LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 26 novembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 10 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi S-268, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, avant de commencer, j’aimerais demander aux sénateurs et aux autres participants dans la salle de consulter les cartes sur la table afin de connaître les directives à suivre pour prévenir les incidents acoustiques. Assurez-vous de déposer votre oreillette loin des microphones en tout temps. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la la face tournée vers le bas sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous de votre collaboration.
Je tiens à reconnaître que la terre sur laquelle nous nous réunissons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, où vivent aujourd’hui de nombreuses Premières Nations et ainsi que de nombreux Métis et Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis, d’Epekwitk, lieu également connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je préside le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Je vais demander aux membres du comité de se présenter en se nommant et en précisant la province ou le territoire qu’ils représentent.
Le sénateur Prosper : Sénateur Prosper, du territoire mi’kmaq, en Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, dans le Mi’kma’ki.
La sénatrice White : Judy White, de Ktaqmkuk, mieux connu sous le nom de Terre-Neuve-et-Labrador. Bienvenue.
Le sénateur Tannas : Le sénateur Tannas, de l’Alberta.
La sénatrice Boniface : Bienvenue, chef Williams. Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du territoire non cédé du peuple mi’kmaq, au Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Arnot : Bienvenue. Je m’appelle David Arnot. Je suis un sénateur de la Saskatchewan.
Le président : Merci à tous.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la teneur du projet de loi d’intérêt public S-268, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les Indiens, afin de donner aux corps dirigeants de Premières Nations ainsi qu’à l’autorité qu’ils auraient désignée le pouvoir de mettre sur pied, d’administrer des systèmes de loterie dans les réserves et de prendre des règlements à leur propos.
Je vais maintenant présenter notre premier témoin aujourd’hui, le chef Ted Williams, de la Première Nation des Chippewas de Rama. Merci, chef Williams, d’être parmi nous aujourd’hui. Le témoin prononcera une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie par une période de questions des sénateurs. J’invite maintenant le chef Williams à prononcer sa déclaration liminaire.
Ted Williams, chef, Première Nation des Chippewas de Rama : [Mots prononcés en langue autochtone]
Je suis le chef Ted Williams. Je me présente avec mon nom ancestral [mots prononcés en langue autochtone] qui veut dire « eaux qui se meuvent lentement » en français. Ce nom avait disparu il y a 200 ans. Il y a environ un an et demi, ma fille — qui a étudié à l’Université Carleton, au collège universitaire de Dublin et à Oxford — a retrouvé dans le cadre de ses recherches notre nom ancestral [mots prononcés en langue autochtone]. Nous étions très heureux d’avoir retrouvé ce nom et d’autant plus fiers de l’employer.
Je vais vous dire quelques mots sur mon parcours. Je fais de la politique de façon intermittente depuis 42 ans. J’ai siégé au conseil en 1982 et en 1984. J’ai été élu chef en 1986 à l’âge de 29 ans. Pendant quelques années, de 1992 à 1995, j’ai assuré les fonctions de gestionnaire et d’administrateur de la communauté. Le 5 décembre 1994, nous avons remporté l’appel d’offres au moyen d’une proposition que j’avais rédigée en collaboration. J’ai rassemblé une équipe et mis en branle les travaux à exécuter pour la mise sur pied du casino Rama, qui se sont terminés en 1996. J’ai tenu pendant cinq ans les fonctions de vice‑président des ressources humaines et des services intégrés au casino. J’ai ensuite été consultant pendant 10 ans.
Un matin, en 2014, j’ai su que j’avais été élu au conseil. J’étais abasourdi. J’ai siégé au conseil pendant six ans et j’ai été élu chef en 2020, puis réélu en août dernier. Je suis le père de deux merveilleux enfants — un fils de 43 ans et une fille de 40 ans — et j’ai un petit-fils de 11 semaines, que je suis allé voir hier soir. Ils vivent à Ottawa. Je suis marié depuis 46 ans et j’ai 14 frères et sœurs.
Je vous ai dévoilé quelques facettes de ma biographie. Vous pourrez me poser des questions plus tard pour en savoir plus, mais je voudrais vous dire meegwetch. Je suis très reconnaissant d’avoir la chance de m’adresser à vous aujourd’hui au Sénat. Meegwetch de m’avoir invité.
Je témoigne aujourd’hui au nom de la Première Nation des Chippewas de Rama. Rama est une Première Nation dynamique et progressiste qui participe depuis très longtemps à l’économie. Elle a notamment ouvert le premier casino commercial dans une réserve en Ontario, et le plus grand casino commercial dans le territoire d’une Première Nation au pays.
