Le comité spécial du Sénat sur l'euthanasie et l'aide au suicide
De la vie et de la mort - Annexes
Juin 1995
Annexe D
Chronologie des faits marquants survenus au Canada
1972
Le Parlement canadien décriminalise le suicide et la tentative de suicide.
Novembre 1983
Sous la direction du docteur Nachum Gal (un pédiatre de l'hôpital de l'Université de l'Alberta), l'infirmière Barbara Howell injecte une dose mortelle de morphine à un nourrisson atteint de graves lésions cérébrales dont l'appareil de survie a été débranché. Le docteur Gal se réfugie en Israël, d'où il est extradé à la demande du gouvernement de l'Alberta pour répondre à une accusation de meurtre. L'Alberta Association of Registered Nurses suspend Barbara Howell pour un an, et son superviseur pour quatre mois.
Juillet 1983
La Commission de réforme du droit du Canada publie son rapport Euthanasie, aide au suicide et interruption de traitement dans lequel elle recommande de ne pas légaliser ni décriminaliser l'euthanasie active volontaire et l'aide au suicide. Les auteurs du rapport recommandent également que le Code criminel soit modifié afin que rien n'y soit interprété comme créant une obligation pour un médecin d'entreprendre ou de continuer à administrer un traitement médical lorsque la personne concernée a exprimé sa volonté du contraire, ou que ce traitement est devenu thérapeutiquement inutile et n'est pas dans le meilleur intérêt de cette personne. Ils recommandent finalement que le Code criminel soit modifié afin que rien n'y soit interprété comme empêchant un médecin d'entreprendre ou l'obligeant à interrompre l'administration de soins palliatifs destinés à éliminer ou à atténuer les souffrances d'une personne pour la seule raison que ces soins sont susceptibles de raccourcir l'expectative de vie de cette personne.
1984
L'Association des infirmières et infirmiers du Canada, l'Association médicale canadienne et l'Association des hôpitaux du Canada publient une déclaration conjointe sur les maladies terminales, avec la collaboration de l'Association du Barreau canadien et sur les conseils de l'Association catholique canadienne de la santé et de la Commission de réforme du droit. La déclaration comporte une marche à suivre concernant les ordonnances de non-réanimation.
Juin 1987
La Commission de réforme du droit du Canada recommande de modifier le Code criminel afin que le meurtre par compassion soit considéré comme un meurtre au deuxième degré plutôt que comme un meurtre au premier degré, et qu'il n'entraîne pas de peine d'emprisonnement déterminée ni minimum. La Commission recommande également que les personnes qui dispensent des soins palliatifs abrégeant la vie ne puissent faire l'objet de poursuites en vertu du Code criminel.
1989
Le Sous-comité sur les guides relatifs aux programmes institutionnels (de Santé et Bien-être social Canada) produit le Guide sur l'établissement de normes: services en soins palliatifs.
1990
Dans une interview, le docteur Perry, député NPD à l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique, admet avoir administré des injections de morphine à son père qui se mourait du cancer, et reconnaît que ces injections pourraient avoir précipité sa mort. Le Collège des médecins et chirurgiens de la province juge que le docteur Perry a simplement donné à son père des soins palliatifs de qualité, ce qui ne constitue pas une faute étant donné qu'il n'est ni illégal ni contraire à la déontologie d'administrer un traitement susceptible de précipiter accessoirement la mort.
1990
Dans l'arrêt Malette c. Shulman, la Cour d'appel de l'Ontario confirme qu'un témoin de Jéhovah a le droit de refuser des transfusions de sang nécessaires à la survie, et que les professionnels de la santé ont le devoir de respecter un tel refus. Elle confirme aussi le droit de refuser des transfusions au moyen d'une directive préalable (de même que le devoir de respecter ce refus).
4 juillet 1990
Dans une interview accordée à la Presse canadienne, David Lewis, un psychologue de Vancouver, admet publiquement avoir aidé huit sidéens à se suicider. Lui-même sidéen, il obtiendra plus tard de l'aide pour se suicider par administration d'une surdose de médicaments prescrits.
1991
Santé et Bien-être social Canada et la Société canadienne du cancer publient le rapport «Cancer 2000», résultat d'un examen national de tous les aspects du cancer. Il y est fortement recommandé de créer des centres régionaux de soins palliatifs, d'imposer à tous les professionnels de la santé l'obligation de suivre certains cours, d'instituer une spécialité soins palliatifs tant en soins infirmiers qu'en médecine, et de doter chaque centre anticancéreux régional d'un service d'oncologie palliative. Par ailleurs, on y invite l'Institut national du cancer du Canada à cesser de négliger le champ des soins palliatifs et à adopter une attitude proactive face à la recherche dans ce domaine.
27 mars 1991
Le projet de loi d'initiative parlementaire C-351, Loi modifiant le Code criminel (personnes en phase terminale), est lu pour la première fois à la Chambre des communes. Il meurt au Feuilleton à la fin de la session parlementaire.
16 mai 1991
Le projet de loi d'initiative parlementaire C-203, Loi modifiant le Code criminel (personnes en phase terminale), est lu pour la première fois à la Chambre des communes. Le 24 septembre 1991, il est lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité législatif. Le comité entreprend ses audiences sur le projet de loi le 29 octobre 1991; le 18 février 1992, il ajourne sine die.
19 juin 1991
Le projet de loi d'initiative parlementaire C-261, Loi légalisant dans certaines conditions l'administration de l'euthanasie, est lu pour la première fois à la Chambre des communes. Le 24 octobre 1991, il est débattu en deuxième lecture et retiré du Feuilleton.
Novembre 1991
La Commission royale sur les soins et les coûts de santé de la Colombie-Britannique recommande que le gouvernement provincial demande au fédéral de modifier le Code criminel afin qu'il y soit reconnu qu'un adulte capable de décision a le droit de refuser un traitement ou d'en exiger l'interruption, et que ce droit peut être exercé par un mandataire dûment désigné quand les facultés du malade sont affaiblies; que les personnes en phase terminale soient autorisées à demander qu'on leur administre des doses mortelles d'analgésiques; que l'alinéa 241 b) du Code criminel soit modifié afin que l'acte d'aider une personne en phase terminale à se suicider ne constitue pas un acte criminel; et qu'un médecin ne soit pas légalement tenu d'administrer un traitement médicalement inutile à un patient incapable de décision, ni ne soit passible de poursuites au criminel en cas d'interruption d'un traitement médicalement inutile. Ces recommandations n'ont pas encore été mises en application.
10 novembre 1991
Le Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique se prononce contre l'euthanasie après avoir examiné les circonstances du décès de deux patients du docteur Peter Graff (dans les deux cas, la mort était survenue après l'administration de doses répétées de morphine et de valium à des malades atteints respectivement de la SLA et du cancer du côlon). Le coroner provincial chargé de l'enquête lui ayant demandé de se pencher sur les agissements du docteur Graff, le Collège des médecins et chirurgiens a statué que les méthodes du médecin étaient inacceptables. Le coroner a pour sa part estimé que les deux décès étaient attribuables à l'administration de surdoses de morphine. Aucune accusation n'a été portée au criminel.
6 janvier 1992
Dans le cas de Nancy B., une femme atteinte d'une maladie incurable, la Cour supérieure du Québec statue que débrancher son respirateur à sa demande et laisser la nature suivre son cours ne constitue pas une infraction criminelle.
Mars 1992
L'Association médicale canadienne publie une ligne de conduite concernant les directives préalables sur la réanimation des patients et les interventions de sauvegarde ou de maintien de la vie; on y stipule que les médecins devraient aider leurs patients à cet égard et respecter leurs directives préalables sauf s'il existe des motifs raisonnables de ne pas le faire.
Juin 1992
La Corporation professionnelle des médecins du Québec (CPMQ) admet avoir réprimandé un médecin qui avait donné une injection mortelle de phosphate de potassium à un sidéen de 38 ans avec le consentement du malade et de sa famille. La CPMQ lui a imposé une probation de trois mois; elle lui a en outre ordonné de consulter un autre médecin au plus tard 72 heures après avoir accepté un nouveau cas et de consulter un collègue avant d'administrer d'importantes doses quotidiennes de morphine. Aucune accusation n'est portée au criminel.
Août 1992
Scott Mataya, un infirmier accusé le 23 novembre 1991 du meurtre au premier degré d'un patient en phase terminale à l'hôpital Wellesley de Toronto, plaide coupable à une accusation moins grave, celle d'avoir administré une substance délétère. Quand le malade, débranché à sa propre demande d'un respirateur, a été pris de convulsions et s'est mis à vomir, Mataya lui a administré une dose mortelle de chlorure de potassium. Condamné avec sursis et probation maximale de trois ans, il se voit retirer sa licence d'infirmier.
Novembre 1992
Le Sous-comité sur la recodification de la Partie générale du Code criminel du Comité permanent de la justice et du Solliciteur général entend des témoins sur les effets du Code criminel pour les fournisseurs de soins qui, à la demande des patients, interrompent un traitement médical, et sur le suicide réalisé avec l'aide d'un médecin.
9 décembre 1992
Le projet de loi d'initiative parlementaire C-385, Loi modifiant le Code criminel (aide au suicide), est lu pour la première fois à la Chambre des communes. Jamais débattu, il restera en plan quand les élections seront déclenchées.
1993
L'Association médicale canadienne publie son rapport Les médecins canadiens et l'euthanasie afin d'aider les médecins à se faire une opinion sur la question.
1993
Lyn Cockburn, chroniqueure de Vancouver, et deux des directeurs du journal qui publie ses chroniques, sont déclarés coupables d'outrage au tribunal quand ils refusent de révéler au coroner la source de leur information sur le cas d'une sidéenne que l'on a aidée à se suicider, fournie dans un article paru en 1991. La décision du coroner a été soumise à la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour examen judiciaire.
Février 1993
Le Sous-comité sur la recodification de la Partie générale du Code criminel du Comité permanent de la justice et du Solliciteur général recommande que le ministre de la Justice étudie les questions juridiques et philosophiques entourant l'aide au suicide.
22 mars 1993
Les députés de la Chambre des communes rejettent une motion portant que le gouvernement envisage d'adopter une loi sur la question de l'euthanasie et de garantir l'immunité de poursuite aux personnes qui aident des malades en phase terminale à mourir.
Avril 1993
Après avoir plaidé coupable à une accusation d'avoir administré une substance délétère, un médecin ontarien ayant injecté une substance mortelle à un cancéreux gravement malade est condamné à une peine de trois ans avec sursis. Le médecin avait été accusé de meurtre au deuxième degré.
30 septembre 1993
Dans une décision à cinq contre quatre, la Cour suprême du Canada rejette l'appel de Sue Rodriguez (une femme atteinte de sclérose latérale amyotrophique, une maladie incurable), qui contestait en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés l'interdiction de l'aide au suicide prévue au Code criminel. Le 29 décembre 1992, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que l'article 241 du Code criminel n'allait pas à l'encontre de la Charte. Le 8 mars 1993, dans une décision à deux contre un, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a rejeté l'appel de Sue Rodriguez qui demandait à pouvoir se suicider avec l'aide d'un médecin.
3 novembre 1993
Le ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique émet à l'intention des procureurs de la Couronne des lignes directrices sur l'inculpation des personnes impliquées dans des cas d'euthanasie active et d'aide au suicide.
16 février 1994
Le projet de loi d'initiative parlementaire C-215 est lu pour la première fois à la Chambre des communes
Août 1994
Les membres de l'Association médicale canadienne se prononcent contre l'euthanasie.
Septembre 1994
L'Association canadienne de soins à long terme, l'Association canadienne de soins à domicile, l'Association des hôpitaux du Canada, l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, l'Association canadienne de santé publique et Soutien à domicile du Canada (avec la collaboration de l'Association du Barreau canadien) publient une déclaration conjointe sur les directives préalables; on y énonce à l'intention des établissements de santé des principes directeurs sur l'élaboration d'une politique de réanimation cardiorespiratoire (RCR), le recours à la RCR, la compétence, la décision de traiter ou non, sa communication, son application et son examen, ainsi que les soins palliatifs et d'autres traitements.
Octobre 1994
L'Association des hôpitaux du Canada, l'Association médicale canadienne et l'Association catholique canadienne de la santé (avec la collaboration de l'Association du Barreau canadien) publient une déclaration conjointe sur les interventions de réanimation.
Novembre 1994
Robert Latimer est condamné à la peine minimale obligatoire d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant dix ans pour le meurtre au deuxième degré de sa fille Tracy, atteinte depuis sa naissance d'une forme de paralysie cérébrale caractérisée par de graves troubles de développement et handicaps physiques. Dans le but de mettre fin aux souffrances de sa fille, M. Latimer l'a installée dans la cabine de son camion et l'a asphyxiée au monoxyde de carbone au moyen d'un tuyau relié au tuyau d'échappement.
Décembre 1994
Un couple de Halifax, Cheryl May Myers et Michael William Power, sont condamnés à des peines avec sursis et probation de trois ans ainsi qu'à 150 heures de travaux communautaires compensatoires après avoir plaidé coupables à une accusation d'homicide involontaire pour avoir provoqué la mort par suffocation du père de Mme Myers, un malade en phase terminale. Tous deux avaient d'abord été accusés de meurtre au deuxième degré.
Février 1995
Jean Brush plaide coupable à une accusation d'homicide involontaire coupable par suite de la mort de son mari, Cecil Brush, qui souffrait de la maladie d'Alzheimer et avait exprimé son désir de mourir en juillet 1994. Le juge a estimé qu'elle avait assez souffert et prononcé une sentence ne la privant pas de sa liberté.
Les sources suivantes ont été abondamment consultées : Margaret Smith et Susan Alter (Division du droit et du gouvernement) et Sandra Harder (Division des affaires politiques et sociales), «Bulletin d'actualité 91-9F, L'euthanasie et l'interruption de traitement», Service de recherche, Bibliothèque du Parlement <R>(6 février 1992, révisé le 14 septembre 1994); et Russel Ogden, «The Right to Die: A Policy Proposal for Euthanasia and Aid in Dying», 20:1 Canadian Public Policy (1994), 1-25. Les témoignages entendus ont constitué une autre source d'information.
Annexe E
Mesures législatives déjà présentées au Parlement
Différents projets de loi émanant de députés ont été présentés à la Chambre des communes en ce qui concerne l'euthanasie et l'aide au suicide : <R>Projet de loi C-351 (M. Robert Wenman)<R>Projet de loi C-203 (M. Robert Wenman)<R>Projet de loi C-261 (M. Chris Axworthy)<R>Projet de loi C-385 (M. Svend Robinson)<R>et Projet de loi C-215 (M. Svend Robinson)
C-215
M. Robinson (Burnaby- Kingsway) <R>Loi modifiant le Code criminel (aide au suicide)<R>Dépôt et première lecture - 16 février 1994<R>Placé à l'Ordre de priorité - 22 février 1994<R>Débat en deuxième lecture; rayé du feuilleton - 21 septembre 1994
C-385
M. Robinson (Burnaby- Kingsway) <R>Loi modifiant le Code criminel (aide au suicide)<R>Dépôt et première lecture - 9 décembre 1992<R>Prorogation de la législature
C-261
M. Axworthy (Saskatoon- Clark's Crossing) <R>Loi légalisant dans certaines conditions l'administration de l'euthanasie aux personnes qui le demandent et qui sont atteintes d'une affection irrémédiable, concernant l'abstention et l'interruption de traitement et modifiant le Code criminel (aide au suicide)<R>Dépôt et première lecture - 19 juin 1991<R>Placé à l'Ordre de priorité - 24 septembre 1991<R>Débat en deuxième lecture; rayé du feuilleton - 24 octobre 1991
C-203
M. Wenman - Loi modifiant le Code criminel (personnes en phase terminale)<R>Dépôt et première lecture - 16 mai 1991<R>Placé à l'Ordre de priorité - 16 mai 1991<R>Choisie comme affaire devant faire l'objet d'un vote - 31 mai 1991<R>Débat en deuxième lecture; deuxième lecture et renvoi au Comité législatif H - 24 septembre 1991
C-351
M. Wenman - Loi modifiant le Code criminel (personnes en phase terminale)<R>Dépôt et première lecture - 27 mars 1991<R>Prorogation de la législature
Annexe F
Articles pertinents du Code criminel et du Code civil
Code criminel
Les sujets suivants sont visés, directement ou indirectement, par le Code : (1) pratiques en matière de traitement de la douleur et de sédation, (2) abstention et interruption de traitement de survie, (3) aide au suicide et (4) euthanasie. On a cité intégralement les articles pertinents dans la plupart des cas, même si certaines parties ne semblent pas toucher directement les actes en question, afin de mieux en faire ressortir la portée.
Consentement à la mort
14. Nul n'a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée, et un tel consentement n'atteint pas la responsabilité pénale d'une personne par qui la mort peut être infligée à celui qui a donné ce consentement.
Opérations chirurgicales
45. Toute personne est à l'abri de responsabilité pénale lorsqu'elle pratique sur une autre, pour le bien de cette dernière, une opération chirurgicale si, à la fois:
a) l'opération est pratiquée avec des soins et une habileté raisonnables;
b) il est raisonnable de pratiquer l'opération étant donné l'état de santé de la personne au moment de l'opération et toutes les autres circonstances de l'espèce.
Devoir de fournir les choses nécessaires à l'existence
215.(1) Toute personne est légalement tenue:
a) en qualité de père ou mère, de parent nourricier, de tuteur ou de chef de famille, de fournir les choses nécessaires à l'existence d'un enfant de moins de seize ans;
b) à titre de personne mariée, de fournir les choses nécessaires à l'existence de son conjoint;
c) de fournir les choses nécessaires à l'existence d'une personne à charge, si cette personne est incapable, à la fois :
(i) par suite de détention, d'âge, de maladie, de troubles mentaux ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.
(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, de remplir cette obligation, si :
a) à l'égard d'une obligation imposée par l'alinéa (1) a) ou b);
(i) ou bien la personne envers laquelle l'obligation doit être remplie se trouve dans le dénuement ou le besoin,
(ii) ou bien l'omission de remplir l'obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou expose, ou est de nature à exposer, à un péril permanent la santé de cette personne;
b) à l'égard d'une obligation imposée par l'alinéa (1) c), l'omission de remplir l'obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.
(3) Quiconque commet une infraction visée au paragraphe (2) est coupable :
a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans;
b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Obligation des personnes qui pratiquent des opérations dangereuses
216. Quiconque entreprend d'administrer un traitement chirurgical ou médical à une autre personne ou d'accomplir un autre acte légitime qui peut mettre en danger la vie d'une autre personne est, sauf dans les cas de nécessité, légalement tenu d'apporter, en ce faisant, une connaissance, une habileté et des soins raisonnables.
Obligation des personnes qui s'engagent à accomplir un acte
217. Quiconque entreprend d'accomplir un acte est légalement tenu de l'accomplir si une omission de le faire met ou peut mettre la vie humaine en danger.
Négligence criminelle
219. (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qu'il est de son devoir d'accomplir,
montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui.
(2) Pour l'application du présent article, "devoir" désigne une obligation imposée par la loi.
Le fait de causer la mort par négligence criminelle
220. Est coupable d'un acte criminel et passible de l'emprisonnement à perpétuité quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d'une autre personne.
Causer des lésions corporelles par négligence criminelle
221. Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.
Homicide
222. (1) Commet un homicide quiconque, directement ou indirectement, par quelque moyen, cause la mort d'un être humain.
(2) L'homicide est coupable ou non coupable.
(3) L'homicide non coupable ne constitue pas une infraction.
(4) L'homicide coupable est le meurtre, l'homicide involontaire coupable ou l'infanticide.
(5) Une personne commet un homicide coupable lorsqu'elle cause la mort d'un être humain:
a) soit au moyen d'un acte illégal;
b) soit par négligence criminelle;
c) soit en portant cet être humain, par des menaces ou la crainte de quelque violence, ou par la supercherie, à faire quelque chose qui cause sa mort;
d) soit en effrayant volontairement cet être humain, dans le cas d'un enfant ou d'une personne malade.
