Réponse
au rapport Romanow
Sénateur Michael Kirby
Comité sénatorial permanent des
Décembre 2002
Introduction
Avec
la publication du rapport de M. Romanow à la fin de novembre, le débat
national sur la santé que nous attendions avec tant d’impatience est
maintenant pleinement engagé. Le Comité sénatorial des affaires sociales
avait fait paraître le dernier volume de son rapport sur les soins de santé un
mois plus tôt. Nous avons donc maintenant en mains deux propositions de
stratégies nationales très détaillées et bien documentées pour une réforme
des soins de santé. Les deux coïncident sur bien des points, mais les
recommandations de M. Romanow diffèrent de celles du Comité sénatorial
sous plusieurs aspects importants.
Les
Canadiens doivent examiner attentivement les propositions qui ont été déposées
et faire connaître leurs vues sur ce qu’il faut faire maintenant. Les décisions
finales reviendront aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux,
mais deux choses sont très claires :
·
D’abord,
c’est bien beau de rédiger des rapports et des recommandations, mais le temps
est venu d’agir. Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre pour
réformer le système.
·
Ensuite, les
gouvernements sont à l’écoute. Si les Canadiens prennent la peine de
s’exprimer, ils seront entendus. L’issue du débat qui nous attend et sa
concrétisation par les actions de nos gouvernements fédéral, provinciaux et
territoriaux dépendent beaucoup des personnes qui feront entendre publiquement
leur voix haut et fort.
Je présenterai dans
ce document la réponse du Comité sénatorial au rapport Romanow.
Avant de commencer
cependant, je tiens à féliciter M. Romanow pour la parution de son
rapport tant attendu. Je sais trop bien que recommander des changements au
programme social qui tient le plus à cœur aux Canadiens est une tâche qui
n’est ni facile ni appréciée par tous.
Le Comité sénatorial
est heureux de constater que, sur bien des points, M. Romanow en est arrivé
aux mêmes conclusions que nous, dans notre rapport, en particulier en ce qui a
trait aux principaux objectifs de la réforme des soins de santé au Canada.
Tout comme le Comité, M. Romanow affirme avec conviction qu’il faut
maintenir le régime public d’assurance-santé à bailleur de fonds unique.
Tout comme nous, il estime nécessaire de rendre la prestation des soins de santé
plus efficace et plus efficiente, et insiste sur l’importance d’améliorer
le service aux patients.
À ces fins, M. Romanow
a fait siennes certaines des recommandations que le Comité avait formulées un
mois plus tôt, par exemple réduire les délais d’attente et réformer les
soins primaires. Par ailleurs, beaucoup de ses propositions visant à étendre
la couverture de l’assurance publique au Canada reprennent celles du Comité.
Il préconise un programme pour protéger les Canadiens contre les coûts très
élevés des médicaments de prescription extrêmement chers, un programme
national restreint de soins à domicile ainsi qu’un programme de soins
palliatifs – sujets tous couverts dans les recommandations du Comité.
Le coût estimatif de
la mise en œuvre des propositions de M. Romanow est relativement proche du
chiffre de 5cinq milliards de dollars par année en crédits neufs auquel
était arrivé le Comité sénatorialavance aussi une estimation des coûts que
supposerait la mise en œuvre de ses recommandations, estimation très proche
des cinq milliards de dollars de nouveaux fonds avancés par le Comité.
Néanmoins, le rapport
de M. Romanow et celui du Comité sénatorial comportent toutefois
certaines nombre de divergences importantes quant aux moyens et aux méthodes
envisagés pour atteindre nos objectifs communs. Nous sommes heureux que le débat
puisse maintenant se concentrer maintenant sur la meilleure façon
d’actualiser des objectifs que nous partageons en grande partie. Le choix des
moyens est loin d’être anodin – certains sont plus efficaces que
d’autres, d’autres mènent à de meilleurs résultats pour les patients, et
d’autres encore sont propices à des relations fédérales-provinciales moins
acrimonieuses.
Il ne faut pas
m’attribuer personnellement les commentaires qui vont suivre. Ce n’est pas
un match entre Kirby et Romanow, comme certains médias ont présenté la chose.
En matière de politique gouvernementale, des gens raisonnables ont parfois,
souvent même, d’honnêtes divergences d’opinion. C’est ce qui fait toute
la richesse des débats publics.
J’aborderai sept
sujets dans le présent document :
1.
Les mesures proposées dans le rapport du Comité sénatorial pour rendre
plus efficace le système public de soins hospitaliers et de soins dispensés
par les médecins;
2.
Nos recommandations en ce qui concerne le renouvellement et le
renforcement de l’infrastructure du système;
3.
Nos propositions en vue de corriger le plus grand souci des Canadiens au
sujet des soins de santé : les périodes d’attente excessivement longues
pour obtenir un diagnostic et un traitement;
4.
Les mesures que le Comité propose pour combler les lacunes du système
de soins de santé;
5.
Nos propositions en vue d’améliorer la reddition de comptes dans le
système;
6.
Les mesures que nous proposons pour atténuer les conflits entre le
gouvernement fédéral et les provinces;
7.
Les moyens que le Comité envisage pour payer les coûts de la réforme
et du renouvellement du système de soins de santé.
J’indiquerai,
dans chaque cas, en quoi les propositions et les recommandations contenues dans
le rapport du Comité sénatorial diffèrent de celles de M. Romanow.
Les
mesures d’amélioration de l’efficacité du système de soins hospitaliers
et de soins dispensés par les médecins : des incitatifs plutôt qu’une
microgestion descendante
Assez
tôt dans ses délibérations, le Comité s’est rendu compte qu’il devait
faire un choix fondamental quant à la manière d’aborder la réforme des
soins de santé. Devions-nous fonder nos recommandations sur le maintien du système
actuel - dans lequel les gouvernements provinciaux, pour faire des économies,
essaient de gérer les hôpitaux jusque dans les détails et, dans certains cas,
dictent même la marche à suivre - ou valait-il mieux opter
pour une solution où le gouvernement pourrait établir les règles du jeu, mais
laisser aux exécutants le soin de déterminer eux-mêmes la meilleure façon
de faire le travail? Autrement dit, le gouvernement devrait-il être
rameur ou timonier?
Le
Comité était convaincu que la première voie, une gestion descendante, n’était
pas la bonne. Il est en effet tristement évident que les mesures prises depuis
des années par les gouvernements pour réglementer de plus en plus étroitement
la prestation des soins de santé ne fonctionnent pas. Nous en sommes venus à
la conclusion qu’il était tout simplement impossible que le gouvernement gère
jusque dans les détails un système aussi complexe que celui des soins de santé,
et que persister dans cette voie non seulement mènerait à de nouveaux échecs,
mais aussi gênerait les réformes nécessaires au lieu de les encourager.
Le Comité a donc opté
pour une série d’incitatifs, incitatifs qui amèneraient les gens à
prendre spontanément des décisions d’après nous conformes à l’intérêt
public. Nous avons déterminé qu’il faudrait, pour chacun des intervenants du
système (médecins, administrateurs d’hôpitaux et gouvernement) structurer
les incitatifs de façon à susciter les changements de comportement nécessaires
pour rendre le système plus efficace et plus efficient dans la prestation, en
temps opportun, des services dont les gens ont besoin. Par conséquent, nous
nous sommes d’abord entendus sur les changements de comportement que nous
voulions encourager, puis nous avons recommandé des incitatifs appropriés.
Permettez-moi
de vous donner deux exemples de la façon dont cette démarche axée sur
des incitatifs se reflète dans les recommandations du Comité.
D’abord, nous
proposons dans notre rapport de changer la façon dont les hôpitaux sont financés.
Selon nous, le gouvernement doit abandonner la pratique actuelle, qui consiste
à accorder aux hôpitaux un budget global fondé surtout sur leurs habitudes de
dépense. Nous proposons de les payer plutôt en fonction des services qu’ils
fournissent effectivement. C’est ce que nous appelons le financement fondé
sur les services dispensés. Cela signifie simplement que des prix fixes
sont établis pour différents traitements ou interventions, et que l’hôpital
est payé en fonction du nombre d’interventions de chaque type qu’il exécute
effectivement. En d’autres mots, les hôpitaux seraient payés pour ce
qu’ils font, pourvu, bien sûr, qu’ils le fassent bien. Le financement fondé
sur les services dispensés n’est pas un concept nouveau. Il est répandu dans
toute l’économie.