La Première Nation Rama est très impliquée dans le fonctionnement du casino Rama depuis son ouverture en 1996. Notre communauté joue un de premier plan dans les opérations du casino. Elle s’est ainsi bâtie une expertise et des capacités considérables dans l’industrie du jeu. Au cours des années, nous avons travaillé sans relâche pour concrétiser notre aspiration qui était de devenir des exploitants et non pas seulement des participants dans le secteur du jeu. Je tiens à ce que le comité sache que les membres de la Première Nation Rama et de toutes les autres Premières Nations au pays possèdent autant que n’importe qui d’autre l’intelligence, les capacités et les compétences nécessaires pour bien faire fonctionner un casino.
Les amendements proposés donneraient aux Premières Nations comme la nôtre les moyens de participer pleinement à l’industrie du jeu et nous affranchiraient des limites prévues dans les dispositions actuelles. Un des obstacles auxquels ma communauté en particulier est confrontée — je le dis en m’appuyant sur mes 30 ans d’engagement dans le secteur — est ce que j’interprète comme un monopole détenu par la Société des loteries et des jeux de l’Ontario, ou OLG. Même si nous collaborons très bien avec OLG, chose que nous faisons avec tous nos partenaires, les contrôles du jeu prévus au Code criminel compliquent la vie des exploitants indépendants de casinos, particulièrement les membres des Premières Nations, qui veulent mener des activités de promotion et demeurer concurrentiels. Ces contrôles nous empêchent de tirer profit de toutes les possibilités de l’industrie. Les modifications du Code criminel proposées favoriseront les collaborations avec les Premières Nations au Canada.
Des changements s’imposent à notre avis. Le temps est venu de donner aux Premières Nations l’expertise et les outils et de leur octroyer le champ de compétence dont elles ont besoin pour exploiter leurs propres casinos et leurs installations de jeu sans obstacles inutiles.
Dans l’affaire R. c. Pamajewon, la Cour suprême a établi un précédent en statuant que le droit à l’autonomie gouvernementale n’incluait pas le jeu dans les réserves. À l’inverse, le projet de loi S-268 offre une excellente occasion de rétablir les relations avec les Premières Nations en leur conférant l’autorité législative et le champ de compétence sur le jeu dans leur territoire sans les limitations et les règlements souvent paternalistes qui les restreignent actuellement.
Voilà qui conclut ma déclaration liminaire. Je vous remercie encore de m’avoir donné la chance de faire part de mes observations. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci, chef Williams, de votre déclaration liminaire. Nous passons à la période de questions des sénateurs.
Le sénateur Arnot : Merci, chef Williams, de votre présence aujourd’hui. Dans quelle mesure, selon vous, le projet de loi S-268 permettrait de reproduire le succès que vous avez obtenu dans votre communauté et celui obtenu dans d’autres communautés autochtones? Selon votre expérience, quels sont les facteurs déterminants qui font en sorte que les installations de jeu produisent des retombées qui profitent vraiment aux communautés?
M. Williams : Au cours de nos 30 ans d’expérience dans l’industrie du jeu, nous avons développé des relations de qualité avec les fournisseurs, les villes environnantes, les cantons, l’administration municipale et le milieu des affaires. Nous avons stimulé l’économie à Orillia et dans la région. Je peux dire sans hésiter que pendant 26 ans, plus de 2 milliards de dollars ont été générés dans la communauté. Comme je le dis aux collègues des villes environnantes, cet argent n’est pas resté à Rama. Il est allé dans la ville d’Orillia, peut-être à Barrie, et dans le canton voisin.
Il faut consentir des efforts considérables pour que les retombées favorables des relations tissées par les Premières Nations perdurent dans les communautés voisines. Nous reconnaissons les problèmes liés au jeu et à la dépendance au jeu. Nous nous sommes penchés sur ces difficultés en agissant dans la communauté et dans le secteur des casinos en partenariat avec OLG.
À mon avis, cette proposition ne ferait que renforcer l’industrie. C’est ce que j’ai dit à mes collègues à OLG et dans le secteur municipal. Ce que nous voulons comme Première Nation — ce que je veux — est la possibilité de rivaliser avec la concurrence. Voilà ce que je souhaite. Je veux que nous affrontions la compétition et que nous exposions notre savoir‑faire.
Le sénateur Arnot : Chef Williams, je voudrais que vous creusiez un peu plus la question. Pensez-vous que le projet de loi S-268 aiderait les Premières Nations à mener leurs activités économiques de façon indépendante? Je veux parler de l’autodétermination et des principes d’autodétermination des Autochtones.
