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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

LE CANNABIS : 
POSITIONS POUR UN RÉGIME DE POLITIQUE PUBLIQUE POUR LE CANADA

RAPPORT DU COMITÉ SPÉCIAL DU SÉNAT SUR LES DROGUES ILLICITES

VOLUME I : PARTIES II


PARTIE II LE CANNABIS : EFFETS, USAGES, ATTITUDES


Chapitre 8

Conduite sous l’effet du cannabis[1] 

« Stan Thompson avait 18 ans quand, avec quatre autres adolescents de Kanata, il a été tué dans un terrible accident de voiture à Perth un beau jour d’été.  Un jeune a été jugé responsable de cet accident mortel et a purgé huit mois d’une peine de 12 mois de prison.  La consommation de cannabis et la conduite en état d’ébriété étaient la cause de l’accident.  (…) L’année de la mort de Stan, son père, Greg Thompson, est allé dans les écoles secondaires locales pour parler de l’accident, dire pourquoi les choses avaient mal tourné et comment la tragédie aurait pu être évitée.  (…) Son message est que la consommation de marijuana affecte et affectera toujours les facultés de quelqu’un qui est au volant.  Il a supplié les jeunes de ne pas le faire.  (…) La marijuana n’est pas une substance bénigne.  Il y a très peu de recherches qui pourraient permettre à quiconque de déterminer le niveau de l’incapacité liée à la marijuana et l’affaiblissement des facultés de ceux qui en fument et conduisent, et encore moins le degré d’incapacité à conduire lié à la consommation de marijuana et d’alcool.  Nous avons vu dans le sondage effectué au Manitoba que plus de la moitié des jeunes qui consomment de la marijuana le font dans des automobiles et pendant les heures de classe.  Il n’existe pas de moyen technique ou scientifique pour mesurer l’incapacité provoquée par la marijuana.  Nous n’avons ni la technologie, ni les données scientifiques, ni la recherche nécessaire.  Nous n’avons pas non plus la législation qu’il faudrait.  Des études faites en Colombie-Britannique révèlent la présence de marijuana dans le corps de 12 à 14 % des conducteurs impliqués dans des accidents mortels.  Le gouvernement du Québec et la Société de l’Assurance automobile du Québec effectuent actuellement des enquêtes en sécurité routière dans le cadre desquelles des volontaires soumettent des échantillons d’urine ou de sang.  Les résultats de ces tests démontrent la présence de marijuana dans les échantillons prélevés sur 12 à 14 % de ces conducteurs. » [2]

S’il est une question, autre que les effets de la consommation de cannabis sur les jeunes ou des effets d’une consommation excessive, susceptible de préoccuper la société et les gouvernements, il s’agit certainement de ses effets sur la conduite d’un véhicule.  On connaît déjà les effets sur la circulation routière de l’alcool avec sa cohorte d’accidents avec blessés ou tués.  Malgré les diminutions constatées ces dernières années, il sera facile d’admettre qu’un accident mortel causé par la consommation d’une substance est déjà un accident de trop.

Or, après l’alcool, le cannabis est la substance psychoactive la plus consommée, notamment chez les jeunes du groupe d’âge 16-25.  Occasionnelle, la consommation se produit le plus souvent dans un contexte festif, lors des parties de fin de semaine, souvent accompagnée aussi d’alcool.  Les personnes de cette catégorie d’âge sont aussi les plus susceptibles d’avoir un accident automobile, et sont aussi susceptibles d’accidents avec facultés affaiblies.

Nous avons vu que le cannabis affecte les habiletés psychomotrices pour une durée pouvant aller jusqu’à cinq heures après la consommation.  Les effets psychoactifs du cannabis sont aussi dépendants de la dose, de la concentration en THC, ainsi que de la morphologie, de l’expérience et des attentes des usagers.  Mais quels sont les effets spécifiques du cannabis sur la conduite de véhicules ?  Quels sont les effets de la combinaison d’alcool et de cannabis ?  Et quels sont les outils permettant de détecter la présence d’un taux de THC susceptible d’affecter significativement les facultés psychomotrices reliées à l’opération de véhicules ?

Ici encore, les avis des témoins que le Comité a entendus divergent sur l’interprétation des résultats des études.  Ainsi, l’association canadienne des policiers et policières nous a dit : 

«  La conduite automobile dans l’état de stupeur que provoque cette drogue réduit le jugement et la coordination motrice.  Dans une étude portant sur des pilotes d’avion, dix pilotes brevetés, 24 heures après avoir fumé un joint contenant 19 mg de THC, soit une dose relativement légère, se sont soumis à des tests sur simulateur ; tous les dix ont fait des erreurs à l’atterrissage et l’un d’entre eux est passé complètement à côté de la piste. » [3]

Deux semaines plus tard, le Dr John Morgan de la City University of New York Medical School disait au sujet de cette même étude : 

« Un scientifique californien du nom de Jerome Yesevage en est l’auteur.  C’est une étude qui remonte je crois au début des années 80 et qui avait à l’époque attiré l’attention.  (…) L’étude du Pr Yesevage n’était régie par aucun paramètre de contrôle.  (…) Comme vous l’avez entendu, l’utilisation de la marijuana est difficile à contrôler.  Lorsque le Pr Yesevage a reçu une subvention du gouvernement fédéral américain pour répéter l’étude mais en y ajoutant les paramètres de contrôle simples que j’avais préconisés, comme d’autres d’ailleurs, il n’a pas réussi à démontrer un quelconque effet de la marijuana après quatre heures dans un groupe témoin similaire.  Par conséquent, je pense qu’en réalité, le fait de fumer de la marijuana a effectivement une incidence lors de tests conduits dans des simulateurs de pilotage, et également, dans une certaine mesure, sur les réflexes au volant, pendant un maximum de trois à quatre heures après le fait, mais ces effets ne durent pas, en plus ils sont relativement faibles. » [4]

Référant ensuite aux travaux de Robbe que nous examinons plus en détail dans ce chapitre, le professeur Morgan ajoutait :

« Un scientifique hollandais qui, pendant plusieurs années, a fait des expériences sur la conduite automobile a constaté que les conducteurs qui fumaient de la marijuana avaient quelques difficultés à rester dans leur bande de circulation.  C’est ce test qui est le plus révélateur.  Si vous fumez de la marijuana, vous aurez tendance à zigzaguer un peu plus que quelqu’un qui est tout à fait sobre.  C’est important certes, même si aucune étude n’a démontré que ce zigzaguage avait une influence significative sur les facultés du conducteur.

Le scientifique hollandais en question a ajouté dans son rapport que ce phénomène (...) était relativement le même que chez les conducteurs qui avaient consommé de l’alcool en petites quantités, qui avaient pris de la benzodiazépine en petites quantités, ou encore des antihistaminiques à faibles doses. » [5]

 

Or, le même jour, le professeur Kalant, de l’Université de Toronto, répondait ce qui suit :

« Le Dr Morgan a parlé de certaines études expérimentales ce matin.  Un certain nombre d’études, recensées par le Dr Smiley dans le rapport du Comité sur les effets du cannabis sur la santé de l’Organisation mondiale de la santé démontre un certain degré d’entente sur ce que sont les principaux effets sur la conduite automobile.  Comme le Dr Morgan l’a dit, le conducteur a du mal à rester dans sa voie.  Il ne manipule pas le volant avec autant de précision.  Le temps de démarrage et le temps de freinage ralentissent.  La recherche à vue est réduite.  Autrement dit, lorsqu’on conduit, on doit être à l’affût des sources de danger des deux côtés et pas seulement devant soi.  On note une baisse de la surveillance et une moins grande reconnaissance des signaux de danger.  Les effets sont synergiques avec ceux de l’alcool.  La seule chose favorable à propos du cannabis par rapport à l’alcool, c’est que les fumeurs de cannabis sont moins agressifs que les buveurs, de sorte qu’ils risquent moins de doubler dangereusement ou de faire de la vitesse.  Il reste néanmoins que la capacité de conduite est altérée non seulement par une moins bonne direction mais aussi par une moins grande vigilance face à l’imprévu et aux sources de danger.

