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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 246

Le jeudi 5 décembre 2024
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le jeudi 5 décembre 2024

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, c’est par un après-midi froid de décembre, un mercredi, qu’un jeune homme est entré à l’École Polytechnique de Montréal armé d’une carabine de calibre .223. La date exacte était le 6 décembre 1989. Il est entré dans une classe remplie d’étudiants en génie et il a aussitôt ordonné aux six femmes présentes de se rendre dans le fond de la salle et aux hommes de sortir.

Ce jour-là, 14 femmes ont perdu la vie. La lettre de suicide du tireur disait que les femmes n’avaient pas leur place en génie parce qu’elles volaient les emplois des hommes, que les féministes avaient ruiné sa vie et qu’il entendait mettre fin à la vie de toutes les femmes du département de génie.

Demain, nous soulignerons la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, et je souhaite rendre hommage aux 14 femmes de courage qui ont perdu la vie il y a maintenant 35 ans. Leur seul pêché aura été d’oser penser qu’elles pouvaient devenir des ingénieures.

Polytechnique Montréal a trouvé une façon de commémorer la mémoire de ces 14 femmes et d’encourager les filles à s’intéresser aux domaines comme le génie. Elle a créé l’Ordre de la rose blanche, qui offre une bourse à une étudiante en génie qui souhaite faire des études supérieures dans l’établissement de son choix. La lauréate de cette année s’appelle Makenna Kuzyk, elle a 23 ans et elle est la première femme à être admise à l’école de pilotage internationale de London, en Ontario. Elle souhaite inciter les femmes à s’intéresser aux étoiles et à étudier le génie aérospatial.

Honorables sénateurs, étonnamment, la violence contre les femmes demeure, aujourd’hui encore, bien trop courante. Selon l’Organisation mondiale de la santé, une femme sur trois subira une forme de violence dans sa vie, la plupart du temps de la part de son partenaire. Il ne faut pas réfléchir bien longtemps pour se rappeler toutes les attaques et les actes de violence perpétrés récemment contre des jeunes femmes dans le monde. Vous vous souvenez sans doute peut-être même d’une personne que vous connaissez.

Le 6 décembre est une occasion pour les Canadiens de réfléchir au phénomène de la violence contre les femmes dans notre société et de rendre hommage aux femmes, comme les 14 étudiantes mortes un mercredi après-midi, à Montréal, il y a 35 ans.

Voici leurs noms : Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Barbara Klucznik-Widajewicz, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie St-Arneault et Annie Turcotte.

Merci.

Des voix : Bravo!

Son Éminence le cardinal Francis Leo, archevêque de Toronto

L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, je prends la parole pour rendre hommage à un Canadien extraordinaire, un loyal serviteur de l’Église catholique et une personne bienveillante, généreuse et pleine de compassion, l’archevêque Francis Leo.

Le 6 octobre, le pape François a annoncé que Son Excellence Mgr Frank Leo sera élevé au Collège des cardinaux. Dans deux jours, je me joindrai aux quelques personnes invitées à la cérémonie de création de nouveaux cardinaux que célébrera le pape François au Vatican.

Il s’agit d’une réalisation exceptionnelle et d’une promotion amplement méritée pour Mgr Frank Leo. Je suis extrêmement fier de lui et profondément touché de pouvoir assister à la cérémonie. Je dois d’ailleurs remercier notre collègue le sénateur Toni Varone de tout ce qu’il a fait. Je vous remercie, Toni. Grazie.

Né à Montréal en 1977 de parents immigrants italiens, l’archevêque Leo a été ordonné prêtre en 1996. Il a été au service des fidèles montréalais pendant 27 ans et il a été fait évêque en 2022. Deux ans plus tard, il est appelé à devenir cardinal. À seulement 53 ans, l’archevêque Leo sera l’un des plus jeunes membres du Collège des cardinaux.

Tout cela n’est évidemment pas une surprise pour moi. Voyez-vous, Mgr Leo est un ami de la famille. Pour nous, il a toujours été le « père Frank ». C’est d’ailleurs lui qui a célébré la première communion et la confirmation de mes enfants.

Quand j’étais enfant, je me plaignais souvent de devoir aller à l’église avec mes parents. Cependant, si je refusais d’aller à la messe, j’étais privé de dîner le dimanche. C’était une épreuve. Toutefois, comme adulte, je n’ai jamais eu de mal à aller à la messe pour voir le père Frank et écouter ses sermons. Grâce à lui, écouter l’évangile avait un sens et était pertinent. Son message était toujours sincère, réaliste et percutant.

Même lorsque notre famille a déménagé dans un autre quartier, nous avons continué à parcourir des kilomètres supplémentaires chaque dimanche uniquement pour aller l’écouter.

Sa facilité d’approche est l’une de ses qualités les plus attachantes. Il traite ses paroissiens comme ses égaux. Il nous offre un espace sûr, un environnement sans jugement, où nous pouvons exprimer nos opinions et solliciter ses conseils et son soutien dans les moments difficiles. Malgré le prestige qui entoure son élévation au rang de cardinal, je sais qu’il restera humble, charitable et compatissant.

Honorables sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour féliciter l’archevêque Francis Leo pour son élévation prochaine au rang de cardinal de l’Église catholique et pour lui souhaiter beaucoup de succès dans ses nouvelles fonctions, alors qu’il assistera le pape dans son ministère.

Merci. Grazie.

Des voix : Bravo!

La crise des opioïdes

L’honorable Tracy Muggli : Honorables sénateurs, je prends la parole pour la première fois au Sénat...

Des voix : Bravo!

La sénatrice Muggli : ... qui est situé sur les terres jamais cédées des Algonquins anishinabes. Je veux aborder une question cruciale : la crise des opioïdes au Canada. Je tiens aussi à saluer les Premières Nations et les Métis du territoire du Traité no 6, des terres qui permettent depuis longtemps à ma famille de subvenir à ses besoins.

La crise des opioïdes continue de faire des ravages dans les familles et dans l’ensemble du territoire canadien. Elle fauche des vies à un rythme alarmant. La semaine dernière, à l’occasion de la Semaine nationale de sensibilisation aux dépendances, nous nous sommes rappelé l’urgence et la complexité de ce problème. Toutefois, une semaine de sensibilisation, cela ne suffit pas. Nous avons tous le devoir d’affronter cette crise de façon dynamique et soutenue.

Le Canadian Research Initiative in Substance Matters, un réseau national de recherche créé en 2015 et financé par les Instituts de recherche en santé du Canada, a mis à jour ses lignes directrices nationales sur la gestion clinique des troubles liés à la consommation d’opioïdes. Ces lignes directrices, qui ont été publiées dans le Canadian Medical Association Journal le 12 novembre 2024, tiennent compte de six années d’avancées scientifiques et pratiques.

Selon la nouvelle version des lignes directrices, la méthadone et la buprénorphine sont des traitements de première ligne tout aussi efficaces. De plus, le traitement de deuxième ligne recommandé est l’administration de morphine à libération lente par voie orale. Fait important, ces lignes directrices déconseillent de recourir uniquement à la prise en charge des symptômes de sevrage et au soutien psychosocial afin d’avoir accès aux traitements de première ligne, car tout indique que les médicaments seuls sont tout aussi efficaces pour ce problème précis de toxicomanie. Elles soulignent aussi la nécessité des services de réduction des méfaits dans le continuum des soins.

(1410)

Le travail de l’Initiative canadienne de recherche sur les impacts des substances psychoactives illustre parfaitement ce que les recherches fondées sur des données probantes peuvent accomplir. Sa mission, qui consiste à lutter contre la consommation de substances grâce au leadership, à la recherche et à des mesures concrètes, permet de sauver des vies et de soutenir le rétablissement. L’Initiative contribue à améliorer le rôle essentiel des fournisseurs de soins de santé dévoués en médecine des toxicomanies, comme les médecins, le personnel infirmier, les travailleurs sociaux, le personnel des groupes de soutien et d’autres intervenants de première ligne de cette crise.

En 2023-2024, un peu plus de 5 500 Saskatchewanais ont reçu un tel traitement par agonistes opioïdes, qui leur a sauvé la vie et augmenté leurs chances de se rétablir. Je félicite l’Initiative canadienne de recherche sur les impacts des substances psychoactives pour ses réalisations et le soutien supplémentaire qu’elle apporte aux personnes aux prises avec des problèmes de consommation de substances.

Alors que nous allons de l’avant, j’exhorte le Sénat à soutenir des solutions fondées sur la science et à reconnaître les divers facteurs de risque qui interagissent dans les problèmes de consommation de substances, y compris la pauvreté et le racisme systémique. Ensemble, nous parviendrons à favoriser des changements significatifs.

Merci. Meegwetch.

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de l’honorable Jeremy Harper, Président de l’Assemblée législative du Yukon. Il est l’invité de l’honorable sénatrice Duncan.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le décès de Wesley Penner

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je souhaite aujourd’hui rendre hommage au regretté Wesley Penner, qui habitait la ville d’où je viens moi-même, Landmark.

Wes était mon cousin et il avait 11 ans de plus que moi. Il a été mon patron pendant un temps. Il a aussi été mon enseignant et mon entraîneur. C’était mon héros à l’époque où il jouait dans une équipe de football semi-professionnelle. Il a aussi été mon plus gros enquiquineur à l’époque où je présidais le conseil du village et qu’il était promoteur immobilier. Il a aussi été mon adversaire politique, car c’était un libéral convaincu.

Pourtant, c’est lui qui m’a le plus encouragé à donner mon nom pour devenir candidat conservateur aux élections provinciales. Il s’est même engagé à ne pas s’opposer à moi, car il était conscient que notre région se porterait mieux avec un député du coin. Par‑dessus tout, Wes était mon ami.

La famille de Wes Penner a connu des débuts modestes sur une ferme de Landmark, mais cela ne l’a jamais arrêté. Il a obtenu ses diplômes à l’Université du Manitoba. Il a passé une dizaine d’années à enseigner à l’école secondaire Landmark Collegiate et à en entraîner les équipes sportives. Il faisait aussi des toitures l’été. Plus tard, avec deux de ses neveux, quelques scies à chaîne et sa jeune famille vivant dans une tente, il a accepté un contrat de défrichage pour un vaste barrage hydroélectrique dans le Nord du Manitoba.

Il ne rechignait jamais à l’ouvrage, et c’est ce qui a fait de lui un homme d’affaires accompli. Ses nombreux succès en ont fait un philanthrope d’influence.

Il s’est lancé en politique et s’est présenté quatre fois pour devenir député. C’est peut-être la seule voie où il a échoué, mais je pense que c’est parce qu’il s’est présenté en tant que candidat libéral.

Il a également publié un livre sur la viabilité des réformes des soins de santé au Canada. Cependant, chers collègues, ce qui est le plus louable, c’est le fait qu’il ait utilisé ses ressources pour aider les autres. Son épouse Ruth et lui ont parrainé 100 réfugiés de divers pays et leur ont fourni un emploi au sein de ses nombreuses entreprises.

Il a fourni les ressources financières nécessaires à la création de l’Université Central et à la construction de ses installations ultramodernes dans la collectivité éloignée de Mile 91, dans le Nord de la Sierra Leone.

À la suite du décès de Wes, le professeur Bob Karankay Conteh, vice-chancelier et directeur, a déclaré :

La détermination de M. Penner à rendre les autres autonomes au moyen de l’éducation a été la pierre angulaire de notre établissement. Sa foi dans le pouvoir transformateur de l’éducation a fait d’un rêve commun une réalité, jetant des bases qui profiteront à la société pour les années à venir.

Wes croyait en la nécessité d’aider ceux qui sont moins privilégiés que lui. Pas plus tard que la semaine dernière, la propre petite-fille de Wes a repris, à la cérémonie de célébration de sa vie, les paroles suivantes de l’apôtre Matthieu : « Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites. »

Wesley Penner a touché la vie de tant de personnes, et c’est pourquoi je suis honoré de lui rendre hommage aujourd’hui.

Merci, chers collègues.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du chef Leroy Denny et de membres de la Première Nation d’Eskasoni, en Nouvelle-Écosse. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice White.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le soutien aux langues autochtones

L’honorable Paul (PJ) Prosper : Honorables sénateurs, à cette époque de l’année, je suis toujours frappé par la façon dont les Fêtes de fin d’année éveillent notre sens de la fraternité.

Dans les communautés des Premières Nations, les liens qui unissent les gens sont culturels et linguistiques. Quel que soit le lieu, je ressens une affinité immédiate avec ceux qui comprennent la chaleur et le réconfort que procurent le lusknikn ou le gastio’mi, ou avec ceux qui s’identifient comme L’nu.

Les liens linguistiques sont si importants que certains se donnent beaucoup de mal pour maîtriser une langue. C’est le cas de Rose Meuse et de shalan joudry, de la Première Nation de Bear River, en Nouvelle-Écosse.

Lors d’une conférence linguistique à Eskasoni, elles ont parlé d’un programme d’immersion pour adultes qu’elles ont mis sur pied en collaboration avec Mi’kmaw Kina’matnewey, l’administration scolaire mi’kmaq. J’ai été impressionné par leur dévouement et leur résilience, qui leur ont permis de passer de novice à expert en quelques années à peine. Beaucoup savent que plus on vieillit, plus il est difficile d’apprendre une nouvelle langue. L’expérience de Rose et de shalan m’inspire et me donne envie d’en faire davantage pour revitaliser la langue mi’kmaq.

Chers collègues, j’avais l’habitude de croire que les langues autochtones, en tant que droits inhérents protégés par l’article 35 de la Constitution, ne devraient pas être placées dans le même panier que le français. Cependant, je pense qu’il existe un parallèle que nous aurions avantage à explorer et mieux comprendre. La loi sur les langues officielles veille à ce que la langue française soit correctement financée dans tout le pays. Cependant, il n’en va pas de même pour les langues autochtones.

Je ne crois pas que les questions autochtones devraient être cantonnées exclusivement au Comité des peuples autochtones, bien que ce comité fasse un travail exceptionnel sous l’excellente présidence du sénateur Francis. Selon moi, les questions autochtones touchent tous les aspects de la vie des Canadiens et, par conséquent, elles devraient faire partie des priorités de tous les comités.

J’espère que nous pourrons examiner ces questions et les défendre ensemble. Wela’lioq. Merci beaucoup.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’École Polytechnique de Montréal

Le trente-cinquième anniversaire de la tragédie

L’honorable Manuelle Oudar : Honorables sénatrices et sénateurs, demain, le 6 décembre, ce sera le triste anniversaire de la tragédie survenue en 1989 à l’École Polytechnique de Montréal. Trente-cinq ans se sont écoulés depuis cet événement, mais la douleur et la souffrance qu’il a suscitées restent gravées dans notre mémoire collective.

Quatorze jeunes étudiantes ont péri sous les balles parce qu’elles étaient des femmes. Elles étaient aussi des sœurs, des filles, des amies. Elles avaient des rêves, des aspirations et un avenir prometteur.

Le 6 décembre est une journée pour honorer leur mémoire, mais aussi pour reconnaître le courage des survivantes, des familles endeuillées et de toutes les personnes, hommes et femmes, qui se battent chaque jour pour un monde où triomphent l’égalité et le respect.

Depuis 1989, cette tragédie a inspiré des gestes concrets. Des lois ont été adoptées, des actions ont vu le jour et la mobilisation de la société civile reste forte. Cependant, il reste beaucoup à faire. Nous devons continuer d’éduquer, de sensibiliser et d’appuyer les initiatives qui soutiennent l’égalité et la sécurité pour toutes et tous.

(1420)

En mémoire des victimes, 14 faisceaux lumineux brilleront dans le ciel de Montréal demain soir. J’y serai. Un 15e faisceau sera illuminé, pour une toute première fois, en mémoire de toutes les femmes victimes de féminicide depuis tant d’années. Le thème de la campagne cette année est « S’unir pour agir ».

Dès mes premiers mois au Sénat, j’ai constaté avec émotion qu’en agissant pour bâtir un avenir meilleur, vous avez compris qu’il est essentiel de reconnaître que la lutte contre les violences faites aux femmes n’est pas uniquement une affaire de femmes. Je vous en remercie. C’est un combat qui nous concerne tous, un combat où chaque voix compte, peu importe le genre. Je vous remercie, messieurs, d’être nos alliés.

J’aimerais remercier le sénateur D. M. Wells dans le cadre du projet de loi S-250, le sénateur Cormier dans le cadre du projet de loi C-332 et le sénateur Manning dans le cadre du projet de loi S-249. Merci aussi à vous tous, honorables sénateurs et sénatrices, qui vous battez pour notre responsabilité collective de bâtir une société plus juste, plus égalitaire et exempte de violence. Continuons ensemble de bâtir un avenir meilleur, un avenir où, quelle que soit son identité, toute personne pourra s’épanouir sans craindre la haine et la violence.

Ensemble, gardons vivante la mémoire des victimes, célébrons le courage des survivantes et renouvelons notre engagement collectif pour bâtir un monde sans violence, où les hommes et les femmes marchent main dans la main vers la justice et l’égalité.

Merci, chers collègues. Meegwetch.

[Traduction]

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de la cheffe Jenny Brake, de la Première Nation Qalipu de Corner Brook, à Terre-Neuve. Elle est l’invitée de l’honorable sénatrice McPhedran.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

L’étude du rapport révisé de 2024 sur la Loi sur l’abrogation des lois et la liste de lois ou de dispositions de lois dont il est proposé de rejeter l’abrogation en 2024

Dépôt du trente-deuxième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le trente-deuxième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui porte sur l’étude, pour en faire rapport, du rapport sur la Loi sur l’abrogation des lois pour l’année 2024.

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

Budget et autorisation de se déplacer—L’étude des questions concernant la défense nationale et la sécurité en général—Présentation du treizième rapport du comité

L’honorable Hassan Yussuff, président du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, présente le rapport suivant :

Le jeudi 5 décembre 2024

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants a l’honneur de présenter son

TREIZIÈME RAPPORT

Votre comité, qui a été autorisé par le Sénat le jeudi 10 février 2022 à examiner, pour en faire rapport, les questions concernant la sécurité nationale et la défense en général, demande respectueusement des fonds pour l’exercice financier se terminant le 31 mars 2025, et demande qu’il soit, aux fins de ses travaux, autorisé à :

a)voyager à l’intérieur du Canada.

Conformément au chapitre 3:05, article 1(1)c) du Règlement administratif du Sénat, le budget présenté au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration ainsi que le rapport s’y rapportant, sont annexés au présent rapport.

Respectueusement soumis,

Le président,

HASSAN YUSSUFF

(Le texte du budget figure en annexe aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 3381.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion du sénateur Yussuff, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Le Sénat

Préavis de motion tendant à reconnaître le 10 mai de chaque année comme la Journée de l’ourson témoin

L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Sénat reconnaisse le 10 mai de chaque année comme la Journée de l’ourson témoin, afin d’honorer Jordan River Anderson et sa famille et de sensibiliser la population au principe de Jordan et aux défis persistants auxquels les enfants des Premières nations et leurs familles sont confrontés pour accéder aux produits, aux services et au soutien en raison des inégalités et des conflits de compétence au sein des gouvernements et entre eux.

L’honorable Jean-Guy Dagenais

Préavis d’interpellation

L’honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur la carrière de l’honorable Jean-Guy Dagenais.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les finances

Les mesures fiscales temporaires

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, à la même époque l’année dernière, je vous ai posé une question au sujet de l’Opération père Noël. Cet organisme de bienfaisance de votre province offre des cadeaux aux enfants dans le besoin. Comme l’année dernière, il a reçu un nombre record de demandes : plus de 33 000 au moment où on se parle. Du nombre, 50 enfants ont demandé une nouvelle boîte à lunch pour l’école, 114, des mitaines et 500, un manteau d’hiver.

Monsieur le leader, cela me crève le cœur que ces enfants doivent demander des articles de première nécessité en cadeau au père Noël. C’est là que notre pays est rendu, et c’est terrible.

Monsieur le leader, en quoi le fait de retrancher quelques cents au prix d’un sac de croustilles pendant deux mois va-t-il aider ces enfants?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : C’est le temps des Fêtes et je suis content de savoir que, dans ma province comme dans le reste des provinces et des territoires, il y a des organismes pour aider les familles dans le besoin. Je suis personnellement fier et enchanté de leurs efforts, que ce soit dans ma province ou dans la circonscription que je représente, Stadacona.

Vous évoquez ici le projet de loi C-78, sénateur, comme vous l’avez fait dernièrement. Le comité vient d’ailleurs d’en terminer l’étude article par article. Le congé de TPS de deux mois s’applique à de nombreuses choses, y compris les vêtements pour enfants. Espérons que toutes les familles, enfants et adultes, passeront un temps des Fêtes rempli d’amour de chaleur et qu’elles le passeront en santé et en sécurité.

Le sénateur Plett : Cependant, ce n’est pas le problème du gouvernement.

Un adolescent a écrit à l’organisme de bienfaisance pour demander une carte-cadeau afin d’acheter quelque chose à manger au Tim Hortons près de son école. C’est déchirant. Aujourd’hui, on apprend que les familles devront payer 800 $ de plus pour se nourrir l’année prochaine.

Monsieur le leader, il est temps de mettre fin à la taxe sur le carbone, n’est-ce pas? Combien de temps les familles devront-elles encore endurer cette situation?

Le sénateur Gold : Il est regrettable, mais prévisible que vous utilisiez cette question pour faire une autre fausse affirmation. L’histoire à laquelle vous avez fait référence, sénateur, portait sur les augmentations prévues du prix des aliments. Quelles en sont les causes selon les auteurs? Ce sont les changements climatiques, pas la taxe sur le carbone. Vous devriez avoir honte, monsieur le sénateur, d’utiliser ce... Je suis indigné et incrédule que vous répandiez une fois de plus de la mésinformation sur le dos des enfants et des adolescents...

Son Honneur la Présidente : Vous avez la parole, sénatrice Martin.

(1430)

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Monsieur le leader, ma question porte sur la suspension de la TPS sur une liste extrêmement compliquée d’articles et ses répercussions sur les petites entreprises. À l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-78, mardi, j’ai posé une question à la marraine du projet de loi au sujet d’un problème soulevé par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Cet organisme se demande avec raison comment l’Agence du revenu du Canada s’y prendra pour traiter les erreurs de bonne foi que les petites entreprises commettront nécessairement en se dépêchant de mettre en œuvre les changements prévus dans le projet de loi C-78. Hier, l’un des représentants de l’ARC a déclaré au Comité sénatorial permanent des finances nationales que l’organisme mettait la dernière main à ses mesures de conformité.

Monsieur le leader, pourquoi votre gouvernement n’a-t-il pas songé aux conséquences?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. J’ai été présent à toutes les réunions du comité, y compris celle d’hier. Je peux donc parler un peu plus de ce qui y a été dit. Le représentant de l’ARC, qui s’emploie sans relâche à répondre aux questions des Canadiens et des entreprises, a clairement indiqué, à propos des erreurs qui seront inévitablement commises en ce qui concerne, par exemple, le code des produits, que l’agence se concentrera surtout sur les personnes qui cherchent délibérément à frauder le système, et non pas sur les honnêtes entreprises, quelle que soit leur taille, qui pourraient avoir commis par mégarde des erreurs de bonne foi.

Voilà ce que l’ARC a déclaré. Les fonctionnaires ne ménagent aucun effort pour réaffecter des ressources dans le but d’informer les Canadiens et d’agir de façon juste et équitable.

La sénatrice Martin : Oui, mais je prédis que ce sera compliqué et que cela va semer une certaine pagaille.

Avant de faire son annonce, le premier ministre n’a consulté ni les petites entreprises ni les provinces et, selon les médias, il n’a pas non plus consulté son caucus et son Cabinet. Le premier ministre n’a donc pas demandé l’avis de qui que ce soit, et il n’en voulait pas. N’est-ce pas ce qui explique ce fouillis, monsieur le leader?

Le sénateur Gold : Madame la sénatrice Martin, cette semaine, le comité a étudié ce projet de loi de manière exhaustive. Il a entendu les témoins et bien d’autres personnes. Les témoins étaient largement favorables à cette mesure. Oui, il y aura certainement des défis, et on l’a reconnu non seulement lors des témoignages, mais également dans les observations du comité, dont le Sénat sera bientôt saisi. Néanmoins, cette mesure ciblée de courte durée pour aider les Canadiens jouit d’un vaste appui. C’est pourquoi le projet de loi a été adopté sans amendement.

La santé

Les services de santé non assurés

L’honorable Pat Duncan : Sénateur Gold, dans les petites localités du Yukon, une tante, ou une autre personne digne de respect, a réussi à obtenir un nombre important de trousses de naloxone et à les distribuer à qui en avait besoin. Il s’agit d’un service important dans les endroits peu peuplés où il n’y a pas de pharmacie et dont les habitants hésitent parfois à se rendre dans un centre de santé ou un établissement de services, car ceux-ci sont peu nombreux et difficiles d’accès. Dernièrement, le Programme des services de santé non assurés, qui offre une gamme étendue de soins de santé aux Premières Nations, dont des médicaments et des trousses de naloxone, a dû restreindre la couverture associée aux achats de trousses de naloxone en gros.

Sénateur Gold, est-ce la première fois que vous entendez parler de la décision du Programme des services de santé non assurés?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : C’est la première fois en effet, et je vous remercie de l’avoir portée à mon attention. La crise des opioïdes qui a ravagé de nombreuses localités est une véritable tragédie nationale. Je trouve tout aussi inquiétant d’apprendre qu’un médicament qui, bien utilisé, peut sauver la vie des personnes qui font une surdose pourrait ne pas être disponible quand il est requis. Merci d’avoir attiré mon attention là-dessus. Je n’étais pas au courant.

La sénatrice Duncan : Merci, je l’apprécie. Les collectivités du Yukon continuent d’être touchées de manière disproportionnée par la crise des opioïdes, puisque, après avoir présenté le taux le plus élevé en 2021, le territoire était au deuxième rang pour ce qui est du taux de décès dus aux opioïdes parmi les provinces et territoires canadiens entre janvier et mars de cette année, derrière la Colombie-Britannique.

Sénateur Gold, ce changement de politique met en péril les efforts de réduction des méfaits, en particulier dans les communautés éloignées des Premières Nations du Yukon. La coalition One Yukon, un organisme de santé communautaire à but non lucratif des Premières Nations, a écrit au ministre Holland et aux autres autorités fédérales et territoriales concernées...

Son Honneur la Présidente : Sénateur Gold, vous avez la parole.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de m’avoir éclairé sur ce point. Je suis heureux que cette question ait été portée à l’attention du ministre, et je ferai ce qu’il faut pour lui en parler également.

La sécurité publique

La violence fondée sur le sexe

L’honorable Mary Coyle : Sénateur Gold, quatre ans et demi se sont écoulés depuis le meurtre insensé et tragique de 22 de mes compatriotes néo-écossais. La Commission des pertes massives a publié son rapport final l’année dernière, énonçant 130 recommandations visant à prévenir de telles tragédies à l’avenir. Le Comité de suivi des progrès, créé en 2023, a publié son premier rapport annuel vendredi dernier. Bien que des progrès aient été réalisés, le rapport souligne la nécessité pour le gouvernement fédéral de redoubler d’efforts pour lutter contre la violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes, en particulier en faisant intervenir de manière significative les communautés marginalisées, telles que les groupes autochtones et afro-canadiens, qui sont touchées de manière disproportionnée.

Sénateur Gold, le gouvernement s’engagera-t-il à mettre en œuvre la recommandation du comité visant à améliorer la participation de ces communautés, de manière à ce que leur voix soit au cœur de l’élaboration de politiques et de programmes efficaces et durables visant à rendre les communautés plus sûres pour tous?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Je vous remercie aussi de défendre ce dossier comme vous le faites, car c’est important. Je peux vous dire que le gouvernement est résolu à mettre en œuvre les recommandations du comité.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie, sénateur Gold. Je suis contente de l’entendre. Le rapport parle des travaux de fond qu’effectue Femmes et Égalité des genres Canada pour élaborer un plan d’action contre la violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes, mais il souligne aussi que, pour obtenir des résultats concrets, surtout dans les régions rurales, il faut investir davantage dans les programmes communautaires. Le gouvernement fédéral s’engagera-t-il à accorder le financement à long terme nécessaire à ces programmes essentiels qui visent à mettre fin à la violence fondée sur le sexe et à la violence entre partenaires intimes dans les régions rurales du Canada?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question et de me donner l’occasion de rappeler le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe.

Le gouvernement est tout à fait conscient que le taux de violence faite aux femmes dans un contexte de partenaires intimes est considérablement plus élevé dans les régions rurales que dans les régions urbaines. Je ne peux jamais engager le gouvernement à accorder d’autres fonds, mais je rappelle aux sénateurs les engagements qu’il a pris : 601 millions de dollars dans le budget de 2021 et 539 millions de dollars supplémentaires dans le budget de 2022 pour soutenir les provinces et les territoires dans ce dossier.

[Français]

La sécurité publique

La sécurité frontalière

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s’adresse au leader du gouvernement.

Je me suis réjouis de voir que le président élu des États-Unis, Donald Trump, a constaté les mêmes lacunes dont je vous ai récemment parlé dans la surveillance de nos frontières.

On nous dit maintenant que des actions concrètes seront posées. On nous promet maintenant des hélicoptères et des drones. En passant, souhaitons que la GRC ne fasse pas comme par le passé et qu’elle achète cette fois-ci des hélicoptères fabriqués au Québec chez Bell Hélicoptères, pour corriger un tant soit peu le manque de contenu canadien dans nos achats — un manque qui a d’ailleurs été soulevé dans le dernier rapport de la vérificatrice générale.

Cependant, comme la livraison d’hélicoptères, d’avions et de sous-marins prend des années, comment peut-on prendre au sérieux ces grandes promesses de surveillance accrue à la frontière?

Êtes-vous conscient que Donald Trump ne sera même plus président des États-Unis quand les hélicoptères seront livrés?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Comme l’a dit le ministre responsable à plusieurs reprises, le Canada a déjà fait beaucoup d’efforts pour sécuriser notre frontière. De plus, il est tout à fait faux de répéter l’information selon laquelle notre frontière serait une passoire ou serait brisée, ou toutes les autres choses qu’on a entendues circuler ces derniers jours.

Cela dit, le gouvernement est bien conscient qu’il faut faire davantage pour sécuriser notre frontière; cela comprend notamment l’achat d’hélicoptères et les autres éléments que vous avez mentionnés, qui ont été annoncés par le ministre et la GRC.

Les Canadiens peuvent être persuadés que le gouvernement va continuer de faire en sorte que nos frontières soient sécurisées.

Le sénateur Dagenais : Vous savez, il manque de 2 000 à 3 000 agents à l’Agence des services frontaliers, il manque 1 000 policiers à la GRC et nos forces armées sont à court de 16 000 militaires.

Pouvez-vous nous expliquer par quel genre de miracle le Canada sera en mesure d’augmenter sa surveillance frontalière pour satisfaire le président Trump?

(1440)

Le sénateur Gold : Le gouvernement du Canada va continuer d’agir dans les intérêts du Canada, peu importe qui est à la Maison-Blanche. Ce gouvernement a investi plus d’argent, depuis son arrivée il y a presque neuf ans, que les gouvernements précédents. Il va continuer d’investir dans nos forces armées et nos ressources pour faire en sorte que les Canadiens demeurent en sécurité dans notre pays.

[Traduction]

Le racisme systémique

L’honorable Brian Francis : Sénateur Gold, l’Assemblée des Premières Nations a adopté cette semaine une résolution collective réclamant une commission d’enquête nationale sur le racisme systémique dans les services de police, car, malgré les 20 enquêtes sur les corps de police et le système de justice qui ont été réalisées depuis 1989, le gouvernement fédéral n’a encore rien fait de concret pour s’attaquer au racisme systémique à la GRC et dans les autres organismes du genre. La résolution réclamait aussi la création d’une équipe nationale d’intervention en cas de crise, la démilitarisation de la police et d’autres réformes essentielles.

Sénateur Gold, le gouvernement fédéral s’engagera-t-il à donner suite à cette résolution, notamment en lançant dès que possible une commission d’enquête nationale, indépendante et dotée de vastes pouvoirs?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et de votre recommandation, que je transmettrai sans faute au ministre. Quel que soit l’endroit du Canada où on vit, tout le monde a droit à des services de police financés adéquatement, adaptés aux sensibilités culturelles et respectueux. Malgré des progrès importants — il a par exemple stabilisé davantage de corps policiers, il a étendu les services à diverses localités, dont la nation de Siksika, et il a signé un accord-cadre avec le Nunavut l’année dernière —, le gouvernement fédéral sait qu’il reste encore beaucoup à faire. Il s’emploie à améliorer les services de police des Premières Nations et à élargir les territoires qu’ils desservent en élaborant conjointement des mesures législatives qui reconnaissent qu’il s’agit d’un service essentiel. Il entend également modifier le Programme des services de police des Premières Nations et des Inuit de manière à donner suite aux recommandations de la vérificatrice générale.

Le gouvernement va continuer de tout faire pour que ces engagements de longue date deviennent réalité, en collaboration avec ses partenaires autochtones et inuits.

Le sénateur Francis : Sénateur Gold, en 2022, le taux de participation de la GRC aux programmes de sensibilisation aux cultures et aux réalités autochtones est l’un des plus faibles de tous les ministères et organismes fédéraux, surtout chez les agents en uniforme. Est-il possible qu’un manque de formation contribue au racisme systémique et à la mort tragique de membres des Premières Nations? Le gouvernement rendra-t-il cette formation obligatoire au sein de la GRC?

Le sénateur Gold : On espère que la formation modifiera des attitudes tenaces, qui sont à la base du racisme systémique, lequel a été identifié et reconnu dans de nombreux secteurs. Je ne suis pas en mesure de prendre un engagement concernant la formation, mais je porterai cette suggestion utile à l’attention du ministre.

La Commission des libérations conditionnelles du Canada

L’honorable Leo Housakos : Sénateur Gold, vendredi dernier, le service de police régional de Halton, à Oakville, en Ontario, a arrêté un homme après une violation de domicile avec agression et une tentative de vol d’automobile. Sans surprise, depuis le 12 octobre, il bénéficie d’une ordonnance de mise en liberté avec condition de non-possession d’armes à feu. Le chef de police Stephen Tanner a fait la déclaration suivante :

Nos citoyens ne devraient pas voir leur sécurité personnelle et la sécurité de leurs propres biens menacées par des délinquants violents et récidivistes qui sont en liberté sous caution et qui sont liés par des ordonnances judiciaires auxquelles ils n’ont pas l’intention de se conformer.

Tout cela s’inscrit directement dans la politique libérale d’arrestation et de remise en liberté immédiate que prévoit le projet de loi C-75, monsieur le leader. Que répondez-vous au chef de police Tanner et à la population de Halton?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Toute violation, par quiconque, d’une condition imposée par une commission de libération conditionnelle, Service correctionnel Canada ou une ordonnance de tribunal est inacceptable. Il est déplorable d’exposer des citoyens, des résidents et des visiteurs aux préjudices que ces violations pourraient causer.

Comme je l’ai déjà dit, je ne connais pas les circonstances dans lesquelles cette personne a été mise en liberté. Je ne sais pas s’il s’agissait d’une libération d’office ou d’une libération accordée par la Commission des libérations conditionnelles. Je ne sais pas comment ses allées et venues étaient surveillées par Service correctionnel Canada et la police. Je ne peux donc pas me prononcer sur ce cas précis.

La violence envers des citoyens innocents est déplorable. Par contre, sénateur Housakos, je ne vois pas le lien entre ce cas et le projet de loi. Vous pourrez sans doute m’éclairer.

Le sénateur Housakos : Votre gouvernement ne veut vraiment rien comprendre. Nous avons maintenant des données probantes qui montrent que des gens profitent à répétition de la politique de capture et de remise en liberté de récidivistes adoptée par le gouvernement actuel. Que vous faut-il de plus? Les Canadiens veulent vivre en sécurité, à l’abri de la violence et de la peur. Ce n’est pas tant demander.

Quand votre gouvernement reconnaîtra-t-il l’échec de ses politiques et les risques qu’il fait courir aux Canadiens? Pourquoi le gouvernement néo-démocrate-libéral et vous-même êtes-vous les seuls à ne pas comprendre que vous échouez lamentablement à protéger les citoyens canadiens?

Le sénateur Gold : Sénateur Housakos, je crois me souvenir que, lorsque j’ai été nommé à la Commission des libérations conditionnelles du Canada par le gouvernement de l’ancien premier ministre Harper, j’appliquais une loi adoptée par le Parlement, qui énonçait les règles que je devais suivre — il s’agissait de règles provenant de la législation et des politiques —afin que les personnes dont je m’occupais soient traitées correctement et équitablement et que les risques soient gérés.

Si vous voulez reprocher aux tribunaux et aux législateurs de ne pas enfermer les gens à tout jamais jusqu’à...