Selon
les témoignages que nous avons entendus, il est clair que ce mode de
financement procurerait des avantages appréciables :
-
il encouragerait les établissements à faire des économies, puisqu’ils pourraient garder pour eux l’argent qu’ils épargneraient;
-
il permettrait aux gestionnaires de mieux gérer, car ils devraient nécessairement connaître le degré d’efficience de leur établissement pour chacune des interventions;
-
il ferait en sorte que les coûts des diverses interventions soient plus transparents, et il améliorerait la reddition de comptes;
-
il susciterait une concurrence entre les établissements, encouragerait la spécialisation et stimulerait la création de centres d’excellence;
-
il encouragerait les établissements à améliorer le service aux patients, puisque leurs recettes dépendraient du nombre de patients traités (à condition, bien entendu, que tous les services fournis respectent des normes de qualité élevées et donnent des résultats satisfaisants).
Vu
les nombreux avantages de cette nouvelle formule, le Comité n’a pas été
surpris de constater qu’une forte majorité des directeurs généraux des
grands établissements de soins de santé qu’il avait consultés souscrivaient
à ce changement. La plupart des directeurs généraux de grands hôpitaux nous
ont dit qu’ils passent actuellement près de 30 % de leur temps à
barguigner avec les bureaucrates provinciaux. Quel énorme gaspillage d’un
temps précieux! L’adoption du financement fondé sur les services dispensés
permettra d’éliminer en grande partie sinon en totalité ces tracasseries,
puisque le gouvernement ne s’occupera plus de gérer le budget des hôpitaux.
Il
y a aussi un important effet de synergie entre le financement fondé sur les
services dispensés et l’amélioration de la qualité des services que reçoivent
les patients. Toutes les études indiquent que, s’il est une corrélation qui
se vérifie dans tout le secteur des soins de santé, c’est bien celle qui
existe entre le volume et la qualité des soins. Plus un établissement pratique
une intervention souvent, meilleurs sont les résultats. En encourageant les hôpitaux
à se spécialiser et en liant leur rémunération au nombre et au type
d’interventions, non seulement nous favorisons les économies mais nous améliorons
aussi la qualité des soins.
Enfin,
l’adoption d’un mode de financement fondé sur les services dispensés
aurait pour effet de désamorcer une controverse bien propre au Canada :
celle que suscite la question de savoir si les services doivent être fournis
par le secteur public ou par le secteur privé. Avec le financement fondé sur
les services, le gouvernement, qui est l’assureur ou le bailleur de fonds,
deviendrait indifférent au caractère public ou privé du fournisseur des
services.
C’est
d’ailleurs déjà le cas dans bien des secteurs de la santé, même si
beaucoup refusent de le reconnaître. Le principe de gestion publique de la Loi
canadienne sur la santé – un des cinq grands principes de la Loi -
concerne uniquement la façon dont les services de santé sont payés,
pas les fournisseurs.
Par
exemple, les hôpitaux qui donnent à contrat leurs services de lessive,
d’entretien ou de cafétéria acheminent déjà des
fonds publics vers des entreprises de services privées. Le gouvernement,
en tant que bailleur de fonds du système, les administrateurs des établissements
et les patients eux-mêmes ne devraient pas faire de cas de
l’attribution de contrats de services à des fournisseurs privés, pourvu que
la qualité des services n’en souffre pas et que les prix soient
concurrentiels. Si l’on adoptait le financement fondé sur les services
dispensés, cette même logique s’appliquerait à l’ensemble du secteur
hospitalier : l’origine du service importerait peu, pourvu qu’il soit
fourni à un prix concurrentiel convenu et moyennant des garanties appropriées
en ce qui concerne l’accès et la qualité.
Non seulement cette
prestation privée de services publics n’est pas interdite par la Loi
canadienne sur la santé, mais elle fait partie intégrante du système de
soins de santé au Canada, et ce, depuis l’instauration de l’assurance-santé
il y a environ 40 ans. Vous n’avez qu’à penser aux laboratoires, aux
cliniques de radiographie et aux autres établissements privés du genre qui
existent d’un bout à l’autre du pays. Prenons le cas des hôpitaux, par
exemple : presque aucun n’appartient à l’État. Et les médecins :
presque tous sont des professionnels autonomes qui exploitent, ni plus ni moins,
de petites entreprises indépendantes.
Le Comité ne propose
pas de modifier la Loi canadienne sur la santé pour accroître la
participation du secteur privé, et il ne préconise pas non plus d’élargir
la prestation de services par le secteur privé. Ce que nous disons, c’est
qu’avec les mesures incitatives que nous proposons, ce ne sera plus le
gouvernement qui décidera qui fournira tel ou tel service. Les patients, ou les
régies régionales agissant en leur nom, chercheront à obtenir des services
auprès des établissements qui peuvent les leur fournir le plus rapidement et
de la façon la plus commode.
Permettez-moi d’être
très clair sur une chose : les observations que je viens de faire
s’appliquent uniquement à la prestation des services de santé. Le
Comité croit fermement qu’il faut conserver le modèle à source publique
unique de financement pour les hôpitaux et les médecins. Nous estimons en
effet que la formule de l’assureur/bailleur de fonds public unique non
seulement garantit que tous seront traités de la même façon, mais est aussi
considérablement plus efficace qu’un modèle souvent préconisé comportant
à la fois des patients subventionnés par le secteur public et des patients qui
paient eux-mêmes leurs soins de santé ou ont une assurance privée,
c’est-à-dire le modèle « à deux vitesses » dont
nous entendons si souvent parler.
Je
vais vous donner un deuxième exemple de l’utilisation d’incitatifs pour
obtenir un changement de comportement donné, cette fois-ci dans le
domaine de la réforme des soins primaires. Les services de soins de santé
primaires constituent le premier point de contact des malades avec le système
de santé et couvrent un vaste éventail de services, depuis le diagnostic, le
traitement et la gestion des problèmes de santé jusqu’à la prévention des
maladies, en passant par la promotion de la santé.
À
l’heure actuelle, la prestation des soins primaires au Canada s’articule
principalement autour de médecins de famille et d’omnipraticiens exerçant
seuls ou en petits groupes. Environ le tiers des médecins de soins primaires
travaillent seuls, et moins de 10 % exercent dans des cliniques
pluridisciplinaires. La grande majorité des cabinets de soins primaires
appartiennent à des médecins qui les gèrent. Les honoraires à l’acte
constituent la forme de rémunération la plus courante chez les omnipraticiens.
Nous
avons noté plusieurs lacunes importantes dans la façon dont les soins
primaires sont généralement dispensés au Canada, à savoir :
-
la fragmentation des soins et des services;
-
l’utilisation inefficace de bon nombre de fournisseurs de soins de santé, comme les infirmières et les infirmières praticiennes, qui ont très peu l’occasion de mettre à profit les connaissances et les compétences qu’elles ont acquises au cours de leur formation subventionnée par l’État;
-
l’absence fréquente de service en dehors des heures ouvrables (alors que c’est à ces moments-là que les gens en ont souvent le plus besoin);
-
le peu d’importance qu’on accorde à la promotion de la santé et à la prévention des maladies.
Bon
nombre de ces problèmes s’expliquent par un décalage entre ce que le système
pousse les gens à faire et le comportement souhaité. La rémunération à
l’acte récompense les soins ponctuels davantage que les soins prolongés et
favorise des consultations rapides et des interventions plutôt simples qui présentent
peu de difficulté. De plus, elle décourage les omnipraticiens de déléguer
aux infirmières, aux infirmières praticiennes, aux psychologues et à
d’autres professionnels de la santé des tâches pour lesquelles ils sont
pleinement qualifiés. Il ne faut pas voir ici une critique des omnipraticiens
ou des médecins de famille, bien au contraire. Les médecins ne font que réagir,
comme le ferait tout être rationnel, aux incitatifs que comporte actuellement
la rémunération à l’acte.
Le
Comité a proposé de réorganiser la prestation des soins primaires en
changeant le régime de rémunération des omnipraticiens. Nous pensons que les
honoraires à l’acte devraient être remplacés par une formule fondée
essentiellement sur la capitation. Dans un tel système, les patients
s’inscriraient auprès d’un cabinet, appelé groupe de soins primaires, et
le cabinet recevrait un paiement annuel fondé sur le nombre de patients
figurant sur sa liste, paiement qui serait pondéré pour tenir compte de
facteurs comme l’âge et le sexe des patients. Ce paiement annuel serait indépendant
du nombre de consultations.
