Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 66
Le mardi 4 octobre 2022
L’honorable George J. Furey, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
LE SÉNAT
Le mardi 4 octobre 2022
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Question de privilège
Préavis
L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, conformément à l’article 13-4 du Règlement, je donne avis verbalement de mon intention de soulever une question de privilège plus tard aujourd’hui.
Lorsque des témoins comparaissent devant des comités sénatoriaux, le privilège parlementaire leur est accordé et leur confère certaines immunités et protections, notamment des protections contre les menaces, l’intimidation et le harcèlement. La date de publication et le contenu d’un article qui est paru dans le Globe and Mail le 27 septembre ont suscité mon inquiétude. L’article portait sur une plainte déposée auprès de la commissaire au lobbyisme contre un témoin qui devait comparaître le lendemain devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
Plus tard aujourd’hui, je présenterai mon point de vue puisqu’il s’agit d’une possible question de privilège et d’outrage au Parlement.
La première Ford Mustang
L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je suis ravi de présenter aujourd’hui le chapitre 62 de « Notre histoire ». La légendaire Ford Mustang a officiellement été dévoilée par Henry Ford II le 17 avril 1964, lors de l’exposition universelle qui s’est tenue au parc Flushing Meadows de New York. Le même jour, la nouvelle voiture extrêmement populaire faisait son entrée dans les salles de montre de la société Ford, d’un bout à l’autre de l’Amérique du Nord. Avant que la Mustang ne soit mise en vente et afin qu’il y en ait au moins une dans toutes les salles de montre en vue du lancement officiel des ventes, Ford avait envoyé des voitures à ses concessionnaires les plus éloignés. Les voitures devaient exclusivement être exposées.
George G.R. Parsons Ford de St. John’s, Terre-Neuve-et-Labrador, a reçu la toute première Mustang qui a été construite. C’était une décapotable blanche portant le numéro de série 5F08F100001. Le nouveau véhicule d’allure sportive que Lee Iacocca, vice-président et directeur général de Ford à l’époque, avait imaginé dans les années 1960 était enfin devenu réalité et suscitait énormément d’enthousiasme.
Le 14 avril, soit à peine trois jours avant le lancement officiel, le capitaine Stanley Tucker, pilote de la Eastern Provincial Airways, a aperçu dans le stationnement extérieur du concessionnaire Ford un véhicule qu’il a plus tard qualifié de véritable tape-à-l’œil. Il est alors entré pour voir de plus près de quoi il s’agissait. Dès qu’il a vu la Mustang, il en est immédiatement tombé amoureux et a voulu l’acheter tout de suite. Il s’est alors adressé au vendeur Harry Phillips pour lui faire part de son intérêt.
Harry a dit qu’il n’y avait rien comme la Ford Mustang sur le marché. C’était une belle voiture, mais il a dit au capitaine Tucker qu’il ne pourrait pas la vendre avant deux semaines. Phillips a déclaré que Tucker était déterminé à être le propriétaire de la Ford Mustang décapotable et a dit au vendeur : « Je m’en fiche, je la veux. »
Il devait avoir cette voiture, alors tous deux ont trouvé un accord. Personne ne sait exactement ce que Tucker a dit pour convaincre le concessionnaire de lui vendre la voiture, mais la vente a eu lieu et, pendant trois jours, Tucker a été la seule personne au monde à posséder une Ford Mustang.
Tucker a acheté la voiture pour 4 300 $ et a scellé l’affaire 72 heures seulement avant que Henry Ford ne dévoile officiellement la Mustang. Le capitaine Tucker a accepté que le concessionnaire garde et expose la voiture pendant quelques semaines.
Quelques semaines après la vente, le concessionnaire de St. John’s a reçu un appel du siège social de Ford dans le Michigan, qui cherchait la voiture parce qu’il s’agissait d’un modèle de préproduction et qu’elle n’avait jamais été destinée à être vendue. Lorsqu’on leur a dit que la toute première Mustang qu’ils avaient construite avait été vendue et roulait sur les routes de Terre-Neuve, Ford a entrepris de récupérer la voiture. « Pas si vite », a répondu le capitaine Tucker. Il a dit à Ford : « Je suis désolé, vous avez encaissé mon chèque... et j’en suis très heureux. » Il a refusé de rendre la voiture.
Deux ans et 10 000 milles plus tard, Ford est enfin parvenu à convaincre Tucker de lui remettre la Mustang. Tucker a conduit la Mustang jusqu’au Michigan. En échange de la toute première Mustang jamais construite, Ford a remis au capitaine Tucker un modèle « Silver Frost » 1966 flambant neuf doté de toutes les options. Comme par hasard, il s’agissait de la millionième Mustang à sortir de la chaîne de montage.
Lee Iacocca a remis à Tucker les clés de sa voiture neuve, et on a fait don de la voiture d’origine au musée Henry Ford, où elle se trouve toujours aujourd’hui avec sa plaque d’immatriculation de Terre-Neuve-et-Labrador.
Harry Phillips, le vendeur, a passé sa carrière à vendre des voitures, puis a pris sa retraite en 1995. Il n’a plus jamais revu la Mustang qu’il avait vendue par erreur en 1964. En 2019, 55 ans après que M. Phillips eut vendu la voiture, sa petite-fille Stephanie Mealey a lancé une campagne de sociofinancement intitulée « Envoyez Harry chez Henry ». Matt Anderson, le conservateur du musée Ford, a eu vent de cette campagne et s’est arrangé pour que le vendeur, sa fille et sa petite-fille viennent au Michigan afin de bénéficier d’une visite privée du musée ainsi que d’une visite de l’usine de la rivière Rouge, où l’emblématique et historique Mustang a été construite. Harry Phillips n’avait jamais eu l’occasion de visiter Detroit et fut très ému de pouvoir voir la voiture qu’il avait vendue par accident tant d’années auparavant.
Le capitaine Tucker est décédé en 2008 et n’a jamais eu la même occasion qu’Harry Phillips, mais grâce à sa détermination à vouloir acheter la toute première Mustang jamais construite, il a sans le savoir contribué à sa façon à l’histoire de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le Jour anniversaire du traité
L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, le Jour anniversaire du traité a lieu chaque année le 1er octobre, qui annonce le début du Mois de l’histoire des Mi’kmaq. C’est le moment approprié pour mieux connaître l’histoire, la culture et les contributions des Mi’kmaqs. C’est aussi l’occasion de commémorer la signification des traités de paix et d’amitié conclus dans les années 1700.
Ces traités sont des ententes ayant force obligatoire et ils servent d’assises à la relation de longue date entre les Mi’kmaqs et la Couronne. Nous sommes tous parties aux traités. Par conséquent, nous sommes tous responsables de respecter les droits, les avantages et les obligations convenus par nos ancêtres.
Chers collègues, les Mi’kmaqs n’ont jamais cédé leurs terres, leurs eaux et leurs ressources, pas plus qu’ils n’y ont renoncé, quand ils ont accepté de signer ces traités. Ce qu’ils ont accepté, c’est de partager leurs terres, leurs eaux et leurs ressources avec les colons, encore à ce jour. On ne peut pas en dire autant de la Couronne, car elle n’a pas honoré sa promesse de ne pas s’ingérer dans nos modes de vie traditionnels.
Malheureusement, la Couronne a essayé de déplacer et d’assimiler de nombreuses générations par la force. En conséquence, la relation entre la Couronne et les Mi’kmaqs depuis des siècles ne repose pas sur la paix et l’amitié. Cette relation en est une d’exploitation et de violence, mais aussi de lutte et de résistance.
(1410)
À titre d’exemple, au cours des dernières années, plusieurs nations mi’kmaqs ont lancé leurs propres activités de pêche fondées sur les droits sans l’approbation du fédéral. C’est ce qu’a fait en mai dernier la Première Nation de Lennox Island, où je suis né. Après la conclusion d’une entente provisoire avec le gouvernement fédéral, la première saison a été jugée fructueuse; il y a toutefois eu une certaine résistance à propos du nombre de filets et de leur emplacement.
Le mois dernier, j’ai aussi été impressionné de voir comment les nations Elsipogtog et Esgenoopetitj s’emploient à faire respecter leurs droits de pêche protégés par la Constitution. L’absence d’une mise en œuvre complète de ces droits par divers gouvernements a nui au développement socioéconomique des communautés et placé leurs membres dans une position où ils risquaient de subir encore du harcèlement et de la violence de la part de l’État et d’autres acteurs.
De plus, le fait que des fonds fédéraux liés à une entente de 2019 n’aient pas été versés empêche les nations Esgenoopetitj et Elsipogtog de pêcher de la manière la plus sécuritaire et la plus viable possible. C’est une honte que le Canada ne respecte pas des traités et d’autres ententes. Il est grand temps que la pêche mi’kmaq fondée sur les droits soit pleinement mise en œuvre.
Chers collègues, j’espère qu’à Mi’kma’ki et ailleurs, tout le monde prendra du temps en octobre pour se renseigner sur les nombreuses promesses faites dans les traités qui n’ont pas été concrétisées, et pour agir afin qu’elles deviennent réalité.
Wela’lin. Merci.
[Français]
L’obésité chez les enfants
L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénateurs, en août dernier, la revue médicale The Lancet a publié les résultats d’une recherche colossale sur les facteurs de risques des cancers à travers le monde. Cette vaste étude a confirmé le lien de causalité connu entre l’obésité et le cancer.
[Traduction]
Si l’on se concentre sur les statistiques concernant les enfants canadiens, on constate que 30 % des enfants âgés de 5 à 17 ans sont obèses ou font de l’embonpoint. Le plus récent Bulletin des enfants et des jeunes de ParticipACTION est loin d’être rassurant. Les enfants canadiens ont reçu la note D+ pour l’ensemble de l’activité physique, D+ pour les comportements sédentaires, B pour le sommeil et F pour le mouvement sur 24 heures.
En tant que parents et grands-parents, nous serions alarmés si nos enfants obtenaient de telles notes à l’école. Pourquoi, donc, devrions-nous accepter ces notes en ce qui a trait à la santé et à l’activité physique? Que faisons-nous à cet égard? À vrai dire, le Canada a pris certaines mesures.
[Français]
La Stratégie canadienne en matière de saine alimentation fait son chemin. Le Guide alimentaire canadien de 2019 est très bien reçu. L’information nutritive qui apparaît sur les étiquettes alimentaires permet aux Canadiens de faire des choix éclairés. Les gras trans industriels sont maintenant interdits. Cependant, est-ce suffisant? Bien sûr que non, puisque les niveaux d’obésité et de sédentarité de nos jeunes sont inquiétants.
Devant cette situation alarmante, nous devons être ambitieux. Regardons du côté des pays européens dont la population bouge plus. En Islande, par exemple, près de 30 % de la population et près de 80 % de tous les enfants de 12 ans sont membres de clubs sportifs. Plusieurs pays ont compris que la pratique de l’activité physique est réellement bénéfique lorsqu’elle est accompagnée de saines habitudes d’alimentation.
[Traduction]
Ils ont mis en place des mesures visant à restreindre la publicité de produits alimentaires à l’intention des enfants en fonction de critères nutritionnels, habituellement liés à la teneur en sodium, en sucre et en gras saturés. De nombreux autres pays envisagent d’instaurer des mesures similaires.
[Français]
Par ailleurs, je salue ici, chez nous, l’initiative de la députée Patricia Lattanzio qui a introduit dans un projet de loi des restrictions sur les publicités commerciales de certains aliments et boissons destinés aux enfants. Elle nous donne une occasion de soutenir les parents qui essaient de faire des choix alimentaires plus sains pour leurs enfants.
En attendant que nous fassions notre part, je conclus mes propos en remerciant tous les organismes, comme ParticipACTION, la Fondation canadienne des maladies du cœur et Coalition Poids, qui, comme moi, jugent qu’il est essentiel de freiner l’augmentation de l’obésité chez les enfants et de renverser cette tendance. Nous devrons viser haut, car nos enfants le méritent.
Merci.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’ambassadeurs et de représentants d’ambassades latino-américaines, en l’honneur du Mois du patrimoine latino-américain. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Galvez.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Le Mois du patrimoine latino-américain
L’honorable Rosa Galvez : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’occasion de la cinquième édition du Mois du patrimoine latino-américain.
Au Canada, la communauté latino-américaine est florissante et grandit en nombre et en influence chaque année. Je suis très fière de faire partie de cette communauté décidée, ingénieuse et résiliente. Je suis également très honorée des réalisations que les membres de la communauté accomplissent dans tous les domaines. C’est une communauté qui a un grand cœur, qui sait exprimer beaucoup d’amour et qui fait preuve de solidarité et de collaboration.
[Traduction]
J’aimerais reconnaître et remercier personnellement les ambassadeurs des pays latino-américains qui travaillent avec diligence pour renforcer les liens entre le Canada et leur pays respectif. Ils sont présents à la tribune aujourd’hui. J’aimerais également remercier le Président et l’huissier du bâton noir de leur hospitalité dans la salle du Sénat.
Plus tard aujourd’hui, nous célébrerons la Journée hispanique sur la Colline du Parlement au moyen d’une réception qui aura lieu de 18 à 20 heures, dans l’édifice Sir-John-A.-Macdonald, à laquelle les ambassades ont généreusement contribué en offrant un assortiment de mets et de boissons traditionnels ainsi qu’en organisant des divertissements artistiques et musicaux. Chers collègues, je vous invite tous à y assister pour découvrir la dynamique culture latino‑américaine.
[Français]
Grâce aux ambassades et aux multiples organismes latino‑américains au Canada, il y aura partout au pays, pendant tout le mois d’octobre, une série d’événements visant à célébrer l’art, la cuisine, la musique, la cinématographie, la littérature et encore plus.
[Traduction]
J’encourage mes honorables collègues à se renseigner sur les événements qui se tiendront dans leur province et à y participer. La communauté latino-américaine est très accueillante et serait ravie de partager sa richesse et sa vivacité avec vous. En ce mois d’octobre, je souhaite à tous un joyeux Mois du patrimoine latino-américain.
[Note de la rédaction : La sénatrice Galvez s'exprime en espagnol.]
Merci. Meegwetch.
[Français]
Les élections québécoises du 3 octobre 2022
L’honorable Marie-Françoise Mégie : Honorables sénateurs, l’écrivaine Antonine Maillet affirmait ce qui suit, et je cite :
Le peuple acadien saura qu’il a accompli sa destinée lorsqu’il s’attachera non pas au maintien de sa vitalité, mais à ses contributions à la société.
Pour contribuer à la société, une communauté doit entretenir avec elle une relation saine, avoir quelque chose à offrir, et se sentir incluse.
Cette idée s’applique bien à la réalité des communautés noires du Québec. La vaste majorité des Noirs québécois parlent français et sont issus de l’immigration.
Cela m’amène à vous entretenir des élections québécoises du 3 octobre dernier. Sur les 880 candidats, une soixantaine sont issus des communautés noires. Cette représentativité se retrouve dans tous les partis politiques et est répartie dans plus d’une quarantaine de comtés. Je félicite les 125 élus et, notamment, les cinq personnes noires qui représenteront 4 % des sièges à l’Assemblée nationale du Québec.
J’ai cependant une observation à formuler. Le taux de participation s’est élevé à un peu plus de 60 %, loin du taux de participation de 85 % atteint lors de mon arrivée au Québec, en 1976. Sans vouloir lui attribuer une cause précise, l’étude de l’application Datagotchi, de l’Université Laval, révèle que le fait d’être en bonne santé veut aussi dire avoir plus de chances de voter. Compte tenu de la pandémie que nous venons de traverser, faut-il un corps et un esprit sains pour favoriser une saine démocratie? C’est une piste de réflexion.
Continuons à inciter tous les électeurs à se présenter aux urnes.
En conclusion, je souhaite que la présence des candidatures provenant des communautés noires soit le reflet que nous sommes les bienvenus ici et que nous contribuons pleinement à une saine vie démocratique.
Merci.
(1420)
AFFAIRES COURANTES
L’Association parlementaire Canada-Europe
La rencontre dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques et la troisième partie de la session ordinaire de 2022 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, tenues du 20 au 24 juin 2022—Dépôt du rapport
L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Association parlementaire Canada-Europe concernant la rencontre dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la troisième partie de la session ordinaire de 2022 de l’Association parlementaire du Conseil de l’Europe, tenues à Paris et à Strasbourg, en France, du 20 au 24 juin 2022.
Des voix : Bravo!
Le Sénat
Préavis de motion tendant à former un comité sénatorial spécial sur le capital humain et le marché du travail
L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, je donne préavis que, dans deux jours, je proposerai :
Qu’un comité sénatorial spécial sur le capital humain et le marché du travail soit formé jusqu’à la fin de la présente session, qui peut être saisi de toute question concernant le capital humain, le marché du travail et l’emploi en général;
Que le comité soit composé de neuf membres nommés par le Comité de sélection et que quatre membres constituent le quorum;
Que le comité soit autorisé à faire enquête et rapport sur les questions dont il est saisi par le Sénat, à exiger la comparution de témoins et la production de documents, à entendre des témoins et à ordonner la publication de documents et de témoignages.
[Traduction]
PÉRIODE DES QUESTIONS
Le Bureau du Conseil privé
L’Unité des résultats et de la livraison
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Sénateur Gold, la semaine dernière, je n’ai pu m’empêcher de penser à un département que le gouvernement Trudeau a mis sur pied lorsqu’il est arrivé au pouvoir, l’Unité des résultats et de la livraison, qui est axée sur la « résultologie ». Votre gouvernement disait qu’il tenait absolument à maintenir l’accent sur ses priorités et à livrer les résultats promis aux Canadiens.
Je me suis souvenu de cela à la suite d’une réponse que vous avez formulée la semaine dernière dans cette enceinte, en réponse à une question de la sénatrice Martin sur les efforts de réconciliation. Vous avez dit :
Le gouvernement a amorcé le travail. La tradition à laquelle je suis fier de souscrire veut que nous ne sommes pas obligés [...]
— ce qui suit est intéressant —
[...] de terminer la tâche, mais que nous n’avons pas le droit de ne pas la commencer.
Monsieur le leader, est-ce là la « résultologie » dont parlait votre gouvernement en 2015, le fait qu’il n’est pas obligé de terminer la tâche qu’il a commencée? Sénateur Gold, veuillez répondre à la question sans hocher la tête.
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question, sénateur Plett. Je faisais allusion à un enseignement important de la tradition juive selon lequel nous avons tous la responsabilité de faire de notre mieux pour rendre le monde meilleur. Tous les sénateurs conviendront que nous sommes réunis dans cette enceinte pour y contribuer à notre modeste façon.
Pour ce qui est de votre question, je maintiens ma réponse. Le gouvernement du Canada, c’est-à-dire le gouvernement actuel, contrairement à ceux qui l’ont précédé, prend au sérieux la responsabilité de travailler avec les communautés autochtones de l’ensemble du pays afin que nous entamions le processus nécessaire pour regarder la vérité historique en face et faire ce qu’il faut pour nous réconcilier avec nos concitoyens autochtones et avec notre passé.