Je ne vais pas parler des statistiques sur le terrain concernant le rôle du cannabis dans les accidents de la route.  Toutefois, je voudrais dire qu’un certain nombre d’études ont démontré des signes de la présence du cannabis dans le sang et l’urine de gens arrêtés pour conduite avec facultés affaiblies en l’absence d’alcool. » [6]

 

Comme on le voit, et comme c’était le cas pour les effets et conséquences sur la santé des usagers, les avis divergent sur l’interprétation des études et leur signification quant aux effets spécifiques de la marijuana sur la conduite de véhicules.

Ce chapitre se divise en trois sections.  La première examine les modes de dépistage de la présence de cannabinoïdes dans l’organisme.  La seconde analyse les études sur la prévalence connue de conduite sous l’influence de véhicules, hors contexte accidentel et en contexte accidentel.  Enfin la troisième résume l’état des connaissances sur les effets du cannabis sur la conduite de véhicules à partir d’études in situ ou en laboratoire.  Comme pour les autres chapitres, le Comité dégagera ensuite ses propres conclusions.

 

Modes de dépistage

On connaît cinq milieux de dépistage de la présence de cannabinoïdes dans l’organisme : le sang, l’urine, la salive, les cheveux et la sueur.

Le sang est le milieu le plus approprié pour détecter la consommation récente de cannabis, puisque seule l’analyse du sang permet de distinguer entre les principes actifs du cannabis et les métabolites dépourvus d’effets psychoactifs.  Toutefois, comme nous l’avons déjà vu, les concentrations de D9THC dans le sang atteignent un pic 9 minutes après la consommation de la cigarette, après 10 minutes il n’en reste que les deux tiers, 5 à 10 % au bout d’une heure et après deux heures, il sera à la limite de la détection.  Il s’ensuit que toutes les méthodes ne sont pas appropriées pour le dépistage en raison de la forte possibilité de produire des faux négatifs et des faux positifs.  La méthode la plus fiable, la chromatographie en phase gazeuse avec détection par spectrométrie de masse a une excellente sensibilité et permet également d’estimer le temps écoulé entre le moment de la dernière consommation et la prise de sang.

L’on a vu au chapitre 7 qu’il y a une relation dose-effet : 25 bouffées affectent les facultés cognitives de façon plus nette que 10 bouffées et 10 que 4.  Mais il existe peu de données sur la relation entre la concentration et les effets sur la personne et la capacité notamment à répondre à la question centrale en matière de sécurité routière : à partir de quelle concentration peut-on considérer que les facultés étaient réduites ?  En France, le seuil de positivité du D9THC a été fixé à 1 ng/ml[7] pour les conducteurs impliqués dans des accidents mortels.  Un autre auteur a proposé une formule établissant un rapport entre le D9THC, le 11-OH D9THC et le D9THC -COOH pour déterminer un facteur d’influence du cannabis avec un seuil de positivité de 10 ng/ml.  Une concentration égale de D9THC et de COOH suggérerait une consommation remontant à environ 30 minutes et donc une forte probabilité d’effets psychoactifs tandis qu’une concentration plus élevée de COOH que de D9THC suggère que la consommation remonterait à plus de 40 minutes.  Cependant, une concentration de COOH de plus de 40 μg/l indiquerait qu’il s’agit d’un consommateur chronique pour lequel il devient alors impossible de déterminer à quand remonterait la dernière consommation.  D’autres travaux établissent qu’une concentration de 10 à 15 ng/ml dans le sang suggère une consommation récente sans que l’on puisse cependant établir à quand elle remonte.[8]

Les urines sont aussi un milieu de dépistage fréquemment utilisé et demeurent le milieu le plus approprié pour un dépistage rapide de la consommation.  Par contre, les urines peuvent conserver des traces de consommation de cannabis pendant des semaines.  De surcroît, ces traces sont celles du D9THC-COOH, un métabolite inactif.  Par conséquent, leur intérêt tient principalement à des mesures épidémiologiques de la consommation de cannabis et ne contribue pas à la connaissance de la conduite avec facultés affaiblies.

Les niveaux de concentration du D9THC-COOH dans les urines sont très élevés : pour un usager d’un joint par jour elles se situent entre 50 et 500 ng/ml et peuvent atteindre plusieurs milliers de ng/ml chez les gros consommateurs, le seuil de positivité actuellement recommandé étant de 50 ng/ml d’urine. 

La salive est un milieu très prometteur pour la sécurité routière parce que non intrusive et capable d’indiquer avec une certaine précision une consommation récente.  La présence de D9THC dans la salive est essentiellement due au phénomène de séquestration bucco-dentaire lors de l’inhalation.  Les concentrations y sont très élevées dans les minutes suivant l’absorption, variant entre 50 et 1 000 ng/ml, mais déclinent ensuite très rapidement dans les heures qui suivent, restant détectables pendant 4 à 6 heures en moyenne.  Le projet européen ROSITA a comparé la fiabilité des prélèvements dans les urines, la sueur et la salive par rapport au sang.  La salive est de loin le milieu le plus fiable, démontrant une corrélation exacte dans 91 % des cas.  Toutefois, son faible niveau de concentration pendant la majeure partie de la durée des effets psychoactifs signifie qu’elle exige une méthode analytique sensible.  Il n’existe malheureusement pas encore d’outil rapide de détection suffisamment performant et fiable en situation de conduite.  Ainsi, les outils de détection en situation de conduite n’identifiaient correctement que 18 à 25 % des cas et produisaient beaucoup de faux négatifs.[9]

La sueur est généralement reconnue comme un mauvais milieu de détection, notamment en raison de la persistance du D9THC dans ce milieu, en même temps qu’il est excrété dans la sueur en faible quantité.

Enfin, les cheveux sont un milieu particulièrement intéressant puisqu’il s’y retrouve une quantité significative de D9THC qui permet d’établir la chronicité et le niveau (faible, moyen, élevé) de consommation.  Toutefois, les concentrations sont de quelques ng par mg de cheveux, ce qui exige des analyses très performantes.

Le tableau suivant, tiré du rapport de l’INSERM, résume les principales caractéristiques des divers milieux biologiques de dépistage ; nous y avons ajouté, lorsque disponible, le seuil de détection retenu.

 

 

Principales caractéristiques des milieux biologiques de dépistage

 

Cannabinoïdes majoritaires

Délai maximum de détection

Domaine d’intérêt

Méthodologies disponibles

Seuil de positivité

 

Urines

 

 

 

 

 

 

Salive

 

 

 

Sueur

 

 

Cheveux

 

 

 

Sang

 

 

THC-COOH

(inactif)

 

 

 

 

 

THC (actif)

 

 

 

THC

 

 

THC

 

 

 

THC

11-OH THC

THC-COOH

 

Consommation occasionnelle : 2 à 7 jours

Consommation régulière : 7 à 21 jours

 

2 à 10 heures

 

 

 

Très variable

 

 

Infini

 

 

 

2 à 10 heures

 

Dépistage d’une consommation

 

 

 

 

 

Dépistage d’une consommation récente

 

Peu d’intérêt

 

 

Révélation et suivi d’un usager régulier

 

 

Confirmation, identification, dosage

 

Oui ; nombreux tests rapides

 

 

 

 

 

Non, pas de tests rapides

 

 

Non, pas de tests rapides

 

Oui ; CPG-SM

 

 

 

Oui ; CPG-SM

 

50ng de D9THC-COOH par ml

 

 

 

 

non déterminé

 

 

 

inutile

 

 

non déterminé

 

 

 

1ng/ml (France)

 

Dans tous les cas, la manipulation et le transport des échantillons ainsi que les dosages toxicologiques sont essentiels à la qualité des analyses.

Par ailleurs, on constate qu’il existe encore beaucoup d’incertitudes sur les seuils permettant d’affirmer que la présence de D9THC affectait les facultés du conducteur.  De surcroît, il n’existe pas encore de test de dépistage rapide fiable permettant d’identifier une consommation récente (ce que les tests d’urines ne peuvent faire).  Enfin, d’autres drogues que l’alcool, dont plusieurs médicaments prescrits, peuvent avoir un impact sur la conduite de véhicules.  C’est pourquoi plusieurs auteurs, et certains témoins, nous ont suggéré que le Canada devrait adopter le programme de classification et d’évaluation des drogues (DEC) et reconnaître les policiers formés à la reconnaissance des drogues (Drug Recognition Expert).  Cette pratique est maintenant en place dans la plupart des États américains (au moins 34 de même que le District de Columbia), en Colombie-Britannique, en Australie, en Norvège et en Suède.

