LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 5 juin 2023
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 16 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, les questions concernant la sécurité nationale et la défense en général.
Le sénateur Jean-Guy Dagenais (vice-président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le vice-président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je m’appelle Jean-Guy Dagenais, je suis un sénateur du Québec et je suis vice-président du comité. Malheureusement, notre président, le sénateur Dean, n’a pu se joindre à nous aujourd’hui. J’invite mes collègues à se présenter, en commençant par ma gauche.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Bonjour, madame l’ambassadrice, et bienvenue. Sénateur Yussuff, de l’Ontario.
Le sénateur Ravalia : Bonjour, Votre Excellence, et bienvenue. Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest.
La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario. Soyez les bienvenus.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Petten : Iris Petten, Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice R. Patterson : Rebecca Patterson, de l’Ontario.
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.
[Français]
Le vice-président : Je vous remercie et je profite de l’occasion pour souhaiter la bienvenue à la sénatrice Petten qui participe à sa première réunion du comité. Pour ceux qui se joignent à nous en direct de partout au Canada, aujourd’hui nous accueillons trois groupes d’experts qui ont été invités à informer le comité sur la situation actuelle de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
L’objectif de cette réunion est de recevoir une mise à jour de la part de nos témoins. Dans cette optique, chaque témoin sera invité à formuler des remarques préliminaires plus longues à l’intention du comité. Si le temps le permet, le reste du panel sera consacré aux questions.
Pour notre premier panel, nous avons l’honneur d’accueillir, de l’ambassade d’Ukraine, Son Excellence Yuliya Kovaliv, ambassadrice; du Congrès des Ukrainiens canadiens, Ihor Michalchyshyn, directeur général et directeur exécutif, et par vidéoconférence, Orest Zakydalsky, conseiller politique principal. Merci à tous de votre présence parmi nous aujourd’hui. Nous commencerons par l’ambassadrice Kovaliv. Madame l’ambassadrice, vous pouvez commencer lorsque vous êtes prête.
[Traduction]
Son Excellence Yuliya Kovaliv, ambassadrice, Ambassade de l’Ukraine au Canada : Honorables sénateurs, c’est un grand plaisir et un honneur pour moi d’être ici avec vous aujourd’hui. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous et de faire le point sur la résistance ukrainienne et la lutte que nous menons, non seulement pour notre pays, mais aussi pour les principes de la démocratie, des droits de la personne et du droit et de l’ordre établis à l’échelle internationale, pour lesquels les Ukrainiens se battent actuellement en première ligne.
Tout d’abord, j’aimerais vous remercier de l’appui solide de la population canadienne, du Parlement canadien et du gouvernement canadien. Nous sommes reconnaissants au Canada d’avoir été à nos côtés pendant ces 15 mois d’invasion massive par la Russie.
Permettez-moi de faire brièvement le point sur la situation en Ukraine et sur ce qui se passe en ce moment.
À l’heure actuelle, la ligne de front active s’étend sur environ 1 300 kilomètres. C’est à peu près comme la frontière qui sépare le Canada des États-Unis, le long de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba réunis. Dans ses attaques contre l’Ukraine, la Russie utilise ses soldats comme chair à canon et pratique la politique de la terre brûlée.
En date du 31 mai dernier, le nombre de soldats russes ayant été tués au combat dans leur tentative d’occupation de l’Ukraine atteignait 207 000. Dans la seule région de Bakhmout, les envahisseurs russes ont essuyé plus de 100 000 pertes. Il s’agit d’une tactique de la Russie qui ne se soucie aucunement de la vie de ses soldats. Bon nombre de ces soldats envoyés par la Russie ne sont pas entraînés et sont très mal équipés. L’opération planifiée par la Russie dans la région de Bakhmout montre à quel point elle ne se soucie pas de la vie de son peuple. L’Ukraine, par contre, reconnaît la valeur de ses soldats sur la ligne de front et attache de l’importance à chacun d’eux.
La Russie, quant à elle, continue de terroriser les civils ukrainiens et multiplie les attaques par voie aérienne. En mai, Kiev a subi 17 frappes aériennes massives, y compris le 16 mai, lorsque 25 missiles de divers types, et en particulier 6 missiles aérobalistiques, ont été interceptés. La frappe du 28 mai est celle qui a utilisé le plus grand nombre de drones iraniens, connus sous le nom de drones Shahed, et 58 de ces 59 drones ont été interceptés dans la seule région de Kiev.
Les sirènes retentissent presque tous les jours et toutes les nuits en Ukraine, et la situation s’est aggravée en mai. Le contexte est très difficile pour la population, qui entend des sirènes presque chaque jour, et parfois deux fois par jour, lors des frappes de missiles et de drones russes sur tout le territoire de l’Ukraine, et à Kiev en particulier. C’est pourquoi la défense aérienne sollicitée par l’Ukraine auprès de ses partenaires est si cruciale. Nous avons vu en mai que la plupart des missiles balistiques, des missiles de croisière et des drones iraniens ont été interceptés. Cela nous a permis d’éviter un nombre important de victimes parmi les civils.
Cela n’est toutefois pas suffisant. Le 1er juin, au moment où nous soulignions tous la Journée internationale de l’enfance, malheureusement, à cause d’une autre attaque, une enfant de 9 ans et sa mère, qui étaient en route vers un abri, ont été tuées lors d’une autre frappe de missiles aériens russes. C’est pourquoi la défense aérienne fait partie des grandes priorités.
Nous tenons à vous remercier de la contribution du Canada au soutien militaire, y compris l’acquisition du système NASAMS, ou système avancé de missiles sol-air norvégien, l’un des meilleurs systèmes de défense aérienne au monde, dont il a fait don à l’Ukraine. Grâce à ce système, les missiles Patriot américains servent de boucliers aux civils ukrainiens et à nos villes, et ils contribuent à sauver la vie de milliers d’Ukrainiens qui vivent dans des villes où le calme règne.
Le Canada fournit des véhicules blindés, de l’artillerie, des obus et des drones. Ce sont tous des investissements importants, non seulement pour assurer notre victoire, mais aussi pour garantir votre sécurité dans l’Atlantique. J’aimerais également souligner que 36 000 soldats ukrainiens ont été formés dans le cadre du programme d’entraînement de l’opération Unifier. Je tiens à remercier les instructeurs canadiens de leur dévouement.
Les défenseurs de l’Ukraine ont libéré près de la moitié de la zone occupée par les troupes russes depuis le début de l’invasion militaire massive. Ce processus se poursuivra jusqu’à ce que cesse complètement l’occupation de notre territoire souverain et que soient reconnues nos frontières internationales. Il ne devrait y avoir aucune restriction officielle ou ligne rouge pour l’assistance militaire et technique à l’Ukraine.
Les cinq principales priorités de l’Ukraine en matière de soutien militaire sont les systèmes de défense aérienne, l’artillerie et les munitions, les véhicules blindés de combat et la formation, y compris celle des pilotes ukrainiens.
Les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, le Danemark, le Portugal et les Pays-Bas ont convenu de collaborer à la création d’une coalition pour les avions de chasse dont les forces armées ukrainiennes ont grandement besoin, y compris pour les prochaines étapes nécessaires à la libération de notre territoire.
En même temps, nous comprenons la capacité du secteur de la défense de produire l’équipement nécessaire pour soutenir davantage l’Ukraine et remplacer le stock de nos partenaires et des forces armées de nos alliés. La coopération avec le secteur de la défense est cruciale. Il est également essentiel de fournir à ce secteur les outils nécessaires pour accélérer la production des armes et des munitions dont l’Ukraine a désespérément besoin pour poursuivre sa contre-offensive.
Cela nécessite également des programmes de soutien pluriannuels, afin que le secteur de la défense puisse non seulement intensifier la production, mais aussi accroître les investissements pour permettre à l’Ukraine de pouvoir poursuivre les combats et augmenter ses propres capacités. À titre d’exemple, la Norvège a déjà lancé un programme de soutien pluriannuel pour l’Ukraine. La semaine dernière, le Danemark a annoncé l’octroi de 2,6 milliards de dollars américains. L’augmentation du financement du fonds ukrainien vise à renforcer nos capacités de combat à court et à moyen terme. Le programme pluriannuel de soutien militaire aidera à accroître la production du secteur de la défense et à garantir la production d’équipement militaire dont l’Ukraine a grandement besoin.
L’Iran, le Bélarus et la Russie sont responsables du terrorisme contre l’Ukraine. En réponse à l’augmentation du nombre de drones fournis par l’Iran à la Russie, l’Ukraine a imposé des sanctions contre l’Iran pour 50 ans, notamment une interdiction des investissements commerciaux, du transfert de technologie, du transit et du retrait de tous les actifs de l’Iran. Le régime de Loukachenko au Bélarus demeure le mandataire du Kremlin dans cette guerre contre l’Ukraine, et le territoire de ce pays est utilisé à des fins d’entraînement et de logistique pour l’invasion russe.
En même temps, l’invasion russe a renforcé l’unité euro-atlantique. Cela s’intensifiera encore davantage lorsque l’Ukraine deviendra membre de l’alliance militaire la plus forte, l’OTAN. À ce jour, 18 pays membres de l’OTAN ont signé la déclaration à l’appui de l’adhésion de l’Ukraine à cette organisation. L’an dernier, l’Ukraine a signé une demande d’adhésion accélérée à l’OTAN. Nous aimerions que le Canada, le Parlement canadien, adopte une position ferme pour appuyer la demande de l’Ukraine de devenir membre de cette organisation.
Nous avons déjà plusieurs prérequis. L’Ukraine possède une solide capacité militaire, y compris le soutien des programmes de formation qui sont lancés en fonction des normes de l’OTAN. Les forces armées ukrainiennes utilisent avec succès des armes conformes aux normes de l’OTAN. Malgré la guerre, le secteur de la défense de l’Ukraine poursuit des réformes en profondeur, afin que nos institutions et nos règlements soient conformes aux normes de cette organisation. Nous croyons que cette année, le sommet de l’OTAN qui se tiendra à Vilnius devrait être un sommet historique. Le message clair concernant l’adhésion future de l’Ukraine à l’OTAN devrait figurer à l’ordre du jour de ce sommet.