Son Honneur la Présidente : Sénateur Carignan, vous avez la parole.

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Monsieur le leader, on a appris cette semaine que, entre 2014 et 2022, le taux de crimes violents au Canada a augmenté de 43,8 % pour atteindre 434,1 crimes violents pour 100 000 habitants.

Une voix : Incroyable!

Le sénateur Carignan : Cela signifie que le taux de crimes violents au Canada est 14 % plus élevé qu’aux États-Unis. Je répète : sous le gouvernement Trudeau, le Canada est devenu un pays plus violent que les États-Unis. Le chef de police de la ville de Fredericton a clairement identifié la raison de ce phénomène : ce sont les mesures qui favorisent les criminels que le gouvernement Trudeau a mises en place, notamment avec le projet de loi C-75. Le sentiment d’insécurité des Canadiens est grandissant.

Sénateur Gold, quand le gouvernement va-t-il mettre fin à son système de justice d’« arrestation et remise en liberté », ou catch and release, comme on dit en anglais? Quand allez-vous cesser de faire passer les droits des criminels avant ceux des honnêtes citoyens?

Le sénateur Gold : Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le sénateur Carignan, vos propos sont une distorsion non seulement de l’intention, mais aussi des conséquences des projets de loi que nous, au Parlement, avons adoptés. Je répète que, dans toute société qui a une Charte des droits et libertés, il faut mettre l’accent sur le Code criminel et pénal et faire en sorte de les appliquer afin de protéger les citoyens contre la violence et le crime, tout en respectant les normes et les droits conférés en vertu de la Constitution. Si un gouvernement souhaite changer ce système et mettre la Charte de côté, il y a peut-être moyen de le faire, mais ce serait regrettable, parce que, encore une fois, la cause de tout cela n’est pas la législation, ni les tribunaux, ni les commissions indépendantes.

Le sénateur Carignan : La semaine dernière, Troy Dennis Ledrew a tiré des coups de feu au hasard en visant des véhicules circulant sur l’autoroute 401 à Toronto. Il avait été remis en liberté récemment à la suite d’une arrestation. Il était aussi en libération conditionnelle et sous le coup de multiples interdictions de posséder une arme à feu. Ce sont toutes des choses qui ne veulent plus rien dire dans le Canada de Justin Trudeau. Ce type d’événement se produit au Canada chaque jour. Les criminels qui devraient être en prison sont remis en liberté à cause de politiques libérales. Quand cesserons-nous?

Le sénateur Gold : Je vais répéter que si la législation de longue date prévoit qu’une personne est admissible à une libération conditionnelle administrée par un tribunal indépendant, c’est la façon de faire. On doit faire confiance à nos tribunaux indépendants.

Les affaires mondiales

Le soutien à Haïti

L’honorable Suze Youance : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Avec l’insécurité croissante en Haïti, la perle des Antilles, pourriez-vous faire le point sur l’intervention canadienne visant à rétablir la paix dans ce pays? Autrement dit, quelles sont les mesures d’évaluation de nos actions sur le terrain? Que fait-on concrètement pour mettre fin au trafic d’armes en provenance de notre continent en direction des Caraïbes?

(1450)

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour la question. Le Canada continuera d’appuyer les solutions aux crises politiques, sécuritaires et humanitaires mises en œuvre par les Haïtiens. Le Canada continuera également à collaborer avec les parties prenantes haïtiennes, la CARICOM et les partenaires internationaux pour soutenir les prochaines étapes vers l’organisation d’élections libres et équitables en Haïti et pour faire face à la crise sécuritaire, y compris par le biais de la Mission multinationale d’appui à la sécurité. Les organismes chargés de l’application de la loi de nos pays respectifs travaillent ensemble chaque jour pour perturber les trafics illégaux que vous avez mentionnés avec raison. Je crois savoir que l’Agence des services frontaliers du Canada renforce les inspections aux points d’entrée, engage davantage de chiens détecteurs et utilise de nouvelles technologies émergentes pour prévenir le trafic illégal.

La sénatrice Youance : Merci. Le président élu des États-Unis a promis de faire des déportations massives visant spécifiquement la communauté immigrante haïtienne et depuis, des marches d’extrémistes se tiennent.

Le gouvernement canadien est-il en discussion avec notre voisin du Sud afin de prévenir les tensions migratoires qui en découleront?

Le sénateur Gold : Je vous remercie. Je commencerai par préciser que notre gouvernement s’opposera toujours à la haine et à la discrimination contre les communautés vulnérables.

Pour répondre à votre question, les États-Unis ne sont pas seulement notre voisin, mais aussi notre ami et allié le plus proche. Le gouvernement a travaillé avec succès avec les administrations républicaines et démocrates et cela continuera.

[Traduction]

Le soutien à l’Ukraine

L’honorable Stan Kutcher : Sénateur Gold, la guerre en Ukraine s’éternise, et l’attention se porte sur les ravages de cette guerre. Ce que l’on sait moins, c’est que pendant que la guerre se poursuit, l’Ukraine est en train de réformer son environnement législatif et réglementaire pour se conformer aux normes de l’Union européenne. Cela permet aux entreprises canadiennes d’investir plus facilement dans certains secteurs de l’économie ukrainienne. C’est important, car la reconstruction nécessitera des investissements privés substantiels qui doivent commencer avant la fin de la guerre.

Que fait le gouvernement pour soutenir les entreprises canadiennes qui envisagent de faire des affaires en Ukraine?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de poser la question et de souligner l’importance des investissements privés en Ukraine.

Je crois comprendre qu’Exportation et développement Canada surveille de près la situation sur le terrain en Ukraine. L’organisation est en contact avec des exportateurs et des investisseurs qualifiés du Canada qui s’intéressent au marché ukrainien et leur apporte son soutien par l’intermédiaire de sa gamme de produits.

De plus, le gouvernement travaille avec Exportation et développement Canada pour explorer de nouveaux moyens d’appuyer les échanges commerciaux entre notre pays et l’Ukraine, et fournit de l’aide additionnelle aux entreprises canadiennes qui envisagent de faire des affaires en Ukraine.

Le sénateur Kutcher : Merci, sénateur Gold. Exportation et développement Canada fait du bon travail, mais un véhicule potentiel qui pourrait être utilisé dans cette situation est FinDev. Même si, traditionnellement, l’objectif de cet institut est de soutenir les investissements dans les pays en développement, des modifications relativement mineures à son mandat pourraient permettre son utilisation en Ukraine.

Le gouvernement va-t-il considérer cette option afin qu’elle devienne un soutien supplémentaire à l’investissement canadien dans la reconstruction de l’Ukraine?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de cette question, sénateur. Le gouvernement est toujours à la recherche de moyens novateurs d’aider l’Ukraine et d’améliorer son travail à cet égard, et je ne manquerai pas de porter cette question à l’attention de la ministre.

Le Conseil du Trésor

Les justificatifs numériques

L’honorable Colin Deacon : Sénateur Gold, dans le Rapport 9 — La validation numérique de l’identité pour accéder aux services, publié par la vérificatrice générale cette semaine, on conclut qu’« il n’y a aucune approche nationale au Canada pour mettre en place des systèmes interopérables de validation de l’identité en ligne ».

En clair, cela signifie que nos citoyens n’ont pas le contrôle de leur confidentialité et de leur sécurité lorsqu’ils interagissent avec l’administration publique en ligne. Le rapport indique que la France, l’Allemagne et l’Italie ont mis en place des lois et des systèmes qui permettent l’ouverture d’une seule session. Le Canada n’a mis en place ni l’un ni l’autre. Ce manque de leadership et de cadre stratégique nuit à la gouvernance numérique ainsi qu’à la protection de la vie privée et à la sécurité des Canadiens.

Sénateur Gold, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas réussi à établir le cadre législatif et stratégique nécessaire pour que les citoyens puissent contrôler l’utilisation de leur identité et de leurs justificatifs en ligne? Quelles mesures immédiates peut-on mettre en œuvre pour que le Canada rattrape son retard dans ce domaine crucial qu’est la gouvernance numérique?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et d’avoir souligné une conclusion importante de la vérificatrice générale dont j’ai également été informé.

Je ne connais pas toutes les complexités qui peuvent s’appliquer dans ce cas. Je ne justifie pas le fait que, selon la vérificatrice générale, nous avons assurément du retard à rattraper.

Un État fédéral est plus compliqué à gérer qu’un État unitaire. Cela va de soi. Cela dit, je ne manquerai pas de soulever la question auprès de la ministre. Je sais que le gouvernement examine soigneusement les recommandations de la vérificatrice générale et qu’il étudie les moyens de faire progresser le Canada dans ce domaine important.

Le sénateur C. Deacon : Merci, sénateur Gold. Ma question porte uniquement sur la responsabilité fédérale, celle des ministères fédéraux. Le budget de 2024 a proposé 25 millions de dollars sur cinq ans pour remplacer par une authentification unique 90 systèmes d’authentification distincts pour accéder à des services. La vérificatrice générale a relevé que Services partagés Canada a lancé cette année une demande de propositions sans définir au préalable les coûts liés à la transition.

Comment commencer à rationaliser ce système pour parvenir à une solution qui protège les Canadiens contre les risques pour la cybersécurité?

Le sénateur Gold : Il ne fait aucun doute que la protection des Canadiens contre l’éventail croissant de risques complexes pour la cybersécurité est un enjeu crucial à traiter par voie législative — il y a un projet de loi qui, je l’espère, sera bientôt adopté — et en prenant d’autres mesures, comme celle que vous évoquez.

Je ne manquerai pas de me renseigner pour voir si les choses peuvent avancer plus rapidement et plus efficacement dans ce domaine.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi concernant la cybersécurité, modifiant la Loi sur les télécommunications et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable John M. McNair propose que le projet de loi C-26, Loi concernant la cybersécurité, modifiant la Loi sur les télécommunications et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole en tant que parrain du projet de loi C-26 à l’étape de la troisième lecture. Comme vous le savez, le projet de loi C-26 s’intitule Loi concernant la cybersécurité, modifiant la Loi sur les télécommunications et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Je voudrais commencer par remercier le personnel et mes collègues du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants pour leur étude diligente du projet de loi. Je tiens également à remercier les fonctionnaires qui ont travaillé sans relâche sur ce projet de loi, notamment ceux de la Sécurité publique, de l’Innovation, de la Science et du Développement économique et du Centre de la sécurité des télécommunications. Ils ont fait preuve d’un grand professionnalisme et d’une grande réactivité lors de l’examen de cette mesure législative complexe.

Je voudrais commencer par donner un aperçu de l’ampleur des menaces au Canada. Notre pays est actuellement confronté à des cybermenaces sans précédent qui touchent tous les segments de notre société. Les gouvernements, les industries, les universitaires et les particuliers sont ciblés par des menaces de plus en plus sophistiquées impliquant notamment l’utilisation malveillante de l’intelligence artificielle.

Qu’il soit la cible d’organisations criminelles ou d’acteurs étatiques, le Canada ne peut se permettre de prendre du retard sur ses alliés lorsqu’il s’agit d’adopter un projet de loi qui donne au gouvernement les moyens de protéger les Canadiens et les cybersystèmes essentiels avec lesquels ils interagissent chaque jour.

L’an dernier seulement, les systèmes de défense automatisés utilisés par le Centre de la sécurité des télécommunications ont protégé le gouvernement du Canada contre 2,3 billions d’actes malveillants. En moyenne, au cours de l’année, c’est l’équivalent de 6,3 milliards de cybermenaces ciblant le gouvernement du Canada chaque jour.

En dépit de ce bilan impressionnant, nous savons qu’au cours des quatre dernières années, des auteurs de cybermenaces de la République populaire de Chine ont compromis au moins 20 réseaux liés à des agences et à des ministères du gouvernement du Canada.

Pensez-y un instant. Au cours des quatre dernières années, il y a probablement eu plus de 9 billions de cyberattaques contre le gouvernement du Canada et, à cause de celles-ci, 20 réseaux ont été compromis. Cela représente un réseau par tranche de 450 milliards de tentatives.

(1500)

Selon la NASA, notre galaxie compterait environ 100 milliards d’étoiles. Si je parle de la NASA, c’est pour dire que ce que nous demandons à nos services de renseignement en matière de cybersécurité équivaut à exiger d’eux qu’ils trouvent une aiguille dans une botte de foin de la taille de quatre Voie lactée et demie. Pensez-y la prochaine fois que vous observerez un ciel étoilé.

Si le Centre canadien pour la cybersécurité peut nous dire avec le moindrement de précision le nombre d’attaques visant des installations gouvernementales en provenance de la République populaire de Chine, c’est parce qu’il dispose d’une visibilité complète et qu’il doit voir au bon fonctionnement de l’intégralité d’un système de défense et protéger les données du gouvernement du Canada.

Chers collègues, vous vous demandez peut-être quel est le rapport avec les dispositions du projet de loi C-26, qui ne s’appliquent pas aux réseaux du gouvernement canadien. Je vous répondrai ceci : si le gouvernement est pris pour cible 2,3 billions de fois par année, combien de fois croyez-vous que le sont les secteurs canadiens des télécommunications, des transports, des services financiers et de l’énergie? Plus de fois? Moins de fois? Ces secteurs ont-ils les capacités nécessaires pour défendre leurs infrastructures? Sénateurs, il n’y a pas de mauvaises réponses à ces questions parce que, je vous l’avoue franchement, nous ne le savons pas nous-mêmes.

Le projet de loi C-26 va remédier à la situation. Il va obliger les exploitants d’infrastructures essentielles à se doter de programmes de cybersécurité et à rendre des comptes. Les exploitants d’infrastructures essentielles sous réglementation fédérale de quatre grands secteurs seront tenus de prévenir le gouvernement si leurs infrastructures sont visées par une attaque d’importance. Nous avons besoin de cette mesure, car nous dépendons énormément des quatre secteurs que sont les télécommunications, l’énergie, les transports et la finance.

En octobre dernier, le Centre pour la cybersécurité a publié son Évaluation des cybermenaces nationales. J’invite tous les sénateurs à se rendre sur le site Web du centre et à lire attentivement ce document. Sa plus récente version nous rappelle brutalement pourquoi le projet de loi C-26 tombe à point nommé, pourquoi il est important et pourquoi nous nous devons l’étudier et l’adopter rapidement. Voici ce qu’on y peut lire :

Le Canada affronte un environnement de cybermenaces complexe et en pleine expansion comptant un éventail croissant d’auteures et auteurs de cybermenace étatiques et non étatiques malveillants et imprévisibles, comme les cybercriminelles et cybercriminels et les hacktivistes, qui ciblent ses infrastructures essentielles et compromettent sa sécurité nationale. Ces auteures et auteurs de cybermenace développent leur métier, adoptent de nouvelles technologies et collaborent dans le but d’améliorer et d’intensifier leurs activités malveillantes.

Les États adversaires du Canada sont plus agressifs dans le cyberespace. Les cyberopérations parrainées par des États visant le Canada et ses alliés ne se limitent certainement pas à l’espionnage. Les auteures et auteurs de cybermenace parrainés par des États tentent sans doute d’être perturbateurs, par exemple, en rendant un service inaccessible, en supprimant ou en divulguant des données et en manipulant des systèmes de contrôle industriels, afin de favoriser la réalisation d’objectifs militaires ou de campagnes d’information.

Le Centre canadien pour la cybersécurité poursuit en disant :

Les auteures et auteurs de cybermenace parrainés par des États [...] ciblent fort probablement les réseaux d’infrastructures essentielles au Canada et dans les pays alliés afin de se préparer à d’éventuelles cyberopérations perturbatrices ou destructrices.

Le projet de loi C-26 vise à mettre en œuvre les mesures de protection de base nécessaires pour que de l’information sur les cybermenaces et des recommandations pour les atténuer soient fournies en temps opportun aux exploitants d’infrastructures essentielles sous réglementation fédérale afin qu’ils puissent protéger leurs systèmes et assurer la sécurité des Canadiens. En déclarant les cyberincidents graves, comme l’exige le projet de loi, l’organisation touchée aidera les autres organisations à faire de la prévention.

Le 13 novembre 2024, la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency et le Federal Bureau of Investigation des États-Unis ont publié une déclaration commune indiquant que la République populaire de Chine cible des infrastructures de télécommunications commerciales aux États-Unis. Selon le communiqué conjoint, les États-Unis ont :

[...] découvert que des acteurs affiliés à la République populaire de Chine ont compromis les réseaux de plusieurs entreprises de télécommunications afin que l’on puisse voler des données sur les appels des clients, compromettre les communications privées d’un nombre limité de personnes qui participent principalement à des activités gouvernementales ou politiques, et copier certains renseignements demandés par des forces de l’ordre des États-Unis en vertu d’ordonnances des tribunaux [...]

Le Centre de la sécurité des télécommunications Canada confirme que les auteurs de cybermenaces qui sont connus sous le nom de Volt Typhoon, et parrainés par la République populaire de Chine, cherchent très certainement à se positionner dans les réseaux américains d’infrastructures essentielles dans le but de lancer des attaques perturbatrices ou destructrices en cas de crise majeure ou de conflit avec les États-Unis. Les mesures de prépositionnement de Volt Typhoon sont d’autant plus remarquables que la République populaire de Chine n’a jamais mené auparavant de campagnes de ce genre contre des infrastructures américaines.

Pire encore, selon un article paru dans le New York Times le 22 novembre, on pense maintenant que les cyberpirates du groupe Salt Typhoon, qui est lui aussi étroitement lié au ministère chinois de la Sécurité d’État, ont pu évoluer pendant plus d’un an dans les réseaux des plus importantes sociétés américaines de télécommunications sans être repérés. Selon cet article, les spécialistes auraient découvert que les cyberpirates ont pu mettre la main sur la liste presque complète des numéros de téléphone surveillés par le ministère de la Justice dans le cadre de son système d’interception licite, qui met les personnes soupçonnées de crimes ou d’espionnage sous écoute électronique. Selon ces mêmes spécialistes, les Chinois n’ont pas écouté tous ces appels, mais les cyberpirates ont probablement pu apparier ces données avec des données de géolocalisation dans le but de créer un portrait précis des personnes mises sous surveillance. Ils estiment donc que l’intrusion chinoise a fort probablement donné à la Chine la liste des espions chinois en territoire américain ayant été repérés et des espions encore inconnus.

Honorables sénateurs, je vous transmets cette information pour vous indiquer clairement que la menace est réelle, qu’elle est omniprésente et qu’elle plane en ce moment même. Le Centre de la sécurité des télécommunications a signalé que le prépositionnement de la République populaire de Chine dans les infrastructures essentielles américaines accroît le risque pour le Canada. Les activités de cybermenaces perturbatrices ou destructrices contre les infrastructures essentielles intégrées de l’Amérique du Nord, comme les pipelines, les réseaux électriques et les voies ferrées, auraient probablement une incidence sur le Canada en raison de l’interopérabilité et l’interdépendance frontalières. Le projet de loi C-26, en édictant la Loi sur la protection des cybersystèmes essentiels, nous aiderait à protéger les infrastructures essentielles que j’ai mentionnées.

Les acteurs non étatiques présentent également un risque important pour nos infrastructures essentielles. Le Centre pour la cybersécurité a rapporté que des auteurs de cybermenace non étatiques pro-Russie ont tenté de compromettre des systèmes de technologies opérationnelles au sein d’infrastructures essentielles en Amérique du Nord et en Europe dans le but de perturber ces systèmes en guise de représailles contre les pays qui ont soutenu l’Ukraine. Cette activité cible les appareils accessibles par Internet et exploite des vulnérabilités de base, comme les logiciels d’accès à distance non sécurisés ou l’utilisation de mots de passe par défaut.

Par exemple, en janvier 2024, un groupe non étatique prorusse appelé Cyber Army of Russia Reborn a revendiqué le débordement de réservoirs d’eau au Texas. Le malfonctionnement des systèmes de contrôle industriels a provoqué la perte de dizaines de milliers de gallons d’eau. Le groupe a également compromis le système de contrôle et d’acquisition des données d’une société énergétique américaine, ce qui lui a permis de prendre le contrôle des alarmes et des pompes des réservoirs du système. Bien que le groupe ait réussi à s’emparer brièvement des systèmes de contrôle industriels, ses moyens techniques sont peu avancés, et c’est pourquoi on ne déplore jusqu’à présent aucun dégât important.

Selon le Centre de la sécurité des télécommunications, il est probable que des acteurs non étatiques prorusses tentent de perturber les systèmes de technologie opérationnelle vulnérables et branchés à Internet des infrastructures essentielles du Canada, ce qui pourrait les endommager, voire causer leur destruction, et même compromettre la sécurité publique.

Une attaque du genre a eu lieu en septembre 2023, quand un cybergroupe non étatique prorusse a revendiqué une attaque par déni de service visant divers sites Web du Canada, dont des sites du gouvernement du Québec. Résultat : le site Web d’Hydro-Québec, son application mobile et la page répertoriant les pannes de courant ont été temporairement mis hors service. Les Canadiens connaissent sans doute déjà les dangers que représentent la Chine et la Russie, mais de nouveaux adversaires fourbissent leurs armes et émergent un peu partout.

(1510)

L’Iran a profité du va-et-vient de sa cyberconfrontation avec Israël pour améliorer son cyberespionnage et ses cybercapacités offensives ainsi que pour perfectionner ses campagnes d’information, qu’il déploie maintenant presque certainement contre des cibles occidentales.

Le Centre de la sécurité des télécommunications Canada affirme que, pour l’heure, le Canada n’est probablement pas une cible prioritaire du programme de cyberactivité iranien, mais que « les auteures et auteurs de cybermenace de [l’Iran] ont vraisemblablement accès à des réseaux informatiques au Canada, dont ceux d’infrastructures essentielles ».

En outre, le Centre de la sécurité des télécommunications a déclaré que la cybercriminalité est désormais la menace la plus répandue et la plus omniprésente pour les Canadiens et les entreprises canadiennes, les rançongiciels étant en tête de liste.

Le Centre pour la cybersécurité est allé jusqu’à dire que le rançongiciel constitue la principale menace cybercriminelle à laquelle sont confrontées les infrastructures essentielles du Canada. Selon lui, les exploitants d’infrastructures essentielles sont plus enclins à payer des rançons aux cybercriminels pour éviter les perturbations, et la principale stratégie utilisée par un grand nombre des groupes de rançongiciels les plus prolifiques ayant un impact sur le Canada s’appelle la « chasse au gros gibier ».

Comme son nom le suggère, la chasse au gros gibier consiste à cibler les exploitants d’infrastructures essentielles pour obtenir des rançons ou des trophées de plus grande valeur. Les services fournis par ces exploitants sont si importants que les criminels ont déterminé qu’ils sont plus susceptibles de recevoir un gros montant s’ils réussissent à pénétrer dans l’un de leurs réseaux.

Nous avons vu les dommages qu’une telle cyberattaque peut causer lorsqu’une société énergétique américaine a été la cible d’une attaque par rançongiciel en mai 2021. Un groupe criminel russe a extorqué 4,3 millions de dollars après avoir perturbé les opérations de la plus grande conduite de carburant des États-Unis d’Amérique. L’incident était si important qu’il a incité le président Biden à décréter un état d’urgence national temporaire.

Le Centre de la sécurité des télécommunications Canada a prévenu que le secteur pétrolier et gazier du Canada était lui aussi susceptible d’être la cible de perturbations similaires. Dans une entrevue accordée à la CBC, Caroline Xavier, cheffe du centre, a décrit les dommages que pourrait causer une telle attaque. Elle a dit :

Imaginez si la pression monte dans un réseau de distribution d’essence, elle pourrait entraîner une explosion. Cela pourrait être extrêmement dommageable pour un quartier, par exemple, ou les personnes aux alentours.

Au cours des deux dernières années, nous avons constaté une augmentation notable de ces types de cyberattaques au Canada. Entre 2022 et 2023 seulement, le Centre pour la cybersécurité a observé une augmentation des attaques par rançongiciel de 159 % dans le secteur des technologies de l’information, de 157 % dans le secteur financier, de 122 % dans le secteur des transports et de 67 % dans le secteur de l’énergie.

Malheureusement, 2023 a aussi été une bonne année pour les criminels qui utilisent des rançongiciels. Selon l’entreprise de cybersécurité Chainalysis, dans le monde, les attaques par rançongiciels ont permis d’extorquer plus de 1 milliard de dollars en cryptomonnaies. C’est la première fois que le seuil du milliard de dollars a été franchi dans ce contexte.

Chers collègues, le Canada doit mieux se préparer à contrer ces menaces. Selon moi, le projet de loi C-26 est un outil essentiel dans son arsenal.

J’ai passé plus de temps que prévu à parler des menaces qui planent sur nous, mais nous devons comprendre précisément ce à quoi nous avons affaire et combien de retard nous avons.

Je vous rappelle que le projet de loi C-26 permettra de favoriser et d’accroître la cybersécurité dans quatre grands secteurs, à savoir la finance, les télécommunications, l’énergie et les transports.

La partie 1 du projet de loi modifie la Loi sur les télécommunications afin d’ajouter la sécurité aux objectifs de la politique canadienne et d’harmoniser le cadre de sécurité régissant ce secteur avec ceux encadrant les autres infrastructures essentielles.

Les modifications à la Loi sur les télécommunications permettront au gouverneur en conseil et au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie d’ordonner aux fournisseurs de services de télécommunications de prendre des mesures ciblées pour sécuriser les systèmes canadiens de télécommunications. Ce changement permettra au gouvernement d’intervenir rapidement dans un secteur où chaque milliseconde peut faire la différence entre la sécurité et le risque.

C’est donc dire que le gouvernement pourra, au besoin, interdire aux entreprises de télécommunication canadiennes d’utiliser des produits ou des services provenant de fournisseurs à haut risque, afin que ces risques ne soient pas transmis aux utilisateurs.

Comme je l’ai dit, ces modifications permettraient au gouverneur en conseil et au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie de prendre des mesures de sécurité, tout comme d’autres organismes fédéraux de réglementation peuvent le faire dans leurs secteurs d’infrastructures essentielles respectifs.

Ces pouvoirs ne se concentrent pas seulement sur la cybersécurité. Ils peuvent également s’appliquer à des situations causées par des erreurs humaines ou par les changements climatiques qui risquent d’entraîner une interruption des services essentiels. Le ministre aura clairement le pouvoir d’ordonner aux entreprises de télécommunications, entre autres choses, de retirer des produits et des services de leur infrastructure pour des raisons de sécurité nationale. Comme vous le savez, il prévoit le faire dans le cas de Huawei et de ZTE. En l’absence d’une telle possibilité, le secteur des télécommunications est vulnérable aux cyberattaques.

La partie 2 du projet de loi C-26 édicte la nouvelle Loi sur la protection des cybersystèmes essentiels, qui obligerait les opérateurs désignés de quatre secteurs cruciaux sous responsabilité fédérale à protéger leurs cybersystèmes essentiels.

La liste des services et des systèmes jugés critiques comprend actuellement les secteurs des télécommunications, des banques, de l’énergie et des transports. Le gouverneur en conseil peut toutefois y ajouter d’autres services et systèmes critiques s’il le juge nécessaire. Cette partie du projet de loi fournit au gouvernement les outils dont il a besoin pour prendre des mesures supplémentaires afin de remédier à toutes sortes de vulnérabilités.

Pour ce faire, les exploitants désignés de services et de systèmes essentiels seraient tenus de se doter de programmes de cybersécurité, d’atténuer les risques associés aux chaînes d’approvisionnement et aux tiers et de se conformer aux directives de cybersécurité. Le projet de loi accroîtrait également l’échange d’information sur les cybermenaces en rendant obligatoire le signalement de tout incident de cybersécurité dont la gravité dépasse un certain seuil. De cette façon, l’industrie et le gouvernement s’appuieront sur les mêmes renseignements pour prendre des décisions éclairées.

À l’heure actuelle, rien dans la loi n’oblige l’industrie à communiquer l’information sur les cyberincidents en sa possession et aucun mécanisme formel ne permet au gouvernement de forcer qui que ce soit à agir en cas de danger ou de vulnérabilité avéré. Il pourrait donc y avoir des menaces que le gouvernement ignore et, partant, auxquelles il ne peut s’attaquer.

Le signalement obligatoire des cyberincidents offrira au gouvernement une meilleure vue d’ensemble du réseau et favorisera la mise en commun des pratiques les plus efficaces pour combattre l’exploitation des vulnérabilités.

Bref, ceux qui exploitent une société dans le domaine de la finance, des télécommunications, de l’énergie ou des transports doivent se doter d’un programme de cybersécurité et signaler tout cyberincident au Centre canadien pour la cybersécurité. Comme ce n’est pas encore obligatoire, les infrastructures essentielles du pays sont exposées à de graves risques.

La partie 2 du projet de loi C-26 vise aussi à servir de modèle pour les partenaires provinciaux, territoriaux et municipaux qui souhaitent protéger les cyberinfrastructures essentielles dans les secteurs qui relèvent d’eux, comme la santé. Je crois d’ailleurs comprendre que c’est ce que font déjà deux provinces, l’Ontario et le Québec.

Je tiens maintenant à parler brièvement de l’étude du projet de loi C-26 au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Nous avons entendu 31 témoins au cours de 4 réunions et reçu 11 mémoires. Les témoins comprenaient les ministres de la Sécurité publique et de l’Innovation, des fonctionnaires, des acteurs de l’industrie et de la société civile, des spécialistes de la protection des renseignements personnels, des représentants d’organismes de réglementation du cyberespace et des universitaires, ainsi que le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire au renseignement et le surintendant des institutions financières.

Les acteurs de l’industrie ont appuyé en grande partie le projet de loi et en ont souligné la nécessité. David Shipley, de Beauceron Security, a déclaré ceci :

J’aimerais reconnaître que d’importants changements proposés, par moi-même, mes collègues du conseil de la cybersécurité et d’autres personnes pendant les séances parlementaires, ont été acceptés. La suppression de l’article 10 et le rétablissement subséquent de la défense de diligence raisonnable, le retrait de l’obligation de signaler immédiatement des incidents de cybersécurité et l’harmonisation avec les obligations existantes en Amérique du Nord étaient tous des changements nécessaires.

D’autres témoins ont dit craindre que le projet de loi C-26 donne au gouvernement la capacité de recueillir des renseignements personnels. Il est essentiel de se rappeler que le projet de loi porte sur les systèmes, et non sur les renseignements personnels. Les directives de cybersécurité données par le ministre porteront sur les systèmes de données.

(1520)

Des groupes de défense des libertés civiles et des experts de l’industrie ont également exprimé leur inquiétude quant à l’étendue des nouveaux pouvoirs qu’accorderait au gouvernement le projet de loi C-26. Par exemple, des intervenants ont souligné que le gouvernement pourrait émettre des ordres ou des directives sans mener de consultation ou tenir compte de facteurs pertinents, tels que l’existence d’options raisonnables qui pourraient remplacer l’émission de l’ordre ou de la directive.

Je rappelle à mes collègues que les amendements apportés par le comité de la Chambre ont renforcé la protection de la vie privée et la transparence grâce à l’inclusion des éléments suivants : l’ajout d’une norme de décision raisonnable pour les décrets, les arrêtés et les directives; l’ajout d’une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte lors de l’élaboration d’un décret, d’un arrêté ou d’une directive relative à la cybersécurité; l’ajout d’exigences en matière d’avis pour les décrets, arrêtés et directives confidentiels; l’ajout de dispositions plus explicites sur la protection de la vie privée et des renseignements personnels et une référence spécifique à l’applicabilité de la Loi sur la protection des renseignements personnels; l’ajout de considérations fédérales-provinciales sur le partage d’informations; et une obligation pour le ministre de la Sécurité publique d’aviser le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement dans les 90 jours suivant la prise d’un décret ou d’un arrêté en matière de cybersécurité.

En outre, des rapports annuels au Parlement devront inclure des renseignements comme le nombre de directives données et les exploitants désignés touchés, de même qu’une explication de la nécessité des directives, de leur caractère proportionnel et raisonnable et de leur utilité.

De plus, chers collègues, de nombreux organismes entendus par le comité réclamaient qu’un conseiller juridique spécial soit nommé pendant les instances de contrôle judiciaire qui découleront des nouveaux pouvoirs que le projet de loi C-26 accorde au gouvernement, qui pourra désormais donner des ordres et des directives.

Grâce à une disposition de coordination ajoutée au projet de loi C-70, Loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère, qui a reçu la sanction royale le 20 juin, il y a maintenant de nouvelles dispositions pour encadrer le traitement des renseignements sensibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Les dispositions du projet de loi C-70, qui s’appliquent à l’ensemble de la législation fédérale et qui remplaçaient celles qui se trouvaient dans le projet de loi C-26, font suite aux inquiétudes exprimées par l’une des personnes entendues par le comité de l’autre endroit pendant l’étude du texte, notamment en ce qui concerne la nomination d’un conseiller juridique spécial.

Le projet de loi C-70 a donc modifié la Loi sur la preuve au Canada afin de créer un régime d’instances sécurisées de contrôle des décisions administratives qui s’applique à l’ensemble de la législation fédérale, et pas seulement au projet de loi C-26. Ce nouveau régime est défini à l’article 84 de la Loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère. Il autorise par exemple les juges à fonder leurs décisions sur des renseignements sensibles tout en empêchant que ceux-ci soient révélés au grand public. Il permet en outre la nomination d’un conseiller juridique spécial pour représenter les intérêts des parties non gouvernementales tout au long des procédures. Il prévoit enfin qu’un résumé des renseignements confidentiels soit produit ou que les renseignements en cause soient révélés si l’intérêt public l’emporte sur les risques pour la sécurité nationale.

Je voudrais terminer mon intervention aujourd’hui en évoquant brièvement des projets de loi similaires qui ont été adoptés par nos alliés du Groupe des cinq.

Les États-Unis ont entamé des consultations avec l’industrie sur leur loi sur le signalement des incidents cybernétiques pour les infrastructures critiques. Les sanctions en cas de non-respect de la loi comprennent des amendes importantes et des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. Les particuliers peuvent être accusés d’outrage au tribunal fédéral, se voir imposer des sanctions ou être radiés du barreau, s’il s’agit de professionnels du droit. Contrairement au projet de loi C-26, qui ne s’applique, à ce stade, qu’à quelques éléments d’infrastructures essentielles, le gouvernement américain estime que 300 000 entités seront couvertes par sa nouvelle loi.

La loi britannique sur la sécurité des télécommunications de 2021 est largement similaire au projet de loi C-26. Cette loi exige des fournisseurs de télécommunications qu’ils mettent en place des mesures pour détecter les cybermenaces et défendre leurs réseaux contre celles-ci, ainsi que pour se préparer à tous les risques. En vertu de cette loi, il faut agir rapidement après un incident de sécurité afin de limiter les dommages, d’y remédier et d’en atténuer les effets.

L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont également mis en place des projets de loi similaires. Interrogé par le comité sur le risque que le Canada soit à la traîne par rapport à ses alliés du Groupe des cinq, Todd Warnell, le directeur de la sécurité de l’information chez Bruce Power, a répondu :

Je dirais que, lorsqu’une partie d’un groupe ne fait pas sa part, elle est généralement laissée pour compte. Je crois qu’un comportement ou un résultat similaires attendent le Canada si nous ne créons pas les outils et les capacités adéquates dans notre législation nationale afin de rester au moins en phase avec nos alliés les plus importants.

Il a ajouté ceci :

Idéalement, j’aimerais nous voir en tête du peloton. Nous disposons de capacités, de dirigeants ou de technologues extraordinaires, dans les organisations qui travaillent au quotidien pour le gouvernement du Canada. Nous devons être en mesure de les aider à donner le meilleur d’eux-mêmes, non seulement au Canada, mais aussi dans les pays du monde entier.

Chers collègues, il est toujours difficile de trouver l’équilibre entre les libertés personnelles et l’intérêt public d’un côté et la sécurité nationale de l’autre. Je prends au sérieux les personnes qui estiment que le projet de loi comporte certains problèmes en matière de protection des renseignements personnels. J’estime aussi que la version amendée du projet de loi réussit à concilier ces intérêts parfois divergents.

Qu’on se comprenne bien : sans ce projet de loi, nous n’aurons pas l’autorité législative nécessaire pour défendre ne serait-ce que minimalement nos infrastructures essentielles. Sans lui, nous faciliterons la vie des pirates, qu’ils soient parrainés par un État ou non, qui veulent s’attaquer à nos réseaux. Sans lui, nous accuserons un retard certain par rapport à nos partenaires du Groupe des cinq.

À l’autre endroit, tous les partis se sont entendus sur l’importance de ce projet de loi et l’ont appuyé. J’espère qu’il en sera de même au Sénat. Je vais terminer mon intervention en citant à nouveau M. Warnell. Dans son témoignage au comité, il a dit :

Le projet de loi C-26 est une première étape importante vers le renforcement de la résilience et de la sécurité des infrastructures canadiennes essentielles pour assurer la sécurité, la fiabilité et l’intégrité des services essentiels pour tous les Canadiens. Ce n’est pas une simple proposition, c’est un engagement à protéger l’épine dorsale de l’économie et la sécurité de la nation, dans un environnement de menace de cybersécurité mondiale de plus en plus complexe et en constante évolution.