La création de tels
groupes de soins primaires comporte des avantages importants, notamment
ceux-ci :
-
une garantie d’accès pour le patient à sa propre équipe de médecins et à d’autres fournisseurs de services, 24 heures sur 24, sept jours sur sept;
-
une meilleure utilisation de toute la gamme des fournisseurs de soins de santé et une meilleure coordination des services aux patients, grâce au travail d’une équipe interdisciplinaire – les groupes de soins primaires seraient une sorte de « guichet unique » pour tous les besoins en matière de soins de santé;
-
des possibilités d’économies à long terme grâce à une réduction de la demande de services coûteux comme ceux des salles d’urgence et des spécialistes, et grâce à la prestation des services par le professionnel le mieux qualifié;
-
l’intégration plus facile des mesures de promotion de la santé et de prévention des maladies au soin des patients.
Certains
lecteurs perspicaces se demanderont peut-être si le Comité sénatorial n’est
pas en train de se contredire. Si la rémunération à l’acte n’est pas
bonne pour les soins primaires, pourquoi l’est-elle pour les hôpitaux?
Si les budgets globaux ne sont pas bons pour les hôpitaux, pourquoi le
financement par capitation, leur équivalent, serait-il bon pour les soins
primaires?
La
réponse à cette contradiction apparente réside dans la nécessité de
comprendre les effets divergents que peut avoir un même régime de rémunération
dans des circonstances différentes. Tant la rémunération à l’acte que le
financement fondé sur les services dispensés encouragent les fournisseurs
(c’est-à-dire les médecins
et les hôpitaux) à accroître le volume de leurs services.
Dans
le cas des médecins, cela peut les amener à mettre davantage l’accent sur le
nombre de patients qu’ils reçoivent. Or cela se produit parfois au détriment
des malades qui ont des problèmes complexes, de ceux qui ont besoin de soins
continus et, comme c’est souvent le cas, de ceux qui souhaitent qu’on les
aide à prévenir la maladie. Voilà pourquoi le Comité est d’avis qu’il
faut trouver d’autres façons de rémunérer les médecins de soins primaires.
Dans
le cas des hôpitaux toutefois, il faut plutôt prévoir des mesures incitatives
pour les encourager à fournir davantage de services, étant donné les longues
listes d’attente. Il existe déjà des mesures qui permettent de comparer la
qualité et les résultats des soins hospitaliers. Par conséquent, il serait
bon de retenir pour eux la formule de financement fondé sur les services
dispensés. Autrement dit, il faut chercher à encourager le genre de
comportements nécessaires au bon fonctionnement des divers secteurs d’un système
de soins de santé réformé.
Certains
ont dit que les budgets globaux assurent une plus grande stabilité, et que les
méthodes comptables nécessaires à l’instauration et au maintien du
financement fondé sur les services dispensés monopoliseraient inutilement des
fonds qu’il vaudrait mieux consacrer aux soins aux patients. Il y a des
avantages importants aux budgets globaux, mais le Comité sénatorial estime
qu’il y a encore plus d’inconvénients. Par exemple, ils perpétueraient la
microgestion descendante inefficace et inefficiente des hôpitaux par le
gouvernement. Le Comité est donc convaincu qu’il faut changer le mode de
financement des hôpitaux.
Par
ailleurs, comme il juge important de ne pas priver de fonds les soins aux
malades, le Comité sénatorial a aussi recommandé que le gouvernement fédéral
paie 100 % du coût de la mise en place du système d’information de
gestion qui serait nécessaire à l’établissement du financement fondé sur
les services dispensés.
Contrairement
au Comité sénatorial, M. Romanow reste muet sur la méthode de
financement des hôpitaux. Il n’y a rien non plus, dans son rapport, sur les hôpitaux
d’enseignement et les hôpitaux en milieu urbain. Par ailleurs, contrairement
au Comité, M. Romanow s’oppose fermement à tout élargissement du rôle
du secteur privé dans la prestation des soins de santé. En fait, il remet même
implicitement en question le rôle du secteur privé qu’autorise présentement
la Loi canadienne sur la santé. Comme je l’ai précisé
auparavant, le Comité sénatorial croit que l’origine des soins importe peu,
pourvu que leur qualité soit assurée et que leur coût soit concurrentiel.
À
l’instar du Comité sénatorial et des commissions provinciales qui se sont
prononcées là-dessus ces dernières années, M. Romanow se dit
vivement en faveur d’une réforme des soins primaires. Il propose que le
gouvernement fédéral investisse à court terme des sommes importantes dans la
réforme. Nous partageons tous les mêmes vues quant aux objectifs et aux
avantages de cette réforme.
Reconstruire
et élargir l’infrastructure : hôpitaux d’enseignement, systèmes
d’information, ressources humaines et recherche
J’en
arrive maintenant à mon deuxième sujet : la reconstruction et l’élargissement
de l’infrastructure du système de soins de santé.
On
observe au Canada un sous-financement déplorable de l’infrastructure des
soins de santé. Or le pays ne pourra pas assurer la pérennité de son système
de santé s’il ne réinvestit pas d’une façon appréciable dans
l’infrastructure. Pour beaucoup d’appareils de diagnostic importants, nous
nous classons à l’heure actuelle au bas de la liste des pays de l’OCDE en
ce qui concerne le nombre d’appareils par habitant. Nous avons laissé les
immobilisations de la santé se détériorer et nous connaissons des pénuries
de personnel généralisées. Nous avons fait des économies à court terme dans
les années 90 en différant des investissements dans l’infrastructure de
la santé, mais nous serons perdants à long terme si nous ne nous attaquons pas
à cet arriéré dès maintenant.
Le
Comité s’est donné une définition très large de ce qui appartient à
l’infrastructure des soins de santé. J’aimerais parler brièvement de la nécessité
d’investir des fonds fédéraux substantiels dans quatre secteurs de
l’infrastructure : les installations fixes et l’équipement des hôpitaux
d’enseignement, les systèmes d’information, notamment des dossiers médicaux
électroniques pour les patients, la recherche en santé et les ressources
humaines.
Premièrement,
le gouvernement fédéral devrait investir dans le renouvellement des
installations fixes et de l’équipement dont les hôpitaux d’enseignement
canadiens ont un urgent besoin.
Parmi
les nombreuses situations que je pourrais évoquer, il y en a deux qui
illustrent l’urgence de ce besoin :
-
Entre 1982 et 1998, les dépenses publiques réelles au titre de la construction d’hôpitaux ont diminué de 5,3 % par année; en dollars, elles sont passées de 50 à 2 $ par habitant au cours de cette période de 16 ans.
-
Depuis 1998, les dépenses publiques réelles par habitant au titre de l’achat d’appareils et de matériel pour les hôpitaux ont également diminué, de 1,8 % par année.
En
plus d’être le principal lieu de formation des professionnels de la santé du
Canada, les hôpitaux d’enseignement offrent les services les plus nouveaux et
les plus perfectionnés, et traitent les cas les plus difficiles et les plus
complexes. Ils sont véritablement une ressource nationale et, à ce
titre, ils doivent être subventionnés par le gouvernement fédéral. Ce
n’est qu’en consacrant des fonds suffisants aux hôpitaux d’enseignement
que le Canada pourra avoir de véritables centres d’excellence et se tenir à
la fine pointe des progrès scientifiques qui ne cessent de transformer
l’exercice de la médecine. C’est aussi seulement en étant à
l’avant-garde que le Canada pourra récolter les avantages économiques
potentiellement importants qui découleront, selon toutes probabilités, de la
commercialisation de la prochaine génération de résultats des recherches médicales.
Il
ne faut pas pour autant négliger de réinvestir dans les immobilisations et le
matériel des hôpitaux communautaires. Selon le Comité, toutefois, il faut
commencer par les hôpitaux d’enseignement, pour toutes les raisons que je
viens d’énoncer.
Deuxièmement,
le gouvernement fédéral devrait subventionner la mise en place d’un système
d’information national sur la santé auquel auraient accès les hôpitaux et
les cabinets de médecins de tout le pays.
Malgré
l’importance de la gestion de l’information pour l’obtention de bons résultats,
le système de santé du Canada est mal équipé à ce chapitre et n’exploite
pas les technologies de gestion de l’information au même degré que les
autres entreprises à forte intensité d’information. En fait, le Comité a
constaté que nous avons au Canada un ensemble hétéroclite de systèmes
d’information fermés. Pourtant, si je peux retirer de l’argent de mon
compte de banque à presque n’importe quel guichet automatique dans le monde
et consulter mon état de compte en toute sécurité sur Internet, il devrait
bien être possible d’établir au Canada un système d’information unique
qui permettrait aux hôpitaux ou même aux médecins d’échanger des
renseignements sur les patients.