À cet égard, le travail qui a été réalisé n’a pas été facile, mais il est impressionnant. Il reste beaucoup à faire, et on peut féliciter le ministre Miller ainsi que l’ensemble du gouvernement de faire ce travail avec sérieux et de concevoir les initiatives en collaborant de manière respectueuse avec leurs collègues et leurs partenaires autochtones.
Le sénateur Plett : C’était une réponse très directe à une question très directe. Sénateur Gold, votre réponse de la semaine dernière, correspond en fait davantage à la réalité plutôt qu’au mandat de « résultologie » que votre gouvernement s’est donné à sa prise de fonction.
Le gouvernement Trudeau a un long passé de promesses non tenues, qui sont évoquées semaine après semaine dans cette enceinte : la réforme électorale, le règlement de la crise du logement, l’eau potable dans les réserves autochtones, la plantation de 2 milliards d’arbres, le budget qui était censé s’équilibrer tout seul. Je pourrais continuer ainsi pendant longtemps. Autant de promesses que votre gouvernement n’a pas tenues.
Monsieur le leader, votre gouvernement a-t-il jamais eu l’intention de tenir ces promesses; et, dans l’affirmative, quand? Ou bien s’agissait-il toujours de sauver les apparences, comme cela semble souvent être le cas avec ce gouvernement?
Le sénateur Gold : Le gouvernement est déterminé à faire ce qu’il a prévu pour améliorer la vie des Canadiens, tout comme il nous a aidés à traverser une crise mondiale dont nous ressentons encore les effets. Il s’agit de prendre des mesures concrètes pour aider les Canadiens. Il ne s’agit pas de faux semblants ni de partisanerie.
Les finances
Les Comptes publics
L’honorable Elizabeth Marshall : Sénateur Gold, les membres du Comité des finances nationales ont eu une rencontre très intéressante ce matin avec la vérificatrice générale. Elle nous a dit qu’elle avait approuvé les Comptes publics du dernier exercice. L’année dernière, nous avons attendu neuf mois avant de les recevoir. En fait, nous les avons seulement reçus le dernier jour de séance avant le congé de Noël. Puisque la vérificatrice générale a déjà approuvé les Comptes publics, quand le gouvernement publiera-t-il ceux de 2022?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie, sénatrice, de votre question. Je vais devoir me renseigner afin de pouvoir vous fournir une réponse le plus rapidement possible.
La sénatrice Marshall : Merci, sénateur Gold. Je vous en saurais gré. Nous avons besoin de cette information pour notre étude du Budget supplémentaire des dépenses de cet automne. Lorsque vous vous renseignerez pour savoir quand nous obtiendrons les Comptes publics, pourriez-vous aussi demander quand nous recevrons les rapports sur les résultats ministériels parce que nous avons seulement reçu ceux de l’année dernière cette année. Nous avons besoin de recevoir ces documents ensemble. Merci beaucoup.
Le sénateur Gold : Je ferai de mon mieux pour obtenir ces réponses le plus rapidement possible.
[Français]
Le patrimoine canadien
Hockey Canada
L’honorable Chantal Petitclerc : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Vous l’avez probablement remarqué, Hockey Canada était encore dans les médias hier. Ce manque de transparence de Hockey Canada, on le sait, a rompu le lien de confiance qui le lie aux familles canadiennes. Les fonds fédéraux accordés à l’organisation ont été gelés; il y a des enquêtes policières et de la vérification comptable en cours. La ministre St‑Onge suggère qu’il y ait des démissions, mais est-ce suffisant, surtout lorsque l’on constate que les principaux dirigeants et administrateurs sont toujours en place?
N’est-il pas temps de prendre nos responsabilités et de faire comprendre clairement aux dirigeants actuels de Hockey Canada qu’une nouvelle ère s’impose et qu’il faut une nouvelle équipe pour envoyer un message très clair, qui est que les mauvais traitements et les violences sexuelles sont inacceptables?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement est tout à fait d’accord avec vous, chère collègue, pour dire que la situation est complètement inacceptable. C’est pourquoi la ministre a annoncé, comme vous venez de le souligner, qu’elle voulait voir un changement au sein de l’équipe.
J’irai même plus loin : le gouvernement a annoncé récemment une réforme complète du cadre de financement et de reddition de comptes des fédérations sportives. Cette réforme donnera l’effet de levier dont Sport Canada a besoin pour faire un suivi serré des organisations en ce qui a trait à leurs pratiques de gouvernance et de transparence. La responsabilité des fédérations sportives sera nettement renforcée. Je conclus là-dessus : le gouvernement réaffirme sa volonté de mettre fin à la culture du silence qui prévaut depuis trop longtemps dans le domaine du sport, non seulement dans le domaine du hockey, mais malheureusement un peu partout, comme nous l’avons constaté récemment.
(1430)
La sénatrice Petitclerc : Quand une nouvelle équipe sera en place à Hockey Canada, le gouvernement pourrait-il s’engager à s’assurer que des experts externes y seront intégrés dans le but de trouver et de mettre en œuvre des solutions concrètes pour lutter contre les abus et la violence sexuelle? Ces personnes devront veiller également à ce qu’il y ait un mécanisme de confiance afin que les victimes disposent de ressources adéquates pour faire entendre leurs plaintes.
Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Je n’ai pas de détails quant à l’intention de créer une nouvelle équipe. Je vais toutefois transmettre ces suggestions au gouvernement et à la ministre afin qu’elles soient prises en considération.
Les relations Couronne-Autochtones
La création d’un poste d’ombudsman autochtone
L’honorable Michèle Audette : Honorables sénateurs, ma première question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
Aujourd’hui est une date importante pour des milliers de familles et de survivantes des quatre coins du Canada, de même que pour les personnes qui ont perdu des êtres chers. Nous célébrons en effet la journée de Nos sœurs par l’esprit. Je tiens à remercier les collègues qui y ont participé.
J’ai à la fois un devoir de responsabilité et beaucoup d’amour pour ces familles. Elles ont milité pendant plus de 50 ans pour la mise sur pied d’une enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues, et le Canada a ordonné le lancement de cette enquête. L’enquête a donné lieu, bien sûr, à beaucoup de rapports et de recommandations, de même qu’à des appels à la justice pour le Canada et pour le Québec. Le 3 juin dernier, on a souligné le troisième anniversaire du rapport de l’enquête. En outre, on a célébré récemment le premier anniversaire du plan d’action du gouvernement fédéral.
Sénateur Gold, l’un des appels à la justice est particulièrement important pour moi. Il s’agit de l’appel à la justice no 1.7 visant à mettre en place, en partenariat avec les organisations, les gouvernements autochtones et le gouvernement fédéral, un poste d’ombudsman. Cet appel à la justice vise aussi à créer un espace pour les droits de la personne et les droits des peuples autochtones.
J’aimerais savoir où nous en sommes, au Canada, en ce qui a trait à cet appel très important qu’est l’appel à la justice no 1.7.
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour la question. Les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones ont le droit d’être en sécurité dans les communautés où elles vivent.
Pour répondre à cette stratégie nationale, il faut adopter une approche pangouvernementale, ce qui implique le respect de nos objectifs en tant que pays ainsi que tous les appels à la justice.
On m’informe que, dans la Voie fédérale, le gouvernement du Canada s’est engagé à produire un rapport d’étape annuel sur les principaux jalons et les progrès réalisés par rapport aux engagements. Le 3 juin 2022, le gouvernement a publié le premier rapport d’étape de la Voie fédérale. Ce rapport contient une mise à jour de plus de 50 initiatives et programmes, dirigés par 25 ministères et organismes fédéraux, qui ont été lancés dans le cadre de la Voie fédérale. Le rapport souligne également le travail qu’il reste à faire.
La sénatrice Audette : Je reviens à ma question. Peut-on savoir où en est le gouvernement fédéral avec l’appel à la justice no 1.7 en ce qui concerne la création d’un poste d’ombudsman?
Le sénateur Gold : Je n’ai pas de réponse à votre question. Je ferai des recherches pour essayer d’en obtenir une. Je souligne toutefois que le travail est déjà entamé en partenariat avec les communautés autochtones pour faire en sorte que l’on puisse développer la Voie fédérale ensemble.
[Traduction]
Les affaires étrangères
Le Corps des Gardiens de la révolution islamique
L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Sénateur Gold, dans les derniers jours, nous avons appris que de hauts fonctionnaires liés au Corps des Gardiens de la révolution islamique et des personnes liées au régime brutal d’Iran — dont des membres de la famille de nul autre que le chef suprême — cherchent à trouver refuge ici même au Canada. On a même rapporté que certains d’entre eux étaient possiblement déjà en sol canadien.
La question que je veux vous poser, monsieur le leader du gouvernement, est fort simple. Pouvez-vous nous dire quelles précautions le gouvernement Trudeau a prises pour s’assurer que personne ayant des liens avec le Corps des Gardiens de la révolution islamique ou avec le gouvernement brutal d’Iran ne puisse entrer au Canada ou n’ait pu le faire jusqu’à maintenant?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Je n’ai cependant pas la réponse. Je vais voir quelles informations il m’est possible de communiquer au sujet de cette question qui touche à la fois à la sécurité nationale et à l’engagement du Canada dans la lutte contre la tyrannie et le terrorisme d’État pour lesquels l’Iran doit rendre des comptes, comme il se doit. Je ferai tout en mon pouvoir pour obtenir des réponses aussi rapidement que possible.
Le sénateur Housakos : Sénateur Gold, sauf votre respect, il s’agit d’une question très importante qui concerne la liberté démocratique et les droits de la personne. Récemment, 30 000 Canadiens se sont rassemblés en signe de solidarité à l’égard de la liberté et de la situation du peuple iranien. Étant donné l’importance que cette question a prise au cours des dernières semaines, en tant que leader du gouvernement, vous devriez offrir une réponse à cette question simple : quelles précautions le gouvernement a-t-il prises pour veiller à ce que les personnes liées au Corps des Gardiens de la révolution islamique ou au régime iranien n’entrent pas dans notre pays?
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une question très difficile et je vous laisse le soin d’y répondre. J’en poserai également une deuxième, beaucoup plus simple, pour laquelle nous n’avons reçu aucune réponse non plus.
Après toutes ces années et après que les deux Chambres du Parlement ont réclamé que le gouvernement ajoute le Corps des Gardiens de la révolution islamique à la liste des entités terroristes, pourquoi le gouvernement Trudeau refuse-t-il de le faire? Pourriez‑vous me l’expliquer? C’est une question facile que l’on pose depuis longtemps.
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Comme j’en ai déjà informé le Sénat, le gouvernement a dressé une liste qui contient un certain nombre d’entités liées au régime et d’individus. Il a récemment ajouté d’autres noms à cette liste et examine constamment la façon de procéder. Le gouvernement condamne les actions de l’Iran contre ses propres citoyens et les actions de l’Iran en tant qu’État qui soutient le terrorisme.
Pour répondre au préambule de votre deuxième question : bien sûr, ces questions sont sérieuses. Bien sûr, elles sont importantes. J’espère toutefois que les sénateurs comprendront que je n’ai pas sous la main les mesures de diligence raisonnable qui ont été prises à l’égard des tentatives précises d’entrer dans ce pays, le cas échéant, et que le mieux que je puisse faire, c’est m’engager à essayer de trouver une réponse dont je peux vous faire part sans compromettre la sécurité nationale. Je ne cherche en aucun cas à diminuer ou à minimiser l’importance de la question.
L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté
Les services de passeport
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Ma question s’adresse également au leader du gouvernement. La situation revient à la normale après la pandémie de COVID. Les enfants sont de retour à l’école. Les gens sont revenus au bureau. Les Canadiens ont recommencé à voyager — ou plutôt, ils le feraient s’ils pouvaient obtenir leur passeport.
Les Canadiens font face à des arriérés sans précédent à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour obtenir leur passeport afin de voyager. Les messages confus et l’information contradictoire de la part de Service Canada n’ont fait qu’exacerber le problème. Sénateur Gold, quand le ministre responsable présentera-t-il ses excuses aux Canadiens et quand rattrapera-t-il les retards de traitement?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le ministre et le ministère travaillent fort pour corriger ce qui est une situation très difficile pour beaucoup trop de Canadiens aux prises avec des délais d’attente gênants et stressants. Le gouvernement est très conscient du fardeau que cette situation impose aux Canadiens qui souhaitent voyager. Il cherche à prendre de nombreuses mesures — et il en a déjà pris un certain nombre — pour relever ces défis.
Un système de triage est en place dans les grandes collectivités, comme la région de Vancouver — d’où vous venez, madame la sénatrice —, la région du Grand Toronto, Calgary et Edmonton, pour contribuer à servir les gens plus rapidement. Les fonctionnaires continuent de chercher des solutions à une situation très troublante et très difficile pour beaucoup trop de Canadiens.
La sénatrice Martin : Sénateur, les excuses et les retards supplémentaires sont inacceptables. Le gouvernement savait que les passeports d’une durée de 10 ans arrivaient à expiration et que la demande serait élevée une fois la pandémie terminée.
Les passeports ne sont pas le seul problème à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Bien que la vie soit revenue à la normale pour des millions de Canadiens, les néo-Canadiens ne peuvent toujours pas prêter leur serment de citoyenneté au cours d’une cérémonie en personne. En tant qu’immigrante moi-même, je sais que le fait de prêter serment aux côtés de dizaines d’autres néo‑Canadiens pleins d’enthousiasme est l’un des moments et des souvenirs les plus marquants.
(1440)
Sénateur Gold, pourquoi le ministre continue-t-il de priver les néo-Canadiens de ce moment unique de leur vie?
Le sénateur Gold : Ayant participé en personne à ces cérémonies, je suis tout à fait d’accord avec vous sur l’importance qu’elles revêtent pour les néo-Canadiens et leurs familles.
Le gouvernement s’efforce d’être en mesure de rendre tous les services disponibles comme ils l’étaient avant la pandémie, et il continuera de le faire. Lorsque des changements pourront être apportés au système, les annonces nécessaires seront faites.
Les affaires étrangères
Les relations sino-canadiennes
L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je remercie les collègues du Groupe des sénateurs canadiens de me donner l’occasion de poser une question. C’est une offre rare et généreuse.
L’organisme Hong Kong Watch indique dans son récent rapport de 2022 que le Canada possède des actions dans des entreprises chinoises qui figurent sur la liste des sanctions des États-Unis et dans des sociétés qui ont fourni de l’équipement utilisé dans des camps où on estime qu’environ 1 million d’Ouïghours sont encore détenus.
Les anciens parlementaires respectés Irwin Cotler et David Kilgour ont souligné que le Régime de pensions du Canada a investi plus de 50 milliards de dollars dans des sociétés chinoises. De plus, on rapporte que d’autres régimes de retraite ont investi dans des sociétés chinoises liées au travail forcé des Ouïghours. Par surcroît, nous avons appris que plusieurs sociétés de gestion de placements investissent dans les actions de compagnie accusées de violations des droits de la personne en Chine. Plus choquant encore, des universités canadiennes ont investi des fonds de dotation dans des entreprises exposées à ces injustices.
Le Canada condamne le génocide, mais pourtant, il continue de fournir ce que Hong Kong Watch qualifie d’appui passif à l’oppression en investissant dans des actions d’entreprises chinoises qui entretiennent des liens prouvés avec des industries qui violent les droits de la personne.
Voici ma question, sénateur Gold. Comment le Canada identifie-t-il les entreprises qui violent les droits? Que fait le Canada pour s’assurer que les régimes d’investissement publics et privés, comme le Régime de pensions du Canada, ne contribuent pas à la violation des droits de la personne en investissant dans de telles entreprises?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et d’attirer encore une fois l’attention — on ne le fera jamais trop — sur le sort des Ouïghours et l’oppression dont ils sont victimes.
Je ne sais pas quelles mesures ont été prises. Je vais me renseigner et vous revenir avec une réponse.
La sénatrice McPhedran : Sénateur Gold, dans votre demande d’information, pourriez-vous ajouter — si vous le voulez bien — une sous-question afin d’obtenir des précisions sur les types de mécanismes de transparence et de responsabilisation qui sont en place ou que l’on planifie de mettre en place?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je vais certainement poser la question par rapport au secteur et au domaine de compétence où le gouvernement a des responsabilités.
Le Corps des Gardiens de la révolution islamique
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, ma prochaine question fait en quelque sorte suite aux propos du sénateur Housakos.
Vous vous souviendrez que, la semaine dernière, je vous ai interrogé à deux reprises sur la réticence de votre gouvernement à désigner le Corps des Gardiens de la révolution islamique comme une organisation terroriste. Dans votre réponse, vous avez parlé de la séparation des pouvoirs, laissant entendre qu’il n’appartient pas à votre gouvernement de décider de la désignation ou de la non‑désignation. Il s’agit d’une réponse étrange si l’on considère que la décision d’inscrire une organisation sur la liste des entités terroristes est entièrement prise par le pouvoir exécutif.
En fait, en 2018, le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre de l’époque a décrit de la manière suivante le processus d’inscription du Corps des gardiens de la révolution islamique en vertu du Code criminel. Il faut tout d’abord rédiger un rapport sur la sécurité ou la criminalité recensant les activités de l’entité en cause. Ce rapport est ensuite examiné par un avocat indépendant du ministère de la Justice, qui vérifie que les conditions sont remplies. Si le ministre de la Sécurité publique confirme que c’est bel et bien le cas, il peut recommander au Cabinet que le nom de l’entité soit inscrit sur la liste.
Monsieur le leader, la procédure est claire. Est-ce parce que le gouvernement ne peut pas inscrire le Corps des Gardiens de la révolution islamique sur la liste ou parce qu’il ne le veut pas? Je vous pose donc la même question que la semaine dernière, monsieur le leader : pourquoi?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Je n’avais certainement pas l’intention de dire que le gouvernement n’avait aucune responsabilité pour ce qui est de prendre la décision finale dans le processus que vous avez décrit. Par conséquent, si vous dites que ma réponse l’a laissé entendre, je pense que ce n’était certainement pas mon intention.
Cependant, si je me souviens bien, votre question portait également sur le rôle des agences de sécurité chargées de formuler des conseils et des recommandations dans le cadre d’un processus permettant de s’assurer que les décisions de cette nature sont prises de manière intelligente et judicieuse.
À cet égard, le gouvernement continue de se consacrer pleinement aux mesures supplémentaires qu’il pourrait prendre pour renforcer les sanctions et les pressions sur l’Iran, ses agences et ses organes, afin de condamner et de dénoncer davantage les actes commis à l’encontre de ses citoyens et de nos valeurs à l’étranger.
Le sénateur Plett : Monsieur le leader, en octobre 2018, Ralph Goodale, alors secrétaire parlementaire, a informé la Chambre des communes que les fonctionnaires avaient commencé leur évaluation du Corps des Gardiens de la Révolution islamique en vue de l’inscrire sur la liste des entités terroristes. Pourtant, pas plus tard que la semaine dernière, le ministre de la Sécurité publique Mendicino et vous avez dit, ou laissé entendre, que ce n’était pas une tâche qui incombait au gouvernement.