Chers collègues, je ne saurais mieux le dire. Je vous demande d’envisager sérieusement d’appuyer l’adoption du projet de loi C-26 et de nous donner les outils dont nous avons besoin pour faire face à cette menace. Merci. Meegwetch.

L’honorable Pat Duncan : Je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-26, Loi concernant la cybersécurité, modifiant la Loi sur les télécommunications et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois. Je tiens à remercier le sénateur McNair pour ses observations réfléchies et sa gestion de ce projet de loi très important. Le sénateur McNair a parlé avec brio de la cybersécurité dans son discours. Mes observations porteront davantage sur les infrastructures essentielles.

Comme nous en sommes aujourd’hui pleinement conscients, les infrastructures de communication sont de plus en plus essentielles et de plus en plus vulnérables aux attaques et aux pannes, lesquelles peuvent avoir des conséquences dévastatrices. Plus l’infrastructure est vulnérable, plus la population qu’elle dessert est en danger. Il n’est pas surprenant que le Nord du Canada soit plus exposé en raison de son manque de redondances et de son vaste territoire relativement peu protégé.

Honorables sénateurs, mon territoire d’origine, le Yukon, auquel j’essaie de donner une voix à la Chambre haute, n’a qu’un seul câble de fibre optique qui entre dans le territoire par le sud. Il s’agit de notre ligne de vie en matière de communications, qui dessert l’ensemble de la population en services de téléphonie cellulaire et d’Internet, y compris les systèmes d’intervention d’urgence du territoire.

Quand ce câble est endommagé ou sectionné, ce qui, malheureusement, n’est pas inhabituel, que ce soit à cause des feux de forêt, de la fonte du pergélisol ou de la rétrocaveuse d’un entrepreneur dans le Nord de la Colombie-Britannique, le Yukon n’a pas d’autre choix que de recourir au nombre croissant d’antennes paraboliques Starlink, aux bénévoles de l’association locale des radioamateurs du Yukon ou, pour informer le public, à CBC/Radio-Canada sur la bande FM. J’ai souligné l’importance du radiodiffuseur public dans mon discours sur l’interpellation du sénateur Cardozo.

Le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest ont travaillé avec le fournisseur de services de communication NorthwesTel pour créer de la redondance. Le financement public joue un rôle primordial dans la réalisation de ce projet, car le petit nombre de clients et les grandes distances à couvrir ne permettent pas aux forces du marché d’assurer et d’élargir l’accès à un coût raisonnable.

La ligne à fibre optique de la route Dempster, qui relie la ligne à fibre optique du Yukon à la liaison par fibre optique de la vallée du Mackenzie, dans les Territoires du Nord-Ouest, forme une boucle, ce qui crée de la redondance et permet une plus grande résilience des communications face aux interruptions de services. Les changements climatiques accentuent la vulnérabilité en augmentant la fréquence et l’étendue des feux de forêt ainsi qu’en accélérant la fonte du pergélisol.

(1530)

Ce projet, financé par le Yukon conformément à ses directives d’approvisionnement visant les Premières Nations, avec le soutien financier du Canada, est un exemple concret d’infrastructures nordiques polyvalentes. Les trois premiers ministres du Nord ont demandé que le Canada investisse dans ce type d’infrastructures polyvalentes.

Les infrastructures polyvalentes du Nord canadien font également partie de notre contribution à la défense du Nord circumpolaire. Elles devraient être considérées comme faisant partie de notre contribution à l’OTAN, même si ce n’est pas le cas en ce moment. Les investissements du gouvernement du Canada dans ces infrastructures essentielles sont primordiaux.

Honorables sénateurs, le gouvernement du Canada a indiqué clairement son raisonnement et son intention pour cette mesure législative. Des craintes ont été soulevées par rapport au recours croissant à certaines entreprises étrangères de certains pays et au contrôle grandissant qu’elles exercent, comme Huawei et ZTE. Ce ne sont pas les seuls acteurs du marché qui pourraient avoir des motifs sinistres ou entretenir des liens étroits avec des gouvernements que le Canada considère comme des menaces ou des concurrents féroces.

Pour NorthwesTel et d’autres fournisseurs du marché canadien qui étendent et entretiennent leurs infrastructures, il est essentiel de disposer d’un cadre législatif qui définit où ils peuvent obtenir des services et du matériel afin d’orienter leurs décisions d’approvisionnement. Le secteur canadien des télécommunications doit être concurrentiel, fort et sûr.

À la partie 2 du projet de loi, le terme « cybersystème essentiel » est défini ainsi :

Tout cybersystème dont la compromission, en ce qui touche la confidentialité, l’intégrité ou la disponibilité, pourrait menacer la continuité ou la sécurité d’un service critique ou d’un système critique.

Le terme « incident de cybersécurité » y est aussi défini :

incident de cybersécurité Relativement à un cybersystème essentiel, incident, notamment acte, omission ou situation, qui nuit ou qui peut nuire :

a) soit à la continuité ou à la sécurité d’un service critique ou d’un système critique;

b) soit à la confidentialité, à l’intégrité ou à la disponibilité du cybersystème essentiel.

La question de la disponibilité est celle qui m’inquiète le plus quand je pense au Nord du Canada.

Honorables sénateurs, l’usage omniprésent de Starlink au Yukon a de quoi inquiéter. Dernièrement, Yukon News nous apprenait que Starlink fonctionne au maximum de sa capacité au Yukon. On rapporte aussi des problèmes de connexion et de qualité du signal.

Troisième problème, la chaîne d’approvisionnement étant ce qu’elle est, il est impossible de se faire livrer rapidement des pièces matérielles en cas de pépin technique ou de malfonctionnement de la coupole. En cas de panne du réseau cellulaire ou d’Internet, les premiers intervenants du Yukon doivent utiliser Starlink pour communiquer. Cela dit, il n’y a pas que la capacité et la disponibilité qui comptent, il faut aussi penser à la prévisibilité des acheminements.

Du point de vue de la sécurité nationale, ces améliorations sont plus que nécessaires pour assurer la connectivité dans le Nord. Le soutien financier à Telesat que le gouvernement a annoncé dernièrement est essentiel pour la modernisation de l’OTAN et du NORAD, mais aussi pour les gouvernements territoriaux et pour les interventions d’urgence visant les infrastructures. En plus d’offrir une meilleure gamme de solutions, il évite la dépendance à un fournisseur de services unique.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-26 est un outil essentiel permettant aux organismes de réglementation de veiller à ce que notre infrastructure serve le Canada et les Canadiens. L’imposition d’interdictions aux fournisseurs de services de télécommunications utilisant des produits et des services de fournisseurs précis considérés comme présentant un risque est un pouvoir nécessaire prévu dans ce projet de loi.

La capacité de désigner un cybersystème essentiel et de définir un incident de cybersécurité est très préoccupante. Le sénateur McNair en a parlé dans ses observations.

Je tiens à féliciter les Canadiens et les intervenants de l’industrie d’être de plus en plus conscients de ces menaces et de chercher à faire face à celles-ci. En tant que pays, nous avons commencé le travail nécessaire à notre protection. Même si nous sommes en retard, comme l’ont dit de nombreux témoins au comité, ce projet de loi nous donnera un cadre à l’intérieur duquel nous pourrons poursuivre nos efforts visant à évaluer la nécessité d’apporter de futures modifications législatives et des améliorations subséquentes.

J’exhorte les honorables sénateurs à appuyer l’adoption de ce projet de loi à l’étape de la troisième lecture.

Merci, shä́w níthän, mahsi’cho, gùnáłchîsh.

L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, j’interviens à l’étape de la troisième lecture à titre de porte-parole du projet de loi C-26, Loi concernant la cybersécurité, modifiant la Loi sur les télécommunications et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois. Ce projet de loi est volumineux, complexe et très technique.

Le projet de loi se compose de deux parties, dont la première modifie la Loi sur les télécommunications afin :

[...] d’autoriser le gouverneur en conseil et le ministre de l’Industrie à ordonner aux fournisseurs de services de télécommunication de faire ou de s’abstenir de faire toute chose nécessaire pour sécuriser le système canadien de télécommunication.

La partie 2 du projet de loi édicte la Loi sur la protection des cybersystèmes essentiels, qui autorise le gouvernement à protéger les cybersystèmes essentiels à la sécurité nationale et à la sécurité publique du Canada, notamment dans les secteurs de la finance, des télécommunications, de l’énergie et des transports.

Dans la partie 1 du projet de loi, les modifications à la Loi sur les télécommunications donneront au gouvernement le pouvoir d’imposer aux fournisseurs de services de télécommunications leur mode de fonctionnement, notamment en leur interdisant de fournir des services aux particuliers si le gouvernement a des motifs raisonnables de croire qu’il faut protéger les systèmes de télécommunications canadiens contre des menaces.

Le projet de loi prévoit également des sanctions pécuniaires pour assurer le respect des règles.

Comme je l’ai dit, la partie 2 du projet de loi C-26 édicte la Loi sur la protection des cybersystèmes essentiels et désigne les secteurs cruciaux sous réglementation fédérale et les opérateurs de ces secteurs comme responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre de plans de cybersécurité visant à protéger les infrastructures essentielles.

La loi exigera que les exploitants désignés signalent au gouvernement les incidents de cybersécurité. Elle accorde à certains organismes gouvernementaux et ministères des pouvoirs de surveillance leur permettant de vérifier et d’inspecter les systèmes de cybersécurité dont ils sont responsables.

Ce projet de loi était attendu depuis longtemps. Le gouvernement Trudeau a tenu des consultations publiques pour la première fois à ce sujet en 2016. En 2018, le gouvernement a publié la Stratégie nationale de cybersécurité. On a dû attendre encore quatre ans, jusqu’en 2022, avant que le gouvernement rédige et présente ce projet de loi au Parlement. Il a ensuite fallu deux ans de plus pour que le projet de loi franchisse toutes les étapes à la Chambre des communes et qu’on y apporte des amendements importants à l’étape de l’étude en comité. Même après son adoption au Sénat, on prévoit qu’il faudra encore deux ans à l’étape de la réglementation avant qu’une grande partie des mesures du projet de loi entrent en vigueur.

En tout, il aura fallu près d’une décennie pour mettre en œuvre des mesures de protection dans un domaine aussi crucial.

Le Sénat n’a reçu le projet de loi C-26 qu’à la toute fin de la session de juin. En réalité, le projet de loi n’est au Sénat que depuis deux mois et demi, mais le gouvernement Trudeau tente toujours de pousser les sénateurs à se dépêcher d’adopter ce projet de loi, comme il le fait si souvent.

Encore aujourd’hui, le parrain du projet de loi vient de prononcer son discours à l’étape de la troisième lecture. Aujourd’hui, en tant que porte-parole, je dois prononcer mon discours à l’étape de la troisième lecture de cet important projet de loi, sans avoir le temps — pas même un jour — d’y réfléchir avant de réagir.

L’expérience du projet de loi C-26 nous démontre qu’il est risqué d’adopter une mesure législative trop rapidement, compte tenu du fait que le gouvernement a été contraint d’amender son propre projet de loi à la dernière seconde en raison d’une erreur dans un amendement de coordination avec la mesure sur l’ingérence étrangère, le projet de loi C-70, un projet de loi que le gouvernement Trudeau a également fait adopter à toute vitesse plus tôt cette année.

Si l’erreur n’avait pas été détectée, elle aurait essentiellement vidé le projet de loi C-26 de sa substance, supprimant ainsi les principales dispositions destinées à protéger la cybersécurité du Canada dans les systèmes essentiels sous réglementation fédérale.

Au Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense, les représentants du gouvernement et de la défense ont qualifié cette erreur d’exceptionnelle et de cas isolé. Lorsque je leur ai demandé quels processus le gouvernement avait mis en place pour s’assurer qu’un tel problème ne se reproduise pas, ils n’ont absolument rien répondu. Ils examinent la situation et essaient de la comprendre.

Dans une situation semblable, on pourrait espérer que l’erreur soit décelée au Sénat, lors de l’examen article par article. Dieu merci, c’est ce qui est arrivé en l’occurrence, mais compte tenu de la rapidité avec laquelle des articles entiers sont adoptés lors de l’examen article par article, il n’y a aucune garantie à cet égard non plus. Ce n’est certainement pas un plan pour s’assurer que cela ne se reproduise jamais. On dirait plutôt qu’on se croise les doigts en espérant que cela ne se reproduise pas.

Le sénateur Yussuff, le président du comité, a proposé hier au Sénat son plan pour éviter que cela ne se reproduise au Comité de la sécurité nationale et de la défense. Voici ce qu’il a dit :

[...] lorsque le [comité] examinera à nouveau le projet de loi et que les fonctionnaires témoigneront, nous pourrions commencer par leur poser la question suivante : « Y a-t-il des erreurs dans ce projet de loi dont nous devrions être au courant? » Cela les obligera peut-être à le lire attentivement avant l’examen article par article.

Avec tout le respect que je vous dois, sénateur Yussuff, parlez-vous sérieusement? Sans doute, si les fonctionnaires avaient lu un projet de loi attentivement et y avaient trouvé des erreurs, ils les auraient corrigées avant l’examen article par article au Sénat.

Dans le cas du projet de loi C-26, j’ai posé une question au sujet des dispositions de coordination entre le projet de loi C-70 et le projet de loi C-26 aux fonctionnaires qui accompagnaient les ministres lors de leur comparution devant le comité. C’était au moins un mois avant la découverte de cette erreur de taille.

(1540)

J’ai dit :

Bien entendu, une partie de votre projet de loi est déjà dépassée. Le projet de loi C-70, que nous avons adopté au Sénat en juin, contient une partie qui rend obsolète une certaine partie du projet de loi C-26.

Le fonctionnaire de Sécurité publique Canada a répondu :

Pour être honnête, je ne suis pas un expert en ce qui concerne le projet de loi C-70, mais si j’ai bien compris, je crois que, sur le plan politique, il visait en fait à regrouper les exigences en matière de sécurité pour les poursuites administratives dans un seul texte législatif en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, au lieu de créer des textes législatifs particuliers comme le Programme de protection des passagers ou le projet de loi C-26.

Pour les fonctionnaires qui suivent le cheminement du projet de loi au Parlement, cela aurait alors dû servir de signal pour examiner de nouveau ces dispositions de coordination.

La pression exercée par le gouvernement pour que les projets de loi soient adoptés rapidement ne fera qu’engendrer d’autres erreurs de ce genre à l’avenir. J’aimerais pouvoir dire que ce qui s’est passé avec le projet de loi C-26 était exceptionnel, mais combien de fois le gouvernement Trudeau a-t-il exhorté les sénateurs à adopter à toute vitesse ses mesures législatives? Cela se produit trop souvent dans cette enceinte. D’énormes projets de loi de crédits, qui prévoient des millions ou des milliards de dollars de dépenses, franchissent toutes les étapes du processus législatif au Sénat en quelques secondes. Le projet de loi C-76 sur le parc national Jasper a été adopté par le Sénat en quelques jours cet automne. Le projet de loi C-78, le tour de passe-passe fiscal temporaire que le gouvernement joue aux Canadiens, est arrivé mardi au Sénat et devrait y être adopté très bientôt. Et combien d’études intensives en comité ont été sacrifiées en faveur d’une séance de deux heures en comité plénier, au cours de laquelle seule une poignée de sénateurs disposent de quatre ou cinq minutes chacun pour interroger un seul ministre sur un texte législatif complexe — la vaste majorité des sénateurs qui posent des questions ayant été nommés par le premier ministre, c’est-à-dire le chef du gouvernement? Selon mes calculs, il y en a eu au moins six au cours de cette session parlementaire, dont certaines portaient sur des projets de loi controversés et complexes tels que la loi sur le suicide assisté. Une telle situation ne permet pas de demander des comptes au gouvernement, de mener un examen parlementaire et certainement pas de procéder à un second examen objectif. Elle est causée par un gouvernement qui cherche désespérément à esquiver les questions et à éviter de rendre des comptes.

Avant d’entrer plus avant dans les détails du projet de loi C-26, il vaut la peine de s’intéresser à l’état actuel du « nouveau » Sénat « indépendant » et au fait que les pratiques actuelles du Sénat ne sont pas propices à un examen adéquat des mesures législatives ni au bon fonctionnement du Parlement dans l’intérêt de tous les Canadiens. Le projet de loi C-26 est la victime de ces travers.

J’ai souligné je ne sais plus combien de fois la réticence du leader du gouvernement Trudeau au Sénat à répondre aux questions au nom du gouvernement qu’il représente. Pourtant, voilà qu’encore une fois, avec le projet de loi C-26, il a choisi de ne prendre la parole ni à l’étape de la deuxième lecture ni à celle de la troisième lecture. Ce faisant, il empêche les sénateurs de poser des questions au sujet des mesures législatives proposées par le gouvernement. C’est rendu le modus operandi habituel du gouvernement Trudeau.

Quel que soit le projet de loi que propose le gouvernement, le sénateur Gold, qui est officiellement le représentant du gouvernement au Sénat, n’a jamais — jamais — pris la parole à l’étape de la deuxième ou de la troisième lecture depuis février 2023. C’est honteux, honorables sénateurs. Ce n’est pas ainsi que devrait fonctionner le Parlement, et c’est une honte que j’aie dû le répéter aussi souvent dernièrement.

Quand j’ai relancé le sénateur Gold à ce sujet, dernièrement, il a répondu que son bureau, qui est composé de trois personnes, se fie à « l’expérience, à l’expertise et à la volonté des sénateurs [pour] parrainer des projets de loi du gouvernement » et il a ajouté ceci :

[En] tant que représentant du gouvernement, j’appuie un projet de loi du gouvernement, et personne n’a besoin de m’écouter pour le découvrir.

Pourtant, lors d’une récente réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, le parrain du projet de loi S-15, un projet de loi d’initiative ministérielle, a proposé un énorme amendement au projet de loi et le sénateur Gold n’a pas voulu promettre que le gouvernement l’appuiera. Qui peut donc savoir? Les sénateurs ne sont pas mentalistes, sénateur Gold. Nous ne pouvons pas lire dans les pensées.

Selon vous, sénateur Gold, les sénateurs indépendants qui parrainent les projets de loi du gouvernement Trudeau ne sont pas des représentants du gouvernement Trudeau. Bien qu’ils aient presque tous été nommés par le premier ministre et que beaucoup d’entre eux aient des liens étroits avec le Parti libéral, ils ne répondent pas et ne peuvent pas répondre au nom du gouvernement. La capacité de poser des questions au gouvernement et d’obtenir des réponses de la part de quelqu’un qui doit vraiment rendre des comptes au gouvernement est un élément fondamental du débat au Sénat et de notre rôle. Il est décourageant de constater que le gouvernement Trudeau s’est si facilement dispensé de cette responsabilité.

En outre, le leader du gouvernement Trudeau au Sénat dispose de nombreuses ressources auxquelles les sénateurs n’ont pas accès, notamment un budget annuel de 1,5 million de dollars, plusieurs membres du personnel ainsi que le soutien du Cabinet du premier ministre, des ministres, du Bureau du Conseil privé et du gouvernement et un accès direct à ces derniers.

Il est stupéfiant que le sénateur Gold prétende que les sénateurs indépendants bénéficient des mêmes séances d’information que lui en sa qualité de leader du gouvernement et de membre du Conseil privé qui assiste aux réunions du Comité des opérations du Cabinet. Si le leader du gouvernement au Sénat ne reçoit vraiment pas plus d’information qu’un sénateur indépendant, c’est un signal d’alarme qui montre que le Sénat indépendant de Justin Trudeau ne fonctionne ni correctement ni efficacement. Soit dit en passant, ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnaient sous notre précédent gouvernement conservateur.

Nous constatons également cette inefficacité lorsqu’il s’agit d’amendements proposés au Sénat. Les sénateurs indépendants de Justin Trudeau se vantent du nombre d’amendements qu’ils proposent aux projets de loi, mais ce qu’on ne dit pas, c’est qu’un pourcentage élevé de ces amendements du Sénat ayant été acceptés par le gouvernement sont en réalité des amendements du gouvernement Trudeau visant à corriger des lacunes dans ses projets de loi, ce qui aurait dû être fait bien plus tôt dans le processus parlementaire qu’à l’étape finale...

[Français]

Son Honneur la Présidente : Sénateur Dagenais, voulez-vous intervenir?

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Je suis vice-président du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. J’aimerais qu’on parle du projet de loi C-26. Toutefois, actuellement, je ne sais pas si l’on parle du projet de loi C-26 ou si l’on fait une critique du gouvernement Trudeau. J’aimerais qu’on s’en tienne à une critique du projet de loi C-26.

Sans vouloir manquer de respect à la sénatrice Batters, on l’entend parfois dire que le gouvernement Trudeau va trop vite, trop rapidement, et à l’occasion, on l’entend dire qu’il va trop lentement, qu’il se traîne les pieds. Aidez-moi à comprendre.

Son Honneur la Présidente : La sénatrice Batters a utilisé un peu de son temps de parole pour faire cela. J’ai l’impression qu’elle reviendra à son sujet.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Ce qu’on ne dit pas, c’est qu’un pourcentage élevé de ces amendements du Sénat qui sont acceptés par le gouvernement — comme dans le cas du projet de loi C-26 — sont en réalité des amendements du gouvernement Trudeau visant à corriger des lacunes dans ses propres projets de loi. Les changements apportés pour corriger des erreurs auraient dû l’être beaucoup plus tôt dans le processus parlementaire au lieu d’être apportés à la dernière étape de l’examen article par article du comité sénatorial.

Dans le système sénatorial traditionnel, où les sénateurs faisaient partie des caucus des partis nationaux avec leurs collègues de la Chambre des communes, les sénateurs membres du caucus du gouvernement pouvaient donner leur avis sur les projets de loi avant même qu’ils soient présentés à la Chambre. Ainsi, les projets de loi progressaient plus efficacement au Parlement, ils étaient moins souvent adoptés à toute vapeur et à la dernière minute, et ils étaient de meilleure qualité.

Dans le nouveau système sénatorial, où les sénateurs nommés par Trudeau sont supposément indépendants, le gouvernement fait plutôt de son mieux pour semer la confusion dans l’esprit des nouveaux sénateurs et pour faire craindre l’adoption de tout amendement qui n’émane pas du gouvernement. Le gouvernement Trudeau exhorte les sénateurs à adopter rapidement des mesures législatives sans qu’ils les examinent à fond afin d’atteindre ses objectifs politiques et de respecter ses échéanciers.

Le gouvernement pousse le Sénat à adopter rapidement — presque dès que nous les recevons — des mesures législatives comme le projet de loi C-26. Il a fallu huit ans pour aboutir à ce projet de loi, dont deux ans à la Chambre des communes. Or, le gouvernement Trudeau veut que le Sénat l’adopte immédiatement même si nous venons à peine de le recevoir. Ce projet de loi a été modifié à maintes reprises — et de façon importante — au comité de la Chambre des communes, mais le gouvernement, fidèle à son habitude, n’a pas accepté un amendement raisonnable et constructif proposé par le comité sénatorial. Il n’a accepté, bien évidemment, que l’amendement qu’il a lui-même présenté afin de corriger une lacune législative quasi fatale que le gouvernement aurait dû relever bien plus tôt.

Honorables sénateurs, en particulier ceux d’entre vous qui sont relativement nouveaux ici, vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les députés sont autorisés à amender des projets de loi, mais que les sénateurs sont découragés de le faire? Le gouvernement Trudeau et les parrains de ses projets de loi, y compris le projet de loi C-26, ne cessent de répéter qu’il ne faut pas laisser le mieux être l’ennemi du bien. Comme je l’ai dit à maintes reprises, c’est peut-être la phrase que j’affectionne le moins. Nous sommes le Sénat du Canada. Nous sommes censés parfaire les projets de loi. Le second examen objectif est en fait notre travail.

Le gouvernement tente de faire peur aux sénateurs indépendants en leur faisant croire qu’en renvoyant à la Chambre des communes un projet de loi contenant des amendements qui ne proviennent pas du gouvernement, cela aura pour effet de torpiller la mesure législative. C’est le gouvernement qui établit le programme législatif à la Chambre des communes. C’est aussi le gouvernement qui décide si les amendements du Sénat seront acceptés, et il est généralement capable de rallier suffisamment de votes à la Chambre pour assurer l’adoption du projet de loi vu que le gouvernement détient la balance du pouvoir à la Chambre.

Le gouvernement Trudeau tente souvent d’imposer son programme législatif à toute vitesse, passant ainsi outre à de nombreux et excellents témoignages devant les comités du Sénat. Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants a procédé à une étude exhaustive du projet de loi C-26 et a entendu de nombreux témoins experts. Même si tous les témoins dont je peux me souvenir ont convenu qu’une loi en matière de cybersécurité s’impose depuis longtemps au Canada, la plupart ont admis que le projet de loi C-26 est un premier pas dans cette direction. Presque tous les témoins ont exprimé des réserves importantes au sujet du projet de loi C-26, en particulier en raison de graves lacunes au chapitre de la protection des renseignements personnels des Canadiens. Le comité a entendu le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire au renseignement, des représentants d’organismes de défense des libertés civiles, des experts juridiques et des universitaires, entre autres. Pendant plusieurs semaines, des témoins experts ont soulevé des préoccupations majeures au sujet du projet de loi. Certains de ces témoins ont présenté des mémoires fort étoffés avec plusieurs amendements visant à corriger des lacunes majeures du projet de loi.

(1550)

Bon nombre des amendements demandés portaient sur la nécessité d’accroître la transparence, la surveillance et la reddition de comptes, de mieux préciser et clarifier la définition de « renseignements personnels » dans le projet de loi C-26, de prévoir une période de conservation maximale pour les renseignements recueillis, d’imposer des restrictions pour que les renseignements recueillis en vertu de cette loi soient utilisés exclusivement à des fins de cybersécurité et d’assurance de l’information, et d’imposer des limites à l’échange de renseignements, en particulier avec les organismes de renseignement des alliés du Canada au sein du Groupe des cinq.

Kate Robertson, du Citizen Lab, a déclaré que les vastes pouvoirs de collecte de renseignements prévus à l’article 15.4 du projet de loi C-26 soulevaient des préoccupations parce qu’il manquait plusieurs mesures de protection, notamment en ce qui concerne le contrôle judiciaire. Elle a dit :

Le contrôle judiciaire a été mentionné la semaine dernière comme un moyen de faire intervenir les tribunaux, mais il ne s’applique pas au pouvoir de collecte prévu à l’article 15.4.

C’est la lacune la plus importante de ce projet de loi : même la Cour fédérale a été essentiellement écartée de l’examen du pouvoir de collecte. C’est ce que nous avons inclus dans la recommandation 6, dont vous finirez par prendre connaissance, qui fait référence à la nécessité d’un contrôle par la Cour fédérale. Cependant, la recommandation 7 du mémoire recommande également que ces pouvoirs ne se transforment pas en pouvoirs liés à la surveillance ou à la sécurité nationale. On a dit au comité que ce projet de loi concerne la cybersécurité et non la sécurité nationale. Cependant, nous savons, d’après les positions prises par des organismes de sécurité nationale comme le [Centre de sécurité des télécommunications], que les données reçues à des fins de cybersécurité seront utilisées dans le cadre de leur mandat. Cet effet devrait être restreint par ce qui est compris dans la recommandation 7, c’est-à-dire limiter l’utilisation de ces données aux seuls mandats de cybersécurité.

Le commissaire à la protection de la vie privée fait écho à l’inquiétude de Mme Robertson concernant l’absence de contrôle judiciaire. Voici ce qu’on peut lire à ce sujet dans les messages clés se trouvant sur son site Web :

Les directives, les arrêtés et les décrets peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire, mais les audiences relatives au contrôle judiciaire peuvent se dérouler en secret, et les éléments de preuve utilisés contre les demandeurs peuvent leur être cachés.

Le projet de loi C-26 ne prévoit pas d’autres mesures de surveillance particulières pour les directives de cybersécurité, les arrêtés ou les décrets.

Cela signifie que les personnes dont les renseignements personnels ont pu être recueillis par le gouvernement, et utilisés pour étayer une directive, un arrêté ou un décret qui les concerne, ne le sauront peut-être jamais.

Matthew Hatfield, directeur exécutif d’OpenMedia, avait aussi de sérieuses réserves à l’endroit du projet de loi. Il a dit :

Le projet de loi C-26 n’est pas encore en état de servir, un point c’est tout [...]

Dans l’état actuel des choses, les gens ne peuvent pas avoir confiance dans le projet de loi C-26. Oui, il a été amélioré par les députés lorsqu’il est passé par la Chambre des communes, mais il contient plusieurs bombes à retardement qui, si vous ne les désamorcez pas, peuvent causer un préjudice grave aux Canadiens dans l’avenir.

La première bombe à retardement est que le projet de loi C-26 permet au gouvernement de garder ses décrets à l’intention des entreprises de télécommunications entièrement secrets, et ce, indéfiniment. Nous comprenons tous la nécessité, parfois, d’agir rapidement et de dissimuler des parties de décisions à des adversaires du Canada, mais le secret permanent sans divulgation imposée est extrêmement dangereux. Si cet article n’est pas modifié, nous jetons les bases d’une vaste architecture de gouvernance et de surveillance de plus en plus secrète créée par ces décrets qui n’ont pas leur place dans une démocratie supplémentaire.

La deuxième bombe à retardement est que le projet de loi C-26 donne au gouvernement une marge de manœuvre beaucoup trop grande pour ordonner aux entreprises de télécommunications, aux banques et à d’autres institutions désignées de céder nos renseignements personnels et privés, de les utiliser et de les communiquer comme bon lui semble, y compris à des entités étrangères. Les Canadiens devraient être convaincus que les renseignements recueillis à des fins de cybersécurité sont utilisés à cette seule fin, et non pas pour recueillir des signaux d’activités de manifestation ou pour qu’ils soient donnés librement à des organismes d’application de la loi. En ce moment, cette confiance n’est tout simplement pas là.

La troisième bombe à retardement est que le projet de loi C-26 continue de donner au gouvernement le pouvoir d’installer les appareils sur des réseaux qui permettent de déchiffrer le cryptage. Interdire au ministre d’exiger directement nos messages privés sans mesures de protection supplémentaires revient à dire que le projet de loi C-26 ne nous oblige pas à rapporter nos conversations directement au gouvernement, mais seulement à garder décroché partout où nous allons un téléphone du gouvernement.

C’est le genre de témoignage alarmant que le comité a entendu au sujet du projet de loi C-26. C’est une raison de plus pour laquelle l’exclusion du commissaire à la protection de la vie privée et du commissaire au renseignement de ce projet de loi est si préoccupante. Les témoignages de Phillippe Dufresne, commissaire à la protection de la vie privée, et de Simon Noël, commissaire au renseignement, ont révélé que le gouvernement Trudeau n’a consulté ni l’un ni l’autre lors de l’élaboration de cet important projet de loi sur la cybersécurité. C’est choquant. Ce sont les deux premiers fonctionnaires qui viendraient à l’esprit pour discuter de la sécurité des informations, en particulier des renseignements personnels des Canadiens.

De plus, lorsque les représentants du gouvernement Trudeau vont à l’étranger pour défendre les lois canadiennes sur la protection des données, ils soulignent la contribution du commissaire au renseignement à ce processus, mais le gouvernement Trudeau a délibérément exclu le commissaire au renseignement de l’élaboration du projet de loi C-26. Le commissaire à la protection des renseignements personnels, Philippe Dufresne, a confirmé que la seule contribution qu’il a apportée à la rédaction du projet de loi a été le témoignage public qu’il a fait devant le comité de la Chambre des communes.

Lui et moi avions eu l’échange suivant :

La sénatrice Batters :Monsieur Dufresne [...] quand est-ce que le gouvernement vous a consulté au sujet du projet de loi C-26?

M. Dufresne : Je ne pense pas que nous ayons été consultés lors de l’élaboration de ce projet de loi.

La sénatrice Batters : Pas du tout?

M. Dufresne : Nous avons fourni des recommandations lorsque le projet de loi était devant la Chambre des communes, et un certain nombre de ces recommandations ont été retenues.

La sénatrice Batters : Au comité. Merci. Eh bien, c’est un peu choquant.

Le commissaire au renseignement, M. Noël, était aussi perplexe que moi quant à la décision du gouvernement de ne pas consulter son bureau. Le mois dernier, il a déclaré :

Je ne sais pas pourquoi les auteurs de ce projet de loi ont décidé de... je n’ai pas été consulté. On ne m’a pas tenu au courant. Cependant, il y a quelques jours de cela, ils m’ont fait une offre, que j’ai refusée, car je suis un agent indépendant. Je ne sais pas pourquoi ils ont décidé de mettre à l’écart cette surveillance.

Il a aussi indiqué que le régime prévu dans le projet de loi C-26 ne respectait pas les protocoles habituels en matière d’approbation préalable. Voici ce qu’il a dit :

[...] le commissaire au renseignement assume un rôle de surveillance plutôt qu’une fonction d’examen. Mon approbation est requise avant que les activités puissent être menées. L’approbation du commissaire au renseignement est nécessaire parce que les activités que le ministre autorise peuvent être contraires à la loi ou porter atteinte aux attentes raisonnables de protection en matière de vie privée des Canadiens. Mon travail est de m’assurer que le ministre a trouvé un juste équilibre entre les objectifs de sécurité nationale, d’une part, et la Charte et les droits importants en matière de vie privée, d’autre part.

Une institution non fédérale peut demander de l’aide ou du soutien au Centre de la sécurité des télécommunications Canada en matière de cybersécurité. Si les activités de cybersécurité que le Centre de la sécurité des télécommunications Canada souhaite entreprendre pour appuyer l’entité non fédérale risquent de contrevenir à une loi ou peuvent mener à la collecte d’informations qui briment la vie des Canadiens, le ministre doit autoriser les activités. S’il le faut, je dois ensuite approuver l’autorisation.

Il a ensuite ajouté :

Dans le contexte du projet de loi C-26, il n’y a pas d’approbation préalable d’activités qui pourraient être contraires à la loi. Plus particulièrement, il y a deux points que j’aimerais porter à votre attention. Premièrement, le projet d’article 15.4 de la Loi sur les télécommunications permet au ministre, essentiellement, d’exiger la production de toute information à l’appui des arrêtés. Il se peut que cette information comprenne des renseignements personnels qui, en vertu d’exceptions générales, pourraient ensuite être largement diffusés. Deuxièmement, comme vous l’avez entendu d’autres témoins, la partie 2 permet aux organismes de réglementation de mener des activités équivalant à des saisies sans autorisation préalable, où, encore une fois, des renseignements personnels pourraient être recueillis.

Le grand absent dans ces situations, c’est le public canadien. C’est l’information personnelle des Canadiens qui pourrait faire l’objet de ces collectes.

En ce qui concerne les saisies, le commissaire au renseignement, M. Noël, a souligné avec inquiétude que le projet de loi C-26 ne contient pas les exigences habituelles concernant les mandats, sauf pour les maisons d’habitation. Il a dit que, dans tous les autres cas :

[...] lorsque le bureau d’un organisme réglementaire fait l’objet d’une perquisition, le responsable de l’organisme réglementaire en question pourrait entrer dans son bureau et y prendre ce qu’il veut. En temps normal, cela irait à l’encontre de la Charte.

J’ai lu l’énoncé concernant la Charte émis par le ministre, et je n’ai pas observé quoi que ce soit dans cet énoncé qui fournirait une justification aux termes de l’article premier de la Charte. Je n’ai rien vu de tel. Il s’agit de la première fois au Canada que n’importe qui peut entreprendre une fouille. La Cour suprême du Canada est très secrète à propos de ces informations. Dans le cas présent, c’est totalement absent.

Trois jours seulement avant le début de l’étude article par article, le sénateur McNair, le parrain du projet de loi au Sénat, a fait circuler une copie des réponses fournies par le gouvernement Trudeau aux questions qui avaient été soulevées pendant les réunions du comité. De toute évidence, l’objectif du document était d’apaiser les inquiétudes des sénateurs qui pourraient les pousser à remettre en question ou à amender le projet de loi.

J’ai demandé à l’un des experts qui ont témoigné au cours de l’étude du comité, le professeur Matt Malone, de nous faire part de ses commentaires sur le document. M. Malone a vivement critiqué presque tous les points soulevés; ses observations sont même souvent diamétralement opposées aux affirmations du gouvernement.