Le scénario typique de conduite sous l’influence de substance psychoactives autres que l’alcool est le suivant : un véhicule attire l’attention du policier ; celui-ci immobilise le véhicule et interroge le conducteur ; s’il a des motifs suffisants de croire que le conducteur est intoxiqué, il lui fait passer un test d’alcoolémie ; toutefois, lorsque ce test donne un résultat inférieur à la limite légale, le policier peut ne pas être convaincu que le conducteur est en état de conduire, mais comment le démontrer ?  Auparavant, il était le plus souvent obligé de le relâcher.  Comme nous venons de le voir, il n’existe pas, en matière de drogues et de médicaments, d’équivalent au test d’alcoolémie et, en matière de cannabis notamment, des traces dans les urines n’établissent nullement que la consommation est récente.  C’est dans ce contexte que les policiers du service de police de la Ville de Los Angeles ont développé, au début des années 1980, le Drug Recognition Expert System (DRE).  Ces policiers reçoivent une formation spécifique sur la détection de la conduite sous l’influence de substances psychoactives et l’emploi du DEC.

Ce système permet au policier qui a des raisons de croire que le conducteur est intoxiqué de faire appel à un officier spécialement formé à la reconnaissance des drogues.  Celui-ci procédera alors à l’évaluation du conducteur à partir d’un ensemble systématique et rigoureux de facteurs reconnus comme signalant la présence de drogues.  Le processus inclut douze étapes :

·                Test d’alcoolémie : Cet examen aura été fait au préalable par le policier qui a procédé à l’interpellation du véhicule.  L’agent formé à la reconnaissance des drogues ne sera appelé que lorsque le test est négatif ;

·                Interrogation du policier qui a procédé à l’interpellation : L’agent pose une série de questions conventionnelles au policier : dans quelle condition il a trouvé le suspect, ce qu’il avait observé, s’il a trouvé des drogues dans le véhicule, les déclarations du suspect, etc. ;

·                Examen préliminaire (premier des trois mesures du rythme cardiaque) : Il s’agit ici de déterminer s’il y a des motifs suffisants de soupçonner la présence de drogues, et donc d’éliminer la possibilité qu’il s’agisse d’une condition médicale.  L’agent observe l’état général du suspect, l’interroge sur sa condition de santé, procède à un examen des pupilles et du regard, et prend la première des trois mesures du rythme cardiaque.  S’il estime qu’il n’y a aucun signe, le suspect sera relâché.  S’il s’agit d’une condition d’ordre médical, il fera demande d’une évaluation médicale.  Mais s’il pense qu’il s’agit de drogues, il poursuit alors l’examen ;

·                Examen des yeux : L’agent procède à trois examens : un examen du regard vertical, du regard horizontal, et de la convergence.  Il semble qu’aucune drogue ne soit capable d’entraîner un mouvement involontaire sautillant des pupilles sur l’axe vertical sans d’abord l’avoir provoqué sur l’axe horizontal.  Aussi, s’il n’y a qu’un tremblement vertical, il s’agit probablement d’une condition médicale (par exemple des lésions cérébrales).  S’il y a tremblement horizontal, il est probable qu’il s’agit de drogues.  Pour constater le tremblement horizontal, l’agent promène un stylo ou un autre objet sur un plan horizontal devant les yeux du suspect.  Pour le tremblement vertical, il le promène de haut en bas.  Enfin, certaines drogues empêchant les yeux de loucher, l’agent procédera à un test de convergence en plaçant le stylo ou l’objet sur le nez de la personne et lui demandant de le regarder ;

·                Tests d’attention divisée : tâches incluant des tests d’équilibre, de marche, de se tenir sur une jambe et de porter son doigt au nez ;

·                Examen des signes vitaux : seconde des trois mesures du rythme cardiaque, de la pression et de la température du corps ;

·                Examen des pupilles sous quatre conditions différentes : lumière de la pièce, noirceur, lumière indirecte et lumière directe;

·                Tonus musculaire : mouvements des bras ;

·                Examen de sites possibles d’injection ;

·                Interrogation sur la consommation de drogues et les habitudes de vie ;

·                Opinion : sur la base de l’ensemble de ces observations, l’agent se forme une opinion qui doit reposer sur un degré raisonnable de certitude ;

·                Examen toxicologique : cet examen vise à corroborer l’analyse faite par l’agent.  La décision de poursuite ne sera prise que sur réception des analyses.

Ce système a fait l’objet d’une standardisation au début des années 1980 avec le concours de l’administration nationale de la circulation routière aux États-Unis.  Il a d’abord été validé dans une étude en laboratoire. [10]  Dans cette étude, quatre agents formés à la reconnaissance des drogues ont évalué des sujets qui recevaient soit un placebo soit une dose de drogue.  Ni les sujets, ni les agents ne savaient qui avait reçu la drogue.  Dans 95 % des cas, les agents ont identifié correctement les sujets qui n’avaient pas reçu de drogue.  Dans 97 % des cas, ils ont identifié correctement les sujets qui avaient reçu de drogues et dans 98,7 % des cas ils ont pu déterminer quels sujets étaient sous l’influence de drogue.

Une étude en situation réelle a ensuite été menée en 1985, toujours avec le concours de l’administration de la circulation routière.[11]  Dans cette étude, des échantillons de sang de 173 conducteurs arrêtés pour conduite sous l’influence de drogues ont été analysés par un laboratoire indépendant.  Cette étude a démontré que les analyses des agents formés à la reconnaissance avaient prédit correctement dans 94 % des cas la présence de drogues autres que l’alcool.  Dans 79 % des cas, les analyses des agents identifiant la présence d’une drogue en particulier s’étaient révélées justes.

L’étude la plus complète a été menée en 1994 en Arizona.  Dans cette étude, les dossiers de plus de 500 personnes arrêtées pour conduite sous l’influence de drogues ont été analysés et des analyses toxicologiques menées.  L’étude a démontré que les analyses toxicologiques ont corroboré les conclusions des agents dans 83,5 % des cas.  Des études semblables menées dans d’autres états ont donné des résultats comparables : 81,3 % au Texas, 84,5 % au Minnesota, 88,2 % en Californie, 88,2 % à Hawaii et 88 % en Oregon.

En ce qui concerne spécifiquement le cannabis, les indicateurs attendus dans ce système sont généralement les suivants : pas de tremblement horizontal ni vertical mais non-convergence du regard, pupilles dilatées, pouls accéléré et tension élevée.

En somme, tenant compte des limites à la détection sur site de l’influence du cannabis et des résultats de ces études, il semble que l’adoption du DEC et la formation des policiers à la reconnaissance de la présence de drogues serait hautement souhaitable.

 

 

Données épidémiologiques 

Selon certains témoins que nous avons entendus, la proportion de personnes conduisant avec facultés affaiblies et qui sont sous l’influence du cannabis dépasserait les 40 %.  D’autres ont précisé qu’environ 12 % des accidents avec blessés pouvaient être attribués à la consommation de cannabis.  Que révèlent les études ?

Les données sur la fréquence de conduite sous influence de cannabis (seul ou avec d’autres substances) sont, pour des raisons évidentes, difficiles à obtenir.  Premièrement, pour les conducteurs accidentés, un test d’alcoolémie positif signifie la plupart du temps qu’aucune autre mesure ne sera faite, le niveau d’alcool dans le sang supérieur à la limite légale suffisant pour entreprendre des poursuites légales.  Ensuite, les moyens de détection de la présence de THC sont intrusifs (sang, urine) contrairement à la détection éthylique, et posent donc des problèmes juridiques et éthiques spécifiques.  D’autres mesures, tels les prélèvements de salive, ne permettent pas, pour le moment, un enregistrement sur détection à partir de sites routiers.  Enfin, lors d’études sur l’ensemble des conducteurs, le consentement des conducteurs est essentiel au prélèvement sanguin ou urinaire, limitant ainsi la généralisabilité des résultats.  Néanmoins, un certain nombre d’études ont été menées ces dernières années dont nous résumons les grandes lignes.