Qu’en est-il? Sommes-nous censés croire que les fonctionnaires du ministère de la Justice travaillent sur ce rapport depuis 2018? Un rapport a-t-il été produit et, si tel est le cas, le ministre de la Sécurité publique ou quelqu’un d’autre a-t-il fait une recommandation au Cabinet?
Le sénateur Gold : Monsieur le Sénateur, vous savez, de par votre propre expérience en politique et au sein du gouvernement, que je n’ai pas la liberté de divulguer quels conseils ou rapports ont été remis au Cabinet. Je m’en tiendrai simplement à la réponse que j’ai déjà donnée à plusieurs reprises à cette question.
Les finances
Le taux d’inflation au Canada
L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, ma question s’adresse de nouveau au leader du gouvernement au Sénat et elle porte sur la « Justinflation ». À plusieurs reprises, j’ai posé des questions à propos de ce problème qui commence à miner la classe moyenne et les Canadiens pauvres qui luttent pour survivre.
Je vais poser la question de manière un peu différente, parce que j’ai déjà essayé de faire appel à la responsabilité du gouvernement à l’égard de certains des gestes qu’il a posés, mais, bien entendu, le gouvernement n’assume jamais ses responsabilités. Il désigne plutôt les forces du marché, la conjoncture mondiale, les guerres ou n’importe quelle autre excuse, mais surtout pas le gouverneur de la Banque du Canada, M. Trudeau ou les deux ministres des Finances qu’il a nommés au cours des sept dernières années.
Seriez-vous d’accord pour affirmer qu’en trois petites étapes, nous pourrions résoudre le problème de la « Justinflation »? Premièrement, conviendriez-vous que le gouvernement libéral devrait plafonner ses dépenses et les impôts de la classe moyenne, ainsi que les taxes de l’assurance-emploi qui s’appliqueront à partir de janvier?
Deuxièmement, conviendriez-vous que le gouvernement libéral devrait plafonner sans attendre le déficit galopant?
La troisième étape, très importante, consiste à libérer le secteur de l’énergie au pays pour lui permettre de produire l’énergie dont les Canadiens ont cruellement besoin pour chauffer leurs maisons, dont les agriculteurs ont besoin pour alimenter leurs tracteurs et produire davantage de nourriture et, bien entendu, dont le reste du monde a tellement besoin, puisqu’à l’heure actuelle, il se trouve sous l’emprise d’une bande de dictateurs comme ceux qu’on retrouve en Russie et en Iran, et dans une longue liste de pays.
Reconnaissez-vous qu’avec ces trois simples étapes, le gouvernement peut donner un peu de répit aux Canadiens de la classe moyenne et à ceux qui travaillent dur pour y accéder?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Non, je ne le pense pas. Merci pour votre question.
Le sénateur Housakos : Votre Honneur, à un moment donné, la période de questions doit être l’occasion pour l’opposition de poser des questions et pour le gouvernement de tenter — même timidement — d’y répondre.
En fin de compte, monsieur le leader du gouvernement, vous ne cessez de dénigrer les questions que nous posons, mais ce sont des questions qui sont posées au nom des Canadiens.
La semaine dernière, j’ai pris le temps de rendre visite à plusieurs familles ayant des enfants autistes et à d’autres concitoyens qui dépendent des banques alimentaires pour nourrir leurs enfants et leurs familles. Ils ne vivent pas dans le même contexte et la même bulle que nous, au Sénat, et dans cette ville. Le gouvernement doit d’abord admettre que l’inflation constitue un problème, puis prendre des mesures pour résoudre ce problème au lieu de continuer d’imprimer des billets de banque et de faire croître le déficit en croyant qu’il s’agit en quelque sorte d’une solution. Je crois que les Canadiens méritent une réponse, monsieur le leader du gouvernement.
(1450)
Le sénateur Gold : J’ai décidé de voir une question dans vos commentaires afin de pouvoir vous dire ceci : il s’agit de graves questions. Comme je l’ai déjà dit à maintes reprises, la hausse du coût des aliments et d’autres biens essentiels ainsi que la difficulté à trouver un logement convenable et abordable constituent des problèmes bien concrets pour les Canadiens. À de nombreuses occasions, sénateur Housakos, j’ai pris la parole au Sénat et tenté de faire une distinction entre le ton et le contenu des questions, ainsi qu’au sujet de l’utilisation de slogans tels que « Justinflation » — qui ne porte atteinte à aucun privilège au Sénat vu qu’il n’y a pas de Justin ici. Comme un tel slogan ne peut pas être utilisé à l’autre endroit, je suppose qu’il est jugé plus sûr de l’employer ici.
J’établis une distinction entre les objectifs, que j’accepte et que nous acceptons tous. Pendant la période des questions, on pose des questions au gouvernement pour lui demander de rendre des comptes, et je fais de mon mieux pour répondre. Les questions posées sont graves, et elles méritent des réponses appropriées. C’est ce que j’ai tenté de le faire à maintes reprises — je ne vais pas commencer à faire la morale, car je crois que vous êtes fatigués de m’entendre répéter la même chose, tout comme vos collègues dont l’opinion diffère peut-être de la vôtre quant aux politiques ou aux causes. Je dirai seulement que ces problèmes sont bien réels et qu’ils exigent des solutions concrètes ainsi qu’une analyse digne de cette Chambre.
ORDRE DU JOUR
La Loi de l’impôt sur le revenu
Adoption de la motion tendant à autoriser le Sénat à se réunir en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-30
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 29 septembre 2022, propose :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle :
1.le Sénat se forme en comité plénier à 18 heures le jeudi 6 octobre 2022, afin d’étudier la teneur du projet de loi C-30, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (majoration temporaire du crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée), toutes les délibérations alors en cours au Sénat étant interrompues jusqu’à la fin du comité plénier;
2.nonobstant les dispositions de l’article 3-3(1) du Règlement, la séance soit suspendue à 17 heures, au lieu de 18 heures, et ce, pendant 60 minutes;
3.si la sonnerie d’appel pour un vote retentit au moment où le comité doit se réunir, elle cesse de se faire entendre pendant le comité plénier et retentisse de nouveau une fois les travaux du comité terminés pour le temps qu’il reste;
4.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-30 reçoive l’honorable Chrystia Freeland, c.p., députée, vice-première ministre et ministre des Finances, accompagnée d’au plus deux fonctionnaires;
5.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-30 lève sa séance au plus tard 95 minutes après le début de ses travaux;
6.les remarques introductives de la témoin durent un total maximal de cinq minutes;
7.si un sénateur n’utilise pas l’entière période de 10 minutes prévue pour les interventions à l’article 12-32(3)d) du Règlement, les réponses des témoins y comprises, il puisse céder le reste de son temps à un autre sénateur.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
La Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux
Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Quinn, appuyée par l’honorable sénateur White, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (utilisation du bois), tel que modifié.
L’honorable Percy Mockler : Honorables sénateurs, avant de parler du projet de loi S-222, j’aimerais citer Michael Green, un célèbre architecte de Vancouver, qui a dit ce qui suit dans la préface du rapport Le secteur forestier canadien : Un avenir fondé sur l’innovation publié en 2011 par le Comité de l’agriculture et des forêts :
J’aimerais que notre pays acquière le sens de l’ambition, de la dominance et du leadership mondiaux dans la façon dont nous nous exprimons avec le bois et dont nous construisons avec ce matériau. Nous savons parfaitement couper les arbres, mais nous continuons à les exporter en espérant que d’autres sauront en faire bon usage. Nous devons apprendre comment mettre en valeur notre propre matériau dans notre architecture nationale.
[Français]
Honorables sénateurs, c’est avec beaucoup de fierté que je prends la parole aujourd’hui à titre de porte-parole du projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (utilisation du bois). Le projet de loi S-222 est incontournable. Il s’agit d’une initiative très positive pour l’industrie forestière du Canada dont notre pays bénéficiera d’un océan à l’autre.
[Traduction]
Honorables sénateurs, j’aimerais remercier notre collègue nouvellement retraitée la sénatrice Diane Griffin, qui a parrainé ce projet de loi. Ce dernier reprend essentiellement un précédent projet de loi de la Chambre des communes mort au Feuilleton.
Je félicite la sénatrice Griffin pour son dévouement à mener à bien ce dossier. Je souligne au passage sa vision inébranlable à propos de l’importance d’utiliser le bois canadien d’un océan à l’autre. Les avantages seront monumentaux pour l’industrie, et ce, sur les plans économique, social et environnemental.
J’aimerais profiter de l’occasion pour remercier un nouveau venu, un ami et un collègue — et concitoyen — du Nouveau-Brunswick, le sénateur Jim Quinn, d’avoir pris l’initiative de piloter le projet de loi dans cette enceinte pour franchir les étapes subséquentes du processus législatif. Je reconnais votre grand leadership, monsieur le sénateur.
Honorables sénateurs, j’aimerais aussi féliciter le président du Comité de l’agriculture et des forêts, le sénateur Robert Black, ainsi que tous les membres du comité, pour l’excellent rapport qu’ils ont présenté sur le projet de loi S-222. Le rapport est très instructif et enrichissant. De plus, il met en évidence à quel point l’utilisation du bois est importante pour notre économie et le secteur forestier en général, et ce, dans toutes les régions et les collectivités d’un bout à l’autre de notre pays. Nous n’avons aucun doute que notre pays est le chef de file pour ce qui est des meilleures pratiques de gestion des forêts.
Honorables sénateurs, je vous invite à penser à l’histoire de notre grand pays pour vous mettre en contexte. Personne ne peut nier que dès le tout début, la foresterie faisait partie de notre mode de vie et qu’elle joue encore un très grand rôle dans notre secteur économique, d’un océan à l’autre.
Je parlerai un peu d’histoire, et j’expliquerai pourquoi j’appuie le projet de loi S-222 et pourquoi le moment est propice à l’entrée en vigueur de cette mesure.
[Français]
Honorables sénateurs, je ne peux pas critiquer les objectifs stratégiques de ce projet de loi qui vise à obliger le ou la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement à envisager l’utilisation du bois dans le cadre d’un effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Je dois dire que bien que je sois le porte-parole ou « critique » du projet de loi, je suis un « critique » amical, comme diraient les gens par chez nous. Honorables sénateurs et sénatrices, l’industrie forestière, dans notre circonscription fédérale de Madawaska—Restigouche, a généré un total de 363 millions de dollars, et représente 26,6 % de tous les emplois dans la région. De plus, l’industrie forestière du Nouveau-Brunswick a généré plus de 1,7 milliard de dollars sous la forme de retombées économiques en 2016. Je pense que nous comprenons parfaitement que le bois a été un stimulant économique pour notre région, notre province et l’Atlantique, et d’un bout à l’autre du Canada.
[Traduction]
Honorables sénateurs, la surreprésentation des petites régions du Canada au Sénat fait en sorte qu’elles ne soient pas laissées pour compte. Nous avons la responsabilité de voir à ce que les lois profitent à tous les Canadiens, peu importe où ils vivent au Canada. Il ne fait aucun doute pour moi que l’utilisation du bois offre beaucoup d’avantages, que j’aborderai tout en revenant sur les commentaires d’intervenants de partout au pays.
(1500)
Honorables sénateurs, nous ne pouvons pas nier que depuis les modestes débuts de notre pays en 1867, des gouvernements successifs, tant provinciaux que fédéraux, ont eu pour vision de légiférer en faveur de la gestion des ressources naturelles et de l’environnement. Pendant que le Canada croissait et se modernisait, ces deux ordres de gouvernement, provincial et fédéral, avaient une stratégie commune et nationale sur les forêts, stratégie qui profite encore à toutes les régions de notre merveilleux pays.
Gardons à l’esprit, en tant que parlementaires, que la sixième stratégie nationale sur les forêts était très novatrice. Intitulée Une vision pour les forêts du Canada : 2008 et au-delà, cette stratégie a été publiée en décembre 2008 par le Conseil canadien des ministres des forêts. Le conseil, qui comprenait des représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, y décrit deux grandes priorités qui sont toujours valides aujourd’hui : la transformation du secteur forestier et — eh oui — les changements climatiques.
[Français]
Honorables sénateurs, de plus, je m’en voudrais de ne pas signaler les deux rapports publiés par un comité du Sénat en 2011 et 2018, qui ont aussi attiré l’attention des gouvernements successifs sur l’importance de faire connaître les bénéfices de l’utilisation du bois dans la construction de bâtiments multiétages, qu’ils soient résidentiels ou commerciaux.
Ces deux rapports ont sensibilisé différents gouvernements — différentes couleurs de gouvernement — depuis les 10 dernières années afin de reconnaître le rôle primordial de l’utilisation du bois et de la forêt canadienne dans la lutte contre les changements climatiques et les gaz à effet de serre. L’un des rapports s’intitulait d’ailleurs — et je regarde la sénatrice Galvez — Le secteur forestier canadien : un avenir fondé sur l’innovation.
[Traduction]
Honorables sénateurs, en 2018, le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, présidé par la sénatrice Griffin, a publié son deuxième rapport, intitulé Abondance ou famine. L’une de ses recommandations est éclairante par rapport au projet de loi S-222. En effet, voici ce que dit la recommandation no 13 :
Que le gouvernement du Canada :
a. s’assure de la disponibilité de fonds de recherche pour une évaluation de haut niveau permettant de déterminer quels investissements dans la lutte contre les changements climatiques sont les plus efficaces et les plus rentables;
b. continue de mettre en œuvre des programmes et des initiatives contribuant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre en favorisant l’utilisation de nouveaux matériaux, comme les bioproduits avancés, et de nouvelles technologies de séquestration du carbone, comme la construction de bâtiments de grande hauteur à l’aide de bois.
Cette recommandation révolutionnaire nous indique la voie à suivre, honorables sénateurs.
Je me permets de citer le Conseil canadien du bois, qui a dit ceci :
Le Canada a un secteur forestier durable, et l’usage du bois comme matériau de construction y est très répandu. C’est une façon simple et économique de réduire les émissions de gaz à effet de serre des autres industries. L’utilisation du bois dans la construction d’une maison conventionnelle d’une superficie de 216 mètres carrés (2 400 pieds carrés) permet de stocker 28,5 tonnes de dioxyde de carbone, soit l’équivalent des émissions produites par une petite voiture sur une période de sept ans.
Honorables sénateurs, à titre de renseignement supplémentaire, Forintek Canada Corporation fournit également des statistiques importantes sur l’utilisation du bois. Selon des données scientifiques, sur le plan environnemental, pour chaque mètre cube de bois supplémentaire utilisé au Canada, le bois élimine une tonne de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. L’utilisation accrue du bois par les usines du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse dans le Canada atlantique permettrait d’éliminer 160 000 tonnes de dioxyde de carbone par année, ce qui équivaut à retirer 35 000 véhicules de nos autoroutes.
Lorsqu’il y a un lien entre l’environnement et l’économie, notre pays doit faire preuve de leadership et se montrer à la hauteur de la situation. Il doit continuer à employer des techniques plus intelligentes pour utiliser le bois dans la construction. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que nous sommes le meilleur pays au monde pour mener ce combat.
J’attire votre attention sur le fait que, le 9 juin 2022, le gouvernement du Canada et le gouvernement de l’État de Californie des États-Unis d’Amérique ont signé le protocole de coopération concernant les mesures en faveur du climat et de la protection de la nature. L’objectif du protocole au sous-alinéa 1a)(ii) est de promouvoir, entre autres choses :
[...] l’utilisation des technologies propres afin d’atteindre leurs objectifs de réduction des émissions, d’atteindre les objectifs de carboneutralité du Canada [...] et de renforcer la résilience [...]
Conformément à l’esprit et à l’intention de ce protocole, le Canada devrait exiger l’utilisation du bois chaque fois que des immeubles fédéraux sont transformés en logements, créant une occasion de répondre à un important besoin à l’échelle nationale en réduisant les émissions. Il est de notre devoir de le faire, honorables sénateurs, afin de préserver la qualité de vie de tous les Canadiens.
Le protocole entre le Canada et la Californie s’inscrit dans l’esprit du débat que nous avons aujourd’hui sur le projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (utilisation du bois).
En tant que parlementaires, nous nous devons d’agir maintenant. Il n’y a aucun doute que le projet de loi S-222 est un catalyseur. Les forêts gérées de façon durable représentent un puits de carbone net et un outil essentiel dans la lutte contre les changements climatiques. Cette ressource aidera le Canada à atteindre ses cibles de réduction des émissions.
Le bois d’œuvre provenant de forêts gérées de façon durable est également une solution de rechange viable pour l’économie canadienne.
Des données scientifiques indiquent que le bois d’œuvre stocke le carbone pendant plus de 100 ans. En Amérique du Nord, il est louable que la plupart des entreprises canadiennes de produits forestiers, d’un bout à l’autre du pays, détiennent des certifications forestières par des tiers, comme la Sustainable Forestry Initiative, ce qui signifie également que le bois d’œuvre est certifié comme matériel de construction écologique selon le système LEED. Le Canada est un chef de file dans ce domaine, et il ne fait aucun doute que nous faisons l’envie de bien d’autres pays.
C’est un pas dans la bonne direction. Dans l’esprit du projet de loi S-222, je veux vous informer que le nouveau Code national du bâtiment du Canada 2020 autorise la construction au Canada d’immeubles de 12 étages construits uniquement en bois et d’un matériau appelé « bois lamellé-croisé », dont l’empreinte carbone est plus petite que celle des matériaux conventionnels.
Le projet de loi S-222 est le prochain pilier qui permettra d’aller de l’avant avec l’utilisation de bois et de bois lamellé-croisé pour favoriser la création de meilleurs emplois. La plupart des essences commerciales qui croissent au Canada atlantique sont acceptées et peuvent être employées dans les produits de bois lamellé-croisé et autres produits de bois d’ingénierie. Le bois a un rôle à jouer, tout comme le béton et l’acier.
(1510)
Honorables sénateurs, le temps qu’il faut pour ériger un immeuble de hauteur moyenne à 12 étages en bois d’œuvre lamellé‑croisé est bien inférieur au temps requis pour ériger un immeuble conventionnel, ce qui signifie une réduction des coûts de main‑d’œuvre et une réduction des délais de construction.
Les immeubles en bois d’œuvre lamellé-croisé répondent à toutes les normes canadiennes en matière d’incendies et de tremblements de terre et on en construit en Europe depuis des décennies. Avec des politiques favorisant l’utilisation de bois d’ingénierie pour la construction d’immeubles commerciaux et publics, le gouvernement soutiendrait la chaîne de valeur locale des produits forestiers, créerait des emplois locaux et réduirait la dépendance de l’industrie du bois d’œuvre de l’Atlantique à l’exportation.
L’Association des produits forestiers du Canada s’attend à une croissance potentielle de 10 % de l’utilisation du bois au Canada si le projet de loi S-222 est adopté. Si on combine le projet de loi à une réforme des codes du bâtiment afin de permettre la construction de grands édifices en bois, cette association prédit la création de 500 à 750 emplois bien rémunérés uniquement dans les Maritimes et d’environ 5 000 emplois dans l’ensemble du Canada.