Meurtre
229. L'homicide coupable est un meurtre dans l'un ou l'autre des cas suivants :
a) la personne qui cause la mort d'un être humain :
(i) ou bien a l'intention de causer sa mort,
(ii) ou bien a l'intention de lui causer des lésions corporelles qu'elle sait être de nature à causer sa mort, et qu'il lui est indifférent que la mort s'ensuive ou non;
b) une personne, ayant l'intention de causer la mort d'un être humain ou ayant l'intention de lui causer des lésions corporelles qu'elle sait de nature à causer sa mort, et ne se souciant pas que la mort en résulte ou non, par accident ou erreur cause la mort d'un autre être humain, même si elle n'a pas l'intention de causer la mort ou des lésions corporelles à cet être humain;
c) une personne, pour une fin illégale, fait quelque chose qu'elle sait, ou devrait savoir, de nature à causer la mort et, conséquemment, cause la mort d'un être humain, même si elle désire atteindre son but sans causer la mort ou une lésion corporelle à qui que ce soit.
Classification
231. (1) Il existe deux catégories de meurtres : ceux du premier degré et ceux du deuxième degré.
(2) Le meurtre au premier degré est le meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré.
...
(7) Les meurtres qui n'appartiennent pas à la catégorie des meurtres au premier degré sont des meurtres au deuxième degré.
Homicide involontaire coupable
234.<M> L'homicide coupable qui n'est pas un meurtre ni un infanticide constitue un homicide involontaire coupable. <D>
Peine pour meurtre
235. (1) Quiconque commet un meurtre au premier degré ou un meurtre au deuxième degré est coupable d'un acte criminel et doit être condamné à l'emprisonnement à perpétuité.
(2) Pour l'application de la partie XXIII, la sentence d'emprisonnement à perpétuité prescrite par le présent article est une peine minimale.
Punition de l'homicide involontaire coupable
236. Quiconque commet un homicide involontaire coupable est coupable d'un acte criminel et passible de l'emprisonnement à perpétuité.
Fait de conseiller le suicide ou d'y aider
241. Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas :
a) conseille à une personne de se donner la mort;
b) aide ou encourage quelqu'un à se donner la mort,
que le suicide s'ensuive ou non.
Fait d'administrer une substance délétère
245. Quiconque administre ou fait administrer à une personne, ou fait en sorte qu'une personne prenne, un poison ou une autre substance destructive ou délétère, est coupable d'un acte criminel et passible :
a) d'un emprisonnement maximal de quatorze ans, s'il a l'intention, par là, de mettre la vie de cette personne en danger ou de lui causer des lésions corporelles;
b) d'un emprisonnement maximal de deux ans, s'il a l'intention, par là, d'affliger ou de tourmenter cette personne.
Voies de fait
265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :
a) d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;
b) tente ou menace, par un acte ou un geste, d'employer la force contre une autre personne, s'il est en mesure actuelle, ou s'il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu'il est alors en mesure actuelle d'accomplir son dessein;
...
(2) Le présent article s'applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.
(3) Pour l'application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :
a) soit de l'emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;
b) soit des menaces d'emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;
c) soit de la fraude;
d) soit de l'exercice de l'autorité.
(4) Lorsque l'accusé allègue qu'il croyait que le plaignant avait consenti aux actes sur lesquels l'accusation est fondée, le juge, s'il est convaincu qu'il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l'accusé, la présence ou l'absence de motifs raisonnables pour celle-ci.
266. Quiconque commet des voies de fait est coupable :
a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans;
b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Agression armée ou infliction de lésions corporelles
267. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :
...
b) inflige des lésions corporelles au plaignant.
(2) Pour l'application du présent article et des articles 269 et 272, "lésions corporelles" désigne une blessure qui nuit à la santé ou au bien-être du plaignant et qui n'est pas de nature passagère ou sans importance.
Voies de fait graves
268. (1) Commet des voies de fait graves quiconque blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger.
(2) Quiconque commet des voies de fait graves est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans.
Infliction illégale de lésions corporelles
269. Quiconque cause illégalement des lésions corporelles à une personne est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans.
Emprisonnement à perpétuité
742. Sous réserve de l'article 742.1, le bénéfice de la libération conditionnelle est subordonné, en cas de condamnation à l'emprisonnement à perpétuité :
a) pour haute trahison ou meurtre au premier degré, à l'accomplissement d'au moins vingt-cinq ans de la peine;
a.1) pour meurtre au deuxième degré, dans le cas d'une personne qui a causé la mort et qui a déjà été condamnée pour homicide coupable équivalent à meurtre, peu importe sa qualification en vertu de quelque texte de loi que ce soit, à l'accomplissement d'au moins vingt-cinq ans de la peine;
b) pour meurtre au deuxième degré, à l'accomplissement d'au moins dix ans de la peine, délai que le juge peut porter à au plus vingt-cinq ans en vertu de l'article 744;
c) pour toute autre infraction, à l'application des conditions normalement prévues.
Code civil du Québec, L.R.Q.
Titre deuxième<R>De certains droits de la personnalité<R>Chapitre premier<R>De l'intégrité de la personne
Art. 10. Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité.
Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé.
Section I<R>Des soins
Art. 11. Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu'en soit la nature, qu'il s'agisse d'examens, de prélèvements, de traitements ou de toute autre intervention.
Si l'intéressé est inapte à donner ou à refuser son consentement à des soins, une personne autorisée par la loi ou par un mandat donné en prévision de son inaptitude peut le remplacer.
Art. 12. Celui qui consent à des soins pour autrui ou qui les refuse est tenu d'agir dans le seul intérêt de cette personne en tenant compte, dans la mesure du possible, des volontés que cette dernière a pu manifester.
S'il exprime un consentement, il doit s'assurer que les soins seront bénéfiques, malgré la gravité et la permanence de certains de leurs effets, qu'ils sont opportuns dans les circonstances et que les risques présentés ne sont pas hors de proportion avec le bienfait qu'on en espère.
Art. 13. En cas d'urgence, le consentement aux soins médicaux n'est pas nécessaire lorsque la vie de la personne est en danger ou son intégrité menacée et que son consentement ne peut être obtenu en temps utile.
Il est toutefois nécessaire lorsque les soins sont inusités ou devenus inutiles ou que leurs conséquences pourraient être intolérables pour la personne.
Art 14. Le consentement aux soins requis par l'état de santé du mineur est donné par le titulaire de l'autorité parentale ou par le tuteur.
Le mineur de quatorze ans et plus peut, néanmoins, consentir seul à ces soins. Si son état exige qu'il demeure dans un établissement de santé ou de services sociaux pendant plus de douze heures, le titulaire de l'autorité parentale ou le tuteur doit être informé de ce fait.
Art. 15. Lorsque l'inaptitude d'un majeur à consentir aux soins requis par son état de santé est constatée, le consentement est donné par le mandataire, le tuteur ou le curateur. Si le majeur n'est pas ainsi représenté, le consentement est donné par le conjoint ou, à défaut de conjoint ou en cas d'empêchement de celui-ci, par un proche parent ou par une personne qui démontre pour le majeur un intérêt particulier.
Art. 16. L'autorisation du tribunal est nécessaire en cas d'empêchement ou de refus injustifié de celui qui peut consentir à des soins requis par l'état de santé d'un mineur ou d'un majeur inapte à donner son consentement; elle l'est également si le majeur inapte à consentir refuse catégoriquement de recevoir les soins, à moins qu'il ne s'agisse de soins d'hygiène ou d'un cas d'urgence.
Elle est, enfin, nécessaire pour soumettre un mineur âgé de quatorze ans et plus à des soins qu'il refuse, à moins qu'il n'y ait urgence et que sa vie ne soit en danger ou son intégrité menacée, auquel cas le consentement du titulaire de l'autorité parentale ou du tuteur suffit.
Art. 17. Le mineur de quatorze ans et plus peut consentir seul aux soins non requis par l'état de santé; le consentement du titulaire de l'autorité parentale ou du tuteur est cependant nécessaire si les soins présentent un risque sérieux pour la santé du mineur et peuvent lui causer des effets graves et permanents.
Art. 18. Lorsque la personne est âgée de moins de quatorze ans ou qu'elle est inapte à consentir, le consentement aux soins qui ne sont pas requis par son état de santé est donné par le titulaire de l'autorité parentale, le mandataire, le tuteur ou le curateur; l'autorisation du tribunal est en outre nécessaire si les soins présentent un risque sérieux pour la santé ou s'ils peuvent causer des effets graves et permanents.
Art. 19. Une personne majeure, apte à consentir, peut aliéner entre vifs une partie de son corps pourvu que le risque encouru ne soit pas hors de proportion avec le bienfait qu'on peut raisonnablement en espérer.
Un mineur ou un majeur inapte ne peut aliéner une partie de son corps que si celle-ci est susceptible de régénération et qu'il n'en résulte pas un risque sérieux pour sa santé, avec le consentement du titulaire de l'autorité parentale, du mandataire, tuteur ou curateur, et l'autorisation du tribunal.
Art. 20. Une personne majeure, apte à consentir, peut se soumettre à une expérimentation pourvu que le risque couru ne soit pas hors de proportion avec le bienfait qu'on peut raisonnablement en espérer.
Art. 21. Un mineur ou un majeur inapte ne peut être soumis à une expérimentation qu'en l'absence de risque sérieux pour sa santé et d'opposition de sa part s'il comprend la nature et les conséquences de l'acte; le consentement du titulaire de l'autorité parentale ou du mandataire, tuteur ou curateur est nécessaire.
L'expérimentation qui ne vise qu'une personne ne peut avoir lieu que si l'on peut s'attendre à un bénéfice pour la santé de la personne qui y est soumise et l'autorisation du tribunal est nécessaire.
Lorsqu'elle vise un groupe de personnes mineures ou majeures inaptes, l'expérimentation doit être effectuée dans le cadre d'un projet de recherche approuvé par le ministre de la Santé et des Service sociaux, sur avis d'un comité d'éthique du centre hospitalier désigné par le ministre ou d'un comité d'éthique créé par lui à cette fin; il faut de plus qu'on puisse s'attendre à un bénéfice pour la santé des personnes présentant les mêmes caractéristiques d'âge, de maladie ou de handicap que les personne soumises à l'expérimentation.
Ne constituent pas une expérimentation les soins que le comité d'éthique du centre hospitalier concerné considère comme des soins innovateurs qui sont requis par l'état de santé de la personne qui s'y soumet.
Art. 22. Une partie du corps, qu'il s'agisse d'organes, de tissus, ou d'autres substances, prélevée sur une personne dans le cadre de soins qui lui sont prodigués, peut être utilisée aux fins de recherche, avec le consentement de la personne concernée ou de celle habilitée à consentir pour elle.
Art. 23. Le tribunal appelé à statuer sur une demande d'autorisation relative à des soins, à l'aliénation d'une partie du corps ou à une expérimentation, prend l'avis d'experts, du titulaire de l'autorité parentale, du mandataire, du tuteur ou du curateur et du conseil de tutelle; il peut aussi prendre l'avis de toute personne qui manifeste un intérêt particulier pour la personne concernée par la demande.
Il est aussi tenu, sauf impossibilité, de recueillir l'avis de cette personne et, à moins qu'il ne s'agisse de soins requis par son état de santé, de respecter son refus.
Art. 24. Le consentement aux soins qui ne sont pas requis par l'état de santé, à l'aliénation d'une partie du corps ou à une expérimentation doit être donné par écrit.
Il peut toujours être révoqué, même verbalement.
Art. 25. L'aliénation que fait une personne d'une partie ou de produits de son corps doit être gratuite; elle ne peut être répétée si elle présente un risque pour la santé.
L'expérimentation ne peut donner lieu à aucune contrepartie financière hormis le versement d'une indemnité en compensation des pertes et des contraintes subies.
Annexe G
Modifications législatives : quelques propositions
Au cours de son étude, le Comité a reçu plusieurs propositions de modifications au Code criminel.
1. Le professeur Bernard M. Dickens (extrait d'un mémoire présenté au Comité spécial)
1. L'aide au suicide doit être prévue dans le Code criminel, grâce à l'ajout d'une exception à l'alinéa 241b). Le fait de conseiller le suicide doit demeurer punissable en vertu de l'alinéa 241a).
2. Une personne physiquement incapable de se suicider doit pouvoir présenter une requête aux tribunaux, suivant des lignes directrices comparables à celles proposées par le juge en chef Lamer dans l'affaire Rodriguez, pour obtenir la permission de mourir avec l'aide d'autrui. Il faut par conséquent prévoir une exception à l'article 14 du Code criminel, qui porte que :
14. Nul n'a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée, et un tel consentement n'atteint pas la responsabilité pénale d'une personne par qui la mort peut être infligée à celui qui a donné ce consentement.
3. Le président du tribunal, dans chaque cas, donnerait à une personne désignée le pouvoir discrétionnaire, par opposition au devoir, d'agir; ainsi, le requérant n'aurait aucun "droit à la mort", et la personne désignée n'aurait aucun "devoir de donner la mort".
4. La condamnation des actes causant la mort sans approbation judiciaire ou en dehors du cadre judiciaire, selon les modalités du paragraphe 2 ci-dessus, serait renforcée dans la pratique par l'introduction d'une nouvelle catégorie, mieux adaptée, d'acte criminel, le meurtre au troisième degré, pour lequel la peine, comme pour l'homicide involontaire coupable et la négligence criminelle causant la mort, pourrait néanmoins aller jusqu'à l'emprisonnement à vie. Le juge imposerait la peine sur déclaration de culpabilité en fonction des circonstances. Une personne inculpée de meurtre au premier ou au deuxième degré pourrait être déclarée coupable de meurtre au troisième degré si la preuve démontrait qu'elle a agi par suite d'une demande faite par la victime en toute lucidité, mais sans approbation judiciaire. En l'absence de demande, un acte causant la mort demeurerait punissable, vraisemblablement à titre de meurtre au premier degré. L'établissement d'une catégorie de meurtre au troisième degré pourrait, mieux que la loi actuelle, préserver l'équilibre entre les garanties que doit avoir le public quant à la protection des personnes vulnérables et la reconnaissance du fait que certains actes causant la mort sont parfois mal avisés, mais accomplis sans intention malveillante.
2. Eike-Henner Kluge, Déliberations du Comité, 27 septembre 1994, fascicule no 15, p. 39-43
«Je propose donc au Comité une restructuration possible du Code criminel selon le modèle suivant:
217.1 Rien dans les articles 14, 45, 215, 216 et 217 et dans d'autres articles connexes du Code criminel ne doit être interprété comme
a) exigeant d'un médecin qualifié qu'il entreprenne ou continue d'administrer un traitement chirurgical ou médical à une personne apte à prendre une décision qui demande que le traitement ne soit pas entrepris ou poursuivi;
b) exigeant d'un médecin qualifié qu'il entreprenne ou continue d'administrer un traitement chirurgical ou médical à une personne apte à prendre une décision qui a donné des directives à l'avance pour que le traitement ne soit pas entrepris ou poursuivi et qui n'a pas changé d'idée;
c) exigeant d'un médecin qualifié qu'il entreprenne ou continue d'administrer un traitement chirurgical ou médical à une personne lorsqu'un mandataire dûment habilité par la personne, qui applique les normes appropriées de prise de décisions au nom d'autrui, demande formellement que le traitement ne soit pas entrepris ou poursuivi;
d) empêchant un médecin qualifié d'entreprendre ou de continuer d'administrer des soins et des mesures palliatives ayant pour but d'éliminer ou de soulager la souffrance d'une personne pour l'unique raison que les soins ou mesures provoqueront une mort prématurée, ou sont susceptibles de le faire, sauf si
(i) la personne apte à prendre une décision demande que de telles mesures ne soient pas entreprises si ces mesures ont pour effet de provoquer une mort prématurée, ou si la personne l'a demandé à l'époque où elle était apte; ou
(ii) le mandataire dûment habilité de la personne, qui applique les normes appropriées de prise de décisions au nom d'autrui, demande que de telles mesures ne soit pas entreprises si ces mesures ont pour effet de provoquer une mort prématurée.
Je recommande de plus au Comité d'accepter dans sa sagesse l'ajout de quelques nouveaux articles au Code criminel :
xxx.1 Nonobstant les dispositions des articles 14, 45, 215, 216, 217 ou de tout autre article connexe, aucun médecin qualifié ne commet une infraction en vertu de ces articles s'il
a) n'entreprend pas ou ne continue pas d'administrer
(i) un traitement chirurgical ou médical à une personne apte à prendre une décision qui demande formellement que le traitement ne soit pas entrepris ou poursuivi;
(ii) un traitement chirurgical ou médical à une personne apte à prendre une décision qui a donné des directives à l'avance pour que le traitement ne soit pas entrepris ou poursuivi et qui n'a pas changé d'idée;
(iii) un traitement chirurgical ou médical à une personne lorsqu'un mandataire dûment habilité par la personne, qui applique les normes appropriées de prise de décisions au nom d'autrui, demande formellement que le traitement ne soit pas entrepris ou poursuivi;
ou
b) entreprend ou continue d'administrer des soins et des mesures palliatives ayant pour but d'éliminer ou de soulager la souffrance d'une personne pour l'unique raison que les soins ou mesures provoqueront ou sont susceptibles de provoquer une mort prématurée, sauf si
(i) la personne apte à prendre une décision demande que de telles mesures ne soient pas entreprises si ces mesures ont pour effet de provoquer une mort prématurée, ou si la personne l'a demandé à l'époque où elle était apte; ou
(ii) le mandataire dûment habilité de la personne, qui applique les normes appropriées de prise de décisions au nom d'autrui, demande que de telles mesures ne soient pas entreprises si ces mesures ont pour effet de provoquer une mort prématurée.
xxx.2 Si une personne est susceptible de mourir prématurément en raison de mesures palliatives où l'on utilise des médicaments ou des moyens semblables, et si la période conduisant à cette mort prématurée est plus courte que celle qui correspond normalement à l'utilisation de mesures palliatives appropriées et reconnues, le cas doit faire l'objet d'un examen par un groupe indépendant formé d'un médecin n'ayant aucun lien avec l'une ou l'autre des parties concernées, d'un représentant du procureur général de la juridiction où la mort a eu lieu et d'un membre indépendant du public possédant une formation en éthique.
xxx.3 Si ce groupe indépendant détermine que l'événement n'a pas eu lieu en conformité avec la volonté exprimée par le patient apte ou les normes appropriées de prise de décisions au nom d'autrui, selon le cas, les autres dispositions pertinentes du Code criminel s'appliquent.
Par ailleurs, étant donné que la Cour suprême a jugé, à l'unanimité, que l'alinéa 241b) du Code criminel viole l'article 15 de la Charte des droits et libertés , et que le juge en chef Lamer, de la Cour suprême du Canada, et le juge en chef McEachern, de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, ont tous deux, à leur manière, fait des propositions qui répondent aux exigences de l'article premier de la Charte, je recommande vivement au Comité d'accepter que l'alinéa 241b) du Code criminel soit abrogé du fait que l'article premier de la Charte ne peut en justifier l'existence.
