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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 168

Le jeudi 7 décembre 2023
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le jeudi 7 décembre 2023

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L’honorable Terry M. Mercer

Félicitations pour l’obtention du Distinguished Community Service Award

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour féliciter notre ancien collègue, le sénateur Terry Mercer, qui a reçu le Distinguished Community Service Award de l’Université Saint Mary’s. Cela ne surprendra pas ceux qui ont connu Terry lorsqu’il était au Sénat, et quiconque connaît Terry à l’extérieur du Sénat sera encore moins surpris par cette nouvelle.

Le bénévolat et le service ont toujours été importants dans la vie de Terry avant sa nomination au Sénat. Son dévouement envers sa communauté, que ce soit à petite ou à grande échelle, a toujours compté parmi ses priorités. Bénévole de longue date, il n’a pas seulement offert ses services, il a aussi encouragé les autres à en faire autant pour leur communauté. La clé d’une société efficace réside dans notre capacité à nous entraider.

Le sénateur Mercer a toujours travaillé à un titre ou à un autre dans le secteur caritatif. Il a occupé divers postes au sein d’organismes variés, dont la section du Grand Toronto de Diabète Canada, le YMCA du Grand Toronto, l’Association pulmonaire de Nouvelle-Écosse, l’Ambulance Saint-Jean, le Nova Scotia Council et la section de la Nouvelle-Écosse de la Fondation canadienne du rein. Le sénateur Mercer est un collecteur de fonds certifié et un membre actif de l’Association of Fundraising Professionals.

Le sénateur Mercer a présenté au Sénat la Loi sur la Journée nationale de la philanthropie en 2011. Depuis son adoption, le 15 novembre de chaque année est désigné Journée nationale de la philanthropie. Grâce au leadership de Terry dans cette initiative, le Canada est devenu le premier pays à reconnaître officiellement cette journée.

Certains d’entre vous qui connaissent le sénateur Mercer peuvent témoigner qu’il est toujours aussi passionné et dévoué. Lui et son épouse, Ellen, ont recueilli des milliers de dollars en plus de dix ans en participant à la Randonnée de l’espoir de Cancer de l’ovaire Canada. L’équipe Ellen Mercer se classe régulièrement parmi les cinq meilleurs collecteurs de fonds à Halifax pour leurs efforts.

Nous pouvons certes compter les dons et souligner l’impact direct qu’ils ont sur les organismes de bienfaisance, mais je suis persuadée que Terry vous dirait que l’impact le plus important est d’encourager les gens à s’engager et à s’impliquer dans leur collectivité.

C’est vraiment le cadeau qui, une fois reçu, continue de donner. L’aide que vous offrez vous revient sans aucun doute lorsque vous êtes dans le besoin.

Honorables sénateurs, le 15 novembre était la Journée nationale de la philanthropie, mais je vous encourage à perpétuer son esprit et celui de Terry tout au long de l’année, en particulier à l’approche des Fêtes qui, pour beaucoup de personnes, peut être une période difficile. Puissions-nous nous efforcer de nous inspirer mutuellement de la gentillesse. Encore une fois, félicitations à notre ancien collègue, le sénateur Mercer. Merci.

Des voix : Bravo!

La bataille de Hong Kong

L’honorable David Richards : Honorables sénateurs, je voulais faire lecture du texte qui suit le 11 novembre, mais je n’en ai pas eu l’occasion, puis, nous avons fait relâche. Je lis donc maintenant ce texte qui porte sur la bataille de Hong Kong. Nous sommes le 7 décembre.

À Hong Kong, ils se sont battus de la Ligne Gin Drinkers jusqu’au fort Stanley, alors qu’ils n’avaient à peu près pas d’armes si ce n’est des fusils 303 britanniques, des mitrailleuses Bren et des baïonnettes. On espérait que le Régiment royal de 2 000 Canadiens pourrait repousser trois divisions de soldats japonais appuyés par une artillerie lourde et cinq escadrons aériens jusqu’à ce que soient évacuées les blessés et les civils. Les soldats du régiment canadien et des quelques régiments britanniques sur place ont été assez braves ou probablement assez fous pour risquer le tout pour le tout. Les Canadiens ont toujours été assez braves ou assez fous. Ils ne disaient jamais non; ils étaient trop jeunes et trop polis pour cela. Voilà la vérité.

À Repulse Bay, 30 Canadiens, pour la plupart des Néo-Brunswickois, ont chargé 300 Japonais et les ont mis en déroute mais ils ont perdu deux des leurs. Ces braves se sont battus sous le feu nourri des avions et un barrage de tirs provenant de navires ennemis ancrés dans le port. Le NSM Prince of Wales avait été coulé.

Les combattants étaient convaincus que du renfort arriverait. Or, rien ni personne n’est venu à leur rescousse. Ils se sont battus seuls mais, après presque deux semaines de carnage, ils ont été forcés de battre en retraite au fort Stanley où ils ont pris une position défensive en essayant de protéger l’hôpital, mais ils ont dû capituler.

Il y avait deux infirmières à l’hôpital, une jeune Britannique et une jeune Canadienne, et les hommes blessés se sont levés de leur lit pour essayer de les protéger, mais en vain. Les autres hommes ont été forcés à passer quatre années de servitude, de travaux forcés et de famine. Ils étaient souvent battus avec des bâtons de bambou tout en étant forcés de se tenir au garde-à-vous par Kamloops Joe, un Canadien d’origine japonaise qui s’est rangé du côté des Japonais une fois que les hommes ont été capturés.

Malgré tout, ils ont conservé leur rang discipliné, ils ont lavé leurs vêtements pour éliminer les poux et ils ont refusé de saluer les gardes japonais, même sous peine d’être exécutés. Trente-six de ces hommes étaient originaires de Jacquet River, au Nouveau-Brunswick. Onze d’entre eux sont morts au combat, de dysenterie ou sous les coups. Pour donner une idée de l’âge de ces jeunes, lorsqu’ils se sont enrôlés dans l’armée, le moment le plus important pour eux était le moment où ils allaient prendre le train. Aucun d’entre eux n’avait jamais pris le train auparavant.

Quand ces hommes ont été libérés en 1945, le caporal néo‑brunswickois Andrew Flannagan pesait 67 livres; certains pesaient moins. On a donné beaucoup de nourriture et de boissons aux survivants secourus par les Américains. Qu’ont fait les gars du Nouveau-Brunswick? Conscients que les gardes japonais étaient eux-mêmes affamés, ils les ont invités à souper.

Je voulais vous raconter cette histoire. Je voulais que nous réalisions que lorsque nous démantelons nos forces armées et notre défense, nous déshonorons la mémoire de ces jeunes formidables qui ont tant donné simplement parce que quelqu’un leur a dit qu’ils devaient le faire.

Je tiens à nous rappeler à tous les mots de George Orwell, qui a écrit que si nous sommes ici assemblés, si nous pouvons tenir de merveilleuses conversations, si nous jouissons de galas et d’une société bienséante, c’est parce que des hommes endurcis, et j’ajouterais aussi des femmes très courageuses, sont prêts à user de violence en notre nom.

Personne ne devrait jamais oublier ces moments héroïques où des Canadiens ont mis leur vie en danger pour nous tous. Merci.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du chef Todd Cornelius, qui est accompagné d’une délégation de l’Oneida Nation of the Thames. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice McPhedran.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La bataille de Hong Kong

L’honorable Jane MacAdam : Honorables sénateurs, aujourd’hui, à la veille du 82e anniversaire de la bataille de Hong Kong, je prends la parole pour rendre hommage aux braves soldats qui ont participé à cette bataille, l’une des premières à se dérouler dans le théâtre de guerre du Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale.

En octobre 1941, les soldats des Royal Rifles of Canada et des Winnipeg Grenadiers ont reçu l’ordre de se préparer à servir dans le Pacifique. Mon père, George Palmer, a servi dans les Royal Rifles of Canada et est l’un des 1 975 soldats canadiens envoyés pour renforcer la garnison britannique à Hong Kong.

Ces soldats canadiens sont arrivés le 16 novembre et ont rejoint 14 000 soldats britanniques, indiens, singapouriens et hongkongais. Trois semaines seulement s’écouleront avant que les bataillons canadiens ne soient plongés dans le combat contre la 38e division japonaise.

(1410)

Le matin du 8 décembre 1941, le Japon a attaqué Hong Kong, un jour seulement après sa tristement célèbre attaque à Pearl Harbor. Contre toute attente, les Canadiens ont résisté pendant plus de 17 jours avant de déposer les armes. Les chances de victoire étaient minces, mais ils ont refusé de se rendre jusqu’à ce que les positions alliées soient envahies et qu’ils n’aient plus de munitions, de vivres et d’eau. Ces défenseurs ont lutté contre des bombardements continus, sans relève ni renfort, faisant montre du même courage que des vétérans aguerris, bien que la plupart d’entre eux aient été envoyés à Hong Kong avec un entraînement limité.

À 3 h 15 le jour de Noël, le drapeau blanc a été hissé. La défense de Hong Kong était terminée, et les pertes canadiennes étaient immenses : 290 morts et 493 blessés. Cependant, les épreuves et le bilan des morts n’ont pas pris fin avec la reddition. Les survivants sont devenus des prisonniers de guerre, dont beaucoup ont été torturés et affamés par leurs ravisseurs japonais.

Pendant trois ans et huit mois, mon père a été prisonnier de guerre. Au moment de son enrôlement, il mesurait près de 6 pieds et pesait 165 livres. Quand le Japon s’est finalement rendu en août 1945, mon père ne pesait plus que 99 livres. Comme lui, ses compagnons d’armes étaient devenus faibles et souffraient de malnutrition à cause du régime de famine auquel ils étaient astreints dans les camps de prisonniers. Les prisonniers de guerre canadiens, qui vivaient dans des cabanes humides et infestées de vermine, étaient réduits à l’esclavage et subissaient de nombreux sévices. Ces conditions de vie accablantes ont favorisé l’apparition de maladies, comme la diphtérie et le béribéri, pour ne nommer que celles-là. Beaucoup de ceux qui ont survécu aux combats féroces sont morts de ces maladies.

Plus de 260 prisonniers de guerre canadiens sont morts avant que les autres soient libérés. Ceux qui ont survécu ont quitté les camps de prisonniers amaigris, leurs corps squelettiques témoignant des expériences pénibles qu’ils avaient vécues. À leur retour à la maison, leur santé était brisée et leur espérance de vie, écourtée. Ils avaient été ébranlés à jamais par les épreuves extrêmes et les mauvais traitements qu’ils avaient endurés.

Le 22 septembre 1945, mon père a recouvré sa liberté. Il parlait rarement de son expérience. Lorsqu’on l’interrogeait à ce sujet, il répondait habituellement : « À quoi bon? Personne ne me croirait de toute façon. »

Sur les quelque 2 000 Canadiens qui ont navigué à destination de Hong Kong, plus de 550 ne sont pas rentrés au pays. Cette bataille, qui constitue un chapitre brutal de l’histoire du Canada, nous rappelle les coûts élevés de la guerre et les efforts nécessaires au triomphe du bien. Je tiens à rendre hommage à tous les courageux Canadiens qui ont combattu pendant la bataille de Hong Kong. Nous ne devons jamais oublier leurs sacrifices et leur service. Merci.

Des voix : Bravo!

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de De’Ann Edwards, une boursière de la Black Diplomats Academy. Elle est l’invitée de l’honorable sénatrice Bernard.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Son Altesse l’Aga Khan

Félicitations à l’occasion de son quatre-vingt-septième anniversaire de naissance

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, la semaine prochaine, le 13 décembre, plus de 15 millions de musulmans ismaéliens répartis dans 25 pays du monde célébreront le 87e anniversaire de naissance de Son Altesse le prince Karim Aga Khan. Né en 1936 à Genève, en Suisse, Son Altesse a succédé à son grand-père en tant que 49e chef spirituel des musulmans ismaéliens alors qu’il n’avait que 20 ans. Tout au long de sa vie d’adulte, Son Altesse a défendu sans relâche de nombreuses initiatives qui ont contribué à sortir des communautés entières de la pauvreté. Ces initiatives étaient axées sur la promotion de l’éducation — en particulier pour les filles —, la construction d’infrastructures de soins de santé et la stimulation du développement économique.

J’ai moi-même reçu une éducation maternelle, primaire et secondaire de calibre mondial dans les Écoles Aga Khan à Kampala, en Ouganda. Outre ma scolarité, l’Aga Khan m’a inculqué de nombreuses leçons de vie qui sont devenues des principes directeurs dans ma vie personnelle et professionnelle. Parmi ces leçons, on compte l’importance primordiale de l’éducation comme instrument de progrès, car elle peut accroître l’autonomie des personnes et de communautés entières en les aidant à surmonter les difficultés et à se sortir de la pauvreté; le fait que la diversité et la différence sont des forces, et non des faiblesses, et que le pluralisme est une puissante force au service du bien; le fait que l’accès à des soins de santé, à l’eau potable et au logement sont des droits fondamentaux et de base, et que nous avons la responsabilité collective, en tant que citoyens du monde, de défendre ces droits pour toutes les personnes, quel que soit leur lieu de résidence.

Enfin, et ce qui est peut-être le plus important en ce moment à cause du contexte actuel, le travail de l’Aga Khan nous rappelle que la paix durable, ce n’est pas seulement l’absence de conflit, mais aussi la présence de justice et de compréhension.

Honorables sénateurs, chaque année, j’ai hâte de faire une déclaration afin de souligner l’anniversaire de Son Altesse. Ce fut l’un des plus grands privilèges de ma carrière de prendre la parole dans cette enceinte, année après année, et de célébrer le travail de Son Altesse le prince Karim Aga Khan pour vous faire part des répercussions énormes qu’il a eues sur ma vie et sur celle d’innombrables autres personnes.

Honorables sénateurs, c’est la dernière fois que je prends la parole dans cette enceinte en tant que sénatrice pour souligner cette heureuse occasion, le 87e anniversaire de Son Altesse le prince Karim Aga Khan. J’aimerais profiter de l’occasion pour le remercier de tout ce qu’il a fait pour moi, pour ma famille, pour ma collectivité et pour l’humanité. Je tiens à remercier tous mes collègues de m’avoir toujours acceptée comme je suis et de célébrer ma religion avec moi. Je vous remercie, Salgirah Moubarak.

Des voix : Bravo!

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Fred Pelletier, psychologue clinicien. Il est l’invité de l’honorable sénateur Patterson (Nunavut).

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le théâtre Pier One

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, alors que je m’apprête à quitter bientôt cette auguste institution qu’est le Sénat, c’est avec plaisir que je vous donne un petit aperçu de la vie que j’ai menée avant mon entrée en politique.

Quand j’ai terminé mes études à la Faculté de droit de l’Université Dalhousie en 1972, on m’a offert un poste privilégié en tant qu’avocat débutant au sein de l’excellent cabinet Stewart, MacKeen and Covert, mais j’ai aussi reçu une offre intrigante, que j’ai acceptée. Il s’agissait de participer à la mise sur pied d’un théâtre parallèle à Halifax; j’ai donc installé mon premier petit bureau dans le bâtiment en question, à Halifax, au bord de l’eau près du Quai 1.

Le théâtre Pier One, ou « théâtre du Quai 1 », était un théâtre parallèle. À titre de nouveau diplômé en droit, j’avais notamment pour tâche d’empêcher que la ville démolisse le vieil entrepôt riverain désaffecté que nous allions transformer en théâtre.

Dans le cadre de cet emploi, j’ai eu le privilège de travailler avec des gens qui sont devenus célèbres par la suite. Gene MacLellan interprétait sa merveilleuse musique au théâtre. L’actrice de renom Flo Paterson y travaillait et s’y produisait, tout comme l’acteur et auteur dramatique John Gray. Il y avait surtout le regretté John Dunsworth, homme extraordinaire, acteur, fondateur dévoué et directeur du théâtre Pier One. Il a été immortalisé des années plus tard pour son rôle de M. Lahey, le gestionnaire d’un parc de maisons mobiles dans la série à succès Trailer Park Boys, dont les sept saisons fantastiques ont été diffusées à partir de 2001 et qui a aussi donné lieu à trois films.

Je suis très heureux d’accueillir Fred Pelletier au Sénat aujourd’hui. Il est maintenant un psychologue clinicien réputé, mais il a aussi fait partie de la bande bigarrée du Pier One dans les années 1960 et a travaillé avec nous tous pour promouvoir des œuvres dramatiques originales en Nouvelle-Écosse, comme Maury’s Lunch, dans laquelle j’ai tenu un petit rôle.

L’une des pièces originales montées par Pier One a été Bad Children. Tous les adultes dans la pièce étaient des animaux et les enfants, des adultes. La pièce était truffée de répliques terriblement idiotes, comme « Someone turned a little pale », qui veut dire « quelqu’un est devenu un peu pâle ». Or, sur la scène, on retournait un petit seau. Vous comprenez? Retourner un seau, « pail » en anglais, qui est l’homophone de « pale ».

Les journées mémorables vécues au théâtre Pier One me sont revenues lorsque j’ai repris contact avec Fred, mon invité au Sénat aujourd’hui, qui vit maintenant à Ottawa et avec qui j’ai repris contact par l’intermédiaire de son fils Jeff, qui est journaliste au Nunatsiaq News à Iqaluit, au Nunavut.

(1420)

Je me souviendrai toujours d’une scène de Bad Children dans laquelle jouait Fred avec un talent d’acteur accompli. Fred portait un grand abat-jour sur la tête. Dans la pièce, on disait : « and the lamp went out », après quoi Fred sortait de scène. La lampe, au lieu de s’éteindre, comme l’indique normalement l’expression « the lamp went out », quittait la pièce, vous comprenez?

Je vous remercie de me donner l’occasion de me remémorer les jours merveilleux que m’a fait vivre le théâtre Pier One. Merci, honorables sénateurs.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’Alex Oakley, chef adjoint du conseil des Tlingits de Teslin. Il est accompagné de Margaret Chiblow et de Sheyenn Sparvier-Kinney des Premières Nations de Champagne et de Aishihik. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Duncan.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

Le Sénat

Préavis de motion concernant les séances de la semaine du 11 décembre 2023 et tendant à autoriser les comités à siéger en même temps que le Sénat le mercredi 13 décembre 2023

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre adopté par le Sénat le 21 septembre 2022, la séance du mercredi 13 décembre 2023 continue au‑delà de 16 heures, si les affaires du gouvernement ne sont pas terminées, et continue jusqu’à la première des éventualités suivantes :

a)la fin des affaires du gouvernement;

b)l’adoption d’une motion tendant à lever la séance;

c)minuit;

Que, le mercredi 13 décembre 2023 les comités du Sénat soient autorisés à se réunir pour l’étude de projets de loi du gouvernement, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;

Que, le lundi 11 décembre 2023 et le vendredi 15 décembre 2023, une fois l’ordre du jour appelé, le Sénat ne traite que des affaires du gouvernement.

[Français]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-295, Loi modifiant le Code criminel (négligence d’adultes vulnérables), accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice LaBoucane-Benson, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

[Traduction]

L’Association parlementaire Canada-Europe

La session annuelle de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, tenue du 30 juin au 4 juillet 2023—Dépôt du rapport

L’honorable Peter M. Boehm : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Association parlementaire Canada-Europe concernant la trentième session annuelle de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, tenue à Vancouver, en Colombie-Britannique, au Canada, du 30 juin au 4 juillet 2023.


PÉRIODE DES QUESTIONS

L’environnement et le changement climatique

La taxe sur le carbone

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Sénateur Gold, j’espère que vous ne considérez pas ceci comme une question partisane. Opération Père Noël est un organisme de bienfaisance de votre province, le Québec, qui offre des cadeaux aux enfants dans le besoin. Cet organisme a dit la semaine dernière que 27 000 enfants de moins de 17 ans ont déjà envoyé leurs demandes, soit 2 000 de plus que l’an dernier. L’organisme s’est également dit surpris du nombre d’enfants qui demandent au père Noël de subvenir à leurs besoins fondamentaux au lieu de leur donner des cadeaux ou des jouets. Des enfants demandent de la nourriture pour leur famille et des collations. Bon nombre d’enfants demandent des habits et des bottes d’hiver. Un adolescent a écrit pour demander du déodorant et une brosse à dents.

Nous sommes au Canada, monsieur le leader. En tant que père et grand-père, je trouve cela bouleversant. Le gouvernement Trudeau fera-t-il marche arrière et va-t-il abolir sa taxe sur le carbone inflationniste sur les aliments afin que la nouvelle année soit plus joyeuse pour les enfants du pays?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. La question est troublante, du moins son préambule. Il est crève-cœur de penser que des gens au Canada et en particulier des enfants vivent dans un tel dénuement qu’ils demandent de la nourriture et des vêtements plutôt que des cadeaux, comme nous souhaitons tous en donner à nos enfants et nos petits-enfants à la période des Fêtes.

Je suis moi aussi père et grand-père et je vous assure qu’il n’est pas nécessaire d’être parent ou grand-parent pour s’émouvoir d’une telle situation et du fait que le coût de la vie pose d’énormes défis à l’ensemble des Canadiens. Je sais que tous ceux qui sont présents dans cette enceinte espèrent et souhaitent que l’étau se desserre bientôt. Le gouvernement n’a pas la capacité de régler tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés, et je précise que ce n’est ni la taxe sur le carbone ni la politique du gouvernement qui sont la cause de cette...

Son Honneur la Présidente : Merci, sénateur Gold.

Le sénateur Plett : Si quelqu’un se tenait devant votre porte et vous empêchait de passer, vous le chasseriez. C’est ce que fait la taxe sur le carbone, alors qu’on l’abolisse. La semaine dernière, un bénévole a déclaré à un journal québécois que cet organisme parvenait à apporter un peu d’aide aux gens, mais se demandait ce qui allait se passer le reste de l’année.

C’est une bonne question, monsieur le leader. Un rapport publié aujourd’hui indique que les familles canadiennes dépenseront 700 $ de plus en épicerie en 2024. Que se passera-t-il alors, monsieur le leader? Combien d’enfants et de familles de plus auront besoin d’aide pour se nourrir l’année prochaine à cause de cette taxe, monsieur le leader?

Le sénateur Gold : Je ne peux m’empêcher d’être préoccupé pour ces familles, et vous me pardonnerez donc si je ne réponds pas avec la même intensité partisane ou politique que vous. La taxe sur le carbone est un outil important pour lutter contre les changements climatiques. Le gouvernement fournit de l’aide aux Canadiens, tout comme les gouvernements provinciaux et d’autres entités. En cette période de réjouissances, faisons ce que nous pouvons pour aider les familles et leurs enfants, et ne nous laissons pas aller à cette...

Son Honneur la Présidente : Merci, sénateur Gold.

[Français]

Les finances

La sécurité alimentaire

L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au leader du gouvernement. Monsieur le leader, aujourd’hui, c’est la Guignolée des médias. J’invite d’ailleurs tous les Canadiens et tous les Québécois à faire preuve de générosité, comme d’habitude. Après huit ans de gouvernement libéral, les besoins sont immenses.

Laissez-moi vous citer Chantal Vézina, la directrice générale de Moisson Montréal, qui a dit ce qui suit :

Les besoins sont en constante augmentation depuis la pandémie. On pensait que ça allait se résorber, mais ce n’est plus seulement les gens dits vulnérables qui sont la clientèle de base des banques alimentaires pour demander de l’aide cette année.

La classe moyenne, soit des gens avec des emplois, doit maintenant se tourner vers les banques alimentaires. C’est indécent.

Sénateur Gold, quand le premier ministre Trudeau mettra-t-il fin à ses politiques inflationnistes qui appauvrissent les Canadiens?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : La politique fiscale et monétaire du gouvernement du Canada nous a bien servis pour traverser la pandémie. De plus, si on regarde les chiffres, le taux d’inflation continue de baisser.

(1430)

Cela ne veut pas dire que ce n’est pas difficile pour les Canadiens et Canadiennes de vivre dans ces circonstances différentes, parce qu’il est vrai que le coût de l’épicerie continue d’augmenter.

Pour répondre à votre question, ce ne sont pas les politiques du gouvernement qui sont responsables de ce qu’il se passe partout dans le monde en ce qui concerne le coût de la vie, y compris le coût de l’épicerie.

Le sénateur Carignan : Monsieur le leader, un jeune montréalais de 17 ans a écrit au père Noël pour lui dire qu’il voulait avoir n’importe quoi. Il a dit que le père Noël ne devrait pas avoir peur de lui donner quelque chose qu’il avait déjà, parce qu’il n’a rien. Je ne comprends pas pourquoi le premier ministre peut rester insouciant face à ces histoires, s’en laver les mains et se dire non responsable de cette situation.

Sénateur Gold, qu’est-ce que Justin Trudeau peut faire pour compenser tout ce qu’il n’a pas fait durant ces huit années de désastre?

Le sénateur Gold : Non seulement ce n’est pas vrai, mais c’est vraiment décevant d’affirmer que le premier ministre s’en lave les mains devant les défis auxquels font face les enfants du Canada. C’est tellement loin de la vérité que je n’ai franchement ni le temps ni la volonté de répondre davantage à votre question.

[Traduction]

Le patrimoine canadien

Les championnats de hockey de rue Play On!

L’honorable Tony Loffreda : Sénateur Gold, je vais détendre un peu l’atmosphère.

Le festival de hockey de rue Play On! est l’événement le plus important du genre au Canada. Créée en 2003 puis lancée à nouveau en 2022, l’organisation espère tenir une autre série de championnats un peu partout au pays l’an prochain, à l’occasion de son 20e anniversaire. Au cours des 20 dernières années, plus de 2 millions de Canadiens ont participé à des activités Play On! dans plus de 40 villes. L’organisation Play On! doit obtenir une aide financière du gouvernement fédéral avant la fin de l’année pour garantir la tenue de l’édition de l’an prochain.

De nombreuses municipalités et provinces se sont déjà engagées à verser des fonds. Sénateur Gold, pouvez-vous nous garantir que le gouvernement envisagera sérieusement de financer cette importante initiative? Assurons-nous dès maintenant que les Canadiens pourront se rassembler lors d’activités Play On!

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Monsieur le sénateur, chers collègues, je peux vous assurer que le gouvernement est bien au fait de la popularité de cet événement en particulier dans l’ensemble du pays et des diverses communautés qu’il rejoint.

À ce que je comprends, le gouvernement a déjà financé la planification de ce programme l’été dernier par l’entremise de fonds destinés à 60 emplois du programme Emplois d’été Canada. On m’a aussi informé que, conformément au mandat de la ministre Qualtrough, le gouvernement continuera de travailler sur ce dossier et d’autres projets pour faire coïncider les programmes du gouvernement avec les besoins au Canada afin que les collectivités puissent participer à de tels événements.

Le sénateur Loffreda : Compte tenu de l’urgence de la question, j’exhorte la ministre St-Onge à rencontrer les organisateurs le plus rapidement possible.

Senator Gold, le Canada a accueilli cinq tournois internationaux de hockey de la Coupe Canada entre 1976 et 1991. Le trophée de la Coupe Canada n’a pas été décerné depuis plus de trente ans. Je pense qu’il est temps de dépoussiérer ce trésor national et d’en faire le premier prix de Play On! Le gouvernement serait-il en faveur de réattribuer le trophée à Play On!? Pourriez-vous discuter de cette possibilité avec Hockey Canada et la ministre St-Onge?

Le sénateur Gold : En ce qui concerne la Coupe Canada, j’ai cru comprendre que Patrimoine canadien a déjà communiqué avec Hockey Canada au sujet de son utilisation. La coupe n’appartient pas au gouvernement, comme vous le savez, et j’encourage donc Play On! à contacter directement Hockey Canada. Je crois savoir que l’équipe de la ministre Qualtrough a déjà communiqué avec M. Hill de Play On! et lui a donné les coordonnées de Hockey Canada.

Les affaires mondiales

Le soutien à l’Ukraine

L’honorable Ratna Omidvar : Sénateur Gold, ma question à votre intention porte sur l’Ukraine. En tant que Canadienne, je suis extrêmement fière des différentes façons dont nous venons en aide à l’Ukraine. Toutefois, nous avons fait des promesses que nous n’avons manifestement pas encore honorées. D’après ce qu’on raconte dans les médias aujourd’hui, Ottawa n’aurait toujours livré aucun des 50 véhicules blindés légers et véhicules blindés d’évacuation médicale qui ont été promis dans le cadre du nouveau programme d’aide de 650 millions de dollars annoncé en septembre dernier.

Pourriez-vous nous dire quand ce matériel militaire essentiel sera livré?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Moi aussi je suis fier, comme tous les sénateurs, j’espère, de l’aide que le Canada continue d’offrir à l’Ukraine alors qu’elle mène une guerre juste contre un régime antidémocratique et autoritaire.

Malheureusement, sénatrice, je n’ai pas la réponse à votre question, si importante soit-elle. Le gouvernement demeure déterminé à soutenir l’Ukraine, et lui fournit déjà un soutien militaire et financier crucial : 9 milliards de dollars de soutien militaire, humanitaire et financier, huit chars de combat principal Leopard 2, en plus de l’entraînement que nous continuons de donner aux recrues militaires ukrainiennes, tant en Ukraine qu’au Canada.

Les sanctions contre la Russie

L’honorable Ratna Omidvar : Merci, sénateur Gold, de cette réponse. Je suis impatiente d’obtenir plus de détails.

Je pense que nous avons tous compris ce que l’orientation que prennent nos voisins du Sud signifie pour la guerre en Ukraine. En 2021, le Canada a prévu des mesures dans la loi d’exécution du budget pour saisir et réaffecter des actifs gelés des oligarques et des entités russes. Le gouvernement du Canada a entrepris des démarches dans deux dossiers, mais nous n’avons aucune nouvelle de l’avancée de ces démarches.

Pourriez-vous faire une mise à jour à ce sujet?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Malheureusement, je n’ai pas de nouvelles informations à vous communiquer. Je peux rappeler aux sénateurs que le Canada a été très clair : il impose de lourdes sanctions à 2 600 individus et entités pour affaiblir le régime russe. Nous allons continuer de travailler avec nos alliés pour nous assurer que le régime russe ait un lourd prix à payer. Évidemment, il demeure impératif de donner à l’Ukraine l’équipement dont elle a besoin pour se battre et pour gagner la guerre.

L'immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les étudiants étrangers

L’honorable Jim Quinn : Ma question s’adresse au sénateur Gold.

Sénateur Gold, il y a deux questions connexes qui touchent le secteur des services et qui devraient préoccuper le gouvernement en raison de leurs répercussions sur l’économie. Le 1er janvier, la politique progressiste du gouvernement qui permet aux étudiants étrangers de fréquenter les universités canadiennes et de travailler 40 heures par semaine sera modifiée pour réduire ce nombre d’heures à 20 heures par semaine. Les étudiants sont tous confrontés à l’augmentation des coûts des soins de santé, du logement, des services de garde d’enfants et de l’épicerie. Les étudiants étrangers subissent des pressions supplémentaires en raison des frais de scolarité plus élevés qu’ils doivent payer, et qui représentent une source de revenus importante pour les universités. Réduire le nombre d’heures de travail qu’ils peuvent effectuer aura une incidence sur leurs revenus, leur famille et leur disponibilité dans des secteurs comme celui de la restauration, où la main-d’œuvre se fait rare.

L’augmentation automatique et inflationniste de la taxe d’accise sur l’alcool a également des répercussions sur les secteurs des spiritueux, du vin et de la bière. Cette taxe d’accise doit passer à 4,7 %, ce qui nuira davantage à la viabilité des entreprises du secteur de la restauration.

Pourquoi le gouvernement n’envisage-t-il pas de prolonger la politique des 40 heures de travail hebdomadaire pour soutenir les étudiants étrangers qui contribuent à notre économie, notamment dans le secteur de la restauration?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur, et d’avoir souligné l’importance des étudiants étrangers pour nos universités, nos collectivités et notre pays. Je vous remercie également d’avoir mis en évidence certains des défis que doivent relever les gouvernements fédéral et provinciaux, ainsi que les universités, pour veiller à ce que nous fournissions un soutien adéquat à ces étudiants lorsqu’ils sont ici et à ce que les régimes dans le cadre desquels ils viennent ici soient transparents, équitables et exempts des activités frauduleuses regrettables qui ont parfois caractérisé ceux qui servent d’agents pour attirer les étudiants.

Le gouvernement du Canada, par l’entremise de ses diverses enveloppes budgétaires, collabore avec les universités pour financer leurs recherches et leurs autres activités. Les provinces et les universités s’efforcent également de gérer le soutien aux étudiants. Le gouvernement continuera de contribuer à cet égard.

Les finances

La taxe d’accise sur l’alcool

L’honorable Jim Quinn : Sénateur Gold, les restaurants et les établissements de consommation d’alcool sont des points de vente essentiels pour les producteurs de spiritueux, de vin et de bière partout au Canada. L’an dernier, le gouvernement a compris qu’il était logique de réduire la taxe d’accise avec indexation de 6,7 % à 2 %. Cette année, cette taxe devrait être de 4,7 %. Cette hausse ajoute des coûts non seulement aux producteurs, mais aussi aux restaurants, qui sont déjà aux prises avec les pressions inflationnistes qui sont liées à tous les autres facteurs de coûts. Comme nous le savons tous, la rentabilité d’un restaurant a toujours été hasardeuse, et toute augmentation des coûts pourrait faire la différence entre mettre la clef sous la porte ou non. Sénateur Gold, n’êtes-vous pas d’accord pour dire que le plafond de 2 % de l’an dernier devrait être maintenu cette année, et pouvez-vous soulever cette question auprès de la ministre des Finances?

(1440)

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je crois que, par le passé, j’ai répondu à des questions de ce genre, mais je serai simplement heureux de faire part de vos préoccupations à la ministre lorsque j’aurai l’occasion de lui parler.

Le Bureau du Conseil privé

Les nominations au Sénat

L’honorable Wanda Thomas Bernard : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, j’ai suivi de près les nominations au Sénat et j’accueille chaleureusement tous nos nouveaux collègues. Je suis particulièrement heureuse que nous ayons maintenant le point de vue d’un Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse et d’un Acadien de la Nouvelle-Écosse, mais je suis préoccupée par le fait que nous n’ayons pas vu un seul homme noir être nommé au Sénat depuis 2010. Au Canada, les hommes noirs font l’objet de stéréotypes préjudiciables, comme d’être agressifs, dangereux ou indignes de confiance. La recherche a bien documenté cette réalité.

Je crois que les stéréotypes négatifs ont une incidence sur le processus de nomination. Que fait le gouvernement, sénateur Gold, pour veiller à ce que les hommes noirs soient représentés dans cette Chambre?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Tout d’abord, madame la sénatrice, je vous remercie de votre question importante qui souligne l’importance de la diversité au Sénat et je vous remercie de défendre cette cause.

Les candidatures au Sénat, que beaucoup d’entre nous ont soumises, sont examinées par un comité consultatif indépendant composé de représentants de la province concernée et du gouvernement fédéral. Ce comité est indépendant du gouvernement. Ces nominations sont examinées, puis une liste de recommandations est remise au premier ministre. Je ne peux pas vous dire quels critères ont pu entrer en ligne de compte dans la sélection et je ne sais pas non plus combien de candidats sont des hommes noirs, mais on m’assure qu’il s’agit d’un processus juste, ouvert et équitable, et que tous les processus doivent être exempts de tout soupçon de discrimination intentionnelle ou systémique.

La sénatrice Bernard : Sénateur Gold, nous savons tous qu’il existe parfois des préjugés inconscients. Nous savons également que la représentation est importante. Mon plus jeune petit-fils m’a récemment demandé si les hommes noirs pouvaient être sénateurs. Sénateur Gold, vous engagez-vous à soulever cette question auprès des personnes impliquées dans le processus de nomination?

Le sénateur Gold : Ce à quoi je peux m’engager, madame la sénatrice — puisque je n’ai pas de rôle à jouer dans le processus de nomination —, c’est qu’à chaque fois qu’on me demandera de fournir un résumé ou un aperçu de ce que fait le Sénat, au bénéfice des membres de ces comités, je soulignerai certainement l’importance de la diversité et je leur rappellerai notre engagement commun à faire en sorte que cette Chambre représente le Canada dans toute sa diversité.

Les finances

L’état de l’économie

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, en octobre, la Banque du Canada a estimé que l’économie canadienne croîtrait de 0,8 % au troisième trimestre de cette année. Au lieu de cela, Statistique Canada a rapporté que notre PIB avait en fait baissé de 1,1 % au troisième trimestre sur une base annualisée. Comme l’a déclaré la Banque de Montréal la semaine dernière, l’économie canadienne a du mal à croître, parvenant tout juste à garder la tête hors des eaux de la récession. Notre économie et notre population traversent une période difficile, mais nous sommes coincés avec un gouvernement néo-démocrate—libéral qui refuse catégoriquement de mettre fin à la dette inflationniste, aux déficits, aux taxes sur le carbone et à la mauvaise gestion généralisée. N’est-ce pas vrai, monsieur le leader?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Non, c’est faux. Les sénateurs se souviendront que, il n’y a pas si longtemps, l’opposition au Sénat prédisait que l’inflation grimperait en flèche. Elle a en fait diminué, contrairement à ses prévisions. Il semble que l’opposition ne tient pas compte de la gestion efficace par le gouvernement de la crise économique post‑pandémie, qui touche le monde entier. C’est comme si nous vivions le jour de la Marmotte et que l’on se contentait de recycler les vieux arguments, sans tenir compte des circonstances réelles. La vie est dure pour les Canadiens, mais notre économie se porte plutôt bien par rapport à celle des autres pays du G7, et le gouvernement est d’avis que c’est, dans une grande mesure, grâce aux mesures prudentes et responsables qu’il a prises dans l’énoncé économique de l’automne que nous avons pu surmonter ces moments difficiles, comme nous l’avons fait jusqu’à présent.

Le sénateur Plett : Si vous voulez des prédictions, monsieur le leader, permettez-moi d’en faire une : plus tard dans la prochaine année, d’ici un an et demi, quand le premier ministre aura le courage de déclencher des élections, les Canadiens nous montreront à quel point ils en ont assez de tout cela. L’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, prévoit que la performance économique du Canada sera la pire des pays développés d’ici à 2030, ainsi que de 2030 à 2060, et que le Canada connaîtra la plus faible croissance du PIB réel par habitant.

Le sénateur Plett : Aux États-Unis, le PIB a connu une croissance de 5,2 % au troisième trimestre, alors que l’économie canadienne se contractait. Ce sont des faits, monsieur le leader, pas de vieux arguments recyclés par les conservateurs. Allez-vous dire qu’il s’agit encore une fois d’attaques partisanes?

Le sénateur Gold : Je ne dis pas qu’il s’agit d’attaques partisanes. Pour ce qui est d’avaler les prévisions au sujet de ce que sera l’économie en 2050, comme disait mon professeur de droit, vous avez l’estomac plus solide que le mien.

La défense nationale

Le personnel et l’équipement des Forces canadiennes

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Monsieur le leader, ma question porte sur la vidéo que la Marine royale canadienne a diffusée la semaine dernière. Dans celle-ci, le vice-amiral Angus Topshee s’exprime sur les répercussions de la grave pénurie de personnel sur l’état de préparation de la marine :

Notre flotte de la côte ouest est confrontée à une pénurie de techniciens qualifiés qui limite notre capacité à entretenir et à exploiter nos navires et nous contraint à donner la priorité aux navires de la classe Halifax plutôt qu’à ceux de la classe Kingston. À l’heure actuelle, les difficultés liées à la formation de techniciens pour les navires de la classe Harry DeWolf signifient que nous ne pouvons faire naviguer qu’un seul navire à la fois.

Monsieur le leader, les navires de la classe Harry DeWolf sont les nouveaux navires de patrouille extracôtiers de la marine. N’est-il pas inquiétant, voire embarrassant, pour le gouvernement Trudeau, que le Canada ne puisse en déployer qu’un seul à la fois?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Comme je l’ai indiqué à maintes reprises, il est fondamental que les trois branches des Forces armées canadiennes disposent du personnel et de l’équipement dont elles ont besoin pour faire leur travail. Les investissements que le gouvernement a effectués au fil des ans n’ont manifestement pas été aussi importants que certains l’espéraient, malgré le fait que les dépenses consacrées à la défense ont augmenté pendant de nombreuses années sous le gouvernement actuel. De plus, il est vrai que nous sommes confrontés au problème du maintien en poste du personnel. Le gouvernement continuera de réaliser d’importants investissements, comme il l’a fait pour la marine en faisant l’acquisition de navires, et pour les autres secteurs de l’armée, et il s’efforcera de combler les lacunes causées par le vieillissement de l’équipement.

