. Il se classe bien en dessous de la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques et devance seulement six autres pays de l’OCDE. Le Canada accuse également un retard par rapport à la plupart des pays de l’OCDE en ce qui concerne l’utilisation des données mobiles par abonnement au service à large bande.

(1630)

À l’inverse, la 5G est déjà en cours de déploiement dans des pays comme la Corée et le Japon, pour ne nommer que ceux-là. Le Japon s’est officiellement engagé à utiliser l’attribution du spectre de manière efficace et efficiente pour répondre aux besoins de la « société 5.0 » et au-delà. La Corée travaille déjà sur les considérations liées à la 6G et le gouvernement et les universités participent à la planification et à l’étude des applications pour les utilisateurs finaux.

L’approche léthargique du Canada aura des répercussions majeures sur la compétitivité mondiale du pays. Le spectre est une ressource essentielle dans l’économie d’aujourd’hui et de demain. Helaina Gaspard, Alanna Sharman et Tianna Tischbein de l’Université d’Ottawa ont récemment publié un article intitulé « Governing Connectivity: How is Spectrum Policy Impacting the Lives of Canadians? » dans la revue Policy, où elles font remarquer ceci :

Le spectre joue un rôle direct ou indirect dans la plupart des domaines du développement industriel et de l’activité économique. De la connectivité à la médecine en passant par le transport et la navigation, la politique du spectre — les politiques qui déterminent la manière dont le spectre est attribué aux divers utilisateurs et à différentes utilisations — a des répercussions sur les économies et les populations.

À mesure que nous développons cette ressource pour rendre notre pays plus compétitif, nous devons nous assurer que tous les Canadiens de toutes les régions du pays, y compris les régions rurales et éloignées, en profitent. Si nous manquons à ce devoir, cela aura des répercussions non seulement sur notre compétitivité économique, mais aussi sur la capacité du gouvernement lui-même à offrir des services en ligne efficaces permettant de remplir les mandats ministériels. Cela est déjà évident dans le secteur de la santé.

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale, par exemple, a constaté qu’un nombre croissant de Canadiens cherchant à obtenir des services de santé mentale n’ont pas pu les recevoir.

Selon le site Web des Services aux Autochtones Canada, les fournisseurs de services de santé mentale « doivent être inscrits auprès d’Express Scripts Canada », un outil de gestion de la santé en ligne :

[...] afin de facturer le programme des [services de santé non assurés] pour les services fournis aux clients des Premières Nations et des collectivités inuites admissibles. Veuillez prendre note que les fournisseurs qui ne sont pas inscrits auprès d’Express Scripts Canada ne pourront plus soumettre de réclamation pour le programme des SSNA.

Comme de plus en plus de services sont mis en ligne, les Inuits et les Premières Nations en région éloignée ne pourront pas avoir accès à ces services essentiels. Pour aggraver la situation, une enquête publiée par l’Institut canadien d’information sur la santé suggère qu’en 2019-2020 :

[...] la moitié des Canadiens ont attendu jusqu’à 1 mois pour des services de counseling continus dans la collectivité, mais 1 sur 10 a attendu plus de 4 mois.

Il faut s’attaquer à ce manque criant de services Internet pour le bien-être des collectivités éloignées du Canada. Voici ce qu’on peut lire dans l’article rédigé par Helaina Gaspard, Alanna Sharman et Tianna Tischbein :

Si le Canada souhaite changer la donne en matière de connectivité, il devrait commencer à songer à la façon dont la politique relative au spectre est liée aux instruments et aux incitatifs (y compris les subventions) concernant le déploiement.

Les autrices ont aussi expliqué que :

[l]a façon dont on attribue le spectre ne devrait pas être qu’une question de revenus; elle devrait viser à atteindre les résultats escomptés, c’est-à-dire la connectivité pour tous.

C’est manifestement essentiel pour bon nombre de nos services sociaux et de santé, mais aussi pour tous les autres secteurs de notre économie. C’est également crucial pour les régions rurales et éloignées.

J’aurais tendance à dire que dans la nouvelle économie créée par la pandémie mondiale, où plus de Canadiens que jamais travaillent de la maison et continueront de le faire, ce fait est maintenant clair comme de l’eau de roche. C’est là que le projet de loi du sénateur Patterson devient très utile, car il établit un cadre juridique devant permettre d’atteindre l’objectif que le gouvernement prétend vouloir atteindre.

Plus précisément, le projet de loi du sénateur Patterson ferait deux choses. Premièrement, il préciserait les pouvoirs du ministre pour que celui-ci puisse annuler les licences des entreprises qui refusent de déployer le spectre à au moins 50 % de la population dans la zone géographique couverte par la licence de spectre. Deuxièmement, il autoriserait les Canadiens à poursuivre les entreprises qui sous-investissent dans la connectivité.

Comme l’a fait remarquer le sénateur Patterson, bien que le ministre ait techniquement déjà le pouvoir de retirer les licences des entreprises qui ne respectent pas les conditions, ce principe serait enchâssé dans la loi. Ainsi, en vertu de la loi, le ministre aurait le mandat clair de retirer des licences quand il ne ferait aucun doute que l’entreprise qui a obtenu la licence de spectre n’a aucune intention de déployer celui-ci.

Une collectivité ou une communauté des Premières Nations aurait la possibilité de demander un dédommagement quand une entreprise ne réglerait pas un problème de perte de connectivité. Par conséquent, je considère qu’il est primordial de mettre en place ce cadre juridique et politique afin d’encadrer la prochaine vente aux enchères du spectre qui devrait avoir lieu l’année prochaine.

La solution proposée comporte de multiples dimensions que nous devrions sans aucun doute examiner de manière exhaustive, idéalement à l’étape de l’étude en comité. Notre priorité devrait être de renvoyer ce projet de loi à un comité afin de clarifier les divers aspects de cet enjeu.

C’est pourquoi, honorables sénateurs, j’espère que vous serez d’accord pour appuyer le projet de loi S-242 à l’étape de la deuxième lecture. Merci.

(Sur la motion du sénateur Dean, le débat est ajourné.)

[Français]

La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social
La Loi sur l’assurance-emploi

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Diane Bellemare propose que le projet de loi S-244, Loi modifiant la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social et la Loi sur l’assurance-emploi (Conseil de l’assurance-emploi), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, ce projet de loi est le fruit de discussions entre plusieurs groupes, représentants et acteurs du marché du travail concernés par l’assurance-emploi.