Honorables sénateurs, on rapporte que, d’après les données scientifiques en matière d’environnement, chaque mètre cube supplémentaire de bois utilisé au Canada permet de retirer une tonne de taxe sur le carbone de l’atmosphère.
Si on pense à l’utilisation accrue du bois dans les scieries du Nouveau-Brunswick et à l’impact sur les émissions du pays, je crois qu’un tel alignement de l’écologie et de l’économie permettrait au Canada de continuer à jouer un rôle de leader.
[Français]
En conclusion, je vais citer le Conseil canadien du bois :
La foresterie durable du Canada, conjuguée à l’utilisation généralisée du bois comme matériau de construction, est un moyen simple et rentable d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre.
[Traduction]
Honorables sénateurs, lorsqu’on m’a demandé d’être porte-parole pour ce projet de loi, j’ai repensé à l’époque où je présidais le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, qui a publié, en 2011, un rapport intitulé Le secteur forestier canadien : Un avenir fondé sur l’innovation. Le leadership dont les sénateurs on fait preuve en 2011 et celui dont ils font preuve aujourd’hui est la bonne chose à faire.
Chers collègues, nous commençons à voir les avantages de cette innovation à long terme, mais le recours à celle-ci n’est pas homogène partout au pays. Le projet de loi S-222 est la dernière pierre à l’édifice permettant d’assurer l’utilisation du bois dans le cycle de construction au pays.
Pour conclure, je cite sir Winston Churchill :
Il est évidemment préférable d’avoir raison tout en étant conséquent, mais à choisir, il vaut mieux avoir raison.
Honorables sénateurs, en guise de conclusion, je dirai que nous faisons ce qu’il faut et que nous sommes conséquents comme l’entendait sir Winston Churchill et à la lumière des défis qui consistent à préserver la qualité de vie des Canadiens et à créer des emplois durables. Je vous remercie.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Woo, vous avez une question?
L’honorable Yuen Pau Woo : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Mockler : Je vais dire oui.
Le sénateur Woo : Vous êtes bien aimable. Merci, sénateur Mockler, de votre discours et de votre appui à l’égard de ce projet de loi. Je remercie également le sénateur Quinn et l’ancienne sénatrice Griffin.
J’appuie volontiers ce projet de loi ainsi que tout ce que vous avez dit concernant les avantages du bois. J’ajouterais que les bâtiments en bois sont magnifiques et très agréables à regarder.
Je voulais vous poser une question concernant l’étude que vous avez citée et qui montre que les bâtiments en bois réduisent, net, les émissions de carbone. C’est peut-être un peu technique. J’ai certainement besoin de m’éduquer sur la façon dont cela fonctionne.
Êtes-vous en train de dire que le bois intégré dans un bâtiment en bois retire plus de carbone de l’atmosphère que le bois des arbres qui se trouve toujours dans la forêt? Je ne comprends pas comment cela fonctionne.
Ou êtes-vous plutôt en train de dire que la construction d’un bâtiment en bois émet moins de carbone que la construction d’un bâtiment utilisant d’autres matériaux, tels que le ciment. Est-ce là la réduction nette des émissions dont vous parlez? Je suis désolé de poser une question aussi technique, mais c’est un argument important de votre exposé et je tiens à bien le comprendre. Merci.
Le sénateur Mockler : C’est exact, sénateur Woo. Vous soulevez un point technique qui touche à un aspect scientifique. Je prends note de votre question et vous enverrai une réponse par écrit.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Galvez, voulez-vous poser une question?
L’honorable Rosa Galvez : Le sénateur Mockler accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Mockler : Oui.
La sénatrice Galvez : Pour répondre au sénateur Woo, je dirai qu’il a raison. Ce n’est pas différent. Que ce soit ici à l’intérieur de la salle du Sénat ou dehors dans une forêt, l’arbre absorbe la même quantité de carbone.
Je suis également favorable à ce projet de loi, car il favorise l’économie circulaire. Le point qui n’a pas été mentionné est que nous allons abattre plus d’arbres pour construire plus de bâtiments en bois et que le bois est moins cher, plus propre et moins énergivore, comme vous l’avez dit.
Mais le hic, c’est que nous devons planter plus d’arbres, et beaucoup plus vite. Le lien de causalité est direct : si vous prenez plus d’arbres, vous devez en planter plus. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette partie de l’équation liée à l’économie circulaire? Merci.
[Français]
Le sénateur Mockler : C’est une question fondamentale qui est dans l’esprit du projet de loi S-222. Je vais retourner un peu en arrière et vous parler de la plantation des arbres en Amérique du Nord. Le Canada était — et il l’est toujours — le leader du domaine de la foresterie, surtout dans la région du nord-ouest du Nouveau‑Brunswick, avec la grande famille industrielle de la compagnie Irving. Il y a également plusieurs autres compagnies partout au pays qui font partie de cette industrie.
J’ai été touché de voir le gouvernement actuel déployer et mettre en place un programme pour faire la plantation de 2 milliards d’arbres partout au Canada. Chacune des provinces, peu importe où l’on vit, aura l’occasion d’en bénéficier. Ces arbres rééquilibrent la forêt et nous permettront de développer de nouveaux produits de bois, comme le bois stratifié. Par contre, il faudra être très prudent. Dans certaines régions du pays, certaines variétés d’arbres sont plus performantes que d’autres.
Je termine en mentionnant qu’il faudra démontrer aux intervenants, que ce soit les industries, les petites et moyennes entreprises et les travailleurs et travailleuses de l’industrie forestière, les grands bénéfices du projet de loi S-222, qui nous permettront de profiter d’une meilleure économie.
L’honorable Renée Dupuis : Est-ce que le sénateur Mockler accepterait de répondre à une autre question?
(1520)
Le sénateur Mockler : Oui.
La sénatrice Dupuis : Sénateur Mockler, la question qu’a soulevée le sénateur Woo est extrêmement importante. Je ne voudrais pas en faire une question de privilège, mais est-ce que vous accepteriez de partager avec les autres sénateurs la réponse écrite que vous donnerez au sénateur Woo?
Le sénateur Mockler : D’abord, je dois dire que c’est une très bonne question et une très bonne recommandation.
On peut se servir de l’expérience de nos spécialistes, notamment celle de la sénatrice Galvez. Je vais m’assurer d’envoyer une très bonne réponse au sénateur Woo et, collectivement, nous pourrons utiliser toute notre expérience pour faire en sorte que chaque sénateur, peu importe qui il représente au pays, aura la bonne réponse lorsqu’on lui posera la question : nous serons là pour nos enfants et nos petits-enfants, pour la sauvegarde d’un secteur économique très important au Canada.
[Traduction]
L’honorable Jane Cordy : J’aimerais moi aussi poser une question au Sénateur Mockler. Il s’agit d’une question assez facile. Seriez-vous d’accord pour dire que le legs des Jeux olympiques d’hiver de 2010 à Vancouver se poursuit en partie grâce aux excellentes structures en bois qui ont été construites pour les jeux? Les gens qui ont pu utiliser ces structures pendant les Jeux olympiques et ceux qui continuent de les utiliser aujourd’hui soulignent que les athlètes olympiques et paralympiques ont partagé la scène avec la créativité de l’industrie forestière canadienne.
Le sénateur Mockler : Merci, sénatrice Cordy. Je vais même aller plus loin avant que vous n’ajourniez le débat à votre nom. Je vais citer à nouveau l’architecte Michael Green. Je vais répéter la citation, car je pense qu’elle en vaut la peine et qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Il dit :
J’aimerais que notre pays acquière le sens de l’ambition, de la dominance et du leadership mondiaux [...]
— ce que nous faisons —
[...] dans la façon dont nous nous exprimons avec le bois et dont nous construisons avec ce matériau. Nous savons parfaitement couper les arbres [...]
Vous avez raison, nous savons parfaitement couper les arbres. Cependant, nous devons faire en sorte de leur ajouter de la valeur. L’étude du projet de loi S-222 est un pas dans la bonne direction. Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Cordy, le débat est ajourné.)
[Français]
La Loi sur le gouverneur général
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Carignan, c.p., appuyée par l’honorable sénateur Plett, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-221, Loi modifiant la Loi sur le gouverneur général (pension de retraite et autres prestations).
L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, ce projet de loi est assez complexe et je dois travailler sur mes notes d’allocution. Je propose donc l’ajournement du débat pour le reste de mon temps de parole.
(Sur la motion du sénateur Carignan, le débat est ajourné.)
[Traduction]
Projet de loi de Jane Goodall
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux).
L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je reconnais que je prends la parole aujourd’hui en provenance du territoire non cédé des peuples algonquin et anishinabe.
Je voudrais remercier le sénateur Klyne d’avoir présenté le projet de loi S-241 et je voudrais remercier l’auteur original de ce projet de loi, notre ancien collègue du Sénat, Murray Sinclair, de son travail sur cette question.
Honorables sénateurs, à mesure que les normes et les attitudes sociétales changent et évoluent, il nous incombe, en tant que parlementaires, de veiller à ce que nos lois évoluent au même rythme afin de refléter ces changements.
Au cours des 10 à 20 dernières années, ici, au Canada, nous avons constaté un changement considérable dans l’attitude des Canadiens à l’égard de la protection et du traitement des animaux, qu’il s’agisse des aliments que nous consommons, des produits que nous achetons ou des divertissements que nous apprécions. Les Canadiens prêtent plus que jamais attention aux choses que nous chérissons dans la vie et à leur provenance. Cette attention s’étend naturellement à la façon dont nous traitons les animaux avec lesquels nous partageons la planète. Les Canadiens exigent un traitement meilleur et plus éthique des animaux et demandent plus de transparence et de reddition de comptes aux personnes, aux organisations et aux entreprises qui tirent des gains de nos animaux et de notre faune.
Le projet de loi S-241 permettra de prendre certaines des mesures les plus importantes à ce jour pour assurer la protection des animaux sauvages en captivité au Canada.
Ce projet de loi instaurerait de nouvelles protections juridiques pour les animaux sauvages vivant en captivité au Canada, protections qui seraient fondées sur l’évolution continue de notre compréhension scientifique de la nature et des animaux qui vivent sur notre planète, et sur la façon dont les Autochtones comprennent la nature. Les nouvelles protections prévues concerneraient les grands félins, les ours, les loups, les phoques, les lions de mer, les morses, certains singes et de dangereux reptiles comme les crocodiles et les pythons géants.
Le projet de loi contient aussi des dispositions qui visent à protéger le public contre des animaux sauvages exotiques et potentiellement dangereux appartenant à des particuliers. J’ai trouvé particulièrement alarmant d’apprendre que de 4 000 à 7 000 grands félins appartiennent actuellement à des particuliers. La réglementation varie d’une province à l’autre. Certaines provinces, comme la Colombie-Britannique, ont une réglementation très stricte et interdisent carrément aux particuliers d’être propriétaires de grands félins. D’autres provinces, comme l’Ontario, n’exigent aucun permis pour être propriétaire de grands félins, en faire l’élevage ou en faire le commerce.
La Loi de Jane Goodall prévoit aussi l’élimination graduelle de la captivité des éléphants au Canada. Comme d’autres personnes l’ont souligné, les éléphants sont des animaux bienveillants et sociaux. Ils souffrent inutilement quand on les garde dans de petits enclos ou en isolement. Ajoutons aussi que le climat du Canada n’offre pas à ces animaux un environnement approprié, et qu’il est établi que lorsqu’on les garde à l’intérieur pendant plusieurs mois d’affilée, leur bien-être en pâtit.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-241 pourrait permettre d’établir les protections juridiques les plus solides au monde pour les animaux sauvages en captivité. Si on pense aux réalisations qui découlent directement de l’adoption des mesures contenues dans le projet de loi S-203 de l’ancien sénateur Wilfred Moore, qui a mis fin à la captivité future des baleines et des dauphins au Canada, il y a lieu de penser que le projet de loi S-241 pourrait mener à des résultats formidables au Canada et à des changements dans le monde entier.
Après une recherche approfondie, le projet de sanctuaire de baleines a choisi une baie à Port Hilford, en Nouvelle-Écosse, pour établir le premier sanctuaire de baleines du monde. Il s’agira du premier sanctuaire permanent en bord de mer du monde pour les bélugas et les orques. Le sanctuaire offrira un environnement naturel aux animaux autrefois captifs que l’on ne peut pas relâcher dans l’océan, où ils ne seraient pas en sécurité. La baie offrira aux baleines un espace d’environ 110 acres pour se déplacer et explorer les eaux jusqu’à 18 mètres de profondeur. Voici l’énoncé de mission du projet de sanctuaire de baleines :
[...] transformer la relation que les gens entretiennent avec les baleines et les dauphins en mettant fin à leur exploitation et en créant des sanctuaires en bord de mer, en participant aux sauvetages internationaux de mammifères marins et en faisant progresser les connaissances scientifiques sur les baleines et les dauphins.
[...] grâce à votre aide, nous aménageons un sanctuaire côtier répondant aux normes les plus rigoureuses à la baie de Port Hilford, en Nouvelle-Écosse, où des cétacés (baleines et dauphins) pourront vivre dans le meilleur environnement possible pour leur bien-être et leur autonomie, un endroit qui ressemble le plus possible à leur habitat naturel. Ce sanctuaire est conçu de manière à servir de modèle pour de nombreux autres sanctuaires qui pourront être aménagés dans le monde entier au cours des prochaines années.
(1530)
On s’apprête à accueillir les premiers habitants de ce sanctuaire en 2023, et les responsables ont dit publiquement qu’ils espèrent que Kisha, l’épaulard de Marineland, pourra être la première à y habiter.
Chers collègues, nous sommes saisis d’un projet de loi qui a l’appui non seulement de groupes qui représentent quelques-uns des plus grands zoos du Canada, de grands organismes de protection des animaux et de l’Institut Jane Goodall, mais aussi de la majorité des Canadiens. Le 8 septembre, la coalition pour la Loi de Jane Goodall a dit ceci dans une déclaration qui s’adresse à nous, les parlementaires :
La protection de la faune n’est pas une question partisane. C’est un enjeu national et international qui devrait préoccuper tout le monde. La Loi de Jane Goodall offre au Canada l’occasion de donner l’exemple et de contribuer à la protection des autres animaux en cette période cruciale pour le monde naturel.
En outre, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique a expressément été chargé par le premier ministre, dans sa lettre de mandat, de présenter un projet de loi visant à protéger les animaux en captivité. L’honorable Steven Guilbeault a fait part sur Twitter de son intérêt pour le projet de loi S-241 et pour les travaux du Sénat sur cette mesure législative.
Honorables sénateurs, le projet de loi repose sur un principe bien fondé et il devrait être renvoyé au comité pour étude. La Loi de Jane Goodall a le potentiel d’établir les protections juridiques les plus solides du monde pour les animaux sauvages en captivité. Je voudrais encore une fois saluer et remercier mon collègue le sénateur Klyne d’avoir poursuivi le travail entrepris par notre ancien collègue le sénateur Sinclair.
Avec ce projet de loi, le Canada a l’occasion de devenir un chef de file mondial et d’établir de nouvelles normes d’excellence en matière de protection de la faune et de conservation de la nature au Canada. Puisque les projets de loi n’accablent pas les comités du Sénat à l’heure actuelle, je pense que le moment est idéal pour renvoyer le projet de loi S-241 au comité pour une étude plus approfondie. Je vous remercie.
L’honorable Ratna Omidvar : La sénatrice Cordy répondrait-elle à une question?
La sénatrice Cordy : Certainement.
La sénatrice Omidvar : Sénatrice Cordy, j’appuie le projet de loi. Je reconnais que tous les animaux de cette planète sont des créatures de Dieu. De ce point de vue, j’appuie le projet de loi, mais il existe aussi une question de sécurité publique. Je me souviens — je crois que c’était il y a 10 ans — que la possession par un particulier d’animaux de compagnie dangereux a entraîné la mort de deux jumeaux au Nouveau-Brunswick lorsqu’un serpent de compagnie de 100 livres est sorti du plafond et qu’il a étouffé les garçons de 7 ans.
Votre projet de loi réglementera-t-il la propriété par un particulier d’animaux potentiellement dangereux, ou s’agit-il d’une question qui relève de la compétence provinciale?
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. C’est une excellente question. Je me souviens de cette affaire au Nouveau-Brunswick. Lorsque je vous ai entendu en parler, je me suis demandé comment une telle chose pouvait bien arriver. J’en ai des frissons dans le dos.
Comme je l’ai dit dans mon discours, je trouve particulièrement préoccupant que de 4 000 à 7 000 grands félins appartiennent à des particuliers, ce qui me semble très effrayant. Les grands félins ne sont pas faits pour vivre dans des maisons et appartenir à des particuliers. La même chose qui s’est passée au Nouveau‑Brunswick avec le serpent pourrait se reproduire. À mon avis, le projet de loi contient des mesures pour protéger le public contre les animaux exotiques et sauvages potentiellement dangereux qui appartiennent à des particuliers.
Je ne connais pas aussi bien le projet de loi que le sénateur Klyne, mais selon les recherches que j’ai faites, je dirais que c’est le cas. Je sais que, en ce moment, des provinces comme la Colombie‑Britannique ont des mesures de contrôle plus strictes, alors que d’autres comme l’Ontario n’en ont aucune et qu’un bon nombre d’entre elles se trouvent quelque part entre les deux cas de figure. Je crois comprendre que le projet de loi contribuera grandement à empêcher des particuliers d’acquérir de grands félins.
La sénatrice Omidvar : Sénatrice Cordy, c’est peut-être un aspect qui m’a échappé dans le discours du sénateur Klyne. À quel comité le parrain veut-il renvoyer le projet de loi?
La sénatrice Cordy : C’est une décision qui serait prise par le Sénat. Habituellement, quelqu’un suggère qu’un projet de loi soit renvoyé à un comité particulier. Cependant, j’ai déjà vu le Sénat rejeter ces suggestions. Généralement, c’est une question qui fait l’objet de discussions entre les leaders. Je ne vais donc pas suggérer à quel comité ce projet de loi devrait être renvoyé, et je ne suis pas sûre que son parrain fera une telle suggestion. Il pourrait le faire lorsque le processus sera plus avancé, mais c’est une décision qui doit être prise par le Sénat.
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : La sénatrice Cordy accepterait-elle de répondre à une autre question?
La sénatrice Cordy : Bien sûr.
Le sénateur Plett : Sénatrice Cordy, durant votre intervention, vous avez mentionné que la réglementation à cet égard varie d’une province à l’autre. La raison en est simple. C’est parce que la possession d’animaux exotiques par des particuliers relève entièrement de la compétence provinciale. La sénatrice Omidvar a déjà posé quelques questions à ce sujet.
Ne craignez-vous pas que le projet de loi S-241 n’empiète sur les compétences provinciales? Avez-vous parlé, sénatrice Cordy, aux provinces pour voir ce qu’elles pensent de cette mesure législative parce que, de toute évidence, le projet de loi que nous envisageons d’adopter ne relève pas de notre compétence?