La sénatrice Martin : Le fait est que la marine ne dispose pas du personnel et de l’équipement nécessaires. D’ailleurs, le vice‑amiral a également dit dans la vidéo que la marine doit trouver un moyen de maintenir les frégates de la classe Halifax en état de marche jusqu’en 2040 au moins. Ces frégates sont déjà à la fin de leur durée de vie de 30 ans et, d’ici 2040, elles auront près de 50 ans. Qu’est-ce que ce piètre état de préparation révèle sur l’opinion du gouvernement Trudeau au sujet de l’OTAN et de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, dans le cadre desquels ces frégates sont nécessaires pour répondre aux engagements du Canada?

Le sénateur Gold : Dans le cadre de paramètres financiers responsables, le Canada fait ce qu’il peut pour continuer à soutenir ses forces armées. Comme je l’ai dit à d’autres occasions — et comme le hansard le montrera —, les investissements du gouvernement dans la défense, en pourcentage du PIB, sont plus importants que ceux du gouvernement précédent.

Je ne dis pas cela pour fournir une excuse ou permettre au gouvernement de fuir ses responsabilités, mais pour reconnaître qu’il fait ce qu’il peut pour soutenir nos forces armées de manière responsable sur le plan financier — et qu’il continuera à faire ce qu’il peut.

(1450)

Les affaires mondiales

Le conflit au Soudan

L’honorable Mary Coyle : Sénateur Gold, la situation est plus que désastreuse au Soudan en raison des derniers mois de conflit dans ce pays. Des milliers de personnes ont été tuées, 5,1 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, 1,4 million de personnes vivent dans les pays voisins, il y a une famine généralisée, 19 millions d’enfants ne vont pas à l’école et il y a des accusations de nettoyage ethnique, de violences sexuelles généralisées et d’autres violations graves des droits de la personne.

Sénateur Gold, alors que l’attention du monde se porte sur la guerre entre Israël et le Hamas et sur la guerre en Ukraine, le Canada et d’autres pays occidentaux sont accusés d’ignorer la situation au Soudan, ou du moins de ne pas en faire assez pour contribuer à résoudre la crise.

Sénateur Gold, pouvez-vous nous dire ce que fait le Canada pour répondre à la crise humanitaire et contribuer à résoudre le conflit au Soudan?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie d’avoir posé cette question et souligné, comme il est nécessaire de le faire, que les conflits qui font les manchettes — pour ceux d’entre nous qui lisent encore les journaux — ne sont pas les seuls qui existent. Des crises humanitaires et des conflits violents se déroulent partout dans le monde. Le conflit au Soudan est manifestement l’un d’entre eux, et ce, depuis assez longtemps.

Le Canada et ses alliés sont chargés de fournir de l’aide humanitaire au Soudan et des fonds pour fournir de l’aide alimentaire et nutritionnelle, de l’eau potable, des services d’hygiène, des installations sanitaires, des services de santé et des services de protection. La résolution de ce conflit dépasse les capacités du Canada ou de tout autre pays. Le Canada collaborera avec ses alliés dans l’espoir que le conflit prenne fin et que les citoyens du Soudan n’aient pas à subir d’autres épreuves.

La sénatrice Coyle : Sénateur Gold, à une réunion récente du Comité des affaires étrangères, nous avons entendu le témoignage d’Awad Ibrahim, qui est professeur à l’Université d’Ottawa. Il a dit que le Canada pourrait et devrait jouer un rôle déterminant au Soudan. Il a affirmé que le Canada devrait participer aux négociations de paix à Djedda.

Sénateur Gold, quelles démarches le Canada a-t-il entreprises pour faire partie de ces négociations de paix? Travaillons-nous avec les pays aux vues similaires pour résoudre ce conflit?

Le sénateur Gold : Je crois comprendre que le Canada travaille effectivement avec les membres de la communauté internationale et les partenaires régionaux aux vues similaires pour soutenir une résolution pacifique du conflit.

Comme il l’a déjà fait, le Canada continuera à réclamer la reprise des pourparlers visant l’établissement d’un gouvernement de transition dirigé par des civils. Il continuera à exhorter toutes les parties à respecter les cessez-le-feu et à participer aux efforts de médiation pour résoudre le conflit.

Les finances

L’Incitatif à agir pour le climat

L’honorable Frances Lankin : Ma question s’adresse au sénateur Gold et fait suite à la question du sénateur Plett. Cela fait des années que je lutte contre la pauvreté et je suis profondément troublée par ce qu’il a dit au sujet des enfants, tout comme nous tous ici j’en suis sûre.

J’ai toutefois beaucoup de difficulté à croire que cette situation est le résultat de la taxe sur le carbone. J’ai lu un rapport récemment. Il s’agit d’une nouvelle analyse économique qui prétend que si on élimine la taxe sur le carbone et, par conséquent, les remboursements, cela profitera aux familles les plus riches du pays et non aux familles les plus pauvres dont nous discutons. Je suggère à nos enfants de demander au père Noël et à leurs parents et grands-parents qu’il n’y ait plus de tempêtes, d’incendies de forêt ou d’environnement dans lequel ils ne voudraient pas élever leurs enfants.

Avez-vous des commentaires au sujet de l’assertion de cette nouvelle analyse économique, selon laquelle l’élimination de la taxe sur le carbone et, par conséquent, des remboursements, profiterait aux riches au détriment de ces familles que...

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Comme mes collègues le savent, notre honorable collègue a fait un travail remarquable en tant que présidente de Centraide à Toronto. J’ai moi-même été ravi de faire partie de l’équipe de direction de son pendant, Centraide du Grand Montréal. Cela dit, la question ne porte pas sur moi, ni sur la sénatrice Lankin, mais sur les enfants.

Cela me paraît très crédible. Je ne veux pas trop m’avancer, car je ne suis pas économiste, mais je sais que des résultats d’analyse et de recherches indiquent que, même si la taxe sur le carbone fait certes augmenter le coût des aliments, cette hausse est plutôt modeste.

Par ailleurs, les données publiées par le gouvernement indiquent que les remboursements profitent grandement aux plus défavorisés de la société. Ces résultats d’analyse me semblent crédibles. Je vous remercie de votre question.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu)

Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Yussuff, appuyée par l’honorable sénatrice Duncan, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).

L’honorable Hassan Yussuff : Hier, en raison de l’ajournement, j’ai été interrompu au beau milieu de mon discours. À titre de rappel aux honorables sénateurs, je parlais des armes à feu.

Je pense que la plupart des habitants de notre pays seraient d’accord pour dire que les armes à feu utilisées sur le champ de bataille ne devraient pas se retrouver entre les mains de citoyens ordinaires. Le gouvernement s’est efforcé de veiller à ce que, dans ce projet de loi, ce type d’armes à feu soit encadré. Après son entrée en vigueur, le projet de loi C-21 clarifierait la situation pour les propriétaires et les fabricants et empêcherait l’entrée sur le marché canadien de nouveaux modèles de ces armes à feu particulièrement dangereuses.

En plus de mesures législatives, les modifications réglementaires prévoient l’enregistrement au Tableau de référence des armes à feu de toutes les armes à feu, et non seulement les armes à feu prohibées et à autorisation restreinte, avant leur entrée sur le marché canadien. Ainsi, aucune arme à feu ne pourrait entrer sur le marché canadien avec une classification erronée ou sans trace officielle.

Je tiens aussi à souligner que, alors que nous nous penchons sur le problème qui persiste depuis des décennies à propos de la classification des armes à feu, le gouvernement s’est engagé à rétablir le Comité consultatif canadien sur les armes à feu pour qu’il examine en toute indépendance la classification des armes à feu existantes. Le gouvernement poursuit l’élaboration des mesures relatives à l’interdiction des armes d’assaut et, parallèlement, il s’emploie à renforcer la réglementation sur les chargeurs de grande capacité. Aux termes de la nouvelle réglementation, les chargeurs de grande capacité devront être modifiés de façon permanente afin de ne pas pouvoir contenir plus de cinq cartouches. Par ailleurs, il sera interdit de vendre ou de transférer des chargeurs pouvant contenir un nombre de balles qui dépasse la limite légale.

Chers collègues, voilà certaines des principales mesures que prévoit le projet de loi C-21. Je tiens à souligner qu’il ne faudrait pas voir le contenu de ce projet de loi comme la seule stratégie qu’emploie le gouvernement pour lutter contre la violence armée au pays.

À ce sujet, voici un aperçu des autres mesures que le gouvernement a déjà prises ou qu’il prendra pour lutter contre la violence liée aux armes à feu. Il m’apparaît important, en effet, de comprendre que le projet de loi à l’étude n’est qu’un des éléments d’une stratégie plus vaste pour lutter contre la violence armée.

Depuis 2016, le gouvernement a consacré plus de 1,3 milliard de dollars à des mesures qui visent à lutter contre la violence armée et à garder les armes à feu hors de la portée des gangs et des criminels dans notre pays. Le gouvernement soutient l’élaboration de nouvelles initiatives axées sur la prévention de la violence armée et de la violence commise par les gangs, ainsi que sur les interventions; nous avons pu voir de telles initiatives se déployer au pays au cours des dernières années.

Le gouvernement s’est d’ailleurs engagé à soutenir, à hauteur de 250 millions de dollars, le travail que les municipalités et les communautés autochtones consacrent à la création et à la prestation de programmes de lutte contre les gangs. Ce financement s’ajoute aux près de 330 millions de dollars versés aux provinces et aux territoires dans le cadre de l’Initiative de lutte contre la violence liée aux armes à feu et aux gangs de 2018, une initiative axée sur la réduction de la criminalité liée aux armes à feu et aux gangs.

Précisons que le gouvernement a annoncé la prolongation et l’élargissement du programme grâce à une somme de 390 millions de dollars sur cinq ans qui sera ajoutée au Fonds de lutte contre la violence liée aux armes à feu et aux gangs. Ce financement est remis aux provinces et aux territoires pour diverses initiatives, notamment pour des programmes d’application de la loi et de prévention.

En plus de prévoir un financement ciblant les causes profondes de la criminalité, le gouvernement sait qu’il faut cibler la contrebande d’armes à feu, qui représente une menace à la sécurité des Canadiens. Dans le budget de 2021, le gouvernement a investi 656,1 millions de dollars sur cinq ans pour que l’Agence des services frontaliers du Canada procède à une modernisation des frontières, notamment en ce qui concerne la capacité de détecter la contrebande et la protection de l’intégrité des infrastructures à la frontière. Ces investissements s’ajoutent aux mesures législatives.

(1500)

Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant prendre quelques instants pour discuter de certaines questions soulevées au cours de l’étude du projet de loi en comité.

Le comité a tenu neuf réunions au cours des deux derniers mois. Il a entendu 66 témoins, dont le ministre et ses fonctionnaires, des organisations et des gouvernements autochtones, des universitaires, des chercheurs, quelques contrôleurs d’armes à feu, ainsi que des représentants de groupes de défense des droits de propriétaires d’armes à feu, d’organismes réclamant le contrôle des armes à feu et d’organismes d’application de la loi.

Je pense qu’il est juste de dire que, dans l’ensemble, les groupes en faveur des armes à feu n’appuient pas le projet de loi, alors que les groupes en faveur du contrôle des armes à feu et de nombreux organismes chargés de l’application de la loi l’appuient.

Comme de nombreux témoins qui sont en faveur du projet de loi, je sais qu’il n’est pas une panacée et que la lutte efficace contre la violence liée aux armes à feu et la réduction de celle-ci au pays est une question à multiples facettes. Cependant, tous les tenants du contrôle des armes à feu s’entendent pour dire que le projet de loi est un élément important de la réduction de la violence armée, et tous soutiennent l’adoption du projet de loi sans amendements.

Comme Wendy Cukier, cofondatrice de la Coalition pour le contrôle des armes, a déclaré :

Aucune loi n’est parfaite, mais le projet de loi C-21 change la donne pour le Canada et devrait être mis en œuvre le plus tôt possible. Il donne suite à la plupart des recommandations de la Commission des pertes massives et aux demandes de la Coalition pour le contrôle des armes à feu [...], qui, avec le soutien de plus de 200 organismes, se bat pour obtenir des lois plus sévères sur les armes à feu depuis plus de 30 ans.

Nous avons entendu Emma Cunliffe, ancienne directrice de la recherche et des politiques à la Commission des pertes massives, qui a dit que le projet de loi C-21 reprend bon nombre des recommandations formulées dans le rapport de la commission. Des groupes de femmes nous ont aussi parlé de l’importance des dispositions de signalement et d’intervention afin de protéger les femmes et de lutter contre l’épidémie de violence entre partenaires intimes qui sévit au Canada.

L’Association nationale Femmes et Droit a été claire au sujet du projet de loi. Elle a dit :

Nous soutenons le projet de loi C-21 et recommandons son adoption rapide. Bien que faible dans sa forme initiale, le projet de loi contient maintenant des mesures plus fortes pour protéger les femmes victimes de violence familiale.

Nous avons également entendu des représentants des forces de l’ordre, y compris Fiona Wilson, cheffe adjointe du Service de police de Vancouver. Voici ce qu’elle a dit au sujet du projet de loi :

Je pense [que le projet de loi] établit un bon équilibre entre le respect des droits des propriétaires d’armes à feu légitimes et le fait de fournir à la police plus d’outils pour lutter contre la violence associée aux armes dans le pays.

Plus précisément, en ce qui concerne les dispositions sur les armes fantômes, elle a dit :

Comme je l’ai mentionné, beaucoup d’éléments du projet de loi sont importants pour ce qui est des armes fantômes. Bien sûr, nous ne serons jamais complètement en mesure d’éliminer la capacité des gens de créer des armes à feu de fabrication privée, mais je pense que les dispositions du projet de loi vont beaucoup aider la police en lui fournissant des moyens d’enquête et des outils qu’elle peut utiliser pour enquêter sur ces types de situations, et tenir les délinquants responsables lorsque nous les rencontrons, qu’ils soient en train de fabriquer des armes fantômes ou soient en possession de celles-ci.

Sénateurs, dans le cadre de notre étude, nous avons entendu des préoccupations légitimes concernant le projet de loi, et je tiens à parler de trois d’entre elles, soit la question des contrôleurs des armes à feu dans le Nord, celle des instructeurs de tir qui donnent le Cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu à autorisation restreinte, et celle de la consultation des Autochtones.

Chers collègues, plusieurs représentants du Nord ont soulevé le fait que les contrôleurs des armes à feu responsables du Nord ne sont pas établis dans ces régions. Seuls les territoires du Nord sont dans cette situation. Pour bien comprendre et bien apprécier le caractère unique du Nord, les contrôleurs des armes à feu responsables de ces territoires doivent être installés dans le Nord. C’est une préoccupation légitime, et ce devrait être une exigence minimale pour ces postes. Je doute que quiconque soit d’avis contraire, puisque c’est une question importante de justice, d’équité et de respect.

Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, a très bien expliqué la situation lors de sa comparution devant le comité, le 6 novembre 2023, lorsqu’il a dit :

Cette distance est plus que géographique, elle est aussi culturelle et pratique. Nous devons nous demander si ces fonctionnaires sont en mesure d’évaluer et de comprendre correctement les circonstances et les besoins particuliers des chasseurs inuits...

J’étais ravi que le ministre LeBlanc aborde directement la question dans sa lettre au comité. Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous avons reçu cette lettre il y a deux jours. Voici un extrait de ce que le ministre y dit :

Les contrôleurs des armes à feu et leurs équipes respectives ont un important rôle à jouer pour assurer l’utilisation sûre et légale des armes à feu dans les provinces et les territoires.

À cet égard, j’ai entendu les points de vie des sénateurs et des témoins concernant la présence de contrôleurs des armes à feu dans les territoires, et l’importance des connaissances locales.

Je m’engage à régler le problème et, pour y arriver, je collaborerai avec les premiers ministres de tous les territoires.

Le ministre nous a communiqué la lettre qu’il a adressée à l’un des premiers ministres territoriaux, où il dit ceci :

En attendant le résultat d’une consultation en bonne et due forme auprès de votre gouvernement, je souhaite nommer un contrôleur des armes à feu résidant dans votre territoire. J’aimerais avoir l’occasion d’entendre votre point de vue afin que le gouvernement tienne compte de la situation et des besoins uniques des Territoires du Nord-Ouest et des communautés qui y vivent.

Je pense, chers collègues, que le ministre s’est engagé, en toute bonne foi, à répondre aux souhaits des habitants du Nord en ce qui concerne la question des contrôleurs des armes à feu dans le Nord, qui a été soulevée dans notre étude.

Il a aussi été question de l’effet que le gel des armes de poing aura sur les instructeurs de tir qui donnent le cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu à autorisation restreinte. Il s’agit d’une préoccupation légitime, car nous aurons besoin d’un nombre suffisant d’instructeurs à l’avenir pour dispenser ces cours, que ce soit pour s’assurer que les tireurs sportifs qui souhaitent participer aux épreuves de tir à l’arme de poing des Jeux olympiques ou paralympiques aient la possibilité d’obtenir leur permis de possession d’arme à feu à autorisation restreinte ou pour s’assurer que les personnes qui souhaitent devenir gardes de véhicules blindés, ou même gardes à l’Agence des services frontaliers du Canada, disposent de la même capacité.

Le ministre a également répondu à cette préoccupation dans sa lettre au comité, en déclarant :

J’ai entendu vos préoccupations concernant la nécessité de permettre aux instructeurs de tir d’avoir accès aux armes à feu dont ils ont besoin pour dispenser leur formation en toute sécurité. Comme la manière de procéder des instructeurs de tir varie selon les régions du pays, j’ai chargé des fonctionnaires de travailler avec les organisations concernées pour explorer les options permettant de soutenir la prestation de ce service important. Les instructeurs en maniement des armes à feu sont essentiels pour assurer la sécurité des propriétaires d’armes à feu et de la société canadienne.

Enfin, un certain nombre de parties prenantes, surtout des organisations autochtones et des gouvernements, se sont dites contrariées par l’absence de consultations sérieuses pendant l’élaboration du projet de loi C-21, notamment en ce qui concerne la nouvelle définition technique d’« arme à feu prohibée » liée aux armes d’assaut.

Je tiens à rappeler à mes collègues qu’une nouvelle définition ne figurait pas dans le projet de loi initial et qu’elle a seulement été ajoutée au cours de l’étude article par article en comité à l’autre endroit.

Je crois fermement que le gouvernement a le devoir de consulter les Autochtones si le projet de loi les concerne. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a amendé le projet de loi à l’autre endroit pour y ajouter une disposition de non-dérogation.

Dans sa lettre d’il y a deux jours, le ministre a également répondu à la préoccupation concernant la nécessité de mener des consultations sérieuses dans le cadre de la création des règlements d’application du projet de loi. Il a dit :

Bien que le projet de loi C-21 ne portera pas atteinte aux droits des Autochtones confirmés par la Constitution, le gouvernement a le devoir de consulter véritablement les peuples autochtones.

Dans les cas où un règlement proposé pourrait porter atteinte aux droits issus de traités, établis ou éventuels, le gouvernement doit respecter son obligation de consulter et, dans la mesure du possible, tenir compte de ces droits.

Sécurité publique Canada collaborera avec ses partenaires autochtones tout au long de l’élaboration, de la gestion et de l’examen des règlements.

Honorables sénateurs, en conclusion, le projet de loi jouit de l’appui sans équivoque des groupes pour le contrôle des armes à feu, des organisations féminines et des groupes de défense des droits des victimes. Il jouit également de l’appui de nombreux organismes d’application de la loi dans tout le pays et je pense qu’il reflète bon nombre des recommandations du rapport de la Commission des pertes massives.

(1510)

Je crois que la majorité des Canadiens souhaitent le gel de la vente et de la cession d’armes de poing ainsi que l’interdiction des armes à feu semi-automatiques de type militaire. C’est ce qu’ont révélé de nombreux sondages au fil des ans, y compris un récent sondage commandé par notre collègue la sénatrice Dasko, qui a révélé un appui élevé à l’égard des mesures proposées dans ce projet de loi. Selon ce sondage, 85 % des Canadiens sont favorables ou plutôt favorables à l’idée qu’on interdise que de nouvelles armes d’assaut arrivent sur le marché canadien. En ce qui concerne le sujet controversé des armes de poing, 73 % des Canadiens sont favorables ou plutôt favorables au gel de la vente, de l’achat, du transport et de l’importation d’armes de poing.

Chers collègues, la sécurité de nos collectivités doit passer avant tout, et tout plan visant à lutter contre la violence armée doit être exhaustif et bien planifié. Il n’est pas question ici d’enlever leurs armes aux propriétaires, aux chasseurs et aux tireurs sportifs responsables. Il s’agit plutôt d’une approche responsable et pleine de bon sens qui vise à lutter contre les crimes violents et à prévenir des décès tragiques et insensés.

Comme je l’ai dit au début de mon intervention, je vois dans ce projet de loi un équilibre entre les droits et la sécurité des Canadiens et le fait de posséder une arme pour la chasse, le tir sportif ou parce qu’on est collectionneur. Comme bien des témoins qui ont comparu devant le comité, y compris la cheffe de police adjointe Wilson, je crois que ce projet de loi parvient effectivement à un juste équilibre.

Sénateurs, après l’événement tragique survenu il y a 34 ans, notre pays a entamé son périple vers l’interdiction des armes d’assaut au pays et dans notre société. Le projet de loi dont vous êtes saisis vise en partie à honorer la mémoire de ces 14 femmes et à lutter pour l’héritage qu’on nous a légué : compléter ce périple. Il s’agit également de se battre pour un avenir où l’on ne vivra jamais une telle tragédie.

Catherine Bergeron, la sœur de Geneviève Bergeron, qui est décédée lors de la tuerie, s’est exprimée à ce sujet hier soir lors d’un hommage aux victimes du massacre de Montréal en déclarant ce qui suit :

C’était un soir froid de décembre, un peu à l’image d’aujourd’hui. Au crépuscule de l’hiver, elles nous ont quittés. Elles nous ont quittés sans le vouloir. Elles nous ont toutefois laissé un héritage qui se résume en deux mots : Plus jamais. Leur perte ne devait pas être vaine.

Chers sénateurs, bien que ces femmes soient mortes de manière très tragique, nous avons le pouvoir de donner un sens à tout cela en adoptant ce projet de loi. Je vous prie d’appuyer le projet de loi dont vous êtes saisis sans amendement pour que cela devienne possible.

Je vous en remercie infiniment.

L’honorable Marty Deacon : Je vous remercie de la profondeur et de l’envergure du discours que vous avez prononcé aujourd’hui. Merci aussi d’avoir laissé parler votre cœur au sujet d’un projet de loi qui n’a pas été facile.

J’aurais une question. Je me suis réjouie d’apprendre que le ministre s’occupait du problème concernant le bureau du contrôleur des armes à feu et était parvenu à l’atténuer. Je suis heureuse de l’apprendre, car nous en avons beaucoup entendu parler pendant les travaux du comité. Cela m’a toutefois fait penser à autre chose aujourd’hui. Vous avez mentionné pendant votre discours qu’il s’agit d’un aspect de la solution, que le projet de loi fait partie de la solution. Il y a aussi d’autres éléments en jeu et d’autres pièces sur lesquelles nous devons continuer de travailler en tant que Canadiens.

Voici ma question : Avez-vous confiance dans le projet de loi et dans le type de choses que le gouvernement s’est engagé à accomplir grâce au règlement et au travail qui suivront l’adoption du projet de loi? Êtes-vous convaincu que les efforts nécessaires pour peaufiner les détails de ce projet de loi seront faits comme ils doivent l’être, conformément aux engagements et aux promesses à ce sujet?

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre question. Comme c’est le cas pour toutes les mesures législatives, ce n’est qu’une partie du travail. Je pense que le projet de loi apportera de nouveaux défis, non seulement pour le gouvernement quant à sa mise en œuvre, mais aussi pour nos forces de l’ordre, les acteurs de première ligne dans les provinces et les territoires. Les forces de l’ordre devront travailler dans un esprit de collaboration pour veiller à ce que le projet de loi, conformément au but qu’il vise, ait pour résultat d’inverser véritablement la tendance observée au Canada par rapport à la violence liée aux armes à feu.

Nous aurons beaucoup à faire, mais il est tout aussi important que le gouvernement, dans le cadre de ses consultations sur le règlement, entende certains des problèmes qui ont été évoqués au sein du comité et les règle adéquatement de manière à ce qu’il soit clair qu’il est possible d’atténuer certains risques pour éviter les conséquences imprévues.

J’aimerais aborder l’une des questions qui ont été soulevées au sein du comité au sujet des sports olympiques et paralympiques. Les athlètes qui ont besoin d’armes à feu pour y participer ne seront touchés d’aucune façon qui pourrait réduire le nombre de personnes qui voudront pratiquer ces sports et, éventuellement, représenter notre pays à l’échelle internationale. Le ministre a donné une certaine assurance que le gouvernement va trouver une solution, mais je crois que, bien entendu, nous devrons continuer à talonner le gouvernement à ce sujet. Je sais que beaucoup de gens le feront.

De même, je pense que l’intention du projet de loi est de régler les nombreux problèmes auxquels nous faisons face en matière de violence commise avec une arme à feu. Nous savons que beaucoup trop d’armes illégales entrent au pays, et le gouvernement doit travailler avec les forces de l’ordre de première ligne pour trouver comment interdire ces armes — il accorde plus d’argent à l’Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC, pour ce faire — mais aussi s’attaquer aux problèmes avec certains jeunes qui pourraient être attirés par l’idée de commettre des actes de violence avec des armes à feu dans leur communauté. Comment les en dissuader? Le gouvernement doit continuer à investir plus d’argent dans les collectivités de tout le pays, en travaillant avec les municipalités, les organisations autochtones, les provinces et les territoires, afin que nous puissions au moins atteindre l’objectif plus large de ne pas voir les jeunes commettre des actes de violence à l’aide d’une arme à feu, et — ce qui est tout aussi important — voir à ce qu’ils ne mettent pas la main sur une arme à feu en premier lieu. Ce genre de choses ne fera que perpétuer le carnage auquel nous assistons partout au pays, comme chez nos voisins du sud.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia : Sénateur Yussuff, de vives préoccupations ont été soulevées en raison des avancées dans la technologie numérique qui permette de concevoir des armes à feu au moyen de l’impression tridimensionnelle et d’autres procédés, en particulier dans le monde interlope. Dans quelle mesure a-t-on tenu compte de ces préoccupations dans le projet de loi?

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre question, sénateur. Ceux d’entre nous qui ont participé à l’étude du comité ont eu la chance de visiter l’armurerie de la GRC. Nous avons pu voir sur place comment cette technologie évolue et change la façon de fabriquer des armes à feu fantômes qui causent des torts considérables et sont utilisées plus fréquemment pour commettre des crimes, du moins, selon les forces de l’ordre. Ces armes sont difficiles à détecter, elles sont faciles à fabriquer, et la technologie employée est de plus en plus répandue et facilement accessible. Le coût de cette technologie a aussi grandement diminué.

Le projet de loi attaque ce problème de front en rendant illégale l’importation des pièces qui servent à fabriquer ces armes à feu et, plus important encore, il donne plus d’outils aux policiers sur le terrain pour les aider à contrer cette technologie et à répondre à ces préoccupations.

Comme vous le savez, depuis que le projet de loi a été présenté à l’autre endroit, l’année dernière, nous avons vu de nombreux reportages expliquant comment cette technologie est en train de faciliter l’accès à des armes à feu pour les criminels, car ils n’ont plus besoin d’obtenir un permis pour s’en procurer. On peut simplement les faire fabriquer et, bien entendu, s’en procurer sur le marché.

À mon avis, le projet de loi s’attaque de front à ce problème en établissant des restrictions sur l’importation et le téléchargement de cette technologie ainsi que sur son utilisation, en plus de donner des outils aux policiers et aux agents d’application de la loi pour inculper et faire condamner les personnes qui seraient impliquées dans le trafic d’armes fantômes. De cette façon, nous pouvons éviter que le problème ne s’aggrave au pays.

Comme vous le savez, aucune disposition d’un projet de loi n’empêchera les criminels de perpétrer des méfaits. Cependant, nous devons faire tout ce que nous pouvons afin que les agents d’application de la loi aient tous les outils nécessaires pour mieux faire leur travail et répondre aux préoccupations des Canadiens qui s’inquiètent que cette technologie soit maintenant facilement accessible. Nous devons faire en sorte que les cas soient rapportés aux agents d’application de la loi afin qu’ils puissent interdire cette technologie et l’enlever des mains des criminels dans notre pays.

(1520)

L’honorable Marilou McPhedran : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Yussuff : J’en serais honoré.

La sénatrice McPhedran : Sénateur Yussuff, Mme Pamela Palmater, une juriste et avocate mi’kmaq, a comparu devant le comité et exprimé son appui au projet de loi. Elle a aussi noté que le projet de loi devrait fournir une façon d’élaborer les règlements pour qu’ils reconnaissent, respectent et intègrent les droits inhérents et issus de traités des peuples autochtones du pays, et qu’il devrait y avoir un processus permettant une participation pleine et entière des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Le projet de loi prévoit-il de telles dispositions? Permettra-t-il d’adopter cette approche?

Le sénateur Yussuff : Merci beaucoup de cette question. Ce problème a bien entendu été abordé lors de son témoignage au comité. Elle nous a parlé directement. Comme vous le savez, et comme je l’ai dit plus tôt dans mes observations, lorsque ce projet de loi a été présenté à l’autre endroit, il n’incluait pas l’article 35 de la Loi constitutionnelle en ce qui concerne la protection des droits fermes des Autochtones prévus dans la Constitution. Un amendement a été apporté ultérieurement à l’autre endroit avant que le projet de loi n’arrive au Sénat. Cette disposition fait maintenant partie du projet de loi et elle en constitue un élément fondamental.

Par-dessus tout, le ministre a pris le temps de nous écrire que, dans le cadre de l’élaboration de la réglementation, il veillera à ce que les fonctionnaires consultent dûment les Premières Nations sur toute partie de la réglementation qui les concernerait. Si la réglementation les concerne, les Premières Nations doivent être consultées. C’est ce que prévoit l’article 35. Le gouvernement confirme qu’il a l’intention de procéder de la sorte lorsqu’il commencera à élaborer la réglementation concernant le projet de loi C-21.

L’honorable Ratna Omidvar : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Yussuff : Oui.

La sénatrice Omidvar : Merci, sénateur Yussuff, pour votre travail sur ce projet de loi. C’est un projet de loi important, qui comporte de nombreux détails. Je suis sûre d’avoir manqué une partie de vos remarques sur le rétablissement du Comité consultatif canadien sur les armes à feu, qui sera chargé de mener un examen indépendant sur la classification des armes à feu.

Au cas où j’aurais effectivement manqué cette information, pouvez-vous me dire, si vous le savez, quand on procédera au rétablissement de ce comité, et qui y siégera?

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie pour vos questions. Le gouvernement a confirmé qu’il rétablira le comité une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale.

Le comité devrait inclure une variété de personnes qui connaissent bien le dossier, y compris des contrôleurs des armes à feu de tout le pays qui sont en première ligne pour donner des conseils sur l’application de notre mesure législative sur les armes à feu. Les personnes qui sont chargées de nous aider à relever les défis relatifs à l’application devraient faire partie du comité, tout comme les représentants des Premières Nations. Il faudrait aussi que des défenseurs des armes à feu siègent à ce comité parce qu’ils ont des préoccupations et qu’ils devraient éclairer le travail du comité. Je pense que des tenants du contrôle des armes à feu devraient également faire partie du comité. Il faut atteindre un équilibre qui est représentatif du pays. J’espère que c’est ainsi que sera composé le comité et c’est ce que j’ai cru comprendre.

C’est le ministre et le gouvernement qui auront le dernier mot sur la composition du comité. Nous avons reçu l’assurance que, dès que le projet de loi aura reçu la sanction royale, le gouvernement formera le comité afin que les travaux puissent commencer le plus rapidement possible.

L’honorable Karen Sorensen : Sénateur Yussuff, pendant l’étude du comité, quelqu’un a fait une observation au sujet des armes de poing laissées en héritage et de leur transfert. Il semble que le comité ait compris que le projet de loi C-21 instaurerait des règles supplémentaires qui s’appliqueraient à ces armes de poing et que, à quelques exceptions près, aucun nouveau certificat d’enregistrement ne serait délivré pour ces armes. Il sera donc très difficile de transmettre ces objets de famille en héritage.

C’est l’observation que je vois. Pourriez-vous expliquer davantage ce que cette observation invite le gouvernement à faire?

J’ai grandi dans un foyer où mon père possédait l’une des plus belles collections d’armes anciennes de tout le Canada, qui ne comprenait aucune arme datant d’après la Première Guerre mondiale. Certains de ses amis ont communiqué avec moi pour me demander ce que nous allions faire à propos de ces objets de famille de grande valeur.

Le sénateur Yussuff : Merci beaucoup de votre question. C’est moi qui ai fait cette observation.

La sénatrice Sorensen : Mon père vous en remercie.

Le sénateur Yussuff : J’ai réfléchi à certains témoignages et tenté de comprendre ce qui s’est dit à l’autre endroit. Je me suis entretenu avec certains contrôleurs des armes à feu qui sont les premiers concernés, car ils sont appelés à gérer ces cas.

D’après moi, le gouvernement doit trouver une solution. Je vais faire une analogie. Je suis en quelque sorte un maniaque de l’automobile. Cela fait partie de ma tradition. Si j’avais une Chevrolet 1952 et que je choisissais de la léguer à ma fille, elle ne la conduirait peut-être jamais, mais il se pourrait qu’elle veuille la conserver parce qu’elle a appartenu à son père. Il est juste et raisonnable, même si la loi concernant la pollution peut changer, que la décision lui appartienne.

On devrait accorder le même respect et la même courtoisie aux familles qui possèdent des objets de grande valeur sentimentale ou historique et qui souhaitent les léguer d’une génération à l’autre. Il faut trouver une solution concrète pour cela. Le gouvernement doit régler ce problème. Le projet de loi ne règle pas cette question adéquatement. Je crois effectivement que le gouvernement devrait accepter les recommandations à ce sujet.

Son Honneur la Présidente : Je suis désolée, sénateur Yussuff, mais votre temps de parole est écoulé.

[Français]

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu). Dans mes remarques, j’aborderai l’une des lacunes les plus flagrantes du projet de loi C-21 dans sa forme actuelle, qui est à l’origine de tous les problèmes qu’il pose. Cette lacune est attribuable au fait que le gouvernement n’a tenu pratiquement aucune consultation lors de la rédaction de cette mesure législative.

Pourquoi est-ce important? Premièrement, parce que le gouvernement a affirmé qu’il avait consulté presque tout le monde avant de rédiger ce projet de loi. Le ministre nous a confirmé que ces séances dites « de consultation » s’apparentaient davantage, à mon avis, à des séances d’information. Ensuite, parce que puisque nous savons qu’il n’y a pas eu de consultations lors de l’élaboration du projet de loi C-21, nous pouvons supposer que les consultations seront tout aussi inexistantes lors du processus réglementaire à venir. Selon moi, il s’agit là d’un problème que nous devons résoudre dans le projet de loi que nous étudions.

Je voudrais commencer par rappeler ce que le gouvernement a réellement affirmé en ce qui concerne les consultations sur le projet de loi C-21. Comme le sénateur Plett et d’autres l’ont rappelé, lorsque le ministre a comparu devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, le 23 octobre dernier, il a dit ceci, et je cite :

Nous avons noué le dialogue avec des organisations des Premières Nations, des Inuits et des Métis, des collectivités rurales et nordiques, des groupes de victimes et la communauté des armes à feu, des sportifs et des tireurs sportifs dans tout le Canada pour connaître leur point de vue et nous assurer que nous respectons leurs traditions et leur mode de vie. Ces consultations ont permis de définir la voie à suivre.

Chers collègues, c’est exactement ce que le ministre a dit lors de son témoignage, mais quand les sénateurs et sénatrices membres du Comité de la sécurité nationale ont commencé à demander aux témoins s’ils avaient été consultés lors de l’élaboration du projet de loi C-21 — je fais référence ici à un véritable processus de consultation, et non à des séances d’information —, voici ce qu’ils ont répondu, et je vais les citer à tour de rôle :

La Dre Teri Bryant, contrôleuse des armes à feu au Bureau du contrôleur des armes à feu de l’Alberta, a dit ce qui suit : « Il n’y a eu absolument aucune consultation. »

M. Robert Freberg a dit ceci : « Il n’y en a pas eu. »

Le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, Terry Teegee, a dit ceci le 6 novembre : « Au mieux, elles ont été minimes, voire inexistantes. »

Me Will David, directeur juridique de l’organisme Inuit Tapiriit Kanatami, a dit ce qui suit :

Pour dire les choses simplement, il n’y a pas eu de consultations. Le ministre avait communiqué avec nous et nous avions fait une demande, mais cette consultation n’a jamais eu lieu. Nous attendons toujours.

(1530)

Je cite Paul Irngaut, vice-président de Nunavut Tunngavik Inc. :

Nous croyons savoir que l’Inuit Tapiriit Kanatami, l’organisation nationale inuite communément appelée ITK, s’est fait expliquer la plus récente version du projet de loi peu avant sa déposition en mai dernier. Cependant, ni ITK ni NTI n’ont été pleinement consultés sur le libellé dudit projet de loi ou sur les répercussions qu’il pourrait avoir.

La cheffe Jessica Lazare, du Conseil des Mohawks de Kahnawàke, a dit ceci :

Nous n’avons eu qu’une seule réunion et ce n’était pas nécessairement une consultation adéquate. Je ne considérerais donc pas cela comme de la consultation.

Voici ce qu’a dit Sandra Honour, présidente du conseil d’administration de la Fédération de tir du Canada :

Le comité qui a examiné le projet de loi C-21 n’a pas invité la Fédération de tir du Canada à participer et il n’a pas été répondu aux différentes lettres que nous avons écrites au ministre.

Marcell Wilson, fondateur et président du mouvement One By One de Toronto, lorsqu’on lui a demandé si quelqu’un de sa communauté avait été consulté au sujet du projet de loi, a dit : « Je dois dire que non, absolument personne. »

Gilbert White, président de la Communauté des armes à feu de loisir de la Saskatchewan Wildlife Federation, a dit ce qui suit : « La Saskatchewan Wildlife Federation n’a pas été consultée. »

Je cite Doug Chiasson, directeur général de l’Institut de fourrure du Canada : « Non, nous n’avons pas été consultés. »

Edward Lennard Busch, directeur général de l’Association des chefs de police des Premières Nations, a dit ceci :

Nous avons eu nous aussi une conversation avec le ministre précédent, le ministre Mendicino. Je ne dirais pas que c’était une consultation approfondie.

Didier Deramond, directeur général de l’Association des directeurs de police du Québec, a dit ceci :

On a eu une discussion avec le cabinet du ministre et le ministre, mais c’était plus une présentation qu’une consultation.

Voilà les mots qui reviennent constamment de la part des témoins : ils ont été informés, mais n’ont pas été consultés.

Chers collègues, compte tenu de cette montagne de témoignages, comment est-il possible qu’un ministre de la Couronne vienne devant le comité et prétende ce qui suit, comme il l’a fait :

Nous avons noué le dialogue avec des organisations des Premières Nations, des Inuits et des Métis, des collectivités rurales et nordiques, des groupes de victimes et la communauté des armes à feu, des sportifs et des tireurs sportifs dans tout le Canada pour connaître leur point de vue et nous assurer que nous respectons leurs traditions et leur mode de vie. Ces consultations ont permis de définir la voie à suivre.

Permettez-moi de dire qu’on a déjà vu mieux comme consultations.

J’ose poser la question, chers collègues : la vérité ne signifie‑t‑elle plus rien pour le gouvernement actuel? À cause de ce projet de loi qui a fait un parcours de montagnes russes, ce gouvernement est-il si confus que les mots « consultation » et « information » sont maintenant synonymes? J’inviterais le gouvernement actuel à s’acheter le Petit Larousse, dans lequel il trouvera une définition claire de ces deux mots, et il constatera qu’il n’y a eu aucune consultation sérieuse sur ce projet de loi.