Je tiens également à vous remercier, vous du Sénat et du comité, de votre rôle et de votre soutien. Nous vous sommes redevables pour la résolution adoptée par le Sénat du Canada concernant la reconnaissance des crimes commis par la Russie en Ukraine comme un génocide du peuple ukrainien et la désignation immédiate du groupe Wagner comme organisation terroriste par le gouvernement du Canada. Je vous remercie de l’appui que vous avez donné à cette motion.
Il y a un autre domaine où l’Ukraine diffère de la Russie. Nous nous soucions de tous nos militaires. Malheureusement, depuis mai, nous comptons beaucoup de prisonniers de guerre ukrainiens. Le 25 mai, 106 prisonniers de guerre sont rentrés au pays. Au total, depuis le début de l’invasion massive, 2 430 personnes sont revenues de captivité en Russie. Malheureusement, la Russie détient encore des milliers de prisonniers de guerre ukrainiens et de civils dans des conditions terribles. Nous continuons de travailler pour les rapatrier, et nous faisons appel à d’autres échanges et à votre soutien pour pouvoir les libérer et les ramener chez nous.
Hélas, la Russie ne respecte pas ses obligations en vertu du droit international humanitaire et restreint le mandat du Comité international de la Croix-Rouge en ce qui a trait aux visites aux prisonniers de guerre ukrainiens et aux civils qui sont actuellement en captivité. Malheureusement, aucune des organisations internationales n’a aujourd’hui la capacité de rendre visite aux prisonniers de guerre pour savoir dans quelles conditions horribles ces gens sont emprisonnés. La vidéo de personnes libérées de la captivité russe montre qu’elles ne disposent souvent pas de soins de santé ni de soutien médical. Il y a parfois aussi le manque de nourriture. Tous les lieux où ces personnes sont gardées captives n’ont malheureusement souvent rien d’humain.
J’aimerais aussi soulever une autre question qui est maintenant d’une importance cruciale pour l’Ukraine. Il s’agit des mines. Tout d’abord, je tiens à vous remercier, le Canada, de l’appui solide que vous apportez aux efforts de déminage en Ukraine. Malheureusement, aujourd’hui, le territoire de plus de 155 000 kilomètres de notre pays risque d’être contaminé par les mines. Cela comprend également des milliers d’hectares de terres agricoles qui, en raison de la contamination par les mines, ne peuvent pas être utilisées pour produire des aliments. Comme l’Ukraine est l’un des plus grands exportateurs de denrées alimentaires, cela compromet la sécurité alimentaire mondiale. Je tiens à remercier le gouvernement canadien de nous avoir aidés activement dans ce dossier, notamment en fournissant à l’Ukraine de gros véhicules de déminage, qui peuvent nettoyer les territoires contaminés, ce qui permet aux agriculteurs ukrainiens de continuer à cultiver leurs champs. C’est très important pour nous, et je vous en remercie.
Cependant, le défi pour l’Ukraine en ce qui concerne les mines est si important que, compte tenu de la vitesse moyenne normale du déminage, il faudra plus de 90 ans pour nettoyer le territoire de la contamination par les mines. C’est la raison pour laquelle l’Ukraine a multiplié par quatre le nombre de personnes recrutées et formées pour l’effort de déminage, à qui est fourni le matériel requis, y compris des bottes de déminage, de gros véhicules de déminage et tout l’équipement de protection nécessaire. Cela est extrêmement important pour nous. Nous apprécions le soutien du Canada, et nous espérons qu’il se maintiendra, étant donné qu’il s’agit de l’un des dossiers prioritaires pour nous.
L’Ukraine comprend bien — en tant que pays qui, historiquement, a souffert du crime horrible de génocide connu sous le nom d’Holodomor — que la sécurité alimentaire est importante, non seulement pour le peuple ukrainien, mais aussi à l’échelle mondiale. L’Ukraine a été le partisan et l’instigateur de l’accord sur le grain, l’initiative d’Istanbul, qui a permis aux Ukrainiens d’exporter leurs produits dans les ports de la mer Noire.
Malheureusement, au cours des quatre dernières semaines, la situation s’est détériorée à ce chapitre, et le nombre de navires inspectés par la Russie a diminué considérablement. Bien entendu, cela représente un risque énorme pour les exportations futures de céréales ukrainiennes à partir des ports maritimes, avec des conséquences pour d’autres pays, dont les pays africains.
Comme nous comprenons les besoins en matière d’exportation accrue de denrées alimentaires et de sécurité alimentaire, l’Ukraine a lancé une initiative appelée « Grain from Ukraine ». Il s’agit d’un programme humanitaire dirigé par le président Zelenski et appuyé par de nombreux pays, dont le Canada, qui a déjà permis de fournir 170 000 livres de blé à l’Éthiopie, à la Somalie, au Yémen et au Kenya. Nous sommes prêts à continuer de fournir plus d’aide humanitaire sous forme de blé ukrainien et d’autres céréales pour aider les pays qui en ont le plus besoin et où le niveau d’insécurité alimentaire est très élevé.
Pour terminer, j’aimerais remercier les membres du comité d’avoir également travaillé sur un dossier important, soit celui de la désinformation russe. C’est une arme qui est parfois encore plus dangereuse que les missiles et les chars. La désinformation est l’arme qu’on ne voit habituellement que lorsqu’elle frappe l’esprit des gens et permet de répandre des mensonges et de susciter le doute, en vue plus particulièrement de détruire l’unité entre les peuples, les partenaires et les pays. Nous tenons également à vous remercier, le gouvernement du Canada et le Parlement, d’avoir attiré l’attention sur la désinformation et les dangers qu’elle présente. Il n’y a pas de solution unique pour lutter avec succès contre ce fléau, mais je pense que nos efforts conjoints, qui consistent à fournir des explications, à dire la vérité et à produire les données pertinentes, sont très importants pour maintenir cette unité et lutter contre cette arme importante que, malheureusement, la Russie utilise pour mener cette guerre.
Honorables sénateurs, l’Ukraine est reconnaissante pour le leadership que vous assurez, les voix que vous faites entendre et les efforts que vous déployez pour nous aider à faire face à l’horreur de l’invasion massive par la Russie, et je tiens à vous remercier de la part de tous les Ukrainiens, y compris ceux qui se battent maintenant au front, pour votre soutien constant.
Je suis prête à répondre à toutes vos questions. Merci.
[Français]
Le vice-président : Merci pour votre présentation. Je voudrais signaler la présence des sénateurs Richards et Kutcher. Nous allons maintenant écouter M. Michalchyshyn.
[Traduction]
Ihor Michalchyshyn, directeur général et directeur exécutif, Congrès des Ukrainiens canadiens : Mon collègue, Orest Zakydalsky, se joindra à nous par vidéoconférence et répondra à vos questions, mais je ferai la déclaration préliminaire.
Merci beaucoup de m’avoir invité à ce comité, et merci à l’ambassadrice de son excellent exposé et de l’excellent travail qu’elle et son équipe accomplissent dans ces circonstances difficiles.
Pour ceux qui ne connaissent pas notre organisation, le Congrès des Ukrainiens canadiens est la voix de la communauté ukrainienne du Canada. De concert avec nos organisations membres, les conseils provinciaux et les directions générales, nous sommes le principal organisme de coordination et de représentation des intérêts de la communauté canado-ukrainienne qui s’identifie comme telle et qui compte 1,4 million de personnes. Nous sommes actifs depuis 1940 et nous travaillons à façonner le paysage social, économique et politique du Canada.
Avant de parler de la guerre en Ukraine, j’aimerais prendre un moment pour remercier tous les Canadiens, et surtout les sénateurs ici présents, qui ont uni leurs efforts, au cours des 15 derniers mois, pour faire des dons, recueillir des fonds et manifester leur soutien à l’Ukraine, et qui ont ouvert littéralement leurs maisons aux Ukrainiens qui sont venus se réfugier au Canada pour fuir les horreurs de la guerre menée par les Russes. J’aimerais mentionner à nos amis de Terre-Neuve que je viens de voir un documentaire extraordinaire, que je vous enverrai, intitulé « Rest Ashore », qui montre de façon particulièrement émouvante comment cette province a accueilli les Ukrainiens. Notre communauté et le peuple ukrainien se souviendront toujours de la générosité et de la gentillesse dont les Canadiens ont fait preuve. Cette année, le Congrès des Ukrainiens canadiens et la Fondation Canada-Ukraine, ou FCU, ont lancé conjointement l’appel humanitaire pour l’Ukraine, qui a permis de recueillir plus de 60 millions de dollars pour des projets humanitaires dans ce pays.
Comme l’a fait remarquer l’ambassadrice, jeudi dernier était la Journée internationale de l’enfance, journée pendant laquelle la Russie a tiré des missiles sur la capitale de l’Ukraine, entraînant la mort d’une fillette de 9 ans et de sa mère. De nombreuses autres attaques de missiles ont suivi — heureusement ces derniers ont pour la plupart été abattus. Plus de 480 enfants ont été tués en Ukraine depuis le début de la guerre, et plus de 980 ont été blessés. L’Ukraine a également identifié 19 000 enfants ukrainiens que la Russie a déportés ou séparés illégalement de leurs parents. Le nombre réel de personnes assassinées, blessées ou kidnappées par la Russie pourrait être beaucoup plus élevé.
Les traumatismes et la dévastation que la Russie inflige au peuple ukrainien auront des répercussions sur les générations à venir. Nous savons que le Bureau du procureur général enquête sur plus de 80 000 cas de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par les envahisseurs russes. Les viols collectifs, la torture, les meurtres, la déportation forcée et l’enlèvement massif d’enfants font partie de la litanie de crimes horribles qui se sont produits cette année, dans le contexte de la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine. Il est important de noter qu’il ne s’agit pas de crimes isolés, ni d’actions de quelques soldats voyous. Ces mesures sont délibérées, systématiques et font partie de la politique de l’État militaire russe. Ce sont des crimes par lesquels la Russie cherche à détruire le peuple ukrainien. La cruauté n’est pas accessoire. Elle est au centre de cette guerre.
