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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 99

Le jeudi 9 février 2023
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 9 février 2023

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Les victimes de la tragédie

Laval, au Québec—Minute de silence

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous avons tous été choqués et attristés d’apprendre la tragédie survenue à Laval, au Québec, qui a entraîné le décès de deux enfants et en a blessé un certain nombre.

Nos pensées vont à leurs familles et nous exprimons nos condoléances pour ceux qui ont perdu la vie et nos espoirs de rétablissement complet pour les blessés.

Honorables sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour observer une minute de silence à la mémoire des enfants qui n’ont pas survécu à ce tragique incident.

(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)


[Français]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La tragédie de la garderie de Laval

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Incompréhensible, inconcevable, déchirant, abominable; hier, un matin comme tous les autres s’est transformé en cauchemar à Laval.

Un autobus de la Société de transport de Laval a percuté de plein fouet l’immeuble abritant la Garderie éducative Ste-Rose, défonçant ainsi un local accueillant des enfants d’âge préscolaire.

Deux enfants y ont perdu la vie et six autres ont été blessés.

Aujourd’hui, nous partageons de tout cœur le deuil de la communauté de Sainte-Rose, à Laval et surtout, celle des proches des deux victimes. Je pense aux enfants, aux familles, aux éducateurs et aux éducatrices. Depuis hier, c’est le Canada en entier qui pleure avec vous.

[Traduction]

Au lendemain de cette catastrophe incompréhensible, nous avons davantage de questions que de réponses. Néanmoins, aujourd’hui, nous pensons aux familles des victimes et prions pour elles, même si nous ne pouvons prétendre saisir toute l’ampleur du drame qu’elles vivent. Nous envoyons de l’énergie positive et nos meilleurs vœux aux enfants qui ont été blessés et qui demeurent à l’hôpital, ainsi qu’à leur famille. Nos pensées vont également aux autres enfants qui fréquentent la Garderie éducative Ste-Rose, aux éducatrices et, bien sûr, aux parents. Tous auront besoin de soutien pour reprendre une vie normale.

Je profite de l’occasion pour exprimer ma gratitude aux premiers intervenants, aux professionnels de la santé et aux policiers qui ont géré la situation provoquée par ce drame inimaginable. Je tiens également à saluer la bravoure des personnes sur les lieux de la catastrophe qui ont mis leur vie en danger pour maîtriser le chauffeur.

[Français]

À 18 h 30 ce soir, une veillée aux chandelles aura lieu sur le parvis de l’église Sainte-Rose-de-Lima afin de permettre à ceux qui le souhaitent de se recueillir.

Aux parents et aux familles des deux anges perdus, au nom du gouvernement du Canada et au nom du Sénat, j’offre mes plus profondes condoléances.

(1410)

L’honorable Leo Housakos : Chers collègues, aujourd’hui, une communauté et notre pays dans son ensemble sont ébranlés par l’horrible tragédie qui s’est produite à Laval, ma ville natale, en périphérie de Montréal.

Hier matin, de nombreux parents ont reçu l’appel qu’aucun parent ne souhaiterait recevoir : ils ont appris qu’un autobus urbain avait foncé dans une garderie de Sainte-Rose, où ils avaient déposé leurs enfants quelques instants auparavant. Cet acte insensé a coûté la vie à deux enfants et en a blessé six autres.

En tant que père, il n’y a pas de mots pour décrire la panique de craindre pour son propre enfant ni pour décrire la douleur inimaginable des parents qui ont subi la plus tragique des pertes. Aucun parent ne devrait avoir à faire le deuil de son enfant, et mon cœur se brise pour les deux familles qui vivent actuellement ce cauchemar. Je tiens à leur présenter mes plus sincères condoléances.

Je sais que la communauté de Sainte-Rose est très soudée et qu’elle est sans aucun doute sous le choc à la suite de ce drame. Hier, les gens se sont rassemblés pour participer à l’effort de sauvetage et pour se soutenir dans cette dévastation.

Je tiens à exprimer personnellement ma plus profonde gratitude à l’égard des premiers intervenants pour leur réaction rapide afin d’appréhender le suspect et de le traduire en justice, du personnel infirmier pour son travail acharné afin de soigner les enfants blessés, et aussi de tous ceux qui se sont mobilisés pour aider les petits.

Je suis de tout cœur avec chaque enfant, parent et membre du personnel de la Garderie éducative Ste-Rose qui ont vécu une douleur et un traumatisme sans précédent. Aujourd’hui, nous sommes en deuil avec eux et nous souhaitons un rétablissement complet et rapide aux enfants qui ont été blessés. Rien ne peut soulager la douleur et la souffrance que vivent ces familles. J’espère toutefois que cela leur apportera un peu de réconfort de savoir que les Canadiennes et Canadiens de partout au pays sont avec eux en ce moment.

[Traduction]

Honorables sénateurs, j’habite à Laval. Mes enfants ont fréquenté une garderie semblable à celle de Sainte-Rose. J’ai le cœur brisé pour les enfants, leurs familles et leurs amis. Je sais que toutes nos pensées et toutes nos prières accompagnent les gens qui vivent ce terrible cauchemar.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Bill Williams, directeur général de l’Association des promoteurs économiques du Nunavut et d’agents de développement économique de partout au Nunavut. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Patterson (Nunavut).

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La foire commerciale et vitrine culturelle Aurores boréales

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, Ottawa est en pleine effervescence cette semaine en raison de la foire commerciale et vitrine culturelle Aurores boréales, qui se déroule juste en face du Sénat au Centre des congrès d’Ottawa. La foire Aurores boréales célèbre ce que les collectivités arctiques et nordiques du Canada ont de mieux à offrir. On y présente des activités qui mettent en valeur les secteurs de l’industrie, du tourisme, des arts et de la culture pour bien montrer la créativité et l’énorme potentiel de développement de cette vaste région de notre grand pays.

La première conférence organisée par la Chambre de commerce du Nord du Labrador et la Chambre de commerce de la région de Baffin dans le cadre d’un partenariat établi en 2003 a connu un tel succès qu’elle a maintenant lieu tous les deux ans. Cette année, elle a rassemblé plus de 1 600 délégués inscrits, qui participent activement à des ateliers, à des activités et à des célébrations culturelles.

Hier, j’ai participé à un atelier affichant complet sur Nunavut 3000, un plan ambitieux du gouvernement du Nunavut et de la Nunavut Tunngavik visant à bâtir 3 000 logements dont on a grandement besoin d’ici 2030. Les premiers ministres du Nunavut et de Terre-Neuve-et-Labrador ont signé un protocole d’entente à la foire commerciale cette semaine. Ce matin, le PDG de la société minière Baffinland Iron Mines Corporation a annoncé la création d’une nouvelle route qui permettra à la société de transporter son minerai de fer de haute qualité et à faible émission de carbone pour fabriquer de l’acier écologique, qui est actuellement en forte demande en Europe.

L’un des faits saillants de chaque foire commerciale et vitrine culturelle Aurores boréales est le Prix Inspiration Arctique qui est le plus important prix annuel au Canada grâce à son fonds de dotation de 50 millions de dollars. C’est un prix qui inspire, favorise et célèbre les réalisations des habitants du Nord en reconnaissant diverses équipes ayant des projets novateurs dans toutes sortes de domaines.

Hier soir a eu lieu la 11e édition de la vitrine culturelle et cérémonie de remise de ce prix. Un peu moins de 3 millions de dollars en prix ont été décernés. Je tiens à féliciter les gagnants du prix de 1 million de dollars, qui a été décerné hier soir, soit le projet Pilimmaksaijuliriniq, qui permettra de développer les compétences en santé mentale et les enseignements traditionnels inuits en matière de bien-être pour mener à bien des projets communautaires partout dans l’Inuit Nunangat, des Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut, en passant par le Nunavik et le Nunatsiavut.

D’autres lauréats du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavik ont remporté des prix de 500 000 $ et de 100 000 $.

Je suis heureux que nos invités d’aujourd’hui, les agents de développement économique du Nunavut, aient profité de cette occasion de réseautage pour dialoguer avec leurs homologues du Nunavik. Je suis heureux de les accueillir ici. Merci.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Beth Fleming, de Vivian Fleming, de Sarah Shirey, de Rebekah Shirey et de Nathaniel Shirey. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Jaffer.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le décès d’Al Fleming

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, c’est le cœur lourd que je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un collègue et ami très cher. Alan Baxter Fleming, connu de ses amis sous le nom d’Al, est décédé le 7 janvier 2023, entouré de sa femme Beth qui l’adorait et de sa famille.

Je suis très heureuse que Beth ait accepté mon invitation et qu’elle soit ici aujourd’hui.

Pendant 15 ans, Al a été un membre important de la famille du Sénat du Canada. J’ai fait sa connaissance lorsqu’il travaillait pour le sénateur Brazeau, qui était vice-président du Comité des droits de la personne alors que j’en étais la présidente. Je me souviens très bien d’avoir discuté avec Al lors des réunions régulières du comité directeur et j’ai toujours été attirée par son esprit vif et son charme distingué.

Même si nous nous retrouvions parfois dans des camps opposés, Al faisait toujours tout son possible pour être aimable et collaborer. Il n’a jamais reculé devant un défi et était toujours prêt à donner un coup de main. Je lui suis très reconnaissante de la gentillesse qu’il a manifestée envers moi et mon équipe.

Honorables sénateurs, plus récemment, Al a travaillé comme directeur des affaires parlementaires pour le sénateur Christmas, qui a pris sa retraite le mois dernier. Le sénateur Christmas voulait vous transmettre le message suivant :

Al était unique. Il était toujours enthousiaste, un peu trop parfois, mais c’était sa personnalité. Il aimait véritablement tout le monde, peu importe la personne. C’était aussi un travaillant et il avait un don pour résoudre les problèmes. Il voulait toujours améliorer la vie de ceux qui l’entouraient. Il adorait particulièrement sa famille et il en parlait souvent. Mais, plus que tout, Al avait une place spéciale dans son cœur pour Beth. Nous allons tous nous ennuyer de lui. Tu as mérité ton repos, mon ami.

Honorables sénateurs, pendant toute sa vie adulte, Al a été un fonctionnaire dévoué qui a occupé divers postes au sein de l’appareil fédéral canadien.

Beth, Stephen, Anne, Nathan, Sarah, Rebekah et Leah — Al vous aimait de tout son cœur, vous et vos familles, et il parlait souvent de vous. Merci de l’avoir partagé avec nous tous.

Ceux d’entre vous qui ont eu le plaisir de connaître Al se souviendront sûrement que chaque fois qu’on lui demandait « Comment ça va? », il répondait « Mieux, car je viens de vous voir ». Cela me faisait chaud au cœur chaque fois qu’il disait cela. La vérité, Al, c’est que nous nous portons tous mieux parce que nous t’avons connu. Repose en paix, mon ami.

(1420)

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de l’honorable Ato Tagesse Chaffo Dullo, président de la Chambre des représentants du peuple de la République fédérale démocratique d’Éthiopie.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

Le Mois de l’histoire des Noirs

Kicha Estimée

L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, le chemin Roxham est tristement connu comme une passoire pour les demandeurs d’asile au Canada et plusieurs exigent même sa fermeture. Le chemin Roxham nous est ainsi présenté tous les jours dans les médias et suscite des débats partisans de nos gouvernants sur la gestion de l’immigration.

Dans le cadre de ma série annoncée pour le Mois de l’histoire des Noirs, j’ai décidé aujourd’hui de vous parler autrement du chemin Roxham, à travers une personne qui incarne à la fois le don de soi, l’altruisme et la bravoure dont font preuve nos concitoyens.

C’est donc avec grand plaisir que j’aimerais rendre hommage ici à l’une de ces personnes dont les actions améliorent des vies : Mme Kicha Estimée.

Elle-même issue de l’immigration, Kicha s’investit depuis plusieurs années pour aider les immigrants à faire face aux multiples défis de la vie à l’étranger. Travailleuse sociale au Centre de surveillance de l’immigration de Laval, Kicha vivait mal les conditions des pensionnaires de ce centre qu’elle considère comme une prison.

De même, elle estimait qu’il y avait moins d’accompagnement, alors que la plupart de ces immigrants ont besoin de quelqu’un pour leur tenir la main et leur dire comment vivre dans leur nouveau pays.

Face à ce constat, Kicha a eu l’idée de créer un foyer qui permettrait d’orienter les immigrants dans leurs démarches et d’offrir un abri à ceux qui vivent des situations difficiles. Créé en 2020 et situé à Montréal-Nord, ce foyer connu sous le nom du Centre d’hébergement Latraverse est devenu aujourd’hui un véritable point de chute pour les nouveaux immigrants, dont plusieurs proviennent du chemin Roxham.

En quelques années d’existence, ce centre a déjà accueilli et aidé des milliers de personnes qui y reçoivent de quoi manger et se vêtir, de la chaleur humaine et un hébergement à court, moyen ou long terme.

Chers collègues, pendant que nos gouvernements débattent, des citoyens ordinaires à l’exemple de Mme Kicha Estimée agissent. Pendant que nos gouvernements spéculent sur l’intégration des immigrants, des âmes de bonne volonté investissent des fonds propres pour le bien-être de l’humanité. Nous devons soutenir et encourager ce genre d’initiative qui met en évidence l’empathie de nos concitoyens.

Joignez-vous donc à moi pour souhaiter succès et longue vie à l’initiative audacieuse de Kicha.

Merci.

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’Ian Froude, conseiller de la Ville de St. John’s et de Rob Nolan, président-directeur général de Municipalities Newfoundland and Labrador. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Ravalia.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le document Together Today for our Children Tomorrow

L’honorable Pat Duncan : Honorables sénateurs, le 14 février 2023, ce sera le 50e anniversaire d’une journée bien spéciale où un événement historique est survenu sur la Colline du Parlement. Cet anniversaire sera célébré par les Premières Nations du Yukon et tous les Yukonnais.

Chers collègues, imaginez la journée du 14 février 1973, à Ottawa, où la neige tombe sur la Colline du Parlement. Elijah Smith et une délégation de membres des Premières Nations du Yukon, dont certains sont encore vivants aujourd’hui, ont présenté au premier ministre de l’époque, Pierre Elliott Trudeau, un document dactylographié, un livret intitulé Together Today for our Children Tomorrow, c’est-à-dire « Ensemble aujourd’hui pour l’avenir de nos enfants ».

Il n’y a pas réserves pour les Premières Nations au Yukon. Des terres y avaient plutôt été mises de côté. Des revendications territoriales des Premières Nations du Yukon ont été amorcées dès 1901, quand le chef Jim Boss, qui représentait l’actuelle nation des Ta’an Kwäch’än, a écrit au surintendant général des Affaires indiennes, à Ottawa, et au commissaire du Yukon.

Sur une photo historique, on voit l’ancien premier ministre Trudeau qui reçoit le document, montrant ainsi que le Canada accepte les Premières Nations du Yukon et reconnaît leur relation avec le territoire et leurs droits connexes, l’utilisation et la préservation des ressources, ainsi que l’importance de préserver leur culture et leur langue pour leurs enfants et leurs descendants. Cet événement a marqué le début des négociations sur les revendications territoriales.

Je vous cite les propos du Conseil des Premières Nations du Yukon, car leur histoire est la leur :

La revendication territoriale était fondée sur le principe voulant que les droits des Autochtones continuaient d’exister au sein du Territoire du Yukon et que le gouvernement du Canada avait depuis longtemps l’obligation de négocier un traité avec les peuples autochtones du Yukon.

Un accord-cadre définitif a été conclu en 1990, 17 ans après la publication du document Together Today for our Children Tomorrow. Cet accord fournit un cadre à partir duquel chaque revendication territoriale des Premières Nations est négociée.

Alors que nous nous préparons à célébrer le 50e anniversaire de la reconnaissance historique accordée par le Canada, 11 des 14 Premières Nations du Yukon ont un accord de ce genre.

Honorables sénateurs, c’est une chose de conclure un accord sur les revendications territoriales, mais le véritable travail consiste à y donner un sens et à le concrétiser. La réalité des accords s’exprime visuellement à Whitehorse, en banlieue, où on emploie « STOP » et « Ńłān », en tutchone du Sud, sur les panneaux de circulation pour faire arrêter les conducteurs. D’une façon respectueuse, si vous dites que vous êtes membre d’une Première Nation, Métis ou Inuit à votre arrivée à l’hôpital général de Whitehorse, l’agent de liaison avec les Premières Nations viendra vous voir à l’urgence ou dans votre chambre pour vous offrir du soutien pendant votre séjour à l’hôpital. On vous offrira des mets traditionnels pour vous aider à vous rétablir.

Depuis 50 ans, au fil de la conclusion des divers accords, le Yukon a avancé vers une nouvelle entente avec les Premières Nations. Le travail difficile n’est pas encore terminé. Alors que le Canada s’emploie à trouver comment avancer sur la voie de la réconciliation, je vous dirais fièrement, comme d’autres l’ont fait avant moi, que le Yukon montre la voie à suivre.

Les sénateurs peuvent consulter le site Web du Conseil des Premières Nations du Yukon pour prendre part à la célébration prévue la semaine prochaine et télécharger le document intitulé Together Today for our Children Tomorrow.

Shä̀w níthän, mahsi’cho, gùnáłchîsh, merci, chers collègues.

Des voix : Bravo!


PÉRIODE DES QUESTIONS

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 7 décembre 2021, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd’hui l’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail, pour lui poser des questions concernant ses responsabilités ministérielles.

Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 7 décembre 2021, les sénateurs ne sont pas tenus de se lever. Les questions sont limitées à une durée d’une minute et les réponses à une durée d’une minute et demie. Le greffier lecteur se lèvera 10 secondes avant l’expiration de ces délais. La période des questions sera d’une durée d’une heure.

Le ministère du Travail

La taxe sur le carbone

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Bienvenue, monsieur le ministre.

L’automne dernier, le jour où le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il imposerait la taxe sur le carbone à trois provinces de l’Atlantique, monsieur le ministre, vous avez déclaré : « J’en ai assez que les gens parlent des rigueurs de l’hiver [...] » Vous avez dit que cela alimentait l’anxiété, comme si les gens ne subiraient pas le froid si personne n’en parlait.

Je ne peux imaginer une réponse plus sourde aux préoccupations légitimes des Canadiens de l’Atlantique qui se demandent comment ils pourront se permettre de chauffer leur maison. Votre gouvernement impose davantage de taxes aux Canadiens à un moment où ils peuvent le moins se le permettre, alors qu’ils doivent déjà payer davantage pour l’épicerie, le logement et le transport.

Monsieur le ministre, le directeur parlementaire du budget a déclaré que la plupart des ménages soumis à la taxe sur le carbone de Trudeau connaîtront une perte nette. Reconnaissez-vous cela, monsieur le ministre, ou est-ce une chose dont vous ne voulez pas parler non plus?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Oh, sénateur, je suis heureux d’être de retour. Je vous remercie pour votre question. La citation n’est pas fidèle.

Ce à quoi je faisais référence, c’est au fait d’alimenter la peur et l’anxiété en avançant des idées comme quoi l’hiver sera froid à cause du gouvernement. C’est cela que j’ai dit. Pour être franc, j’ai utilisé une expression populaire dans ma province : « Mes nerfs sont à vif. » Les nerfs des gens sont à vif. Personnellement, je digère mal qu’on se laisse emporter par des formules partisanes qui provoquent une anxiété inutile.

(1430)

En réalité, avec le remboursement de la tarification de la pollution par le gouvernement fédéral, 8 familles sur 10 retireront plus d’argent qu’elles en ont payé. Pour être honnête avec vous, j’ai passé un temps fou à me creuser les méninges, à rédiger des textes à ce sujet et à parler à mon iPhone pour faire passer le message. De toute façon, l’essentiel, c’est que nous voulons tarifer la pollution, et nous voulons nous assurer que ce ne sont pas les familles qui en feront les frais. En d’autres termes, elles seront remboursées. À Terre-Neuve-et-Labrador, les résidants sont sur le point de récupérer un peu plus de 1 100 $ répartis en quatre versements par an. Cet argent sera versé dans leur compte bancaire, ils le recevront directement.

Le sénateur Plett : Je suppose qu’il est bon de savoir que le gouvernement néo-démocrate—libéral n’est pas partisan, monsieur le ministre.

Ma prochaine question sur la taxe sur le carbone vient d’un Terre-Neuvien qui habite dans votre circonscription, mais je crois que votre dernière réponse ne le rassurera guère. Cet aîné à revenu fixe vit à Goulds. Le prix de l’essence, qui s’élève aujourd’hui à 1,64 $ le litre, est déjà inabordable pour les personnes à revenu fixe. Le diésel coûte maintenant 2,23 $ le litre. On peut aisément concevoir dans quelle mesure, à partir du 1er juillet, la population devra payer plus cher quand on lui refilera les coûts de transport des marchandises, ce qui fera augmenter tous les prix. Monsieur le ministre, il semble inutile de vous demander d’éliminer la taxe sur le carbone, puisque vous avez dit être emballé par cette mesure. Encore une fois, je cite exactement ce que vous avez dit, soit que vous étiez emballé. Comment pouvez-vous être emballé à l’idée de causer des ennuis financiers à l’ensemble des résidants de la province, et plus particulièrement aux aînés?

M. O’Regan : Je connais un grand nombre d’aînés à Goulds. Je suis toujours emballé lorsque les contribuables et les citoyens de ma circonscription ont plus d’argent dans leurs poches qu’auparavant. Je préfère toujours remettre de l’argent dans les poches des gens. Voilà la solution. D’ailleurs, pour être plus précis, je devrais peut-être nous renvoyer à la plateforme.

C’est curieux, car de nombreux députés de mon côté de la Chambre ne cessent de répéter que les conservateurs n’avaient pas de solution aux changements climatiques lors de la dernière campagne électorale. En fait, ils en avaient une. Ils ont fait campagne sur une tarification de la pollution. C’était leur solution à ce problème, au lieu de remettre de l’argent dans les poches des contribuables, ce que je préfère. En effet, j’aime remettre de l’argent dans les poches des gens. Les conservateurs voulaient mettre en place une sorte de comité vert qui déterminerait les biens environnementaux que les gens pourraient acheter, à la manière d’un catalogue Amway. Je préfère que le gouvernement ne s’en mêle pas et qu’il remette l’argent directement dans les poches des gens. C’est ainsi que le programme est conçu et qu’il fonctionne.

L’honorable Yonah Martin : Monsieur le ministre, la question suivante vient aussi d’un aîné ayant un revenu fixe. Il vit avec sa conjointe au centre-ville de St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. Récemment, remplir son réservoir de mazout lui a coûté environ 1 000 $. Le 1er juillet, la taxe sur le carbone du gouvernement Trudeau gonflera le prix du mazout de plus de 0,17 $ le litre. À 2,03 $ le litre, remplir un réservoir standard de 900 litres coûtera environ 1 800 $ — une augmentation de 800 $. Il est difficile d’améliorer les vieilles maisons avec les programmes du gouvernement actuel en matière de rénovation domiciliaire et de remplacement de système de chauffage. Les programmes visent à les rendre parfaites, ce qui est impossible. Cet aîné ne peut pas faire appel à ces programmes parce que sa maison ne peut pas arriver à respecter les normes énergétiques du gouvernement.

Monsieur le ministre, on dit parfois qu’il ne faut pas chercher la perfection, car le mieux est l’ennemi du bien. Que ferez-vous pour défendre les Terre-Neuviens et les Labradoriens qui sont aux prises avec cette situation et qui devront bientôt payer beaucoup plus cher pour chauffer leur maison?

M. O’Regan : Merci. Je tiens à préciser à la sénatrice que la province de Terre-Neuve-et-Labrador a déjà mis un prix sur la pollution pour le mazout domestique. C’était dans le cadre d’une entente que nous avons conclue il y a cinq ou six ans. Nous nous sommes maintenant entendus, d’un commun accord, pour qu’elle se serve désormais du filet de sécurité fédéral. Au lieu que ces sommes soient versées dans les recettes générales provinciales, elles seront redonnées aux citoyens.