L’absence de consultations auprès des organisations et des communautés autochtones est particulièrement scandaleuse, compte tenu de l’engagement extrêmement clair pris par le gouvernement dans le cadre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui était de consulter pleinement les peuples autochtones sur toute question les concernant.

Que signifie ce bilan en matière de consultations? Ce n’est pas le bon mot. Parlons plutôt d’un bilan en matière d’information.

Cela signifie que nous avons un problème très sérieux relativement à la mise en œuvre de ce projet de loi. Nous devons le corriger. En effet, le ministre a clairement indiqué, lors de sa comparution devant notre comité, qu’il prévoyait désormais travailler par voie réglementaire.

Les règlements sont généralement élaborés dans le cadre d’un processus encore plus fermé qu’un projet de loi. J’en sais quelque chose. J’ai travaillé pendant 34 ans dans la haute fonction publique québécoise; on adoptait un projet de loi et on le donnait au ministre. Ensuite, c’étaient les fonctionnaires qui adoptaient la réglementation, souvent sans avoir consulté les gens concernés. Un certain nombre de témoins qui ont comparu devant le comité ont exprimé de vives inquiétudes quant au fait qu’ils seront désormais tout aussi ignorés dans le processus réglementaire en cours qu’ils l’ont été lors de la rédaction du projet de loi.

Lorsque Terry Teegee, chef régional, Colombie-Britannique, de l’Assemblée des Premières Nations a comparu devant le comité sénatorial le 6 novembre dernier, il a fait part de son inquiétude quant à l’importante marge de manœuvre réglementaire prévue par le projet de loi C-21. Il a demandé à notre comité de modifier le projet de loi afin de créer un mécanisme de surveillance qui garantirait la tenue de consultations avant de porter toute atteinte que ce soit aux droits de chasse et de subsistance des Premières Nations. Chers collègues, nous l’avons constaté : la situation particulière des peuples autochtones soulève de grandes préoccupations chez les témoins inuits qui ont comparu devant le comité sénatorial. Tous les témoins ont notamment exprimé de sérieuses inquiétudes en ce qui concerne le processus réglementaire en cours.

Mon amendement propose d’aborder cette question du mieux possible et le plus positivement possible. Il rend la consultation obligatoire sur toute réglementation susceptible de toucher les droits d’un ou de plusieurs groupes, communautés ou peuples autochtones, des droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il exige également que le gouvernement prenne en compte les circonstances et les besoins uniques de ces groupes, communautés et peuples autochtones et qu’il prépare un rapport décrivant les consultations entreprises.

Mon amendement ne fait donc qu’imposer au gouvernement ce qu’il s’est lui-même engagé à faire dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il s’agit d’une mesure minimale, mais nécessaire. Je vous demande donc d’envoyer au moins un message très clair au gouvernement en adoptant cet amendement.

En terminant, honorables sénateurs, je vous remercie à l’avance de votre appui à cet amendement sur lequel nous allons bientôt voter. Je vous demande de donner une voix aux groupes, communautés et peuples autochtones qui, selon leurs témoignages, n’ont pas été consultés au sujet du projet de loi C-21.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-21 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à la page 51, par adjonction, après la ligne 30, de ce qui suit :

« 45.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l’article 118, de ce qui suit :

118.1 (1) Avant de déposer au Parlement conformément au paragraphe 118(1) tout projet de règlement qui est susceptible d’avoir une incidence sur les droits — reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 — de groupes, collectivités ou peuples autochtones, le ministre fédéral consulte divers corps dirigeants autochtones et organismes autochtones pour prendre en compte leur situation et besoins uniques.

(2) Le cas échéant, il joint au projet de règlement qu’il dépose un rapport faisant état des consultations effectuées.

(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

corps dirigeant autochtone Conseil, gouvernement ou autre entité autorisé à agir pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones titulaires de droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. (Indigenous governing body)

organisme autochtone Entité autochtone qui représente les intérêts d’un groupe autochtone et de ses membres. (Indigenous organization) ».

Merci.

Son Honneur la Présidente : En amendement, l’honorable sénateur Boisvenu propose, avec l’appui de l’honorable sénatrice Seidman :

Que le projet de loi C-21 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à la page 51, par adjonction, après la ligne 30, de ce qui suit :

« 45.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l’article 118, de ce qui suit :

118.1 (1) Avant de déposer au Parlement conformément au paragraphe 118(1) tout projet de règlement qui est susceptible d’avoir une incidence sur les droits — reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 — de groupes, collectivités ou peuples autochtones, le ministre fédéral consulte divers corps dirigeants autochtones et organismes autochtones pour prendre en compte leur situation et besoins uniques.

(2) Le cas échéant, il joint au projet de règlement qu’il dépose un rapport faisant état des consultations effectuées.

(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

corps dirigeant autochtone Conseil, gouvernement ou autre entité autorisé à agir pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones titulaires de droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. (Indigenous governing body)

organisme autochtone Entité autochtone qui représente les intérêts d’un groupe autochtone et de ses membres. (Indigenous organization) ».

(1540)

[Traduction]

L’honorable Hassan Yussuff : Honorables sénateurs, permettez-moi d’abord de remercier mon collègue le sénateur Boisvenu de son intervention et de son travail au sein du comité au sujet du projet de loi C-21.

Vous ne serez pas surpris, chers collègues, que je vous demande de ne pas accepter l’amendement qu’il a proposé.

J’aime profondément les peuples autochtones. Je suis heureux de voir que mes amis éprouvent un nouveau respect à leur égard.

Cet amendement a été déposé au comité et ce dernier l’a rejeté, mais il y a une chose dont je veux parler concernant cet amendement. Je crois que je l’ai mentionné dans mon discours plus tôt, mais je vais le répéter avant que nous passions à la mise aux voix de l’amendement.

Bien que le projet de loi C-21 ne portera pas atteinte aux droits des Autochtones confirmés par la Constitution, le gouvernement a le devoir de consulter véritablement les peuples autochtones.

Dans les cas où un règlement proposé pourrait porter atteinte aux droits issus de traités, établis ou éventuels, le gouvernement du Canada doit respecter son obligation de consulter et, dans la mesure du possible, tenir compte de ces droits.

Sécurité publique Canada collaborera avec ses partenaires autochtones tout au long de l’élaboration, de la gestion et de l’examen des règlements.

C’est l’assurance que nous a donnée le ministre.

L’article 35 est inscrit dans le projet de loi pour lui donner un sens et garantir que, si le gouvernement ne fait pas son travail, on puisse s’adresser aux tribunaux et prendre le gouvernement à partie. Le gouvernement a reconnu l’importance de la consultation, mais il a également reconnu le fait que les Autochtones ont certains droits au Canada à cet égard que nous avons l’obligation de respecter.

Chers collègues, je pourrais m’éterniser, mais je crois que j’ai été assez éloquent. Bien sûr, c’est le message que le comité a transmis dans ses observations sur le projet de loi, et le ministre nous a écrit pour régler cette question précise dans le contexte des consultations à venir concernant tout règlement qui pourrait avoir une incidence négative sur les Autochtones dans le cadre de la mise en œuvre du projet de loi.

Comme nous le savons, la Couronne prend toujours des règlements. Elle a l’obligation de publier ces règlements, ainsi que d’obtenir des commentaires et d’y répondre, mais je pense que l’article 35 l’oblige à aller encore plus loin, et cette obligation est inscrite dans le projet de loi.

Honorables sénateurs, je vous demande de rejeter l’amendement, car il a été rejeté au comité.

Merci. Reconnaissons ce qui a également été inscrit dans la loi au titre du projet de loi C-21.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : J’ai une très courte question pour vous, Sénateur Yussuff, si vous le permettez. L’une des raisons que vous donnez pour ne pas adopter l’amendement ici, c’est qu’il a été rejeté au comité. C’est probablement un argument raisonnable.

Que pensez-vous du projet de loi C-234, pour lequel nous avons rejeté des amendements au comité, avant que vous ne les appuyiez au Sénat?

Le sénateur Yussuff : Si je peux me permettre, sénateur Plett, je préférerais parler du projet de loi C-21, dont nous sommes actuellement saisis.

Le sénateur Plett : Vous ne répondez pas à ma question.

Le sénateur Yussuff : Si vous voulez que je parle du projet de loi C-21, je serai heureux de le faire.

Le sénateur Plett : Vous ne...

Le sénateur Yussuff : Je crois que mon collègue avait parfaitement le droit de présenter l’amendement dont nous sommes saisis. J’ai expliqué pourquoi nous devrions le rejeter. Je n’insinue pas qu’il n’avait pas le droit de présenter l’amendement, alors soyons très clairs : il avait le droit de présenter l’amendement. Je l’accepte, tout comme le Sénat. Cependant, je crois également que le projet de loi C-21 répond déjà adéquatement à la question que soulève l’amendement.

L’honorable Dennis Glen Patterson : Je vous remercie de parrainer ce projet de loi, monsieur le sénateur.

Vous avez dit que le ministre collaborera avec les groupes autochtones pour l’élaboration du règlement. C’est indispensable. Ma question est simple. Les témoins ont très clairement dit que leur situation et leurs besoins sont uniques et qu’il faut en tenir compte. Par conséquent, si le ministre entend collaborer avec les organisations autochtones pour l’élaboration du règlement, pourquoi vous opposeriez-vous à un amendement qui propose exactement cela? Quel problème pose un amendement qui confirme l’engagement que le ministre a déjà pris, d’après vos propos, au sujet de ce projet de loi?

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de la question.

Comme je l’ai dit, l’article 35 de la Loi constitutionnelle est inscrit dans la loi. Il oblige le gouvernement à agir ainsi. Le ministre confirme simplement ce qui est déjà prévu dans le projet de loi, soit l’obligation et la responsabilité légale de consulter les peuples autochtones au sujet de l’élaboration d’un règlement susceptible d’avoir une incidence sur eux, négative ou autre. Le ministre confirme simplement ce qui est déjà prévu dans le projet de loi.

Par conséquent, j’estime que les amendements dont nous sommes saisis sont redondants et inutiles.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Yussuff, votre temps de parole est écoulé.

Le sénateur Plett : J’invoque le Règlement.

Son Honneur la Présidente : Oui, sénateur Plett?

Le sénateur Plett : Le sénateur Yussuff n’intervenait pas dans le cadre du débat. Il répondait à une question sur l’amendement. Je ne pense pas qu’il disposait de 15 minutes pour parler de l’amendement. S’il disposait de ce temps de parole, madame la présidente, je m’excuse et je me tais. Je pense toutefois qu’il y a peut-être une certaine confusion à ce sujet.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Plett, permettez-moi de vérifier auprès des greffiers au Bureau, car mon horloge ne fonctionnait pas. Oui, je suis désolée et je dois faire une correction — il lui reste 10 minutes.

(1550)

Sénateur Patterson, je crois que vous vouliez poser une question complémentaire.

Le sénateur D. Patterson : Merci, Votre Honneur.

Sénateur Yussuf, vous nous avez dit, ni plus ni moins, « faites confiance au gouvernement ». Il ne faut pas s’en faire, car il a l’obligation de consulter en raison de la référence à l’article 35 dans le projet de loi. Cette consultation va avoir lieu. Le ministre l’a dit. On nous a aussi dit qu’il n’y avait eu absolument aucune consultation avec les Inuits dans le cadre de l’élaboration de ce projet de loi.

Pourquoi devrions-nous croire que le ministre va procéder à une consultation au sujet de l’élaboration des règlements alors qu’il n’y a pas eu de consultation au sujet de la très importante élaboration d’un projet de loi qui affecte profondément les Inuits, un peuple de chasseurs qui doivent survivre sur le territoire et se défendre contre des prédateurs comme les ours polaires, qui ont d’ailleurs tué des Inuits dans ma région? Pourquoi devrions-nous croire que le ministre va mener une consultation sur les règlements alors qu’il n’y a pas eu de consultation au sujet de ce projet de loi dont le Sénat est saisi aujourd’hui et qui va profondément affecter les Inuits?

Le sénateur Yussuff : Merci pour cette question complémentaire.

Je ne vous demande pas de faire confiance au ministre. Le projet de loi garantit le droit des Premières Nations d’être consultées, conformément à l’article 35. C’est ce que fait le projet de loi. Si le ministre ou le gouvernement omet de le faire, n’importe quelle organisation pourra poursuivre un ministre en justice pour avoir manqué à son obligation au titre de l’article 35. C’est clair et net. Si ce projet de loi ne faisait pas explicitement référence à l’article 35, nous aurions toutes les raisons de craindre que le gouvernement ne se soustraie à cet article de la Constitution. Or, c’est inscrit dans le projet de loi.

Au départ, quand le projet de loi a été rédigé, il ne contenait aucune référence à l’article 35. Le gouvernement a compris qu’il y avait une lacune à cet égard et a amendé le projet de loi pour y ajouter cette référence. C’était non seulement pour avoir l’assurance que cette disposition serait respectée, mais aussi parce que c’est ce qu’exige la Constitution.

Était-il nécessaire de l’écrire en toutes lettres? Cela a été fait pour que ce soit clair et sans ambiguïté. Est-ce que cela signifie qu’aucun gouvernement ne pourra contrevenir à cet article à un moment donné? Peut-être pas, mais au moins, si un gouvernement décidait de passer outre à l’article 35, il y aurait un recours judiciaire possible. C’est à cela que servent les tribunaux.

Nous, les sénateurs, adoptons beaucoup de projets de loi. Avons-nous toujours l’assurance absolue que le gouvernement respectera à la lettre ce que nous adoptons ici? En tout cas, s’il ne le fait pas, il y a un recours. Voilà pourquoi le projet de loi renferme une référence à l’article 35.

Je suis content que la référence à l’article 35 ait été ajoutée pendant l’étude du projet de loi à l’autre endroit afin de garantir que les droits des Premières Nations seront protégés lorsque ce projet de loi sera inscrit dans le droit canadien.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le sénateur Yussuff accepterait-il de répondre à une question?

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Oui, merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Yussuff, j’ai un très grand respect pour vous et même une grande amitié pour vous. Le passé de ce gouvernement en matière de respect des lois est très inquiétant. Pensons à la Charte canadienne des droits des victimes. Depuis plus de huit ans, à une dizaine de reprises, le gouvernement n’a pas respecté les droits des victimes d’actes criminels.

L’article 35 de la Constitution canadienne oblige le gouvernement à consulter les Autochtones. Les Autochtones nous ont dit : « Non, nous n’avons pas été consultés. » Même la Charte canadienne des droits et libertés n’a pas été respectée par le gouvernement. Ensuite, le gouvernement se vante de vouloir appliquer la Charte des Nations unies aux Autochtones, mais il ne l’a pas fait.

Pensez-vous vraiment que, parce que cela a été inclus dans ce projet de loi, le gouvernement va le respecter? Je vais vous poser une question : sur quelle planète vivez-vous?

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Je remercie mon collègue de cette question.

J’habite sur la même planète que lui, mais je ne vis pas dans un monde parfait et lui non plus.

Le gouvernement peut-il faire mieux? Le gouvernement peut-il garantir qu’il va s’acquitter de ses responsabilités légales telles qu’elles sont énoncées dans la Constitution? Je le crois. J’aimerais croire que la lettre du ministre était une démarche sérieuse pour garantir qu’il tiendra compte de certains points que nous avons soulevés dans nos observations sur le projet de loi ou qui ont été soulevés par les témoins qui ont comparu devant le comité.

Le gouvernement peut-il faire mieux? Oui, le gouvernement peut faire mieux, et nous l’exhortons à faire mieux dans le cadre de notre recommandation. Cependant, en ce qui concerne les droits des Premières nations relativement projet de loi C-21, le gouvernement a incorporé l’article 35 de la Constitution afin d’assurer et de reconnaître qu’il a, en vertu de la Constitution du pays, l’obligation de faire certaines choses.

Serait-il possible qu’une partie de l’administration ne suive pas cette voie? C’est tout à fait possible. Nous sommes des êtres humains. Mais au moins, il existe un recours judiciaire contre ceux qui choisissent de ne pas faire ces choses.

Dans le contexte de ce projet de loi très difficile, qui tente de réglementer les armes à feu au Canada, j’espère que le gouvernement reconnaîtra fondamentalement sa relation avec les peuples des Premières Nations et leur droit de chasser pour se nourrir. Cela a été fondamentalement reconnu, comme le dit le ministre dans la lettre qu’il nous a adressée et comme nous l’ont dit des témoins qui ont comparu devant le comité.

C’est un honneur d’avoir participé à ce processus, d’avoir entendu les témoignages et aussi de renforcer ce message pour le gouvernement, comme nous l’avons fait pendant notre étude, afin qu’il consulte plus adéquatement tous les groupes qui devront absolument participer au processus d’élaboration du règlement une fois le projet de loi adopté.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Patterson, avez-vous une question complémentaire?

Le sénateur D. Patterson : En effet, Votre Honneur. Merci.

Sénateur Yussuff, vous avez parlé de l’importance du renvoi à l’article 35 dans le projet de loi et de la nécessité de respecter la loi. Convenez-vous qu’en l’absence d’un amendement comme celui dont nous discutons, qui oblige le ministre à mener des consultations si les droits des Inuits sont touchés — dans ce cas-ci, le droit à une chasse de subsistance sera touché par la mise en œuvre du projet de loi —, les Inuits n’auront pas d’autre choix que d’embaucher un avocat, d’aller devant le tribunal et d’engager des dépenses pour faire valoir leur droit d’être consultés? Par contraste, l’amendement exigerait la tenue de cette consultation sans que les Inuits aient à embaucher des avocats, à intenter des poursuites et à faire valoir leurs droits devant un tribunal.

Le sénateur Yussuff : Encore une fois, je remercie mon collègue de sa question.

J’espère que l’article 35 sera respecté de la manière la plus large possible en ce qui concerne l’obligation du gouvernement fédéral. Il s’agit de droits fondamentaux des citoyens du pays. Ils sont inscrits dans le projet de loi parce qu’on veut garantir que ceux qui sont responsables de la mise en œuvre de cette mesure législative comprennent qu’il s’agit d’une partie essentielle et intégrante du respect de ces droits.

Ce fut une bouffée de fraîcheur de voir le pays, les sénateurs et nos collègues de l’autre endroit reconnaître l’importance des droits des peuples autochtones au pays. Je pense que cela se fait attendre depuis longtemps.

J’espère qu’aucun Autochtone n’aura à se tourner vers les tribunaux pour obtenir réparation, parce que le gouvernement n’a pas rempli ses obligations en matière de consultation sur les règlements qui pourraient résulter de la mise en œuvre du projet de loi.

L’honorable Jim Quinn : Accepteriez-vous de répondre à une autre question, sénateur?

Premièrement, je tiens à vous remercier d’avoir présenté le projet de loi. J’appuie le projet de loi, mais en ce qui concerne cet amendement, je suis un peu perplexe, en quelque sorte, car, comme l’a dit le sénateur Patterson, le gouvernement a dû faire face à de nombreuses contestations judiciaires à cause des lacunes dans les consultations auprès des Premières Nations. Même s’il y a l’article 35 et l’obligation de consulter, les contestations judiciaires sont fréquentes et donnent souvent lieu à de longues procédures judiciaires qui s’étirent sur plusieurs années, et ce, à grands frais pour tout le monde.

En ce qui concerne ce projet de loi, la question des droits des Autochtones est fondamentale, en raison, comme vous l’avez dit, de la chasse de subsistance et d’autres aspects de cette nature. Par conséquent, ne serait-il pas judicieux de veiller à ne pas mettre dans l’embarras les fonctionnaires qui se pencheront sur la réglementation et à ce qu’on soit tenu de consulter les Premières Nations, au lieu de simplement faire un renvoi à l’article 35, ce qui risque de donner lieu à des contestations judiciaires qui pourraient traîner en longueur?

Le sénateur Yussuff : Encore une fois, je vous remercie de la question.

(1600)

Le ministre, une fois de plus, à la suite de notre travail au sein du comité — dans le cadre duquel nous avons accordé beaucoup de temps à l’audition des témoins —, a essayé d’aborder cette question dans son ensemble au comité. Il a dit :

Dans les cas où un règlement proposé pourrait porter atteinte aux droits issus de traités, établis ou éventuels, le gouvernement doit respecter son obligation de consulter et, dans la mesure du possible, tenir compte de ces droits.

Sécurité publique Canada collaborera avec ses partenaires autochtones tout au long de l’élaboration, de la gestion et de l’examen des règlements.

Ainsi, nous avons pu constater une fois de plus que le ministre est tout à fait conscient et au fait de...

Son Honneur la Présidente : Sénateur Yussuff, votre temps de parole est écoulé. Quelques sénateurs souhaitent poser des questions. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Yussuff : Votre Honneur, je m’en remets à vous. Je ne demande rien. Si les collègues veulent m’offrir cinq minutes de plus, je les prendrai volontiers.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Une voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un « non ».

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Honorables sénateurs, à mon avis, la proposition d’amendement dont nous sommes saisis crée une situation où l’on vient limiter les obligations du gouvernement à mener des consultations. Je cite un extrait de l’amendement :

[...] consulte divers corps dirigeants autochtones et organismes autochtones pour prendre en compte leur situation et besoins uniques.

Je crois qu’il est important de comprendre que les droits qui sont consacrés et reconnus par l’article 35 obligent le gouvernement à faire plus que de la consultation. Il oblige le gouvernement à modifier éventuellement des projets, qu’il s’agisse de règlements, de lois ou d’activités.

Plus encore, la loi que nous avons adoptée pour mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones contraint la Couronne à respecter encore plus d’obligations, puisqu’elle doit développer des projets, mais en collaboration avec les peuples autochtones. On parle de codéveloppement de projets, d’activités et de réglementation.

Donc, s’il existe déjà dans notre régime juridique des droits reconnus qui créent des obligations pour la Couronne, j’imagine qu’on ne veut pas, comme législateurs, en venir à diminuer la protection assurée par ces droits en se limitant — comme on le propose ici — à consulter les Autochtones sur la base de leurs droits constitutionnels pour prendre en compte leur situation.

Je suis donc dans l’impossibilité de soutenir cet amendement.

Merci.

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Dupuis, acceptez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Dupuis : Certainement.

L’honorable Frances Lankin : Excusez-moi, je dois poser ma question en anglais —

[Traduction]

... parce que je ne suis pas suffisamment à l’aise pour le faire autrement.

Je suis d’accord avec vous pour dire que l’article 35 oblige le gouvernement à plus que ce qui est prévu dans l’amendement proposé. J’ai une autre préoccupation très importante, et j’espère que vous, en raison de votre formation juridique notamment, serez en mesure d’apaiser mes inquiétudes ou de reconnaître qu’il y a vraiment raison de s’inquiéter.

C’est à propos de l’amendement proposé. Je ne sais pas pourquoi exactement les gens insistent pour présenter un autre amendement qui fait exactement la même chose, voire moins. Pourquoi inscrire une autre version d’une disposition qui se trouve déjà dans le projet de loi, mais qui serait plus limitée.

Je crains que si une question du genre devait aboutir devant les tribunaux, la cour soit tenue d’examiner les deux dispositions et de déterminer si l’amendement a en fait une portée plus étroite que le renvoi à l’article 35. Nous voulons tous que les consultations aient lieu et que le gouvernement actuel ou un gouvernement futur accorde plus d’attention à cet aspect. J’aurais souhaité que l’ancien gouvernement Harper et le gouvernement Trudeau des premières années l’aient fait. Craignez-vous aussi que l’existence de deux dispositions concurrentes sur le même sujet oblige les acteurs du domaine judiciaire à évaluer l’importance de chacune? Devraient-ils alors deviner pourquoi le Sénat a présenté deux amendements très semblables qui pourraient ne pas avoir le même effet au bout du compte, comme vous l’avez soulevé dans votre discours?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, sénatrice Lankin. Pour ce qui est de vous permettre de poser votre question en anglais, je tiens à préciser que vous exercez un droit constitutionnel de parler en anglais au Sénat du Canada. Quant à moi, j’exerce un droit constitutionnel de répondre à votre question en français, et je trouve cela très bien. J’espère que la traduction vous assure de cette garantie que nous avons toutes les deux et je l’apprécie.

Ce que j’essaie de dire ici, c’est que l’on a souvent entendu parler du dialogue entre le législateur et les tribunaux. Les législateurs créent les lois qui sont interprétées par les tribunaux, et parfois les tribunaux les annulent en disant que les législateurs ont dépassé leur compétence.

L’interprétation qui a été donnée jusqu’ici des droits qui sont constitutionnellement protégés va bien plus loin qu’une obligation de consulter. Elle peut aller jusqu’à l’obligation de modifier des projets. En ce sens, si on répond aujourd’hui en adoptant ce genre d’amendement, le risque est que l’on envoie un message à la cour selon lequel leur interprétation allait peut-être trop loin, dans le fond, et que nous sommes plus précis en disant : « Non, nous n’avons pas besoin d’aller jusqu’à l’obligation de modifier un projet, car le message que nous recevons de la part des législateurs est que la consultation est suffisante. » On recule donc par rapport à ce qu’on avait déjà concédé.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais c’est ce que je peux dire de mieux.

[Traduction]

L’honorable Tony Dean : Honorables sénateurs, je prends la parole pour ajouter aux propos des 10 ou 15 dernières minutes. D’abord, j’aimerais remercier le sénateur Boisvenu de sa déclaration et de sa proposition d’amendement. Je remercie également mes collègues, notamment la sénatrice Lankin et la sénatrice Dupuis, qui ont ingénieusement mis en contexte cet amendement qui, à mon avis, semble plutôt définitif et déterminant. Merci, sénatrice Dupuis.

Nous convenons tous que la consultation et la participation des Autochtones sont extrêmement importantes. Ceux d’entre nous qui les mettent en pratique ou tentent de le faire conviendront sans doute également qu’il s’agit d’un exercice extrêmement complexe et difficile que la Constitution rend obligatoire, mais qui en vaut la peine. Comme vous le savez probablement tous, il existe un large éventail d’accords de gouvernance au pays qui varient d’une province à l’autre et d’une région à l’autre, mais aussi en raison de la nature de la composition du vaste tissu unique d’accords de gouvernance mis en pratique par nos collègues autochtones ainsi que nos frères et sœurs autochtones.

Cette complexité n’enlève rien à l’obligation constitutionnelle de consulter les Autochtones. En fait, elle en rehausse l’importance. Il convient de reconnaître qu’en matière de consultation et de participation des Autochtones, nous avons connu un succès mitigé, pour utiliser une expression positive. On y travaille toujours. C’est un exercice en évolution. Il est vrai que ce n’est toujours pas au point. Apporter un amendement à ce projet de loi ne réglera pas le problème. Les exigences de la Constitution sont claires. Nous connaissons tous les obligations du gouvernement.

(1610)

Permettez-moi cependant de dire une chose : nous avons eu un succès mitigé, mais je ne me souviens pas d’avoir vu un gouvernement, fédéral ou provincial, mettre autant de temps, d’efforts, d’argent et de ressources dans les consultations avec les peuples autochtones que le gouvernement actuel. Il n’en a pas encore fait assez, mais il a fait du sacré bon travail. Il a fait des efforts. Il a fait tellement d’efforts que certains ont même laissé entendre, de manière irresponsable, qu’il en avait peut-être trop faits. Évidemment, le gouvernement n’a pas trop fait d’efforts; il n’en a pas fait assez.

Inutile de vous rappeler l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui a changé la donne pour le meilleur, l’assainissement de l’eau des réserves autochtones que d’autres n’avaient pas réussi à accomplir depuis des décennies, la réponse aux appels à la reconnaissance de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui, vous en conviendrez, a été une dure bataille au Sénat. Nous savons tous de quel côté chacun se situait. C’est tout ce que je dirai.

Je n’ai jamais vu autant d’exigences et d’attentes à l’égard des ministères fédéraux, à tous égards et dans tout le pays, pour qu’ils prennent au sérieux la consultation et l’engagement des populations autochtones. C’est la situation actuelle. Cela a été dit et vous pouvez demander à n’importe qui au sein des ministères fédéraux, il vous le confirmera.

Nous avons écouté nos collègues autochtones au comité. Je crois bien que nos collègues, nos frères et nos sœurs autochtones ont été entendus au comité et j’en suis heureux.

S’agissant des consultations sur ce projet de loi, nous avons eu un succès mitigé et le gouvernement a renforcé la mesure législative en conséquence, pour tenir compte des inquiétudes exprimées. Nous avons entendu la réponse éloquente, importante et décisive de la sénatrice Dupuis à l’amendement dont nous sommes saisis.

Chers collègues, c’est tout ce que j’avais à dire. Je ne peux qu’être reconnaissant d’avoir eu la possibilité de venir au Canada, de voir ce pays aux prises avec certains problèmes, et de participer aux efforts destinés à y remédier. Ces efforts ne s’arrêtent pas là. Nous avons encore du pain sur la planche. C’est quelque chose que le gouvernement prend au sérieux. Le gouvernement a fait de son mieux pour écouter le plus grand nombre de personnes possible et pour que cette mesure législative reflète leurs préoccupations. Je ne pense pas que cet amendement soit nécessaire. Merci beaucoup.

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dean : Oui.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je veux aborder le paragraphe 45.1(2) de l’amendement proposé, qui prévoit le dépôt d’un rapport devant les deux Chambres du Parlement. Puisque vous présidez le Comité de la défense, vous avez entendu tous les témoignages et connaissez le projet de loi sous toutes ses coutures. Il y a normalement un processus de consultations publiques pour tous les règlements, mais la Loi sur les armes à feu va plus loin que la plupart des autres lois à cet égard. L’article 118 de la Loi sur les armes à feu exige que tout règlement sur les armes à feu soit déposé devant chaque Chambre du Parlement pendant 30 jours, le Comité de la défense ayant la possibilité de l’étudier et de faire rapport au Sénat.

Sénateur Dean, êtes-vous d’avis que ce mécanisme qui se trouve dans la Loi sur les armes à feu donne déjà aux sénateurs la possibilité d’évaluer la qualité des consultations menées par le gouvernement?

Le sénateur Dean : Oui, tout à fait. Je remercie la sénatrice LaBoucane-Benson de nous rappeler les tenants et aboutissants du projet de loi et tous les efforts qui ont été déployés pour que la consultation et la participation en fassent partie intégrante. Merci.

L’honorable Paul J. Prosper : Honorables sénateurs, je vous remercie, mes collègues du Sénat, d’avoir donné votre point de vue sur la nature de l’amendement proposé.

On a beaucoup parlé de l’obligation constitutionnelle actuelle de la Couronne de consulter les Autochtones. À la lumière des observations du sénateur Dean, on peut dire avec certitude que des mesures positives ont été prises tant sur le plan législatif que sur le plan de la consultation. Bien que la consultation soit une question qui impose un certain degré de complexité, je ne peux m’empêcher d’examiner le bilan de mon collègue le sénateur Boisvenu et son souvenir des preuves et des témoignages qui ont été présentés au comité.

Quand j’examine un amendement et que je pense à la consultation, il y a certes des dispositions comme les dispositions de non-dérogation et des choses de cette nature, mais, comme je l’ai mentionné précédemment — et je crois que le sénateur Quinn l’a mentionné aussi —, lorsqu’il est question de litiges et de l’avancement, de la protection et de la préservation des droits des Autochtones, c’est un exercice coûteux que doivent assumer les groupes et les organismes des Premières Nations. Il s’agit en grande partie d’une question d’accès à la justice.

Même si on peut espérer que la Couronne respecte son devoir et son obligation de consulter les Autochtones, il s’agit toujours d’un exercice qui fait l’objet de débats et de critiques.

Lorsque j’examine cette disposition, je constate qu’il s’agit d’une inclusion positive dans une loi existante. Elle est là. Elle fournit des lignes directrices, comme d’autres mesures législatives, au gouvernement pour qu’il tienne compte des droits des peuples autochtones et qu’il mène des consultations sur des questions qui font partie intégrante de ce qu’ils sont en tant que peuple. On parle ici de droits de subsistance. Comme mon collègue le sénateur Patterson l’a mentionné, il s’agit de droits très importants qui ont trait à la subsistance.

Je suis en faveur de cet amendement. Il prévoit une façon prescriptive de tenir des consultations et guidera également les législateurs. Merci beaucoup.

Son Honneur la Présidente : La sénatrice Lankin a une question. Le sénateur Prosper accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Prosper : Oui.

L’honorable Frances Lankin : Sénateur Prosper, je vous remercie pour votre intervention et ce que vous avez dit au sujet de la déception dans la manière dont les gouvernements n’ont pas respecté leur obligation de mener des consultations pour les peuples autochtones.

Vous êtes avocat. Pas moi. Au fil des ans, j’ai notamment été négociatrice syndicale, m’étant penchée au fil des ans sur le libellé et les exigences de conventions et, en tant qu’ancienne législatrice en Ontario, j’ai participé à l’ébauche, à la rédaction et à la modification de mesures législatives.

Mon problème, avec votre argument, c’est que de l’inscrire 2, 3, 10 ou 20 fois dans un projet de loi n’oblige pas un gouvernement à respecter ses obligations. On l’a constaté au fil des ans. L’article 35 existe depuis longtemps. Les obligations sont là. Dans le cas présent, c’est même déjà inscrit dans le projet de loi. Il y a doublon, et l’amendement est plus ciblé que les droits prévus dans l’article 35. Je crois que vous conviendrez que les tribunaux examinent toutes les dispositions, comment elles interagissent et quel était l’intention des législateurs, et cela peut créer des problèmes.

S’il vous plaît, dites-moi pourquoi le fait de le répéter deux, trois ou quatre fois dans un projet de loi va nous aider à corriger la situation et à éviter qu’un gouvernement abdique ses responsabilités? Ce projet de loi va se retrouver devant les tribunaux de toute façon, que cet amendement y soit ou non.

Le sénateur Prosper : Je vous remercie de votre question, que j’apprécie beaucoup.

(1620)

Bien sûr, c’est dans la sphère des tribunaux de déterminer si une disposition supplémentaire comme celle-ci restreindrait, de quelque manière que ce soit, ce qui existe comme règle générale en droit dans la jurisprudence du droit constitutionnel en ce qui concerne l’article 35. Je ne crois pas que cette disposition aurait préséance. Au final, la Constitution est la Constitution. Si cette question devait être soumise à la cour, la Constitution l’emporterait toujours, car elle a préséance sur les lois fédérales. Je dirais même que cette disposition pourrait être invoquée ou donner une orientation additionnelle au tribunal en vue de trancher la question. Je pense qu’elle pourrait fournir une certaine clarté, mais, si elle cause une contradiction, je suis certain que le tribunal compétent saura l’indiquer. Merci.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Sénateur Prosper, à votre avis, pouvez-vous entrevoir des conséquences imprévues de cet amendement sur le plan juridique?

Le sénateur Prosper : Je vous remercie de votre question, sénatrice Osler. À la lecture de cet amendement, je constate qu’il est très prescriptif en ce a trait à l’obligation du gouvernement. Il ne permet pas de s’en remettre à la jurisprudence. Il pourrait faire l’objet d’un litige et de procédures judiciaires. Toutefois, dans tous les cas, il donne une orientation sur ce qui doit être accompli par rapport à ces droits, qui sont cruciaux pour les peuples autochtones. Merci.

Son Honneur la Présidente : Avez-vous une question, sénateur Patterson?

L’honorable Dennis Glen Patterson : Oui, s’il vous plaît.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Prosper, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Prosper : Oui.

Le sénateur Patterson : La disposition du projet de loi que tout le monde décrit en disant qu’elle règle la question de la consultation des peuples autochtones n’est rien d’autre que la disposition de non‑dérogation habituelle, la clause « ne vous inquiétez pas ». Le paragraphe 72.1(1) stipule que :

Les dispositions édictées par la présente loi maintiennent les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; elles n’y portent pas atteinte.

Êtes-vous rassuré par le fait que cette disposition de non-dérogation, que l’on retrouve fréquemment dans les projets de loi du gouvernement, obligera le ministre à consulter les populations autochtones sur les règlements qui les touchent?

Le sénateur Prosper : Je vous remercie de votre question, sénateur Patterson.

Vous vous souvenez peut-être d’un certain dialogue et d’une discussion sur un projet de loi distinct, le projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois, qui vise à intégrer la disposition dans la Loi d’interprétation fédérale et à la retirer des lois existantes pour la rendre non pertinente ou non nécessaire. Le fait est que, bien qu’utile, une disposition de non-dérogation dans une loi n’est pas nécessairement suivie ou prise en compte dans l’orientation.

On pourrait se demander pourquoi il y a une disposition de non-dérogation s’il est question d’un droit constitutionnel. Nous savons que ces droits sont la loi suprême du pays et qu’ils devraient donc prévaloir sur une législation subordonnée, qu’elle soit fédérale ou provinciale. Une disposition de non-dérogation ne me rassure pas. Il suffit de penser à l’ensemble des litiges et de la jurisprudence concernant l’article 35. Elle existe toujours, et je ne pense pas qu’il s’agisse d’un élément déterminant pour obliger les fonctionnaires à mener de réelles consultations et à traiter la nature des droits autochtones de manière légale, comme cela devrait être le cas.

L’honorable Pierrette Ringuette : Acceptez-vous de répondre à une autre question, sénateur Prosper?

Le sénateur Prosper : Oui.

La sénatrice Ringuette : J’ai écouté le débat et les nombreuses confirmations de l’article 35, mais ce qui a particulièrement attiré mon attention, c’est la sénatrice LaBoucane-Benson qui a dit que ce projet de loi confirme que la réglementation sera présentée aux deux Chambres du Parlement. Voilà 21 ans que je suis au Sénat et je crois qu’aujourd’hui...

Des voix : Bravo!

La sénatrice Ringuette : Je n’ai jamais vu dans un projet de loi l’obligation pour un gouvernement de déposer la réglementation dans les deux Chambres après l’adoption du projet de loi, et je considère donc cela comme une garantie supplémentaire en ce qui concerne votre préoccupation. Qu’en pensez-vous?

Le sénateur Prosper : Je vous suis reconnaissant de vos observations, et je vous félicite.

Une voix : Ou je vous témoigne ma sympathie.

Le sénateur Prosper : Je comprends bien votre point de vue, madame la sénatrice, sur le fait qu’une disposition comme celle-ci soit présentée aux deux Chambres et je me réjouis de cette reconnaissance.

La particularité de cet amendement, je crois, c’est qu’il va plus loin, jusqu’au cœur de la consultation des Autochtones. Il s’agit d’une disposition incroyable dans un projet de loi aussi important, qui va donc au cœur de la consultation des Autochtones et qui prévoit une obligation légale positive dans le cadre d’une loi pour le faire sur des questions aussi importantes que la réglementation.

[Français]

Son Honneur la Présidente : Sénateur Boisvenu, avez-vous une question?

Le sénateur Boisvenu : J’ai une question à poser, si possible.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente : Sénateur Prosper, acceptez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Prosper : Oui.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci. Monsieur le sénateur, je pense que tout le monde sera d’accord avec moi pour dire qu’une fois que les règlements seront adoptés, ils seront déposés dans les deux Chambres. Le problème n’est pas là. Le problème, c’est qu’il faut que les peuples autochtones soient inclus dans le contenu des règlements avant que ceux-ci soient déposés. Une fois que les règlements seront écrits et déposés dans cette Chambre, il sera trop tard pour consulter les peuples autochtones. Nous allons seulement constater que la consultation n’a pas été faite. Êtes-vous d’accord avec moi?

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Je vous remercie de vos observations, sénateur Boisvenu. Je tends à souscrire à ce que vous venez de dire. Comme je l’ai dit plus tôt — et je veux vraiment faire ressortir ce point —, le problème fondamental avec cet amendement a trait aux discussions préliminaires qu’on doit mener avant même d’élaborer la réglementation. Il va de la réglementation elle-même. Il faut mener des consultations en bonne et due forme avant de la soumettre aux deux Chambres. Je pense que c’est essentiel. Merci beaucoup.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer? Sénateur Prosper, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Prosper : Oui.

L’honorable Yvonne Boyer : Sénateur Prosper, croyez-vous que les définitions qui figurent dans ces dispositions posent problème? Je pense notamment à « organisme autochtone », qui désigne une entité autochtone qui représente les intérêts d’un groupe autochtone. Je me demande s’il y a quelque chose dans ces définitions qui pourrait pour une raison ou pour une autre être considéré comme ambigu.

Le sénateur Prosper : Pardon, j’ai le projet de loi sous les yeux. Pourriez-vous m’indiquer où trouver cela?

La sénatrice Boyer : C’est dans l’amendement. Je parle des définitions du paragraphe 118.1(3).