La Russie est un État criminel qui devrait être isolé de la communauté internationale. La Chambre et le Sénat du Canada ont reconnu à l’unanimité que les actions de la Russie en Ukraine étaient des actes de génocide et ont demandé au gouvernement d’inscrire le groupe de mercenaires russes Wagner sur la liste des entités terroristes. Nous demandons à Affaires mondiales Canada de mettre cela en œuvre. Le Congrès des Ukrainiens canadiens a toujours soutenu que la Fédération de Russie doit être désignée comme un État qui soutient le terrorisme et que les 81 diplomates russes présents au Canada — j’hésite à utiliser le mot diplomate — doivent être expulsés. Je demande l’appui du comité à cet égard.
Le Congrès des Ukrainiens canadiens et notre communauté applaudissent l’aide que le Canada a fournie à l’Ukraine, y compris plus de 4,5 milliards de dollars en prêts gouvernementaux et plus de 1 milliard de dollars en armement et, comme l’ambassadrice l’a mentionné, les liens interpersonnels solides établis avec plus de 35 000 soldats des forces armées ukrainiennes qui ont été formés dans le cadre de l’opération Unifier. Nous sommes fiers de savoir que les Forces armées canadiennes continuent d’entraîner leurs homologues des forces armées ukrainiennes en Lettonie et au Royaume-Uni. Nous accueillons favorablement ces annonces concernant l’importance accrue de cette formation.
Toutefois, le Canada et ses alliés doivent fournir davantage d’aide. Malheureusement, dans le budget de 2023, le Canada n’a pas fait d’investissements majeurs dans la défense de l’Ukraine. Voici quelques observations sur l’aide militaire de notre point de vue.
Premièrement, l’Ukraine a besoin de beaucoup plus d’armes lourdes que ce que nous et nos alliés fournissons actuellement, plus précisément des chars d’assaut, des véhicules blindés de transport, des systèmes de défense aérienne, des systèmes de missiles à longue portée, du matériel de défense navale, de l’artillerie et des munitions pour chacun de ces systèmes.
Ensuite, l’Ukraine a besoin d’avions de chasse pour protéger son espace aérien et continue de nier la supériorité aérienne de la Russie. Plusieurs de nos alliés, par exemple la Pologne et la Slovaquie, se sont engagés à livrer des avions à réaction à l’Ukraine. La coalition qui prend forme actuellement concernant les chasseurs à réaction, avec un peu de retard toutefois, comprend plusieurs alliés clés de l’OTAN, dont les États-Unis et le Royaume-Uni. C’est un élément clé de la défense future de l’Ukraine. Nous croyons que le Canada peut jouer un rôle de premier plan à cet égard en formant des pilotes ukrainiens à bord d’avions de l’OTAN, comme les F-16, et en travaillant avec d’autres alliés sur la nécessité d’approvisionner l’Ukraine en avions de chasse à l’avenir.
La sécurité du Canada, de nos alliés européens et de l’Ukraine exige un engagement soutenu à accroître la production et l’achat d’armes et de munitions. Nous espérons que le gouvernement canadien fera des investissements pluriannuels pour que nous ayons les stocks nécessaires pour faire face à l’agression russe actuelle et future. Une fois que l’Ukraine aura vaincu la Russie dans cette guerre, cette dernière demeurera un ennemi de l’Ukraine, un adversaire de l’OTAN et une menace pour la paix dans le monde. Nous devons être prêts.
Comme l’a dit le ministre de la Défense de l’Ukraine, Oleksiy Reznikov, le 31 mai, au congrès de la CANSEC, le gouvernement a reçu une liste de matériel canadien de haute technologie dont l’Ukraine a besoin. Nous exhortons le gouvernement à travailler en étroite collaboration avec l’industrie pour répondre à ces besoins le plus rapidement possible. Nous insistons sur l’urgence de ce que le Canada peut faire dans les semaines et les jours qui viennent. Plus nous attendons avant de prendre des décisions pour libérer l’Ukraine, plus de soldats et de civils ukrainiens sont tués ou blessés, et plus l’Ukraine paie cher. Nous espérons ardemment que les alliés de l’Ukraine, dont le Canada, fourniront cette aide avec les outils nécessaires pour assurer la victoire dans un proche avenir.
Enfin, à l’approche du sommet de l’OTAN, qui aura lieu en juillet à Vilnius, nous reconnaissons que le Canada a toujours appuyé l’adhésion de l’Ukraine à cette organisation. Le sommet est une occasion historique de passer d’un cadre de politique de la porte ouverte à la mise en œuvre concrète et pratique de cette politique. Nous espérons que le Canada se servira de ses bons offices pour veiller à ce qu’à la suite du sommet de Vilnius, il y ait une feuille de route pour l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, car nous savons que l’avenir de l’Europe — et même du monde — en dépend.
Je serai heureux de répondre à vos questions, tout comme mon collègue Orest Zakydalsky.
[Français]
Le vice-président : Merci, monsieur Michalchyshyn.
Nous passons maintenant à la période des questions. Veuillez noter que la première partie de la réunion se terminera à 17 h. Nous ferons de notre mieux pour qu’au moins un membre de chaque comité des groupes parlementaires ait le temps de poser une question. Vous disposez de quatre minutes au total pour les questions et les réponses.
Le sénateur Boisvenu : Madame l’ambassadrice, cela me fait plaisir de vous revoir.
J’aimerais vous parler un peu de la Chine. On sait que le président Zelenski a eu un entretien avec le président chinois. M. Poutine a également rencontré le président chinois. Beaucoup d’observateurs pensent que la Chine pourrait agir comme intervenant dans ce dossier pour trouver un compromis ou pour trouver une porte de sortie à cette guerre.
Quelle est votre perception au sujet de la Chine et de son rôle dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie?
[Traduction]
Mme Kovaliv : Je vous remercie de la question.
En fait, le président Zelenski a téléphoné au leader chinois. Le sujet clé dont il discute avec de nombreux dirigeants du monde entier, y compris le dirigeant chinois, est la formule de paix qu’il propose. L’Ukraine cherche une paix durable. La formule de paix, qui comporte 10 points et qui a été approuvée par la résolution de l’ONU, comprend les principaux objectifs de la paix en Ukraine.
Premièrement, il y a le rétablissement des frontières souveraines de l’Ukraine. La formule de la paix inclut la justice. La justice est importante, non seulement pour l’Ukraine, mais aussi pour le monde entier, car si les crimes de guerre — les crimes d’agression, les crimes sexuels, les crimes contre les femmes et les enfants — restent impunis, cette impunité peut également encourager d’autres dictateurs à en commettre de nouveaux. C’est pourquoi la justice est au centre de notre formule de paix. La sécurité nucléaire est également incluse, parce que la situation actuelle de la centrale nucléaire de Zaporijia, qui est la plus grande centrale nucléaire d’Europe, demeure très risquée. Le troisième est la sécurité alimentaire — dont j’ai parlé dans mon allocution d’ouverture — et l’écocide, parce que la guerre cause aussi des dommages aux écosystèmes et à l’environnement. Ses conséquences vont bien au-delà des frontières de l’Ukraine. La formule comporte également d’autres points.
L’Ukraine travaille avec divers partenaires pour obtenir du soutien pour la formule de paix que nous avons présentée, parce que nous croyons que c’est le seul fondement d’une paix durable en Ukraine.
Le sénateur Cardozo : J’aimerais élargir un peu la question en fonction de ce que vous savez de ce que la Russie prévoit faire. Je me demande si vous pourriez nous dire ce que vous pensez de leurs plans globaux. Ce qu’ils font en Ukraine est certainement une source de préoccupations pour le monde entier. Leurs actions sont illégales dans tous les sens du terme. Leurs plans vont au-delà de l’Ukraine. On entend parler de leur présence plus active à Cuba et de leur collaboration avec l’Iran. Il est question de leur arrivée sur le continent africain de diverses façons. Que pensez-vous de leurs plans, mis à part ce qui se passe en Ukraine? Selon vous, quels sont leurs plans? Quelle est leur motivation?
Mme Kovaliv : Je pense que nous pouvons tous convenir que la Russie a déjà perdu du point de vue stratégique en Ukraine. Au début de l’invasion massive, beaucoup de gens dans le monde croyaient que Kiev tomberait en quelques jours ou quelques semaines. Après 15 mois d’invasion russe massive, nous avons réussi non seulement à tenir la ligne, mais à libérer 50 % des territoires qui avaient été envahis.
Je pense que plus il y a de pressions sous forme de sanctions contre la Russie, plus la Russie devient un État paria. Les conséquences de la dernière décision de la Cour pénale internationale, ou CPI, qui a émis le mandat d’arrestation mondial contre Poutine et son soi-disant ombudsman des enfants, confirment le statut d’État paria de la Russie de Poutine. Bien sûr, ils essaient de trouver des moyens d’obtenir plus d’armes, y compris les drones Shahed de l’Iran, et la Russie entretient des contacts avec la Corée du Nord et d’autres pays.
Cependant, lorsque l’on examine le vote des Nations unies, on constate que le nombre de pays qui condamnent l’invasion illégale russe dépasse largement la fourchette des 120 à 146 pour les résolutions pertinentes. Bien sûr, puisque des sanctions sévères sont prévues contre la Russie et le secteur militaire russe, la Russie essaie de trouver un moyen de contourner les sanctions et de trouver des intermédiaires tiers qui pourraient l’aider à se doter de la technologie nécessaire, de l’équipement, ainsi que des puces et des semi-conducteurs, pour être en mesure de produire plus d’armes. Il devrait y avoir une façon plus stricte de traiter le contournement des sanctions, afin de priver la Russie de cette capacité. Le principal objectif de la Russie est maintenant de trouver des alliés qui l’aideront à contourner les sanctions, et plus nous serons résolus dans ce dossier, plus la Russie sera faible dans sa capacité de reproduire les armes qu’elle a perdues pendant qu’elle combattait en Ukraine.
Le sénateur Ravalia : Bienvenue encore une fois.
Votre Excellence, il y a des preuves que le gouvernement ukrainien a pris des mesures accrues pour lutter contre la corruption dans le pays, y compris la détention récente du président de la Cour suprême. Ces mesures sont évidemment essentielles en vue de l’adhésion du pays à l’OTAN et à l’Union européenne. Êtes-vous préoccupée par les niveaux de corruption à l’intérieur du pays et par l’impact que cela peut avoir sur la poursuite de la guerre contre la Russie?