Comme je l’ai déjà dit, 8 ménages sur 10 récupéreront plus d’argent qu’ils n’en paient actuellement. S’ils doivent payer plus d’argent à cause de la tarification de la pollution, cet argent leur sera remboursé et, dans bien des cas, ils recevront un montant supérieur à ce qu’ils ont payé. Voilà comment cela fonctionnera.

N’oublions pas que, à l’heure actuelle, une taxe est déjà imposée, et que l’argent prélevé est versé dans les recettes générales de la province.

La Loi sur l’équité en matière d’emploi

L’honorable Tony Loffreda : Monsieur le ministre, dans votre lettre de mandat, le premier ministre vous a demandé de travailler avec vos collègues du Cabinet pour accélérer l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi afin de l’améliorer rapidement. Le printemps dernier, j’ai demandé aux représentants du gouvernement qui ont comparu devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales de faire le point sur les travaux du groupe de travail chargé de cet examen. On nous a dit que des consultations étaient en cours avec la fonction publique, le secteur privé sous réglementation fédérale et différents employeurs.

Les représentants ont confirmé qu’ils rassembleraient toutes les informations dans les semaines à venir, que le directeur principal des ressources humaines ferait rapport au groupe de travail le 26 mai et qu’un rapport serait présenté l’automne suivant. Monsieur le ministre, quand pouvons-nous espérer avoir le rapport et les résultats de cet examen du cadre d’équité en matière d’emploi?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Merci, sénateur, de votre question.

Je donne un peu de contexte. Nous travaillons depuis un certain temps déjà à renforcer le cadre législatif pour rendre les lieux de travail plus inclusifs et promouvoir l’égalité par une loi proactive sur l’équité salariale, la transparence salariale et l’accessibilité. De plus, comme vous l’avez mentionné, nous avons créé un groupe de travail indépendant chargé d’effectuer l’examen de la loi le plus complet que nous ayons vu depuis 1986.

Le groupe de travail a terminé ses consultations auprès des parties intéressées, ce qui comprenait la collecte de renseignements statistiques et le témoignage des nombreux groupes ayant fait part de leur vécu, notamment des minorités visibles, des femmes et des personnes handicapées. Le groupe soumettra son rapport au printemps qui vient. Le rapport comprendra des recommandations concrètes, indépendantes et fondées sur des données probantes pour nous permettre de moderniser la loi.

[Français]

Le Programme des travailleurs étrangers temporaires

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Bienvenue, monsieur le ministre.

Un récent documentaire intitulé Essentiels sur les travailleurs étrangers temporaires qui cueillent nos fruits et légumes à la sueur de leur front, dont dépendent nos fermes, a eu beaucoup de retentissement au Québec. On y voit des travailleurs migrants détenteurs d’un permis de travail fermé du gouvernement canadien qui leur interdit de changer d’employeur. Ces travailleurs captifs se retrouvent parfois à la merci de patrons peu scrupuleux, qui ont le pouvoir d’abuser de leur main-d’œuvre.

Comme ministre, vous avez la possibilité de modifier la réglementation pour accorder des permis de travail ouverts qui permettent de changer d’employeur et d’ouvrir une voie à la résidence permanente. Pourquoi ne pas agir en ce sens? C’est une question de droits de la personne.

[Traduction]

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Mon titre peut donner l’impression que j’ai plus de pouvoir que j’en ai en réalité. Pour être précis, cet enjeu ne relève pas de mon ministère. Par contre, en tant que ministre de la Couronne, je peux prendre en considération les décisions qui sont prises. Aurais-je mon mot à dire dans ce dossier? Je vais m’en assurer.

Le gouvernement reconnaît l’importance des travailleurs étrangers temporaires. Ces derniers sont extrêmement importants pour les producteurs et les transformateurs d’aliments. Un certain nombre de ministères travaillent à simplifier les processus afin de faciliter l’entrée en toute sécurité au pays de bon nombre de ces travailleurs. Nous cherchons des moyens de collaborer avec les ministères de l’Agriculture et de l’Immigration, ainsi qu’avec la ministre de l’Emploi, ma collègue Carla Qualtrough, en vue de trouver des façons de nous occuper de ce dossier.

Nous ne voulons pas que les gens qui viennent au pays pour accomplir cet important travail soient vulnérables et sans protection.

La loi sur les travailleurs de remplacement

L’honorable Andrew Cardozo : Merci, monsieur le ministre, d’avoir pris le temps de vous joindre à nous. J’ai quelques brèves questions sur des dossiers importants de votre ministère.

La première porte sur une loi antibriseurs de grève. Pourriez-vous nous dire où en est ce dossier? Votre mesure législative sera-t-elle semblable au projet de loi d’initiative parlementaire d’Alexandre Boulerice, le projet de loi C-302? De plus, en ce qui concerne l’équité en matière d’emploi, pour faire suite à la question de mon collègue, quand prévoyez-vous présenter cette mesure législative, et les groupes cibles seront-ils différents des quatre qui ont été définis par le passé?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Sur le dernier point, je dirai que nous verrons ce qui arrivera lorsque nous recevrons le rapport. Je pense que nous serons fixés peu de temps après.

Pour ce qui est de la question des travailleurs de remplacement, nous nous sommes entendus avec le Nouveau Parti démocratique, le NPD, sur quelques points. L’un d’entre eux concerne les travailleurs de remplacement. Nous nous sommes engagés à présenter une mesure législative à cet égard à la Chambre d’ici la fin de l’année, ce que nous ferons. C’est un engagement que nous avions pris dans notre programme. Nous avons renouvelé cet engagement dans le cadre de notre accord avec le NPD, et nous avons annoncé des consultations à ce sujet à la fin de l’année dernière. C’est ce que j’ai fait avec le sénateur Yussuff et mon collègue néo-démocrate Alexandre Boulerice. Le projet de loi sera différent de celui présenté par mon collègue M. Boulerice ainsi que des autres projets de loi d’initiative parlementaire présentés à la Chambre en ce sens que nous avons mené des consultations tripartites assez exhaustives. Nous avons une forte tradition au Canada, notamment en ce qui concerne la législation du travail, qui consiste à nous réunir avec les entreprises et les employés pour régler la question.

(1440)

Je suis très fier que nous ayons réuni tout le monde pour discuter, surtout en ce qui concerne la question d’interdire les travailleurs de remplacement. J’ai moi-même assisté à ces consultations. Elles ont duré un certain temps. Je les qualifierais de difficiles. Je pensais toutefois qu’elles étaient nécessaires, car il y a des conséquences pour les employeurs et les employés.

L’honorable Percy E. Downe : Merci, monsieur le ministre, et je vous souhaite la bienvenue au Sénat. Nous sommes heureux de vous revoir. J’aimerais revenir sur la dernière question. Les consultations ont pris fin en décembre. Je me demande si vous pourriez nous donner des précisions sur la conclusion ou le consensus qui s’est dégagé de la consultation sur les travailleurs de remplacement.

M. O’Regan : Au cours des prochaines semaines, nous allons publier ce que la fonction publique appelle un rapport Ce que nous avons entendu. Manifestement, nous le communiquerons aux sénateurs. Ensuite, nous commencerons à rédiger le projet de loi et à en déterminer le cadre.

Je dois admettre qu’il n’est pas facile d’atteindre le juste équilibre. Nous avons effectué un travail extraordinaire; pas moi, mais les fonctionnaires. Je leur en attribue tout le mérite. Les fonctionnaires du ministère du Travail sont parmi les fonctionnaires les plus remarquables avec qui j’ai travaillé, en particulier ceux du Service fédéral de médiation et de conciliation.

L’an dernier, quand je suis devenu ministre du Travail, j’étais terrifié par le risque d’arrêt de travail au sein du Canadien Pacifique, du Canadien National, de VIA Rail, de Loomis, de Purolator, de WestJet et d’autres employeurs sous réglementation fédérale et par les répercussions qu’auraient eues de tels arrêts sur nos chaînes d’approvisionnement. Il est incroyablement important de légiférer à ce sujet pour protéger les chaînes d’approvisionnement au pays.

La transition équitable

L’honorable David M. Wells : Je vous souhaite la bienvenue au Sénat, monsieur le ministre.

La question que j’ai à vous poser a trait à vos responsabilités en tant que ministre du Travail et ministre responsable de Terre‑Neuve-et-Labrador, et elle porte sur la transition énergétique. Elle comporte deux volets.

Premièrement, nous entendons beaucoup parler de la transition équitable. Soyons clairs, d’après ce que nous avons entendu de la part du gouvernement, le premier volet de cette transition équitable consiste à éliminer progressivement l’industrie pétrolière et gazière. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela serait équitable pour les gens de Terre-Neuve-et-Labrador qui travaillent sur les plateformes extracôtières, pour les fournisseurs intracôtiers qui ont suivi une formation afin d’apprendre leur métier et de faire un travail bien rémunéré qui permet à leurs familles de faire des économies, ce qui contribue à la vitalité de nos collectivités et même à garnir les coffres de notre province? Voilà pour le premier volet.

Deuxièmement, j’aimerais parler d’une déclaration de l’un de vos collègues du Cabinet, le ministre associé des Finances Randy Boissonnault, qui a dit que cette mesure coûtera entre 100 et 125 milliards de dollars par année jusqu’en 2050.

Étant donné que le Canada produit 1,5...

Son Honneur le Président : Le ministre O’Regan a la parole.

Le sénateur Wells : Il s’agit des émissions et du coût.

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Eh bien, là est la question, n’est-ce pas? Il s’agit d’émissions, monsieur le sénateur. C’est bien des émissions qu’il s’agit. Toute cette question concerne les émissions. Je suis entièrement d’accord avec vous sur ce point. Je ne supporte pas l’expression « transition équitable ». Je le répète depuis des années. « Transition équitable » est une expression que les travailleurs détestent et que les résidants de ma circonscription n’aiment pas. Je ne l’aime donc pas non plus. À tout le moins, nous avons essayé au sein de la fonction publique et entre nous d’utiliser l’expression « emplois durables ».

Il ne s’agit pas d’éliminer progressivement l’industrie pétrolière et gazière, qui nous accompagnera encore pendant un certain temps, et je dirais même qu’elle le fera la tête haute. Je suis fier de ce que nous avons accompli au pays et de ce que les travailleurs ont accompli. Il y a 30 ou 40 ans, on a demandé aux travailleurs de la Saskatchewan et de l’Alberta de trouver le moyen d’extraire le pétrole du sable, et, ma foi, ils y sont parvenus. Nous sommes le quatrième plus grand producteur de pétrole et de gaz du monde. C’est un exploit remarquable.

Comme le sénateur le sait bien, par chez moi, ExxonMobil a déclaré qu’il n’existe pas d’environnement plus difficile dans le monde pour l’extraction du pétrole que l’Atlantique Nord à la hauteur de Terre-Neuve-et-Labrador. Ce que nous en sommes venus à faire en tant que gouvernement — et je le reconnais, honorables sénateurs —, c’est d’isoler à l’occasion — et même souvent — les personnes dont nous avons besoin pour réduire les émissions et développer les énergies renouvelables, c’est-à-dire les travailleurs de cette industrie.

Mon travail, c’est de veiller à ce que... J’ai besoin qu’il y ait plus de travailleurs dans l’industrie pétrolière et gazière, et non pas moins. Nous avons besoin de plus de travailleurs. Notre pays a une mission parce que le monde nous regarde. Nous avons les ressources naturelles et l’expertise pour réduire les émissions, développer les énergies renouvelables et accroître la prospérité au Canada sans que les contribuables aient à en payer le prix. Voilà le défi qui se présente à nous.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, monsieur le ministre, mais votre temps de parole est écoulé.

Les consultations avec les provinces

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le ministre, votre lettre de mandat indique que vous devez « [t]ravailler avec le ministre des Ressources naturelles pour favoriser l’adoption d’un projet de loi et de mesures exhaustives pour assurer une transition équitable ». Vous avez dit que cette expression ne vous plaît pas, tout comme la « Justinflation ». Je reprends ce que dit la lettre de mandat : « Ce travail s’appuiera sur les consultations menées auprès de travailleurs, de syndicats, de peuples autochtones, d’employeurs, de communautés, de provinces et de territoires [...] »

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quelles consultations vous avez menées auprès des provinces, plus particulièrement de l’Alberta et de la Saskatchewan? Serez-vous à l’écoute des provinces productrices de pétrole et de gaz, et réserverez-vous à cette notion ridicule de transition équitable le traitement qu’elle mérite en la jetant à la poubelle?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : C’est une bonne question, monsieur le sénateur. Je ne suis pas sûr de comprendre le lien à faire avec ma dernière réponse, qui m’a semblé on ne peut plus claire. Je suis député d’une province qui produit du pétrole et du gaz. Je suis député — trois fois élu, devrais‑je ajouter — d’une province productrice de pétrole. Je suis parfaitement conscient des défis à relever. Je suis également très conscient de la prospérité qui en découle. Nous allons donc travailler avec l’industrie et les syndicats. Pour répondre plus précisément à cette question, je me suis rendu en Alberta sans en faire état — à la différence de certains de mes collègues, je ne apporte pas tout ce que je fais sur Twitter — pour rencontrer Gil McGowan, qui est devenu ce que j’appellerais un ami, de la Fédération du travail de l’Alberta, ainsi que les opérateurs‑ingénieurs.

Il y a eu beaucoup de discussions, parce que j’ai fait l’erreur stupide de partir en vacances et qu’à mon retour, il y avait une quantité incroyable de manchettes sur la transition équitable en Alberta. J’ai donc pris l’avion pour faire savoir à tous que nous poursuivons ce travail et cette mission. Nous sommes convaincus que l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador peuvent être des leaders mondiaux dans ce domaine.

Je peux vous dire avec fierté que, dans ma province, ils ont compris le message et que nous progressons. Nous sommes déterminés à réduire les émissions là où c’est possible, tout comme de très nombreux travailleurs du secteur pétrolier et gazier que je rencontre et des représentants de l’industrie, qui savent dans quelle direction va la rondelle et sont déterminés à la suivre.

La pénurie de main-d’œuvre

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia : Merci, monsieur le ministre, d’être ici aujourd’hui.

Le Canada doit composer avec une pénurie sans précédent de médecins, d’infirmiers et de nombreux autres professionnels de la santé. Dans notre province, Terre-Neuve-et-Labrador, le gouvernement provincial a récemment annoncé de nouvelles mesures pour recruter des infirmiers autorisés formés à l’étranger qui peuvent pouvoir les postes vacants dans le secteur de la santé. Il a également présenté une mesure législative qui simplifiera le processus d’octroi de permis d’exercice de la médecine.

En tenant compte de la division des pouvoirs entre les provinces et territoires, pouvez-vous parler des mesures que le gouvernement du Canada prend pour remédier aux graves pénuries de main‑d’œuvre dans le secteur de la santé et d’autres secteurs?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. La clé réside toujours dans le fait qu’il faut respecter les compétences provinciales.

Je suis un produit de mon premier emploi. J’ai travaillé pendant cinq ans pour le gouvernement provincial de Terre-Neuve-et-Labrador. Lorsque je suis arrivé au ministère des Ressources naturelles, ma collègue de l’Alberta à l’époque, Sonya Savage, m’a immédiatement appris ce qui était de compétence provinciale et de compétence fédérale. Toutefois, comme j’étais là au début du projet Hibernia, je savais très bien qu’il fallait être très prudent lorsqu’il était question de compétences, notamment dans les domaines comme la santé.

Je crois que je dois faire très attention à ce que je dis à propos de ce qui se passe actuellement compte tenu de la somme proposée par le premier ministre aux premiers ministres provinciaux et de ce que fait le ministre des Affaires intergouvernementales pour conclure des ententes bilatérales et collaborer avec chaque province.

Toutefois, je peux vous dire que, compte tenu de la pénurie de professionnels de la santé qui touche actuellement le système, trouver des moyens de permettre aux gens de circuler à l’intérieur du Canada et de reconnaître les titres de compétence étrangers fait partie des grandes priorités des négociations que je m’apprête à entamer.

La transition équitable

L’honorable Mary Coyle : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre. C’est un plaisir de vous revoir.

Monsieur le ministre, votre lettre de mandat, dont il a brièvement été question, vous demandait de collaborer avec d’autres ministres afin d’élaborer des mesures législatives et de lancer des initiatives pour réaliser une transition équitable, en veillant à assurer l’avenir et le gagne-pain des travailleurs et de leurs collectivités dans le cadre de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. En avril dernier, le Bureau du vérificateur général a publié un rapport sur cette transition qui a mis en évidence que les ministères fédéraux n’avaient pas conçu adéquatement les programmes et les prestations destinés à soutenir les travailleurs du charbon et leurs collectivités dans le cadre de l’élimination progressive de la production d’électricité à partir de charbon.

(1450)

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire comment le gouvernement réagit à ce rapport et aux recommandations de la vérificatrice générale? De plus, quelles leçons pouvons-nous tirer de celui-ci en ce qui concerne d’autres secteurs?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Comme vous le savez bien, le sénateur Yussuff a été très actif dans le dossier de la transition vers l’élimination du charbon.

Il y a une différence importante et fondamentale, c’est-à-dire que le charbon est éliminé partout. Il n’est pas seulement éliminé au Canada, mais nous voulons qu’il le soit partout dans le monde, ce qui n’est toutefois pas possible dans les pays qui n’ont pas d’autre choix. Au Canada, en attendant, nous avons des solutions de rechange — et ce, depuis un certain temps — qu’il s’agisse des combustibles fossiles, de l’hydroélectricité ou de l’énergie nucléaire. C’est la grande différence.

Ce message est très embrouillé et politisé. J’ai appris au cours de mon mandat de ministre des Ressources naturelles que le plus important est de se concentrer sur une seule chose, à savoir la réduction des émissions. Tout le reste n’est que du bruit; tout le reste peut devenir une distraction.

Notre objectif est double. Nous devons réduire les émissions comme fin en soi, mais nous devons aussi les réduire parce que, sur le plan de la concurrence, ce qui placera notre produit et nos combustibles fossiles dans une bien meilleure position dans le monde. En effet, le monde cherche maintenant non seulement des sources bon marché, mais aussi des sources à plus faibles émissions.

La Loi sur l’équité en matière d’emploi

L’honorable Wanda Thomas Bernard : Ministre O’Regan, je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Deux de mes collègues vous ont posé des questions au sujet de l’équité en matière d’emploi, ce que je prévoyais faire aussi. J’ai donc une question de suivi toute simple aux questions des sénateurs Loffreda et Cardozo.

De nombreux groupes qui méritent l’équité me demandent pourquoi le groupe de travail tarde tant à remettre son rapport. Pouvez-vous nous dire ce qui cause ce retard?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Non, outre le fait que le groupe de travail a demandé plus de temps pour parvenir à ses conclusions et rédiger son rapport. J’ai donc cru prudent de le leur accorder une fois la demande faite.

Je suis conscient que beaucoup de collectivités du pays attendent ce rapport avec impatience. Par ailleurs, comme je l’ai dit, je crois qu’il n’y a pas eu de changements importants depuis 1986.

Madame la sénatrice, je conviens que la ligne est mince. Je crois que l’impatience est une vertu, et n’ai pas perdu ma vertu pendant mes sept années en tant que député. Il faut toutefois accorder à ces groupes le temps nécessaire pour bien faire les choses. J’essaie de trouver ce temps en ce moment. On me dit maintenant que j’aurai le rapport d’ici ce printemps.

La sénatrice Bernard : Nous avons hâte de lire ce rapport au printemps. Merci.

M. O’Regan : Merci, madame la sénatrice.

La transition équitable

L’honorable Percy E. Downe : Ma question porte sur l’incidence de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, que d’autres ont soulevée également. Évidemment, les conséquences de cette transition se feront sentir dans toute l’économie.

Comme vous le savez, dans le cadre de l’Accord de Paris, dont le Canada est signataire, nous devons nous employer à créer du travail décent et des emplois de qualité. Monsieur le ministre, comment votre ministère — et le gouvernement en général — propose-t-il de favoriser la croissance de ces emplois bien rémunérés durant la transformation de l’économie?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Il y a aussi l’expression « transition équitable ». La transition équitable a été pensée par le mouvement syndical lui‑même. C’est un terme tellement dérangeant. Il embrouille le message pour tant de gens et cause tellement d’anxiété inutilement. En fait, ce terme nous fait reculer chaque fois qu’il est utilisé.

Dans les médias, nous avons aussi vu le terme « travail décent ». Le mot « décent » peut être interprété de deux manières. Les mots sont importants. Nous travaillons tous dans la sphère publique, dans le monde de la politique. Pour les Européens et ceux qui parlent français, un travail décent, selon moi, c’est très positif, c’est avoir de bonnes conditions. Toutefois, à Terre-Neuve-et-Labrador, si par un jour de temps gris et brumeux vous demandez quel temps il fait dehors et que l’on vous répond « decent », cela signifie que la météo est passable, sans plus.

Par conséquent, quand on a commencé à parler de « travail décent », pour certains cela voulait dire « correct ».

Je vous le dis, il y a une vérité indéniable : ceux qui ont bâti cette industrie avec leur savoir-faire, leur audace, leur flair et leur courage, ce sont les travailleurs. Donc, il est primordial de tenir compte des besoins des travailleurs en ce qui concerne la formation qu’ils jugent nécessaire. Dans bien des cas, cela ne veut pas dire qu’ils devront quitter l’industrie.

Personne dans cette enceinte — sûrement dans toute la ville d’Ottawa — ne sait où il faut resserrer les vis d’un pipeline pour éviter une fuite de méthane. C’est de ce genre de travail dont il est question.

Quand la pandémie a éclaté alors que j’étais ministre des Ressources naturelles, ce sont tout d’abord les travailleurs qui m’ont préoccupé, plus précisément la possibilité qu’ils quittent l’industrie et non qu’ils passent à une autre industrie. Nous avons tellement à faire dans le secteur pétrolier et gazier. C’est ce qui nous a amenés à concevoir un programme axé sur les puits orphelins et abandonnés et, à Terre-Neuve, au fonds de 400 millions de dollars pour une économie à faibles émissions de carbone.

Il faut conserver ces travailleurs.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, monsieur le ministre, mais votre temps de parole est écoulé.

Le Crédit d’impôt pour prolongation de carrière

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Je vous remercie, monsieur le ministre. Selon sa lettre de mandat, votre collègue la ministre Freeland est censée créer, avec votre appui, un crédit d’impôt pour prolongation de carrière d’au plus 1 650 $ pour les aînés. Il s’agit d’une promesse faite par votre gouvernement pendant la campagne électorale de 2021, comme vous le savez. Beaucoup de gens s’attendaient à voir ce crédit d’impôt dans le budget de l’an dernier, mais le gouvernement s’est contenté de promettre de collaborer avec des experts sur le rôle qu’un tel crédit d’impôt pourrait jouer afin de stimuler la participation à la population active des aînés qui veulent continuer à travailler plus tard dans leur vie.

Monsieur le ministre, depuis le dépôt du budget de 2022, avez‑vous collaboré avec des experts au sujet de la création de ce crédit d’impôt, et, si oui, qui avez-vous rencontré? Y a-t-il eu des discussions formelles avec des parties prenantes? Si ce n’est pas le cas, pourquoi? S’il y en a eu, y avez-vous participé? Où en est cette promesse qui a été faite aux aînés?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Madame la sénatrice, avec tout le respect que je vous dois, je devrai revenir avec des réponses aux cinq questions, je crois, que vous avez posées. Nous y répondrons très prochainement.

La pénurie de main-d’œuvre

L’honorable Paula Simons : Monsieur le ministre, l’industrie du transport aérien, comme le savent ceux d’entre nous qui prennent souvent l’avion, connaît une énorme pénurie de main-d’œuvre. Il y a une pénurie de pilotes, de personnel au sol, d’agents de service aux passagers et de contrôleurs aériens.