 

Études hors contexte accidentel

Deux types d’études ont été menées : des enquêtes sur l’ensemble des conducteurs pris au hasard dans le flot routier à divers moments de la journée et de la semaine, et des études sur présomption de conduite sous influence à l’occasion de contrôles policiers.  Le tableau suivant, tiré de l’expertise collective de l’INSERM, résume ces données. 

 

Détection et prévalence du cannabis en Europe et au Québec hors contexte accidentel[12]

Pays /

Référence

 

Population

Méthode de détection

Échantillon

Prévalence (%)

Hors présomption de conduite sous influence de substances psychoactives

 

Allemagne, Kruger et coll., 1995

 

Pays-Bas, Mathtijssen, 1998

 

Italie, Zancanner et coll., 1995

 

Canada

Dussault et coll, 2000

 

Ensemble des conducteurs

 

Conducteurs les nuits de week-end

 

Conducteurs les nuits de week-end

 

Conducteurs sur route (enquête représentative)

 

Dépistage : FPIA salive

Confirmation : CG/SM salive

Dépistage : test salive, sueur et urine simultané-ment

Dépistage clinique, vérifi-cation clinique et toxicolo-gique (sang, urine)

Urine

Salive

Air expiré (alcool)

 

2 234

(sur 3 027)

 

293

(sur 402)

 

1 237

 

 

2 281

2 260

5 281

 

0,6

 

 

5

 

 

1,5

 

 

5

(en cours)

> 0,8 : 0,8

 

Avec présomption de conduite sous influence de substances psychoactives

 

Norvège, Skurtveit et coll., 1996

 

Danemark, Worm et Steentoft, 1996

 

Royaume-Uni, Écosse, Seymour et Oliver, 1999

 

Conducteurs

 

 

Conducteurs

 

 

Conducteurs

 

Dépistage : immuno-essai sang ; Confirmation : CG/SM sang

Dépistage : RIA sang

Confirmation : CG/SM sang

Dépistage : immuno-essai sang ; Confirmation CG/SM sang

 

2 529

 

 

317

221

 

640

 

26

 

 

10

17

 

26

 

Au total, on observe que les taux de détection de la présence de cannabis varient entre 1 % et 5 % hors présomption de conduite avec facultés affaiblies.  Toutefois, les données manquantes, vraisemblablement pour refus de fournir un prélèvement, empêchent de tirer des conclusions claires.  Quant aux études avec présomption de conduite sous l’influence de drogues, les résultats sont nettement plus élevés : entre 10 et 26 %.  Ces résultats ne traduisent pas nécessairement une prévalence plus élevée de conduite sous l’influence de substances psychoactives, mais plutôt une plus grande vigilance des policiers.  En effet, comme on le verra immédiatement, la prévalence de détection de cannabis lors d’accidents mortels n’est pas plus élevée en Norvège (7,5 %) que dans les autres pays.

 

Études en contexte accidentel

Le tableau suivant, adapté de l’INSERM, présente les résultats d’un certain nombre d’études récentes en Europe, en Amérique et en Australie. 

 

Prévalence de la conduite sous influence (csi) en contexte accidentel [13]

Pays

 

Population

Méthode de détection

Échantillon

Prévalence cannabis (%)

Belgique

Meulemans et coll, 1997

 

Espagne

Alvarez et coll, 1997

 

 

France, Mura et coll., 2001

 

 

France, Kintz et coll, 2000

 

 

Italie, Ferrara, 1990

 

 

Norvège, Christophersen, 1995

 

Royaume-Uni, Tunbridge, 2000

 

Australie, Longo, 2000

 

Canada, Cimburra, 1990

 

États-Unis, Logan, 1996

Accidents corporels (2 roues et voitures)

 

 

Tués dans des accidents et soupçonnés de csi

 

Accidents corporels (groupe témoin : patients)

 

Accidents corporels

 

 

 

Blessés

Contrôle vendredi soir

 

Blessés, accidents non mortels

 

 

Accidents mortels (dont 516 conducteurs)

 

Blessés (accidents non mortels)

 

Tués

 

 

Tués

Dépistage : urine

Confirmation : urine CG/SM et comparaison urine sang

 

Dépistage : immuno-essai sang

Confirmation : CG/SM sang

 

 

Sans dépistage

Confirmation : CG/SM sang

 

 

Dépistage : urine

Confirmation : CG/SM urine et sang, tests salive et sueur

 

Dépistage : EMIT urine

 

 

Dépistage : immuno-essai sang

Confirmation : CG/SM sang

 

 

Dépistage : immuno-essai urine

Confirmation : CG/SM sang

 

Dépistage : immuno-essai sang

Confirmation : CG/SM sang

 

1 879

 

 

 

979

 

 

 

420

(381)

 

 

198

 

 

 

4 350

500

 

394

 

 

 

1 138

516

 

2 500

 

 

1 169

 

 

347

 

6 (urine)

3,6 (sang)

 

 

1,5

peu fiable

 

 

11,2

(10,8)

 

 

13,6 (urine)

9,6 (sang)

 

 

5,5

 

 

7,5

 

 

 

12

10

 

11

 

 

11

 

 

11

 

Il est difficile de comparer les études entre pays puisque les méthodes de détection, même en contexte accidentel, varient largement d’un pays à l’autre.  Soulignons aussi à nouveau que le fait de dépister du cannabis chez les conducteurs accidentés n’est pas nécessairement signe qu’il en était la cause.  Non plus que l’absence d’un dépistage ne signifie qu’il n’y avait pas conduite sous l’influence de cannabis.

Trois de ces études sont particulièrement intéressantes.  L’étude de Mura et coll. (2001) montre une différence significative selon l’âge des conducteurs : chez les 18‑20 ans, le D9THC était présent chez 18,6 % des conducteurs, et dans 50 % des cas il était présent seul (sans alcool).  Une étude antérieure de Mura (1999) avait démontré que le cannabis était particulièrement présent chez les jeunes conducteurs : de 35 % à 43 % chez les moins de 30 ans, avec une prévalence encore plus forte (43 %) chez les moins de 20 ans, tandis qu’au-delà de 35 ans la prévalence tombe à 3 %.[14]

L’étude de Kintz et coll (2000) est intéressante notamment parce qu’elle montre clairement qu’après l’alcool (13,6 %) le cannabis est le produit le plus présent chez les conducteurs accidentés (9,6 %).  Cette étude révèle aussi que sur l’ensemble de l’échantillon, l’incidence du cannabis mesuré par prélèvement sanguin (9,6 %) se rapproche de l’incidence de la conduite sous l’influence de l’alcool (10,6 %).[15]

Enfin, l’étude de Longo est d’un intérêt particulier en raison de la taille de l’échantillon, de sa représentativité et de la distinction entre les analyses de D9THC et de D9THC-COOH.  Cette étude a détecté la présence de cannabinoïdes chez 10,8 % des conducteurs : 8 % pour le D9THC-COOH seul et 2,8 % pour le D9THC-COOH et le D9THC ensemble, révélant ainsi un pourcentage plus faible de D9THC positifs que dans les autres études.  Par ailleurs, comme dans les autres études, les sujets positifs au D9THC étaient plus jeunes et plutôt des hommes.

Plus près de nous, Mercer et Jeffery ont examiné les analyses toxicologiques des 227 conducteurs tués lors d’accidents de la circulation en Colombie-Britannique entre octobre 1990 et septembre 1991.[16]  Les prélèvements étaient faits à l’autopsie dans les 24 heures suivant le décès ce qui, selon les auteurs, peut indiquer une sous-estimation de la présence d’alcool ou de drogues.  Sur les 227 tués, 186 (43 %) n’avaient ni alcool ni drogues, 83 (37 %) avaient seulement l’alcool, 23 (11 %) avaient alcool et drogues, et 21 étaient négatifs pour l’alcool et positifs pour les drogues.  En ce qui concerne le cannabis, 29 tués (13 % ; 26 hommes et 3 femmes) étaient D9THC-COOH positifs, enregistrant en moyenne une concentration de 15,9 ng/ml.  Parmi le groupe +alcool/+drogues, (23 sujets), 17 étaient positifs aux métabolites du THC et 8 d’entre eux étaient positifs au D9THC  (13 %).  Pour le groupe 0alcool/+drogues (21 sujets), 8 (tous des hommes) étaient positifs au D9THC –COOH dont 4 au D9THC.  Même si les auteurs concluent que le D9THC /D9THC-COOH était présent dans 13 % des cas, soit une proportion comparable à la plupart des autres études, il faut observer que seuls 12 sujets tués étaient positifs au D9THC avec ou sans alcool et 4 seulement sans alcool.