Le sénateur Prosper : Sous « organisme autochtone »?

La sénatrice Boyer : Je parle des définitions des termes « corps dirigeant autochtone » et « organisme autochtone ». Y voyez-vous quoi que ce soit d’ambigu?

Le sénateur Prosper : Selon la définition, une entité est autorisée à agir au nom d’un groupe autochtone. Je vous l’accorde, des questions se posent quant à cette autorisation et, entre autres, à la légitimité de certains groupes autochtones. Je suis convaincu que le gouvernement pourrait régler ces questions dans le cadre de discussions constructives en concertation avec les organismes appropriés. Cela pourrait faire partie du processus de consultation.

La sénatrice Boyer : Il y a donc des ambiguïtés dans ces dispositions. Merci.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Prosper, avez-vous une réponse à cette question?

Le sénateur Prosper : Je dis qu’il pourrait y avoir des ambiguïtés inévitables. Ce que nous examinons, c’est le paysage actuel des organisations autochtones. Lorsque l’on mène des consultations auprès d’organisations autochtones, il y en a forcément qui vont revendiquer certains droits et certaines obligations à l’égard de leurs membres.

(1630)

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je veux simplement soulever quelques points à la suite de certaines des déclarations qui ont été faites, y compris l’affirmation du sénateur Dean selon laquelle aucun autre gouvernement n’a mené d’aussi vastes consultations auprès des peuples autochtones.

Chers collègues, nous connaissons la chanson. La Loi sur les armes à feu a été modifiée en 1998. À l’époque, la nécessité de prendre en considération les circonstances propres aux peuples autochtones avait aussi été soulevée. Qu’a fait le gouvernement? Il a travaillé particulièrement avec les Inuits — je le sais — pour rédiger le Règlement d’adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada expressément en fonction des circonstances propres aux peuples autochtones. Il s’agissait d’établir pour les personnes qui désiraient obtenir une autorisation d’acquisition d’armes à feu un régime tenant compte des barrières linguistiques pour les Inuits. Un processus a été mis au point pour qu’on puisse obtenir une telle autorisation de vive voix, selon les pratiques de chasse inuites traditionnelles des anciens dans les communautés.

Un règlement de 21 dispositions a été élaboré en 1998 pour reconnaître la situation particulière des peuples autochtones. Tout ce que propose l’amendement du sénateur Boisvenu, c’est de garantir que le même processus est suivi.

Je peux vous dire que la Loi sur les armes à feu de 1998 était tout aussi controversée pour les peuples autochtones. Ils ont participé à la rédaction du règlement. Tout un régime d’adaptation a été mis en place. Les Inuits en sont satisfaits. Ils peuvent obtenir des autorisations d’acquisition d’armes à feu sans avoir à lire de documents en anglais ni à soumettre de demandes écrites.

Ce n’est là qu’un exemple du règlement de 21 dispositions qui a été élaboré.

On nous dit que l’amendement proposé fait double emploi avec ce qui se trouve déjà dans la loi. Je suis désolé, mais non, ce n’est pas du tout le cas. La loi comprend une disposition de non‑dérogation standard. C’est la seule référence à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Une disposition de non-dérogation empêche une action. En l’occurrence, elle empêche essentiellement de déroger, pour la mise en œuvre du projet de loi, aux droits prévus à l’article 35.

Cette disposition vise à ne pas aller à l’encontre des droits des Autochtones pour s’assurer qu’il y a un recours si le gouvernement fait quelque chose. Cet amendement débouchera sur un processus proactif visant à empêcher qu’une telle situation se produise. Les Inuits ont participé avec plaisir et de manière constructive à l’élaboration du Règlement d’adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada. La Loi sur les armes à feu de 1998 n’a suscité aucune inquiétude, et ce sera la même chose pour ce projet de loi si les Inuits participent de manière constructive à sa mise en œuvre.

En passant, je sais que le comité a entendu des témoins qui ont dit : « Vous savez quoi? Nous avons besoin d’armes semi‑automatiques au Nunavut, car lorsqu’un ours polaire s’en prend à quelqu’un et qu’il entre dans sa tente, il faut pouvoir tirer plus d’une balle, en succession rapide, pour sauver la vie de sa famille et de ses enfants. » Il existe un réel besoin d’adapter la réglementation aux Inuits du Nunavut.

Je crois donc fermement que cet amendement devrait être pris attentivement en considération par le Sénat.

Je tiens à réitérer ce que j’ai dit dans ma question au sénateur Yussuff : le gouvernement n’a pas pris la peine de consulter les Inuits lors de l’élaboration de cette mesure législative. Les Inuits sont des chasseurs. La chasse leur permet de vivre et de nourrir leur famille. Ce ne sont pas des chasseurs sportifs. Ils sont comme des agriculteurs. Ils pratiquent la chasse sur leur territoire à l’aide d’armes à feu. Ils connaissent ces armes à feu mieux que quiconque et, je le répète, ils ont participé à l’élaboration du régime d’adaptation en 1998. Ils devraient donc pouvoir participer à un régime d’adaptation en 2023.

C’est ce que fera cet amendement.

Le sénateur Yussuff nous a dit qu’il espère que les droits seront respectés. Faisons en sorte que ce soit le cas en veillant à ce que les consultations qui n’ont pas été menées dans le cadre de l’élaboration de ce projet de loi le soient dans le cadre de l’élaboration des règlements.

Je regrette, mais les règlements sont publiés dans la Gazette du Canada. Or, nous connaissons tous le processus. Il s’agit d’une démarche après coup. Ce que propose cet amendement, c’est une démarche proactive qui permettra d’éviter d’avoir à agir après l’adoption de la réglementation, d’invoquer la disposition de non dérogation, ou d’avoir recours aux tribunaux. Encore une fois, il faut agir de manière proactive, comme on l’a fait en 1998.

Je félicite le gouvernement qui était au pouvoir en 1998 d’avoir consulté les organisations inuites et autochtones dans le cadre du Règlement d’adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada. Faisons de même avec ce projet de loi.

C’est une demande simple et raisonnable.

Je sais que le mot d’ordre est « pas d’amendements ». C’était la règle au sein du comité, et je comprends que c’était sans doute le souhait du gouvernement, mais cet amendement-ci est raisonnable. Personne ne va s’y opposer. Faisons les choses correctement et faisons en sorte que les consultations qui ont eu lieu en 1998 aient également lieu en 2023 pour l’élaboration de ce qui compte le plus : les règlements.

S’il vous plaît, honorables collègues, appuyez l’amendement. Merci.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je pose la question autant à l’avocat — ce que vous êtes, sénateur Patterson — qu’au législateur — ce que nous sommes tous : n’est-il pas vrai que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, même si on n’y faisait pas référence dans le projet de loi, impose à tous les ordres de gouvernement — y compris à nous, les parlementaires, mais aussi à l’organe exécutif du gouvernement — l’obligation de respecter tous les articles de la Constitution? N’est-ce pas exact?

Le sénateur D. Patterson : Oui.

Le sénateur Gold : N’est-il donc pas vrai que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 impose à tous les ordres de gouvernement, y compris aux parlementaires, l’obligation positive de veiller à ce que tous les droits garantis — dans le cas qui nous occupe, aux peuples autochtones en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 — soient respectés, peu importe qu’on y fasse explicitement référence ou non dans le projet de loi?

Le sénateur D. Patterson : Bien sûr, il y a une obligation positive, mais rien ne garantit qu’elle sera respectée. Elle ne l’a pas été pendant l’élaboration du projet de loi. Natan Obed a dit qu’ils n’avaient pas été consultés pendant l’élaboration du projet de loi. Cela me donne une bonne raison de dire que nous devrions veiller à ce que les Inuits participent à l’élaboration des règlements — de façon proactive et positive — de sorte que lorsque les règlements seront publiés dans la Gazette du Canada et déposés devant les deux Chambres du Parlement, les Inuits diront qu’ils été entendus, qu’ils ont été consultés comme il se devait et tout va bien pour eux, comme cela a été le cas en 1998, lorsqu’ils ont collaboré activement à l’élaboration du Règlement d’adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada. Cette participation est tout aussi importante pour ce projet de loi.

L’honorable Rebecca Patterson : Sénateur Dennis Patterson, acceptez-vous répondre à une autre question, s’il vous plaît?

Le sénateur D. Patterson : Oui.

La sénatrice R. Patterson : Merci.

Je ne suis pas avocate, et j’ai entendu beaucoup de choses au cours du débat sur l’amendement : il a été question de proactivité, pendant la consultation et l’élaboration des lois, par opposition aux discussions sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui porte sur la mise en œuvre.

Sénateur Patterson, pourriez-vous clarifier — pour moi qui ne suis pas avocate — ce qui suit : cet article nous permet-il de combler l’écart entre ce qui semble être une participation à l’étape de la mise en œuvre et ce qui semble être une participation à l’étape de l’élaboration?

Merci.

Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie de la question.

Le gouvernement — et j’adore cette expression — dit : « Rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous. »

(1640)

En passant, il s’agit essentiellement de la disposition qui se trouve dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, que le gouvernement a également adoptée. On adoptera une approche collaborative pour élaborer les mesures législatives, en particulier celles qui ont une incidence sur les Autochtones, comme c’est certainement le cas des projets de loi sur les armes à feu pour les gens qui gagnent leur vie et qui nourrissent leur famille en chassant.

Je crois que, dans le cas présent, nous avons l’occasion de prévenir les problèmes, comme ce qui s’est passé lors de l’élaboration du projet de loi et comme en témoigne la nécessité d’apporter cet amendement. Les Autochtones n’ont pas été consultés au cours de l’élaboration du projet de loi, alors assurons‑nous qu’ils le sont pendant l’élaboration des règlements. C’est une mesure proactive et positive. Ce n’est pas négatif. Non, vous n’avez pas le droit de faire quoi que ce soit qui porte atteinte à nos droits.

Le processus proposé par le sénateur Boisvenu, qui, selon moi, comprend une définition élargie des groupes autochtones — en tout respect, je suis en désaccord avec la sénatrice Boyer — veillera, comme en 1998, à ce que la réglementation tienne compte de la situation et des besoins uniques des groupes, collectivités ou peuples autochtones et les respecte, tel qu’il est énoncé dans l’amendement proposé par le sénateur Boisvenu, de façon proactive et positive. Il ne faut pas agir après coup, pour éviter que ces groupes constatent que certains aspects n’ont pas été examinés, qu’ils doivent s’adresser aux tribunaux, embaucher des avocats et intenter des poursuites pour faire reconnaître leurs droits. Faisons les choses correctement dès l’élaboration des règlements pour ne pas nous retrouver avec ce type de problèmes persistants et devoir confier à des juges à la barbe blanche le soin de déterminer les droits des Autochtones. Rédigeons les règlements en collaboration avec les peuples autochtones, comme le propose cet amendement. Merci.

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Est-ce que le sénateur accepterait de répondre à une autre question?

[Traduction]

Le sénateur D. Patterson : Oui.

[Français]

Le sénateur Dalphond : C’est peut-être la dernière fois que j’ai la chance de vous poser une question, et soyez assuré que je l’apprécie.

[Traduction]

Sénateur Patterson, vous êtes avocat de formation. Je suis aussi avocat de formation en plus d’être un ancien juge, et je crois qu’il vaut la peine de rappeler les principes de base pour la gouverne de ceux qui ne sont pas avocats. Tout en haut de la pyramide juridique se trouve la Constitution. La Constitution l’emporte sur toutes les autres lois et tous les règlements. Toute loi et tout règlement qui va à l’encontre de la Constitution est nul et non avenu et sera invalidé par les tribunaux. Voilà le premier point.

Mon deuxième point est le suivant. Nous venons de modifier la Loi d’interprétation pour y inclure des dispositions indiquant que toutes les lois, tous les règlements et tous les textes réglementaires venant du gouvernement doivent respecter l’article 35. Ne croyez‑vous pas que tous ces éléments suffisent? Nous avons déjà la ceinture et les bretelles, mais vous trouvez que ce n’est toujours pas assez. Le système a-t-il encore un sens quand on répète les mêmes choses un peu partout?

Le sénateur D. Patterson : Sénateur Dalphond, je suis terriblement alarmé d’entendre qu’il s’agit peut-être de votre dernière chance de poser une question. J’espère que vous n’envisagez pas de démissionner de votre poste de sénateur. Nous avons besoin de vous. Nous avons besoin de vous au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Bon, je reprends mon sérieux.

Vous avez souligné, comme l’a fait le sénateur Yussuff, qu’il est possible de s’adresser aux tribunaux si les droits des Autochtones prévus à l’article 35 sont enfreints. Je me demande comment nous pourrions plutôt agir en amont, c’est-à-dire faire en sorte que leurs droits ne soient pas violés, au lieu de corriger les problèmes après coup. Comment pouvons-nous garantir que ce genre de situation ne se produira pas pendant l’élaboration du règlement? Il faut garantir qu’il y aura consultation.

Une vaste disposition de non-dérogation ne garantirait pas ce que le sénateur Boisvenu a décrit. Il y a une obligation proactive, en amont, dont le ministre doit s’acquitter. Je sais que vous êtes un ancien juge, ce que je respecte, et que les tribunaux peuvent invalider des lois, mais ne forçons pas les peuples autochtones à faire toutes ces démarches. Invitons-les à participer au processus pour garantir que le règlement respecte leurs droits. C’est tout ce que je voulais dire, honorables sénateurs.

Le sénateur Gold : Je vous demande pardon pour le ton sur lequel j’ai posé ma question. Veuillez m’excuser.

Une nette obligation de consulter découle de la Constitution. Cette obligation est également inscrite dans le projet de loi. Par conséquent, cela demeure un devoir, peu importe le nombre de fois où nous le précisons dans le projet de loi. Le devoir de consulter les Autochones relativement à la prise de règlements existe déjà au titre de la Constitution et du projet de loi. Vous en avez convenu.

Ma question est la suivante...

Son Honneur la Présidente : Sénateur Gold, je suis désolée, mais le temps réservé pour le débat est écoulé. Sénateur Patterson, voulez-vous demander plus de temps pour répondre à la question?

Une voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un « non ».

L’honorable David M. Arnot : Honorables sénateurs, j’appuie l’amendement présenté par le sénateur Boisvenu. Je pose la question suivante : quelle est l’une des raisons de notre présence ici? Nous sommes ici pour défendre les minorités. Regardez le bilan. C’est uniquement parce que le gouvernement n’a pas consulté adéquatement les peuples autochtones, même s’il est tenu de le faire depuis 1982, que la présente discussion a lieu. Quarante et un ans sont passés, et il ne l’a pas fait dans le cas qui nous occupe.

À mon avis, c’est le reflet d’une attitude qui perdure. Je pourrais déjà dire que, d’après ce que le gouvernement a fait jusqu’à présent, il y a eu violation de l’obligation fiduciaire prévue à l’article 35. En outre, il s’agit d’une violation des droits des Autochtones, des droits qui leur sont conférés par la Constitution. De plus, il s’agit d’un manquement à l’honneur de la Couronne, qui doit absolument être préservé. Ces manquements sont déjà survenus. Nous ne devrions pas cautionner ce genre de comportement du gouvernement à l’endroit des peuples autochtones au Canada. Il est temps d’y mettre fin. Nous pouvons le faire.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Arnot : Notre collègue le sénateur Yussuf a avancé une explication intéressante. Le ministre admettrait avoir failli à la tâche. Il a raté son coup, il a fait une erreur et il tente de se reprendre. C’est bien, je ne dis pas le contraire. Toutefois, la meilleure façon de prédire l’avenir, c’est d’examiner le passé, et on constate un bien triste bilan qui remonte à 41 ans, où les peuples autochtones doivent embaucher un avocat, se présenter devant les tribunaux et dépenser des millions de dollars pendant 7 ans afin de plaider leur cause.

Un litige est un aveu d’échec. Il ne faut pas faire en sorte que les gens n’ont d’autre choix que d’intenter une poursuite. Il devrait s’agir d’un exercice de résolution de problème, et pour y parvenir, à mon avis, il faut appuyer l’amendement du sénateur Boisvenu.

Quel est l’aspect négatif? Il n’y en a pas vraiment, car comme les sénateurs Prosper et Gold l’ont indiqué, il n’y a aucune loi qui l’emporte sur la Constitution. Il faut la respecter, et c’est ce que feront les tribunaux.

J’aimerais ajouter, en tout respect pour mon amie, la sénatrice Boyer, que ces définitions étaient dans le projet de loi C-29. Il s’agit de nouvelles définitions qui ont été établies par le gouvernement du Canada. Je tenais simplement à le préciser.

Maintenant, j’affirme qu’il y a eu échec et tentative d’y remédier. Pouvons-nous faire confiance au gouvernement? J’espère que oui, mais procédons autrement. Donnons-lui plutôt une mesure de sauvegarde. À mon avis, l’amendement du sénateur Boisvenu peut fournir cette mesure. J’estime préférable de se tromper en protégeant les minorités, ce que nous avons l’occasion de faire maintenant.

Quand je réfléchis aux visées du sénateur Prosper dans le cadre de ces modifications à la Loi d’interprétation, je me dis qu’elles n’ont pas été atteintes. En réalité, le problème tient principalement au fait que le gouvernement du Canada devrait avoir comme politique, quelle que soit la mesure envisagée, de faire une analyse des droits issus de traités des Autochtones et de s’interroger sur l’incidence de la mesure sur les peuples autochtones et les droits issus de traités. Ce serait une bien meilleure façon de procéder. C’est une erreur d’inscrire une telle disposition dans la Loi d’interprétation et de tenir pour acquis que tout est réglé. Voilà la source du litige.

J’appuie l’amendement du sénateur Boisvenu et j’invite mes collègues du Sénat à réfléchir attentivement à la question.

(1650)

Faites l’exercice : mettez-vous à la place d’une personne autochtone qui se fait promettre que cela ira mieux l’an prochain. L’Autochtone qui entend cela pense instantanément : « Jamais dans 100 ans. Je n’y crois plus. » Voilà le message que nous devrions envoyer au gouvernement pendant que nous en avons l’occasion.

L’honorable Pat Duncan : Sénateur Arnot, accepteriez-vous de répondre à une question?

Ce qui me turlupine à propos de l’amendement dont nous sommes saisis — et on revient à la discussion sur les définitions — et ce qui m’a frappée tout au long du débat, c’est qu’il y a autant de définitions de ce qui constitue une consultation qu’il y a de groupes autochtones au pays.

Le concept de consultation signifie différentes choses pour différentes personnes, et il n’y a pas de protocole fixe de consultation au sein du gouvernement du Canada. Cela fait partie du problème. Il y a des droits qui sont protégés par la Constitution. Le sénateur Dalphond en a parlé.

Cet amendement, selon ce que je comprends, est redondant si nous ne précisons pas exactement ce que le gouvernement est censé faire en ajoutant une définition de « consultations ». C’est pour cette raison que j’ai des réticences. Je comprends la passion qui vous anime, mais je sais aussi que, la première fois que j’ai pris la parole à l’Assemblée législative du Yukon, on m’a demandé : « Avez-vous suivi le protocole de consultation qui a été négocié avec les Premières Nations? »

Voilà pourquoi je ne peux pas appuyer cet amendement. Que signifie « consultations »? Avez-vous une définition?

Le sénateur Arnot : Cela a fait l’objet d’actions en justice. Même cela a fait l’objet d’actions en justice, mais je dirais que vous avez effectivement raison : il serait utile que le gouvernement se dote d’un protocole bien compris et accepté par les peuples autochtones. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Le gouvernement n’a pas non plus comme politique d’analyser tous les projets de loi présentés par le gouvernement ou par la Chambre des communes pour déterminer s’ils violent les droits des Autochtones, les droits issus de traités ou l’obligation fiduciaire.

La sénatrice Duncan : Sauf que vous parlez de politiques, et il est question d’une mesure législative. Selon les principes du droit administratif, la Constitution est là, et il faut ensuite établir une politique. C’est par les politiques que les choses sont véritablement mises en pratique. Nous exhortons donc le gouvernement à se doter d’un protocole de consultation qui s’applique dans l’ensemble du gouvernement. On n’inscrit pas ce genre de chose dans les projets de loi.

Le sénateur Arnot : Ce que le sénateur Boisvenu cherche à faire, c’est régler un problème que le gouvernement a créé en ne consultant pas correctement. À mon avis, cet amendement ne présente aucun aspect négatif.

L’honorable Frances Lankin : Merci, sénateur Arnot. J’apprécie les connaissances et l’expérience que vous apportez, tant sur le plan juridique qu’en termes de collaboration et de soutien aux Premières Nations dans votre province et ailleurs.

Premièrement, nous pouvons tous avoir des opinions qui divergent. À mon avis, il y a un inconvénient potentiel. Cela dit, je suis d’accord avec le sénateur Patterson sur une grande partie de ce qu’il a dit concernant ce qui n’a pas été fait pour inclure le peuple innu et je n’ai rien à redire à ce qu’il a dit.

Ce que je veux vous demander, ainsi qu’aux autres qui ont soulevé cette question, c’est ceci : Qu’est-ce qui vous fait penser que l’ajout de cet amendement aura un effet préventif quelconque? Si un gouvernement ne respecte pas la Constitution, la Loi d’interprétation, sa propre loi ou la lettre d’un ministre disant « J’ai commis une erreur et nous corrigeons maintenant la situation », en quoi cet amendement garantit-il que le gouvernement le fera et que les Premières Nations ne seront pas obligées de se tourner vers les tribunaux de toute façon? Cela n’exclut aucunement d’autres litiges si le gouvernement n’assume pas ses multiples obligations qu’on a déjà nommées.

Ce projet de loi est important et je sais que de nombreux amendements vont être proposés. Pensez aux changements que nous apportons ici et là. Où tentons-nous d’améliorer la situation en répétant quelque chose qui a déjà été garanti par les lois? Ce projet de loi ne répond en rien aux préoccupations fondamentales que je partage et que le sénateur Patterson a mises de l’avant.

Le sénateur Arnot : Regardons la chose sous cet angle: disons que vous êtes juge de la Cour suprême du Canada et que vous êtes appelée à vous pencher sur cette question. Vous examinez la loi et constatez : « Le législateur a parlé. Le gouvernement est tenu de faire cela. D’ailleurs, c’est également prévu dans la Constitution. » Cela renforce l’argument, selon moi.

J’estime que c’est la bonne chose à faire. L’amendement est excellent. Il donne...

Une voix : Litige.

Le sénateur Arnot : C’est mon avis...

L’honorable Andrew Cardozo : Je suis tout à fait d’accord avec vous, sénateur Arnot. J’approuve fermement l’amendement du sénateur Boisvenu. Toutefois, j’ai — excusez-moi, je pense que j’ai la parole. Merci.

Je pense à certaines des voix que nous avons entendues. Lorsque vous dites « Qu’avons-nous à perdre? Quels sont les inconvénients? », ma réponse est : le projet de loi C-21. J’aimerais dire une ou deux choses. PolySeSouvient a dit :

Nous recommandons au Sénat d’adopter le projet de loi tel quel afin qu’il puisse être mis en œuvre le plus rapidement possible [...] Nous appuyons le projet de loi C-21 compte tenu des mesures solides visant à protéger davantage les Canadiens et Canadiennes contre la violence conjugale armée ainsi que son potentiel de sécurité publique lié à l’interdiction de l’acquisition de nouvelles armes de poing et d’autres mesures.

Nous pouvons tenter de rendre chaque projet de loi parfait, mais nous vivons dans le monde réel. Le chaos à l’autre endroit est extrême. Ne prétendons pas que cela ne se produit pas. Les chances que le projet de loi C-21 doit adopté si nous le renvoyons à la Chambre — êtes-vous prêts à sacrifier le projet de loi entier pour l’amour de votre amendement, alors que, comme vient de l’expliquer la sénatrice Lankin, il répète ce qui est déjà inscrit maintes fois dans la loi? Ajouter cette précision ici ne rendrait pas cette obligation plus obligatoire, selon moi.

Le sénateur Arnot : Vous parlez de sécurité publique. Je crois que, parmi les chasseurs, les trappeurs et les personnes des Premières Nations à qui j’ai parlé, aucun ne dirait être contre la protection de la sécurité publique. Il s’agit d’un enjeu tout à fait différent, selon moi.

Il s’agit ici des droits des peuples autochtones. J’y reviendrai plus tard, peut-être à l’étape de la troisième lecture. Je comprends d’où vient la passion exprimée. Je comprends pourquoi les Canadiens doivent se sentir protégés. Il y a un tsunami d’armes de poing qui traversent la frontière et aboutissent au Canada. C’est un enjeu différent de celui dont nous parlons en ce moment.

Il s’agit ici de protéger les droits des minorités et des peuples autochtones. C’est une question de réconciliation. Tout cela va ensemble. Voilà comment je vois les choses. Voilà ce qui sert de cadre à tout cela. Merci.

Le sénateur Cardozo : Je comprends, mais je pense que dans un débat comme celui-ci, nous ne traitons jamais d’une seule question. Nous traitons de nombreuses questions différentes.

Je dirais que la question que nous avons soulevée a été assez bien protégée, comme l’a fait remarquer la sénatrice Lankin, en ce qui concerne la consultation des Autochtones. Je voudrais simplement revenir sur le fait que, selon l’organisme Danforth Families for Safe Communities, le Sénat doit soutenir le projet sans délai et :

Chaque ordre de gouvernement doit participer; cependant, notre position est que le projet de loi C-21 est une contribution forte du gouvernement fédéral et qu’il doit être soutenu par le Sénat sans retard injustifié.

Je vous laisse y réfléchir, monsieur.

Le sénateur Arnot : Voilà la réponse : « Nous n’avons pas mené de consultation. C’était trop difficile. Cela prenait trop de temps. C’est trop compliqué. »

C’est la mauvaise réponse. Ce sont les explications que nous avons reçues et elles ne sont pas suffisantes. Nous devons assurer la protection des droits des Autochtones. C’est ce que je propose, et je crois que c’est ce que propose le sénateur Boisvenu.

Le sénateur Plett : Le sénateur Cardozo a très clairement indiqué que ce n’était pas notre rôle de corriger les mesures législatives. Je suis surpris qu’il souhaitait corriger un autre projet de loi, mais quand vient le temps de corriger celui à l’étude, ce que le sénateur Boisvenu tente de faire, il dit soudainement le contraire, et vous vous rangez de son côté.

Le sénateur Cardozo a ajouté que ce projet de loi allait mourir au Feuilleton parce que le chaos règne actuellement à l’autre endroit, ce qui l’empêcherait de nous le renvoyer. Sénateur Arnot, j’ai une question : avez-vous entendu parler d’une prorogation ou d’un déclenchement d’élections qui empêcherait le gouvernement de traiter cette question à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février, si les députés rentrent chez eux?

(1700)

Le sénateur Arnot : Pas d’une source fiable.

L’honorable Mary Jane McCallum : Je voulais revenir sur la suggestion concernant la consultation et sa définition. La consultation est définie par les groupes consultés. Ce sont eux qui définissent ce que cela signifie pour eux. Une approche pancanadienne n’a pas fonctionné et ne fonctionnera jamais.

En réalité, très peu de consultations sont menées, et les Premières Nations doivent toujours vivre avec les répercussions des mesures législatives que nous adoptons ici, comme les projets de loi C-91 et C-92. J’en parlais avec l’Assemblée des Premières Nations aujourd’hui. Les ressources en temps sont limitées. Je pense donc que cette consultation...

Son Honneur la Présidente : Je suis désolée, sénatrice McCallum, le temps réservé au débat est écoulé. Demandez-vous le consentement pour répondre à la question, sénateur Arnot?

Une voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un « non ». Je suis désolée.

Le sénateur Gold : Honorables sénateurs, on ne saurait surestimer l’importance de cet amendement et de ce projet de loi. La ferveur ressentie tout au long de ce débat — qui a assurément eu un effet sur moi et sur mon raisonnement — était palpable, réelle, authentique et appréciée.

Je prends la parole très brièvement aujourd’hui — parce que je veux qu’on mette la question aux voix, et j’espère que vous nous permettrez de le faire — pour exprimer la position du gouvernement. Je fais appel à vous, qui êtes des législateurs avec des convictions, des passions, des communautés à représenter, des croyances, des frustrations et des souvenirs. Je fais appel aux législateurs que vous êtes pour qu’on tienne compte de la façon dont les lois sont interprétées par les gouvernements et par les tribunaux.

Il y a un devoir de consultation à l’égard des lois et de la réglementation qui découle de manière proactive et positive de l’application de la Constitution, que ce soit indiqué ou non dans une loi, et qui doit s’appliquer indépendamment de toute disposition de non-dérogation. Il y a une obligation positive de consultation à l’égard de la réglementation qui, d’après moi, est aussi implicite dans la disposition de non-dérogation qui fera partie de chaque cadre législatif, comme on l’a souligné dans une intervention précédente.

Il a été dit que s’il n’y a pas de consultation ou s’il y a une consultation inadéquate dans le processus réglementaire, en l’absence de cet amendement, les ayants droit et les groupes autochtones devront s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation. Il a été sous-entendu, et je pense qu’il a été dit, que cet amendement allait changer les choses, ce qui, chers collègues, pour les avocats et les non-avocats est une absurdité solennelle, comme l’aurait dit Jeremy Bentham. Je le dis sans vouloir manquer de respect, mais c’est mal comprendre le fonctionnement des lois. Cet amendement pourrait contenir l’obligation la plus spécifique qui soit, en plus des autres obligations que j’ai déjà décrites, mais, en cas de violation, il faut toujours aller au tribunal. Il n’est pas possible d’éviter un procès en cas de violation d’une obligation constitutionnelle et légale.

Il est faux de dire que cet amendement résout ce problème. Il s’agit d’un véritable problème. Les Premières Nations et les groupes autochtones ont dû dépenser beaucoup trop d’argent et, surtout, beaucoup trop de temps — parfois pendant des générations — pour faire reconnaître leurs droits. Le gouvernement du Canada, qu’il s’agisse du gouvernement actuel, du gouvernement précédent ou des gouvernements antérieurs, a été contraint par les tribunaux de reconnaître les droits des Autochtones.

Heureusement, l’article 35 de la Constitution a une portée suffisamment ouverte pour permettre aux tribunaux de continuer d’apprendre des Autochtones et de définir, dans la myriade d’affaires qui n’ont pas encore été résolues au moyen de négociations ou de contestations judiciaires, ce que sont précisément les droits autochtones. Nous ne le savons pas. Notre génération est la première à vraiment se pencher sur la mesure dans laquelle les droits sont respectés dans notre pays — les terres n’ont pas été cédées, et les traités ont été bafoués. Nos enfants et nos petits-enfants vivront dans un monde avec des droits et des interprétations beaucoup plus larges. Pour être honnête, ce seront les tribunaux, et non pas les gouvernements, qui montreront la voie.

Cet amendement ne résout pas le problème bien réel que vous soulevez. Il pose toutefois un problème. Encore une fois, si je m’exprime avec fougue, en tant que législateur et professeur de droit constitutionnel — un peu rouillé, mais je le suis peut-être de moins en moins —, c’est que je tente de vous présenter une analyse des rouages du processus législatif, et cet amendement comporte des problèmes.

Le premier découle des observations de la sénatrice Dupuis et de ce que je viens de dire. Si notre Constitution est un document en constante évolution — on peut remonter à l’affaire « personne », dont nous nous félicitons chaque fois que nous quittons cet édifice —, cela signifie que la définition des droits, qu’il s’agisse des droits prévus à l’article 35, des droits à l’égalité ou de tout autre droit, peut évoluer avec le temps, non pas en fonction des considérations et des passions politiques du moment, mais en fonction de l’évolution de la compréhension que nous avons, en tant que citoyens, de nos droits et de nos obligations les uns envers les autres.

Cet amendement présente un problème — l’inconvénient numéro un, comme vous l’avez indiqué, sénateur Arnot. Je suis d’accord avec la sénatrice Lankin sur ce point, ou tout autre sénateur, d’ailleurs, car nous sommes tous égaux, et vos propos méritent tous mon respect.

L’un des inconvénients de cet amendement, c’est qu’il risque de restreindre l’interprétation des droits, de l’obligation de consultation, de la nature des consultations et de la signification de celles-ci pour les groupes, des notions qui évoluent au fil du temps et ne sont pas encore tout à fait circonscrites.

Avec tout le respect que je vous dois, sénateur Prosper, je pense que c’est un problème. S’il est vrai, bien sûr, que la Constitution l’emporte sur tout, il est également vrai qu’un principe reconnu en matière d’interprétation des lois — nous en avons entendu parler récemment à propos d’un autre projet de loi — est que nous sommes censés avoir réellement voulu ce que nous mettons dans la loi. Par conséquent, il y a une présomption selon laquelle nous devons tout consigner dans un texte législatif et, si nous mettons une expression plus restreinte, peut-être qu’elle qualifiera une expression plus large, ou peut-être pas. Nous sommes en train d’ouvrir la porte à des contestations jusqu’à la Cour suprême sur cet élément bien précis qui n’a peut-être rien à voir avec la question de savoir s’il y a eu des consultations adéquates ou non.

Ainsi, si nous voulons éviter les contestations et le coût humain pour les personnes qui doivent attendre des années et des générations avant que leurs droits soient respectés, ce n’est pas la bonne solution — c’est un problème potentiel. Je ne peux pas prévoir l’avenir. C’est l’un des inconvénients.

Le deuxième aspect négatif a bien été cerné par la sénatrice Boyer, et il découle de la nature de cet amendement qui survient à l’étape de la troisième lecture. Il est parfaitement légitime de proposer des amendements à la troisième lecture, là n’est pas la question. Lorsqu’un amendement est proposé à la troisième lecture, il n’a pas été étudié. Il n’a pas été validé. Nous n’avons pas pu demander à des fonctionnaires quelles en seraient les conséquences. Nous n’avons pas pu obtenir d’avis juridiques sur la question de savoir si l’ambiguïté est problématique ou non, si le problème sera réglé dans le processus de consultation ou non et si les groupes qui n’ont pas été consultés et qui disent qu’ils auraient dû l’être, mais dont la participation ne peut pas être clairement établie, peuvent intenter des poursuites.

L’étroitesse du libellé, l’ambiguïté qui semble exister et le fait que nous n’avons pas pu examiner l’amendement d’aussi près que le projet de loi a été étudié à l’autre endroit et au Sénat constituent des aspects négatifs.

Le dernier aspect négatif est simplement que les survivants et les communautés du pays nous ont demandé d’adopter le projet de loi sans tarder et sans amendement.

(1710)

Nous avons étudié l’amendement correctement et nous l’avons fait sérieusement. Je pense que nous avons fait notre travail en tant que législateurs. Plus important encore, même si cette disposition s’accompagne de bonnes intentions et qu’elle vous tient à cœur, il y aura de la satisfaction à adopter cela. Il sera satisfaisant de le faire. Je comprends ce que vous ressentez, mais ce n’est pas la bonne chose à faire en tant que législateurs. Ce n’est pas la bonne chose à faire. Il s’agit d’un amendement inutile qui est susceptible de compliquer les choses et qui, en tout respect, ne règle pas le problème comme les partisans de l’amendement le prétendent de bonne foi — nous le supposons.

Par conséquent, je vous invite à tenir compte de vos sentiments, mais faisons notre travail de législateur. À mon avis, ce travail consiste à voter contre la motion.

Merci beaucoup.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé pour que le vote ait lieu dans 15 minutes, après la sonnerie?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le vote aura lieu à 17 h 26.

(1720)

La motion d’amendement de l’honorable sénateur Boisvenu, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Arnot Patterson (Nunavut)
Ataullahjan Patterson (Ontario)
Batters Plett
Boisvenu Prosper
Carignan Quinn
Downe Richards
Greene Ross
Housakos Seidman
Marshall Smith
Martin Wallin
McCallum Wells—23
Oh

CONTRE
Les honorables sénateurs

Aucoin Jaffer
Bellemare Kingston
Bernard Klyne
Boehm LaBoucane-Benson
Boniface Lankin
Boyer Loffreda
Busson MacAdam
Cardozo McNair
Cordy McPhedran
Cormier Mégie
Coyle Moncion
Cuzner Omidvar
Dalphond Osler
Dasko Petitclerc
Deacon (Ontario) Petten
Dean Ravalia
Duncan Ringuette
Dupuis Saint-Germain
Forest Simons
Francis Sorensen
Gerba White
Gignac Woo
Gold Yussuff—47
Hartling

ABSTENTIONS
Les honorables sénatrices

Moodie Pate—2

(1730)

[Français]

Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Yussuff, appuyée par l’honorable sénatrice Duncan, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, il s’agit pour moi d’un devoir moral de prendre la parole pour apporter mon soutien au projet de loi C-21.

[Traduction]

C’est encore plus important pour moi, parce que nous avons souligné le 34e anniversaire du féminicide à l’École Polytechnique de Montréal, où 14 femmes ont été assassinées au moyen d’armes à feu.

[Français]

Au lendemain de la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, il est important de se rappeler le contexte dans lequel s’inscrit le projet de loi C-21, qui vise à mieux contrôler les armes et à réduire la violence armée, notamment entre conjoints.

Plus précisément, le projet de loi C-21 prévoit notamment un gel de la vente, de l’achat, de la cession et de l’importation d’armes de poing. Il sera permis de continuer à posséder, utiliser et vendre les armes enregistrées qui sont actuellement en circulation à certaines conditions.

Le projet de loi prévoit également une nouvelle définition technique contenant les caractéristiques des armes à feu de type d’assaut prohibées. Les armes existantes sur le marché ne seraient cependant pas affectées.

Le Comité consultatif canadien sur les armes à feu sera réinstauré pour faciliter le processus de classification des armes. Cette classification obligera à ce que toute arme possède un numéro valide du Tableau de référence des armes à feu avant de faire son entrée sur le marché canadien.

Le projet de loi C-21 contient aussi des mesures permettant de prohiber les armes fantômes, ces armes à feu non répertoriées et difficiles à retrouver, puisqu’elles n’ont pas de numéro de série et qu’elles peuvent être assemblées à partir de pièces achetées en ligne.

Le projet de loi prévoit aussi des mesures pour favoriser la lutte à la violence entre partenaires intimes en créant des lois « drapeau rouge » et « drapeau jaune » permettant de retirer les permis d’armes à feu aux personnes commettant de la violence conjugale ou se livrant à du harcèlement criminel.

Enfin, le projet de loi C-21 permettrait d’augmenter les peines maximales pour la contrebande et le trafic d’armes à feu de 10 à 14 ans.

Il y a plusieurs autres mesures incluses dans ce projet de loi, mais ce sont, à mon avis, les mesures les plus importantes.

Je voudrais d’abord remercier le gouvernement d’avoir renoncé à son idée, fort malavisée, de confier aux municipalités la possibilité de bannir les armes de poing sur leur territoire. Cette proposition, qui a été dénoncée par le monde municipal, aurait créé encore plus de confusion, car les dispositions de contrôle auraient pu varier d’une municipalité à l’autre.

Avec plus de 1 100 municipalités au Québec seulement, il est facile d’imaginer le chaos que ce serait si chacune d’entre elles avait ses exigences en matière de permis, sa réglementation et ses exceptions. Le gouvernement a fait une bonne chose en renonçant à se délester de ses propres responsabilités.

J’aimerais maintenant reprendre quelques arguments que j’ai entendus au cours des dernières semaines et tenter d’y répondre.

L’un des arguments que l’on a beaucoup entendus au cours des derniers mois chez les opposants au projet de loi C-21, c’est l’idée que les armes servant à commettre des crimes seraient surtout des armes qui traversent illégalement les frontières et qu’il serait inutile donc de renforcer les mesures de contrôle pour les détenteurs d’armes au Canada.

D’une part, je crois que même si l’on doit admettre que le trafic d’armes est un problème et qu’il faut s’y attaquer rapidement, le projet de loi C-21 contient quelques mesures à cet effet. Cela ne doit donc pas nous empêcher de resserrer nos contrôles ici, au Canada, car beaucoup d’armes détenues par d’honnêtes citoyens canadiens sont parfois volées et servent à commettre des crimes.

La commissaire de la GRC a notamment déclaré, en décembre 2021, que trois armes sur quatre ayant servi à commettre un crime étaient d’origine canadienne. Je la cite :

Selon le centre de dépistage, 73 % des armes dont la source est connue ont été obtenues au Canada et 27 % sont des armes importées en contrebande ou possiblement importées en contrebande des États-Unis.