La sénatrice Cordy : Je crois que vous avez soulevé un point très important qui pourrait être étudié par le comité. Comme je l’ai mentionné dans mon discours, j’espère que le moment est venu de renvoyer ce projet de loi à un comité. Les membres du comité choisi pourront certainement inviter les provinces et les territoires à venir témoigner et il pourra y avoir une discussion approfondie à ce moment-là.
En réponse à votre question, non, je n’ai pas discuté avec les ministres responsables des provinces au sujet des particuliers qui possèdent de grands félins.
Le sénateur Plett : Merci, sénatrice Cordy, de votre réponse. Je crois que certains parmi nous considèrent que ce serait le monde à l’envers, pour ainsi dire. Peut-être serait-il préférable de s’adresser d’abord aux provinces et aux territoires concernés? Cependant, je vais m’arrêter là-dessus et revenir sur cette question dans mon discours.
Vous avez beaucoup parlé des éléphants. Vous êtes-vous rendue dans des installations où se trouvent des éléphants? Avez-vous vu des éléphants entassés dans de petites cages? Avez-vous vu des éléphants geler pendant l’hiver? Si ce n’est pas le cas, savez-vous si le parrain du projet de loi — je ne vous demande pas de répondre à sa place —, lui, s’est rendu dans de telles installations? Vous a-t-il parlé d’éléphants qui étaient maltraités de la sorte, d’éléphants qui ont toujours vécu en captivité et n’ont jamais été en liberté dans la nature? La plupart des éléphants au Canada ont été élevés en captivité et n’ont jamais vécu dans la nature. Avez-vous collaboré avec le parrain du projet de loi? Quelqu’un s’est-il rendu dans un zoo ou dans des installations qui gardent des animaux sauvages où se trouvaient des éléphants?
La sénatrice Cordy : Je suis allée dans des endroits où il y a des éléphants, mais je n’ai pas eu de grandes discussions à propos de ceux-ci. C’est une question que vous devriez poser au parrain du projet de loi. Il ne peut pas répondre pour l’instant, car il n’a pas la parole. Encore une fois, ce sont d’excellentes questions que vous posez, et c’est pourquoi je pense que le projet de loi devrait être renvoyé à un comité le plus tôt possible, afin que l’on puisse y répondre.
(Sur la motion du sénateur Tannas, au nom du sénateur Patterson, le débat est ajourné.)
(1540)
Question de privilège
Report de la décision de la présidence
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, plus tôt dans la journée, le sénateur Tannas a indiqué son intention de soulever une question de privilège. Je donne maintenant la parole au sénateur Tannas.
L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour porter à l’attention du Sénat une grave atteinte aux privilèges et aux droits collectifs du Sénat, voire, potentiellement, un outrage au Parlement. Selon l’article 13-1 du Règlement :
Une atteinte aux privilèges d’un seul sénateur cause un préjudice à tous les sénateurs et entrave le fonctionnement du Sénat. Le maintien des privilèges du Sénat incombe donc à chaque sénateur et doit être discuté en priorité.
Comme l’exige l’article 13-3(1) du Règlement, j’ai remis par écrit ce matin, au greffier du Sénat, un préavis de mon intention de soulever la question de privilège, et celui-ci a été distribué à tous les sénateurs. Plus tôt aujourd’hui, au cours de la période des déclarations de sénateurs, j’ai également donné préavis oralement de mon intention de soulever la question de privilège, conformément à l’article 13-3(4).
Le privilège parlementaire existe pour permettre au Parlement de s’acquitter de ses fonctions sans ingérence. Selon La procédure du Sénat en pratique, à la page 226, les sénateurs doivent pouvoir s’acquitter de leurs responsabilités en étant protégés « contre l’obstruction et l’intimidation ».
Tout acte perpétré par une personne ou un groupe de personnes dans le but de faire obstacle aux travaux du Parlement peut être considéré comme étant un outrage au Parlement. À la page 230, La procédure du Sénat en pratique définit un outrage comme étant « tout acte d’obstruction du Parlement ou de ses membres dans l’exercice de leurs fonctions [...] » De nombreux ouvrages de référence et autorités en matière de procédure parlementaire appuient cette déclaration, notamment Erskine May, dans La procédure et les usages de la Chambre des communes, ainsi que plus d’une dizaine de décisions par la présidence du Sénat depuis 1998.
Les témoins qui comparaissent devant les comités du Sénat bénéficient des mêmes protections contre la coercition et l’intimidation. À la page 203 de La procédure du Sénat en pratique, on peut lire :
Comme les réunions officielles des comités font partie des délibérations du Parlement, toute personne qui comparaît devant un comité sénatorial est protégée par le privilège parlementaire.
À ce titre, les protections accordées aux sénateurs, notamment la liberté d’expression et la protection contre l’intimidation, s’appliquent aux témoins.
Selon l’article 865 de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, 6e édition :
Constitue une atteinte au privilège le fait de suborner un témoin relativement au témoignage qu’il doit rendre devant la Chambre ou devant le comité, de chercher, directement ou indirectement, à dissuader ou à empêcher quelqu’un de comparaître ou de témoigner [...]
Le 13 avril 2000, le Comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure, aujourd’hui le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, a présenté un rapport à la suite d’allégations de représailles contre un témoin. Le rapport indique :
Le Sénat, et tous les sénateurs, traitent avec beaucoup de sérieux les allégations de représailles ou de harcèlement d’un témoin ou d’un éventuel témoin d’un comité sénatorial. Pour que le Sénat s’acquitte adéquatement de ses fonctions et de ses devoirs, il doit pouvoir convoquer des témoins et les entendre sans que ceux-ci fassent l’objet de menaces ou craignent des répercussions. Toute ingérence auprès d’une personne qui a témoigné devant un comité sénatorial ou qui a l’intention de le faire constitue une ingérence auprès du Sénat proprement dit et ne saurait être tolérée.
Honorables sénateurs, je vous donne ces informations pour vous montrer la gravité de la situation.
Le mercredi 28 septembre 2022, M. Scott Benzie a comparu devant le Comité permanent des transports et des communications au sujet du projet de loi C-11. M. Benzie est le directeur général de Digital First Canada.
Au début de son témoignage, il a informé le comité d’une série d’actes d’intimidation qui ont commencé lorsqu’il a comparu devant le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes le 30 mai 2022.
Lors de l’audience publique, M. Benzie a été accusé par le secrétaire parlementaire du ministre du Patrimoine canadien d’avoir omis de divulguer que son groupe, Digital First Canada, recevait des fonds de YouTube et TikTok. Un autre membre du comité a accusé M. Benzie de violer le Code de déontologie des lobbyistes. Il va sans dire que M. Benzie a été très malmené pendant son témoignage devant le comité de la Chambre des communes.
Je ne parle de cette audience que pour mettre la situation en contexte. Je sais parfaitement que les activités parlementaires de la Chambre des communes ne relèvent pas de la compétence du Sénat dans une question de privilège. Je dis simplement que les événements semblent avoir commencé à l’autre endroit, puis ont migré à l’extérieur et ont mené directement à un acte d’intimidation précis avant une comparution devant le comité sénatorial.
En août 2022, le secrétaire parlementaire a envoyé une lettre à la commissaire au lobbying pour lui demander de mener une enquête sur M. Benzie et son organisation pour avoir omis de divulguer qu’ils avaient reçu des fonds d’organismes privés.
Cette plainte est clairement non fondée et, selon la correspondance du Commissariat au lobbying et celle fournie au Comité sénatorial permanent des transports et des communications, il n’y avait aucune obligation de divulguer le financement privé, seulement le financement gouvernemental. Digital First Canada n’a reçu aucun financement gouvernemental pour ses activités.
Encore une fois, je fournis cette information pour établir le contexte, mais elle est importante.
Maintenant que j’ai établi le contexte, je vais vous faire part des gestes directs posés pour intimider un témoin du Sénat.
M. Benzie a été invité à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications le mercredi 28 septembre 2022. L’avis de convocation a été affiché le vendredi 23 septembre et indiquait la participation de M. Benzie à l’audience publique sur le projet de loi C-11.
Avant sa comparution prévue devant le comité sénatorial, M. Benzie a été contacté par un journaliste du Globe and Mail qui voulait publier un article sur la plainte présentée au Commissariat au lobbying. Encore une fois, c’était après la date de l’invitation de M. Benzie à comparaître devant le comité sénatorial. Il convient de noter que la véritable plainte déposée auprès du Commissariat au lobbying était datée du 3 août 2022.
Un article décrivant la plainte du secrétaire parlementaire au Commissariat au lobbying, envoyée deux mois plus tôt, a été publié par la journaliste Marie Woolf du Globe and Mail le 27 septembre 2022, le jour précédant le témoignage de M. Benzie.
Soyons clairs : la communication du contenu de la lettre au Commissariat au lobbying et le moment choisi pour le faire visaient à attaquer la crédibilité de M. Benzie avant qu’il ne témoigne devant le Comité des transports du Sénat.
(1550)
Outre la personne qui a reçu la lettre, c’est-à-dire la commissaire, seuls le secrétaire parlementaire du ministre du Patrimoine et une autre députée, Mme Lisa Hepfner, connaissaient tout le contenu de la lettre. Toute personne raisonnable ne peut que conclure que l’information a été transmise par l’une de ces personnes, ou les deux, ou par quelqu’un qui travaillait pour eux et a agi à leur demande.
Ce n’est pas une coïncidence si la plainte mentionnée dans l’article du Globe and Mail du 27 septembre a été divulguée, ni si la divulgation a été faite avant le témoignage de M. Benzie.
Je tiens à le répéter clairement : la divulgation de ces renseignements visait à intimider M. Benzie, à discréditer son témoignage et à décourager d’autres créateurs de contenu numérique de comparaître devant le comité sénatorial. Des fournisseurs de contenu numérique qui s’opposent au projet de loi ou souhaitent proposer des modifications craignent de témoigner devant le Comité sénatorial des transports. Cela empêche le Parlement d’entendre les opinions dissidentes de certains groupes.
Lorsque M. Benzie a comparu devant le Comité sénatorial des transports et des communications mercredi dernier, le sénateur Housakos lui a demandé s’il s’était senti intimidé ou réduit au silence. M. Benzie a répondu qu’il avait l’impression d’être attaqué parce qu’il donnait son point de vue. Il a ensuite ajouté ceci :
Les créateurs numériques se sont fait attaquer comme jamais auparavant, à tel point que, je vous le dis, beaucoup de créateurs numériques refusent de se manifester et de s’exprimer après avoir vu comment nous avons été traités.
C’est une déclaration très inquiétante à laquelle nous devrions tous accorder notre attention. Pour que le Sénat puisse examiner les projets de loi de manière adéquate, il doit entendre les points de vue de toutes les parties. Il ne faut pas que les témoins craignent des représailles, la perte de leur gagne-pain ou l’atteinte à leur vie privée.
Maintenant que j’ai démontré qu’il y a eu tentative d’intimider un témoin convoqué par un comité sénatorial, j’aimerais préciser quels sont les critères à satisfaire pour soulever une question de privilège et déterminer s’il y a eu une violation. Selon l’article 13-2(1) du Règlement :
La priorité n’est donnée à une question de privilège que si elle :
a) est soulevée à la première occasion;
b) se rapporte directement aux privilèges du Sénat, d’un de ses comités ou d’un sénateur;
c) vise à corriger une atteinte grave et sérieuse;
d) cherche à obtenir une réparation que le Sénat est habilité à accorder et qui ne peut vraisemblablement être obtenue par aucune autre procédure parlementaire.
Je vais vous démontrer comment la question de privilège que j’ai soulevée répond à ces critères.
D’abord, j’aimerais revenir brièvement sur la chronologie des événements. L’article du Globe and Mail intitulé « Critic of Bill C-11 should be investigated for failing to disclose funding from YouTube, says Liberal MP » a été publié le mardi 27 septembre 2022.
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications a entendu M. Benzie le mercredi 28 septembre 2022. Le président lui a demandé directement s’il se sentait intimidé par le moment choisi pour publier l’article; il a répondu par l’affirmative.
Le jeudi 29 septembre 2022, j’ai pris connaissance du témoignage et j’ai examiné les transcriptions. Comme il s’agit d’une affaire de privilège très sérieuse et complexe, des informations supplémentaires ont été recueillies.
M. Benzie a envoyé des informations supplémentaires au Comité après sa comparution, lesquelles ont été distribuées aux membres le lundi 3 octobre. Ces renseignements étaient essentiels pour bien comprendre la question de privilège.
Le Sénat n’a pas siégé le vendredi 30 septembre ni le lundi 3 octobre. Par conséquent, j’ai envoyé mon avis au greffier du Sénat aujourd’hui.
Comme la chronologie des faits l’indique, aujourd’hui est, en fait, la première occasion de soulever la question.
Deuxièmement, comme le stipule le Règlement, la question doit « se rapporte[r] directement aux privilèges du Sénat, d’un de ses comités ou d’un sénateur ».
M. Benzie a comparu lors d’une audience publique d’un comité du Sénat et a témoigné le 28 septembre 2022.
J’en profite pour souligner également que les comités ne sont pas autorisés à se prononcer sur une question de privilège. Seul le Sénat peut décider s’il y a eu atteinte au privilège.
Comme je l’ai expliqué plus tôt, l’intimidation de témoins est une violation directe de nos privilèges en tant que législateurs d’obtenir des renseignements véridiques et factuels. Personne ne devrait craindre de venir témoigner devant un comité sénatorial afin d’y présenter son point de vue sur les affaires de la nation.
Ensuite, la question doit viser « à corriger une atteinte grave et sérieuse ». Je vais m’étendre un peu sur ce point.
Dans sa décision du 8 mai 2013, le Président Kinsella a déclaré :
Si l’intention était d’intimider le témoin, il s’agit clairement d’une atteinte grave et sérieuse. Le troisième critère est donc respecté.
À mon avis, on a tenté d’intimider M. Benzie. Mais l’affaire ne s’arrête toutefois pas à ce seul témoin. Comme M. Benzie l’a déclaré au comité : « Beaucoup de créateurs numériques ont refusé de venir témoigner. » Essentiellement, les gestes des représentants du gouvernement ont fait fuir les témoins potentiels qui pourraient être invités à témoigner contre le projet de loi ou certaines de ses parties devant le Comité des transports et des communications.
Honorables sénateurs, le fait de craindre de faire l’objet de représailles pour avoir parlé contre des politiques gouvernementales n’a absolument pas sa place dans un système démocratique et va à l’encontre de notre Charte et de nos valeurs canadiennes.
Enfin, la question doit « cherche[r] à obtenir une réparation que le Sénat est habilité à accorder et qui ne peut vraisemblablement être obtenue par aucune autre procédure parlementaire ».
Permettez-moi de citer à nouveau l’ancien sénateur Kinsella, car ce cas reflète la question de privilège soulevée par l’ancien sénateur Cowan en 2013 :
La question consiste [...] à déterminer si on a délibérément tenté de dissuader un témoin de comparaître devant le comité. Si c’est le cas, il y a outrage. L’usage veut qu’on traite la situation selon les modalités suivies pour un cas de privilège. À cet égard, le quatrième critère a aussi été respecté. Qu’il soit clair que cette décision n’établit pas qu’il y a eu une tentative délibérée d’intimidation, question sur laquelle le Sénat pourrait être appelé à se prononcer, mais plutôt qu’il y a ici matière à s’inquiéter.
Le Sénat est habilité à résoudre les cas d’atteinte à la dignité du Parlement. Selon la page 249 de La procédure du Sénat en pratique :
Le Sénat peut ainsi punir, comme s’il s’agissait d’un outrage, tout acte qui nuit considérablement ou fait obstacle à ses travaux ou qui porte atteinte à sa dignité ou à son autorité.
Le cas que je vous soumets aujourd’hui répond au dernier critère mentionné.
Je soulève cette question de privilège par souci pour les personnes qui témoignent devant nos comités. Ce n’est aucunement pour ralentir l’étude du projet de loi C-11 et le travail rigoureux qui doit être fait par le Comité des transports et des communications.
Une limite a été franchie en ce qui a trait à ce projet de loi. Aucune forme d’intimidation ou de harcèlement ne devrait être tolérée.
Avant de conclure, j’aimerais faire une dernière remarque à mes collègues dans le cadre de ce débat. Nous demandons au Président de déterminer si la question est fondée à première vue. Dans sa décision du 29 mai 2007, le Président Kinsella a déclaré que le rôle du Président consiste à déterminer si « une personne pourrait raisonnablement conclure qu’il y a eu atteinte au privilège ».
Il ne revient pas au Président ici, aujourd’hui, de statuer pour résoudre cette question ou de rendre un jugement définitif. Les sénateurs s’en chargeront. Nous demandons simplement au Président de déterminer si, à son avis, la question mérite d’être examinée davantage.
Je tiens enfin à répéter que le fait de soulever cette question ne signifie pas que l’on souhaite ou que l’on a l’intention de retarder ou de reporter le processus législatif relatif au projet de loi C-11, mais que ce comportement doit être dénoncé, qu’il faut y mettre fin et qu’il ne peut jamais être accepté comme la nouvelle norme.
Merci, chers collègues.
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends la parole, bien que brièvement, en réponse à la question de privilège soulevée par le sénateur Tannas pour offrir une perspective qui pourrait vous aider, Votre Honneur, à prendre une décision. Je suis persuadé que vous ferez preuve de bon jugement dans ce dossier.
(1600)
À ce stade du processus, nous devons déterminer de manière précise s’il y a matière à question de privilège en nous servant des quatre critères énoncés à l’article 13-2(1) du Règlement. Tout d’abord, il faut souligner l’urgence de la situation. Un sénateur doit le faire à la première occasion.
À mon humble avis, la question n’a pas été soulevée à la première occasion. L’article en question a été publié le mardi 27 septembre, alors que la comparution du témoin était prévue pour le mercredi 28 septembre. Le Sénat a siégé le 28 septembre ainsi que le lendemain, le jeudi 29 septembre. Même en tenant compte de l’affirmation du sénateur Tannas selon laquelle plus de détails étaient nécessaires avant de procéder, il aurait été possible de soulever une question de privilège durant l’un de ces deux jours. D’ailleurs, c’est ce qu’a fait le député de Perth—Wellington à la Chambre des communes le mercredi 28 septembre.
Le 16 septembre 1994, la présidence a jugé qu’un retard de quelques jours seulement risque de faire écarter la demande de mise en délibération prioritaire.
Ensuite, l’article 13-2(1) du Règlement prévoit que la question doit se rapporter directement aux privilèges du Sénat ou d’un de ses comités et qu’elle doit être liée à une atteinte grave et sérieuse, ce qui a été décrit comme quelque chose qui « minerait sérieusement la compétence des comités de fonctionner et remettrait même en question les travaux du Sénat ».
De toute évidence, chers collègues, les critères sont très exigeants. À ce sujet, je ferais valoir que, de prime abord, l’affaire que présente le sénateur Tannas relève en grande partie de la conjecture et s’appuie en fait dans une large mesure sur des suppositions. Pour énoncer une évidence, chers collègues, ce sont les journaux qui décident de ce qu’ils publient et du moment où ils le font.
