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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 21 mars 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ravalia : Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique.

Le président : Honorables sénateurs, bienvenue. Je tiens également à souhaiter la bienvenue à tous ceux qui nous regardent sur SenVu aujourd’hui, que ce soit au Canada, en Ukraine ou ailleurs.

Pour notre premier groupe de témoins et conformément à notre ordre de renvoi général, nous nous réunissons pour discuter à nouveau de la situation en Ukraine. Aujourd’hui, nous nous concentrons sur le relèvement et la reconstruction de l’Ukraine. Avant de donner la parole à notre témoin, je tiens à rappeler à tout le monde qu’il ne faut pas positionner son oreillette trop près du micro, car cela risque de causer un retour de son douloureux, en particulier pour nos techniciens et nos interprètes.

Aujourd’hui, nous avons l’honneur d’accueillir par vidéoconférence Oleksandr Kubrakov, vice-premier ministre chargé de la restauration de l’Ukraine. Monsieur Kubrakov, je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui; nous savons qu’il se fait tard en Ukraine. Sur une note personnelle, ce fut un plaisir de vous rencontrer, le mois dernier, en marge de la Conférence de Munich sur la sécurité. Je suis ravi que vous soyez parmi nous aujourd’hui.

Nous sommes prêts à vous entendre. Comme d’habitude, votre déclaration sera suivie des questions des sénateurs, questions auxquelles, nous l’espérons, vous aurez l’obligeance de répondre.

Oleksandr Kubrakov, vice-premier ministre chargé de la restauration de l’Ukraine, à titre personnel : Honorables sénateurs, monsieur le président, merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Le mois dernier, nous avons franchi un sombre jalon. Cela fait maintenant deux ans que la Russie a lancé une invasion à grande échelle de l’Ukraine et 10 ans qu’elle occupe illégalement la Crimée et le Donbass. Tous les jours, depuis plus de deux ans, nous sommes la cible de missiles et de drones russes, nord-coréens et iraniens. Des millions d’Ukrainiens innocents ont été tués, mutilés ou déplacés. Nos ponts, nos routes et nos ports sont aussi ciblés par l’agresseur dans le but de détruire notre économie. Il en va de même pour nos services civils essentiels et notre réseau énergétique, qui ont été endommagés ou détruits. Récemment, la Cour pénale internationale de La Haye a lancé des mandats d’arrêt pour ces attaques commises contre les infrastructures civiles ukrainiennes.

Selon les rapports d’évaluation rapide des dommages et des besoins publiés par la Banque mondiale, qui résument les dégâts causés à ce jour, les besoins en reconstruction et en relèvement s’élèvent à 658 milliards de dollars canadiens. Pour le reste de mon intervention, je citerai tous les montants en dollars canadiens. En 2024 seulement, les priorités en reconstruction et relèvement s’élèvent à 21 milliards de dollars.

Pourtant, même devant cette incessante adversité, la détermination de l’Ukraine demeure inébranlable. Nous sommes résilients. Malgré les dommages que la Russie inflige à notre pays et à nos infrastructures, malgré le tort que la Russie inflige à notre peuple, nous continuons de nous battre. Nous n’avons nulle intention d’abdiquer, tant que cette guerre insensée se poursuivra, que nous n’en sortirons pas vainqueurs et que justice ne sera pas rendue. Ainsi, nous commençons dès à présent notre processus de rétablissement. Premièrement, parce que nous savons que nous aurons gain de cause et, deuxièmement, parce que notre peuple ne peut attendre.

Tout comme nos braves et héroïques militaires qui combattent sur la ligne de front, les Ukrainiens se distinguent. La semaine dernière, la Russie a lâchement livré une attaque de drone sur Odessa, qui a tué 20 personnes et en a blessé 73. En dépit de cette menace constante de terrorisme russe, les Ukrainiens continuent de faire des progrès chaque jour dans le rétablissement de leur patrie.

Pour ce qui est du logement, nous avons remis en état plus de 3 900 immeubles collectifs et près de 20 000 maisons unifamiliales. Dans le cadre d’un programme nommé eRecovery, nous avons, par l’entremise de Diia, notre outil de services gouvernementaux numériques, fourni des fonds à plus de 43 000 Ukrainiens pour réparer leurs maisons endommagées et à plus de 4 000 Ukrainiens pour remplacer leurs maisons détruites.

Malgré les efforts constants de l’agresseur visant à détruire notre potentiel d’exportation, nous avons pratiquement chassé la flotte russe de la mer Noire, ce qui nous a permis de relancer les exportations. Grâce au corridor ukrainien, nous avons exporté plus de 30 millions de tonnes de marchandises. Avec la réouverture des ports d’Odessa, nous pouvons de nouveau exporter des produits agricoles. Nous avons commencé à travailler intensément sur les ports du Danube pour élargir l’accès aux marchés de nos marchandises. Nous avons travaillé avec nos partenaires frontaliers de l’ouest pour ouvrir des points de contrôle supplémentaires aux frontières. Nous maximisons le potentiel d’exportation de l’Ukraine, ce qui accroît notre viabilité économique.

Je tiens ici à vous remercier, vous le peuple canadien, au nom du peuple ukrainien. Nous avons un lien unique avec le Canada. Votre pays a été le premier à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine en 1991, et votre soutien est allé bien au-delà des mots, et s’est même raffermi face à l’agression russe. Le Canada a engagé plus de 9,6 milliards de dollars d’aide totale à l’Ukraine depuis l’invasion massive, dont 2,4 milliards de dollars d’aide militaire. Cette semaine encore, le Canada, dans le cadre d’une initiative menée par la République tchèque visant à fournir davantage de munitions à l’Ukraine, a fait don de 40 millions de dollars de munitions de gros calibre et de 7,5 millions de dollars d’équipement de vision nocturne.

Cette année, le Canada a fourni à l’Ukraine 200 véhicules blindés. Il lui a également fait don d’un système de défense aérienne dont l’Ukraine avait grand besoin pour protéger son espace aérien contre les missiles russes. Il s’agit d’un élément crucial pour protéger nos braves soldats au front tout comme nos civils dans leurs foyers.

Toutefois, le soutien du Canada ne se limite pas à l’aide militaire. L’aide financière canadienne pour le rétablissement de l’Ukraine s’élève à 4,9 milliards de dollars. Je tiens à remercier le gouvernement canadien d’avoir ratifié la mise à jour de l’accord de libre-échange Canada-Ukraine. Cela permettra de renforcer les économies et les liens entre nos deux pays, pendant et après la guerre. Le Canada soutient également l’initiative « Grain From Ukraine », qui vise à renforcer la capacité de l’Ukraine à veiller à la sécurité alimentaire mondiale, et bien plus encore.

Enfin, le Canada, par l’entremise du projet d’Appui aux réformes de l’Ukraine pour la gouvernance, soutient les mesures de rétablissement de notre population, afin qu’elle puisse non seulement survivre à cette guerre, mais s’épanouir.

Par ailleurs, nous nous réjouissons de voir les entreprises canadiennes prendre part au rétablissement de l’Ukraine. Nous sommes heureux que le Canada facilite les investissements du secteur privé dans la restauration de l’Ukraine grâce à l’assurance contre les risques de guerre, prise en charge par Exportation et développement Canada, et aux instruments financiers de l’Institut de financement du développement Canada.

Votre partenariat et votre soutien sont essentiels à la sécurité de notre peuple et à la reprise économique de l’Ukraine. Nous n’aurions pu progresser autant sans l’aide du Canada et de nos partenaires internationaux.

Rien qu’en 2023, nous avons alloué plus de 9,5 milliards de dollars à des efforts de rétablissement cruciaux. Environ 60 % de cette somme provenait de nos partenaires et les 40 % restants ont été pris à même notre budget d’État. Cela a été possible en grande partie grâce à la confiscation et à la liquidation d’actifs russes sur notre territoire.

La durabilité économique de l’Ukraine est essentielle pour la sécurité et la protection de notre peuple. Premièrement, nous priorisons la construction de logements pour aider 3,5 millions d’Ukrainiens déplacés à l’intérieur du pays et pour permettre à 6,5 millions de personnes contraintes de fuir l’Ukraine de rentrer chez elles. Deuxièmement, nous travaillons à renforcer nos capacités d’exportation — comme je l’ai décrit — en mer Noire. Troisièmement, nous axons également nos efforts sur la reconstruction et la fortification des infrastructures essentielles.

Si nous voulons atteindre ces objectifs et garantir notre victoire, notre partenariat avec le Canada et d’autres partenaires est d’une importance capitale, mais nous avons également besoin d’accéder aux actifs souverains et d’oligarques russes d’une valeur de plus de 400 milliards de dollars. C’est essentiel pour notre réussite. Je suis profondément reconnaissant envers le Canada pour les efforts qu’il a déployés en adoptant des lois qui autorisent la saisie des actifs et la réorientation des fonds russes vers la reprise ukrainienne.

Je vous encourage à appuyer le projet de loi S-278 visant à modifier la Loi sur les mesures économiques spéciales et à en arriver à une décision au sein du G7 sur la confiscation des actifs souverains de la Russie. J’exhorte le gouvernement canadien à confisquer 35 millions de dollars de la société Granite Capital Holdings de l’oligarque Roman Abramovich, qui a fait l’objet de sanctions, ainsi que l’avion russe de Volga-Dnepr Airlines. La Russie a infligé des dommages considérables à notre pays. Nous devons la tenir responsable de ses actes. Je suis convaincu que nous pourrons obtenir justice si nous sommes unis et déterminés.

Je vous lancerais un défi en conclusion. Cette guerre n’est pas terminée. Nous avons encore du travail à faire. Il s’agit d’une guerre contre les valeurs et la liberté qui nous sont chères.

Bien que les Ukrainiens soient en première ligne, cette guerre nous concerne tous, et nous ne pourrons pas baisser la garde tant que nous ne serons pas victorieux. Ensemble, nous devons faire tout en notre pouvoir à cet égard. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le vice-premier ministre.