Alors que le gouvernement soutient que la partie 1 du projet de loi ne permettra que la collecte d’information technique et qu’elle n’autorisera pas les fournisseurs de services de télécommunications à intercepter des communications privées, M. Malone a plutôt affirmé ce qui suit :

L’article 15.2(2) indique clairement que le ministre peut ordonner à un [fournisseur de services de télécommunication] d’utiliser des « [...] produits ou [des] services, notamment ceux fournis par toute personne qu’il précise, notamment un fournisseur de services de télécommunication »; de mettre « en œuvre des normes qu’il précise relativement à leurs réseaux ou installations de télécommunication ou à leurs services de télécommunication »; ou « de faire ou de s’abstenir de faire toute chose qu’il précise [...] ». Ce sont là des pouvoirs très, très vastes.

Il poursuit ainsi :

On peut également soutenir que l’article 15.4 constitue un moyen détourné d’intercepter des communications privées sous le prétexte d’éventuels arrêtés pris en vertu des articles 15.1 ou 15.2.

(1600)

Ces articles du projet de loi donnent au ministre le pouvoir d’interdire aux fournisseurs de services d’utiliser tout produit ou partie d’un réseau ou d’une installation s’il estime, sur la base de motifs raisonnables, qu’il est nécessaire de le faire. Il s’agit donc d’un jugement strictement subjectif. Bien entendu, cela s’ajoute aux pouvoirs étendus que confère au ministre l’article 15.4, qui lui permet d’exiger de quiconque qu’il fournisse quoi que ce soit ou quelque information que ce soit, à tout moment, s’il a des motifs raisonnables de croire que cette information est pertinente pour un décret ou un règlement.

En réponse à l’affirmation, dans le document de questions et réponses, selon laquelle le gouvernement n’a pas l’intention, avec le projet de loi C-26, de recueillir des renseignements personnels, le professeur Malone déclare :

« Intention » est un terme inapproprié. Il faut examiner ce que la loi autorise. Or, l’article 15.4 autorise clairement la collecte de renseignements personnels et ne prévoit pas de garanties quant à la réutilisation de ces renseignements. Par conséquent, la réponse à la question « Le projet de loi C-26 permet-il au gouvernement d’accéder sans mandat à des renseignements personnels, sans aucune limite quant à l’utilisation de ces renseignements? » est manifestement oui.

Honorables sénateurs, comment le professeur Malone pourrait-il se tromper? Il se fie au texte du projet de loi, tandis que le gouvernement se fie à ce qu’il estime en être les intentions. Les représentants du gouvernement qui étaient présents pendant l’étude article par article n’ont pas réussi à contrer les arguments de M. Malone. Certains d’entre eux figuraient à n’en pas douter parmi les auteurs de la foire aux questions du gouvernement. Nous avons tout de suite vu que leurs arguments n’étaient pas suffisants pour atténuer les graves inquiétudes que soulève le projet de loi C-26.

Comment se fait-il que la plupart des autres sénateurs qui siègent au Comité de la sécurité nationale et de la défense n’aient pas été interpellés par le fossé qui sépare ces deux perspectives, et qui plus est au sujet des dispositions au cœur même du projet de loi? Voilà ce qui me fait le plus tiquer. J’en étais sans voix. Je peux seulement en conclure que leur idée était déjà faite.

En dépit des nombreux défauts du projet de loi C-26, j’ai proposé un seul amendement pendant l’étude article par article du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Il s’agissait d’un amendement motivé, qui s’inspirait de témoignages solides et qui avait l’aval du commissaire à la protection de la vie privée. Il aurait obligé le Centre de la sécurité des télécommunications à transmettre au commissaire à la protection de la vie privée une copie de tous les rapports sur les incidents de cybersécurité si l’incident risquait d’entraîner ou pouvait entraîner la divulgation de renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Cet amendement a été réclamé par plusieurs des témoins entendus par le comité, à commencer par le commissaire à la protection de la vie privée. Il a dit au comité que cette omission dans le projet de loi C-26 était extrêmement problématique dans la mesure où il ne peut pas faire enquête sur un incident dont il ignore l’existence.

[...] il est possible que mon bureau ne soit pas au courant d’un problème qui se produit en cas de confidentialité ou d’atteinte à la sécurité des données. D’où la recommandation que j’ai incluse, à savoir que si une atteinte à la sécurité des données est signalée au CST, le CST devrait la signaler à mon bureau, ce qui renforce notre collaboration.

Sur la recommandation du Bureau du légiste du Sénat, j’ai également clarifié le sens du terme « renseignements personnels », qui est mal défini dans cette partie du projet de loi C- 26. Pour plus de certitude, nous avons lié la définition dans l’amendement à celle dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, qui définit les renseignements personnels comme « tout renseignement concernant un individu identifiable ».

J’ai également demandé au commissaire à la protection de la vie privée de revoir le libellé de mon projet d’amendement, et il a confirmé qu’il assurerait la protection des renseignements personnels des Canadiens de la façon qu’il souhaitait. Voici ce que m’a dit le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Nous sommes favorables à l’ajout d’une disposition au projet de loi qui obligerait le Centre de la sécurité des télécommunications à fournir au Commissariat à la protection de la vie privée une copie du rapport d’incident concernant les cyberincidents susceptibles d’entraîner une atteinte à la vie privée présentant un risque réel de préjudice important. Nous pensons que cela favoriserait une meilleure coordination et collaboration en matière de réglementation et garantirait que le Commissariat à la protection de la vie privée est informé des atteintes réelles ou potentielles qui pourraient ou non être signalées par les exploitants désignés aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.

En réponse à mon amendement, le parrain du projet de loi C-26 a dit que, selon lui, mon amendement n’était pas nécessaire et que les exploitants désignés étaient déjà tenus de fournir des rapports au commissaire à la protection de la vie privée, comme le prévoit la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Bien sûr, je me doutais que ce n’était pas nécessairement le cas, étant donné que le commissaire à la protection de la vie privée avait déjà indiqué que certains rapports ne lui seraient pas fournis. Quand j’ai posé la question aux fonctionnaires du ministère lors de la réunion, le raisonnement du gouvernement exposé par le sénateur McNair n’a pas tenu la route.

J’ai demandé aux fonctionnaires si tous les exploitants désignés étaient soumis à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Voici ce qu’a répondu une représentante de Sécurité publique Canada :

À l’heure actuelle, étant donné la manière dont le projet de loi est conçu, nous n’avons pas encore désigné les exploitants. Ils le seront après la sanction royale, si le projet de loi aboutit. Par conséquent, nous n’avons pas de liste à proprement parler. Cependant, les exploitants désignés que nous envisageons seraient concernés.

Donc, le gouvernement ne sait pas qui sera inclus, mais il imagine que tout ira bien. Cela se fera pendant la phase de réglementation, qui durera vraisemblablement deux ans. Cela me fait un peu penser au document manquant, cette analyse comparative entre les sexes plus dont personne ne semble pouvoir trouver la trace. Le message a des allures de « faites-nous confiance ».

Cela vous surprendra peut-être, mais un gouvernement qui se contente de dire « faites-nous confiance » ne me convainc pas, en particulier lorsqu’il s’agit du gouvernement Trudeau. Malheureusement, la réponse qui parlait de fournisseurs envisagés est représentative du type de réponses que le gouvernement Trudeau nous a données tout au long du processus d’élaboration de ce projet de loi.

Avant ma séance d’information à titre de porte-parole, j’ai demandé une copie de l’analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS Plus, du projet de loi par le gouvernement. Il s’agit d’un document analytique que le gouvernement Trudeau a fièrement proclamé qu’il produirait pour chacun de ses projets de loi, et qui applique une optique intersectionnelle à l’incidence de ces projets de loi sur divers facteurs, notamment le sexe, la race, l’origine ethnique, le handicap, etc. En général, l’analyse est publiée sur le site Web du gouvernement lorsque le projet de loi est présenté pour la première fois.

Lorsque j’ai demandé si le projet de loi C-26 avait fait l’objet d’une analyse comparative entre les sexes Plus, le gouvernement m’a finalement répondu ceci : « Si le projet de loi est adopté, une ACS Plus sera effectuée dans le cadre du processus d’élaboration du règlement. »

On me disait donc qu’il n’y en avait pas encore. J’ai transmis cette réponse au Sénat dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, mais, comme par magie, le jour où les ministres sont venus témoigner sur le projet de loi C-26 au comité, les représentants du gouvernement ont révélé qu’ils avaient envoyé un résumé de l’ACS Plus aux membres du comité le jour même — seulement deux heures avant la réunion.

Plus tard dans la semaine, j’ai interrogé le leader du gouvernement au Sénat à ce sujet pendant la période des questions, en me disant que, si un résumé existe, il doit bien exister un document complet. J’ai donc demandé au sénateur Gold de me fournir immédiatement le document complet sur l’ACS Plus. Il n’a pas répondu, et je n’ai jamais obtenu ce document.

Plus d’un mois plus tard, pendant l’étude article par article du projet de loi C-26, j’ai de nouveau demandé aux fonctionnaires un exemplaire du document complet sur l’analyse comparative entre les sexes plus. Cette fois-ci, un fonctionnaire m’a répondu que le document complet existait, mais qu’il ne pouvait pas me le donner parce qu’il était « soumis à la confidentialité du Cabinet ». Cela n’avait aucun sens, étant donné que, même si l’analyse comparative entre les sexes plus avait accompagné un mémoire au Cabinet, il en aurait été de même pour le projet de loi C-26 lui-même et probablement aussi pour l’énoncé concernant la Charte, qui ont tous deux été rendus publics et publiés en ligne par la suite.

J’ai demandé aux fonctionnaires présents au comité pourquoi le résumé de plus de deux pages de l’analyse comparative entre les sexes plus que nous avions reçu ne contenait que deux lignes concernant les femmes. La réponse d’un fonctionnaire du ministère de la Sécurité publique a été la suivante :

Dans le mémoire au Cabinet, il n’y avait pas que deux lignes. En deux lignes, il ne s’agit que d’un résumé.

Comment pourrais-je le vérifier alors que je n’ai pas accès à ce document? Et si l’analyse comparative entre les sexes plus du gouvernement est tout simplement trop secrète pour être révélée, pourquoi ne m’a-t-on pas donné cette réponse il y a plus de deux mois, lorsque j’ai posé la question pour la première fois? On m’a dit qu’elle n’existait pas, qu’elle serait réalisée après l’adoption du projet de loi par le Parlement, puis on m’a dit qu’elle avait été soumise avec le mémoire au Cabinet lorsque ce projet de loi a été proposé pour la première fois, avant qu’il ne soit présenté au Parlement. Étant donné que le projet de loi C-26 a été à la Chambre des communes et donc du domaine public pendant deux ans, ces deux choses ne peuvent pas être vraies. Je ne suis pas Columbo, mais cela me semble très suspect.

Les représentants du gouvernement qui ont participé à l’étude article par article du projet de loi C-26 ont également révélé qu’il n’y avait aucune conséquence réelle si le gouvernement ne dépose pas de rapport annuel sur les ordonnances qu’il prend en vertu du projet de loi C-26. Un fonctionnaire a déclaré :

Le pouvoir repose entre les mains du ministre et du Parlement. Je crois qu’il appartiendrait au Parlement de déterminer s’il souhaite faire enquête ou, par exemple, citer le ministre à comparaître afin qu’il explique pourquoi le rapport n’a pas été déposé.

Ainsi, à toutes fins utiles, le gouvernement n’est pas réellement sanctionné pour son manque de transparence. Le gouvernement Trudeau échappe donc une fois de plus à l’obligation de rendre des comptes.

Le projet de loi C-26 contient des dispositions permettant la saisie d’informations sans mandat. Le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire au renseignement, parmi d’autres témoins, ont déclaré que de telles saisies pourraient bien contrevenir à la Charte et seraient susceptibles d’être contestées devant les tribunaux.

Le professeur Malone abonde dans le même sens dans sa réplique au document de questions et réponses, car il déclare :

En effet, je soupçonne que les dispositions de la partie 1 feront l’objet d’une contestation en vertu de la Charte à un moment donné.

(1610)

En ce qui concerne l’affirmation du gouvernement selon laquelle le paragraphe 184(1) du Code criminel rend illégale l’interception des communications privées, le professeur Malone a répliqué : « L’article 184 interdit les interceptions illégales, mais pas les interceptions légales. »

Les témoins ont souligné l’étendue des pouvoirs disponibles en vertu de l’article 15.4 proposé, qui établit une norme subjective permettant au ministre d’exiger de toute personne, à tout moment, qu’elle fournisse tous les renseignements à l’égard desquels il a des motifs raisonnables de croire qu’ils sont pertinents dans le cadre d’un décret, d’un arrêté ou d’un règlement.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, lors de l’étude article par article, les représentants du gouvernement ont balayé du revers de la main les préoccupations soulevées par le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire au renseignement sur les fouilles sans mandat en suggérant qu’elles étaient attribuables à leur manque de connaissances juridiques. En fait, un fonctionnaire d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada a affirmé ceci :

Lors de mes discussions sur l’article, j’ai constaté que les gens issus des milieux de la protection de la vie privée et de l’application de la loi ne connaissent pas bien le droit administratif et la réglementation des activités commerciales.

J’ai failli m’étouffer quand j’ai entendu ce commentaire sur les gens qui ne connaissent pas bien le droit administratif. Après tout, le commissaire au renseignement est l’ancien juge en chef et juge en chef par intérim de la Cour fédérale du Canada, en plus d’être un ancien professeur en droit administratif. Quant au commissaire à la protection de la vie privée, il était le légiste de la Chambre des communes et l’avocat général principal de la Commission canadienne des droits de la personne. C’est aussi un juriste de premier plan en matière de droits de la personne et de droit administratif et constitutionnel. Je pense qu’ils connaissent certainement très bien le droit administratif.

Dans l’ensemble, les réponses du gouvernement Trudeau sur ce projet de loi ont été décevantes. Pour une loi aussi cruciale pour la sécurité des infrastructures essentielles du Canada, le gouvernement ne semble certainement pas la prendre au sérieux.

En outre, il m’est apparu évident, lors de l’examen article par article du comité, que certains sénateurs « indépendants » du gouvernement Trudeau n’étaient pas non plus très intéressés par ces réponses. Lors de la réunion du 25 novembre du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, j’ai demandé au sénateur Yussuff, président de ce comité, si les sénateurs auraient le temps d’interroger les témoins du gouvernement en général au début de la réunion avant de procéder à l’examen article par article du projet de loi C-26. Il a répondu : « Bien sûr. »

À la réunion de la semaine suivante, le lundi 2 décembre, le sénateur Yussuff avait toutefois changé d’avis. Cette journée-là, son premier réflexe a été de rejeter complètement ma suggestion en disant qu’elle était « inappropriée ». Il a d’abord affirmé que nous étions déjà passés à l’étude article par article, mais ce n’était pas le cas parce qu’il n’avait pas encore demandé l’accord des membres du comité. Puis, il a tenté de me convaincre d’adapter mes questions pour qu’elles correspondent au cadre de l’étude article par article. J’ai tenté d’expliquer que certaines des questions que je voulais poser aux représentants du gouvernement étaient d’ordre plus général et qu’il serait difficile de les associer à une disposition du projet de loi en particulier. Par ailleurs, si les sénateurs n’ont pas l’occasion de poser des questions sur le projet de loi en général, pourquoi des fonctionnaires sont-ils toujours présents pendant les études article par article? Pour le projet de loi C-26, le gouvernement a envoyé une vingtaine de fonctionnaires du ministère. Pourtant, ils ont eu de la difficulté à répondre à mes questions.

Je suis sénatrice depuis près de 12 ans et j’ai participé à de très nombreuses séances d’étude article par article, en particulier au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. La coutume veut que l’on procède à une période de questions générales avec les représentants du gouvernement avant de passer à l’étude article par article d’un projet de loi. Lorsque le Comité sénatorial des affaires juridiques était présidé par un conservateur, les séances d’étude article par article suivaient systématiquement cette pratique. Cependant, le président du Comité de la sécurité nationale a refusé de procéder ainsi cette journée-là et il m’a obligée à poser mes questions en fonction de dispositions précises.

Malheureusement, il semble que bon nombre des sénateurs qui siègent à ce comité ne souhaitent pas obtenir ces réponses et préféreraient plutôt s’en tenir à la version du gouvernement. J’ai décidé de poser quand même ces questions importantes aux fonctionnaires.

Plus tard pendant la réunion, j’ai proposé mon amendement au comité. Étant donné que le gouvernement avait déjà proposé son propre amendement pour corriger son erreur de numérotation et que cet amendement avait été adopté, j’ai dit aux membres du comité que j’étais d’avis que, puisque le projet de loi serait renvoyé de toute façon à la Chambre des communes pour faire approuver un amendement, il s’agissait là d’une excellente occasion pour les sénateurs d’envisager un autre changement nécessaire. Cependant, il est devenu très évident que le système sénatorial « indépendant » ne fonctionne tout simplement pas comme il est censé fonctionner. Même lorsque des témoins experts ont fourni des preuves qui contredisaient directement les affirmations du gouvernement, la plupart des sénateurs indépendants les ont ignorées et ont quand même voté dans le sens du gouvernement Trudeau. Le vote du comité sur mon amendement n’a même pas été serré : seul le sénateur Richards a voté avec moi en faveur de l’amendement, 10 sénateurs ont voté contre et une sénatrice s’est abstenue.

Honorables sénateurs, à quoi bon proposer des amendements alors que de nombreux sénateurs « indépendants » semblent déjà avoir pris leur décision avant même le début de l’examen en comité du projet de loi? Pourquoi se préoccuper de faire venir tous ces merveilleux témoins experts pour qu’ils nous disent comment améliorer les projets de loi importants si nous ne les écoutons pas? C’est pour cette raison que j’ai décidé de ne pas présenter à nouveau cet amendement ici à l’étape de la troisième lecture. C’est malheureusement cela, le nouveau Sénat « indépendant » de Trudeau : un exercice futile.

À titre de porte-parole de l’opposition sur le projet de loi C-26, je dirai qu’il a été frustrant de sentir cette résistance, de la part des sénateurs indépendants, à même envisager de remettre en question le décret du gouvernement. Contrairement à la croyance populaire, les projets de loi proposés par le gouvernement Trudeau ne sont pas remis au Sénat comme s’il s’agissait des saintes Écritures. Nous, les sénateurs, sommes autorisés à poser des questions qui remettent une mesure législative en question et à proposer des amendements afin de l’améliorer même si le gouvernement Trudeau pourrait essayer de vous faire croire le contraire. Faire des suggestions dans le but d’améliorer les projets de loi fait partie de notre devoir de sénateurs.

Nous ne devrions pas approuver ce projet de loi simplement parce que le gouvernement veut qu’on l’adopte. Nous ne devrions pas approuver ce projet de loi parce que vous voulez rentrer chez vous pour Noël plus d’une semaine avant Noël. Aucun autre emploi ne permet aux Canadiens de commencer leur congé de Noël aussi tôt. Honorables sénateurs, nous devons nous rappeler pourquoi nous sommes ici en premier lieu.

Le projet de loi C-26 est un texte législatif important. Il est censé protéger les infrastructures essentielles du Canada contre les cybermenaces, ce qui est crucial et aurait dû être fait il y a longtemps. Cela dit, le projet de loi donne beaucoup de pouvoir au gouvernement et, à titre de sénateurs et de gardiens de la Constitution, nous devons nous assurer que les droits des Canadiens ne seront pas bafoués parce que le gouvernement est allé trop loin. Parmi les droits des Canadiens figurent le droit à la protection de la vie privée et le droit de ne pas être soumis à des perquisitions et saisies abusives. Je ne suis pas convaincue que ces droits sont protégés de manière adéquate dans la version actuelle du projet de loi. Je voterai donc contre ce projet de loi et je vous encourage tous, honorables sénateurs, à en faire autant.

Merci.

L’honorable Yuen Pau Woo : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Oui.

Le sénateur Woo : J’ai été touché par vos préoccupations concernant le droit à la vie privée et le risque d’abus en raison des pouvoirs très étendus de ce projet de loi, ainsi que par l’atteinte potentielle aux libertés civiles. Je partage ces préoccupations, mais je vais vous dire pourquoi je suis particulièrement inquiet. C’est parce que la mise en œuvre du projet de loi pourrait bien incomber non pas au gouvernement libéral actuel, mais à un gouvernement ultérieur. Pour clarifier les choses, ce n’est pas inévitable, mais il se pourrait bien que ce soit un gouvernement conservateur qui mette en œuvre ce projet de loi, et cela me donne froid dans le dos, d’après ce que vous avez dit.

Pourriez-vous préciser qu’il s’agit d’un projet de loi que les conservateurs pourraient vouloir abroger s’ils accèdent au pouvoir? Voudriez-vous au moins le modifier considérablement ou le rendre plus acceptable dans l’intérêt de la protection de la vie privée, de la supervision et de la minimisation des risques pour les libertés civiles?

La sénatrice Batters : Nous serions très heureux que des élections soient déclenchées bientôt, mais je doute d’une telle possibilité. Nous attendrons donc de voir ce qui va se passer quand les élections seront déclenchées. De toute évidence, de nombreuses préoccupations ont été soulevées non seulement par moi, mais aussi par mes collègues conservateurs à la Chambre des communes. Ils ont réussi à améliorer quelque peu le projet de loi à l’autre endroit. Je regrette que nous n’ayons pas eu la possibilité de tenter de l’améliorer ici aussi.

Il est évident que tous ces éléments seront pris en compte quand nous examinerons les choses qui sont importantes pour la prochaine campagne électorale et le prochain programme électoral, et, espérons-le, quand nous formerons le prochain gouvernement. Bien que ce gouvernement conservateur puisse, comme vous l’avez dit, vous donner froid dans le dos, je suis très heureuse à l’idée que des questions comme celle-ci pourront être examinées au Sénat et peut-être au caucus national.

Je me souviens que, quand nous siégions au caucus du gouvernement, c’était le genre de questions qui étaient résolues lors des réunions du caucus national, au cours desquelles nous rencontrions notamment des ministres et d’autres députés de notre caucus pour améliorer les mesures législatives avant même qu’elles soient déposées.

Le sénateur Woo : Les questions que vous soulevez dans votre discours me font froid dans le dos. Je vous poserai donc la question personnellement. Vous avez brossé un tableau très sombre. Je suis d’accord avec une grande partie de ce que vous avez dit. Puis-je en déduire que vous chercherez à rendre le projet de loi beaucoup moins préjudiciable et peut-être même à plaider en faveur de son abrogation? Vous serez ici pour un certain temps si les conservateurs prennent le pouvoir après les prochaines élections, peu importe quand elles auront lieu.

La sénatrice Batters : Comme je l’ai dit, il s’agit d’un projet de loi très important, dont de nombreuses parties sont importantes et bonnes. Je l’ai dit à de nombreuses reprises pendant mon discours. Comme il s’agissait d’un discours de 40 minutes, je l’ai dit plusieurs fois. Il y a cependant beaucoup d’éléments préoccupants dans ce projet de loi. Comme pour de nombreux projets de loi adoptés par le gouvernement Trudeau au cours des neuf dernières années, je suis certaine que les préoccupations que j’ai exprimées à propos de ce projet de loi et de nombreux autres projets de loi importants du gouvernement — et que mes collègues porte-parole ont également soulevées — ne manqueront pas d’être examinées d’ici aux prochaines élections.

(1620)

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Batters, votre temps de parole est presque écoulé. Demandez-vous plus de temps pour répondre à la question de la sénatrice Saint-Germain?

La sénatrice Saint-Germain : Je retire ma demande. Merci.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Trente minutes? Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : La sonnerie retentira pendant 30 minutes, et le vote aura lieu à 16 h 51. Convoquez les sénateurs.

(1650)

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté :

POUR
Les honorables sénateurs

Adler Gold
Al Zaibak Kingston
Anderson Klyne
Arnot Kutcher
Aucoin LaBoucane-Benson
Audette MacAdam
Bernard McBean
Black McCallum
Boehm McNair
Boniface McPhedran
Boyer Mégie
Burey Miville-Dechêne
Busson Moncion
Clement Moodie
Cormier Osler
Cotter Oudar
Coyle Pate
Cuzner Petitclerc
Dagenais Petten
Dalphond Ravalia
Dasko Robinson
Deacon (Nouvelle-Écosse) Ross
Deacon (Ontario) Saint-Germain
Downe Senior
Duncan Verner
Forest Wells (Alberta)
Fridhandler White
Gerba Youance
Gignac Yussuff—58

CONTRE
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Plett
Batters Richards
Carignan Seidman
Housakos Wallin
Manning Wells (Terre-Neuve-et-Labrador)—11
Martin

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Brazeau Simons—2

[Français]

Projet de loi concernant un congé fiscal pour l’ensemble des Canadiens

Présentation du vingtième rapport du Comité des finances nationales

Consentement ayant été accordé de revenir à la présentation ou au dépôt de rapports de comités :

L’honorable Claude Carignan, président du Comité sénatorial permanent des finances nationales, présente le rapport suivant :

Le jeudi 5 décembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a l’honneur de présenter son

VINGTIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-78, Loi concernant l’allègement temporaire du coût de la vie (abordabilité), a, conformément à l’ordre de renvoi du mardi 3 décembre 2024, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement, mais avec des observations qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis,

Le président,

CLAUDE CARIGNAN

(Le texte des observations figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 3372.)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Carignan, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1700)

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 4 décembre 2024, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 10 décembre 2024, à 14 heures.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Report du vote

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénateur Boehm, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-230, dont le titre abrégé est Loi proposant des solutions de rechange à l’isolement et prévoyant une surveillance et des mesures de réparation dans le système correctionnel (Loi de Tona). J’interviens en remplacement de notre ancien collègue qui est aujourd’hui à la retraite, l’honorable Pierre-Hugues Boisvenu, qui était porte-parole sur ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture.

Le 24 octobre dernier, j’ai invoqué un rappel au Règlement, puisque je croyais — et je le crois toujours — que ce projet de loi nécessite une recommandation royale.

Le 20 novembre dernier, la présidence a rendu une décision favorable pour que le Sénat poursuive l’étude du projet de loi, décision que je respecte.

Puisque le débat peut se poursuivre, je prends la parole aujourd’hui pour vous faire part des préoccupations que suscite chez moi ce projet de loi et qui, à mon avis, font en sorte qu’il ne devrait pas poursuivre son chemin vers l’autre endroit.

Ma première réflexion est que le projet de loi S-230 ne prend pas la pleine mesure des conséquences administratives et financières qu’il pourrait engendrer à l’égard des différents systèmes publics qui seront forcément affectés si ce projet de loi est adopté. Je pense plus particulièrement aux systèmes judiciaires, correctionnels et de soins de santé, ainsi qu’à tous les intervenants des milieux que je viens d’énumérer.

À cet égard, j’ai trois préoccupations majeures à l’endroit du projet de loi S-230 qui portent sur les articles 4, 5 et 11.

D’abord, l’article 4 du projet de loi a pour but que toute personne condamnée ou transférée dans un pénitencier et souffrant de troubles mentaux invalidants soit transférée vers un hôpital. Les termes « troubles mentaux invalidants » me laissent perplexe, eu égard à son absence de réelle définition, du nombre potentiel de personnes que cela pourrait concerner et, de ce fait, de la surcharge de travail que cela pourrait créer pour certains hôpitaux provinciaux qui sont déjà à bout de souffle.

Le 8 février 2024, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a reçu de nombreux témoins, dont le Dr Mathieu Dufour, psychiatre légiste et chef du Département de psychiatrie de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. Je lui ai demandé son avis, à titre d’expert, afin de savoir combien de personnes dans un pénitencier fédéral pouvaient souffrir de l’un des symptômes énumérés à l’article 37.11 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Cet article prévoit des motifs que l’agent doit considérer afin de déterminer s’il doit référer le détenu au service chargé de la gestion des soins de santé. Par exemple, ces motifs sont notamment de refuser d’interagir avec d’autres personnes, commettre des actes d’automutilation et présenter des signes de détresse émotionnelle.

Selon le Dr Dufour, ces critères s’appliquent à la majorité des détenus. Il a affirmé ce qui suit :

Selon mon expérience à l’extérieur de Pinel, parce que j’ai pratiqué dans plusieurs pénitenciers au Québec et même dans des établissements réguliers, je dirais spontanément que la plupart ont de tels symptômes un jour ou l’autre.

J’aurais tendance à dire que c’est une définition un peu trop large et vague.

Cette terminologie vague utilisée dans le projet de loi S-230, soit les « troubles mentaux invalidants », a une portée tellement large que l’on peut prévoir qu’un nombre important de transferts sera autorisé par le commissaire et qu’il va de soi que cela entraînera, en plus de la surcharge de travail dans les hôpitaux provinciaux, une hausse considérable des coûts pour Service correctionnel Canada.

D’ailleurs, le directeur parlementaire du budget, dans son rapport sur l’estimation des coûts relatifs au projet de loi S-230, aborde les termes « troubles mentaux invalidants » et prédit à quel pourcentage de la population carcérale cette terminologie pourrait s’appliquer.

Son rapport est clair : cette mesure du projet de loi s’appliquera à un nombre vertigineux de détenus. Il fait état des statistiques suivantes, et je cite :

Le terme pourrait être interprété de manière à s’appliquer à une majorité de personnes incarcérées, puisqu’il ressort de recherches antérieures que 73 % des hommes admis dans un établissement fédéral répondent aux critères d’un trouble mental. La plupart d’entre eux présentent une altération des fonctions de modérée à grave. Les taux de troubles mentaux chez les femmes incarcérées sont encore plus élevés. Ces chiffres concernent l’état de santé mentale au moment de l’admission et ne sont pas nécessairement représentatifs de la population générale incarcérée. Cependant, si l’on suppose que 75 % des personnes incarcérées souffrent de troubles mentaux et que ces troubles sont invalidants pour 50 % d’entre elles, cela signifie qu’environ 5 000 personnes incarcérées (38 % du nombre total de personnes incarcérées, soit 13 000 personnes) seraient admissibles à des soins psychiatriques.

Je me questionne : que tentons-nous de faire avec ce projet de loi? Voulons-nous faire de nos hôpitaux et de nos établissements psychiatriques des pénitenciers? Ce projet de loi n’apporte aucune mesure supplémentaire pour assurer la sécurité du personnel soignant ni des personnes vulnérables qui reçoivent des soins dans les établissements de santé.

Même en l’absence de mesures contenues dans ce projet de loi, il y a lieu de s’inquiéter de la sécurité du personnel du système correctionnel et du système de soins de santé.

(1710)

Par exemple, selon un article récent paru sur le site Web de Noovo Info, un agent correctionnel a été victime, le 1er décembre 2024, d’une agression sauvage dans un centre de détention situé à Sorel-Tracy. L’agresseur attendait de comparaître en lien avec une affaire de voies de fait. Le détenu souffre de schizophrénie depuis l’âge de 17 ans et de problèmes de toxicomanie. Toujours selon ce même article :

L’agent correctionnel qui a été tabassé [...] pourrait perdre l’usage de ses yeux et son état pourrait laisser craindre d’autres lésions graves [...] La violence de l’attaque survenue dimanche l’a rendu méconnaissable, selon plusieurs témoignages.

Honorables sénateurs, voici le point que j’aimerais faire. Dans le cas où un détenu a des antécédents judiciaires en lien avec des crimes violents, en plus de présenter des problèmes de santé mentale, et que son transfèrement est autorisé, il est fort à craindre que nos hôpitaux et nos établissements psychiatriques ne soient pas en mesure d’assurer adéquatement la sécurité de leur personnel et des personnes y recevant des soins.

L’autre point que je souhaite aborder concerne l’article 5 du projet de loi. Cet article crée une obligation pour Service correctionnel Canada d’obtenir l’autorisation d’une cour supérieure afin de prolonger la durée d’une incarcération au sein d’une unité d’intervention structurée pour une période supérieure à 48 heures. À mon avis, cet article vient créer trois problèmes majeurs, soit la création de délais urgents pour obtenir des ordonnances judiciaires, l’alourdissement du travail des cours supérieures qui, faut-on le mentionner, sont déjà surchargées et enfin, cette obligation aura pour effet de créer une nécessité de ressources supplémentaires pour Service correctionnel Canada pour gérer ces procédures.

La sénatrice Pate, lors de son discours en troisième lecture, a affirmé :

[Traduction]

« Les tribunaux sauront se montrer à la hauteur. »

[Français]

Ces propos me laissent perplexe. À mon avis, la sénatrice Pate banalise les problèmes qu’occasionnera ce projet de loi, d’autant plus que ce projet de loi est mal rédigé. Les acteurs du milieu judiciaire concernés n’ont pas été consultés. S’ils avaient été consultés, ils auraient assurément dit que nos cours supérieures ne sont pas bien outillées pour faire face à une hausse de demandes d’ordonnance urgentes dans des délais aussi courts.

Décidément, ce projet de loi a une vision en tunnel. Il ne voit que le droit des détenus. Il fait abstraction de tout ce qui peut venir confirmer que ce projet de loi n’est pas raisonnable, en plus de nier les droits des victimes.

Même l’avocat de la défense Michael Spratt, qui témoigne souvent au comité, admet qu’il y a un manque de ressources. Je le cite :

Je serai franc, je pense que cela serait un fardeau pour les cours supérieures. Nous manquons déjà de ressources, et nous surchargeons les ressources que nous avons.

Prenez un instant pour imaginer le nombre de dossiers qui seront présentés devant les cours supérieures. J’utilise les chiffres donnés par la sénatrice Pate lors de son discours en troisième lecture :

[...] deux personnes sur cinq placées dans les unités d’intervention structurée sont considérées par le Service correctionnel du Canada comme ayant des problèmes de santé mentale. Plus de la moitié des personnes mises en isolement dans ces unités sont identifiées ainsi à au moins cinq reprises. Selon le Service correctionnel, les périodes passées dans les unités d’intervention structurée sont « pour la propre sécurité de la personne », même s’il a été totalement impossible de la transférer dans un établissement de soins de santé approprié.

Même si, selon la loi, les séjours en unités d’intervention structurée doivent être aussi brefs que possible, il y a autant de personnes gardées dans des unités d’intervention structurée pendant plus de 60 jours et 120 jours que sous l’ancien système d’isolement préventif.

Donc, pensez-y bien : 60 jours. Toutes les 48 heures, en vertu du projet de loi, il faudra demander à une cour supérieure l’autorisation de prolonger la durée de l’incarcération dans l’unité d’intervention structurée. Toutes les 48 heures. Je suis convaincu que le projet de loi S-230 causera bien des problèmes importants et qu’il est inapplicable en pratique. C’est une illusion de penser que le système judiciaire peut répondre à l’afflux de demandes que le projet de loi causera et que le système de santé peut se permettre d’admettre autant de détenus dans nos hôpitaux provinciaux.

Finalement, je souhaite aborder avec vous un dernier point qui fait en sorte que je ne donnerai pas mon appui au projet de loi. C’est celui de l’article 11. L’article 11 a pour but de permettre à toute personne condamnée à une période d’incarcération dans un établissement fédéral de demander au tribunal qui a imposé la peine de réduire cette période au motif d’une injustice dans l’administration de la peine. Je suis évidemment contre cette disposition qui contredit le principe fondamental du caractère définitif des jugements, ainsi que des règles du Code criminel qui ne permettent pas à un tribunal de réexaminer ou de modifier une sentence rendue, une responsabilité qui est réservée aux cours d’appel.

De plus, cette disposition pourrait être contestée devant les tribunaux, rendant son application irréaliste et, en plus, des recours juridiques et constitutionnels existent déjà pour répondre aux objectifs visés par cet article sans nécessiter un tel mécanisme.

En résumé, ce projet de loi a été mal rédigé dès le départ et contient de nombreuses lacunes. En plus de celles mentionnées précédemment, j’ai noté d’autres manquements dans ce projet de loi.

À titre d’exemple, dans l’article traitant de la réduction de la peine :

Toute personne condamnée à une période d’incarcération ou assujettie à une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle peut demander au tribunal qui a imposé la peine de rendre l’ordonnance de réduction de cette période qu’il estime convenable et juste dans les circonstances [...].

L’emploi des termes « convenable et juste » risque de causer bien des maux de tête aux tribunaux. En plus, que dire du fait que cette même procédure de réduction de la peine ne prévoit aucune obligation de consulter les victimes.

Pour conclure, chers collègues, pour toutes les raisons que je viens de vous mentionner, je ne peux donner mon appui au projet de loi S-230 et je vous invite à voter contre à l’étape de la troisième lecture.

Merci.

[Traduction]

L’honorable Kim Pate : J’ai une question.

Sénateur Carignan, je vous remercie de votre discours. Merci aussi d’avoir assumé le rôle de porte-parole quand le sénateur Boisvenu a pris sa retraite. J’aimerais vous poser quelques questions.

Vous avez parlé de l’incident du 1er décembre dernier. Il s’agissait d’une personne en attente d’un procès, qui ne serait donc pas touchée par le projet de loi. Est-ce ce que vous avez compris également?

