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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

La santé des Canadiens – Le rôle du gouvernement fédéral

Rapport final

Volume six : Recommandations en vue d'une réforme


PARTIE VIII : LA LOI CANADIENNE SUR LA SANTÉ


CHAPITRE DIX-SEPT
La Loi canadienne sur la santé

Dans le volume un, le Comité a décrit l’évolution des principes pancanadiens du système de soins de santé du Canada. Nous avons souligné que même si la prestation des soins de santé est principalement un secteur de compétence provinciale-territoriale, il ne fallait pas conclure à l’absence d’intérêts nationaux. Le gouvernement fédéral, pour sa part, a établi des principes nationaux et a aidé à payer le coût des soins de santé, d’abord selon une formule de partage des frais (de 1966 à 1977) et ensuite par financement global[1].

Ces principes nationaux figurent dans la Loi canadienne sur la santé (la Loi), qui a été adoptée à l’unanimité par le Parlement en avril 1984. Les cinq principes nationaux contenus dans la Loi sont :

·        le principe d’universalité, qui signifie que tous les Canadiens ont droit à un régime public d’assurance-santé;

·        le principe d’intégralité, qui signifie que tous les services médicalement nécessaires fournis par des hôpitaux ou des médecins sont couverts par l’assurance-santé publique;

·        le principe d’accessibilité, qui décourage le recours à des mesures financières ou autres pouvant faire obstacle à la prestation des services de santé publics, afin que tous les Canadiens aient accès aux services de santé quand ils en ont besoin;

·        le principe de transférabilité, qui signifie que tous les Canadiens sont couverts par l’assurance-santé publique, même quand ils voyagent au Canada ou à l’étranger, ou qu’ils déménagent dans une autre province;

·        le principe de gestion publique, qui exige que les régimes d’assurance-santé provinciaux et territoriaux soient gérés par un organisme public sans but lucratif. (Ce principe ne précise rien au sujet de la nature des établissements de prestation de services de santé.)

Comme il l’a expliqué dans le volume un, le Comité considère que les quatre premiers principes de la Loi canadienne sur la santé sont axés sur le patient. Le cinquième principe – soit celui de gestion publique – est d’une toute autre nature. Il ne met pas l’accent sur le patient, mais « plutôt sur les moyens de réaliser les objectifs visés par les quatre autres principes[2] ». C’est ce principe qui constitue la base du modèle de la source unique d’assurance ou de financement que le Comité prône comme principe premier, dans le volume cinq[3].

Ensemble, les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé visent deux objectifs primordiaux de la politique fédérale en matière de soins de santé, objectifs que le Comité appuie sans réserve. Ces deux objectifs, déjà présentés dans le volume quatre, sont :

·        Tous les Canadiens doivent avoir accès en temps opportun aux services de santé médicalement nécessaires sans égard à leur capacité de payer;

·        Aucun Canadien ne doit subir de difficultés financières excessives du fait du coût des soins de santé[4].

Chaque recommandation faite dans le présent rapport concernant 1) la restructuration du système hospitalier et médical, 2) l’établissement d’une garantie nationale en matière de soins de santé, 3) l’amélioration de l’infrastructure des soins de santé et 4) la bonification du financement fédéral des soins de santé, vise à favoriser la réalisation de ces deux objectifs primordiaux d’intérêt public, par des moyens qui sont conformes aux principes de la Loi canadienne sur la santé. Adoptées ensemble, ces recommandations garantiront la viabilité à long terme du régime d’assurance-santé canadien.

Les recommandations du Comité touchant l’élargissement de la couverture publique des soins de santé visent en outre à préserver les objectifs primordiaux de la politique fédérale en matière de santé, mais nous reconnaissons que quelques-unes des caractéristiques du programme d’expansion proposé ne sont pas conformes à la Loi canadienne sur la santé. Soulignons tout particulièrement à cet égard la proposition qui fixerait à un maximum de 3 % du revenu familial les coûts que les particuliers doivent payer de leur poche pour l’achat de médicaments de prescription au coût exorbitant.

Dans le présent chapitre, les principes de la Loi sont décrits et interprétés à la lumière des recommandations du Comité. Celles-ci doivent être jugées en fonction des principes établis dans la Loi canadienne sur la santé et du potentiel de réalisation des deux objectifs stratégiques fédéraux en matière de soins de santé.

 

17.1   Universalité

Le principe d’universalité de la Loi canadienne sur la santé exige que tous les résidents d’une province ou d’un territoire aient droit, selon des modalités uniformes, aux services de santé financés par l’État couverts par les régimes provinciaux-territoriaux. Les Canadiens considèrent souvent l’universalité comme une valeur fondamentale qui garantit un régime national d’assurance-santé pour tout le monde, peu importe le lieu de résidence au pays.

L’universalité ne dicte pas une source en particulier pour le financement du régime d’assurance-santé. En fait, les provinces et territoires peuvent financer leurs régimes universels comme ils le veulent, et c’est ce qu’ils font, au moyen de primes ou d’un impôt spécial ou général. Par contraste, l’assurance-santé universelle en Allemagne et aux Pays-Bas est offerte au moyen d’un système de charges sociales spécifiques.

De plus, l’universalité n’est pas nécessairement assurée uniquement à l’aide de fonds publics. Par exemple, en Allemagne et aux Pays-Bas, la couverture universelle des services de santé est garantie à la fois par les caisses maladie (régimes publics) et les assureurs privés. De même, le programme d’assurance-médicaments du Québec assure une couverture universelle à l’aide du recours combiné à l’assurance privée et à l’assurance publique.

Avant tout, le principe de couverture universelle ne signifie pas nécessairement une couverture au premier dollar. En fait, les pays qui offrent une assurance-santé universelle, comme l’Australie, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède, permettent les frais d’utilisation et la surfacturation pour les services assurés à même les fonds publics. Au Canada, la couverture au premier dollar pour les services médicaux et hospitaliers financés par l’État est obligatoire en vertu des dispositions de la Loi canadienne sur la santé qui interdit explicitement les frais d’utilisation et la surfacturation (voir la section 17.3 ci-dessous).