Le sénateur Harder : Bonjour, monsieur le vice-premier ministre. J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit à propos du travail que vous avez entrepris. Vous avez dit que vous collaboriez avec diverses parties aux vues similaires pour saisir des actifs russes. D’après ce que j’ai lu dans le Financial Times, il semble que des progrès notables aient été réalisés en Europe à cet égard. Pourriez-vous nous dire comment vous comptez utiliser ces fonds pour accélérer la reprise? Dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne les instruments permettant d’accélérer la reprise, nous avons participé — comme vous le savez — à un certain nombre de conférences ukrainiennes sur la reprise. Les trouvez-vous utiles et, si oui, quand envisagez-vous d’organiser d’autres rassemblements de parties aux vues similaires?

M. Kubrakov : Je vous remercie de la question. Nous cherchons principalement à lancer des projets de restauration pendant la guerre, parce que nous sommes convaincus de gagner. Nous devons maintenir notre économie et commencer la restauration dès que possible.

Je crois que nous utiliserions une part importante des actifs russes pour des projets de restauration en Ukraine. Je pense que cela serait juste. Je crois fermement que tous ces dommages et intérêts ne devraient pas être payés par vos contribuables.

Pour ce qui est des conférences, je crois qu’elles deviennent nettement plus pratiques d’une année à l’autre. Nous ne parlons pas seulement de principes; nous discutons et approuvons des projets concrets et annonçons de réels programmes. Tous les programmes annoncés ou présentés lors de la conférence de Londres sont en voie d’être mis en œuvre ou sont déjà en cours. Nous travaillons avec nos homologues allemands pour que la prochaine conférence à Berlin soit encore plus pratique. Merci.

La sénatrice M. Deacon : Merci. À nouveau, j’aimerais vous remercier d’être des nôtres aujourd’hui au nom de tous mes collègues. Nous vous en sommes extrêmement reconnaissants.

J’aimerais tout d’abord m’attarder aux aspects sanitaires de cette guerre. De toute évidence, une partie de la stratégie russe consiste à paralyser les centres de soins de santé et de soutien ukrainiens. À la fin de l’année 2022, on dénombrait au moins 707 attaques documentées contre des infrastructures de soins de santé, y compris des dommages à plus de 218 hôpitaux et cliniques et 181 attaques contre d’autres établissements de santé. À cela s’ajoute le fardeau des millions d’Ukrainiens déplacés à l’intérieur du pays.

Pourriez-vous nous donner une mise à jour sur votre système de santé? Auriez-vous des suggestions sur la façon dont le Canada pourrait aider à cet égard?

M. Kubrakov : Je vous remercie de votre question. Vous avez entièrement raison. Des centaines et des milliers d’établissements de santé dans les territoires occupés ou contrôlés par l’Ukraine ont été endommagés par des missiles russes. Cela représente un défi pour le gouvernement.

Dans les territoires désoccupés qui ont été occupés en 2022 et en 2023, nous tentons de fournir à tout le moins des services de santé de base. Nous priorisons la mise en place d’au moins un centre de soins de santé dans chaque collectivité, même les petites. Nous avons pu restaurer plusieurs centaines de centres et d’établissements de santé dans les territoires désoccupés et dans les territoires contrôlés, principalement grâce au soutien qui nous a été offert.

Là encore, l’argent provient de deux sources. Tout d’abord, nous avons utilisé l’argent des actifs russes saisis en Ukraine, donc principalement de l’argent russe. On parle d’une valeur de 450 millions de dollars américains. Deuxièmement, nous avons également plusieurs programmes avec l’Europe et les banques multilatérales de développement.

Pour ce qui est de votre question sur le soutien, je serai franc: il y a principalement un problème de liquidité. Nous avons besoin de garanties de la part de nos pays partenaires pour structurer de nouveaux programmes avec le gouvernement ukrainien. Si le gouvernement canadien pouvait nous aider à fournir des garanties pour l’un de ces programmes, par exemple, ce serait assurément utile. Nous pourrions également bénéficier d’un soutien direct. Certains pays fournissent un soutien de manière bilatérale. Par exemple, le Danemark est en train de restaurer l’un des principaux hôpitaux de Mykolayiv et met en œuvre ces projets directement. Toute aide serait utile. Merci.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui, monsieur le vice-premier ministre. L’Ukraine devra déminer de vastes portions de son territoire avant d’entamer ses efforts de reconstruction, dont ses terres agricoles. Avez-vous commencé à planifier la façon dont vous allez entreprendre cette tâche gigantesque?

M. Kubrakov : Merci beaucoup. Nous avons dépassé la phase de planification; nous venons de commencer à déminer nos terres agricoles. Je parle des territoires désoccupés depuis 2022. Il s’agit de la région de Kherson, de la région de Tchernihiv, de la région de Sumy et de la région de Kharkiv. Là encore, je dirais que ce processus est possible grâce au soutien du monde entier, de diverses institutions internationales, d’initiatives privées et de divers donateurs. Nous avons réussi à déminer une grande partie de ces territoires. Je dirais que c’est le cas de la région de Tchernihiv, de la région de Kiev, de la partie nord de la région de Sumy, de la région de Kharkiv et même des régions de Mykolayiv et de Kherson. Ces territoires sont désoccupés depuis 2022, mais ont été déminés en grande partie en 2023.

J’espère que nous arriverons à déminer le reste des terres agricoles en 2024, mais c’est le déminage des villes occupées qui pose problème. La situation dans ces villes est beaucoup plus compliquée. Je sais qu’il y a des collectivités dans la région de Kharkiv où il y n’y a pas encore eu de déminage, par exemple. Nous ne pouvons pas commencer à fournir des services de base ou à réparer les infrastructures essentielles dans ces villes.

Le sénateur Ravalia : Je change de sujet. La stratégie de défense sera-t-elle un élément clé de vos efforts de reconstruction compte tenu du risque inhérent de futures incursions russes? Je pense tout particulièrement à la protection aérienne.

M. Kubrakov : Oui, absolument. La stratégie de défense est essentielle pour notre avenir et nos projets. Après cette guerre, le rôle du secteur de la défense s’accroîtra et la défense aérienne sera la priorité. C’est déjà le cas présentement, en fait. Le territoire ukrainien est vaste. Nous recevons présentement des solutions de défense aérienne du monde entier de la part d’alliés, mais si nous voulons être durables, nous devons chercher à développer des solutions par nous-mêmes ou de concert avec l’un des plus grands producteurs mondiaux en Ukraine pour les produire au pays. Sans cela, nous ne pourrons pas protéger notre espace aérien et nos territoires.

Le sénateur Ravalia : Merci.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui et de tout ce que vous faites, monsieur le vice‑premier ministre. J’ai vraiment été navrée de vous entendre parler de toute cette dévastation au début de votre exposé. Je vous remercie de nous l’avoir rappelée.

Je serais curieuse de vous entendre sur le rôle de la société civile dans la restauration et la reconstruction de votre pays. Pourriez-vous nous parler de la mobilisation de la société civile ukrainienne à cet égard ainsi que des partenariats de la société civile internationale qui sont essentiels à la reconstruction de l’Ukraine?

M. Kubrakov : Merci beaucoup. La société civile ukrainienne est très active et constitue une partie importante de notre nation. Depuis le début, les solutions de base de notre écosystème de traitement de la reconstruction, DREAM, fournissent un accès complet aux partenaires internationaux, à notre société civile et à tous les organismes à l’état d’avancement des projets de reconstruction, c’est-à-dire à tout l’approvisionnement, à tous les travaux de construction, à tous les détails et à toutes les sources de financement. Dès le départ, ce système a été développé de concert avec la société civile, l’ensemble de la coalition des organisations de la société civile ukrainienne et des organisations internationales.

Transparency International et d’autres organisations de lutte contre la corruption ont activement participé à tous les projets et programmes de restauration en Ukraine, ainsi qu’aux projets européens de lutte contre la corruption. Nous sommes probablement le principal partenaire de toutes les organisations non gouvernementales de lutte contre la corruption dans ce domaine. Elles sont impliquées dans 80 % des programmes de restauration. Le système clé est l’écosystème DREAM, qui est disponible en anglais. Toutes les organisations de lutte contre la corruption ont été impliquées dès le début dans l’organisation.

La sénatrice Coyle : Vous aurez besoin que vos concitoyens reviennent au pays pour la restauration et la reconstruction des infrastructures, de la population et des institutions de l’Ukraine. Nombre d’entre eux sont partis, y compris ici au Canada. Quelle est ou sera la stratégie pour encourager les talents ukrainiens à revenir et à participer à l’étape importante de la reconstruction de votre pays?

M. Kubrakov : Je vous remercie de la question. Là encore, il y a trois conditions essentielles. Tout d’abord, il y a la sécurité, sur laquelle nous n’avons pas d’influence. La défense aérienne, tout cela, nous comprenons que cela dépendra de la guerre. Je ne m’attarderai donc pas sur ces critères.

Cela dit, l’emploi et le logement sont vraiment cruciaux. Par exemple, nous avons ouvert un corridor dans le sud de l’Ukraine dans la mer Noire, ce qui a permis à nos ports et à nos terminaux de fonctionner à plein rendement. Nous avons pu faire revenir tous ceux qui avaient quitté le pays en 2022 et en 2023. Ils sont déjà revenus en Ukraine. Ils travaillent. Ils reçoivent un salaire tout à fait normal, compte tenu de la situation actuelle. Le coût de la vie est beaucoup plus bas qu’il l’était dans leur nouveau pays. Ils sont revenus.

Le logement est essentiel, et c’est pourquoi j’en ai parlé pendant quelques minutes pendant mes remarques liminaires. Malheureusement, beaucoup de gens ont perdu leur logement. Notre système nous indique qu’il y a environ 600 000 demandes de familles dont les logements ont été endommagés ou entièrement détruits.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci, monsieur le vice-premier ministre, de votre présence aujourd’hui. C’est très apprécié. Nous saluons vraiment la résilience et la détermination du gouvernement et du peuple ukrainien par rapport à cette guerre qui se perpétue.

Nous comprenons la nécessité de reconstruire et rebâtir, parce que vous avez longuement parlé des besoins en logement — et ma collègue a parlé de tout le système de santé.

Ma question concerne la sécurité que vous avez évoquée récemment.

Compte tenu du fait qu’il faut mobiliser également le secteur privé, est-ce que vous pensez... Je pense qu’il n’y a pas de moment idéal pour reconstruire, mais quel est le contexte et quelles sont les conditions en place pour assurer la sécurité des investisseurs, des investissements et des entrepreneurs qui vont mener les travaux de reconstruction, pendant que les bombardements se poursuivent?