Ces chiffres tendent d’ailleurs à confirmer les données tirées de diverses autres études qui ont montré que, dans le temps et dans différentes administrations au Canada, une part importante des armes utilisées pour commettre des crimes sont d’origine canadienne, et qu’il serait absurde de renoncer à les contrôler sous prétexte que plusieurs de ces armes proviennent de l’étranger.

D’autres données sont tout aussi intéressantes : selon les données de la GRC, 639 armes à feu ont été volées chaque année en moyenne à des propriétaires légaux entre 2001 et 2016, pour un grand total de 8 952 armes pour cette période, et 90 % de celles-ci n’ont jamais été retrouvées.

[Traduction]

À mon avis, le constat est clair : plus le contrôle des armes de poing sera serré, moins elles risqueront de se retrouver entre les mains des criminels.

[Français]

Par ailleurs, on a entendu, au cours des dernières semaines, des regroupements de chasseurs, comme la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs, qui se sont montrés inquiets du fait que la définition d’« arme à feu prohibée » interdirait certaines armes utilisées régulièrement par plusieurs chasseuses et chasseurs, notamment en raison de l’article prohibant les armes « conçues à l’origine avec un chargeur détachable d’une capacité de six cartouches ou plus ».

[Traduction]

Personnellement, même si je suis un adepte de la chasse, je crois que cette disposition est encore trop permissive. D’une part, la nouvelle définition d’« arme prohibée » dans le projet de loi C-21 n’interdit pas les armes d’assaut existantes.

[Français]

Selon PolySeSouvient, il existe au moins 482 modèles d’armes que le gouvernement considérait comme suffisamment dangereuses pour les interdire en novembre dernier, mais aucun de ces modèles d’armes n’est concerné par la dernière mouture du projet de loi C-21, car le gouvernement a reculé sur ses amendements. Ces modèles resteront légaux et la plupart d’entre eux ne font l’objet d’aucune restriction.

(1740)

Parmi ces 482 modèles que le gouvernement a renoncé à prohiber, on retrouve la fameuse carabine SKS, une arme semi‑automatique russe conçue pour la guerre à la fin des années 1940, importée massivement depuis les années 1980, qui tire les mêmes balles que la tristement célèbre AK-47.

L’arme est très populaire en raison de son faible coût. Armée de balles à cœur d’acier, elle est si dommageable que la plupart des champs de tir interdisent son utilisation, parce qu’elle provoque des ricochets et perfore l’équipement.

Réalisez-vous à quel point la situation est absurde? Une arme serait trop dommageable pour les champs de tir, mais assez sécuritaire pour circuler sans restriction.

Le projet de loi C-21 n’empêchera pas l’arrivée de nouveaux modèles pouvant accueillir des chargeurs de six cartouches ou plus sur le marché, car les fabricants pourront continuer de mettre en marché des armes avec un chargeur de plus petite capacité qui pourrait être ensuite modifié pour un chargeur de plus grande capacité.

Il est important de comprendre que le Code criminel interdit de posséder un chargeur de plus de cinq balles pour la plupart des armes longues, sous peine d’accusations criminelles. La limite est fixée à 10 balles pour les armes de poing. Or, au lieu de fournir systématiquement des chargeurs de plus petite capacité, plusieurs fabricants d’armes de nouvelle génération fournissent des chargeurs de 30 balles, qui sont limités à 5 balles grâce à un mécanisme controversé. Or, ces mécanismes peuvent être facilement contournés. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait Richard Bain pour commettre l’attentat au Métropolis contre la première ministre du Québec, on s’en souviendra.

[Traduction]

Je sais que le ministre a promis de s’attaquer au problème des chargeurs à haute capacité en criminalisant la modification de ce type de chargeur, mais il aurait été préférable d’agir en amont en tentant d’interdire l’importation des armes à feu conçues pour recevoir ces chargeurs.

[Français]

En conclusion, même si j’aurais souhaité que l’on aille beaucoup plus loin, j’appuie le projet de loi C-21, car, selon moi, il réduira le nombre d’armes de poing et d’assaut en circulation; il permettra d’interdire certaines pièces d’arme; il permettra de lutter contre les armes fantômes; il contribuera à lutter contre la violence conjugale; enfin, il renforcera la capacité de l’Agence des services frontaliers du Canada à lutter contre le trafic d’armes aux frontières. Merci. Meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Projet de loi sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants au Canada

Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moodie, appuyée par l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada, tel que modifié.

L’honorable David M. Arnot : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui dans ce lieu de réflexion calme et serein pour appuyer le projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada. Ce projet de loi est conforme aux objectifs du Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, qui a établi une vision transformatrice pour le Canada, une vision où chaque enfant peut avoir accès à l’environnement enrichissant qu’offrent des services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants de qualité.

C’est bien connu que les premières années de la vie d’un enfant sont cruciales. Comme le souligne le cadre multilatéral, des systèmes d’éducation préscolaire et de garde d’enfants de qualité sont essentiels pour promouvoir le développement social, affectif, physique et cognitif des jeunes enfants. Ces expériences formatrices ont effet important sur leur apprentissage, leur comportement et leur santé tout au long de leur vie, en particulier pour les enfants vulnérables.

Ancré dans ces principes, le projet de loi C-35 est un engagement à mettre en place un système national de grande qualité qui soit accessible, abordable, flexible et inclusif, comme le prévoit le cadre, qui repose sur ces principes, ce qui nous garantit que les systèmes respecteront et valoriseront la diversité, tout en répondant aux besoins des enfants issus de milieux différents, y compris ceux qui sont handicapés et ceux qui appartiennent à des communautés autochtones ou des communautés linguistiques en situation minoritaire.

Chers collègues, une grande partie du débat sur ce projet de loi a été, à mon avis, un effort collectif visant à faire en sorte que le texte à adopter ne néglige ou n’ignore pas ces groupes d’enfants et, de plus, qu’il ne néglige ou n’ignore pas les droits garantis par la Charte, les droits de la personne, les droits des Autochtones et les obligations fondées sur des droits issus de traités, qui sont conférés à ces enfants par la citoyenneté ou un traité. L’amendement que nous avons adopté hier vise à respecter ces obligations.

Même si cet amendement est adopté, nous ne pouvons pas relâcher notre vigilance.

Aujourd’hui, je tiens à souligner à quel point il est impératif que nous affirmions les obligations actuelles fondées sur les droits, non seulement dans ce projet de loi, mais, de façon plus générale, dans toutes les délibérations futures, les obligations existantes fondées sur les droits des minorités. C’est notre rôle fondamental en tant que sénateurs.

En ce qui concerne le projet de loi C-35, je vais commencer par parler de l’obligation de la Couronne envers les enfants autochtones. Voici ce qu’écrivaient dans un rapport de 2019 Regine Halseth et notre collègue l’honorable sénatrice Greenwood, avant qu’elle ne se joigne au Sénat :

Par ailleurs, il existe des facteurs structurels et systémiques uniques qui soit favorisent soit freinent le développement des enfants autochtones, dont l’absence de systèmes de santé, d’éducation, de protection de l’enfance et de services sociaux axés sur la collectivité, culturellement sûrs et accessibles; l’absence de lois, politiques et ententes qui visent les environnements familiaux ou communautaires (mal)sains; des différends non résolus concernant le partage des compétences entre les différents ordres de gouvernement à l’égard des programmes de financement et des services destinés aux Autochtones.

Dans le cadre d’un système global d’éducation scolaire et de garde d’enfants, il faut tenir compte de ces facteurs et s’assurer particulièrement de résoudre les préoccupations liées aux champs de compétence. Pourquoi? Il faut y voir parce que c’est dans l’intérêt des enfants et de la réconciliation et parce cela respecte les traités et les droits inhérents des peuples autochtones.

Je repense aux paroles du regretté Danny Musqua, un aîné de la Première Nation des Saulteaux qui s’était fait le porteur d’une histoire lui ayant été transmise oralement par son grand-père, qui était présent lors des négociations du Traité no 4 tenues en 1874 à Fort Qu’Appelle, localité maintenant située en Saskatchewan. Son grand-père lui racontait ceci :

[un intervenant âgé des Saulteaux] s’est informé au sujet de « l’érudit » qui prenait des notes pour les commissaires au traité. Quand on lui a dit que c’était un érudit, l’aîné s’est exclamé : « Voilà ce que je souhaite pour mes enfants. C’est ce genre d’éducation que mes enfants doivent avoir. »

L’aîné espérait qu’ils seraient intégrés à la nouvelle économie et non assimilés. C’est plutôt à l’assimilation qu’il a eu droit.

On ne saurait trop insister sur l’importance que revêtent la langue et la culture quand il s’agit de l’éducation scolaire et préscolaire des enfants autochtones. L’éducation des jeunes enfants n’est pas seulement la voie vers un avenir réussi. Elle peut aussi concrétiser et cristalliser leur patrimoine culturel, leurs traditions et leur identité.

Nous voulons que les langues et les cultures autochtones soient intégrées dans les services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants dont il est question ici. Les services de garde d’enfants favorisent le sentiment d’appartenance des jeunes autochtones en plus de promouvoir leur identité et d’assurer la vitalité de leurs langues pour les générations futures.

En Saskatchewan, comme dans les autres provinces des Prairies, les communautés autochtones sont jeunes et en pleine croissance. En février 2007, en ma qualité de commissaire aux traités pour la Saskatchewan, j’ai présenté au gouvernement fédéral un rapport sur les succès et les difficultés découlant de la mise en œuvre du pacte créé par les traités. Ce document disait que:

[...] les Premières Nations parviennent difficilement à conserver leurs langues, leurs cultures et les enseignements importants de leurs aînés afin de parvenir à des formes concrètes de gouvernance, à l’autonomie économique et à une vie saine de la personne au sein d’une famille saine et dans une communauté saine. Ces difficultés ne correspondent pas à ce qui leur avait été promis avec les traités.

Pour les Premières Nations de la Saskatchewan, la langue est essentielle à la compréhension des traités no 4, 5, 6, 8 et 10, qui couvrent chaque mètre carré de la province de la Saskatchewan. L’un des principes fondamentaux à cet égard est le suivant : « Les Premières Nations ont des perspectives et des conceptions distinctes qui découlent de leur culture et de leur histoire, et qui s’incarnent dans les langues autochtones ».

Le fait de répondre aux besoins uniques en matière de culture et de langue est un élément crucial des relations issues des traités. Cela témoigne de l’engagement à la réconciliation, en plus d’assurer le bien-être et le développement à long terme des enfants autochtones.

(1750)

L’éducation, surtout dans les premières années, est une passerelle vers la compréhension, le respect et la réconciliation. C’est un outil puissant qui peut nous aider à combler les lacunes créées par les injustices historiques et qui respecte l’esprit et l’intention des traités. Les traités ne sont pas des vestiges du passé. Ils sont en fait des documents vivants, et les principes qu’ils contiennent sont aussi valables aujourd’hui que le jour où ils ont été conclus.

Dans cette enceinte, on a beaucoup analysé la réconciliation et on a beaucoup parlé notamment de réconciliation économique. Les anciens de ma province appellent également à une réconciliation spirituelle, qui passe par l’affirmation des traditions culturelles et spirituelles des Premières Nations de la Saskatchewan et par des mesures concrètes visant à rétablir les valeurs, les langues et les cérémonies culturelles traditionnelles.

Je pense que cet investissement contribuera également à l’autosuffisance de la génération actuelle et des générations futures dans la culture crie. C’est ce que l’on appelle pimâihisowin, dont une partie est la poursuite de iyinîswin, la capacité à développer un esprit clair.

En juin dernier, la Greater Saskatoon Catholic School Division a annoncé la construction d’une nouvelle école, la St. Frances Cree Bilingual Elementary School. Cette école existe déjà, mais dans un autre bâtiment.

L’école compte 700 élèves. Mark Arcand, le chef du Conseil tribal de Saskatoon, a dit que l’école primaire bilingue crie St. Frances est la plus grande école de langue crie du Canada, peut‑être même du monde. J’espère que cette école servira d’exemple et qu’elle encouragera l’enseignement et les services de garde en langues autochtones.

De façon plus générale, le projet de loi C-35 doit permettre à tous les enfants de développer un esprit vif. Le projet de loi et le cadre s’appliquent à l’ensemble des enfants.

L’étude et les débats du Sénat se sont concentrés sur la reconnaissance et le développement des programmes d’éducation préscolaire et de garde d’enfants qui sont adaptés à tous les enfants sur le plan culturel et linguistique. Il faut donc investir dans des programmes qui sont élaborés en partenariat avec toutes les communautés, dans le respect de leur culture, de leur identité et de leur langue. Il faut également tirer des leçons de ce qui se fait ailleurs, comme cela a été souligné devant le comité sénatorial, pour prévenir la marchandisation des services de garde, surtout les approches qui pourraient négliger ou sous-estimer l’importance des services adaptés à la culture.

Les réunions du comité sénatorial sur le projet de loi C-35 ont souligné encore plus l’importance de recueillir dans les meilleurs délais des données complètes, valides et comparables. De telles données sont cruciales si l’on veut surveiller, évaluer et améliorer l’efficacité des services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants au Canada.

Lors des réunions du comité, on a également souligné l’importance de veiller à l’égalité des chances et à l’accès pour les enfants handicapés, comme l’exigent les principes de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. D’ailleurs, en 2012, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Moore, a décrit les paramètres concernant les mesures d’accommodement des enfants ayant des troubles d’apprentissage dans le système d’éducation. De façon plus large, le tribunal a affirmé que les programmes devaient être fondés sur les besoins individuels subjectifs de chaque enfant.

En tant qu’ex-commissaire en chef de la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan, je peux vous dire que, même si la jurisprudence en matière d’accommodement des enfants handicapés a fait un bon en avant grâce à l’arrêt Moore, le financement, la prestation et le suivi dans le système — les données pertinentes — demeurent très nébuleux. Il nous reste à espérer que le dicton voulant que « ce qui peut être mesuré peut être géré » s’avère et que les résultats soient, je l’espère, favorables.

Je suis conscient du débat du comité permanent sur le respect des droits linguistiques et du bilinguisme, en particulier dans des provinces comme le Nouveau-Brunswick, qui dispose d’un statut constitutionnel unique concernant ses deux communautés linguistiques. Cela correspond à notre engagement national et à nos obligations en vertu de la Charte de soutenir les possibilités en matière d’éducation pour les citoyens des communautés de langue officielle en situation minoritaire tout au long de leur vie.

Chers collègues, je suis reconnaissant à l’égard de notre collègue le sénateur Cormier des efforts qu’il a déployés et de sa volonté de préciser les droits linguistiques des Autochtones et des minorités au moyen de cet amendement au projet de loi.

J’ai été témoin, à plus petite échelle, de la mise en place d’une initiative visant à instaurer officiellement le bilinguisme dans une petite ville de 20 000 habitants de la Saskatchewan. Il n’a pas été facile d’y parvenir. Cependant, grâce aux efforts de nombreuses personnes, et grâce à l’organisme Canadian Parents for French, de nombreux enfants, dont le mien, ont bénéficié d’un système scolaire qui leur a permis de devenir entièrement bilingues.

Les droits des enfants en âge d’aller à la garderie doivent être respectés, qu’ils appartiennent à une communauté de langue officielle en situation minoritaire, qu’ils soient handicapés, qu’ils soient autochtones ou qu’ils aient une identité intersectionnelle comprenant une ou plusieurs de ces caractéristiques.

Faire valoir les droits individuels par le biais des tribunaux, comme dans le cas de l’arrêt Moore, est non seulement inutilement contraignant et coûteux pour les parents, mais le règlement ne bénéficiera probablement pas à l’enfant d’âge scolaire faisant l’objet du litige, car ce type de procédure est trop long et trop coûteux. En bref, la nécessité de recourir au système judiciaire pour faire respecter des droits est une preuve de l’échec du système, comme je l’ai indiqué aujourd’hui.

L’affaire impliquant la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations nous le rappelle, et les droits des enfants en âge d’aller à la garderie doivent également être respectés dans toutes les provinces et tous les territoires.

Chers collègues, le projet de loi C-35 tel que modifié prend en considération les droits garantis par la Charte, les droits de la personne, les droits des Autochtones et les obligations liées aux droits issus de traités dans la prestation des services de garde des enfants. Comme on le dit souvent dans cette enceinte, aucune loi n’est parfaite. Je l’ai moi-même dit aujourd’hui.

On a désespérément besoin du projet de loi C-35, et nous devons l’adopter. Il constitue une étape incontournable si nous voulons bâtir un avenir plus juste pour tous les enfants canadiens.

Il ne s’agit pas d’imposer une solution universelle. Il s’agit de créer un système inclusif qui répond aux besoins des familles canadiennes. Il incarne notre engagement collectif à garantir à tous les enfants du Canada, peu importe le milieu dont ils sont issus et leurs capacités, la possibilité de s’épanouir et réaliser leur plein potentiel.

Je vais voter pour le projet de loi C-35. Je vous invite à faire de même.

Je remercie et je salue nos honorables collègues du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie ainsi que le sénateur Cormier, qui a communiqué avec moi, et tous les autres sénateurs qui ont défendu les droits des enfants au Sénat. Merci beaucoup.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, comme il est presque 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : Non.

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : La séance est donc suspendue jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

Projet de loi sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants au Canada

Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moodie, appuyée par l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada, tel que modifié.

L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet d’une importante mesure législative : le projet de loi C-35. Au cours du débat, vous avez été nombreux à nous faire part de vos expériences et de vos connaissances pour expliquer l’importance de cette mesure législative pour les membres de vos collectivités. Ce soir, j’aimerais parler de ce que le projet de loi signifiera pour ma région, Waterloo.

De 2016 à 2021, sur le plan de la croissance, Waterloo occupait le sixième rang parmi les grands centres urbains du Canada. Les jeunes familles s’y installaient parce qu’elles avaient accès à l’économie de la région du Golden Horseshoe et à un marché du travail en pleine expansion. Je dois dire que la région de Waterloo, avec ses huit cantons, est un endroit où il fait très bon vivre.

L’afflux de jeunes familles s’accompagnera évidemment d’une demande accrue de services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants. Comme c’est le cas dans la plupart des pays du monde, l’époque où l’un des parents — presque toujours le père — gagnait un revenu pendant que l’autre restait à la maison est révolue. De nos jours, bien souvent, les parents n’ont pas le choix de travailler tous les deux. Toutefois, comme nous en avons discuté au cours du débat, cela a libéré un potentiel économique inouï pour le Canada et a permis aux femmes d’entrer sur le marché du travail et de poursuivre une carrière à l’extérieur du foyer.

Cependant, cela a un coût pour ceux qui ont des enfants et de jeunes familles. Ils doivent souvent faire un choix difficile quant à la manière dont leurs enfants seront pris en charge au cours de leur petite enfance et de leurs années formatrices.

Songez au fait que, pas plus tard qu’en 2022, les familles de la région de Waterloo étaient obligées de payer entre 9 012 $ et 23 939 $ par année pour faire garder un enfant à temps plein dans une garderie autorisée. Songez maintenant au fait que, selon les résultats du dernier recensement, le revenu médian après impôt des ménages de la région de Waterloo est de 81 000 $. Ainsi, au coût médian des garderies dont je viens de parler, une famille moyenne de Waterloo — pour ne nommer que cette région parmi tant d’autres — devrait consacrer environ 20 % de son revenu familial à une place en garderie. Avec deux jeunes enfants, cela représente environ 40 % du revenu familial.

Lorsqu’elles examinent ces coûts, les familles sont confrontées à un choix difficile. Vaut-il vraiment la peine que les deux parents travaillent si l’un d’eux arrive à peine à couvrir les frais de garderie? Si les parents décident que non, il va sans dire que c’est trop souvent la mère qui choisit de rester à la maison. Bien qu’il ne s’agisse que d’un arrangement temporaire en attendant que les enfants soient en âge d’aller à l’école, je n’ai pas besoin d’expliquer à cette salle remplie de personnes brillantes ce que le fait d’interrompre le perfectionnement professionnel d’une personne, même pendant quelques années seulement, peut avoir comme conséquences sur sa carrière. Cette perte n’affecte pas que la personne touchée; elle nuit aussi à l’économie.

Vous connaissez les statistiques : obliger les mères à rester à la maison parce que les garderies sont inabordables a une incidence négative sur l’économie. Nous respecterons toujours les mères qui choisissent de rester à la maison.

Cette inabordabilité est en partie due au manque de places dans les garderies, surtout dans les régions en pleine croissance comme Waterloo. Les frais sont élevés parce que les places sont très rares. En ce moment, à Waterloo, 7 000 enfants sont sur une liste d’attente pour une place en garderie. Certains ne sont pas encore nés, mais si les parents attendent, leur enfant risque d’entrer à l’école avant qu’une place devienne disponible. Cette discussion — où les parents se demandent s’il est même rentable qu’ils travaillent tous les deux — a donc lieu dans des milliers de foyers de ma région.

Chers collègues, voilà pourquoi j’ai été si heureuse, l’an dernier, lorsque 98 % des exploitants de garderies de Waterloo ont adhéré au programme de garderies à 10 $ par jour, après la conclusion d’une entente entre le gouvernement fédéral et la province dans le cadre du système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. C’est aussi pourquoi j’ai été encore plus ravie lorsque, il y a à peine deux semaines, toujours dans le cadre de cette entente, le gouvernement provincial a annoncé qu’il allait verser à la région 97 millions de dollars pour aider à créer 3 725 places de garderie au cours des trois prochaines années.

Le gouvernement provincial a aussi annoncé que les travailleurs de la petite enfance faisant partie du système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants allaient obtenir une augmentation de salaire de 19 %, et que leur salaire moyen allait passer de 20 $ l’heure à 23,86 $ l’heure à compter du 1er janvier. C’est une bonne nouvelle.

Chers collègues, je vais m’attarder un peu sur ce point. Pour que ce programme fonctionne, nous avons besoin de personnel qualifié et motivé pour travailler auprès de nos jeunes enfants dans ces garderies. Or, les travailleurs potentiels ont besoin d’éducation. Ils ont besoin de formation. Ce n’est pas le genre de profession dans laquelle on se lance sur un coup de tête. Il doit donc y avoir une certaine stabilité et une promesse aux Canadiens qui souhaitent faire carrière dans ce domaine comme quoi ces emplois seront là pour eux lorsqu’ils auront terminé leur formation.

C’est le genre de stabilité qu’offre ce projet de loi. Il inscrit dans la loi l’engagement du gouvernement fédéral en matière d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, engagement qui est nécessaire pour que ce système prenne de l’expansion et prospère. Plus précisément, pour ceux qui souhaitent entreprendre une carrière valorisante en éducation de la petite enfance, l’article 7 dit :

Les investissements fédéraux concernant l’établissement et le maintien d’un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants à l’échelle du Canada, ainsi que les efforts visant la conclusion avec les provinces et les peuples autochtones de tout accord connexe, sont guidés par les principes selon lesquels les programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants devraient être accessibles, abordables, inclusifs et de haute qualité et, conséquemment, avoir pour but :

[...] d’appuyer la prestation de programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de haute qualité qui favorisent le développement social, émotionnel, physique et cognitif des jeunes enfants, notamment par le recrutement et le maintien en poste d’une main-d’œuvre en éducation de la petite enfance qui est qualifiée et bien appuyée, reconnaissant que les conditions de travail ont un impact sur la prestation de ces programmes et services.

Chers collègues, j’ai eu le privilège de travailler dans, avec et pour le secteur de l’éducation pendant plus de 35 ans. J’ai travaillé de près — et parfois à même le plancher de la salle de classe — avec des familles, des administrateurs de service de garde et des experts en matière d’éducation préscolaire. Ils m’ont beaucoup appris. J’ai eu la chance de mettre à l’essai des programmes d’éducation préscolaire, par exemple Strong Start, qui aide les jeunes apprenants à partir du bon pied dans leur littératie et numératie. Avant de terminer, j’aimerais prendre un instant pour faire un bref retour en arrière.

En balayant du regard le Sénat, je constate que plusieurs d’entre vous sont des grands-parents et des arrière-grands-parents. Vos années d’enfance, ou celles de vos enfants, sont peut-être déjà loin, et les choses étaient peut-être bien différentes pour la plupart d’entre nous.

Dans le cadre de mes fonctions de dirigeante de programmes d’éducation, j’ai eu l’occasion de travailler avec Mme Mary Lou Mackie. Cette surintendante générale de l’apprentissage tenait passionnément à réunir les conditions nécessaires pour assurer la réussite et l’inclusion de tous les élèves et leurs familles, et elle ne ménageait aucun effort pour y parvenir. Elle a milité énergiquement pour modifier nos structures afin d’améliorer l’éducation préscolaire. Je pense par exemple à la mise en place de la maternelle à temps plein et du programme de jour prolongé en Ontario.

Qu’est-ce que le programme de jour prolongé? Il s’agit en fait d’un service de garde d’enfants qui vient à la rencontre des élèves. La journée des élèves est prolongée dans la salle de classe, et la garderie est intégrée harmonieusement à la salle de classe, de sorte que nos élèves sont moins perturbés que si la garderie se trouvait dans un établissement séparé. Cette fabuleuse initiative a été porteuse de changement pour nos jeunes.

Mme Mackie, comme beaucoup d’entre nous, a été inspirée par le regretté Charles E. Pascal, le principal architecte de l’école maternelle à temps plein et du programme de jour prolongé en Ontario. J’aimerais vous lire une citation aujourd’hui. Elle a été prononcée par M. Pascal lorsqu’il était conseiller spécial en apprentissage préscolaire auprès du premier ministre de l’Ontario et directeur général de la fondation Atkinson.

D’après moi, on ne peut pas mieux évaluer les progrès de notre société et de notre nation, qu’en faisant le bilan des mesures prises pour soutenir les plus jeunes parmi notre jeunesse grâce à un engagement collectif et soutenu à l’égard des besoins de tous les enfants du Canada. [...] Comme un des plateaux d’une bascule sur lequel on aurait déposé un bloc de ciment, notre nation semble avoir perdu son ballant. Même s’il nous reste juste assez de colle pour tenter de cimenter les éléments épars qui définissent la vie d’une Canadienne ou d’un Canadien, l’élément rassembleur étant évidemment notre système de santé universel, il nous en faut plus… beaucoup plus. Une éducation de la petite enfance de grande qualité, un déterminant clé susceptible de réduire radicalement les dépenses dans le secteur de la santé, devrait servir de tremplin pour l’édification d’une société plus cohérente et plus équilibrée.

(2010)

Charles Pascal est décédé au début de l’année. S’il était toujours vivant, il serait assis au premier rang pour assister à ce débat. Sa farouche détermination à mettre en place un système éducatif qui garantit des services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants de grande qualité a continué à trouver un écho auprès de nombreuses personnes et à remettre en question la position d’autres personnes. Les opinions de M. Pascal n’étaient pas partisanes; elles illustraient plutôt des principes profondément ancrés qui étaient appuyés à maintes reprises par la recherche. Il croyait que des politiques et des structures fragmentées peuvent empêcher le type de progrès nécessaire pour améliorer la qualité, l’accessibilité et l’abordabilité de l’éducation préscolaire pour les enfants, les parents, les tuteurs et les gouvernements.

Honorables sénateurs, j’ai vu de mes propres yeux à quel point c’est merveilleux lorsque tout se passe bien. J’ai également vu les répercussions lorsque ce n’est pas le cas. En formulant des principes qui, je pense, cochent toutes les cases qui doivent être cochées en ce moment, le projet de loi garantira la réussite de ces programmes d’éducation préscolaire et de garde d’enfants dans chaque région, dans chaque collectivité et dans l’ensemble du Canada — et pas seulement dans ma région.

L’argent à lui seul ne règle pas les problèmes. Il faut créer un encadrement qui permettra aux programmes d’éducation préscolaire et de garde d’enfants de se développer et de prospérer dans le pays, tant pour ceux qui peuvent se le permettre que pour tous les Canadiens. Merci, meegwetch.

L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, je suis très heureuse de prendre la parole au sujet de ce projet de loi. Cette question me passionne depuis de nombreuses années. Avant de commencer, je tiens à remercier chaleureusement la sénatrice Moodie de son excellent travail à titre de marraine de ce projet de loi. Je peux vous dire que nous l’attendions depuis longtemps.

Je tiens également à féliciter le sénateur Cormier et les autres personnes qui se sont battus farouchement et passionnément pour l’amendement qui a été adopté hier. J’avais déjà informé le sénateur Cormier et la sénatrice Poirier que je voterais contre, et je pense que vous savez, compte tenu de la passion que je semble avoir trouvée pour vous expliquer ce que je crois être les paramètres législatifs, juridiques et d’ordre de droit, que la question de la compétence fédérale-provinciale me tient beaucoup à cœur.

J’ai bel et bien voté contre l’amendement, mais j’ai pris le temps, avec l’aide de Louise Mercier, dans mon bureau, de consulter l’accord Canada-Ontario. Nous en avons beaucoup entendu parler, mais personne ne l’a consigné, et c’est ce que je veux faire.

Sachant qu’il s’agit d’une compétence provinciale — et dans ce cas-ci, je parle de ma province, l’Ontario —, nous nous sommes penchés sur l’accord de l’Ontario, et sur les dispositions que le gouvernement fédéral tenait à inclure dans cet accord lors des négociations, et qui se trouvent dans ce projet de loi; je crois qu’on les retrouve dans toutes les ententes conclues jusqu’à présent. Je ne les ai pas toutes vérifiées, alors je ne vais pas trop m’avancer là‑dessus, mais c’est ce qu’on m’a dit.

Permettez-moi de vous lire la partie sur les objectifs et les secteurs d’investissement, c’est-à-dire les objectifs généraux à atteindre. L’un de ces objectifs est l’inclusion, et il est indiqué très clairement dans l’accord que « l’Ontario s’engage à élaborer […] » — c’est une disposition mise en place par le gouvernement fédéral et négociée avec le gouvernement provincial, mais cela relève des provinces — « [...] et à financer [...] » — avec des fonds fédéraux et provinciaux — « [...] un plan qui facilite l’accès à des places en services de garde agréés pour [...] ». Ensuite, il y a toutes sortes de catégories auxquelles on pourrait penser lorsqu’il est question de l’inclusion des enfants vulnérables :

[...] des enfants vulnérables et issus de populations diversifiées [...], les enfants vivant dans des familles à faible revenu, les enfants en situation de handicap et les enfants ayant besoin d’un soutien renforcé ou individuel, les enfants autochtones, les enfants noirs et les autres enfants racisés, les enfants des nouveaux arrivants au Canada [...]

Ce que je voulais dire, hier, à propos de ces accords portait plus précisément sur l’objet de notre amendement d’hier, soit les minorités de langue officielle. On explique plus loin ce que cela signifie, mais on parle de langue officielle.

Nous savons ce que cela signifie : « [D]ans la mesure du possible, produire un rapport sur les dépenses publiques annuelles pour les programmes de services de garde destinés aux enfants issus [...] » de ces divers groupes. Soyons francs. Il n’y a pas eu de telles exigences en matière de rapports auparavant pour toute une variété de programmes au sujet desquels nous cherchions à connaître les progrès réalisés sans qu’aucune donnée ne soit disponible. Afin d’atteindre ces objectifs, le gouvernement fédéral a négocié avec la province en assurant un financement collaboratif et en respectant son champ de compétence.

Plus précisément, en ce qui concerne l’amendement d’hier, le gouvernement fédéral et celui de l’Ontario s’engagent à :

[...] maintenir ou augmenter le nombre actuel de places en services de garde agréés offrant des programmes en français ou des programmes bilingues à des enfants âgés de 0 à 5 ans d’ici l’exercice financier 2025 à 2026 et continuer à atteindre ou dépasser le nombre de places en services de garde en français pour les enfants âgés de 0 à 5 ans proportionnellement à la population de francophones en Ontario d’ici l’exercice financier 2025 à 2026 [...]

Et cela continue.

Ce que je veux dire, c’est que, par le passé, les accords de financement que le gouvernement fédéral concluait avec les provinces ne comprenaient pas de directives aussi explicites dont l’application pouvait être surveillée, étant donné qu’il n’y avait aucune surveillance ni aucune donnée. Le projet de loi promet de régler ce problème, et je pense que nous serons capables, en temps voulu, de mesurer les résultats qui découleront également de l’amendement qui a été adopté par le Sénat hier. Nous serons également capables de constater le succès, ou non, et de demander des comptes au partenaire financier.

En passant, le projet de loi comprend également un engagement à élaborer adéquatement ces plans à l’avenir avec des représentants de tous les groupes qui devraient participer au processus. Par conséquent, l’obligation de consulter, qui ne s’applique pas à tous les groupes — peut-être moralement — et qui n’inclut pas la province, a été inscrite dans l’accord fédéral-provincial.

Je veux maintenant parler d’où nous en sommes et de mon parcours. Certains de mes amis ont examiné mon parcours et m’ont dit : « Es-tu incapable de garder un emploi? ». Effectivement, j’ai fait plusieurs choses dans ma vie, mais tout ce que j’ai fait a contribué à façonner ma vision des choses et mes valeurs.

Après mes études universitaires, au début des années 1970, j’ai décroché un emploi comme directrice d’une garderie. C’était une garderie à but lucratif. J’ai beaucoup appris et j’en suis ressortie entièrement convaincue du bien-fondé d’un accès universel à des services de garde de qualité à but non lucratif, et ce ne sont pas des mots à la mode. Ils font une différence.

Je pourrais vous parler des enfants blessés à cause de l’équipement brisé ou encore de la piètre qualité des repas. Il y a aussi les fois où l’on recevait un appel du ministère des Services sociaux deux jours avant la visite d’un inspecteur — chaque fois qu’une visite était prévue. Le travail colossal que nous devions faire pour nettoyer les lieux et bien paraître devant ces inspecteurs cachait un problème, c’est-à-dire quand le profit justifie la hausse des revenus, au détriment des enfants — nos plus précieuses ressources. Je le crois fermement. Selon moi, ce projet de loi ne va pas assez loin, mais il indique une préférence pour ce système et une collaboration avec les provinces.

J’ai également été, et là je vais trahir mon âge, l’un des membres fondateurs de la Coalition ontarienne pour de meilleurs services éducatifs à l’enfance. J’ai été membre de l’Ontario Federation of Labour Women’s Committee. J’ai fait partie de la coalition qui s’est réunie pour se pencher sur la question des services de garde d’enfants et, à l’époque, je représentais le Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario.

Nous avons commencé notre travail en, attention, 1981. Nous travaillons depuis des années sur cette question, mais cette coalition, qui a mené à la création de la Coalition ontarienne pour de meilleurs services éducatifs à l’enfance, a été formée en 1981. Nous avions publié notre rapport, dont je parlerai dans un instant, intitulé Daycare. À l’époque, on parlait de « garderies » et non de « services de garde ». Nous avons abandonné les anciennes formulations. Nous avons évolué et opéré une transition. En 1986, le rapport s’intitulait Daycare Deadline 1990. Gardez cela en tête.

Je voudrais m’arrêter un instant sur certaines des recommandations formulées dans ce rapport. Pour ceux d’entre vous qui sont intéressés par ce rapport d’un point de vue historique et pour en comprendre la pertinence aujourd’hui, notre bureau se fera un plaisir de vous fournir le lien vers ce rapport. On peut le trouver en ligne.

Comme je l’ai dit, nous avons commencé ce travail en 1981 avec une coalition formée de syndicats, de partenaires communautaires et d’autres intervenants. On constate, à la lecture du rapport, qu’il y a plusieurs recommandations. Je ne les mentionnerai pas toutes. Je précise toutefois qu’elles sont divisées en sections; dans le cas de l’Ontario, par exemple, il y a des sections sur ce que l’Ontario doit faire, ce que le gouvernement fédéral doit faire et les rôles que doivent jouer les municipalités, les syndicats et les patrons. Chaque section comprend de nombreuses recommandations. Dans la catégorie « ce que l’Ontario doit faire », on mentionne plusieurs choses, notamment de mettre en œuvre immédiatement une subvention de 5 $ par jour pour les places de garderie — une mesure que nous voulions voir se concrétiser à l’époque mais qui ne donnerait pas grand-chose aujourd’hui; si le gouvernement de l’Ontario l’avait fait alors, nous serions en bien meilleure posture maintenant — et de mettre en œuvre les autres recommandations avant 1986.

(2020)

Dans la catégorie « ce que le gouvernement fédéral doit faire », on trouve quelque chose qui met en lumière la pertinence du projet de loi à l’étude. On dit que le gouvernement doit présenter une loi portant sur un système national de garderies pour montrer qu’il adhère à la philosophie selon laquelle un programme universel de services de garde est un service public qu’il faut instaurer. La loi remplacerait le Régime d’assistance publique du Canada en ce qui concerne les services de garde; l’accès au financement serait universel.

Vous savez depuis combien de temps ces recommandations ont été faites. Vous savez aussi où nous en sommes actuellement avec le projet de loi à l’étude. Je me pose des questions, parfois.

Il y a une section très intéressante sur le rôle des municipalités, des syndicats et du patronat, et je tiens à rendre hommage à ceux qui, dans le mouvement syndical, ont pris les devants, avant le gouvernement de l’Ontario, avant le gouvernement fédéral, et ont créé des programmes de garde d’enfants sur le lieu de travail. L’un des premiers a été ce qui était à l’époque — c’était peut-être même les Travailleurs unis de l’automobile, ou TUA, puis les Travailleurs canadiens de l’automobile, ou TCA, qui est maintenant Unifor. Ils se sont particulièrement intéressés aux usines automobiles, aux travailleurs de quarts et à la situation impossible des parents qui travaillent de quart pour ce qui est d’obtenir des services de garde adéquats pour leurs enfants. Ils se sont mobilisés. De nombreux autres syndicats l’ont fait, dans le secteur public, dans ce que nous appelons, en anglais, le secteur MUSH en Ontario — les municipalités, les universités, les conseils scolaires et les hôpitaux. Bon nombre de ces lieux de travail en sont aujourd’hui dotés.

Les syndicats ont proposé une solution. Le patronat a contribué à sa réalisation, et il y a également eu un soutien incroyable de la part de nombreuses municipalités qui ont joué un rôle et qui ont élargi par elles-mêmes, avec l’argent des taxes municipales, la prestation de ces programmes qui devraient en réalité relever du provincial et du fédéral, ce que nous sommes en train de réaliser. Je rends hommage à tous les pionniers qui ont joué un rôle de premier plan dans cette situation.

De nombreuses organisations méritent également des remerciements pour le travail qu’elles font sans relâche depuis de nombreuses années. J’ai lu le mémoire de M. Gordon Cleveland, un professeur agrégé de l’Université de Toronto qui est maintenant à la retraite, un spécialiste de l’analyse des systèmes de garde d’enfants et des coûts de base. C’est son équipe et lui qui ont établi une statistique dont vous vous souviendrez peut-être, même si quelques années se sont écoulées. Ils ont calculé que chaque dollar investi dans les services de garde d’enfants permet d’économiser 7 $ — c’était le montant à l’époque, qui est plus élevé maintenant — dans les coûts des services sociaux, des programmes de soutien des familles vivant dans la pauvreté et de toute une série de mesures.

En passant, il a été conseiller principal en matière de services de garde d’enfants pour le premier ministre Brian Mulroney — je pense que c’était dans les années 1980. Il ne faut donc pas penser que c’est une approche partisane. Nos opinions pourraient diverger sur la façon de fournir ces services, n’est-ce pas? C’est raisonnable. C’est une question de mise en œuvre. Je pense toutefois que nous voulons tous, à un certain degré, y compris les sénateurs — même si les députés ont parfois d’autres raisons d’exprimer leur opposition à la Chambre —, le meilleur pour les enfants et leur éducation. Nous le reconnaissons. Je regarde la sénatrice Seidman parce que j’ai écouté un grand nombre de ses discours. Nous sommes conscients des retombées qu’auront ces investissements et de leur importance.

Je remercie tous les Québécois du leadership dont leur province a fait preuve au fil des ans, car cela fait des années que nous préconisons de suivre l’exemple du Québec.

Je pense à des organismes comme l’Ontario Nonprofit Network. Je pense au YWCA qui tente d’obtenir ces améliorations depuis de nombreuses années. Je pense à la Campagne 2002, à Martha Friendly, et à de nombreuses autres personnes, comme l’ancienne lieutenante-gouverneure Margaret Norrie McCain, qui pendant toutes ces années, n’a jamais cessé de militer pour nous permettre d’en arriver jusqu’ici. C’est donc quelque chose qui m’emballe particulièrement.