Mme Kovaliv : Merci.
Le gouvernement ukrainien a toujours pour priorité absolue d’assurer la transparence dans toutes ses procédures, malgré les autres dossiers qui exigent beaucoup d’efforts — le premier étant, bien sûr, la guerre et la protection du peuple. Je pense que le cas que vous avez mentionné envoie le message clair à tout le monde en Ukraine et à nos partenaires à l’extérieur du pays que, dans les cas de crimes de corruption, personne au gouvernement n’est intouchable, quelle que soit la position occupée. Il s’agit de l’un des plus hauts fonctionnaires du pays qui a été pris dans une affaire de corruption. Cela nous indique clairement que le gouvernement a pour objectif de lutter contre la corruption et qu’il le fait efficacement en dépit de la guerre qui sévit.
De plus, le gouvernement s’est engagé à consolider ces institutions. Tout récemment, il a fallu prendre une décision pour poursuivre la remise en ordre du système de justice et améliorer le processus de responsabilisation des juges. Nous avons créé une commission spéciale qui représente l’un des grands jalons de notre plan de réforme du système de justice. L’Ukraine travaille sur de nombreux autres dossiers. Maintenant que notre pays a le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne, notre espoir de faire partie de l’Union européenne inspire beaucoup de réformes visant à accroître la transparence et à réformer le système judiciaire. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’Union européenne à cet égard. Le troisième pilier est le programme du Fonds monétaire international ou FMI. Une grande partie de ce programme vise à améliorer la transparence, et c’est une priorité pour nous. Nous continuons de travailler sur ce dossier.
Il pourrait y avoir d’autres cas. C’est pourquoi le président part du principe que personne ne sera intouchable. Nous nous battrons jusqu’au bout, comme nous le faisons contre les ennemis russes, comme nous le faisons contre la corruption.
Le sénateur Richards : Je suis désolé d’être arrivé un peu en retard. Merci à vous d’être parmi nous.
Madame l’ambassadrice, l’offensive du printemps semble avoir commencé. Rien, évidemment, ne garantit que cette offensive aura les résultats absolument positifs que nous espérons tous, à savoir le démantèlement de l’agression russe. Cette offensive a été annoncée, et les Russes y sont prêts. Peut‑on s’attendre à ce qu’elle ait le succès escompté? Dans le cas contraire, la question qui se pose est la suivante : en quoi, selon vous, cela affectera-t-il le moral des Ukrainiens — même si je ne crois pas que cela affectera leur moral —, mais surtout celui de leurs alliés occidentaux, et c’est le plus important?
Mme Kovaliv : Merci. Je m’attendais à la question sur la contre-offensive.
Sérieusement, l’Ukraine ne considère pas la contre-offensive comme un film ou un spectacle pour lequel on pourrait acheter des billets pour la première saison et voir ce qui se passe. C’est un travail très difficile pour chaque soldat et chaque commandant. Comme beaucoup d’entre vous le savent, du côté militaire et de la défense, c’est surtout une question de logistique et de capacité à obtenir les armes nécessaires rapidement. Si vous m’interrogez au sujet de la contre-offensive, de la compétence et du dévouement de nos hommes et de nos femmes sur la ligne de front, le succès dépendra de la quantité et de la rapidité de livraison des armes nécessaires à l’Ukraine. Je pense que c’est à nous de déterminer ensemble le succès de la contre‑offensive.
Pour ce qui est du moral, l’automne dernier a été marqué par des attaques contre les infrastructures civiles et les réseaux électriques, privant les gens d’électricité, de chauffage et de gaz, de tout ce dont ils ont besoin pendant nos hivers rigoureux. La Russie voulait briser le moral des Ukrainiens. Nous sommes maintenant au début de l’été, et le moral des Ukrainiens est excellent. Plus de 86 % croient en une victoire complète et au rétablissement de toutes les frontières ukrainiennes, et ils sont prêts à continuer de faire des sacrifices pour atteindre cet objectif. Je pense que notre moral est aussi élevé qu’il l’était au premier jour de l’agression. Même en dépit des attaques de l’automne et maintenant du mois de mai, je crois que les gens passent presque toutes leurs nuits dans des abris, mais, au matin, ils vont au bureau, et les enfants vont à l’école. C’est grâce à leur résilience et à leur moral élevé. Je crois que c’est à nous tous de déterminer le succès de la contre-offensive.
Le sénateur Richards : Merci.
La sénatrice Dasko : Merci de votre présence parmi nous aujourd’hui, madame l’ambassadrice, monsieur Michalchyshyn et monsieur Zakydalsky.
Madame l’ambassadrice, quand la guerre prendra-t-elle fin?
Mme Kovaliv : Quand les troupes russes quitteront le territoire souverain de l’Ukraine ou que nos soldats les en expulseront.
La sénatrice Dasko : Prendra-t-elle fin cette année?
Mme Kovaliv : Cela dépendra de l’ampleur du soutien qui nous sera apporté et du temps qu’il faudra à nos partenaires et alliés pour prendre la décision de nous aider davantage en nous fournissant les armes dont nous avons tant besoin. Je peux vous assurer que l’Ukraine et le peuple ukrainien sont ceux qui souhaitent le plus ardemment la victoire et la fin de la guerre, mais nous voulons que cette victoire et cette paix soient durables. Nous avons tiré les leçons de l’histoire, de l’invasion de la Géorgie par la Russie, de l’occupation illégale de la Crimée et des régions de Donetsk et de Louhansk par la Russie, ainsi que des opérations russes en Syrie. Malheureusement, la seule façon d’avoir une paix durable en Ukraine est de libérer tous ses territoires.
La sénatrice Dasko : Avez-vous une idée de l’échéancier?
Mme Kovaliv : Cela dépendra de nous tous, des Ukrainiens qui combattent et de ceux qui peuvent apporter le soutien dont nous avons tant besoin.
La sénatrice Dasko : J’aimerais vous poser une question au sujet des réparations et de la reconstruction. Voulez-vous en discuter maintenant? Dans l’affirmative, qui participe à ces discussions et qu’envisage-t-on?
Mme Kovaliv : Merci.
Il y a un peu plus d’un mois, la Banque mondiale a évalué les dommages que l’invasion illégale russe a causés à l’Ukraine. On parle de plus de 111 milliards de dollars. Voilà le coût des dommages. L’Ukraine aura évidemment besoin de beaucoup de capitaux pour reconstruire le pays, c’est-à-dire l’infrastructure, le secteur de l’énergie, les bâtiments résidentiels, les hôpitaux et les écoles.
Nous estimons que c’est la Russie qui doit payer, qu’elle l’accepte ou qu’il existe un instrument pour l’y contraindre. Cet instrument existe déjà, et c’est tout l’enjeu du gel des avoirs souverains russes. Des actifs russes de plus de 200 milliards de dollars sont actuellement gelés. Nous estimons qu’il serait juste et nécessaire de saisir ces actifs et de les investir dans la reconstruction de l’Ukraine. La Russie est le pays qui a causé ces dommages, et c’est la Russie qui doit payer pour ces dommages.
Il y a des discussions entre partenaires et entre pays sur les aspects juridiques de cet enjeu, mais j’aimerais remercier le gouvernement du Canada et le Parlement d’appuyer une loi faisant du Canada le premier de tous les pays à adopter des mesures permettant de saisir des actifs, aussi bien les actifs souverains que les actifs des oligarques russes visés par des sanctions. C’est un exemple à suivre pour les autres pays, parce que nous estimons que ces actifs souverains russes doivent être consacrés à la reconstruction du pays et à l’indemnisation des gens qui ont souffert de l’invasion illégale.
Le sénateur Oh : Merci de votre présence à cette séance du comité, madame l’ambassadrice.
Quel matériel militaire supplémentaire le Canada pourrait-il fournir à l’Ukraine?
Mme Kovaliv : Je vous remercie de cette question très précise.
L’Ukraine a absolument besoin d’aide militaire, de défense aérienne et de missiles pour protéger l’infrastructure civile et les villes. Comme on l’a vu, le système de défense aérienne a permis d’intercepter les missiles balistiques qu’ils appelaient leur « arme stratégique », et c’est ainsi que le soutien militaire permet de protéger la population. Il s’agit bien sûr d’artillerie et de munitions. Ce sont des éléments cruciaux. En troisième lieu, il y a les véhicules blindés de combat. Nous sommes reconnaissants envers le Canada de nous avoir fourni 39 véhicules blindés de transport de troupes l’an dernier. Nous en avons encore grandement besoin. Nous avons aussi besoin de formation. Le programme Unifier, qui permet de former nos soldats, notre personnel tactique et nos ingénieurs au fonctionnement des chars Leopard et à de nombreux autres égards est important pour nous. Il faut donc poursuivre cette formation, dont celle, à terme, des pilotes.
Le sénateur Yussuff : Merci de votre présence parmi nous, madame l’ambassadrice. Merci, aussi, d’avoir parcouru le pays pour parler aux Canadiens et à beaucoup de vos concitoyens maintenant installés au Canada. Je sais que ce n’est pas facile pour l’Ukraine, pas plus que pour le Canada, de déterminer comment nous pouvons intensifier nos efforts. Je ne pense pas pouvoir ajouter grand-chose à la conversation. D’après tout ce que vous avez dit, notre pays a pris les devants et continue d’apporter son soutien, et c’est à mon avis essentiel. C’est un effort à long terme, puisqu’on ne sait pas quand cette guerre prendra fin. Votre présence est vraiment essentielle pour inciter les Canadiens à participer à cet effort. Nous aimerions croire que les gens appuient sans réserve votre lutte, mais, si on ne leur en parle pas directement, nous allons perdre cet appui. Je tiens à vous remercier de parcourir le pays, de parler aux Canadiens et de vous rendre d’une localité à l’autre.