[Traduction]

M. Kubrakov : Je vous remercie de votre question. Premièrement, j’aimerais à nouveau remercier le Parlement canadien d’avoir ratifié l’accord actualisé de libre-échange Canada-Ukraine, qui constitue un mécanisme permettant d’accroître l’activité économique entre nos deux pays.

Deuxièmement, nous avons récemment lancé un groupe consultatif d’entreprises, qui réunit déjà plusieurs centaines de représentants d’entreprises du monde entier.

Troisièmement, j’espère que tous les mécanismes récemment annoncés... Pour ce qui est de l’assurance des risques... Ils ont été lancés par la Banque mondiale et d’autres organisations, et certains projets ont heureusement déjà été réalisés grâce à ces mécanismes pendant la guerre. Ces mécanismes peuvent aider à protéger les investissements directs étrangers en Ukraine.

La plupart des nouveaux projets d’investissement — 90 % — mis en œuvre au cours des deux dernières années l’ont été par des entreprises qui étaient présentes en Ukraine avant le 24 février. Elles étaient déjà sur place et elles comprennent donc la situation. Il s’agit d’entreprises ukrainiennes et étrangères de nombreux secteurs, y compris d’entreprises canadiennes.

Là encore, je vous exhorte à ne pas attendre la fin de la guerre pour participer aux programmes que j’ai mentionnés dans mon exposé. Je suis d’avis que le gouvernement canadien et les entreprises canadiennes devraient participer à la restauration de l’Ukraine. Merci.

La sénatrice Gerba : Puis-je préciser ma question? Je voulais savoir ce qu’il en était de la sécurité physique de ces entrepreneurs et investisseurs.

Le président : Pourriez-vous brièvement nous parler de la sécurité physique des entrepreneurs, monsieur le vice-premier ministre?

M. Kubrakov : Pour ce qui est de la sécurité physique, certaines règles s’appliquent à tous les citoyens ukrainiens et aux étrangers qui se trouvent déjà en Ukraine. Il faut s’y conformer, c’est normal. Nous nous y habituons dans de telles situations. Par exemple, il y a encore eu des attaques à Kiev la nuit dernière, et les gens doivent continuer à se conformer à certaines règles de sécurité.

Dans un autre ordre d’idées, certains pays comme le Royaume-Uni continuent de réduire le niveau de risque pour leurs citoyens. Le Royaume-Uni a identifié plusieurs régions dans l’ouest de l’Ukraine comme moins risquées qu’auparavant, et je pense que d’autres pays s’en inspireront et lui emboîteront le pas.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie d’être des nôtres. J’aimerais parler de la plateforme de coordination des donateurs d’organisations multiples pour l’Ukraine. Vous en êtes l’un des coprésidents. Il est évident qu’elle va jouer un rôle important dans la restauration du pays. La plateforme a été mise en place en janvier 2023. Elle existe donc depuis 14 mois. Estimez-vous qu’elle a été efficace jusqu’à présent? Quels changements devrait-on y apporter pour la rendre plus efficace?

M. Kubrakov : Merci beaucoup. J’estime que la plateforme de coordination des donateurs d’organisations multiples est devenue beaucoup plus efficace au cours du second semestre de l’année dernière. Nous avons discuté de projets et de programmes réels et pratiques. La bonne nouvelle, c’est qu’à la fin de l’année 2023, cette plateforme s’est élargie pour inclure de nouveaux membres. Plus de 10 pays y ont adhéré. Leurs statuts diffèrent, mais ils sont devenus membres de la plateforme et ont pris des engagements concrets pour la restauration de l’Ukraine. Des pays comme la Norvège ont pris d’énormes engagements. D’autres pays européens ont également adhéré à la plateforme. Cela dit, là encore, la capacité à soutenir l’Ukraine dépend de l’importance du PIB des pays. Quoi qu’il en soit, la plateforme bénéficie de nouveaux membres, d’engagements réels et de projets concrets.

Maintenant, que pourrions-nous faire d’autre? La plateforme devrait être un lieu actif non seulement d’un comité directeur à l’autre, mais aussi entre ces comités. J’espère que le secrétariat à Bruxelles commencera également à y travailler. Je sais que des représentants de divers pays ont été nommés à la fin de l’année dernière et qu’ils espèrent que le secrétariat sera beaucoup plus actif sur la plateforme cette année, et pas seulement pendant les réunions des comités directeurs. Merci.

Le sénateur MacDonald : En février, vous avez mentionné qu’il y avait de nouveaux participants, nommément la Corée, la Norvège, la Suède et les Pays-Bas. Cependant, il y a d’autres pays comme le Danemark, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne et l’Espagne qui ont participé en tant qu’observateurs, mais qui n’ont pas adhéré. Vous attendez-vous à ce qu’ils adhèrent? Y a-t-il une raison pour laquelle ils participeraient en tant qu’observateurs sans toutefois adhérer directement?

M. Kubrakov : L’adhésion est conditionnelle à certains critères. Je pense que cela dépend des pays concernés. Pour le moment, ils adhèrent en tant qu’observateurs et s’engagent à appuyer la restauration de l’Ukraine. À la prochaine phase, j’espère qu’ils ne se contenteront plus d’être de simples observateurs et qu’ils deviendront des membres à part entière de la plateforme.

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie.

Le sénateur Woo : Monsieur le vice-premier ministre, bonjour. Pouvez-vous nous parler de ce que votre pays compte faire pour la prochaine élection présidentielle?

M. Kubrakov : Encore une fois, conformément à la constitution et selon tous les sondages récents, il nous est absolument impossible de tenir des élections présidentielles en temps de guerre.

Le sénateur Woo : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les difficultés entourant la tenue d’élections en temps de guerre et sur les conditions qu’il faudrait pour que ces élections aient lieu?

M. Kubrakov : La condition principale, c’est la fin de la guerre. Ce n’est qu’après cela que nous pourrons organiser des élections.

En ce qui concerne les difficultés, tout d’abord, il y a la sécurité de nos gens, en particulier dans les régions proches de la ligne de front. Une grande partie de notre population est actuellement dans l’armée. L’organisation d’un processus électoral pour ces participants et le simple fait de donner la possibilité à nos soldats de participer à ce processus sont des défis de taille, en particulier près de la ligne de front. C’est un risque énorme pour ces personnes.

Le sénateur Woo : Je vous remercie.

La sénatrice Greenwood : Merci, monsieur le vice-premier ministre, d’être ici aujourd’hui, et merci de tout le travail que vous faites.

J’aimerais vous interroger sur le statut des Tatars de Crimée. L’Ukraine reconnaît que les Tatars sont un peuple, y compris aux termes de sa constitution.

Depuis l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, de graves violations des droits de la personne ont été signalées, notamment des allégations de torture, de détentions arbitraires et de disparitions forcées. Pouvez-vous nous informer du traitement réservé aux Tatars à l’heure actuelle, de l’incidence que cette situation pourrait avoir sur vos plans de restauration et de la façon dont ces plans pourraient inclure cette question?

M. Kubrakov : Oui. Je vous remercie de votre question. L’année dernière, dans le contexte de la Plateforme pour la Crimée, nous avons présenté la stratégie que nous comptons appliquer lorsque la Crimée sera désoccupée, ce que nous ferons et comment nous envisageons le développement de cette péninsule. Nous travaillons avec les Tatars de Crimée, dans leurs collectivités d’Ukraine. Un envoyé spécial a été nommé par le président pour s’occuper de cela. Il est issu de la communauté tatare de Crimée en Ukraine. Nous travaillons conjointement sur cette stratégie. Nous avons eu des discussions avec des hommes d’affaires tatars de Crimée qui sont actuellement présents en Ukraine.

En lien avec ce que vous avez dit à propos des Tatars et de ce qui se passe actuellement en Crimée, j’aimerais souligner que pour les Russes, la nationalité n’a pas d’importance. Pour eux, il ne s’agit pas d’un peuple distinct et, malheureusement, ils agissent de la même manière avec tout le monde. Il y a des milliers d’exemples. Ce qui se passe est absolument criminel.

Le sénateur Kutcher : [Le sénateur s’exprime en ukrainien.]

Les infrastructures scientifiques ont été détruites en bonne partie et gravement endommagées, y compris les capacités de recherche médicale. Les efforts de reconstruction permettent de moderniser les capacités de recherche médicale de l’Ukraine et de cibler des domaines particuliers qu’il y aura lieu de développer de façon prioritaire.

J’ai deux questions à ce sujet. L’Ukraine dispose-t-elle d’un plan stratégique pour moderniser son infrastructure de recherche en sciences médicales dans le cadre de la reconstruction et, notamment, pour fixer les priorités particulières en matière de développement? Deuxièmement, y a-t-il eu des discussions avec le Canada pour savoir si nous pourrions être utiles dans ce domaine? Je pense notamment à la contribution que pourraient apporter notre Conseil national de la recherche, nos organismes subventionnaires des trois conseils et nos universités à forte intensité de recherche, c’est-à-dire les membres du groupe U15?

M. Kubrakov : Merci beaucoup de cette question. Pour le moment, nous nous concentrons sur la fourniture de services de santé de base à nos citoyens dans les territoires qui ne sont plus occupés ou dans les régions qui ont été attaquées par les Russes.

Vous avez tout à fait raison. Encore une fois, lorsqu’il s’agit des travaux de restauration de l’Ukraine, nous appliquons le principe de « reconstruire en mieux ». Ce principe s’applique à tous les secteurs, y compris à la science médicale et aux instituts de recherche en médecine. Je suis certain que lorsque viendra le temps de planifier la restauration de ce secteur, les responsables du ministère de la Santé seront intéressés par la coopération avec des collègues canadiens et par la perspective d’une modernisation.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup. Il est malheureusement nécessaire d’améliorer la bio-ingénierie pour les prothèses. Le Canada a fait des progrès étonnants dans le domaine des membres bioniques intelligents basés sur l’intelligence artificielle. Oui, je sais que les entreprises allemandes sont les leaders mondiaux dans la production de ces prothèses, mais il reste que des recherches fantastiques sont aussi menées au Canada dans ce domaine. Je me demandais simplement s’il y avait eu des discussions sur certains des travaux en cours.