M. Williams : J’en suis convaincu. Le projet de loi nous fournit une occasion réelle. Comme je viens de le dire, il n’en tient qu’à nous. Il nous appartient à nous seuls de faire grandir nos entreprises. Nous ne pourrions souhaiter mieux que d’être mis aux commandes de notre propre destinée. J’estime que c’est ce que fait le projet de loi.
Le sénateur Tannas : Merci de votre présence, chef Williams. Combien d’employés compte le casino?
M. Williams : Le casino Rama compte environ 1 100 employés. Les recettes cette année s’élèveront à environ 200 millions de dollars.
Faisons un petit voyage dans le temps. Lorsque nous avons ouvert le casino en 1996, j’étais vice-président. Nous pensions engendrer des recettes de 200 millions de dollars avec un effectif de 1 100 employés. En 1996, le casino comptait en fait 3 400 employés, et les revenus s’élevaient après les 12 premiers mois à près de 590 millions de dollars. Pendant les 5 ans où j’ai occupé les fonctions de vice-président, nous avions un chiffre d’affaires annuel de plus de 500 millions de dollars avec un effectif de plus de 3 000 employés.
En raison des problèmes liés à la concurrence et bien honnêtement — rien ne sert de le cacher — de l’épuisement des troupes et des partenaires, la stratégie de commercialisation a dû changer. Aujourd’hui, je dis aux gens qu’en 1995, nous pensions générer 200 millions de dollars avec un effectif de 1 100 employés. Ce sont nos chiffres actuels.
Bien franchement, nous avons profité de la manne pendant environ 24 ans.
Le sénateur Tannas : Je vous présente ma compréhension de la situation, que vous pourrez confirmer le cas échéant. Vous aviez une licence délivrée par la province. Vous génériez 500 millions de dollars avec 3 000 employés, mais lorsque d’autres licences ont été délivrées à des casinos situés stratégiquement entre Toronto et le casino Rama, votre entreprise a été phagocytée. Vous avez perdu des revenus et votre capacité à affronter la concurrence dans un contexte où comme vous le disiez, vous vendiez le même produit que les autres.
Pourriez-vous parler des innovations que votre communauté pourrait mettre en place, si elle en avait le pouvoir, pour répondre à la concurrence? À votre avis, est-ce un facteur important ou croyez-vous que vous offririez exactement les mêmes activités de jeu que celles qui sont offertes dans les casinos financés par le gouvernement?
M. Williams : Il y a beaucoup de choses à dire sur ce que pourraient faire les communautés. C’est là que les gens vivent et que travaillent les membres de leur famille et leurs amis, dont certains appartiennent aux Premières Nations, et d’autres, non. La motivation, l’enthousiasme, le goût de se mesurer aux autres, la passion — je cherche le bon mot pour décrire ce que je veux dire —, ces choses intangibles qui changent beaucoup la donne, eh bien, ces choses stimulent la créativité et l’innovation. Cela nous incite à nous améliorer.
Je n’ai pas honte de dire que je vais régulièrement à Disney World. En fait, j’y vais très souvent. Pourquoi cet endroit est-il si populaire? C’est parce qu’ils font bien les choses. Le service est hors pair. Évidemment, ce n’est pas donné, mais j’y vais parce que je reviens chaque fois avec des idées que je mets en œuvre dans la communauté.
Je crois que nous sommes sur le point d’y arriver. Le secteur des services dans la communauté prend lentement de l’expansion. Bon nombre de Premières Nations viennent à Rama. Elles vont au Tim Hortons. Elles vont à la station-service. Elles s’arrêtent au parc, à l’aréna et à la boutique de cannabis. Partout, le service est impeccable. Voilà pourquoi elles viennent.
Elles veulent savoir notre recette. Elles veulent apprendre de notre expérience. Elles veulent comprendre comment nous nous y sommes pris pour réaliser cette croissance.
La sénatrice White : Merci, chef Williams. Nous sommes ravis de vous recevoir. Nous sommes heureux également d’apprendre que vous avez eu l’occasion de passer du temps avec votre petit-fils hier soir. Je suis grand-mère et je sais à quel point les petits-enfants sont précieux.
Puisque je suis sénatrice autochtone, je trouve vraiment rafraîchissant d’écouter un dirigeant autochtone parler de choses qu’accomplissent les Autochtones parce que nous entendons toujours parler des choses qu’ils ne font pas.