[Français]

Le sénateur Carignan : Le problème est de traiter avec des gens qui ont des problèmes de santé mentale, qui ont des armes et qui peuvent être à risque. Peu importe son statut juridique au moment où il commet des crimes, il y a des gens qui ont des problèmes de santé mentale sérieux. Si on les admet dans des hôpitaux, on est à risque pour la sécurité du personnel soignant.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Merci. Il s’agit d’une personne qui n’a pas encore été jugée et qui se trouve dans une prison provinciale.

Par ailleurs, la plupart des choses qui vous posent problème ont déjà été examinées au Sénat dans divers contextes. Vous avez parlé du témoignage de M. Spratt. Dans la même citation, il a ajouté que l’on parle beaucoup de dissuasion. Il a également déclaré : « Je pense [...] que, avec de l’expérience, les cours pourront traiter ces dossiers de manière efficiente. » Il a ensuite comparé cela à ce que font les tribunaux au chapitre du cautionnement.

En fin de compte, il était en fait en faveur du projet de loi. Est-ce ce que vous avez compris également?

[Français]

Le sénateur Carignan : Écoutez, je pense que oui. Il y a des gens qui peuvent être en accord avec ce projet de loi, sauf que d’un point de vue pratique, il a admis — avec raison, je partage son avis — de grandes difficultés pratiques que cela apportera.

Imaginez une période de 60 jours. Toutes les 48 heures, tous les deux jours, on doit se présenter devant un juge d’une cour supérieure pour renouveler l’autorisation de détention de 48 heures. C’est voué à l’échec. Comme c’est voué à l’échec, que va-t-il se produire? Le détenu va utiliser cela en disant : « Je suis détenu illégalement ou d’une façon trop longue dans une unité. Je ne suis pas transféré dans un centre hospitalier et je veux réduire ma peine. » Il y aura une grande quantité de requêtes pour que le détenu puisse diminuer sa peine. En fait, cela va faire sortir les criminels beaucoup plus rapidement.

(1720)

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

L’honorable Judith G. Seidman : Votre Honneur, nous aimerions reporter le vote à la prochaine séance du Sénat, s’il vous plaît.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Conformément à l’article 9(10) du Règlement, le vote est reporté à 17 h 30 le prochain jour de séance du Sénat, et la sonnerie retentira à compter de 17 h 15.

Projet de loi sur la protection financière pour les producteurs de fruits et légumes frais

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) propose, au nom du sénateur MacDonald, que le projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables), soit lu pour la troisième fois.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables). Comme vous le savez, chers collègues, le projet de loi C-280 poursuit un objectif double. D’une part, il établit une fiducie réputée pour les produits agricoles périssables au Canada, ce qui donnera la priorité aux paiements destinés aux fournisseurs de fruits et de légumes frais en cas d’insolvabilité de l’acheteur. Grâce à cette protection, les agriculteurs, les distributeurs et tous les fournisseurs dans la chaîne d’approvisionnement des denrées périssables auraient un mécanisme sécurisé et fiable pour récupérer les sommes impayées.

D’autre part, le projet de loi C-280 aiderait à permettre au Canada de regagner son statut de partenaire commercial privilégié en rétablissant la réciprocité avec les États-Unis au titre de la Perishable Agricultural Commodities Act des États-Unis.

Dans son témoignage devant le Comité sénatorial des banques, Massimo Bergamini, le directeur général des Producteurs de fruits et légumes du Canada, a souligné que ces mesures sont nécessaires. Voici ce qu’il a dit :

Les préoccupations que nous soulevons aujourd’hui et que nous soulevons depuis près de 40 ans ne sont pas théoriques. La faillite en 2023 de Lakeside Produce à Leamington, en Ontario, a laissé plus de 188 millions de dollars de dettes aux producteurs et aux fournisseurs. L’effondrement de l’entreprise a provoqué de vifs remous au sein de la communauté des producteurs, certains producteurs individuels signalant des pertes allant jusqu’à 500 000 $...

... en factures non payées. Il a poursuivi ainsi :

Pour les exploitations agricoles familiales de petite et moyenne taille, ces pertes ont été [...] dévastatrices.

Si [le] projet de loi C-280 [avait] été en place, [il aurait] offert une protection financière bien nécessaire contre la perte catastrophique de revenu.

Chers collègues, les Canadiens ont eu accès au système de règlement des différends prévu par la Perishable Agricultural Commodities Act des États-Unis pendant près de 70 ans, à partir de 1937, en payant seulement des frais d’inscription de 100 $. Aucun autre pays n’a bénéficié de ce traitement préférentiel. Cependant, lorsque le département de l’Agriculture des États-Unis a intégré une fiducie à cette loi en 1984, il a accepté la réciprocité en fonction de la capacité du Canada à fournir trois services clés à l’industrie des fruits et légumes frais des États-Unis : premièrement, un service d’inspection géré par le gouvernement; deuxièmement, l’octroi obligatoire de licences et le règlement des différends; et troisièmement, des outils de protection contre l’insolvabilité comme la fiducie de la Perishable Agricultural Commodities Act.

On a peu contesté les deux premiers points, mais le troisième, la protection contre l’insolvabilité, n’existait pas, ce qui était problématique. Au cours des 30 années suivantes, l’industrie américaine des fruits et légumes exerça des pressions sur le Canada en ce sens. Pendant cette période, les Canadiens purent bénéficier d’un accès complet à titre de créanciers privilégiés en cas d’insolvabilité aux États-Unis, mais rien de comparable ne fut offert aux marchands américains qui vendaient leurs produits sur le marché canadien.

Dans les années 1990, les discussions commencèrent à s’accélérer entre les parties prenantes canadiennes et américaines afin de régler les différends en matière de commerce et les litiges que la situation suscitait dans le secteur des fruits et légumes frais. Le système américain de la Perishable Agricultural Commodities Act servit de modèle pour créer un cadre semblable au Canada, mais on ne trouva aucune solution.

En 1999, la Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes, un organisme sans but lucratif, fut officiellement mise sur pied en vertu d’une entente entre les gouvernements canadien et américain et les intervenants de l’industrie. L’objectif était d’encadrer les règlements des différends, l’uniformisation des échanges commerciaux et les protections financières pour les vendeurs et les acheteurs de fruits et légumes frais menant des activités en Amérique du Nord.

Au cours des 15 années qui suivirent, la Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes joua un rôle important dans le commerce transfrontalier, contribuant à maintenir la confiance dans le marché des fruits et légumes en réglant efficacement les différends et en favorisant des pratiques commerciales équitables. Cependant, les lacunes du processus de faillite et d’insolvabilité ne furent pas résolues.

En 2014, Industrie Canada a mené un examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. L’Alliance pour les fruits et les légumes frais, dans un mémoire présenté par, dirigée en partie par la Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes, a attiré l’attention d’Industrie Canada sur les modifications à apporter à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité afin de résoudre le différend. Dans son mémoire du 14 juillet 2014, elle décrit les difficultés auxquelles l’industrie des fruits et légumes frais doit faire face et les efforts considérables et soutenus qui ont été déployés pour établir un mécanisme de protection des paiements pour l’industrie. Elle a passé en revue les diverses propositions qui avaient été faites pour corriger le déséquilibre entre les États-Unis et le Canada, et elle a noté ce qui suit :

Selon les avis juridiques et l’expérience d’autres administrations, la façon la plus efficace de protéger les vendeurs de fruits et légumes frais au Canada est de créer une fiducie statutaire réputée limitée pour garantir les biens et les rendre accessibles en cas de faillite.

En réponse aux préoccupations selon lesquelles une telle fiducie réputée aurait une incidence sur les réclamations des employés en vertu des dispositions de la Loi sur le programme de protection des salariés de 2008, l’Alliance pour les fruits et légumes frais a dit que des études avaient montré que de telles réductions de crédit ne se produiraient pas. Elle a parlé de la crainte qu’une fiducie réputée réduise le bassin d’actifs disponibles pour les autres créanciers, y compris les banques, et fasse ainsi augmenter le coût d’emprunt.

Une fois de plus, rien n’a démontré qu’une telle chose se produirait. En fait, l’Alliance pour les fruits et les légumes frais a indiqué ceci : « Aux États-Unis, la Perishable Agricultural Commodities Act a eu pour effet global d’accroître la garantie des prêts, et non de la réduire. » L’Alliance pour les fruits et les légumes frais a aussi noté « un solide consensus en faveur de la création d’une fiducie réputée » pour la chaîne d’approvisionnement en fruits et légumes frais, et qu’il fallait agir de toute urgence.

Malheureusement, aucune mesure n’a été prise. Trois mois plus tard, le verdict est tombé. Dans une lettre datée du 1er octobre 2014, l’administrateur adjoint de l’USDA Fruit and Vegetable Program a informé les représentants canadiens qu’étant donné que le Canada n’avait pas de « mécanisme de résolution des différends comparable à celui établi aux États-Unis », à compter de cette date, les expéditeurs canadiens perdaient leur statut privilégié et que, pour déposer une plainte, ils devaient désormais déposer une garantie équivalant à 200 % de la valeur de la plainte, comme c’est le cas pour tous les autres pays.

Cette décision était manifestement une mesure de représailles contre le Canada, qui, pendant des décennies, avait échoué à créer une quelconque forme de protection par fiducie contre l’insolvabilité pour tous les fruits et les légumes frais expédiés au Canada à partir des États-Unis. Les Américains ne demandaient pas au Canada d’établir un système identique à celui de la Perishable Agricultural Commodities Act, mais seulement d’offrir une protection réciproque aux exportateurs américains.

(1730)

À l’époque, la Corporation de règlement des différends dans les fruits et légumes a déploré l’absence d’action gouvernementale au nom de son industrie. Elle a déclaré ce qui suit :

La révocation du traitement préférentiel du Canada pourrait être renversée, mais cela exigera la mise en œuvre d’un outil de protection en cas d’insolvabilité simple et sans frais, comparable à la fiducie [de la Perishable Agricultural Commodities Act]. Nous espérons que les élus canadiens réagiront favorablement et comprennent que les États-Unis ne cherchent qu’à encourager un traitement de ses expéditeurs semblable à celui dont jouissent les expéditeurs canadiens aux États-Unis depuis longtemps.

Chers collègues, c’était il y a 10 ans.

Aujourd’hui, nous sommes enfin saisis d’un projet de loi qui corrigera les injustices et donnera aux producteurs d’ici l’espoir que la réciprocité sera enfin rétablie. Ce projet de loi est bien reçu par le département de l’Agriculture des États-Unis et bénéficie du soutien, chers collègues, de tous les partis politiques à la Chambre des communes, de tous les ministres et de tous les députés, ainsi que de l’ensemble de l’industrie des fruits et légumes.

Chers collègues, ce projet de loi a été longuement débattu. À mon avis, presque tout ce qui est pertinent à ce sujet a été dit. Aujourd’hui, chers collègues, je vous demande également votre soutien. Le projet de loi promet d’établir la réciprocité qui est attendue depuis longtemps. J’espère que vous voterez aujourd’hui — j’ai bien dit « aujourd’hui », chers collègues — en faveur du projet de loi C-280 à l’étape de la troisième lecture et que vous soutiendrez notre secteur agricole.

Merci, chers collègues.

L’honorable Bernadette Clement : Je propose l’ajournement du débat.

Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénatrice Clement, avec l’appui de l’honorable sénatrice Petitclerc, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat. Vous plaît‑il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Une voix : Non.

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente intérimaire : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Par défaut, la sonnerie retentira pendant une heure. Le vote aura lieu à 18 h 33. Convoquez les sénateurs.

(1830)

La motion, mise aux voix, est adoptée :

POUR
Les honorables sénateurs

Adler Klyne
Al Zaibak LaBoucane-Benson
Anderson MacAdam
Arnot McBean
Aucoin McCallum
Audette McNair
Boehm Mégie
Boniface Moncion
Boyer Moodie
Brazeau Osler
Burey Oudar
Busson Pate
Clement Petitclerc
Cormier Petten
Cotter Prosper
Cuzner Ravalia
Dasko Robinson
Deacon (Nouvelle-Écosse) Ross
Deacon (Ontario) Saint-Germain
Downe Senior
Duncan Simons
Fridhandler Wells (Alberta)
Gerba Woo
Gignac Youance
Gold Yussuff—51
Kingston

CONTRE
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Martin
Batters Miville-Dechêne
Carignan Plett
Housakos Seidman
Manning Wells (Terre-Neuve-et-Labrador)—10

ABSTENTION
L’honorable sénateur

Dalphond—1

(1840)

La Loi sur le directeur des poursuites pénales

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice White, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-272, Loi modifiant la Loi sur le directeur des poursuites pénales.

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je suis heureuse d’avoir l’occasion de terminer mon discours d’hier. Je vais essayer de ne pas trop répéter ce que j’ai déjà dit.

Je suis heureuse de poursuivre mes observations en faveur du projet de loi S-272, Loi modifiant la Loi sur le directeur des poursuites pénales. Ce projet de loi est lié au projet de loi S-271, Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, dont j’ai parlé hier. Ces projets de loi renforceraient l’autonomie gouvernementale des Premières Nations et élimineraient certains obstacles juridiques et techniques de longue date à l’application efficace des lois et des règlements des Premières Nations, que ces dernières adoptent à l’échelle locale pour protéger leurs peuples et favoriser les collectivités, en les rendant plus sûres pour leurs citoyens, en particulier pour leurs enfants.

Malheureusement, malgré l’intention du Parlement d’accroître les pouvoirs législatifs des Premières Nations associés à l’autodétermination, les conséquences imprévues de certains de ces projets de loi — par exemple, le projet de loi C-49, qui mettait en œuvre l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations, et le projet de loi C-428, Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens de 2014 — ont créé ce qu’on appelle maintenant des régimes « en suspens », où les lois des Premières Nations ne sont pas appliquées par la GRC et où le Service des poursuites pénales du Canada n’engage pas de poursuites.

Le chef Keith Blake, du Conseil consultatif des terres des Premières Nations, qui représente plus de 100 Premières Nations qui ont adopté des codes fonciers, résume ainsi la crise de compétence :

La plupart des administrations du pays ne reconnaissent pas ou ne poursuivent pas les infractions régies par ces lois. La plupart des communautés autochtones du pays se heurtent au refus ou à la réticence des procureurs de la Couronne provinciaux ou fédéraux, qui ne veulent pas intenter de poursuites pour des infractions régies par des lois autochtones.

Comme je l’ai illustré dans mes remarques précédentes sur le projet de loi S-271, les causes et les obstacles à l’application appropriée, sûre et équitable des lois des Premières Nations sont innombrables, mais les deux principaux obstacles à l’application des lois des Premières Nations qui ont été cernés par le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord sont le manque d’application des lois par les services de police et l’absence quasi totale de poursuites devant les tribunaux.

Nick Sowsun, expert en droit autochtone, tire des conclusions claires :

Du point de vue d’un service de police, lorsqu’une demande d’exécution d’un retrait forcé d’une réserve est présentée, le chef de police ou le commandant de détachement doit se demander s’il souhaite consacrer du temps et des ressources à une loi qui n’a aucune chance d’être appliquée parce qu’aucun tribunal provincial ou territorial ne la reconnaît. De nombreux services de police considèrent que les règlements administratifs pris sous le régime de la Loi sur les Indiens n’ont pas la même légitimité que les lois fédérales, provinciales et territoriales et les règlements municipaux, et qu’ils ne valent pas le risque en matière de responsabilité civile et les dépenses en ressources nécessaires pour les appliquer.

Les poursuites des infractions aux lois fédérales relèvent de la compétence du Service des poursuites pénales du Canada, qui est une autorité de poursuite nationale, indépendante et responsable, dont l’objectif principal est de poursuivre les infractions fédérales et de fournir des conseils et une assistance juridiques aux forces de l’ordre.

Au cours de l’étude du comité de la Chambre des communes sur la question, des représentants du Service des poursuites pénales du Canada ont indiqué qu’ils poursuivent seulement les infractions aux règlements administratifs qui ont été officiellement examinés. En ce qui concerne les Premières Nations, le Service des poursuites pénales du Canada n’examine que les lois relevant de la Loi sur les Indiens. L’objectif d’un tel examen est de vérifier la conformité à la Charte des droits et libertés. C’est ironique étant donné que tous les articles de la Loi sur les Indiens ne sont pas conformes à la Charte.

Depuis qu’on a retiré au ministre le pouvoir de rejeter un règlement administratif en 2014, il n’est plus nécessaire de soumettre les lois des Premières Nations à l’approbation du ministre. Le Service des poursuites pénales du Canada a donc déclaré qu’il avait également, par voie de conséquence, supprimé l’examen ministériel obligatoire des dispositions législatives sur le code foncier des Premières Nations. On ne le fait tout simplement plus, ce qui explique pourquoi les lois promulguées par les Premières Nations ne sont plus appliquées et les infractions à ces lois ne font plus l’objet de poursuites.

Le chef Keith Blake résume adroitement l’impasse :

La plupart des communautés autochtones du pays se heurtent au refus ou à la réticence des procureurs de la Couronne provinciaux ou fédéraux, qui ne veulent pas intenter de poursuites pour des infractions régies par des lois autochtones.

En présentant le projet de loi S-272, la sénatrice McCallum a expliqué en quoi il est nécessaire pour préciser et confirmer hors de tout doute que le Service des poursuites pénales du Canada a la compétence et le mandat d’engager et de mener les poursuites visant les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévues par les textes législatifs de premières nations — ainsi que les recours connexes — pour le compte de la première nation qui a pris ou édicté le texte législatif.

Le projet de loi S-272 modifiera la Loi sur le directeur des poursuites pénales de manière à fournir une définition de « texte législatif de première nation », selon laquelle il s’agit :

a) soit d’un règlement administratif pris en vertu de la Loi sur les Indiens;

b) soit d’un texte législatif de la première nation au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations;

c) soit d’un texte de nature législative édicté par un conseil, un gouvernement ou une autre entité autorisés à agir pour le compte d’une première nation en vertu d’un accord sur l’autonomie gouvernementale mis en œuvre par une loi fédérale.

Les forces de l’ordre et les procureurs sont deux entités distinctes de notre système de justice qui ont une incidence directe les unes sur les autres et qui doivent compter les unes sur les autres pour atteindre leurs objectifs dans le cadre d’une relation interdépendante, mais ce modèle laisse tomber les Premières Nations depuis des générations. Le dysfonctionnement qui a créé l’impasse dans laquelle se trouvent actuellement les régimes législatifs des Premières Nations n’est qu’un autre échec tragique que le Parlement n’avait pas prévu, mais c’est un énorme gâchis que le Parlement doit réparer parce qu’il coûte la vie à des Autochtones.

Avant de parler des aspects plus techniques de ce projet de loi, je vous invite à vous joindre à moi pour que nous élargissions notre point de vue jusque de l’autre côté de la rue, là où se tient à la réunion annuelle d’hiver de l’Assemblée des Premières Nations, dont c’est aujourd’hui le dernier jour et qui a lieu à deux pas du Sénat. Depuis août dernier, il y a à peine quelques mois, 10 personnes des Premières Nations ont été tuées par des policiers. Lundi, la cheffe nationale Cindy Woodhouse Nepinak a demandé une résolution — que l’Assemblée des Premières Nations a adoptée mardi — exigeant que le Canada lance une enquête nationale sur le racisme systémique dans les services de police afin d’enrayer ce qu’elle appelle « une épidémie interreliée » de violence et de morts.

(1850)

Cette épidémie a probablement commencé à l’échelle communautaire, là où les lois des Premières Nations édictées par les dirigeants des Premières Nations pour protéger leurs communautés sont aujourd’hui rarement appliquées et ne se traduisent à peu près jamais par des poursuites. En tant que parlementaires et pour des raisons aussi logiques que factuelles, nous devrions être enclins à écouter les chefs, qui ont été ont ne peut plus clairs en indiquant avoir besoin des projets de loi S-271 et S-272 pour protéger leurs communautés, en particulier leurs enfants.

Comme dans le cas du projet de loi S-271, les modifications proposées dans le projet de loi S-272 apportent un niveau de clarté nécessaire et elles peuvent avoir pour effet de dégager un peu le blocage entre les différentes instances, d’améliorer la coordination entre les volets policier et judiciaire notre système de justice et d’ouvrir un espace pour un dialogue plus poussé entre les Premières Nations et les gouvernements, afin de trouver des solutions plus permanentes et plus globales à la lamentable situation actuelle.

En ce qui concerne Michael Anderson, consultant auprès des Manitoba Keewatinowi Okimakanak, permettez-moi de résumer ce qui est en jeu ici. Bien qu’un règlement administratif adopté par un chef et un conseil en vertu des articles 81(1) et 85.1 de la Loi sur les Indiens soit une « loi du Canada » et relève donc manifestement de la compétence du procureur général, le 1er juin 2023, le procureur fédéral en chef pour le Manitoba a informé les Premières Nations des Manitoba Keewatinowi Okimakanak qu’au Manitoba, les règlements adoptés en vertu de la Loi sur les Indiens n’étaient plus appliqués depuis 30 ans et que, par conséquent, ils n’entraînaient plus de poursuites judiciaires.

En raison de l’abrogation par le Parlement du pouvoir ministériel d’annulation à l’entrée en vigueur, en 2014, de la Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens, les corps policiers et les autorités chargées des poursuites supposent d’emblée que tous les règlements administratifs pris en vertu de la Loi sur les Indiens après le 16 décembre 2014 sont légalement invalides et non conformes à la Charte, car il n’y a plus « d’autorité fédérale appropriée » pour examiner et éventuellement confirmer ou révoquer un règlement administratif.

Ainsi, même si le parrain du projet de loi C-428, Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens, a expliqué que celui-ci avait pour objectif de soutenir les pouvoirs législatifs des Premières Nations à des fins d’autodétermination, il s’agit en fait de la mesure législative qui a donné naissance aux régimes de lois des Premières Nations qui sont « en suspens ».

Hier, M. Anderson m’a rappelé que les Manitoba Keewatinowi Okimakanak soutiennent que le refus de la police de faire appliquer les règlements pris sous le régime de la Loi sur les Indiens à la suite de l’entrée en vigueur de la Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens, ainsi que le refus des procureurs d’engager des poursuites à ce titre, reviennent pour la police et les responsables des poursuites à sciemment contrecarrer la volonté du Parlement. Les Manitoba Keewatinowi Okimakanak estiment également que les pouvoirs législatifs des Premières Nations sous le régime du projet de loi C-61, Loi sur l’eau propre des Premières Nations, et du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis — dont les sénateurs se souviendront — aboutiront de la même manière à un plus grand nombre de régimes juridiques adoptés par les Premières Nations « en suspens », c’est-à-dire des régimes dont le caractère exécutoire n’est pas reconnu par la police et où les procureurs de la Couronne ne reconnaissent pas qu’ils peuvent donner lieu à des poursuites. Le projet de loi S-271 et le projet de loi S-272 visent à résoudre les raisons fondamentales qui font que ces régimes juridiques des Premières Nations sont « en suspens ».

Honorables sénateurs, je vous invite à renvoyer ce projet de loi au comité avec le projet de loi S-271. Tous deux méritent une étude plus en profondeur, avec l’attention compétente que les sénateurs peuvent apporter à des changements juridiques indispensables pour respecter et asseoir la souveraineté des Premières Nations en matière de protection de leurs communautés et de leurs membres, y compris les enfants et les jeunes.

Merci. Meegwetch.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, il ne reste que 30 secondes. Je regrette, sénatrice Audette, mais vous n’avez que 30 secondes.

[Français]

L’honorable Michèle Audette : Vous savez que ma nation a gagné en Cour suprême du Canada avec Mashteuiatsh et la police autochtone. Pensez-vous que cela prouve qu’on peut enfin se défaire de la Loi sur les Indiens et donner une force que méritent les peuples autochtones?

La sénatrice McPhedran : Je suis d’accord.

(Sur la motion de la sénatrice Osler, au nom du sénateur Prosper, le débat est ajourné.)

Projet de loi interdisant la promotion des boissons alcooliques

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Patrick Brazeau propose que le projet de loi S-290, Loi visant à interdire la promotion des boissons alcooliques, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet d’un projet de loi simple, le projet de loi S-290, Loi visant à interdire la promotion des boissons alcooliques.

Il s’agit d’un projet de loi qui traite de santé publique. Nous savons tous les coûts énormes que représentent les soins de santé dans ce pays. Le projet de loi concerne la santé globale des Canadiens. Il vise à opérer un changement générationnel, un changement pour le mieux. Je vous demanderais de garder ce principe en tête — celui d’un changement générationnel en matière de santé publique — pendant les prochaines minutes, alors que je vous expliquerai les raisons qui sous-tendent le projet de loi S-290.

Avant de continuer, je tiens à remercier les nombreux chercheurs en santé dévoués qui ont contribué à l’élaboration de ce projet de loi, y compris le Dr Adam Sherk, du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, et tous les membres de l’Institut canadien de recherche sur l’usage de substances de l’Université de Victoria. De plus, mon bureau doit beaucoup à la Communauté de pratique de l’évaluation des politiques canadiennes sur l’alcool, également connue sous le nom de CAPE. Ce groupe interdisciplinaire de décideurs, de praticiens et de personnes ayant une expérience vécue continue d’être une source d’inspiration, de soutien et de connaissances en matière de politiques, alors que nous travaillons à réduire les dommages causés par l’alcool au Canada. J’adresse des remerciements tout particuliers à la coordonnatrice de projet, Tina Price, pour son leadership.

Chers collègues, l’industrie de l’alcool bénéficie d’un passe-droit depuis bien trop longtemps. Les dégâts causés par leurs produits addictifs et cancérogènes coûtent plus cher à la société que le tabac. Pourtant, le Canada a interdit la publicité pour les produits du tabac en 1989. C’était il y a 35 ans. Les compagnies de tabac se sont battues bec et ongles pour maintenir leurs publicités au premier plan. L’industrie de l’alcool ne fait rien de moins. Elles sont très bien financées et elles tentent désespérément de garder le public dans l’ignorance.

Lorsque j’ai présenté le projet de loi S-254, qui exigeait de mettre des avertissements sur les risques de cancer sur les contenants de boissons alcoolisées, les sénateurs étaient favorables à son renvoi en comité. Au moment des débats, certains sénateurs ont longuement souligné la multitude de dommages autres que le cancer causés par la consommation d’alcool et se demandaient si l’énumération de tous ces dommages ne prendrait pas tout l’espace sur l’étiquette. En effet, la liste des préjudices établis liés à l’alcool est indiscutablement longue. Si je devais tous les énumérer maintenant, je dépasserais mon temps de parole de plusieurs heures. Je vais donc me contenter d’en souligner quelques-uns.

L’alcool est une substance cancérogène de classe 1. Il est la substance psychoactive la plus consommée au Canada. À l’échelle mondiale, il cause six décès par minute, soit trois millions de décès par année. L’alcool contribue à plus de 200 affections et complications.

(1900)

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, il est 19 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un « non ».

Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. Par conséquent, la séance est suspendue, et je quitterai le fauteuil jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

[Français]

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

Le sénateur Brazeau : L’alcool, un cancérogène de classe 1, est la substance psychoactive la plus consommée au Canada. À l’échelle mondiale, il cause six décès par minute, soit trois millions de décès par an. L’alcool contribue à plus de 200 maladies et légions traumatiques ou autres états pathologiques et est l’une des principales causes de décès évitables. Dans le monde entier, l’alcool est responsable de 18 % des suicides. Au Canada, ce chiffre est encore plus élevé. Environ 20 % à 30 % des décès par suicide impliquent la consommation d’alcool.

Selon l’Agence de la santé publique du Canada, « dans presque la moitié des cas observés de violence et d’agression, la consommation d’alcool par l’agresseur est impliquée ».

Il n’existe aucune quantité d’alcool médicalement sûre à consommer lors d’une tentative de grossesse ou pendant l’allaitement. L’alcool est indiscutablement toxique pour les fœtus. Ses effets, comme les fausses couches et le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, sont imprévisibles et irréversibles. D’autres risques particuliers aux femmes incluent des niveaux élevés d’alcool dans le sang, une intoxication rapide et un risque accru de cancer du sein et de lésions hépatiques.

Pour les hommes, les données montrent qu’ils sont plus susceptibles d’être impliqués dans des collisions lorsqu’ils conduisent sous l’effet de l’alcool, d’être hospitalisés pour des urgences médicales liées à l’alcool et d’être diagnostiqués avec un trouble lié à l’alcool. Ils sont également plus susceptibles de mourir de causes liées à l’alcool.

Pour les jeunes, l’alcool est un facteur de risque comportemental majeur pour la mort et les problèmes sociaux. Ils sont plus susceptibles de boire de l’alcool avec excès que d’autres groupes, ce qui augmente les risques de blessures, d’agression, de violence en général, de violence conjugale et de déclin des performances scolaires. La consommation d’alcool chez les jeunes entraîne également un risque accru de conséquences négatives en raison d’une plus grande impulsivité, d’une maturité émotionnelle moindre, d’une faible masse corporelle et de la vitesse de conduite plus élevée qui caractérise ce groupe.

Vous serez sans doute intéressés de savoir qu’une étude a révélé qu’approximativement la moitié des élèves canadiens de la 7e à la 12e année avaient consommé de l’alcool en 2021 et 2022, avec un âge moyen de 13 ans pour la première consommation.

Comme l’indiquait le Journal of Epidemiology and Global Health, des études longitudinales récentes montrent que les jeunes ayant un niveau plus élevé d’exposition à la publicité sont plus susceptibles de commencer à consommer de l’alcool, et aussi de le consommer de manière nuisible.

Ce même journal indiquait également que l’industrie de l’alcool utilise de nouvelles tactiques de marketing furtif, comme les placements de produits, la création de nouveaux profils médiatiques, les canaux, les noms de marques et les conceptions graphiques ou les slogans, pour faire en sorte que ces éléments numériques ressemblent de près à l’identité de marque de l’alcool.

De même, les influenceurs sociaux influencent de manière considérable les décisions d’achat.

Comme vous le savez d’après notre discussion sur le projet de loi S-254, il existe un lien causal direct établi entre la consommation d’alcool et au moins sept types de cancers mortels connus.

[Traduction]

Les maladies du cœur sont la deuxième cause de mortalité au Canada, après le cancer. Il est remarquable, Votre Honneur, que les ventes de vin rouge continuent de bénéficier d’une croyance qui a pourtant été totalement démentie, à savoir qu’il serait bénéfique pour la santé. Contrairement à ce qu’affirme la mythologie moderne, la consommation de vin rouge ne diminue pas, absolument pas, le risque de cardiopathie ischémique. C’est important de le souligner, car de nombreux Canadiens soucieux de leur santé croient encore ce mythe et boivent du vin rouge en pensant que c’est bon pour leur santé.

Du fait de cette image positive, d’autres personnes, qui sont très nombreuses, s’autorisent un premier verre — pour leur santé, bien sûr —, sauf qu’elles sont ensuite incapables d’arrêter. Pourquoi? Ce n’est pas parce qu’il s’agit de mauvaises personnes, mais parce que cette substance crée une dépendance. Elle entraîne une dépendance physique.

L’Association canadienne pour la santé mentale souligne que la dépendance physique a pour effet d’accroître la tolérance à cette drogue; il faut donc en consommer de plus en plus pour obtenir le même effet.

Une fois la dépendance installée, il peut être mortel de mettre fin à sa consommation sans supervision médicale. Parmi les possibles symptômes de sevrage figurent l’insomnie, les tremblements, la nausée et les convulsions. Les personnes dans un tel état peuvent être aux prises avec des hallucinations, de la confusion et de la fièvre et avoir le cœur qui s’emballe, ce qui, en l’absence de traitement, peut être mortel.

Je pourrais continuer encore longtemps, Votre Honneur. Le public peut facilement trouver des renseignements à ce sujet. Cela dit, les sénateurs qui souhaiteraient obtenir plus de données peuvent évidemment communiquer avec mon bureau. Nous leur fournirons tout ce dont ils ont besoin.

Lorsque nous parlons de restreindre la publicité sur l’alcool, certains peuvent penser qu’une telle chose est impossible, compte tenu de l’argent que les gouvernements gagnent sur les ventes d’alcool.

Pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler, j’aimerais expliquer le concept du déficit associé à l’alcool au Canada. Un tel déficit se produit lorsque les recettes que le gouvernement perçoit grâce à la vente d’alcool et aux taxes sur ces ventes ne suffisent pas à compenser les coûts qu’il assume pour tenter de réparer les dommages que la consommation d’alcool cause à la société.

M. Adam Sherk écrit ceci dans le Journal of Studies on Alcohol and Drugs :

Au Canada, en 2020, les gouvernements ont engrangé des recettes 13,3 milliards de dollars canadiens grâce aux ventes d’alcool, mais ce montant a été contrebalancé par 19,7 milliards de dollars de coûts sociaux attribuables à la consommation d’alcool. Ce « déficit associé à l’alcool » a augmenté de 122 % en dollars réels au cours de la période étudiée, atteignant un sommet de 6,4 milliards de dollars en 2020 […]

Au cas où ce ne serait pas clair, permettez-moi de formuler autrement mon explication : les gouvernements — qu’ils soient provinciaux, territoriaux ou fédéraux — dépensent beaucoup plus d’argent pour lutter contre les méfaits de l’alcool qu’ils n’en perçoivent en recettes. La poursuite de cette mascarade va à l’encontre du bon sens économique.

Lorsque nous parlons de l’argent du gouvernement, nous parlons en fait de l’argent des contribuables. Alors, soyons bien clairs, ce sont les contribuables qui paient pour remédier aux problèmes de santé, à la perte de productivité et aux problèmes de justice pénale causés par les méfaits de l’alcool.

Les contribuables doivent assumer tous les coûts liés aux méfaits de l’alcool, tels que les hospitalisations, les interventions chirurgicales d’un jour, les visites aux urgences, les services ambulanciers, les traitements spécialisés, le temps des médecins et les médicaments sur ordonnance.

Les contribuables paient également pour la perte de productivité liée aux décès prématurés, à l’invalidité de longue durée et à l’invalidité de courte durée qui provoque de l’absentéisme et une diminution des performances au travail.

Les contribuables paient des sommes astronomiques pour la justice pénale, c’est-à-dire le maintien de l’ordre, les tribunaux, les services correctionnels et l’application des lois sur la conduite en état d’ébriété.

Les contribuables financent également la recherche et les programmes de prévention et paient pour les dommages causés par les incendies, pour les dommages causés aux véhicules automobiles et pour les tests de dépistage des drogues sur les lieux de travail.

Les lobbyistes de l’industrie de l’alcool, grassement rémunérés, invoqueront tous les arguments possibles pour empêcher la modification des lois relatives à la publicité sur l’alcool. Il s’agit des mêmes arguments tristes et fallacieux que ceux qui ont été utilisés par l’industrie du tabac il y a environ 25 ans. Tout comme l’industrie du tabac s’est battue contre l’interdiction de la publicité en affirmant qu’elle la privait de sa liberté d’expression, l’industrie de l’alcool fera exactement la même chose.

(2010)

Dans le cas du tabac, la Cour suprême du Canada a estimé que l’objectif de santé publique justifiant les restrictions concernant la publicité sur le tabac était plus important que « l’expression commerciale de faible valeur » de l’industrie. Quand nous disposons d’une quantité encore plus grande de données solides et sans équivoque sur les méfaits de l’alcool, nous pouvons raisonnablement nous attendre au même résultat.

Certains législateurs bien intentionnés, sous l’influence de l’industrie, répliqueront que le gouvernement ne devrait pas se montrer aussi autoritaire. Ces personnes pensent que les gouvernements devraient se contenter de diffuser des messages d’intérêt public sur les méfaits de l’alcool. Malheureusement, il s’agit là d’une attitude naïve. Comme l’a fait remarquer Santé publique Ontario, lorsqu’il s’agit d’envoyer des messages au public, les gouvernements ne peuvent pas rivaliser avec la sophistication et l’ampleur des moyens de l’industrie.

Pour chaque dollar de publicité que les gouvernements sont en mesure de dépenser, l’industrie en dépensera des milliers de plus. Les contre-mesures en matière de relations publiques, comme les messages d’intérêt public, sont nécessaires, mais insuffisantes. Elles sont une bonne idée et peuvent effectivement jouer un rôle, mais elles sont insuffisantes à elles seules.

Selon Santé publique Ontario, il est :

[...] peu probable que le secteur public dispose des ressources substantielles nécessaires pour promouvoir et maintenir le même niveau de messages sur la santé.

L’Organisation mondiale de la santé recommande d’interdire totalement la publicité sur l’alcool. Comme elle le dit :

Les interdictions et les restrictions générales visant la publicité, les commandites et la promotion de l’alcool sont des mesures efficaces et économiques. L’adoption et l’application de dispositions interdisant ou restreignant la publicité dans le monde numérique auront des effets bénéfiques sur la santé publique et protégeront les enfants, les adolescents et les abstinents contre l’influence de ceux qui voudraient leur faire consommer de l’alcool.