Le principe d’universalité tient à coeur au Comité. Il fait en sorte que tout le monde a accès aux services de santé publics partout et que personne n’est exclu en raison de facteurs comme le revenu, l’âge ou l’état de santé. Nous croyons que l’assurance universelle et l’accès qu’elle offre à un système médical et hospitalier public a extrêmement bien servi les Canadiens. Il faut donc la conserver.

Dans le même ordre d’idées, le Comité croit fermement que l’élargissement de la couverture publique recommandé dans le présent rapport doit reposer sur le principe d’universalité. Le Comité est d’avis que la couverture des coûts exorbitants de médicaments de prescription, des soins à domicile post-hospitaliers et des soins palliatifs externes doit être fournie à tous les Canadiens lorsqu’ils en ont besoin.

 

17.2   Intégralité

Les services de santé qui doivent être couverts en vertu de la Loi canadienne sur la santé sont déterminés selon la notion de « nécessité médicale » que comporte le principe d’intégralité. Tous les services hospitaliers et les services médicaux médicalement nécessaires doivent être couverts par les régimes d’assurance-santé provinciaux-territoriaux.

Il est difficile de déterminer ce que l’on doit considérer comme « médicalement nécessaire ». La plupart des Canadiens s’accordent pour dire qu’une chirurgie cardiaque essentielle à la survie est médicalement nécessaire. La plupart des Canadiens s’accordent également pour dire que la majorité des cas de chirurgie esthétique ne répondent pas aux critères de nécessité médicale. La difficulté réside dans les services qui se situent entre ces deux extrêmes.

Depuis la création du régime d’assurance-santé canadien, il a toujours fallu décider quels services devaient être assurés et lesquels devaient être exclus. Ces décisions sont prises par chaque province et territoire, après négociation avec la profession médicale. C’est pourquoi il existe des différences entre les provinces et territoires relativement à ce qui est couvert par les fonds publics. Par exemple, comme nous l’avons indiqué dans le volume un, l’enlèvement des verrues n’est plus couvert en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, en Ontario, au Manitoba, en Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique, mais ce service reste assuré à Terre-Neuve, au Québec et à l’Île-du-Prince-Édouard. Dans le même ordre d’idées, la gastroplastie est couverte dans la plupart des provinces, mais elle n’est pas assurée au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse ou au Yukon, où les patients doivent payer pour recevoir ce traitement (ou recourir à leur assurance-santé privée complémentaire)[5].

Le Comité s’est fait dire à maintes reprises que les gouvernements procèdent à huis clos, de concert avec les associations médicales provinciales et territoriales mais sans participation du public, pour déterminer quels services sont couverts par les régimes d’assurance-santé provinciaux et territoriaux. Le processus n’est ni ouvert ni transparent. Par exemple, l’Association canadienne des soins de santé a fait remarquer que : 

Les radiations unilatérales de services par les gouvernements ne sont certainement pas au mieux des intérêts des Canadiens.

(…) Toute discussion ou décision concernant l’ensemble de services offerts doit reposer sur des faits et suivre un processus ouvert et transparent qui fait intervenir de façon significative tous les intervenants[6].

Le Comité est d’accord avec l’Association canadienne des soins de santé et de  nombreux autres témoins selon lesquels la transparence exige que le processus de décision concernant l’étendue de la couverture publique soit beaucoup plus ouvert qu’il ne l’a été jusqu’à présent.

Le Comité a donc, pour cette raison, énoncé au volume cinq le principe quatre, qui stipule que la détermination des services couverts par l’assurance-santé publique doit se faire d’une façon ouverte et transparente[7]. Ce principe correspond également aux points de vue exprimés dans le rapport de la Commission Clair au Québec et dans le rapport Mazankowski en Alberta, qui recommandent tous les deux de revoir le principe d’intégralité de la Loi canadienne sur la santé. Les deux rapports recommandent l’établissement d’un comité permanent, composé de citoyens, d’éthiciens, de fournisseurs de soins de santé et de scientifiques, et chargé d’examiner les services et de décider lesquels doivent être assurés par l’État. Cet examen servira à décider du mode de financement – public ou privé – des divers services de santé; il permettra en outre de se fonder sur des faits (au lieu de suivre l’actuel processus de négociation) pour choisir les services qui seront couverts par l’assurance-santé publique.

Le Comité croit fermement que le comité permanent chargé d’examiner l’ensemble des services de santé financés par l’État doit être diversifié et ne pas être composé exclusivement de spécialistes. Nous croyons que la participation des personnes qui sont touchées directement par les décisions, c’est-à-dire les citoyens, est essentielle pour que le processus soit vraiment ouvert et qu’il soit crédible et accepté par la population.

Le Comité croit également qu’il doit y avoir des normes nationales pour définir les services publics couverts dans chaque province et territoire. De telles normes assureront une plus grande uniformité dans la couverture publique des soins de santé à l’échelle du pays. Par conséquent, le Comité recommande :

Que le gouvernement fédéral, en collaboration avec les provinces et territoires, établisse un comité permanent – soit le comité sur la couverture de l’assurance-santé publique – constitué de citoyens, d’éthiciens, de fournisseurs de soins de santé et de scientifiques.

Que ce comité ait pour mandat d’examiner les services et de recommander ceux qui doivent être couverts par l’assurance-santé publique.

Que le comité sur la couverture de l’assurance-santé publique rende compte de ses constatations et recommandations au conseil national des soins de santé.

Que, en premier lieu, le comité sur la couverture de l’assurance-santé publique soit chargé d’élaborer des normes nationales pour orienter les décisions relatives à la couverture publique des soins de santé.