Au cœur des arguments du sénateur Tannas se trouve la notion selon laquelle un article de journal contenant de l’information à propos d’une plainte présentée à la commissaire au lobbying équivaut à une forme d’intimidation qui remet en question les travaux du Sénat.
Même en supposant que nous acceptons toutes les suppositions et les conjectures, le sénateur Tannas semble faire valoir qu’une source journalistique se livre à une forme d’intimidation des témoins qui correspond à une atteinte aux privilèges du Sénat.
Pour être honnête, il y a quelque chose d’inquiétant à l’idée que le Sénat se lancerait dans des enquêtes sur des sources journalistiques en se fondant sur des conjectures uniquement. En effet, le Sénat s’est prononcé fermement en faveur de la liberté de presse et du besoin de protéger la confidentialité des sources journalistiques.
La question de privilège soulevée aujourd’hui fait intervenir des questions de principe élargies qui, malheureusement, ne peuvent être traitées adéquatement à cette tribune aujourd’hui, et sur lesquelles j’inviterais Votre Honneur à se pencher, à savoir : comment nos privilèges interagissent-ils avec la liberté de la presse dans un tel contexte? Pouvons-nous nous invoquer les privilèges du Sénat pour nous ingérer dans la confidentialité des sources journalistiques?
De plus, sans égard au fait que cette invocation de la question de privilège est basée sur des suppositions, je soutiens que le compte rendu montre clairement que la couverture médiatique entourant le projet de loi C-11 n’a pas entravé ni compromis la capacité du comité de fonctionner. Mettant de côté les conjectures entourant le contenu et la date de parution de l’article de journal — qui, je le répète, sont entièrement du ressort de ce journal — cet article a-t-il porté atteinte à la capacité des parlementaires de faire leur travail adéquatement?
Pour ma part, je ne vois pas comment cet article a nui à la capacité du comité de recevoir un témoignage véridique et factuel de la part du témoin. D’ailleurs, je signale que la personne en question a bel et bien comparu devant le comité au sujet du projet de loi C-11 et a pu présenter l’intégralité de ses points de vue à l’égard du projet de loi, comme il se doit, bien entendu.
Enfin, je constate que, pour que l’argument du sénateur Tannas soit valide, il faut d’abord conclure que la plainte logée auprès de la commissaire au lobbying constitue, elle-même, une forme d’intimidation. Or, soyons clairs : le député de St. Catharines avait tout à fait le droit de communiquer avec le Commissariat au lobbying s’il croyait qu’il y avait une allégation légitime de conflit d’intérêts concernant un témoin comparaissant au sujet d’un projet de loi et ayant un intérêt financier à le faire.
Votre Honneur, je suis impatient de connaître votre décision à l’égard de cette affaire.
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je n’ai que quelques mots à dire pour appuyer la question de privilège du sénateur Tannas, mais je souhaite d’abord évoquer au moins deux des questions soulevées par le sénateur Gold.
Le sénateur Gold a fait valoir que le sénateur Tannas n’a pas soulevé cette question à la première occasion venue. Le fait est, Votre Honneur, que le sénateur Tannas — même s’il considère que l’article de journal signalait un problème — n’a pas laissé entendre dans son discours que la question de privilège était basée sur cet article. C’est juste quelque chose qu’il a mentionné. Sa question de privilège est fondée sur la déposition d’un témoin devant un comité et, tout particulièrement, sur des plaintes écrites à ce sujet.
Lorsque nous lisons des articles de journaux, nous nous disons parfois qu’il faudrait enquêter sur certains faits, et nous le faisons. C’est ce que le sénateur Tannas demande, à juste titre.
Selon le sénateur Gold, le sénateur Tannas aurait pu soulever la question de privilège un peu plus tôt. Le fait est que le président du comité a demandé à bon droit au témoin, M. Benzie, de confirmer par écrit ce qui s’était passé. C’était le mercredi soir. M. Benzie a envoyé cette information au greffier le jeudi matin, le 29 septembre, et je crois que le greffier ne l’a pas reçue avant 11 h 30 environ. Pour commencer, c’est une demi-heure après la date limite de dépôt des avis.
En outre, la lettre en question a été produite en anglais seulement et a dû être traduite, ce qui n’a pas pu être fait avant hier. Alors, il aurait été impossible au sénateur Tannas de soulever cette question de privilège avant hier, parce que ce n’est qu’hier que le greffier et lui ont reçu la version traduite de tout le dossier.
Premièrement, Votre Honneur, je crois que les arguments du sénateur Gold en ce qui concerne le déroulement chronologique ne sont pas recevables et doivent être rejetés.
Je veux soutenir le point de vue du sénateur Tannas. Je ne répéterai pas tout ce qu’il a dit, mais je voudrais ajouter certains arguments.
Comme l’a mentionné le sénateur Tannas, lors de son témoignage devant le comité, M. Benzie a affirmé clairement que des témoins avaient refusé d’aller devant le comité sénatorial en raison du comportement du député Bittle. Permettez-moi de citer de nouveau M. Benzie :
Les créateurs de contenu numérique ont été attaqués comme jamais auparavant à un point tel que, je peux vous le dire, beaucoup de créateurs numériques ont refusé de venir témoigner en raison du traitement qui nous a été réservé.
Chers collègues, il convenait de le répéter et c’est pourquoi je l’ai fait. Il est intolérable que des témoins aient été tellement intimidés qu’ils craignent de venir devant les comités sénatoriaux.
Son témoignage est clair. À ce moment-ci, ce témoignage incontesté doit être pris en considération par vous, Votre Honneur, dans votre réflexion pour déterminer si la question de privilège est fondée à première vue.
Deuxièmement, j’aimerais ajouter un exemple à la liste de cas présentés par le sénateur Tannas pour appuyer ses observations. Un incident similaire s’est produit à la Chambre des communes en 1992. La CBC avait menacé de poursuite une témoin en raison du témoignage qu’elle avait fait devant un comité. Le Président avait statué que la question de privilège était fondée à première vue, et donc la menace de répercussions juridiques contre la témoin avait été jugée comme de l’intimidation par le Président.
Dans le cas de M. Benzie, il y a le secrétaire parlementaire du ministre du Patrimoine canadien, le parrain du projet de loi C-11, qui a non seulement formulé une menace, mais envoyé une lettre à la commissaire au lobbying. De plus, il s’est assuré que son geste soit connu du public la veille de la date prévue du témoignage de M. Benzie devant le comité sénatorial.
(1610)
Comme nous pouvons le lire à la page 267 de la 24e édition d’Erskine May : « Toute conduite visant à dissuader des témoins éventuels de témoigner devant l’une ou l’autre des Chambres ou devant un comité constitue un outrage. »
Des propos analogues apparaissent à la page 82 de Bosc et Gagnon, où l’on explique que les témoins sont protégés contre les menaces ou l’intimidation.
Au paragraphe 15.23 de la 25e édition d’Erskine May, on peut lire :
Les deux Chambres considéreront comme un outrage le fait d’intenter une poursuite contre une personne en raison d’un témoignage qu’elle a pu livrer au cours de toute délibération devant la Chambre ou l’un de ses comités.
Enfin, je dois dire que cette question me préoccupe beaucoup, principalement en raison de ce que je crains être un effort systémique de la part du gouvernement non seulement d’intimider des personnes et des groupes que nous n’entendons pas souvent dans le cadre de ces débats, mais de mettre fin au débat en général sur le projet de loi C-11.
À cet égard, permettez-moi de revenir au témoignage de M. Benzie lorsqu’il a comparu devant le Comité des transports et des communications. Encore une fois, M. Benzie a fait référence au témoignage que M. Darcy Michael a livré devant le Comité du patrimoine canadien de la Chambre, mais pour témoigner sur un tout autre projet de loi, à savoir la Loi sur le statut de l’artiste.
M. Benzie a paraphrasé les propos de M. Michael en disant, au beau milieu de son témoignage sur la Loi sur le statut de l’artiste, qu’il avait l’impression d’être victime d’intimidation.
Lorsqu’on examine le témoignage en question, qui a eu lieu le 21 mars 2022, on peut lire qu’en réalité, M. Michael a déclaré : « [...] je me sens un peu nerveux. »
Pourquoi M. Michael a-t-il dit cela? Encore une fois, cela faisait référence aux questions posées par le député Chris Bittle. Sur quoi portaient les questions de M. Bittle? Il questionnait M. Michael au sujet d’une réponse que ce dernier avait donnée à un autre membre du comité au sujet du projet de loi C-11.
N’oublions pas que la séance du Comité du patrimoine canadien des Communes du 21 mars portait sur la Loi sur le statut de l’artiste. Pourtant, on a questionné M. Michael au sujet du projet de loi C-11. Lorsqu’il a répondu à cette question en exprimant ses réserves au sujet du projet de loi C-11 en tant que créateur en ligne, cela aurait apparemment déclenché l’attaque de M. Bittle.
M. Bittle a exigé de savoir quel article du projet de loi C-11 préoccupait M. Michael. Jugeant la réponse de ce dernier insatisfaisante, M. Bittle est devenu plus agressif, à un point tel qu’un autre membre du comité a dû invoquer le Règlement pour mettre un terme à cet interrogatoire hostile. C’est à ce moment que M. Michael a déclaré qu’il se sentait « un peu nerveux ».
Ce n’est pas surprenant, car il ne venait même pas témoigner au sujet du projet de loi C-11. Pour citer M. Michael, voici pourquoi il s’est présenté devant le comité le 21 mars :
Je m’adresse à vous en tant que fier créateur de contenu numérique queer dont le contenu valorise les conversations sur la santé mentale, l’image corporelle positive et les droits de la personne.
Je comparais ici devant vous en tant qu’artiste, en tant que Canadien et en tant que personne marginalisée, et je vous demande à tous de ne plus nous exclure de la conversation.
Chers collègues, en ce qui concerne le projet de loi C-11, je crains que l’objectif du secrétaire parlementaire ait été, en fin de compte, de faire en sorte que M. Michael et tout autre porte-parole des créateurs numériques soient exclus de la conversation.
Si l’on considère cet incident dans le contexte d’une tendance générale, je soutiens que tout semble indiquer qu’on a délibérément tenté d’intimider des témoins afin qu’ils ne comparaissent devant aucun comité parlementaire sur cette question. De nombreux créateurs numériques n’ont pas pu ou n’ont pas réussi à comparaître devant le Comité du patrimoine de la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-11. Heureusement, malgré les efforts du gouvernement, ils ont maintenant une voix beaucoup plus importante lorsqu’ils comparaissent devant le Comité sénatorial des transports et des communications au sujet de ce projet de loi.
Il y a quelques semaines, lorsque le ministre des Relations Couronne-Autochtones Marc Miller a comparu devant le Sénat, le sénateur Housakos lui a demandé pourquoi, dans le contexte des promesses faites en relation avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le gouvernement n’avait pas consulté adéquatement les peuples autochtones qui pourraient être touchés par le projet de loi C-11. À cette occasion, le ministre a répondu en déclarant : « [...] je sais que vous comprendrez que le gouvernement ne dicte pas qui comparaît et qui ne comparaît pas devant les comités. »
Cependant, contrairement à ce qu’affirme le ministre, je crois qu’il existe de nombreuses preuves que c’est précisément ce que le gouvernement a cherché à faire dans le cas du projet de loi C-11. Non seulement a-t-il cherché à orchestrer les procédures à la Chambre des communes et à ignorer tout témoin susceptible de poser un problème pour le programme du gouvernement, mais il a également cherché à dissuader les opposants au projet de loi de s’exprimer. Le fait que plusieurs de ces témoins parlent au nom de communautés marginalisées devrait être particulièrement préoccupant pour tous les sénateurs. Le Sénat existe, dans une large mesure, pour parler au nom des minorités politiques.
À cet égard, Votre Honneur, je crois qu’il est essentiel que vous fassiez preuve de fermeté et disiez que cela suffit. Pour que le Sénat soit indépendant du gouvernement, la première chose à faire est de voir à ce que ses comités puissent entendre des témoins qui se présentent librement et s’expriment en toute franchise. Nous devons avoir des témoins autres que ceux approuvés par le gouvernement qui viennent ici pour répéter les messages prémâchés du gouvernement.
[Français]
L’honorable Raymonde Saint-Germain : Les questions que soulève le sénateur Tannas sont sérieuses et extrêmement importantes. Quiconque dans cette Chambre prend au sérieux ces allégations ne saurait appuyer une telle attitude si elle s’est produite. Vous parlez d’outrage au Parlement. C’est un acte très sérieux et qui mérite des conséquences.
Cela dit, étant donné la gravité de la question soulevée, j’ai examiné la réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications tenue le 28 septembre, à laquelle a participé M. Benzie. J’ai noté que le sénateur Housakos a posé à M. Benzie des questions qui lui ont permis de souligner qu’il s’était senti intimidé à l’autre endroit, alors que, pendant son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, il se sentait clairement en toute confiance.
Sénateur Tannas, pour expliquer que vous soulevez cette question de privilège devant cette Chambre dans les délais requis, vous mentionnez une lettre transmise au greffier par M. Benzie le 29 septembre, donc le lendemain de cette réunion du Comité des transports. J’ai la lettre devant moi. M. Benzie l’a reçue à 11 h 26 le matin du 28 septembre, soit avant sa comparution devant le comité. La lettre provient du Bureau du commissaire au lobbying. Elle confirme qu’il n’a aucune obligation de divulguer des subventions qu’il aurait reçues si elles n’ont pas été reçues de la part d’un gouvernement... Je vais vous lire le passage en anglais :
[Traduction]
[...] de tout gouvernement au pays ou à l’étranger, de quelque ordre que ce soit, fédéral, provincial, territorial, étatique ou local.
[Français]
Au moment où il a comparu, M. Benzie savait qu’il n’avait pas enfreint la Loi sur le lobbying. Il le savait au moment de sa comparution devant le comité, et le comité n’avait aucune raison d’en douter.
Le lien que vous faites avec la réception de cette lettre le lendemain et même plus tard, car elle n’avait pas été traduite, ne justifie pas, à mon avis, que cette plainte ait pu être portée immédiatement, soit le 28 septembre. Donc, à mon avis, vous n’êtes pas dans les délais.
(1620)
Une autre question m’apparaît importante : c’est celle de bien dissocier ce qui relève des privilèges et du Règlement de cette Chambre et, conséquemment, de la compétence de notre Président sur ce qui serait une violation soit à la Loi sur le Parlement du Canada, soit au Règlement du Sénat, et ce qui relève de l’autre endroit.
Or, les éléments allégués relèvent de l’autre endroit, et ce, de longue date. La comparution de M. Benzie devant le comité de la Chambre des communes a quand même eu lieu quatre mois avant sa comparution la semaine dernière devant le comité du Sénat. Entre‑temps, il savait donc de quoi retournait cette question et il savait à quoi s’attendre.
Vous avez également fait allusion au fait que des témoins entendus à la Chambre des communes sur cette même question auraient été intimidés, et cette déclaration aurait été faite par M. Benzie. Maintenant, l’important est de savoir si ces témoins auraient été intimidés au point d’avoir refusé de venir témoigner devant le Sénat.
Or, le greffier du Comité des transports et des communications nous a confirmé qu’aucun créateur de contenu qui aurait été intimidé à la Chambre des communes ne se serait — et notez le verbe au conditionnel — désisté ou n’aurait refusé une invitation du greffier au nom du Comité des transports et des communications. Cette information n’est donc pas, à mon avis, documentée.
Ce qui me préoccupe le plus dans cette question de privilège, ce sont non seulement les allégations, mais les amalgames. Les amalgames entre un député, des membres d’un comité de la Chambre des communes qui font leur travail et questionnent des témoins — à tort ou à raison, je ne veux pas en juger — et le fait qu’un député ait pu recourir à une plainte auprès d’un officier du Parlement. Pour moi, c’est une question fondamentale.
Le fait de formuler une plainte auprès d’un officier n’est pas en soi un geste d’intimidation et ne signifie surtout pas en soi que le commissaire ou l’officier du Parlement va conclure son enquête de manière non objective. L’officier du Parlement, s’il y a matière, fera enquête et tirera des conclusions de manière objective. Nous avons confiance en ces officiers dont les deux Chambres du Parlement entérinent la nomination.
L’autre point qui m’interpelle beaucoup, c’est le fait qu’il y ait confusion entre la compétence du Président, encore une fois, sur nos travaux et cet amalgame qui a été fait avec ce qui a pu se produire à la Chambre des communes. Je pense que le respect de l’indépendance des deux Chambres nous tient tous à cœur. À mon avis, cet amalgame n’est pas respectueux de cette indépendance.
Mon dernier point — et je ne veux pas insister, parce que le sénateur Gold a beaucoup insisté sur ce point —, c’est un autre amalgame qui suppose qu’un média serait à la solde du gouvernement, d’un député, de quiconque, et qu’il choisirait de publier une nouvelle à un moment qui s’inscrirait dans le calendrier parlementaire et qui permettrait, d’une certaine façon, d’influencer un témoin ou même d’en abuser, voire de faire du harcèlement à son endroit. On fait cet amalgame en affirmant que cette situation est le fait de membres du Parlement ou d’employés de membres du Parlement.
Je me permets de dire qu’on affirme avec beaucoup de certitude qu’une plainte logée auprès d’un officier du Parlement serait connue de quelques personnes seulement. Avec bientôt six ans d’expérience au Sénat, je pourrais commenter longuement les violations de confidentialité qui se produisent dans les corridors, et même dans cette Chambre.
Pour toutes ces raisons, je suis d’avis que les conditions qui fondent la recevabilité d’une question de privilège ne sont pas remplies. Je vous remercie.
L’honorable Julie Miville-Dechêne : Je veux renforcer le message de la sénatrice Saint-Germain. En effet, les allégations sont sérieuses, mais à titre de vice-présidente du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, j’assistais, en chair et en os, à la réunion du 28 septembre au cours de laquelle a comparu le témoin Scott Benzie.
Mon collègue le sénateur Housakos a en effet posé des questions sur le contenu de l’article du Globe and Mail, et le témoin Benzie a répondu directement, en disant notamment qu’il ne voulait pas passer trop de temps sur cette affaire. Le moment de la publication du Globe and Mail, a-t-il dit, était suspect, mais toutes les attaques à l’endroit de créateurs de contenu, auxquelles il a fait référence, s’étaient déroulées à la Chambre des communes, et non au Sénat. Il a parlé d’attaques qui avaient eu lieu plusieurs mois avant.
Au cours de la rencontre, je tiens à souligner que j’ai entendu M. Benzie exprimer son opinion librement et longuement, à plusieurs reprises, sans hésitation, sur le projet de loi C-11, qui suscite chez lui de profondes réserves.
Je dois ajouter que nous allons entendre près d’une dizaine de créateurs de contenu, ceux qu’on appelle plus généralement les « youtubeurs », qui ont tous de profondes réserves face au projet de loi C-11, et aucun d’entre eux ne s’est désisté ou n’a refusé de témoigner. Ils sont là, on les entend depuis plusieurs séances, et ils nous disent exactement ce qu’ils pensent du projet de loi C-11.