Je ne viens pas d’Ukraine, mais je peux vous dire que je suis avec passion les efforts de l’Ukraine pour défendre sa souveraineté. C’est probablement l’époque la plus cruciale de l’histoire du monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes témoins d’attaques absolument flagrantes contre la souveraineté d’un pays et des arguments de la Russie pour voler le territoire d’un autre pays. Nous n’avions pas vu cela depuis longtemps. Je crois que, si nous voulons l’emporter à long terme, du moins du point de vue canadien, votre présence sur le terrain est essentielle. Je tiens également à exprimer ma sympathie à mes amis du Congrès ukrainien et à les remercier de tout le travail qu’ils font pour sensibiliser les Canadiens, pour recueillir des fonds, mais aussi pour nous rappeler que nous avons un rôle et une responsabilité. Notre Parlement et notre Sénat ont pris des mesures vigoureuses.
Je tiens à vous exprimer ma solidarité et à vous remercier de l’excellent travail que vous avez fait en parlant aux Canadiens, car je crois que cela consolide ce que fait notre Parlement. Nous devons être solidaires du peuple ukrainien jusqu’à ce qu’il remporte la victoire ultime pour regagner son territoire, mais aussi pour récupérer sa souveraineté violée par l’invasion russe. Merci beaucoup.
La sénatrice R. Patterson : Madame l’ambassadrice, vous avez parlé d’éléments très importants au sujet des besoins immédiats de l’Ukraine et de ses besoins à venir, après la victoire et au moment de la reconstruction.
D’abord et avant tout, je ne peux m’empêcher de remercier le peuple ukrainien, vous-même, tout le monde, d’avoir résisté à l’impérialisme russe, qui, je le sais, fera l’objet de discussions au cours des prochaines conférences.
Nous savons aussi qu’un des crimes commis par la Russie est qu’elle s’est attaquée à des installations médicales. Dès les premiers jours de la guerre, les Russes ont prétendu qu’il s’agissait de destruction accidentelle de cliniques de maternité, mais nous savons que c’était en partie délibéré, et c’est en soi un crime de guerre. Nous savons aussi que les blindés, les navires, les avions et l’artillerie lourde sont des moyens formidables, mais que, sans les gens, il n’y a pas de défense de l’Ukraine. Je sais aussi que le COMEDS de l’OTAN cherche des moyens de mieux soutenir l’Ukraine en matière de soins médicaux et d’évacuation non seulement dans le cadre du système actuel, mais aussi pour l’avenir.
J’ai deux questions. Premièrement, en matière de soutien médical, y a-t-il quelque chose que le Canada pourrait faire pour aider dans l’immédiat? Du côté de la reconstruction en cours, y a-t-il quelque chose que vous aimeriez que le Canada fasse?
Mme Kovaliv : Merci.
Effectivement, les ingénieurs, les médecins et les enseignants sont aussi des héros qui abattent un travail considérable et qui sauvent des vies, celles de soldats sur la ligne de front, mais aussi celles de civils, qui sont malheureusement, eux aussi, visés par l’agression russe. C’est énorme.
Je tiens également à remercier les chirurgiens canadiens en mission spéciale qui vont et viennent entre nos deux pays et qui non seulement opèrent des personnes blessées, mais forment des médecins ukrainiens, qui peuvent ensuite rentrer chez eux et partager leur expérience, mais aussi utiliser l’expérience acquise auprès de chirurgiens et de médecins canadiens en Ukraine. Nous en sommes très reconnaissants.
La santé mentale est évidemment un autre domaine très important pour nous. On ne parle pas seulement des gens qui sont blessés physiquement. Tous ceux qui sont sur la ligne de front et tous les autres, ces enfants, ces femmes, ces simples citoyens qui vivent toutes les horreurs de la guerre, sous la menace de missiles, toutes les victimes de crimes sexuels, dont des enfants et des personnes âgées, tous sont sous l’effet d’un profond traumatisme psychologique. Les problèmes de santé mentale de millions de personnes nous inquiètent énormément et sont une importante priorité pour le gouvernement. Évidemment, connaissant le solide système de soins de santé mentale au Canada, nous accueillons favorablement le soutien à la mise en place d’un solide système de santé mentale en Ukraine dans le cadre des soins de santé partout au pays, avec, notamment, la formation de spécialistes pour que les Ukrainiens puissent obtenir le soutien dont ils ont besoin à cet égard, aujourd’hui et après la guerre. C’est un enjeu que partageront tous les Ukrainiens dans les années à venir.
Le sénateur Kutcher : Madame l’ambassadrice, monsieur Michalchyshyn, merci de votre présence parmi nous et de l’attention que vous portez à l’importance de cet enjeu pour nous.
J’aimerais revenir sur la question de la sénatrice Patterson sur la santé mentale. Nous avons eu ces discussions. J’aimerais que le comité en comprenne bien les tenants et aboutissants. Madame l’ambassadrice et monsieur Michalchyshyn, s’il y avait deux priorités à privilégier en matière de santé mentale, quelles principales mesures souhaiteriez-vous que le Canada prenne immédiatement pour faire avancer cet important dossier?
Mme Kovaliv : Merci de votre question, sénateur.
Je vais être franche avec vous. Je ne suis pas une grande spécialiste du système de santé mentale et de la façon dont il devrait être édifié. Je sais que notre gouvernement et notre ministère de la santé travaillent à bâtir l’ensemble du système et que d’autres pays, nos partenaires, y interviennent, par exemple dans le traitement du TSPT ou en matière de formation.
Pour bien répondre à cette question, je dirais qu’il serait formidable que notre gouvernement et ministère de la santé, qui est en train d’élaborer une feuille de route pour les besoins en matière de soins de santé mentale, puissent en parler avec leurs homologues du gouvernement du Canada et des ministères compétents. Je ne prendrais pas le risque de nommer ces deux priorités, car je ne suis pas une grande spécialiste de la mise en place du système de santé mentale.
[Français]
Le vice-président : Nous en sommes à la fin de notre panel. J’aimerais remercier Son Excellence, Mme Yuliya Kovaliv, et MM. Michalchyshyn et Zakydalsky. Nous sommes sincèrement reconnaissants pour le temps et les efforts que vous avez consacrés à cette séance. Votre courage est une source d’inspiration pour nous tous. Nous sommes à vos côtés et nous vous offrons notre soutien indéfectible. Merci de votre participation.
Nous passons maintenant à notre deuxième panel. Pour ceux qui se joignent à nous en direct, cette réunion porte sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
Pour ce deuxième panel, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Kerry Buck, professionnelle en résidence à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et ancienne ambassadrice du Canada à l’OTAN. Bienvenue, madame Buck.
Nous accueillons également M. Alexander Lanoszka, professeur adjoint au Département de science politique de l’Université de Waterloo. Bienvenue, M. Lanoszka.
Enfin, par vidéoconférence, nous accueillons le général (à la retraite) Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU et de l’OTAN. Bienvenue, général Trinquand.
Je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par vous inviter à présenter vos remarques liminaires, qui seront suivies de questions de la part de nos membres. Nous commencerons par Mme Buck.
Madame Buck, vous avez la parole.
Kerry Buck, ancienne ambassadrice du Canada à l’OTAN, et professionnelle en résidence, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci au comité de m’avoir invitée à comparaître devant vous.
[Traduction]
Je comparais à titre personnel et je parlerai strictement de ce point de vue. Je présente ma propre analyse fondée sur près de 30 ans d’expérience comme diplomate ayant travaillé dans le domaine de la sécurité internationale, notamment à l’OTAN. La dernière fois que j’ai comparu devant vous, il y a environ un an, j’ai expliqué pourquoi, selon moi, le président Poutine avait lancé l’invasion et comment la guerre avait évolué au cours des six premiers mois.
Dans le peu de temps dont je dispose aujourd’hui, j’aimerais souligner les enjeux ou les risques des mois à venir pour l’Ukraine, pour l’OTAN et pour les alliés de l’OTAN comme le Canada. À mon avis, la communauté internationale doit s’intéresser à quatre aspects dans les semaines et mois à venir.
Premièrement, le maintien du soutien international à l’Ukraine sera crucial non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan logistique.
Le fait est que le président Poutine a plus de gens à jeter dans la guerre en Ukraine et moins à perdre. Il se désintéresse du sort des soldats russes et a tendance à en faire de la chair à canon. Une longue et pénible guerre d’attrition est dans l’intérêt de la Russie et, en fait, c’est peut-être sa stratégie, dans l’espoir que le soutien de l’Occident s’essouffle. Le ministre des Affaires étrangères Lavrov l’a déclaré publiquement.
Que doivent faire l’OTAN et ses alliés comme le Canada? Ils doivent dresser un plan stratégique à long terme pour fournir des armes et d’autres formes de soutien à l’Ukraine. Au cours de la dernière année, le rythme du soutien à l’Ukraine a été marqué par les demandes précises du président Zelenski et par les actions des alliés — parfois rapides, parfois plus lentes — pour trouver ce qui était nécessaire, fournir la formation et alimenter le théâtre des opérations. C’est différent d’un plan stratégique qui garantit un apport régulier de soutien prévisible. Le prochain sommet de l’OTAN, qui aura lieu à Vilnius au début de juillet, devrait prévoir l’engagement à élaborer un plan stable à long terme visant à fournir à l’Ukraine les armes, les munitions, les fournitures et le soutien nécessaires pour continuer à libérer les territoires occupés par la Russie. C’est pourquoi la production et l’approvisionnement de défense des alliés doivent être intensifiés. L’Ukraine consomme des munitions et des armes plus rapidement que l’Occident ne peut en fournir, et les stocks s’épuisent.
À cet égard, il faut que l’armée ukrainienne soit à la hauteur des normes de l’OTAN, car cela aura un effet dissuasif important sur la Russie pour la suite des choses. Elle doit pouvoir se débarrasser du matériel de l’ère soviétique et se tourner vers l’interopérabilité de l’OTAN. Cela exige aussi un apport constant d’armes en Ukraine.
Du côté du soutien politique, le maintien de l’unité de l’OTAN est essentiel. Je parle de « maintien » parce que cela exige une attention et une aide diplomatiques constantes. Certains alliés, comme la Hongrie, ont des prises de position qui pourraient nuire à l’unité de l’OTAN en Ukraine, et des pressions discrètes et constantes sont nécessaires pour maintenir le cap.