En outre, j'invite le Comité à étudier l'ébauche suivante d'une disposition sur l'euthanasie volontaire :
yyy.1 Si une personne est atteinte d'une maladie ou d'une affection incurable et irrémédiable et que cette personne croit que la maladie ou l'affection viole ses valeurs fondamentales, alors
a) cette personne peut demander à une cour supérieure la permission de réclamer l'aide d'un médecin pour mettre fin à ses jours le plus rapidement et le moins douloureusement possible, conformément à ses valeurs fondamentales; et
b) sur présentation de la preuve par un psychiatre indépendant et le médecin traitant que la personne faisant la demande est apte à prendre une décision, le tribunal doit entendre une telle demande aussi promptement que possible.
yyy.2 Le tribunal, après avoir mûrement évalué l'état physique et mental de la personne qui demande une permission en vertu de l'article yyy.1 ainsi que les valeurs fondamentales de cette personne, et en tenant compte de la nature médicale de l'affliction, peut accéder à la requête.
yyy.3 Toute permission accordée en vertu de l'article yyy.2
a) doit être enregistrée auprès du coroner régional de la juridiction compétente;
b) est valable pour une période de six mois; et
c) doit comprendre une ordonnance exigeant que le coroner soit dûment avisé au cas où l'on se prévaudrait de la permission.
yyy.4 Tout médecin agissant conformément à une permission accordée en vertu de l'article yyy.2 et conformément à la volonté de la personne qui a présenté une requête en vertu de l'article yyy.1 doit utiliser, après mûre réflexion, les mesures appropriées pour mettre fin à la vie de la personne le plus rapidement et le moins douloureusement possible.
yyy.5 Tout médecin agissant conformément à une permission accordée en vertu des articles yyy.2, yyy.3 et yyy.4, et en respectant les dispositions de ces articles, sera présumé n'avoir commis aucune infraction au sens de la présente loi.
zzz.1 Toute personne qui est atteinte d'une maladie ou d'une affection incurable et irrémédiable et qui, pour des raisons d'inaptitude, ne peut présenter une requête au tribunal en vertu de l'article yyy.1, peut faire présenter une telle requête en son nom par un mandataire dûment habilité qui applique les normes appropriées de prise de décisions au nom d'autrui.
zzz.2 Toute requête présentée en vertu de l'article zzz.1 doit être traitée par le tribunal comme si elle avait été présentée par la personne inapte en son propre nom.
zzz.3 En étudiant la requête présentée en vertu de l'article zzz.1, le tribunal doit tenir compte des voeux et des valeurs exprimés précédemment par la personne maintenant inapte, si cette personne était apte à l'époque.
zzz.4 Si ces valeurs ne peuvent être établies de façon satisfaisante, le tribunal utilisera les valeurs et les normes actuellement acceptées par la société canadienne, et la nature de ces valeurs et de ces normes sera déterminée par le tribunal en consultation avec
a) un représentant dûment habilité d'une association de personnes handicapées;
b) un médecin praticien;
c) une infirmière praticienne;
d) une personne spécialisée en éthique biomédicale; et
e) un membre du public.
zzz.5 Dans le cas d'une requête présentée en vertu de l'article zzz.1 au nom d'une personne qui n'a jamais été apte, le tribunal utilisera les valeurs et les normes actuellement acceptées par la société, lesquelles seront déterminées conformément à l'article zzz.4.
3. La Commission de réforme du droit, Euthanasie, aide au suicide et interruption de traitement, 20e rapport, juillet 1983, p. 33-37.
I. L'euthanasie
La Commission n'est pas en faveur de la légalisation de l'euthanasie sous aucune de ses formes. C'est là l'opinion exprimée dans les deux recommandations suivantes, qui ont toutes les deux fait l'objet d'une discussion dans le présent rapport.
La Commission recommande de ne pas légaliser ni décriminaliser, sous aucune de ses formes, l'euthanasie active volontaire et de continuer à traiter celle-ci comme un homicide coupable.
La Commission recommande de ne pas faire du meurtre par compassion une infraction distincte de celle de l'homicide d'une part, et d'autre part de ne pas formellement reconnaître pour ce type d'homicide des modalités de sentence différentes de celles prévues pour le meurtre.
II. L'aide au suicide
La Commission n'est pas en faveur de la décriminalisation de l'infraction qui consiste à aider ou à conseiller le suicide. Dans le document de travail no 28, elle avait provisoirement fait la recommandation suivante : «Nul ne peut être poursuivi pour une infraction prévue au présent article sans l'autorisation du procureur général lui-même, donnée par écrit». Pour les raisons mentionnées dans les pages qui précèdent, la Commission a toutefois décidé d'omettre cette recommandation. La recommandation suivante exprime la position finale de la Commission en matière d'aide au suicide.
La Commission recommande de ne pas décriminaliser l'aide au suicide et de maintenir le texte actuel de l'article 224 du Code criminel .
III. L'interruption de traitement et la renonciation au traitement
La Commission recommande que les modifications suivantes soient apportées au Code criminel :
199.1 Rien dans les articles 14, 45, 198, 199 et 229 ne doit être interprété comme créant une obligation pour un médecin
a) de continuer à administrer ou d'entreprendre un traitement médical, lorsque la personne à laquelle ce traitement s'adresse a exprimé sa volonté du contraire;
b) de continuer à administrer ou d'entreprendre un traitement médical, lorsque ce traitement est devenu thérapeutiquement inutile dans les circonstances et n'est pas dans le meilleur intérêt de la personne à laquelle il s'adresse.
Ce texte est dans l'ensemble comparable à celui que la Commission avait suggéré dans le document de travail no 28. Les quelques modifications qui y ont été apportées méritent un bref commentaire.
Sur le plan de la forme tout d'abord et en premier lieu, une mention de l'article 229 a été ajoutée suite à la suggestion d'un groupe d'avocats. L'article 229 du Code criminel crée une infraction d'administrer à quelqu'un un poison ou une «substance délétère». Même s'il est douteux que ce texte trouverait son application en matière médicale, il a été jugé plus prudent de l'ajouter.
En second lieu, on remarquera la disparition de l'adverbe «clairement» dans les deux alinéas du texte proposé. Les représentants du barreau d'une des provinces nous ont en effet convaincu que cet adverbe n'ajoutait rien et risquait même de susciter, le cas échéant, des difficultés d'interprétation. Nous l'avons par conséquent omis dans la version définitive.
En troisième lieu, beaucoup de nos correspondants ont critiqué l'utilisation de l'expression «traitement médicalement inutile», comme ayant un caractère nettement péjoratif et véhiculant l'idée que la médecine puisse avoir comme règle de conduite l'acharnement thérapeutique.
Un traitement médical utile peut devenir par la suite inutile sur le plan thérapeutique. C'est pour mieux exprimer l'idée de ce continuum dans le traitement d'une part, et d'autre part pour souligner l'idée qu'à un moment précis ce même traitement peut être devenu inapte à guérir ou à soulager le patient, que nous avons décidé de changer le texte et d'y substituer l'expression «traitement... devenu thérapeutiquement inutile dans les circonstances»; le mot «thérapeutiquement» est employé ici dans sons sens courant. Il y a thérapie lorsque l'intervention permet de guérir ou de soulager le patient.
Dans ce même membre de phrase, nous avons également ajouté comme condition supplémentaire que l'interruption de traitement n'aille pas à l'encontre du «meilleur intérêt de la personne». Pour prendre une illustration, il peut être du meilleur intérêt d'un mourant, pour lequel le traitement ne peut plus rien, de continuer à recevoir celui-ci pour permettre, par exemple, de revoir une dernière fois un être cher, de préparer un testament, ou de mettre certaines de ses affaires en ordre.
En quatrième lieu, nous avons cru bon, à la suite d'une remarque qui nous a été faite, de supprimer dans le second alinéa la phrase «... à moins que cette personne n'ait exprimé sa volonté du contraire». Cette phrase, en effet, aurait pu être mal interprétée comme signifiant qu'un médecin qui refuserait de consentir à la demande expresse du patient de lui appliquer un traitement médicalement contre-indiqué dans les circonstances, pourrait de ce seul refus être tenu criminellement responsable.
Sur le fond, ce texte consacre donc les recommandations principales de la Commission. Les différents textes énumérés dans l'article proposé, à des degrés divers et pour des raisons variées, peuvent soulever des difficultés d'interprétation quant à l'obligation du médecin de traiter ou de ne pas traiter. Le texte proposé, sans changer le droit actuel, vise à clarifier cette obligation.
Le premier alinéa contient tout simplement l'expression de la règle de droit actuel. Le patient est maître des décisions le concernant. S'il a exprimé sa volonté d'interrompre un traitement déjà entrepris ou de ne pas se soumettre à ce traitement, sa volonté est souveraine. Le médecin doit donc la respecter. L'expression de cette volonté est une question de fait. Le patient peut l'exprimer verbalement ou par écrit, par exemple par le biais d'un «testament de vie», lequel sans avoir véritablement force et effet juridiques, peut servir d'expression de sa volonté. La sanction que le médecin pourrait se voir imposer, s'il passait outre, est déjà contenue dans divers textes du Code criminel. Il pourrait, en tout cas, être accusé de voies de fait.
Le second alinéa énonce le principe que le médecin ne pourra être poursuivi en vertu des dispositions du Code criminel s'il cesse d'administrer un traitement ou décide de ne pas entreprendre l'administration d'un traitement qui, dans les circonstances de l'espèce, est thérapeutiquement inutile et n'est pas dans l'intérêt de la personne. Ainsi en serait-il, par exemple, de la continuation de la ventilation artificielle chez un patient qui a déjà subi un arrêt irréversible de ses fonctions cérébrales.
Ainsi en serait-il également du médecin qui, pour éviter de prolonger l'agonie d'un de ses patients en phase terminale, décide d'interrompre l'administration d'antibiotiques destinés à soigner la pneumonie dont ce patient est atteint.
Ainsi en serait-il également du chirurgien qui décide de ne pas opérer un nouveau-né pour une malformation parce que celui-ci, même si l'opération réussissait, ne pourrait survivre aux autres malformations dont il est affligé.
Comme on le notera, ce texte ne fait aucune différence entre la personne capable de consentir et l'incapable, pour les raisons que la Commission a exposées. De plus, le texte ne dit pas comment le médecin doit prendre sa décision et qui il peut ou devrait alors consulter. Pour se conformer à la norme du droit criminel en effet, peu importe la façon dont il atteint sa décision, du moment qu'il peut démontrer qu'elle était thérapeutiquement appropriée dans les circonstances, prise dans le meilleur intérêt de la personne et non contre sa volonté.
199.2 Rien dans les articles 14, 45, 198, 199 et 229 ne doit être interprété comme empêchant un médecin d'entreprendre ou l'obligeant à interrompre l'administration de soins palliatifs et de mesures destinées à éliminer ou à atténuer les souffrances d'une personne pour la seule raison que ces soins ou ces mesures sont susceptibles de raccourcir l'expectative de vie de cette personne.
Ce texte, comme il a été expliqué plus haut, vise à lever un doute en matière d'administration des soins palliatifs.
La Commission, à la suggestion extrêmement pertinente d'une organisation médicale d'une des provinces, a modifié légèrement le texte proposé dans le document de travail, en ajoutant que les textes cités ne devaient pas être interprétés comme obligeant un médecin à interrompre les soins palliatifs déjà commencés.
Le texte exprime simplement l'idée que le devoir du médecin lorsqu'il ne peut plus rien pour son patient, est de lui fournir les soins palliatifs appropriés. S'il le fait, l'usage de drogues, de médicaments ou de traitements anti-douleur est légal et légitime même si l'administration de ceux-ci peut avoir pour effet de raccourcir l'expectative de vie du patient.
*La numérotation du Code criminel a été modifiée depuis la publication du rapport de la Commission de réforme du droit, en 1983.
Annexe H
Modalités suggérées
Rodriguez c. Colombie-Britannique (P.G.) Cour suprême du Canada Le juge en chef Lamer [1993] 3 R.C.S. 519-579 (jugement dissident)
1. Une personne qui veut mettre fin à ses jours doit présenter une requête en ce sens à une cour supérieure.
2. Un médecin traitant et un psychiatre indépendant doivent certifier que le requérant est mentalement capable de prendre la décision de mettre fin à sa vie, et les médecins doivent certifier que la décision du requérant a été prise librement et volontairement.
3. Il faut qu'au moins l'un des médecins soit présent auprès du requérant au moment du suicide avec aide.
4. Les médecins doivent également certifier que le requérant est ou deviendra physiquement incapable de se suicider sans aide et qu'ils l'ont informé qu'il conserve toujours le droit de revenir sur sa décision.
5. Un avis doit être remis au coroner régional afin qu'il puisse assister à l'examen effectué par le psychiatre indépendant.
6. Chaque jour, l'un des médecins certificateurs doit examiner le requérant afin de s'assurer qu'il a toujours l'intention de mettre fin à sa vie.
7. L'exemption constitutionnelle expirera si la personne mourante n'a pas exercé son option dans les 31 jours suivant la date de son examen par un psychiatre indépendant.
8. L'acte causant la mort du requérant doit être l'acte du requérant lui-même et non celui d'autrui.
Commentaires
Le juge en chef a précisé que les conditions qu'il propose visent la situation particulière de Sue Rodriguez et, bien qu'elles puissent servir dans des circonstances similaires à l'avenir, chaque requête devra être examinée dans son propre contexte.
Le juge Cory souscrit aux lignes directrices proposées par le juge en chef. La juge McLachlin y souscrit aussi dans l'ensemble, mais elle estime que certaines pourraient ne pas être indispensables dans tous les cas et que les conditions nécessaires pourraient varier d'un cas à l'autre. L'essentiel, dans tous les cas, est que le requérant ait consenti librement et volontairement au suicide avec aide.
Rodriguez c. Colombie-Britannique (P.G.) Cour d'appel de la Colombie-Britannique Le juge en chef McEachern (1993) 76 BCLR (2d) 145-168 (jugement dissident)
1. Une personne qui veut mettre fin à ses jours doit présenter une requête en ce sens à une cour supérieure.
2. Le requérant doit être mentalement capable de décider de mettre fin à ses jours, sa capacité devant être certifiée par écrit par un médecin traitant et par un psychiatre indépendant qui l'aura examiné au plus 24 heures avant la mise en place des moyens qui lui permettront de mettre fin à sa vie. Ces moyens ne peuvent être fonctionnels qu'en présence d'un des médecins. (Dans le certificat, les médecins doivent exprimer l'opinion que le requérant est non seulement capable mais aussi que, à leur avis, il désire réellement mettre fin à ses jours et a pris cette décision de son plein gré, sans aucune pression ni influence autres que sa propre situation. Ils doivent s'assurer que le requérant n'a pas changé d'avis depuis ses premières déclarations.)
3. Le requérant doit être en phase terminale et à l'article de la mort et ne doit avoir aucun espoir de guérison. Il éprouve ou, sans traitement, éprouverait une douleur physique intolérable ou des souffrances psychologiques graves. En outre, il a été avisé et comprend qu'il lui est loisible, en tout temps, de renoncer à son projet de mettre fin à ses jours. Les médecins doivent également indiquer à quel moment, selon eux, le requérant mourrait vraisemblablement a) si un traitement palliatif lui était administré et b) si aucun traitement palliatif ne devait lui être administré.
4. Pas moins de trois jours avant qu'un psychiatre examine le requérant afin de préparer ledit certificat, un avis doit être remis au coroner de la région ou du district où le requérant doit être examiné. Le coroner, ou une personne qu'il désigne, qui doit être médecin, peut être présent à l'occasion de l'examen du requérant par un psychiatre afin de vérifier qu'il est bien mentalement capable de décider et qu'il décide effectivement de mettre fin à sa vie.
5. L'un des médecins qui remet le certificat précédemment mentionné doit réexaminer le requérant quotidiennement après la mise en place des moyens susmentionnés afin de garantir qu'il a toujours la même intention de mettre fin à ses jours. Si le requérant se donne la mort, ce médecin doit fournir un second certificat au coroner confirmant que, selon lui, le requérant n'avait pas changé d'avis.
6. Personne ne peut aider le requérant à tenter de se donner la mort ou à se donner la mort après l'expiration de la période de 31 jours à compter de la date de délivrance du premier certificat. Dès l'expiration de ce délai, toutes les mesures prises pour aider le requérant à mettre fin à ses jours doivent être immédiatement invalidées et interrompues. Cette condition vise à garantir, dans la mesure du possible, que le requérant n'a pas changé d'avis depuis son examen par un psychiatre.
7. L'acte causant la mort du requérant doit être l'acte du requérant lui-même, posé sans aide, et non celui d'autrui.
Commentaires
Le juge McEachern a précisé qu'il ne faut voir dans les conditions susmentionnées que des lignes directrices pouvant être modifiées en fonction des circonstances particulières à chaque cas.
Société canadienne du SIDA (extrait d'un mémoire présenté au Comité spécial)
1. Il faut mettre sur pied des comités chargés d'examiner toutes les options de fin de vie.
2. Le patient ne doit pas être dans un état dépressif au moment où il décide de mettre fin à ses jours.
3. Les médecins et les conseillers qui aident une personne à mourir doivent connaître cette personne depuis longtemps avant d'accepter de l'aider.
4. La personne qui veut mourir doit en faire la demande de façon répétée.
5. La mort doit être imminente.
Commentaires
Les lignes directrices qui précèdent ont été préparées par un groupe choisi de membres de la Société canadienne du SIDA ayant participé à une étude effectuée par cette dernière auprès de ses adhérents. Ceux qui ont proposé les mesures en question appuyaient la légalisation de l'euthanasie dans des circonstances bien précises.
Choice in Dying, Ottawa (extrait d'un mémoire présenté au Comité spécial, le mercredi 1er juin 1994)
1. Il faut élaborer des lignes directrices en vertu desquelles le droit à l'autodétermination serait l'élément central de toute loi envisagée.
2. Plus précisément, toute réforme des lois actuelles doit reconnaître le droit à l'autodétermination et éliminer toutes les menaces de sanctions criminelles qui pèsent sur ceux qui aident d'autres personnes à exercer ce droit.
3. Chacun doit avoir le droit :
a) d'accepter ou de refuser l'administration ou la poursuite d'un traitement médical;
b) d'accepter ou de refuser le maintien en vie par des méthodes artificielles, entre autres pour l'alimentation et le maintien de la respiration et de l'activité cardiaque.
4. Tout malade incurable ou en phase terminale a le droit :
a) de déterminer le niveau de souffrance qui lui est supportable;
b) de demander et de recevoir une aide professionnelle pour hâter sa mort, à condition qu'il le demande clairement et constamment d'une manière qui ne laisse aucun doute quant à ses volontés.
5. Les directives préalables doivent être reconnues par la loi et respectées lorsqu'un patient devient mentalement ou physiquement incapable.
6. Nul ne doit être contraint d'aider quelqu'un à hâter sa mort, mais si un soignant exerce ce droit de refus, il doit être tenu de diriger le patient vers une autre personne qualifiée qui est disposée à respecter les volontés du patient.
7. Les dispensateurs de soins médicaux et palliatifs ont le devoir de conseiller le patient avec bienveillance mais impartialité sur toute les options à sa disposition. Malgré l'importance de tels conseils pour le patient, si ce dernier ne veut pas qu'on le conseille, il faut alors respecter son souhait.
8. Seule l'euthanasie volontaire, conforme au principe de l'autodétermination dans les soins de santé, doit être légalisée. Cependant, lorsqu'une personne devenue incapable a demandé l'euthanasie volontaire au moyen d'une directive préalable, cette requête doit être considérée comme valide si les circonstances entourant sa réalisation sont exposées clairement.
9. Les parents et d'autres personnes doivent pouvoir être présents au moment du suicide sans courir le risque de sanctions pénales.
10. Il faut offrir une certaine forme de counselling aux patients en phase terminale, qu'ils soient chez eux ou à l'hôpital.
Mourir dans la dignité (extrait d'un mémoire présenté au Comité spécial)
1.Une personne qui demande une aide médicale au suicide doit le faire volontairement et à maintes reprises. La demande doit être consignée et, si possible, attestée par des témoins. Elle peut prendre la forme d'un testament biologique, d'une procuration permanente pour soins de santé, d'une déclaration d'euthanasie volontaire ou de toute autre directive donnée verbalement, par écrit ou sur support informatique.
2. Toute personne apte à prendre des décisions concernant les traitements qui lui sont donnés est réputée apte à présenter une demande d'aide médicale à la mort. Pour confirmer l'aptitude de la personne, le médecin peut demander une évaluation psychiatrique ou psychologique.
3. Une demande peut être présentée par toute personne capable, qui est en phase terminale ou atteinte d'une maladie chronique irréversible, lorsque cette personne considère que ses souffrances sont intolérables.
4. La personne doit être parfaitement au fait de tous les traitements possibles, y compris les soins palliatifs, et savoir qu'elle peut toujours changer d'avis en révoquant la demande d'aide médicale à la mort, que ce soit verbalement, par écrit ou sur support informatique.
5. Il faut informer de la demande la famille de la personne ou ceux que cette dernière aura désignés, mais la décision finale lui appartient.