Il faut reconnaître que l’examen de l’ensemble des services de santé publics assurés ne vise pas à réduire les coûts, mais à améliorer la transparence et à permettre des décisions fondées sur les faits relativement à l’intégralité de ces services. Un tel examen a pour objet d’utiliser la recherche clinique reposant sur des données probantes pour assurer que les services de santé financés par l’État sont les plus efficaces sur le plan clinique pour ce qui est de prévenir la maladie, de rétablir et de conserver la santé et de soulager la douleur et la souffrance.

Une autre critique importante relativement au principe d’intégralité de la Loi canadienne sur la santé a trait à la portée limitée de la couverture. Dans le volume un, le Comité a indiqué que la Loi canadienne sur la santé était très limitée : elle est centrée sur les services de santé médicalement nécessaires dispensés par les hôpitaux et les médecins. De plus, la Loi s’applique à une gamme décroissante de soins, puisque les hôpitaux dispensent maintenant moins de services. Grâce aux nouvelles connaissances et technologies, un nombre croissant de services de santé peuvent être dispensés à domicile ou comme soins ambulatoires, de façon sûre et efficace. Les séjours à l’hôpital sont de plus courte durée, et la pharmacothérapie permet souvent d’éviter complètement les soins hospitaliers.

Comme l’a souligné le Comité dans le volume trois, le Canada est très différent des autres pays de l’OCDE en ce qui concerne l’envergure de la couverture publique d’assurance-santé. De nombreux pays qui consacrent une part comparable de leurs dépenses publiques aux soins de santé offrent une couverture beaucoup plus large que le Canada, englobant les médicaments de prescription (Australie, Allemagne, Suède, Royaume-Uni), les soins à domicile (Allemagne, Suède) et les soins de longue durée (Allemagne, Pays-Bas).

Comme le Comité l’a indiqué ailleurs dans le présent rapport, lorsque les services et les médicaments de prescription sont dispensés à l’extérieur des hôpitaux, ils ne sont pas régis par la Loi canadienne sur la santé. Par conséquent, ces services ne sont d’habitude pas fournis gratuitement aux patients et ils ne sont pas nécessairement dispensés en fonction des principes d’accessibilité, d’intégralité et d’universalité[8]. De plus, d’après les témoignages présentés au Comité, de plus en plus souvent, des citoyens canadiens portent de lourds fardeaux financiers parce qu’ils doivent débourser de leur poche des frais très élevés pour obtenir ces services.

Le Comité s’est fondé sur les témoignages recueillis au cours de ses audiences pour conclure, comme il l’a expliqué en détail dans les chapitres sept, huit et neuf du présent rapport, qu’il faut élargir la couverture du régime d’assurance-santé public pour englober trois nouveaux éléments : les coûts exorbitants de médicaments de prescription, le coût des soins à domicile post-hospitaliers et le coût des soins palliatifs à domicile.

Le Comité est d’avis que l’élargissement de la couverture publique des soins de santé pour inclure les coûts exorbitants de médicaments de prescription, le coût des soins à domicile post-hospitaliers et le coût des soins palliatifs à domicile est conforme aux objectifs premiers de la politique fédérale en matière de soins de santé. L’inclusion des coûts exorbitants de médicaments de prescription est particulièrement importante si nous voulons atteindre le deuxième objectif de la politique fédérale, soit qu’aucun Canadien ne subisse de difficultés financières excessives du fait du coût des soins de santé.

Le Comité reconnaît qu’il faudra établir des paramètres nationaux pour  les soins à domicile post-hospitaliers et les soins palliatifs externes, dont l’inclusion serait conforme à l’intention première du programme national d’assurance-santé. Le comité sur la couverture de l’assurance-santé publique pourrait jouer un rôle important à cet égard. Par conséquent, le Comité recommande :

Que le comité sur la couverture de l’assurance-santé publique soit chargé de déterminer les paramètres nationaux applicables aux soins à domicile post-hospitaliers et aux soins palliatifs dispensés à domicile.

 

17.3   Accessibilité

Le principe d’accessibilité de la Loi canadienne sur la santé stipule que les Canadiens doivent avoir un « accès satisfaisant » aux services hospitaliers et médicaux assurés. Cependant, la Loi ne définit pas clairement ce qui constitue un accès satisfaisant. Au début, on a voulu éliminer les obstacles financiers, mais récemment, la question de l’accès aux soins de santé a été liée principalement aux problèmes de périodes d’attente. Le système de santé actuel vit sans contredit un important problème d’accès en temps opportun. Comme il l’a indiqué précédemment, le Comité est d’avis que l’expression « accès en temps opportun » décrit plus exactement ce que la population canadienne attend du régime public d’assurance-santé que l’expression « accès satisfaisant ».

Le Comité croit que puisque les gouvernements ont la responsabilité de prévoir le financement nécessaire pour assurer la prestation adéquate des services hospitaliers et médicaux essentiels, cette responsabilité comporte l’obligation d’établir  des normes d’accès satisfaisant. Il s’agit de l’essence d’un système axé sur le patient et du « contrat » de soins de santé passé entre les Canadiens et leurs gouvernements. Le Comité est d’avis qu’une garantie fixant une période d’attente maximale pour les services couverts par l’assurance-santé publique répondrait à cette obligation. Par conséquent, nous avons recommandé au chapitre six l’établissement d’une garantie nationale de soins de santé.

Comment (et où) une garantie nationale de soins de santé s’inscrit-elle dans le contexte de la Loi canadienne sur la santé? Il existe plusieurs possibilités :

1.      La garantie de soins de santé pourrait être ajoutée comme sixième principe à la Loi. Les gouvernements provinciaux et territoriaux qui ne respectent pas la garantie nationale de soins de santé seraient passibles des pénalités financières déjà prévues dans la Loi canadienne sur la santé.

2.      La garantie de soins de santé pourrait être annexée à la Loi canadienne sur la santé ou énoncée dans le préambule de la Loi. Le gouvernement fédéral ne disposerait alors d’aucun moyen pour appliquer la garantie ou imposer des pénalités.

3.      La garantie nationale de soins de santé pourrait figurer dans une nouvelle loi, semblable à la Loi canadienne sur la santé, mais assujettie à des principes différents et prévoyant d’autres mécanismes d’application et des pénalités différentes.