L’Organisation ajoute ce qui suit sur un ton plutôt « sec », si vous me permettez l’expression :

Les producteurs d’alcool, les détaillants et le secteur de la commercialisation sont normalement consultés lorsque le gouvernement apporte des changements à la réglementation et aux pratiques de commercialisation de l’alcool. Cependant, les documents publiés indiquent qu’en général, ces organismes de l’industrie ne sont pas favorables au resserrement des dispositions législatives sur les pratiques de commercialisation.

De même, Votre Honneur, le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances nous dit ceci:

[...] il apparaît urgent de revoir les règlements canadiens sur la promotion et la publicité de l’alcool ainsi que l’application de ces règlements.

Votre Honneur, ce que propose ce projet de loi est simple. C’est logique. Il est insensé de restreindre la publicité sur un agent cancérigène mortel et toxicomanogène du groupe 1 tout en autorisant la prolifération de la publicité d’un autre agent cancérigène mortel et toxicomanogène du groupe 1.

Le projet de loi S-290 est calqué sur la Loi sur le tabac et les produits de vapotage et la Loi sur le cannabis. Je ne suggère rien de radical ou de farfelu. On ne réinvente pas la roue. Ce sont l’industrie de l’alcool et ses facilitateurs qui font bande à part. On leur a accordé beaucoup plus de latitude qu’aux industries du tabac ou du cannabis, et ce, sans raison logique claire. Il n’est pas cohérent d’accorder aux promoteurs de l’alcool de grandes libertés qui sont refusées aux industries du tabac et du cannabis. Nous pouvons peut-être comprendre pourquoi les gens d’une autre époque ont rechigné à l’idée de modifier ainsi le libre marché.

Cependant, Votre Honneur, la question se pose à nouveau. Les données sont là. Les recherches ont été menées, et elles sont concluantes. Les coûts économiques et sociaux dépassent largement les revenus engrangés par les gouvernements. Pour ceux qui aiment les chiffres fiables et détaillés, prenons comme exemple les données de 2020 pour l’Ontario : les Ontariens ont consommé l’équivalent de 457 consommations standard par personne âgée de 15 ans et plus. Cette consommation a été la cause directe de 6 202 décès, de 38 043 années de vie productive perdues et de 319 580 admissions à l’hôpital. Cette année-là, les recettes de l’Ontario provenant de la vente d’alcool ont été de 5 162 milliards de dollars. Le coût économique pour nettoyer ce gâchis a été de 7 109 milliards de dollars. Donc, cette année-là, le déficit de l’Ontario en matière d’alcool s’est élevé à 1,9 milliard de dollars. C’est ahurissant.

Je vous rappelle que la situation est la même dans l’ensemble des provinces et des territoires, Votre Honneur. Il est temps d’y mettre un terme — non pas parce que je le dis, mais parce que les professionnels de la santé le disent. Nous avons les données et les recherches nécessaires. C’est maintenant aux législateurs de mettre en branle les changements qui transformeront une génération.

L’industrie se vantera des bonnes actions qu’elle fait en tant que commanditaire des arts, des sports et de projets communautaires environnementaux. Même si les efforts de l’industrie sont souvent bien intentionnés, les chercheurs ont constaté que cette bonne volonté est absente de certaines de ses activités. Prenons l’exemple du lien de causalité entre la consommation d’alcool et des cancers mortels. Le chercheur Mark Petticrew a constaté que l’industrie de l’alcool trompe le public sur les risques de cancer liés à son produit et utilise, pour ce faire, des tactiques éprouvées : le déni et l’omission, la distorsion et la diversion. Les représentants de l’industrie nient ou contestent le lien entre l’alcool et le cancer; ils déforment et minimisent les risques de cancer; ils détournent l’attention des effets indépendants de l’alcool et pointent plutôt vers un large éventail d’autres facteurs de risque et d’autres causes de maladie.

Si nous renforçons la réglementation concernant la publicité, le marketing et la promotion dans un domaine particulier, l’industrie transfère tout simplement ses fonds vers un autre domaine. Dans ce monde globalisé, numérisé et interconnecté, elle a toujours une longueur d’avance. C’est pourquoi il est nécessaire d’imposer des restrictions importantes, comme c’est le cas pour le tabac et le cannabis.

Votre Honneur, nous avons fait front commun contre l’industrie du tabac. Nous avions raison de le faire, et nous avons raison d’en faire autant dans le cas présent. Compte tenu de la montagne de données, peu importe le point de vue que l’on adopte, il est irrationnel de continuer d’accorder ainsi un passe-droit à une substance qui peut entraîner une dépendance et qui est cancérogène et psychoactive. Pour l’amélioration de la santé publique des Canadiens de la génération actuelle et des générations à venir, mettons fin à cette ère de promotion trop permissive des boissons alcooliques. Faisons les choses comme il se doit.

Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé. Meegwetch.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Sénateur Brazeau, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Brazeau : Oui.

La sénatrice Osler : Sénateur Brazeau, je vous remercie de votre discours. On constate une normalisation de l’abus d’alcool parmi les femmes, en particulier sur les médias sociaux. De quelle manière ce projet de loi pourrait-il inverser cette tendance?

Le sénateur Brazeau : Merci pour cette question très importante, sénatrice Osler. Prenons l’exemple du tabac. Depuis que nous avons mis fin à la promotion des produits du tabac il y a 20 ans, le tabagisme a diminué d’environ 20 %.

Comme vous l’avez mentionné, l’alcool est largement accepté. De nombreuses faussetés au sujet de l’alcool sont propagées par l’industrie elle-même. Il faut commencer quelque part. J’ai constaté que le fait que j’aie présenté deux projets de loi sur l’alcool procure aux professionnels de la santé et aux experts une tribune où ils peuvent discuter sans crainte des incidences négatives de l’alcool. Étant donné que l’alcool est largement accepté dans la société, je crois que bon nombre d’entre eux hésitent peut-être à parler des incidences négatives avec leurs patients, par exemple.

Il faut commencer quelque part, et le meilleur moyen est d’interdire la promotion de l’alcool. Je vous garantis qu’en l’espace d’une génération, les temps d’attente dans les hôpitaux diminueraient, tout comme le nombre de suicides et de décès, entre autres. Il faut toutefois commencer quelque part.

En 1988, l’alcool a été classé dans le groupe 1 des agents cancérigènes. Dix élections fédérales ont eu lieu depuis. Si nous faisons comme les parlementaires avant nous, nous laisserons à une autre génération le soin d’intervenir et rien ne changera. La situation ne s’améliorera pas.

Une très bonne occasion s’offre à nous, mais pas uniquement cela. J’aurais espéré que ce projet de loi émane du gouvernement, mais il ne s’agit pas d’une mesure qui attire beaucoup la faveur des électeurs. Ce n’est pas une mesure qui lui fera gagner des votes. Je le comprends. Voilà pourquoi je crois que le Sénat a la parfaite occasion de montrer et de mettre en évidence ce qu’il peut faire dans l’intérêt des Canadiens.

(2020)

Ici, nous parlons précisément de la santé des Canadiens et de l’idée d’améliorer — nous l’espérons — la vie de la prochaine génération de Canadiens. Cependant, il faut bien commencer quelque part, et nous espérons que ce projet servira de tremplin pour faire diminuer les statistiques de consommation d’alcool au Canada.

L’honorable Donna Dasko : Sénateur Brazeau, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Brazeau : Oui.

La sénatrice Dasko : Merci. Je veux juste donner suite aux observations que vous venez de faire. Je vous remercie également de votre exposé. Vous avez présenté des arguments très, très solides.

Pour ajouter à ce que vous avez dit, pendant de très nombreuses années, le gouvernement fédéral a joué un rôle très marquant dans la lutte contre le tabac, en légiférant et en réglementant l’emballage, la publicité et bien d’autres aspects. Ma question est la suivante : que vous ont dit les gouvernements concernés? Que sont-ils prêts à faire? Sont-ils enclins à agir? Je parle du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, car ces derniers jouent également un rôle. Pouvez-vous décrire leur réaction?

Vous venez de laisser entendre qu’il ne s’agissait pas d’une mesure qui, du point de vue politique, fera gagner des votes. Or, au fil des ans, les gouvernements provinciaux ont aussi joué un rôle important dans la lutte contre le tabagisme. Ma question porte sur l’alcool, sur ce que les gouvernements ont dit, et sur ce qu’ils semblent prêts à faire. Merci.

Le sénateur Brazeau : Merci beaucoup de la question, sénatrice Dasko. Je siège ici en tant que sénateur indépendant. Je ne suis pas ici pour faire des gains politiques. Maintenant, pour répondre à votre question, quand j’ai présenté le projet de loi S-254, il y a environ deux ans, mon bureau a écrit à tous les partis politiques fédéraux pour leur demander quelles étaient leurs politiques concernant l’alcool. En résumé, personne ne m’a répondu jusqu’à présent.

J’ai rencontré l’ancienne ministre de la Santé mentale et des Dépendances il y a environ un an. Malheureusement, je n’ai pas pu poser une seule question sur le projet de loi S-254.

Pour répondre à votre question, comme je l’ai dit, ce n’est pas une idée qui fera gagner des votes en ce moment, mais si de plus en plus de Canadiens sont conscients des effets négatifs de l’alcool — qui est une drogue —, eh bien, cela deviendra un enjeu électoral. Je peux vous assurer qu’en étant mieux informés, des gens de partout au pays exerceront beaucoup plus de pression sur les élus pour qu’ils fassent quelque chose à cet égard. Les gouvernements provinciaux ont raison de dire que la vente d’alcool est importante et qu’elle rapporte de l’argent, mais les Canadiens doivent savoir qu’ils devront assumer toutes les conséquences négatives qui, trop souvent, sont passées sous silence.

L’honorable Denise Batters : Je vous remercie grandement de votre discours, sénateur Brazeau, et de votre défense de cette cause importante. En parlant d’idée qui fera gagner des votes, le gouvernement fédéral actuel semble penser que détaxer la bière et le vin, entre autres, pendant deux mois lui permettra de gagner des votes. Ce congé de TPS temporaire entrera en vigueur le 14 décembre, et il devrait prendre fin vers la mi-février. Par conséquent, comme je l’ai mentionné l’autre jour ici, cette période englobe le mois de janvier sans alcool, moment où bien des personnes essaient d’inciter les autres à arrêter de boire et à réduire considérablement leur consommation d’alcool pour les raisons de santé que vous avez évoquées si éloquemment aujourd’hui. Que pensez-vous du fait que le gouvernement fédéral a décidé d’inclure la bière et le vin, mais pas un certain nombre d’autres produits essentiels, dans ce congé de TPS?

Le sénateur Brazeau : Merci de votre question. Je pense qu’il va sans dire que je ne suis absolument pas favorable à un congé de TPS sur l’alcool. On dirait qu’ils ont pris exemple sur Doug Ford en ce qui concerne l’alcool. Le gouvernement est libéral et, en Ontario, il est conservateur, mais comme je l’ai dit, je ne fais pas cela pour des raisons politiques. Tout ce que je dis, c’est qu’il est temps que tous les partis politiques prennent cette question au sérieux, car elle affecte directement la vie de nombreuses personnes. Où sont les leaders des saines finances publiques du Canada? Nous parlons ici de déficits. Je m’en tiendrai à cela. Merci.

La sénatrice Batters : C’est une très bonne remarque que vous avez faite sur les déficits et les coûts liés à l’enjeu que vous avez soulevé. Je sais que vous n’aviez qu’un certain temps pour faire ce discours, mais vous avez couvert beaucoup de choses. Vous avez parlé de la dépendance à l’alcool, mais peut-être pourriez-vous parler du fait que cette dépendance peut être associée à d’autres types de dépendances. Parfois, les gens sont dépendants d’autres substances ou comportements et l’alcool devient l’un des facteurs dans ce cercle vicieux. Comme la consommation d’alcool est largement acceptée dans la société, elle peut aggraver les difficultés auxquelles les gens se heurtent. Pouvez-vous nous en dire plus là‑dessus?

Le sénateur Brazeau : Je ne peux bien entendu pas parler au nom de tout le monde; c’est au cas par cas. Cependant, pour parler de ma propre expérience, l’alcool était la principale substance, et d’autres substances s’y ajoutaient, parce que, comme je l’ai dit dans mon discours, on acquiert une tolérance à l’alcool. Une fois que l’on a acquis cette tolérance, il en faut plus pour obtenir le même effet. Comme je l’ai dit, en ce qui me concerne, l’alcool était la principale substance, puis il y a d’autres substances qui s’ajoutent.

Fumer du tabac est légal au Canada, mais on n’en fait pas la promotion ni la publicité; c’est la même chose pour le cannabis. Par conséquent, la vraie question qu’il faut poser est celle-ci : pourquoi les entreprises qui produisent de l’alcool et l’industrie de l’alcool ont-elles un passe-droit? Si quelqu’un pouvait me donner une réponse à cette question, je serais peut-être satisfait. Toutefois, je n’ai encore rencontré personne qui m’ait donné une réponse qui mérite que je m’y attarde.

L’honorable Marty Deacon : L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Brazeau : Oui.

La sénatrice M. Deacon : Vous avez parlé de l’alcool, du tabac et du cannabis. Vous savez que j’ai récemment présenté un projet de loi, le projet de loi S-269, qui vise à mettre un frein à la publicité. Il ne vise pas le même objectif, mais le moment choisi est très semblable. Nous aurions aimé envisager une interdiction totale de la publicité. Nous avons aussi fait des recherches poussées sur le seuil fixé historiquement par la Cour suprême en ce qui a trait à l’alcool, mais aussi sur les contestations à la Cour suprême concernant l’alcool et le cannabis.

Bien sûr, je surveille le dossier de près, parce que si l’alcool peut être ou est reconnu, la demande d’interdiction totale de la publicité pourra être présentée rapidement.

Par conséquent, je me demande si vous voulez nous dire ce que vous en pensez, puisque les deux sont liés. Nous avons passé des mois à apprendre par quoi le tabac est passé dans les années 1980 et 1990, et nous avons en quelque sorte classé cela dans la catégorie « alcool et cannabis ». Sous cet angle, je me demande ce que vous en pensez.

Le sénateur Brazeau : Eh bien, à mon avis, selon ma propre expérience, l’alcool est le nouveau tabac, mais j’irai même plus loin. Comme je l’ai mentionné dans mes observations, les effets négatifs de l’alcool dépassent de loin les effets négatifs de la plupart des autres substances réunies. C’est pourquoi il faut interdire totalement leur publicité au Canada, tout comme nous l’avons fait pour les produits du tabac.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, appuyée par l’honorable sénateur Boehm, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-332, Loi modifiant le Code criminel (contrôle coercitif d’un partenaire intime).

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, j’interviens à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-332, Loi modifiant le Code criminel, concernant le contrôle coercitif d’un partenaire intime, présenté le 18 mai 2023 par Laurel Collins, députée néo-démocrate de Victoria, et adopté à l’unanimité par la Chambre de 12 juin 2024.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-332 modifie le Code criminel afin d’ériger en infraction le fait d’exercer un contrôle coercitif à l’égard d’un partenaire intime. Ce projet de loi est important, et je le soutiens parce qu’il s’attaque à la violence familiale, qui touche les femmes de manière disproportionnée.

(2030)

Le Parti conservateur du Canada s’est toujours engagé à protéger et à défendre les victimes d’acte criminel ainsi que les femmes victimes de violence conjugale ou familiale. Nous saluons cette initiative qui vise à renforcer le Code criminel.

Je tiens également à exprimer ma gratitude à Laurel Collins, députée de Victoria, pour avoir attiré l’attention sur la question du contrôle coercitif. Son engagement sur cette question est ancré dans le désir de protéger les victimes et de créer une société plus sûre pour tous les Canadiens.

Le projet de loi C-332 vise à lutter contre une forme de maltraitance reconnue dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Écosse et l’Irlande, mais qui n’est pas encore incluse dans le droit canadien en tant que telle.

Je remercie également les députés de tous les partis pour le soutien unanime qu’ils ont apporté à ce projet de loi, ce qui témoigne de la gravité de la question.

Enfin, je remercie la sénatrice Julie Miville-Dechêne d’avoir accepté d’être la marraine de ce projet de loi au Sénat et d’y faire avancer ce débat important.

Je voudrais rappeler aux sénateurs que nous avons récemment adopté, le 10 octobre dernier, le projet de loi S-205 du sénateur Boisvenu, qui permet désormais à un juge d’utiliser un engagement spécial à maintenir l’ordre public dans les cas de violence familiale et d’imposer le port d’un bracelet électronique pour mieux surveiller les auteurs de violence familiale.

Honorables sénateurs, le contrôle coercitif est une forme très répandue de mauvais traitements qui prive les gens de leur autonomie, de leur liberté et de leur sentiment de sécurité. Ce projet de loi modifierait le Code criminel pour permettre aux victimes de tels comportements abusifs de trouver sécurité et protection au sein du système judiciaire. Il vise à donner plus de pouvoirs aux victimes, à les outiller pour leur permettre d’échapper à des situations dangereuses et, surtout, à empêcher qu’une situation ne mène à de la violence physique ou au féminicide.

Comme nous l’avons souvent dit au Sénat, la violence conjugale est un fléau qui touche de nombreuses femmes partout au pays. Les statistiques sont alarmantes, et il est urgent de continuer à légiférer et à donner le plus d’outils possible au système de justice pour lutter efficacement contre cette forme de violence et, par-dessus tout, pour réduire le nombre de femmes assassinées.

Il est honteux qu’aucune initiative ministérielle n’ait été présentée au cours des neuf dernières années pour s’attaquer à ce fléau malgré les statistiques alarmantes. Il est inacceptable que cela revienne aux députés ou aux sénateurs, avec le peu de moyens dont ils disposent, de faire avancer ce projet de loi d’initiative parlementaire, sachant à quel point il est long et difficile de faire adopter ce type de mesure législative au Parlement. Il incombe au gouvernement et au ministre de la Justice d’agir, et il est déplorable que les femmes ne soient pas une priorité pour le gouvernement actuel.

Prenons l’exemple de l’Espagne, qui était l’un des pays européens les plus touchés par la violence familiale. Le gouvernement a mis en place une politique de lutte contre la violence familiale en 1997, après qu’une femme a été brûlée vive par son partenaire. Au fil des ans, un système gouvernemental complet a été mis en place, si bien que l’Espagne est aujourd’hui l’un des pays qui luttent le plus efficacement contre la violence familiale. Depuis la mise en œuvre des premières mesures en 2004, le nombre de féminicides a diminué de 25 % en Espagne.

Les statistiques ne manquent pas. Comme je l’ai dit dans mon discours sur le projet de loi S-205, Statistique Canada a révélé en 2022 que le nombre d’incidents de violence familiale et de violence entre partenaires intimes a augmenté de 19 % entre 2014 et 2022, après avoir connu une baisse générale entre 2009 et 2014. Les femmes et les filles représentent la grande majorité des victimes, à savoir 8 victimes sur 10, et les femmes sont également surreprésentées parmi les victimes d’homicides.

Selon l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation, 184 femmes ont été tuées au Canada en 2022, dont 60 % par un partenaire intime ou ex-partenaire intime. Cela correspond à une femme tuée tous les deux jours au Canada. Par exemple, le Québec a déjà dépassé le nombre de féminicides qui ont été commis en 2023 puisqu’il en compte actuellement 13.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-332 s’ajoute donc aux récentes initiatives visant à lutter contre la violence familiale. Comme je l’ai mentionné au début de mon discours, le projet de loi criminalise le contrôle coercitif dans le contexte de la violence contre un partenaire intime. Le ministère de la Justice décrit le contrôle coercitif comme suit :

Le contrôle coercitif comprend des actes répétés d’humiliation, d’intimidation, d’isolement, d’exploitation ou de manipulation, souvent accompagnés d’actes de coercition physique ou sexuelle. Cette forme de violence se caractérise par la façon continue dont elle supprime l’autonomie de la victime, la piégeant dans une relation et causant des préjudices émotionnels, psychologiques, économiques et physiques distincts.

Le contrôle coercitif est maintenant reconnu comme une forme de violence familiale dans la Loi sur le divorce et dans la plupart des lois provinciales et territoriales sur la famille.

En effet, en 2021, la Loi sur le divorce a été modifiée pour inclure la notion de contrôle coercitif. Dans la section intitulée « Intérêt de l’enfant », l’alinéa 16(4)b) de la Loi sur le divorce se lit comme suit : « [...] le fait qu’une personne tende ou non à avoir, par son aspect cumulatif, un comportement coercitif et dominant à l’égard d’un membre de la famille [...] »

On retrouve aussi la mention du contrôle coercitif dans la définition de « violence familiale » prévue par la loi.

Un article publié le 11 mai 2024 dans Le Devoir présente des statistiques intéressantes au sujet de l’utilisation de l’expression « contrôle coercitif » dans les jugements du tribunal de la famille depuis l’ajout de cette modification à la Loi sur le divorce. Selon cet article, le contrôle coercitif a été mentionné 13 fois dans des jugements en 2021, 24 fois en 2022 et 26 fois en 2023.

Honorables sénateurs, la violence conjugale ou familiale peut prendre de nombreuses formes, et les partenaires violents ont tendance à utiliser diverses stratégies afin d’exercer un contrôle insidieux sur leur partenaire intime. Ces stratégies vont au-delà de la simple violence physique ou sexuelle. Comme le ministère l’a indiqué, cela comprend la manipulation, l’isolement et l’intimidation, ce qui a des conséquences psychologiques ou économiques à long terme sur la victime.

En écoutant des victimes de violence familiale, nous avons rapidement constaté qu’au moins une forme de contrôle coercitif revenait dans la majorité des témoignages. Le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, un organisme qui regroupe des refuges pour femmes, a lancé une plateforme de référence en ligne sur le contrôle coercitif en septembre 2024. Cette plateforme présente des exemples de contrôle coercitif dans la vie quotidienne et vise à sensibiliser les gens aux diverses formes que peut prendre le contrôle coercitif.

J’aimerais citer Annick Brazeau, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, à ce sujet :

Parler du contrôle coercitif permet de sensibiliser les gens à diverses facettes de cet enjeu. On les sensibilise notamment aux formes de violence plus subtiles, qui touchent à la fois les victimes et leur entourage, y compris leur famille, leurs amis et des professionnels. Mieux comprendre le contrôle coercitif et les risques qu’il pose, c’est se donner collectivement les outils pour agir contre la violence conjugale beaucoup plus tôt dans la trajectoire de la victime, bien avant que le pire ne se produise.

Le projet de loi C-332 propose de modifier l’article 264 du Code criminel en y ajoutant le paragraphe 264.01(1), qui stipule qu’une personne commet une infraction si elle se livre de façon répétée à certains actes soit avec l’intention de faire croire à son partenaire intime que sa sécurité est en danger, soit sans se soucier du fait que ses actes peuvent faire croire à son partenaire intime que sa sécurité est en danger.

Le projet de loi précise, au nouveau paragraphe 264.01(2), quels sont les actes visés par le paragraphe 264.01(1). Il y est notamment question de situations de violence, de menaces et du fait de contraindre une personne à une activité sexuelle.

Le nouvel alinéa 264.01(2)c) parle également du fait de chercher à contrôler illégalement la vie d’une personne, particulièrement ses faits et gestes, ses déplacements et ses interactions sociales. On parle également d’aspects financiers, de l’emploi, des télécommunications, de l’apparence physique et de la prise de médicaments.

(2040)

Le projet de loi C-332 prévoit aussi une peine maximale de 10 ans de prison. Ce projet de loi établirait clairement qu’un tel comportement constitue une infraction criminelle. Ce faisant, les victimes pourraient demander de l’aide plus tôt dans le processus, avant que les abus ne dégénèrent en violence physique. Ce projet de loi vise non seulement à rendre justice aux victimes, mais aussi à prévenir d’autres préjudices en s’attaquant au cœur du problème. Il offrirait également aux forces de l’ordre les outils dont elles ont besoin pour agir dans des situations où le contrôle coercitif est présent, mais où il n’y a pas encore eu de violence physique.

Le projet de loi C-332 soulève néanmoins certaines préoccupations, comme tous les projets de loi qui mènent à la criminalisation d’un comportement ou à l’atteinte à la liberté d’un individu, laquelle est protégée par la Constitution. Plus précisément, des questions se posent sur la façon dont les tribunaux interpréteront la notion de contrôle coercitif, son application et tout effet non voulu contraire à l’intention des législateurs.

Lors de l’étude en comité du projet de loi à la Chambre des communes, la professeure Jennifer Koshan, de la Faculté de droit de l’Université de Calgary, a fait la déclaration suivante :

À l’heure actuelle, le droit pénal met l’accent sur les incidents de violence — comme les voies de fait — où la gravité de l’incident est souvent évaluée en fonction des blessures physiques. Il est très difficile pour la police, les procureurs et les juges de comprendre le contrôle coercitif, qui relève de tendances plutôt que d’incidents de violence.

La professeure Koshan a également abordé la question du contrôle coercitif dans les tribunaux de la famille à la suite de la modification de la Loi sur le divorce :

Les tribunaux de la famille peinent à comprendre le contrôle coercitif et continuent d’aborder les allégations en mettant l’accent sur les incidents. À l’instar du système de justice pénale, les tribunaux de la famille considèrent également que la violence entre partenaires intimes est mutuelle dans de nombreux cas, ce qui peut minimiser les préjudices de la violence sur les femmes et les enfants.

Des tribunaux de la famille ont également qualifié les tentatives des femmes de protéger leurs enfants contre la violence de contrôle coercitif en soi.

De nombreux témoins ont également souligné que la lutte contre le contrôle coercitif nécessite un investissement plus vaste dans l’amélioration de l’infrastructure sociale pour soutenir les survivants de la violence domestique. Les groupes marginalisés font face à des obstacles cumulés, tels que l’insécurité économique et le manque d’accès à des services culturellement adaptés. Le projet de loi doit s’accompagner d’efforts proactifs pour démanteler les inégalités systémiques et fournir des ressources ciblées aux victimes marginalisées.

Pour que le projet de loi soit efficace, il doit être soutenu par une formation et un enseignement complets destinés aux forces de l’ordre, aux professionnels du droit et aux organismes de première ligne. Les témoins entendus lors des audiences du comité ont souligné que de nombreux policiers et juges ne comprennent mal ce qu’est le contrôle coercitif, ce qui conduit à des cas où les mauvais traitements sont négligés ou mal interprétés.

Roxana Parsa, avocate-conseil à l’interne, au Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes, fait écho à cette préoccupation en déclarant :

Étant donné les subtilités du contrôle coercitif, il y a un risque important que, lors du jugement d’une affaire, les forces de l’ordre puissent mal interpréter les situations de violence ou voir de la violence même lorsqu’il n’y en a pas. Les agresseurs peuvent aussi utiliser cela à leur avantage et se servir de la loi comme d’un outil de contrôle coercitif [...]

L’éducation est également essentielle pour les victimes. Dans bien des cas, la personne qui subit le contrôle coercitif n’associe pas son expérience à de la violence jusqu’à ce que la situation dégénère en violence physique. Les campagnes d’éducation et de sensibilisation sont essentielles pour aider les victimes à repérer les comportements coercitifs et à obtenir du soutien de façon précoce.

Les mesures législatives ne peuvent pas à elles seules résoudre ce problème complexe. Un changement systémique s’impose, et cela doit comprendre un financement et un soutien accrus pour les organismes de première ligne et les refuges. Ces organismes portent secours aux victimes en leur offrant un lieu sûr, des conseils et de l’aide juridique. Sans financement adéquat, de nombreux refuges se voient obligés de refuser des victimes.

Des témoins provenant d’organisations comme Hébergement femmes Canada et l’Association nationale Femmes et Droit soulignent l’importance d’indiquer clairement aux victimes comment elles peuvent se mettre en sécurité. Ils ont également demandé des investissements dans le logement abordable, les services de garde et les mesures de soutien à l’emploi pour aider les victimes à rebâtir leur vie.

Au Royaume-Uni, en Irlande et en Australie, des gouvernements ont mis en place des mesures législatives semblables dont le Canada pourrait tirer de précieuses leçons. Au Royaume-Uni, la Serious Crime Act de 2015 a criminalisé les comportements coercitifs et contrôlants, ce qui a mené à une sensibilisation accrue et à des condamnations.

Lors de son étude à la Chambre des communes, le projet de loi a fait l’objet d’une refonte en profondeur : le ministère de la Justice y a apporté 14 amendements. Comme pour toute loi modifiant le droit pénal canadien, les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles devront évidemment mener une étude approfondie de ce projet de loi. Je suis convaincue que c’est ce qu’ils feront. Cela dit, nous ne devons pas laisser les aspects juridiques dissuader les législateurs d’agir pour protéger les femmes au Canada. Nous avons une responsabilité collective à cet égard, et nous devons agir chaque fois qu’une femme est menacée dans notre pays.

Il faut mettre fin au fléau qu’est la violence familiale au Canada, et la seule façon d’y parvenir est de mieux outiller le système de justice comme le prévoit le projet de loi à l’étude.

Le contrôle coercitif est une violation grave de la dignité humaine. Son incidence s’étend au-delà de la victime immédiate, touchant profondément les enfants, les familles et les communautés. Cette mesure législative représente une étape importante dans la reconnaissance de cette forme de maltraitance et la lutte contre ce problème.

Honorables sénateurs, je vous demande de soutenir les millions de femmes victimes de violence familiale aujourd’hui en renvoyant le projet de loi C-332 devant le comité pour une étude plus approfondie. Veillons à ce que cette loi ne soit pas simplement symbolique mais transformatrice, et qu’elle offre aux survivantes la protection, le soutien et la justice qu’elles méritent.

Il ne s’agit pas d’une question partisane, et d’autres pays l’ont fait. En mémoire des nombreuses femmes assassinées et par égard pour les nombreuses femmes maltraitées chaque année au Canada, nous ne pouvons pas échouer. Elles comptent sur nous. Je vous remercie.

Le sénateur Plett : Bravo!

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

[Français]

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Miville-Dechêne, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)

[Traduction]

Projet de loi sur l’interdiction de l’exportation par voie aérienne de chevaux destinés à l’abattage

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dalphond, appuyée par l’honorable sénatrice Cordy, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-355, Loi visant à interdire l’exportation par voie aérienne de chevaux destinés à l’abattage et apportant des modifications connexes à certaines lois.

L’honorable Charles S. Adler : Honorables sénateurs, je suis ici aujourd’hui pour apporter mon soutien total au projet de loi C-355, Loi visant à interdire l’exportation par voie aérienne de chevaux destinés à l’abattage et apportant des modifications connexes à certaines lois. Actuellement, la réglementation sur le transport des chevaux par voie aérienne est la même — elle est identique — que ces chevaux soient élevés pour remporter des médailles ou pour fournir de la nourriture. Qu’il s’agisse de chevaux élevés pour le Trophée de la reine ou pour terminer dans une assiette, les règles sont censées être les mêmes. Pourtant — et c’est une précision importante —, dans la pratique, les chevaux élevés au Canada qui sont envoyés à l’autre bout du monde pour y être abattus ne sont pas transportés par voie aérienne dans les mêmes conditions que les autres chevaux.

(2050)

La Dre Mary Jane Ireland, vétérinaire en chef à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, a dit au comité que les exigences réglementaires avaient été mises à jour en 2019 et elle a ajouté ceci :

L’objectif de ces modifications était de prévenir les souffrances évitables des animaux tout au long du processus de transport en définissant les conditions d’un transport sans cruauté de tous les animaux par tous les modes de transport.

C’est l’objectif de la loi.

Les exigences réglementaires prévoient que le transport d’un cheval ne peut excéder 28 heures. La réglementation n’exige pas que le cheval soit nourri, qu’on lui donne de l’eau ou qu’il ait suffisamment de place pour s’étendre au sol ou pour se reposer pendant le transport. On parle d’un transport de 28 heures sans nourriture, sans eau et sans repos.

Selon Kaitlyn Mitchell d’Animal Justice :

Des recherches scientifiques récentes montrent que même de courts trajets routiers de trois heures ou plus peuvent avoir un effet négatif sur les fonctions endocriniennes et immunitaires des chevaux.

Cette pratique est néfaste pour les chevaux; les recherches parlent de 3 heures, alors imaginez 28 heures.

Ces êtres sensibles, doux et majestueux sont transportés par camion des parcs d’engraissement où ils sont élevés jusqu’à des aéroports, ce qui constitue un voyage de plusieurs heures. Ils sont ensuite sortis du camion, parfois à l’aide d’un aiguillon, et placés dans des caisses en bois. Lorsqu’ils sont dans une caisse, ils restent sur le tarmac bruyant de l’aéroport pendant un certain temps avant d’être chargés dans un avion-cargo. Ils effectuent alors un long vol sans nourriture, ni eau, ni repos. Dans ces circonstances, il est tout à fait raisonnable de penser que ces chevaux risquent fort de souffrir ou d’être blessés, voire pire, au cours du processus. Beaucoup de chevaux meurent. C’est sans parler du fait qu’on n’a aucun moyen de savoir combien de temps il faut avant que ces chevaux puissent boire, manger et se reposer quand ils finissent par arriver à destination.

Lors de l’étude du projet de loi à la Chambre des communes, on a dit à nos collègues législateurs que cinq chevaux étaient morts depuis 2013 et qu’aucune blessure importante n’avait été signalée pendant le transport de 47 000 chevaux à l’étranger pour y être abattus. Compte tenu du témoignage de la Dre MaryJane Ireland au Comité de l’agriculture et de l’agroalimentaire, nous avons des raisons de remettre sérieusement en question ces chiffres.

La Dre Ireland a expliqué au comité le rôle des inspecteurs canadiens pendant le transport des chevaux :

[...] les inspecteurs et les vétérinaires [...] sont présents à l’aéroport lorsque les animaux sont déchargés des camions, placés dans les caisses et mis à bord des avions, afin d’assurer qu’ils sont aptes à voyager, qu’ils sont en bonne santé, qu’ils ne sont pas en surnombre et qu’ils sont compatibles entre eux.

Toutefois, une fois que les portes sont fermées au Canada et que l’avion est en vol, le Canada — l’autorité responsable — n’a absolument aucun moyen de savoir ce qu’il advient de ces chevaux. Les inspecteurs canadiens ne sont pas présents à bord des avions ni au sol lorsque les chevaux arrivent à destination.

Le Canada s’en remet donc entièrement aux autorités locales à l’étranger pour savoir s’il y a eu un décès ou une blessure pendant le transport. Les autorités canadiennes n’ont aucun moyen de vérifier ou de contrôler les renseignements reçus, de sorte que le nombre de décès et de blessures pourrait être nettement différent de ce que rapporte l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Tout ce que nous avons, c’est la présomption que les autorités locales à l’étranger nous disent la vérité. Aucun mécanisme de contrôle ou de signalement n’est en place.

En septembre, Animal Justice a publié un rapport en s’appuyant sur des documents que Life Investigation Agency, un groupe de défense des droits des animaux basé au Japon, a obtenus du gouvernement japonais. Le récent rapport fait état d’un nombre beaucoup plus élevé de décès et de blessures que les chiffres rapportés au comité. Il indique que les chevaux exportés du Canada vers le Japon à des fins d’abattage sont fréquemment blessés, voire tués en raison de la nature périlleuse du voyage. Voici ce qu’il dit — et je rappelle qu’il s’appuie sur l’information obtenue du gouvernement japonais :

[...] de juin 2023 à mai 2024 seulement, au moins 21 chevaux expédiés du Canada au Japon à des fins d’abattage...

 — ce qui veut dire que, sur une période de moins d’un an, 21 chevaux expédiés du Canada au Japon —

... sont morts pendant le transport ou dans les heures et les jours qui ont suivi. Beaucoup d’autres ont souffert de blessures douloureuses et de complications de santé (par exemple de la fièvre ou une diarrhée prolongée) qui semblent avoir été causées par le processus de transport.

Après leur arrivée au Japon, les chevaux exportés à des fins d’abattage meurent de déshydratation, de stress, de pneumonie et d’autres problèmes de santé.

Certaines juments enceintes subissent des fausses couches douloureuses.

Les données du gouvernement japonais montrent même que certaines juments sont mortes peu après leur arrivée à la suite de fausses couches. Les données montrent également une tendance troublante à fournir des soins vétérinaires et un suivi inadéquats pendant le transport et après l’arrivée des chevaux au Japon.

La source s’intitule Flight to Fatality, un rapport publié par Animal Justice en septembre 2024. Encore une fois, ces chiffres sont fondés sur les données du gouvernement du Japon.

On ne se demande donc pas pourquoi le transport de chevaux vivants destinés à l’abattage n’est plus autorisé ou est en voie de ne plus l’être dans de nombreux pays que nous considérons comme des démocraties comparables à la nôtre. En effet, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et d’autres prennent des mesures pour mettre fin à cette pratique, et les Canadiens prient cette auguste institution démocratique de leur emboîter le pas. Nous pouvons faire ce qui s’impose en adoptant simplement le projet de loi C-355.