Pour les syndicats, le Congrès du travail du Canada a joué un rôle de premier plan. La FTQ, la CSN, Unifor et les Syndicats des métiers de la construction du Canada ont également participé aux discussions.

Pour les employeurs, c’est la Chambre de commerce du Canada qui a été le point de contact régulier. La Fédération des chambres de commerce du Québec, le Conseil du patronat du Québec, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante et Manufacturiers et exportateurs du Canada ont aussi participé aux échanges.

Je tiens également à remercier les deux commissaires de l’assurance-emploi — Pierre Laliberté, commissaire des travailleurs et travailleuses, et Nancy Healey, commissaire des employeurs — de leur participation judicieuse aux discussions. Je remercie également mon équipe et les légistes, ainsi que mon conseiller spécial, Michel Cournoyer, collaborateur de longue date aux consultations.

Ce projet de loi vise à renforcer le dialogue social au sein de la Commission de l’assurance-emploi du Canada. La structure actuelle de celle-ci, fondée sur la consultation, ne répond plus aux besoins du jour. Ce régime, financé entièrement par les employeurs et les travailleurs et travailleuses, joue un rôle majeur sur le marché du travail au chapitre de l’indemnisation, mais aussi au chapitre des politiques d’emploi qui facilitent les transitions. Il a failli à la tâche pendant la pandémie, et une réforme majeure s’impose. Les changements apportés seront plus ou moins efficaces selon la participation des acteurs à la définition et à l’implantation de ces changements. Le projet de loi est issu des partenaires du marché du travail. Les commissaires, comme je le disais, y ont participé activement.

Ce projet de loi est assez simple : il vise à créer, dans la législation fédérale, un conseil chargé de fournir des avis à la Commission de l’assurance-emploi actuelle. Le projet de loi propose que ce conseil, coprésidé par le commissaire des travailleurs et travailleuses et le commissaire des employeurs, soit composé d’un nombre égal de représentants des travailleurs et travailleuses et des employeurs. Contrairement aux commissaires actuels, les membres de ce conseil ne seront pas rémunérés. La création de ce conseil ne comporte donc aucune incidence budgétaire spécifique.

Qu’est-ce que le dialogue social? Il arrive souvent, lorsque je parle de dialogue social, que les personnes me demandent : « Mais de quoi parlez-vous donc? » Il est vrai qu’au Canada, on ne parle pas au quotidien du dialogue social. Pourtant, c’est une pratique assez courante, surtout au Québec, mais qui est encore plus répandue dans la majorité des pays industrialisés.

(1640)

L’Organisation internationale du travail (OIT), organisation membre des Nations unies, propose la définition suivante du dialogue social :

Le dialogue social est défini par l’OIT comme incluant tous les types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre ou parmi les représentants du gouvernement, les employeurs et les travailleurs sur des questions d’intérêt commun ayant trait à la politique économique et sociale. Le dialogue social prend de nombreuses formes différentes. Il peut prendre la forme d’un processus tripartite, avec le gouvernement comme partie officielle au dialogue, ou de relations bipartites, entre des représentants des travailleurs et la direction au niveau de l’entreprise (ou les syndicats et les organisations d’employeurs à des niveaux supérieurs). Le dialogue social peut être informel ou institutionnalisé, et est souvent un mélange des deux formes. Il peut s’instaurer au niveau national, régional, international, transfrontalier ou local. Il peut impliquer les partenaires sociaux de différents secteurs économiques, au sein d’un même secteur ou d’une même entreprise ou d’un même groupe d’entreprises.

L’OIT précise aussi ce qui suit :

L’objectif principal du dialogue social en tant que tel est d’encourager la formulation d’un consensus entre les principaux acteurs du monde du travail ainsi que leur participation démocratique. Les structures et les processus d’un dialogue social fécond sont susceptibles de résoudre des questions économiques et sociales importantes, de promouvoir la bonne gouvernance, de favoriser la paix et la stabilité sociale et de stimuler l’économie.

Quand on lit qu’il s’agit d’un processus collectif de négociation ou d’échange d’information, on peut conclure que le Canada pratique amplement le dialogue social. En fait, la consultation, comme elle est souvent conçue, n’est que l’amorce d’un dialogue social durable qui vise la concertation. Après une deuxième lecture de ce que nous dit l’OIT, on comprend que le dialogue social n’est pas un processus unilatéral ou unidirectionnel, comme c’est le cas des processus de consultations que les gouvernements entreprennent au Canada dans le cadre de l’élaboration de projets de loi.

La consultation est moins efficace que la concertation. C’est le début du processus, et c’est moins efficace, mais pourquoi? La réponse courte est la suivante : la consultation donne plusieurs réponses alors que la concertation permet de cerner la ou les solutions qui sont mutuellement acceptables et généralement mutuellement avantageuses.

Prenons l’exemple des relations de travail au sein d’une entreprise. Les spécialistes des relations de travail comprendront tout de suite qu’un contrat de travail négocié est toujours préférable à un contrat de travail décrété par un arbitre après consultation des parties. Le plus souvent, quand le rapport de force est équilibré et que le processus est effectué de bonne foi, la négociation permet de trouver des ententes qui sont mutuellement avantageuses sur le plan de la productivité et de l’équité. Le résultat est souvent conforme à un jeu à somme positive dans l’organisation collective du travail, de la production et de la rémunération.

Ce n’est pas nécessairement le cas pour l’arbitrage. Après avoir entendu les versions officielles des parties, l’arbitre coupe généralement la poire en deux. Le résultat est donc moins optimal.

[Traduction]

En résumé, le dialogue social est une forme de négociation à l’échelle nationale qui permet de concevoir des politiques visant le marché du travail qui sont plus efficaces et équitables que si nous avions eu recours à d’autres moyens.

C’est un processus efficace parce qu’il permet de lever le voile sur les multiples facettes d’une réalité. Il offre la possibilité de trouver des solutions innovatrices et bénéfiques pour toutes les parties, en plus de prendre en considération les effets inattendus des politiques, ouvrant la voie à dédommager les perdants. Le dialogue social améliore les perspectives d’acceptabilité sociale au sein des entreprises et parmi les effectifs, ce qui facilite la mise en œuvre du processus.

[Français]

Le processus de dialogue social est fort différent de celui d’une consultation publique spécifique et limitée dans le temps, effectuée par des élus ou des fonctionnaires pour soutenir des décisions politiques parfois déjà arrêtées. La consultation concentre généralement l’information auprès des décideurs et, surtout, elle ne permet pas de cerner des solutions innovantes, car elle ne favorise pas les échanges entre les parties.