M. Kubrakov : Je ne sais pas exactement. Je sais que de nouvelles cliniques et de nouveaux projets sont mis en œuvre à Kiev et dans d’autres grandes villes, mais je ne sais pas exactement quelle est la base de ces projets, en quoi consistent ces partenariats avec d’autres, quels pays et quelles organisations sont impliqués. Cela dit, encore une fois, permettez-moi d’être clair à ce sujet : je suis certain que mes collègues seront intéressés par une telle coopération avec les cliniques canadiennes.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.

Le président : Merci. Nous sommes arrivés à la fin du premier tour. Monsieur le vice-premier ministre, j’ai une question à vous poser. Elle est délicate dans la mesure où deux ans peuvent être longs pour une communauté de donateurs, pour un engagement à l’égard d’une situation de crise et en ce qui a trait au maintien des efforts de soutien. Les conférences, la Banque mondiale et l’Union européenne, tout cela a aidé. Sauf que dans nos pays respectifs, il y a aussi des élections, et que les élections et les campagnes peuvent avoir une incidence sur cette dynamique, notamment chez notre voisin du sud.

Je me demande si vous avez des observations à formuler sur les efforts que vous déployez pour tenter de convaincre l’ensemble de la sphère politique américaine de l’importance de rester aux côtés de l’Ukraine sur le long terme, attendu qu’il s’agit manifestement d’une question existentielle pour vous.

M. Kubrakov : Merci beaucoup de votre question. Encore une fois, nous avons prouvé, en particulier au cours de la dernière année, en 2023, que nous pouvons gagner et que notre cause est juste — je ne parle que de notre économie. Par exemple, ce nouveau corridor que nous avons pu ouvrir par nous-mêmes dans la mer Noire nous apporte des recettes fiscales supplémentaires en 2024. Au cours des deux premiers mois, nous avons enregistré d’importantes recettes fiscales supplémentaires. Encore une fois, il s’agit d’un exemple simple. Nous avons ouvert ce corridor et nos principales industries d’exportation ont redémarré — l’agriculture, l’industrie sidérurgique, l’exportation de minerai de fer.

Même si nous sommes toujours en guerre, même après avoir subi une telle destruction, nous sommes revenus aux chiffres d’avant la guerre. Dans notre modèle, nous devenons plus durables. Pour certaines industries, comme je l’ai dit, les gens reviennent chez eux. En ce qui me concerne, nous sommes en train de prouver que, dans certains secteurs, nous pouvons gagner, et ce, même pendant la guerre.

La situation sur la ligne de front est beaucoup plus compliquée. Nous dépendons de l’approvisionnement en munitions et de la production de munitions. En ce qui concerne la production de différents types de drones, je pense que nous sommes à la pointe de toutes ces technologies et que nous prouvons, encore une fois, que nous sommes en train d’édifier cette industrie à partir de rien. Je pense que nous sommes le pays numéro un en ce qui concerne le développement et l’utilisation de ces technologies. Nous allons volontiers faire profiter nos alliés de cette expérience, et j’espère que toutes ces technologies nous aideront à gagner.

Le président : Merci beaucoup. Amorçons maintenant le deuxième tour.

La sénatrice M. Deacon : Merci. Je serais assurément négligente de ne pas faire remarquer que nous posons beaucoup de questions différentes aujourd’hui. Nous savons également que nous vous en demandons peut-être trop, mais sachez que les réponses que vous nous donnez de réunion en réunion sont très utiles.

Lors de l’une de nos dernières réunions, j’avais posé des questions sur la perte d’enfants en Ukraine, sur les enfants qui sont enlevés, sur les enfants qui se retrouvent en Russie, sur ceux qui sont envoyés dans des camps, sur les enfants qui sont déplacés pour diverses raisons — les chiffres augmentaient de manière significative. Je me demande aujourd’hui si vous êtes en mesure de nous dire quelque chose à ce sujet, de nous dire si l’on réussit à ramener ces enfants chez eux.

M. Kubrakov : Merci beaucoup de votre question. Encore une fois, l’initiative spéciale du bureau présidentiel concernant le retour de nos enfants fait son œuvre, je ne dirais pas chaque jour ou chaque semaine, mais presque chaque mois. Nous voyons des efforts que nous soutenons dans certains pays; nous avons pu ramener un certain nombre d’enfants en Ukraine.

Oui, nous sommes conscients qu’il s’agit de milliers d’enfants et que nous avons été en mesure d’en ramener un certain nombre. Sachez que nous y travaillons. Au risque de me répéter, nous sommes reconnaissants envers tous les pays qui se sont joints à cette initiative du bureau présidentiel.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.

Le sénateur Harder : Monsieur le vice-premier ministre, dans les documents d’information que j’ai lus, il est question de la manière dont votre bureau de restauration décentralise l’autorité et veille à renforcer la capacité des oblasts et des autorités régionales. Pouvez-vous nous dire comment cela se passe et si vous pensez qu’un certain niveau de décentralisation deviendra une caractéristique de l’Ukraine une fois la guerre terminée?

M. Kubrakov : La décentralisation a été l’une des réformes les plus réussies en Ukraine. Elle a commencé en 2016 et, malgré la guerre, nous essayons de poursuivre cette réforme dans la perspective de la reconstruction. Jusqu’ici, environ 80 % des projets de reconstruction complète ont été mis en œuvre par les collectivités ou à l’échelon des oblasts. Notre approche est toujours la même. Nous sommes d’avis que les collectivités sont les mieux placées pour définir leurs priorités. Nous devons bien sûr définir les priorités des différents secteurs, mais qui est le mieux placé pour savoir quel hôpital ou quelle école devrait être priorisé pour la collectivité? Notre approche consiste simplement à laisser ces choix aux collectivités elles-mêmes, ainsi que la mise en œuvre de ce qui aura été décidé.

Nous nous concentrons, par exemple, sur certaines collectivités de la région de Kherson, collectivités qui ont malheureusement perdu leurs chefs lorsque ces territoires ont été libérés. Or, comme ces territoires n’ont plus de gouvernement local autonome sur le terrain, c’est le gouvernement central et les agences de restauration qui assument la charge des projets de restauration.

Dans tous les autres cas, la plupart des projets sont encore mis en œuvre par les collectivités au niveau de l’oblast. Cependant, afin de contrôler ces projets ou au moins de savoir ce qui se passe, nous avons recours à l’écosystème DREAM, qui nous permet de prendre la mesure des progrès réalisés et d’appliquer une certaine reddition de comptes.

Le président : Merci. Monsieur le vice-premier ministre, il nous reste quelques minutes. Il n’y a plus de sénateurs qui souhaitent vous poser des questions, alors j’aimerais vous laisser la parole pour vous permettre de nous livrer un dernier message, si vous en avez un pour nous.

M. Kubrakov : Je vous remercie énormément de m’avoir donné l’occasion d’expliquer où nous en sommes, quelles sont nos priorités actuelles et quels sont nos défis. J’espère que le soutien de votre pays et de votre peuple à l’Ukraine se poursuivra. Comme cela a été dit dans le cadre de notre discussion, tous les aspects sont très importants.

L’assistance militaire reste la grande priorité. Les efforts de restauration, le soutien à l’utilisation des actifs russes, tous ces sujets sont importants, voire névralgiques. Encore une fois, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’expliquer nos besoins et nos priorités à ce stade de la guerre.

Le président : Merci, monsieur le vice-premier ministre Kubrakov. Merci de vous être joint à nous aujourd’hui. Nous admirons ce que vous faites, et je pense pouvoir dire au nom de tous que le Canada et les Canadiens vous accompagnent dans votre mission. Portez-vous bien. J’espère que nous pourrons vous revoir à une date ultérieure. Merci beaucoup.

M. Kubrakov : Merci beaucoup.

Le président : Merci.

Chers collègues, nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe d’experts et poursuivre notre discussion d’hier sur la situation humanitaire à Gaza.

Du Comité international de la Croix-Rouge, nous avons le plaisir d’accueillir M. Patrick Hamilton, chef de la délégation régionale pour les États-Unis et le Canada, qui nous joint aujourd’hui par vidéoconférence depuis Washington D.C., et Lucia Elmi, représentante spéciale de l’UNICEF dans l’État de Palestine, qui nous joint depuis Jérusalem. Je vous souhaite la bienvenue. Merci à vous deux d’être là.

Nous sommes impatients d’entendre ce que vous avez à nous dire, mais avant de passer aux questions, je tiens à rappeler à mes collègues qu’il s’agit d’un sujet sensible. Soyons respectueux et efforçons-nous de ne pas entrer trop dans les détails. J’invite chacun à faire preuve de retenue et de prudence. Je vous rappelle à tous que le sujet particulier de ce groupe d’experts est la situation humanitaire sur le terrain à Gaza.

Monsieur Hamilton, vous avez la parole.

Patrick Hamilton, chef de la délégation régionale pour les États-Unis et le Canada, Comité international de la Croix-Rouge : Merci beaucoup de me donner l’occasion d’être avec vous. Avant de commencer, permettez-moi de relayer les remerciements du Comité international de la Croix-Rouge pour le soutien continu que le gouvernement canadien lui accorde et qu’il accorde à la Croix-Rouge canadienne, à l’ensemble du mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ainsi qu’à notre mandat humanitaire. Ce soutien est extrêmement apprécié. L’occasion qui nous est donnée ici en est l’expression, alors merci.

Des horribles attaques perpétrées en Israël le 7 octobre à la situation humanitaire catastrophique qui prévaut à Gaza, le conflit actuel n’a rien fait d’autre que d’engendrer des souffrances humaines qui n’en finissent plus. Pendant plus de cinq mois, mes collègues et moi-même avons écouté les récits des familles dont les proches ont été pris en otage.

Rien ne peut justifier les attaques dont Israël a été victime le 7 octobre. Depuis le premier jour, le Comité international de la Croix-Rouge a clairement fait savoir que les prises d’otages étaient interdites par le droit international humanitaire. Nous continuons d’insister auprès du Hamas pour que les otages soient libérés sans condition et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour avoir accès à eux.