Il est vrai que nous
avons déjà fait beaucoup de travail en ce sens, mais nous sommes encore loin
d’un système véritablement national de dossiers médicaux électroniques. Il
est évident qu’un tel système contribuerait à vraiment concrétiser le
principe de transférabilité de la Loi canadienne sur la santé. Il
permettrait aussi de comparer de façon significative l’efficacité de différents
établissements de soins de santé et les résultats obtenus par chacun. La création
d’un système de dossiers médicaux électroniques véritablement national est
l’une des pierres angulaires de la stratégie que propose le Comité pour
amener le secteur des soins de santé à un niveau digne de la fin du 20e siècle,
puis le faire entrer de plain-pied dans le 21e siècle. Nous
pensons que cette initiative est une priorité nationale et qu’elle devrait être
entièrement subventionnée par le gouvernement fédéral.
Troisièmement,
il nous faut absolument un secteur de recherche en santé dynamique et
innovateur, non seulement pour assurer la pérennité et la qualité du système
de soins de santé, mais aussi pour stimuler la croissance économique du
Canada.
La
création, par le gouvernement fédéral, des Instituts de recherche en santé
du Canada en 2000, a été un pas important pour consolider les efforts de
recherche en santé au pays. Mais il faut faire davantage pour garantir un
financement suffisant à long terme de ce secteur. Le Comité a recommandé que
le gouvernement fédéral agisse le plus rapidement possible pour hausser le
financement de la recherche en santé à 1 % de ses dépenses de santé
totales. Ce pourcentage représente, à notre avis, le minimum nécessaire pour
que le Canada demeure compétitif à l’échelle mondiale. Or, pour atteindre
cet objectif, il faudra presque doubler le budget des Instituts.
Quatrièmement,
et en dernier lieu, notre définition de l’infrastructure du système de santé
comprend la formation et le perfectionnement des professionnels qui s’occupent
de fournir des soins de santé aux Canadiens.
Il
nous faut une stratégie nationale pour que le Canada devienne autosuffisant en
matière de ressources humaines de la santé. Le Comité a donc recommandé la
création d’un comité national de coordination qui réunirait les divers
ordres de gouvernement et les principaux intervenants dans le but d’élaborer
et de diriger la mise en œuvre d’une telle stratégie.
À
court terme, il faut investir davantage pour accroître les effectifs des
programmes de formation et de perfectionnement dans toutes les professions de la
santé. Le Comité a recommandé que le gouvernement fasse sa part en achetant
des places dans les établissements d’enseignement, pour qu’on puisse former
un plus grand nombre de médecins, d’infirmières et d’autres professionnels
de la santé. En axant ses efforts sur le financement de places de formation
dans les facultés de médecine, de soins infirmiers et autres, le gouvernement
fédéral peut fournir une aide précieuse aux provinces sans intervenir
directement dans leur champ de compétence.
M. Romanow
n’a pas parlé explicitement de l’infrastructure de la santé comme l’a
fait le Comité sénatorial. Néanmoins, les visées générales de ses
propositions sont semblables aux nôtres en ce qui concerne les systèmes
d’information et les dossiers médicaux électroniques. Toutefois, nos
rapports divergent de façon assez marquée en ce qui concerne la manière dont
le gouvernement fédéral devrait s’y prendre pour actualiser ces projets.
M. Romanow,
tout comme le Comité, recommande d’accroître le financement de la recherche,
mais contrairement à nous il ne dit pas d’où devrait provenir l’argent.
Sur
d’autres aspects de l’infrastructure, le rapport Romanow renferme très peu
de détails. Par exemple, on n’y trouve aucune estimation du coût de réalisation
des objectifs généraux énoncés. M. Romanow ne propose pas non plus
d’investir dans les hôpitaux d’enseignement, ni de consacrer des crédits
additionnels à l’instauration du système national de dossiers médicaux électroniques
qu’il préconise.
Le
plus étonnant, peut-être, c’est que M. Romanow ne fixe aucun objectif
précis pour l’accroissement du nombre de médecins et d’infirmières au
pays, pas plus qu’il ne propose de consacrer des crédits à la formation et
au perfectionnement des professionnels de la santé. De plus, comme je l’ai déjà
mentionné, il ne dit presque rien dans son rapport au sujet des hôpitaux. Je
vois là une lacune particulièrement grave, vu, surtout, les besoins urgents
des hôpitaux d’enseignement.
Contrairement
à M. Romanow, le Comité a soigneusement dressé un plan renfermant des
objectifs précis à atteindre pour tous les secteurs essentiels de
l’infrastructure, et les propositions de financement qu’il a formulées prévoient
les sommes nécessaires à cette fin. C’est que nous estimons absolument
essentiel d’investir sur toute une gamme de fronts dans l’infrastructure des
soins de santé si l’on veut renouveler le système et assurer sa pérennité.
La
garantie de soins de santé : assurer le traitement des patients en
temps opportun
J’aborde
maintenant la plus grande préoccupation des Canadiens en ce qui concerne les
soins de santé : les périodes d’attente excessivement longues pour
obtenir un diagnostic et un traitement.
Il
fait peu de doute que les longues périodes d’attente pour obtenir un
diagnostic et un traitement constituent la principale inquiétude des Canadiens
au sujet de leur système public de soins de santé. On entend souvent les gens
demander : « Est-ce que je pourrai me faire soigner quand j’en
aurai besoin? » Il est impossible d’obtenir des données exactes sur
l’ampleur du problème des listes d’attente, mais suffisamment de sondages
et de preuves anecdotiques indiquent que, pour le Canadien moyen, améliorer le
système signifie réduire les temps d’attente. Les Canadiens méritent
d’avoir l’assurance qu’ils seront soignés en temps opportun s’ils en
ont besoin.
Le
Comité a longuement réfléchi à la façon d’atteindre cet objectif. Dans un
système qui s’efforce de traiter tout le monde de façon équitable, les
listes d’attente s’allongent lorsqu’il n’y a pas assez de ressources
pour répondre à la demande. Le jeu de l’offre et de la demande vaut tout
autant pour les soins de santé que pour d’autres secteurs d’activité. Nous
savons déjà qu’il n’y a pas assez d’équipement et que les
professionnels de la santé sont trop peu nombreux là où on a besoin d’eux.
Nous savons aussi qu’il faut plus d’argent.
Mais
la question la plus importante est celle-ci : comment faire pour éviter
que les investissements futurs ne soient simplement absorbés par le système
sans qu’il en résulte une amélioration de la situation de ceux qui comptent
le plus, les patients? Après tout, ce sont les malades qui devraient être au cœur
du système de soins de santé, ceux à qui il est destiné. Nous les avons
malheureusement trop souvent négligés ces dernières années!
Les
gouvernements ont trop longtemps choisi la solution facile, réduire les coûts.
Le gros des compressions qu’ils ont faites, surtout dans les années 90,
a touché les intervenants de première ligne, dont la charge de travail a
augmenté, et les patients, qui ont dû attendre plus longtemps. Les décisionnaires
qui ont choisi de « rationner » les services de santé en réduisant
les ressources et d’éviter ainsi d’avoir à gérer les listes d’attente
n’ont pas été directement touchés. Ils n’ont aucunement souffert des conséquences
de leurs décisions.
De
plus, le système de soins de santé a été très lent à exploiter et à généraliser
les pratiques exemplaires en matière de gestion des listes d’attente, comme
celles du Réseau de soins cardiaques de l’Ontario. En toute justice, il faut
signaler que la Saskatchewan est sur le point de mettre en œuvre une liste
d’attente structurée fondée sur les besoins pour tout un éventail
d’interventions chirurgicales. Mais en tout et pour tout, il n’y a que deux
de ces listes au Canada, ce qui est beaucoup trop peu.
Les vrais responsables
du problème des listes d’attente sont les gouvernements, qui n’ont pas
subventionné le système adéquatement, et les fournisseurs de soins, qui
n’ont pas élaboré ni mis en place de systèmes cliniques de gestion des
listes d’attente axés sur les besoins.
Puisqu’il
subventionne les hôpitaux et les médecins par le biais du régime
d’assurance financé et administré par l’État, le gouvernement a
l’obligation de voir à ce que soient respectées des normes raisonnables de
service aux patients. Un service en temps opportun est l’essence même d’un
système axé sur le patient et du « contrat » de soins de santé
conclu entre les Canadiens et leurs gouvernements.
Fidèle
à sa philosophie selon laquelle la meilleure façon de réformer un système
complexe – et la prestation de soins de santé en est assurément un -
est de mettre en place des mesures incitatives appropriées à l’intention des
intervenants, le Comité estime absolument nécessaire que les gouvernements et
les administrateurs du système de santé assument les conséquences de leurs décisions.