Je ne veux donc pas me prononcer sur le fond de l’affaire, car il revient à vous de le faire, Votre Honneur — c’est-à-dire les faits rapportés par le Globe and Mail —, mais je ne vois pas en quoi la publication de cet article a porté atteinte à mes privilèges, m’a empêchée de faire mon travail, ou a autrement entravé les travaux du comité. Sans compter que, en tant que journaliste, je m’interroge sur le fait qu’un article soit à la base de cette question de privilège, alors qu’il s’agit ici de la liberté de presse, un droit fondamental garanti par la Charte canadienne des droits et libertés.
[Traduction]
L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, je suis au Sénat depuis 14 ans, et pendant toutes ces années, je peux vous dire que j’ai entendu plusieurs questions de privilège, mais qu’aucune n’a touché à nos responsabilités sénatoriales aussi fondamentalement que celle dont nous sommes saisis en ce moment. Je tiens à remercier le sénateur Tannas d’avoir porté cette question de privilège à notre attention en présentant les faits de façon très rigoureuse.
Lorsque j’ai entendu parler de cette situation pour la première fois, c’était juste avant une réunion de notre comité que je présidais et qui, je crois, a eu lieu mercredi. Cette situation soulève plusieurs préoccupations, et je vais parler de chacune d’entre elles.
Premièrement, en réponse aux arguments du leader du gouvernement au Sénat, je dirais que personne ne veut attaquer les journalistes ni leur droit de protéger leurs sources, de mener leurs activités comme ils le veulent ou de publier les reportages qu’ils veulent selon le point de vue de leur choix.
La situation a simplement soulevé des préoccupations. Je crois que personne n’a tiré de conclusions à cet égard, que ce soit le sénateur Tannas, qui a soulevé la question de privilège, le sénateur Plett ou moi-même. Cependant, cette situation soulève des questions. Cela nous pousse, sénateur Gold, à nous renseigner davantage sur la situation vécue par ce témoin qui, lors de son témoignage devant un comité sénatorial, a dit qu’il s’est senti intimidé. Ce sont les mots qu’il a employés, et il nous a invités à nous pencher sur les témoignages entendus à l’autre endroit afin de vérifier cela.
Qui plus est, votre argument, sénateur Gold, qui remet en cause la question de privilège en raison d’une formalité et d’un détail de procédure, à savoir soulever la question à la première occasion — sur une question aussi importante —, est en soi honteux. En effet, le gouvernement, et vous en tant que leader du gouvernement, devriez être très préoccupés par la nature répréhensible de ces accusations au lieu d’essayer de les étouffer au moyen d’un outil procédural.
J’insiste encore une fois — parce qu’il s’avère que je préside le comité — sur le fait que le comité, en toute bonne foi, après la publication de l’article qui a sonné l’alarme — après les commentaires du témoin, Votre Honneur, lors de sa comparution devant notre comité —, a demandé au témoin de déposer le document qu’il avait reçu de la commissaire au lobbying, ce qu’il a fait. Ce document est parvenu au greffier — ou du moins à mon attention — vers 11 h 45 jeudi. Pour revenir à votre argument, il ne s’agissait donc pas de la première occasion possible. Il ne pouvait pas respecter l’échéance prévue et l’envoyer trois heures avant cette séance-là, et, plus important encore, le document n’était pas bilingue. J’ai donc demandé au greffier de le faire traduire, et il a été officiellement déposé lundi. J’imagine que le sénateur Tannas l’a vu à ce moment-là, ce qui m’a aussi inspiré beaucoup de questions.
(1630)
Voilà pour les piètres arguments que vous proposez aujourd’hui pour défendre cette question de privilège.
En ce qui concerne ma collègue, la sénatrice Saint-Germain... Je vous remercie de vos arguments, sénatrice Saint-Germain, car ils renforcent l’importance de cette question de privilège. Vous avez tout à fait raison; le témoin a comparu devant nous, et il a dit ce qu’il a dit. Vous dites que sa présence elle-même montre qu’il était à l’aise de comparaître; il a en effet comparu devant la Chambre haute du Parlement.
Dans les faits, toutefois, il a été tellement intimidé et harcelé qu’à titre de témoin — et de Canadien — il a senti le besoin d’aller devant un mandataire du Parlement — la commissaire au lobbying — quelques jours ou quelques semaines avant son témoignage pour obtenir une garantie à la suite des allégations faites par deux parlementaires. Pourquoi ces allégations ont-elles été faites? Sénatrice Saint-Germain, quand un parlementaire traite un témoin — un citoyen canadien — de menteur et de lobbyiste, qu’il soit devant le comité ou dans une situation qui n’est pas du ressort du comité, c’est scandaleux.
Les sénateurs jouissent de privilèges. Nous sommes les gardiens de cette institution. Cependant, il est inexcusable qu’un citoyen canadien voulant comparaître devant un comité se fasse accuser d’être un menteur et un lobbyiste par deux députés, au point où il se sent obligé d’obtenir une lettre de la commissaire au lobbying pour prouver qu’il n’a rien fait de mal. Cela montre que quelque chose de très répréhensible s’est produit, et nous devons aller au fond de cette affaire.
Honorables collègues, le Parlement et le Sénat sont les gardiens de la démocratie et de la liberté, et cela devrait nous préoccuper quand l’exécutif va trop loin et estime pouvoir intimider des témoins uniquement parce qu’ils ont des opinions différentes. Il s’agit là de notre rôle fondamental.
Comme je l’ai déjà dit, je ne désire pas tirer des conclusions hâtives. Toutefois, nous avons plus que jamais l’obligation de déterminer ce qui est à l’origine des sentiments ressentis par cet homme.
De surcroît, en lisant les témoignages présentés à la Chambre, on constate que ce n’est pas un cas isolé. Plusieurs personnes ont été intimidées à tel point par des parlementaires que ces derniers ont dû être rappelés à l’ordre par leurs collègues pour qu’ils mettent fin à ces tactiques.
Toutes les parties prenantes et tous les citoyens doivent se sentir en sécurité lorsqu’ils se présentent devant leurs organes parlementaires. Ils doivent sentir qu’ils peuvent venir s’exprimer sans subir d’intimidation, sans être brimés, quel que soit leur point de vue. C’est bien normal. Nous exigeons la même courtoisie entre nous dans cette enceinte. Peu importe que 2 sénateurs soient opposés à 103, peu importe la situation. Je pense que c’est extrêmement important.
Le fait est que M. Benzie n’est pas lui-même un lobbyiste. C’est un producteur de contenu canadien qui essaie de faire valoir son gagne-pain et son secteur d’activité face à un projet de loi. Le simple fait qu’il ne puisse pas se permettre de faire venir de coûteux lobbyistes dans les coulisses du pouvoir est une raison de plus pour que nous nous assurions que les voix des témoins soient protégées plus que celles de n’importe qui d’autre. Nous le savons, des lobbyistes grassement payés viennent ici. Ils sont rémunérés pour être combatifs, ils nous envoient des courriels et nous pourchassent dans les couloirs, et ils ont des amis d’amis qui nous appellent afin d’obtenir une audience. Mais là encore, lorsqu’une seule personne — et c’est le cas de M. Benzie — vient témoigner devant nos commissions, il nous incombe de veiller à ce qu’elle soit entendue.
Chers collègues, gardons à l’esprit qu’en 2015, le gouvernement actuel a promis plus de transparence, de reddition de comptes et de démocratie que jamais. Le fait d’intimider un témoin et d’influencer un témoignage, que ce soit par l’intermédiaire des médias ou au sein même du comité, devrait déclencher de nombreux signaux d’alarme.
Contrairement à la sénatrice Saint-Germain, je peux vous dire, en tant que président d’un comité qui est en communication constante avec le greffier, qu’il y a un certain nombre de témoins qui ont exprimé leur intérêt, au début de notre étude, en juin, à comparaître devant notre comité, mais qui ne répondent pas à nos appels. C’est une chose pour les témoins de dire qu’ils sont désolés, qu’ils ont entendu assez de témoignages, que leurs problèmes ont été traités et qu’ils ne veulent plus comparaître devant le comité, mais c’en est une autre de voir que des témoins qui tenaient absolument à comparaître devant notre comité en juin ne répondent plus à nos appels.
Honorables sénateurs, je terminerai en disant que je pense que la solution dans le passé consistait à renvoyer cette question au Comité du Règlement pour qu’il l’examine et fasse une enquête approfondie, mais, maintenant, en tant que président, je suis très mal à l’aise et je m’interroge — nous devrions tous nous interroger — sur la contamination de cette étude. Nous savons ce qui s’est passé du côté de la Chambre. Nous avons pris des mesures pour nous assurer que cela ne se produise pas de ce côté-ci, afin que chaque témoin soit entendu et que nous prenions le temps de faire une étude approfondie. Cependant, quand j’entends des témoins dire qu’ils ont été intimidés, je trouve que rien n’est plus effrayant. Nos systèmes judiciaires et parlementaires doivent être transparents, limpides et équitables.
Votre Honneur, je vous laisse le soin de décider en m’en remettant à votre sagesse.
[Français]
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : J’ai quelques points à soulever. Le premier point est en réponse aux propos du sénateur Plett et du sénateur Housakos quant au fait que l’article n’était pas au cœur de cette question de privilège. J’aimerais quand même citer la lettre de l’honorable Scott Tannas. C’est une lettre envoyée à M. Gérald Lafrenière, greffier du Sénat par intérim.
[Traduction]
La lettre dit ceci :
Le contenu et la date de parution d’un article publié dans le Globe and Mail le 27 septembre 2022, intitulé « Un opposant au projet de loi C-11 ayant omis de déclarer un financement de YouTube doit faire l’objet d’une enquête, selon un député libéral », peut constituer de l’intimidation à l’égard d’un témoin comparaissant devant un comité sénatorial.
Voilà donc le cœur du problème.
Je voudrais également signaler, puisque c’est en rapport avec le présent débat, que le Président de l’autre endroit s’est prononcé contre le recours au Règlement soulevé à ce sujet. Dans sa décision, le Président a déclaré ceci :
[Français]
[…] la présidence a examiné les faits rapportés qui sont de son ressort. À priori, il n’est pas apparent que la conduite dont il est question tentait d’intimider le témoin, ni qu’elle était une mesure de représailles contre ce dernier à la suite de ses comparutions devant le Comité permanent du patrimoine canadien.
La présidence rappelle aussi aux députés l’importance d’un choix de mots judicieux lorsqu’il est question de parler de la conduite d’un autre député.
J’espère néanmoins que le Président du Sénat tiendra compte de cela lorsqu’il nous reviendra avec une réponse.
[Traduction]
L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la question de privilège extrêmement importante qui a été soulevée par le sénateur Tannas aujourd’hui.
Je commencerai en notant que je siège au Sénat depuis longtemps — j’en suis maintenant à ma 14e année. J’ai aussi eu le privilège d’être député pour Terre-Neuve-et-Labrador et de siéger à l’assemblée législative provinciale. Je dois dire que, après près de 30 ans en politique, j’ai rarement été témoin d’une tentative plus flagrante de la part d’un député ministériel d’intimider un témoin qui comparaît devant un comité législatif ou, de façon plus générale, de potentiellement dissuader d’autres témoins de prendre la parole.
Je crois que c’est ce dont nous sommes témoins dans ce cas-ci. Les faits que mon collègue a relevés sont convaincants, selon moi. D’abord, mon collègue a confirmé ce que le témoin, M. Benzie, a dit au Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel je siège. M. Benzie a clairement affirmé qu’il s’est senti personnellement attaqué au Comité du patrimoine de la Chambre des communes en raison des points de vue qu’il a exprimés devant ce comité à propos du projet de loi C-11 au printemps dernier.
M. Benzie a ajouté que cette attaque au Comité du patrimoine de la Chambre des communes a fait en sorte que d’autres créateurs numériques ont conclu qu’ils étaient aussi des cibles et qu’il serait donc malavisé pour eux de témoigner devant tout comité parlementaire appelé à étudier le projet de loi C-11.
Si on passe en revue l’échange qui a eu lieu entre M. Benzie et Chris Bittle, le secrétaire parlementaire du ministre du Patrimoine canadien, il est difficile de ne pas conclure que M. Benzie a été la cible d’une attaque gratuite. Je voudrais citer une partie de cet échange. Lors du témoignage de M. Benzie devant le Comité du patrimoine canadien de la Chambre des communes, le 30 mai 2022, dès qu’on lui a permis de poser des questions, M. Bittle a affirmé ce qui suit :
(1640)
Monsieur Benzie, lorsque vous avez témoigné devant le Comité il y a quelque temps — environ deux mois —, on vous a demandé si vous aviez reçu de l’argent des entreprises de technologie. Vous avez répondu que non. Aujourd’hui, pendant votre témoignage, vous avez dit « nous avons reçu du financement de nos partenaires de l’industrie, notamment des plateformes et du secteur privé qui contribuent au succès des créateurs de contenu numérique ».
Est-ce que l’affirmation que vous avez faite lors de votre première comparution était fausse, monsieur Benzie?
Après avoir tenté à plusieurs reprises d’expliquer que ce qu’affirmait M. Bittle était trompeur, M. Benzie a finalement pu répondre ce qui suit aux allégations faites par M. Bittle :
J’ai eu des conversations avec votre ministère, avec le ministère du ministre, c’est-à-dire le ministère du Patrimoine canadien, et j’ai été très franc à propos du fait que nous avons reçu un certain financement de la part de nos partenaires liés aux plateformes [...] Quatre-vingts pour cent des revenus de Digital First Canada proviennent du Buffer Festival, et il s’agit là de nos fonds de roulement.
M. Bittle a ensuite répondu sur un ton très accusateur : « De quelles entreprises technologiques recevez-vous de l’argent? »
M. Benzie a réitéré ce qu’il avait apparemment déjà dit au ministère du Patrimoine canadien, soit qu’il avait reçu des fonds spécifiquement en lien avec le festival Buffer. M. Bittle a feint d’être insatisfait de cette réponse et a déclaré : « Je trouve cela vraiment choquant. » Il a alors immédiatement demandé : « [A]vez-vous menti à notre comité au cours de votre première comparution? »
Chers collègues, je soutiens que, pour des personnes qui interagissent rarement avec le gouvernement ou avec un comité parlementaire, ce niveau d’hostilité de la part d’un membre du gouvernement est clairement conçu pour avoir un effet paralysant. Cependant, ce qui est encore plus accablant, c’est que M. Bittle a donné suite à ces attaques en demandant officiellement à la commissaire du Commissariat au lobbying de lancer une enquête sur Digital First Canada, l’organisation dont M. Benzie est le directeur général.
M. Benzie a depuis reçu la confirmation écrite du Commissariat au lobbying qu’il n’enfreignait aucunement la Loi sur le lobbying, ce qui illustre à quel point l’accusation était vraiment sans fondement. Chers collègues, nous devons nous demander quel était le but des gestes de M. Bittle.
On ne peut que conclure que ces gestes visaient non seulement à intimider M. Benzie, mais aussi à dissuader d’autres créateurs qui pourraient songer à présenter leur point de vue sur le projet de loi C-11 devant un comité parlementaire. À mon avis, il s’agissait d’une tentative d’intimidation, et si nous ne faisons rien, ce comportement se répétera. Si cela devient systémique, alors nos comités parlementaires cesseront d’être une voix efficace pour le public. C’est pourquoi nous devons demander des comptes aux auteurs de cette intimidation flagrante.
Merci.
L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Tannas d’avoir soulevé cette question, ainsi que tous les intervenants. Des arguments très éloquents ont été avancés.
Cependant, comme l’a souligné la sénatrice Gagné, à la base, le libellé de la lettre porte à croire que c’est la date de publication et le contenu de l’article qui a paru dans The Globe and Mail qui peuvent constituer un acte d’intimidation d’un témoin. Je suis prête à en déduire ce que le sénateur Tannas soutient au Sénat, mais la lettre est techniquement très différente de ce dont nous parlons.
Je n’ai entendu aucune preuve que le secrétaire parlementaire ou, comme l’a dit le sénateur Tannas, que le deuxième député au courant de la plainte déposée auprès de la commissaire au lobbying a fourni des renseignements au Globe and Mail. Peu importe le nombre de fois qu’un sénateur d’en face l’affirme, cela n’en fait pas une vérité et ne fournit pas de preuve.
Je pourrais affirmer que les gens qui s’opposent au projet de loi, qui ont participé à une campagne visant à écrire des tonnes et des tonnes de lettres et qui travaillent en étroite collaboration avec certains parlementaires ont décidé que la plainte déposée auprès de la commissaire au lobbying représentait un moyen de discréditer le gouvernement.
Je pourrais affirmer cela, mais je n’en ai aucune preuve. Je n’ai aucune preuve que le président du comité, qui avait prévu un moment et un endroit pour soulever la question et la poser au témoin, avait une autre idée en tête. Rien ne me permet de croire et de prétendre que le président du comité, qui connaît très bien le Règlement du Sénat et qui sait naviguer ces eaux, a fait ou n’a pas fait ceci ou cela. Je n’ai aucune preuve. Je vous dis qu’aucune preuve ne permet d’aller de l’avant.
La question est-elle grave? Si c’est vrai, serait-ce grave? C’est très grave. Or, il n’y a pas de preuve.
Je veux aussi dire que le fait que certaines des questions sont posées aux témoins sur un ton agressif et, j’en conviens, parfois intimidant est odieux. Cela devrait être considéré scandaleux à la Chambre des communes, au Sénat et dans nos comités. Dans les comités auxquels j’ai participé, j’ai vu et j’ai entendu des choses, et j’ai parlé par la suite à des sénateurs de la façon dont ils rejetaient du revers de la main les opinions de témoins qui se présentent devant nous. Nous devrions être très clairs à ce sujet : en tant qu’institution collégiale, nous ne devons pas soutenir une telle attitude ni permettre qu’elle continue, mais rien ne démontre que c’est ce qui s’est passé en l’occurrence.
Je ne crois pas qu’il y ait de motifs suffisants pour conclure qu’il y a de prime abord matière à question de privilège. Je termine là‑dessus. Merci beaucoup.
L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, c’est avec une certaine appréhension que j’interviens au sujet de cette question de privilège. Sans vouloir minimiser la gravité de la préoccupation soulevée par le sénateur Tannas, je dois dire que mon frère, maintenant retraité, a travaillé comme professionnel dans un club de golf. Quelle que soit la situation, il parle toujours du handicap qu’a une personne. Plus le handicap est élevé, moins la personne est compétente. Quand il s’agit de privilège parlementaire, j’ai un handicap de 30 environ. Je m’excuse donc d’avoir des connaissances limitées en la matière.
Quoi qu’il en soit, je crois que certains des enjeux mentionnés mériteraient l’attention du Président. Je les aborderai brièvement.
Je suis notamment d’accord avec la sénatrice Lankin, qui a parlé de l’importance de la dignité et du décorum au Sénat et dans les comités sénatoriaux. Permettez-moi de vous parler de mon expérience personnelle à ce sujet.