Pendant ce temps, les civils continuent de quitter la partie nord de Gaza dans des conditions précaires et dangereuses. Brandissant des drapeaux blancs et privés de produits de première nécessité tels que la nourriture et l’eau, des hommes, des femmes et des enfants ont marché des dizaines de kilomètres en passant par des rues jonchées de cadavres. Pour eux, il n’y a plus d’endroit où aller au sud de Rafah.

Les hostilités intenses ont provoqué l’effondrement quasi total du système de santé, et la plupart des patients seront privés de traitement. Le stress constant, le manque d’alimentation appropriée et l’incapacité d’accéder à l’eau potable et aux installations sanitaires ont engendré un risque grave de maladies comme le choléra, la diarrhée, la dysenterie, l’hépatite A et la typhoïde.

Parmi les patients de Gaza figurent de nombreux enfants, dont certains ont perdu toute leur famille. Des bébés sont nés et ont été inhumés au cours de ce conflit, une réalité inacceptable montrant que les civils paient le prix le plus lourd. Lorsque les patients reçoivent leur congé, ils n’ont nulle part où aller; ils restent donc à l’hôpital, espérant une certaine sécurité.

Les règles de la guerre existent pour contribuer à préserver l’humanité dans nos moments les plus sombres, et elles ont désespérément besoin d’être suivies aujourd’hui. Ces règles stipulent que les civils ne peuvent pas être attaqués ou pris en otage. Ils doivent recevoir de l’aide humanitaire sous forme de nourriture, d’eau et de soins médicaux. Les installations médicales et le personnel médical doivent pouvoir aider les personnes dans le besoin en toute sécurité. Les détenus doivent être traités avec humanité et être autorisés à communiquer avec leur famille. Si le droit international humanitaire n’est pas dûment respecté, la souffrance des civils ne fera qu’empirer, et il sera plus difficile de trouver une solution politique pour mettre fin à l’effusion de sang à long terme.

À l’heure actuelle, l’aide humanitaire qui entre à Gaza ne répond pas aux besoins que notre équipe observe sur le terrain. Une cessation des hostilités est nécessaire pour permettre à une aide désespérément nécessaire d’atteindre les civils dans toute la bande de Gaza. Israël, la puissance occupante, doit veiller à ce que les besoins fondamentaux de la population civile, y compris l’accès aux soins médicaux, soient satisfaits.

Dès que les conditions le permettront, le Comité international de la Croix-Rouge est prêt à intensifier considérablement son aide aux côtés de ses partenaires du mouvement, dont la Croix‑Rouge canadienne et la Société du Croissant-Rouge palestinien. Il peut accroître considérablement l’aide qu’il fournit sur les plans de la nourriture, des abris et de l’hygiène, et renforcer rapidement son soutien à ces services essentiels si on lui donne les moyens de le faire.

Le droit international humanitaire prévoit des règles fondamentales pour préserver l’humanité qui s’appliquent également à la population de Gaza et d’Israël, à tous les détenus et à toute personne prise en otage. La guerre n’est pas sans règle. La souffrance doit cesser.

Merci.

Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Hamilton. Madame Elmi, la parole est à vous.

Lucia Elmi, représentante spéciale dans l’État de Palestine, UNICEF : Je vous remercie et vous salue ce matin ou cet après‑midi. Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est offerte pour remercier la population et le gouvernement du Canada de l’appui qu’ils apportent à tous les enfants, partout où il y a de la souffrance. Depuis le 7 octobre, tous les enfants — qu’ils soient israéliens ou palestiniens — souffrent, sont tués et sont pris en otage. C’est une tragédie et nous sommes là pour chaque enfant.

Je reviens tout juste de la bande de Gaza, où j’ai rendu visite à mon équipe. Au cours des six derniers mois, nous avons été témoins d’une situation humanitaire catastrophique, surtout pour les enfants. La moitié de la population de la bande de Gaza a moins de 18 ans. S’agissant d’une population jeune, vous pouvez imaginer la souffrance qu’elle endure.

Des milliers de personnes sont tuées en raison de la violence armée et les autres vivent dans des conditions qui se détériorent rapidement, ce qui augmente le risque de décès évitables d’enfants dus à des maladies et à la malnutrition.

La rapidité avec laquelle la crise catastrophique a frappé les enfants est choquante et sans précédent, d’autant plus que l’aide nécessaire n’est qu’à quelques kilomètres. Vous devez également avoir vu le rapport du comité d’examen de la famine du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, ou IPC, qui fait état d’une détérioration de la situation alimentaire par rapport à la tendance des avertissements signalée en décembre dernier.

Les résultats de l’IPC sont catastrophiques. Presque toute la population de la bande de Gaza, y compris les enfants, est aux prises avec ce qu’on appelle une crise grave ou catastrophique sur le plan de la sécurité alimentaire, et pour les enfants de moins de 5 ans, de la malnutrition. Un enfant sur trois dans le Nord de la bande de Gaza est touché par une malnutrition aiguë généralisée. La malnutrition aiguë sévère constitue la pire forme de malnutrition chez les enfants. Elle touche jusqu’à 4,5 % des enfants de moins de 2 ans. C’est très choquant.

La combinaison du manque de nourriture, d’eau, de fournitures médicales, d’abris appropriés, de soins, de protection, d’hygiène et d’installations sanitaires constitue une recette terrible que favorise la propagation des maladies à grande échelle. Par exemple, il y a 26 fois plus de cas de diarrhée chronique que par les années précédentes. Les femmes et les filles ont été gravement touchées par le conflit et les déplacements. Nous sommes profondément préoccupés par leur sécurité et celle de leurs enfants.

Une enquête récente auprès des femmes déplacées dans la région de Rafah a révélé que 94 % d’entre elles ne se sentent pas en sécurité dans leurs abris temporaires et 95 % n’ont pas assez d’argent pour subvenir à leurs besoins fondamentaux et à ceux de leurs enfants.

Lorsque j’étais à Rafah il y a quelques jours et que je visitais certains refuges officiels, j’ai rencontré une famille formée de deux femmes, deux sœurs, qui m’ont dit dans un très bon anglais — parce qu’elles étaient enseignantes — que la situation est si grave qu’elles ont commencé à remarquer que leurs cheveux tombent et que leurs dents et leurs ongles s’ébrèchent. C’est le résultat de la très grave pauvreté alimentaire dont elles souffrent. Elles manquent essentiellement de calcium.

Il ne suffit pas d’avoir accès à quelques kilos de farine ou à quelques quignons de pain; il faut que les femmes enceintes aient une alimentation adéquate. Et les enfants de moins de cinq ans ont besoin de micronutriments, de protéines et de vitamines, et cet apport ne peut pas être assuré en quantité suffisante en ce moment.

Les gens ont également besoin de légumes, de fruits et de produits laitiers produits localement. C’est une situation très complexe qui ne peut être résolue avec de la farine, de l’eau ou du pain, en particulier pour les enfants.

D’abord et avant tout, nous devrions avoir comme priorité de livrer des fournitures vitales essentielles et d’offrir des services de base, notamment des services de santé, qui ont été démantelés.

Dans les prochains mois, nous devrons vraiment nous assurer qu’avec la situation à laquelle nous sommes confrontés, nous nous concentrions sur trois éléments : premièrement, les infrastructures qui permettent de sauver des vies et le rétablissement des services sociaux essentiels, des services de santé, de la protection sociale et des soins sociaux; deuxièmement, la fourniture temporaire de logements et d’infrastructures de base, en attendant que des structures plus permanentes, lorsque la construction sera possible, puissent être édifiées après un cessez-le-feu permanent; troisièmement, la reprise de l’éducation et de l’apprentissage. C’est aussi le meilleur moyen de joindre les enfants qui ont été fortement traumatisés afin de combler leurs besoins en santé mentale et psychosociale. Nous estimons que pratiquement tous les enfants de la bande de Gaza ont besoin d’un soutien spécialisé en santé mentale et psychosociale.

Vous pouvez nous aider en continuant de défendre les droits de la personne avec nous tous, et nous saurions gré au gouvernement du Canada de réclamer un cessez-le-feu afin d’avoir un cessez-le-feu humanitaire immédiat et, très bientôt, une solution politique à plus long terme. Tous les otages, y compris les deux enfants israéliens restants, doivent être libérés et réunis avec leurs familles.

Nous avons également besoin de votre appui pour continuer à défendre les nombreux postes frontaliers terrestres afin de permettre à l’aide d’arriver avec l’ampleur et la prévisibilité nécessaires pour empêcher et prévenir un impact humanitaire encore plus catastrophique sur les enfants.

Il faut également réduire les restrictions en matière de sécurité aux frontières parce que — comme l’a indiqué mon collègue du Comité international de la Croix-Rouge — de nombreux goulots d’étranglement bureaucratiques freinent l’acheminement de l’aide au pays et dans la bande de Gaza. Nous avons également besoin d’une reprise de l’activité commerciale et de la production locale, notamment dans les secteurs de l’agriculture alimentaire.

Enfin, nous avons également eu l’occasion d’offrir une séance d’information à la ministre des Affaires étrangères, la ministre Joly, la semaine dernière. Nous devons vraiment continuer de mettre les enfants au cœur de toutes les négociations en vue d’un cessez-le-feu, mais aussi d’une paix durable qui apportera la paix à tous les enfants de la région, qu’ils soient israéliens ou palestiniens.

Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup, madame Elmi.

[Français]

Chers collègues, j’aimerais préciser que vous disposez, comme d’habitude, de quatre minutes maximum chacun pour la première ronde de questions, y compris la question et la réponse. Je demande donc aux sénateurs et aux témoins d’être concis. Nous pourrons toujours tenir une deuxième ronde, si le temps le permet.

[Traduction]

Honorables collègues, je vous demanderais également d’indiquer clairement à qui s’adresse la question.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos deux témoins d’aujourd’hui d’accomplir ce travail et de nous avoir fait part des priorités dans le cadre de la situation des enfants et tous les gens de la bande de Gaza et d’Israël.

Madame Elmi, vous avez déclaré que ce qu’il faut vraiment, c’est une paix durable pour tous les enfants, et vous avez parlé de la mort d’enfants en Israël et à Gaza et d’enfants pris en otage. Vous avez souligné qu’un cessez-le-feu était absolument essentiel pour pouvoir fournir l’aide humanitaire nécessaire.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus, madame Elmi, sur l’incidence qu’aurait un cessez-le-feu? Il y en a eu un dernièrement. Quelle incidence a-t-il eue, et qu’est-ce que le cessez-le-feu maintenant réclamé par le Canada, par vous et par de nombreux autres acteurs changerait à la situation humanitaire?