J’ai eu le grand privilège d’aller au casino Rama pour un anniversaire à l’époque où j’habitais à Osgoode — je ne vous préciserai pas en quelle année — et j’ai trouvé le service absolument irréprochable. Pour mes amies de l’école de droit et moi-même, cette expérience mémorable est restée gravée dans nos cœurs. Merci pour l’excellent service, même si cela remonte aux temps antédiluviens.
J’en viens maintenant à ma question. Selon votre expérience et en tenant compte des possibilités que le projet de loi pourrait offrir aux autres Premières Nations à l’avenir, que diriez-vous à une Première Nation qui se lancerait dans le secteur du jeu après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi? De quel soutien pourrait‑elle bénéficier? Quelles possibilités lui seraient offertes et quelles seraient les choses dont elle devrait tenir compte?
M. Williams : Tout d’abord, il faut choisir les bons dirigeants, et je ne parle pas nécessairement des élus. Il y a des personnalités dans la communauté qui savent comment faire les choses auxquelles les élus doivent faire confiance s’ils veulent que le travail soit accompli. De bonnes relations doivent être établies entre les deux.
Il faut également jouir d’une stabilité financière et tenir ses finances en ordre. Il faut des politiques et des lignes directrices pour négocier avec d’autres institutions, notamment les banques, parce que les clients dont les finances ne sont pas en ordre vont être reçus par ces institutions, mais n’obtiendront pas nécessairement les fonds. Cette stabilité est très importante, et nous l’avons.
Il faut développer des relations qui procureront du soutien. J’entretiens des liens solides avec les politiciens des municipalités locales et avec la communauté des affaires. Ces personnes me connaissent. On ne saurait surestimer la valeur de ces relations et l’importance de les mettre en place. Nous ne sommes pas coupés du monde à Rama. Notre population essaime un peu partout et stimule l’économie. Il est primordial que les dirigeants municipaux sachent ce que nous faisons pour l’économie locale, d’où l’importance du respect mutuel. L’époque à laquelle notre communauté était asservie est depuis longtemps révolue. Aujourd’hui, nous sommes aux commandes. Qui m’aime me suive! Cela dit, nous prendrons les rênes même si les autres ne nous accompagnent pas.
Cette confiance est importante. Je comprends les relations entre les communautés des Premières Nations et les municipalités, qu’elles soient solides ou faibles.
Rien ne vous donne confiance comme la réussite d’un projet ou d’une entreprise, et c’est ce que nous avons. Je suis fier d’y participer. C’était une longue réponse à votre question.
La sénatrice White : Voilà d’excellents conseils. Merci.
La sénatrice Coyle : Merci d’être parmi nous, chef Williams. Je représente la Nouvelle-Écosse, mais je suis né à Orillia.
M. Williams : Oh!
La sénatrice Coyle : Oui.
M. Williams : Je suis un ancien agent immobilier, je connais donc les rues là-bas.
La sénatrice Coyle : Cette région faisait partie du territoire de mon père lorsqu’il était vendeur itinérant. C’est pourquoi nous vivions là.
En tout cas, cela fait des années que je connais le succès du Casino Rama, et je tiens à vous féliciter pour le rôle que vous avez joué dans cette réussite. Ce doit être une immense source de fierté pour vous et pour votre communauté, et pour l’ensemble de la collectivité. Tout le monde connaît le Casino Rama et son succès.
En ce qui concerne le projet de loi S-268, je comprends d’après vos remarques que vous y êtes très favorable. Vous avez expliqué, à bien des égards, les avantages que ce projet de loi apportera en termes du potentiel qui, selon vous, n’a pas encore été exploité. Bien qu’il y ait des réussites, elles pourraient être encore plus grandes.
Vous avez commencé à parler de ce à quoi ressemblera exactement ce potentiel, à la fois en termes d’activités, d’avantages pour la communauté et de leadership dans ce secteur, et j’aimerais en savoir plus à ce sujet. Comment libérer les différentes sources de potentiel?
M. Williams : Je vais sortir ma boule de cristal. Lorsque je pense aux possibilités, je constate que nous disposons actuellement d’un certain nombre d’experts dans le domaine des jeux de hasard qui sont issus de ma communauté. Il y a aussi des personnes qui ne sont pas membres de la communauté, mais qui sont des alliés très proches et de bons amis. Je vois une occasion pour les membres de la communauté de développer des carrières à long terme dans ce secteur; les personnes qui viennent juste d’atteindre l’âge adulte, je peux les voir devenir des leaders. Dans le futur, quatre membres de mon conseil auront moins de 40 ans, et mon travail consistera à leur servir de mentor.