La consultation comme elle est pratiquée le plus souvent n’est pas un processus qui vise le consensus; au contraire, il arrive souvent qu’elle donne lieu à des prises de positions opposées de la part des personnes consultées. Par conséquent, les fonctionnaires et les politiciens qui choisissent les stratégies feront très souvent des mécontents. Il pourrait arriver qu’il y ait des gagnants et des perdants, ce qui ne facilitera pas la mise en œuvre des stratégies.

Bref, le dialogue social est un processus plus transparent que la consultation parce que tous les acteurs ont accès à l’information donnée par les autres acteurs. La rétroaction et la validation de l’information s’effectuent simultanément autour de la table. C’est un processus qui englobe les préoccupations des divers acteurs. Le résultat du dialogue social offre des solutions convergentes et favorise le consensus social, ce que ne peut faire la consultation bilatérale. Il facilite aussi la mise en œuvre des politiques. Bref, c’est un jeu à somme positive.

Après vous avoir parlé de théorie, je vous présenterai maintenant des choses plus concrètes. J’ai eu la chance de voir à l’œuvre le dialogue social dans le contexte des politiques du marché du travail au Québec. J’aimerais donc vous raconter un petit chapitre des réalisations de la Commission des partenaires du marché du travail.

Au Québec, la Commission des partenaires du marché du travail existe depuis 1993. Elle a été créée à titre de conseil d’administration de la Société québécoise de développement de la main-d’œuvre (SQDM), organisme public dont le mandat était de gérer les programmes de main-d’œuvre et de formation financés par Ottawa et le Québec. En 1994, à la demande des associations d’employeurs et de travailleurs du Québec, la composition du conseil d’administration de cet organisme public a été modifiée afin qu’il soit composé de représentants d’associations plutôt que d’individus. Le gouvernement de l’époque a accepté cette demande et, à la même occasion, je suis devenue présidente-directrice générale de cet organisme lors de sa restructuration.

À ce moment-là, la ministre responsable de ce dossier appuyait les priorités du Forum pour l’emploi, un organisme sans but lucratif créé en 1987 pour structurer le dialogue social au Québec. Précisons que le Forum pour l’emploi était l’expression d’une volonté collective des acteurs économiques du Québec afin de contribuer à abaisser le taux de chômage et à stimuler la croissance et la productivité.

La bougie d’allumage de ce mouvement a été la publication d’un ouvrage intitulé Le défi du plein emploi — un nouveau regard économique, que j’ai co-écrit avec ma collègue Lise Poulin-Simon, disparue trop jeune en 1995. Cet ouvrage comparait les politiques économiques en matière d’emploi de pays qui avaient réussi à traverser relativement bien la période économique du choc pétrolier de 1976, alors que le Canada expérimentait la stagflation depuis 1976. L’ouvrage a suscité beaucoup d’intérêt public, et c’est ainsi que deux ex-fonctionnaires fédéraux ont frappé à nos portes pour nous lancer le défi de réaliser ce qu’on proposait dans ce livre. Nous avons alors décidé de le relever en réunissant un groupe de personnes de divers horizons, mais qui s’intéressaient toutes à l’action collective.

Au début, cet organisme sans but lucratif était coprésidé par Claude Béland — certains d’entre vous le connaissent —, président du mouvement Desjardins à l’époque, et par Louis Laberge, alors président de la FTQ et du Fonds de solidarité. Il était composé de toutes les forces vives du marché du travail du Québec. Les associations syndicales et patronales y étaient toutes représentées, on y retrouvait également les municipalités, certaines grandes entreprises, des associations de jeunes et de femmes, et le secteur de la formation professionnelle y participait également.

(1650)

Le Forum pour l’emploi souhaitait vivement une réforme majeure des programmes de main-d’œuvre et une coordination, voire une fusion des programmes du gouvernement fédéral et du Québec, afin de concentrer les efforts sur l’obtention de résultats concrets en matière d’insertion en emploi et de réduction du chômage plutôt que sur la conformité aux programmes.

C’est ainsi que les représentants des employeurs et des travailleurs ont fait des démarches auprès du gouvernement fédéral afin d’assurer une décentralisation des programmes et des mesures vers les provinces.

L’objectif était de créer un fonds pour le développement de la main-d’œuvre géré par le Québec. En 1996, l’entente a été signée et le fonds créé et constitué de crédits provenant du gouvernement fédéral et du gouvernement du Québec. L’entente prévoyait et prévoit toujours des objectifs de résultats, et la gestion par programmes a été abandonnée au profit d’une gestion par résultats. C’est donc plus d’une centaine de programmes qui ont été abolis à ce moment-là. Ces programmes visaient des catégories de personnes et ils portaient la couleur du ministre qui avait souhaité sa création. Il n’assurait pas de flexibilité budgétaire, de sorte que si, à la fin de l’année, les sommes prévues pour chacun des programmes n’étaient pas dépensées, elles revenaient au Trésor public, et ce, même si les besoins des personnes sur le marché du travail étaient criants et insatisfaits.

Inutile de préciser que les évaluations officielles de ces programmes se sont avérées négatives. Les partenaires sociaux ont permis de faire un virage en faveur d’une gestion des fonds publics par résultats plutôt que par programmes. C’est une énorme réalisation.

Aujourd’hui, la Société québécoise de développement de la main-d’œuvre (SQDM) a été remplacée par Emploi-Québec, qui a fusionné les membres du personnel de la SQDM, les membres du personnel du bureau des services d’emplois fédéraux et ceux de l’aide sociale. La Commission des partenaires du marché du travail participe toujours à la gestion d’Emploi-Québec, plus précisément dans le domaine des services de formation et d’emploi. La gestion par résultats est maintenue et les partenaires doivent veiller à ce que les pouvoirs publics ne viennent pas l’éroder par la porte arrière en créant encore une fois des programmes catégorisés à saveur politique.

Ils veillent à ce que la logique socioéconomique du marché du travail prévale sur les objectifs électoraux partisans.

[Traduction]

Bref, cette histoire montre que le dialogue social dans le marché du travail et à l’échelle nationale ne se limite pas à la consultation. Au-delà, il s’agit surtout de se donner des conseils qui respectent la logique collective du marché du travail et de trouver — ensemble — des solutions optimales à des besoins précis. Dans nombre de cas, dans nombre de pays, on a recours au dialogue social pour gérer les régimes d’assurance-emploi ainsi que les investissements dans le développement de la main-d’œuvre.