Si vous me permettez, j’aimerais faire une observation plus personnelle. Alors que je parle aujourd’hui, je pense à une personne qui m’était très chère. Elle s’appelait Sharon. Sharon était une bonne amie, mais elle était surtout une amoureuse des animaux, notamment des chevaux. Il ne fait aucun doute qu’elle aurait fait partie des milliers de Canadiens qui ont signé des pétitions ou envoyé des courriels à des sénateurs et à des députés pour demander la fin de l’exportation par avion de chevaux vivants destinés à l’abattage.

Chaque jour, dans cette vie, nous avons le choix de faire preuve d’humanité ou d’en être dépourvu. C’est le choix que le Sénat est appelé à faire ce soir. Fera-t-il preuve d’humanité? J’espère sincèrement que oui.

Renvoyons le projet de loi au comité sans plus tarder. Le projet de loi C-355 est au Sénat depuis le 21 mai. Cinq sénateurs et moi-même avons pris la parole à l’étape de la deuxième lecture. J’espère que vous vous joindrez à moi pour adopter le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture et en le renvoyant au comité avant l’ajournement des Fêtes.

Je vous remercie d’avoir écouté mon discours sur le projet de loi qui, une fois adopté, mettra fin, espérons-le, aux souffrances de milliers de chevaux.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Mon ami le sénateur Adler accepte-t-il de répondre à une question?

Le sénateur Adler : Je répondrai volontiers à une question de mon concitoyen manitobain.

Le sénateur Plett : Merci, sénateur Adler. J’ai entendu dans votre discours un certain nombre de mentions comme « il semble que » , « c’est ce qu’on nous dit », « c’est ce que dit Animal Justice » et « nous pensons que c’est ce qui se passe ». Sénateur Adler, à Winnipeg, on offre un excellent service de transport d’animaux vivants, qu’il s’agisse de chevaux ou d’autres animaux. On trouve aussi de tels services à Edmonton.

J’imagine, sénateur Adler, puisque vous êtes si sûr de la façon dont ces chevaux sont traités, que vous avez saisi l’occasion de vous rendre à l’aéroport de Winnipeg et, en fait, que vous avez vérifié que ces chevaux sont placés dans ces stalles et qu’ils sont traités de façon inhumaine — j’ai du mal avec le mot « inhumaine » quand il ne s’agit pas d’humains, mais néanmoins, traités de façon inhumaine, de façon cruelle. J’imagine que vous avez vu de vos propres yeux, comme moi, comment ils sont traités.

Le sénateur Adler : Merci beaucoup de votre question. Bien entendu, la question repose sur l’idée que les militants doivent être dénigrés et qu’on ne peut pas leur faire confiance.

(2100)

Je comprends que de nombreuses personnes qui souhaitent maintenir le statu quo dans un certain nombre de domaines soient de cet avis et l’aient toujours été.

Heureusement, dans cette grande démocratie qu’est le Canada, on fait confiance aux militants. Sans eux, le Sénat serait privé de bien des personnes que nous avons l’honneur de compter parmi nous. Sans les militants, il n’y aurait pas d’Autochtones au Sénat. Sans les militants, il n’y aurait pas de femmes, de personnes de couleur, de membres de la communauté LGBT ni de personnes handicapées au Sénat. La liste est longue.

Franchement, je préférerais que les sénateurs se lèvent pour exprimer leur approbation du militantisme au lieu de le dénigrer.

Le sénateur Plett : Je pourrais être aussi offensé que vous semblez l’être par ma question. En aucun cas je ne laissais entendre que les militants ne devraient pas être là.

Ma question était la suivante : l’avez-vous vu de vos propres yeux ou avez-vous simplement cru quelqu’un d’autre sur parole? Laissons les militants de côté. Je comprends cet aspect.

Sénateur Adler, lorsque je décide de m’occuper d’un projet de loi, que ce soit à titre de parrain ou de porte-parole, je fais mon devoir et je vais enquêter, comme je l’ai fait pour un projet de loi dont nous sommes saisis, le projet de loi S-15, pour lequel j’ai supplié les membres d’un comité de se rendre dans les zoos qui, selon eux, torturaient des éléphants. Ils ont refusé de le faire.

La question que je vous pose de nouveau, sénateur Adler, est la suivante : mis à part vos interactions avec les militants, avez-vous au moins saisi cette occasion? Sénateur Adler, vous avez été journaliste — journaliste d’enquête, si vous voulez. Avez-vous saisi l’occasion de faire votre devoir d’enquête et d’aller voir si ces animaux sont torturés?

Le sénateur Adler : Avec tout le respect que je vous dois, et j’essaie de ne pas en faire une affaire personnelle — pas seulement parce que je vous aime bien et pas seulement parce que vous êtes un collègue du Manitoba —, comment diable le fait de se rendre à l’aéroport vous dit-il ce que les chevaux endurent lors de leurs longs vols à l’étranger? Honnêtement, sénateur, je ne comprends pas en quoi votre voyage à l’aéroport de Winnipeg nous donne de la substance. Je ne comprends pas.

Le sénateur Plett : Eh bien, sénateur Adler, vous avez décrit comment ces chevaux étaient maltraités sur le tarmac de l’aéroport et pendant leur transport en camion. Vous avez dit à quel point c’était bruyant sur le tarmac. Vous avez parlé de la manière dont ils étaient embarqués et du fait qu’ils étaient incapables de bouger ou de se coucher dans les caisses. Tout cela est visible à partir du sol.

Il y a une semaine, je suis monté à bord d’un avion à Edmonton pour voir comment ils étaient traités à bord. Non, je n’ai pas fait le vol avec eux. Toutefois, vous avez aussi insinué que nous n’avons aucune idée de ce qui leur arrive dans les airs. On ne les autorise pas à sortir de leur caisse une fois en vol. En vol, ces caisses restent en place. Je pense que tout comme moi, vous comprenez cela.

Sénateur Adler, vous avez insinué que ces chevaux souffrent sur le tarmac et qu’ils sont traités avec cruauté lorsqu’on les fait entrer dans des caisses où ils sont incapables de bouger ou se coucher, ce qui est faux, sénateur Adler. Je les ai vus se tourner dans ces caisses. Je les ai vus regarder dans une direction puis, cinq minutes plus tard, ils étaient debout et tournés dans une autre direction.

Sénateur Adler, si vous dites qu’ils sont maltraités sur le tarmac, c’est parce que vous pouvez le voir. Je vous invite donc à venir avec moi à l’aéroport de Winnipeg le 16 décembre. Nous verrons bien.

Le sénateur Adler : Je serais heureux de me rendre à l’aéroport ou ailleurs, sénateur Plett, mais l’idée qu’un sénateur ou deux se rendent à un aéroport pendant une journée donnée pour voir une chose que d’autres personnes n’ont pas vue ne me dit pas grand-chose, comme je l’ai déjà dit. Je cherche simplement...

Son Honneur la Présidente : Sénateur Adler, le temps prévu pour le débat est écoulé. J’imagine que vous ne demanderez pas plus de temps pour répondre à la question du sénateur Plett. Je me trompe?

Le sénateur Adler : Non.

Son Honneur la Présidente : D’accord, merci.

(Sur la motion du sénateur Wells (Terre-Neuve-et-Labrador), le débat est ajourné.)

Régie interne, budgets et administration

Septième rapport du comité—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moncion, appuyée par l’honorable sénateur Yussuff, tendant à l’adoption du septième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, intitulé Prévisions budgétaires du Sénat pour 2023-2024, présenté au Sénat le 7 février 2023.

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, comme cet article en est à son 15e jour et que je ne suis pas prêt à intervenir, nonobstant l’article 4-14(3) du Règlement, je demande l’ajournement du débat pour le temps de parole qu’il me reste.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est ajourné.)

(2110)

Le décès de l’honorable Ian Shugart, c.p.

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, attirant l’attention du Sénat sur la vie de feu l’honorable Ian Shugart, c.p.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je constate que cet article en est à son 15e jour et je ne suis pas prêt à intervenir. Par conséquent, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 4-14(3) du Règlement, je demande qu’on reprenne le compte des jours à zéro pour cet article.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est ajourné.)

L’avenir de CBC/Radio-Canada

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Cardozo, attirant l’attention du Sénat sur l’avenir de CBC/Radio-Canada.

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, en tant que sénateur de la Saskatchewan et du territoire visé par le Traité no 4, je prends la parole au sujet de l’interpellation du sénateur Cardozo concernant l’avenir de CBC/Radio-Canada.

CBC/Radio-Canada est bien plus qu’un radiodiffuseur public. C’est le radiodiffuseur public national du Canada, au service des Canadiens depuis plus de 85 ans. À bien des égards, il nous relie à travers notre vaste et diverse fédération. Malheureusement, certains proposent de retirer son financement à cette institution nationale qui nous est chère, et je ne suis pas d’accord avec cette proposition.

Comprenons d’abord ce que représente réellement CBC/Radio-Canada. Le Canada possède une étendue géographique à couper le souffle, des côtes rocheuses de Terre-Neuve aux imposantes forêts pluviales de Colombie-Britannique, de la toundra arctique balayée par les vents aux majestueux Grands Lacs, des plaines dorées de la Saskatchewan aux sommets enneigés de l’Alberta. D’un bout à l’autre de ce grand pays, CBC/Radio-Canada sert de pont de communication essentiel. Notre radiodiffuseur public atteint les coins les plus reculés de notre pays pour unir notre famille canadienne.

Pensons aux défis uniques des médias canadiens. Là où les radiodiffuseurs commerciaux ne voient pas d’intérêt économique, CBC/Radio-Canada intervient et prend le relais. Elle assure une vaste couverture dans les deux langues officielles et dans huit langues autochtones, afin que les communautés qui pourraient autrement être réduites au silence disposent d’une tribune dans les régions nordiques et rurales.

CBC/Radio-Canada ne sert pas uniquement à nous divertir. Elle favorise la survie, l’établissement de liens et la préservation culturelle. En cas d’urgence, qu’il s’agisse d’une tempête hivernale au Labrador ou d’un incendie de forêt au Yukon, CBC/Radio-Canada devient l’une de nos infrastructures essentielles. Lorsque les réseaux cellulaires tombent en panne, les ondes radio de CBC/Radio-Canada continuent de transmettre de l’information vitale, ce qui peut sauver des vies.

L’importance de CBC/Radio-Canada va bien au-delà des communications d’urgence; c’est une pierre angulaire de la culture. En tant que plus grande diffuseuse de contenu canadien original, elle est le moteur de notre secteur créatif. Pensez aux émissions classiques de la CBC au fil des ans : The Beachcombers, Road to Avonlea, Street Legal, North of 60, The Nature of Things, Schitt’s Creek, Kim’s Convenience et Heartland. Sans la CBC, ces histoires auraient-elles été racontées?

Puis, pensez à ces émissions de CBC Radio One : As It Happens, The Current, Cross Country Checkup, Quirks & Quarks, Q, Unreserved, Reclaimed et Massey Lectures.

Sur les ondes de Radio-Canada, on diffuse une émission unique en son genre, Tout le monde en parle. Il y a également une comédie politique diffusée sur la CBC, qui s’est révélée importante pour les Canadiens au fil des ans. Dans l’émission Royal Canadian Air Farce, lors de chaque veille du jour de l’An, le canon à poulets tirait toutes sortes de trucs gluants et dégoûtants sur des politiciens de toutes allégeances. La satire n’épargnait personne.

Grâce à son règne sur la CBC, Rick Mercer est devenu le premier roi récent du Canada, devançant Charles. Enregistrée à Halifax, l’émission This Hour Has 22 Minutes connaît actuellement un âge d’or, avec Chris Wilson jouant à la fois le rôle du premier ministre Justin Trudeau et de l’honorable Pierre Poilievre.

Avec un budget annuel de 1,8 milliard de dollars, CBC/Radio-Canada est le moteur d’une économie de l’information et de la création qui contribue à hauteur de 72,9 milliards de dollars à l’économie du pays et fournit des emplois à au moins 630 000 Canadiens, dans les petites comme dans les grandes communautés.

Supprimer le financement de CBC/Radio-Canada serait une erreur. Cela créerait un vide irremplaçable dans notre écosystème national de communication et dans l’identité du Canada. Ce qu’il faudrait peut-être envisager, c’est une stratégie de redressement. Les critiques soutiennent que CBC/Radio-Canada ne devrait faire que ce que les médias privés refusent de faire. Ce point de vue fondé sur l’échec du marché repose sur une incompréhension fondamentale de l’objectif de la radiodiffusion publique. Alors que les médias privés visent à générer des profits, les radiodiffuseurs publics servent l’intérêt public. CBC/Radio-Canada ne se contente pas de combler des lacunes, elle crée une expérience nationale commune.

Voyez comment CBC/Radio-Canada nous relie : un agriculteur du Manitoba, un chasseur du Nunavut, un artiste de Montréal, un pêcheur de homards de l’Île-du-Prince-Édouard — si le sénateur Cotter était ici, je lui mentionnerais au passage que des homards sont expédiés vivants — et un client de Starbucks à Toronto. Grâce à la programmation de CBC/Radio-Canada, tous ces gens découvrent tout ce que nous avons en commun en tant que Canadiens, y compris les valeurs de notre Charte et notre sens de l’humour. Ils entendent des histoires qui reflètent leurs expériences tout en découvrant la vie de leurs concitoyens. Still Standing est une série de téléréalité humoristique qui parcourt le Canada pour découvrir les joyaux cachés, le riche patrimoine et la culture des petites villes.

À l’échelle de la planète, par l’intermédiaire de Radio-Canada International, CBC/Radio-Canada sert de pont vers le monde. Elle relie les Canadiens à l’étranger, fait la promotion de notre culture dans le monde entier et contribue à attirer les talents et les investissements dans notre pays.

Le philosophe John Ralston Saul souligne avec justesse que le radiodiffuseur public demeure l’un des leviers les plus importants qui restent à la disposition d’un État-nation pour communiquer avec lui-même. À une époque marquée par la fragmentation croissante des médias, la mésinformation, les théories du complot et — pire encore — la désinformation, CBC/Radio-Canada est une source digne de confiance qui diffuse des reportages fiables et factuels.

Est-ce que cela signifie que CBC/Radio-Canada est parfaite? Non. Elle est confrontée à des défis de taille : contraintes de financement, bouleversements technologiques et évolution des habitudes de consommation des médias. L’industrie des médias du Canada, où CBC/Radio-Canada est un acteur dominant, fait actuellement face à un déficit de confiance qui s’aggrave. Selon l’Institut Reuters, la confiance dans les médias est tombée à son niveau le plus bas en sept ans. En outre, une étude de spark*advocacy publiée en avril a révélé que 45 % des Canadiens sont favorables à l’idée de fermer CBC/Radio-Canada pour économiser les deniers publics. Plus inquiétant encore, 40 % croient que CBC News est un organe de propagande, une perception que les jeunes Canadiens partagent davantage que les générations plus âgées.

Les données issues de l’audimétrie de CBC/Radio-Canada complètent ce tableau de déclin de la confiance et de l’engagement. Dans son propre rapport du troisième trimestre 2022-2023, le radiodiffuseur a souligné que les résultats de CBC Television sont inférieurs aux cibles parce que les cotes d’écoute et l’auditoire disponible total ont chuté. De même, les cibles n’ont pas été atteintes en matière de portée numérique, d’engagement numérique, de visites du contenu jeunesse et d’engagement numérique à l’égard des nouvelles régionales de CBC Radio. Ces baisses reflètent des défis plus larges de fidélisation et d’élargissement des auditoires dans un paysage médiatique de plus en plus fragmenté.

L’hostilité à laquelle les journalistes de CBC/Radio-Canada sont confrontés, tant en ligne qu’en personne, est une tendance encore plus alarmante. Le rapport annuel de l’ombudsman pour 2021-2022 décrivait cet exercice comme étant le plus litigieux jamais enregistré, les plaintes ayant grimpé de 60 % par rapport à l’exercice précédent. Le ton et la virulence de ces plaintes sont devenus de plus en plus vitrioliques, soulignant les relations tendues entre le public et le radiodiffuseur national.

Ces tendances nous amènent à nous poser la question suivante : qu’est-ce qui a mal tourné? Parmi les critiques les plus courantes, il y a l’impression de partialité politique. De nombreux Canadiens croient que CBC/Radio-Canada est devenue le porte-parole du gouvernement libéral, ce qui mine son impartialité et son indépendance. Pour répondre à ces préoccupations, il faudra accroître la transparence, en particulier dans la façon dont CBC/Radio-Canada interagit avec le gouvernement et gère ses ressources. En faisant ouvertement état de son fonctionnement interne, y compris ses décisions en matière de programmation et de dépenses, CBC/Radio-Canada pourrait rétablir la confiance du public.

La pensée de groupe au sein de CBC/Radio-Canada est également un grave problème. Les critiques soutiennent que le radiodiffuseur affiche un parti pris de gauche qui découle d’un manque de diversité d’origines et d’opinions au sein de son personnel. Comme elles emploient de nombreuses personnes issues de milieux urbains, universitaires et progressistes, les salles de rédaction risquent de devenir des chambres d’écho qui ne reflètent pas la diversité des points de vue du Canada.

(2120)

Cette dynamique est aggravée par les pratiques de travail. Selon une étude de l’Université métropolitaine de Toronto, CBC/Radio-Canada emploie quotidiennement plus de 2 000 travailleurs temporaires ou contractuels, soit environ un quart de ses effectifs. Cette dépendance à l’égard d’une main-d’œuvre précaire crée une instabilité financière qui décourage les voix dissidentes, étouffe l’intégrité journalistique et affaiblit la démocratie.

Malgré tout, les problèmes de CBC/Radio-Canada ne sont pas insurmontables. Le radiodiffuseur doit appliquer une rigoureuse stratégie de revirement et de redressement, faire le point, examiner son propre comportement, adopter des réformes et se montrer souple face aux critiques valables.

Je suis fermement convaincu que la réduction du financement n’est pas la solution. Il y a de nombreuses questions externes et internes à évaluer. Le radiodiffuseur doit miser sur ses forces, cultiver ses avantages concurrentiels, réinvestir en lui-même et procéder à une transformation en profondeur.

Si les menaces économiques immédiates qui pèsent sur les médias canadiens ont été temporairement atténuées par l’adoption de la Loi sur la diffusion continue en ligne et de la Loi sur les nouvelles en ligne, des changements structurels subsistent. Les radiodiffuseurs continuent de subir des pertes financières et les producteurs voient leurs commissions sur le contenu canadien diminuer considérablement. Même si l’industrie se stabilise, l’économie du petit marché canadien donne souvent la priorité à des programmes culturellement génériques destinés à un public international, plutôt qu’à une programmation qui témoigne de la riche diversité du pays et relaie nos histoires canadiennes.

La plus grande menace qui pèse sur CBC/Radio-Canada n’est peut-être pas d’ordre politique ou économique, mais relève d’un manque de compréhension de son objectif général. La radiodiffusion publique devrait être reconnue comme un service d’intérêt public, et non comme un simple bouche-trou qui comble les lacunes des médias privés. Si nous ne parvenons pas à défendre une vision, la conversation sur l’avenir de CBC/Radio-Canada risque d’être dominée par des intérêts médiatiques privés qui ne donneront peut-être pas la priorité au bien public. Une réforme stratégique et une attention renouvelée sur les points forts de CBC/Radio-Canada et ses avantages sur le marché pourraient assurer sa pertinence et sa valeur pour tous les Canadiens.

Il faut que CBC/Radio-Canada s’adapte continuellement, qu’elle ait une affectation budgétaire plus transparente, des plateformes numériques améliorées et un mandat épuré qui maintient sa mission fondamentale de fournir un service public. Chaque dollar investi dans la CBC/Radio-Canada génère deux dollars dans l’économie, en particulier dans les régions qui ne seraient jamais servies par les médias commerciaux.

Le financement de la culture n’est pas un luxe. C’est indispensable pour édifier un pays et renforcer les liens qui nous unissent en tant que Canadiens.

Les grands pays investissent dans des institutions qui préservent leurs arts de la scène, leurs histoires, leurs langues et leurs valeurs; il suffit de regarder ce qui se passe en Europe. CBC/Radio-Canada est un investissement dans l’avenir du Canada et constitue une identité distincte et unique, même avec l’influence omniprésente de nos bons amis du Sud.

Aux personnes qui veulent mettre fin au financement de CBC, je dis ceci : vous démantèleriez un élément essentiel de notre infrastructure nationale et de notre identité. CBC/Radio-Canada est fondamentale pour notre fédération.

En fin de compte, l’avenir de notre radiodiffuseur public dépend des Canadiens. Toutefois, en tant que Canadiens patriotes au Sénat, faisons notre part pour lui assurer un avenir brillant et pour faire en sorte que notre fierté soit riche d’histoires et d’inspiration. Plutôt que de couper les vivres à CBC/Radio-Canada, choisissons de la défendre, de la réformer et de la renforcer afin qu’elle continue d’informer, d’éclairer et d’unir les Canadiens pour les générations à venir.

L’argent de nos impôts devrait être consacré à une solide stratégie de redressement, et non à la suppression du financement et à la vente de terrains, de bâtiments et d’équipements à des investisseurs privés pour qu’ils les réaffectent à des fins moins louables.

Merci et hiy kitatamîhin.

L’honorable Leo Housakos : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Klyne : Oui, compte tenu du fait que c’est le Comité sénatorial permanent des transports et des communications qui a donné l’avantage aux médias hier.

Le sénateur Housakos : Merci, sénateur Klyne, de nous avoir fait part de vos réflexions sur ce sujet.

Il se trouve que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications mène actuellement une courte étude sur CBC/Radio-Canada et les services régionaux. Ce que nous avons découvert jusqu’à présent dans le cadre de cette étude, c’est que lorsqu’il s’agit de fournir des services régionaux — et je suis d’accord que c’est probablement le mandat le plus essentiel de CBC/Radio-Canada —, le diffuseur n’a pas été à la hauteur des attentes dans la dernière décennie. Il a réduit les budgets, les services régionaux, les services dans la langue de la minorité, et ainsi de suite, ce qui va à l’encontre de ses obligations en vertu de la Loi sur la radiodiffusion.

Je me demande notamment pourquoi, depuis au moins une décennie, CBC/Radio-Canada réduit ses services et fait des compressions dans un domaine qui fait pourtant partie de ses principaux mandats.

Par ailleurs, la confiance à l’égard de CBC/Radio-Canada diminue, et ses cotes d’écoute sont à un creux historique, ce qui signifie que les contribuables ne regardent pas les émissions de ce diffuseur public. Tout ce qui augmente, c’est son budget, qui augmente sans cesse depuis neuf ans et demi, ainsi que les primes versées aux dirigeants.

Alors que ce diffuseur a perdu la confiance du public et que ses cotes d’écoute sont à un creux historique, comment peut-on convaincre les contribuables qu’il est justifié de subventionner ce diffuseur à hauteur de 1,4 milliard de dollars année après année?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Klyne, il ne vous reste que 15 secondes. Voulez-vous demander plus de temps pour répondre à la question?

Le sénateur Klyne : J’aimerais bien. Trois minutes.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Klyne : Nous avons perdu trois minutes puisque le sénateur Housakos a répété à peu près tout ce que j’avais dit. Je reconnais qu’il y a des pertes. Vous avez parlé de nombreuses pertes. CBC/Radio-Canada a perdu le nord; elle doit revenir à son objectif. Elle doit se pencher sur les valeurs, les attitudes et les croyances de ses actionnaires. Elle doit comprendre qui est son public et ce que veut son public, et elle doit s’appuyer sur ses points forts et cultiver ses avantages concurrentiels.

CBC/Radio-Canada doit examiner tous les problèmes externes qu’elle doit affronter ou les réseaux contre lesquels elle doit travailler, car c’est là qu’elle pourra recenser les menaces et les possibilités. Elle doit aussi examiner ses problèmes internes afin de cerner ses forces et ses faiblesses.

CBC/Radio-Canada doit élaborer des stratégies basées sur toutes ces analyses, et elle doit proposer une stratégie pour se démarquer, ce qui passera par une stratégie de redressement. Je suis convaincu que cela se produira. Pour cela, il faut beaucoup de communication à tous les niveaux.

De ce fait, il y aura des pertes d’emploi, mais la société gagnera un plus grand public. Je pense qu’elle connaît son public mieux que quiconque. Si des annonceurs cherchent à rejoindre des gens d’un certain âge ou d’un certain groupe, CBC/Radio-Canada peut leur répondre : « Nous avons l’émission idéale pour vous, et c’est là que vous devez placer vos messages publicitaires. » C’est tout ce que j’ai à dire.

L’honorable Denise Batters : J’ai une brève question.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le sénateur Klyne doit demander le consentement du Sénat pour pouvoir répondre à une autre question. Demandez-vous le consentement, sénateur Klyne?

Le sénateur Klyne : Une question brève mérite une réponse brève.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, accordez-vous votre consentement pour que le sénateur Klyne puisse répondre à une autre question?

Une voix : Non.

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Nous avons entendu un non, alors le consentement n’est pas accordé.

[Français]

L’honorable Réjean Aucoin : Merci au sénateur Klyne pour ses paroles sur la CBC. Je vais parler surtout de Radio-Canada.

Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir pour parler de CBC/Radio-Canada. Je suis d’avis qu’il est important de conserver et financer ce diffuseur public, tant du côté anglophone que francophone, mais comme je l’ai dit, je vais surtout parler de Radio-Canada. J’ai travaillé pendant quelques années à la radio de Radio-Canada en tant que réalisateur d’une émission pour la Nouvelle-Écosse. J’ai également produit quelques émissions de radio à l’échelle nationale et j’ai collaboré en tant que journaliste pour la CBC et Radio-Canada.

La Société Radio-Canada et son homologue anglophone, la CBC, en tant que diffuseurs nationaux, ont joué un rôle crucial en connectant, informant et unissant les Canadiens et leurs cultures diverses. Ce rôle est particulièrement prononcé dans les communautés rurales et chez les minorités linguistiques, où elles ont servi à la fois de source essentielle d’information et de centre de diffusion culturelle et identitaire.

Radio-Canada a longtemps occupé une place centrale dans les foyers canadiens. Pendant des décennies, Radio-Canada représentait bien plus que de simples émissions : c’était une institution qui nourrissait un sentiment d’appartenance à notre pays, le Canada. Il faisait connaître le Québec aux régions francophones des autres provinces et faisait connaître ces régions au Québec.

(2130)

Qui n’a pas écouté ou regardé La soirée du hockey, qui rassemblait les familles francophones ou anglophones de tout le pays? Le père Charles Aucoin de Chéticamp regardait La soirée du hockey à la télévision, mais il l’écoutait en anglais à la radio de CBC, car il préférait cet annonceur. Nous n’avons pas de lien de parenté autre que possiblement un sixième ou septième degré. C’était un rituel important pour les communautés minoritaires partout au pays.

Radio-Canada représente aussi des décennies d’émissions qui ont eu un impact positif sur la vie des enfants en ayant pour objectif d’influencer positivement leur développement. Des émissions comme Sol et Gobelet, La Ribouldingue, Passe-Partout et Bouledogue Bazar ont aidé les enfants à apprendre, à grandir, à se développer et à devenir plus perspicaces, créatifs et curieux. D’ailleurs, Radio-Canada connaît toujours des résultats records pour ses émissions jeunesse. Au-delà de la nostalgie pour les classiques de notre enfance, l’offre jeunesse de Radio-Canada réserve encore et toujours des heures de pédagogie et de plaisir aux enfants de tous les âges.

Dans les années 1960 à 1990, des émissions comme Les belles histoires des pays d’en haut, Le temps d’une paix et Les filles de Caleb étaient des émissions culturelles de haute qualité que l’on pouvait regarder dans les foyers, mettant en valeur la richesse de notre passé pour tous les Canadiens. Plus récemment, des émissions comme Belle-Baie, Le monde de Gabrielle Roy et Tout le monde en parle ont fait connaître l’histoire de l’Acadie et du Manitoba à un nouveau public.

Ces émissions ainsi que d’autres restent essentielles, parce qu’elles reflètent l’histoire canadienne racontée par des Canadiens et pour les Canadiens. Elles mettent en lumière des questions et des récits locaux qui auraient pu autrement être éclipsés par les médias internationaux. Dans un pays aussi vaste que le Canada, c’est un exploit considérable.

Pour les communautés rurales, Radio-Canada a été indispensable. Ce diffuseur a été une source d’actualités, de prévisions météorologiques et d’informations d’urgence. Dans des régions isolées où l’accès aux journaux et aux médias est limité, les stations de radio de Radio-Canada étaient souvent le seul diffuseur francophone et la seule source de nouvelles en français. Encore plus important pour une communauté comme Chéticamp, c’était le seul média francophone autre que l’hebdo Le Courrier avant la venue de Radio-Canada en 1963, et ce, jusqu’à la création de la radio communautaire de Chéticamp, CKJM, en 1995.

En plus de fournir des nouvelles, Radio-Canada a été un canal d’expression culturelle dans les régions rurales et a mis en valeur des artistes, des musiciens, des écrivains et des conteurs locaux. Radio-Canada est une plateforme pour les voix qui auraient peut-être été ignorées, comme Édith Butler, Carmen Campagne, La Sagouine et Fred Pellerin, qui sont connus d’un océan à l’autre. Aujourd’hui, qui ne connaît pas Lisa LeBlanc, Jacques Surette ou Wilfred LeBouthillier, pour ne nommer que ceux-là?

L’importance de Radio-Canada pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au Canada ne peut être sous-estimée. Pour les populations francophones hors Québec, qu’il s’agisse de petits villages acadiens en Nouvelle-Écosse, des enclaves francophones du Nord de l’Ontario ou des communautés francophones du Manitoba ou de l’Alberta, Radio-Canada a été une pierre angulaire culturelle. Les communautés de langue officielle en situation minoritaire font souvent face à des défis uniques, comme l’isolement et le risque d’assimilation. Radio-Canada offre un lien vital avec le monde plus vaste, fournissant des nouvelles, du divertissement et des programmes culturels de grande qualité dans leur langue maternelle. Cette connexion les aide à maintenir leur identité linguistique et leur patrimoine culturel.

Pour les communautés acadiennes, Radio-Canada a été un phare en racontant leurs luttes, en célébrant leurs réussites et en préservant leurs riches traditions. Des émissions comme le Téléjournal Acadie, Pour l’amour du country, Coup d’œil et Le feu roulant veillent ou ont veillé à ce que les histoires locales soient racontées et à ce que les Acadiens voient leur vie reflétée à l’écran. Au-delà des nouvelles, Radio-Canada a renforcé la fierté culturelle des Acadiens au moyen d’émissions qui célèbrent la musique, la littérature et le théâtre francophones. Ce soutien a été essentiel pour garder la langue française vivante dans des régions où elle pourrait autrement s’effacer.

Même s’ils sont en faveur du diffuseur public qu’est Radio-Canada, certains soulignent que les communautés de langue officielle en situation minoritaire espèrent obtenir une plus grande place au sein de la programmation de Radio-Canada. Lors des audiences sur le renouvellement des licences de CBC/Radio-Canada en 2020, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada avait évoqué l’idée d’établir un deuxième centre de production national francophone de Radio-Canada à l’extérieur du Québec.

Martin Théberge, président de la Société nationale de l’Acadie, est allé plus loin à l’occasion de sa comparution au Comité sénatorial permanent des transports et des communications, qui étudie actuellement les services locaux fournis par CBC/Radio-Canada :

Peut-on vraiment affirmer que Radio-Canada, avec une telle centralisation, peut promouvoir et développer la minorité francophone? [...]

Pour y arriver, il ne faut pas uniquement délocaliser des émissions, il faut décentraliser les équipes. Il faut que les émissions nationales puissent compter sur des réalisateurs, des recherchistes ou d’autres membres de l’équipe postés en permanence ici et là au pays qui pourraient ainsi contribuer chaque jour ou chaque semaine à l’élaboration de la programmation.

Pour sa part, Tony Cornect, président de la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador, qui a également comparu devant le comité, a dit que le bureau de Moncton en Atlantique pourrait être plus diversifié.

Pour les communautés rurales et les communautés de langue officielle en situation minoritaire, l’ère numérique peut être un avantage, mais aussi un désavantage. Radio-Canada doit malgré tout continuer d’innover, en s’assurant que son contenu est accessible, non seulement par des moyens traditionnels comme la radio et la télévision, mais aussi par l’intermédiaire des plateformes en ligne et des réseaux sociaux. Ainsi, elle pourra atteindre les jeunes générations et rester pertinente dans un environnement médiatique en constante évolution.

En conclusion, Radio-Canada est bien plus qu’un simple diffuseur. C’est une institution nationale qui incarne l’esprit du Canada. Malgré ses lacunes, il est essentiel pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire au pays de pouvoir continuer de l’apprécier et de l’utiliser. Le diffuseur doit refléter la diversité canadienne et, pour ce faire, être plus décentralisé. En aucun cas nous ne devrions l’abolir.

Merci. Meegwetch

Des voix : Bravo!

[Traduction]

L’honorable David M. Wells : Merci, sénateur Aucoin, de répondre à ma question et merci de votre discours. Vous avez parlé d’émissions qui ont été diffusées à CBC/Radio-Canada dans le passé. Je vous ai écouté, vous et le sénateur Klyne, parler de Beachcombers, qui a commencé en 1972. Vous avez parlé de beaucoup d’émissions, mais aucune d’entre elles ne continue à être diffusée actuellement. Il y a eu de nombreuses émissions dont je n’ai jamais entendu parler, mais je les ai cherchées sur internet pendant que vous parliez, et aucune d’entre elles n’est encore en ondes.

CBC/Radio-Canada évolue. Les goûts des téléspectateurs changent. Les technologies progressent et amènent les téléspectateurs à regarder des productions audiovisuelles de diverses manières, que ce soit à la télévision câblée, sur les services de diffusion en continu ou sur leur téléphone. Alors, abstraction faite des émissions acadiennes ou francophones que vous regardez, mais que je ne connais absolument pas, pourriez-vous nous expliquer comment CBC/Radio-Canada peut conserver sa pertinence et continuer de recevoir la somme colossale de 1,4 milliard de dollars, qui continue de grimper et qui lui est donnée par les contribuables canadiens, alors que les cotes d’écoute sont minuscules et que les Canadiens, en particulier les jeunes, s’intéressent à d’autres médias que la télévision?

(2140)

[Français]

Le sénateur Aucoin : Je n’ai rien à dire au sujet de CBC. Merci.

[Traduction]

Le sénateur D. M. Wells : J’ai une autre question pour le sénateur Aucoin. Son discours n’incluait-il pas la CBC? Comme la CBC et Radio-Canada partagent le même budget, je pense que ma question est pertinente.

[Français]

Le sénateur Aucoin : Merci, sénateur Wells. Je pense que CBC et Radio-Canada ont quand même des budgets et une direction séparés. Elles font partie d’une même entité; elles ont les mêmes dirigeants, mais elles sont administrées avec des budgets séparés. J’ai beaucoup parlé d’émissions passées, mais j’ai également parlé d’émissions récentes ou qui sont d’actualité. Merci.

(Sur la motion du sénateur Dalphond, le débat est ajourné.)

[Traduction]

La hausse alarmante des infections transmissibles sexuellement et par le sang

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Cormier, attirant l’attention du Sénat sur la hausse alarmante des infections transmissibles sexuellement et par le sang au Canada, incluant le VIH/SIDA.

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation du sénateur Cormier, qui attire l’attention sur la hausse alarmante des infections transmissibles sexuellement et par le sang, ou ITSS, au Canada, incluant le VIH-sida. Je tiens à vous remercier, sénateur Cormier, du leadership dont vous faites preuve dans ce dossier. Je vous remercie également d’avoir expliqué avec clarté et éloquence que cette crise soulève des préoccupations relevant à la fois de la santé publique, des droits de la personne, de l’égalité et de la justice.

L’augmentation des taux d’ITSS et de VIH-sida n’est pas seulement une urgence de santé publique : elle est également le reflet de l’incapacité des services de santé et des services sociaux à joindre efficacement les personnes qui ont été marginalisées de manière disproportionnée, notamment en raison du colonialisme systémique, du racisme, de la misogynie, de l’hétérosexisme, du capacitisme et des préjugés de classe, afin de bien répondre à leurs besoins. Derrière les murs des prisons, ces inégalités déjà flagrantes et inadmissibles sont grandement amplifiées par un environnement punitif dur. Non seulement les prisons ne fournissent pas des soins de santé adéquats aux personnes incarcérées, mais les politiques et les pratiques correctionnelles continuent de créer des obstacles qui empêchent les détenus d’accéder aux soins de santé communautaires et aux autres services et mesures de soutien dont ils ont un urgent besoin.