Je les vois assumer un rôle de leader et je vois notre communauté être stable pour un certain nombre d’années. Si notre communauté est stable pendant ces d’années, cela signifie que la région environnante le sera également.
Avec l’évolution de la technologie, je pense qu’il y a une technologie qui n’est pas encore arrivée et qui aura un effet important sur l’augmentation des revenus des casinos. Ce sera un défi, car la concurrence sera encore plus forte, mais j’ai pleinement confiance en notre personnel.
Depuis 10 à 12 ans, chaque année à Rama, nous offrons à plus de 100 de nos membres des possibilités d’éducation postsecondaire au collège ou dans nos universités.
Sans vouloir dénigrer les collèges, il y a plus de personnes qui suivent des cours à l’université que de personnes qui suivent des cours au collège. Cela dit, j’ai le sentiment que les plus jeunes se développent dans de bonnes conditions. Cela signifie que nous serons solides, en tant que communauté, pour les années à venir.
Je crois que c’est une possibilité qui s’offre aussi aux autres Premières Nations du pays. Elles disposeront d’une base économique solide dans leurs communautés pour les années à venir.
Je ne suis pas sûr d’avoir répondu à votre question.
La sénatrice Coyle : Je suis curieuse de savoir ce qu’il en est des autres communautés. Y a-t-il d’autres communautés autochtones qui viennent vous voir pour vous demander comment vous faites et pour que vous les aidiez?
M. Williams : J’ai offert mon aide à de nombreuses reprises. Des représentants d’autres communautés viennent nous voir et participent à nos activités. Mais nous avons généralement des discussions en marge d’autres événements, que ce soit au sein de la nation Anishinabek, des chefs de l’Ontario ou de l’Assemblée des Premières Nations, lorsque nous nous réunissons. C’est généralement ce qui se passe. Ils viennent. Je sais qu’ils viennent parce que je reçois toutes les informations sur les personnes qui ont réservé les salles de conférence. Ils m’appellent pour me demander de prononcer un mot de bienvenue. Ensuite, ils profitent de l’occasion pour dire : « J’ai fait le tour de votre communauté hier soir. Comment vos gens arrivent-ils à construire ces maisons? » Je leur explique. Nous sommes probablement la seule Première Nation du pays à disposer d’un fonds renouvelable de prêts garantis par nous, en collaboration avec les banques — la Banque Scotia — et nous accordons un prêt à ceux qui remplissent les conditions requises — même n’importe où à l’extérieur de la communauté — ou une hypothèque pouvant aller jusqu’à 500 000 $ pour la construction d’une maison. C’est ce que nous faisons depuis dix ans, et nous n’avons eu qu’un seul défaut de paiement. Les gens prennent cela au sérieux. Nous sommes en mesure d’offrir aux membres de notre communauté un certain niveau de vie que n’importe qui dans le pays pourrait atteindre.
La sénatrice Coyle : Merci.
La sénatrice Boniface : Bienvenue. C’est un plaisir de vous voir ici. D’une certaine manière, vous et le Casino Rama êtes les forces motrices de notre région. Je suis originaire d’Orillia et j’ai suivi son développement. Comme vous le savez, j’accorde beaucoup de mérite à votre leadership dans ce dossier et à l’effet qu’il a eu. En fait, si je me souviens bien, vous êtes le deuxième employeur de la région. Ce n’est donc pas seulement la Première Nation qui en a bénéficié, mais l’ensemble de la collectivité, tant du point de vue de votre leadership que de son apport social. Je vous suis reconnaissante d’être ici.
J’aimerais en savoir plus sur ce que vous considérez comme des limites et des obstacles de la part de la province. Il est clair que les provinces auront leur mot à dire sur ce projet de loi. Vous avez mentionné l’OLG et les limites qu’elle vous impose. Je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus à ce sujet.
M. Williams : Lorsque nous avons conçu le Casino Rama en 1996, il y avait eu un casino en 1994. On nous a dit qu’il n’y aurait pas de concurrence sur notre territoire pendant quelques années. À l’époque, la communauté urbaine de Toronto avait déclaré qu’il n’y en aurait pas. Mais dans les six mois qui ont suivi, le Casino de Niagara a vu le jour, sous les auspices de la Société des casinos de l’Ontario de l’époque, qui est devenue Société des loteries et des jeux de l’Ontario, l’OLG.