La proposition du Comité d’établir une garantie de temps d’attente
maximum pour toutes les interventions importantes vient concrétiser cette
obligation.
L’idée
est la suivante : lorsque la période d’attente maximale est atteinte
pour telle ou telle intervention, le gouvernement devrait payer pour que le
patient puisse se faire traiter ailleurs au Canada ou dans un autre pays, aux États-Unis
par exemple. Le déclenchement de la garantie serait déterminé en fonction du
moment où la santé du patient serait menacée s’il devait attendre plus
longtemps. Dans chaque cas, une période d’attente sûre serait établie par
des organismes scientifiques au moyen de critères cliniques reposant sur des
données concrètes.
Si elle était
mise en œuvre, la garantie de soins de santé signifierait que le gouvernement
et les administrateurs du système devraient assumer la responsabilité des
soins nécessaires qui n’auraient pas été fournis en temps opportun.
Avec
la garantie de soins que propose le Comité, l’allongement des périodes
d’attente ne constituerait plus une option sans conséquences financières
pour les gouvernements, ni d’ailleurs pour les hôpitaux et les médecins.
Ceux-ci devraient déterminer entre eux qui est responsable dans chaque
cas où la période d’attente maximale a été dépassée, un peu comme les
compagnies d’assurance automobile décident qui est responsable d’un
accident. Dans l’intervalle, le patient serait traité, tout comme la voiture
se fait réparer pendant que les compagnies d’assurance déterminent qui est
à blâmer et qui doit payer.
M. Romanow
convient qu’il faut dire aux patients combien de temps ils devront attendre
telle ou telle intervention, mais il ne va pas aussi loin que le Comité sénatorial,
c’est-à-dire jusqu’à recommander que le gouvernement
s’engage à respecter l’échéance fixée et à faire en sorte que ce ne
soit pas le malade qui en pâtisse si elle ne l’est pas. M. Romanow dit
qu’il suffirait simplement d’informer les gens du délai d’attente à prévoir
pour l’intervention ou le traitement dont ils ont besoin.
M. Romanow
croit aussi que la garantie de soins de santé préconisée par le Comité ne
pourrait pas être mise en application. Pour notre part, nous pensons qu’elle
pourrait fonctionner, tout comme d’ailleurs M. Don Mazankowski, dont
le rapport a façonné la réforme du système de santé de l’Alberta, en
cours actuellement, et l’Association médicale canadienne, qui elle aussi est
en faveur d’une garantie de soins. Le ministre de la Santé du Québec a fait
savoir récemment qu’il était lui aussi d’accord pour qu’on s’engage à
ce que les malades soient traités en temps opportun. L’approche du Comité a
pour but d’éviter que le seul intervenant du système qui n’en est pas la
cause, le patient, ait à subir les conséquences du sous-financement du système
de santéb et de la mauvaise gestion des listes d’attente. M. Romanow
n’offre aucune solution au problème qui préoccupe le plus les Canadiens.
Or,
dans ce dossier, l’inertie est lourde de conséquences. À moins que l’on ne
garantisse aux Canadiens un traitement en temps opportun, l’avenir du système
public de soins de santé risque de se trouver un jour compromis, fort
probablement du fait de contestations judiciaires s’appuyant sur la
Constitution et invoquant le droit des Canadiens d’avoir accès à des soins
en temps opportun et de souscrire une assurance-santé privée à cette fin.
Les
gouvernements ne peuvent plus se permettre de jouer sur deux tableaux : ils
ne peuvent pas omettre de faire en sorte que le système assure un accès rapide
à des soins médicalement nécessaires dans le système public et, en même
temps, empêcher les Canadiens d’obtenir ces services dans le secteur privé.
Si l’on décidait de ne pas offrir de garantie de soins de santé, il y a fort
à parier que les dispositions actuelles de la Loi interdisant la création
d’un système parallèle privé d’assurance-santé et de prestations de
soins de santé feraient tôt ou tard l’objet d’une contestation judiciaire
qui aboutirait à leur abrogation. Le Comité est convaincu qu’il faut mettre
en place une garantie de soins de santé pour parer à cette éventualité.
Voyons
maintenant ce que propose le Comité sénatorial pour combler les lacunes du
système actuel.
Couverture
des frais de médicaments prohibitifs
Le
Comité recommande d’étendre la couverture de l’assurance-santé publique
aux médicaments de prescription, pour quatre raisons. Premièrement, comme
chacun sait, les prix des médicaments sont l’élément des coûts de santé
qui augmentent le plus rapidement. Deuxièmement, de nouveaux traitements et de
nouveaux produits de prescription permettent maintenant souvent d’éviter
l’hospitalisation et de traiter les gens hors du milieu hospitalier, où
l’assurance-santé, telle qu’elle a été conçue à l’origine, ne couvre
pas les médicaments. Troisièmement, grâce à la nouvelle recherche
scientifique, de nouveaux médicaments très efficaces mais extrêmement coûteux
occupent une place grandissante dans l’arsenal thérapeutique. Ensemble, ces
trois facteurs donnent à penser que les médicaments de prescription
continueront d’accaparer une part toujours croissante du budget de la santé.
Quatrièmement,
et en dernier lieu, la couverture publique des médicaments de prescription est
très inégale d’une région à l’autre du pays, et la situation est
particulièrement aiguë dans les provinces de l’Atlantique.
Dans
ses travaux, le Comité a eu le souci constant de respecter deux principes
fondamentaux relativement au système public de soins de santé :
-
assurer à tous les Canadiens un accès en temps opportun aux services de santé nécessaires;
-
veiller à ce que pas un Canadien ne se trouve placé dans des difficultés financières excessives du fait du coût d’un traitement médicalement nécessaire.
Le Comité s’est
rapidement rendu compte que ces principes étaient compromis par l’absence
d’un programme national d’assurance-médicaments destiné à protéger les
Canadiens contre les coûts extrêmement élevés ou, comme nous les appelons
dans notre rapport, les coûts « exorbitants » de certains médicaments
de prescription. Le Canadien moyen consacre une part relativement faible de son
revenu aux médicaments de prescription, mais les personnes dont les frais sont
très élevés sont souvent dans une situation extrêmement difficile.
Permettez-moi d’illustrer mon propos par deux exemples dont le Comité a
eu connaissance, tous deux s’appliquant à des résidents de la région de
l’Atlantique.
Le premier cas qui a été
porté à notre attention est celui d’un homme, bibliothécaire de profession,
qui cotise à un bon régime d’assurance-médicaments de son employeur. Cet
homme doit pourtant débourser de sa poche 17 000 $ chaque année pour
payer une partie des médicaments dont son épouse a besoin et qui coûtent
environ 50 000 $ par année. Cet exemple montre clairement que même
les personnes qui souscrivent à un excellent régime d’assurance-médicaments
ne sont pas totalement protégées contre le risque d’avoir à assumer un
fardeau financier excessif parce qu’elles doivent acheter des médicaments
hors de prix.
Nous avons parlé dans
notre récent rapport du deuxième cas que je veux vous signaler - et
il a aussi abondamment alimenté les manchettes des actualités de la télévision
anglaise de Radio-Canada dans la période qui a précédé la parution du
rapport de M. Romanow. Il s’agit d’une autre personne qui souffre
d’hypertension artérielle pulmonaire et dont les médicaments coûtent plus
de 100 000 $ par année. Cette personne paie actuellement plus de 4 600 $
par mois (soit 55 000 $ par année) pour sa cotisation d’assurance,
sa part du coût des médicaments et les instruments nécessaires à la prise du
médicament. Or les résidents de la province où habite cette personne ne
deviennent admissibles à l’aide gouvernementale qu’une fois épuisées
toutes leurs épargnes, y compris leurs REER. Cette personne risque donc de se
retrouver totalement démunie à cause du coût des médicaments qui la
maintiennent en vie.
Le Comité croit que
cela est tout simplement immoral. Personne au Canada ne devrait avoir à déclarer
faillite parce qu’il doit payer des médicaments de prescription.
L’assurance-santé, à l’origine, n’avait-elle pas été conçue pour
faire tomber les barrières financières entre ceux qui ont besoin de services
de santé et ceux qui les fournissent?
Le Comité a travaillé
dur pour trouver une solution valable à ce problème grandissant. Nous avons
commandé une étude détaillée qui révèle que 600 000 personnes,
soit 2 % de la population canadienne, n’ont absolument aucune assurance-médicaments.