6. Un médecin, de préférence le médecin traitant de la personne, et au moins un autre travailleur de la santé qui connaît la personne depuis un laps de temps raisonnable, doivent être consultés et confirmer le diagnostic et le pronostic. (Il n'est pas toujours possible d'obtenir l'avis d'un deuxième médecin. Dans ces cas, l'autre conseiller du domaine de la santé peut être une infirmière, une infirmière de première ligne, un travailleur social ou un aumônier.)
7. Lorsqu'il est possible de le faire sans imposer une attente ou des souffrances indues à la personne qui présente la demande, il est préférable qu'il y ait consultation entre plusieurs intervenants. Il n'est pas essentiel que tous soient d'accord, mais on doit avoir le sentiment que la personne est entièrement au fait de la situation et comprend les répercussions de sa demande.
8. Il faut laisser s'écouler au moins cinq jours après la présentation de la demande, ou un délai plus long convenu entre la personne et son médecin, avant de donner suite à une demande d'aide médicale à la mort. Le délai de cinq jours peut être raccourci si l'attente oblige la personne qui demande une aide médicale à la mort à subir une douleur ou des souffrances physiques ou psychologiques insupportables.
9.Un médecin, de préférence le médecin traitant, doit toujours être présent lorsque l'acte d'aide à la mort est accompli et doit veiller à ce que la mort se produise de la façon la plus humaine possible.
10. Aucun médecin ne doit être tenu de fournir de l'aide. Cependant, un médecin qui refuse cette aide doit diriger la personne vers un autre médecin qualifié, disposé à donner suite à la requête de la personne.
11. Toutes les personnes qu'un médecin aide à mourir doivent résider légalement au Canada depuis au moins six mois.
12.Tout acte d'aide médicale à la mort doit être dûment consigné et signalé par le médecin au coroner local ainsi qu'à un représentant du ministère fédéral de la Justice dans les 30 jours suivant la mort de la personne.
13.Les représentants du ministère fédéral de la Justice doivent examiner chaque cas d'aide médicale à la mort et présenter un rapport annuel au Parlement à ce sujet.
14.Le Parlement doit s'assurer que sa politique relative à l'aide médicale à la mort est respectée et déterminer si des mesures de protection supplémentaires s'imposent.
M. Yvon Bureau (témoignage devant le Comité spécial, le mercredi 4 mai 1994)
1. Les interdictions visant l'euthanasie et l'aide au suicide devraient être maintenues dans le Code criminel pendant une période de quatre ans.
2. La proscription de l'aide au suicide dans les cas où la personne qui demande la mort est sur le point de mourir devrait être supprimée du Code criminel. De plus, l'aide à la mort volontaire ne devrait pas être considérée comme un meurtre ou un homicide puisqu'il y a absence de victime.
3. On devrait modifier le Code criminel afin qu'il y soit explicitement question de l'aide à la mort volontaire pour les personnes en fin de vie et que des peines soient prévues pour les personnes reconnues coupables de telles pratiques.
4. La Chambre des communes devrait adopter, dès 1995, une loi prévoyant que les médecins qui pratiquent l'euthanasie ou l'aide au suicide sur des personnes en fin de vie et qui ont respecté le cadre strict et précis d'une telle pratique ne seront ni poursuivis, ni condamnés.
5. Le ministère de la Santé et du Bien-être du Canada, en coopération avec les ministères provinciaux de la Santé, devrait établir le plus tôt possible des lignes directrices sur l'aide à la mort volontaire. On pourrait s'inspirer du modèle hollandais, en se gardant toutefois d'envisager les procédures des Pays-Bas dans le cas des personnes inaptes à consentir à des soins de fin de vie ou à les refuser, surtout si elles n'ont pas rédigé une forme quelconque de testament biologique.
6. Chaque ministère provincial de la Santé devrait adopter, dès 1995, une politique sur l'accompagnement de toutes les personnes mourantes. Chaque établissement de santé et de services sociaux devrait faire de même au cours de l'année.
7. La responsabilité de fournir suffisamment d'information sur les avantages, les inconvénients et les risques des nombreux traitements possibles ainsi que sur les solutions de rechange ne revient pas à une seule profession, mais doit être exercée par l'ensemble de l'établissement de santé, par le biais de ses équipes de professionnels. Confier la prise de décision à une équipe multidisciplinaire diminuera considérablement les risques d'abus.
8. Chaque ministère provincial de la Santé devrait recommander fortement à tous ses établissements de faire connaître à leurs usagers leurs droits et leurs responsabilités de refuser les traitements ou d'en demander la cessation, ainsi que leur droit de mourir sans souffrir. Il faudrait lancer sans tarder une campagne publicitaire à cette fin.
9. Il faudrait renseigner les usagers des établissements de soins de santé sur les moyens par lesquels ils peuvent exprimer leurs volontés de fin de vie et les sensibiliser à la nécessité de mandater d'autres personnes pour faire respecter ces volontés.
10. Il faudrait prévoir, dans le dossier de chaque patient, une section spéciale pour les volontés de fin de vie, et ces dossiers devraient être conservés dans les différents établissements de santé. Les volontés de fin de vie d'un patient peuvent être exprimées par exemple au moyen d'un testament biologique ou d'un mandat en cas d'inaptitude.
11. Le ministère de la Santé et du Bien-être devrait investir quelques milliards de dollars afin que toutes les personnes qui le souhaitent puissent mourir chez elles. Cet investissement rapportera énormément sur tous les plans.
12. Chaque ministère provincial de la Santé devrait mettre sur pied une ligne 1-800 fonctionnant 24 heures sur 24, pour répondre aux questions des mourants, de leurs proches et de leurs soignants à propos de leurs droits, de leurs obligations, de leurs responsabilités et de leurs libertés. Au Québec, ce service pourrait être assuré par Info-Santé.
13. La personne mourante doit être au coeur du processus informationnel et décisionnel, même une fois déclarée inapte à décider. La personne mourante et sa liberté passent avant les traitements. Les professionnels de la santé doivent se soucier avant tout de recevoir le consentement ou le refus éclairé et libre à tout traitement offert et de le respecter dans tous les cas.
14. L'accord des proches est souhaitable, mais il ne doit pas être obligatoire. Il convient d'établir un âge minimal à partir duquel la famille du patient ne peut plus revendiquer le droit d'être informée, ni de prendre de décisions au sujet du traitement sans l'autorisation du mourant.
Commentaires
Selon M. Bureau, grâce aux propositions qui précèdent, il demeurera possible de poursuivre et de condamner les personnes qui n'auront pas respecté les conditions préalables établies pour permettre l'euthanasie et l'aide à la mort. On reconnaîtra le consentement ou le refus libre et éclairé exprimé au moyen de directives préalables et de la procuration en cas d'inaptitude. La qualité de vie ne sera plus déterminée en fonction du nombre des traitements administrés. Le mourant sera en mesure de décider ce qu'il considère être une qualité de vie acceptable pour lui. On réduira ainsi les conflits d'intérêts chez les professionnels de la santé et l'administration des traitements inutiles aux patients en phase terminale.
M. Russel D. Ogden (extrait d'un document préparé pour l'American Society of Criminology Conference, intitulé " Safeguarding Euthanasia: Legislative Proposals in Canada and the United States" , à la page 15)
Commentaires
M. Ogden propose certaines mesures de protection minimales qu'il est essentiel, à son avis, d'incorporer à toute forme de législation sur le droit de mourir.
1. Le patient doit donner son consentement éclairé.
2. Le pronostic concernant le patient doit faire l'objet d'un consensus clinique.
3. Le patient et les autres personnes concernées doivent pouvoir être renseignés sur les différentes options de traitement, le diagnostic et le pronostic, les conséquences de la procédure d'aide à la mort, les motifs profonds d'une demande d'euthanasie et les possibilités de traitement dans un autre milieu.
4. Il faut évaluer l'existence possible d'une dépression pouvant être traitée.
5. La participation volontaire du patient et de ses médecins est nécessaire.
6. Un examen du point de vue de l'éthique doit avoir lieu dans tous les cas.
7. Il faut imposer une période d'attente.
8. La mise en oeuvre de la procédure d'aide à la mort doit être supervisée.
9. Un tiers indépendant doit assister à la procédure d'aide à la mort.
10. Il faut prévoir des restrictions quant aux personnes pouvant demander une aide à la mort.
11. Toutes les demandes et tous les actes d'aide à la mort doivent être rapportés.
12. Il faut mettre sur pied un mécanisme d'examen officiel.
L'Association Humaniste du Canada (résumé du mémoire présenté au Comité spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide)
1. Tous les centres de santé doivent être tenus de fournir non seulement des soins physiques, mais aussi un soutien psychologique et émotionnel à tous les patients et, en particulier, à ceux qui sont gravement malades ou frappés d'incapacité.
2. Les personnes qui demandent une aide au suicide doivent être conscientes et capables d'affirmer ou de réaffirmer leur volonté de mourir.
3. Le voeu de mourir peut être exprimé par écrit, sur bande sonore, ou par toute autre méthode pouvant servir à communiquer clairement la volonté du demandeur.
4. Des témoins indépendants doivent être présents.
5. Le demandeur doit avoir formulé sa demande à maintes reprises et avoir été bien informé des répercussions de sa décision.
6. Un médecin qui facilite un suicide doit rapporter par écrit, de concert avec d'autres professionnels de la santé, les circonstances dans lesquelles le patient a demandé la mort.
7. Là où c'est possible, le demandeur devrait pouvoir déclencher lui-même le mécanisme qui provoquera la mort.
8. Au bout du compte, c'est au patient qu'il revient de décider s'il veut mourir, de quelle façon et à quel moment.
M. Réjean Carrier (témoignage devant le Comité spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide, le mercredi 27 avril 1994)
Commentaires
M. Carrier s'oppose à l'euthanasie. Il n'a donc pas présenté de lignes directrices sur le sujet, mais il a suggéré certains éléments qui, à son avis, seraient essentiels si la législation actuelle venait à être modifiée.
1. Il faut que le patient ne réagisse plus aux médicaments administrés pour soulager la douleur physique.
2. Le médecin traitant doit poser le diagnostic (médicament inefficace) en collaboration avec un ou plusieurs autres médecins.
3. Le patient doit décrire sa souffrance comme étant intolérable.
4. Le décision d'accéder à une demande d'euthanasie doit être prise par une équipe interdisciplinaire.
5. L'équipe interdisciplinaire doit être composée de personnes représentant des professions diverses ou semblables, qui interagissent les unes avec les autres afin de décider de la meilleure ligne de conduite dans chaque cas.
6. Il ne faut pas élaborer de normes nationales visant les cas exceptionnels où les soins palliatifs ne sont pas efficaces. En l'absence de critères, les établissements seront obligés de délaisser l'euthanasie et l'aide au suicide pour chercher d'autres solutions acceptables.
M. R. Scott Rowand (témoignage devant le Comité spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide, le 8 juin 1994)
1. Si l'euthanasie et l'aide au suicide sont légalisées, on ne devra considérer que les demandes faites par des patients capables, leur capacité étant attestée par un psychiatre.
2. Il faut explorer d'autres solutions comme les soins palliatifs améliorés et l'apaisement de la douleur.
3. Un comité déontologique hospitalier devra veiller au respect de toutes les étapes de la procédure ainsi qu'à la mise en place de mesures de protection suffisantes afin d'éviter les abus.
4. Le processus devra être entièrement supervisé par le bureau du coroner ou le médecin légiste.
British Columbia Civil Liberties Association (témoignage devant le Comité spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide, le 26 septembre 1994)
"[prévoir] une défense absolue en cas de suicide assisté ou d'euthanasie volontaire active lorsque certains critères sont respectés. Malheureusement, cette solution viendrait autoriser une aide au mourant uniquement après coup. Elle ne réussirait donc pas à rassurer suffisamment les médecins pour les convaincre d'offrir un service auquel, selon nous, tous les Canadiens devraient avoir droit.
Cette solution exigerait que le Parlement prenne de fait des mesures qui devront, de toute façon, être prévues dans une réglementation. Le Parlement devrait opter, selon nous, pour une réglementation qui modifie le Code criminel afin de prévoir expressément les conditions dans lesquelles les médecins peuvent avoir recours à chacune de ces pratiques et offrir chacun de ces services."
Conseil sur le vieillissement (témoignage devant le Comité spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide, le 13 janvier 1995)
En plus des recommandations en faveur de mesures de protection déjà présentées par divers groupes, le Comité sénatorial pourrait envisager ce qui suit :
Tout d'abord, la personne qui réclame le suicide assisté ou l'euthanasie doit donner son consentement éclairé et les conditions doivent être semblables en principe à celles exigées lors du consentement éclairé à un traitement médical. La condition relative au consentement éclairé doit être élargie et prévoir la fourniture de conseils appropriés; c'est-à-dire la présentation d'autres options comme les soins palliatifs, non seulement par le médecin mais aussi par d'autres processionnels tels que des psychologues, des physiothérapeutes, des infirmières, des services de pastorale, et cetera, qui possèdent les compétences et la compassion nécessaires pour prendre soin de malades en phase terminale.
Deuxièmement, il faudrait prouver que ceux qui donnent des conseils ne recherchent pas un avantage personnel. À cet égard, une tierce partie désintéressée comme un juge ou une commission pourrait donner son approbation.
Troisièmement, le consentement ne devrait pas être donné sous la contrainte.
Quatrièmement, la décision devrait être donnée selon lie libellé approprié.
Cinquièmement, si la décision est prise par un curateur ou un procureur au soin de la personne, elle devrait se fonder sur une directive préalable et les conditions susmentionnées devraient être remplies.
En résumé, premièrement, le Conseil sur le vieillissement appuie fermement la nécessité d'offrir des soins palliatifs dans l'ensemble du pays et dans divers milieux, urbains et ruraux. À cet égard, il faudrait sensibiliser les médecins, et autres travailleurs de la santé et le grand public aux principes des soins palliatifs.
Deuxièmement, le Conseil sur le vieillissement estime qu'il devrait exister dans l'ensemble du Canada des lois qui inscrivent le caractère légitime des directives préalables basées sur des choix éclairés.
Troisièmement, le Conseil sur le vieillissement soutient que s'il existe des services adéquats de soins palliatifs et que chaque personne a le choix de déclarer ses préférences en matière de traitement dans une directive préalable avant d'être victime d'une maladie fatale, le nombre de personnes qui envisageraient le recours à l'euthanasie ou au suicide assisté serait minime.
Quatrièmement, le Conseil sur le vieillissement reconnaît que malgré les meilleurs soins possibles, ils existe un faible pourcentage de patients chez qui il est impossible de soulager la douleur. Il existe différents seuils de douleur, différentes capacités de tolérer la douleur et différentes philosophies concernant la capacité de supporter la douleur.
Cinquièmement, le Conseil sur le vieillissement est d'accord pour qu'un médecin intervienne pour contrôler la douleur et la souffrance même si cela risque d'abréger la vie. Cependant, dans ce cas, l'objet de l'intervention doit être le contrôle de la douleur, et non pas l'euthanasie, ni le suicide assisté.
Sixièmement, le Conseil sur le vieillissement ne prendra pas position sur la légalisation du suicide assisté et de l'euthanasie. Voici les points de vue exprimés par les membres : certains membres sont prêts à accepter les notions de suicide assisté et d'euthanasie à condition que des mesures de protection suffisantes soient établies pour protéger les personnes vulnérables; certains membres s'opposent catégoriquement à ces notions; et d'autres indiquent que même s'ils ne souhaitent pas mettre fin à leur propre vie de cette façon, il appartient à chacun de prendre cette décision.
Enfin, le Conseil sur le vieillissement propose, si l'on décide de légaliser l'euthanasie et l'aide au suicide, de le faire en modifiant le Code criminel et d'adopter des mesures de protection qui soient raisonnables, applicables et appliquées.
Association du Barreau canadien (extrait du mémoire présenté au Comité spécial, mars 1995)
Mesures de protection
Si le Comité recommande de réviser la loi actuelle pour autoriser l'euthanasie ou l'aide au suicide en prévoyant des mesures de protection contre les abus, on devrait d'abord examiner certaines questions constitutionnelles. Il faudrait en particulier déterminer dans quelle mesure on peut utiliser le pouvoir en matière de droit pénal prévu par la Constitution pour créer un régime administratif touchant les droits individuels. Dans l'arrêt R. c. Morgentaler [1988], 1 R.C.S. 30, la Cour suprême du Canada a annulé une disposition du Code criminel limitant l'accès aux services d'avortement, en faisant valoir que la procédure complexe à suivre pour obtenir un avortement et l'inégalité d'accès à ces services dans les différentes régions du pays violaient les droits des femmes en vertu de l'article 7 de la Charte. Parallèlement, tout régime recommandé par le Comité devrait pouvoir être offert de façon uniforme dans tout le pays.
Pour éviter les abus, il est également recommandé que tout protocole destiné à autoriser l'euthanasie ou l'aide au suicide et assorti de certaines mesures de protection, prévoit :
1. un examen rigoureux avant l'acte : et
2. un examen rigoureux après l'acte.
Examen rigoureux avant l'acte
Demander l'euthanasie ou une aide au suicide est une décision personnelle et on doit concevoir les mesures de protection de façon à perturber le moins possible la vie du particulier, tout en le protégeant contre les abus possibles. Les mécanismes de protection peuvent varier selon que l'intervenant est un médecin ou une autre personne (membre de la famille ou ami).
Il est important de déterminer qui doit évaluer la capacité de la personne et en fonction de quels critères. En effet, une telle évaluation risque de poser des problèmes, particulièrement d'un point de vue psychiatrique (par exemple, définir ce qui constitue une dépression). Compte tenu de la détresse et de la désorientation provoquées par une terrible maladie ainsi que de la douleur de mourir, les difficultés ne manqueront pas de surgir lorsqu'on voudra s'assurer que la volonté exprimée est bien celle du patient.
À l'heure actuelle, en ce qui concerne les décisions touchant la santé, c'est le corps médical qui est chargé d'évaluer la capacité du patient. Par conséquent, il devrait sans doute conserver cette responsabilité lorsqu'une personne demande l'euthanasie ou une aide au suicide. On devrait toutefois exiger un deuxième avis médical concernant la capacité du patient de prendre une telle décision et la mesure dans laquelle cette décision exprime véritablement sa volonté. Il y aurait peut-être lieu également de prévoir un examen par quelqu'un d'autre qu'un médecin, comme un officier de justice ou une personne exerçant des fonctions quasi judiciaires.
Examen rigoureux après l'acte
Les décisions d'interrompre un traitement sont des décisions extrêmement publiques puisqu'elles sont habituellement prises dans des hôpitaux, que plusieurs personnes y participent et qu'elles sont consignées dans différents documents. Par contre, la décision de mourir est ou peut être très privée.
Afin d'éviter les abus à l'égard des particuliers et d'évaluer les répercussions générales de la politique sur le plan social, il est proposé que tous les actes d'euthanasie ou d'aide au suicide soient obligatoirement rapportés à un conseil d'examen constitué en vertu de la loi et composé de médecins, de juristes et de non-spécialistes, et que ce conseil soit tenu de présenter régulièrement un rapport au Parlement.
Conclusion
Une tâche formidable attend le Comité, qui devra d'une part scruter les valeurs divergentes et les différentes implications possibles, d'autre part concevoir un régime satisfaisant s'il décide qu'une modification du régime actuel s'impose. Toutefois, les difficultés ne surpassent pas l'importance de la tâche.
Nous assistons à une transformation de la société canadienne et de ses valeurs. Le défi consiste à répondre à cette évolution tout en respectant les principes qui la sous-tendent.
Annexe I
Lignes directrices de la Colombie-Britannique
Nota: L'adoption des dispositions du Code criminel est de compétence fédérale, mais l'administration de la justice relève des provinces. Par conséquent, le Procureur général de chaque province jouit d'un pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait aux mises en accusation. Compte tenu de ces responsabilités, la Colombie-Britannique a élaboré les lignes directrices qui suivent.
1. Guide à l'intention des procureurs de la Couronne: euthanasie active et aide au suicide, province de Colombie-Britannique, ministère du Procureur général, Direction de la justice pénale (Politique 11-3-93, dossier 56880-01, EUT 1)
Ces lignes directrices s'appliquent dans les cas où un rapport de police au procureur de la Couronne révèle qu'une personne a contribué, par compassion, à provoquer la mort d'autrui.