Nous avons été confrontés à la concurrence dès le départ, alors qu’on nous avait dit qu’il en n’y aurait pas. Ce n’est pas que nous ne voulions pas de concurrence, mais elle doit être juste et équitable.
J’ai beaucoup de respect pour mes amis de l’OLG. Mais cette société dirige et gère les jeux pour la province de l’Ontario, ce qui inclut le Casino Rama, et elle dirige et gère les jeux à Woodbine, Pickering, Ajax et Niagara Falls, elle est l’administratrice et elle représente également les concurrents. Où d’autre verrions-nous une telle situation? C’est ce que je constate. C’est la position que je défends depuis 28 ans.
Cela dit, nous vivons dans ce système. Nous faisons de notre mieux et nous faisons ce que nous pouvons en tant que Première Nation pour générer des revenus. C’est le principal problème que je vois. Le Casino Rama n’est pas sur un pied d’égalité avec Woodbine ou Niagara. Ils sont plus proches des zones métropolitaines. Nous tirons nos revenus du tourisme pendant les saisons de mars à fin novembre. Nous ralentissons en janvier et février, puis nous reprenons de l’élan.
Si nous avions la possibilité, en tant que nation, de développer nos propres programmes afin d’être compétitifs, nous serions bien mieux lotis. Comme je l’ai dit à mes amis de l’OLG, je veux juste avoir la possibilité de vous faire concurrence. C’est tout ce que je veux. Si ça donne de bons résultats, tant mieux. Si ce n’est pas le cas, je me débrouillerai.
Le sénateur Prosper : Merci, chef, d’être avec nous et de partager vos expériences de carrière. Je viens moi aussi d’une famille de 14 enfants. Je comprends les communautés et les relations.
Je souhaite aller droit au but. Je comprends que le succès engendre le succès. Vous l’avez également dit à plusieurs reprises : tout ce que vous voulez, c’est être compétitif. Vous voulez des règles du jeu équitables pour affronter les autres. Au cours de votre carrière, mais aussi au sein de votre communauté, ce qui a évolué, d’après ce que je comprends, c’est une certaine capacité où vous êtes plus que des exploitants. Vous gérez un secteur et vous bénéficiez de cette expérience.
Ce qui m’intrigue, c’est que vous avez dit que vous vouliez aller au-delà des limites de l’arrangement actuel où le monopole de l’OLG sur les jeux restreint le plein potentiel de votre communauté dans ce secteur. Pouvez-vous nous parler de ces restrictions?
M. Williams : Laissez-moi expliquer le contexte.
Pour le Casino Rama, nous possédons évidemment le bâtiment et le complexe de divertissement. Nous ne possédons pas les machines à sous ni les jeux de table. Nous sommes propriétaires de tout le reste.
Nous faisons partie d’un partenariat dans lequel l’OLG dirige et gère les jeux. Dans ce cadre, nous avons conclu un contrat avec Gateway Casinos & Entertainment pour exploiter le Casino Rama. Notre travail, en tant que casino, est de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faciliter la conduite des affaires dans la Première Nation.
Lorsque je parle de limites, c’est que nous ne sommes pas l’exploitant. Nous sommes le propriétaire. Depuis 30 ans, mon objectif est de faire en sorte que Rama devienne l’exploitant. C’est là où j’en suis aujourd’hui. À quoi cela ressemblerait-il? La situation juridique du casino ne serait pas différente. Évidemment, s’il y avait des problèmes, nous aurions la capacité financière de nous en sortir. Notre argent serait en jeu.
La disparition des limites nous permettrait d’être compétitifs et de développer davantage nos propres campagnes marketing et commerciales. À l’heure actuelle, nous ne pouvons pas rivaliser avec certains types de divertissements parce qu’il existe une entité au sein du secteur qui contrôle l’accès. Nous n’avons pas accès à certains spectacles.
Nous ne savons pas ce qui se passe derrière les portes closes. Je n’en sais rien, je n’en ai aucune idée. Je pense que si nous avions notre propre entité, nous aurions la capacité de prendre nos dispositions pour développer nos plans de marketing et d’affaires qui permettraient de maintenir un casino rentable. Les casinos sont de toute façon rentables.
Je ne suis pas sûr, sénateur, que cela ait répondu à votre question.
Le sénateur Prosper : Vous entrez certainement dans les détails que je recherchais.