Le Comité a conclu que le mieux serait que la garantie nationale de soins de santé soit mise en œuvre au moyen de mesures législatives distinctes de la Loi canadienne sur la santé. Une nouvelle loi portant création de la garantie assurera que la définition d’un accès en temps opportun aux services hospitaliers et médicaux nécessaires est établie de façon uniforme à l’échelle du pays et que le gouvernement fédéral joue un rôle important à l’égard de cette garantie. Par conséquent, le Comité recommande :

Que le gouvernement fédéral adopte une nouvelle loi portant création de la garantie nationale de soins de santé. La nouvelle loi comprendra une définition de la notion d’« accès en temps opportun » que prévoit une telle garantie.

La Loi canadienne sur la santé comporte une autre disposition importante relativement à l’accessibilité, soit que les gens assurés aient accès aux services hospitaliers et médicaux selon des modalités uniformes et sans obstacle financier. C’est pour cette raison que les frais d’utilisation et la surfacturation ne sont pas autorisés pour les services couverts en vertu de la Loi canadienne sur la santé.

Toutefois, il faut décider si les patients devront contribuer financièrement aux nouveaux services de santé publics que nous proposons. Le Comité croit que le Canada n’a pas les moyens d’offrir une couverture au premier dollar pour la vaste gamme de services de santé que le Comité recommande. C’est pourquoi nous avons suggéré dans notre proposition relative aux coûts exorbitants de médicaments de prescription que les particuliers contribuent financièrement au coût des médicaments de prescription dont ils ont besoin.

Mais on déroge à la Loi canadienne sur la santé si l’on exige des patients une contribution financière à l’égard d’un ensemble élargi de services assurés par l’État. Il n’est donc pas possible d’ajouter tout simplement « les coûts exorbitants des médicaments de prescription» à la liste actuelle des services médicalement nécessaires établie par la Loi canadienne sur la santé.

La proposition du Comité d’élargir la couverture publique des soins de santé afin d’inclure les soins à domicile post-hospitaliers pour une période de trois mois et le coût des soins palliatifs à domicile semble conforme à l’esprit et à la lettre de la Loi canadienne sur la santé. Toutefois, le Comité recommande que l’élargissement de la couverture soit financé à l’aide d’un nouveau mécanisme de partage des frais complètement différent du TCSPS. Ce financement fédéral supplémentaire sera assujetti à plusieurs conditions (y compris la reddition de comptes et la transparence) qui ne sont pas imposées actuellement dans le cadre du TCSPS ou par la Loi canadienne sur la santé. Les fonds fédéraux pour couvrir des coûts exorbitants de médicaments de prescription seront également versés par le truchement du nouveau mécanisme de financement et non dans le cadre du TCSPS.

Par conséquent, le Comité croit que l’élargissement de la couverture publique pour comprendre les coûts exorbitants de médicaments de prescription, les soins à domicile post-hospitaliers et les soins palliatifs à domicile doit être autorisé en vertu d’une nouvelle loi fédérale et non de la Loi canadienne sur la santé (voir la section 17.6 ci-après).

 

17.4   Transférabilité

Le critère de transférabilité de la Loi canadienne sur la santé exige que les provinces et les territoires assurent la couverture des services hospitaliers et médicaux médicalement nécessaires à leurs résidents même quand ceux-ci quittent temporairement la province ou le territoire (pour les affaires ou des vacances). Ainsi, les personnes peuvent s’absenter de leur province ou territoire de résidence et conserver leur couverture d’assurance-santé publique. Cette exigence de transférabilité s’applique aux services de santé d’urgence : les résidents doivent demander au préalable l’autorisation de leur régime provincial d’assurance-santé pour les services de santé non urgent (ou facultatifs) dispensés à l’extérieur de la province.

Le principe de la transférabilité s’applique également aux résidents qui quittent une province ou un territoire pour s’installer ailleurs au Canada : la province d’origine doit continuer d’offrir la couverture des services de santé assurés durant une période d’attente dans la province d’accueil ne dépassant pas trois mois. Après la période d’attente, la nouvelle province ou le nouveau territoire de résidence assume la responsabilité de la couverture de l’assurance-santé publique.

Les Canadiens ont également droit à la couverture de l’assurance-santé publique lorsqu’ils s’absentent temporairement du pays. Toutefois, la plupart des provinces limitent le remboursement du coût des services de santé d’urgence obtenus à l’extérieur du Canada dans le cadre de leur assurance-santé publique. Ainsi, les Canadiens sont fortement encouragés à acheter une assurance-santé privée complémentaire lorsqu’ils voyagent à l’étranger.

Au Canada, le principe de transférabilité que prévoit la Loi canadienne sur la santé est généralement appliqué au moyen d’ententes réciproques entre les provinces et territoires en vue de la facturation des services hospitaliers et médicaux. Ces ententes sont de nature interprovinciale et non fédérale et ne sont pas imposées par la Loi canadienne sur la santé[9]. Les taux prescrits dans ces ententes sont ceux de la province hôte (sauf pour le Québec qui paie ses taux provinciaux), et les ententes visent à assurer que les résidents canadiens qui se rendent dans une autre province ou un autre territoire n’auront pas à payer, dans la plupart des cas, des frais d’utilisation imposés au point de service pour des services médicaux ou hospitaliers médicalement nécessaires.

La facturation réciproque est une mesure administrative commode, mais ce n’est pas la seule façon de répondre au critère de la Loi relatif à la transférabilité. Le principe de transférabilité est respecté si les patients sont priés de payer à l’avance et demandent un remboursement à leur province ou territoire de résidence, pourvu que l’accès à un service assuré médicalement nécessaire ne soit pas refusé à cause de l’incapacité de payer du patient[10].