Je ne veux pas m’éterniser. Nous avons beaucoup de pain sur la planche ce soir, mais permettez-moi de dire qu’il s’agit d’un moment historique pour notre pays. C’est un moment historique pour nous tous, en tant que législateurs qui participent à ce débat, et c’est un moment historique pour moi — excusez-moi d’en faire une affaire personnelle —, parce que je travaille sur ce dossier depuis au moins la fin des années 1970 et le début des années 1980.

En 1981, nous avons entamé la rédaction de ce rapport. Nous avons mené des consultations dans l’ensemble de la province. Nous avons publié notre rapport en 1986. Notre objectif était de l’achever au plus tard en 1990. Nous sommes en 2023, soit 33 ans plus tard. Adoptons ce projet de loi et améliorons le sort des enfants canadiens. Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente : La sénatrice Rebecca Patterson a une question. Sénatrice Lankin, accepteriez-vous de répondre à une question?

L’honorable Rebecca Patterson : Sénatrice Lankin, j’appuie ce projet de loi sans réserve. Je souhaite parler d’un groupe à la fois très distinct et unique d’enfants au Canada, c’est-à-dire les enfants de militaires. Comme vous le savez, les bases militaires constituent des territoires fédéraux qui relèvent de la compétence provinciale. Très souvent, les provinces n’aiment pas aller sur les territoires fédéraux pour fournir des services, ce qui n’était pas prévu au départ.

Nous savons également, d’après des études répétées, que nous empêchons des jets de voler à Cold Lake et des navires de prendre la mer à Halifax parce que les parents n’arrivent pas à trouver de services de garde pour leurs enfants. Dans toutes les recherches que vous avez effectuées, et puisque vous avez une expérience très étendue dans ce domaine, même si les enfants relèvent de la compétence des provinces, avez-vous vu quelque part dans ce que vous avez lu qu’il y aurait une reconnaissance de groupes bien précis?

Bien que je ne fasse pas partie de la Gendarmerie royale du Canada, je dirais que les familles de la GRC — dans lesquelles les conjoints travaillent souvent tous les deux pour cette organisation — sont également confrontées à ce problème, qui a des répercussions directes sur les premiers intervenants. Avez-vous vu quelque chose à cet égard?

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Lankin, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour pouvoir répondre à la question?

La sénatrice Lankin : Oui, mais seulement pour cette question‑ci.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Une voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un « non ».

Le sénateur Cardozo : Merci, madame la Présidente. Je ne vais prendre que quelques minutes pour poursuivre un peu dans la même veine que la sénatrice Lankin. J’aimerais rendre hommage à quelques personnes. Ce processus est en cours depuis — je ne suis pas fort en calcul — 55 ou 60 ans. Je vais mentionner tout d’abord l’honorable Monique Bégin, qui est décédée il y a quelques semaines à peine. Elle a été la secrétaire de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme, la première commission royale d’enquête à recommander l’instauration d’un programme national de garderies. Il nous en aura fallu du temps, mais nous y sommes presque.

Je salue également l’honorable Margaret McCain, ancienne lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick et directrice de la McCain Family Foundation. Parmi les autres témoins qui ont comparu devant notre comité, mentionnons des représentants de la McCain Family Foundation, Martha Friendly, directrice générale de la Childcare Resource and Research Unit, et Morna Ballantyne, directrice générale d’un organisme appelé Child Care Now. Je dois évidemment mentionner, comme l’a fait la sénatrice Lankin, Pauline Marois, ancienne ministre de l’Éducation et responsable de l’établissement du premier programme de garderies à 5 $ par jour au Canada, lequel a maintenant été étendu à l’ensemble du pays.

Je félicite toutes ces femmes qui ont travaillé là-dessus pendant si longtemps. C’est grâce à elles si nous avons un programme national de garderies aujourd’hui. Merci.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada, pour lequel je suis la porte-parole officielle. Je tiens aussi à exprimer ma reconnaissance à la sénatrice Moodie, qui est la marraine du projet de loi, ainsi qu’à tous les sénateurs qui ont contribué au débat au Sénat et au comité.

Permettez-moi tout d’abord de souligner à nouveau l’importance et la nécessité pour l’ensemble des enfants et des familles d’avoir accès à des services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants.

À l’époque où nous avions besoin de services de garde d’enfants, mon mari et moi avons eu la chance de pouvoir vivre avec mes parents, qui ont gardé notre fille pendant que nous travaillions tous les deux comme enseignants à temps plein. Ma mère a même fait coïncider sa retraite anticipée avec mon retour au travail après la fin de mon congé de maternité, alors que notre fille était âgée de 14 mois. Sous leurs soins affectueux, pendant plus d’une décennie, notre fille a pu jouir de repas faits maison, a appris à comprendre, à parler et à lire le coréen, ma langue patrimoniale, et a vécu un éventail d’expériences qui ont toutes contribué au fondement de son caractère, de ses valeurs et de son identité distincte.

(2030)

Bien que j’appuie le principe du projet de loi C-35, je tiens à répéter certaines de mes préoccupations, de même que les recommandations et les témoignages convaincants entendus par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie au cours de son étude du projet de loi. Le projet de loi C-35 vise à inscrire dans la loi des principes clés, principalement ceux du Cadre multilatéral pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants. Surtout, il reconnaît le Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones comme étant un aspect fondamental aux fins des lignes directrices en matière de financement.

Le Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones, créé en collaboration par le gouvernement du Canada et les Autochtones, est un pilier de ce projet de loi. Il énonce des principes qui sont essentiels pour concrétiser une vision où tous les enfants et toutes les familles des Premières Nations, inuites et métisses sont avantagées par un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants qui est non seulement complet et coordonné, mais également profondément ancré dans le savoir, les cultures et les langues autochtones.

La nécessité de cette coordination a été soulignée par le témoignage de Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami. Il a souligné l’importance cruciale de respecter et d’intégrer les pratiques et les formes d’enseignement uniques des communautés autochtones. Le témoignage de M. Obed a illustré le fait que ces pratiques culturelles distinctes ne sont pas simplement des méthodes éducatives, mais qu’elles font partie intégrante de la préservation et du maintien du patrimoine et de l’identité autochtones.

Je tiens à souligner mon soutien à l’amendement proposé par le sénateur Cormier que nous avons adopté et qui garantit l’engagement du gouvernement canadien à maintenir un financement à long terme pour les programmes d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, y compris ceux destinés aux peuples autochtones et aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, principalement au moyen d’accords avec les gouvernements provinciaux et les corps dirigeants autochtones.

Comme ma collègue la sénatrice Poirier l’a fait remarquer avec justesse, notre engagement envers les minorités linguistiques ne se limite pas au financement; il consiste à travailler ensemble pour faire en sorte que, d’ici les prochaines négociations, nous puissions renforcer le soutien apporté aux communautés francophones et autochtones afin qu’elles puissent vivre et s’épanouir dans la langue et la culture qu’elles ont choisies.

Il est important de noter que cet amendement ne vise pas l’attribution de fonds supplémentaires et ne porte pas atteinte aux droits des peuples autochtones. Il a plutôt pour objectif de nous rapprocher de la réalité et du respect des minorités linguistiques.

La sénatrice Moncion a souligné la nécessité d’inclure un mécanisme de financement efficace dans cet amendement, ce qui met en évidence l’importance des accords avec les gouvernements provinciaux et les entités autochtones pour veiller à ce que le financement des services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, y compris pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, soit attribué de façon efficace et respectueuse. Cette approche respecte la relation unique entre les corps dirigeants autochtones et le gouvernement fédéral, tout en répondant aux besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Hier, la sénatrice Kingston a prononcé son premier discours au Sénat. En appuyant cet amendement, elle a fait écho à notre objectif collectif de donner une voix aux groupes en quête d’équité et de veiller à ce que notre approche en matière d’apprentissage et de garde des jeunes enfants soit inclusive et équitable. Par conséquent, dans le cadre de notre étude du projet de loi C-35, il est primordial de veiller à ce que la loi reconnaisse et respecte activement ces pratiques et ces formes d’enseignement individuelles et à ce qu’elle les intègre. Une telle approche est essentielle au respect de la diversité culturelle et linguistique des enfants et des familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, il est essentiel que les cadres soient flexibles afin de répondre aux besoins régionaux et culturels de tous les Canadiens au pays. Au cours de l’histoire du Canada, nous avons vu la complexité des cadres nationaux et leurs répercussions sur les diverses communautés. Cette complexité fait ressortir la nécessité de porter notre attention sur les défis pressants relatifs à la demande en éducateurs de la petite enfance et à leur disponibilité limitée.

La situation a aussi été soulignée dans le mémoire de la Fédération canadienne des femmes diplômées au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. La Fédération a parlé notamment de la question cruciale du maintien en poste des éducateurs de la petite enfance. Sa recommandation concernant la mise en place d’une stratégie nationale de recrutement et de maintien en poste des éducateurs de la petite enfance est un appel à l’action que nous ne pouvons pas nous permettre de négliger. Cette stratégie ne vise pas qu’à assurer la qualité des soins; il s’agit également de soutenir les personnes qui constituent l’épine dorsale du système de garde : les éducateurs, qui sont majoritairement des femmes et qui consacrent leur vie à prendre soin des générations futures.

On observe une baisse du nombre d’éducateurs de la petite enfance partout au pays, mais nous devons reconnaître que ce déclin souligne non seulement l’ampleur des obstacles à surmonter pour répondre aux besoins en personnel spécialisé, mais aussi l’importance de valoriser et de soutenir les éducateurs.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, le rôle des parents dans l’éducation de l’enfant est un aspect fondamental à considérer dans le cadre du projet de loi C-35. Les parents jouent un rôle fondamental dans le soutien et l’attachement émotionnels de l’enfant. Les liens étroits qui s’établissent en bas âge ont beaucoup d’incidence sur la stabilité émotionnelle de l’enfant et sur son bien-être en général.

C’est avec leurs parents que les enfants commencent à apprendre des principes sociaux et moraux fondamentaux. En leur montrant comment se comporter, en leur apprenant à faire preuve d’empathie et en établissant des limites, les parents contribuent de façon essentielle à développer le sens moral de leurs enfants. Ces enseignements initiaux donnent à l’enfant les bases qui lui permettront de tisser des liens interpersonnels et de faire des choix éthiques.

Je demeure préoccupée par le fait que le projet de loi C-35 impose des conditions pour que les garderies puissent participer au programme gouvernemental. Je me demande comment ces conditions peuvent tenir compte de la riche diversité de croyances et de valeurs chères aux familles canadiennes. Le directeur de programme familial de Cardus a soumis au Comité des affaires sociales un mémoire convaincant qui fait écho aux sentiments que j’ai initialement exprimés sur le mode de garde privilégié par le gouvernement. Cardus affirme que le plan d’apprentissage et de garde des jeunes enfants pancanadien est intrinsèquement injuste parce qu’il est uniquement axé sur le mode de garde privilégié par le gouvernement et qu’il ne tient donc pas compte de la diversité des familles canadiennes.

Le mémoire soutient que verser le financement directement aux parents serait un gage d’équité, car les familles auraient la latitude nécessaire pour répondre à leurs besoins particuliers. C’est un point de vue qui correspond tout à fait à ce que nous soutenons depuis le début.

Dans son mémoire au Comité des affaires sociales, Beverley Smith a présenté une analyse critique du réseau de garderies au Canada en se penchant tout particulièrement sur les lacunes du projet de loi lorsqu’il s’agit de répondre aux besoins variés de toutes les familles canadiennes. Son mémoire remet en question l’importance prépondérante accordée aux garderies institutionnelles pour privilégier une conception élargie de la garde d’enfants qui englobe les façons dont les familles choisissent d’élever leurs enfants, y compris la garde à domicile ou par des membres de la famille. Certaines recommandations soulignent la nécessité de reconnaître et de soutenir les parents en tant que principaux responsables de leurs enfants dont le rôle est souvent peu valorisé dans les discussions stratégiques.

Beverley Smith a illustré le décalage entre l’octroi de subventions gouvernementales aux garderies et l’absence de financement direct pour les parents qui choisissent de s’occuper de leurs enfants à la maison, en faisant valoir qu’on peut ainsi pénaliser involontairement les familles qui préfèrent les modes de garde autres qu’institutionnels.

Les recommandations relatives aux droits parentaux contenues dans le projet de loi appellent les décideurs à tenir compte de l’ensemble des préférences en matière de garde d’enfants au Canada. Nous devons soutenir et respecter tous les enfants, qu’on s’occupe d’eux dans une garderie ou à la maison. Nous devons respecter les préférences culturelles, sociales et personnelles des familles en veillant à ce que tous les enfants jouissent d’un accès égal aux ressources qui favorisent leur développement individuel.

Le projet de loi C-35 favorise les fournisseurs de services de garde publics et sans but lucratif. Comme je l’ai souligné précédemment et comme l’ont maintenant aussi fait valoir certains témoignages, favoriser les fournisseurs de services de garde publics et sans but lucratif risque de banaliser le rôle crucial des exploitants privés dans le réseau de garderies.

Cardus a réclamé un engagement plus ferme envers les modes de garde flexibles de façon à soutenir tous les modes de garde et à cesser de privilégier les fournisseurs publics et sans but lucratif.

Un mémoire du Réseau des intervenantes en services de garde à domicile a par ailleurs grandement contribué à mettre en lumière les défis que supposent les services de garde. Il attire l’attention sur la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur et sur la nécessité de proposer des modalités atypiques à l’intention des familles qui ont besoin de services de garde en dehors de l’horaire traditionnel de 9 h à 17 h. Ce point de vue fait écho aux préoccupations que j’avais soulevées dans mon discours initial, lorsque j’ai souligné la nécessité d’un système de services de garde qui s’adapte à la dynamique changeante de la vie familiale moderne.

(2040)

Le 5 décembre 2023, Statistique Canada a publié les résultats de l’Enquête canadienne sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants et de l’Enquête sur les modes d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de 2023. Le rapport, intitulé Modes de garde d’enfants, 2023, présente l’évolution du recours aux services de garde depuis 2019. Selon lui, la proportion de parents qui ont déclaré éprouver de la difficulté à trouver un service de garde a augmenté en 2023.

La proportion de parents qui ont eu recours à un service de garde et qui ont déclaré avoir éprouvé de la difficulté à en trouver un a augmenté pour passer de 36 % en 2019 à 49 % en 2023. La difficulté d’obtenir une place pour leur enfant est demeurée la principale difficulté pour les parents, et la proportion de parents ayant déclaré éprouver cette difficulté a augmenté pour passer de 53 % en 2019 à 62 % en 2023. Trouver un service de garde abordable est également resté une préoccupation courante parmi les parents, mais la proportion de ceux qui ont dit éprouver cette difficulté a diminué pour passer de 48 % en 2019 à 41 % en 2023.

La difficulté à trouver un service de garde a souvent entraîné des répercussions négatives sur la vie professionnelle des familles. Par exemple, en 2023, comme lors des autres années, les principales répercussions pour les parents dans cette situation étaient la modification de leur horaire de travail ou d’études, 34 %; la réduction du nombre d’heures travaillées, 33 %; et le report de leur retour au travail, 31 %.

En ce qui concerne le rôle des fournisseurs de services de garde du secteur privé, il convient de souligner que, pour les familles ayant des préférences culturelles ou religieuses, ces fournisseurs peuvent offrir des programmes conformes à leurs valeurs ou à leurs traditions où l’enfant peut s’épanouir dans un environnement adapté à sa culture. Ma collègue Michelle Ferreri, à l’autre endroit, et moi insistons fermement sur l’importance du rôle des fournisseurs de services de garde du secteur privé.

Mme Ferreri a proposé un amendement soulignant la nécessité pour le projet de loi C-35 de permettre à tous les types de fournisseurs de services de garde, des garderies traditionnelles jusqu’aux services de garde avant et après les classes, de faire partie du système, pourvu qu’ils répondent aux normes ou les dépassent. Dans un pays aussi vaste que le Canada, avec ses 10 provinces et ses 3 territoires, ses régions rurales et ses centres urbains, ses communautés autochtones, ses communautés linguistiques en situation minoritaire et toutes ses communautés culturelles extraordinaires, d’un océan à l’autre, il ne peut pas y avoir de solution universelle.

Les services de garde de qualité doivent être plus abordables, mais cela ne peut pas se concrétiser sur le dos des fournisseurs de services de garde du secteur privé car, au bout du compte, les parents doivent avoir des options qui répondent à leurs diverses priorités pour l’éducation de leur enfant.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, la complexité d’un cadre national et ses incidences sur les différentes communautés, conjuguées à l’urgence des besoins et au nombre limité d’éducateurs spécialisés dans la petite enfance, doivent être pris en considération avec soin dans le projet de loi C-35. Le Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario estime que la demande de places en garderie va dépasser les plans d’expansion actuels de 220 000 places d’ici 2026, et ce, uniquement pour une province. C’est un chiffre ahurissant.

Cet écart annoncé entre la demande et les places disponibles sera exacerbé par une diminution inquiétante de la main-d’œuvre. La majorité des éducateurs de la petite enfance qui démissionnent en Ontario cherchent un emploi ailleurs que dans les garderies agréées.

Nous devons donc nous demander si le projet de loi C-35 tranche la question de la rémunération adéquate d’une catégorie de travailleurs qui sont traditionnellement moins bien payés que leurs homologues dans l’enseignement primaire et secondaire. Comment faire pour régler les problèmes de formation inadéquate et encourager le perfectionnement afin que ces travailleurs restent dans le domaine? Il n’y a pas de solution universelle.

Honorables sénateurs, en examinant le projet de loi C-35, en écoutant les témoignages éclairants et en lisant les mémoires instructifs, il m’est apparu évident que beaucoup de questions demeurent en suspens, malgré l’objectif louable du gouvernement de créer un cadre national pour les services de garde.

Bien que le projet de loi C-35 constitue un pas dans la bonne direction, nous devons veiller à ce que sa mise en œuvre favorise un système de garde d’enfants inclusif, équitable et diversifié qui proposent ce que cherchent toutes les familles canadiennes et qui respecte les choix culturels et personnels de celles-ci pour l’éducation de leurs enfants.

Pour la suite du processus, affirmons notre engagement envers ces principes et veillons à ce que le projet de loi C-35 crée un cadre pour l’éducation préscolaire et la garde des jeunes enfants tout en défendant également les valeurs et les droits qui sont la pierre angulaire du bien-être et de l’identité des enfants et des familles.

Merci.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté.)

La justice

La Loi sur l’abrogation des lois—Motion tendant à faire opposition à l’abrogation de la loi et de dispositions d’autres lois—Ajournement du débat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 5 décembre 2023, propose :

Que, conformément à l’article 3 de la Loi sur l’abrogation des lois, L.C. 2008, ch. 20, le Sénat adopte une résolution faisant opposition à l’abrogation de la loi et des dispositions des autres lois ci-après, qui ne sont pas entrées en vigueur depuis leur adoption :

1.Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R., ch. 33 (2e suppl.) :

-partie II;

2.Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47 :

-alinéa 8(1)d), articles 9, 10 et 12 à 16, paragraphes 17(1) à (3), articles 18 et 19, paragraphe 21(1) et articles 22, 23, 25, 26, 28 à 38, 40, 41, 44 à 47, 50 à 53, 56, 57, 60 à 62, 84 (en ce qui concerne les articles suivants de l’annexe : 2.1, 2.2, 3, 4, 5, 7, 7.1, 9, 10, 11, 12, 14 et 16) et 85;

3.Loi de mise en œuvre du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, L.C. 1998, ch. 32;

4.Loi sur l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public, L.C. 1999, ch. 34 :

-articles 155, 157, 158 et 160, paragraphes 161(1) et (4) et article 168;

5.Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations, L.C. 2000, ch. 12 :

-paragraphes 107(1) et (3) et article 109;

6.Loi sur le Yukon, L.C. 2002, ch. 7 :

-articles 70 à 75 et 77, paragraphe 117(2) et articles 167, 168, 210, 211, 221, 227, 233 et 283;

7.Loi modifiant la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes et d’autres lois en conséquence, L.C. 2003, ch. 26 :

-articles 4 et 5, paragraphe 13(3), article 21, paragraphes 26(1) à (3) et articles 30, 32, 34, 36 (en ce qui concerne l’article 81 de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes), 42 et 43;

8.Loi d’exécution du budget de 2005, L.C. 2005, ch. 30 :

-partie 18 à l’exception de l’article 125;

9.Loi modifiant certaines lois relatives aux institutions financières, L.C. 2005, ch. 54 :

-paragraphe 27(2), article 102, paragraphes 239(2), 322(2) et 392(2);

10.Loi d’exécution du budget de 2009, L.C. 2009, ch. 2 :

-articles 394, 399 et 401 à 404;

11.Loi sur les réseaux de cartes de paiements, L.C. 2010, ch. 12, art. 1834 :

-articles 6 et 7;

12.Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications, L.C. 2010, ch. 23 :

-articles 47 à 51, 55 et 68, paragraphe 89(2) et article 90;

13.Loi sur la révision du système financier, L.C. 2012, ch. 5 :

-articles 54 et 56 à 59;

14.Loi améliorant la sécurité ferroviaire, L.C. 2012, ch. 7 :

-paragraphes 7(2) et 14(2) à (5);

15.Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17 :

-articles 70 à 77;

16.Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19 :

-articles 459, 460, 462 et 463;

17. Loi de 2012 sur l’emploi et la croissance, L.C. 2012, ch. 31 :

-articles 361 à 364;

18.Loi visant à renforcer la justice militaire pour la défense du Canada, L.C. 2013, ch. 24 :

-articles 12, 13 et 46;

19.Loi sur l’accord définitif concernant la Première Nation de Yale, L.C. 2013, ch. 25 :

-articles 1 à 17, 19, 20, 21, 22, 23 et 24;

20.Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2013, L.C. 2013, ch. 33 :

-paragraphe 228(2);

21.Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, L.C. 2013, ch. 40 :

-articles 263, 266 et 267.

 — La motion no 144 propose de faire opposition, avant le 31 décembre de cette année, à l’abrogation de la loi et des dispositions des autres lois qui sont énumérées dans la motion.

En tant que coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat, c’est la première fois que je lance le débat sur une motion sur la Loi sur l’abrogation des lois, qui est devenue une tradition de Noël au Sénat. J’espère que, comme mes prédécesseures, les sénatrices Gagné, Bellemare et Martin, je saurai mener ce processus judicieusement et rapidement.

Avant d’entrer dans les détails de la motion, j’aimerais présenter quelques renseignements généraux au sujet de la Loi sur l’abrogation des lois pour vous rafraîchir la mémoire et fournir un contexte utile à nos collègues qui sont arrivés récemment au Sénat.

La Loi sur l’abrogation des lois, édictée en 2008, est entrée en vigueur deux ans plus tard. La loi est un mécanisme d’ordre administratif pour la législation fédérale qui vise à assurer la bonne tenue du corpus législatif fédéral par l’abrogation périodique des lois et dispositions non en vigueur qui ne sont plus nécessaires.

L’article 2 de la Loi sur l’abrogation des lois prévoit que le ministre de la Justice dépose un rapport annuel devant chaque Chambre du Parlement dans les cinq premiers jours de séance de celle-ci au cours de chaque année civile. Le rapport énumère les lois fédérales ou les dispositions de lois qui ne sont pas encore en vigueur et qui ont été sanctionnées au moins neuf ans avant le 31 décembre de l’année civile précédente.

En vertu de la Loi sur l’abrogation des lois, toute loi ou disposition figurant dans le rapport est automatiquement abrogée le 31 décembre de l’année du dépôt de celui-ci, à moins qu’elle ne soit en vigueur à cette date ou que l’une ou l’autre des Chambres n’adopte, durant cette même année, une résolution faisant opposition à son abrogation.

Le 13e rapport annuel produit sous le régime de la Loi sur l’abrogation des lois a été déposé le 31 janvier 2023 à la Chambre des communes et le 1er février 2023 au Sénat.

(2050)

À la suite du dépôt du rapport, le ministère de la Justice a communiqué avec les ministères responsables de la loi et des dispositions énumérées dans le rapport afin d’évaluer si leur abrogation devrait être reportée. À la suite des précieux commentaires formulés par des sénateurs aux cours des dernières années, le bureau du représentant du gouvernement, le BRG, s’est efforcé d’améliorer le processus suivi au Sénat aux fins de la Loi sur l’abrogation des lois, de manière à ce que tous les honorables sénateurs puissent recevoir le plus de renseignements possible.

L’an dernier, le BRG a commencé à fournir aux sénateurs une fiche d’information détaillée au sujet de la Loi sur l’abrogation des lois. Ce sommaire annuel comprend une liste détaillée qui explique la loi et les dispositions de 20 autres lois pour lesquelles les ministres ont recommandé un report de l’abrogation, ainsi que les motifs de ces recommandations. Mon bureau a diffusé ces renseignements à tous les honorables sénateurs et à leur personnel hier.

En outre, certains sénateurs, y compris notre collègue le sénateur Dennis Patterson, ont suggéré que le processus de résolution de la Loi sur l’abrogation des lois devrait faire l’objet d’une plus grande surveillance parlementaire afin que les sénateurs puissent entendre directement les fonctionnaires du ministère expliquer les raisons qui sous-tendent le report des abrogations. En conséquence, le Sénat a adopté le 9 novembre une motion présentée par le BRG pour permettre au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles d’examiner le rapport annuel de 2023 en vertu de la Loi sur l’abrogation des lois, afin qu’un comité du Sénat ait la possibilité d’étudier la question avant que la résolution ne soit présentée. Après avoir entendu des fonctionnaires représentant plus de 11 ministères, le Comité des affaires juridiques a examiné le rapport annuel et en a rendu compte, et cette étude a été rapportée au Sénat jeudi dernier par le sénateur Cotter.

Je tiens à remercier nos collègues du Groupe des sénateurs canadiens pour cette proposition constructive. Je remercie aussi le comité pour son travail diligent et approfondi. J’espère qu’un processus semblable pourra être repris pour le processus de la Loi sur l’abrogation des lois dans les années à venir.

Il convient de noter que le comité a formulé plusieurs suggestions judicieuses sur la manière dont le processus pourrait être amélioré, en particulier au moyen du rapport annuel. Le comité a observé ce qui suit :

Votre comité encourage le gouvernement à présenter, à l’avenir, une déclaration indiquant les raisons pour lesquelles les lois et dispositions énumérées dans le rapport annuel ne sont pas encore entrées en vigueur, ainsi qu’un échéancier pour leur mise en œuvre, lorsqu’il dépose le rapport annuel en vertu de la Loi sur l’abrogation des lois.

Je pense que ce type d’information devrait être inclus dans le rapport annuel. Je peux dire que le BRG a soulevé cette question de façon proactive auprès du gouvernement, y compris auprès du ministre de la Justice.

Honorables sénateurs, cette année, certaines dispositions de quatre lois seront abrogées le 31 décembre en vertu de la Loi sur l’abrogation des lois, les ministres responsables n’ayant pas recommandé le report de leur abrogation. Treize ministres ont recommandé le report de l’abrogation d’une loi entière et de dispositions de 20 autres lois dont ils ont la responsabilité. Cette loi et ces dispositions sont énumérées à l’annexe du document d’information que mon bureau a transmis à tous les sénateurs, où vous trouverez également les raisons évoquées pour recommander ces reports.

Comme mon temps de parole est probablement limité, j’invite les sénateurs à consulter le document pour obtenir de plus amples renseignements, mais je vais maintenant présenter quelques points généraux sur les reports qui sont recommandés cette année.

La ministre des Affaires étrangères recommande le report de l’abrogation de la loi intitulée Loi de mise en œuvre du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires.

Le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, le ministre des Relations Couronne-Autochtones, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, le ministre du Travail et des Aînés, le ministre des Affaires du Nord et le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement recommandent tous le report de l’abrogation de certaines dispositions d’une loi pour laquelle ils sont responsables.

Le ministre de la Justice, le ministre de la Défense nationale, la présidente du Conseil du Trésor et le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales recommandent chacun le report de l’abrogation de certaines dispositions de deux lois qui relèvent de leur portefeuille.

Le ministre des Transports recommande le report de l’abrogation de certaines dispositions de trois lois.

Enfin, la ministre des Finances recommande le report de l’abrogation de certaines dispositions de quatre lois.

Il existe diverses raisons de reporter l’abrogation. Dans certains cas, un événement externe doit se produire avant que la loi puisse entrer en vigueur, comme la promulgation d’un traité international ou de lois provinciales ou territoriales. Dans d’autres cas, des travaux en cours concernant une autre mesure législative pourraient avoir une incidence sur ces mêmes dispositions. Parfois, les dispositions dont l’abrogation est reportée sont rattachées à des affaires en instance devant les tribunaux. D’autres fois, la préparation des règlements ou la consultation des parties intéressées est en cours, et les dispositions ne peuvent entrer en vigueur tant et aussi longtemps que ce travail ne sera pas terminé. Il y a également des facteurs liés aux relations internationales, aux relations avec les provinces et les territoires et aux relations avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Dans tous les cas, la Loi sur l’abrogation des lois prévoit que le report de l’abrogation n’est valide qu’un an. Cela signifie que toute loi ou disposition dont l’abrogation est reportée cette année figurera dans le rapport annuel de l’année prochaine, et l’an prochain, ou bien ces dispositions seront entrées en vigueur, ou bien elles seront abrogées, ou encore leur abrogation sera de nouveau reportée au moyen de ce même processus.

Honorables sénateurs, il est important d’adopter la résolution avant le 31 décembre 2023. Autrement, les dispositions visées par la motion seront automatiquement abrogées par application de la Loi sur l’abrogation des lois, ce qui pourrait entraîner des incohérences dans la législation fédérale, nuire aux relations avec les gouvernements au sein du Canada et à l’étranger, et rendre nécessaire la présentation de nouveaux projets de loi pour combler les lacunes législatives qui en découleraient. Pour ces raisons, j’encourage tous les honorables sénateurs à appuyer la motion à l’étude.

Comme je l’ai dit, j’invite tous ceux qui souhaitent obtenir plus de renseignements sur ce processus ou sur les dispositions visées par la motion à consulter les documents que nous avons distribués, à parler à nos collègues du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, ou à communiquer avec mon bureau. Merci, hiy hiy.

(Sur la motion de la sénatrice Patterson (Ontario), le débat est ajourné.)

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à autoriser le Sénat à se réunir en comité plénier afin de recevoir Marie-Chantal Girard, candidate au poste de présidente de la Commission de la fonction publique

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 6 décembre 2023, propose :

Que, à 15 h 30 le mardi 12 décembre 2023, le Sénat se forme en comité plénier afin de recevoir Marie-Chantal Girard relativement à sa nomination au poste de présidente de la Commission de la fonction publique du Canada;

Que le comité plénier fasse rapport au Sénat au plus tard 45 minutes après le début de ses travaux;

Que les remarques introductives de la témoin durent un maximum de cinq minutes;

Que, si un sénateur n’utilise pas l’entière période de 10 minutes prévue pour les interventions à l’article 12-31(3)d) du Règlement, les réponses de la témoin y comprises, il puisse céder le reste de son temps à un autre sénateur.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Wells, appuyée par l’honorable sénatrice Batters, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, tel que modifié.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorable sénateurs, je vous remercie d’avoir permis l’ajournement de ce débat mardi de façon à ce que je puisse prendre la parole ce soir. J’étais prêt à prendre la parole la semaine dernière, mais l’occasion ne s’est pas présentée. Finalement, j’ai pu modifier mon intervention afin de tenir compte de certains des excellents points qui ont été soulevés par nos collègues dans le cadre du débat à l’étape de la troisième lecture. Je pense en particulier à deux discours fort convaincants en faveur du projet de loi prononcés par des sénateurs du groupe dont je fais partie, le Groupe des sénateurs indépendants, mes collègues les sénateurs Arnot et Cotter.

Mon discours ne se veut pas une réplique à leurs discours, mais plutôt une espèce de réflexion à haute voix sur les principaux points qu’ils ont soulevés. Ce qui est certain, c’est que je n’arrive pas aux mêmes conclusions, mais je veux qu’ils sachent et que tous les sénateurs sachent que leurs discours m’ont forcé à réfléchir plus longuement au projet de loi C-234.

Les sénateurs Arnot et Cotter sont déterminés à lutter contre les changements climatiques. Ils sont d’avis qu’il est important d’instaurer un régime de tarification du carbone et qu’un tel régime inciterait les agriculteurs à adopter des modes de chauffage et de refroidissement à faibles émissions pour leurs bâtiments agricoles et leurs séchoirs à grains. Or, ils appuient le projet de loi parce qu’ils estiment qu’exempter les bâtiments agricoles et les séchoirs à grains de la redevance sur les combustibles ne nous empêchera pas d’atteindre les objectifs de réduction des émissions au Canada, des objectifs qu’ils appuient d’ailleurs sans équivoque. Ils sont également favorables au projet de loi parce qu’ils sont convaincus que de petits compromis peuvent avoir des effets positifs importants, surtout dans une fédération divisée comme la nôtre. Enfin, ils ne pensent pas que le projet de loi C-234 contribuera à affaiblir le régime de tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, et ils sont d’avis que ce projet de loi devrait être évalué en fonction de ses objectifs et non de ses effets potentiels.

Ce sont des arguments raisonnables et fondés sur des principes qui doivent être examinés attentivement. À certains égards, je suis rassuré par leur argument selon lequel l’exemption des bâtiments agricoles et des séchoirs à grains n’aura pas d’incidence significative sur les émissions de gaz à effet de serre au Canada. Je soupçonne que beaucoup d’entre vous, qui sont également préoccupés par les changements climatiques, sont également rassurés. Mais devriez-vous l’être?

(2100)

Cet argument pose deux problèmes. Premièrement, les petites différences s’accumulent, mais ceux qui s’opposent à ce que le Canada prenne des mesures sérieuses pour contrer les changements climatiques avancent justement l’argument selon lequel il ne faut pas se préoccuper de ces petites différences puisque, selon eux, le Canada ne changera pas grand-chose à la diminution des émissions mondiales. J’ai l’impression que ce raisonnement gagnera en popularité si le projet de loi C-234 est adopté et, personnellement, je ne veux pas y contribuer.

Je respecte l’approche rigoureuse que les sénateurs Arnot et Cotter ont proposée pour faire l’évaluation du projet de loi C-234, qui, selon eux, devrait être examiné strictement en fonction de ses mérites. C’est un conseil juste de la part de nos collègues, et il reflète la précision et l’orientation de l’approche juridique dont ils sont experts.

Je viens d’une autre école de pensée, celle de l’économie politique, où les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être et où le fait de comprendre les origines de la mesure législative et ses effets secondaires est aussi important que le libellé du projet de loi.

Par conséquent, je ne peux m’empêcher de me demander si le projet de loi C-234 mènera à l’érosion du régime de tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Lorsque nous avons commencé à débattre du projet de loi, il y a quelques semaines, nous pouvions peut-être douter de la possibilité qu’il puisse s’agir d’un cheval de Troie contre la tarification du carbone, mais je crois qu’il est maintenant impossible de faire fi du concert de voix qui appellent à l’abolition de la taxe sur le carbone en plus de l’exemption de la redevance sur les combustibles pour les bâtiments agricoles et les séchoirs à grains. Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, nous a écrit, il y a quelques semaines, pour nous demander d’adopter sans discussion le projet de loi C-234 et pour indiquer que cette taxe devrait être éliminée « [...] pour tout et pour tout le monde [...] » Il n’est pas le seul de cet avis.

L’idée que le projet de loi C-234 ne vise qu’à accorder une exemption pour les séchoirs à grains et les bâtiments agricoles a toujours été difficile à croire. Le parrain du projet de loi à l’autre endroit a clairement exprimé son opposition à la tarification du carbone, et son parti réclame publiquement et à grands cris l’abolition de la taxe sur le carbone.

Rien ne dit que le projet de loi C-234 mènera forcément à une accélération de l’érosion du régime de tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Je crois que c’est essentiellement ce que voulait dire le sénateur Cotter quand il parlait de rester concentré sur le projet de loi. Voici mon point de vue : est-il concevable, ou même plausible, que l’adoption du projet de loi C-234 accélère l’érosion du régime de tarification de la pollution au Canada? Dans l’affirmative, quelle importance devrait-on accorder à ce facteur dans le cadre de notre étude du projet de loi?

Quand on pense aux politiciens fédéraux et provinciaux qui réclament l’abolition de la taxe en nous demandant du même souffle d’adopter le projet de loi C-234, je crois que le risque est élevé et que ce facteur devrait être au cœur de nos préoccupations pendant que nous nous demandons quoi faire avec ce projet de loi.

En fait, je crois que l’autre endroit est déjà arrivé à la même conclusion que moi et que c’est pour cela qu’il a voté contre la motion proposée par le chef du parti « abolissons la taxe » qui demandait au Sénat d’adopter le projet de loi C-234 sans discuter.

Qu’en est-il de l’argument selon lequel le projet de loi est un type d’accommodement pour un groupe de Canadiens ruraux honnêtes qui aidera à préserver et à protéger la fédération et qui appuie l’équité régionale? Il s’agit d’un point important à prendre en considération et il a un attrait particulier lorsqu’on le combine avec l’argument selon lequel les exemptions n’auront pas de toute façon une grande incidence sur les émissions de gaz à effet de serre.

Toutefois, il faut faire attention à l’argument de la « protection de la fédération ». Si le projet de loi est adopté, les provinces qui souscrivent à cet argument ne célébreront pas le renforcement de la fédération, mais clameront plutôt qu’il s’agit d’une victoire pour les pouvoirs provinciaux. En cas de doute, il suffit de penser à la façon dont certaines de ces mêmes provinces agissent ou menacent d’agir dans d’autres domaines qui sapent activement les pouvoirs fédéraux légitimes.

L’argument sur l’équité a une autre dimension importante qui a été négligée dans notre débat, à savoir que le projet de loi C-234 s’appliquerait seulement aux provinces assujetties au filet de sécurité et non aux provinces et territoires qui ont leur propre régime de réduction des émissions, c’est-à-dire la Colombie-Britannique, le Québec et les Territoires du Nord-Ouest.

Grâce au concept de la rigueur, les règles nationales qui s’appliquent aux provinces assujetties au filet de sécurité ont été conçues de manière à être équivalentes à celles de la Colombie-Britannique, du Québec et des Territoires du Nord-Ouest. Voici comment Environnement et Changement climatique Canada présente la situation :

[...] toute province ou tout territoire peut concevoir son propre système de tarification du carbone convenant à ses besoins, ou peut opter pour le système de tarification fédéral. Le gouvernement fédéral établit les normes nationales minimales de rigueur [...] que doivent respecter tous les systèmes afin de s’assurer qu’ils sont comparables et efficaces dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Tous les points soulevés au Sénat selon lesquels le projet de loi C-234 est « bon » pour le Québec, la Colombie-Britannique ou les Territoires du Nord-Ouest sont non seulement non pertinents, mais ils sont aussi mauvais pour ces provinces. En effet, assouplir les normes de rigueur du système de tarification de la pollution par les gaz à effet de serre dans les provinces où le filet de sécurité fédéral s’applique signifie qu’elles assument un fardeau moins lourd que la Colombie-Britannique, le Québec et les Territoires du Nord-Ouest en ce qui concerne l’effort national de réduction des émissions. Il s’agit là d’une forme d’injustice dont on n’a pas parlé dans le cadre du débat jusqu’à présent. Ce type de traitement inégal va à l’encontre de l’idée d’équité régionale que certains défenseurs du projet de loi pensent qu’il favorisera.

Je vais revenir sur l’idée de rigueur parce qu’il s’agit d’un concept essentiel du système de tarification de la pollution par les gaz à effet de serre qui nécessite une surveillance et une évaluation périodiques. Ce concept est essentiel à la détermination d’une période de caducité pour le projet de loi C-234 parce que, en décalant la rigueur pendant trop longtemps, on perpétue essentiellement un traitement injuste pour certaines parties du pays, ce qui mine l’unité canadienne.

Avant de revenir sur ce point, je veux aborder un autre élément de l’idée selon laquelle le projet de loi C-234 vise à répondre aux besoins spéciaux de certains agriculteurs. Ce point de vue donne la fausse impression qu’aucun accommodement n’a été fait et que le régime fédéral de tarification de la pollution par les gaz à effet de serre est un vice de politique rigide et mécanique qui ne tient pas compte des situations particulières.