Finalement, une étude épidémiologique plus récente portait sur les 1 158 cas d’accidents mortels (391) ou de cas de conduites sous l’influence de substances psychoactives lorsque le taux d’alcoolémie était inférieur à 0,1 (767) rapportés aux laboratoires de toxicologie pénale du Canada au 12 novembre 1994.[17]  Les substances les plus fréquentes étaient les benzodiazépines (590 cas), l’alcool (580), le cannabis (551), les stimulants (224), les opiacées (176) et les barbituriques (131).  Pour le cannabis, on obtient le tableau suivant :

 

Présence de cannabis au Canada (1994)

 

Total

Avec alcool

Sans alcool

THC

Ø conduite sous influence

Ø décès

 

THC-COOH

Ø conduite sous influence

Ø décès

 

 

181

 

198

 

 

127

 

45

 

129

 

98

 

 

29

 

24

 

52

 

100

 

 

98

 

21

Au total, les cas où le D9THC sans alcool était présent représentent 13 % du total, un pourcentage qui se rapproche de celui que l’on constate dans les autres études.

Sur l’ensemble de ces études, on constate que la présence de cannabis chez les conducteurs accidentés ou tués varie entre 3,6 % (confirmé par une analyse du sang) et 13 % (sans confirmation).  Lorsqu’il y a confirmation pour la présence de D9THC par rapport au D9THC-COOH, la présence du principe actif diminue de moitié.  D’autre part, les jeunes hommes ont des risques beaucoup plus élevés que les autres conducteurs de tester positif.  Ces conclusions sont aussi largement partagées par d’autres auteurs.[18]

 

Enquêtes épidémiologiques auprès des jeunes

Certaines enquêtes épidémiologiques menées auprès des jeunes en milieu scolaire ont commencé au cours des dernières années à leur poser des questions sur la fréquence de conduite sous l’influence de substances psychoactives, l’alcool et le cannabis en particulier.  En Ontario, l’enquête OSDUS dont il a été question au chapitre 6, démontre que, pour 2002, 19,3 % des étudiants disaient avoir conduit un véhicule une heure ou moins après avoir consommé du cannabis au moins une fois au cours des douze derniers mois.[19]   De manière intéressante, 15 % disaient avoir conduit un véhicule moins d’une heure après avoir pris deux consommations ou plus d’alcool.  Par ailleurs, l’enquête en milieu scolaire auprès des jeunes au Manitoba indique que près de 20 % d’entre eux ne voient rien de mal à consommer du cannabis et à conduire.[20]

Notons enfin les données de l’étude de Cohen et Kaal auprès de consommateurs au long cours qui démontrait que pas moins de 42 % des répondants à Amsterdam et 74 % à San Francisco déclaraient avoir déjà conduit un véhicule sous l’influence du cannabis.[21]

 

Évaluation du risque

Tenant compte des difficultés de mener des études épidémiologiques fiables sur la conduite sous influence de cannabis, un certain nombre d’auteurs ont analysé la probabilité de responsabilité et le ratio de risque attaché à la consommation de cannabis.  Ces études distinguent entre les conducteurs responsables et non responsables des accidents.  Les premiers sont les sujets et les seconds le groupe témoin.  L’on procède ensuite à des comparaisons de leur intoxication à diverses substances.  Évidemment, la décision de classement selon l’axe responsable/non responsable peut dépendre de la perception qu’aura l’enquêteur de la présence ou non de substances psychoactives.

Le tableau suivant, reproduit du rapport produit par Ramaekers et coll. (2002) pour la conférence scientifique internationale sur le cannabis résume les résultats de diverses études.[22]  Signalons que la probabilité de responsabilité des conducteurs présentant des traces de cannabis (D9THC  et/ou D9THC –COOH, mesuré dans le sang ou l’urine) est comparée à celle des conducteurs accidentés sans aucune substance (y compris l’alcool).  Le ratio de risque des conducteurs sans substance est de 1,0 et sert de point de comparaison pour déterminer la signification statistique du changement observé du risque des conducteurs sous influence.  Lorsque la valeur référence se situe au delà du niveau de confiance statistique de 95 %, il est permis de penser que cette drogue est à 95 % associée à un risque de responsabilité accru.

Ratio de culpabilité relatif à la conduite sous l’influence du cannabis

Auteurs

Substances

ratio

Intervalle de confiance à 95%

Conducteurs coupables/non coupables

 

Terhune & Fell (1982), É.U.

 

 

 

Williams et coll. (1985), É.U.

 

 

 

Terhune et coll. (1992), É.U.

 

 

 

Drummer (1994), Australie

 

 

 

 

Hunter et coll. (1998), Australie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lowenstein & Koziol-McLain (2001), É.U.

 

 

 

 

Drummer et coll. (2001) & Swann (2000), Australie

 

 

 

Sans substances

Alcool

THC

Alcool/THC

 

Sans substances

Alcool

THC ou THC-COOH

Alcool/THC ou THC-COOH

 

Sans substances

Alcool

THC

Alcool/THC

 

Sans substances

Alcool

THC-COOH

Alcool/THC-COOH

 

 

Sans substances

Alcool

THC

Ø £ 1.0 ng/ml

Ø 1,1 – 2,0 ng/ml

Ø > 2 ng/ml

 

THC-COOH

Ø 1 – 10 ng/ml

Ø 11 – 20 ng/ml

Ø 21 – 30 ng/ml

Ø > 30 ng/ml

 

Alcool/THC

 

Sans substances

Alcool

THC-COOH

Alcool/THC-COOH

 

 

Sans substances

Alcool

THC

THC > 5 ng/ml

THC-COOH

Alcool/THC

 

1,0

5,4*

2,1

-

 

1,0

5,0

0,2

8,6*

 

1,0

7,4*

0,7

8,4*

 

1,0

5,5*

0,7

5,3*

 

1,0

6,8*

 

0,35

0,51

1,74

 

 

0,69

1,04

0,87

1,62

 

11,5*

 

1,0

3,2

1,1

3,5*

 

 

1,0

5,7*

3,0*

6,4*

0,8

19*

 

 

2,8 – 10,5

0,7 – 6,6

 

 

 

2,1 – 12,2

0,2 – 1,5

3,1 – 26,9

 

 

5,1 – 10,7

0,2 – 1,8

2,1 – 72,1

 

 

3,2 – 9,6

0,4 – 1,5

1,9 – 20,3

 

 

 

4,3 – 11,1

 

0,3 – 2,1

0,2 – 1,4

0,6 – 5,7

 

 

0,5 – 2,2

0,4 – 2,1

0,6 – 4,8

0,6 – 4,8

 

4,6 – 36,7

 

 

1,1 – 9,4

0,5 – 2,4

1,2 – 11,4

 

 

 

4,1 – 8,2

1,2 – 7,6

1,3 – 115,7

0 – 1,3

2,6 – 136,1

 

94/179

45/16

9/8

-

 

55/23

120/10

10/9

123/6

 

541/258

587/38

11/8

35/2

 

392/140

261/17

29/14

59/9

 

 

944/821

173/22

 

2/5

7/12

12/6

 

 

19/24

18/15

12/12

13/7

 

66/6

 

114/126

17/6

17/17

16/5

 

 

1209/372

720/39

49/5

24/0

68/26

65/62

On constate selon les résultats de ces études que le cannabis seul n’augmente pas la probabilité de culpabilité lors d’accident.  Toutefois, il faut noter que la plupart des études ont utilisé une mesure de THC-COOH, le métabolite inactif qui peut rester dans les urines plusieurs jours.  Lorsque les auteurs ont distingué le THC seulement, on observe un ratio de risque légèrement plus élevé, même s’il n’atteint pas le seuil de signification.  De plus, plus la concentration de THC augmente, plus le ratio augmente, suggérant encore une fois une relation dose-effet.  Par ailleurs, la combinaison cannabis alcool augmente significativement le risque.  Sans pouvoir conclure définitivement, on peut remarquer certains signes que leurs effets sont en synergie et non seulement additifs.