Dans l’ensemble, le principe de transférabilité que prévoit la Loi canadienne sur la santé permet aux Canadiens d’avoir l’esprit tranquille lorsqu’ils voyagent au Canada ou lorsqu’ils déménagent pour s’installer dans une autre province ou un autre territoire. Avant tout peut-être, le principe de transférabilité est étroitement lié à celui d’universalité et encourage certainement l’uniformité de la couverture publique des soins de santé.

Le Comité croit que la transférabilité est un principe national important qui doit être maintenu si la couverture publique est élargie pour comprendre les coûts exorbitants de médicaments de prescription, les coûts des soins à domicile post-hospitaliers et ceux des soins palliatifs.

 

17.5   Gestion publique

Le principe de gestion publique contenu dans la Loi canadienne sur la santé concerne la gestion des régimes provinciaux et territoriaux d’assurance-santé couvrant les services de santé médicalement nécessaires. Il stipule que les régimes d’assurance-santé des provinces et des territoires doivent être gérés par un organisme public sans but lucratif. Le principe de gestion publique a été souligné dans le volume cinq, au principe premier, selon lequel un assureur-bailleur de fonds unique – en l’occurrence le gouvernement – doit payer les services hospitaliers et médicaux couverts en vertu de la Loi canadienne sur la santé[11].

De l’avis du Comité, un système à bailleur de fonds unique est beaucoup plus efficace que n’importe quel mode de financement à sources multiples et permet de réaliser des économies d’échelle sur les plans administratif, économique et informationnel. En outre, puisque le système public de services hospitaliers et médicaux fait déjà partie intégrante de la société canadienne, le Comité croit que le bailleur de fonds unique doit être le gouvernement.

Dans le volume cinq, nous avons expliqué qu’un argument probant en faveur du maintien d’une source unique de financement ou d’assurance pour le système hospitalier et médical public est le vif appui que lui accordent les Canadiens. Le Comité convient que cet élément central de notre système doit être maintenu, pourvu que le système réponde aux normes de services de qualité élevée dispensés sans délai.

De nombreux témoins ont affirmé au Comité que d’accorder la responsabilité financière première à un seul bailleur de fonds donne lieu à une administration de l’assurance-santé plus efficace qu’elle ne le serait dans le cadre d’un système à plusieurs sources de fonds. Les témoins ont ajouté que le système public à assureur unique pour les services de santé médicalement nécessaires élimine les coûts liés à la mise en marché de polices d’assurance-santé concurrentielles, à la facturation et à la collecte de primes, ainsi qu’à l’évaluation des risques d’assurance.

Un autre argument solide en faveur de l’assurance-santé publique est que très peu de Canadiens peuvent se permettre de ne pas être assurés. Il est donc logique que tous soient couverts par un régime unique. Un système à assureur unique offrant une couverture universelle signifie également que personne ne se refusera les soins de santé nécessaires afin de satisfaire un autre besoin perçu comme plus urgent (peut-être s’alimenter, se loger, se vêtir, etc.). Et personne ne se verra refuser des soins nécessaires à cause de son incapacité de payer.

Mais le principe de partage des risques comporte un avantage important : plus le nombre de participants est élevé (tous les Canadiens), plus le coût d’assurance tous risques baisse.

Des témoins ont également indiqué au Comité qu’un assureur unique est très logique sur le plan économique pour l’industrie canadienne et que c’est un élément important de la capacité concurrentielle du Canada. Cet argument a été formulé de façon éloquente par Paul Darby, directeur des prévisions économiques et de l’analyse du Conference Board of Canada, qui a déclaré :

(…) notre système, qui est en grande partie à payeur unique, présente des avantages importants sur le plan de l’efficacité en général, et ces avantages aident à accroître notre compétitivité industrielle. Nous devons éviter de les perdre[12].

Un modèle à bailleur unique veut dire qu’il n’y aura pas au Canada un secteur d’assurance privé parallèle qui fait concurrence à l’assurance publique pour le financement des services hospitaliers et médicaux dans le cadre de la Loi canadienne sur la santé, du moins dans les hôpitaux et chez les médecins qui dispensent des soins aux patients assurés par l’État.

Jusqu’à présent, le modèle à assureur unique a empêché l’émergence d’un système à deux vitesses qui, de l’avis de bien des gens, pourrait mettre en péril le système de santé public au Canada. Nous tenons toutefois à souligner qu’il existe des systèmes de soins de santé parallèles publics et privés dans la plupart des autres pays industrialisés.

Dans les chapitres cinq, six et seize, le Comité a exprimé la crainte que les lois qui empêchent l’avènement d’un système privé parallèle et qui donc aident à préserver le principe de gestion publique de la Loi canadienne sur la santé puissent être rejetées par les tribunaux si le système d’assurance-santé public ne réussit pas à dispenser en temps opportun des soins de qualité. Le cas échéant, le principe de gestion publique devra être revu. Mais le Comité estime que la mise en œuvre de ses recommandations permettra que notre système public de soins de santé assure des services de très haute qualité en temps opportun et fera que le modèle d’assureur unique pour les services hospitaliers et médicaux soit préservé.

Comme nous l’avons indiqué dans le volume un, il est également important de comprendre clairement ce que le principe de gestion publique contenu dans la Loi canadienne sur la santé ne signifie pas. Ce principe vise la gestion de l’assurance-santé et non la prestation des services de santé assurés par l’État. La Loi n’interdit pas aux provinces ou territoires d’autoriser des fournisseurs de soins de santé privés (à but lucratif ou sans but lucratif), qu'ils soient des fournisseurs individuels ou institutionnels, à dispenser des services de santé assurés par la province et à se faire rembourser, tant qu’il n’y a pas surfacturation ni frais d’utilisation. C’est en fait ce que le régime d’assurance-santé canadien a toujours été – un programme d’assurance-santé national reposant principalement sur la prestation privée (dans un but lucratif ou non) de services hospitaliers et médicaux assurés par l’État.