Mme Elmi : Je vous remercie de vos questions.

Un cessez-le-feu et une paix durables permettront certainement à tous les enfants, qu’ils soient israéliens ou palestiniens, de recevoir des soins et du soutien, et d’être réunis avec leurs familles.

Les cinq ou six jours de pause, à la fin d’octobre ou au début de novembre derniers, nous ont aidés. C’était une pause humanitaire et non un cessez-le-feu, même si c’est encore ainsi qu’on l’appelle, malheureusement. C’était une pause humanitaire qui a permis à la communauté de l’aide humanitaire d’apporter une aide supplémentaire et d’accorder un répit aux enfants et à leurs familles pour qu’ils puissent retrouver leurs familles et leurs communautés élargies.

Nous avons pu livrer des fournitures supplémentaires et organiser certaines activités de loisir dans le refuge afin de réunir les enfants pour la première fois sans craindre les bombardements. Cette pause a également permis à 34 enfants israéliens gardés en otages de retrouver leurs familles et leurs communautés. Parallèlement, un certain nombre d’enfants palestiniens ont été libérés et ont pu rejoindre leurs familles.

Si un cessez-le-feu était déclaré maintenant, la pause serait, de par sa nature, plus longue. Les otages seraient libérés, bien entendu. Les parties sont en train de négocier, mais les familles et les enfants auraient plus de temps pour se retrouver. Nous estimons qu’environ 17 000 enfants pourraient être séparés des leurs ou non accompagnés. Le cessez-le-feu faciliterait le très long processus d’identification de ces enfants, de retraçage de leur famille — si elle vit encore — et de réunification familiale.

Plus de 350 camions attendent à la frontière du côté égyptien, prêts à entrer immédiatement. En outre, de grandes quantités de fournitures sont également livrées par avion ou par d’autres moyens par les corridors égyptien et jordanien.

Les besoins sont énormes : nutrition thérapeutique, raccords pour la réparation des réseaux d’aqueduc, matériel récréatif et plus de fournitures médicales. Le cessez-le-feu aura une incidence sur la livraison de fournitures vitales essentielles pour les enfants.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie.

La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup à vous deux de témoigner.

Si vous le voulez bien, je poursuivrai sur la question des frontières et de l’approvisionnement.

Cette question, que je vous poserai en premier, madame Elmi, concerne le projet de corridor maritime pour aider Gaza. De toute évidence, il faut apporter de l’aide, mais ce n’est qu’un pourcentage de ce qui est nécessaire pour sauver la population de la famine de masse. Dans vos cercles professionnels, craint-on que ce projet atténue la pression exercée sur Israël pour ouvrir les frontières terrestres et que la communauté internationale puisse penser que c’est une solution de rechange efficace et passe à autre chose, d’une certaine manière? Je me demande ce que vous pensez, de votre point de vue, de l’aide acheminée par voie terrestre plutôt que par voie maritime?

Mme Elmi : Merci.

Comme nous le disions, ce que la communauté de l’aide humanitaire réclame vraiment, ce sont de multiples passages terrestres pour pouvoir atteindre la population où qu’elle se trouve, y compris dans le Sud et, bien entendu, dans le centre et le Nord du pays. C’est ce que nous réclamons depuis le début.

L’ajout d’autres options, notamment par la mer, bien sûr, permet aussi d’apporter de l’aide supplémentaire, mais cela ne devrait pas détourner l’attention des pourparlers — comme vous l’avez souligné avec justesse — et de la pression exercée pour faire ouvrir plusieurs postes frontaliers qui faciliteront l’entrée de l’aide.

Pour vous donner un exemple, la tentative réussie d’acheminer des fournitures de la mer a permis de livrer moins que le contenu de huit camions. C’est une aide supplémentaire, mais nous devons continuer de réclamer l’ouverture de multiples postes frontaliers et d’autres voies d’accès, car 2 millions de personnes ont essentiellement besoin de toute l’aide nécessaire en ce moment.

La sénatrice M. Deacon : Merci de cette réponse. Je poursuivrai sur la question des restrictions alimentaires dans la bande de Gaza, que vous avez fort bien expliquée. Du point de vue historique, ces restrictions n’ont rien de nouveau dans la bande de Gaza. Israël — avec l’aide de l’Égypte — contrôlait la quantité de nourriture et d’eau qui entrait dans la bande de Gaza avant le présent conflit. Nous avons entendu cette semaine un témoin qui a parlé du régime alimentaire de Gaza, où l’accès à l’eau et à la nourriture est limité et où le niveau de santé est déjà moindre. Ce fait est d’ailleurs confirmé par différents documents que nous avons lus au fil du temps.

Je me demande quels seraient les effets des manques que nous observons aujourd’hui, comme les effets à long terme sur la santé des enfants qui traversent cette crise. Ils vivent déjà sous un niveau de vie de base si bas que nous pouvons à peine le comprendre.

Mme Elmi : Merci. C’est vrai, et c’est là notre cheval de bataille. Ce n’est pas seulement une question de nourriture. En ce qui concerne particulièrement la malnutrition infantile ou ce que nous appelons l’émaciation, il faut offrir une combinaison d’aliments nutritifs, de micronutriments, de vitamines, de produits frais et de protéines appropriés que ne peut fournir l’aide alimentaire qui arrive. En raison des lacunes au chapitre de l’assainissement de l’eau et des conditions d’hygiène, nous sommes très préoccupés par l’augmentation des cas de diarrhée et par l’apparition de nouvelles maladies. L’hépatite A n’existait pas dans la bande de Gaza auparavant.

C’est aussi une question d’accès aux soins médicaux. Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé, la majorité des services de santé de la bande de Gaza ont été démantelés. La malnutrition aiguë sévère a donc des effets à long terme sur le développement cognitif psychosocial des enfants. C’est une mauvaise nouvelle, car certains effets sont irréversibles. Même si un cessez-le-feu commence demain, il faudra huit semaines pour qu’un enfant qui souffre de malnutrition sévère se rétablisse, et c’est dans des conditions optimales, c’est-à-dire s’il a accès à de l’eau potable, à des installations sanitaires propres, à des aliments appropriés et à des soins médicaux. Cela prend huit semaines. Or, nous parlons d’un cessez-le-feu de quelques jours — 40 jours — seulement. Ce n’est pas assez long pour se rétablir.

Le président : Je suis désolé. Je dois vous interrompre. Le temps est écoulé. Je sais que nous pourrons revenir sur ces points très importants.

Le sénateur Harder : Merci à nos invités d’être avec nous, et merci surtout de leur travail dans ces circonstances difficiles.

Ma première question s’adresse à M. Hamilton et à Mme Elmi. Elle concerne les responsabilités envers votre propre personnel. Pourriez-vous nous dire comment vous gérez cette question, combien d’employés vous avez et comment fonctionnent les rotations, si possible?

M. Hamilton : Merci de cette question. Le CICR est présent à Gaza et en Israël depuis de nombreuses décennies, depuis 1967. Malheureusement, c’est loin d’être le premier conflit auquel nous sommes confrontés et auquel nous devons répondre. Le 7 octobre, nous avions entre 125 et 130 personnes présentes à Gaza, et nous y avons toujours 130 personnes. Nous avons procédé à la rotation de certaines d’entre elles. Nous avons pu faire venir une équipe chirurgicale mobile qui, depuis le début du mois de novembre, opère depuis l’hôpital européen de Gaza. Il s’agit d’une équipe chirurgicale internationale. Nous négocions depuis plusieurs mois l’arrivée d’une deuxième équipe. Nous espérons son déploiement imminent. Au total, une vingtaine de membres du personnel viennent de l’international, y compris l’équipe chirurgicale, et les autres sont palestiniens.

Les conditions de sécurité ont été extrêmement difficiles. Le personnel a dû être évacué du nord de Gaza vers le sud. À ce stade, il est devenu presque impossible de faire plus avec notre personnel, autre que de le faire opérer dans l’hôpital européen de Gaza et dans les environs. La situation est donc très difficile.

Nous avons perdu plusieurs membres du personnel. La Société du Croissant-Rouge palestinien a perdu une douzaine de personnes. Le Magen David Adom a également perdu plusieurs travailleurs de la santé. La communauté humanitaire, sans oublier les autres groupes, paye certainement une partie du prix des hostilités en cours.

Nous travaillons constamment avec les forces de défense israéliennes pour tenter de coordonner l’accès humanitaire dans la bande de Gaza et aux alentours, notamment pour les membres du personnel de la Société du Croissant-Rouge palestinien qui se déplacent dans leurs ambulances, mais il est clair que la situation en matière d’accès et de sécurité est loin d’être ce que nous voudrions qu’elle soit.

Le président : Je vous accorde un peu de temps, madame Elmi.

Mme Elmi : Nous avons encore des collègues palestiniens dans le Nord, et ils sont en mesure de soutenir certaines opérations dans des conditions difficiles.

La majorité de notre personnel palestinien se trouve actuellement à Rafah, et nous avons veillé à leur trouver un logement et un espace de travail. Nous avons 10 employés internationaux dans plusieurs domaines, en particulier l’eau et l’assainissement, la santé et la nutrition. Nous sommes en mesure d’assurer une rotation.

J’ai un mot à dire sur la rotation. Avant, aller de mon bureau de Jérusalem à mon bureau de Gaza prenait deux heures. Aujourd’hui, il faut deux jours et demi parce que les travailleurs humanitaires ne sont autorisés à passer que par Rafah, du côté égyptien, pour faciliter l’accès de ces travailleurs de Jérusalem de façon moins coûteuse.

Le sénateur Woo : Je remercie les témoins.

Je voudrais vous demander de nous aider à comprendre très simplement pourquoi les fournitures médicales et les denrées alimentaires les plus élémentaires ne parviennent pas à Gaza et pourquoi nous avons recours à des solutions de deuxième et de troisième ordre, telles que la voie maritime et les largages aériens.