[Français]

Ce que l’on peut retenir de cette histoire, c’est que la participation des partenaires économiques et sociaux aux décisions concernant les politiques du marché du travail est une solution gagnante pour la société.

Les partenaires recueillent de l’information sur le terrain que les statistiques ne peuvent dévoiler. Ils mettent en pratique les politiques, les inscrivent dans leurs pratiques de gestion des ressources humaines et en subissent leurs conséquences. Leur participation est nécessaire pour assurer le succès des programmes.

[Traduction]

L’intervention de l’État dans l’emploi et la main-d’œuvre doit respecter la logique du marché du travail, et non la logique électorale dictée par le nombre de votes. Notre prospérité durable en dépend. Les programmes ne doivent pas changer aux quatre ans pour suivre la logique politique.

[Français]

Toutefois, le dialogue social n’est pas une pratique spontanée. Parmi les conditions nécessaires pour amorcer un dialogue social fructueux, on retrouve la confiance mutuelle entre les parties. Ce ne sont pas tous les employeurs qui entretiennent de bonnes relations avec leurs employés, et vice-versa. Le dialogue social peut être un puissant antidote à la polarisation des idées qui vient avec les réseaux sociaux. Toutefois, pour se développer, le dialogue social a besoin d’un environnement qui favorise la confiance mutuelle. Les gouvernements ont un rôle à jouer pour créer des environnements favorisant cette confiance. Ce n’est pas toujours évident quand les hommes et les femmes politiques qui occupent les instances gouvernementales participent souvent en même temps à des stratégies fondées sur le principe visant à diviser pour mieux régner.

[Traduction]

Comme on l’indique dans un rapport de l’OCDE sur l’initiative Global Deal :

Sans une confiance mutuelle, les partenaires sociaux et le gouvernement ne peuvent établir et maintenir un dialogue efficace. S’il n’existe pas de recette unique pour instaurer la confiance, les études de l’OCDE ont permis de cerner certains déterminants clés de la confiance dans une institution en particulier, à savoir le gouvernement national. Il s’agit notamment de l’intégrité des hauts fonctionnaires [...], de la fiabilité du gouvernement en cas de crise [...], de l’ouverture à la voix des citoyens [...] et de la réactivité aux préoccupations des citoyens [...] En outre, les facteurs suivants renforcent la confiance [...] : i) l’existence d’institutions et de structures où les partenaires sociaux peuvent régulièrement se rencontrer et discuter pour parvenir à une compréhension commune, du lieu de travail jusqu’au niveau national; ii) l’accès de toutes les parties à des informations exactes [...]; iii) des mécanismes garantissant l’application de conventions collectives et d’autres engagements [...]; iv) une stabilité institutionnelle permettant d’établir des attentes partagées et ancrées; v) le respect de l’autonomie des partenaires sociaux ; vi) l’évitement de conflits et de concurrences mutuelles excessives entre les partenaires sociaux.

[Français]

Toutes les études qui se sont penchées sur la question du dialogue social indiquent qu’au moins deux conditions sont nécessaires pour une pratique soutenue et efficace de ce dialogue. La première est la reconnaissance et la volonté gouvernementale de s’engager sur la voie du dialogue social pour décider des politiques publiques en matière de main-d’œuvre.

La deuxième est l’importance d’institutionnaliser cette pratique afin de soutenir la confiance mutuelle et de développer la culture de la concertation.

Chers collègues, au risque de me répéter, le dialogue social est un facilitateur majeur pour atteindre l’efficacité et l’équité dans le système de production et dans le marché du travail. C’est pourquoi l’Organisation internationale du travail (OIT) a toujours fait la promotion du dialogue social à l’échelle internationale, et ce, dans tous les pays, même les moins développés. L’OIT a produit des recommandations et des conventions identifiant les bonnes pratiques dans ce domaine, et le Canada a signé de nombreuses conventions de l’OIT. Le gouvernement du Canada soutient la pratique et reconnaît l’importance du dialogue social au moyen de ses engagements internationaux.

Par exemple, en 2016, le gouvernement fédéral a soutenu le Pacte mondial pour un travail décent et une croissance inclusive qui a été lancé par Stefan Löfven, premier ministre suédois, et mis sur pied en collaboration avec l’OCDE et l’OIT. L’objectif de ce pacte est d’exploiter le potentiel du dialogue social comme instrument de promotion pour des emplois de meilleure qualité, des conditions de travail plus équitables et une croissance plus inclusive, conformément au programme 2030 des Nations unies.

De plus, la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, qui exprime la vision contemporaine du mandat de l’OIT dans l’ère de la mondialisation, a été adoptée par tous ses membres en 2008, le Canada y compris. La déclaration fait la promotion d’un travail décent au moyen d’une approche coordonnée visant à réaliser quatre objectifs stratégiques : l’emploi, la protection sociale, le dialogue social et les principes et droits fondamentaux du travail.

Comme le stipule la déclaration, le dialogue social et le tripartisme en tant que méthode sont les plus aptes à adapter la mise en œuvre des objectifs stratégiques aux besoins des circonstances de chaque pays et à traduire le développement économique en progrès social et le progrès social en développement économique, entre autres. En 2011, le Canada a ratifié la Convention (n° 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail, qui reconnaît le dialogue social entre les représentants du gouvernement, les employeurs et les travailleurs dans la mise en œuvre de ces procédures sur les questions concernant les activités de l’OIT.

(1700)

La Convention (n° 88) sur le service de l’emploi a été ratifiée par le Canada en 1950. L’article 4 stipule que les représentants des employeurs et des travailleurs, au sein de ces commissions nationales consultatives, doivent être désignés en nombre égal, après consultation des organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs.

Chers collègues, le dialogue social joue un rôle important dans de nombreuses sociétés, et pas seulement dans les sociétés démocratiques. En effet, l’histoire a montré que les institutions de marchés privés et le principe de la concurrence ne fonctionnent pas de manière optimale dans le marché du travail, surtout quand on parle d’indemnisation, d’assurance-chômage ou de développement des compétences. De la même manière, la planification centrale de la production et du marché du travail ne fonctionne pas non plus dans les pays considérés non démocratiques.