Dans ces cas, le procureur de la Couronne applique la politique générale en matière d'inculpation et n'approuve l'engagement de poursuites que lorsqu'il y a une forte probabilité d'obtenir la condamnation et que l'intérêt public l'exige.
Étant donné la complexité des questions juridiques et l'évolution des soins palliatifs, on examine les tenants et aboutissants des différents cas, un à un, et on tient compte des facteurs supplémentaires suivants dans l'application de la politique générale. C'est le procureur régional de la Couronne qui prend la décision de mettre en accusation, en consultation avec le directeur de la politique et du contentieux.
Forte probabilité d'obtenir la condamnation
Au moment d'évaluer la probabilité d'obtenir la condamnation, le procureur de la Couronne doit caractériser la conduite de la personne qui a joué un rôle dans le décès. Aux fins de la présente politique, cette conduite et ses conséquences juridiques se répartissent en quatre catégories.
«Euthanasie active» Le fait de hâter volontairement, par compassion, la mort d'un malade en phase terminale ou dont les souffrances sont insupportables. Cette conduite, un homicide coupable aux termes de l'article 222 du Code criminel, peut constituer un meurtre, un homicide involontaire coupable ou de la négligence criminelle causant la mort.
«Aide au suicide» Le fait de conseiller à quelqu'un de se donner la mort, ou d'aider ou d'encourager quelqu'un à se donner la mort. Cette conduite constitue l'infraction d'avoir conseillé le suicide ou d'y avoir aidé aux termes de l'article 241 du Code criminel.
«Soins palliatifs» Le fait, pour un médecin qualifié ou pour quelqu'un qui agit sous la surveillance générale d'un médecin qualifié, d'administrer un médicament ou autre traitement à un malade en phase terminale dans le but de soulager sa douleur ou sa souffrance, même au risque de hâter sa mort. Lorsqu'elle est conforme aux normes de déontologie médicale établies, cette conduite ne donne pas lieu à des poursuites au criminel.
«Abstention ou interruption de traitement» Le fait, pour un médecin qualifié, avec le consentement du malade ou en son nom, de ne pas amorcer ou d'interrompre des actes médicaux destinés à prolonger la vie au-delà de sa durée naturelle. Lorsqu'elle est conforme aux normes de déontologie médicale établies, cette conduite ne donne pas lieu à des poursuites au criminel.
Voici les facteurs que le procureur de la Couronne doit prendre en considération lorsqu'il lui faut caractériser la conduite de la personne qui a joué un rôle dans le décès :
1. L'intention prouvable de la personne qui a causé, accéléré, conseillé ou facilité la mort, compte tenu du fait que, s'il n'y a pas eu intention criminelle, on ne peut condamner quelqu'un pour meurtre ou pour avoir conseillé ou facilité le suicide.
2. Lorsque la conduite met en cause un médecin et un malade, la position de l'Association médicale canadienne et les opinions d'experts en médecine quant aux normes de déontologie médicale généralement reconnues et établies :
[...] certains cas de maladie et de mort inévitable exigent l'émission d'une ordonnance «ne pas réanimer», signée par le médecin traitant, et [...] l'adoption d'une telle mesure peut se justifier sur le plan déontologique.<$FAssociation médicale canadienne, Les médecins canadiens et l'euthanasie , 1993, p. 5.>
[...] conformément à la déontologie médicale, «le médecin doit, lorsque la mort paraît inévitable, la laisser venir dignement tout en donnant à la personne mourante tout le bien-être possible [et il] peut maintenir la vie du corps lorsque le cerveau est cliniquement mort, sans toutefois prolonger la vie par des moyens inusités ou des mesures héroïques».<$FIbid., p. 21; citation du Code de déontologie de l'Association médicale canadienne, Ottawa, 1990 : articles 18 et 19.>
L'abstention ou l'interruption de soins peu appropriés, futiles ou non voulus et les soins palliatifs de compassion, même quand ils ont pour effet d'abréger la vie, relèvent d'une pratique médicale jugée bonne et morale.<$FIbid., p. 22.>
3. Si, par rapport aux considérations suivantes, les actes d'un médecin qualifié ou de quelqu'un qui agit sous la surveillance générale d'un médecin qualifié constituent des «soins palliatifs» :
a) Voici ce que déclare le juge Sopinka de la Cour suprême du Canada dans Rodriguez c. Procureur général du Canada et al., 30 septembre 1993 :
L'administration de médicaments destinés à contrôler la douleur selon un dosage dont le médecin sait qu'il abrégera la vie du patient est, quel que soit le critère, une contribution active à la mort du patient. Toutefois, la distinction établie ici est fondée sur l'intention dans le cas des soins palliatifs, c'est l'intention d'atténuer la douleur qui a pour effet de précipiter la mort, alors que dans le cas de l'aide au suicide, l'intention est indubitablement de causer la mort. La Commission de réforme du droit, qui recommande le maintien de la prohibition criminelle de l'euthanasie et de l'aide au suicide, déclare cependant, à la p. 80 du Document de travail, qu'un médecin ne devrait jamais refuser d'administrer des soins palliatifs au patient en phase terminale pour la seule raison que leur administration peut hâter la mort. À mon avis, les distinctions fondées sur l'intention sont importantes, et elles constituent en fait le fondement de notre droit criminel. Même si, dans les faits, la distinction peut être parfois difficile à établir, sur le plan juridique elle est nette [...] (p. 607)
b) si le malade était en phase terminale et à l'article de la mort, sans espoir de guérison;
c) si l'état du malade était associé à des souffrances vives et incessantes;
d) si l'on a respecté les normes de déontologie médicale établies; et
e) si le malade participait à un programme ou plan de soins palliatifs.
4. Si, par rapport aux considérations suivantes, les actes d'un médecin qualifié constituent «une abstention ou une interruption de traitement» :
a) Suivant la common law, un médecin doit accepter l'instruction que donne le malade de refuser ou d'interrompre le traitement médical, et ce même si le traitement en question peut prolonger la vie. Les tribunaux canadiens ont reconnu ce droit : voir Malette c. Shulman (1990) 72 O.R. (2d) 417 (C.A. Ont.). Voici ce que déclare à ce sujet le juge Sopinka dans Rodriguez, précité :
Continuer à traiter le patient quand ce dernier a retiré son consentement à subir le traitement constitue un acte de violence (Ciarlariello et Nancy B., précités). Le médecin n'est donc pas tenu de faire un choix qui entraînera la mort du patient, comme ce serait le cas s'il choisissait d'apporter son aide au suicide ou de pratiquer l'euthanasie active. (p. 606)
b) lorsque la personne décédée a refusé le traitement ou retiré son consentement à subir le traitement, si elle l'a fait en connaissance de cause et en toute liberté. Il faut alors examiner si :
i) le malade a bien compris son état médical et le fait que l'abstention ou l'interruption de traitement pouvait entraîner la mort;
ii) le malade était mentalement incapable, déprimé ou autrement vulnérable;
iii) le refus du traitement ou le retrait du consentement à subir le traitement coïncide avec l'abstention ou l'interruption de traitement;
iv) le malade était informé et comprenait qu'il conservait le droit de reconsidérer son refus ou le retrait de son consentement;
v) il y a des indications que le malade a reconsidéré son refus ou le retrait de son consentement;
vi) quelqu'un a exercé des pressions sur le malade pour qu'il refuse le traitement ou retire son consentement à subir le traitement; et
vii) les normes de déontologie médicale établies ont été respectées.
c) lorsque la personne décédée n'était pas en mesure de refuser le traitement ou de retirer son consentement à subir le traitement, il faut examiner si :
i) des instructions ont été données au médecin qualifié par une autre personne ou entité autorisée à refuser le traitement ou à retirer le consentement à subir le traitement au nom du malade, par exemple, s'il existe une ordonnance de la cour ou une procuration pour soins de santé;
ii) il y a des indications que le malade aurait demandé l'abstention ou l'interruption de traitement s'il avait été en mesure de refuser le traitement ou de retirer son consentement à subir le traitement; et
iii) les normes de déontologie médicale établies ont été respectées.
L'intéret public
Si le procureur de la Couronne détermine qu'il y a une forte probabilité d'obtenir la condamnation, il doit aussi être convaincu que l'intérêt public exige des poursuites. Pour déterminer l'intérêt public, les facteurs à prendre en compte englobent, entre autres, les facteurs exposés dans la politique générale en matière d'inculpation ainsi que les facteurs suivants :
1. L'importance de promouvoir des normes déontologiques et professionnelles appropriées au sein des professions de la santé;
2. L'intérêt de la société à protéger les personnes vulnérables; et
3. L'intérêt de la société à protéger le caractère sacré de la vie humaine, sans qu'il soit pour autant nécessaire de prolonger la vie à tout prix.
2. Guide à l'intention des procureurs de la Couronne: contrôle de la qualité approbation de l'inculpation, province de Colombie-Britannique, ministère du Procureur général, Direction de la justice pénale (Politique 2-26-91, dossier 55100-00)
L'article 504 du Code criminel permet à quiconque de faire devant un juge de paix une dénonciation d'infraction criminelle et oblige le juge à la recevoir. En Colombie-Britannique, le ministère du Procureur général a depuis longtemps pour règle d'examiner toutes les allégations de conduite criminelle et d'appliquer une seule et même norme avant d'approuver les accusations et de faire une dénonciation. Cette procédure d'approbation a reçu l'agrément de la Justice Reform Commission et de la Discretion to Prosecute Inquiry.
La norme et la procédure à suivre en matière d'inculpation sont exposées ci-dessous. Les dénonciations qui sont faites sans l'approbation préalable du procureur de la Couronne relèvent de la politique en matière de poursuites privées (voir PRI 1).
A. Norme en matière d'inculpation
On examine les allégations afin de déterminer s'il y a une forte probabilité d'obtenir la condamnation et, dans l'affirmative, si l'intérêt public exige la poursuite de l'accusé.
1. Forte probabilité d'obtenir la condamnation
Au moment de décider s'il convient de porter une accusation, le procureur de la Couronne doit d'abord conclure qu'il y aura probablement condamnation après examen de tous les éléments pertinents, y compris la preuve, la défense prévue et le droit applicable. Par une forte probabilité d'obtenir la condamnation, il faut entendre beaucoup plus qu'une présomption, mais beaucoup moins qu'une certitude à peu près totale.
Pendant le processus d'approbation de l'inculpation, le procureur de la Couronne n'a pas la possibilité de soumettre des témoins de la Couronne à un interrogatoire ou à un contre-interrogatoire. Il n'a pas non plus la possibilité d'entendre les témoins de la défense, s'il y en a. Au cours du procès comme tel, la position de la Couronne peut s'avérer plus solide ou plus faible que le procureur de la Couronne ne l'a d'abord cru à l'étape de l'approbation de l'inculpation. C'est pourquoi celui-ci doit faire preuve de souplesse lorsqu'il cherche à établir s'il y a une forte probabilité d'obtenir la condamnation, compte tenu que plus l'allégation est grave, plus la justice a intérêt à soutenir des accusations prouvables.
2. L'intérêt public
Le procureur doit ensuite décider si l'intérêt public exige la poursuite. Pour déterminer l'intérêt public, voici les facteurs à prendre en compte :
a) la nature et la gravité des allégations;
b) le tort causé à la victime, le cas échéant;
c) la situation personnelle de l'accusé, y compris son casier judiciaire;
d) la probabilité d'obtenir le résultat souhaité sans engager de poursuite, y compris une évaluation des solutions de rechange à la poursuite;
e) le coût de la poursuite comparé à l'avantage que la société en tirera. Il faut alors déterminer, entre autres, dans quelle mesure l'infraction (par opposition au contrevenant) pose à la collectivité un problème qui ne peut être réglé autrement.
En matière de détermination de l'intérêt public, on ne peut imposer de règles strictes et il faut absolument faire preuve de souplesse au niveau local si l'on veut que le ministère puisse répondre aux préoccupations légitimes de chaque collectivité.
B. L'application de la norme en matière d'inculpation
Pour que le procureur puisse appliquer correctement la norme en matière d'inculpation, le Report to Crown Counsel (RTCC) doit contenir une déclaration exacte et détaillée de la preuve. Voici les éléments obligatoires d'un RTCC :
a) une description complète de la preuve à l'appui de chaque élément de la ou des accusations envisagées;
b) lorsqu'il faut obtenir le témoignage d'un civil pour prouver un élément essentiel de l'accusation (sauf en cas d'infraction mineure), une copie de la déclaration écrite de cette personne;
c) les listes de contrôle de la preuve nécessaires;
d) une copie de tous les documents nécessaires pour prouver la ou les accusations;
e) un résumé détaillé ou une copie écrite de la ou des déclarations de l'accusé;
f) le casier judiciaire de l'accusé (le cas échéant).
Il peut arriver que le RTCC ne soit pas conforme aux normes de contrôle de la qualité. Il faut alors le renvoyer à l'enquêteur avec une demande de renseignements supplémentaires avant d'approuver l'inculpation. Si l'accusé est en détention, la Couronne ne devrait pas chercher à l'y maintenir à moins d'obtenir de la police des documents suffisants pour justifier à la fois l'inculpation et la détention.
Si l'infraction est grave et que la preuve est suffisante pour inculper l'accusé en détention, mais que l'information est insuffisante pour arrêter la position de la Couronne sur la mise en liberté, on peut invoquer l'article 516 pour ajourner les procédures de justification. Il faudrait recourir à cette mesure seulement lorsqu'il semble nécessaire de protéger le public.
Au moment d'appliquer la norme en matière d'inculpation, le procureur de la Couronne doit s'acquitter des obligations suivantes :
(i) prendre la décision dans les meilleurs délais;
(ii) enregistrer les raisons de la décision;
(iii) lorsqu'il y a lieu, communiquer avec les intéressés, y compris la police, pour s'assurer qu'ils comprennent bien les raisons de la décision.
Annexe J
Dispositions législatives concernant les directives préalables au Canada
Ontario
Projet de loi 109, Loi concernant le consentement au traitement , projet de loi 108, Loi prévoyant la prise de décisions au nom d'adultes en ce qui concerne la gestion de leurs biens et le soin de leur personne, projet de loi 74, Loi concernant la prestation de services d'intervention en faveur des personnes vulnérables, et projet de loi 110, Loi modifiant des lois en ce qui concerne le consentement et la capacité , deuxième session, 35e législature, 1992. Dispositions adoptées et proclamées.
Québec
Loi sur le curateur public, LRQ, 1989, c. 54, Code civil du Québec, LRQ, c. 64, 1991, 10-34.
Nouvelle-Écosse
Medical Consent Act, RSNS, 1988, c. 14, dans RSNS 1989, c. 279. Dispositions adoptées et proclamées.
Nouveau-Brunswick
Aucune loi adoptée, mais un comité a fait rapport au ministre de la Justice concernant l'établissement et la mise en application de directives préalables. Le ministre va étudier le rapport et déterminer s'il y a lieu d'adopter un texte de loi.
Manitoba
Projet de loi 73, Loi sur les directives en matière de soins de santé, LM 1992, c. 33. Ch. 27 de la Codification permanente des lois du Manitoba.
Colombie-Britannique
Representation Agreement Act, S.B.C. 1993, c.67 (projet de loi 48), conjointement avec Adult Guardianship Act, S.B.C. 1993, c. 35 (projet de loi 49); Public Guardian and Trustee Act, S.B.C. 1993, c.64 (projet de loi 50), et Health Care (Consent) and Care Facility (Admission) Act, S.B.C. 1993, c.48 (projet de loi 51). Dispositions adoptées mais non proclamées.
Île-du-Prince-Édouard
Aucune disposition existante ni envisagée.
Saskatchewan
Aucune disposition existante ni envisagée.
Alberta
Projet de loi 58, Advance Directives Act, rayé du Feuilleton lorsque la session législative a pris fin en novembre 1994. Le ministre de la Santé est en train de recevoir et d'analyser les commentaires du public par suite d'un document de discussion sur les directives préalables.
Terre-Neuve
Projet de loi 41, An Act Respecting Advance Health Care Directives and the Appointment of Substitute Health Care Decision Makers, rayé du Feuilleton lorsque la session législative a pris fin en mars 1995. Présenté de nouveau en tant que projet de loi 1, An Act Respecting Advance Health Care Directives and the Appointment of Substitute Health Care Decision Makers. Première lecture le 16 mars 1995; le projet de loi sera bientôt étudié en comité.
Territoires du <R>Nord-Ouest
Aucune disposition législative visant directement la question n'existe ou n'est envisagée. Cependant, le ministère de la Santé fait établir des normes et procédures concernant les «directives préalables de traitement» à l'intention des responsables des programmes coordonnés de soins à domicile et des programmes de soins de longue durée en établissement.
Yukon
Aucune disposition existante ni envisagée.
Annexe K
Sources de modèles de directives
Québec
Mon Mandat en cas d'inaptitude<R>Le Curateur public du Québec<R>Les Publications du Québec<R>1279 ouest, boul. Charest<R>Québec (Québec)<R>G1N 4K7
Ontario
Publications Ontario (pour des exemplaires de la Loi sur le consentement au traitement)<R>880, rue Bay <R>Toronto (Ontario)<R>M7A 1N8<R>(416) 326-5300<R>Sans frais, en Ontario: 1-800-668-9938
(Pour des renseignements concernant la Loi sur le consentement au traitement)<R>Centre d'information-santé<R>Ministère de la Santé <R>2195, rue Yonge, 6e étage<R>Toronto (Ontario)<R>M4S 2B2<R>Téléphone : (416) 327-7730<R>Sans frais en Ontario : 1-800-461-2036<R>ATS/téléimprimeur : 1-800-387-5559<R>Télécopieur : (416) 314-8721
(Pour des renseignements concernant la Loi sur la prise de décisions au nom d'autrui)<R>Bureau du curateur public<R>Ministère du Procureur général<R>145, rue Queen ouest, 6e étage<R>Toronto (Ontario)<R>M5H 2N8<R>Téléphone : (416) 314-2989<R>ATS/téléimprimeur : (416) 314-2687<R>Télécopieur : (416) 314-6190
(Pour des renseignements concernant la Loi sur l'intervention) <R>Ministère des Affaires civiques<R>700, rue Bay, bureau 204<R>Toronto (Ontario)<R>M5G 1Z6<R>Téléphone : (416) 314-8910<R>Sans frais en Ontario : 1-800-665-9092<R>ATS/téléimprimeur : (416) 314-9018<R>Télécopieur : (416) 314-8935
Nouvelle-Écosse
Office of the Legal Counsel<R>Department of Health<R>Box 488 <R>Halifax (Nouvelle-Écosse)<R>B3J 2R8<R>Téléphone : (902) 424-7729<R>Télécopieur : (902) 424-0719
Manitoba
Analyste législatif <R>Santé Manitoba<R>201-800, avenue Portage <R>Winnipeg (Manitoba)<R>R3G 0N4<R>Téléphone : (204) 945-5835<R>Télécopieur : (204) 945-1020
Colombie-Britannique
Ministry of the Attorney-General<R>609, rue Broughton<R>Victoria (Colombie-Britannique)<R>V8V 1X4
Minister of Health and Minister Responsible for Seniors<R>1515, rue Blanshard<R>Victoria (Colombie-Britannique)<R>V8V 3C8
Annexe L
Résumés de quelques décisions de tribunaux canadiens
Rodriguez c. Colombie-Britannique (procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519
L'appelante, Sue Rodriguez, mère de famille de 42 ans, est atteinte de sclérose latérale amyotrophique. Son état se détériore rapidement et bientôt elle sera incapable d'avaler, de parler, de marcher et de bouger sans aide. Elle perdra ensuite la capacité de respirer sans respirateur, de manger sans subir de gastrotomie et sera finalement alitée en permanence. Son expectative de survie se situe entre 2 et 14 mois. L'appelante ne souhaite pas mourir tant qu'elle peut encore jouir de la vie mais demande qu'un médecin qualifié soit autorisé à mettre en place des moyens technologiques qu'elle pourrait utiliser, quand elle perdra la capacité de jouir de la vie, pour se donner elle-même la mort au moment qu'elle choisirait. L' appelante a demandé à la Cour suprême de la Colombie-Britannique une ordonnance déclarant que l'al. 241b) du Code criminel, qui interdit l'aide au suicide, est invalide pour le motif qu'il porte atteinte à ses droits garantis par les articles 7, 12 et 15(1) de la Charte et donc inopérant en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, dans la mesure où il interdit à un malade en phase terminale de se donner la mort avec l'aide d'un médecin. La cour a rejeté la demande de l'appelante et la Cour d'appel, à la majorité, a confirmé sa décision.