Je vais développer ma question parce que j’ai trouvé votre réponse assez révélatrice — c’était l’un de ces moments où je réfléchissais à votre point de vue. Vous avez dit quelque chose comme : « Où d’autre peut-on être l’administrateur et le concurrent? » Il est évident que vous voulez gérer une entreprise et que vous voulez réussir. Le régime actuel impose certaines restrictions. Comment cela se traduit-il lorsque l’administrateur est un concurrent qui veut casser la compétition?
M. Williams : Les campagnes de marketing que nous menons en tant que casino sont limitées. Elles doivent être approuvées par l’OLG et son administration. Nous ne pouvons pas décider d’offrir une chose particulière, parce que les concurrents diront qu’ils doivent avoir la possibilité d’offrir la même chose à Woodbine ou à Ajax. Nous sommes tous soumis aux mêmes normes. Ce n’est pas nous qui menons la danse. C’est l’OLG qui prend les décisions.
Une fois encore, je tiens à souligner que nous travaillons dans le cadre du système. Ce n’est pas quelque chose que j’apprécie, surtout à cette époque du pays où la vérité et la réconciliation et les comportements de réconciliation ne correspondent pas nécessairement à ce type d’approche.
Pour en revenir à la question de la concurrence, nous sommes limités par les règlements, les politiques et les lignes directrices de l’OLG. Woodbine, Niagara et Windsor se trouvent tous dans des zones métropolitaines. Nous sommes à 1 heure et 45 minutes au nord de Toronto. En hiver, les activités ralentissent. Elles ralentissent tout simplement. Nous aimerions avoir la possibilité de mettre en œuvre des programmes de marketing pendant cette période qui aideraient le casino et continueraient à employer les personnes qui y travaillent.
Le sénateur Prosper : Merci.
La sénatrice Hartling : Merci, chef, d’être là. C’est fascinant. Votre histoire est incroyable. Ma boule de cristal me dit qu’il y a un livre à venir dans tout ça — alors vous feriez bien de commencer par là.
Je voulais vous féliciter et vous dire que, malgré les obstacles, votre réussite est formidable. J’ai aimé votre comparaison entre aller à Disney World et chercher des idées. Vous êtes donc toujours à la recherche d’idées. Vous êtes très créatif et visionnaire. J’aime ce que vous avez dit à propos des relations. Cela fait partie de votre succès.
Je ne suis jamais allée dans votre région, bien que ma bonne amie y vive. Ma sœur et sa famille s’y rendent souvent et s’y amusent toujours beaucoup. Ils viennent de Londres. Pouvez‑vous décrire d’où viennent les gens qui se rendent chez vous? Le savez-vous? Probablement. Il y a aussi les groupes âges et les circonstances. De toute évidence, les gens y vont parce qu’ils aiment ce qu’ils voient et ce qu’ils font là-bas.
De plus, pensez-vous que ce projet de loi appuiera la réconciliation économique dans notre pays, et pour donner un exemple, est-ce qu’il s’agit là de moyens que nous pouvons réellement utiliser pour parvenir à la réconciliation?
M. Williams : Je répondrai d’abord à votre dernière question. Oui, très certainement. Je considère absolument qu’il s’agit d’une occasion qui serait avantageuse pour la réconciliation économique.
D’où viennent les gens? Au début de l’exploitation du casino, 40 % de nos revenus provenaient de la communauté asiatique. Oui, 40 %. Si l’on prend par exemple 500 millions de dollars, cela signifie que 40 % de ce montant, soit 200 millions de dollars, provenait de la communauté asiatique. Cela fait simplement partie de la culture. Au fil du temps, nous avons vu cette proportion diminuer et s’éroder jusqu’à devenir minuscule. Il s’agit maintenant de 5 ou 10 %, tout au plus.
La plupart des gens viennent de la région métropolitaine de Toronto. Nous savons que les projections indiquent que Toronto se développe vers le nord. La ville se rapproche donc de plus en plus de notre collectivité. C’est une occasion à saisir pour nous et nous élaborons une stratégie pour que Rama puisse profiter de la croissance de la population vers le nord, car cette croissance signifie que le trajet vers notre collectivité est moins long.
La population s’est diversifiée. Elle était assez diversifiée en 1996, mais elle l’est davantage aujourd’hui. À titre de Première Nation, nous pouvons relever le défi de devenir un chef de file. Je dis toujours aux gens que lorsqu’ils viennent à Rama, je leur déroule le tapis rouge, peu importe d’où ils viennent. Tout ce que je leur demande, c’est de respecter notre territoire et nos coutumes. C’est tout ce que je leur demande et je leur dis de s’amuser et de laisser quelques dollars en passant.