On retrouve des institutions de dialogue social dans le monde à plusieurs ordres de gouvernance. On en trouve notamment sur le plan national, ce qui permet de définir les grands enjeux de politiques économiques et sociales ainsi que les stratégies requises pour y répondre. Plusieurs pays pratiquent le dialogue social pour traiter des enjeux plus spécifiques, comme le développement de la main-d’œuvre.

[Traduction]

L’Association internationale des conseils économiques et sociaux et institutions similaires illustre l’importance du dialogue social à l’échelle macroscopique. Cet organisme regroupe des conseils économiques et sociaux de 72 pays d’Afrique, d’Europe, d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Asie. Il a été créé en 1999 et son siège est établi à Bruxelles, en Belgique.

[Français]

On y retrouve de nombreux pays, comme la France, la Belgique, la Grèce, le Cameroun, le Brésil, le Mexique et la Chine. Sur les questions de main-d’œuvre, les pays scandinaves sont des modèles et surtout des pionniers dans le domaine, tout comme l’Allemagne et l’Autriche, pays que j’ai étudiés et observés en action dans une autre vie professionnelle. Plus de la moitié des pays européens ont mis en place des institutions tripartites qui participent activement à la gestion des programmes de main-d’œuvre et d’assurance-chômage.

Depuis quelques années, on observe un intérêt accru à l’égard du dialogue social sur la scène internationale. Ce n’est pas surprenant, compte tenu des défis de mobilisation de l’action collective pour la réalisation d’un objectif commun aussi majeur que le développement durable de notre planète.

La poursuite des objectifs de développement durable et le programme 2030 des Nations unies nous forcent à développer une stratégie commune et exigent donc d’amorcer un important et robuste dialogue social à tous les niveaux. La transition vers des économies vertes passe par l’adoption de pratiques durables sur le plan du marché du travail, car c’est là où se crée et se distribue la richesse.

Qu’en est-il du dialogue social à l’échelle fédérale au Canada? Avant d’aborder cette partie, je tiens à rendre hommage à une économiste que je ne connais pas personnellement et que j’aurais bien aimé rencontrer dans le contexte de l’examen de ce projet de loi. Il s’agit de Donna Wood, qui est décédée en 2019. Après avoir travaillé pendant 25 ans dans la fonction publique de l’Alberta, puis des Territoires du Nord-Ouest dans le domaine des politiques publiques, elle a enseigné au Département de sciences politiques de l’Université de Victoria. Elle a publié plusieurs ouvrages sur la politique sociale au Canada et dans le monde, ainsi que sur le fédéralisme.

La professeure Donna Wood a fait des analyses poussées sur l’évolution du dialogue social au Canada. C’est pourquoi, dans les propos qui suivent, je m’inspire librement de ses écrits et des études scientifiques que j’ai réalisées quand j’étais professeure d’université avec la professeure Lise Poulin-Simon. Je m’inspire également de mon expérience professionnelle dans le secteur de l’emploi.

À l’échelle fédérale, la première expérience tripartite a été mise en place au moment de la création de l’assurance-chômage en 1940. À cette époque, le programme de l’assurance-chômage a été établi sous la direction de la Commission tripartite de l’assurance-chômage en tant qu’organisme tripartite indépendant du gouvernement.

Au départ, le programme était financé par des cotisations égales provenant d’employeurs et d’employés, équivalentes à 40 % du coût du régime pour chaque groupe, et de 20 % pour le gouvernement fédéral. Le fédéral a cessé de contribuer au régime depuis 1990.

Cette commission tripartite a exercé d’importantes responsabilités de gestion de l’assurance-chômage de 1940 à 1976. En 1965, la commission tripartite a perdu la responsabilité des services d’emploi et de placement, qui ont été transférés au ministère du Travail, puis au ministère de la Main-d’œuvre et de l’Immigration.

En 1976, la commission a perdu le contrôle de la gestion de l’indemnisation au profit du ministère de l’Emploi et de l’Immigration. Sa composition a été changée et elle est passée de trois à quatre membres : il y avait un représentant des employeurs, un représentant des travailleurs et deux représentants du ministère. La présidence de la commission était attribuée au sous-ministre en titre du ministère. C’est à ce moment-là qu’elle est devenue, à peu de chose près, ce qu’elle est aujourd’hui. Ses responsabilités se résument à évaluer le programme d’assurance-chômage, approuver les politiques, prendre certains règlements, fixer le taux de cotisation et superviser le tribunal administratif d’appel jusqu’à tout récemment, parce que cette responsabilité lui a été retirée par la porte d’en arrière. Nous reparlerons de cela plus tard.

On peut ainsi affirmer que, pendant près de 35 ans, l’assurance-chômage a été une institution tripartite que le gouvernement a progressivement dépouillée de ses pouvoirs sur la gouvernance d’un régime que les partenaires financent actuellement à 100 %. C’est aussi à partir de ce moment-là, en 1976, que le régime d’assurance-chômage a subi une panoplie de transformations qui répondaient à des problèmes politiques le plus souvent éloignés de la logique du marché du travail. Le taux de protection de ce régime, qui était de 80 % environ, est passé sous la barre des 50 %.

Outre la défunte Commission tripartite de l’assurance-chômage, des comités consultatifs ont vu le jour de 1941 à 1998. Le dernier en liste est la Commission canadienne de mise en valeur de la main-d’œuvre, qui a été créée en 1991 et démantelée en 1998.

[Traduction]

Pour diverses raisons, ces organismes ont fini par être dissous. Selon l’analyse de la regrettée professeure Donna Wood, le principal facteur ayant causé la chute des comités consultatifs a été la tendance du gouvernement du Canada à réorganiser et à réaligner les responsabilités gouvernementales, ce qui a entraîné l’abandon ou l’altération des comités consultatifs. À mesure que l’assurance-chômage, comme on l’appelait à l’époque, et ses différentes composantes ont été réorganisées par le gouvernement, les comités consultatifs ont été redéfinis et affaiblis. Comme ces comités n’avaient pas été établis par une loi ou un règlement, il a probablement été plus facile de les démanteler.

Cependant, dans le cas de la Commission canadienne de mise en valeur de la main-d’œuvre, la professeure Wood avance que le gouvernement aurait été peu réceptif à son message et aurait réduit sa part de financement à la commission, ce qui aurait ultimement mené les intervenants du secteur privé à l’abandonner.