Les études qui portent sur des conducteurs blessés (Terhune (1982) et Hunter (1998)) les ratios sont un peu plus élevés que dans les autres études portant sur les tués.  Selon Bates et Blakely (1999), la réduction apparente du risque d’accident mortel tiendrait au fait que les conducteurs sous l’influence du cannabis conduisent de manière moins risquée, réduisant leur vitesse notamment.[23]

En conclusion, nous sommes plutôt en accord avec l’INSERM sur ces études : 

« Les résultats, en définitive, confirment l’importance du risque alcool, mais échouent généralement à démontrer un effet du cannabis seul sur le risque d’être responsable d’un accident mortel ou corporel grave.  Les difficultés d’ordre méthodologique, qui rendent cette démonstration malaisée, contribuent pour une grande part à l’absence de résultats statistiquement indiscutables.  Les analyses de responsabilité permettent néanmoins d’inférer que l’association entre l’alcool et le cannabis augmente le risque d’être responsable d’un accidente par rapport à la consommation d’alcool seule ; ce résultat demande toutefois à être consolidé.  Enfin, les données les plus récentes tendent à monter que le risque d’être responsables augmente aux fortes concentrations de D9THC.  Cela concernerait notamment la consommation de cannabis précédant immédiatement la conduite et peut-être les consommateurs chroniques. » [24]

 

Études expérimentales

Les études épidémiologiques indiquent une présence relativement importante de conduite sous l’influence du cannabis, entre 5 % à 12 % des conducteurs, davantage chez les jeunes hommes.  En même temps ces études et les analyses de risque de culpabilité n’arrivent pas à des conclusions claires sur le rôle du cannabis dans la conduite dangereuse.  De là découle l’intérêt des études sur les effets du cannabis sur les facultés reliées à la conduite et sur la conduite elle-même.  Les études sur les qualités psychomotrices et cognitives requises pour la conduite de véhicules ont mesuré des dimensions telles : la coordination motrice, le temps de réaction, l’attention, la poursuite visuelle, et le raisonnement déductif.  Les études sur la conduite sont de deux types : sur simulateur et en situation réelle de conduite, sur piste, en ville ou sur autoroute.  La plupart des études portent sur la consommation de doses uniques chez des usagers récréatifs.  Elles utilisent des devis avec groupe témoin et des devis croisés, notamment avec placebo et comparaison avec l’alcool.  Toutefois, elles sont limitées par le fait qu’elles mesurent principalement les effets aigus de doses uniques, de sorte qu’il est difficile de déterminer si des usagers plus expérimentés réagiraient de la même manière.  Les sections qui suivent examinent ces deux types d’études.

 

Activités hors conduite

Dès 1985, Moskowitz publiait une synthèse remarquable des études sur les effets psychomoteurs et cognitifs du cannabis.[25]  Dans cette synthèse, il examine la coordination motrice, le temps de réaction, le tracking, et les fonctions sensorielles.  L’auteur observe ce qui suit :

·                La coordination motrice, mesurée par la stabilité des mains, le balancement du corps et la précision des mouvements, était significativement affectée.  Toutefois, la pertinence de ces résultats pour la conduite automobile est limitée, sauf dans les situations de conduite qui exigent une grande coordination, comme les situations d’urgence.  Il faut aussi ajouter les limites de ces études quant au dosage et au nombre de sujets testés (entre 8 et 16) ;

·                Le temps de réaction n’est pas significativement modifié : « Il existe suffisamment d’études expérimentales sur le temps de réaction dans des situations simples et complexes pour établir que ni la vitesse de la détection initiale ni la vitesse de la réponse ne sont, en soi, réduites par la marijuana.  Il semble plutôt que, lorsque la marijuana entraîne une augmentation du temps de réaction, ce soit parce qu’une dimension quelconque de la tâche d’analyse de l’information soit en jeu. »[26]  L’attention, plutôt que le temps de réaction, serait modulée par la consommation de marijuana ;

·                La ligne droite : cette dimension est particulièrement sensible aux effets de la marijuana, la vaste majorité des études démontrant des réductions significatives à la capacité de garder une ligne droite ou de corriger les déviations par rapport à la ligne ;

·                Les fonctions sensorielles (auditives et visuelles) sont souvent modifiées, mais les études ne produisent pas de résultats précis sur la distinction entre les tâches simples et les tâches complexes.

 

Ramaekers et coll., (2002), rapportent une méta-analyse portant sur 87 études contrôlées en laboratoire sur les effets psychomoteurs du cannabis menée par Berghaus et coll. (1998).  Ces auteurs ont trouvé que le nombre de fonctions psychomotrices reliées à la conduite (poursuite, temps de réaction, perception, coordination œil-main, équilibre corporel, détection de signaux et attention divisée et continue) affectées par le THC atteignait son maximum au cours de la première heure après consommation fumée, et 1 à 2 heures après consommation orale.  Les maxima étaient comparables à ceux obtenus avec une concentration d’alcool équivalant à > 0,05 g/dl.  Le nombre de fonctions affectées atteignait zéro après 3 à 4 heures, seules les doses plus élevées continuant d’avoir des effets.  Les études recensées démontrent aussi que la concentration de THC dans le sang est fortement corrélée aux effets psychomoteurs : une concentration entre 14 ng/ml et 60 ng/ml affectait entre 70 % et 80 % des tâches.[27]

  Le tableau suivant résume ces données : 

 

Détérioration des performances aux tests psychomoteurs selon la dose, le temps et le mode d’ingestion

Dose de THC

Temps (en heures)

        < 1                     1-2                      2-3                      3 – 4                        4 - 5              

 

Tests (n)  % affectés

Tests (n)  % affectés

Tests (n)  % affectés

Tests (n)  % affectés

Tests (n)  % affectés

Fumé

< 9mg

9 – 18 mg

³ 18 mg

Total

 

Oral

< 9mg

9 – 18 mg

³ 18 mg

Total

 

 

271        61 %

193             53 %

64                 64 %

528             58 %

 

 

3           33 %

 3             0 %

3                        0 %

9            11 %

 

33                     36 %

 48           38 %

 28           36 %

109                   37 %

 

 

 49           14 %

 41           39 %

 45           60 %

135          37 %

 

 10           30 %

   8           38 %

 10           40 %

28                     36 %

 

 

 37            8 %

 45          18 %

 15          33 %

 97          20 %

 

 10            0 %

   6            0 %

 15          53 %

 31          26 %

 

 

 13            8 %

 17           18 %

 15           33 %

 45           20 %

 

 11            0 %

   2            0 %

   3           67 %

 16           13 %

 

 

  -                -

  -                -

 11           45 %

 11           45 %

 

Plus récemment, après recension des études menées au cours des dernières années, les rapports de l’INSERM et de la Conférence scientifique internationale sur le cannabis arrivent à des conclusions largement similaires : le cannabis affecte le temps de réaction avec choix, le contrôle de la trajectoire, l’attention partagée et l’attention continue, ainsi que les processus de mémoire, mais n’affecte pas significativement le temps de réaction simple, ni les fonctions visuelles et oculomotrices.

 

En activité de conduite

L’une des faiblesses des études en laboratoire tient à la difficulté de relier les tâches psychomotrices et cognitives directement aux activités de conduite.  Plusieurs tests mesurés dans ces études sont courts et relativement simples et ne reflètent pas nécessairement les situations réelles.  L’avantage des études sur simulateurs de conduite et en situation de conduite sont plus susceptibles de ressembler à la réalité.

La plupart des études contemporaines ont des caractéristiques semblables : les sujets ont leur permis de conduire depuis au moins trois ans.  Ils sont souvent des usagers réguliers de cannabis.  Les sujets reçoivent du cannabis ou un placebo dans une situation « double aveugle » selon un minutage très strict de façon à contrôler le niveau de THC transmis.  Dans certains cas, les expérimentateurs incluent aussi des comparaisons avec l’alcool et un placebo d’alcool.  Notons cependant qu’il est impossible de contrôler le niveau que les sujets inhalent et absorbent réellement.  Le cannabis préparé par le National Institute of Drug Abuse (NIDA) aux États-Unis varie entre 1,75 % THC pour les doses faibles, 2,67 % pour les doses moyennes et 3,95 % pour les doses fortes.  Converti en mg/kg de poids, les doses correspondent à 100, 200 et 300 mg/kg, la dose forte recherchée par les usagers réguliers correspondant généralement à 308 mg/kg.  Les sujets sont familiarisés avec l’équipement utilisé, les tâches à effectuer, et sont accompagnés par des moniteurs lors des études sur route.  Les mesures portent sur le contrôle de la position latérale par rapport à la voie, le contrôle de la position longitudinale (distance) par rapport au véhicule qui précède, la prise de décision en situation d’urgence, le style de conduite et la prise de risques.