Le Comité craint que le principe de gestion publique soit mal compris, particulièrement à cause de la confusion qui existe entre la gestion de l’assurance-santé publique et la prestation des services de santé assurés par l’État. Nous croyons que le gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de Santé Canada, doit bien préciser le sens de l’expression « gestion publique » et expliquer clairement que la Loi canadienne sur la santé n’interdit nullement la prestation par un organisme privé, à but lucratif ou sans but lucratif, de services de santé publics. Le niveau du débat qui fait rage actuellement sur les soins de santé au Canada s’en trouverait grandement rehaussé. Par conséquent, le Comité recommande :

Que le principe de gestion publique contenu dans la Loi canadienne sur la santé soit maintenu à l’égard des services hospitaliers et médicaux assurés par l’État, c’est-à-dire qu’un seul assureur – soit le gouvernement – paie les services publics hospitaliers et médicaux dispensés par des fournisseurs ou des établissements de soins de santé publics ou privés.

Que le gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de Santé Canada,  précise la notion de gestion publique en vertu de la Loi canadienne sur la santé de façon à reconnaître explicitement que ce principe s’applique à la gestion de l’assurance-santé publique et non à la prestation des services de santé assurés par l’État.

Bien que le Comité soit convaincu que le principe de gestion publique doit être maintenu pour les services hospitaliers et médicaux, il serait très difficile à notre point de vue de l’étendre à la gamme plus large de services de santé recommandée dans le présent rapport. Il serait particulièrement difficile d’inclure dans l’assurance-santé  publique les coûts exorbitants de médicaments de prescription.

La couverture des médicaments d’ordonnance est offerte actuellement par de nombreux assureurs allant des gouvernements aux compagnies d’assurance privées. En fait, l’industrie privée d’assurance-médicaments est déjà bien établie au Canada et semble bien fonctionner. Le Comité croit que l’expansion de la couverture pour comprendre les coûts exorbitants de médicaments de prescription doit reposer sur un partenariat entre les secteurs public et privé afin d’assurer une couverture universelle de ces coûts, et il a formulé au chapitre sept une recommandation à cet égard.

 

17.6   Commentaires du Comité

Le Comité est convaincu qu’il est possible d’opérer une réforme approfondie du système public de services hospitaliers et médicaux tout en appliquant les cinq principes nationaux de la Loi canadienne sur la santé. Nous croyons que la Loi a relativement bien servi les Canadiens pour ce qui est d’assurer une couverture universelle et uniforme des services hospitaliers et médicaux. Nous estimons que les quatre principes de la Loi axés sur les patients doivent être maintenus pour les services hospitaliers et médicaux, tandis que le principe de gestion publique doit être précisé.

Toutefois, le Comité croit qu’il faut ajouter à l’assurance-santé canadienne et à la Loi canadienne sur la santé deux nouvelles mesures législatives. En premier lieu, comme on l’explique à la section 17.3, il faut adopter une nouvelle loi fédérale portant création de la garantie nationale de soins de santé. Cette garantie améliorera l’accès aux services hospitaliers et médicaux qui sont actuellement assurés en vertu de la Loi canadienne sur la santé. En deuxième lieu, la proposition du Comité d’élargir la couverture publique exige aussi l’adoption d’une nouvelle loi :

·        La couverture des coûts exorbitants de médicaments de prescription exige la participation financière des assureurs publics et privés (une collaboration qui n’est pas en conformité avec le principe de gestion publique contenu dans la Loi).

·        La couverture des coûts exorbitants de médicaments de prescription exige que les particuliers contribuent financièrement en assumant une partie du coût du service assuré (ce qui déroge à la couverture au premier dollar que prévoit le principe d’accessibilité de la Loi).

·        La couverture des coûts exorbitants de médicaments de prescription, des soins à domicile post-hospitaliers pour une période de trois mois et des soins palliatifs à domicile sera assurée au moyen d’un mécanisme de financement fédéral distinct de l’actuel TCSPS (les principes de la Loi canadienne sur la santé visent uniquement le TCSPS).

·        Le Comité croit fermement que le financement fédéral supplémentaire prévu pour l’expansion de la couverture publique doit être fondé sur des conditions particulières de transparence et de reddition de compte (principes complètement absents de la Loi canadienne sur la santé).

D’autres principes que ceux contenus dans la Loi canadienne sur la santé sont nécessaires pour les nouveaux programmes proposés dans le rapport, mais l’important doit rester la prestation de services de qualité en fonction des besoins. Dans le même ordre d’idée, la loi couvrant les nouveaux programmes doit garantir l’accès à des services raisonnablement comparables pour tous les Canadiens partout au pays. Pour déterminer ce qui est comparable, il faudra élaborer des normes nationales applicables à tous les services financés par l’État, qu’ils soient dispensés par des fournisseurs privés à but lucratif ou non, ou par des fournisseurs ou des établissements de soins de santé publics. Par conséquent, le Comité recommande : 

Que le gouvernement fédéral adopte de nouvelles mesures législatives pour mettre en oeuvre une couverture des coûts exorbitants de médicaments de prescription, des soins à domicile post-hospitaliers et de certains soins palliatifs à domicile. Ces nouvelles mesures doivent énoncer explicitement les conditions relatives à la transparence de la prise de décisions et à la reddition de comptes.


CONCLUSION

Au début de ses travaux il y a deux ans, le Comité a souscrit à deux grands objectifs de la politique publique en matière de santé au Canada, à savoir :

·        tous les Canadiens doivent avoir accès en temps opportun aux services de santé médicalement nécessaires sans égard à leur capacité de payer;

·        aucun Canadien ne doit subir de difficultés financières excessives du fait du coût des soins des santé.

Ces deux objectifs, et particulièrement le premier, sous-entendent que les services médicalement nécessaires fournis dans le cadre de l’assurance-santé sont de qualité élevée. En effet, à quoi servirait, aux fins du système de soins de santé du Canada, de fournir l’accès à des services de qualité inférieure?