Depuis presque 20 ans, la Commission de l’assurance-emploi du Canada s’efforce de faciliter la contribution de l’industrie et des syndicats aux politiques en matière d’emploi au Canada. Quand il a besoin d’avis sur des questions plus larges que l’assurance-emploi, le gouvernement tient des consultations spéciales ou renvoie les questions à des comités, comme le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de l’autre endroit — car nous n’avons pas de comité des ressources humaines au Sénat —, qui font office d’options rapides pour les gouvernements qui souhaitent obtenir des conseils plutôt spécialisés à court préavis plutôt que de recourir à des organismes consultatifs permanents, qui tendent à offrir une expertise plus élargie, mais à plus long terme.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner le Conseil économique du Canada comme exemple de travail multipartite au Canada.

(1710)

Cet organisme financé par le gouvernement fédéral a été fondé en 1963. Il a été démantelé en 1992 quand ses études ont déplu au gouvernement de l’époque et au ministère des Finances. Au départ, le conseil était composé de représentants du milieu syndical, du monde des affaires et d’autres groupes. Sa composition a changé par la suite, lorsqu’on a nommé des personnes à titre individuel plutôt qu’à titre de représentants d’institutions. Le conseil a produit des recherches appliquées sur des enjeux qui retenaient l’attention à l’époque, notamment le capital de croissance dans le marché du travail. Il avait pour mandat de favoriser la création d’un consensus au Canada. J’ai eu le privilège d’être nommée au Conseil économique pour deux mandats de trois ans, d’abord par le premier ministre Pierre Trudeau, puis par le premier ministre Mulroney.

Pour conclure cette partie de mon discours, je citerai l’un des derniers mémoires de la professeure Donna Wood intitulé The Seventy-Five Year Decline : How Government Expropriated Employment Insurance from Canadian Workers and Employers and Why This Matters. En voici un extrait :

Le rôle que jouaient le milieu syndical et le monde des affaires dans la supervision et l’évolution de l’assurance-emploi a diminué au fil du temps, et ce, pour plusieurs raisons. Dans tous les secteurs de politique, la combinaison d’un gouvernement de Cabinet et d’un fédéralisme exécutif crée sans contredit, au Canada, un processus fermé dominé par des élites, auquel participent principalement des politiciens et des bureaucrates. L’absence de syndicats et d’entreprises pancanadiennes « optimaux », verticalement intégrés, grandement représentatifs et englobants intensifie l’écart entre entreprises et syndicats, en plus de nuire à leur capacité d’interagir entre eux et avec le gouvernement. Au cours des 20 dernières années, tous les comités consultatifs et les institutions de recherche pancanadiens responsables de l’emploi ont été démantelés; des lieux propices aux conversations fructueuses ont ainsi été éliminés.

En guide de conclusion, je citerai encore une fois le mémoire de Donna Wood :

Créer un partenariat plus formel entre le monde des affaires, le milieu syndical et le gouvernement grâce à un conseil national des partenaires du marché du travail aiderait grandement le Canada à bien positionner ses programmes axés sur le marché du travail pour le XXIe siècle.

[Français]

C’est exactement ce que fait ce projet de loi.

Le projet de loi a été reçu avec enthousiasme par les organisations d’employeurs et de travailleurs.

[Traduction]

L’honorable Perrin Beatty, président et chef de direction de la Chambre de commerce du Canada, a déclaré ceci :

Avec la création d’un Conseil de l’assurance-emploi, le projet de loi S-244 de la sénatrice Bellemare établira une véritable et significative approche tripartite entre les entreprises, les syndicats et le gouvernement. Cela garantira que le régime d’assurance-emploi soit durable, adapté, non partisan, inclusif et pertinent pour la génération actuelle et les générations futures d’employeurs et d’employés canadiens.

La présidente du Congrès du travail du Canada, Bea Bruske, a dit ceci :

Le projet de loi S-244 renforcera certainement la voix des partenaires sociaux dans le travail du conseil tripartite de l’assurance-emploi. Du même coup, en inscrivant le dialogue social au cœur du régime d’assurance-emploi, le projet de loi de la sénatrice Bellemare améliorera l’efficacité et la réactivité de l’élaboration de politiques du marché de la main-d’œuvre du Canada, ce qui sera avantageux pour les travailleurs de l’économie canadienne.

[Français]

Ce projet de loi a reçu officiellement l’appui de ces deux grandes associations, mais également de toutes les autres organisations qui ont participé aux consultations. C’est maintenant au gouvernement de s’impliquer.

Ce projet de loi est important, car nous devrons réformer de manière fondamentale le régime d’assurance-emploi, et les cotisants à ce régime doivent être associés à cette réforme. Ce n’est pas seulement une question de principe, mais également une question d’efficacité et d’équité.

Je vous demande, chers collègues, d’appuyer rapidement ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture pour qu’il puisse être renvoyé à un comité le plus rapidement possible.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Pierrette Ringuette : Est-ce que la sénatrice Bellemare accepterait de répondre à une question?

La sénatrice Bellemare : Absolument.

La sénatrice Ringuette : Tout d’abord, j’aimerais vous féliciter d’avoir présenté ce projet de loi et je vous félicite également pour votre discours.

J’appuie tout à fait un dialogue socioéconomique entre les communautés, les provinces et le gouvernement fédéral. En fait, j’appuie un dialogue entre toutes nos organisations.

Par contre, j’aimerais que vous m’expliquiez — dans votre proposition visant à créer un comité consultatif — comment nos régions éloignées, nos communautés autochtones, nos travailleurs forestiers, nos travailleurs agricoles et nos travailleurs dans le secteur des pêches pourront avoir une voix. Ils ont été touchés — et ils le sont encore aujourd’hui — par les changements au régime d’assurance-emploi des 20 dernières années. Ces changements ont été faits au détriment des travailleurs de ces régions. Comment pourront-ils se retrouver dans le projet de loi que vous proposez?

La sénatrice Bellemare : Je vous remercie de cette question; je m’y attendais.

On en a beaucoup discuté entre tous les groupes. J’ai eu plusieurs rencontres sur Zoom avec les groupes qui m’ont aidée à préparer ce projet de loi. La question importante était de trouver comment rejoindre les territoires, les populations autochtones, les régions éloignées, etc. Au départ, on cherchait une voie pour que le comité consultatif puisse faire une place concrète et créer des liens avec le Forum des ministres du marché du travail, tout en incluant des représentants autochtones. Cela n’a pas été possible pour toutes sortes de raisons légales. Le Forum des ministres du marché du travail n’a pas de statut légal. De plus, ce ne sont pas des cotisants. Il y avait donc un souci, au sein du groupe, de faire en sorte que lorsqu’on discutera de la partie 1, qui traite des cotisations, il sera possible d’inviter des groupes provenant de provinces ou de régions éloignées pour qu’ils participent au débat.