Des gens du secteur m’ont dit, entre autres, qu’il est très difficile de trouver des effectifs, en particulier des pilotes et des contrôleurs aériens, parce que la formation est longue, compliquée et pas du tout financée. Il n’y a pas d’université, de bourses d’études ou de possibilité d’accéder à des prêts étudiants.

Quelles mesures votre ministère prend-il, le cas échéant, pour que davantage de Canadiens acquièrent les compétences nécessaires pour occuper ces emplois?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Je suis très fier de répondre à cette question en tant qu’ancien directeur exécutif de la Goose Bay Airport Corporation et d’ancien bagagiste à l’aéroport de Goose Bay, dont le code est YYR. Cet emploi m’a permis de payer mes études. Chaque fois que mon avion atterrit à temps dans un aéroport, mais qu’il me faut 40 minutes avant d’arriver à la barrière, je pense immanquablement au personnel de piste. J’imagine que de nombreux sénateurs ici aujourd’hui ont probablement vécu la même expérience. Cette lenteur est attribuable à une pénurie de personnel de piste. Ces gens travaillent dur.

À Goose Bay, comme j’étais au milieu de la rampe, je n’ai pas été dévoré par les mouches noires. J’ai été épargné à cet endroit. Néanmoins, j’ai appris à ne jamais me plaindre de la chaleur au Labrador en été, parce que tous mes collègues devaient travailler dehors en hiver.

Les équipes de piste travaillent à l’extérieur. Ces gens-là ne peuvent jamais trop s’habiller. Ils font un travail dur. De nombreux travailleurs de l’industrie aérienne sont partis travailler dans les entrepôts d’Amazon et ailleurs où ils touchent un salaire comparable, si ce n’est supérieur et assorti d’avantages sociaux. Je pense que le marché n’a pas retrouvé un nombre suffisant de ces travailleurs essentiels extraordinaires.

Cette situation pose problème. Je dois cependant reconnaître que je ne me suis pas penché sur le problème en tant que ministre, mais je vais en faire part au ministre des Transports. Le gouvernement doit en faire nettement plus en ce qui concerne tous les enjeux dont vous avez fait mention.

[Français]

La loi sur les travailleurs de remplacement

L’honorable Pierre J. Dalphond : Bienvenue au Sénat, monsieur le ministre. Ma question porte sur un sujet que vous avez déjà abordé, soit les lois anti-briseurs de grève. Je comprends que les consultations sont terminées. Vous aviez indiqué en octobre qu’elles se termineraient en décembre.

Ma question est précise. Vous allez sans doute vous inspirer de l’expérience du Québec et de la Colombie-Britannique, mais envisagez-vous d’interdire à la fois le remplacement des employés qui travaillent dans l’entreprise de l’employeur de même que la sous-traitance chez des tiers, comme on l’a vu dans certains conflits où, au lieu d’engager des briseurs de grève, on délègue en sous‑traitance le travail à des entreprises externes?

[Traduction]

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Sénateur, nous sommes loin de là.

Sur la question des briseurs de grève, je reviens sur le bilan remarquable de mon équipe au Service fédéral de médiation et de conciliation. Plus vous pouvez garder les gens concentrés à la table de négociation, et non à d’autres choses, mieux c’est. Ce que nous avons appris, ce sont les effets durables et extrêmement marquants et émotifs du recours à des briseurs de grève ou à des travailleurs de remplacement. Cela peut envenimer un milieu de travail pendant des années, voire des décennies. Quand on a recours à ces solutions, l’agitation émotionnelle qui en découle et le temps nécessaire pour coordonner le tout détournent les gens de la table et d’une possible solution. C’est là où je veux en venir.

(1500)

Je veux que nos chaînes d’approvisionnement soient sûres et stables. Je ne veux pas de nouvelles perturbations. Il sera crucial que ce projet de loi et ses éventuels règlements soient bien conçus. À un moment donné, les sénateurs ici présents auront un rôle à jouer à cet égard, et je veux bien vous faire comprendre que la stabilité à la table de négociation signifie la stabilité de nos chaînes d’approvisionnement. Si je peux faire en sorte que les syndicats, l’industrie et les entreprises se concentrent à parvenir à un accord durable, tant mieux. Je ne pense pas qu’aller chercher des ressources de tierces parties fasse partie de la solution.

L’équité salariale

L’honorable Rebecca Patterson : Monsieur le ministre, j’aimerais vous poser une question sur la Loi sur l’équité salariale. Nous savons qu’aux termes de cette loi, les employeurs ont jusqu’au 3 septembre 2024 pour publier leurs plans d’équité salariale. Cela signifie qu’environ 4 600 employeurs disposent maintenant de moins d’un an pour se doter de ces plans.

Dans son premier rapport annuel publié en août dernier, la commissaire à l’équité salariale a constaté que le nombre de demandes d’employeurs souhaitant obtenir davantage de renseignements n’a cessé d’augmenter tout au long de l’année.

Compte tenu des observations de la commissaire, êtes-vous convaincu que les employeurs disposent de suffisamment de temps pour élaborer des plans complets d’équité salariale, notamment en raison des perturbations liées à la pandémie depuis l’entrée en vigueur de la loi et compte tenu du fait que le travail mérite d’être rémunéré à sa juste valeur?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : C’est exact, la Loi sur l’équité salariale est entrée en vigueur en 2021. Nous avons nommé la commissaire à l’équité salariale pour la faire appliquer.

La Loi sur l’équité salariale demande aux employeurs de prendre des mesures proactives afin d’offrir une rémunération égale pour l’exécution d’un travail de valeur égale. Cette loi a amorcé un changement majeur dans la façon de garantir l’équité salariale dans les lieux de travail assujettis à la réglementation fédérale. La commissaire fédérale à l’équité salariale du Canada veille à son administration et à son application, avec l’appui de l’Unité de l’équité salariale de la Commission canadienne des droits de la personne.

Pour répondre plus directement à votre question, c’est un dossier complexe, comme la sénatrice peut certainement le reconnaître. Il nous faut du temps pour faire les choses comme il faut. Nous avons donc créé un cadre pour les entreprises assujetties à la réglementation fédérale afin d’établir les exigences concernant l’élaboration des plans d’équité salariale et les ajustements qu’il faudra commencer à apporter aux salaires.

Selon moi, le principe fondamental, c’est qu’il est préférable d’agir sur le terrain. Ceux qui, comme moi, ont travaillé au gouvernement provincial et viennent d’une petite ville du Labrador n’aiment pas que le gouvernement s’ingère trop dans leurs affaires. Dans ma jeunesse, au Labrador, le gouvernement qui se mêlait de nos affaires était à St. John’s et non à Ottawa. Plus les solutions sont proches de la réalité sur le terrain, mieux c’est.

La transition équitable

L’honorable Marty Klyne : Monsieur le ministre, comme nous le savons, alors que toutes les provinces et les villes visent à réduire leurs émissions de 40 à 45 % sous le niveau de 2005, bon nombre d’entre elles opteront pour l’élimination graduelle des centrales au charbon, comme la Saskatchewan s’est engagée à le faire. À cet égard, nous devons être prêts à mobiliser et à préparer une main‑d’œuvre en vue de l’économie à faibles émissions de carbone.

Que fait le gouvernement actuel pour assurer un bel avenir aux travailleurs du secteur de l’énergie et pour montrer le côté positif de cette transition équitable, c’est-à-dire les compétences transférables qui permettront aux Canadiens de l’Ouest d’occuper des emplois bien rémunérés et stables dans une économie à faibles émissions de carbone, ce qui n’est pas le cas actuellement?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Si on utilise des guillemets gestuels pour parler de « transition équitable », je ne sais pas si cela paraîtra dans le hansard.

Écoutez, les travailleurs ne se retrouveront pas dans un environnement de travail à faibles émissions de carbone, ce sont eux qui créeront cet environnement. Ce sont eux qui seront à la tête de ce mouvement. Permettez-moi de finir de répondre à une question qui m’a été posée plus tôt.

Quand j’ai des discussions avec les dirigeants syndicaux en Saskatchewan, en Alberta et à Terre-Neuve-et-Labrador, je constate qu’ils sont fermement aux commandes. Par exemple, nous avons doublé les fonds consacrés au Programme pour la formation et l’innovation en milieu syndical pour les centres de formation en milieu syndical, et je serais très favorable à d’autres augmentations de financement. Autrement dit, je veux qu’ils signalent où il serait possible de réduire les émissions et de développer les énergies renouvelables. C’est cela que nous faisons. C’est ce qui se produira avec les travailleurs du secteur de l’énergie et avec les gens de l’industrie, et je crois que nous devons mobiliser plus de personnes.

Nous devons renforcer le captage du carbone. Honnêtement, nous avons conclu d’excellents accords avec les gouvernements de l’Alberta, de la Saskatchewan et, certainement, de Terre-Neuve-et-Labrador.

L’industrie se rallie également à cette transition. Je suis fier de mentionner que l’association de l’industrie de Terre-Neuve-et-Labrador, qui s’appelait anciennement la Newfoundland & Labrador Oil & Gas Industries Association, ou Noia, s’appelle maintenant Energy NL. Non seulement elle soutient complètement le pétrole et le gaz et s’en fait la championne, comme elle l’a toujours fait, mais elle adopte maintenant l’hydrogène, hydroélectricité et tout ce qui se trouve entre les deux. Elle comprend que ces formes d’énergie se complètent. Voilà la façon de voir les choses. Voilà la façon de procéder.

Je suis très fier des gens de ma province. Je pense que dans mon coin de pays, nous voyons le monde de façon très pratique. C’est dans cette direction que le monde s’en va et nous voulons être à l’avant-garde de cette transition.

Le protectionnisme commercial

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le ministre, mardi, dans son discours sur l’état de l’Union, le président Biden a promis une autre série de politiques privilégiant l’achat de produits américains, accompagnée de nouvelles normes qui exigeront que tous les matériaux de construction utilisés dans les projets d’infrastructure fédéraux proviennent des États-Unis. Le groupe commercial Manufacturiers et Exportateurs du Canada estime qu’il s’agit d’une mauvaise nouvelle pour le secteur manufacturier canadien et les chaînes d’approvisionnement intégrées de l’Amérique du Nord. Le groupe réclame une intervention ferme en guise de protestation afin de protéger l’accès canadien aux marchés publics américains.

Monsieur le ministre, depuis les déclarations protectionnistes du président Biden plus tôt cette semaine, quelles mesures précises le gouvernement ou vous-même avez-vous prises pour lutter contre cette menace la plus récente à l’endroit des emplois canadiens? Vous êtes-vous entretenu avec votre homologue américain? Avez‑vous consulté les syndicats, notamment les syndicats de travailleurs des métiers de la construction qui représentent des travailleurs dans les deux pays?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Pas depuis le discours sur l’état de l’Union, je dois l’admettre, sénateur, mais je communique régulièrement avec mon collègue le secrétaire Walsh, qui, d’après CNN, serait bientôt nommé à la direction de l’Association des joueurs de la LNH. J’espère seulement que l’invitation qu’il m’a envoyée pour le défilé de la Saint-Patrick, à Boston, tient toujours. Nous entretenons une excellente relation.

Pour être honnête avec vous, sénateur, je crois que vous avez soulevé un excellent point : les syndicats seront de précieux alliés. Ils forment une confrérie transfrontalière. Je peux vous dire que, avec le stress et les contraintes provoqués par la COVID et l’obligation de traiter avec l’administration Trump, j’avais des alliés avant même d’envisager de devenir ministre du Travail. J’ai trouvé des alliés au sein des syndicats parmi les opérateurs et les ingénieurs, entre autres, qui travaillaient sur les mêmes dossiers que nous, sénateur, comme la réalisation du pipeline Keystone XL ou encore de la canalisation 5.

Ces relations sont extrêmement importantes parce que l’administration actuelle relève la barre quant à sa position à l’égard des travailleurs et des syndicats aux États-Unis et — ce qui est remarquable — à l’égard de la Inflation Reduction Act, qui pourrait être l’une des mesures législatives les plus déterminantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Cette situation diffère grandement de celle qui existait lorsque je traitais avec l’administration Trump. Je peux vous dire qu’il m’était alors très difficile de voir les entreprises canadiennes confrontées à une baisse des exigences alors que c’est le contraire maintenant. C’est un bon problème à avoir, mais il pose un grand défi, je le reconnais, car nous devons protéger les intérêts des travailleurs canadiens lorsque nous traitons avec notre plus important partenaire commercial.

L’équité salariale

L’honorable Rebecca Patterson : Merci, monsieur le ministre. J’aimerais poser une question complémentaire sur la Loi sur l’équité salariale.

Nous savons que certaines personnes sont plus touchées que d’autres par l’équité salariale, et ce sont généralement celles qui travaillent à salaire moindre. Les personnes qui touchent ces taux de rémunérations tendent à appartenir majoritairement à des groupes en quête d’équité et elles vivent de façon très précaire à cause de cela.

Sachant qu’il faudra un certain temps pour traiter au moins les 4 600 demandes — et les autres — qui seront présentées par les employeurs et reconnaissant qu’un plan doit être élaboré avant que la rémunération ne soit contestée ou rendue égale, est-ce que le processus d’évaluation accordera la priorité aux employeurs qui embauchent des groupes d’employés se situant plus traditionnellement dans le bas de l’échelle et étant plus largement composés d’autres groupes en quête d’équité?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : D’emblée, sénatrice, je vais obtenir une réponse plus détaillée que celle que je suis en mesure de vous donner pour l’instant. Comme je l’ai dit, nous sommes déterminés à réduire l’écart salarial entre les sexes et à accroître l’égalité financière dans le milieu de travail.

En 2018, nous avons versé 3 millions de dollars sur cinq ans afin de mettre en place la transparence salariale pour les employeurs du secteur privé assujettis à la réglementation fédérale. Nous poursuivrons nos efforts pour soutenir les femmes sur le marché du travail, surtout grâce à la loi sur l’équité salariale et la transparence salariale, et grâce à l’éducation préscolaire et aux services de garde d’enfants au Canada, ainsi qu’au bon travail que nous avons fait avec les provinces dans ce dossier. Je pense que cela aura un effet énorme.

C’est avec plaisir que je vous reviendrai avec des réponses précises à ces questions.

[Français]

L’honorable Amina Gerba : Selon des données de Statistique Canada diffusées en janvier 2023, le revenu d’emploi des diplômés racisés était moins élevé que celui des diplômés non racisés deux ans après l’obtention du baccalauréat.

Par exemple, chez les femmes, les diplômées asiatiques occidentales gagnaient 16 % de moins, et les diplômées arabes, 15 % de moins comparativement aux femmes non racisées. Chez les hommes, ce sont les diplômés noirs, asiatiques du Sud-Est, philippins, chinois et coréens qui enregistraient les revenus d’emploi les moins élevés, soit de 11 à 13 % de moins que leurs homologues non racisés.

(1510)

Monsieur le ministre, que fait le gouvernement pour assurer une meilleure inclusion et l’équité dans les processus de recrutement des diplômés racisés dans notre pays?

[Traduction]

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Sénatrice, je vous présente mes excuses, j’aimerais que mon niveau de français soit assez avancé sur ce sujet pour pouvoir répondre dans la langue dans laquelle vous m’avez posé votre question.

Laissez-moi simplement dire que pour répondre à cette question, je vous reviendrai avec des renseignements détaillés sur ce que nous faisons exactement. Je pense que tout le monde s’entend sur l’objectif à atteindre et que personne ne le conteste. J’aimerais toutefois obtenir une réponse plus détaillée sur la façon précise dont nous prévoyons l’atteindre, mis à part évidemment l’équité en matière d’emploi et les autres rapports et mesures législatives sur lesquels nous travaillons.

Je vous reviendrai là-dessus.

La taxe sur la bière

L’honorable Yonah Martin : Monsieur le ministre, la semaine dernière, la Canadian Union of Brewery and General Workers a envoyé au premier ministre et à la ministre Freeland une lettre au sujet de la hausse de 6,3 % basée sur l’inflation de la taxe fédérale sur la bière, qui devrait entrer en vigueur automatiquement le 1er avril. Cette lettre dit en partie ceci :

Nous nous dirigeons vers une récession et le gouvernement fédéral doit éviter d’aggraver la situation. Il ne peut appliquer aveuglément des politiques qui font grimper les prix et alimentent l’inflation. Or, c’est exactement ce que fera cette hausse de 6,3 % de la taxe fédérale sur la bière.

Monsieur le ministre, qu’avez-vous à dire aux 350 travailleurs syndiqués de la brasserie Molson Coors de Toronto, qui doivent s’inquiéter au sujet de leur sécurité d’emploi à cause des lourdes taxes imposées par le gouvernement Trudeau? Comment cette hausse massive va-t-elle aider les Canadiens qui travaillent dans le secteur des brasseries et des boissons alcoolisées à conserver leur emploi?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Sénatrice, avec tout le respect que je vous dois, je dois d’abord vous dire que ce n’est pas mon domaine de responsabilité. Je n’ai pas de réponse précise et préparée pour vous, si ce n’est que personne ne souhaite que cette industrie subisse des dommages, elle qui fait véritablement la fierté de notre pays et qui, si je me fie au nombre de microbrasseries qui voient le jour un peu partout dans ma province, est en pleine croissance. De deux choses l’une — je présume que vous le savez déjà —, soit les travailleurs feront les frais de la rationalisation des activités, soit la hausse des coûts sera refilée aux consommateurs. Aucune de ces options n’est particulièrement réjouissante.

Je n’ai pas de réponse toute prête à votre question, mais je vais m’informer auprès du cabinet de la ministre des Finances. Je peux toutefois vous dire que je suis au courant de cette lettre.

[Français]

Les contrats de services

L’honorable Pierre J. Dalphond : Monsieur le ministre, j’ai une question, qui concerne cette fois-ci le domaine fédéral, pour les aéroports. Il y a eu des remplacements de fournisseurs de services dans les secteurs du nettoyage et de la sécurité. Lorsque ceux-ci sont remplacés, le nouveau contractant réengage les gens, mais en ne leur offrant pas les mêmes conditions de travail parce qu’il n’y a pas de continuation d’entreprise. Est-ce que cette situation a été corrigée? Je crois que oui, parallèlement à la réglementation, et sinon, est-ce que cela va bientôt être fait?

[Traduction]

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Sénateur, je pense que vous parlez du transfert de contrats.

[Français]

Oui, on a modifié le Code canadien du travail afin d’étendre la protection d’égalité de paiements aux travailleurs lorsque le contrat passe à un nouvel employeur. Cela va permettre de s’assurer que les travailleurs touchés par un nouvel appel d’offres ne soient pas moins payés que ce qui était prévu dans leur convention collective précédente pour un travail identique ou similaire. Cela offre plus de sécurité et une meilleure protection aux travailleurs. Je vous remercie pour la question.

[Traduction]

La loi sur les actions syndicales

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le ministre, le gouvernement fédéral négocie avec la quasi-totalité des syndicats, qui représentent plus de 300 000 fonctionnaires au total. Or, certains de ces syndicats ont des exigences manifestement démesurées, qui feraient grimper le déficit de plusieurs milliards de dollars, comme l’a indiqué le Conseil du Trésor. Le gouvernement et les syndicats se dirigent tout droit vers une impasse. Les Canadiens devraient se préparer à la pire grève de l’histoire du Canada.

En tant que ministre du Travail, pensez-vous que le gouvernement devrait déposer un projet de loi pour éviter une grève à titre préventif? Ou alors, si vous décidez de laisser les Canadiens se faire prendre en otage au cours d’une éventuelle grève de la fonction publique, combien de temps pensez-vous que le gouvernement devrait attendre avant de déposer un projet de loi de retour au travail?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : C’est probablement la série de questions la plus tendancieuse que j’ai entendue de toute ma carrière. Il n’est absolument pas question, sénateur, que j’en commente le moindre élément. Très respectueusement — je crois que vous comprenez pourquoi —, je respecte la table de négociations. Depuis que j’occupe mes fonctions, j’ai appris à me mordre la langue. Ce n’est pas facile pour un Terre-Neuvien, mais je le fais parce que je veux arriver à un accord. Si les gens souhaitent un accord, ma tâche, c’est de me taire et de les laisser conclure un accord.

J’espère que personne n’aura à se préparer à quoi que ce soit. Je connais évidemment les parties qui sont des deux côtés de la table. Je précise, à l’intention des sénateurs, qu’en fait, ces négociations ne relèvent pas de ma compétence, malgré mon titre. Elles relèvent plutôt de la présidente du Conseil du Trésor, qui se trouve d’un côté de la table de négociations. L’Alliance de la fonction publique du Canada, dirigée par Chris Aylward, un fier Terre-Neuvien, se trouve de l’autre côté. Les meilleures ententes se concluent à la table. Elles ne viennent pas des paroles tombées des lèvres du ministre du Travail, même s’il les a prononcées dans cette auguste Chambre.

La transition équitable

L’honorable David M. Wells : Merci, monsieur le ministre O’Regan. Je vais passer à la deuxième partie de ma question précédente. Elle concerne vos fonctions de ministre régional. Votre collègue du Cabinet Randy Boissonnault, ministre associé des Finances, a déclaré que la transition — ou l’abandon progressif — de l’industrie pétrolière coûtera de 100 à 125 milliards de dollars par année jusqu’en 2050, étant donné que les émissions de dioxyde de carbone du Canada ne représentent que 1,5 % des émissions mondiales; seulement 1,5 %. Essentiellement, si le Canada disparaissait de la carte, l’effet sur les émissions mondiales serait nul. Où diable une telle dépense a-t-elle un sens à quelque échelle que ce soit?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Je ne peux pas répondre directement à cette citation, mais je peux affirmer que nous n’avons jamais produit autant de pétrole que maintenant. On ne peut le nier. La prospérité que le secteur apporte à tout le pays est un fait. Le changement climatique est aussi un fait, de même que la compétitivité future de l’industrie.

Alex Pourbaix... Je suis en contact avec M. Pourbaix, le PDG de Cenovus, à Calgary. Je ne le qualifierais pas d’écologiste, mais il comprend le potentiel de la transition en matière de compétitivité. Il a déclaré que la réduction des émissions, la collaboration avec le gouvernement pour réduire les émissions et développer les énergies renouvelables offraient d’énormes possibilités.

Soit dit en passant, il convient également de noter que l’Alberta est de loin la cheffe de file du pays en matière d’énergie éolienne et solaire — de très loin. La chose qu’il faut aussi faire, et il en est question dans l’énoncé économique fédéral, c’est de faire en sorte... Même si des sociétés développent l’éolien et le solaire, elles ne sont pas nécessairement aux petits soins pour leurs travailleurs. Certaines ne le sont pas. Certaines recherchent des travailleurs non syndiqués.

Nous voulons nous assurer que tout crédit d’impôt que nous accordons aux entreprises qui développent les énergies renouvelables soit bénéfique pour les travailleurs, comme l’a fait l’administration Biden. J’ai traité avec l’administration Trump pendant mes deux années en tant que ministre des Ressources naturelles, et je n’arrive toujours pas à m’en remettre. Cette administration n’était pas très favorable pour les travailleurs. Maintenant, nous avons affaire à un gouvernement, un partenaire commercial, un grand ami et allié — et de loin notre plus grand client sur le marché du pétrole et du gaz — qui nous met au défi de rivaliser avec lui sur la réduction des émissions, le développement des énergies renouvelables et la protection des travailleurs. C’est un bon problème à avoir.

Le Code canadien du travail

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le ministre, votre lettre de mandat indique que vous devez travailler à des modifications qui permettront aux travailleurs à l’emploi des plateformes numériques de bénéficier d’une sécurité d’emploi en vertu du Code canadien du travail. Je ne sais pas exactement ce que l’on attend de vous. Pourriez-vous nous dire quelles sont les plateformes numériques qui sont régies par le Code canadien du travail et quelles sont les protections dont sont privés, selon vous, les travailleurs des plateformes numériques qui sont sous compétence fédérale? Enfin, pourriez-vous nous dire quand ces modifications seront présentées?