Arrêt (le juge en chef Lamer et les juges L'Heureux-Dubé, Cory et McLachlin sont dissidents): L'appel est rejeté. L'alinéa 241b) du Code est constitutionnel.
Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Iacobucci et Major: L'appelante fonde son argumentation concernant l'art. 7 de la Charte sur la violation de ses droits à la liberté et à la sécurité de la personne. On ne peut dissocier ces droits du principe du caractère sacré de la vie, qui est la troisième valeur protégée par l'art. 7. Même lorsque la mort paraît imminente, chercher à contrôler le moment et la façon de mourir constitue un choix conscient de la mort plutôt que la vie. C'est pourquoi la vie, comme valeur, entre en jeu en l'espèce. Le droit de l'appelante à la sécurité de sa personne doit être examiné en fonction des autres valeurs mentionnées à l'art. 7. La sécurité de la personne selon l'art. 7 englobe des notions d'autonomie personnelle (du moins en ce qui concerne le droit de faire des choix concernant sa propre personne), de contrôle sur son intégrité physique et mentale sans ingérence de l'État, et de dignité humaine fondamentale. L'interdiction prévue à l'al. 241b), qui présente un rapport suffisant avec le système de justice pour entraîner l'application des dispositions de l'art. 7, prive l'appelante de son autonomie personnelle et lui cause des douleurs physiques et une tension psychologique d'une façon qui porte atteinte à la sécurité de sa personne. Cependant, toute privation qui en résulte n'est pas contraire aux principes de justice fondamentale. La conclusion est la même à l'égard de tout intérêt en matière de liberté qui peut entrer en jeu.
L'expression «principes de justice fondamentale» à l'art. 7 de la Charte implique un certain consensus quant à leur caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société. Ils doivent pouvoir être identifiés avec une certaine précision et appliqués à des situations d'une manière qui engendre un résultat compréhensible. Ils doivent également être des principes juridiques. Pour définir les principes de justice fondamentale qui régissent un cas particulier, il est utile de se reporter à la common law et à l'historique législatif de l'infraction en cause et, en particulier, à la raison d'être de la pratique (en l'espèce, le maintien de la criminalisation de l'aide au suicide) et les principes qui la sous-tendent. Il y a lieu également de considérer l'intérêt de l'État. La justice fondamentale exige la pondération équitable des intérêts de l'État et de ceux de l'individu. Le respect de la dignité humaine est l'un des principes sur lesquels repose notre société, mais n'est pas un principe de justice fondamentale au sens de l'art. 7.
L'aide au suicide, prohibée en common law, a été interdite par le Parlement dès l'adoption du premier Code criminel du Canada. L'interdiction générale établie de longue date, prévue à l'al. 241 b), et qui répond à l'objectif du gouvernement de protéger la personne vulnérable, est fondée sur l'intérêt de l'État à la protection de la vie et traduit la politique de l'État suivant laquelle on ne devrait pas dévaloriser la vie humaine en permettant d'ôter la vie. Cette politique de l'État fait partie de notre conception fondamentale du caractère sacré de la vie. Une interdiction générale de l'aide au suicide semblable à celle de l'al. 241b) semble aussi être la norme au sein des démocraties occidentales et ce genre d'interdiction n'a jamais été jugée inconstitutionnelle ou contraire aux droits fondamentaux de la personne. Ces pays, dont le Canada, reconnaissent et, en général, appliquent le principe du caractère sacré de la vie sous réserve d'exceptions restreintes dans les cas où les notions d'autonomie personnelle et de dignité doivent prévaloir. On y a maintenu la distinction entre les formes passive et active d'intervention dans le processus de la mort et, avec très peu d'exceptions, l'interdiction de l'aide au suicide dans des cas qui s'apparentent à celui de l'appelante. On ne peut conclure à l'existence d'un consensus en faveur de la décriminalisation du suicide assisté. S'il se dégage un consensus, c'est celui que la vie humaine doit être respectée. Ce consensus trouve son expression juridique dans notre système de droit qui interdit la peine capitale. L'interdiction de l'aide au suicide sert un objectif semblable. La suppression par le Parlement de l'infraction de tentative de suicide n'était pas la reconnaissance que le suicide devait être accepté dans la société canadienne, mais plutôt la reconnaissance que le droit criminel n'était pas un moyen efficace et approprié de traiter la question des tentatives de suicide. Compte tenu des craintes d'abus et de la grande difficulté à élaborer des garanties adéquates, l'interdiction générale de l'aide au suicide n'est ni arbitraire ni injuste. L'interdiction est liée à l'intérêt de l'État à la protection des personnes vulnérables et reflète des valeurs fondamentales véhiculées dans notre société. L'alinéa 241b) ne porte donc pas atteinte à l'art. 7 de la Charte
L'alinéa 241b) du Code ne porte pas atteinte non plus à l'art. 12 de la <F14MI>Charte<W1>. L'appelante n'est pas soumise par l'État à une forme quelconque de peine ou traitement cruels ou inusités. À supposer même que le «traitement» au sens de l'art. 12 puisse inclure ce qui est imposé par l'État dans un contexte autre que pénal ou quasi pénal, la simple prohibition imposée par l'État à l'égard d'une certaine action ne peut constituer un «traitement» au sens de l'art. 12. II faut la mise en oeuvre d'un processus étatique plus actif, comportant l'exercice d'un contrôle de l'État sur l'individu, que ce soit une action positive, une inaction ou une interdiction. Soutenir, sans que l'appelante soit de quelque façon soumise au système administratif ou judiciaire de l'État, que l'interdiction prévue à l'al. 241<F255MI>b) relève de l'art. 12, fausserait le sens ordinaire de l'expression «contre tous traitements» imposés par l')?pénal, la simple prohibition imposée par l'État à l'égard d'une certaine action ne peut constituer un «traitement» au sens de l'art. 12. II faut la mise en oeuvre d'un processus étatique plus actif, comportant l'exercice d'un contrôle de l'État sur l'individu, que ce soit une action positive, une inaction ou une interdiction. Soutenir, sans que l'appelante soit de quelque façon soumise au système administratif ou judiciaire de l'État, que l'interdiction prévue à l'al. 241<F255MI>b) relève de l'art. 12, fausserait le sens ordinaire de l'expression «contre tous traitements» imposés par l'État
II est préférable en l'espèce de ne pas trancher les questions importantes et délicates soulevées par l'application de l'art. 15 de la <F14P11MIC1>Charte<W1> et de présumer plutôt que l'interdiction de l'aide au suicide par l'al. 241<F255P255MIC255>b) du Code viole l'art. 15, puisque la violation, s'il en est, est clairement justifiée en vertu de l'article premier de la <F14MI>Charte. <F255D>L'alinéa 241b) est fondé sur un objectif législatif urgent et réel et répond aux exigences de la proportionnalité. L'interdiction de l'aide au suicide a un lien rationnel avec l'objectif de l'al. 241b) qui est de protéger et préserver le respect de la vie humaine. Cette protection trouve son fondement dans un consensus important, dans les pays occidentaux, dans les organisations médicales et chez notre propre Commission de réforme du droit, sur l'opinion que le meilleur moyen de protéger efficacement la vie et les personnes vulnérables de la société est d'interdire, sans exception, l'aide au suicide. Les tentatives faites pour modifier cette approche par l'introduction d'exceptions ou la formulation de garanties destinées à prévenir les abus n'ont pas donné de résultats satisfaisants. L'alinéa 241b) n'a pas une portée excessive car il n'y a pas de demi-mesure qui permettrait de garantir la pleine réalisation de l'objectif poursuivi par la loi. Le Parlement doit disposer d'une certaine marge de manoeuvre pour régler cette question «controversée» et «chargée d'éléments moraux». Compte tenu du large appui que reçoit l'al. 241b) ou ce type de disposition, le gouvernement était raisonnablement fondé à conclure qu'il s'était conformé à l'exigence de l'atteinte minimale. Enfin, l'équilibre entre la restriction et l'objectif gouvernemental est également respecté.
Les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin (dissidentes): L'alinéa 241b) du Code viole le droit à la sécurité de la personne garanti par l'art. 7 de la <F14MI>Charte. <F255D>Ce droit comporte un élément d'autonomie personnelle, qui protège la dignité et la vie privée des personnes à l'égard de décisions relatives à leur propre corps. Un régime législatif qui restreint le droit d'une personne de disposer de son corps comme elle le veut peut violer les principes de justice fondamentale en vertu de l'art. 7 si la restriction est arbitraire. Une restriction donnée est arbitraire si elle n'a aucun lien, ou est incompatible, avec l'objectif visé par la loi. Lorsqu'il faut déterminer si une loi enfreint les principes de justice fondamentale au sens de l'art. 7 en raison de son caractère arbitraire, l'analyse est axée sur la question de savoir si le régime législatif viole les intérêts protégés d'une personne donnée d'une façon qui n'est pas justifiée par l'objectif de ce régime. Les principes de justice fondamentale exigent que chacun, pris individuellement, soit traité équitablement par la loi. La crainte d'abus possibles si on permet à un individu ce qui lui est refusé à tort, n'est aucunement pertinent à l'étape de l'art. 7. La pondération des intérêts de la société et des intérêts de l'individu devrait se faire dans le cadre de l'analyse de l'article premier. En l'espèce, le Parlement a mis en vigueur un régime législatif qui légalise le suicide et rend illégal le suicide assisté. Cette distinction a pour effet de refuser à certaines personnes le choix de mettre fin à leur vie pour la seule raison qu'elles en sont physiquement incapables, les empêchant d'exercer sur leur personne l'autonomie dont jouissent les autres. Le fait de priver une personne du pouvoir de mettre fin à sa propre vie est arbitraire et équivaut donc à une restriction de son droit à la sécurité de sa personne qui est incompatible avec les principes de justice fondamentale.
L'alinéa 241b) du Code n'est pas justifié en vertu de l'article premier de la <F14MI>Charte. <F255D>L'objectif pratique de l'al. 241b) est d'éliminer la crainte d'abus du suicide assisté légalisé qui entraîneraient la mort de personnes qui n'ont pas véritablement ni librement consenti à la mort. Cependant, ni la crainte qu'à moins de l'interdire, le suicide assisté soit utilisé pour des meurtres, ni la crainte que le consentement à la mort ne soit pas volontaire, ne suffisent pour l'emporter sur le droit de l'appelante, en vertu de l'art. 7, de mettre fin à sa vie de 1a façon et au moment de son choix. Les garanties offertes par les dispositions actuelles du Code criminel répondent amplement aux craintes relatives au consentement. Ces dispositions du Code accompagnées, par le biais d'une réparation, d'une condition exigeant que l'aide au suicide soit autorisée par ordonnance d'un tribunal, quand le juge est convaincu que le consentement est donné librement, garantiront que seuls ceux qui souhaitent véritablement mettre fin à leur vie obtiennent l'aide.
L'article 15 de la <F14MI>Charte <F255D>ne s'applique pas en l'espèce. La présente affaire ne concerne pas une discrimination et la traiter comme telle pourrait détourner la jurisprudence relative à l'égalité de l'objet véritable de l'art. 15.
Bien que certaines conditions énoncées par le juge en chef Lamer ne soient pas nécessaires en l'espèce, la réparation qu'il propose est acceptée pour l'essentiel. Les exigences varieront selon les cas. L'essentiel dans tous les cas est que le juge soit convaincu que lorsque le suicide assisté a lieu, s'il a lieu, ce sera avec le consentement libre et entier du requérant.
Le juge en chef Lamer (dissident): L'alinéa. 241b) du Code porte atteinte au droit à l'égalité prévu au par. 15(1) de la <F14MI>Charte. <F255D>Bien qu'apparemment neutre, à première vue, l'al. 241b) a pour effet de créer une inégalité puisqu'il empêche des personnes physiquement incapables de mettre fin à leur vie sans aide de choisir le suicide sans contrevenir à la loi, alors que cette option est en principe ouverte au reste de la population. Cette inégalité la privation du droit de choisir le suicide peut être qualifiée de fardeau ou de désavantage, puisqu'elle limite la capacité des personnes qui en sont victimes de prendre et de mettre en oeuvre des décisions fondamentales concernant leur vie et leur personne. Pour elles, les principes d'autodétermination et d'autonomie, qui ont une importance fondamentale dans notre système de droit, ont été limités. Cette inégalité est imposée à des personnes incapables de mettre fin à leur vie sans assistance, en raison d'une déficience physique, une caractéristique personnelle qui figure parmi les motifs de discrimination énumérés au par. 15(1).
L'alinéa 241b) du Code n'est pas justifiable en vertu de l'article premier. Bien que la protection de personnes vulnérables contre les pressions ou la contrainte visant à les amener à se donner la mort soit un objectif suffisamment important pour l'emporter sur un droit constitutionnel, l'al. 241b) ne satisfait pas au critère de la proportionnalité. L'interdiction de l'aide au suicide a un lien rationnel avec l'objectif législatif mais les moyens choisis pour le mettre en oeuvre ne portent pas aussi peu que raisonnablement possible atteinte aux droits de l'appelante à l'égalité. Les personnes vulnérables sont effectivement protégées par l'al. 241b), mais cette disposition a une portée excessive. Celles qui ne sont pas vulnérables, qui ne souhaitent pas la protection de l'État, sont aussi soumises à l'application de l'al. 241b) uniquement en raison de déficiences physiques. Une prohibition absolue, qui ne tient pas compte de l'individu ou des circonstances, ne peut satisfaire à l'obligation constitutionnelle du gouvernement de porter atteinte aussi peu que raisonnablement possible aux droits des personnes souffrant de déficiences physiques. La crainte que la décriminalisation de l'aide au suicide accentue le risque que des handicapés physiques soient manipulés par d'autres personnes ne justifie pas la portée excessive de l'al. 241b).
Vu les conclusions relatives au par. 15(1), il n'est pas nécessaire de traiter de la constitutionnalité de la disposition dans le cadre des art. 7 et 12 de la <F14P11MIC1>Charte<W1>.
En vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, l'al. 241b) est déclaré inopérant, à la condition que l'effet de la présente déclaration soit suspendu pendant un an à compter de la date du jugement, pour donner au Parlement le temps de déterminer, le cas échéant, la nature de la disposition qui devrait remplacer l'al. 241b). Bien qu'une réparation individuelle en vertu du par. 24(1) de la <F14MI>Charte <F255D>soit rarement accordée en corrélation avec une action intentée en vertu du par. 52(1), il y a lieu en l'espèce d'accorder à l'appelante, sous réserve de certaines conditions expresses, une exemption constitutionnelle de l'application de l'al. 241b) pendant la période de suspension. Une exemption constitutionnelle ne peut être accordée que pendant la période de suspension d'une déclaration d'invalidité. Pendant la suspension d'un an, l'exemption est également accordée à toutes les personnes qui sont ou seront physiquement incapables de se donner la mort sans assistance et dont les droits à l'égalité sont violés par l'al. 241b). Cette exemption peut être accordée par voie de requête à une cour supérieure si les conditions énumérées, ou des conditions similaires adaptées aux circonstances des cas particuliers, sont satisfaites.
Le juge Cory (dissident): Principalement pour les motifs avancés par le juge en chef Lamer et le juge McLachlin, l'al. 241b) du Code viole l'art. 7 et le par. 15(1) de la <F14MI>Charte <F255D>et n'est pas justifiable en vertu de l'article premier.
L'article 7 de la <F14MI>Charte, <F255D>qui accorde aux Canadiens le droit constitutionnel à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, est une disposition qui met l'accent sur la dignité inhérente à l'existence humaine. La mort fait partie intégrante de la vie, alors la mort comme étape de la vie a droit à la protection constitutionnelle prévue par l'art. 7. Il s'ensuit que le droit de mourir avec dignité devrait être aussi bien protégé que n'importe quel autre aspect du droit à la vie. Des interdictions édictées par l'État, qui imposeraient une mort atroce et douloureuse à un malade en phase terminale handicapé et lucide, constitueraient une insulte à la dignité humaine.
Il n'y a aucune différence entre permettre à un malade sain d'esprit de choisir de mourir avec dignité en refusant un traitement et permettre à un malade sain d'esprit mais en phase terminale de choisir de mourir avec dignité en arrêtant le traitement qui lui permet de survivre, même si, du fait de son incapacité physique, cette mesure doit matériellement être prise par quelqu'un d'autre selon ses instructions. De même, il n'y a aucune raison de ne pas permettre aussi qu'un malade en phase terminale et sur le point de mourir puisse mettre fin à ses jours par l'intermédiaire de quelqu'un d'autre. Puisque le droit de choisir la mort est offert aux malades qui ne sont pas physiquement handicapés, il n'y a aucune raison de refuser ce choix à ceux qui le sont. Ce choix, pour un malade en phase terminale, serait assujetti à certaines conditions. Ces conditions étant fixées, l'art. 7 de la <F14MI>Charte <F255D>peut être appliqué pour permettre à un tribunal d'accorder le redressement proposé par le juge en chef Lamer.
Le paragraphe 15(1) de la <F14MI>Charte <F255D>peut être appliqué également pour accorder le même redressement au moins aux malades handicapés en phase terminale.
Nancy B. c. Hôtel-Dieu de Québec, [1992] R.J.Q. 361 à 367 (C. S.)
La demanderesse, qui est âgée de 25 ans, est atteinte de paralysie motrice causée par le syndrome de Guillain-Barré, ce qui la confine à un lit d'hôpital. Il y a près de deux ans et demi, on a dû procéder à une intubation et la brancher sur un respirateur. Ce traitement de soutien respiratoire est essentiel à sa vie. La demanderesse, dont les facultés intellectuelles sont intactes, a été informée de l'irréversibilité de sa maladie et elle demande que le traitement de soutien respiratoire soit interrompu.
En vertu de l'article 19.1 C.C., nul ne peut être soumis à des soins sans son consentement. Le législateur inclut dans le mot «soins» un examen, un prélèvement, un traitement ainsi que toute autre intervention. La terminologie utilisée à l'article 19.1 C.C. est donc assez large pour comprendre la technique qui consiste à brancher une personne sur un respirateur. Les tribunaux ont par ailleurs précisé que le consentement du patient devait être libre et éclairé. Nos lois civiles permettent donc à la demanderesse d'exiger la cessation du traitement de soutien respiratoire qu'on lui administre. Toutefois, il faut également considérer les dispositions au Code criminel. L'article 217 C. Cr., qui prévoit que celui qui entreprend l'accomplissement d'un acte ne peut l'interrompre si une vie humaine est mise en danger, doit être lu conjointement avec les articles 45 et 219 C. Cr. afin de lui donner un sens plus logique. L'interprétation qui en résulte ne permet pas de qualifier de déraisonnable ou d'insouciante et de déréglée la conduite d'un médecin qui interrompt le traitement de soutien respiratoire de son patient pour permettre à la nature de suivre son cours. La personne qui ferait cesser un tel traitement ne commettrait en aucune façon une quelconque forme d'homicide ou d'aide au suicide. Si le décès de la demanderesse devait survenir, ce ne serait que le fait de la nature.
R. c. Brush entre Sa Majesté la Reine et Jean Brush [1995] O.J. no 656, Cour de Justice de l'Ontario (Division provinciale), Hamilton (Ontario), le juge Zabel de la Cour provinciale, le 2 mars 1995
ACCUSATION : Le 13 février 1995, Jean Brush a inscrit un plaidoyer de culpabilité relativement à l'accusation suivante : «d'avoir, le 18e jour du mois d'août 1994 ou vers cette date, en la Cité de Hamilton, dans ladite région, illégalement tué Cecil Brush commettant ainsi un homicide involontaire coupable, contrairement aux dispositions de l'article 234 du Code criminel.»