La commission tripartite fédérale est composée de 12 membres au minimum, dont deux commissaires et cinq représentants de grandes associations. C’est la logique adoptée par la Commission des partenaires du marché du travail au Québec. La Commission des partenaires du marché du travail ne comprend pas toutes les régions, mais elle est associée à des comités régionaux et à des comités d’équité. C’est donc un bon début pour répondre à ce grand souci de débat. Plusieurs expériences ont montré qu’au départ, il est essentiel d’assurer les enjeux tripartites de ce grand régime du marché du travail.

Le projet de loi prévoit de donner des pouvoirs à la commission pour qu’elle puisse inviter qui elle veut. Je pense que ce sera le cas, car c’est important d’associer les différentes parties au débat.

Il s’agit d’un conseil consultatif, pas d’un comité décisionnel. C’est un conseil consultatif dont le mandat est de fournir des avis et des recommandations à la commission en fonction de l’évaluation du programme et des politiques. Éventuellement, le conseil pourra également entreprendre des réflexions de sa propre initiative et présenter les résultats de ces réflexions à la ministre et au Parlement.

Ce n’est pas un conseil qui va gérer l’assurance-emploi. On n’en est pas là. C’est un comité consultatif qui appuiera les deux commissaires dans leurs travaux.

[Traduction]

L’honorable Frances Lankin : Sénatrice Bellemare, je suis très favorable à l’intention de votre projet de loi. À bien des égards, j’estime qu’il est important de consulter les intervenants, surtout en ce qui a trait à l’assurance-emploi, puisqu’on parle de fonds versés par les employeurs et les employés. Il est essentiel qu’ils jouent un rôle majeur. La question n’est peut-être pas pertinente, mais je me demande si vous avez eu l’occasion d’examiner la section 32 du projet de loi d’exécution du budget, qui vise à établir un processus selon lequel un cadre de direction devrait seulement faire rapport au dirigeant de la Commission de l’assurance-emploi du Canada, et non à l’organisme tripartite. Cela préoccupe bon nombre de personnes. C’est le sénateur Yussuff qui a soulevé ces préoccupations et qui fait le plus d’efforts pour y répondre dans cette enceinte. Je me demande si vous partagez ces craintes et si, compte tenu de votre proposition, on devrait se pencher de plus près sur la section 32.

(1720)

La sénatrice Bellemare : Tout à fait, sénatrice Lankin. C’est un exemple de situation où on ne tient pas compte des partenaires sociaux, car, au début, le partenaire social devait se charger d’exercer une surveillance à l’égard du mécanisme d’appel. Je peux vous dire que, tant du côté des syndicats que de celui des employeurs, les préoccupations étaient nombreuses à l’égard de la section 32 de la partie 5 du projet de loi C-19. Je peux vous en assurer.

C’est un autre exemple qui révèle l’importance des partenaires sociaux dans ces domaines, y compris en ce qui a trait à la formation. Par exemple, il y a quelques années, le gouvernement a proposé l’allocation pour la formation. Je me suis dit que c’était un très bon programme, mais les intervenants des deux côtés étaient tous contre cette mesure, car elle ne répondait pas à un besoin, et elle ne tenait pas compte de leur réalité.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Loi sur la citoyenneté

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) propose que le projet de loi S-245, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (attribution de la citoyenneté à certains Canadiens), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, c’est un honneur pour moi d’être de nouveau la marraine du projet de loi S-245, auparavant le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (attribution de la citoyenneté à certains Canadiens).

Lors de la précédente législature, le projet de loi S-230 avait été adopté par le Sénat après avoir été débattu et étudié par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Le projet de loi avait été adopté à l’unanimité et renvoyé à la Chambre des communes, mais il est mort au Feuilleton lorsque les élections ont été déclenchées.

Comme je l’avais mentionné à l’époque au sujet du projet de loi S-230, ce projet de loi, le projet de loi S-245, vise une certaine lacune dans la Loi sur la citoyenneté, qui concerne un petit groupe de Canadiens qui ont perdu leur citoyenneté canadienne ou qui sont devenus apatrides en raison de changements de politique.

Beaucoup de ces personnes ont grandi au Canada à partir d’un jeune âge. Bien qu’elles soient nées à l’étranger, plusieurs sont arrivées au Canada lorsqu’elles étaient jeunes, certaines en tant que nourrissons. Ces personnes ont reçu leur éducation au Canada, elles ont élevé leurs enfants au Canada, et elles ont travaillé et payé des impôts au Canada. Pourtant, elles ont atteint l’âge de 28 ans sans savoir que leur citoyenneté leur serait retirée en raison d’un changement de politique prévu dans la Loi sur la citoyenneté de 1977, qui exige que les Canadiens nés à l’étranger demandent de conserver leur citoyenneté rendus à 28 ans. Comme il a déjà été expliqué, cette loi — la règle des 28 ans — a été adoptée, puis oubliée. Les gens qui n’ont pas présenté une demande pour garder leur citoyenneté avant d’avoir 28 ans sont devenus des « Canadiens perdus » le jour de leur 28e anniversaire.

En 2008, le projet de loi C-37, qui a abrogé la disposition sur l’âge de 28 ans et qui a inclus tous les Canadiens n’ayant pas encore 28 ans dans le changement de politique, a laissé de côté un petit groupe de Canadiens ayant fêté leur 28e anniversaire, plus précisément les personnes nées dans la période de 50 mois s’étalant du 15 février 1977 au 16 avril 1981. C’est pour ce petit groupe qu’on appelle les « Canadiens perdus » que le projet de loi à l’étude est de nouveau présenté au cours de la présente législature.

Grâce à l’adoption du projet de loi S-245, nous pourrons rétablir la citoyenneté de ce dernier groupe de « Canadiens perdus » touchée par la règle des 28 ans de sorte qu’ils se voient accorder les droits et les opportunités accordés à tous les Canadiens.

Je tiens à remercier la sénatrice Omidvar d’avoir accepté d’être, une fois de plus, la porte-parole pour cet important projet de loi et d’avoir collaboré avec moi et les défenseurs de longue date de cette importante cause comme Don Chapman.