Le Comité reconnaît de plus que l’importance accordée à l’équité est aussi un élément important de la perception qu’ont les Canadiens du système de soins de santé. Cette importance accordée à l’équité sous-tend les principes axés sur le patient que sont l’universalité, l’intégralité, la transférabilité et l’accessibilité du système, et auxquels le Comité — et les Canadiens — souscrivent sans réserve.

Mais, pour les Canadiens, l’équité s’entend également de l’égalité d’accès aux services — les Canadiens bien nantis ne devraient pas avoir la possibilité d’acheter leur place au haut des listes d’attente. Les données des sondages d’opinion ont à maintes reprises démontré que le fait de devoir attendre des mois pour obtenir un diagnostic ou un traitement médical est le plus grand sujet de préoccupation et de plainte, de la part des Canadiens, au sujet du système de soins de santé.  Malgré ce qu’en disent certains, permettre aux Canadiens nantis de payer pour obtenir des services dans un établissement de soins de santé privé n’est pas une solution.  En effet, une mesure de ce genre violerait le principe d’égalité d’accès.  La solution consiste donc plutôt à adopter la garantie de soins que le Comité recommande dans le présent rapport.

À la lumière des témoignages recueillis au fil de ses audiences des deux dernières années ainsi que des données des sondages d’opinion, le Comité sait aussi que les Canadiens trouvent le système actuel inefficace. Par ailleurs, ils ne sont pas prêts à y investir davantage tant que ces lacunes n’auront pas été corrigées. Le Comité est conscient qu’il ne sera pas facile de modifier cette perception négative entretenue par le public. Il faudra mettre en œuvre mettre en place des mécanismes pour inciter toutes les composantes du système à travailler plus efficacement. Il faudra aussi que le mode de fonctionnement du système, notamment la façon dont les fonds publics sont dépensés, soit plus transparent et permette une meilleure reddition de comptes.

Au moment de formuler ses recommandations, le Comité a aussi tenu compte de deux autres facteurs. Premièrement, pour satisfaire au deuxième objectif de la politique publique énoncé ci-dessus — à savoir qu’aucun Canadien ne doit subir de difficultés financières excessives — il faut prendre dès maintenant des mesures pour combler les importantes lacunes du régime d’assurance-santé. Le Comité croit que les Canadiens qui ont vraiment besoin d’aide et qui n’ont pas les moyens de payer pour l’obtenir, devraient pouvoir compter sur le soutien de l’État. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut mettre en place de nouveaux programmes avec couverture au premier dollar dans des secteurs comme l’assurance-médicaments ou les soins à domicile. De l’avis du Comité, la prudence exige que l’élargissement de la portée du système actuel afin d’en combler les lacunes se fasse de façon graduelle et dans un esprit pratique.

Le deuxième facteur dont il est tenu compte dans les recommandations du Comité est la croyance selon laquelle quiconque propose un plan de réforme et de renouvellement du système de soins de santé a l’obligation de dire combien il en coûtera pour le mettre en œuvre. La description du mode de financement doit de plus être compréhensible pour les Canadiens. Ceux-ci ne peuvent porter un jugement éclairé sur le bien-fondé d’un projet de plan de réforme que s’ils en comprennent parfaitement les avantages et s’ils savent combien il leur en coûtera pour le mettre en œuvre.

C’est pourquoi le Comité a décidé, même si cela est extrêmement inhabituel (et serait même, aux dires de certains, exceptionnel), d’établir le coût de ses recommandations et de proposer une option pour générer les nouvelles recettes fédérales nécessaires à leur mise en œuvre intégrale. À nos yeux, le fait d’omettre de le faire contribuerait à perpétuer le mythe selon lequel les soins de santé sont un bien « gratuit ». Nous servirions ainsi directement les fins de ceux qui s’opposent à la réforme. En ne proposant pas de plan pour générer des recettes, le Comité se trouverait à passer outre au critère de transparence et de responsabilisation qui, comme il le réitère lui-même dans toutes ses recommandations, doit s’apppliquer à l’ensemble du système de soins de santé.

Le Comité est conscient que la mise en œuvre de sa liste de recommandations exigera un changement d’attitude considérable de la part de l’ensemble des intervenants du système de soins de santé. Par exemple :

·        Le passage à une formule de financement fondée sur les services dispensés modifiera le mode de gestion des hôpitaux. La direction des hôpitaux et les professionnels de la santé oeuvrant en milieu hospitalier seront beaucoup plus conscients de ce qui dans leur façon de procéder est efficace et de ce qui ne l’est pas. Il faudra aussi que les hôpitaux des grandes régions urbaines soutiennent la concurrence d’autres hôpitaux et cliniques spécialisées.

·        Les changements que suppose la réforme des soins de santé primaires obligeront les médecins de famille à accepter des changements à la façon dont ils sont rémunérés (c.-à-d. le remplacement de l’habituelle formule de rémunération à l’acte par un modèle principalement axé sur la capitation mais comportant aussi une part de rémunération à l’acte). Il faudra aussi modifier la portée des règles de pratiques de tous les professionnels de la santé afin de s’assurer qu’elles ne font pas obstacle à leur capacité de mettre pleinement à profit leurs compétences.

·        Les changements que suppose la réforme des soins de santé primaires exigeront aussi qu’un patient consente à demeurer avec le médecin de famille de son choix pendant un an, à moins qu’il ne déménage dans une autre collectivité. La recommandation relative aux dossiers de santé électroniques exigera qu’un patient accepte de donner l’approbation nécessaire à l’utilisation efficace des dossiers de santé. (Comme il l’a expliqué au chapitre dix, le Comité croit qu’il est possible de mettre en place un système de dossiers de santé électroniques et que le système d’information qui en découlera fonctionnera de façon entièrement conforme à l’esprit et à la lettre des lois visant à protéger les renseignements personnels).

·        Les gouvernements provinciaux/territoriaux devront modifier un aspect important de leur approche à l’égard du système de soins de santé et souscrire à une garantie de soins de santé, c’est- à-dire assumer la responsabilité des conséquences de leurs décisions antérieures de sabrer dans les budgets et de restreindre l’offre de services de soins de santé.