L’appui politique international à l’Ukraine ne concerne pas seulement les alliés de l’OTAN. Il y a aussi un monde plus vaste avec des pays qui pourraient, s’ils s’alignaient sur la position de l’OTAN, non seulement aider à isoler la Russie, mais aussi exercer des pressions. Par exemple, il y a quelques mois, de nombreux dirigeants occidentaux se sont rendus en Chine. Il s’agissait de relations bilatérales avec la Chine, mais il s’agissait aussi de l’inciter à presser la Russie de ne pas avoir recours aux armes nucléaires. C’est du moins mon impression. Ce travail diplomatique est important pour isoler la Russie.
En plus de l’aide à l’Ukraine, une autre question devrait figurer en bonne place à l’ordre du jour du sommet de Vilnius : les futures relations entre l’Ukraine et l’OTAN. Offrira-t-on à l’Ukraine des garanties de sécurité officielles? De quel ordre seraient les accords de sécurité? Y aura-t-il une voie claire vers l’adhésion à l’OTAN, avec des étapes concrètes?
Je ne m’attends pas à ce que le sommet de Vilnius nous donne de réponse à cet égard, et Jens Stoltenberg a déclaré sans équivoque que, tant que la guerre se poursuit, cela ne se produira pas. Ce n’est pas déterminant, et c’est logique pour l’instant. Cela va peut-être sans dire, mais l’article 5 de garantie de défense mutuelle prévoit que, si on fait intervenir un allié de l’OTAN dans une guerre, les obligations qu’il énonce seraient engagées. L’OTAN a très clairement évité d’entrer en conflit direct avec la Russie. Si on intégrait l’Ukraine trop tôt, avant la fin de la guerre, on risquerait d’accélérer les choses compte tenu de l’article 5 et de la raison d’être de l’OTAN. L’adhésion de l’Ukraine devrait se faire et se fera après la guerre. Jens Stoltenberg, avant le sommet, a dit clairement que l’Ukraine en ferait partie.
Au sommet de Vilnius, il faudra aller plus loin qu’au sommet de Bucarest en 2008, où l’on avait dit que l’Ukraine deviendrait membre, mais sans prendre de mesures concrètes par la suite. Il faudra prévoir une voie claire vers l’adhésion à l’OTAN. Il faudra surtout conclure des ententes crédibles pour garantir la sécurité de l’Ukraine grâce à un apport régulier d’armes, mais aussi grâce à d’autres mesures. De plus, après la guerre, il faudra prendre des mesures de sécurité provisoires.
Troisièmement, il faudra bien que, à un moment donné, la communauté internationale s’attelle à la question des pourparlers de paix. Le temps n’est pas encore venu d’en parler. C’est d’ailleurs impensable pour l’instant, mais la communauté internationale devra, à un moment donné, trouver une façon de travailler avec la Russie. C’est dans notre intérêt collectif et à long terme. Le choix du moment et le contenu devront être dictés par les dirigeants ukrainiens, et cela ne pourra se faire tant que des gains territoriaux suffisants n’auront pas été réalisés pour que l’Ukraine puisse, alors en position de force, soit faire pression sur Poutine pour qu’il accepte un compromis négocié, soit en avoir gagné suffisamment pour que l’Ukraine puisse décider par elle-même, avec l’appui des pays occidentaux, de geler le conflit, sans tenir compte des intentions de Poutine. L’Occident doit donc rester uni et coordonné. Il n’est pas utile que les dirigeants occidentaux commencent à réfléchir publiquement aux pourparlers de paix avant les Ukrainiens.
Quatrièmement, et pour terminer, lorsque la guerre sera sur sa fin, la communauté internationale devra se concentrer sur la responsabilisation, la reconstruction, et la réintégration des expatriés. Une partie du travail de planification a déjà commencé, mais je peux imaginer certains domaines où le Canada pourrait mettre à profit ses compétences et ses ressources, par exemple en matière de réinstallation et de réintégration des réfugiés, de responsabilisation pour les crimes de guerre, de reconstruction de certains secteurs économiques comme le secteur agricole, de reconstruction des infrastructures, et de renforcement des fondements de la démocratie.
Il ne s’agira pas seulement de reconstruire après un conflit. Il s’agira aussi de respecter les normes qui permettront ensuite à l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN. Pourquoi? Parce que l’adhésion à l’OTAN et le respect de ses normes ne concernent pas seulement les capacités militaires. Il s’agit aussi d’avoir une économie de marché qui fonctionne, une démocratie qui fonctionne, des institutions législatives qui incluent le contrôle civil de l’armée et toute une série de lois garantissant que ces structures institutionnelles fonctionnent.
Je vais m’arrêter ici. Merci, monsieur le président.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, madame Buck.
Nous allons maintenant entendre la présentation de M. Alexander Lanoszka.
Vous avez la parole, monsieur Lanoszka.
Alexander Lanoszka, professeur adjoint, Département de science politique, Université de Waterloo, et professionnel en résidence, Institut Macdonald-Laurier, à titre personnel : Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation. C’est un grand honneur pour moi d’avoir cette occasion de parler de ce sujet très important.
[Traduction]
Comme on peut le constater, la dernière fois que j’ai pris la parole devant vous était il y a environ un an. En prévision de la réunion d’aujourd’hui, j’ai examiné ce que j’avais dit à l’époque pour voir si mes évaluations et mes prédictions d’alors tiennent toujours. J’avais expliqué que l’Ukraine avait payé un lourd tribut, malgré les succès stratégiques et tactiques remportés face à une invasion russe à grande échelle. J’avais cependant conclu que, du point de vue de Poutine du moins, il n’était pas clair s’il croyait lui-même qu’il était en train de perdre ou que la Russie avait effectivement infligé d’énormes pertes à l’Ukraine et qu’elle possédait environ 20 % du territoire ukrainien à l’époque, dont des parties essentielles des oblasts de Kharkiv et de Kherson en plus de la rive nord de la mer d’Azov. Cela dit, l’esprit combatif de l’Ukraine était inlassable, et les Ukrainiens comprenaient la nécessité de conserver leurs forces militaires pendant que la Russie éprouvait de graves problèmes de moral et de matériel. On était donc très loin d’un règlement négocié.
J’ose dire que cette évaluation a largement résisté à l’épreuve du temps. Mais je crois qu’on peut être un peu plus optimiste quant à la possibilité pour l’Ukraine de vaincre militairement la Russie.
Premièrement, à la fin de l’été et à l’automne de l’année dernière, l’Ukraine a réussi à organiser des contre-offensives dans les oblasts de Kharkiv et de Kherson, avec divers degrés de difficulté, c’est certain, mais elle a ainsi réduit la zone d’occupation de la Russie sur le territoire ukrainien. La Russie occupe encore beaucoup de territoire, mais elle a dépensé beaucoup de matériel et de personnel pour essayer de s’emparer de sites à la valeur militaire douteuse, comme Bakhmout. Résultat des courses, le moral des troupes russes est au plus bas, et on raconte que les soldats mobilisés sont de très piètre qualité et manquent de formation de base et de munitions, alors que la ligne de front est très longue comme l’a expliqué l’ambassadrice.
Deuxièmement, l’Ukraine a effectivement subi des pertes massives et des traumatismes que nous ne pouvons ignorer, mais la population ukrainienne demeure tout à fait déterminée à relever le défi. Malgré les craintes que le soutien de l’Occident s’essouffle, celui-ci reste résilient et solide, et un certain nombre de pays de l’OTAN sont en train d’augmenter leur aide militaire pour inclure la fourniture de chars de combat et de missiles de croisière à lancement aérien, ce qu’on estimait jusque-là impensable. L’une des difficultés est que l’Ukraine dépend de la fabrication occidentale de munitions. Il est toutefois encourageant de constater que la production a augmenté dans de nombreux pays de l’OTAN.
Le succès repose en grande partie sur la contre-offensive imminente de l’Ukraine. En fait, celle-ci a peut-être commencé aujourd’hui. Nous ne le savons pas vraiment. Les bouleversements de la guerre nous empêchent de bien voir. Le discours entourant la contre-offensive a été très optimiste, voire peut-être trop, car de nombreux observateurs semblent s’attendre à ce que l’Ukraine inflige des pertes massives aux forces russes et les expulse de vastes étendues du territoire ukrainien dans le cadre d’une seule offensive. Je suis certain que l’Ukraine réussira, mais nous devons gérer nos attentes pour trois raisons, et je vais me faire l’écho de ce que l’ambassadrice a dit dans le groupe de témoins précédent.
Premièrement, les opérations militaires offensives ou contre‑offensives sont extrêmement difficiles à mener. En effet, même une opération de contre-offensive militaire très réussie de la part de l’Ukraine entraînera probablement de lourdes pertes, car ces militaires ukrainiens seront placés dans la zone de domination de l’artillerie russe. En effet, nous pouvons nous attendre à de lourdes pertes, problème aggravé par la pénurie de munitions en Ukraine et du côté occidental, et les retards dans la prestation de l’aide militaire occidentale pourraient entraîner plus de pertes que ce qui aurait pu être le cas autrement.
La deuxième raison de modérer nos attentes, c’est que la Russie, au bout du compte, demeure la Russie. Elle a beaucoup de poids, malgré les problèmes opérationnels et tactiques qu’elle connaît depuis 15 mois. Elle a construit des fortifications dans des territoires occupés qui, il faut le reconnaître, compliquent énormément la vie des forces armées ukrainiennes. La Russie s’est quelque peu adaptée pour accroître son efficacité au combat en améliorant la performance de ses propres systèmes de défense aérienne sur le territoire ukrainien, ainsi qu’en intégrant mieux l’utilisation de drones à son artillerie. Elle a malheureusement trouvé de nouvelles façons de terroriser la population ukrainienne en utilisant, comme nous l’avons vu, des drones suicides iraniens.
L’autre et dernière raison d’être un peu sceptique est de prendre note de la façon dont le spectre d’une contre-offensive imminente semble avoir eu un effet psychologique vraiment important sur l’armée russe, qui se perd en conjectures sur l’endroit où la contre-offensive aurait lieu et quelle sera son ampleur. Outre ses opérations trompeuses et le soutien de diverses incursions frontalières en Russie, l’Ukraine a même soulevé la possibilité d’expulser les forces russes situées à proximité de la Moldavie et de la Transnistrie. Une contre-offensive massive sur toute la ligne de front cédera cet avantage psychologique à moins, bien sûr, que l’Ukraine puisse obtenir un succès opérationnel majeur dans plusieurs secteurs en première ligne. Compte tenu des difficultés variées associées à la mise sur pied d’une opération militaire de contre-offensive, j’imagine que l’Ukraine pourrait vouloir procéder à la pièce pour exploiter les points faibles russes, pour créer plus de pression psychologique et pour restreindre encore plus la présence militaire russe sur le territoire ukrainien. Bien sûr, je ne suis pas au courant de la planification militaire ukrainienne, et très peu le sont. Tout peut arriver, mais ce que je veux dire, c’est qu’il n’est pas évident que la contre-offensive se déploiera sur l’ensemble du front. Elle pourrait prendre plus de temps que nous le pensons.