Toutes ces personnes habitent dans la région de l’Atlantique. L’étude
indique aussi que 9 % des Canadiens sont au bord de la pauvreté même
s’ils bénéficient d’une assurance-médicaments publique ou privée.
Cela signifie que, en
tout et pour tout, 11 % des Canadiens risquent d’avoir des difficultés
financières importantes parce qu’ils doivent payer de leur poche des médicaments
très chers. À l’heure actuelle, plus de 100 000 Canadiens paient
plus de 5 000 $ par année en médicaments, et tout porte à croire
que le nombre augmentera sensiblement dans les années qui viennent.
En recommandant un régime
d’assurance pour les médicaments hors de prix, le Comité avait surtout pour
but de protéger les Canadiens contre le dénuement, mais il y a d’autres
bonnes raisons de s’engager dans cette voie. Par exemple, il est possible que,
devant la perspective d’avoir à payer des médicaments trop coûteux, des
malades renoncent à leur traitement, ce qui inciterait leur médecin à les
garder à l’hôpital plus longtemps, là où leurs médicaments sont payés
par l’assurance-santé. Les régimes privés d’assurance complémentaire
pourraient devenir si chers que les employeurs seraient amenés à réduire ou même
à éliminer complètement la couverture, comme cela se produit actuellement
dans certaines petites et moyennes entreprises.
Le Comité a donc
proposé un régime qui, sans les remplacer, viendrait compléter les grands régimes
provinciaux d’assurance-médicaments et les régimes privés d’assurance-médicaments
complémentaire qui existent actuellement au Canada. Plus précisément, il
propose que le gouvernement fédéral assume la responsabilité de 90 % des
frais de médicaments de prescription dépassant un seuil au-delà duquel
ils deviennent prohibitifs ou « exorbitants ». Ce seuil a été fixé
à une somme totale de 5 000 $ par année, que cette somme soit payée
en partie par la personne, en partie par un régime privé ou en partie par un régime
public.
Grâce
au régime que propose le Comité - régime qui coûtera au
gouvernement fédéral 500 millions de dollars par année – aucun
Canadien n’aura jamais à consacrer plus de 3 % de son revenu familial à
l’achat de médicaments de prescription.
Le régime que propose
le Comité déplace le fardeau de l’assurance contre les coûts de médicaments
prohibitifs vers l’assureur le plus apte à assumer le risque, le gouvernement
fédéral. Cette mesure libérera des fonds dans toutes les provinces et
contribuera à assurer la pérennité des régimes d’assurance-médicaments
privés en éliminant l’extrême volatilité des coûts des régimes,
volatilité attribuable aux frais de médicaments hors de prix. De plus, les
employeurs qui ont hésité dans le passé à offrir des régimes
d’assurance-médicaments complémentaire seront peut-être dorénavant tentés
de le faire.
M. Romanow
a lui aussi parlé du problème des frais de médicaments excessifs. Il propose
que le gouvernement fédéral paie 50 % des coûts des régimes
d’assurance-médicaments des provinces au titre des médicaments très chers.
Le seuil qu’il propose est de 1 500 $ en dépenses par année.
Il
est impossible de savoir quelles seraient les conséquences du régime proposé
par M. Romanow pour les Canadiens, car aucun plafond n’a été fixé
quant au montant que les familles paieraient de leur poche au titre des médicaments
de prescription. Tout dépend de la façon dont les provinces décideraient
d’utiliser la nouvelle contribution fédérale. Toutefois, si l’on maintient
à leurs niveaux actuels les déboursés personnels prévus dans bon nombre de régimes
provinciaux, le régime que propose M. Romanow coûtera plus cher à de
nombreux Canadiens à faible revenu que celui préconisé par le Comité. En
outre, M. Romanow n’a pas du tout parlé du rôle important que jouent
bon nombre de régimes privés d’assurance-médicaments offerts par les
employeurs. Bref, la proposition du Comité est à la fois plus pratique et plus
équitable que celle de M. Romanow.
Soins actifs à domicile
Notre façon de
concevoir la gestion des soins médicaux n’est plus de son temps. Le système
canadien repose encore sur des hôpitaux et des médecins entièrement rémunérés
par le secteur public. On observe cependant une multiplication des services de
santé dispensés en dehors des hôpitaux par une foule de professionnels
hautement qualifiés, et pas seulement par des médecins.
Les
services à domicile sont déjà une réalité, et les besoins vont croître
avec le vieillissement de la génération du baby-boom, la progression de
l’espérance de vie et la « désinstitutionnalisation » de la
prestation des soins de santé, sans compter l’évolution des modes de vie qui
réduit continuellement la possibilité de se faire soigner chez soi par un
parent.
Les
provinces et les territoires administrent déjà des programmes de soins à
domicile subventionnés, mais il ne s’agit pas de services considérés comme
« médicalement nécessaires » aux termes de la Loi canadienne
sur la santé. En conséquence, les programmes publics de soins à domicile
varient considérablement sur le plan de l’admissibilité, de la portée, de
la couverture et des droits d’utilisation. Certains programmes, comme le
Programme extra-mural du Nouveau-Brunswick, sont d’excellents exemples des
avantages potentiels d’un programme intégré de soins à domicile.
Conscient
des contraintes budgétaires présentes et futures et sachant que seul un
programme financièrement viable a des chances d’être mis en œuvre, le Comité
s’est concentré sur les soins actifs à domicile, c’est–à-dire les soins
à domicile qui suivent immédiatement une hospitalisation. Le régime que
propose le Comité couvrirait les patients pendant une période maximale de
trois mois suivant leur congé de l’hôpital. Il serait administré par les hôpitaux
mêmes, le gouvernement fédéral et les administrations provinciales et
territoriales se partageant les coûts à égalité. D’après nos estimations,
un programme national de soins actifs à domicile coûterait 550 millions
de dollars par an.
Comme
il l’avait fait dans le cas du financement des hôpitaux, le Comité a
recommandé, là aussi, l’adoption du financement fondé sur les services
dispensés, mais il a bien précisé que le financement des soins actifs devait
être dirigé directement vers les hôpitaux d’où sortent les malades, ce qui
incitera les établissements à dispenser les meilleurs services possibles, dans
leurs murs et chez les malades.
Autre
avantage, les patients pourront faire leur convalescence là où ils seront le
mieux sans avoir à s’inquiéter pour le suivi de leurs soins. En associant le
financement de ces services à l’hôpital où le malade a été soigné, un
tel programme améliorera les soins et permettra de réaliser des gains
d’efficience. Les hôpitaux pourront se servir de l’argent pour se donner
les moyens d’offrir eux-mêmes des services à domicile ou pour confier cette
tâche au fournisseur local le plus efficace, qu’ils rémunéreront.
Bien
que le Comité propose un programme à frais partagés, les frictions entre le
gouvernement fédéral et les provinces et territoires ne devraient pas être
nombreuses. Comme le financement du programme repose sur les services dispensés,
le gouvernement fédéral ne se trouverait jamais mêlé aux décisions opérationnelles.
Évidemment, la formule exige une entente préalable entre les ordres de
gouvernement concernés, mais cela fait, le rôle du gouvernement fédéral se
bornera à payer sa part des services effectivement dispensés aux malades et à
effectuer des vérifications périodiques pour s’assurer que les services
facturés ont bel et bien été fournis.
Au
chapitre des soins à domicile, M. Romanow propose des services plus étendus
mais de moindre durée que le Comité. Plus étendus dans la mesure où il
envisage de consacrer le gros du milliard de dollars de financement qu’il
allouerait aux soins à domicile à la prise en charge des cas de santé mentale
à domicile et aux services d’intervention connexes, tandis que le Comité a décidé
d’effectuer une étude distincte sur les questions de santé mentale avant de
formuler des propositions en la matière.
La
proposition Romanow couvre des services de moindre durée, à savoir pendant
seulement 14 jours après un congé suivant une hospitalisation, et pendant
28 jours dans les cas de réadaptation, alors que la période est de trois
mois dans le régime proposé par le Comité. Cette différence dans la durée
se reflète dans le fait que le coût total des propositions Romanow en matière
de soins à domicile tourne autour de 300 millions de dollars, contre 1,1 milliard
de dollars dans le régime à frais partagés proposé par le Comité sénatorial.
D’après nous, M. Romanow a énormément sous-estimé le coût de la mise
en œuvre d’un programme public adéquat de soins actifs à domicile.
Soins palliatifs
Les
soins palliatifs constituent une catégorie spéciale de soins destinés aux
patients dont la maladie a atteint un stade si avancé qu’ils sont pour ainsi
dire aux portes de la mort, ainsi qu’à leur famille. Les soins palliatifs
visent essentiellement à assurer aux malades en phase terminale la meilleure
qualité de vie possible en veillant à leur confort, en respectant leur dignité
et en atténuant la douleur et leurs autres symptômes.