En déterminant la peine aujourd'hui, le tribunal a examiné notamment les circonstances tragiques qui ont mené aux événements du 18 août 1994. Jean Brush est née le 20 janvier 1914, et Cecil Brush est né le 30 juillet 1913. Ils se sont mariés le 6 juin 1936. M. Brush était âgé de quatre-vingt-un ans au moment de son décès et Mme Brush a aujourd'hui quatre-vingt-un ans.
Les Brush ont été mariés pendant près de cinquante-huit ans, et ils ont une fille. Cecil Brush a travaillé chez Dofasco pendant quarante-trois ans avant de prendre sa retraite au début des années 1970. Ils ont vécu ensemble dans la même maison de Stoney Creek pendant quarante-trois ans. Au dire de tous, les Brush s'aimaient beaucoup et formaient un couple très heureux; ils étaient inséparables et profitaient de leurs années de retraite.
Malheureusement, la santé de Cecil Brush a commencé à se détériorer. Sa vue a faibli; selon le diagnostic posé par les médecins, il souffrait de la maladie d'Alzheimer et de la dépression qui s'en suit. Mme Brush avait de plus en plus de difficulté à s'occuper de son mari dont la personnalité avait beaucoup changé à cause de sa maladie; il avait des hallucinations.
[...]
La transformation traumatisante de la vie par ailleurs paisible des Brush est décrite, en termes éloquents, dans le rapport du Dr Bartolucci, psychiatre, rapport qui a été déposé en preuve en l'espèce. Le rapport du médecin établit notamment que :
[...]
«Les époux ont discuté de la possibilité de mourir ensemble et ceci, après sa première admission. M. Brush a souvent supplié sa femme de faire quelque chose mais, au cours de la conversation, il lui a révélé qu'il voulait tout simplement s'endormir et ne plus se réveiller.»
«Huit somnifères étaient à portée de la main; Mme Brush lui a demandé s'il voulait les prendre et il les a avalés. Mme Brush s'est sentie obligée de l'imiter et elle a avalé vingt-huit somnifères plus un peu de whisky puisqu'elle était convaincue qu'avec l'alcool, les cachets seraient plus efficaces. Elle et son mari se sont allongés et elle s'est réveillée à l'hôpital où elle a été soulagée d'apprendre qu'elle n'était pas seule à avoir survécu et que son mari était également vivant.»
Il ressort clairement des faits présentés en l'instance que tant Jean que Cecil Brush étaient de plus en plus découragés de la détérioration de l'état de santé de Cecil Brush. Elle avait donc perdu beaucoup de poids avant juillet 1994 à cause des soins dont son mari avait de plus en plus besoin et de la dépression qu'elle et son mari vivaient à cause de son état.
En juin 1994, Cecil Brush a été admis au Stoney Creek Life Care Retirement Centre pour une semaine, mais il a obtenu la permission de rentrer chez lui à Stoney Creek pour être confié aux soins de sa femme. Le 3 août 1994, Cecil Brush a été placé au Clarion Nursing Home de Stoney Creek pour un mois. Durant cette période, on a tenté de trouver un établissement qui s'occuperait de M. Brush à plus long terme.
Le 18 août 1994, vers 11 h 15, Jean Brush s'est rendue à la maison de santé et a signé le formulaire de sortie avant d'emmener son mari déjeuner avec elle. Il devait revenir avant 14 h le même jour. Les voisins des Brush affirment avoir vu Jean et Cecil Brush arriver à leur domicile vers midi, le 18 août 1994.
Peu après 17 h, leur fille, Joan Myers, est arrivée au domicile de ses parents après son travail. Elle est montée à l'étage et a trouvé son père et sa mère allongés sur des couvertures disposées sur le plancher de la salle à manger. Elle a immédiatement appelé le service d'urgence et, peu après, le service d'incendie, les ambulanciers et la police sont arrivés sur les lieux.
Le premier agent de police est arrivé vers 17 h 20. Il a vu M. et Mme Brush allongés sur le plancher de la salle à manger. Jean Brush était allongée près de Cecil Brush et lui tenait la main.
Les ambulanciers s'occupaient de Jean Brush lorsque le premier agent de police est arrivé. L'agent a constaté que Cecil Brush avait une large plaie au milieu de l'abdomen juste en-dessous de la cage thoracique. Sa chemise avait été enroulée juste au-dessus de sa cage thoracique. L'officier a eu l'impression que Cecil Brush était décédé, alors que Jean Brush respirait encore et recevait des soins médicaux.
[...]
Jean Brush a avoué aux policiers avoir poignardé Cecil Brush elle-même et a reconnu l'arme utilisée. Selon l'avocat de la défense, Mme Brush aurait déclaré au procès qu'elle était allée chercher le couteau, que son mari tenait le couteau et s'était poignardé lui-même mais n'avait pas réussi,et qu'elle avait ensuite fait en sorte que les plaies fatales aient pu être infligées. Elle s'est poignardée cinq fois à l'abdomen et a été transportée au General Hospital où on a soigné ses blessures. Les médecins ont estimé qu'il n'y avait pas lieu de craindre pour sa vie.
La note de suicide qui a été trouvée a été déposée en preuve et se lit comme suit - il s'agit d'une note provenant du journal de Jean Brush et l'inscription mentionnée porte la date de la mort de Cecil Brush, soit le 18 août 1994, et je cite :
«Ma situation, comme celle de Cec, s'aggrave chaque jour et ne s'améliorera pas. Cec est aveugle et atteint de la maladie d'Alzheimer et nous vivons un cauchemar infernal. Nous avons vécu notre vie et elle doit finir avant que nous soyons dans un état végétatif. La profession médicale et les gouvernements ne veulent pas avoir recours à l'euthanasie ou au meurtre par compassion pour aider les personnes âgées et souffrantes à mettre fin à la torture et à l'agonie qu'elles endurent.»
«Les personnes dans les maisons d'hébergement, dans les ailes psychiatriques, qui sont mentalement et physiquement mortes mais qui respirent et qu'on garde en vie le plus longtemps possible. Pourquoi? Pourquoi? Des enfants handicapés, fortement handicapés qui souffrent d'incapacités mentales et physiques qu'on maintient en vie mais qui ne vivent pas vraiment.»
«Est-ce que la profession médicale et les gouvernements se préoccupent des répercussions sur les familles? Il semble que non.»
«La vie de Joan est chambardée et cela va s'empirer et il ne faut pas demander ce sacrifice à quiconque. Les familles doivent penser à leur propre vie. La vie des jeunes doit continuer.»
«Le Cec jeune, dynamique et plein de vie n'est plus. C'est un homme vidé, mort sans être enterré puisqu'il respire toujours.»
«Ma chère Joan. Quelle que soit la façon dont ça va arriver, ça va être un choc. Je ne peux plus laisser ton père souffrir. Je sais que je dois partir moi aussi. J'ai transféré le petit montant du compte de ton père au compte conjoint, mais Dana Kelly a besoin d'une copie de la procuration c'est-à-dire celle de ton père. Pourrais-tu la lui apporter quand tu auras le temps et l'occasion de le faire?»
«Nous t'aimons, ainsi que Karen et Shawn, de même que Michael qui fait partie de la famille.»
[...]
ANALYSE
L'article 236 du Code criminel du Canada prescrit la peine pour le crime d'homicide involontaire en ces termes :
«Quiconque commet un homicide involontaire coupable est coupable d'un acte criminel et passible de l'emprisonnement à perpétuité.»
Il n'y a aucune peine minimale prescrite pour cette infraction et les peines imposées par divers tribunaux ont varié de l'emprisonnement à perpétuité à la condamnation avec sursis dans un petit nombre d'affaires.
L'avocat de la défense demande à cette Cour de condamner l'accusée avec sursis et le procureur de la Couronne reconnaît que c'est le genre de peine qui s'impose compte tenu des circonstances de l'affaire.
En examinant la jurisprudence, j'ai trouvé plusieurs affaires dans lesquelles le tribunal a imposé une condamnation avec sursis mais aucune de ces affaires, qu'elle soit citée par les avocats ou examinée par moi-même, ne ressemble aux faits de l'espèce.
Les tribunaux ont élaboré plusieurs principes susceptibles de les aider en matière de détermination de la peine; il s'agit de l'effet de dissuasion en général et en particulier, la protection du public et la réadaptation de l'accusé. Les tribunaux tentent de pondérer tous ces principes en déterminant la peine.
La question qui se pose est celle de la peine qu'il convient d'imposer dans la présente affaire. Jean Brush a quatre-vingt-un ans. Elle a été un membre actif de la société toute sa vie et n'a jamais eu de démêlés avec la justice. À cause de circonstances indépendantes de sa volonté, elle se trouve maintenant condamnée d'avoir commis l'un des crimes les plus graves de notre Code criminel.
Les appels à l'aide du couple sont demeurés sans réponse et elle a participé à ce qu'on appelle un meurtre par compassion ou euthanasie dans une tentative désespérée de mettre fin à sa vie et à celle de son mari avec un peu de dignité et sans constituer un fardeau pour la société.
Le droit en vigueur au Canada permet le suicide mais interdit à quiconque d'aider quelqu'un à se suicider. La Cour suprême s'est penchée sur la question de l'aide au suicide dans l'affaire Rodriguez c. Colombie-Britannique (procureur général).
[...]
Les deux points de vue qui s'opposent dans le débat sur l'euthanasie présentent des arguments percutants et logiques; ces divergences ne peuvent être résolues par les tribunaux; il appartient au Parlement d'en décider. C'est au législateur de décider s'il y a lieu de modifier le droit en vigueur de sorte qu'une personne qui se trouve dans la même situation que Mme Brush puisse, à l'avenir, être à l'abri de toute sanction pénale.
PEINE : Considérant l'ensemble des éléments de preuve dont dispose le tribunal, je suis d'avis que cette affaire présente des circonstances exceptionnelles qui justifient l'imposition d'une mesure non privative de liberté. Il n'y a aucun doute dans mon esprit que, compte tenu des faits qui m'ont été soumis, il faut imposer la peine la moins sévère possible aux fins de la justice; la sécurité de la collectivité ne sera pas menacée par la présence de Mme Brush.
Je ne connais aucun principe applicable en matière de détermination de la peine qui pourrait m'inciter à incarcérer Jean Brush et peut-être à abréger sa vie. Elle a déjà souffert une peine beaucoup plus sévère que celle que pourrait lui imposer ce tribunal, savoir la perte d'un mari tendre et dévoué dans des circonstances tragiques et le traumatisme que lui a valu une poursuite pénale au vu et au su de tout le monde à cette étape de sa vie.
Je n'aggraverai pas cette situation tragique en incarcérant Jean Brush. Par conséquent, j'ai décidé de surseoir au prononcé de la sentence et de rendre une ordonnance de probation de dix-huit mois contre Jean Brush. L'ordonnance de probation contiendra les conditions habituelles prescrites par la loi, de même que les conditions supplémentaires suivantes :
Premièrement, elle doit se présenter immédiatement à un agent de probation comme le signifie l'ordonnance et, par la suite, observer ses directives. De plus, elle doit obtenir tous les soins médicaux prescrits par l'agent de probation et suivre toutes les directives de son médecin.
[ ... ]
Voilà la peine imposée par le tribunal à moins que les avocats aient quelque chose à ajouter.
Malette c. Shulman et al. Répertorié : Malette c. Shulman (C.A.Ont.) 72 O.R. (2d) 417 [1990] O.J.
La demanderesse a été grièvement blessée dans un accident automobile et elle a été transportée à l'hôpital, une des parties défenderesses, alors qu'elle était inconsciente. Un médecin, également partie défenderesse, du service d'urgence l'a examinée. Ce dernier a conclu qu'une transfusion sanguine était indiquée, mais une infirmière a découvert, dans le sac à main de la demanderesse, une carte précisant que cette dernière était témoin de Jéhovah et qu'elle refusait, en raison de ses croyances religieuses, toute transfusion sanguine peu importent les circonstances. Ayant conclu, à la lumière de la condition de la demanderesse, qu'une transfusion sanguine était nécessaire pour préserver la vie et la santé de cette dernière, le médecin défendeur a personnellement effectué les transfusions. En outre, il a par la suite refusé de suivre les instructions que lui donnait la fille de la demanderesse pour qu'on cesse les transfusions. Le médecin a estimé qu'il était de son devoir professionnel de pratiquer une transfusion sur sa patiente; il n'était pas convaincu que la carte reflétait toujours les opinions de cette dernière. La demanderesse s'est remise de l'accident et elle a intenté une action contre le médecin, l'hôpital, son cadre dirigeant et quatre infirmières au motif que la transfusion de sang constituait de la négligence et des actes de violence. Le juge de première instance a accordé à la demanderesse une somme de 20 000 $ à titre de dommages-intérêts pour actes de violence. Les parties défenderesses ont interjeté appel devant la Cour d'appel.
Arrêt : L'appel doit être rejeté.
La demanderesse a le droit de contrôler son propre corps. Le délit d'actes de violence protège le droit à la sécurité de son corps contre les actes physiques non voulus. N'importe quel contact non consensuel qui porte atteinte ou constitue une offense à la dignité légitime d'une personne peut faire l'objet d'une poursuite. Un adulte capable a généralement le droit de refuser un traitement précis ou l'ensemble des traitements, ou encore de choisir une forme de traitement différente. Il a cette liberté même si sa décision comporte des risques aussi sérieux que la mort et même si elle paraît erronée aux yeux du corps médical ou de la collectivité. Peu importe l'opinion du médecin, la décision finale de suivre ou non un traitement revient au patient. Bien que, dans le cas d'une urgence, le médecin puisse bénéficier de la protection découlant de la théorie de la nécessité lorsqu'il agit sans le consentement du patient, il ne peut, à sa guise, écarter les instructions préalables données par le patient. En l'occurrence, la demanderesse avait exprimé sa volonté de la seule façon possible.
Bien que l'intérêt de l'État dans la protection et la préservation des vies et de la santé de ses citoyens puisse prévaloir sur le droit d'une personne à l'autodétermination lorsqu'il s'agit d'éliminer un risque pour la santé de la collectivité, il n'empêche pas un adulte capable de refuser un traitement médical destiné à lui sauver la vie.
Le fait que le médecin n'a pas eu l'occasion d'offrir des conseils médicaux n'a pas pour effet d'annuler les instructions destinées à prévoir n'importe quelle situation où il n'est pas possible de donner des conseils. Quels que soient les doutes soulevés quant à la validité des instructions formulées sur la carte, les éléments de preuve présentés en l'espèce ne permettent pas de les étayer de manière rationnelle.
L'appel incident visant le rejet de l'action intentée contre l'hôpital et de l'ordonnance relative aux dépens doit être rejeté.
Cour suprême de la Nouvelle-Ecosse, Sa Majesté la Reine contre Cheryl Mae Myers et Michael William Power
Aux fins de l'article 655 du Code criminel, ce qui suit constitue l'exposé conjoint des faits :
- Layton Myers est né le 14 août 1925. Il a épousé Rita Myers le 13 janvier 1947. Trois enfants sont nés de leur union, soit Gary, Danny et Cheryl. Cheryl est la plus jeune des trois.
- En janvier 1991, Rita Myers, qui était atteinte du cancer du foie, a fait une rechute et a souffert durant de nombreux mois avant de mourir. Elle était hospitalisée avant son décès.
Des appareils la maintenaient artificiellement en vie. Lorsqu'on a diagnostiqué pour la première fois que Rita Myers était atteinte d'un cancer, Layton Myers, qui avait été débardeur pendant 36 ans, a arrêté de travailler afin de pouvoir rester à la maison avec sa femme.
3. Le 1er août 1991, après avoir consulté le médecin de Rita Myers, Layton Myers et Cheryl Myers ont décidé de débrancher les appareils qui maintenaient Rita en vie. Celle-ci est décédée le jour même.
4. Au cours de la maladie de Rita Myers, Cheryl Myers a passé beaucoup de temps avec son père. Pendant cette période, celui-ci a dit à sa fille que, s'il devenait malade comme Rita, il ne voudrait pas endurer les souffrances que celle-ci a connues. Il voulait conserver sa dignité.
5. Cheryl Myers est âgée de 36 ans. Elle a quitté l'école secondaire avant d'avoir terminé sa onzième année. Elle a travaillé comme fonctionnaire pendant cinq ans puis a laissé son emploi pour suivre des cours de perfectionnement. Elle est devenue mère célibataire en donnant naissance à son premier enfant, Candice, qui a maintenant dix ans. Michael Power est âgé de 35 ans; il a terminé ses études secondaires et a suivi, dans un collège communautaire de Moncton, au Nouveau-Brunswick, un cours sur l'entretien des avions. Il s'est marié à dix-neuf ans et est père de deux enfants, Matthew, onze ans, et Madonna, seize ans. Sa femme et lui se sont séparés il y a onze ans, et le jugement définitif de divorce a été rendu il y a trois ans. Michael Power assume seul la garde de ses deux enfants et il élève Matthew depuis qu'il est tout petit.
6. Michael Power et Cheryl Myers se sont rencontrés en octobre 1990 et ont commencé peu après à vivre ensemble. Cheryl Myers est devenue enceinte à l'époque où elle prenait soin de sa mère malade, et elle a donné naissance à Jessica le 25 février 1992. Michael Power et Cheryl Myers vivent actuellement en union de fait, avec les quatre enfants, au 127 Herring Cove Road, Armdale.
7. Michael Power avait entretenu des relations cordiales avec Rita Myers. Layton Myers était un homme qui ne se confiait pas. Après le décès de Rita, Michael Power et lui sont devenus des amis intimes.
8. Vers le mois de décembre 1992, Layton Myers a commencé à se plaindre de douleurs au dos. À cette époque, il avait fait une mauvaise chute. Cheryl Myers et Michael Power l'ont convaincu de consulter son médecin de famille, le Dr Ernie Johnson. Layton Myers a subi des examens médicaux au Camphill Hospital et on a diagnostiqué qu'il était atteint du cancer du poumon. On ne lui donnait alors que trois mois à vivre. Cheryl Myers et Michael Power ont rencontré les médecins, et Michael Power a informé Layton Myers du pronostic. Ce dernier a refusé la chimiothérapie qu'on lui proposait parce qu'elle n'améliorerait pas sa qualité de vie au cours de la période qui lui restait à vivre.
9. Après avoir reçu la confirmation du diagnostic, Cheryl Myers a emménagé chez son père, au 20 Margate Drive, afin de prendre soin de lui. Michael Power se chargeait des travaux ménagers et rendait tous les jours visite à Layton Myers. Il aurait été possible d'obtenir de l'aide par l'intermédiaire du ministère des Anciens combattants, mais Layton Myers, sa fille et Michael Power ont décidé que ces deux derniers assumeraient eux-mêmes la tâche qui se présentait. Layton Myers se sentait des plus à l'aise avec eux. Après avoir refusé la chimiothérapie, Layton Myers a confié à Cheryl Myers qu'il ne voulait pas aller à l'hôpital pour y mourir comme Rita : il souhaitait rester à la maison. Il lui a expliqué qu'il ne voulait pas en arriver au point où il ne pourrait plus s'occuper de lui-même, ou encore au moment où il devrait porter des couches pour adultes. Cheryl Myers a répondu à son père qu'elle ne laisserait pas les choses s'aggraver à ce point et qu'elle prendrait soin de lui. Michael Power aurait été présent lors de cette conversation et y aurait participé.
10. Au cours des mois qui ont suivi, la santé de Layton Myers a commencé à se détériorer. Cheryl Myers et Michael Power devaient l'aider lorsqu'il allait à la salle de bains et devaient lui préparer des aliments particuliers qu'il était capable de bien digérer. Layton Myers avait perdu beaucoup de poids. On lui administrait de fortes doses de médicaments et il dormait énormément.
11. Pendant cette période, Layton Myers a répété à Cheryl Myers et à Michael Power qu'il souhaitait mourir à la maison. Il leur a demandé de l'aider à mourir lorsqu'il ne pourrait plus vivre de façon autonome. Ils ont accepté, bien qu'ils aient continué d'espérer que son état s'améliorerait d'une façon ou d'une autre.