Tout bien considéré, la guerre est loin d’être terminée. Je suis d’accord avec tout ce que l’ambassadrice a dit. La Russie est implacable, mais l’Ukraine entrevoit néanmoins la possibilité de remporter des victoires très importantes dans un proche avenir. Nous sommes loin d’un règlement négocié, ce qui est exactement ce que la Russie voudrait à l’heure actuelle pour garantir ses gains actuels. Nous devrions être optimistes à l’égard de l’Ukraine, mais cela ne devrait pas nous inciter à nous reposer sur nos lauriers. S’il y a un message que j’aimerais communiquer aujourd’hui, c’est certainement celui de l’ambassadrice de l’Ukraine, et c’est qu’il reste encore beaucoup de travail à faire.
Merci beaucoup.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Lanoszka, pour votre présentation.
Nous allons laisser la parole au Gén Trinquand.
Général (à la retraite) Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU et de l’OTAN, à titre personnel : Merci beaucoup, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs de m’avoir invité.
Pour ma part, je dirais qu’en tant que militaire, la guerre en Ukraine dépasse de très loin une simple guerre en Europe. Il s’agit d’un problème de relations internationales, de géopolitique et du rôle qu’un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies ne peut naturellement pas continuer de tenir comme le fait la Russie actuellement.
Je vais m’exercer simplement à vous donner les quelques phases de la guerre que j’ai observées, l’objectif final recherché et les moyens pour y parvenir.
Il faut bien reconnaître que cette guerre est l’objet d’un homme, de M. Poutine, qui a fait une erreur d’appréciation gigantesque en croyant pouvoir renverser le gouvernement de Kiev aussi facilement qu’en 2014, il avait réussi à annexer la Crimée.
Cette erreur l’a conduit à une guerre qu’il ne voulait pas, qu’il ne souhaitait pas au départ, et pour laquelle l’armée russe n’était pas prête. Ce qui explique que l’armée russe, après une phase initiale jusqu’au mois de juillet, durant laquelle elle a conquis un certain nombre de territoires, s’est trouvée face à une offensive ukrainienne à l’automne, de septembre à novembre à peu près, qui a permis à l’Ukraine de regagner du terrain, en particulier dans la région de Kharkiv et de rejeter les forces russes sur la rive gauche du Dniepr dans la région de Kherson.
Pendant tout l’hiver, à notre grande surprise, nous avons vu que malgré la mobilisation russe, la Russie n’a pas réussi à reconquérir le terrain. L’affaire de Bakhmout est un épiphénomène; sept mois pour conquérir le territoire et des milliers de morts. Aujourd’hui, nous attendons l’offensive ukrainienne qui a commencé sur le plan stratégique et qui porte même le fer sur les territoires russes avec des opposants russes qui sont probablement équipés par les Ukrainiens.
Je reviens à mon introduction et mon propos. Il ne faut pas voir cela simplement comme une guerre en Europe, un affrontement entre l’OTAN et la Russie, mais plutôt comme le fait qu’un membre permanent du Conseil de sécurité a délibérément rompu tous les accords qu’il avait passés, a franchi une frontière internationalement reconnue, et cela à cause de nos faiblesses, celles de 2014 — principalement lors de la guerre en Syrie dans laquelle les Occidentaux, permettez-moi de mettre dans le même sac tous les Occidentaux, c’est-à-dire essentiellement les Américains et les Européens, n’ont pas su agir fermement en Syrie. La Russie a agi fermement et a réussi à maintenir au pouvoir le président Bachar Al-Assad. C’est le premier signe de faiblesse des Occidentaux.
Le deuxième a été la saisie par les petits hommes verts, comme nous disions, de la Crimée. Cela a été une remarquable réussite de la part de la Russie, puisqu’elle a gagné, comme l’aurait dit Sun Tzu, sans qu’un seul coup de canon ait été tiré. C’est une belle victoire stratégique pour la Russie.
Ces deux faiblesses ont conduit le président Poutine à penser que les Occidentaux ne réagiraient jamais. Depuis le 24 février 2022, nous nous sommes trouvés face à une situation dans laquelle les Ukrainiens, avec à leur tête le président Zelenski, ont décidé de résister. Cela a été la première grande victoire : décider de résister.
Je voudrais rappeler que dans les premiers jours, les États-Unis ont rapatrié leur ambassade, tous leurs conseillers, et ont conseillé au président Zelenski de quitter l’Ukraine. La première victoire, c’est celle des Ukrainiens.
La deuxième victoire est celle des Occidentaux qui après cette hésitation initiale ont décidé de soutenir l’Ukraine pendant cette longue guerre qui dure déjà depuis 15 mois. Aujourd’hui, il n’y a pas d’issue possible sans une victoire de l’Ukraine. J’ai bien entendu les orateurs précédents qui limitaient un peu la capacité ukrainienne. Je crois en la capacité ukrainienne de vaincre l’armée russe en Ukraine et de rétablir les frontières internationalement reconnues. Je crois que les Occidentaux n’ont pas le choix, parce que le monde nous regarde.
Lorsque vous voyez le résultat du dernier vote de l’Assemblée générale des Nations unies, le 23 février 2023, où il y a eu 140 pays qui ont condamné — on ne le dit pas assez, 140 pays ont condamné l’action de la Russie —, et une quarantaine qui se sont abstenus, ce qui veut dire qu’ils n’ont pas eu le courage de leur opinion, et où il n’y a eu que six ou sept pays qui ont soutenu la Russie.
Le monde nous regarde et doit faire comprendre que la position de la Russie est inacceptable. Si nous voulons vivre dans un monde en paix, les accords internationaux doivent être respectés. Malheureusement, cela passe par la guerre contre l’armée russe en Ukraine. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
Le vice-président : Si vous le permettez, nous allons demander aux techniciens de voir s’il n’y a pas quelque chose à corriger au niveau du son. Nous allons suspendre quelques instants.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
Le vice-président : Général, vous pouvez continuer votre présentation.
Gén Trinquand : Je disais simplement que nous n’avons pas le choix. Le monde entier regarde cette opération et il s’agit du respect des conventions internationales et des frontières. Cela ne peut passer que par une victoire ukrainienne pour le rétablissement des frontières internationalement reconnues. On parle de respecter les accords conclus à Budapest en 1994. Les conséquences sont énormes dans le monde. Je ne voudrais pas exagérer mon propos, mais je pense qu’il y a un grand pays, qui s’appelle la Chine, qui regarde ce qui se passe actuellement en Europe et qui en subira les conséquences.
Le vice-président : Général Trinquand, merci beaucoup pour votre présentation. Nous passons maintenant à la période des questions. Je rappelle aux membres que nous avons jusqu’à 18 h 10 pour ce panel. Comme pour le panel précédent, nous ferons de notre mieux pour qu’au moins un membre de chaque groupe ait droit à une intervention. Soyez bref et veuillez identifier la personne à qui s’adresse votre question.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Je remercie les témoins de leur participation.
Ma question s’adresse à quiconque veut y répondre. Étant donné qu’il est question récemment d’une contre-offensive ukrainienne dans quelques semaines, comment croyez-vous que cela changera la trajectoire de la guerre? Quel impact cela aura-t-il sur les deux pays?
M. Lanoszka : Je suppose que je suis en mesure de répondre à cette question. Cela dépend vraiment du déroulement de la contre-offensive. Cela dépend de l’orientation. La ligne de front est énorme. Vous le savez peut-être, mais elle peut faire jusqu’à 1 500 kilomètres. C’est beaucoup de territoire. Nous ne savons pas vraiment où sont ces points faibles. Le renseignement militaire ukrainien possède cette information. Par conséquent, nous devons nous préparer à ce que la campagne se prolonge.
Ce qui s’est passé l’an dernier suggère deux modèles. L’un de ces modèles était l’offensive de Kharkiv, qui a permis à l’armée ukrainienne d’expulser un grand nombre de militaires russes d’une grande partie de ce pays de façon plutôt spectaculaire, au point que les Ukrainiens eux-mêmes ont été surpris. C’était une débâcle. Cela s’est produit en août dernier. Une autre contre-offensive a eu lieu dans l’oblast de Kherson. Elle s’est déroulée sur une période de cinq ou six mois. Même si la libération de la ville de Kherson était inévitable, il a fallu beaucoup de temps, précisément parce que les forces russes étaient bien retranchées et combattaient encore très efficacement, tout bien considéré.
Par conséquent, nous devons être prêts. La contre-offensive à venir ne ressemblerait pas nécessairement à celle de Kharkiv, qui a entraîné une déroute, mais plutôt à l’offensive de Kherson, bien qu’une victoire stratégique ait finalement été remportée dans celle-ci. Le résultat se situera peut-être entre les deux. Je ne sais pas. Mais je pense que l’offensive de Kharkiv nous induit en erreur en nous faisant croire que les contre-offensives pourraient prendre cette forme, alors que l’offensive de Kherson laisse entrevoir une autre possibilité.
Le sénateur Oh : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse au Gén Trinquand. Merci de votre présence malgré le décalage horaire. Est-ce que la Russie a la capacité industrielle militaire pour engager une guerre à long terme? Ma deuxième question est la suivante : sur quoi s’appuie votre analyse pour conclure que l’Ukraine pourrait être gagnante de cette guerre?
Gén Trinquand : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. Quant à votre première question, oui, la Russie a la capacité industrielle à long terme, je dis bien à long terme. Elle est obligée de reconstruire des usines pour les drones avec l’aide des Iraniens. La Russie a intérêt à ce que la guerre dure longtemps. Sans compter, bien sûr, l’implication des élections américaines qui pourraient intéresser M. Poutine en 2024 en raison d’un soutien moins important des États-Unis. En tout état de cause, l’industrie russe doit se recentrer, donc il lui faut du temps. C’est le premier point.