Honorables sénateurs, je vous demande encore une fois d’appuyer ce projet de loi, au lieu de le renvoyer au comité, afin qu’il puisse passer directement à l’étape de la troisième lecture et à la Chambre des communes, comme nous l’avons déjà fait durant la législature actuelle pour d’autres projets de loi bien connus qui sont eux aussi morts au Feuilleton à l’autre endroit, c’est-à-dire le projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (artiste visuel officiel du Parlement), le projet de loi S-214, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle, le projet de loi S-216, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (utilisation des ressources d’un organisme de bienfaisance enregistré), et le projet de loi S-223, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains).

Après l’intervention de la sénatrice Omidvar, je vais demander la permission d’accélérer l’étude de ce projet de loi à la faveur des « Canadiens perdus », qui attendent depuis beaucoup trop longtemps que ce projet de loi soit adopté. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Ratna Omidvar : Je vous remercie, sénatrice Martin, de défendre inlassablement les « Canadiens perdus ». Je suis la porte-parole officielle pour le projet de loi. J’ai toujours pensé qu’un porte-parole était quelqu’un qui devait être défavorable ou s’opposer à un projet de loi, mais ce n’est certainement pas le cas cette fois-ci. Je suis très favorable à ce projet de loi, comme vous le savez bien.

Quand je suis devenue sénatrice en 2016, comme on savait que je m’intéressais à la citoyenneté, j’ai commencé à recevoir de nombreux courriels à propos des « Canadiens perdus ». Pour être honnête, je n’avais jamais entendu cette expression qui me rendait vraiment perplexe. Pour ceux d’entre nous qui sont venus vivre au Canada, qui savent à quel point c’est un privilège d’être Canadien, il est inconcevable qu’on puisse perdre involontairement sa citoyenneté à cause de ce que je qualifierais d’erreur et de cafouillage bureaucratiques.

Lorsque je suis intervenue par la suite en tant que porte-parole pour un important projet de loi sur la citoyenneté — je crois que c’était mon premier discours important au Sénat —, j’ai utilisé pour décrire la citoyenneté l’image d’une maison, avec beaucoup de fenêtres pour laisser entrer les rayons du soleil, mais aussi un toit solide et une porte très solides pour protéger les habitants contre les dangers de l’extérieur. Les fondations de cette maison accueillante et sécuritaire reposent sur quelques principes essentiels.

Le premier, et le plus important, c’est l’égalité entre les citoyens. Grâce à cette égalité, tous les citoyens — de naissance ou naturalisés, à simple ou à double nationalité, qu’ils aient acquis la citoyenneté depuis 50 ans ou 1 mois — sont traités également au regard de la loi. L’égalité des droits, des responsabilités et, si nécessaire, du châtiment : ce ne sont pas là des objectifs auxquels nous aspirons. Ce sont plutôt les critères de base, le minimum absolu de la façon dont l’égalité est exprimée au Canada.

En deuxième lieu, il y a le principe de facilitation de la citoyenneté, c’est-à-dire faciliter la tâche des gens souhaitant obtenir la citoyenneté. Encore une fois, cela me fait penser à l’étage principal d’une maison accueillante avec une belle grande porte accueillante où crépite un bon feu dans la cheminée pour chasser le froid. Cependant, les « Canadiens perdus » ne profitent plus de la chaleur du feu. En fait, ils ont été chassés de la maison. Pensez-y comme une expulsion.

Comme nous le savons, notre système d’immigration et nos lois sur la citoyenneté sont extrêmement complexes. À cause de cette complexité, des gens se retrouvent parfois pris dans leur filet. Ils ont du mal à en sortir et à composer avec cette situation désastreuse, bien qu’involontaire. J’admettrai que cette situation n’était pas prévue. Elle est accidentelle. Cependant, combien de fois le Sénat doit-il composer avec les conséquences dévastatrices, mais imprévues, d’une mesure législative adoptée soit par cette assemblée, soit par l’autre endroit?

La sénatrice Martin vous a déjà expliqué dans quel contexte ces Canadiens se sont « perdus ». Je ne vais donc pas répéter ce qu’elle a dit. Je voudrais simplement vous parler de la situation actuelle pour les « Canadiens perdus » qui veulent récupérer leur citoyenneté. Il s’agit d’un traitement au cas par cas. Ils doivent soumettre une demande au ministre et au ministère pour récupérer leur citoyenneté. Je me demande si ce traitement au cas par cas est équitable, alors que nous avons vraiment besoin d’une solution systémique. Ce traitement au cas par cas signifie que chaque « Canadien perdu » doit agir avec autant de détermination et de volonté que Byrdie Funk, qui s’est illustrée dans ce combat. Elle a présenté une requête au tribunal, elle a sollicité le ministre, et elle a fini par obtenir gain de cause; mais une fois de plus, c’était une démarche personnelle. La proposition de la sénatrice Martin a l’avantage de régler ce problème systémique.

Le sénateur Dalphond m’a posé une question pertinente la dernière fois : combien de personnes sont concernées? Je répondrais qu’il n’y en a pas tellement. Peut-être une centaine. Peut-être 200. Nous ne le savons pas, et c’est probablement parce que ces Canadiens ne savent pas eux-mêmes qu’ils ont perdu leur citoyenneté jusqu’à ce qu’ils demandent un passeport, et qu’ils découvrent le pot aux roses.

(1730)

Lorsque vous perdez votre citoyenneté, les conséquences sont graves. Avant de pouvoir la récupérer, votre numéro d’assurance sociale pourrait ne plus être valide. Vous pourriez aussi ne pas être en mesure de décrocher à un emploi. Vous pourriez être dans l’impossibilité de voyager, et avoir un accès restreint aux soins de santé. Tout ceci alors que vous encourez une éventuelle expulsion en parallèle. C’est donc une situation très grave, même si elle ne concerne que quelques centaines de personnes. Je pense que nous conviendrons tous que l’injustice — qu’elle concerne une personne, quelques personnes ou même une centaine de personnes — demeure intolérable dans notre système.

Je voudrais aussi souligner qu’il y a d’autres « Canadiens perdus », et je félicite la sénatrice Martin pour son travail et son approche pratique en vue d’aider ceux que nous pouvons aider le plus rapidement possible. La loi ne relève pas de l’art de la perfection, mais plutôt de l’art du possible. Selon moi, cette mesure législative est à notre portée. Chers collègues, je vous incite à soutenir ce projet de loi. Merci.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

(À 17 h 33, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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