12. Au cours de l'enquête menée par les policiers dans cette affaire, un cousin de Cheryl Myers a, de sa propre initiative, déclaré aux policiers que Layton Myers lui avait clairement fait part, à lui aussi, de son désir de mourir.
13. En avril 1993, Layton Myers était dans un état très grave. Il devait presque toujours garder le lit. Il était désormais obligé d'utiliser des couches pour adultes puisqu'il avait perdu la maîtrise de ses fonctions physiques. Michael Power a fréquemment aidé au changement de ces couches. Cette perte de maîtrise, ainsi que la perte de dignité qui en découlait, plaçait Layton Myers dans une situation très pénible et humiliante.
14. Cheryl Myers baignait et rasait régulièrement son père. Elle lui prodiguait des soins de qualité.
15. La perte de maîtrise de Layton Myers sur son corps allait en s'accentuant et, à la longue, Cheryl Myers n'a plus été en mesure, tant du point de vue physique qu'émotif, de lui donner seule les soins de base requis. Michael Power a alors emménagé dans la maison de Layton Myers, confiant à sa fille aînée la charge des plus jeunes enfants. Michael Power et Layton Myers ont passé beaucoup de temps ensemble. L'état de ce dernier empirait de jour en jour.
16. Le vendredi 14 mai 1993, Layton Myers respirait péniblement et souffrait beaucoup. Il n'avait rien mangé depuis le 11 mai 1993. Le matin du 14 mai 1993 aura été le dernier moment où il a reconnu Cheryl Myers et parlé à Michael Power, puisqu'il n'a pas repris connaissance après cette date.
17. Le samedi matin 15 mai 1993, Layton Myers n'avait plus conscience et souffrait énormément. Cheryl Myers et Michael Power ont appelé le Dr Johnson; comme il était à l'extérieur de la ville, le Dr Norman Pinsky, qui était alors de garde, s'est rendu au domicile de Layton Myers. Il a avisé Cheryl Myers et Michael Power que le décès de Layton Myers était imminent et devrait vraisemblablement survenir dans un ou deux jours au plus tard. À ce moment-là, Cheryl Myers et Michael Power ont compris que tout espoir pour la survie de Layton Myers avait disparu.
18.On administrait à Layton Myers de fortes doses de morphine pour apaiser sa douleur mais, d'après sa respiration, un mal intense semblait l'envahir à intervalles réguliers.
19. Tel qu'on lui avait demandé, le Dr Pinsky est retourné au domicile des Myers plus tard dans la journée du 15 mai 1993. À ce moment-là, Layton Myers était fiévreux, sa respiration était pénible et irrégulière. Il n'avait pas repris connaissance. Le Dr Pinsky a déclaré à Cheryl Myers et à Michael Power qu'il croyait que le décès surviendrait sous peu, dans les heures suivantes ou au cours de la nuit.
20. Cheryl Myers et Michael Power ont alors discuté de la décision qu'ils avaient prise antérieurement de ne pas laisser Layton Myers souffrir.
21. Cheryl Myers a lavé et rasé son père. Elle l'a habillé. Elle et Michael Power ont alors placé un oreiller sur la figure de Layton Myers et l'ont étouffé. Cheryl a ensuite appelé un salon funéraire et a demandé au pasteur de venir au domicile de son père.
22. Le Dr Pinsky a signé le certificat de décès et Layton Myers a été inhumé normalement. Aucune autopsie n'a été effectuée puisqu'on s'attendait au décès de Layton Myers.
23. Cheryl Myers et Michael Power n'ont pas tenté de cacher ce qu'ils avaient fait. À plus d'une occasion, Cheryl Myers a fait part aux membres de sa famille de son acte et des raisons qui l'avaient poussée à agir. Ces personnes se sont montrées peu disposées à son égard lorsqu'elle a fait ces révélations. Cheryl Myers et Michael Power ont également, plus d'une fois, informé ouvertement leurs amis du fait qu'ils avaient mis fin à la vie de Layton Myers et leur ont expliqué les raisons de cet acte. C'est de cette façon que les policiers ont découvert ce qui s'était passé et que, finalement, des accusations ont été portées.
Cour de l'Ontario (Division générale) Sa Majesté la Reine contre Alberto De La Rocha, Motifs de détermination de la peine de l'honorable Juge S. Loukidelis à Timmins (Ontario) le 2 e jour d'avril 1995.
L'accusé répond de deux chefs d'accusation. Il est accusé, en vertu du premier chef, de meurtre au deuxième degré et, en vertu du deuxième chef, d'avoir administré, au même moment et au même endroit, à Mary Graham, un produit nocif, savoir 40 mg de morphine et 20 milliéquivalents de chlorure de potassium dans l'intention de mettre fin à ses jours. L'accusé a inscrit un plaidoyer de culpabilité quant au deuxième chef et le premier chef a donc été retiré.
La question de la modification du deuxième chef d'accusation a été soulevée au cours des représentations sur la sentence et après celles-ci, tant par le tribunal qu'entre les avocats. Le plaidoyer a été rayé et le deuxième chef a été modifié et l'accusé a été interpellé de nouveau et a inscrit un plaidoyer, les déclarations des témoins étant présumées avoir été faites au cours du procès sur le chef d'accusation modifié.
Le tribunal a l'avantage de disposer d'un énoncé conjoint des faits qui a été lu par le policier enquêteur. De plus, le tribunal a appris que, tout de suite après le paragraphe 13, avait été inscrite une note tirée des dossiers de l'hôpital concernant une observation qui avait été faite de la défunte à 16 h 20 et qui révélait une détérioration de son état de santé tel que mentionné aux paragraphes 13 et 14. Ce document a été déposé par l'avocat de l'accusé avec l'accord toutefois du procureur de la Couronne.
L'accusé se présente devant le tribunal sans casier judiciaire antérieur. Les avocats demandent que je tienne compte des principes de détermination de la peine qu'ils ont d'ailleurs exposés. Ces principes sont la dissuasion en général et, en particulier, la protection de la société et la réadaptation de l'accusé.
[...]
Le tribunal constate, en examinant les arguments des deux procureurs et leurs opinions sur les principes de détermination de la peine, que l'avocat de la Couronne et l'avocat de l'accusé s'accordent pour dire qu'en l'espèce, la dissuasion en particulier et la réadaptation de l'accusé ne sont pas en cause. Le seul principe en cause est celui de la dissuasion en général.
Avant d'aborder ces principes, je veux parler de l'exposé des faits pour placer dans son contexte la situation à laquelle la famille de la défunte et le médecin faisaient face le 15 octobre 1991.
Mme Graham n'allait pas bien. Elle avait vu son médecin et, à la fin du mois d'août 1991, son médecin de famille avait constaté la présence d'une bosse au cou de Mme Graham. Le 24 septembre, Mme Graham avait toujours cette bosse mais se plaignait également du fait qu'elle avait du mal à avaler et son médecin l'a référée à un spécialiste en médecine interne. Le 7 octobre de la même année, ce dernier a non seulement remarqué que la tumeur au cou avait grossi mais aussi que Mme Graham était plutôt souffrante. Le rendez-vous avec le Dr Adesanya a été devancé et ce dernier a examiné Mme Graham le 8 octobre.
Il s'est avéré nécessaire de procéder à une biopsie chirurgicale et le Dr de la Rocha a été appelé. Il a rencontré la patiente le 9 octobre, a examiné les radiographies, et a posé un diagnostic préliminaire établissant qu'il y avait deux tumeurs et qu'il fallait faire les préparatifs pour pratiquer une biopsie. Il voulait confier la patiente à des spécialistes de Toronto ou de Sudbury.
Elle a été admise à l'hôpital le 14 octobre, et la biopsie devait avoir lieu le 15. Elle s'est rendue elle-même à l'hôpital, apparemment sans difficulté.
C'est au cours de la biopsie que sont survenus certains problèmes. Le Dr Gaida, spécialiste en anesthésiologie qui devait anesthésier la patiente, a constaté qu'elle avait du mal à respirer lorsqu'elle a dû s'allonger. Il a remarqué qu'elle était cyanosée et souffrait d'une obstruction partielle des voies respiratoires. Il a décidé de pratiquer plus tôt la biopsie.
C'est au cours de cette procédure que sont apparues les difficultés respiratoires et qu'il a été jugé nécessaire de l'intuber. Le Dr Hook, l'anesthésiste de garde à ce moment-là, était présent et a participé à l'intubation. La patiente souffrait énormément. Selon l'examen effectué avant la biopsie, la patiente avait non seulement une tumeur à la langue, mais également une grosse tumeur aux bronches qui obstruait une des bronches et 50% de l'autre.
Le ventilateur posait également problème et c'est alors que Mme Graham a demandé à l'infirmière de retirer le tube. L'infirmière a dû lire sur les lèvres de la patiente qui avait probablement de la difficulté à parler à cause du tube.
[...]
Mme Graham ne devait pas passer la nuit, du moins selon le Dr Hook, mais elle a survécu. C'est l'infirmière Cooper que Mme Graham a inquiétée. Elle ne semblait pas réagir à une évaluation neurologique normale. Elle ne répondait pas lorsqu'on l'interpellait, gardait les yeux fermés et n'a eu aucune réaction lorsqu'on lui a infligé un stimulus douloureux.
Par la suite, à 9 h 30, le Dr de la Rocha est venu s'occuper de la patiente et M. George Graham, qui venait d'arriver de Sudbury, a affirmé qu'il voulait qu'on maintienne sa mère en vie jusqu'à l'arrivée de Burlington de son frère aîné, le Dr Jamie Graham.
Dans cette affaire, le tube a été retiré à sa demande. La patiente savait qu'elle allait mourir. On le lui avait dit - et elle avait compris qu'en lui retirant le tube sa vie serait abrégée à sa propre demande de retirer le tube.
Le Dr de la Rocha a retiré le tube et a demandé qu'on lui administre une grande quantité de morphine. Il a administré 20 mg de morphine fournie par l'infirmière Janet Donaldson. Même après l'extubation (qui a duré environ 30 secondes - la famille était présente), Mme Graham respirait par elle-même et normalement; elle était toutefois aidée d'un masque Puritan qui fournit 50 % d'oxygène.
Il a adminisé les 10 premiers mg de morphine, puis une deuxième dose de 10 mg, puis encore 20 mg. Le paragraphe 29 ne permet pas de savoir si la patiente avait cessé de respirer après les 40 mg ou entre l'administration de la première et de la deuxième doses de morphine puisque, selon ce paragraphe : [Traduction] «Le Dr de la Rocha a administré la dose et, à ce moment-là, la patiente avait cessé de respirer et sa fréquence cardiaque était dans les 50 battements la minute.» C'est alors que l'accusé a demandé qu'on lui apporte du chlorure de potassium de l'unité de soins et que l'infirmière lui a répondu que l'unité disposait de chlorure de potassium, mais qu'elle refusait d'aller le chercher. Le docteur est allé le chercher lui-même et l'a administré.
Nous ignorons si elle respirait à ce moment-là. Par contre, nous savons que lorsque la patiente a reçu le chlorure de potassium, la mort s'en est suivie rapidement avec un épisode de fibrillation ventriculaire appelée tachycardie ventriculaire.
[...]
Pour ma part, si le docteur avait prétendu qu'un médecin peut administrer une dose mortelle d'une drogue ou d'un produit dans le but de tuer un patient aux fins d'euthanasie, à mon avis, il s'agit d'une violation de la loi qui mérite un châtiment sévère, non seulement sévère quant à la peine (comme le propose la Couronne) mais une longue peine d'emprisonnement.
[...]
Jusqu'à ce que la loi soit changée, il faut respecter la loi. Personne n'est au-dessus de la loi dans ces circonstances. Cela étant dit, les déclarations que j'ai lues ne m'ont pas convaincu que le médecin voulait défendre les principes de l'euthanasie lorsqu'il a administré la dose mortelle de chlorure de potassium. Les éléments de preuve qui m'ont été soumis révèlent que les 20 mg de morphine ne constituaient pas une dose mortelle - voire 40 mg à la lumière du témoignage du Dr Meloff et d'autres qui ont été interrogés à ce sujet - il n'était pas certain que la mort s'en suivrait. En même temps, nous savons qu'après 20 mg, ou peut-être même après 40 mg, elle avait cessé de respirer et que sa fréquence cardiaque était dans les 50 battements. Elle vivait toujours, mais elle ne respirait plus; la mort devait donc survenir non pas dans quelques heures ou jours, mais peut-être dans quelques secondes ou minutes. Dans ces circonstances, il m'apparaît que le chlorure de potassium a été administré à une patiente qui avait déjà cessé de respirer.
La question que je me pose est celle de la peine qui s'impose. Je crois savoir que la dissuasion en général joue un rôle en l'espèce et qu'elle doit jouer un rôle dans ce type d'infraction. Il est établi que même si le délinquant primaire ne doit pas être incarcéré, dans certains cas, il faut lui imposer cette peine parce qu'il s'agit d'un acte criminel grave. En l'espèce, il s'agit de l'acte criminel d'avoir administré un produit nocif.
Je tiens compte de nombre de facteurs, notamment les témoignages éloquents que sont les déclarations non seulement de deux de ses collègues, une infirmière et un patient qui ont déposé aujourd'hui, mais également les 53 lettres qui ont été déposées à titre de preuve, les pièces quatre et cinq respectivement. Elles me prouvent qu'il s'agit d'une personne qui possède une excellente formation, est très habile, qui pense d'abord à ses patients dans sa vie professionnelle. Ce médecin est prêt à travailler au pied levé. Plusieurs de ses patients ont mentionné à quel point il est patient lorsqu'il doit leur expliquer leur maladie. Ses collègues, tant médecins qu'infirmières, ont non seulement évoqué sa formation, mais également sa capacité à prendre rapidement les décisions et les actions nécessaires en soignant ses patients, ces derniers en bénéficiant. À cause de cette habileté, il peut réunir ses moyens très rapidement pour faire face à toutes les urgences qui se présentent. Ce grand talent est l'un des points forts qui ressortent de ces lettres.
Il n'y a aucun doute que ce médecin jouit d'une excellente réputation. Les professionnels de la santé et le personnel de l'hôpital qui ont travaillé avec lui lui vouent une très grande estime. Je n'ai aucun doute que celui-ci comprend la très haute vocation à laquelle il a été appelé en tant que médecin. Cela se voit dans la façon dont il s'occupe de ses patients. Tous ces facteurs me révèlent qu'il a tenté d'utiliser son talent d'une façon positive.
En même temps, il me semble que de la façon dont il a agi dans la présente affaire, il a agi rapidement et les gestes qu'il a posés l'ont amené à violer le droit pénal. Il est certain qu'il n'a pas voulu entendre ou accepter le refus de l'infirmière de lui fournir le chlorure de potassium parce qu'il s'est immédiatement rendu lui-même le chercher. Il ne s'est pas arrêté à penser qu'il passait des soins palliatifs que constitue l'administration de la morphine à un acte qui entraînerait immédiatement la mort de Mme Graham. En même temps, les faits, du moins ceux sur lesquels les procureurs ont convenu que je prenne ma décision, démontrent que lorsque la morphine a été administrée, que ce soit toute la dose ou la moitié de celle-ci, la patiente avait cessé de respirer.
[...]
Mais ces affaires établissent les principes dont je dois tenir compte, savoir que même lorsque la peine maximale pour l'homicide involontaire est l'emprisonnement à perpétuité, la personne qui commet cet acte criminel peut ne pas subir une telle peine selon les faits et les circonstances en cause. Cela s'est notamment avéré également dans l'affaire R. c. Hardy, l'affaire de la juge Barrette-Joncas, dans laquelle un mari avait obtenu une condamnation avec sursis à la demande et avec l'approbation des soeurs et de la mère de la défunte. En lisant les faits de l'affaire, force m'est de constater les choix difficiles que la famille de la défunte devait faire dans ces circonstances.
[...]
Bien entendu, certains faits de la présente affaire se distinguent des circonstances de l'affaire Mattaya. Il s'agissait d'un jeune homme de 25 ans, infirmier diplômé depuis un an et demi, qui avait un patient dont l'appareil de survie avait été débranché. Il avait reçu le double de la dose de morphine qu'en l'espèce et 60 mg de valium et il avait commencé à réagir d'une manière qui a fait paniquer M. Mattaya. À la page 21 du rapport, les motifs du juge Wren, il a déclaré : [Traduction] «Dans les circonstances spéciales de l'espèce, à mon avis, le tribunal doit tenir compte des intérêts de la société et imposer une peine suffisamment sévère, aux fins de la dissuasion en général, pour écarter le plus possible le danger toujours présent que des individus s'arrogent un droit de vie et de mort. La vie est précieuse et le tribunal doit en tenir compte avant tout dans de telles circonstances. Dans ces circonstances hors du commun, je suis d'avis qu'il n'est pas nécessaire d'imposer une peine d'emprisonnement à ces fins.»
En examinant ce passage, je ne puis qu'être convaincu qu'en visant la dissuasion en général, et compte tenu de mon rôle en matière de protection des intérêts de la société, il n'est pas nécessaire, dans ces circonstances, d'imposer une peine d'emprisonnement. Comme je l'ai dit, le résultat aurait pu être différent si j'étais convaincu qu'en l'espèce, l'accusé voulait justifier son geste parce qu'il croyait à l'euthanasie. Il est vrai qu'il s'est exprimé ainsi dans ce paragraphe. Mais je le répète, je ne suis pas convaincu qu'il faisait autre chose qu'exprimer un point de vue sur la question après le fait.
Je dois également tenir compte de l'opinion de la famille. Le tribunal veut une déclaration sur les répercussions du crime. Il veut également obtenir l'opinion de la famille de la victime. Dans cette affaire, les déclarations de George Graham m'ont ému. Il s'est exprimé clairement et précisément sur cette question. Il est certain qu'il avait discuté avec ses frères des questions qui lui ont été posées. Il ne croit pas qu'il faille condamner l'accusé à une peine d'emprisonnement, et je crois qu'il était motivé uniquement par le désir de se montrer charitable eu égard aux difficultés devant lesquelles le docteur se trouvait. Pour ma part, ces opinions de la famille ont joué un rôle très important dans la conclusion à laquelle je suis arrivé.
Ayant conclu qu'il ne devait y avoir aucune peine d'incarcération, la prochaine question que je dois me poser est celle de savoir quel doit être le résultat. À mon avis, il faut une condamnation avec sursis assortie d'une période de probation de trois ans. J'ajoute une seule condition, qu'il garde la paix et fasse preuve d'un bon comportement.
La demande que l'on m'a faite, savoir que l'ordonnance de probation lui interdise d'exercer sa profession, m'a troublé. Cela m'a préoccupé pendant quelques jours parce que, selon moi, il s'agissait d'une solution de rechange possible. Mais j'en suis arrivé à la conclusion que les intérêts de la justice et les principes de la dissuasion en général ne seront pas mieux servis par l'imposition d'une telle peine.
L'accusé a maintenant un casier judiciaire. Il doit faire face à ses pairs et se rendre compte que les principes de vie sont les mêmes pour les personnes qui font face à une maladie intolérable et qui sont à l'article de la mort.
Par conséquent, j'impose la peine suivante:
Le tribunal déclare l'accusé coupable et condamne l'accusé avec sursis. L'accusé est tenu de respecter l'ordonnance de probation pour trois ans à condition qu'il ne trouble pas l'ordre public et ait une bonne conduite.
Je dois vous préciser, Dr de la Rocha, que lorsqu'une personne est soumise à une ordonnance de probation et qu'elle est condamnée avec sursis, vous devez comprendre que si vous ne respectez pas les conditions de l'ordonnance, et si vous commettez un acte criminel et que vous êtes déclaré coupable de l'une ou de l'autre de ces infractions, vous pourrez devoir vous présenter de nouveau devant moi pour recevoir une peine relativement à cette infraction, si vous n'avez pas choisi d'interjeter appel de la déclaration de culpabilité ou avez interjeté appel et que l'appel a été rejeté ou que vous avez abandonné votre appel. Le cas échéant, vous devrez comparaître de nouveau devant le tribunal qui imposera une peine pour cette même infraction.