Les
soins palliatifs peuvent être dispensés dans plusieurs contextes – à
domicile, à l’hôpital, dans un établissement de soins prolongés et,
parfois, dans un hospice. Cependant, au Canada, ces services sont fragmentés et
ne sont même pas offerts partout. Des études récentes ont montré que si plus
de 80 % des Canadiens meurent à l’hôpital, de 80 à 90 % d’entre
eux préféreraient s’éteindre chez eux, entourés de leur famille, en menant
jusqu’au bout une vie aussi normale que possible. Cependant, les services qui
leur permettraient de réaliser ce vœu n’existent pas toujours.
Le
Comité juge essentiel que le gouvernement fédéral participe dans une large
mesure au financement d’un programme de soins palliatifs à domicile. En dépit
de tous nos efforts, il nous a cependant été impossible de mettre la main sur
des données permettant d’estimer avec précision le coût d’un programme
national de soins palliatifs à domicile. Le Comité estime néanmoins que le
gouvernement fédéral devrait réserver 250 millions de dollars de crédits
neufs à un programme qui serait élaboré en collaboration avec les provinces
et les territoires et financé à parts égales par les deux ordres de
gouvernement. La Commission Romanow, elle, propose d’affecter 90 millions
de dollars par an aux soins palliatifs à domicile. Le Comité a par ailleurs
recommandé de permettre aux personnes qui prennent congé pour s’occuper
d’un parent mourant de toucher des prestations d’assurance-emploi.
Le financement des
recommandations du Comité
Vous
êtes certainement en train de vous demander comment le Comité entend financer
la mise à niveau de l’infrastructure du système canadien de soins de santé
et l’élargissement de la couverture du régime public pour englober des
prestations nouvelles comme l’assurance à l’égard des médicaments dont le
coût est prohibitif, les soins à domicile et les soins palliatifs. D’après
nos calculs, la mise en application des recommandations du Comité exigera des
crédits neufs additionnels de cinq milliards de dollars par an, un
investissement essentiel à la réalisation des changements nécessaires pour
assurer la pérennité de notre système de soins de santé.
Le
Comité savait dès le départ qu’il serait irresponsable d’essayer
d’esquiver la difficile question de savoir d’où proviendront les crédits
additionnels nécessaires au financement de ses recommandations. Bien sûr, si
le gouvernement réussissait à dégager les sommes nécessaires par une révision
de ses priorités de dépenses, la question ne se poserait pas, mais le Comité
s’est dit qu’il serait responsable et prudent de proposer un plan en vue de
générer les fonds additionnels nécessaires, le cas échéant. Il a donc
proposé une prime nationale d’assurance-santé qui varierait entre 0,50 $
par jour pour les contribuables de la tranche d’imposition inférieure et 4 $
par jour pour ceux de la tranche d’imposition supérieure.
Cette
question brille par son absence dans le rapport Romanow, qui ne fait nulle part
état de la manière dont on envisage de financer les propositions de la
Commission.
Atténuer les tensions entre
le gouvernement fédéral et les provinces
Voyons
maintenant en quoi l’adoption de la démarche du Comité relativement à la réforme
du système de soins de santé présenterait aussi l’avantage d’améliorer
le climat notoirement orageux des relations fédérales-provinciales.
Il
ne fait pas de doute pour personne que les Canadiens en ont plus qu’assez des
querelles quasi-perpétuelles qui opposent les deux paliers de gouvernement au
sujet du système de santé. Ils se moquent de savoir qui est le plus à blâmer
pour les défauts du système. Tous ce qu’ils veulent, c’est un système qui
fonctionne et sur lequel ils peuvent compter. Pour eux, c’est aux deux ordres
de gouvernement de s’entendre pour garantir ce résultat.
Le
Comité a bien précisé que sa manière d’aborder la réforme du système de
santé reposait sur une distinction soigneuse entre le financement et la
prestation des soins de santé. À notre avis, la meilleure manière de parer
aux chicanes fédérales-provinciales, c’est de faire en sorte d’éviter à
tout prix que les deux paliers de gouvernement participent aux décisions opérationnelles
concernant les hôpitaux et les médecins.
Le
Comité a donc proposé deux types de financement. D’abord, certains
programmes seront subventionnés en totalité par le gouvernement fédéral et
cibleront des fins spécifiques. Il s’agit notamment du financement de
l’infrastructure des hôpitaux d’enseignement, de la conception et de
l’installation de systèmes d’information, du dossier médical électronique,
de l’achat de places additionnelles pour la formation et le perfectionnement
des professionnels de la santé, et de l’élargissement du programme de
recherche en santé. Comme tous ces investissements seront financés intégralement
par le gouvernement fédéral, le problème des querelles entre les deux ordres
de gouvernement ne se posera pas à leur sujet.
Les
autres programmes proposés par le Comité seront financés à parts égales par
le gouvernement fédéral et les provinces, mais contrairement aux programmes
antérieurs de ce genre, leur financement reposera sur les services dispensés,
ce qui signifie que le gouvernement fédéral ne participera aucunement aux décisions
opérationnelles. Une fois les paramètres des programmes établis, le
gouvernement fédéral se contentera de payer sa part de la facture une fois
qu’on aura déterminé combien d’interventions ou de services de chaque type
ont été exécutés dans chaque province et territoire.
Donc,
pour le gouvernement fédéral, tout se ramène essentiellement à une question
de comptabilité. Il faudra calculer, par exemple, combien de personnes ont reçu
des soins à domicile après une opération de la hanche, combien en ont eu
besoin après une opération pour cataracte, etc., peu importe comment ces
services ont été fournis et par qui. Ainsi, le gouvernement fédéral reste en
dehors de l’aspect opérationnel de la prestation des services et évite les
discussions sur la façon dont un service doit être assuré ou sur les services
qui doivent être financés par l’État, questions qui ont souvent été la
cause de différends entre les deux paliers de gouvernement. Le financement fondé
sur les services dispensés devrait donc contribuer grandement à éviter les
problèmes qui survenaient quand le partage des coûts entre le gouvernement fédéral
et les provinces signifiait du même coup un plus grand degré de gestion
conjointe de la prestation des services.
M.
Romanow a choisi de recommander que l’on modifie la Loi canadienne sur la
santé pour y inclure un sixième principe, qui forcerait les provinces à
rendre compte de l’usage qu’elles font des crédits fédéraux destinés à
la santé.
Le
Comité a opté pour une autre voie, pour plusieurs raisons. D’abord, il est
extrêmement risqué de rouvrir la Loi canadienne sur la santé pour y
incorporer des principes additionnels, aussi valables soient-ils. Si
l’on se permet de toucher à la Loi, celle-ci perdra son caractère
quasi-sacré, et nul ne peut prédire les modifications qu’on y apportera
alors. Le risque pour certains des principes fondamentaux de la Loi,
notamment celui de l’universalité, est trop grand. Le jeu n’en vaut pas la
chandelle.
De
toute façon, l’aspect de la reddition de comptes qu’il faut améliorer au
premier chef ne concerne pas les rapports entre le gouvernement fédéral et les
provinces. Ce qu’il importe d’améliorer d’abord et avant tout, c’est la
responsabilisation de tous les ordres de gouvernement et de tous les aspects du
système de soins de santé vis-à-vis de la population canadienne,
et pour cela, point n’est besoin de toucher à la Loi canadienne sur la
santé. Au demeurant, nous sommes persuadés que les provinces consacrent
effectivement à la santé la partie du TCSPS destinée à ce secteur, car les
transferts pécuniaires du gouvernement fédéral aux provinces représentent
une faible fraction seulement des budgets provinciaux de la santé.
En
conséquence, le Comité considère comme vaine et malavisée la proposition de
M. Romanow de réviser la Loi canadienne sur la santé. En fait, le
risque est grand qu’en faisant relever, comme il le propose, de la Loi
canadienne sur la santé les nouveaux programmes comme les soins à
domicile, les soins palliatifs et l’assurance relative aux médicaments dont
le coût est prohibitif, on exacerbe en réalité les tensions fédérales-provinciales.
Cela
tient au fait que, quels que soient les principes de collaboration fédérale-provinciale
qui sous-tendent ces programmes, une fois que ceux-ci relèvent de la Loi
canadienne sur la santé, c’est au gouvernement fédéral seul qu’il
incombe de voir au respect des dispositions de la Loi. Le Comité a évité
ce genre de problème en proposant un financement fondé sur les services
dispensés pour tous les programmes à coûts partagés, au lieu de rouvrir la Loi
canadienne sur la santé.