Au cours des débats du comité et de l’interrogation des témoins pendant l’étude sur l’aide médicale à mourir, il y a eu un moment où j’ai été assez agressif à l’égard d’un témoin. Le sénateur Plett m’a réprimandé au sujet de ma conduite. J’en ai été troublé, mais après réflexion, j’ai conclu qu’il avait raison et que j’avais, à tout le moins, dépassé les bornes. Il n’a pas soulevé l’affaire dans cette enceinte, mais il m’a donné l’occasion de comprendre les propos de la sénatrice Lankin. Je ne suis pas toujours d’accord avec le sénateur Plett, mais je lui sais gré de son aide et de son intervention. Je pense qu’il est fondamental pour nous de penser en ces termes, et à cet égard, l’angoisse du sénateur Tannas à ce sujet — si je peux la désigner ainsi — n’est pas déplacée.
Je pense que deux points méritent votre attention dans ce cas-ci, Votre Honneur. L’un est celui que la sénatrice Lankin a soulevé, à savoir le manque de preuves. Très franchement, étant donné la nature de la plainte, j’estime qu’il est impossible d’obtenir des preuves, parce qu’il vous faudrait être capable de creuser la question de l’origine de cette histoire. Qui sait? Les allégations de sournoiserie pourraient être légitimes, mais il n’y a en fait aucun moyen de le prouver. La première question, je pense, est celle des preuves.
Deuxièmement, il y a la question de compétence. Sans vouloir minimiser la situation, je dirais que la plupart des préoccupations soulevées sont discutables et portent sur la façon dont certaines personnes se sont comportées à l’autre endroit. Je pense que cela ne relève pas de vos compétences.
En ce qui a trait à la compétence, le deuxième problème est précisément celui qui a été soulevé par rapport à la lettre du sénateur Tannas, et j’aimerais prendre un instant pour retrouver les termes employés; je n’ai pas les mêmes ressources que d’autres pour me documenter. La plainte dit que « le contenu d’un article et le moment choisi pour le publier pourraient constituer de l’intimidation à l’égard d’un témoin ». Le problème porte sur les agissements de la presse qui pourraient constituer de l’intimidation à l’égard d’un témoin.
Je dirais qu’on s’aventure sur un terrain qui, selon moi, met en opposition les privilèges de la presse et ceux du Sénat. Or, en tout respect, je suis très mal à l’aise à l’idée de réprimander le Globe and Mail pour la publication de cet article parce qu’il porterait atteinte à notre façon de mener nos activités au Sénat.
À bien y penser, cela pourrait vous amener à lire tous les journaux chaque matin pour voir si quelqu’un a écrit quelque chose qui pourrait être considéré comme de l’intimidation à l’égard d’un comité, ce qui, en toute franchise, ne serait que pure hypothèse.
Merci.
L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, je prends la parole sur cette question non seulement en tant que membre du Comité des transports et des communications, mais aussi en tant que journaliste qui a travaillé sur le terrain pendant 30 ans.
(1650)
Je tiens d’abord à parler de Scott Benzie et de l’excellent travail qu’il a fait pour souligner certains des défis que présente le projet de loi C-11.
Depuis des mois, je parle à Scott de ce projet de loi de façon intermittente, dans le cadre de mes propres recherches. Je trouve que c’est un homme réfléchi aux opinions bien arrêtées sur le projet de loi C-11. Je ne les partage pas toutes forcément, mais je crois que c’est un témoin de bonne fois qui parle de la nature de son industrie avec passion et en connaissance de cause.
Il est une voix crédible parce qu’il ne s’exprime pas seulement en son nom. Il est le directeur général d’un groupe de pression qui représente des créateurs de contenu numérique, et il est aussi le directeur artistique du festival Buffer, qui connaît beaucoup de succès.
La question qui s’est posée avec le témoignage de M. Benzie est de savoir s’il avait révélé assez tôt — parce qu’il a certes admis le fait — que son festival et son groupe avaient reçu des fonds de YouTube et de TikTok. Les deux plateformes ont versé des fonds en espèces et fourni des biens en nature, assurant le transport d’artistes et de cinéastes présentant leurs films au festival Buffer.
La question est de savoir si M. Benzie a dérogé au protocole. Ce dernier nous a fourni des lettres indiquant que le registre des lobbyistes lui avait assuré que ce n’est pas le cas. J’en ai vu des copies.
Donc, que vous pensiez ou non que M. Benzie a raison au sujet du projet de loi C-11, je vous assure qu’il est de bonne foi sur la question et qu’il n’a pas caché ou nié le fait qu’il a reçu des fonds de YouTube et de TikTok, et que YouTube et TikTok n’ont pas nié avoir fourni ce financement, qui ne lui a pas été donné en tant que lobbyiste, mais bien pour soutenir le festival artistique dont ils étaient les commanditaires.
La question n’est pas de savoir si M. Benzie a fait quelque chose de mal, mais de savoir à quel point nous devons nous interroger sur le moment où cette fuite a eu lieu.
Je reconnais que le moment choisi empeste la magouille à plein nez — si je puis m’exprimer ainsi — et que le fait que cet article ait été publié la veille du témoignage de M. Benzie tombe à point nommé. Est-ce pour autant une violation du règlement du Sénat? En premier lieu, comme l’a si bien dit la sénatrice Lankin, nous n’avons absolument aucune idée de l’origine de cette information et de la façon dont elle est arrivée aux oreilles de la journaliste du Globe and Mail.
Je peux simplement vous dire, sans vouloir vanter ma grande expérience, mais en me basant sur mes 30 années de carrière en tant que journaliste, que vous pourriez être surpris de la manière dont les informations parviennent parfois aux journalistes. Et parfois, elles ne proviennent pas de la source la plus évidente.
Pendant ma carrière, j’ai publié un certain nombre d’articles en exclusivité grâce à des informations confidentielles qu’on m’avait transmises. Des gens appelaient ensuite pour dire : « C’est sûrement un tel qui lui a communiqué ces informations. » Ou encore : « Il faut que telle personne soit renvoyée, parce que c’est probablement d’elle que vient la fuite. » Je riais toujours un peu intérieurement, parce les personnes en question n’étaient jamais celles qui m’avaient communiqué les informations.
Conséquemment, même si on peut faire des déductions ou avoir une idée d’où proviennent les informations, nous ne connaissons absolument pas les sources de cette journaliste et ce serait une grave violation de la liberté de la presse telle que nous la connaissons que de demander à cette journaliste de révéler ses sources. Sa source est-elle un employé du ministère du Partrimoine canadien? Je ne le sais pas et personne ne le sait non plus. S’agissait-il d’un politicien? Je ne le sais pas et personne ne le sait non plus.
Alors, d’où vient la fuite?
Nous en arrivons à l’article en tant que tel.
J’ai lu cet article le jour de sa parution et je l’ai relu par la suite. C’est un article tout à fait juste et équilibré. Il ne s’agit pas d’une attaque vicieuse à l’endroit de M. Benzie. Dans l’article, on cite à profusion M. Benzie qui se défend, ainsi que TikTok et YouTube qui défendent le financement qu’ils ont versé au festival de M. Benzie.
Je reconnais que le moment semble louche. J’ajouterais que, parfois, nos amis de l’autre endroit semblent parfaitement inconscients de l’échéancier de nos travaux ici. Il faudrait donc présumer que quelqu’un a fait des manigances en sachant la date exacte où M. Benzie allait faire son témoignage afin d’envoyer cette information à la journaliste du The Globe and Mail afin de publier l’article juste au bon moment.
J’ai travaillé dans le monde journalistique pendant 23 ans. Les salles de rédaction ne fonctionnent pas de cette manière. Pour peu que nous le sachions, Mme Woolf a pu soumettre cet article à son employeur une semaine à l’avance et il était dans la file d’attente pour être publié.
Les journalistes peuvent difficilement conspirer pour organiser un pique-nique de tout le personnel, ils peuvent encore moins conspirer avec le gouvernement pour attaquer un artiste et créateur.
Je reconnais que quand j’ai réalisé le moment où l’article avait été publié, j’étais fâchée parce que je considère que M. Benzie ne méritait pas de se retrouver dans une situation aussi inconfortable. Voici ma mise en garde : qui serait visé par nos sanctions dans ce dossier? Nous n’avons aucune idée de la source de la fuite. Nous n’avons aucune idée du moment désigné pour publier l’article et nous n’avons aucune preuve que la journaliste qui l’a rédigé avait une quelconque intention malicieuse. C’est franchement une bonne œuvre journalistique qui décrit un enjeu, puis raconte avec précision le témoignage que nous avons entendu en comité plus tôt.
Je conviens que M. Benzie semble avoir été la cible de traitements peut-être injustes et je suis reconnaissante envers le sénateur Tannas d’avoir soulevé la question, mais je ne crois pas qu’il y ait, de prime abord, matière à question de privilège.
L’honorable Salma Ataullahjan : Je prends la parole au sujet de la question de privilège dont vous avez été saisi, Votre Honneur. Honorables sénateurs, j’aimerais dire quelques mots par rapport à l’intimidation de témoins au cours des séances de comité.
En tant que présidente du Comité des droits de la personne, je tiens à exprimer mes préoccupations et à vous faire part de mon expérience personnelle. J’estime qu’il est important de veiller à la sécurité et au bien-être mental des témoins. Nous traitons de sujets très délicats et il est très préoccupant d’entendre qu’un témoin a été intimidé et que cela a fait les manchettes nationales dans les médias.
Je pense aux audiences que le Comité des droits de la personne a récemment tenues à Edmonton, où deux femmes nous ont livré un témoignage si difficile qu’elles ont dû s’arrêter. Le sénateur Arnot et les sénatrices Busson, Martin et Jaffer étaient tous présents lors de ces témoignages émouvants. La sénatrice Jaffer et moi avons rassuré les témoins tout le long de leur comparution et les avons aidées à livrer leur témoignage. Je frémis en pensant à ce qui aurait pu arriver si nous n’avions pas fait preuve de sensibilité.
La situation était un peu la même lorsque nous avons visité la mosquée de Québec. Les survivants ont raconté l’épreuve extrêmement pénible qu’ils ont vécue et le choc qu’ils ont subi lors de la tuerie était toujours bien visible sur leur visage. Nous avons fait preuve d’empathie et les avons encouragés à raconter ce qu’ils ont vécu. Pouvez-vous imaginer si nous avions manqué de sensibilité dans les questions que nous leur avons posées?
Les sénateurs Gerba, Oh, Jaffer et moi avons trouvé ces témoignages incroyablement difficiles à écouter, alors je peux seulement imaginer à quel point il leur a été douloureux de les livrer.
Je pense aussi à l’étude que nous venons de terminer sur les stérilisations forcées. Les survivantes nous ont ouvert leur cœur et ont partagé leur traumatisme avec nous. Certaines nous ont fait part de détails dont elles n’avaient jamais parlé de vive voix auparavant. Elles nous ont dit à quel point il était difficile pour elles de s’exprimer et qu’elles n’avaient jamais parlé de cela à personne. Nous les avons mises à l’aise. Nous leur avons garanti qu’elles se trouvaient en lieu sûr.
Nous devons garder à l’esprit que les témoins se mettent souvent en danger lorsqu’ils acceptent de nous confier leur témoignage. C’est un privilège pour nous que de pouvoir entendre ces expériences de vie souvent intimes et difficiles, notamment dans le contexte de notre étude actuelle sur l’islamophobie.
Récemment, nous avons rencontré des étudiants qui sont venus nous faire part de leur expérience de l’islamophobie. Ils étaient environ une trentaine. Il a fallu un certain temps pour qu’ils se sentent suffisamment à l’aise pour raconter leurs témoignages, et nous leur avons donné l’espace nécessaire pour qu’ils se sentent en confiance.
Pouvez-vous imaginer s’ils avaient eu vent de cas d’intimidation de témoins par des parlementaires? Il est essentiel pour nous d’inspirer confiance. Il s’agit des Canadiens que nous représentons.
Pour être en mesure de poursuivre notre travail, nous devons traiter nos témoins avec respect et compassion. Nous devons créer un espace sûr où les témoins sont écoutés et respectés. Je crains que les accusations d’intimidation ne rendent de plus en plus difficile la comparution de témoins à l’avenir et ne rendent le travail de nos comités très difficile. Je vous remercie.
[Français]
L’honorable Renée Dupuis : Honorables sénateurs, j’aimerais poursuivre dans le même ordre d’idées que la présidente du Comité des droits de la personne.
Ce qui me frappe ici, c’est que la documentation qui nous a été remise aujourd’hui — vous comprendrez qu’on n’a pas eu autant de temps pour se préparer que les gens qui ont fait la proposition. Si je lis bien la lettre, autant la version française que la version anglaise, on nous indique ceci :
Le moment et le contenu d’un article […] peuvent constituer une tentative d’intimidation d’un témoin comparaissant devant un comité sénatorial.
(1700)
D’ailleurs, on n’en fait pas l’affirmation, mais on dit : cela peut, it may constitute.
Pouvez-vous nous aider à bien préciser ce qui est la nature d’une question de privilège? Si on invoque la parution d’un article, j’imagine que votre décision portera sur l’article, le moment de la publication et son contenu.
J’aimerais revenir sur le procès-verbal du Comité des transports et des communications. Je ne vois rien dans le document qui pourrait m’amener à souscrire à ce que la présidente du Comité des droits de la personne a dit. Autrement dit, il me semble que la question de privilège est de la responsabilité des sénateurs comme individus, des comités sénatoriaux et de l’ensemble du Sénat. Nous avons donc la responsabilité de faire en sorte que les témoins puissent venir dans un espace sécuritaire pour présenter leurs arguments. Ce n’est pas l’expérience qu’on a toujours vécue dans les comités du Sénat ni au Sénat du Canada.
La sénatrice qui est présidente du Comité des droits de la personne a soulevé une question extrêmement importante. J’aimerais que vous y consacriez quelques-unes de vos réflexions. Dans ce cas précis, quelles sont les mesures que le comité, les autorités du comité et les membres du comité ont prises, s’ils se préoccupaient à ce point de ce qu’ils considèrent comme de l’intimidation, pour s’assurer que le témoin en question se sente absolument en sécurité en venant témoigner devant le comité du Sénat?
Lorsque je lis le procès-verbal, je ne vois rien qui peut nous indiquer qu’on a pris activement des mesures pour corriger ce qu’on considère être de l’intimidation à l’autre endroit et faire ressortir la différence fondamentale entre les deux Chambres dans la façon de traiter les témoins qui se présentent devant nous.
J’aimerais vous laisser réfléchir à cette question et j’aimerais aussi que vous nous éclairiez de façon plus particulière sur ce que comporte l’obligation, pour les sénateurs membres d’un comité, de s’assurer que les témoins qui comparaissent devant nous...
On le sait, c’est extrêmement difficile. Vous l’avez dit et je le répète : c’est extrêmement difficile pour des témoins de venir devant un comité du Sénat, parce que c’est intimidant en soi. Les gens n’en ont pas nécessairement l’expérience et même ceux qui l’ont nous disent que c’est toujours un enjeu. À mon avis, nous avons l’obligation de nous assurer de créer un environnement sécuritaire pour ces témoins. Merci.
[Traduction]
Son Honneur le Président : Sénateur Plett, souhaitez-vous prendre la parole avant le sénateur Tannas?
Le sénateur Plett : Oui, merci, Votre Honneur. J’ai une déclaration simple et brève. Je ne veux pas entrer dans un débat.
Cependant, je veux revenir brièvement sur les commentaires de la sénatrice Gagné au sujet de l’intervention du Président de la Chambre des communes. Je prie la sénatrice de m’excuser si je n’ai pas compris tout ce qu’elle a dit, car je suis convaincu qu’elle ne voudrait jamais omettre une partie de la décision rendue par le Président de la Chambre des communes. Dans les faits, la première partie de la décision rendue par le Président de l’autre endroit exprime clairement qu’il s’agissait d’un comité du Sénat et que la question n’était donc pas de son ressort. Voilà la principale raison pour laquelle le Président de la Chambre des communes a rejeté la question de privilège à l’autre endroit.
Par conséquent, Votre Honneur, je pense qu’il vous faut au moins cette information : le Président de l’autre endroit n’a pas jugé qu’il ne s’agissait pas d’une question de privilège, mais plutôt qu’il ne s’agissait pas d’une question de privilège à l’autre endroit et que ce n’était pas à lui de dire si c’en était une dans cette enceinte. Merci.
Le sénateur Tannas : Votre Honneur, je voulais aborder quelques points avant que vous preniez cette question en délibéré.
En ce qui concerne le moment choisi pour soulever cette question, c’est la vieille excuse évoquée pour toute question de privilège — cela n’a pas été fait à temps. Honnêtement, la réunion du comité pendant laquelle le témoin a dit s’être senti intimidé s’est tenue mercredi soir. Comme le sénateur Housakos l’a souligné, d’autres documents devaient être présentés à l’appui de cette question et ils ne sont pas arrivés à temps pour 11 h.
En outre, nous avons eu du temps pendant le week-end et le lundi pour parler directement au témoin. Je pense que dans le cadre d’une enquête qui serait menée, si Votre Honneur décidait d’en ouvrir une, le comité compétent commencerait par faire comparaître des témoins sous serment pour aller au fond des choses. Nous pourrions aller au fond de cette affaire sans nous adresser à un journaliste. Nous pourrions demander aux autres ce qui suit : Avez-vous envoyé la lettre au journaliste? Qui a envoyé la lettre au journaliste? Quand avez-vous envoyé la lettre au journaliste? Tous ces éléments pourraient être révélés et aider ceux qui veulent nous faire une recommandation sur ce qui s’est réellement passé.
L’objectif aujourd’hui, à ce que je comprends, était de souligner une situation qui pourrait s’être produite. Un certain nombre des sénateurs qui sont d’avis qu’une décision favorable de Votre Honneur ne devrait pas s’appliquer dans ce cas-ci ont dit : « Eh bien, cette situation pourrait avoir eu lieu. » C’est bien ce dont il s’agit. C’est l’objectif de l’exercice que nous faisons en ce moment.
La question est grave. Comme nous le savons tous, c’est le genre de situation qui prendra de l’ampleur si nous ne faisons rien. Nous devons vider la question. Votre Honneur, je sais que vous lui accorderez toute l’attention qu’elle mérite. Merci.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Tannas d’avoir soulevé cette question très importante. Je remercie également tous les sénateurs qui ont pris le temps de participer au débat. Je prendrai la question en délibéré.
Pêches et océans
Autorisation au comité d’étudier les populations de phoques
L’honorable Fabian Manning, conformément au préavis donné le 29 septembre 2022, propose :
Que le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les populations de phoques au Canada ainsi que leurs impacts sur les pêches au Canada, y compris mais sans s’y limiter :
a)la façon dont le gouvernement fédéral a géré les populations de phoques au Canada jusqu’à ce jour;
b)les moyens les plus adéquats et efficaces de gérer les populations de phoques au Canada à l’avenir;
c)la façon dont le Canada détermine les priorités de recherche et les allocations de fonds pour la recherche sur les phoques, ainsi que toute lacune en matière de recherche et/ou de financement;
Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 31 décembre 2023, et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
(À 17 h 9, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)