L’honorable Seamus O’Regan, c.p., député, ministre du Travail : Oui, nous travaillons là-dessus, monsieur le sénateur. Cela concerne les travailleurs qu’on appelle parfois les travailleurs à la demande. C’est un terme qu’on emploie parfois. Je pourrais évidemment citer l’exemple d’Uber, même si ce cas relève plutôt des provinces.

Nous voyons des modèles semblables dans le camionnage à longue distance. On trouve de nombreux entrepreneurs privés. C’est une industrie qui prend une ampleur démesurée et qu’on appelle « Drivers Inc. ». Il y a parfois des pratiques abusives au sein de ce modèle. Les gens ne savent pas que, puisqu’ils sont considérés comme des employés, ils ont droit à des avantages sociaux comme des congés de maladie, des congés payés, des cotisations de l’employeur à l’assurance-emploi et au Régime de pensions du Canada ou tout autre avantage qui est normalement tenu pour acquis.

(1520)

Notre travail consiste à veiller à ce que les travailleurs considérés comme des employés assujettis à la réglementation fédérale soient au courant de leurs droits et de leurs obligations et puissent faire valoir leurs droits.

La bonne nouvelle, c’est que le camionnage à longue distance est une énorme industrie en pleine croissance; c’est probablement la plus importante des industries de mon portefeuille. Nous devons veiller à ce que tous les employés de ce secteur puissent jouir des droits fondamentaux qui sont accordés à tous les travailleurs du pays qui sont assujettis à la réglementation fédérale.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la période des questions est terminée. Je suis certain que vous voudrez vous joindre à moi pour remercier le ministre O’Regan de sa présence parmi nous aujourd’hui. Merci, monsieur le ministre.

M. O’Regan : Merci.

Des voix : Bravo!


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Les victimes du séisme

La Turquie et la Syrie—Minute de silence

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, nous avons également été choqués par la dévastation causée par le tremblement de terre qui a frappé la Turquie et la Syrie lundi dernier, faisant plus de 19 000 morts et de nombreux blessés.

Nos pensées accompagnent les peuples de Turquie et de Syrie, qui pleurent ceux qu’ils ont perdus et s’efforcent de se remettre de cette horrible tragédie.

Honorables sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour observer une minute de silence à la mémoire des victimes.

(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)

[Traduction]

Banques, commerce et économie

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport sur les questions relatives aux banques, au commerce et à l’économie en général auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat un rapport relatif à son étude sur l’état de l’économie canadienne et l’inflation, si le Sénat ne siège pas à ce moment-là, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.


[Français]

ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur les nouvelles en ligne

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Harder, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Bellemare, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-18 sur les nouvelles en ligne. C’est un projet de loi qui m’interpelle personnellement, compte tenu des nombreuses années que j’ai passées dans le monde du journalisme.

La première chose à dire, c’est que la crise est réelle. Depuis 14 ans, 469 journaux et organisations de nouvelles ont fermé au Canada. La majorité des médias qui survivent ont subi des compressions qui ont éviscéré les salles de nouvelles. En ce sens, le projet de loi C-18 n’est pas une solution à la recherche d’un problème; il y a effectivement un gros problème, et le gouvernement a raison de vouloir s’y attaquer.

Les causes de la crise sont multiples; elles trouvent presque toutes leur source dans la révolution d’Internet. Au cours des 25 dernières années, les médias traditionnels, qui détenaient jadis le monopole de la diffusion de l’information, ont perdu leur exclusivité au profit d’une multitude de concurrents : les annonces en ligne, les médias étrangers, les sites gouvernementaux, les plateformes de diffusion continue, les innombrables sources spécialisées — que ce soit la météo, les résultats sportifs ou financiers —, les plateformes de partage audio et vidéo, les blogues de nouvelles ou d’opinions et finalement, les plateformes de médias sociaux qui ont enfoncé le dernier clou dans le cercueil.

Aujourd’hui, les médias traditionnels font face à une crise profonde qui touche tant à leur rentabilité — maintenant que les annonceurs sont partis — qu’à leur valeur ajoutée, puisque tant de contenu est disponible ailleurs.

Certains disent que les médias n’ont pas su s’adapter et qu’ils sont simplement victimes des évolutions technologiques, un peu comme la machine à écrire a disparu quand les ordinateurs se sont répandus. D’autres ajoutent que les médias traditionnels sont victimes de leur inertie et de leur arrogance et qu’ils méritent leur sort.

Cela ne me fait pas plaisir de le dire, mais il y a un peu de vrai là‑dedans. Plusieurs n’ont pas vu venir la menace et ont longtemps cru que la concurrence venue des médias en ligne et des réseaux sociaux — baptisée parfois « invasion barbare » — était sans valeur et n’intéresserait personne. Habitués au confort de leur monopole, certains organes de presse ont regardé de haut les nouvelles plateformes, les modèles différents et les voies alternatives, et n’ont pas voulu se remettre en question, repenser leur offre et s’adapter.

Cependant, ce n’est pas toute l’histoire. Plusieurs médias canadiens, petits et grands, jeunes ou anciens, ont essayé des approches innovantes depuis 20 ans. Au Québec, en particulier, le paysage médiatique s’est profondément transformé, grâce à l’émergence d’organismes à but non lucratif ou de coopératives, comme dans le cas des Coops de l’information. La Presse est passée au numérique exclusivement et le modèle payant et hybride du Devoir fonctionne. Des spécialistes comme Sue Gardner et Jean‑Hugues Roy l’ont noté : il y a beaucoup d’expérimentation en cours, et même si rien n’est encore concluant, cela pourrait être la clé de la solution.

Il ne faut toutefois pas confondre les médias traditionnels et le journalisme. On peut critiquer nos médias tout en étant légitimement préoccupé par l’avenir du journalisme. Si certaines organisations ont perdu de leur aura et de leur influence, l’importance du journalisme, elle, demeure intacte et aussi grande que jamais.

Que les reportages visent la nécessité d’exposer les mensonges, les scandales, la corruption et le copinage, le caractère essentiel du journalisme n’est pas moins grand aujourd’hui qu’il y a 25 ans. Dans toute société libre, le journalisme est un bien public qu’il faut protéger et soutenir. Comme le dit la maxime du Washington Post : Democracy Dies in Darkness.

Cela étant dit, le travail d’enquête ou d’analyse a la même valeur publique, qu’il soit fait par Radio-Canada ou par une nouvelle plateforme journalistique en ligne, peu importe qu’il soit diffusé à la radio, à la télévision, sur Twitter ou sur Facebook.

(1530)

Ce qui compte pour la société canadienne, c’est que des organisations, quelles qu’elles soient, aient les moyens de faire un travail journalistique de qualité et que leurs contenus se rendent au public. Autrement dit, il faut que le Canada ait un écosystème d’information robuste et diversifié qui joue pleinement son rôle de chien de garde dans la démocratie.

Avec son projet de loi C-18, le gouvernement propose une réponse aux difficultés financières du journalisme au Canada. La solution que le gouvernement met de l’avant est assez simple et directement inspirée du modèle australien : puisque les médias ont perdu leurs revenus de publicité au profit des grandes plateformes comme Facebook et Google, celles-ci devront payer les médias pour rendre leur contenu disponible. C’est une solution pragmatique : on va chercher de l’argent dans les poches d’entreprises riches pour soutenir des entreprises devenues pauvres.

[Traduction]

Pour certaines personnes, le projet de loi C-18 fait tout de même fausse route parce qu’il se fonde sur une idée fictive, à savoir que Google et Facebook « nuisent » aux médias en rendant leur contenu accessible. L’experte en médias Sue Gardner résume bien cette critique :

Cette prémisse n’a [...] aucun sens. Nous le savons, parce que les éditeurs de nouvelles ont toujours eu la possibilité de ne pas apparaître dans les résultats de recherche de Google, et qu’ils ne s’en prévalent pas. Ils font plutôt tout le contraire : ils se livrent une concurrence acharnée pour renforcer leur présence sur Google et sur Facebook. Les éditeurs de nouvelles veulent apparaître sur ces plateformes, car c’est là que les gens trouvent les nouvelles.

Pour ces détracteurs, la réalité est que Google et Facebook offrent à leurs utilisateurs une très grande variété de contenu et que les médias d’information — qui ne représentent qu’une petite portion — profitent davantage du référencement des plateformes que ce que ces dernières tirent du contenu des nouvelles. C’est possible. Personne ne le sait. Les chiffres ne sont pas publics.

Selon certains experts en médias, la solution serait d’imposer les bénéfices de Google et Facebook et d’établir un fonds indépendant pour soutenir le journalisme.

Dans un monde idéal, créer un fonds serait l’option la plus simple, mais le gouvernement n’a pas choisi cette voie pour des raisons qui auraient à voir avec nos accords commerciaux. En tant que sénateurs, nous sommes appelés à voter sur le projet de loi dont nous sommes saisis. Il est possible de l’améliorer, mais il est impossible de le transformer de manière substantielle.

Je considère que nous devons aborder un certain nombre de questions dans le cadre de notre examen du projet de loi C-18.

Tout d’abord, il y a la question fondamentale des attentes des parties. Pour les grandes plateformes numériques, les négociations doivent se concentrer sur la valeur commerciale du contenu et des services qui font l’objet de transactions. En d’autres termes, quelle est la valeur du contenu de nouvelles pour Google et Facebook, et quels revenus ces plateformes rapportent-elles aux médias d’information? Pour les médias, en revanche, la logique semble différente. Certains considèrent que les grandes plateformes devraient financer jusqu’à 30 % de leurs coûts d’exploitation. Cette approche ressemble davantage à une subvention qu’à un accord commercial.

Afin d’harmoniser les attentes des parties dans le cadre de futures négociations, il serait utile de clarifier les objectifs du projet de loi.

Ensuite, il y a la question des médias admissibles. La Chambre des communes a déjà apporté des modifications visant à élargir les critères d’admissibilité afin d’inclure les petits médias communautaires et autochtones sans but lucratif, notamment ceux qui appartiennent à des journalistes. L’élargissement de ces critères signifie que le nombre d’organisations potentiellement admissibles aux termes du projet de loi C-18 est passé d’environ 200 à plus de 650. Il s’agit d’une bonne chose, car l’objectif est de soutenir le journalisme, peu importe où il est pratiqué, et non de soutenir uniquement les médias grand public. En revanche, nous devons nous assurer qu’en élargissant le champ d’application du projet de loi, nous n’ouvrons pas la porte aux individus qui ne sont pas de véritables journalistes et qui se concentrent plutôt sur le lobbying, les récits fictifs ou intimes, la croissance personnelle ou le divertissement.

Des questions se posent aussi sur les plateformes ciblées par le projet de loi C-18. Même si la définition d’« intermédiaire de nouvelles numériques » dans la mesure législative est très large, nous savons qu’elle couvre uniquement Facebook et Google pour l’instant. Cependant, nous devons aussi penser à l’avenir. Facebook menace déjà de bloquer la publication de nouvelles canadiennes sur sa plateforme si le projet de loi C-18 est adopté. Si Facebook met sa menace à exécution, le projet de loi s’appliquera-t-il seulement à Google? Dans ce cas, le nouveau mécanisme de financement pour les médias canadiens dépendra-t-il d’une seule plateforme étrangère? Ce serait bizarre.

Il sera également important de nous pencher sur l’utilisation des fonds reçus par les médias. Il s’agit là d’une question très délicate parce que le gouvernement ne veut pas trop s’ingérer dans ce qu’il décrit comme étant des négociations privées. C’est une conséquence de l’approche qu’il a adoptée. Cela dit, le projet de loi ne contribuera pas grandement à produire un journalisme pour le bien du public si les sommes reçues de Google et de Facebook sont versées à des actionnaires ou sont affectées au paiement d’intérêts, plutôt que de servir à embaucher des journalistes, à moderniser les plateformes et à mener des enquêtes. Ce projet de loi doit être bien plus transparent.

Par ailleurs, on s’interroge sur la viabilité à long terme d’une approche qui rend les médias canadiens partiellement dépendants d’entreprises privées étrangères qui peuvent changer ou disparaître à tout moment.

[Français]

En conclusion, le projet de loi C-18 s’attaque à un problème réel pour la santé démocratique de notre pays.

Aujourd’hui, même les nouvelles plateformes innovantes n’arrivent pas à être rentables sans soutien public, sauf exception. Si l’on exclut CBC/Radio-Canada, plusieurs salles de nouvelles ne tiennent qu’à un fil.

Le Comité des transports et des communications, dont je fais partie, aura du pain sur la planche. Il faudra comprendre les implications du projet de loi et ses limites, et peut-être proposer des améliorations. Tout comme pour le projet de loi C-11, le projet de loi C-18 est une incursion législative dans l’univers d’Internet, un monde en constant bouleversement. À moyen terme, il est difficile d’évaluer les effets des mesures mises de l’avant. Il y aura inévitablement un processus d’essais et d’erreurs, et des ajustements nécessaires. Toutefois, à mon avis, cet effort est certainement plus méritoire que l’inaction.

Merci.

[Traduction]

L’honorable Leo Housakos : La sénatrice Miville-Dechêne accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Miville-Dechêne : Certainement.

Le sénateur Housakos : Merci. Je tenterai de regrouper mes trois questions, comme nous en avons déjà parlé. En ce qui me concerne, j’estime qu’il est trop tôt pour se prononcer sur ce projet de loi. Je suis sensible à l’objectif du gouvernement. Je pense que nous comprenons tous combien la liberté de la presse est importante pour notre démocratie.

Mes trois questions sont les suivantes. Premièrement, que répondriez-vous aux détracteurs du projet de loi qui affirment que les journalistes ont le choix de publier leurs articles en ligne et sur le Web ou de ne pas le faire?

Deuxièmement, nous disposons déjà de lois sur le droit d’auteur, bien sûr, qui protègent les créateurs de contenu si quelqu’un s’approprie leur travail.

La troisième question porte sur une analogie que le sénateur Harder n’a pas aimée, mais peut-être obtiendrai-je une meilleure réponse de votre part. Je pense que ce qui est proposé dans ce projet de loi, c’est comme si quelqu’un sautait dans un Uber, se rendait dans un restaurant pour manger, et que le propriétaire du restaurant disait : « Je veux aussi un pourcentage du montant facturé par le chauffeur Uber, parce que si je n’étais pas là, il ne serait pas en affaires. »

J’aimerais avoir votre avis sur ces trois points de vue qui, bien sûr, sont ceux des détracteurs du projet de loi.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Sénateur Housakos, d’abord, les journalistes ont le choix de publier ou non leurs articles en ligne.

Je sais que vous êtes très attaché au principe du choix individuel. Cependant, on parle ici d’un changement total de paradigme. Cela veut dire que si les organes de presse ne permettent pas le partage de leurs articles, ils perdent énormément de lecteurs. C’est un paradoxe, en quelque sorte, parce que la survie du journalisme passe en partie par des contenus extrêmement solides, un journalisme qui se distingue de ce qui circule sur les médias sociaux.

Nous savons que les médias seuls et isolés ne pourront pas rejoindre suffisamment de monde. Ils sont donc obligés, dans ce nouvel univers, de rendre disponibles leurs articles en acceptant de les partager. Le véritable problème est qu’on ne connaît pas la valeur de ce contenu journalistique pour une plateforme comme Google. Google, bien sûr, ne nous donne pas ses chiffres. Par conséquent, il est extrêmement difficile d’appliquer un projet de loi comme celui-ci, qui prétend attribuer une valeur au contenu journalistique, puisqu’on n’a aucune idée non seulement de la valeur de ce contenu pour les plateformes, mais de ce qu’il rapporte aux médias individuels.

(1540)

Nous savons qu’ils n’ont plus de publicité parce que tout le marché publicitaire a été récupéré par les plateformes, mais nous ne savons pas si cela peut faire une différence sur le plan de la circulation. Des gens du quotidien La Presse, par exemple, m’ont dit que les revenus publicitaires étaient convenables pour eux, que ce n’était pas la manne, mais qu’ils avaient ce qu’il fallait pour vivre. C’est pour cette raison que tout le monde tient à être sur les médias sociaux. Je crois que vous aviez une autre question?

[Traduction]

Le sénateur Housakos : Et qu’en est-il de la protection du droit d’auteur?

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : À ma connaissance, depuis que cette crise existe, la Loi sur le droit d’auteur n’a pas été appliquée par rapport aux articles qui sont partagés; en effet, on partage souvent des liens. Je crois que la Loi sur le droit d’auteur n’est pas le bon véhicule pour protéger le journalisme. Je sais que cette méthode est utilisée en France. Nous nous sommes bien davantage inspirés du modèle australien, qui a quand même réussi jusqu’à un certain point à calmer la crise. Nous avons remarqué qu’en Australie...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice, demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Miville-Dechêne : L’Australie n’est certainement pas un modèle parfait, mais nous avons remarqué qu’on y avait embauché des journalistes après les ententes secrètes que Google et Facebook ont malheureusement conclues avec les médias. Nous avons aussi remarqué, selon certaines sources, que les grands médias ont plus d’argent que les petits médias, mais que de petits médias communautaires ont reçu certaines sommes.

Pour ce qui est d’Uber, qui vous amène au restaurant, je suis plutôt d’accord avec le sénateur Harder dans la mesure où je ne suis pas certaine que cette image correspond à ce qui se passe vraiment. Il y a un échange, mais nous ne savons pas exactement si cet échange est ou égal ou inégal entre la valeur du journalisme pour les plateformes et la valeur qu’apporte aux journalistes le fait d’être diffusés sur les plateformes.

[Traduction]

Le sénateur Housakos : Si je vous ai bien compris, sénatrice, vous dites en gros que les journalistes ont besoin de ces plateformes pour amplifier la portée de leur travail et joindre plus de gens. En même temps, ils voudraient pouvoir quantifier la monétisation qui en découle pour pouvoir obtenir leur part du gâteau. C’est le problème.

C’est là où le bât blesse quant au projet de loi; je ne sais pas comment on peut arriver à un chiffre.

En ce qui a trait au droit d’auteur, d’après ce que j’en comprends — je ne suis pas un spécialiste en la matière —, dès qu’un journaliste publie son article dans la sphère publique, ce dernier fait partie du domaine public. Il est diffusé sur les différentes plateformes avec son consentement parce que, comme vous l’avez dit, le journaliste veut amplifier la portée de son article.

Dans les deux cas, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Vous choisissez une voie ou l’autre — c’est ce qu’on m’a appris.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Brièvement, nous ne connaissons pas la valeur de ces contenus partagés sur Internet.

En ce moment même, beaucoup de contrats privés se nouent entre Google et certains médias canadiens. Nous ne connaissons pas la valeur de ces contrats, mais nous savons que Google, face à la « menace » de la loi qui arrive, conclut des ententes avec les médias. Donc, si Google agit ainsi, c’est qu’elle y trouve un intérêt. Dans notre monde capitaliste, peu d’entreprises privées concluent des ententes si elles ne sentent pas le besoin de le faire.

Dans un certain sens, les plateformes admettent que ce contenu journalistique a de la valeur. À cause de rumeurs, nous savons que la plupart des ententes exigent actuellement le paiement d’une valeur de 30 % de la facture liée aux journalistes, selon le nombre de journalistes que compte une entreprise.

Vous avez quand même raison de dire qu’il y a trop peu de transparence dans ce projet de loi et qu’il y a beaucoup d’inconnues. À un moment donné, le couperet tombera, et le gouvernement voudra connaître le nombre d’ententes et se demandera si ce nombre est suffisant pour que la loi ne s’applique pas, comme ce fut le cas en Australie. Ce sera alors la course, parce que Google ne veut pas de loi, ne veut pas d’arbitrage et ne veut pas non plus qu’on impose des ententes. Le pari que l’on fait, c’est que les plateformes — et Facebook ne semble pas faire cela — vont conclure des ententes avant que la loi s’applique — et, de cette façon, la loi ne s’appliquerait pas. C’est le pari que font le gouvernement de l’Australie et le gouvernement du Canada.

L’honorable Andrew Cardozo : Merci de votre présentation, sénatrice. Ma question est très générale. Que se passera-t-il dans 10 ou 20 ans si ce projet de loi n’est pas adopté?

La sénatrice Miville-Dechêne : Je ne lis pas dans l’avenir, mais pour l’instant, le gouvernement donne des crédits d’impôt. Ces crédits d’impôt ont aidé les médias qui ont survécu à la crise à continuer de fonctionner, mais ils sont un peu à la limite. Donc, évidemment, ces accords avec les plateformes sont les bienvenus et permettent au quotidien Le Devoir, par exemple, de prospérer davantage qu’il ne l’aurait fait. Cependant, qui nous dit que Google sera encore là dans 20 ans? Je crois que je n’ai plus de temps pour vous répondre.

[Traduction]

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, le 12 janvier, Postmedia, la plus grande chaîne de journaux au pays, a publié son bilan financier pour le premier trimestre. Par le passé, le trimestre qui débute en septembre et prend fin le 30 novembre a toujours été le plus lucratif pour les journaux canadiens, puisqu’il comprend la période de la rentrée scolaire, le vendredi fou et les semaines qui précèdent Noël. Toutefois, cette fois-ci, les chiffres de Postmedia pour ce trimestre étaient consternants : le groupe a enregistré une perte nette de 15,9 millions de dollars.

Douze jours plus tard, le couperet est tombé. L’entreprise a annoncé la mise à pied de 11 % du personnel de rédaction à l’échelle de la chaîne, laissant les salles de nouvelles déjà éviscérées avec des effectifs squelettiques.

Ces mises à pied n’ont pas été le seul coup dur. Les membres du personnel des plus importants journaux des Prairies, l’Edmonton Journal, l’Edmonton Sun, le Calgary Herald, le Calgary Sun, le Saskatoon Star Phoenix et le Regina Leader-Post, ont appris qu’ils ne mettraient plus jamais les pieds dans leur salle de nouvelles jadis si dynamique. Ces salles de nouvelles ont été fermées. Les rares effectifs toujours en poste travailleront depuis leur domicile, comme ils le font depuis le début de la pandémie.

L’immeuble qui abrite le Calgary Herald, un bâtiment emblématique situé au sommet d’une colline, a été vendu à U-Haul. C’est pratiquement trop dans le mille pour être vrai. Les bâtiments de Saskatoon et de Regina ont également été mis en vente.

Postmedia a un contrat de location compliqué, qui fait en sorte que le groupe ne peut pas se défaire facilement de ses installations d’Edmonton. Pour l’instant, l’élégant bâtiment de cinq étages, situé dans l’un des quartiers les plus historiques du centre-ville d’Edmonton, est vide et abandonné, rappel fantomatique de l’époque où les journaux étaient des forces puissantes au service de la communauté et de la démocratie.

Bien sûr, ce ne sont pas seulement les journaux des Prairies qui se trouvent en difficulté. Les journaux de Postmedia à St. Thomas, Sarnia et Owen Sound, en Ontario, ne sont plus publiés que trois jours par semaine. Cette semaine encore, on a annoncé parallèlement que les principaux journaux du Nouveau-Brunswick, c’est-à-dire le Telegraph-Journal, le Times & Transcript de Moncton et le Daily Gleaner de Fredericton, ne seraient plus des quotidiens, mais qu’ils seraient désormais publiés trois fois par semaine.