Les
recommandations de M. Romanow et celles du Comité sénatorial reposent sur des
conceptions divergentes du rôle que devrait jouer le gouvernement fédéral
dans le système de soins de santé, de sorte que celles-ci auraient
probablement des répercussions très différentes sur les relations fédérales-provinciales.
M.
Romanow voit le gouvernement fédéral comme le « gardien » du système
national de santé dont le rôle consisterait à établir des normes nationales
et à les faire respecter. Autrement dit, le gouvernement fédéral devrait
s’assurer que les provinces marchent droit, rien de bien propice à améliorer
la collaboration fédérale-provinciale dans le domaine de la santé.
La
façon de voir du Comité est complètement différente : selon nous, la
responsabilité du gouvernement fédéral se borne à mettre en place
l’infrastructure sur laquelle reposera un système national de soins de santé.
Le gouvernement fédéral et les provinces deviennent ainsi des partenaires
ayant chacun leur rôle à jouer : le fédéral fournit l’infrastructure
et les provinces font fonctionner le système.
Reddition de comptes envers la
population canadienne
Comme je l’ai dit,
c’est au niveau de la manière dont tous les paliers de gouvernement rendent
compte aux Canadiens de l’état du système de soins de santé et de la santé
de la population qu’il faut effectuer des améliorations. Pour cette raison,
le Comité a recommandé la création d’un poste de commissaire national aux
soins de santé et d’un conseil national des soins de santé véritablement
d’envergure nationale et qui ne soit pas une création fédérale ou
provinciale.
Le
commissaire et le conseil feraient rapport annuellement à la population
canadienne de l’état du système de soins de santé et de la santé des
Canadiens, et ce. en étroite collaboration avec des institutions établies et
respectées comme l’Institut canadien d’information sur la santé. Ils
conseilleraient le gouvernement fédéral sur les priorités de dépenses
relativement aux crédits neufs dégagés pour la santé.
M. Romanow
propose la création d’un nouveau conseil de la santé du Canada en bien des
points analogue à la proposition du Comité. Il a donné au conseil qu’il
propose un mandat un peu plus vaste que celui que le Comité envisage de confier
au commissaire, mais ce conseil ferait rapport aux Canadiens en gros sur les mêmes
sujets.
Une
des différences éventuellement importantes entre les deux propositions réside
dans le degré d’indépendance de ces organismes vis-à-vis du
gouvernement. Le Comité sénatorial a longuement réfléchi à la meilleure
manière de préserver l’indépendance du commissaire national aux soins de
santé dans ses activités normales. Le conseil de la santé du Canada que
propose M. Romanow compterait des représentants des parties concernées et
des citoyens ordinaires, mais aussi des représentants du gouvernement, si bien
qu’il lui serait difficile d’agir vraiment en toute indépendance.
Conclusion
En
guise de conclusion, permettez-moi de résumer les six grands points de
divergence entre le Comité sénatorial et M. Romanow. Comme je l’ai
souligné au début du présent document, nous divergeons essentiellement sur
les moyens à prendre pour réformer les soins de santé au Canada, et non sur
la nécessité d’une réforme. Le Comité sénatorial et M. Romanow
s’entendent également sur les objectifs fondamentaux de la réforme et sur la
nécessité d’y travailler énergiquement et sans délai. Si j’ai fait
ressortir certaines des différences entre les propositions de M. Romanow
et celles du Comité sénatorial, c’est que, étant parvenus à bon nombre des
mêmes conclusions générales, nous pouvons maintenant engager un débat
constructif sur les changements à apporter au régime d’assurance-santé.
1.
Le Comité sénatorial estime que le système de santé est trop complexe
pour que le gouvernement fédéral continue de le gérer jusque dans les détails,
et que la réforme ne pourra se faire qu’en mettant en place une série de
mesures incitatives appropriées pour favoriser le changement des comportements.
M. Romanow reste, pour sa part, attaché à un modèle de gestion
descendante désuet. Le Comité est en faveur du financement des hôpitaux en
fonction des services qu’ils dispensent, tandis que M. Romanow ne se
prononce pas là-dessus.
2.
Le Comité sénatorial estime que le financement et la prestation des
services de santé sont des domaines distincts. Tout comme M. Romanow, nous
préconisons un modèle public à bailleur de fonds unique. Mais contrairement
à lui, nous pensons que le bailleur de fonds devrait être indifférent à
l’identité des propriétaires et des exploitants des organismes responsables
de la prestation des services. Cela suppose de garder la porte ouverte à une
plus grande concurrence entre fournisseurs dans le système. Afin de trouver le
mode de prestation des services qui répond le mieux aux besoins des collectivités
et des régions très diverses du Canada, M. Romanow refuse de mettre à
l’essai toute formule qui favoriserait l’accroissement du rôle du secteur
privé.
3.
Les propositions du Comité sénatorial quant au rôle du gouvernement fédéral
dans la construction et le développement de l’infrastructure de la santé
vont considérablement beaucoup plus loin et sont beaucoup plus concrètes que
celles de M. Romanow. Nous insistons, par exemple, pour traiter les hôpitaux
d’enseignement comme une ressource nationale dont les besoins en capitaux
devraient être comblés par le gouvernement fédéral. De plus, contrairement
à M. Romanow, le Comité sénatorial accorde une grande importance à l’établissement
d’objectifs précis, assortis de coûts soigneusement calculés, pour accroître
le nombre de professionnels de la santé.
4.
Selon le Comité sénatorial, il est primordial, pour accélérer la réforme
et régler les problèmes des patients qui attendent trop longtemps des services
essentiels, de fournir aux malades la garantie qu’ils pourront être traités
dans un délai maximum déterminé. De plus, nous pensons que les responsables
de l’allongement des périodes d’attente observé ces dernières années
doivent être tenus de corriger le problème. La proposition de M. Romanow,
quant à elle, ne responsabilise pas ceux qui financent et administrent le système
de soins de santé.
5.
Le Comité a soumis aux Canadiens des propositions concrètes sur la manière
de réunir les sommes nécessaires pour renouveler, rebâtir et réformer le
système public de soins de santé, propositions qui ne sont pas subordonnées
à d’aléatoires excédents budgétaires fédéraux. M. Romanow, lui, a
choisi de ne pas s’aventurer sur ce terrain. Son rapport est tout à fait muet
sur la question du financement des propositions qu’il avance.
6.
Les propositions du Comité relativement à l’élargissement de la
gamme des services assurés par l’État n’exigent pas que l’on révise la Loi
canadienne sur la santé. Par contre, M. Romanow placerait les services
élargis sous l’égide de la Loi, ce qui pourrait envenimer les
relations fédérales-provinciales, car le gouvernement fédéral serait seul
responsable de la vérification de la conformité des provinces aux dispositions
de la Loi.
Dès le départ, le Comité s’est donné comme priorité de protéger
la santé des patients. Selon nous, ce n’est pas le moment d’énoncer de
nobles principes et des objectifs généraux. Il faut dresser un plan d’action
le plus détaillé possible dont le coût de mise en œuvre est clair pour tous.
Alors seulement les Canadiens pourront décider s’ils sont prêts à assumer
le coût du maintien du système qui leur tient tant à cœur. Il faut se
garder de donner aux Canadiens l’impression que les soins de santé ne coûtent
rien.
Chacun doit payer pour le système de soins de santé, et toute politique
publique responsable se doit d’informer les Canadiens de ce qu’il leur en coûtera
de leur poche pour avoir le genre de système de santé public qu’ils veulent
et qu’ils méritent. Le Comité croit que le plan d’action et les
modalités de financement qu’il a proposés, s’ils sont adoptés, pourraient
aider à assurer la viabilité financière du système de soins de santé.
Ceci
me ramène à mon thème initial. Le débat national sur les soins de santé
vient de s’amorcer. Il atteindra son apogée à la Conférence des premiers
ministres provinciaux vers la fin de janvier.
Il est essentiel que, d’ici là, les Canadiens
fassent connaître leur point de vue au plus grand nombre possible de dirigeants
politiques fédéraux et provinciaux, y compris à leur premier ministre
provincial, et à leurs ministres provinciaux de la Santé et des Finances. Ils
doivent leur dire quelles réformes ils souhaitent les voir appuyer à la Conférence
des premiers ministres et quelle approche ils privilégient.
L’avenir du système de soins de santé dépend beaucoup de ce que feront les Canadiens au cours des deux prochains mois.
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