Le fait est que les agriculteurs qui ont des bâtiments d’élevage et des séchoirs à grains bénéficient déjà d’un remboursement de la redevance sur les combustibles, qui est offert depuis 2021. De nombreux sénateurs ont cité le directeur parlementaire du budget, qui estime que les recettes cumulatives provenant de la redevance sur les combustibles pour le gaz naturel et le propane au cours des huit prochaines années s’élèveront à environ 1 milliard de dollars. Ce chiffre est très trompeur parce que toutes ces recettes seront retournées au secteur agricole sous forme de remboursement. Vous pourriez dire qu’il n’y a pas de coût net non plus si nous exemptons en amont les bâtiments d’élevage et les séchoirs à grains, mais cela va à l’encontre de l’objectif du signal de prix.

Il est vrai que les agriculteurs ne récupèrent pas le montant exact qu’ils ont dépensé en gaz naturel ou en propane, mais ceux qui en font plus sur le plan de l’efficacité énergétique s’en tireront mieux que ceux qui en ont fait moins. L’élimination du remboursement et une exemption générale ralentiront les progrès en matière d’efficacité énergétique et seront injustes pour les agriculteurs qui ont répondu à un signal de prix du carbone.

Au lieu d’accorder une exemption pour le gaz naturel et le propane, il serait préférable de vérifier s’il est possible de mieux cibler le remboursement pour les exploitations qui utilisent du gaz naturel ou du propane tout en maintenant la redevance sur les combustibles. C’était l’une des recommandations contenues dans le rapport du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, rapport que le Sénat a rejeté. J’aurais cru que le Comité sénatorial permanent des finances nationales se serait penché sur cette question comme le Sénat l’avait demandé, mais ce comité n’a même pas tenu une séance à ce sujet.

Quel dommage que le seul moyen d’approfondir cette question consiste à la renvoyer à la Chambre des communes. C’est une occasion ratée pour la Chambre haute. Chers collègues, j’ai énuméré ce soir ce que je considère être les arguments les plus convaincants et de bonne foi en faveur de ce projet de loi, et pourquoi je m’y oppose. Dans des discours précédents, j’ai présenté ce que je considère être des arguments fallacieux de la part des partisans du projet de loi au sujet du fonctionnement de la tarification du carbone, sans parler de la fausse affirmation selon laquelle les technologies actuelles ne permettent pas de parvenir à des améliorations sur le plan de l’efficacité énergétique.

Il y a d’autres arguments, que je peux résumer en ces mots : « Nous aimons les agriculteurs ». À cela je dis : « Amen ». Toutefois, les points soulevés au sujet des agriculteurs qui nourrissent le monde ou qui séquestrent le carbone grâce à de meilleures pratiques agricoles, bien que vrais, ce sont de fausses conclusions. En tant que législateurs qui devraient être préoccupés par l’intérêt national, nous devons aimer encore plus l’élaboration d’une bonne politique publique.

(2110)

À mon avis, le projet de loi C-234 n’est pas une bonne politique publique. C’est pourquoi je m’y oppose avec autant d’ardeur que je m’oppose à l’exemption du gouvernement libéral pour le mazout domestique. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de débattre de l’exemption pour le mazout domestique. Par conséquent, je pense que la meilleure approche que nous pouvons prendre au sujet du projet de loi C-234 est d’harmoniser ses dispositions sur l’exemption pour le mazout, dont l’échéance est prévue dans trois ans. Une disposition de caducité de trois ans coïncide avec l’examen provisoire obligatoire de la pollution causée par les gaz à effet de serre en 2026. Cet examen se penchera sur les enjeux relatifs à la concurrence entre les diverses instances gouvernementales et à l’échelle internationale, et, plus particulièrement, sur la notion de rigueur, dont j’ai parlé tout à l’heure. J’avais proposé un tel amendement au comité, et il a été rejeté à la suite d’une égalité des voix.

En harmonisant les dispositions de caducité pour le mazout domestique et les exemptions prévues dans le projet de loi C-234, nous aurions l’avantage d’un examen exhaustif qui met à profit les ressources ministérielles et d’autres expertises pour répondre aux questions qui ont mené à ce projet de loi. Si nous adoptons le projet de loi dans sa forme actuelle, ce sera un compromis raisonnable pour atténuer les répercussions du dérapage déjà dangereux de notre régime de tarification de la pollution par les gaz à effet de serre.

En outre, un projet de loi amendé donnera l’occasion à nos collègues de la Chambre de reconsidérer leur appui au projet de loi C-234 original, comme nous l’avons déjà vu avec la motion qui a échoué à la Chambre la semaine dernière. Cette motion demandait au Sénat d’approuver le projet de loi sans amendement. Elle a été rejetée par un groupement de députés libéraux, bloquistes et verts qui ont voté contre. Je pense qu’ils nous demandent de leur donner la possibilité de reconsidérer leur décision antérieure. Puisque nous savons ce qu’est un second examen objectif, nous devrions leur donner cette possibilité. Un amendement sensé visant à aligner les périodes de caducité de l’exemption pour le mazout domestique et du projet de loi C-234 permettrait d’atteindre cet objectif.

Motion d’amendement—Report du vote

L’honorable Yuen Pau Woo : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-234, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau, à l’article 2 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 5 décembre 2023) :

a) à la page 2, par substitution, à la ligne 23, de ce qui suit :

« entrent en vigueur à la date du troisième anniver- »;

b) à la page 3, par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« la date du troisième anniversaire de l’entrée en ».

Son Honneur la Présidente : Je tiens juste à mentionner que je donnerai la parole aux sénateurs Ringuette, Lankin, Dalphond, Wells et Plett.

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler de l’amendement du sénateur Woo. J’espère que vous avez vérifié les faits que j’ai soulignés précédemment concernant les coûts du changement climatique pour notre économie et notre système de soins de santé, parmi de nombreux autres coûts inhérents aux émissions de carbone, parce que j’ai d’autres faits à présenter ce soir.

D’emblée, je tiens à dire que j’ai toujours été une fervente défenseure des agriculteurs, que ce soit à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, à la Chambre des communes ou ici. L’augmentation des coûts d’exploitation agricole due à la tarification du carbone sur le gaz naturel et le propane est marginale. Selon le directeur parlementaire du budget, le coût payé par l’agriculteur canadien moyen en combustibles pour le chauffage et le séchage, y compris la tarification du carbone, représente 0,8 % de ses dépenses globales — même pas 1 % de ses dépenses d’exploitation totales.

Je dirais que, étant donné le coût des émissions de carbone sur notre PIB, ce coût inférieur à 1 % est vraiment marginal par rapport au coût du changement climatique qui cause du tort à tous, y compris les exploitations agricoles. C’est comme le problème de la poule et de l’œuf.

Faut-il augmenter marginalement les coûts pour réduire les émissions des agriculteurs et l’escalade des coûts des événements liés aux changements climatiques? Pour moi, la réponse est claire. Plus vite nous réduirons les émissions, plus vite nous réduirons la fréquence de ces événements et les coûts pour nous tous, y compris et surtout nos agriculteurs.

Honorables sénateurs, le directeur parlementaire du budget a publié deux rapports distincts sur la tarification du carbone. Dans le premier, publié le 15 juin 2023, il estime les recettes fédérales auxquelles renonce le gouvernement fédéral au titre de l’exonération de l’activité agricole de la taxe sur le carbone, c’est‑à‑dire au titre de l’exemption actuelle pour l’essence et le diésel. Cette année seulement, l’exemption consentie au secteur agricole représente 595 millions de dollars, et elle atteindra 1,562 milliard de dollars annuels d’ici 2030. Cela signifie qu’en 2030, l’exemption actuelle aura représenté, au total, 8,622 milliards de dollars.

Il est malheureux que le Comité de l’agriculture et des forêts n’ait pas examiné ce rapport du directeur parlementaire du budget dans le cadre de son étude. Cette exemption s’applique à 97 % des combustibles utilisés par le secteur agricole. Vous conviendrez qu’il s’agit d’une exemption très généreuse consentie aux agriculteurs comparativement à tous les autres secteurs de notre pays, en particulier pour les agriculteurs du Québec et de la Colombie-Britannique.

L’autre rapport du directeur parlementaire du budget, publié le 15 septembre 2023, offre une estimation du coût de la tarification du carbone conformément au projet de loi C-234. Certaines personnes ont mentionné ce rapport de nombreuses fois dans ce débat, disant que le coût cumulatif pour les agriculteurs serait de 1 milliard de dollars. Le nombre exact qui figure dans le rapport est 979 millions de dollars. Toutefois, ce que je trouve trompeur, c’est que cela ne représente que la moitié de l’équation. On fait complètement abstraction du remboursement de 90 % associé à la tarification du carbone pour le propane et le gaz naturel.

En fait, lorsqu’on tient compte du remboursement de 90 % de la tarification du carbone pour le propane et le gaz naturel, le remboursement cumulatif réel pour la même période atteint 881 millions de dollars. Par conséquent, si on soustrait le remboursement cumulatif sur huit ans du coût total de 979 millions de dollars, on obtient 97,9 milliards de dollars. Cela représente 122 375 $ par année pour tous les agriculteurs du Canada.

Étant donné que le Canada — en excluant le Québec — compte 151 805 exploitations agricoles, on parle d’un coût net moyen de 806 $ par exploitation agricole, par année. Ce sont les faits selon les chiffres du rapport du directeur parlementaire du budget. Il faut éviter de faire fausse route en n’examinant pas la situation dans son ensemble.

Encore une fois, honorables sénateurs, je vais tenter de distinguer les faits des mythes en ce qui concerne les arguments qui ont été entendus jusqu’à maintenant.

(2120)

La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre a établi différents mécanismes de tarification des émissions en fonction du secteur économique. Il y en a un qui nous couvre, nous les consommateurs particuliers. Il y en a un pour les émissions industrielles avec un tarif à la tonne de dioxyde de carbone qui peut faire partie du système d’échange pour l’industrie, et un autre pour les autres opérations, comme les fermes et les pêches commerciales.

La loi prévoit également que les provinces peuvent créer leur propre mécanisme, ce qu’avait fait ma propre province jusqu’au 1er juillet, en fonction de leurs propres émissions et avec leurs propres cibles, comme le Québec et la Colombie-Britannique l’ont fait.

La semaine dernière, j’ai discuté avec des agriculteurs de ma région qui font pousser du grain dans le cadre de leur alternance des cultures. Ils ont confirmé qu’un silo de séchage du grain coûte 200 000 $, qu’une moissonneuse-batteuse coûte entre 700 000 $ et 1 million de dollars, qu’un tracteur de 500 chevaux coûte 600 000 $ et qu’une récolteuse de pommes de terre coûte 2 millions de dollars. Compte tenu du prix de l’équipement agricole, toute chose étant égale et relative, un séchoir à grain est plutôt abordable.

Je leur ai aussi demandé s’ils séchaient leur grain à la ferme ou s’il le faisaient sécher par des entreprises commerciales. Même si un séchoir à grain ne coûte pas très cher, ils envoient leur grain au séchoir commercial de Grand Falls. Ma question suivante était donc : pourquoi un séchoir commercial? Leur explication était qu’ils pouvaient avoir recours au séchoir commercial seulement quand ils en avaient besoin et que celui-ci offre aussi des services d’entreposage et d’expédition.

Avec les changements climatiques, les inondations et les sécheresses — on ne sait jamais ce qui nous attend —, le séchage du grain n’est pas toujours nécessaire. Cela dépend des besoins. C’est pour cela qu’il y a des séchoirs commerciaux.

Chers collègues, ceci m’amène à penser que, si 60 % à 65 % du séchage du grain en Ontario se fait au moyen des séchoirs commerciaux, c’est parce qu’il s’agit de la solution la plus économique pour les agriculteurs. Je ne connais pas la situation au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta, parce que je n’ai jamais vu les données concernant ces provinces.

En ce qui a trait à l’argument voulant qu’il n’y ait pas de solution de rechange au gaz naturel ou au propane, les fermiers que j’ai rencontrés m’ont dit que la chaleur nécessaire pour les vaches dans les exploitations laitières et pour le bétail des élevages était minime, à cause de la chaleur générée par les animaux dans les bâtiments.

J’ajouterais également — le sénateur Mockler pourrait le confirmer — qu’il y a un producteur laitier local qui a installé, il y a plus de 12 ans, un système d’énergie de biomasse fonctionnant au moyen du méthane généré par ses activités et d’autres déchets agricoles qui produit de l’électricité. Il produit tellement d’électricité qu’il peut être autosuffisant et en vendre au réseau électrique du Nouveau-Brunswick. C’est une réalité depuis 12 ans dans une petite communauté de Saint-André, au Nouveau-Brunswick. Il existe des solutions de rechange.

Le régime actuel de tarification du carbone et de remboursement pour les agriculteurs est conçu pour inciter ces derniers à adopter des technologies plus propres afin de réduire leurs coûts d’exploitation, leurs coûts liés aux changements climatiques et leurs émissions. Conçus pour redistribuer 90 % des fonds recueillis dans le cadre du régime de tarification du carbone, les remboursements permettent de dédommager les agriculteurs pour les technologies plus écologiques dans lesquelles ils investissent, comme dans le cas du producteur de lait de Saint-André auquel j’ai fait allusion.

Dans l’énoncé économique de l’automne, le gouvernement a annoncé l’adoption prochaine de mesures législatives destinées à favoriser les investissements dans les technologies d’une économie propre comme le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, les technologies propres, l’électricité propre pour les organismes publics et les entreprises privées, ainsi qu’un crédit d’impôt à l’investissement pour favoriser la production d’électricité et le chauffage grâce à la biomasse — des crédits d’impôt totalisant de 15 à 30 % du coût des investissements dans la biomasse. Ces mesures bénéficieront aux exploitations agricoles qui exploitent la biomasse.

Des producteurs et des transformateurs de poulet du Nouveau-Brunswick avec qui je me suis entretenue m’ont expliqué qu’un répit de trois ans et ce nouveau crédit d’impôt leur permettraient de passer à la biomasse en 12 à 18 mois afin de répondre aux besoins énergétiques de leur exploitation. Chers collègues, c’est donc possible.

Passons maintenant à un autre aspect de ces coûts : où nos émissions de carbone se situent-elles par rapport à celles d’autres pays? En 2023, le prix de la tonne de dioxyde de carbone est de 100 €, soit 147,64 dollars canadiens. D’après les données les plus récentes que j’ai pu obtenir sur le Royaume-Uni, et qui datent de 2021, le prix de la tonne de dioxyde de carbone y est de 141,60 dollars canadiens. C’était il y a deux ans. À titre de comparaison, le prix de la tonne de carbone au Canada en 2023 est fixé à 65 $. La tarification canadienne du carbone est inférieure de 44 % à celle des pays de l’Union européenne, avec lesquels nous avons conclu des accords commerciaux, et inférieure de 46 % à celle du Royaume‑Uni.

Honorables sénateurs, j’espère que je ne vous ai pas ennuyés avec toutes mes recherches factuelles. C’était important pour moi, pour ma connaissance personnelle et pour me faire ma propre opinion sur ce projet de loi, et c’était important de vous en faire part parce que nous n’avons pas tous autant de temps. J’en suis consciente.

Pour toutes les raisons que je viens de mentionner et à titre de compromis, et compte tenu de l’important programme sur la biomasse prévu dans l’énoncé économique de l’automne, l’amendement relatif à la période de trois ans proposé par le sénateur Woo est raisonnable et raisonné et, selon moi et selon les agriculteurs de ma région, il est certainement plein de bon sens. Si nous ne faisons pas cela, nous ne ferons que dire : « N’utilisez pas la biomasse, n’utilisez pas les nouvelles technologies, ne regardez pas vers l’avenir, restez à la traîne ». Je vous demande instamment, sénateurs, d’adopter la motion du sénateur Woo.

Merci.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Chers collègues, je ferai une courte intervention en appui à l’amendement du sénateur Woo. Il a expliqué très clairement les arguments en faveur de son amendement et je l’en remercie. J’ajouterais que, pour moi, sa proposition a encore plus de sens aujourd’hui qu’elle n’en avait pendant les travaux du comité, où elle a été rejetée à la suite d’un vote nul.

Pourquoi suis-je de cet avis? C’est parce que, en plus des solides arguments présentés par le sénateur Woo en comité et plus tôt ce soir, il y a eu, depuis que notre comité a terminé son étude, beaucoup de nouveaux développements qui rendent cet amendement nécessaire. J’admets n’avoir rien d’un expert en finances agricoles. C’est lui l’expert, et je m’en remets à lui. Quoi qu’il en soit, ses arguments m’ont paru très convaincants.

Premièrement, le 26 octobre, le premier ministre a annoncé la suspension de la tarification du carbone associée au mazout pour une durée de trois ans. On l’appelle souvent l’exemption de l’Atlantique, mais nous savons maintenant, grâce à la sénatrice Ringuette, qu’elle touchera plus de ménages en Ontario et ailleurs au Canada que dans les provinces de l’Atlantique en général. Comme je l’ai dit dans mon discours à l’étape de la troisième lecture, cette annonce m’a laissé plutôt perplexe. Après quelques recherches, je sais maintenant que, selon les prix actuels, produire le même niveau de chaleur coûte quatre fois plus cher avec du mazout qu’avec du gaz naturel, et que le prix du mazout a augmenté considérablement au cours des dernières années, contrairement à celui du gaz naturel, qui a baissé. Enfin, cette source d’énergie coûteuse est majoritairement utilisée par des ménages à faible revenu.

(2130)

Comme la sénatrice Ringuette l’a déjà expliqué, cette exemption vise non pas une seule région, mais un groupe de personnes qui utilisent un produit dont le prix a grimpé en flèche au fil des ans et qui, en raison de leur situation financière, ne sont pas en mesure d’adopter une solution de rechange sans recevoir d’aide.

Par ailleurs, il ne faut surtout pas oublier que c’est une exemption d’une durée de trois ans, et non de huit ans, et sans les dispositions du projet de loi C-234 qui permettent de prolonger facilement la durée de l’exemption.

Pour ce qui est du deuxième développement, depuis l’étude de notre comité, le gouvernement a dit à maintes reprises qu’il n’avait pas l’intention d’offrir d’autres exemptions de la tarification du carbone. Le gouvernement a aussi réitéré son engagement ferme à l’égard de la tarification du carbone et à faire tout ce qu’il faut pour que le Canada respecte ses engagements au titre de l’Accord de Paris. Nous savons aussi que le Bloc québécois et le NPD adhèrent au plan climatique du Canada et rejettent l’approche « abolissons la taxe ». Ce point de vue n’exclut pas certaines exemptions en cas de situation critique.

Troisièmement, le 6 novembre, la Chambre des communes a rejeté une motion du Parti conservateur réclamant une exemption pour tous les carburants domestiques. Le sénateur Woo y a fait allusion. Pourquoi avoir un projet de loi qui prévoit une exemption pour toutes sortes de bâtiments agricoles, y compris pour ceux qui évoluent dans un système de gestion de l’offre qui leur garantit un bon revenu, mais qui n’accorde pas la même exemption pour toutes les formes de chauffage domestique? Je crois que c’est une bonne question. Comme je l’ai demandé à la troisième lecture, les vaches et les cochons valent-ils plus que les êtres humains?

En outre, il serait illogique d’adopter un projet de loi qui propose des exemptions pour le chauffage de toutes sortes de bâtiments agricoles pendant un minimum de huit ans, alors qu’il n’existe actuellement qu’une seule exemption, limitée à trois ans, pour les habitations utilisant du mazout. Je ne vois pas la logique de huit ans pour les bâtiments agricoles et de trois ans pour les personnes les plus pauvres du pays qui utilisent ce type de chauffage.

Quatrièmement, la semaine dernière, la Chambre des communes a rejeté une autre motion conservatrice. Cette motion nous ordonnait plus ou moins d’adopter le projet de loi C-234 sans amendement au milieu de notre examen. Le député conservateur Adam Chambers a déclaré aux médias, juste avant d’entrer au caucus conservateur, que les sénateurs devraient retourner « faire ce qu’ils font de mieux, c’est-à-dire demeurer invisible. » De toute évidence, il ignore la nouvelle réalité du Sénat. Nous n’avons pas l’intention d’être invisibles, monsieur, et nous sommes prêts à faire notre devoir constitutionnel, qui est d’apporter un second regard objectif sur toutes sortes de projets de loi, qu’ils émanent du Parti conservateur ou du gouvernement.

Nous sommes également conscients de notre rôle qui consiste à proposer des amendements lorsque nous le jugeons approprié, tout en laissant le dernier mot aux députés, qui sont élus. Voilà le bon fonctionnement du Parlement canadien. Pour citer le regretté sénateur Shugart : « nous savons très bien que notre rôle exige une certaine retenue. »

En fin de compte, le renvoi du projet de loi C-234 à l’autre endroit invitera tous les députés, y compris les libéraux et les ministres, à revoir la question des exemptions et à mettre en place une approche cohérente à cet égard.

Soit dit en passant, il s’agit aussi de l’objectif de la motion présentée il y a deux jours par notre collègue la sénatrice Bellemare. Dans son discours sur le projet de loi C-234, elle a exhorté tout le monde, y compris les provinces, le gouvernement fédéral et toutes les parties prenantes, à travailler ensemble pour trouver des solutions à la crise climatique. C’est seulement en travaillant ensemble que nous parviendrons à traverser cette crise, qui est liée à notre propre survie, et non en menaçant de ne pas appliquer des lois adoptées par le Parlement fédéral ou en laissant des États devenir des provinces voyous et des provinces devenir des États voyous en refusant d’appliquer des lois qui ont été adoptées de manière constitutionnelle.

Avec de la volonté et de la collaboration, nous pouvons nous attendre, comme elle l’a suggéré dans sa motion, à respecter nos engagements dans le cadre de l’Accord de Paris. Nous aurons une politique cohérente et une stricte tarification du carbone, avec des exemptions conçues pour donner un répit aux personnes qui en ont absolument besoin et de multiples programmes mis de l’avant par le gouvernement fédéral et les provinces pour aider tout le monde à prendre un virage vert. C’est la seule façon d’y parvenir.

Je sais que certains agriculteurs ont besoin d’aide. Je sais qu’ils s’inscrivent massivement à tous les programmes proposés jusqu’à maintenant par Agriculture Canada. Je sais qu’ils sont prêts à accepter des changements parce que, comme l’a dit le sénateur Cotter, ils sont les gardiens de la terre. Ils veulent que la terre survive, ils veulent survivre et ils veulent contribuer à bien nous nourrir. Cependant, nous devons tous travailler ensemble et ne pas chercher à échapper au fardeau porté par d’autres. Nous devrions tous partager le fardeau et travailler ensemble pour atteindre ces objectifs. Merci beaucoup. Marsee.

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, j’allais poser une question à la sénatrice Ringuette, car elle a décrit avec tellement d’enthousiasme à quel point les agriculteurs s’en sortent bien qu’on croirait qu’ils adorent la taxe sur le carbone. J’allais lui demander si elle avait déjà rencontré un agriculteur qui voulait de la taxe sur le carbone et qui l’appréciait. Pendant tout ce processus, soit des mois et des mois, j’ai entendu des agriculteurs, des éleveurs, des producteurs et des propriétaires de séchoir à grains dire qu’ils ne veulent pas de la taxe sur le carbone. Pas un seul ne m’a dit — et j’ai fait beaucoup de consultations — « Vous savez quoi, sénateur Wells? J’adore la taxe sur le carbone. Il faut la garder. » Peut-être que j’aurais dû poser la question à des agriculteurs du Nouveau-Brunswick. J’aurais certainement eu une réponse différente.

Nous avons aussi entendu le sénateur Woo, qui a accordé beaucoup de crédit — à juste titre d’ailleurs — aux sénateurs Arnot et Cotter, qui ont prononcé d’excellents discours, probablement les meilleurs sur ce sujet. On aurait cru qu’il utilisait ces deux grands exemples pour appuyer ses dires. Bien entendu, ils vont à l’encontre de sa cause. Ces deux discours s’opposaient à la taxe sur le carbone pour les agriculteurs, les producteurs et les éleveurs.

Chers collègues, je veux revenir sur la façon dont nous en sommes arrivés à huit ans dans le projet de loi, qui a été présenté ici au Sénat il y a quelques mois. Je l’ai mentionné dans l’un de mes discours précédents — encore une fois, je ne me rappelle plus lequel — mais il s’agit d’une suggestion faite par le néo-démocrate Alistair MacGregor au comité de l’agriculture de l’autre endroit. Le projet de loi initial prévoyait une durée de dix ans et il a suggéré de la raccourcir à huit ans. Le sujet n’a pas fait l’objet de débat au comité de l’autre endroit, et ils ont tous convenu qu’une durée de huit ans est juste.

Bien que l’autre endroit ait voté, avec une majorité de députés de quatre partis et quelques députés d’un autre, nous entendons maintenant le sénateur Woo dire que ce n’est pas dix ans, ni huit ans, mais une durée de trois ans qui est juste.

(2140)

Je vais commenter deux points. Le premier — et je sais que je l’ai déjà abordé —, c’est que j’ai participé à un événement sur le canola. J’ai eu la chance de discuter avec un agriculteur, et je l’ai déjà raconté ici, au Sénat. Cet agriculteur possède une ferme située à environ une heure au nord d’Ottawa. Il était excité parce qu’il allait acheter son propre séchoir à grain et que cela allait lui éviter d’avoir à envoyer sa récolte à North Gower, au sud d’Ottawa. En séchant le grain sur sa propre ferme, et au moment voulu, il prévoyait faire des économies sur le camionnage. Par ailleurs, cela lui permettrait de créer des emplois sur la ferme. Au final, cet agriculteur n’allait pas payer la taxe sur le carbone qu’il faut payer à l’utilisation des séchoirs commerciaux. Il allait bénéficier de l’exemption de la taxe sur le carbone. Peut-être qu’au titre de ce projet de loi, il bénéficiera tout de même de l’exemption, mais les exigences sont les mêmes pour les agriculteurs, les éleveurs et les producteurs qui rafraîchissent les bâtiments agricoles, qui sèchent le grain ou qui exploitent des serres.

Cet agriculteur était ravi parce qu’il n’aurait pas à payer la taxe sur le carbone. Il allait pouvoir contrôler le volume de séchage plutôt que de diviser la récolte en lots, sans devoir payer de frais de camionnage. Les économies allaient être substantielles, plus que le montant économisé en taxe sur le carbone. Il m’expliquait que le remboursement était échelonné sur 12 ans. J’ai dit : « Combien de temps vous faudra-t-il? » Il a répondu : « Il nous faudra 12 ans, mais nous sommes très heureux de le faire. » Chers collègues, je ne sais pas s’il serait aussi heureux aujourd’hui.

Une voix : Sûrement pas.

Le sénateur Wells : Je reviendrai maintenant sur quelques-unes des déclarations faites pendant l’un des discours. La sénatrice Ringuette a dit que la taxe sur le carbone était remboursée à 90 %. Je sais que c’est faux, parce que des agriculteurs m’ont montré leurs factures. L’un d’entre eux m’a dit — je sais que je l’ai déjà mentionné pendant un débat à propos d’un amendement — qu’il avait reçu une facture de taxe sur le carbone de 153 000 $ pour un trimestre. Son remboursement était de 53 000 $. Si j’avais à choisir entre les deux, je préférerais décidément recevoir le montant de la taxe plutôt que celui du remboursement.

Nous savons, bien sûr, que si le propane et le gaz naturel n’étaient pas assujettis à la taxe sur le carbone, il n’y aurait pas de remboursement. Il n’y aurait donc pas de cumul d’avantages, comme certains l’ont laissé entendre dans des discours prononcés plus tôt.

Chers collègues, nous savons que le remboursement est appliqué de manière injuste parce qu’il ne porte pas seulement sur les carburants utilisés à la ferme, mais sur tous les coûts. Supposons par exemple que des fermes d’élevage n’utilisent pas de propane ni de gaz naturel, des carburants qui ne donnent pas droit à une exemption, mais qu’elles utilisent de l’huile non traitée ou du diésel. Elles obtiendraient l’exemption et elles obtiendraient aussi le remboursement, ce qui est clairement injuste et inéquitable.

Dans son amendement, le sénateur Woo a proposé de réduire la durée de l’exemption à trois ans, en fonction de l’annonce que le premier ministre a faite il y a quelques semaines sur les maisons chauffées au mazout. Vous savez quoi? Ce serait logique si c’était l’unique élément de comparaison. Cependant, nous savons que le chauffage domestique au mazout est rare au Canada, bien que fréquent dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador. D’ailleurs, mon ancienne maison était chauffée au mazout. C’était notre seul choix, à moins de changer de système.

Les exploitations agricoles qui sont chauffées au mazout bénéficient d’une exemption, mais pas celles qui sont chauffées au propane et au gaz naturel. Voilà l’essence du projet de loi qui nous a été soumis. Je ne pense pas que la comparaison soit juste. Le sénateur peut fonder son amendement sur ce qu’il veut, mais je ne crois pas que la comparaison est juste puisque le pourcentage de maisons chauffées au mazout au pays est si faible, même si ces maisons sont réparties sur une grande superficie. Il serait plus juste d’établir une comparaison avec d’autres exploitations agricoles. Pourquoi le sénateur ne l’a-t-il pas fait?

Chers collègues, j’en arrive à mon dernier point. Sur le site Web de l’Agence du revenu du Canada — j’en ai déjà parlé —, on peut lire que des exemptions de la taxe sur le carbone sont prévues, qu’elles sont intégrées au programme de tarification du carbone. En fait, sur le site Web de l’Agence du revenu du Canada, on parle d’allègement de la redevance sur les combustibles. C’est un synonyme de l’exemption de la taxe sur le carbone. L’allègement de la redevance sur les combustibles inclut sept catégories d’exemption, qui touchent notamment les pêcheurs et certaines activités agricoles, plus précisément en ce qui concerne le pétrole et le diésel. Il y a sept catégories.

Malheureusement, les agriculteurs qui utilisent du propane ou du gaz naturel ne sont pas visés par ces catégories. Nous voulions les ajouter. Initialement, nous avons proposé une échéance de 10 ans, puis de 8 ans et, maintenant, de 3 ans. Or, pour toutes les autres catégories d’exemption — sauf celle que le premier ministre a annoncée le mois dernier —, le site Web de l’Agence du revenu du Canada inclut la note suivante : « Un certificat d’exemption de la redevance sur les combustibles n’a pas de date d’expiration. » On ne parle pas de 3, 8 ou 10 ans. L’exemption s’applique tant que la taxe sur le carbone existe.

C’est évidemment injuste pour tous ceux dont l’exemption a une date d’échéance. Pourquoi un agriculteur et un pêcheur devraient-ils être traités différemment? Pourquoi l’approche devrait-elle être différente pour quelqu’un qui a une serre par rapport à quelqu’un qui doit chauffer son poulailler l’hiver et le rafraîchir l’été?

Chers collègues, je termine en mentionnant que le sénateur Dalphond a également parlé de situations difficiles. Ces situations difficiles se produisent parce que les gens perdent de l’argent en raison des frais supplémentaires qu’ils paient et qui n’ont pas nécessairement l’effet désiré.

Chers collègues, par-dessus tout, soyons justes. Offrons un traitement équitable aux gens qui produisent nos aliments. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je serai très bref, mais je tiens à dire quelques mots au sujet de l’amendement. Je vais me concentrer sur l’amendement, contrairement à une intervenante précédente, qui a parlé pendant 13 minutes, sans que je sache réellement si elle parlait de l’amendement ou d’autre chose. Puis, dans la dernière minute et demie de son intervention, elle nous a dit qu’elle appuie cet amendement.

Chers collègues, j’encouragerais le sénateur Dalphond et le sénateur Woo, lorsqu’ils approcheront de l’âge de la retraite — je sais qu’il leur reste encore un peu de temps au Sénat —, à s’offrir pour travailler dans l’industrie agricole. Je suis convaincu que tous les agriculteurs au pays adoreraient les embaucher, puisqu’ils savent, je ne sais trop comment, que tous ces problèmes que connaît l’industrie peuvent se régler, même si tous les experts au pays disent que c’est impossible. Pourtant, le sénateur Woo et le sénateur Dalphond nous disent qu’ils savent que la technologie existe et que nous pourrons y accéder d’ici un an et demi, deux ans, voire trois ans. Ils nous disent : « Si un expert vous dit que cela prendra huit ans et si un agriculteur vous dit que cela prendra huit ans, ne les croyez pas parce que nous, à Montréal et à Vancouver, dans les villes, savons exactement combien de temps cela prendra, et cela prendra trois ans, alors réduisons la période de validité de l’exemption. »

C’est merveilleux, messieurs, merveilleux. Je vous invite réellement à le faire. Je pense que des gens seraient prêts à vous payer des millions de dollars pour aller les conseiller et les consulter et pour les aider à gagner l’argent dont ils ont désespérément besoin.

Cependant, chers collègues, permettez-moi de parler brièvement de l’amendement. C’est vrai, même si l’amendement a été rejeté, le sénateur Woo a tout à fait le droit de le proposer, tout comme le sénateur Dalphond. Même si son amendement a été rejeté à deux reprises, il l’a présenté une troisième fois. La troisième fois, c’est la bonne. J’imagine que, s’il avait été de nouveau rejeté, il serait revenu ce soir sous une forme ou une autre.

Le sénateur Yussuff a semblé dire que, même si nous avons le droit de présenter des amendements, nous devrions certainement les rejeter au Sénat s’ils ont déjà été rejetés ailleurs avant. Je suis certainement encouragé par le fait que le sénateur Yussuf votera assurément contre cet amendement, puisqu’il a été rejeté au comité. Le sénateur Yussuf n’a pas besoin d’autres informations pour faire son choix.

Chers collègues, la disposition de caducité a été ajoutée au projet de loi C-234 à l’étape de l’étude par le comité à la Chambre des communes. Au début, la période devait être de dix ans, puis elle a été réduite à huit ans après les débats. Le sénateur Woo voudrait maintenant la faire passer de huit ans à trois ans, parce qu’il connaît la technologie requise.

Cet amendement est malavisé pour deux raisons : premièrement, l’amendement n’est étayé... Il y a des gens qui doivent arrêter de parler, parce qu’ils ne sont pas censés parler quand une autre personne a la parole, mais je vais continuer et ignorer le leader du gouvernement et son acolyte pendant qu’ils continuent de débattre alors que j’ai la parole.

Premièrement, l’amendement n’est pas étayé par des données probantes. Rien de ce qui a été présenté au comité n’indique que la période de caducité devrait passer de huit à trois ans.

En fait, le professeur Lubitz, professeur agrégé à l’école de génie et de physique de l’Université de Guelph, nous fait remarquer qu’il faut compter au minimum six à huit ans, voire plus. Après tout, ce n’est qu’un professeur agrégé de l’école de génie de l’Université de Guelph. J’ignore s’il connaît le sujet.

Ce qui est certain, c’est qu’il ne s’est pas entretenu avec le sénateur Dalphond ni avec le sénateur Woo, car si cela avait été le cas, il ne serait pas de cet avis. Malgré tout, en réponse à une question de la sénatrice Simons à propos de la disponibilité de certaines technologies d’ici huit ans, le professeur Lubitz a répondu : « Il est difficile de me prononcer sur les technologies en cours d’élaboration. »

Il a poursuivi ainsi :

Nous avons parlé de la technologie de thermopompe; c’est ce que nous étudions. D’autres travaillent aussi sur la biomasse et sur d’autres technologies.

(2150)

La sénatrice Ringuette, évidemment, affirme que la biomasse donnera d’excellents résultats.

Le professeur Lubitz a ajouté : « On pourrait soutenir que certaines de ces technologies sont sur le point d’être prêtes à une utilisation expérimentale à petite échelle de prototype [...] »

Peut-être dans un jardin près d’où habite la sénatrice Ringuette.

Le professeur Lubitz a poursuivi ainsi :

[...] mais, à mon avis, la question la plus importante est de savoir quand elles seront prêtes pour un déploiement à grande échelle. Je crois que certaines de ces technologies seront prêtes dans un délai de huit ans, mais pas dans un an ou deux. Notre projet n’atteindra pas cet objectif au cours de la prochaine année ou des deux prochaines années, mais il pourrait le faire d’ici six ou huit ans.

Je répète qu’il s’agit d’un professeur d’université.

De même, je ne suis pas au courant d’autres technologies qui seraient prêtes pour un tel déploiement à grande échelle dans les deux prochaines années. Il faut beaucoup de temps pour franchir ces étapes vers le déploiement et l’expansion. Il s’agit d’une grande infrastructure, dont la construction, la mise à l’essai et la reconstruction prennent beaucoup de temps.

Le professeur Singh, titulaire de la chaire de recherche principale en génie agricole et technologie au Collège de Lethbridge, a fait écho à l’incertitude du professeur Lubitz en disant ce qui suit :

Je ne sais pas si cela prend trois ou cinq ans et si ces carburants seront offerts sous une forme que les agriculteurs peuvent utiliser. Peut-être que oui, peut-être que non. Je suis désolé, mais je ne peux pas vous donner une réponse claire.

Dans son mémoire au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes, le Conseil de l’innovation agroalimentaire a déclaré ceci :

Les travaux de recherche et d’innovation sur l’utilisation [de sources d’énergie de substitution renouvelables et propres] s’avèrent très prometteurs dans le domaine des activités agricoles. Toutefois, la technologie n’a pas encore atteint le stade de viabilité pour bien des activités agricoles. D’autres travaux de recherche et innovations seront nécessaires pour répondre aux besoins du secteur agroalimentaire.

À mesure que des sources d’énergie de substitution seront ciblées, il sera important de réfléchir à leur évolutivité, à leur abordabilité et à leur adoption.

Cela signifie-t-il que nous ne parviendrons jamais à remplacer le propane et le gaz naturel? Non. Par contre, la plupart des experts rapportent qu’il nous faudra au moins une décennie avant d’avoir à notre disposition des solutions de rechange réalisables, éprouvées, abordables et évolutives.

Chers collègues, cet amendement n’est appuyé par aucune donnée probante. Pour cette raison, il doit être rejeté.

En plus de ne pas s’appuyer sur des données probantes, cet amendement est tout à fait inutile. Évidemment, personne ne sait exactement quand on pourra mettre en place de nouvelles technologies que les agriculteurs pourront adopter à grande échelle. Cependant, dès que cette technologie sera disponible, on pourra modifier la disposition de caducité simplement en faisant adopter un amendement par les deux Chambres du Parlement. Cet amendement est tout à fait présomptueux et arbitraire, puisqu’il n’est pas fondé sur des données probantes, sans oublier qu’il est tout à fait inutile.

Honorables sénateurs, il a été rejeté au comité pour une raison bien évidente : les experts nous disent que ce n’est pas un bon amendement. Selon eux, lorsque la technologie sera disponible, le gouvernement — les deux Chambres du Parlement — pourra la rendre accessible.

C’est une autre tentative de torpiller un projet de loi. Je suis convaincu que dans un jour ou deux, vous aurez enfin la possibilité de dire « oui » ou « non » au projet de loi, parce que je suis sûr qu’après ceci, le sénateur Dalphond et le sénateur Woo diront que c’en est assez, que nous avons assez tardé, que nous avons complètement vidé le projet de loi avec l’amendement précédent. Cet amendement est inutile. Vous avez atteint votre but en torpillant le projet de loi avec l’amendement précédent. Vous avez détruit le gagne-pain des agriculteurs. Vous avez ruiné les familles agricoles et détruit leur gagne-pain. C’est ce que vous avez fait, alors pourquoi poursuivre cette mascarade?

Chers collègues, examinons au moins les faits — pas ce que vous aimez, pas ce que Justin Trudeau veut, et pas ce que le chef de mon parti veut. Examinons les faits. Regardez ce que veulent les agriculteurs. Votez pour les agriculteurs. Voter contre cet amendement, c’est voter pour les agriculteurs. Faisons au moins cela avec cet amendement.

Je vous demande, chers collègues, de rejeter cet amendement et de passer à la question principale à la première occasion. Merci.

Le sénateur Dalphond : Le sénateur Plett accepte-t-il de répondre à une question?

Le sénateur Plett : Non. En tout respect, je refuse.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Le vote sera reporté à la prochaine séance.

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5g) du Règlement, je propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au lundi 11 décembre 2023, à 18 heures.