·        Les gouvernements provinciaux/territoriaux devront aussi renoncer à leur approche actuelle de commandement et contrôle à l’égard des soins de santé et permettre la mise en place d’un système de mesures incitatives, et les changements d’attitude qu’elle suppose, pour produire les résultats souhaités.

·        Le gouvernement fédéral devra consentir à la création d’un fonds indépendant, dont la surveillance sera assurée par un commissaire aux soins de santé et un conseil national des soins de santé, qui le conseilleront sur la façon dont le fonds doit être dépensé. Ces conseils devront être rendus publics, et les autorités responsables devront rendre compte annuellement au public de la façon dont les fonds affectés aux soins de santé sont effectivement dépensés. C’est là une étape essentielle pour regagner la confiance du public dans le système.

·        Le gouvernement fédéral devra aussi accepter qu’il a un important rôle de chef de file à jouer et qu’à cet égard, il lui incombe de soutenir financièrement l’infrastructure essentielle au succès du système national de soins de santé. Doivent faire partie de cette infrastructure, les 16 centres universitaires des sciences de la santé, les ressources humaines affectées au secteur des soins de santé dans l’ensemble du pays, les moyens technologiques, les systèmes d’information et le secteur de la recherche.

·        Le gouvernement fédéral devra aussi accepter qu’il a un rôle important à jouer dans le financement et la mise en valeur des programmes de promotion de la santé et de prévention des maladies chroniques.

Enfin, il importe d’insister sur l’importance déterminante des objectifs de plus grande responsabilisation et de plus grande transparence dans la position du Comité sur les types de réforme nécessaires dans le système de soins de santé, et sur le rôle crucial que doit jouer l’amélioration de l’information, à tous les niveaux du système, pour mettre en œuvre ces objectifs. Ce surcroît d’information est nécessaire pour les raisons suivantes :

·        premièrement, pour accroître la transparence des mécanismes de prise de décisions concernant l’affectation des ressources – principalement en ce qui a trait à l’argent, mais aussi en ce qui a trait aux ressources humaines;

·        deuxièmement, pour accroître la responsabilité des personnes, des établissements et des gouvernements qui décident des types de services qui sont couverts par le régime public d’assurance-santé et de la façon dont les différents services seront offerts;

·        troisièmement, et peut-être ce qui est le plus important, pour modifier l’objet du débat public pour le faire porter sur les services et les niveaux de service plutôt que sur les questions d’argent.

Les Canadiens ont le droit de débattre de la question de savoir s’ils sont prêts à payer davantage pour obtenir de meilleurs niveaux de service. Ils ont le droit de comprendre les liens existants entre les niveaux de financement et les niveaux de service. L’évolution du débat public au sujet des soins de santé marquera une étape importante vers l’obtention de l’appui du public à l’égard de la restructuration et du renouvellement des services hospitaliers et des services médicaux financés par l’État.

Le Comité est pleinement conscient que sa liste de recommandations fera l’objet d’un examen attentif et critique. Cela est tout à fait compréhensible lorsqu’une question d’intérêt public aussi fondamentale que celle des soins de santé est en jeu. En fait, il se peut très bien que les lecteurs du présent rapport appuient chacun leur propre sous-ensemble de recommandations.

Nous invitons toutefois les lecteurs à garder à l’esprit que toute réforme majeure d’un système d’importance, en particulier lorsqu’il s’agit d’un système aussi complexe que celui des soins de santé, n’est jamais parfaite. Il n’existe pas de solution parfaite. Tous les intéressés doivent être prêts à faire des compromis pour que la réforme profite à tous les Canadiens. Toute réforme sera vouée à l’échec si l’on s’entête à rechercher la perfection ou à vouloir satisfaire toutes les demandes.

De même, la réforme échouera si l’on s’entête à vouloir aborder de front tous les problèmes des soins de santé sans d’abord commencer par trouver des solutions à quelques-uns d’entre eux, en particulier en ce qui a trait aux services hospitaliers et aux services médicaux. Ces tendances, de même que l’importance accordée aux intérêts personnels de ceux qui oeuvrent dans le système, expliquent l’échec des tentatives de réforme antérieures.

Conscients de ces dangers, nous avons travaillé fort pour élaborer une série de recommandations qui, de notre point de vue, revêtent un caractère pratique, offrent une solution médiane en termes idéologiques, sont réalisables et devraient mener à une amélioration sensible des services hospitaliers et des services médicaux dans le secteur des soins de santé. Nous croyons que la restructuration et le renouvellement du système de soins de santé au Canada sont possibles si nous procédons à une réforme graduelle.  

Nous espérons que les intervenants de tous les secteurs du système national de soins de santé et, en fait, tous les Canadiens examineront les recommandations avec la même approche pratique que le Comité et que tous seront prêts à faire certains compromis afin d’atteindre notre objectif commun, à savoir se doter d’un système de soins de santé financièrement viable et dont les Canadiens peuvent vraiment être fiers.


[1] Voir le volume un, chapitre deux, p. 33-48.

[2] Volume un, p. 43.

[3] Volume cinq, p. 25-27.

[4] Volume quatre, p. 18.

[5] Volume un, p. 108-109.

[6] Association canadienne des soins de santé, mémoire présenté au Comité en mai 2002, p. 3-4.

[7] Volume cinq, p. 32-33.

[8] Volume un, p. 36-39.

[9] Le gouvernement du Québec n’est pas toujours signataire de ces ententes.

[10] À l’heure actuelle, les résidents du Québec ne jouissent pas toujours de la transférabilité puisque de nombreux fournisseurs dans d’autres provinces refusent de les traiter s’ils ne paient pas les frais médicaux à l’avance. Cela est souvent impossible, et des résidents du Québec ont été transportés en ambulance sur de longues distances, dans des conditions difficiles, pour être ramenés au Québec.

[11] Volume cinq, p. 25-27.

[12] Paul Darby, mémoire présenté au Comité le 3 juin 2002, p. 2.


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