Ces journaux, comme tant d’autres dans le monde, ont vu leur modèle économique bouleversé par les perturbations numériques. Leurs annonceurs, petits et grands, ont migré vers des sites en ligne comme Craigslist, Kijiji, AutoHebdo, Instagram, TikTok, Twitter, Google et Facebook. De plus, leurs abonnés ont cessé de payer, soit parce qu’ils sont heureux d’obtenir gratuitement les nouvelles en ligne, soit parce qu’ils ne voyaient plus l’intérêt de payer de plus en plus cher pour des journaux qui se réduisaient comme peau de chagrin chaque année. Qui plus est, les journaux locaux sont confrontés à une concurrence en ligne féroce pour attirer l’attention du lectorat. Il fut un temps où les journaux avaient des monopoles régionaux, non seulement sur la publicité, mais aussi sur notre temps et notre intérêt.

Aujourd’hui, les Canadiens peuvent accéder aux nouvelles du monde entier en temps réel, que leurs goûts aillent vers The Guardian, Le Monde et The Washington Post, ou vers Fox News et le Daily Mail. Il y a des sites de nouvelles pour tous les goûts. Aujourd’hui, on n’est plus limité à lire les nouvelles dans les journaux ou à les entendre à la radio ou à la télévision locale au téléjournal de 18 heures.

(1550)

Entretemps, de nouveaux concurrents font leur apparition sur la scène numérique partout au Canada pour servir les lecteurs intéressés par des sujets ou des points de vue particuliers. Bon nombre de ces nouveaux joueurs publient des articles primés sur le climat, le Parlement et les enjeux sociaux et technologiques. Toutefois, la portée et la force de rassemblement de ces sites ne se comparent pas à celles des quotidiens grand format.

À certains égards, les Canadiens n’ont jamais eu tant de choix pour s’informer. Nous avons de l’information de partout dans le monde littéralement à portée de la main. Cependant, à d’autres égards, nous n’en avons jamais su si peu sur ce qui se passe dans nos villes et nos localités faute de journalistes sur place pour couvrir les réunions des conseils municipaux et des conseils scolaires, faute de journalistes d’enquête pour se pencher sur les scandales locaux et faute de rédacteurs d’articles de fond pour raconter les histoires de chez nous.

Nous sommes maintenant saisis du projet de loi C-18, qui vise à sauver les petits et les grands diffuseurs d’information en difficulté partout au Canada. Au départ, la situation est d’une simplicité trompeuse et déroutante. Google et Facebook ont énormément d’argent. Comme la sénatrice Miville-Dechêne l’a dit, ces grands joueurs ont de l’argent plein les poches. Ils dominent le secteur publicitaire canadien. Le gouvernement estime que, à elles seules, ces deux entreprises occupent 80 % du marché publicitaire canadien, et qu’elles partagent certainement des liens avec des diffuseurs d’information canadiens — liens pour lesquels elles ne paient pas. Alors, pourquoi ne pas leur demander de payer pour soutenir les journaux, les diffuseurs d’information et les sites de nouvelles dont les recettes publicitaires se sont évaporées?

Le projet de loi exige que Facebook et Google entament des négociations avec les médias d’information, des grands journaux aux tout petits journaux publiés par des propriétaires-exploitants, en passant par les stations de radio autochtones et étudiantes. Si les entreprises parviennent à conclure des accords privés, elles seront exemptées des dispositions du projet de loi. Cependant, si ces exemptions ne sont pas accordées, les entreprises seront tenues de se soumettre à l’arbitrage exécutoire des propositions finales.

C’est une proposition tentante, surtout lorsque le gouvernement promet que le projet de loi C-18 obligera Google et Facebook à payer de 20 à 30 % des coûts d’exploitation des salles de presse canadiennes, voire 35 %, comme l’a laissé entendre le sénateur Harder cette semaine; c’est la première fois que j’entends ce chiffre. Selon le directeur parlementaire du budget, qui a peut-être fait preuve de plus de retenue, le programme devrait rapporter environ 329,2 millions de dollars par an.

Cependant, l’idée que nous puissions ou devrions forcer deux géants du Web américains à financer les médias d’information indépendants sur lesquels les Canadiens comptent est une erreur de raisonnement et d’éthique. Le projet de loi semble reposer sur une proposition fondamentale selon laquelle les médias imprimés ont perdu leurs revenus parce que Google et Facebook volent en quelque sorte les nouvelles et les monnaient ensuite pour vendre des publicités. Il trahit toutefois une incompréhension fondamentale du fonctionnement des marchés publicitaires numériques.

L’algorithme de Facebook privilégie le contenu qui génère de l’engagement, et un article au sujet du conseil scolaire de Kamloops ou d’un débat au Sénat n’est pas suffisamment séduisant ou juteux pour cela. C’est malheureusement le cas. En 2021, une étude effectuée pour Nieman Lab a révélé que moins de 4 % des publications regardées sur le fil de presse de Facebook avaient des liens avec des nouvelles. Depuis, Facebook a modifié son algorithme afin de présenter encore moins de nouvelles aux gens, préférant se tourner vers les vidéos pour contrer TikTok.

Selon Jean-Hugues Roy, professeur en journalisme et économique des médias à l’Université du Québec à Montréal, les revenus de Facebook provenant de contenus journalistiques canadiens se seraient élevés à 198,8 millions de dollars en 2022, en baisse par rapport à 210 millions de dollars en 2021.

Selon le professeur Roy, une portion d’environ 99,4 millions de dollars de cette somme pourrait être partagée avec l’industrie canadienne des nouvelles. Toutefois, même cette estimation plutôt positive sera loin d’être suffisante pour subventionner les salles de nouvelles partout au pays, surtout si ce montant ne cesse de diminuer.

Pour sa part, Google ne diffuse aucune publicité sur son site de nouvelles. Google News ne fait pas d’argent. Il s’agit en fait d’un produit d’appel destiné à garder les gens sur le site plus longtemps.

Google et Facebook ne bénéficient pas beaucoup du partage de nouvelles. Le bénéfice économique direct qu’ils obtiennent en partageant des nouvelles est minime, voire inexistant.

Google et Facebook sont des mastodontes de la publicité qui dominent Internet et les marchés publicitaires; leur domination est sans égale et sans précédent. Selon le Transnational Institute, Google a été le site Web le plus visité dans le monde en 2021, avec 92,5 milliards de visiteurs par mois. YouTube, qui appartient à Google, occupe le deuxième rang des sites Web les plus visités, avec 34,6 milliards de visiteurs par mois, suivi de Facebook, avec 25,5 milliards de visiteurs par mois.

Devinez quel est le seul site Web canadien qui se classe parmi les 20 premiers rangs? C’est Pornhub, avec 3,3 milliards de visiteurs par mois. Fait intéressant à noter, il attire plus de visiteurs que Reddit ou Bing.

Oui, Google et Facebook ont la mainmise sur les yeux des utilisateurs et sur les coffres des annonceurs. Je ne vous demande pas d’être empathiques à leur égard. Je vous demande s’il est pertinent d’exiger d’eux qu’ils soutiennent les médias canadiens, notamment les journaux, les magazines, les diffuseurs et les sites d’information, y compris les petits sites Web dont le contenu n’est pratiquement jamais partagé ou indexé dans les plateformes de ces mastodontes des médias sociaux.

En fait, je vous demande si c’est sage de le faire. Dans quelle mesure les médias d’information canadiens seront-ils indépendants s’ils sont tant à la merci de la volonté et de la réussite économique de deux sociétés étrangères?

En juin 2021, quand nous débattions du projet de loi du sénateur Carignan, le projet de loi S-225, qui a des éléments en commun avec le projet de loi C-18, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications avait entendu le témoignage d’Edward Greenspon, ancien rédacteur en chef du Globe and Mail, qui occupait à ce moment les fonctions de président et chef de la direction du Forum des politiques publiques.

Voici ce que M. Greenspon nous a dit en 2021 :

[...] le fait d’inviter les plateformes à négocier des accords avec des éditeurs particuliers pourrait gravement fausser le marché de l’information. Depuis des décennies, les gens s’inquiètent du fait que les annonceurs influencent les programmes d’information. En fait, il était difficile de trouver un annonceur qui possédait une part de marché suffisante pour le faire, c’est‑à-dire un annonceur qui contribuait à plus de 1 ou 2 % des revenus totaux d’un éditeur. En revanche, je peux très bien imaginer que les revenus versés par une plateforme en vertu de ce système puissent représenter 10 % ou plus des revenus d’une agence de presse. Ces plateformes ont leurs propres gigantesques programmes de politiques publiques, notamment en matière de politique fiscale, de surveillance réglementaire, de données, et cetera.

Il nous a ensuite mis en garde en ces termes : « Vous êtes ici pour renforcer la presse indépendante, et non pour créer de nouvelles dépendances. »

Nous devrions maintenant suivre ses conseils. Le projet de loi C-18 vient renforcer la dépendance économique qui existe déjà; Google et Facebook auront plus que jamais le pouvoir de déterminer ce que nous lisons, ce que nous voyons et même ce que nous pensons.

Les mécanismes proposés dans le projet de loi C-18 nous rendent encore plus vulnérables aux décisions de ces entreprises, des décisions sur lesquelles les Canadiens n’auront aucunement leur mot à dire.

Tandis que nous assistons au lent effondrement de Twitter, qui s’est accéléré cette semaine, il m’apparaît naïf, voire imprudent, d’imaginer Google et Facebook comme des poules aux œufs d’or dont les œufs d’or pourront assurer la viabilité éternelle de notre presse libre. Qu’arrivera-t-il le jour où Google et Facebook ne seront plus populaires, branchés et fiables?

J’ai beaucoup d’autres questions concernant le projet de loi, alors que nous nous apprêtons à le renvoyer au comité. Soyons réalistes. Dans quelle mesure les stations de radio et les journaux à faible diffusion, ruraux, ethnoculturels ou autochtones seront-ils avantagés par ce programme, même s’ils négocient collectivement? Dans quelle mesure voulons-nous subventionner de grands joueurs comme Rogers ou Bell Média, ou encore des entreprises traditionnelles en difficulté comme Postmedia, surtout si cela rend plus difficile pour les jeunes entreprises novatrices de soutenir leur concurrence?

Quelles garanties avons-nous que les entreprises se serviront de leurs subventions pour augmenter de façon nette la couverture médiatique, plutôt que pour rembourser leur dette ou récompenser leurs cadres? Est-il raisonnable que, selon les estimations du directeur parlementaire du budget, l’organisation CBC/Radio-Canada — qui est déjà financée par le gouvernement — touche, et de loin, la plus grande part de ces nouveaux fonds? Est-ce que le fait que le projet de loi C-18 écarte de façon plutôt cavalière les protocoles traditionnels de protection du droit d’auteur aura une incidence sur notre capacité de respecter la Loi sur le droit d’auteur, les principes d’utilisation équitable et nos obligations aux termes de la Convention de Berne?

Sommes-nous à l’aise avec l’idée de conférer de nouveaux pouvoirs réglementaires sans précédent au CRTC, qui lui permettront d’intervenir dans les activités de la presse écrite et d’imposer aux médias des codes de déontologie, étant donné que la presse libre n’a jamais auparavant été soumise, d’aucune façon, à l’autorité du CRTC?

Mes amis, j’ai exercé pendant 30 ans la profession de journaliste au Canada. Je crois qu’un journalisme responsable est essentiel à la vitalité d’une société civile. Il est facile d’observer la crise qui sévit dans le milieu journalistique canadien et de dire qu’il faut faire quelque chose pour la régler.

Eh bien, le gouvernement a fait quelque chose en présentant cette mesure, mais quels seront ses effets? Je crains qu’ils ne soient pas ceux que nous souhaiterions.

Merci, hiy hiy.

(1600)

L’honorable Colin Deacon : Ma voisine de pupitre aurait-elle l’obligeance de répondre à une question?

La sénatrice Simons : Je serais ravie de répondre à une question. Nous allons avoir l’air de diablotins qui sortent de leurs boîtes.

Le sénateur C. Deacon : Je me demande si vous avez réfléchi aux nouvelles plateformes en ligne comme The Logic ou BetaKit, ou encore aux plateformes de journalisme d’investigation qui diffusent des baladodiffusions, comme Canadaland. Quelle place occuperont-elles dans le monde envisagé par le projet de loi C-18, étant donné qu’elles semblent mener leur propre combat dans un paysage médiatique radicalement différent? Je me demande simplement si vous y avez réfléchi. Merci.

La sénatrice Simons : J’y ai longuement réfléchi. Voici le défi. Beaucoup de ces petits sites indépendants se battent pour obtenir des parts de marché, sur le plan tant des lecteurs que des annonceurs, parce qu’ils sont en concurrence avec des dinosaures, si je puis dire.

Il y a de bonnes raisons de penser que si on soutient les journaux grand format traditionnels dont le modèle d’affaires périclite, on empêche de nouveaux concurrents de percer le marché. D’un autre côté, comme je l’ai dit dans mon discours, certains de ces nouveaux concurrents servent plutôt des créneaux particuliers sans assurer la vaste couverture communautaire qu’offrait un quotidien local. Je suis très partagée et je pense que certaines de ces entreprises le sont aussi. Certaines d’entre elles ont d’abord critiqué plutôt vertement le projet de loi C-18 et l’idée qu’elles devront se regrouper d’une manière ou d’une autre parce qu’il n’y a pas de syndicat de journaux au pays. Elles devront trouver d’autres entreprises dans la même situation et se regrouper pour négocier ensemble avec Facebook et Google.

Comment parviendront-elles à se regrouper ainsi? Ont-elles accès aux ressources juridiques nécessaires pour affronter deux des plus grandes sociétés du monde? C’est une question très intéressante.

Certains de ces petits éditeurs de publications ont déjà conclu avec succès des accords avec Google — plus avec Google qu’avec Facebook — pour présenter leur travail. Ces accords vont-ils être déchirés? Google et Facebook seront-ils moins enclins à soutenir ces publications? Ce sont de bonnes questions. Nous ne le savons pas encore.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Simons, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à plus de questions?

L’honorable Paula Simons : J’aimerais demander cinq minutes de plus, avec l’indulgence des sénateurs.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sommes-nous d’accord pour accorder cinq minutes de plus?

Des voix : D’accord.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je serai brève. J’admire votre vision assez puriste du journalisme. Vous avez raison de dire qu’il y a des dangers à recevoir de l’argent de grandes plateformes extrêmement puissantes, mais il me semble que le débat a déjà dépassé ce stade, puisque le journalisme au pays reçoit de l’argent du gouvernement. Or, le gouvernement est sans doute l’entité qui est la plus critiquée au Canada, et maintenant il donne de l’argent aux médias.

En quoi serait-ce différent sur le plan des principes que d’accepter de l’argent des plateformes qui gagnent quand même un peu d’argent avec le journalisme?

La sénatrice Simons : C’est une très bonne question. Je voudrais bien y répondre en français, mais je crois que ce sera mieux pour tout le monde si je réponds en anglais. Ce sera plus facile pour moi comme pour vous.

[Traduction]

Vous avez raison. J’ai également critiqué l’idée que le gouvernement finance le journalisme au moyen du fonds pour le journalisme local.

Il est très difficile pour une presse indépendante de dépendre des subventions du gouvernement, quel que soit le degré d’autonomie dont elle dispose.

Il est également très problématique que les journaux soient si dépendants de deux entreprises au lieu de la base traditionnelle d’abonnés et des annonceurs traditionnels.

J’ai parlé avec des universitaires comme Vivek Krishnamurthy, de l’Université d’Ottawa, qui estime que le modèle le plus approprié aurait été celui des crédits d’impôt, des crédits d’impôt très robustes et généreux, de sorte que si vous vous abonnez à une publication canadienne, en ligne ou sur papier, vous récupérez de l’argent. Si vous êtes un annonceur et que vous placez une publicité dans un journal hebdomadaire local ou un quotidien local, ou à une station de radio locale, vous pourriez également obtenir une subvention en retour. Cela permettrait aux consommateurs de nouvelles et aux acheteurs de publicité de voter par leurs gestes, et d’établir une corrélation directe entre ce que les gens veulent lire et ce qu’ils veulent soutenir, tout en obtenant de l’argent de la part du gouvernement, de sorte que l’argent se retrouve blanchi, pour ainsi dire, comme Ponce Pilate s’est lavé les mains.

Nous nous sommes enfoncés dans une impasse. Récemment, j’ai parlé à des éditeurs de journaux communautaires de petites localités, qui sont désespérés : dans leur marché, la publicité qu’achetaient les municipalités dans le journal du coin était l’une des principales sources de revenus. Pour organiser une audience sur un règlement ou annoncer un changement municipal, les villes dépensaient de l’argent dans le journal du coin. Elles ne le font plus. Elles achètent des publicités en ligne beaucoup moins chères ou délaissent carrément la publicité en se contentant d’utiliser Facebook. Par conséquent, si nous ne soutenons pas les médias locaux, ils meurent. Si notre pays choisit de ne pas se soucier des nouvelles locales, c’est exactement ce qui se passera. Ce sera la fin des nouvelles locales.

Il y a quelques semaines, j’ai aussi rencontré Jordan Bitove, le nouveau propriétaire et éditeur du Toronto Star, un incontournable dans le milieu des affaires torontois. Il m’a raconté qu’il cogne à la porte des grandes banques et des grands constructeurs automobiles pour leur dire ceci : « Hé, recommencez à acheter de la publicité dans le journal. Sinon, le journal disparaîtra. »

Nous avons, nous aussi, des choix à faire, et je ne suis pas certaine que nous avons pris les bonnes décisions.

L’honorable Pamela Wallin : J’aimerais simplement faire une brève observation en réponse à certaines choses que vous avez dites. Évidemment, nous en discuterons en long et en large au comité.

J’ai parlé aux journaux locaux de ma région, et l’une des choses qui les préoccupent, c’est que d’une part, le gouvernement est prêt à les subventionner, ce qui compromet leur indépendance, mais d’autre part, il a entièrement mis fin à ses achats d’espaces publicitaires dans ces journaux locaux, ce qui représentait pourtant pour eux une véritable source de revenus qui ne compromettait pas leur indépendance. Bref, si le gouvernement voulait soutenir les médias d’information des petites collectivités, il a le mécanisme pour le faire.

La sénatrice Simons : Ce que me disent les petits éditeurs, c’est qu’ils aimeraient une réduction des tarifs postaux pour qu’il leur soit plus facile de faire acheminer leurs hebdomadaires. Ils sont également très frustrés que Postes Canada leur livre une si forte concurrence dans le domaine de la distribution de circulaires. Je le sais, les circulaires ne sont pas très passionnantes, mais elles financent en grande partie bon nombre de journaux, petits et grands. Or, ce que me disent les éditeurs de journaux, c’est que Postes Canada offre des tarifs si avantageux que les journaux sont incapables de soutenir sa concurrence. Évidemment, Postes Canada a le droit de se tailler une place sur le marché, mais encore là, il faut songer aux conséquences de toutes ces décisions.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Brent Cotter propose que le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, en octobre dernier, à l’approche de l’Action de grâces, j’étais en voiture, et il y avait une tribune téléphonique à la radio de Saskatoon. On demandait aux auditeurs d’appeler pour dire ce dont ils étaient reconnaissants. Une des auditrices a affirmé en ondes :

Je suis reconnaissante d’avoir ce qu’il faut pour vivre. Je pourrais peut-être vouloir plus, mais j’ai ce qu’il me faut pour vivre une vie épanouie. J’en suis reconnaissante. J’ai ce qu’il me faut.

J’ai garé ma voiture sur le bord de la route et j’ai réfléchi à la beauté de ce que cette femme venait de dire.

La plupart d’entre nous avons ce qu’il nous faut, du point de vue financier à tout le moins. Je ne connais pas la situation de chacun d’entre vous, chers collègues, mais je pense bien que nous avons tous ce dont nous avons besoin. C’est mon cas et j’en suis reconnaissant.

Cependant, de nombreuses personnes dans notre merveilleux pays prospère n’ont pas ce dont elles ont besoin. Aujourd’hui, alors que nous entamons l’étude de ce projet de loi, j’espère que vous aurez en tête le groupe de la population canadienne — les personnes handicapées — qui, de façon disproportionnée, n’a pas tout ce dont il a besoin et que vous penserez à tout ce que ce projet de loi pourrait faire pour corriger la situation.

(1610)

Je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-22, Loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées. C’est le début d’un parcours très spécial pour le Sénat et pour nous tous ici présents. Alors que nous nous efforçons de bâtir une société inclusive au Canada, l’engagement à apporter un soutien financier concret aux personnes handicapées en est un pilier essentiel. C’est l’engagement d’une génération.

Dans le dessin humoristique de Gary Larson que je préfère — vous vous en doutiez, j’en suis certain —, on voit une cour de récréation où se trouve une glissoire pour enfants. En haut de la glissoire se trouve un petit garçon qui s’apprête à glisser. En bas se trouvent deux araignées qui ont tissé une toile au bout. Alors que le petit garçon s’apprête à glisser, l’une des araignées dit à l’autre : « Si ça marche, on va manger comme des reines. »

Certes, ce projet de loi ne permettra pas aux personnes handicapées de manger comme des rois, mais je pense que depuis une génération, ou peut-être même depuis quelques années, l’espoir des personnes handicapées qu’une initiative comme celle-ci soit proposée avait probablement autant de chances de se concrétiser que celui de ces deux araignées.

Mon intervention d’aujourd’hui se divise en cinq parties. Premièrement, je parlerai du projet de loi C-22, qui constitue un élément essentiel pour véritablement améliorer la vie des personnes handicapées au Canada. Deuxièmement, j’expliquerai brièvement comment la prestation canadienne pour les personnes handicapées réduira la pauvreté chez les personnes en situation de handicap qui sont en âge de travailler. Troisièmement, je me pencherai brièvement sur le contenu du projet de loi, notamment sur ses objectifs, l’échéancier et les mesures de reddition de comptes qui y sont prévues pour garantir que le gouvernement respecte notre engagement collectif. Quatrièmement, je parlerai un peu du niveau d’appui que suscite le projet de loi et, cinquièmement, je présenterai des conclusions quelque peu personnelles.

Premièrement, la prestation canadienne pour les personnes handicapées proposée constitue un pilier, voire la pierre angulaire, du Plan d’action pour l’inclusion des personnes en situation de handicap du Canada. Ce plan d’action est une feuille de route pour créer un Canada plus inclusif. Il repose sur quatre piliers : l’emploi, pour prendre des mesures visant à éliminer les obstacles qui existent depuis longtemps sur le marché du travail et dans les lieux de travail; des communautés accessibles et inclusives, pour s’attaquer aux obstacles qui empêchent les personnes handicapées de pleinement participer à la vie de leur collectivité; une approche moderne à l’égard des personnes en situation de handicap, pour s’attaquer aux difficultés que rencontrent les personnes handicapées, entre autres pour accéder aux prestations et aux programmes fédéraux; et enfin, la sécurité financière, pour réduire la pauvreté et améliorer la sécurité financière de centaines de milliers de personnes en situation de handicap.

Cette approche globale — à quatre piliers, pour ainsi dire — vise à s’attaquer à ce que beaucoup décrient depuis si longtemps, à savoir la marginalisation des personnes handicapées. Beaucoup en ont parlé avec éloquence. La célèbre actrice Emma Thompson a déclaré sans ambages : « Être handicapé ne devrait pas signifier être inadmissible à tous les aspects de la vie. »

Un degré élémentaire de sécurité financière n’est pas la réponse à toutes les difficultés d’accès et d’inclusion, mais sans cette sécurité, la capacité de satisfaire aux besoins de première nécessité et la possibilité de connaître une vie épanouie sont diminuées de beaucoup.

Je suis sûr que nous sommes tous d’accord pour dire qu’aucun Canadien handicapé ne devrait vivre dans la pauvreté. Les valeurs qui ont incité les gouvernements passés de toutes les allégeances à réduire la pauvreté et à créer des prestations pour les aînés et les enfants sont les mêmes que celles qui ont servi pour créer le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui. Je parle d’égalité, d’équité et d’inclusion. Ce sont des valeurs canadiennes qui nous guident et nous définissent en tant que pays et qui font ressortir le meilleur de nous-mêmes. Ces valeurs ont guidé le gouvernement du Canada dans la création de prestations pour les aînés et les enfants, et elles nous guident aujourd’hui dans la création de la prestation canadienne pour les personnes handicapées, qui vise à réduire la pauvreté chez les Canadiens handicapés à faible revenu et en âge de travailler.