Le tableau qui suit, adapté de l’INSERM, résume certaines des études les plus récentes.

Effets du cannabis sur la conduite automobile[28]

Milieu / Référence

 

Sujet / Dose / Protocole

Tâches

Mesures

Résultats

Simulateur

Liguori et coll., 1998

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sexton et coll., 2000

 

 

 

 

 

10 usagers

Placebo

Cigarette 1,77 % THC fumée en 5 mn

Cigarette 3,95 % THC fumée en 5 mn

Test : 2 mn après

Durée : 1 heure

 

 

 

 

 

 

 

 

15 usagers

Placebo

Herbe, dose faible 1,77 % THC

Dose forte : 2,67 % THC

1 cigarette résine : 1,70 % THC

Échantillon de sang et salive 10 mn après début

Test 30 mn

Durée : 25 mn

 

 

 

 

 

 

Éviter en freinant une barrière apparue soudainement (55 à 60mph)

 

 

 

 

 

 

Jugement : maintenir une vitesse de 30mph sur une voie balisée et choisir la voie la plus large à embranchement

 

Section d’autoroute avec véhicule déboîtant devant

 

Section d’autoroute avec véhicule freinant devant

 

Section d’autoroute de 16,7 km

 

Virages à gauche, à droite

 

 

 

Carrefour avec feux sur route à 2 fois 2 voies

 

 

 

 

 

 

 

Temps total de freinage

 

 

 

Temps de latence pour lâcher l’accélérateur et appuyer sur le frein

 

Vitesse moyenne

Nombre de cônes renversés

Nombre de choix réussis

 

Temps de réaction moyen

 

 

Temps de réaction moyen

 

Vitesse maximum minimum et moyenne

Écarts-type de la déviation ligne parfaite

 

Temps de réponse au passage à l’orange

 

Temps moyen d’attente d’un point à 10m de la ligne d’arrêt

 

↑ faiblement significatif à 1,77 THC, légèrement plus à 3,95

 

pas de différence

 

 

 

 

 

Pas d’effet

 

 

 

 

↑ à faible dose (forte variabilité à forte dose : ns)

 

↑ à faible dose (ns)

 

 

↓ moyenne de 6mph à faible et forte dose

↑ variation à forte dose vs faible dose ou placebo

 

↓ à forte dose

 

 

 

↓ à forte dose (grande variabilité : ns)

Sur route

Robbe, 1998 étude no1

Portion fermée d’autoroute (cannabis)

 

 

 

 

Étude no2

Trafic normal sur autoroute (cannabis)

 

 

 

 

 

 

 

Étude no 3

Conduite en ville (cannabis)

 

 

 

 

 

Étude no3

Conduite en ville (alcool)

 

 

 

 

 

Robbe, 1998

Conduite sur autoroute (cannabis et alcool)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lamers et Ramaekers, 2000

Conduite en ville (cannabis et alcool)

 

 

24 usagers

Placebo

100, 200 et 300

Test : 40 minutes et 1h40 après

 

 

 

 

16 usagers

mêmes doses qu’étude 1

Test : 45 mn après

 

 

 

 

 

 

 

16 usagers

Placebo

100

Test : 30 mn après

 

 

 

 

16 usagers

Placebo

Alcoolémie : 0,5 g/l

 

 

 

 

 

18 usagers

THC : 100, 200

Alcool : 0,4 g/l

Traitements :

Alcool 0 + THC 0

Alcool ) + THC 100

Alcool 0 + THC 200

Alcool 0,4 + THC 0

Alcool 0,4 + THC 100

Alcool 04 + THC 200

Alcool puis cannabis 60 mn après

Tests entre 21 h et 23h15

 

 

 

 

16 usagers

THC 100

Alcool 0,5 g/l

4 traitements :

Alcool 0 + THC 0

Alcool 0,5 + THC 0

Alcool 0 + THC 100

Alcool 0,5 + THC 100

Tests : 15 mn après

Durée : 45 mn

 

Vitesse constante à 90km/h et contrôle de trajectoire sur 22km

 

 

 

 

 

 

Contrôle de trajectoire (id) 64km, 50 mn

 

Suivi de véhicule à 50m à vitesse variable (entre 80 et 100km/h) sur 16 km, 15 mn

 

 

 

 

Parcours en ville de 17,5 km

Trafic dense, moyen ou léger

 

 

 

 

Idem

 

 

 

 

 

 

 

Trajectoire : vitesse à 100km et position latérale constante

 

 

 

 

 

 

 

Suivi : suivre un véhicule à 50 m dont vitesse varie de ± 15km/h toutes les 5mn

 

Conduite avec trafic

 

 

 

Conduite en ville 15 km

 

 

 

Contrôle de la recherche visuelle

 

Écart-type de la déviation latérale

 

Moyenne de la déviation latérale

 

Moyenne et écart-type de la vitesse

 

Mêmes mesures

 

 

Temps moyen de réaction

 

Moyenne et écart-type des distances

 

 

 

Observations externes

 

Observations internes : maîtrise, manœuvres, virages…

 

Observations externes

 

Observations internes : maîtrise, manœuvres, virages…

 

Écart-type de la déviation latérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Temps de réaction

 

 

 

 

Moyenne et écart-type des distances

 

 

Fréquence des mouvements appropriés des yeux

 

Qualité de conduite

 

 

 

 

 

 

↑ instabilité aux 3 doses

 

pas d’effet

 

 

pas d’effet

 

 

mêmes effets

 

 

↑ ns

 

 

Distance allongée de 8, 6 et 2 m pour 100, 200 et 300 THC

 

Pas de modification significative

Pas d’effet

 

 

 

 

 

Pas de modifi-cation significative

 

Alcool 0,34 g/l modifie maîtrise et manœuvres

 

 

↑ variabilité de trajectoire ; faible alcool seul, THC 100 seul ; Modérée : THC 200

Forte : alcool 0,4 et THC aux deux doses

 

↑ temps de réaction pour alcool 0,4 et THC 200

 

 

↑ variabilité de l’interdistance dans tous les cas

 

Pas d’effet avec alcool seul ou cannabis seul 

 

↓ performances si alcool + cannabis

Pas d’effet

 

 

Il est intéressant de se souvenir qu’une des premières études sur route avait été menée pour la Commission Le Dain.[29]  Dans cette étude sur une piste en circuit fermé, 16 sujets recevaient chacun les 4 traitements suivants : placebo, marijuana 21 et marijuana 88 μg/kg THC et une dose d’alcool équivalant à BAC 0,07.  Les tests étaient menés immédiatement après consommation et 3 heures après.  Les sujets devaient compléter 6 tours de piste (1,8 km) avec manœuvres au ralenti en marche avant et en marche arrière, maintenir une trajectoire et contourner des cônes.  L’alcool et la dose élevée de marijuana diminuaient les performances des conducteurs lors des tests immédiatement après consommation.  À dose de cannabis élevée, les conducteurs maintenaient une vitesse réduite.  Au second test, les différences s’estompaient.

Lorsqu’on compare les résultats de cette étude à celles qui ont été menées plus récemment avec des méthodes beaucoup plus sophistiquées, on constate que les résultats sont remarquablement similaires.[30]  Ainsi l’on observe ce qui suit :

·                Contrôle latéral : c’est la variable la plus sensible aux effets du THC mais les effets sont variables, notamment selon la dose et le temps ; seules les doses fortes affectent significativement le contrôle latéral du véhicule.  Comparativement, l’alcool affecte davantage le contrôle latéral du véhicule et la vitesse (variables reliées) ;

·                Contrôle de la vitesse : dans presque tous les cas, la consommation de cannabis diminue significativement la vitesse ;

·                Prise de risques : en plus d’une diminution de la vitesse, on constate généralement une augmentation de la distance entre les véhicules chez les consommateurs de marijuana, une moins grande tendance à dépasser ou à faire des manœuvres dangereuses ;

·                Temps de décision : cette variable est particulièrement importante dans une situation de conduite réelle.  En apparence, les résultats ne sont pas très cohérents.  Par contre, Smiley suggère que le temps de réaction n’est pas affecté lorsque les sujets ont une indication qu’ils doivent répondre rapidement; par contre, lorsque les obstacles sont tout à fait imprévus, les sujets ayant consommé du cannabis sont moins performants ;

·                Effets conjugués de l’alcool et du cannabis : lorsque les chercheurs ont vérifié les effets des deux substances, les effets conjugués du cannabis et de l’alcool étaient systématiquement plus importants que ceux de l’alcool seul et plus encore de ceux du cannabis seul.