M. Hamilton a mentionné que l’arrêt des hostilités était nécessaire à la reprise de l’aide humanitaire. Est-ce, en fait, la condition pour que les fournitures les plus élémentaires — la nourriture et l’aide médicale — puissent entrer à Gaza? Pourquoi n’assistons-nous pas à un afflux de ces produits de base? Je vous demanderais de nous expliquer le plus clairement possible pour nous aider à comprendre ce qui empêche cela de se produire.

M. Hamilton : Merci, oui.

La responsabilité première pour garantir l’accès des civils aux biens et services essentiels incombe aux parties au conflit. Cette responsabilité est ensuite assumée par les organisations humanitaires et d’autres entités. Donc, les parties au conflit, dans ce cas-ci, assument cette responsabilité première de veiller à ce que les civils aient accès à des biens et services essentiels.

Vous avez raison de dire que le droit humanitaire international garantit également l’application de cette règle, qu’il y ait ou non une cessation des hostilités. Depuis le début des hostilités, au début du mois d’octobre, nous réclamons un approvisionnement régulier, rigoureux et adéquat en biens et services essentiels dans la bande de Gaza, tant que ces hostilités persistent et bien après, afin de répondre aux besoins de la population.

Je pense que nous, conjointement avec nos homologues aux Nations unies, soutenons maintenant qu’un cessez-le-feu est absolument nécessaire en raison de l’ampleur et de la gravité des besoins à l’heure actuelle. La seule façon de pouvoir commencer à essayer de répondre à ces besoins de manière significative en ce moment, c’est parce que les besoins sont si graves et si importants et parce que cet approvisionnement régulier et rigoureux d’aide à Gaza n’a pas été suffisant.

Comme on l’a mentionné, le droit humanitaire international prévoit que l’aide doit être fournie et que les civils doivent recevoir ce dont ils ont besoin pendant que des hostilités sont en cours. Malheureusement, cela n’a pas été suffisant depuis le déclenchement de ces hostilités au début d’octobre.

Mme Elmi : Je voulais seulement préciser que nous coopérons dans un environnement très peu sûr dans une région lourdement bombardée. Les bombardements sont toujours très actifs, si bien que pour apporter une aide humanitaire de manière sécuritaire, vous pouvez imaginer le genre de défis que les travailleurs humanitaires doivent relever, et ce, à leurs propres risques.

La majeure partie du territoire est fermée. Le nord est fermé depuis de nombreux mois, et chaque mouvement doit être approuvé et coordonné par les parties au conflit, en particulier par l’une d’entre elles. Nous avons vu, plus particulièrement en décembre, en janvier et en février, le nombre de refus du convoi se dirigeant vers le nord, comme dans d’autres régions. Cela a créé une situation — une impasse, essentiellement — où les gens ont été privés pendant de nombreux mois, et tout ce que l’on tente maintenant d’apporter est reçu avec énormément de frustration par la population.

De plus, à Rafah, le nombre de contrôles de sécurité dans chaque camion qui entre signifie qu’un camion en provenance d’Égypte, jusqu’à ce qu’il arrive du côté de Gaza, doit être déchargé et rechargé de cinq à sept fois. Vous pouvez donc voir comment le temps de traitement devient très lent en raison des contrôles de sécurité du matériel.

Par ailleurs — et c’est le dernier point —, il y a encore un certain nombre d’articles et il n’y a pas de liste définitive de ce qu’on appelle le matériel à double usage qui ne peut pas être introduit ou la procédure n’est pas très claire concernant le matériel qu’on peut faire entrer dans la région. Il y a notamment des connecteurs pour le système d’eau et certains instruments chirurgicaux que les gens n’ont pas pu, parce qu’ils contiennent des métaux ainsi que d’autres matériaux, faire entrer dans la région depuis près de six mois.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je remercie nos témoins de leur présence aujourd’hui. Je vais rester un peu dans le même sujet.

Au début du mois de mars, le président Biden a ordonné à l’armée américaine de construire un pont temporaire à Gaza afin d’acheminer davantage d’aide humanitaire sur place. Son but était d’assurer que les navires livrent un peu plus de camions d’aide supplémentaire chaque jour.

Il a indiqué que l’ONU et les organisations humanitaires participeraient à la mise en place du pont. Est-ce que vous avez été consultée dans le cadre de cette initiative? Si oui, quel regard portez-vous sur sa faisabilité et son efficacité?

Mme Elmi : Je vous remercie pour la question. D’abord, il faudra du temps à l’armée américaine pour construire un pont. Pour le moment, il n’y a pas encore d’infrastructure adéquate. La plus grande partie des routes dans la bande de Gaza a été détruite. Il y a un niveau de destruction très élevé. Même s’il y a un accès direct à la mer, il y a toujours des défis sur le plan logistique en raison du manque de routes, d’infrastructures et de camions qui peuvent faire la distribution. C’est un problème vraiment préoccupant.

De plus, la bande de Gaza, ce n’est pas très grand; on parle de plus ou moins 42 kilomètres. Il y a aussi des ports dans la partie israélienne qui sont très proches au nord. La question est toujours la même. Bien sûr, tout appui est le bienvenu, mais l’important, c’est vraiment de continuer de faire pression pour l’ouverture de plusieurs routes, surtout les routes qui sont plus proches et plus efficaces.

Mme Sigrid Kaag, coordonnatrice de l’action humanitaire et de la reconstruction à Gaza, a été impliquée; il y a des négociations en cours cette semaine, pas seulement en ce qui concerne ces ports, mais aussi sur une initiative plus large, l’initiative Amalthea, dans le but de construire une infrastructure plus durable. Je sais que Mme Kaag est sur place cette semaine pour continuer les discussions avec les parties à ce sujet.

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président : Monsieur Hamilton, aimeriez-vous faire une observation?

M. Hamilton : Brièvement, pour faire suite aux observations de Mme Elmi, le CICR accueille favorablement toutes les initiatives qui permettent à un plus grand nombre de civils à Gaza de recevoir ces biens et services essentiels à ce stade, compte tenu de la gravité de la situation. Mais je pense que cette initiative — ainsi que les largages — témoigne de la gravité de la situation et des difficultés que nous observons, en tant que communauté humanitaire et population civile sur le terrain, dans la manière dont le conflit se déroule. Nous avons toujours considéré les mesures comme les largages comme étant un dernier recours et une mesure vraiment désespérée, et je pense qu’elles doivent être considérées sous cet angle dans ce cas-ci.

Comme Mme Elmi l’a dit, c’est une chose d’apporter de l’aide sur la côte, sur le quai, ou de la déposer, mais qu’en est-il de la distribution à l’extérieur et sur le territoire de Gaza? On ne peut pas remplacer la capacité d’organiser cette aide une fois qu’elle est arrivée à un endroit précis de Gaza pour s’assurer que les gens qui en ont besoin peuvent en bénéficier adéquatement.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie tous les deux du travail que vous faites. Ma question s’adresse à M. Hamilton.

Je me demandais dans quelle mesure vous avez pu entrer en contact avec les otages qui sont actuellement détenus par le Hamas. Par ailleurs, êtes-vous en mesure de contacter et de surveiller les Palestiniens détenus par Israël à la suite de cette crise?

M. Hamilton : Je vous remercie de cette question. Depuis le début du conflit, le 7 octobre, nous avons déclaré que notre organisation et notre équipe étaient prêtes à accéder aux otages et à faire tout en leur pouvoir pour les aider de quelque manière que ce soit, notamment en facilitant leur libération — en cas d’accord — et en rendant visite aux détenus palestiniens. À ce stade, nous n’avons eu accès à aucun d’entre eux depuis le 7 octobre.

Le sénateur Ravalia : Même par l’entremise de relations indirectes ou de bouche-à-oreille, vous n’avez pas pu établir de contact?

M. Hamilton : Non, mais dans les deux cas, nous avons fait tout ce que nous pouvions pour essayer d’exhorter les parties à veiller à ce que nous ayons accès et que nous puissions assumer notre rôle habituel de rendre visite à ces détenus, d’évaluer les besoins et de répondre à ces besoins, dans la mesure du possible.

Le sénateur Ravalia : Merci. La deuxième partie de ma question s’adresse à Mme Elmi.

Nous avons assisté au transport de cas médicaux aigus vers le Qatar. Dans quelle mesure êtes-vous en mesure d’accéder à ce type de soutien pour les personnes que vous estimez être en danger imminent, y compris les enfants et les bébés qui meurent de faim et sont sous-alimentés?

Mme Elmi : Merci. Oui, un certain nombre d’enfants ont été évacués pour des raisons médicales, mais c’est très peu par rapport aux besoins actuels.

Il y a également beaucoup de goulots d’étranglement bureaucratiques et des vérifications pour l’évacuation médicale — l’Organisation mondiale de la santé signale qu’au moins 8 000 personnes nécessitant une évacuation médicale n’ont pas pu être évacuées. Il y a 6 000 blessés à cause du conflit, dont des enfants, et 2 000 malades chroniques souffrant de pathologies antérieures, qui ont notamment besoin de traitements contre le cancer, qui ne peuvent pas être évacués. Il faut donc continuer de revendiquer que ces évacuations reprennent et que les personnes en situation critique puissent sortir de la région.

Bien entendu, il y a l’article sur l’intérêt des enfants, ce qui signifie que l’enfant doit être accompagné par un gardien, préférablement un parent. Malheureusement, pour le moment, la condition est que les enfants puissent être autorisés à être évacués, mais avec une femme accompagnatrice de plus de 55 ans. Comme vous le savez, la population de Gaza est très jeune. Si vous avez 5 ans, la probabilité que vos parents aient plus de 55 ans est en fait très limitée.

Nous devons vraiment nous assurer que l’article sur l’intérêt des enfants soit primordial dans l’argumentaire en faveur de l’évacuation sanitaire.

Le président : Je vous remercie.

J’ai deux questions très simples à vous poser. Puisque la situation perdure, vous inquiétez-vous de la lassitude des grands donateurs? C’est la première question.

La deuxième est la suivante : a-t-on l’impression que les pays voisins — je pense aux États du Golfe — pourraient participer davantage, ou en font-ils assez pour ce qui est de l’aide humanitaire qu’ils pourraient fournir par votre intermédiaire?

M. Hamilton : En ce qui nous concerne, nous sommes préoccupés par la lassitude des donateurs, mais pas tant dans le contexte actuel que dans tous les autres contextes, qui sont nombreux et où les besoins sont énormes. La République démocratique du Congo et le Soudan ne sont que deux exemples évidents — Haïti — qui sont très actifs en ce moment et pour lesquels nous sommes confrontés à la lassitude des donateurs.