Je souligne avec une certaine fierté, en tant que Canadien, que le projet de loi dont nous sommes saisis qui engage le gouvernement à créer une prestation significative pour les personnes handicapées a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit.

Un des aspects merveilleux du Canada, c’est que même si nous avons des divergences d’opinions, parfois très fortes, au sujet de la façon de gouverner notre pays et selon quels principes, il est fréquent que nous fassions front commun afin de venir en aide à nos concitoyens les plus vulnérables. C’est le cas en ce moment.

Honorables sénateurs, un autre aspect remarquable de cette prestation est qu’elle est sans précédent. Si j’ai bien compris, le Canada sera le premier pays à instaurer un supplément de revenu significatif pour les Canadiens handicapés en âge de travailler.

Deuxièmement, je vais parler brièvement des conditions de vie des personnes handicapées, conditions qui sont la raison d’être du projet de loi C-22. Les Canadiens handicapés en âge de travailler comptent parmi les plus vulnérables de nos concitoyens. Vingt-trois pour cent d’entre eux vivent dans la pauvreté et, dans certains cas, dans une pauvreté extrême. C’est plus que le double du taux de pauvreté chez les personnes de ce groupe d’âge. Le taux de pauvreté grimpe à 31 % parmi les personnes gravement handicapées. C’est franchement incroyable et, je crois que vous en conviendrez, inacceptable dans un pays comme le nôtre. De plus, ces chiffres datent d’avant la pandémie de COVID, qui a exacerbé les vulnérabilités financières de tant de Canadiens. Selon un sondage mené par Statistique Canada l’an dernier, les deux tiers des répondants handicapés ont déclaré avoir de la difficulté à joindre les deux bouts, et les autres ont dit que leurs revenus avaient diminué à cause de la pandémie.

De manière générale, avec l’entrée en vigueur de ce projet de loi, nous allons réduire considérablement le nombre de Canadiens en âge de travailler qui vivent dans la pauvreté.

La troisième partie de mon discours porte sur le projet de loi lui‑même. Ce dernier établira le processus qui encadrera la conception et la mise en œuvre de la prestation canadienne pour les personnes handicapées. La mesure législative proposée fournira un cadre juridique pour la prestation et donnera au gouverneur en conseil le pouvoir de concrétiser la formule de la prestation au moyen de la réglementation. Même si le tout s’est déroulé rapidement, le projet de loi a fait l’objet d’un examen approfondi par les représentants de la communauté des personnes handicapées et — je prends une grande inspiration — le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes. C’est un long titre, mais ce comité est mieux connu sous l’acronyme HUMA.

En gardant à l’esprit que « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous », la communauté des personnes handicapées a présenté une vaste série de conseils et de commentaires à l’intention de la ministre, du ministère et des membres du comité. Le comité a tenu six réunions sur le projet de loi, entendu 36 témoins et reçu 153 mémoires.

J’ai pris connaissance de tous les témoignages lors des réunions et je peux affirmer que les discussions étaient animées et constructives. Cela démontre l’engagement indéniable de tous les partis pour mener à bien ce projet de loi.

Cet examen a permis d’apporter neuf amendements, qui ont tous contribué à renforcer le projet de loi selon moi. Tous ces amendements ont été adoptés à l’autre endroit lorsque le projet de loi C-22 a été adopté à l’unanimité. Je tiens à mentionner les thèmes clés du projet de loi et à souligner certains des amendements proposés comme j’aime à le faire.

Premièrement, le projet de loi comprend un engagement important à répondre aux besoins financiers des personnes handicapées. J’aimerais lire trois des dix paragraphes du préambule :

[Attendu] que les personnes handicapées en âge de travailler sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les personnes en âge de travailler qui ne sont pas handicapées, et ce, en raison de l’exclusion économique et sociale;

que les personnes handicapées sont souvent confrontées à des obstacles à l’emploi, notamment à des facteurs de dissuasion au travail comme la perte de revenus et d’autres avantages découlant de l’obtention d’un emploi; [...]

que le Canada aspire à devenir un chef de file mondial en matière d’élimination de la pauvreté et que, à cette fin, le Parlement a édicté la Loi sur la réduction de la pauvreté [...]

Cela donne une idée de l’objet du projet de loi. Ensuite, le projet de loi s’articule principalement autour de l’article 11, qui permet au ministre de prendre des règlements pour mettre en œuvre la prestation. Il faut admettre que les détails sont limités. Le projet de loi établit les principaux aspects que les règlements doivent prendre en considération. Cela concerne notamment : les critères d’admissibilité à la prestation; les conditions selon lesquelles la prestation sera versée; le montant de la prestation; l’exigence que la prestation soit indexée au taux d’inflation — une disposition mise en place grâce à un amendement adopté à l’unanimité au Comité des ressources humaines de la Chambre des communes —; l’élaboration d’un processus de demande exempt d’obstacles; l’annulation ou la modification d’une décision; tout appel.

Un deuxième amendement adopté à l’autre endroit qui fait partie du projet de loi dont nous sommes saisis concerne plus particulièrement le caractère adéquat de la prestation. Cet amendement a ajouté l’article 11(1.1) au projet de loi. La disposition se lit maintenant comme suit :

Le gouverneur en conseil, dans tout règlement pris en vertu de l’alinéa (1)c) concernant le montant de la prestation, tient compte du seuil officiel de la pauvreté au sens de l’article 2 de la Loi sur la réduction de la pauvreté.

(1620)

La mesure législative aurait pu être plus prescriptive et détaillée sur certaines de ces questions, mais il y a des avantages à faire ce travail par la voie de règlements. Elle offre une plus grande souplesse et elle contribue à la capacité de verser plus rapidement les prestations pour les personnes handicapées aux bénéficiaires.

Deux autres aspects de cette question m’interpellent et, je l’espère, vous interpellent également.

Premièrement, le projet de loi engage le ministre à mettre en place un processus rapide et très inclusif qui permettra à la communauté des personnes handicapées de participer à l’élaboration des règlements d’application de la prestation. Il s’agit d’un autre amendement apporté au projet de loi dans l’esprit du « rien ne doit se faire sans nous ». La ministre s’engage à ce que la communauté des personnes handicapées participe à chaque étape de l’élaboration des politiques et des programmes relatifs à la prestation.

Ensuite, si cet engagement repose sur un élément de confiance, il y a aussi un fort climat de confiance dans ce dossier. D’ailleurs, la ministre Qualtrough peut s’attribuer une grande partie du mérite, et j’espère que cette réussite sera respectée par nous tous. Un indicateur de ce fort climat de confiance est que la grande majorité des intervenants de la communauté des personnes handicapées — j’ai compté — sont à l’aise avec la structure du projet de loi dont nous sommes saisis et appuient sans réserve son adoption dans sa version actuelle.

Un troisième aspect du projet de loi touche à l’échéancier. Pour les personnes handicapées, les délais nécessaires pour la mise en œuvre et le versement des prestations sont d’une importance cruciale. C’est compréhensible. Chaque mois qui passe laisse des centaines de milliers de Canadiens dans la pauvreté. Trop de temps s’est déjà écoulé, et j’espère que, pour cette seule raison, vous jugerez utile d’étudier le projet de loi dans les meilleurs délais.

Le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes a bien compris le message. Permettez-moi de répéter quelques extraits des témoignages qu’il a entendus. Voici ce qu’a dit Rabia Khedr, du mouvement Le handicap sans pauvreté :

[S]i nous attendons que ce processus législatif détermine tous les détails d’une prestation parfaite, son arrivée sera trop tard [...]

Voici ce qu’a dit Krista Carr, vice-présidente à la direction d’Inclusion Canada, un groupe désigné de dirigeants de la communauté des personnes handicapées à qui on a confié la tâche de travailler sur le pilier de la sécurité financière du Plan d’action pour l’inclusion des personnes en situation de handicap du Canada.

Mon dernier appel aux membres de ce comité est le suivant: si vous voulez vraiment exercer une influence historique sur la vie des personnes handicapées dans ce pays, et je sais que vous le voulez tous, vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour que ce projet de loi soit adopté le plus rapidement possible afin que […] cette prestation soit mise à la disposition des personnes qui en ont désespérément besoin.

Dans ma propre province, Inclusion Saskatchewan a exprimé son appui au projet de loi dans des termes semblables.

Compte tenu de l’urgence de la situation, et pour demander des comptes au ministère, on a amendé le projet de loi pour qu’il exige la présentation d’une série de rapports et l’établissement d’échéances. Il y a quatre éléments clés. Premièrement, le projet de loi entre en vigueur au plus tard au premier anniversaire de sa sanction. Deuxièmement, dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur du projet de loi, il faut déposer au Parlement un rapport sur l’engagement d’établir un dialogue avec la communauté des personnes handicapées concernant l’élaboration des règlements. Troisièmement, il faut présenter aux deux Chambres du Parlement un rapport un an après l’entrée en vigueur de la mesure législative. Quatrièmement, il faut entreprendre des examens parlementaires après le premier anniversaire de la date d’entrée en vigueur du présent article, après le troisième anniversaire de cette date et après chaque cinquième anniversaire par la suite.

Ces dispositions permettront au Parlement de superviser la mise en œuvre du projet de loi afin de déterminer s’il atteint bien son objectif et de changer de cap si nécessaire.

Je voudrais parler brièvement d’un autre aspect important de la prestation d’invalidité — un aspect qui présentera à la fois des défis et de grandes possibilités.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, les provinces et les territoires offrent actuellement une gamme de prestations aux personnes handicapées. L’objectif de la prestation d’invalidité est de s’appuyer sur les prestations existantes pour améliorer la vie de ces personnes de façon significative. Pour cette raison, il sera essentiel que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces et les territoires — on m’a dit que ce travail est déjà en cours — pour s’assurer qu’ils maintiennent leurs engagements envers les personnes handicapées. En d’autres termes, la prestation d’invalidité du Canada n’entraînera pas le recouvrement d’autres prestations existantes.

En effet, grâce à cette coopération, j’ai bon espoir que des mesures de soutien bien intégrées permettront d’améliorer la vie des bénéficiaires. Pour une plus grande transparence, les accords avec les provinces et les territoires doivent être rendus publics, comme l’a demandé le comité dans un autre amendement. Dans cette optique, j’ai indiqué à la ministre qu’en plus de parrainer le projet de loi, je serais prêt à contribuer autant que possible au dialogue avec les provinces et les territoires afin d’obtenir des résultats optimaux dans le meilleur esprit de coopération possible entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.

Appuie-t-on la prestation? La réponse est que pratiquement tout le monde l’appuie. Premièrement, les Canadiens, en général, appuient fortement la création d’une prestation canadienne pour les personnes handicapées. Selon un sondage d’Angus Reid réalisé en 2021, près de 9 Canadiens sur 10 l’appuient.

De plus, dans une lettre ouverte à l’intention du premier ministre, 200 éminents Canadiens, y compris d’anciens parlementaires, ont exprimé leur appui. Plus d’une cinquantaine de sénateurs ont manifesté leur appui par écrit. Des universitaires, des dirigeants d’entreprises et de syndicat, des économistes, des professionnels de la santé et des défenseurs de l’intérêt des personnes handicapées ont tous communiqué le même message. Comme je l’ai dit, l’autre endroit a adopté le projet de loi à l’unanimité à l’étape de la troisième lecture.

Nous étudierons le projet de loi comme il se doit dans cette enceinte et au comité, mais le jugement collectif et unanime des représentants élus par les Canadiens mérite tout particulièrement, selon moi, d’être pris en compte.

Les Canadiens handicapés eux-mêmes ont fait savoir clairement que ce pilier — le pilier de la sécurité financière — constitue leur besoin le plus urgent et le plus prioritaire. Ce message qu’on me dit être unanime a été transmis de diverses façons : un sondage en ligne auquel 8 500 personnes ont répondu; des tables rondes avec la communauté des personnes handicapées et des experts; des consultations menées par des Autochtones dans le cadre d’un volet de consultation distinct; ainsi qu’une pétition électronique signée par près de 18 000 personnes qui a été déposée à l’autre endroit.

Cela n’est pas vraiment surprenant si on pense aux statistiques mentionnées plus tôt. Derrière ces chiffres, ce sont toutes les personnes handicapées qui doivent multiplier les efforts pour arriver en raison de leur situation très compliquée. Il existe de nombreuses dépenses quotidiennes entraînées par un handicap en ce qui concerne le logement, les frais médicaux et les mesures de soutien, des dépenses que les autres membres de la société n’ont pas à engager. Évidemment, il n’y a pas que l’argent. La pauvreté a aussi un effet dévastateur sur la santé mentale. Le désespoir, la fatigue et la colère — c’est le tourbillon émotionnel que ressent en général une personne handicapée qui ne voit pas de moyen de se sortir de la pauvreté.

Enfin, pour ne pas m’étendre trop longtemps sur le sujet — j’ai dit la même chose lors d’un discours récemment et quelqu’un a crié : « Il est un peu tard pour cela! » Je pense qu’on pourrait me dire la même aujourd’hui.

De nombreux parlementaires à l’autre endroit ont travaillé fort pour que ce projet de loi nous soit renvoyé; je pense notamment aux députés Bonita Zarrillo et Mike Morrice. Je tiens à reconnaître le travail et les efforts de la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, qui nous a amenés à la porte des buts. Comme la ministre Qualtrough l’a affirmé à l’autre endroit :

L’objectif ultime est d’améliorer la vie de centaines de milliers de personnes handicapées. L’Inclusion des personnes handicapées : c’est le Canada qui nous représente. Nous devrions tout faire pour que ce soit la réalité au Canada.

Pour conclure, j’aimerais prendre un moment pour donner un visage humain à mes propos. J’aimerais que vous réfléchissiez à quelqu’un que vous connaissez. Nous connaissons tous quelqu’un — un ami, une connaissance, un membre de notre famille — qui a un handicap. Réfléchissez aux difficultés auxquelles cette personne est confrontée et les défis qu’elle doit surmonter, souvent avec votre amour et votre soutien. Réfléchissez à la force et à la persévérance dont elle doit faire preuve ne serait-ce que pour survivre dans un monde peu accueillant. Ma fille Kelly et ses amis me viennent à l’esprit et je les considère comme des héros à cet égard.

Quelqu’un a dit un jour, avec sagesse, je pense, que les choses que nous ne parvenons pas à changer finissent parfois par nous faire changer pour le mieux. C’est le cas de ma fille Kelly et d’un grand nombre de ses amis. J’en suis reconnaissant, et je sais que c’est le cas d’un grand nombre d’entre vous dans les relations que vous avez.

Dans ma famille, nous avons beaucoup de chance. Ma fille n’aura pas besoin de cette prestation pour s’en sortir dans la vie. Cependant, elle défend avec ardeur notre travail au Sénat aujourd’hui et dans les jours à venir. Je ne voudrais pas qu’il en soit autrement, et je ne la changerais pour rien au monde. Un jour, quelqu’un a dit : « Je ne te changerais pour rien au monde, mais je changerais le monde pour toi. »

(1630)

Nous avons une occasion tangible de le faire, de changer le monde pour des centaines de milliers de nos concitoyens qui ont vraiment besoin de nous. Quelle belle occasion. Quel honneur.

Sur ce, chers collègues, je vous demande respectueusement d’examiner et d’adopter rapidement le projet de loi. Merci.

L’honorable Patricia Bovey : Sénateur, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Cotter : Avec plaisir, sénatrice Bovey.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie de parrainer le projet de loi. Je pense qu’il est très important. Vous et moi avons déjà parlé de certains des problèmes auxquels nos collègues canadiens sont confrontés.

Vous avez dit que les accords fédéraux-provinciaux seront conclus de manière à ce qu’il n’y ait pas de récupération. Je me demande si vous pouvez le confirmer, en fonction de vos discussions avec la ministre. Comme vous le savez, je travaille à mon bureau avec une jeune personne qui a un contrat de travail, et le gouvernement du Manitoba prévoyait récupérer deux tiers de son revenu. Nous avons réussi à prolonger son contrat, alors le gouvernement n’a récupéré qu’un tiers de son revenu. Je crains que ce que nous lui payons soit loin de correspondre à un salaire de subsistance.

Dans la mesure du possible, j’aimerais vraiment que vous nous en disiez davantage sur la façon dont on s’y prendrait pour qu’il n’y ait plus de récupération, afin que les fonds fédéraux améliorent vraiment la situation financière des personnes handicapées.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie de votre question, sénatrice Bovey. Je sais que beaucoup de sénateurs, dont vous faites partie, et de nombreux députés fournissent une aide individuelle à des personnes handicapées afin d’atténuer leur vulnérabilité et de les aider à améliorer leur situation.

Selon les messages que j’entends de la part de la ministre et de son cabinet, on semble avoir plus ou moins adopté comme principe qu’il ne doit pas y avoir de récupération. Comme vous le savez, une bonne partie du soutien destiné aux personnes handicapées est gérée par les provinces. Les paiements dont nous parlons maintenant seront versés directement aux personnes relevant de la compétence fédérale.

Il existe des différences entre les régimes provinciaux. La situation que vous décrivez pourrait se produire dans certaines provinces, mais être impossible dans d’autres provinces, où d’autres défis pourraient toutefois se présenter. Le fait de recevoir de l’argent entraîne malheureusement des mesures de modération et des conséquences.

Je crois qu’il faudra probablement que chaque province et territoire négocie séparément avec le fédéral pour atteindre l’objectif, qui est essentiellement d’éviter toute récupération et de voir à ce que cette prestation généreuse, qui représentera une somme considérable, ne se solde pas par une perte pour les personnes qui la recevront.

Je n’ai pas d’autres détails à vous donner, si ce n’est qu’il existe un certain engagement de la part de la ministre fédérale à éviter une récupération. J’appuie cet objectif et, comme je l’ai déjà dit, si je peux aider la ministre et les dirigeants provinciaux à résoudre ce casse-tête, je le ferai avec plaisir. Ce sera une réussite, je crois.

J’espère que cela se fera rapidement. L’adoption du projet de loi par le Sénat enclencherait officiellement le processus.

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Cotter, il y a trois autres sénateurs qui souhaitent poser des questions. Acceptez‑vous d’y répondre?

Le sénateur Cotter : Volontiers, oui.

L’honorable Pat Duncan : Merci, sénateur Cotter, de parrainer le projet de loi. Je salue l’intention qui l’anime — vous l’avez expliquée avec tant d’éloquence — et je respecte entièrement nos collègues de l’autre endroit.

Comme vous avez mentionné dans votre discours que vous avez examiné tous les documents, les témoignages, etc., en plus d’avoir lu attentivement le projet de loi, je vous pose la question suivante : quelle est la place des commissions des accidents du travail, qui sont indépendantes du gouvernement, dans les consultations du fédéral avec les provinces et les territoires?

Je pense au cas d’un demandeur de longue date qui aurait, disons, un diagnostic de troubles de stress post-traumatique et à qui la Commission des accidents du travail dirait : « Non, vous êtes apte au travail. Vous y retournez, ou c’est terminé; vous avez atteint la limite. », malgré le fait qu’un médecin considérerait toujours que cette personne a un handicap.

Est-ce que ce serait utile dans ce genre de cas? Y aurait-il récupération dans ce genre de cas? Quelle est la place du processus de consultation?

Le sénateur Cotter : Je ne suis pas très au fait des détails du lien avec les indemnités pour accident du travail, mais je sais qu’il y a eu des consultations et un dialogue avec — permettez-moi de l’appeler ainsi — l’industrie de l’assurance. Lorsqu’on considère les indemnités pour accident du travail comme une forme d’assurance à laquelle les travailleurs et les employeurs cotisent, il faut aussi essayer de comprendre l’intersection entre les deux. La ministre et son cabinet m’ont dit qu’ils avaient repéré le problème et qu’ils s’efforçaient de faire en sorte que les gens ne soient pas lésés par la prestation qu’ils obtiendraient, de sorte que les autres prestations auxquelles ils ont légitimement droit ne soient pas compromises.

Je vais approfondir la question des indemnités pour accident du travail, car je pense que c’est un très bon élément.

La sénatrice Duncan : Merci.

[Français]

L’honorable Éric Forest : Mes premiers mots seront pour vous remercier du fond du cœur d’accepter de parrainer ce projet de loi, qui est si important et qui interpelle nos valeurs de solidarité et d’équité.

Mon inquiétude est un peu en périphérie du projet de loi, parce qu’il y a encore beaucoup d’éléments à définir, notamment des conditions d’admission et ce qui va entourer cette admission. En effet, le diable est souvent dans les détails, et j’espère qu’on sera en mesure de livrer ces informations complémentaires rapidement.

En vous écoutant, effectivement, on se rend compte qu’il y a des personnes handicapées qui, dans leur situation, profitent beaucoup du soutien et de l’amour de leur entourage — et vous en êtes un exemple vivant. Cependant, on sait qu’au Canada, il y a plus de 10 % des contribuables qui ne produisent même pas de déclaration de revenus. Parmi ces 10 %, il y a plusieurs personnes qui sont isolées et handicapées. Ce sont les gens les plus fragiles de notre société.

Cela ne fait pas nécessairement partie de l’essentiel du projet de loi, mais je suis très préoccupé de savoir si l’on sera en mesure de mettre en place certains outils pour être capables d’identifier ces gens. On ne peut pas les atteindre actuellement, car on ne les connaît pas. De plus, ils sont perdus dans les limbes administratifs parce qu’ils ne produisent pas de déclaration de revenus. Pourtant, ce sont les gens les plus fragiles de notre société aujourd’hui.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Merci, sénateur Forest. C’est une question très légitime et importante.

Une disposition du projet de loi prévoit, aux fins de l’application et de l’exécution de la mesure législative, l’accès aux renseignements sur l’impôt sur le revenu, de sorte que les personnes qui obtiennent des crédits d’impôt, par exemple, pourront être identifiées. Vous avez raison de dire qu’il existe un grand nombre de personnes tout à fait déconnectées du gouvernement de toutes sortes de façons, principalement en raison de leur situation de pauvreté et de leur handicap. Je pense que le projet de loi — s’il n’échoue pas — ne concrétisera pas ses objectifs si l’on ne va pas au-devant de ces personnes.

Ce qui s’est passé avec ce projet de loi et avec les discussions qui durent depuis trop longtemps, à vrai dire, ces dernières années, c’est que les regroupements de personnes handicapées, tant nationaux que provinciaux et locaux, se sont investis dans ce projet de loi de façon incroyable. J’espère qu’avec l’appui du gouvernement, il y a peut-être un moyen d’aller au-devant de ces personnes pour qu’elles soient au courant du projet de loi. Le projet de loi comprend notamment un engagement à ce que la présentation des demandes et tout ce qui l’entoure soient sans obstacle pour les personnes handicapées. J’espère donc que cela pourra se faire grâce à ce genre de démarche.

En me fondant sur ma propre expérience, puisque j’ai travaillé un peu avec Inclusion Saskatchewan dans les dernières années, je dirais que ces intervenants font un excellent travail lorsqu’il s’agit de cerner les besoins, même si je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils connaissent toutes les familles de la Saskatchewan qui comptent une personne handicapée. Sur le terrain, je crois que les gens appuient sans réserve ce projet de loi même en sachant que tout ne va pas se dérouler parfaitement. Je crois cependant qu’il sera beaucoup plus efficace que ne pourraient le croire les parlementaires à Ottawa.

(1640)

L’honorable Percy E. Downe : Je vous remercie de votre discours, monsieur le sénateur. Comme vous, j’appuie le projet de loi. Je crois qu’il est grandement nécessaire.