Au Canada, selon le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses, une incarcération récente est corrélée à un risque accru de contracter des infections sexuellement transmissibles et des infections transmises par le sang. Le risque de contracter l’hépatite C augmente de 64 % et celui de contracter le VIH-sida, de 81 %. Compte tenu de l’incarcération massive des Noirs et des Autochtones, en particulier des femmes autochtones, qui résulte directement du passé colonialiste du Canada, ces risques ne sont pas inévitables et ne constituent pas une simple crise sanitaire. En fait, ils s’inscrivent dans la continuité de la marginalisation systémique qui expose de manière disproportionnée et injuste les personnes à des préjudices évitables.

D’autres facteurs de risque clés et interdépendants des ITSS comprennent la toxicomanie et le logement inadéquat, qui, ensemble, font que les femmes dans les prisons fédérales canadiennes sont particulièrement à risque. Dans les prisons fédérales, 9 femmes sur 10 subissent des violences physiques ou sexuelles. Comme le souligne la recherche du Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses, il existe des liens évidents entre l’incarcération des femmes, la pauvreté, le manque de soutien social et les risques d’ITSS liés aux partenaires violents, aux rapports sexuels forcés, au travail sexuel sous contrainte et à d’autres formes d’exploitation sexuelle, ainsi qu’à la consommation de substances, notamment comme moyen pour les femmes de s’anesthésier face à ces réalités tandis qu’elles peinent à composer avec la violence, les agressions et la pauvreté ainsi qu’à y survivre.

Comme l’a examiné l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et comme le soulignent ses appels à la justice, pour un trop grand nombre de femmes, les facteurs mêmes qui ont conduit à leur criminalisation sont également ceux qui mettent davantage leur santé et leur vie en danger dans les prisons fédérales.

Dans les prisons, les taux d’infection sont disproportionnellement élevés, en grande partie à cause du manque flagrant de programmes et de soutien pour les toxicomanes qui entrent en prison et au partage subséquent de seringues entre les détenus.

Depuis le début des années 1990, les autorités correctionnelles et sanitaires au Canada et à l’étranger recommandent des programmes d’échange de seringues dans les prisons. En 2006, l’Agence de la santé publique du Canada a publié une étude sur l’efficacité et l’analyse risques-avantages d’un programme d’échange de seringues en prison, qui a révélé que l’échange de seringues pourrait réduire efficacement la transmission du VIH et de l’hépatite C.

En 2018, le Service correctionnel du Canada a enfin lancé le Programme d’échange de seringues dans les prisons qui, malheureusement et malgré les besoins criants, n’est actuellement offert que dans une petite partie des prisons du Canada. Ce programme vise à mettre en œuvre des mesures pour lutter contre la consommation de drogues et la toxicomanie dans les établissements correctionnels fédéraux. Cependant, son efficacité a été minée par des politiques et des pratiques correctionnelles généralisées qui accordent la priorité à la répression de l’usage des drogues.

Voici ce qu’en dit l’enquêteur correctionnel :

Le maintien d’une approche de tolérance zéro envers les drogues, qui repose sur des mesures de détection, de discipline et de répression toujours plus intrusives — fouilles à nu, fouilles des cavités corporelles, fouilles des cellules, inculpations, analyses d’urine — est un jeu coûteux aux rendements décroissants. Si une personne est désespérée, endettée ou dépendante au point de dissimuler des drogues dans des cavités corporelles, avec des conséquences potentiellement mortelles, alors ce niveau de désespoir devrait certainement nous inciter à envisager d’autres approches moins intrusives, fondées sur des données probantes [et la compassion] pour lutter contre les méfaits de la consommation de drogues illicites derrière les barreaux.

Pour être plus précis, dans son rapport annuel de 2021-2022, l’enquêteur correctionnel a conclu qu’un nombre étonnamment faible de participants avait pu avoir accès au Programme d’échange de seringues dans les prisons. Selon le Syndicat des agents correctionnels du Canada, qui représente les gardiens des pénitenciers fédéraux, seulement 50 prisonniers environ participent au programme sur une population carcérale de près de 13 000 détenus.

L’enquêteur correctionnel a critiqué le caractère restrictif des critères d’admissibilité au programme exigés par Service correctionnel Canada, comme une évaluation de la menace et des risques. Il a critiqué aussi le manque de confidentialité dont bénéficient les patients ainsi que l’apparence de participation de la Commission des libérations conditionnelles. Les détenus s’inquiètent à juste titre de la confidentialité de leurs renseignements médicaux et de la possibilité que ces renseignements, ainsi que leur participation au programme lui-même, soient utilisés contre eux dans le cadre des délibérations visant à déterminer quand et comment ils pourront réintégrer la société.

Compte tenu du manque de planification et d’une gestion défaillante du Programme d’échange de seringues dans les prisons, la plupart des détenus n’en connaissaient pas l’existence. Selon des données du système correctionnel, parmi les détenus qui finissent par être admissibles au programme, moins de 20 % y participent activement, un facteur qui a été noté dans les analyses du problème des surdoses et des décès dans les prisons.

Les cartes de vœux que les députés et les sénateurs ont reçues l’année dernière de la part du Syndicat des agents correctionnels du Canada montraient clairement que le Service correctionnel du Canada sape son propre programme d’échange de seringues dans les prisons. Lorsqu’elles ont ouvert ces cartes, bon nombre de nos équipes ont été pour le moins déconcertées de trouver une série de commentaires inappropriés et stigmatisants ainsi qu’un stylo ressemblant à une seringue ensanglantée, qui visait à semer la peur et le doute quant à des stratégies éprouvées de réduction des risques.

Le syndicat a fait valoir qu’il serait préférable d’avoir, dans les prisons fédérales, des sites de prévention des surdoses plutôt que des échanges de seringues. Au début de l’année 2024, seulement trois sites de ce type étaient en fonction. Pour les détenus, l’accès à ces sites comporte des problèmes en grande partie semblables à ceux qui sont associés aux échanges de seringues, en particulier en ce qui concerne le risque d’être stigmatisé ou d’être la cible de punitions. En outre, il est impossible pour de nombreux détenus de dépendre de la consommation supervisée en raison des limites décrites par l’enquêteur correctionnel, notamment les heures d’ouverture restreintes et l’absence d’un soutien véritable de la part des pairs.

Le Service correctionnel du Canada a la responsabilité d’assurer un environnement sûr aux détenus fédéraux. La position du Syndicat des agents correctionnels du Canada est plus que décevante. Nos expériences — l’exemple le plus récent, ce sont les crises sanitaires dans les prisons fédérales en lien avec la pandémie de COVID-19 — mettent certainement en évidence le fait que ne pas s’occuper des risques pour la santé en milieu carcéral de manière proactive et efficace augmente les risques pour la santé publique de toutes les personnes qui s’y trouvent, tant les employés que les détenus, et, par extension, de la population.

(2150)

L’approche des services correctionnels à l’égard des infections transmissibles sexuellement et par le sang met en évidence ce que nous savons depuis longtemps au sujet des soins dans les prisons fédérales : sur le plan de la sécurité ainsi que de la gestion du comportement et du risque, il ne s’agit pas d’un environnement sûr ni, de toute évidence, d’un environnement thérapeutique propice lorsqu’il s’agit de répondre aux besoins en matière de santé et de toxicomanie.

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit la possibilité, à laquelle on a trop rarement recours, de transférer les détenus en milieu communautaire, y compris dans des hôpitaux provinciaux et territoriaux. Si nous voulons lutter efficacement contre la discrimination et les inégalités systémiques qui menacent la santé et la vie des personnes les plus marginalisées dans les prisons fédérales, il est temps d’adopter des mesures comme celles qui sont proposées dans le projet de loi S-230, de manière à donner une impulsion à ces options communautaires.

Malheureusement, la situation perdure après la sortie de prison. Les préjugés qui entourent le fait d’avoir un casier judiciaire aggravent la défavorisation et la marginalisation économiques et sociales existantes, ainsi que les risques pour la santé et la sécurité qui en découlent, y compris en raison des infections transmissibles sexuellement et par le sang.

Les Noirs, les Autochtones, les personnes qui ont des besoins en matière de santé mentale ou de toxicomanie, les femmes qui ont été victimes de violence et les membres de la communauté 2ELGBTQQIA+ — tous des groupes surreprésentés dans les prisons fédérales et davantage susceptibles de contracter des infections transmissibles sexuellement et par le sang — comptent parmi les gens à qui profiterait le plus la mise en place de réseaux de soutien dans la société et la correction des lacunes et des défaillances des filets de sécurité sociale existants, qui trop souvent sont à l’origine de leurs démêlés avec la justice ou sont la raison pour laquelle ils ont dû être placés dans un établissement.

Comme l’a fait remarquer Nelson Mandela à propos de la crise du sida :

Plus nous manquons de courage et de volonté d’agir, plus nous condamnons à mort nos frères et nos sœurs, nos enfants et nos petits-enfants. Lorsque l’on écrira notre histoire, se rappelera-t‑on de nous comme d’une génération qui a tourné le dos à une crise mondiale ou se souviendra-t-on plutôt que nous avons fait le bon choix?

L’incarcération ne devrait pas être une condamnation à mort. Nous avons le devoir de remédier aux défaillances systémiques qui perpétuent les crises sanitaires et de faire respecter la dignité et les droits de toutes les personnes, peu importe leur situation. Je recommande vivement que nous travaillions ensemble pour demander des comptes au Service correctionnel à l’appui d’une stratégie globale de réduction des méfaits et des solutions communautaires parallèles à l’incarcération, de manière à protéger non seulement la santé des détenus et du personnel, mais aussi celle de notre société dans son ensemble. Ne manquons pas à notre devoir de veiller à ce que justice et humanité aillent de pair. Faisons en sorte que, lorsque l’on écrira notre histoire, on se rappelle que nous avons fait le bon choix.

Je vous remercie encore une fois, sénateur Cormier, de cette interpellation que vous avez lancée et de tout ce que vous faites pour tellement de gens. Meegwetch, merci.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui dans le cadre de l’interpellation sur l’augmentation alarmante des infections transmissibles sexuellement et par le sang au Canada, y compris le VIH-sida.

Je tiens à remercier le sénateur Cormier d’avoir attiré l’attention sur cet important problème de santé publique. Il a parlé de l’augmentation du taux de VIH-sida. La sénatrice Simons a parlé du retour de la syphilis. La sénatrice Moodie a parlé de l’impact des infections transmissibles sexuellement et par le sang sur les enfants, et vous venez d’entendre la sénatrice Pate parler de l’impact de ces infections sur les personnes incarcérées.

Aujourd’hui, la première partie de mon discours portera sur l’infection transmise sexuellement virale la plus courante et sur ses liens avec le cancer. En fait, cette infection transmise sexuellement virale peut engendrer six cancers différents. La deuxième partie de mon intervention portera sur l’un de ces cancers en vue de mieux le faire connaître et d’aider à réduire la stigmatisation qui l’entoure. La dernière partie portera sur la manière dont ces cancers peuvent être évités.

Vous l’avez peut-être déjà deviné : je parle du virus du papillome humain, également connu sous le nom de VPH. Les papillomavirus humains sont de petits virus à ADN double brin qui affectent les cellules épithéliales. La plupart des infections par le VPH surviennent sans aucun symptôme et disparaissent sans traitement.

En l’absence de vaccination, on estime que 75 % des personnes au Canada auront au moins une infection par le VPH au cours de leur vie, la prévalence la plus élevée étant observée chez les jeunes adultes de 20 à 24 ans. Plus de 200 génotypes de VPH ont été identifiés et l’infection par des génotypes à haut risque peut entraîner un cancer. Les génotypes à faible risque ne provoquent généralement pas de cancer, mais peuvent être à l’origine d’affections comme les condylomes ano-génitaux et la papillomatose respiratoire récurrente.

Au Canada, le VPH est responsable de près de 3 800 nouveaux cas de cancer chaque année, et le virus est à l’origine de presque tous les cancers du col de l’utérus, de 90 % des cancers de l’anus, de 40 % des cancers du vagin et de la vulve, de 40 à 50 % des cancers du pénis et de 60 à 73 % des cancers de l’oropharynx.

Chers collègues, avant de venir au Sénat, j’étais oto-rhino-laryngologiste, c’est-à-dire chirurgien de l’oreille, du nez et de la gorge. Au cours de ma carrière, j’ai diagnostiqué beaucoup trop de cancers de l’oropharynx, ce qui nous amène à la deuxième partie de mon intervention.

Les cancers de l’oropharynx peuvent apparaître au niveau des amygdales, de la base de la langue, du palais mou et de la paroi postérieure de la gorge ou du pharynx. Ces cancers surviennent le plus souvent entre 60 et 64 ans et touchent quatre fois plus les hommes que les femmes.

Le mode de transmission du virus du papillome humain, ou VPH, à l’origine du cancer de l’oropharynx n’est pas clair, mais le virus peut se transmettre par le contact de la bouche avec la bouche, les organes génitaux ou l’anus. La plupart des personnes exposées au VPH par voie orale sont généralement asymptomatiques, et le virus est éliminé par le système immunitaire en l’espace d’un ou deux ans sans traitement médical. Toutefois, chez certaines personnes, le virus peut envahir le système immunitaire et rester latent dans l’oropharynx pendant de nombreuses années.

Historiquement, les principaux facteurs de risque du cancer de l’oropharynx étaient le tabac et l’alcool, mais, aujourd’hui, les données montrent clairement que le VPH, en particulier les génotypes à haut risque, est le principal facteur de risque.

À l’échelle mondiale, la prévalence du cancer de l’oropharynx augmente rapidement, en particulier dans les pays développés et à revenu élevé. Les données du Canada concordent avec celles des États-Unis, où la proportion de cancers de l’oropharynx causés par le VPH est passée de 16 % dans les années 1980 à plus de 70 % au début des années 2000. En 2011, on prévoyait que le cancer de l’oropharynx dépasserait le cancer du col de l’utérus pour devenir le cancer lié au VPH le plus fréquent d’ici 2020. Étonnamment, cela s’est produit l’année suivante, en 2012.

Chers collègues, bien que cette interpellation sur les infections transmissibles sexuellement puisse vous faire penser que cette question ne vous concerne pas, permettez-moi de raconter l’histoire vraie d’une personne que je connais. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’un ancien patient.

À l’époque, il s’agissait d’un homme de 50 ans, en bonne santé et actif, qui présentait depuis plusieurs mois une masse dure dans le haut du cou, qui ne disparaissait pas et qui, en fait, grossissait lentement. Il ne présentait aucun autre symptôme. Il avait arrêté de fumer plusieurs années auparavant et était un buveur occasionnel. En d’autres termes, il ne présentait pas les facteurs de risque historiques d’un cancer de la tête et du cou.

Pourtant, on lui a diagnostiqué un cancer de l’oropharynx, et oui, il était associé au VPH. Il était mal à l’aise, car le papillomavirus est une infection sexuellement transmissible. Il craignait de passer pour un mari infidèle et de transmettre le papillomavirus à son épouse. Les préjugés sont puissants.

La bonne nouvelle, c’est qu’il a été diagnostiqué correctement, qu’il a reçu un traitement approprié, qu’il a appris qu’il ne transmettrait pas le papillomavirus à son épouse et qu’il n’a plus de cancer depuis plusieurs années. Il sait maintenant que les cancers associés au VPH sont en hausse et qu’il n’a aucune raison d’être gêné.

Pour la troisième et dernière partie de mon discours sur la prévention des cancers associés au VPH, je vais lire des extraits de la mise à jour de juillet 2024 du Comité consultatif national de l’immunisation du Canada, ainsi que ses dernières recommandations :

La vaccination contre le VPH, ainsi que les stratégies de surveillance et de dépistage, sont des mesures de santé publique essentielles pour la prévention des cancers associés au VPH.

(2200)

Le Comité consultatif national de l’immunisation a formulé trois fortes recommandations, ce qui veut dire qu’elles s’appliquent à la plupart des populations et des personnes et devraient être suivies, à moins qu’il n’y ait une justification claire et convaincante pour une autre approche, et une recommandation discrétionnaire, ce qui veut dire qu’elle peut être envisagée pour certaines populations ou personnes dans certaines circonstances.

Les trois fortes recommandations sont les suivantes : on devrait vacciner contre le virus du papillome humain, ou VPH, toutes les personnes âgées de 9 à 26 ans; les personnes âgées de 9 à 20 ans devraient recevoir une dose de vaccin contre le VPH et les personnes âgées de 21 à 26 ans devraient recevoir deux doses de vaccin contre le VPH; le vaccin nonavalent devrait être utilisé, car il offre une protection contre le plus grand nombre de types de VPH et de maladies associés.

Selon la quatrième recommandation, qui est discrétionnaire, les personnes de 27 ans et plus peuvent recevoir le vaccin contre le VPH après avoir pris une décision partagée et en avoir discuté avec un professionnel de la santé.

Partout au Canada, les vaccins contre le VPH sont actuellement offerts aux enfants d’âge scolaire et aux adolescents dans le cadre de programmes scolaires financés par l’État. Ces programmes ont d’abord été lancés en 2007-2008 pour les étudiantes et ont été étendus aux deux sexes biologiques en 2017 dans l’ensemble des provinces et des territoires. Cependant, de nombreux enfants et adolescents ne sont toujours pas vaccinés, et selon des estimations récentes, la couverture vaccinale demeure inférieure à l’objectif de 90 % avant l’âge de 17 ans. Des données récentes sur la vaccination montrent que certaines régions, par exemple, les populations rurales et éloignées, ont des taux de vaccination plus faibles et des taux plus élevés de cancer du col de l’utérus. Plus précisément, les populations des Premières Nations, des Métis et des Inuits au Canada présentent des taux plus élevés d’infection au VPH et de maladies connexes, ainsi que des taux plus faibles de dépistage du cancer du col de l’utérus, un problème qui peut être aggravé par les préjugés et la discrimination qui nuisent à l’accès aux soins de santé.

Il convient de noter que des données canadiennes récentes indiquent que les femmes autochtones sont deux à vingt fois plus susceptibles de recevoir un diagnostic de cancer du col de l’utérus que les femmes non autochtones, et qu’elles ont un taux de mortalité dû au cancer du col de l’utérus quatre fois plus élevé que celui des femmes non autochtones.

Les populations d’immigrantes et de réfugiées au Canada présentent également des taux de dépistage du cancer du col de l’utérus plus faibles et des taux d’infection par le VPH plus élevés, ce qui les expose à un risque accru de morbidité et de mortalité associées au VPH.

L’intersectionnalité des caractéristiques des habitants, leur race et leur statut socioéconomique peuvent aggraver les inégalités en matière de santé.

Les stratégies d’atténuation qui pourraient promouvoir l’équité peuvent inclure des programmes de rattrapage sur mesure; un accès gratuit et élargi aux vaccins, notamment dans les établissements de soins primaires et les pharmacies; des campagnes de vaccination scolaire supplémentaires; des démarches de consentement simplifiées; et une réaffectation des ressources pour offrir des doses aux populations les plus vulnérables.

Le vaccin est disponible en vente privée pour les personnes qui ne sont pas incluses dans les programmes de vaccination contre le VPH financés par l’État.

Des données provenant du monde entier confirment l’efficacité du vaccin contre le virus du papillome humain dans la prévention du cancer du col de l’utérus. En Angleterre, l’incidence du cancer du col de l’utérus a été réduite de 87 % chez les femmes dans la vingtaine qui se sont vu proposer le vaccin à l’âge de 12 ou 13 ans dans le cadre du programme britannique de vaccination contre le virus du papillome humain.

Chez les filles et les femmes suédoises âgées de 10 à 30 ans, la vaccination contre le virus du papillome humain a été associée à une réduction substantielle du risque de cancer invasif du col de l’utérus au sein de la population.

Au Canada, si l’on tient compte de la couverture vaccinale de 85 % observée au Québec, on prévoit une quasi-élimination des infections à virus du papillome humain à haut risque chez les femmes et les hommes au cours des 15 prochaines années. En Ontario, où la couverture vaccinale se situe entre 62 et 67 %, la projection est plus faible, mais elle atteint tout de même une réduction de 90 % des infections à virus du papillome humain.

Enfin, les données montrant une réduction d’autres cancers associés au virus du papillome humain, comme le cancer de l’oropharynx, sont plus limitées et plus tardives en raison de leur progression plus lente que celle du cancer du col de l’utérus.

En conclusion, une approche préventive de la promotion de la santé met l’accent sur la sensibilisation et les causes profondes de la maladie plutôt que sur les seuls symptômes. Chers collègues, je vous remercie de votre attention et de votre intérêt pour la santé. Merci. Meegwetch.

L’honorable Joan Kingston : Chers collègues, j’interviens aujourd’hui dans le cadre d’une interpellation pour parler d’une question de santé publique d’une importance capitale, à savoir l’augmentation alarmante des infections transmises sexuellement et par le sang, y compris le VIH. Je tiens tout d’abord à remercier le sénateur Cormier d’avoir lancé cette interpellation ainsi que les autres intervenants que nous avons entendus depuis.

Les infections à chlamydia, à la gonorrhée, à la syphilis, à l’hépatite B et C et au VIH vont de pair et les professionnels de la santé publique encouragent le dépistage simultané de ces infections pour une raison bien simple : si vous êtes à risque d’avoir contracté l’une d’entre elles, vous êtes à risque de toutes les avoir contractées.

Il existe une publicité très intelligente pour le vaccin contre le zona que, soit dit en passant, je vous encourage tous à recevoir, de même que le vaccin contre le virus du papillome humain, dont on vient de parler. On y dit : « Le zona s’en fiche. » Eh bien, les infections transmises sexuellement et par le sang s’en fichent aussi. Elles se transmettent par l’échange de fluides génitaux, par un contact cutané intime et par le contact avec le sang. Comme elles sont souvent asymptomatiques dans les premiers stades, elles se transmettent facilement sans que l’on s’en rende compte.

Le VIH ne fait pas de discrimination. À l’échelle mondiale, 44 % des nouvelles infections au VIH sont survenues chez les femmes et les filles de tous âges en 2023. En Afrique subsaharienne, les femmes et les filles de tous âges représentaient 62 % de toutes les nouvelles infections au VIH. Dans toutes les autres régions géographiques, y compris l’Amérique du Nord, plus de 73 % des nouvelles infections au VIH en 2023 sont survenues chez les hommes et les garçons.

En 2023, 4 000 adolescentes et femmes âgées de 15 à 24 ans ont été infectées par le VIH chaque semaine dans le monde, et 3 100 ’entre elles se trouvaient en Afrique subsaharienne. Le 1er décembre marquait à la fois la Journée mondiale du sida et le début de la Semaine de sensibilisation au sida chez les Autochtones. Pendant cette période, nous nous souvenons des personnes qui ont succombé au VIH et nous manifestons notre soutien à celles qui en sont atteintes en sensibilisant la population, en approfondissant nos connaissances et en déployant des efforts pour mettre fin aux préjugés et à la discrimination liés au VIH.

Aujourd’hui, je compte me concentrer sur ces préjugés et cette discrimination, mais j’aimerais tout d’abord transmettre un message d’intérêt public. Le VIH peut être transmis de deux façons : par des rapports sexuels, ou par le partage d’aiguilles ou d’autres articles servant à s’injecter des drogues, y compris des stéroïdes ou des hormones. Le VIH peut aussi être transmis de la mère à l’enfant pendant la grossesse, l’accouchement ou l’allaitement; en partageant des aiguilles ou de l’encre servant à des tatouages; en partageant des aiguilles ou des bijoux utilisés pour un piercing; ou en partageant des aiguilles d’acupuncture. Il existe même un risque lorsqu’on partage des objets d’usage courant, comme un coupe-ongle, ou tout ce qui peut transpercer la peau. Malheureusement, cela peut se produire sans que la personne infectée s’en rende compte.

Il est également important de savoir que le VIH ne peut pas être transmis par une poignée de main; en travaillant ou en mangeant avec une personne qui a le VIH; en se faisant une accolade ou en s’embrassant; en toussant, en éternuant ou en crachant; en nageant dans une piscine; en s’assoyant sur un siège de toilette; en buvant à une fontaine; en touchant à un insecte ou un animal; ou en faisant preuve de bonté et d’acceptation.

Depuis novembre 1985, tous les produits sanguins au Canada font l’objet d’un test de dépistage du VIH, afin de s’assurer que la transfusion sanguine est sans danger. Par ailleurs, il n’y a aucun risque de contracter le VIH en donnant du sang.

Alors, comment se protéger et protéger les autres? Il faut d’abord connaître son état de santé et celui de son partenaire intime au moyen d’un test de dépistage.

Dans certaines circonstances, dans le cadre de soins prénataux de qualité, les femmes enceintes sont soumises à des examens de routine pour protéger le bébé à naître, ce qui permet d’offrir un traitement avant la naissance et d’offrir des soins appropriés pendant la période néonatale. Même s’il n’existe pas de vaccin pour prévenir le VIH ou l’hépatite — ou les autres maladies transmissibles sexuellement dont j’ai parlé —, des mesures peuvent être prises pour éviter de transmettre ou de contracter ces infections. Je souligne toutefois qu’elles ne peuvent pas être transmises par le contact avec une peau saine et intacte. Promouvoir l’utilisation de condoms pendant les rapports sexuels et les rendre facilement accessibles dans le cadre d’une stratégie de réduction des méfaits est une bonne politique publique.

(2210)

Quand j’ai commencé à rencontrer des personnes exposées au VIH et à l’hépatite C en tant que professionnelle de la santé, au début des années 2000, les moyens de protection contre ces infections étaient limités, et les traitements étaient difficiles, voire inexistants. C’était une période plutôt effrayante. Les gens ne voulaient pas se faire dépister, parce qu’ils avaient peur d’apprendre qu’ils étaient atteints.

Aujourd’hui, grâce aux progrès de la pharmacologie, il existe un remède contre l’hépatite C et un traitement qui rend la charge virale du VIH indétectable et donc non transmissible aux partenaires intimes. Bref, il y a de l’espoir.

Il existe également des médicaments destinés à prévenir l’infection pour les personnes les plus exposées au risque de contracter le VIH. Les personnes séronégatives qui présentent un risque élevé de contracter le VIH peuvent bénéficier de la prophylaxie préexposition, ou PPrE. Celle-ci suppose de prendre certains médicaments contre le VIH afin de réduire le risque de contracter le VIH. Une personne commence la PPrE avant d’être exposée au VIH.

Quant aux personnes séronégatives qui ont pu être exposées au VIH, elles peuvent avoir recours à la prophylaxie post-exposition, ou PPE. Il faut commencer à prendre les médicaments pour la PPE dès que possible, c’est-à-dire dans les 72 heures suivant l’exposition au VIH, et il faut les prendre pendant 28 jours.

Les prestataires de services de santé publique et de services communautaires peuvent aider les gens à mieux comprendre et évaluer le risque, mais ils doivent le faire en tenant compte du fait que les comportements d’une personne ne représentent qu’une partie du tableau. Pour cerner le risque d’infection par le VIH auquel une personne est exposée, il faut tenir compte de nombreux facteurs individuels, comportementaux et contextuels. Si les décisions et les actions personnelles peuvent influer sur le risque de contracter le VIH, d’autres facteurs sociaux et structurels, tels que les rapports de force dans les relations, les conditions de logement précaires ou le manque de revenus, peuvent également influer sur la vulnérabilité au VIH. Il peut être complexe et difficile d’expliquer comme il se doit la notion de risque.

Toutefois, comprendre les nombreux facteurs qui entrent en jeu dans le risque d’infection par le VIH permet non seulement d’aider les personnes concernées à estimer elles-mêmes la nature de ce risque, mais aussi de mieux soutenir celles qui font appel aux prestataires de services.

Le risque est caractérisé par l’incertitude, et il ne survient pas en vase clos. Il dépend de nombreux différents facteurs qui peuvent évoluer dans le temps. De manière générale, les facteurs suivants peuvent influer sur le risque de contracter le VIH auquel une personne est exposée : la présence d’autres facteurs personnels tels que des problèmes de santé mentale ou la consommation de substances, qui peuvent influer sur le risque de diverses manières, par exemple en influençant le jugement ou la capacité de faire des choix et de négocier le consentement; un accès facile aux différentes stratégies de prévention du VIH; de même que des facteurs sociaux et structurels, notamment les formes d’oppression qui créent des inégalités en matière de santé, telles que le racisme et l’homophobie.

Comprendre que le risque associé au VIH est produit et renforcé par des différences injustes en matière d’état de santé ou par une inégalité en matière de santé causée par des facteurs sociaux et structurels peut aider les fournisseurs de services à mieux répondre aux besoins globaux de leurs clients, par exemple en les aidant à accéder à d’autres services, dont le counseling ou les aides en matière de logement, et en plaidant pour des changements systémiques plus larges, comme des modifications des politiques.

Au Canada, certains groupes démographiques ont des taux disproportionnellement élevés de séropositivité concentrés dans les communautés et les groupes marginalisés. Les groupes démographiques touchés de manière disproportionnée par le VIH au Canada sont les gais, les bisexuels et les autres hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes; les personnes bispirituelles; les personnes transgenres; les Autochtones — c’est-à-dire les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis —; les communautés africaine, antillaise et noire; et les personnes qui consomment des drogues. Cependant, cela ne veut pas dire qu’être membre d’un de ces groupes est un « facteur de risque » pour le VIH. En revanche, cela signifie que d’autres facteurs contribuent à accroître le risque à l’échelle du groupe.

Au Canada, les groupes démographiques qui ont des taux élevés de séropositivité subissent de manière disproportionnée un éventail de formes sociales et structurelles de discrimination et d’exclusion, par exemple le racisme, l’homophobie et la transphobie, qui exercent une influence sur les déterminants sociaux de la santé, comme l’itinérance, la pauvreté, l’isolement social et la capacité d’accéder aux services de santé, ce qui entraîne des inégalités en matière de santé. Dans le contexte du VIH, les inégalités en matière de santé dans ces groupes démographiques incluent une plus grande vulnérabilité face au VIH et de moins bons résultats en matière de santé pour les personnes qui vivent avec le VIH.

Ces disparités peuvent également créer des conditions qui permettent au VIH de se propager plus rapidement dans la population, ce qui accroît encore les inégalités en matière de santé.

Plus le nombre de personnes vivant avec le VIH est élevé dans une population donnée, plus il est probable qu’un membre de cette population soit exposé au VIH.

Le concept de risque est souvent utilisé, directement ou indirectement, pour blâmer les personnes pour les activités auxquelles elles participent. Il est important d’en être conscient lorsque l’on aborde la question du risque d’infection par le VIH avec les gens. Le fait de qualifier certaines activités de « risquées » ou de dire aux gens qu’ils ne devraient pas faire certaines choses peut renforcer leur sentiment d’oppression et d’exclusion.

En outre, cette approche ne reconnaît pas que les activités susceptibles de conduire à la transmission du VIH sont parfois le résultat de facteurs indépendants de la volonté d’une personne et qui limitent ses choix. Par exemple, il peut y avoir un déséquilibre de pouvoir dans une relation sexuelle qui détermine l’utilisation de stratégies de prévention du VIH.

Cependant, une chose est sûre : indétectable égale intransmissible. Cela signifie qu’une personne vivant avec le VIH qui suit un traitement contre le VIH et maintient une charge virale indétectable ne transmettra pas le VIH par voie sexuelle. Une charge virale indétectable signifie que le risque de transmission sexuelle est nul.

Pour mettre fin aux inégalités et aux injustices, nous devons reconnaître l’impact que le VIH continue d’avoir sur les communautés qui luttent contre les difficultés sociales et économiques, ainsi que sur les communautés autochtones, les homosexuels, les bisexuels et les autres hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes et les personnes qui consomment de la drogue. Nous devons également reconnaître que de nombreuses personnes diagnostiquées séropositives peuvent être confrontées à des problèmes de santé mentale, en raison de la stigmatisation qui entoure le VIH et des émotions complexes qui accompagnent le diagnostic.

Tragiquement, la COVID-19 a eu un impact sur l’accès à de nombreux services spécialisés dans les infections transmissibles sexuellement et par le sang, y compris les tests de dépistage. En conséquence, au Canada, 1 722 nouveaux cas de VIH ont été diagnostiqués en 2021, soit 5 % de plus qu’en 2020.

En 2020, les Autochtones représentaient près de 10 % de toutes les personnes vivant avec le VIH au Canada, alors qu’ils ne représentaient que 5 % de la population totale en 2021. Face au sombre tableau que dressent ces données, il est nécessaire de mettre au premier plan les voix et les expériences autochtones dans la prévention et la prise en charge dans les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Nous devons continuer à travailler ensemble pour intégrer davantage les connaissances traditionnelles et les pratiques adaptées à la culture dans nos approches des soins pour le VIH.

Les organismes communautaires restent essentielles à la mise en œuvre de projets locaux qui améliorent l’accès à la prévention, au traitement et aux soins liés au VIH et renforcent les stratégies de réduction des méfaits fondées sur des données probantes.

Le Fonds d’initiatives communautaires en matière de VIH et d’hépatite C du gouvernement fédéral et le Fonds pour la réduction des méfaits appuient les organismes et les projets communautaires de première ligne qui s’efforcent de prévenir les infections et d’améliorer l’accès aux traitements et aux soins. L’autodépistage du VIH est plus largement accessible, y compris dans les collectivités du Nord, éloignées et isolées du Canada, pour aider à atteindre les personnes non diagnostiquées comme première étape vers la mise en place de services adaptés à la culture.

En continuant d’élargir ces mesures, le Canada peut soutenir l’objectif mondial d’éliminer le VIH et le sida en tant que problème de santé publique d’ici 2030.

L’Agence de la santé publique du Canada collabore avec tous les ordres de gouvernement ainsi que les collectivités régionales et locales. Chaque partenaire joue un rôle essentiel dans la mobilisation des personnes vivant avec le VIH et des personnes susceptibles de faire une infection afin de répondre à leurs besoins en matière de prévention, de dépistage, de traitement et de soutien.

Pendant la conférence AIDS 2022, le Canada a appuyé la déclaration mondiale « Indétectable = Intransmissible », ou I = I. Cela signifie que si une personne reçoit un traitement et maintient une charge virale supprimée, il n’y a effectivement aucun risque de transmettre sexuellement le virus à autrui. Promouvoir ce message est une façon de réduire la stigmatisation et la discrimination.

Des cibles mondiales de dépistage et de traitement pour 2025 ont été établies. Ce projet, qui porte le nom de « 95-95-95 », demande à 95 % de toutes les personnes vivant avec le VIH de connaître leur statut, à 95 % de celles qui connaissent leur statut d’accéder à un traitement et à 95 % de celles qui reçoivent un traitement d’obtenir une suppression virale.

À l’échelle mondiale, en 2023, 86 % des personnes vivant avec le VIH connaissaient leur statut sérologique. Parmi les personnes connaissant leur statut, 89 % suivaient un traitement. Parmi les personnes suivant un traitement, 93 % avaient une charge virale supprimée.

(2220)

Bien que les objectifs soient plus ou moins atteints pour certains groupes démographiques au Canada, et même s’il reste du travail à faire, la plupart des provinces s’approchent de ces objectifs.

La pandémie de COVID-19 a certes affecté les services de santé sexuelle, mais elle a également contribué à des avancées scientifiques prometteuses et à des moyens novateurs de mettre les gens en contact avec les services de dépistage, de traitement, de prévention et de soins, ce qui contribue à faire progresser collectivement les choses. Pour relever le défi permanent que représente le VIH, il faut adopter une approche globale.

La mise à l’échelle des nouvelles technologies de diagnostic, comme les tests de dépistage aux points de service et les trousses d’autodépistage, viendra améliorer l’accessibilité et encourager la détection précoce, en particulier dans les régions éloignées et mal desservies.

Les progrès de la recherche médicale et de la technologie ont considérablement amélioré la prévention et le traitement. Les thérapies antirétrovirales pour le VIH et les traitements curatifs pour l’hépatite C...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Kingston, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous le consentement pour pouvoir terminer votre discours?

La sénatrice Kingston : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Kingston : De nouvelles technologies médicales permettront de prévenir les effets à long terme de ces infections.

Les gens qui vivent avec le VIH et qui suivent un traitement peuvent vivre longtemps, heureux et en santé. La première étape du traitement et des soins est de connaître son statut. J’encourage tout le monde à sensibiliser les gens et à faire tomber les préjugés liés au VIH. En travaillant ensemble, nous pouvons mettre un terme à la propagation du VIH.

Merci, woliwon.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

[Français]

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Adoption de la motion concernant la composition du comité

L’honorable Raymonde Saint-Germain, conformément au préavis donné le 3 décembre 2024, propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement ou tout ordre antérieur, l’honorable sénatrice Boniface prenne la place de l’honorable sénateur Cotter à titre d’un des membres du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs en date du 18 décembre 2024.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Audit et surveillance

Adoption de la motion concernant la composition du comité

L’honorable Raymonde Saint-Germain, conformément au préavis donné le 4 décembre 2024, propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement ou tout ordre antérieur, l’honorable sénatrice Dasko prenne la place de l’honorable sénateur Yussuff à titre d’un des membres du Comité permanent de l’audit et de la surveillance.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(À 22 h 25, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 10 décembre 2024, à 14 heures.)

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