Pour ce qui est de l’engagement d’autres États, nous estimons que le droit humanitaire international, le cadre normatif, appartient avant tout aux États et non pas au CICR. Bien entendu, nous avons une solide association avec les Conventions de Genève, mais le droit est la propriété des États. Nous demandons simplement à tous les États qui exercent une influence sur ce conflit d’en faire plus pour que le droit humanitaire international soit respecté par les parties au conflit dans ce cas précis. Merci.

Mme Elmi : En ce qui concerne l’UNICEF, en plus de ce que mon collègue du CICR a mentionné, nous avons constaté un soutien général au cours des six premiers mois de la part de nombreux États membres, y compris le Canada, pour cette crise. Mais nous savons également que cette crise et les autres crises dans le monde sont confrontées à un certain nombre de contraintes, et qu’il existe un certain nombre de crises oubliées. Nous devons continuer à défendre ces crises également. À l’heure actuelle, 400 millions d’enfants sont touchés par des conflits dans le monde. Il s’agit donc d’une question qui, bien entendu, figure en tête de notre ordre du jour.

Il est également important de poursuivre les efforts — les États membres, bien sûr, sont propriétaires du cadre du droit humanitaire international, mais ils doivent aussi promouvoir le respect du droit humanitaire et des droits de la personne internationaux. Votre défense des droits en tant qu’État membre est donc cruciale et nous devons maintenir ce niveau d’engagement, non seulement pour la mobilisation des ressources, mais aussi pour la défense des droits de tous les enfants.

Par ailleurs, une fois que les besoins humanitaires essentiels auront été satisfaits grâce au cessez-le-feu, nous devrons continuer à nous engager pour le rétablissement, la reconstruction, y compris l’enlèvement des décombres, [difficultés techniques] qui ont mené à la guerre. Il s’agit vraiment d’un engagement à long terme pour s’assurer que les enfants ont accès aux services sociaux et peuvent tenter de s’épanouir.

Le président : Je vous remercie. Nous allons passer à la deuxième série de questions.

La sénatrice Coyle : M. Hamilton et Mme Elmi ont tous les deux mentionné que les enfants et toutes les personnes doivent être protégés par le droit humanitaire international. Vous en avez tous les deux parlé. Nous avons parlé de l’aide humanitaire, et c’est essentiel. C’est absolument essentiel. Nous avons entendu les arguments en faveur de cette aide.

Si vous le pouvez, l’un d’entre vous ou les deux, parlez-nous un peu de vos préoccupations concernant le droit humanitaire international dans ces cas — à la fois en ce qui concerne ce qui s’est passé en Israël et ce qui se passe actuellement à Gaza — et de ce que vous pensez que nous devrions faire ici, en tant que Canadiens, pour soutenir l’application de la loi et la surveillance du droit humanitaire international dans le contexte dans lequel vous travaillez.

M. Hamilton : Je vous remercie de la question, et je répondrai en m’appuyant sur mes observations précédentes. Bien entendu, depuis le 7 octobre, nous nous efforçons, d’une certaine manière, d’engager le dialogue avec les deux parties au conflit — Israël d’un côté et le Hamas de l’autre — sur leurs responsabilités en vertu du droit humanitaire international en ce qui concerne les poursuites intentées contre les guerres. Bien entendu, il convient de rappeler que nous sommes associés au droit humanitaire international — le corpus jus in bello — qui s’applique aux poursuites contre les guerres et non au droit relatif à la décision de faire la guerre — jus ad bellum.

Ce qui nous préoccupe au CICR, c’est uniquement l’engagement quant à la manière d’intenter des poursuites contre les guerres. Comme je l’ai dit, nous avons cherché à faire participer les deux parties à un dialogue bilatéral et confidentiel sur la manière dont les hostilités font l’objet de poursuites et sur les besoins humanitaires qui découlent du conflit en soi.

C’est notre responsabilité. Nous cherchons à l’assumer le plus activement possible depuis le 7 octobre, mais je répète que c’est clairement les parties membres aux Conventions de Genève qui font la loi. Nous demandons aussi aux États de prendre cette responsabilité. Ils doivent premièrement dialoguer sur le plan politique avec leurs partenaires, leurs alliés et dans ce contexte particulier, les deux États en conflit. Ils doivent également défendre le plus fermement possible le droit humanitaire international, et ils doivent continuer de fournir un soutien robuste à la réponse humanitaire aux besoins sur le terrain.

Mme Elmi : Je dirai très brièvement que nous avons vu — c’est tragique — ce que nous appelons de graves violations contre les enfants en situation de conflit, qu’ils soient palestiniens ou israéliens. Il faut bien sûr prévenir ces graves violations; il faut y mettre fin. À cette fin, la résolution 1612 du Conseil de sécurité prévoit des mécanismes.

Le Canada est le président mondial du Groupe des amis sur les enfants et les conflits armés, qui examine les recommandations du Rapport annuel du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés et le mécanisme prévu par le Conseil de sécurité. Il faut protéger ce mécanisme et le respecter.

Le Canada peut jouer un rôle important dans ce mandat et en défendre l’intégrité.

Le sénateur Harder : Le Guardian signale ce matin que le secrétaire d’État américain Blinken va proposer un nouveau libellé au Conseil de sécurité pour demander un cessez-le-feu. C’est un développement des plus bienvenus, car les États-Unis mettent du poids derrière nos efforts.

J’aimerais vous entendre sur la trajectoire que nous prenons. Si un cessez-le-feu a bel et bien lieu, combien de temps faudrait‑il à vos organisations pour mettre en place une aide humanitaire et un soutien suffisant afin de répondre aux besoins humanitaires que vous constatez et que vous prévoyez?

Par ailleurs, si la résolution est refusée par les parties et que Rafah subit un assaut — madame Elmi, vous revenez tout juste de Rafah —, quelles seraient les conséquences pour la situation humanitaire de faire fi de la résolution?

J’aimerais entendre les deux témoins, s’il vous plaît.

Mme Elmi : Si je comprends bien, vous voulez savoir combien de temps il faudrait à la communauté humanitaire pour organiser le soutien, si un cessez-le-feu avait lieu, n’est-ce pas?

Le sénateur Harder : C’est exact. S’il n’y a pas de cessez‑le‑feu et que Rafah est attaquée, quels seront les besoins humanitaires supplémentaires?

Mme Elmi : Merci. Je répète que l’UNICEF et tous les organismes d’aide humanitaire sont prêts à envoyer beaucoup de camions. Depuis des semaines, nous planchons sur un plan d’urgence en cas de cessez-le-feu, donc nous sommes prêts. Le matériel est prêt à être amené si on facilite et simplifie l’accès, non seulement à Rafah, mais à toute la bande de Gaza. Il faut avoir accès au Nord, au milieu de la bande, à toutes les communautés. Il ne suffit pas d’amener le matériel; il faut aussi avoir accès aux communautés. Notre matériel est prêt et nous pouvons en préparer plus. Notre travail est planifié pour les trois prochains mois.

En réponse à votre deuxième question, je ne peux même pas imaginer quels seraient les effets sur Rafah d’une opération militaire aussi intense que celles menées dans le Nord et le milieu de la bande de Gaza. À Rafah, 1,2 million de personnes sont coincées à la frontière avec l’Égypte. Des gens vivent dans des tentes, entassés les uns sur les autres. Les routes sont complètement congestionnées. On trouve 600 000 enfants dans une région très petite et limitée. Je ne peux pas imaginer quelles seraient les conséquences d’un bombardement, d’une invasion terrestre et de la venue de chars d’assaut pour ces communautés qui souffrent tant déjà. Les conséquences humanitaires ne seraient pas moins que catastrophiques et inimaginables.

M. Hamilton : Pour renforcer ce que Mme Elmi a dit et comme nous en avons discuté, la situation humanitaire à Gaza est déjà extrêmement grave. Les besoins sont énormes, qu’il y ait ou non une autre opération à Rafah.

Peu importe ce qui arrivera, le droit humanitaire international continue de s’appliquer et exige que les parties en conflit observent des précautions de base, fassent des distinctions et agissent de façon proportionnelle. Ces parties doivent faire tout en leur pouvoir pour réduire au minimum les incidences sur la population civile et répondre à ses besoins en fournissant les services essentiels.

Comme nous l’avons dit, nous n’aurions normalement pas besoin d’un cessez-le-feu pour y arriver. Comme d’autres, nous demandons un cessez-le-feu, parce que les besoins sont si grands. Mais quoi qu’il en soit, le cadre juridique continue de s’appliquer et doit être maintenu.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à M. Hamilton. Il a été rapporté récemment que les employés des agences des Nations unies qui travaillent à Jérusalem éprouvent des difficultés pour renouveler les titres de séjour. Est-ce que vous êtes concerné par ce phénomène? Si oui, comment cela affecte‑t‑il votre travail sur le terrain?

[Traduction]

M. Hamilton : Merci de cette question. Je ne voudrais pas m’avancer sur les détails. Néanmoins, en tant qu’organisations humanitaires, nous devons avoir la possibilité de travailler. On parle souvent d’« accès humanitaire » comme un concept plutôt étroit, mais en réalité, l’accès humanitaire comprend tous les éléments des opérations militaires, ainsi que les aspects bureaucratiques et administratifs. Notre personnel international qui travaille en situation de conflit doit bien sûr avoir les visas et autorisations administratives nécessaires pour mener le travail, où qu’il soit appelé.

Il faut clairement permettre aux organisations humanitaires de passer du point A au point B, quelles que soient les considérations qui s’appliquent, à un point de contrôle ou dans l’administration d’un État.

Le président : Je vous remercie beaucoup. Au nom du comité, je remercie Lucia Elmi, représentante spéciale de l’UNICEF dans l’État de Palestine, qui se joignait à nous aujourd’hui depuis Jérusalem. Je remercie aussi Patrick Hamilton, chef de la délégation régionale pour les États-Unis et le Canada du Comité international de la Croix-Rouge, qui se joignait à nous depuis New York. Merci beaucoup de vos réponses enrichissantes sur cette situation très grave, et merci de votre travail.

(La séance est levée.)

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