Cependant, je suis toujours préoccupé lorsqu’un projet de loi est adopté à l’unanimité à la Chambre des communes. Malheureusement, je me fonde sur des années d’expérience pendant lesquelles j’ai été témoin de ce que j’appellerais la tendance de la Chambre à s’emballer. C’est ce que nous avons vu récemment avec le projet de loi sur les pensions. Pendant des années, la Chambre des communes a refusé d’appuyer ces mesures, puis, soudainement, elle les ont été appuyées à l’unanimité.

Comme vous le savez, notre travail n’est pas de retarder l’étude des projets de loi, mais de nous assurer que les dispositions sont foncièrement bonnes sur le plan de la mise en œuvre. J’ai parlé de la Charte des anciens combattants, une mesure qui était à l’étude lorsque j’ai été nommé au Sénat. La Chambre des communes a consacré en tout deux minutes et demie à l’étude du projet de loi avant de nous l’envoyer. Nous l’avons renvoyé au ministère des Finances, mais pas au Sous-comité des anciens combattants. Qui ne voudrait pas aider les hommes et les femmes qui servent notre pays? Nous avons adopté ces mesures pour ensuite nous faire dire par le directeur parlementaire du budget, des années plus tard, que les anciens combattants se trouvaient à recevoir des millions de dollars de moins que si rien n’avait changé.

Pour faire suite à la question posée récemment, je signale que le Supplément de revenu garanti constitue un excellent exemple de programme valable, mais dont la mise en œuvre a exigé des années de mise au point de la part de bon nombre d’entre nous. Pour recevoir cette prestation, il fallait produire une déclaration de revenus, mais les contribuables qui n’avaient pas d’impôt à payer étaient exemptés de cette obligation. Ainsi, dans la province où je réside, des centaines d’aînés à faible revenu qui refusaient de payer 50 $ à un intermédiaire pour préparer leur déclaration de revenus faute d’être en mesure de le faire eux-mêmes, ne recevaient pas cette prestation à laquelle ils avaient pourtant droit.

Conviendrez-vous avec moi que, même si de nombreuses personnes affirment qu’il n’est pas nécessaire de s’attarder à cette question, il est très important que le comité sénatorial fasse le travail que les comités de la Chambre des communes omettent souvent de faire, et qu’il s’assure que le nouveau programme soit irréprochable — sans failles —, avant que le projet de loi soit adopté?

Le sénateur Cotter : Je suis tout à fait d’accord avec vous, sénateur Downe. Le défi consiste à mettre tout cela en place de manière organisée.

Cependant, dans ce contexte, le projet de loi propose de le faire par voie de règlement, de sorte que nous obtiendrons très peu de contrôle parlementaire sur le processus. Le processus devrait être le plus transparent possible, mais je pense qu’il sera établi par voie de règlement.

Voici ma dernière observation : le résultat est tel que nous pouvons être confiants et satisfaits — et c’est notre travail — que le projet de loi inclut les bons indicateurs. Je pense qu’ils sont plutôt bons. Vous en trouverez certains qui pourraient être meilleurs. Cependant, le projet de loi vise consciemment à être un cadre. Pour être franc, cela accorde un grand degré de confiance au ministère et aux fonctionnaires pour le mettre en place. Je suis prêt à leur faire considérablement confiance.

L’engagement d’assurer la participation de la communauté des personnes handicapées à chaque étape du processus est une bonne mesure supplémentaire.

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Merci, monsieur le sénateur Cotter, pour ce discours fort intéressant.

J’ai lu attentivement le projet de loi en prévision de votre discours. Vous avez dit un mot qui m’a frappé. Vous avez dit que c’était un cadre visant à arriver à quelque chose. J’ai aussi noté que l’entrée en vigueur de la loi est prévue 12 mois maximum après l’adoption du projet de loi. J’ai remarqué que le gouvernement doit faire rapport des consultations six mois après l’entrée en vigueur de la loi et que le gouvernement doit déposer dans les deux Chambres un rapport sur la réglementation proposée dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la loi. On parle peut-être déjà de deux ans.

Dans le cadre des réunions d’information que vous avez eues avec le ministère, a-t-il été question d’un échéancier réaliste pour voir les premiers chèques ou les premières prestations se rendre aux bénéficiaires? C’est que je soupçonne que, d’ici deux ans, il pourrait y avoir des élections.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Si je peux me permettre, sénateur Dalphond, la possibilité de telles élections n’a pas vraiment d’importance, car le cadre sera en place et le ministère va poursuivre la mise en œuvre du programme. Je déteste les analogies avec le golf, mais j’ai un handicap de 30 en matière de prédiction d’élections, alors je suis heureux que cette question soit réglée.

Selon ce que j’entends à titre officieux, car personne n’est prêt à s’engager de façon formelle, c’est qu’on espère qu’il sera possible d’entreprendre les négociations et de mettre la réglementation en place dans 12 mois. Une fois cette étape franchie, je crois que la distribution des prestations pourra commencer.

Selon le libellé actuel du projet de loi, il y aura un processus de demande, ce qui signifie que les gens devront présenter une demande. Par contre, on parle d’une période de 12 mois et j’espère bien que c’est exact et que ce sera le délai maximal.

Le sénateur Downe a raison : nous avons un travail important à faire, et nous devons le faire le plus rapidement possible, car, à mon avis, chaque mois qui passe retarde d’un mois la mise en œuvre, ce qui signifie que des dizaines de milliers de Canadiens resteront dans la pauvreté un mois de plus. C’est vraiment important pour eux que nous fassions de notre mieux.

L’honorable Marty Klyne : Sénateur Cotter, je dois revenir en peu en arrière quand la pandémie de COVID-19 faisait des ravages et que de l’argent était distribué sous forme de prestations de la PCU, de suppléments à l’aide sociale et ainsi de suite. Dans certaines provinces et certains territoires, un grave problème qui a eu des conséquences tragiques est survenu quand on a exigé la récupération des revenus de l’aide sociale. J’aimerais appuyer ce projet de loi. J’aimerais qu’il serve réellement à aider financièrement les personnes admissibles et non à faire en sorte que les provinces et les territoires équilibrent leurs budgets.

On a vu auparavant que l’une des failles a été le temps écoulé avant qu’une autorité compétente, que ce soit le ministre responsable ou le premier ministre, dise aux provinces et aux territoires d’utiliser les fonds uniquement pour les personnes handicapées et qu’aucune autre fin n’était autorisée. Cet argent ne doit pas être récupéré. Il faut qu’un accord soit conclu pour que les sommes versées ne soient pas récupérées. Sinon, le gouvernement leur donnera un faux espoir. Le simple fait d’annoncer l’examen de ce projet de loi est une source d’espoir. Assurons-nous qu’il n’est pas faux.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie, sénateur Klyne. J’avais retiré ce qui suit de mon discours; je le reprends ici pour vous répondre, si vous le permettez.

J’ai occupé un poste de sous-ministre dans un gouvernement provincial pendant une dizaine d’années. Quand Ottawa arrive et fournit du soutien pour un programme ou une initiative, les ministères provinciaux ont naturellement tendance à chercher des façons de réaliser des économies de leur côté. Cela fait partie des attentes des ministères des Finances provinciaux. C’est un peu comme la loi de la gravité, d’une certaine façon.

Dans le cas d’un projet de loi comme celui-ci, agir ainsi serait faire preuve de mauvaise foi, si je puis m’exprimer ainsi. Cette mesure vise à aider certaines des personnes qui ont le plus besoin d’aide dans notre pays. J’appuie donc complètement le message de la ministre. Je ne connais pas toutes les petites manœuvres que les provinces ont tendance à employer, et elles ne sont pas à proprement parler illégitimes dans l’ensemble; les provinces ont des obligations financières envers leurs résidants et, à juste titre, envers nous dans les dossiers fédéraux touchant les provinces. Dans ce cas‑ci, je crois que de telles manœuvres seraient indignes et qu’il est important de les réduire au minimum et idéalement de les éliminer. Comme je pourrais peut-être contribuer à trouver des solutions, j’ai fait savoir que je suis prêt à parler avec les gens et à examiner les programmes qu’il faut voir se poursuivre à l’échelon provincial.

Je comprends tout à fait la légère inquiétude que vous exprimez.

L’honorable Kim Pate : Acceptez-vous de répondre à une autre question, sénateur Cotter?

Le sénateur Cotter : Certainement, sénatrice Pate.

La sénatrice Pate : Comme vous le savez sans doute, j’ai entrepris, avec la sénatrice Petitclerc, de rédiger la lettre signée par 50 sénateurs, en grande partie parce que le gouvernement n’agissait pas comme il l’avait promis et comme il l’avait indiqué dans le budget précédent.

Je ne doute pas de la bonne foi et de l’intention de la ministre dans le dossier. J’ai d’importantes réserves, cependant. L’une des principales questions soulevées initialement par les groupes de personnes handicapées — et je crois comprendre qu’ils ont été mis à l’écart et, selon certains, poussés au silence — concerne la question du caractère adéquat. Les experts juridiques affirment également que le caractère adéquat est un point clé qui ne figure pas dans le projet de loi.

Bien qu’il y ait eu une recommandation royale sur le caractère adéquat, lorsque cette question a été soulevée à l’autre endroit, on a jugé qu’elle dépassait la portée du projet de loi. Comme le sénateur Downe et d’autres l’ont dit, cela semble un peu étrange lorsque l’objectif est de sortir les gens de la pauvreté et, comme vous l’avez indiqué, d’essayer de faire en sorte que les personnes handicapées au pays aient non seulement assez d’argent, mais qu’ils aient aussi la possibilité de prospérer.

(1650)

Je me demande comment vous nous imaginez le mieux à même de soutenir ce processus étant donné tous ces problèmes, étant donné les nombreuses questions qui vous ont déjà été posées au sujet des paiements récupérés, du caractère adéquat et de l’accès. Comment envisagez-vous que nous puissions nous attaquer à ce problème particulier alors qu’il est très clair que des experts juridiques semblent convenir que notre incapacité à inclure le caractère adéquat pourrait être l’une des clés? De nombreux tribunaux ont jugé que, malheureusement, nous continuons à demander aux personnes les moins bien nanties de traîner le gouvernement devant les tribunaux pour faire appliquer ces mesures. Que pouvons-nous faire de mieux pour nous assurer que cet aspect soit inclus, étant donné les limites de notre capacité en ce qui concerne les problèmes fiscaux?

Le sénateur Cotter : Au-delà de la confiance, dont je fais preuve abondamment à l’égard de ce projet de loi, j’accepte votre point de vue. J’aurais probablement été plus heureux si un amendement avait été apporté à l’autre endroit pour renforcer un peu plus cet aspect. Je pense qu’il sera quand même pris en compte.

En ce qui concerne le fait que le caractère adéquat dépasse la portée du projet de loi, je suis encore une fois dépassé. La sénatrice Seidman, qui est la porte-parole pour le projet de loi, et moi-même avons parlé de l’importance et de la signification de cet aspect. Je pense qu’il mérite d’être exploré. J’espère simplement que cela se fera en temps opportun et que la question de savoir s’il est nécessaire de renforcer le projet de loi dans ce sens de même que la façon de procéder seront examinées en profondeur par le comité. Je suis satisfait du projet de loi dans sa forme actuelle, mais, bien entendu, chaque sénateur peut se faire sa propre idée.

[Français]

L’honorable Diane Bellemare : Félicitations pour ce discours et pour ce projet de loi. C’est tout à votre honneur, et c’est aussi à l’honneur du gouvernement d’aller dans cette direction. Toutefois, ma question est la suivante : comment, au moyen d’un projet de loi qui fonctionnera par réglementation, les personnes handicapées auront-elles l’assurance de recevoir des revenus adéquats? En effet, le projet de loi est assez vague dans tous ses paramètres. Pourquoi donc n’avons-nous pas choisi de faire un programme à frais partagés avec les provinces, par exemple, pour nous assurer d’une livraison adéquate des prestations?

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Je n’ai pas de réponse complète à ce sujet, sénatrice Bellemare. Quant à la question de la négociation d’initiatives à frais partagés, elle est complexe, comme vous le savez. Je pense qu’il y a un temps pour cela. Mon expérience au sein d’un gouvernement provincial m’a appris qu’il y a des moments où le gouvernement du Canada veut agir — laissez-moi dire unilatéralement — pour faire une bonne chose, et les paiements directs sont souvent un modèle qui est adopté à cet égard. Il y a des jours dans la province où j’aurais souhaité une approche différente, mais cela semble être une réponse attrayante et plus immédiate.

Il faut s’assurer que les provinces ne profitent pas de l’initiative, parce qu’il s’agit, je ne sais pas de combien, mais de beaucoup d’argent qui ira aux personnes handicapées. Cet argent alimentera les économies provinciales, car les personnes handicapées se trouvent de façon disproportionnée dans la fourchette inférieure des revenus au Canada et qu’elles ont tendance à dépenser l’argent non pas pour des voyages à Hawaï ou à Palm Springs, mais pour payer le loyer et la nourriture, pour soutenir leur famille et pour essayer de joindre les deux bouts. Il y aura des avantages, et je pense que l’idée consiste à essayer de les obtenir rapidement. Les programmes à frais partagés auraient posé un certain défi à cet égard.

C’est aussi un peu plus compliqué parce que nous ne partons pas de zéro. Les provinces ont déjà leurs propres mesures, dont certaines sont distinctes — en fait, elles sont toutes différentes. Chaque cas de figure nécessitera de longues discussions détaillées. Ce sera déjà tout un défi.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Cotter, trois sénateurs voudraient participer à un deuxième tour de questions. Demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à ces questions?

Le sénateur Cotter : Je serais heureux de demander cinq minutes de plus et j’essaierai de donner des réponses plus courtes.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, sommes-nous d’accord pour accorder cinq minutes de plus?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Bovey : Merci, sénateur Cotter. Je serai très brève.

Dans votre discours, lorsque vous passiez en revue le projet de loi, vous avez parlé du fait qu’il y aurait des dispositions prévoyant des examens, des réexamens et des appels. S’agit-il des termes exacts? Ces processus s’appliqueraient-ils aux cas où des gens se voient refuser la prestation?

Le sénateur Cotter : J’ai tiré ces termes du projet de loi. Les dispositions pertinentes, prévues au paragraphe 11(1), se lisent comme suit : « h) concernant l’examen ou le réexamen des décisions prises sous le régime de la présente loi; » et « i) concernant tout appel ».

On s’attend donc à la mise en place d’un modèle de réexamen, ainsi que de dispositions pour un processus d’appel.

Le sénateur Downe : Merci, sénateur Cotter, d’accepter de répondre à tant des questions. Je pense que le fait qu’il y ait tant des questions montre à quel point les sénateurs souhaitent présenter la meilleure mesure législative possible.

En réponse à ma question plus tôt, vous avez parlé du cadre et de la réglementation. Je crois qu’il s’agit là d’éléments cruciaux, et je me demande si, comme moi, vous êtres d’avis que les sénateurs au comité seront en mesure de déterminer clairement auprès des fonctionnaires des divers ministères comment ils entendent procéder.

D’après mon expérience, plus nous obtenons de précisions de leur part, plus nous pourrons leur demander des comptes par la suite s’ils ne font pas ce qu’ils avaient dit qu’ils feraient. Comme vous, j’ai beaucoup d’espoir que cela ira de l’avant. Cependant, comme les comptables se plaisant à l’affirmer, il est préférable de faire confiance et de vérifier, et je pense que c’est un moyen de le faire. Compte tenu de votre expérience, vous seriez bien placé, je l’espère, pour poser ces questions pointues au comité. Envisagez‑vous de faire cela quand le projet de loi sera renvoyé au comité, au lieu de poser des questions génériques et générales?

Le sénateur Cotter : Je suis d’accord avec vous, sénateur Downe. C’est un honneur pour moi d’avoir un lien significatif avec ce projet de loi, et je veux faire tout en mon pouvoir pour qu’il produise les meilleurs résultats possibles. Merci.

Le sénateur Klyne : Je fais également confiance à la ministre, mais, encore une fois, en 2022, le gouvernement de la Saskatchewan avait décidé de récupérer les paiements effectués aux personnes handicapées. Je crois que l’histoire se répétera à moins que nous arrivions à une entente officielle avant de déployer cette mesure. Je ne veux pas retarder son déploiement, je ne veux pas ralentir le processus, mais nous devons avoir l’assurance que l’argent se rendra au bon endroit. Je ne voudrais pas que l’histoire se répète. S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire ou dire, n’hésitez pas à m’en parler.

Le sénateur Cotter : Je souhaite ardemment ne pas dépasser ces cinq minutes. Le sénateur Black, au Comité de l’agriculture, lève souvent la main pour nous demander d’arrêter, et j’espère ne pas en arriver là dans cette enceinte.

L’aspect positif de ce projet de loi est que ces accords doivent être négociés et rendus publics. Cette exigence figure dans un amendement au projet de loi. Nous pourrons étudier ensemble ces accords et voir s’ils sont suffisamment détaillés et solides pour atteindre les objectifs que nous visons, vous et moi. Cela se produira après l’adoption du projet de loi, mais ainsi vont les choses. Je ne pense pas que nous ayons d’autres choix, mais au moins nous pourrons voir si les attentes et les engagements de la ministre sont respectés. En ce qui concerne les engagements, celui que je prends envers vous et envers les personnes handicapées sera respecté, et nous pourrons le vérifier ou non. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Seidman, le débat est ajourné.)

Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Audette, appuyée par l’honorable sénatrice Mégie, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-29, Loi prévoyant la création d’un conseil national de réconciliation.

(1700)

Le 22 décembre 2022, Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, l’organisation nationale des Inuits, qui représente les Inuits de toutes les régions du Canada, a déclaré dans une entrevue avec Nunatsiaq News que le projet de loi n’a pas été élaboré conjointement et que, par conséquent, les organismes inuits bénéficiaires de l’Inuit Nunangat ne l’appuient pas.

À une conférence de presse qui a eu lieu sur la Colline du Parlement, le président Obed a déclaré sans équivoque :

Les Inuits n’ont pas participé aux démarches effectuées par le gouvernement du Canada pour en arriver à l’ébauche du projet de loi.

Chers collègues, il s’agit d’une déclaration importante qui me préoccupe et que nous devons examiner de plus près. Dès que nous entendons ce genre de déclaration en lien avec un projet de loi du gouvernement, en particulier un projet de loi qui concerne les Autochtones, nous devons porter attention à l’inquiétude que cela soulève. Les principes d’élaboration conjointe entre les Inuits et la Couronne ont été publiés par le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, ou CPIC, l’un des trois mécanismes bilatéraux permanents créés par le gouvernement du Canada pour faciliter la relation de gouvernement à gouvernement entre le gouvernement fédéral et les représentants des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Ces trois mécanismes bilatéraux permanents, ou MBP — un autre sigle — comme on les appelle communément, visent à répondre aux priorités uniques des différents groupes de peuples autochtones du Canada, les priorités des Premières Nations n’étant pas nécessairement les mêmes que celles des Inuits ou des Métis, et vice versa.

Les mesures découlant des divers mécanismes bilatéraux permanents sont censées être des étapes importantes pour ce qui est de faire avancer le programme de réconciliation du Canada, car elles sont menées par les peuples autochtones et sont entreprises dans le cadre d’une approche pangouvernementale. Je pense donc qu’il est particulièrement éloquent que ces principes d’élaboration conjointe, qui ont été publiés en novembre 2022, après des mois de négociations à la table du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, portent le logo de l’ITK, des diverses organisations régionales inuites bénéficiaires et du gouvernement du Canada. Cela démontre l’engagement de toutes les parties représentées à faire avancer les politiques législatives et d’autres initiatives relatives aux Inuits dans le cadre d’une démarche vraiment collaborative.

Le premier paragraphe du document se lit comme suit :

Les principes d’élaboration conjointe décrits dans le présent document fournissent une orientation pour le travail de collaboration entrepris par les partenaires inuits et fédéraux, y compris, mais sans s’y limiter, le travail du Comité de partenariat entre les Inuit et la Couronne, ainsi que pour l’élaboration conjointe entreprise conformément à la Politique sur l’Inuit Nunangat. Cela comprend l’élaboration de contenu pour les lois, les règlements, les politiques, les programmes, les services et les initiatives fédéraux, ainsi que les critères de surveillance et d’évaluation (collectivement appelés « initiatives » ou « processus » ci-dessous). Ces principes doivent être lus conjointement avec les principes directeurs de la Politique sur l’Inuit Nunangat.

Ces principes soulignent l’importance de négociations menées de bonne foi et précisent que « l’élaboration conjointe est substantielle et maximise la collaboration ».

Ils mettent également en évidence la nécessité d’une conception et d’une prestation conjointes et l’importance de respecter la gouvernance et la prise de décision. Ce dernier aspect est décrit comme suit :

[L]es processus d’élaboration conjointe améliorent le processus décisionnel des Inuits et du gouvernement fédéral en fournissant des renseignements précis et transparents aux dirigeants avant qu’une décision ne soit prise.

Donc, l’argument que le président Obed a avancé lors de ses conférences de presse et dans ses interviews ultérieures sur ce projet de loi est que celui-ci ne répond pas aux normes minimales d’élaboration conjointe présentées dans ce document. Compte tenu du fait que ce document porte le logo du gouvernement, ce point important ne peut être négligé.

L’engagement menant à la première ébauche, selon les informations fournies lors de l’examen du projet de loi à l’autre endroit, a été mené par le conseil provisoire et le comité transitoire pour le conseil de la Commission de vérité et réconciliation.

Sénateurs, bien que ce travail soit le bienvenu, il ne peut et ne doit pas être considéré comme le type d’engagement requis par les principes d’élaboration conjointe auxquels je viens de faire référence, ni le type d’engagement requis par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Même l’appel à l’action 53 de la Commission de vérité et réconciliation, qui nous a conduits à ce projet de loi, était également explicite quant au fait que le projet de loi visant à établir ce conseil devrait se faire « en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones ».

Le Canada a-t-il vraiment donné suite à cet appel à l’action en matière de consultation et de collaboration avec les peuples autochtones en refilant l’obligation de consulter sur ce projet de loi au conseil provisoire et au comité transitoire?

C’est uniquement au gouvernement du Canada qu’il incombe de mener, au sujet de ce projet de loi, une consultation qui répond aux principes d’élaboration conjointe établis dans le document du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, et c’est aussi au gouvernement du Canada qu’il incombe de répondre aux critères concernant l’obtention d’un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause au sujet d’initiatives législatives qui ont une incidence sur les peuples autochtones, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

J’attire votre attention sur le libellé exact de l’article 19 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ainsi que sur les attentes élevées et très claires qu’il contient :

Les États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés — par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives — avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Honorables sénateurs, le Canada s’est engagé à respecter une norme élevée et très claire avec le projet de loi C-15. À mon avis, ce projet de loi est clairement une mesure législative qui aura une incidence sur les Inuits de ma région et d’ailleurs au Canada.

Comment allons-nous traiter un projet de loi qui, selon le dirigeant national respecté des Inuits du Canada, une organisation qui représente clairement les Inuits du Canada, n’a pas été élaboré conjointement, comme le prévoient la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et le projet de loi C-15, et n’a pas suivi les règles clairement énoncées dans les principes d’élaboration conjointe convenus par les Inuits du Canada? Devons‑nous ignorer ce manque de respect à l’égard de l’élaboration conjointe d’un projet de loi qui, paradoxalement, vise à favoriser la réconciliation? Ou devons-nous insister pour que le gouvernement fédéral revienne à la case départ et suive cette fois-ci un véritable processus d’élaboration conjointe du projet de loi sur la réconciliation?

C’est le gouvernement fédéral qui dispose des ressources nécessaires pour consulter convenablement les peuples autochtones et il doit veiller à consulter tous les peuples autochtones.