 

Enfin, à faible dose les sujets ont l’impression que leur conduite est moins bonne qu’elle ne l’est selon les observateurs, ce qui n’est pas nécessairement le cas à doses plus élevées où les perceptions des uns et des autres sont en accord.

 

Conclusions 

Le Comité est d’avis qu’il est vraisemblable que le cannabis rend les consommateurs plus prudents, notamment parce que, conscients de leurs déficiences, ils compensent par une réduction de la vitesse et par une moins grande prise de risques.  Toutefois, en matière de conduite sous l’influence de cannabis, parce qu’il ne s’agit plus des conséquences sur les usagers eux-mêmes, mais des conséquences possibles de leur comportement sur d'autres personnes, le Comité est d’avis qu’il convient d’opter pour la plus grande prudence.  Tenant compte de ce que nous avons vu dans ce chapitre, et malgré les limites méthodologiques dont souffrent les études menées sur le dépistage de la prévalence de conduite sous l’influence du cannabis, nous concluons comme suit : 

 

Conclusions du chapitre 8

Données épidémiologiques

 

 

 

 

 

Données sur les effets sur la conduite

 

 

 

 

 

 

Dépistage

 

 

 

 

 

 

 

 

Mener des études

 

 

Ø      Entre 5 % et 12 % des conducteurs pourraient conduire sous l’influence du cannabis ; ce pourcentage monte à plus de 20 % lorsqu’on isole les jeunes hommes de moins de 25 ans.

Ø      Ce fait en soi ne signifie pas que les conducteurs sous l’influence de cannabis représentent un danger pour la sécurité routière.

Ø      Une proportion non négligeable démontre la présence de cannabis et d’alcool simultanément.

 

Ø      Le cannabis seul, surtout à faible dose, a peu d’effets sur les facultés reliées à la conduite automobile.

Ø      Le cannabis, surtout aux doses correspondant aux doses élevées recherchées par les usagers réguliers, affecte négativement le temps de décision et la trajectoire.

Ø      Le cannabis mène à un style de conduite plus prudent.

Ø      Les effets du cannabis conjugué à l’alcool sont plus importants que ceux de l’alcool seul.

 

Ø      Malgré les progrès accomplis, il n’existe pour le moment aucun test rapide de dépistage en situation de conduite (roadside testing).

Ø      Le sang demeure le milieu le plus sûr pour détecter la présence des cannabinoïdes.

Ø      Les urines ne peuvent indiquer une consommation récente.

Ø      La salive est un milieu prometteur mais les tests rapides commerciaux ne sont pas encore fiables.

Ø      La méthode de reconnaissance visuelle par les policiers a démontré des résultats satisfaisants.

 

Il est essentiel de mener des études pour :

Ø      Développer un outil de dépistage rapide.

Ø      Mieux connaître les habitudes de conduite des consommateurs de cannabis.


[1]  Hormis les études spécifiques que nous avons consultées et qui feront l’objet des renvois appropriés, ce chapitre s’inspire largement des recensions réalisées par l’INSERM (2001) op. cit.; Ramaekers et coll., (2001) pour la Conférence scientifique internationale sur le cannabis in Pelc, I., op. cit., et de Smiley (1999) dans Kalant, H., (éd.), op. cit.

[2]  R.G. Lesser, surintendant principal, gendarmerie royale du Canada, témoignage devant le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première session de la trente-septième législature, 29 octobre 2001, fascicule no 8, page 17.

[3]  Dale Orban, sergent-détective, Service de police de Regina, pour l’Association canadienne des policiers et policières, témoignage devant le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première session de la trente-septième législature, 28 mai 2001, fascicule no 3, page 47.

[4]  Dr John Morgan, professeur à la City University of New York Medical School, témoignage devant le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première session de la trente‑septième législature, 11 juin 2001, fascicule no 4, page 40-41.

[5]  Ibid.

[6]  Dr Harold Kalant, professeur émérite à l’Université de Toronto, témoignage devant le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première session de la trente-septième législature, 11 juin 2001, fascicule 4, page 75.

[7]  Dans ce chapitre, ng signifie nanogramme (soit un milliardième de gramme) et μg signifie microgramme (soit 1 millionième de gramme).

[8]  INSERM (2001), op. cit., : pages 152-153.

[9]  Ramaekers, J.G. et coll., (2002) « Performance impairment and risk of motor vehicle crashes after cannabis use » in Pelc, I. (éd.) International Scientific Conference on Cannabis, Bruxelles, page : 81.

 

[10]  Bigelow, G.E. (1985) Identifying types of drug intoxication laboratory evaluation of a subject procedure.  Cité dans Sandler, D. (2000) « Expert and Opinion Testimony of Law Enforcement Officers Regarding Identification of Drug Impaired Drivers. »  University of Hawai’i Law Review 23 (1) : 150-181.

[11]  Compton, P.R. (1986)  Field Evaluation of the Los Angeles Police Department Drugs Detection Procedure.  Cité dans Sandler, D., op. cit., page : 151.

[12]  Tableau reproduit de INSERM (2001), op. cit., page 175.

[13]  Adapté de INSERM (2001), op. cit., pages 171 et 174.

[14]  Voir INSERM, (2001), op. cit., page 172.

[15]  Ibid.

[16]  Mercer, W.G. et W.K. Jeffery (1995) « Alcohol, Drugs and Impairment in Fatal Traffic Accidents in British Columbia » Accid. Anal. And Prev., 27 (3) : 335-343.

[17]  Jeffery, W.K. et coll. (1996) « The involvement of drugs in driving in Canada : An update to 1994. »  Can. Soc. Forens. Sci. J., 29 (2) pages 93-98.

[18]  Notamment le rapport de l’INSERM (2001), op. cit. ; Ramaekers, J.G. et coll., (2002) « Performance impairment and risk of motor vehicle crashes after cannabis use » in Pelc, I. (ed.) International Scientific Conference on Cannabis, Bruxelles.

[19]  Adlaf, E.M. et A. Paglia (2001) Drug Use among Ontario Students 1997-2001.  Findings from the OSDUS.  Toronto : Centre for Addiction and Mental Health, page 134.

[20]  Patten, D., et coll., (2000) Substance Use among High School Students in Manitoba.  Winnipeg : Addictions Foundation of Manitoba.

[21]  Cohen, P.D.A. et H.L. Kaal (2001) The Irrelevance of Drug Policy.  Patterns and careers of experienced cannabis use in the populations of Amsterdam, San Francisco and Bremen.  Amsterdam : University of Amsterdam, CEDRO, page 68.

[22]   Ramaekers et coll. (2002), op. cit.., page 73.

[23]  Cité dans INSERM (2001), op. cit., page 192.

[24]  INSERM (2001), op. cit., page 194.

[25]  Moskowitz, H., (1985) « Marihuana and Driving. » Accid. Anal. Prev., 17 (4), 323-345.

[26]  Ibid., page 330.

[27]  Ramaekers J.G. et coll., (2002) op. cit., page 77.

[28]  Tableau adapté de l’INSERM (2001), op. cit., pages : 183-184.

[29]  Voir Hansteen, R.W, et coll., (1976) « Effects of cannabis and alcohol on automobile driving and psychomotor tracking. »   Annals of the New York Academy of Science, 282, pages : 240-256.

[30]  Voir notamment la recension des études et la discussion dans Smiley, A., (1999) « Marijuana : On-Road and Driving Simulator Studies » in Kalant, H. et coll., (ed) The Health Effects of Cannabis.   Toronto : Addiction Research Foundation, pages : 173 passim.


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