Nous desservons la région métropolitaine. Nous avons aussi des gens qui viennent du Nord. Ils vont aussi au casino Kewadin, car les gens aiment faire des comparaisons, n’est-ce pas? Ils aiment comparer et dire aux autres qu’ils aiment le casino Woodbine ou Niagara, et ils peuvent aussi leur dire qu’ils doivent absolument venir à Rama. C’est une expérience différente. Si vous êtes déjà venus à Rama, vous savez que lorsque vous entrez dans le casino, c’est comme si vous étiez sur la rue principale à Las Vegas, car c’est un casino de style Las Vegas. J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Hartling : Oui, cela m’aide beaucoup. Selon vous, quel est l’âge des personnes qui fréquentent le casino?
M. Williams : Cela varie. Encore une fois, il y a différentes campagnes de marketing pour les personnes de 20 à 30 ans, celles de 40 à 60 ans et celles de 60 ans et plus. L’industrie des casinos utilise un mécanisme de marketing très complexe pour inciter les gens à venir au casino.
Par exemple, un joueur s’inscrit avec une carte de joueur. Nous connaissons donc sa date de naissance et son lieu de résidence. Nous savons combien d’argent il joue et nous connaissons les jeux auxquels il aime jouer. Le jour de son anniversaire, je lui envoie une carte pour lui souhaiter un bon anniversaire et lui dire que son cadeau d’anniversaire l’attend au casino.
Il vient donc au casino pour recevoir son cadeau. Il ne se contente pas d’aller chercher son cadeau, car il s’amuse et assiste peut-être à certains spectacles. Il prend peut-être un ou deux repas, il passe la nuit et il s’adonne évidemment au jeu.
Ce qui s’avère être un beau cadeau est aussi rentable pour le casino. C’est un élément important du marketing et je pense que nous pouvons encore l’améliorer.
J’aime dire aux gens, comme je l’ai dit à mes amis, qu’à titre de Premières Nations, nous sommes aussi leurs premiers amis. Vous comprenez?
La sénatrice Hartling : C’est très bien. Bravo. L’adoption de ce projet de loi créera de nombreuses occasions, même si nous ne savons pas encore sous quelle forme exacte elles se présenteront. C’est très bien. Je vous remercie.
La sénatrice White : Je vous remercie beaucoup de votre témoignage aujourd’hui.
J’aimerais revenir sur un commentaire que vous avez fait en réponse à une question posée par la sénatrice Coyle. Vous avez parlé des fonds d’avances renouvelables. À titre d’information pour mes collègues ici présents, il est impossible d’obtenir un prêt hypothécaire dans une réserve. En effet, les gens ne sont pas propriétaires de leurs terrains. Ils obtiennent plutôt un certificat de possession. Il est donc très important de faire preuve d’une telle créativité et de trouver ce genre de solutions. Il est possible d’obtenir des garanties ministérielles, qui représentent une partie importante, soit 10 %, du financement.
À titre d’information pour le groupe, avez-vous entrepris d’autres démarches novatrices qui pourraient être avantageuses?
M. Williams : Je ne dis pas cela pour me vanter, mais lorsque de nombreux projets sont en cours, il est difficile de suivre tout ce qui se passe.
Je pense aux jeunes, par exemple, qui ont la possibilité d’apprendre qui ils sont et d’où ils viennent sur le plan culturel et traditionnel. Nous avons des programmes dans ce domaine. Comment cela se traduit-il en termes d’emploi et de travail? Nous appelons cela [mots prononcés dans une langue autochtone], ce qui signifie « profiter de la vie ». L’innovation et la créativité sont des qualités que j’encourage et que je recherche au sein de notre peuple. Si je veux les trouver, je dois d’abord les démontrer pour qu’on me demande pourquoi je fais une telle chose et pourquoi je fais une autre chose.
Je n’ai que quelques minutes à ma disposition, mais je vais vous donner le meilleur de moi-même. Si vous y rêvez, si vous y pensez, si vous écrivez à ce sujet et si vous en parlez pendant longtemps, peu importe ce dont il s’agit, si vous faites tout cela, toutes ces choses deviendront réalité.
La sénatrice White : Je reviendrai pour ma carte de joueuse.
Le président : Je vous remercie, sénatrice White.
C’est ce qui met fin à notre discussion avec le témoin. Je tiens à vous remercier encore une fois, chef Williams, de vous être joint à nous aujourd’hui. Si vous souhaitez présenter d’autres observations, veuillez les envoyer par courriel à notre greffier dans les sept prochains jours. C’est ce qui met fin à notre réunion.
(La séance est levée.)