Nous avons entendu à maintes reprises que l’Assemblée des Premières Nations ne représente pas toutes les Premières Nations au Canada. Si nous consultons seulement les trois organisations autochtones nationales, nous excluons des personnes comme les titulaires de traités traditionnels qui ne se sentent pas représentés par l’Assemblée des Premières Nations. Nous excluons certains titulaires de traités modernes et des gens qui vivent hors réserve. Lorsque nous parlons d’un sujet aussi important que la réconciliation, nous ne pouvons pas nous permettre d’exclure des gens de la conversation.

Je suis donc un peu préoccupé par le fond du projet de loi. Après avoir parlé directement avec le président Obed, je crois qu’il n’est pas tout à fait clair si le projet de loi appuie ou supplante le processus de partenariat entre les Inuits et la Couronne. Des fonctionnaires m’ont assuré — et je dois remercier la sénatrice LaBoucane-Benson d’avoir facilité une discussion avec des fonctionnaires sur ce point précis — que le projet de loi ne fait qu’appuyer et compléter le processus en faisant état des progrès réalisés en matière de réconciliation en général.

(1710)

Toutefois, on m’a également dit qu’il appartiendra au premier conseil d’administration du conseil proposé de définir son mandat et qu’il disposera d’une certaine souplesse pour déterminer la profondeur, l’ampleur et la portée de son travail. À mon avis, à moins que nous ne soyons plus explicites sur le rôle attendu du conseil en tant que complément aux mécanismes bilatéraux permanents, il serait possible pour le conseil d’établir son programme d’une manière qui pourrait interférer directement ou indirectement avec le travail important de ces entités importantes, et cela compliquerait inutilement un processus qui, du moins pour les Inuits, a manifestement trouvé son rythme au cours des sept dernières années. Ils ont fait un travail important avec des résultats tangibles.

J’aimerais également souligner, honorables collègues, que le moment choisi pour présenter le projet de loi me préoccupe. Je reconnais qu’il répond à un appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Examinons toutefois le paysage politique qui était présent au moment où la recommandation a été faite par la Commission de vérité et réconciliation.

Le gouvernement fédéral n’avait pas de politique explicite concernant les relations intergouvernementales avec les communautés autochtones et il s’en remettait plutôt aux relations définies dans la Loi sur les Indiens, dans la Constitution et dans divers autres textes de loi. Il n’existait aucun mécanisme permanent de dialogue bilatéral et aucun processus officiel pour l’avancement des initiatives menées par les Autochtones et des priorités de ces derniers. Je comprends le gouvernement de cibler en premier les solutions évidentes et de vouloir continuer de faire des progrès pour la mise en œuvre des 94 appels à l’action, comme il a promis de le faire il y a huit ans, mais la vérité, à mon avis, c’est que la création du conseil n’est plus aussi justifiée qu’en 2015.

Je pense également que le moment est mal choisi en raison du rapport attendu sur la mise en œuvre du projet de loi C-15. Vous le savez, les consultations sur la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones doivent, selon la loi, prendre fin cette année et les deux Chambres recevront un exemplaire du plan d’action devant être élaboré conjointement.

Je crois qu’il aurait été plus prudent d’attendre ce plan, parce qu’il est possible que nos partenaires autochtones aient proposé de meilleurs mécanismes pour suivre la progression générale du plan de réconciliation du gouvernement.

Par exemple, lors des travaux au sujet du projet de loi C-14, les Inuits ont parlé à répétition de la nécessité de créer un tribunal des droits de la personne pour les Autochtones et de mettre en place des mesures de responsabilisation dirigées par les Autochtones. Au CPIC — le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne —, le tribunal des droits de la personne pour les Autochtones et la création d’une nouvelle commission d’examen des traités moderne sont à l’ordre du jour depuis 2017 et 2015, respectivement. Ces solutions me semblent plus concrètes et ciblées pour régler les enjeux liés aux efforts de réconciliation que l’entité à but non lucratif proposée dans le projet de loi à l’étude et qu’un rapport annuel au Parlement. Nous n’avons pas besoin de plus de rapports. Nous avons besoin de mesures concrètes et de mécanismes de responsabilisation rigoureux.

Je crois également que nous devons nous assurer de prendre le temps d’examiner, pendant l’étude de ce projet de loi en comité, la question de savoir qui est inclus et qui est représenté. Ce sera également sujet à controverse. Comme je l’ai dit plus tôt, ce projet de loi exclut beaucoup de gens des conversations importantes. Lorsque nous créerons le conseil, certains groupes et certaines organisations autochtones se verront attribuer des sièges particuliers auxquels ils pourront nommer des membres, alors que d’autres organisations légitimes et représentatives ne pourront pas. Le Congrès des peuples autochtones, qui représente les Premières Nations urbaines, hors réserve et non enregistrées, a obtenu un siège quand le comité de l’autre endroit a amendé le projet de loi, mais cet amendement a été retiré quand le projet de loi a été examiné à nouveau par le Sénat. Compte tenu des problèmes connus concernant l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens, les sénateurs devraient réfléchir soigneusement à l’opportunité de réintégrer cet organisme.

L’Association des femmes autochtones du Canada a obtenu un siège, donnant ainsi une voix importante aux femmes des Premières Nations, mais les voix des femmes inuites n’ont pas été incluses, l’organisation Pauktuutit Inuit Women of Canada n’étant pas reconnue dans le projet de loi.

Chers collègues, maintenant que j’ai parlé de ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, j’espère que nous pourrons lui accorder l’attention qu’il mérite au comité. Je pense que nous devrions entendre le plus grand nombre possible de partenaires et d’intervenants. Si le comité décide d’aller de l’avant avec ce projet de loi quelque peu problématique, j’espère que le ministre était sincère lorsqu’il a dit au Nunatsiaq News, dans un article du 2 décembre 2022 au sujet de ce projet de loi, qu’il était « ouvert à tout amendement raisonnable au Sénat ».

Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 8 février 2023, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 14 février 2023, à 14 heures.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Projet de loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boniface, appuyée par l’honorable sénatrice Hartling, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-232, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence.

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, nous sommes redevables à la sénatrice Boniface d’avoir présenté le projet de loi S-232, Loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances. Ce projet de loi vise à apporter un changement important et crucial à l’approche du Canada en matière de politique sur les drogues.

Comme certains d’entre vous le savent, ma nomination au Sénat a été annoncée le même jour que celle de la sénatrice Boniface. Les journaux nous ont décrites comme une sommité des milieux policiers et une militante des droits des détenus, nous caractérisant de façon présomptueuse comme deux côtés opposés du système de justice pénale. Cependant, nos parcours très différents nous ont donné des perspectives nuancées mais similaires et une compréhension approfondie des limites des approches dites de la loi et de l’ordre en matière de politique sur les drogues.

(1720)

En raison de leurs expériences de vie et de travail, d’autres parmi vous ne savent que trop bien ce qui arrive lorsqu’on a affaire à des systèmes sociaux, économiques et de santé qui tombent en ruine ainsi qu’à des mesures législatives sur les drogues qui sont punitives et qui imposent des peines obligatoires. Depuis trop longtemps, et plus particulièrement dans les trois dernières années, on laisse des gens à eux-mêmes dans les rues ainsi que dans le système pénal, le système judiciaire et le système carcéral, et un trop grand nombre de personnes sont mortes de causes parfaitement évitables.

La sénatrice Boniface et bien d’autres militants ont fourni amplement de données probantes qui montrent que la prétendue guerre contre la drogue et les politiques de tolérance zéro en matière de droit pénal ont échoué. Cette approche n’a pas d’effet dissuasif sur la toxicomanie et ne rend pas les collectivités plus sûres. En fait, elle les rend moins sûres, parce qu’elle stigmatise et marginalise les gens, et parce qu’elles augmentent les risques de préjudices en réduisant l’accès aux services de santé, aux services sociaux et aux services communautaires. Les politiques de tolérance zéro marginalisent des gens dans le besoin et les mènent à la rue et en prison.

Bon nombre d’experts et de militants sont favorables à la décriminalisation de la possession de drogues. En 2020 ainsi qu’en 2021, plus de 50 groupes ont exhorté le gouvernement fédéral à mettre fin aux accusations au criminel pour possession simple de drogues. Ils étaient particulièrement préoccupés par la hausse marquée du nombre de morts par surdose associées à la COVID-19. L’Association canadienne des chefs de police est favorable à la décriminalisation de la possession de drogues comme moyen efficace d’améliorer la sécurité publique tout en réduisant les risques pour la santé associés à la toxicomanie. Ils sont favorables aux approches qui réduisent les cas de récidive en ce qui concerne la toxicomanie et les activités criminelles qui y sont associées, et ce, tout en améliorant les résultats en matière de santé.

Des appels sont venus de partout au Canada pour que nous nous attaquions à ce problème dès maintenant. La Colombie-Britannique et la Ville de Vancouver ont demandé au gouvernement fédéral de créer une exemption en matière de sanctions pénales pour les personnes qui possèdent des drogues illicites pour leur usage personnel. Le nombre de décès dus aux opioïdes a augmenté de 66 % pendant la pandémie, avec une moyenne signalée de 20 décès par surdose d’opioïdes chaque jour en 2021. Rien qu’au cours des deux dernières années, la Colombie-Britannique a été confrontée à une moyenne de six décès par jour dus à des drogues toxiques, et 15 % des personnes ayant fait une surdose étaient des Autochtones. Le taux de mortalité des membres des Premières Nations est cinq fois plus élevé que celui des autres résidants de la Colombie‑Britannique. Pour les femmes autochtones, ce taux est encore plus élevé.

En Ontario, les décès chez les Premières Nations seulement ont augmenté de 132 %, et le taux de mortalité a augmenté de 68 % dans l’ensemble de la province. À la suite du décès par surdose de quatre jeunes, comme beaucoup d’entre vous le savent, la Police provinciale de l’Ontario a récemment averti le public de l’arrivée d’une souche puissante et de plus en plus mortelle d’opioïdes dans le centre de l’Ontario.

Le Nouveau-Brunswick comptait quatre fois plus de décès par surdose que par COVID-19 en 2020. Autrement dit, chers collègues, au plus fort de la pandémie, les décès liés aux opioïdes dépassaient ceux liés à la COVID-19. Pire encore, ces décès sont évitables.

Le groupe des maires des grandes villes de l’Ontario, une coalition regroupant des représentants des 29 plus grandes villes de l’Ontario, ainsi que le Centre de toxicomanie et de santé mentale, l’Association canadienne pour la santé mentale et le conseil de santé de Toronto, proposent tous la décriminalisation des drogues.

Bon nombre de provinces veulent du changement et attendent que le gouvernement fédéral prenne l’initiative. Après tout, le droit criminel relève du gouvernement fédéral. En 2021, le NPD et le Parti vert ont inclus la décriminalisation dans leur plateforme électorale. Par la suite, le NPD a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-216. Il faut reconnaître que le gouvernement a également créé le nouveau poste de ministre de la Santé mentale et des Dépendances, dont la titulaire se dit à l’écoute des intervenants sur le terrain.

Le projet de loi C-5 appelait à ce que la toxicomanie entraîne des interventions axées sur la santé au lieu de mesures de judiciarisation. Tout cela laisse croire qu’il y a peut-être une volonté politique de tous les partis d’agir dans ce dossier maintenant.

L’approche punitive actuelle du Canada par rapport aux politiques antidrogue permet au racisme et aux inégalités de s’enraciner et contribue aux incarcérations massives des personnes les plus marginalisées. Le cadre législatif actuel judiciarise de façon démesurée les femmes, les personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté, les sans-abri, les Canadiens noirs et les Autochtones. Comme nous l’a rappelé la directrice de la santé publique en Colombie-Britannique, les conséquences sont particulièrement désolantes pour les femmes. Elles sont nombreuses à être mères, et leur incarcération peut entraîner des séparations familiales, des fractures au sein de la communauté et un traumatisme intergénérationnel.

Les infractions liées aux drogues contribuent de façon importante à l’emprisonnement de beaucoup trop de personnes. Au sein des communautés racialisées, en particulier des communautés autochtones, cette approche perpétue les politiques coloniales et les torts irréparables du placement forcé d’enfants par l’État.

La criminalisation raciste concernant les drogues est pratiquée de longue date et continue d’exacerber l’incarcération de masse de toutes les personnes racialisées. Par exemple, avant la décriminalisation du cannabis en Nouvelle-Écosse, les Canadiens d’origine africaine étaient cinq fois plus susceptibles que les autres d’être arrêtés pour possession. À Regina, les Autochtones étaient neuf fois plus susceptibles d’être arrêtés pour possession de cannabis. Ces statistiques n’ont rien de surprenant quand on sait que les quartiers racisés sont également plus surveillés. Par ailleurs, ils disposent de beaucoup moins de soutien et de ressources pour obtenir un traitement adapté et rapide.

Les données qui associent l’itinérance et le chômage aux surdoses montrent bien qu’il existe un lien entre le statut socio-économique et les traumatismes passés, la santé et la dépendance.

L’autre terrible réalité est que les surdoses augmentent de façon exponentielle après l’incarcération. Pour de trop nombreuses femmes, la judiciarisation et la consommation de drogues sont associées à des expériences de violence. Neuf femmes autochtones sur dix détenues dans des établissements pénitentiaires fédéraux ont été victimes d’abus physiques ou sexuels et indiquent qu’elles consomment des drogues pour atténuer les souvenirs de ces violences et des traumatismes qu’elles ont subis.

En raison du manque de soutien sanitaire, social et économique, de nombreuses femmes victimes de violences sont isolées. On leur dit qu’elles sont responsables de leur situation et elles sont essentiellement abandonnées à leur sort et chargées de se protéger elles-mêmes. Celles qui sont obligées d’agir, de subvenir à leurs besoins et de se défendre ou de défendre les personnes dont elles ont la charge se retrouvent trop souvent inculpées, judiciarisées et soumises à toute une série de condamnations et de sanctions punitives.

Chers collègues, les prisons ne sont pas des centres de traitement. Au contraire, les prisons causent des problèmes de santé, de santé mentale et de toxicomanie en plus d’exacerber les conditions existantes.

À juste raison, la Commission de vérité et réconciliation, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et le Caucus des parlementaires noirs demandent des mesures plus robustes et proactives. Le projet de loi S-232 a pour but de prévenir la judiciarisation des personnes qui consomment de la drogue, ce qui leur éviterait le fardeau et les préjugés d’un dossier criminel pour possession simple. Pour de nombreuses personnes, le fait d’avoir un dossier criminel les enlise, parfois de manière permanente, dans la pauvreté et la marginalisation parce que cela crée des obstacles pour se trouver un emploi bien rémunéré, un logement, des possibilités d’éducation ou de bénévolat, et même accéder à des soins de santé mentale et des soins aux aînés.

Malgré les bonnes intentions du gouvernement, par exemple la légalisation du cannabis et les dispositions du projet de loi C-93 pour accélérer, sans frais, le traitement des demandes de suspension de casier judiciaire pour la possession simple de cannabis, on constate avec stupeur que peu de gens ont pu se libérer du fardeau de leurs antécédents judiciaires. En fait, seulement 484 pardons en lien avec la possession de marijuana ont été accordés depuis l’entrée en vigueur du programme en 2019.

Ce dernier point prouve l’urgence d’accorder une exonération au moyen d’un autre projet de loi, le projet de loi S-212, pour réduire les obstacles et les préjudices inutiles d’un trop grand nombre de personnes au sein des groupes les plus marginalisés au Canada. Nous devons agir urgemment pour faire progresser des réformes afin d’atteindre les objectifs essentiels de déjudiciarisation, de décarcération et de décolonisation fixés dans le projet de loi.

Le projet de loi S-232 constitue un important pas en avant. Il nous invite à faire en sorte que la politique canadienne en matière de drogues reflète ces valeurs en mettant l’accent sur la santé et le bien-être et en abandonnant les approches punitives du droit pénal qui se sont révélées depuis longtemps non seulement inefficaces, mais contraires au bien public.

Il existe de nombreuses preuves que la décriminalisation fonctionne. Des pays comme le Portugal ont répondu aux crises liées à la consommation de drogue par des politiques de décriminalisation semblables à ce qui est prévu dans le projet de loi S-232. Le résultat? Ils sont allés de l’avant avec la décriminalisation et ont réaffecté des ressources à l’amélioration de l’accès au traitement et à d’autres soins de santé de soutien, au logement et au bien-être économique, tout en réduisant l’incarcération, le tout sans augmentation de la criminalité, des coûts ou de la consommation de drogues illicites.

Il est temps que le Canada fasse preuve d’un leadership semblable. Au lieu de mettre l’accent sur la criminalisation, il est temps pour nous de promouvoir un accès équitable et véritable aux soins de santé, aux services sociaux, au logement et aux soutiens économiques pour tous les Canadiens — des soutiens qui augmenteront la probabilité d’un Canada plus sain et plus sûr pour tous.

(1730)

Merci encore une fois, sénatrice Boniface, pour vos conseils et votre leadership. J’ai hâte de travailler avec vous tous, chers collègues, pour agir maintenant et faire avancer le projet de loi, qui est important.

Meegwetch. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, au nom du sénateur Campbell, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Kutcher, appuyée par l’honorable sénateur Boehm, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-251, Loi abrogeant l’article 43 du Code criminel (appel à l’action numéro 6 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada).

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-251, Loi abrogeant l’article 43 du Code criminel (appel à l’action numéro 6 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada). Je remercie le sénateur Kutcher de l’avoir présenté.

Cela fait plusieurs décennies qu’on tente d’abroger l’article 43 du Code criminel, comme le demande l’appel à l’action no 6 de la Commission de vérité et réconciliation.

L’article 43 du Code criminel défend et justifie la violence perpétrée contre des enfants par des instituteurs et des parents dans le but de les « corriger ».

Quand cette disposition a été créée il y a 130 ans, en 1892, les hommes étaient autorisés à recourir aux châtiments corporels pour punir ceux qui étaient considérés comme leurs biens : leurs animaux, leurs employés, leur femme, leurs prisonniers et leurs enfants. Il a été prouvé que les effets de la violence physique comme punition disciplinaire sont si profondément préjudiciables que cette pratique est désormais jugée draconienne et barbare.

Les effets à long terme des châtiments corporels sont bien documentés, et leurs répercussions négatives ont été bien expliquées par le sénateur Kutcher.

Quand on examine les recherches menées sur les effets des châtiments corporels, le message est très clair : les risques et les dangers associés aux châtiments corporels sont innombrables et, parfois, irréparables.

Une grande méta-analyse de 88 études de recherche, réalisée en 2002, a établi une corrélation entre des châtiments corporels légaux infligés par des parents et 10 conséquences négatives. De plus, en 2016, une autre grande méta-analyse de 75 études de recherches publiées sur 50 ans et portant sur plus de 160 000 enfants, a confirmé les conclusions de la première méta-analyse et établi une corrélation avec cinq autres conséquences négatives.

L’une de ces conséquences est que le châtiment corporel est associé à une agressivité accrue chez l’enfant. L’étude démontre que les enfants ayant subi des châtiments corporels sont plus susceptibles de se montrer agressifs envers leurs pairs, d’approuver le recours à la violence dans les relations entre pairs, de subir de la violence aux mains de leurs pairs, d’employer des méthodes violentes pour résoudre les conflits et de se montrer agressifs envers leurs parents. L’une des raisons qui expliquent cela est qu’en étant soumis à des châtiments corporels, les enfants apprennent — de leurs parents — que la violence est une méthode appropriée pour obtenir ce que l’on désire. Vraisemblablement, nous ne souhaitons pas perpétuer de telles leçons.

Les nombreux effets néfastes des châtiments corporels infligés aux enfants sont maintenant indéniables. En effet, même dans l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada entendue par la Cour suprême du Canada en 2004, pas un seul témoin expert n’a laissé entendre que le châtiment corporel a le moindre bienfait. Dans son arrêt, la Cour suprême a répété que le châtiment corporel n’a aucun bienfait sur l’enfant.

Donc, pourquoi conserver cette disposition, vous demanderez-vous? Pourquoi la Cour suprême du Canada ne l’a-t-elle pas invalidée pour motif d’inconstitutionnalité? Ce doit forcément être parce qu’il existe des cas où le châtiment corporel est dans l’intérêt de l’enfant.

La Cour suprême n’a pas conclu que les châtiments corporels pouvaient s’avérer bénéfiques pour l’enfant. Au contraire, elle a soutenu clairement que l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel est servi par la prévention du châtiment corporel, pouvait être subordonné à d’autres intérêts dans des contextes appropriés. Tel est le contexte dans lequel elle a établi des critères flous et manifestement arbitraires pour déterminer les circonstances dans lesquelles le châtiment corporel pouvait encore s’appliquer.

En tentant de protéger les enseignants et les tuteurs qui ont recours à la force physique envers les enfants dans des cas mineurs, la cour a permis à cette défense de continuer à être invoquée.

Pour illustrer ce point, j’ai raconté l’anecdote suivante lors de la précédente étude de ce projet de loi, lorsque notre ancien collègue, l’honorable Murray Sinclair, en était le parrain. À l’époque, j’ai raconté la réaction de mon fils aîné à cette affaire en 2004. Mes enfants, aujourd’hui d’âge adulte, étaient à l’époque dans la fourchette d’âge visée par la décision. Mon fils Michael, merveilleusement intelligent, était alors âgé de 13 ans, et ma fille Madison, tout aussi merveilleuse, était alors âgée de 5 ans. Mon fils avait suivi l’affaire avec intérêt et avait fait sa propre interprétation de grand frère de la règle limitant le recours à cette défense aux personnes qui infligent des châtiments corporels à des enfants âgés de 2 à 12 ans. Quelle a été sa décision finale? « Personne ne peut me frapper, mais tout le monde peut frapper Madison. »

Mon fils avait ainsi mis le doigt sur la réalité atroce et absurde qui se cache au cœur de l’article 43, une faille que nous devons reconnaître nous aussi. Aucun enfant ne devrait avoir à attendre jusqu’à l’adolescence pour avoir droit à une protection juridique contre les préjudices, une protection que nous avons tous en tant qu’adultes. Nous ne voudrions pas, non plus, courir le risque que les enfants retiennent qu’ils méritent d’être agressés et, pire encore, que c’est pour leur bien. Les enfants qui ont été régulièrement violentés par des personnes qui cherchaient à corriger leur comportement peuvent, une fois un peu plus âgés, en garder des séquelles qui auront des conséquences importantes et durables sur leur vie et sur les générations futures. Pourquoi laisser la moindre possibilité qu’une personne invoque cette défense, ou le moindre risque de perpétuer le mythe voulant que cela ne pose aucun problème de toute façon?

L’appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation qui demande l’abrogation de l’article 43 met en lumière le rôle que les châtiments corporels ont joué dans les mauvais traitements infligés dans les pensionnats ainsi que la croyance selon laquelle on devrait infliger ces châtiments aux enfants en toute impunité.

Les survivants du système des pensionnats autochtones du Canada ont vécu, pendant leur enfance, des traumatismes aux effets durables et intergénérationnels; ces traumatismes continuent d’avoir des conséquences néfastes et parfois dévastatrices sur leur famille et leur communauté.

Bien que le projet de loi à l’étude en soit à sa 18e version, il reste encore un vide juridique qui permet de violenter des enfants. Cela dit, à chaque nouvelle version, les arguments favorables à l’adoption de ce projet de loi se multiplient.

Nous devons à tous les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain de remédier à cette approbation continuelle à l’égard des agressions contre les enfants. Il est temps de mettre en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que les recommandations du Comité des droits de l’enfant des Nations unies. Il est plus que temps d’abroger l’article 43. Il est également temps d’offrir des mesures de soutien avec et pour les enfants. Hélas, ce n’est pas l’objectif de ce projet de loi, mais il souligne certainement la nécessité de travailler beaucoup plus fort dans le but d’éliminer les nombreuses lacunes dans nos mesures de soutien à l’égard des enfants et des jeunes dans ce pays. Meegwetch. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-13(2) du Règlement, je propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(À 17 h 40, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 14 février 2023, à 14 heures.)

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