Que l’application de l’article 3-3(1) du Règlement soit suspendue ce jour-là;

Que, nonobstant l’article 9-10(2) du Règlement, si un vote est différé ou sera différé à ce jour-là, il ait lieu à la fin de la période des questions.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

La Loi sur le casier judiciaire

Projet de loi modificatif—Seizième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cotter, appuyée par l’honorable sénateur Ravalia, tendant à l’adoption du seizième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, avec des amendements), présenté au Sénat le 26 septembre 2023.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je propose l’ajournement du débat pour le temps de parole qu’il me reste.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Corporation épiscopale catholique romaine d’Ottawa
La Corporation épiscopale catholique romaine du diocèse d’Alexandria-Cornwall

Projet de loi d’intérêt privé tendant à modifier la loi constitutive—Adoption du dixième rapport du Comité des banques, du commerce et de l’économie

Le Sénat passe à l’étude du dixième rapport du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie (projet de loi S-1001, Loi portant fusion de La Corporation Épiscopale Catholique Romaine d’Ottawa et de la Roman Catholic Episcopal Corporation for the Diocese of Alexandria-Cornwall, in Ontario, Canada, avec des amendements), présenté au Sénat le 5 décembre 2023.

L’honorable Pamela Wallin propose que le rapport soit adopté.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi modifié pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Clement, la troisième lecture du projet de loi modifié est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(2200)

Projet de loi sur le cadre régissant les relations entre le Canada et Taiwan

Deuxième lecture—Ajournement du débat

À l’appel des autres affaires, projets de loi d’intérêt public du Sénat, deuxième lecture, article no 33 :

Deuxième lecture du projet de loi S-277, Loi concernant un cadre visant à renforcer les relations entre le Canada et Taiwan.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Avec le consentement du Sénat, j’aimerais proposer l’ajournement du débat au nom du sénateur MacDonald.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est reporté à la prochaine séance du Sénat.)

Affaires juridiques et constitutionnelles

Motion tendant à autoriser le comité à étudier l’impact du paragraphe 268(3) du Code criminel—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Lankin, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Jaffer,

Que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, l’impact du paragraphe 268(3) du Code criminel, promulgué en 1997, y compris mais sans s’y limiter :

a)les raisons pour lesquelles il n’y a pas eu de poursuites au titre de cette disposition depuis sa promulgation il y a 25 ans;

b)la mesure dans laquelle les mutilations génitales féminines sont actuellement pratiquées au Canada et sur les jeunes filles canadiennes emmenées à l’étranger pour de telles procédures;

Que le comité formule des recommandations, le cas échéant, pour s’assurer que la disposition du Code criminel ait l’effet souhaité, soit de mettre fin à de tels crimes perpétrés contre les filles au Canada;

Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 31 décembre 2023, et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

L’honorable Frances Lankin : Je constate que cet article en est au 15e jour. Avec le consentement du Sénat, j’aimerais obtenir l’ajournement pour le reste du temps de parole dont je dispose.

Son Honneur la Présidente : L’honorable sénatrice Lankin, avec l’appui de l’honorable sénatrice Moodie, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(Sur la motion de la sénatrice Lankin, le débat est ajourné.)

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Motion tendant à autoriser le comité à étudier un cas de privilège ayant trait à l’intimidation de sénateurs—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Saint-Germain, appuyée par l’honorable sénatrice Clement,

Que le cas de privilège concernant des événements reliés à la séance du 9 novembre 2023 soit renvoyé au Comité permanent de l’éthique et des conflits d’intérêts des sénateurs pour étude et rapport;

Que, sans limiter l’étude du comité, il prenne en considération, à la lumière de ce cas de privilège :

1.des mises à jour au Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs;

2.les obligations des sénateurs dans l’exercice de leurs fonctions;

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, lorsque le comité traite de cette affaire :

1.le comité soit autorisé à se réunir en public s’il décide de le faire;

2.un sénateur qui n’est pas membre du comité ne soit pas autorisé à être présent à moins de le faire à titre de témoin et à l’invitation du comité.

L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion présentée par la sénatrice Saint-Germain à la suite de la décision de la Présidente selon laquelle la question de privilège était fondée à première vue en ce qui concerne les événements du 9 novembre 2023.

Je rappelle le passage suivant de la décision rendue mardi par la Présidente :

[...] cet examen initial vise à déterminer si, à première vue, une personne raisonnable pourrait conclure qu’il aurait pu y avoir atteinte au privilège.

Chers collègues, à première vue, autrement dit de prime abord, la Présidente a déterminé que ces événements pourraient avoir porté atteinte au privilège parlementaire. Pour l’instant, rien ne permet de conclure avec certitude qu’il y a eu atteinte au privilège. Un second processus le déterminera et la sénatrice Saint-Germain propose une méthode pour y parvenir, méthode qui est inappropriée à mon avis. J’y reviendrai. Toutefois, jamais la motion de la sénatrice Saint‑Germain ne demande au Comité de l’éthique de déterminer s’il y a eu, le cas échéant, atteinte au privilège. Cette motion présume plutôt que l’atteinte au privilège est avérée. Voici ce que la sénatrice Saint-Germain a dit :

Dans sa décision, la Présidente a clairement établi qu’il y a eu atteinte au privilège. Par conséquent, aucun article du Règlement ni élément de privilège ne doit être étudié, interprété ou modifié.

Légalement, c’est extrêmement préoccupant. C’est comme si on déclarait une personne coupable en se fondant uniquement sur l’enquête préliminaire, sans même tenir un procès afin de déterminer si la personne est coupable ou non, mais en lui imposant plutôt sa peine.

Je maintiens toujours que mon comportement dans cette affaire ne répond pas aux critères d’une atteinte au privilège parlementaire, que ce soit de prime abord ou dans les faits.

L’article 13-2(1) prévoit quatre critères. Seulement un de ces critères a été respecté, soit l’exigence qu’un avis écrit soit donné à la première occasion.

La décision de la Présidente, longue de 18 pages, ne présente presque aucun fait pour appuyer sa conclusion que mon cas répondait aux trois autres critères.

Selon le deuxième critère, l’affaire doit se rapporter directement « [...] aux privilèges du Sénat, d’un de ses comités ou d’un sénateur [...] »

Cette condition n’était pas remplie dans mon cas. Les médias sociaux ne relèvent pas de la compétence de la Présidente du Sénat. Même la Présidente Gagné a indiqué ceci dans sa décision :

[...] nous devons évidemment être très prudents quant au risque de limiter indûment la liberté d’expression, qui est un principe clé de notre société. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas l’habitude de traiter des questions relatives aux médias sociaux par la voie du privilège. Les actes malheureux commis sur les médias sociaux ne devraient pas nous hâter à modifier cette approche fondée sur des principes [...]

Normalement, la présidence ne traite pas des questions relatives aux réseaux sociaux parce qu’elle n’en a pas la capacité. Les réseaux sociaux ne sont pas considérés comme une « délibération du Parlement » et ne relèvent donc pas de la compétence de la présidence ni du Sénat en ce qui a trait aux questions de privilège. Plusieurs décisions ont été rendues à ce sujet, mais aucune n’a été citée dans la décision de la Présidente Gagné. Nous disposons également de la jurisprudence pour nous guider dans cette affaire, mais on ne l’a pas citée non plus.

Ceci figure à la page 79 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes :

La Cour fédérale a expressément établi que les communications aux électeurs ne font pas partie des délibérations du Parlement et ne constituent pas non plus des documents parlementaires et a par conséquent jugé qu’elles ne sont pas protégées par le privilège parlementaire.

Le cas de 2003 concernait le bulletin parlementaire, ou l’infolettre, d’un député, mais, en 2023, les réseaux sociaux sont l’équivalent des communications aux électeurs.

La troisième condition, c’est qu’il doit s’agir d’une « atteinte grave et sérieuse ». La sénatrice Clement elle-même a qualifié les gazouillis de « message irréfléchi » et a déclaré qu’ils « manquaient de nuances ». Il ne s’agit pas là d’une atteinte grave et sérieuse. En outre, ni la publication ni son partage n’étaient menaçants de quelque manière que ce soit, et ils n’invitaient pas à un tel comportement.

La Présidente Gagné affirme dans sa décision qu’« [il] y avait un lien de cause à effet extrêmement étroit qui relève clairement du privilège ». Mais cette affirmation n’est pas conforme à la réalité dans mon cas. Il n’y avait carrément aucun lien de cause à effet entre le fait que j’aie partagé un gazouillis et la menace envers la sénatrice Clement. Aucun élément de preuve n’indique que le partage de ce message a eu pour effet que la sénatrice Clement a été menacée. Personne n’a démontré un tel lien de cause à effet.

Le message que j’ai partagé disait aux gens comment communiquer avec deux titulaires de charge publique dont les coordonnées sont diffusées publiquement, grâce à un financement public, pour que les gens puissent communiquer avec elles. Le message suggérait de leur demander pourquoi elles avaient voté comme elles l’avaient fait au sujet d’un projet de loi particulier. En tant que parlementaires, nous avons tous des comptes à rendre à propos de nos votes, ce qui est normal. Cela dit, je n’ai encouragé personne à menacer ces sénatrices ni à les harceler. Je n’aurais jamais fait une chose pareille.

Aucun élément de preuve ne montre que mon partage, qui était l’un des 796 partages de ce message, a été de quelque manière que ce soit la cause de la menace qu’a reçue la sénatrice Clement. La même situation aurait pu se produire même si je n’avais pas partagé ce message. Quelques personnes seulement ont réagi à mon partage. Nous n’avons été informés d’aucun élément de preuve indiquant que la personne qui a menacé la sénatrice Clement aurait vu mon partage ou le message initial, ni qu’elle aurait vu ses coordonnées dans les médias sociaux.

(2210)

Dans les jours qui ont précédé, la sénatrice Clement a été citée dans les bulletins de nouvelles comme ayant proposé l’ajournement du débat. Il suffit de faire une recherche de deux secondes sur Google ou sur le site Web du Sénat pour trouver les coordonnées de la sénatrice Clement. Les biographies des sénatrices Clement et Petitclerc sur Twitter comportent toujours un lien direct vers leurs coordonnées sur le site Web du Sénat, ainsi que le nom des membres de leur personnel, même si j’ai attiré leur attention sur ce point dans mon intervention il y a deux semaines.

Le quatrième et dernier critère pour déterminer s’il y a matière à question de privilège est que la demande doit viser à obtenir une véritable réparation que le Sénat a le pouvoir d’accorder et pour laquelle aucun autre recours parlementaire n’est raisonnablement possible.

Le Sénat n’a aucun contrôle sur les médias sociaux, et la décision de la Présidente Gagné indique à la page 10 deux autres procédures possibles. De toute évidence, les gestes que j’ai posés à cet égard en partageant un gazouillis contenant les coordonnées accessibles au public de deux sénatrices sans y ajouter la moindre observation ne respectent pas les quatre critères permettant de conclure de prime abord ou non, qu’il y a matière à question de privilège.

Cela étant dit, j’aimerais aborder directement le libellé de la motion de la sénatrice Saint-Germain. Tout d’abord, comme je l’ai indiqué, le but de cette motion aurait dû être de renvoyer au comité ce que la Présidente a estimé, de prime abord, être une question de privilège, afin que celui-ci fasse une enquête plus approfondie, tire des conclusions et, le cas échéant, recommande une solution afin de remédier à cette atteinte au privilège. Cependant, sa motion ne fait aucunement mention de cela.

Tout d’abord, la motion renvoie la question au comité de l’éthique pour « étude et rapport ». Normalement, ces questions sont renvoyées au comité du Règlement, dont je suis la vice‑présidente, mais il ne s’agit pas d’une motion ordinaire. Elle fait d’abord référence à la mise à jour du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, ce qui se produit régulièrement et dont la mise en branle ne nécessite pas une motion du Sénat.

Il est ensuite question des « obligations des sénateurs dans l’exercice de leurs fonctions ». Je ne sais pas exactement ce que la sénatrice Saint-Germain recherche avec cette partie de la motion, mais c’est à la fois vague et assez vaste, ce qui me préoccupe.

Honorables sénateurs, je suis particulièrement préoccupée par les deux dernières dispositions de cette motion, qui précisent des règles de fonctionnement du comité de l’éthique pour traiter cette question cruciale. La première autorise le comité de l’éthique à « [...] se réunir en public s’il décide de le faire » et la dernière disposition de la motion dit que tout sénateur qui n’est pas membre du comité de l’éthique n’est pas autorisé à être présent à moins de le faire à titre de témoin et à l’invitation du comité.

Ces deux dernières dispositions sont très problématiques. Les réunions du Comité de l’éthique sur cette question de privilège fondamentale qui a des répercussions importantes sur la liberté d’expression de tous les sénateurs peuvent avoir lieu en public si le comité décide de le faire. De plus, un sénateur faisant l’objet d’allégations de violations ne sera pas nécessairement autorisé à se défendre devant le comité. Tout dépend du bon vouloir du comité, « s’il décide de le faire ».

Il est choquant que ce soit même proposé par la facilitatrice du Groupe des sénateurs indépendants. C’est bien loin d’être un processus ouvert et transparent. Les réunions de comité de cette nature ne devraient pas être tenues en secret. Habituellement, les cas d’atteinte alléguée au privilège sont renvoyés au Comité sénatorial du Règlement pour qu’il mène une enquête. Je siège à ce comité depuis 2013, et il se réunit pratiquement toujours en public.

Au lieu de cela, la motion de la sénatrice Saint-Germain vise à renvoyer la question au Comité de l’éthique, qui se réunit rarement en public, voire jamais. Ce manque d’ouverture et de transparence est particulièrement problématique en raison de la disposition suivante, qui interdit à tout sénateur qui n’est pas membre du Comité de l’éthique d’être présent, à moins de le faire à titre de témoin et à l’invitation du comité.

Honorables sénateurs, c’est totalement contraire aux règles les plus fondamentales de la justice naturelle. C’est comme un procès criminel où l’accusé n’est pas autorisé à assister ou même à regarder le procès qui donne lieu à sa condamnation. Puisque je ne suis pas membre du Comité sur l’éthique, et même si je dois me défendre dans cette affaire d’atteinte au privilège, je ne serais pas autorisée à assister à ces réunions du Comité sur l’éthique à moins que je n’y sois présente « à titre de témoin et à l’invitation du comité ».

Qu’est-ce que c’est que cette Chambre étoilée? C’est vraiment épouvantable. Et comment puis-je me défendre alors que ces réunions du Comité sur l’éthique pourraient très bien se tenir à huis clos, de sorte que je ne pourrais même pas regarder ou lire les transcriptions de ces délibérations? Je ne serais pas en mesure de connaître les arguments contre moi auxquels je devrais répondre, car je peux vous dire qu’il n’y a presque rien dont je puisse me servir dans les documents et les mémoires que nous avons vus jusqu’à présent. Je regrette de dire que la décision de mardi ne cite qu’un minimum de précédents, qu’elle ne cite aucun argument avancé par les sénateurs lors du débat et qu’elle présente des faits limités.

La décision de 18 pages de la Présidente Gagné ne cite pratiquement aucun précédent, à l’exception d’une petite partie sélectionnée des décisions du président Furey sur les rappels au règlement du 16 mai et du 13 juin 2019, qui mentionnent les médias sociaux, mais ne traitent pas de leur relation avec le privilège parlementaire.

En outre, la décision de la Présidente Gagné ne cite pas la décision du Président Furey concernant la question de privilège rendue le 2 mai 2019, soit la même période, et qui indiquait clairement ce qui suit :

Le privilège ne s’applique pas à toutes les activités des sénateurs. Comme l’a expliqué le Président de l’autre endroit le 11 avril, « les pouvoirs du Président se limitent aux affaires internes de la Chambre, à ses propres délibérations [...] » Je souligne également le commentaire qui se trouve à la page 74 de la 14e édition de l’ouvrage Odgers’ Australian Senate Practice qui précise que le privilège ne s’applique pas au contenu d’un document produit à l’extérieur du cadre des délibérations parlementaires. Ces limites sont conformes au point soulevé dans le rapport sur le privilège publié en 2015 par le Comité du Règlement selon lequel :

À l’ère des Twitter et autres médias sociaux, il est bon de réitérer que, dans le droit canadien, les communications faites à l’extérieur des délibérations parlementaires, par exemple les gazouillis ou les billets de blogue, ne sont pas protégées par le privilège parlementaire.

Le discours que j’ai prononcé plus tôt sur cette question du privilège citait la décision de 2009 du Président Kinsella concernant des allégations faites dans un communiqué impliquant la sénatrice Cools dont les faits ressemblaient beaucoup à ceux de l’affaire m’impliquant; le Président avait conclu que la question de privilège n’était pas fondée à première vue. Cette décision concernait des faits identiques, mais elle n’est pas citée dans la décision de la Présidente Gagné.

Le document de travail sur le privilège produit en 2016 par le Comité sénatorial du Règlement alors que j’en faisais partie, citait cinq réformes recommandées en 1999 par le comité conjoint du Royaume-Uni concernant les parlementaires accusés d’outrage ou faisant l’objet de mesures disciplinaires.

Le comité avait recommandé que ces principes constituent la norme minimale pour le processus disciplinaire lié aux droits procéduraux au Parlement du Canada. Ces principes comprennent une description précise des allégations dont le parlementaire fait l’objet, la possibilité d’obtenir de l’aide juridique, la possibilité d’être entendu en personne, le droit de faire comparaître et d’interroger des témoins, et la capacité d’assister à toutes les réunions où des témoignages sont faits et d’obtenir la transcription des témoignages.

Honorables sénateurs, d’après le libellé de la motion de la sénatrice Saint-Germain et le déroulement du processus jusqu’à maintenant, on dirait que bien peu de ces principes s’appliqueraient à mon cas. Des audiences possiblement privées auxquelles je ne pourrais pas assister pour me défendre, aucune transcription des réunions — tout cela est profondément injuste, et je crois que, au fond, vous le savez.

Honnêtement, le Sénat devrait être meilleur que cela. Il l’a déjà été.

Aujourd’hui, vous pouvez vous dire que c’est bien correct parce que je ne suis qu’une sénatrice partisane. Peut-être que vous avez un compte à régler. Toutefois, ces règles, une fois qu’elles sont mises en place, s’appliquent à nous tous. C’est peut-être moi aujourd’hui, mais demain, ce pourrait être n’importe qui d’entre vous.

La décision de la Présidente Gagné d’appliquer pour la première fois le privilège parlementaire aux médias sociaux constitue une entrave majeure à la liberté d’expression des sénateurs. Cette décision va à l’encontre des faits énoncés, de tous les précédents et des décisions de la présidence directement pertinentes dans une nouvelle décision largement sans fondement qui ne mentionne même pas les arguments exposés et les décisions de la présidence citées par les sénateurs et ne fait même pas de distinction entre ceux-ci.

Honorables sénateurs, certains d’entre vous ont hâte de jeter les règles par-dessus bord en faveur de la création d’un nouveau Sénat révolutionnaire et indépendant, mais je vous demande de prendre du recul et de vraiment procéder à un second examen objectif de la question. Les principes qui sous-tendent nos processus parlementaires, la liberté d’expression, le débat démocratique, le privilège parlementaire, les lois mêmes de la justice naturelle sur lesquelles tout notre système est fondé ne devraient pas être défaits un beau mardi après-midi. Ce n’est pas ainsi que nous, en tant que parlementaires, devrions établir des règles au Sénat pour tous les Canadiens.

La sénatrice Saint-Germain a dit que la décision sur cette question nous gouvernera dans « les prochaines décennies ». Elle pourrait bien avoir raison. Je vous demande d’étudier attentivement cette question avant de déterminer dans quel camp vous vous rangerez. Merci.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Wells, avez-vous une question?

L’honorable David M. Wells : Je voudrais que le débat soit ajourné à mon nom.

Son Honneur la Présidente : L’honorable sénateur Wells, avec l’appui de l’honorable sénatrice Batters, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente sur la durée de la sonnerie?

(2220)

Une voix : Maintenant.

Son Honneur la Présidente : Y a-t-il consentement pour tenir le vote immédiatement?

Des voix : Cinq minutes.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs disent cinq minutes. Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Le vote aura lieu à 22 h 25.

Convoquez les sénateurs.

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le vote porte sur la motion suivante : L’honorable sénateur Wells propose, appuyé par l’honorable sénatrice Batters, que la suite du débat sur la motion soit ajournée à la prochaine séance.

La motion, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Batters Richards
Deacon (Ontario) Wells—4

CONTRE
Les honorables sénateurs

Arnot Hartling
Aucoin Kingston
Bellemare LaBoucane-Benson
Bernard Loffreda
Boehm MacAdam
Boniface McNair
Clement Mégie
Cordy Moncion
Cormier Osler
Coyle Pate
Cuzner Patterson (Ontario)
Dalphond Petitclerc
Dasko Petten
Dean Prosper
Forest Saint-Germain
Gerba Woo
Gignac Yussuff—35
Gold

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Martin
Busson Moodie
Cardozo Oh
Carignan Omidvar
Cotter Plett
Downe Ravalia
Duncan Ross
Klyne Seidman—17
Lankin

(2230)

Autorisation au comité d’étudier un cas de privilège ayant trait à l’intimidation de sénateurs

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Saint-Germain, appuyée par l’honorable sénatrice Clement,

Que le cas de privilège concernant des événements reliés à la séance du 9 novembre 2023 soit renvoyé au Comité permanent de l’éthique et des conflits d’intérêts des sénateurs pour étude et rapport;

Que, sans limiter l’étude du comité, il prenne en considération, à la lumière de ce cas de privilège :

1.des mises à jour au Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs;

2.les obligations des sénateurs dans l’exercice de leurs fonctions;

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, lorsque le comité traite de cette affaire :

1.le comité soit autorisé à se réunir en public s’il décide de le faire;

2.un sénateur qui n’est pas membre du comité ne soit pas autorisé à être présent à moins de le faire à titre de témoin et à l’invitation du comité.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence.)

La violence entre partenaires intimes

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Boniface, attirant l’attention du Sénat sur la violence entre partenaires intimes, en particulier en milieu rural dans tout le Canada, en réponse à l’enquête du coroner menée dans le comté de Renfrew, en Ontario.

L’honorable Wanda Thomas Bernard : Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénatrice Clement, et je demande le consentement du Sénat pour que, après les interventions d’aujourd’hui, il reste ajourné à son nom.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Bernard : Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir dans le cadre de l’interpellation no 10, sur la violence entre partenaires intimes dans les régions rurales du Canada, un sujet bien lourd pour terminer la soirée. Je tiens d’abord à reconnaître que nous nous trouvons actuellement sur le territoire ancestral, traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinaabeg. Je vous remercie, sénatrice Boniface, d’avoir présenté au Sénat une interpellation aussi importante en réponse à l’enquête du coroner à Renfrew, en Ontario.

Chers collègues, mon intervention aujourd’hui tombe à point, en ces 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le sexe. Il y a récemment eu en Nouvelle-Écosse plusieurs morts tragiques dues à la violence faite aux femmes. En une semaine, il y a tout juste deux mois, deux femmes ont été tuées par des hommes qu’elles connaissaient : Hollie Marie Boland, 30 ans, à Cole Harbour, et une femme de 88 ans du comté de Pictou dont le nom n’a pas été rendu public. Étant donné ces récentes tragédies évitables et beaucoup trop d’autres semblables, j’ai décidé de prendre la parole dans le cadre de la présente interpellation pour vous faire part du fruit de mes recherches et vous fournir de l’information sur les difficultés propres aux régions rurales de la Nouvelle-Écosse, en particulier les communautés afro-néo-écossaises rurales, où les femmes noires se heurtent à l’intersection très réelle du racisme et du sexisme.

Les recherches que j’ai menées avec mes collègues ont permis d’établir des liens clairs entre la violence dans les fréquentations amoureuses et la violence subséquente entre partenaires intimes. Souvent, tout commence par des agressions verbales, des menaces et de l’intimidation avant de dégénérer en d’autres formes de violence.

Au cours de ma carrière en tant que travailleuse sociale, j’ai souvent eu à gérer des cas de violence entre partenaires intimes et de violence familiale. Avec l’Association of Black Social Workers, nous avons élaboré un certain nombre de projets communautaires pour briser le silence au sujet de la violence entre partenaires intimes dans les communautés noires. Nous avons découvert que bon nombre de femmes noires hésitent à parler ouvertement de violence envers un partenaire intime. Par conséquent, leurs proches et elles vivent dans la honte et la peur, la peur des préjugés.

Pour les Afro-Canadiens, le silence entourant la violence est aggravé par le racisme anti-Noirs. En raison de leur méfiance légitime à l’égard de la police, de nombreux Canadiens d’origine africaine hésitent à y faire appel en cas de violence entre partenaires intimes . Ils craignent les conséquences des interventions policières parce qu’ils croient qu’elles peuvent faire encore plus de mal à leur famille.

Notre équipe a organisé des groupes de discussion avec des Néo‑Écossaises pour la plupart d’origine africaine, mais aussi de nombreuses tribunes, y compris un colloque portant expressément sur les personnes âgées, afin de lutter contre la culture du silence qui entoure la violence familiale et la violence entre partenaires intimes dans les communautés noires. Nous avons étudié le rôle que joue le racisme dans ces situations. À cette époque, dans bien des milieux féministes qui travaillaient à protéger les femmes, on ne tenait pas compte de facteurs comme la race et le racisme, même s’ils sont au cœur de la réalité des Noires.

La violence a des répercussions multigénérationnelles sur les familles noires. Bon nombre de nos maisons, y compris la mienne, sont multigénérationnelles. Nos familles ne suivent pas le modèle nucléaire, ce qui s’accompagne d’un fort sentiment de soutien et d’amour de la part de la communauté, pour la plupart. Malheureusement, cela signifie également que les problèmes de violence familiale ont des répercussions sur toute la famille élargie.

Nous sommes nombreux à être conscients des répercussions de la violence entre partenaires intimes sur les enfants, mais les aînés ne sont pas souvent inclus dans nos analyses. De nombreux aînés qui sont victimes de mauvais traitements de la part de membres de leur famille ou qui ont grandi avec de la violence dans leur milieu familial souffrent en silence.

L’histoire de cette femme de 88 ans de la Nouvelle-Écosse qui a été tuée en octobre m’a rappelé un cas dont je me suis occupée alors que j’étais travailleuse sociale et qui est resté gravé dans ma mémoire de nombreuses années plus tard. J’ai déjà aidé une femme de 80 ans à quitter une région rurale de la Nouvelle-Écosse pour qu’elle puisse échapper à la violence dans son mariage. Elle a fini par déménager à l’autre du pays pour vivre avec un de ses enfants adultes. Sa décision de partir a nécessité énormément de courage, et je demeure inspirée par sa capacité de s’exprimer, par sa capacité d’obtenir de l’aide à son âge, malgré les nombreux obstacles auxquels elle était confrontée, y compris l’isolement et la honte. Chers collègues, ce n’était pas à elle de porter cette honte.

La sénatrice Boniface a attiré l’attention sur le fait que les collectivités des régions rurales sont tissées serrées. La nature complexe de la vie dans une petite collectivité rurale fait partie des nombreux obstacles que doivent surmonter les femmes néo‑écossaises d’origine africaine qui tentent d’obtenir de l’aide. Il est difficile d’avoir une vie privée et le processus de dénonciation de la violence fait en sorte que la vie familiale est étalée au grand jour. Outre le fait que les services sont rares et éparpillés, les femmes veulent protéger les membres de leur famille et craignent les conséquences qu’implique la dénonciation de la violence familiale. Parler ouvertement de violence entre partenaires intimes, de race et de racisme favorise la guérison, l’apprentissage et le changement au sein de nos collectivités. Briser le silence pourrait permettre à une personne de se sentir moins isolée et prévenir d’autres gestes de violence.

Le rapport final de la Commission des pertes massives contient des recommandations visant à réduire l’incidence de la violence fondée sur le sexe en Nouvelle-Écosse. À la recommandation V.13 de son rapport, la commission demande un financement à la hauteur du niveau épidémique pour la violence fondée sur le sexe. Elle recommande que :

(2240)

Le financement fédéral, provincial et territorial visant à mettre fin à la violence fondée sur le sexe soit proportionnel à l’ampleur du problème et qu’il accorde la priorité à la prévention et à des parcours visant à assurer la sécurité des survivantes.

La précision suivante accompagne la recommandation :

Une autre priorité devrait prendre la forme d’un financement des ressources et des services communautaires, en particulier dans les collectivités où se trouvent les femmes marginalisées.

Il est très important de souligner cette recommandation parce qu’en raison du racisme contre les Noirs, les Néo-Écossaises d’origine africaine, surtout celles qui habitent dans les régions rurales, ont besoin d’un accès plus adéquat à des services adaptés à la culture.

Comme l’indique le rapport, malgré le fait que la violence fondée sur le sexe ou la violence entre partenaires intimes se produisent « derrière des portes closes » ou qu’elles sont considérées comme de la « violence privée », il s’agit véritablement d’une préoccupation publique. Plus l’idée que la violence entre partenaires intimes est un problème privé persistera, plus des tragédies comme le massacre survenu en Nouvelle-Écosse et le décès de femmes comme Hollie Marie Boland surviendront encore et encore. La violence entre partenaires intimes est non seulement un problème d’ordre public, c’est aussi un enjeu de santé publique.

Je prends un moment pour revenir sur une tragédie qui s’est produite en Nouvelle-Écosse, soit le meurtre-suicide de la famille Desmond. En 2017, nous avons perdu deux femmes et une fillette néo-écossaises d’origine africaine : Shanna, Brenda et la jeune Aaliyah, 10 ans. Cette violence familiale s’est produite parce que M. Desmond a été abandonné par le système rural de soins de santé de la Nouvelle-Écosse. M. Desmond, un ancien combattant qui avait demandé de l’aide pour un grave syndrome de stress post-traumatique, a reçu son congé prématurément pendant la soirée qui a précédé le meurtre-suicide. Cet exemple montre clairement que la violence et la santé publique sont interreliées.

Honorables sénateurs, combien faudra-t-il voir de féminicides qui auraient pu être évités avant qu’on fasse quelque chose pour contrer la violence entre partenaires intimes et la violence familiale? Après avoir œuvré pendant 45 ans en travail social, j’espérais pouvoir constater une certaine atténuation de la violence dans les communautés noires en régions rurales. J’ai toujours considéré la prévention comme une partie essentielle de la lutte contre la violence fondée sur le sexe. Elle peut prendre la forme de programmes de sensibilisation offerts à l’école et dans des groupes de la communauté et porter sur des sujets comme le genre, la santé mentale et les relations intimes et familiales saines.

Pourtant, 45 ans plus tard, je garde un espoir primordial. J’ai en effet l’espoir qu’en apprenant à chaque génération à lutter contre la violence, nous nous rapprocherons d’une société plus saine et pacifique. C’est un travail lent et pénible, et, jour après jour, année après année, nous continuons à perdre des femmes à cause de la violence. Cependant, je m’engage à briser le cycle. Nos collectivités sont résilientes et nous devons les protéger en sensibilisant davantage la population aux facteurs de risque qui touchent les femmes marginalisées et en réclamant un meilleur accès à des services culturellement adaptés dans les collectivités rurales afin de mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Asante. Je vous remercie.

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, avant de commencer mon intervention sur l’interpellation, j’aimerais vous exprimer notre appréciation et notre gratitude, Votre Honneur, pour avoir donné ce soir, pendant la pause, l’occasion à tous les membres du personnel du Sénat de se nourrir le corps et l’esprit. Nous vous en remercions grandement.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Pate : Honorables sénateurs, je prends également la parole au sujet de l’interpellation de la sénatrice Boniface sur l’épidémie de violence entre partenaires intimes, plus particulièrement au sujet de la violence à l’égard des femmes. Je tiens à remercier la sénatrice Boniface d’avoir fait cette interpellation, ainsi que nos collègues, les sénatrices Hartling, Seidman, Boyer, Coyle et, ce soir, la sénatrice Bernard, d’avoir pris la parole sur cette interpellation.

Je voudrais également que l’on se pose tous cette question : combien de cas de violence faudra-t-il encore pour que l’on prenne au sérieux les inégalités dont souffrent les femmes et qui sont à la base de ces questions? Cette interpellation découle des meurtres de trois femmes commis en 24 heures par un homme qui avait des antécédents de violence connus envers elles et envers d’autres femmes. Depuis, nous avons également été témoins de nombreux autres incidents, ainsi que de l’horrible violence misogyne qui a mené à la création de la Commission des pertes massives en Nouvelle-Écosse.

Comment peut-on, au juste, expliquer les recoupements entre la misogynie et le racisme qui ressortent de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et les torts intergénérationnels qui en résultent? L’Organisation mondiale de la Santé considère la violence entre partenaires intimes comme un grave problème de santé publique qui a de profondes répercussions sur les personnes qui en sont victimes, leur famille et leur collectivité toute entière. Ce préjudice continue de se propager de la personne à sa famille et à son milieu, comme la sénatrice Bernard l’a si bien reconnu dans de nombreuses collectivités avec lesquelles elle a été en contact direct.

En l’absence d’approches gouvernementales, communautaires, systémiques et individuelles globales qui donnent la priorité aux intérêts des femmes racisées, autochtones et handicapées en matière d’égalité, la violence entre partenaires intimes se poursuivra sans entrave et sans relâche, tant sur le plan individuel que sur le plan général.

L’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation a noté qu’en 2021 seulement, 173 femmes et filles ont été assassinées au Canada. Environ 5 % d’entre elles ont été assassinées par un inconnu, tandis qu’environ 35 % l’ont été par un ancien partenaire intime ou par celui qu’elles fréquentaient. Dans les cas où l’identité de la victime était connue, environ 51 % étaient des femmes racisées ou autochtones.

Les messages sociaux et culturels qui privilégient les idées et les attitudes patriarcales hyperresponsabilisent également les femmes — dès l’enfance — pour qu’elles se considèrent comme responsables de la prévention de leur propre victimisation. Cette situation, combinée à des comportements qui contrôlent, isolent ou intimident au moyen de l’abus émotionnel, physique, social ou financier découlant des inégalités et des politiques pénales et juridiques misogynes, a trop souvent pour conséquence que des accusations sont portées contre des femmes qui se défendent et défendent leurs enfants ou qui réagissent à la violence d’abord perpétrée contre elles. La combinaison de ces facteurs contribue à la fois à une victimisation flagrante et à la vaste sous-déclaration de la violence à l’égard des femmes.

Un thème récurrent dans les réflexions ex post facto sur la violence à l’égard des femmes, qu’il s’agisse d’enquêtes, de recherches, de rapports ou d’études, c’est le caractère totalement inadéquat des initiatives conçues pour lutter contre la violence entre partenaires intimes. Il s’agit notamment de programmes, de politiques, de services et de lois.

Les services d’aide aux victimes d’agression sexuelle de la Saskatchewan ont publié en janvier de cette année un rapport soulignant les thèmes récurrents que sont le manque de financement et l’absence de soutien et de services adaptés à la culture, en particulier pour les femmes vivant dans des communautés rurales ou éloignées. Cela n’a rien de nouveau. L’Association des femmes autochtones du Canada a publié un rapport en 2018 soulignant les mêmes thèmes. Les femmes autochtones sont également plus susceptibles de faire l’objet de contre-accusations et d’arrestations lorsque la police est appelée en réponse à des actes de violence à leur endroit.

Trop souvent, plutôt que de s’attaquer aux inégalités systémiques où la misogynie et la violence patriarcale prennent leur source, les seules réponses proposées sont la judiciarisation et l’incarcération. Dans un contexte où la violence à l’égard des femmes n’est pas prise au sérieux, cette réponse ne fait que renforcer les préjugés systémiques et discriminatoires qui dominent dans notre système de justice pénale.

Par conséquent, les hommes les plus privilégiés risquent fort de continuer d’agir dans la plus ignoble impunité puisqu’ils sont les moins susceptibles d’être arrêtés et emprisonnés, tandis que ceux qui sont racisés, pauvres ou marginalisés risquent davantage d’être diabolisés, sans parler de la judiciarisation et de l’incarcération. Si nous choisissions plutôt de nous attaquer aux systèmes qui légitiment et normalisent la violence entre partenaires intimes, nous pourrions peut-être commencer à en régler les causes profondes. C’est certainement pourquoi la plupart des réformes du droit féministes se concentrent sur des approches visant l’égalité réelle qui sont plus susceptibles de permettre une prévention primaire.

(2250)

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, l’enquête Renfrew et le rapport final de la Commission des pertes massives insistent tous sur la nécessité de mettre en place des ressources sociales et adaptées à la culture pour permettre aux personnes d’échapper à des relations violentes. Le sous-financement chronique et le manque d’accès aux services, en particulier dans les régions rurales ou éloignées, poussent souvent les femmes à retourner dans des situations dangereuses et trop souvent mortelles.

Alain Bartleman, de l’Association du Barreau autochtone, a témoigné devant le Comité des affaires juridiques au sujet du projet de loi S-205. Il a alors parlé de l’inefficacité des outils comme la surveillance électronique pour contrer la violence entre partenaires intimes ou y répondre. Il a dit ce qui suit :

Je dirais que rompre le cycle du traumatisme en rendant accessibles davantage de ressources, notamment en santé mentale, est sans doute la façon la plus efficace de prévenir la violence familiale [...]

D’autres témoins et lui ont souligné le rôle des ressources économiques pour faciliter l’accès à une sécurité physique, en insistant sur le besoin de mesures de soutien du revenu, ce qui réduirait le fardeau financier des femmes et leur permettrait de prendre des décisions sur la meilleure façon de prendre soin de leur famille et d’elles-mêmes, en plus de voir plus loin que la sécurité à court terme.

Parmi la longue liste de services qui demeurent en grande partie inaccessibles à ceux qui fuient la violence figure l’accès à un logement sûr. La pandémie a exacerbé cette situation, de nombreuses personnes étant coincées dans un foyer où elles sont victimes de mauvais traitements en raison du manque de logement abordable. Par exemple, ici à Ottawa, un refuge pour femmes, la Maison Interval, a dû refuser 941 femmes rien qu’en 2022. Ce qui est horrible, c’est qu’au lieu d’offrir la possibilité de quitter leur foyer, trop de plans de sécurité consistaient à aider les femmes à modifier leur propre comportement pour éviter de provoquer des impulsions violentes qui risquent de leur faire subir des mauvais traitements ou de mener à leur mort.

Chers collègues, comme vous vous souvenez peut-être, le Sénat a fait pression auprès du gouvernement pour qu’il prenne des mesures urgentes et complètes afin de lutter contre la violence à l’endroit des femmes ou d’un partenaire intime et de la prévenir. De telles approches concentrent dans des stratégies les inégalités économiques, sociales, raciales et de genre qui abandonnent les femmes à la violence, à la pauvreté et au racisme afin de décortiquer le tissu de misogynie, de racisme et de préjugés fondés sur la classe sociale qui alimente la violence contre les femmes, et que le système de justice pénale perpétue et intensifie.

Le moment n’est-il pas venu de nous attaquer aux inégalités et à la marginalisation qui engendrent et alimentent ces problèmes, plutôt que de continuer à maintenir le statu quo? Nous connaissons les causes profondes de ces problèmes. Il est temps d’amorcer des changements systémiques qui favoriseront l’accès à la justice ainsi qu’à des programmes et à des services culturellement adaptés dont le financement n’est pas constamment incertain. Il est temps de reconnaître la nécessité urgente de remédier enfin à cette épidémie mondiale. Des universitaires, des spécialistes des politiques, des intervenants de première ligne et des survivants de la violence, des experts et des militants communautaires nous demandent de faire notre part en mettant en œuvre des stratégies efficaces qui font en sorte que personne n’est laissé pour compte. Malgré les nombreux appels à l’action lancés dans le cadre d’enquêtes nationales, d’études, de commissions et de rapports d’enquête, les interventions actuelles ne font rien pour protéger les groupes les plus vulnérables, ne constituent qu’un semblant de prévention ou de protection, et ne s’attaquent jamais efficacement aux problèmes systémiques sous‑jacents.

La violence fondée sur le genre est une véritable épidémie. Il n’est pas nécessaire de faire d’autres recherches et d’autres analyses. Ce qu’il faut, ce sont des ressources et des mesures concrètes. Les déclarations faites par les municipalités et les comtés sont une bonne chose, mais c’est maintenant qu’il faut passer à l’action. Il est facile de parler. Joignons nos efforts et agissons avant que ce fléau fasse plus de victimes et ne cause davantage de décès. Meegwetch, merci.

(Le débat est ajourné.)

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je propose l’ajournement du Sénat.

(À 22 h 55, le Sénat s’ajourne jusqu’au lundi 11 décembre 2023, à 18 heures.)

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