Quant au deuxième point, mon analyse est la suivante : j’entendais parler de ce qui s’était passé à Kharkiv et à Kherson. Je voudrais rappeler que jusqu’à l’été, pendant les six premiers mois de la guerre, la Russie comptait sur ses meilleures troupes, des troupes professionnelles. Elle en a perdu beaucoup. Aujourd’hui, elle compte essentiellement sur sa mobilisation et sur Wagner, donc sur des mercenaires. Elle est en plus grande faiblesse aujourd’hui qu’elle ne l’était au début de la guerre, pour avoir perdu ses meilleures unités, pour avoir perdu ses meilleurs équipements.
Face à cette faiblesse russe, quelle est la force ukrainienne? Dans l’ensemble, 60 000 hommes ont été formés et équipés avec du matériel occidental. C’est une capacité suffisante pour pouvoir appliquer une force d’attaque sérieuse qui peut casser le dispositif russe et surtout le perturber.
Je trouve que l’opération de Belgorod, actuellement, est le pendant de l’opération en Crimée de 2014 de la part des Russes. Les Russes sont très embarrassés parce qu’ils voient des opposants russes, qui ont été équipés par l’Ukraine, qui sont en Russie, et ils ne savent pas comment s’en occuper. Les Ukrainiens ont montré qu’ils attaquaient là où on ne les attendait pas, c’est-à-dire au-delà de la ligne de front, plus au nord, et avec des forces qui n’étaient pas attendues. On n’attendait pas des opposants russes. Je pense que l’ensemble des faiblesses russes, des forces ukrainiennes et de l’inventivité ukrainienne, cela fait qu’il y a une capacité pour l’Ukraine de gagner cette campagne.
Maintenant, c’est le brouillard de la guerre. Je ne mettrais pas ma solde à parier sur la réussite ukrainienne, je croise les doigts et je l’espère très fort pour eux. Je pense très fort à ces soldats qui attendent le moment de monter à l’attaque.
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie.
Le sénateur Cardozo : Ma question s’adresse à Mme Buck et au Gén Trinquand et concerne l’évolution de la scène géopolitique. Général, vous avez mentionné la Chine.
[Traduction]
Lorsque je regarde la Chine et la Russie, je pense que beaucoup de gens pensent que ce sont deux grandes puissances qui exercent le pouvoir de façons différentes et qui ont de nouvelles conceptions sur le monde alors qu’elles s’installent en Afrique, par exemple. Mis à part le fait que nous sommes préoccupés par cette guerre elle-même et par les effets qu’elle a sur l’Europe et d’autres régions du monde, que devrions-nous craindre des plans à long terme de ces deux pays dans le futur contexte géopolitique mondial?
[Français]
Mme Buck : Si cela ne vous dérange pas, général, je vais commencer.
Gén Trinquand : Bien sûr.
[Traduction]
Mme Buck : En fait, je pense que la Russie est un État qui s’affaiblit. Dans l’esprit de M. Poutine, c’est un État fort, mais nous avons tous surestimé sa capacité militaire. Lorsque j’étais à l’OTAN après 2014, le paradoxe était que les Russes avaient une armée très forte qui avait été incroyablement renforcée, professionnalisée, entraînée et équipée depuis 2008. Or, je suis heureuse de dire que nous avions tort. L’insuffisance de leur capacité sur le théâtre des opérations en Ukraine est très importante. D’une certaine façon, la Russie s’affaiblit. Compte tenu des sanctions occidentales et de l’argent qu’elle injecte dans la guerre, son économie ne se porte pas aussi bien qu’elle le pourrait, pas plus qu’elle n’a été bien gérée par le président Poutine depuis son arrivée au pouvoir. Si vous me permettez d’être franche, la guerre a eu pour résultat que la Russie est devenue la station-service de la Chine. Les Chinois achètent l’énergie russe à moindre coût et, sur le plan géopolitique, ils gagnent du pouvoir. Dans l’état actuel des choses, la Russie pourrait devenir presque un État vassal de la Chine.
À mon avis, la Chine joue un rôle intéressant. Elle semble s’être rapprochée et appuyer la Russie, en affirmant dès le début que l’amitié entre les deux pays était sans limites. Nous avons été témoins de visites importantes des dirigeants chinois à Moscou. Mais il y a aussi un certain nombre de choses que la Chine n’a pas faites et qu’elle aurait pu faire. Je ne reçois plus le renseignement, mais du moins d’après le renseignement public, il ne semble pas que la Chine fournisse beaucoup d’armes à la Russie, même si elle pourrait le faire. Elle n’a rien à annoncer après une visite à Moscou, comme une alliance de défense. Je pense que la Chine est en train de jouer prudemment un rôle de soutien à la Russie sans trop se mouiller, ce qui est intéressant pour l’Occident.
Ensuite, il faut se demander ce qu’il faut faire avec la Chine. Vous verrez différentes variantes. Comment dire? Les États-Unis parlent de découplage complet de la Chine, et l’Europe parle de réduire les risques de la Chine. Il y a certains domaines où nous devons nous préoccuper de la Chine, surtout là où nous faisons beaucoup de commerce avec la Chine, alors un découplage complet, pas seulement pour le Canada, mais pour tout le monde, ne me semble pas si logique. Nos économies sont beaucoup plus intégrées que pendant la guerre froide avec l’Union soviétique. Il n’est pas dans notre intérêt de supposer qu’il y aura toujours une relation conflictuelle avec la Chine sur tous les fronts. Cela dit, Xi Jinping est extrêmement agressif, et il l’a aussi été sur le plan militaire, et nous devons être extrêmement prudents, comme dans le cas de la stratégie indo-pacifique en Asie, en déployant davantage d’efforts sur le front de la défense dans la région indo-pacifique et en atténuant les risques dans les domaines du commerce avec la Chine qui sont essentiels à notre sécurité nationale, comme les minéraux critiques, et ainsi de suite.
Il y a des choses que nous devons faire, et nous devons les faire de façon à nous aligner sur les États-Unis et l’Europe. Si nous faisons cavalier seul à l’intérieur de l’Occident dans notre approche à l’égard de la Chine, nous n’accomplirons rien et nous favoriserons une plus grande agressivité des dirigeants chinois, nous en ferons la promotion et nous l’appuierons.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur participation.
Ma question s’adresse à Mme Buck. Une grande partie de ce que vous dites concerne, à mon avis, une stratégie globale. Bien sûr, cette guerre pourrait être longue et sans fin. Dans le contexte des dommages et des réparations dont de nombreux pays ont parlé, je pense que c’est une chose à laquelle nous devrons réfléchir. L’Occident a gelé des milliards de dollars d’actifs russes dans le monde. Je crois certainement que ces ressources peuvent être rapatriées pour reconstruire l’Ukraine, mais aussi pour l’appuyer de façon continue tant que la guerre se poursuivra. Vous pourriez peut-être nous faire part de vos observations à ce sujet. Je pense que beaucoup de gens en ont parlé. Vous pourriez peut-être expliquer dans un contexte international pourquoi c’est logique et, surtout, pourquoi nous devrions franchir cette étape.
Mme Buck : Absolument. Il y a une longue histoire de dédommagements payés après les guerres par les perdants contre les victimes. Il y a le droit international qui l’appuierait. L’important, à l’heure actuelle, c’est de faire deux choses, tout en se préoccupant de la guerre, de se mobiliser aussi pour la période qui suit le conflit et de faire preuve d’une grande réflexion pour s’assurer que ce ne soit pas seulement une question de réparation, mais que la communauté internationale se mobilise dans son ensemble. Donc, un soutien à la démobilisation, à la démilitarisation, au retour des troupes ukrainiennes, à la réintégration des réfugiés ukrainiens, à l’infrastructure, à la reddition de comptes pour les crimes de guerre, et ainsi de suite.
En ce qui concerne les réparations, un rapport a été publié il y a environ six mois, et la Banque mondiale, certaines parties de l’ONU, certaines parties de l’Union européenne et quelques autres parties ont participé à l’examen des coûts de la guerre et ont commencé à se pencher sur la façon d’établir des fonds de réparation. La réflexion a commencé et, comme je l’ai dit, il existe un précédent pour l’utilisation des biens russes saisis, un précédent absolument légal du droit international pour effectuer ces réparations. Ma réponse est donc oui, oui et oui.
Le sénateur Ravalia : Merci à tous nos témoins d’être ici.
Ma question s’adresse à Mme Buck. Dans quelle mesure êtes-vous préoccupée par un changement au chapitre du soutien à l’extérieur de l’axe euro-atlantique pour l’assaut continu de la Russie contre l’Ukraine, en particulier dans les pays du Sud, ce qui se passe en Inde, le soutien continu de l’Iran, un changement au niveau du climat politique sud-américain avec le changement à la présidence au Brésil et le prochain sommet du BRIC en Afrique du Sud en août de cette année? Envisagez-vous que M. Poutine aille en Afrique du Sud? Pensez-vous que l’Afrique du Sud pourrait respecter la compétence de la Cour pénale internationale, ou CPI?
Mme Buck : Le général Trinquand a parlé des votes sur les résolutions de l’ONU qui condamnent l’invasion russe. À titre d’intervenante dans le dossier en 2014, je dois dire que le soutien interrégional pour condamner la décision de la Russie a été vraiment impressionnant. Or, ce soutien s’est maintenu, et il est également important de le souligner. C’est aussi grâce à une diplomatie constante et soutenue de la part de l’équipe de l’ambassadeur Rae, l’équipe canadienne et d’autres, qui sont très actifs au chapitre de la diplomatie interrégionale, pour maintenir ce vote et s’assurer qu’il soit exprimé. C’est un signal politique important pour isoler la Russie.
Derrière cela, il y a plusieurs choses qui se passent. Certains États, que j’appellerais des États intermédiaires ou des États indécis, même s’ils s’abstiennent ou votent en faveur de la résolution, achètent discrètement du pétrole russe moins cher, par exemple. C’est dans leur intérêt de le faire. Il y a beaucoup de travail à faire pour élargir le régime de sanctions et mieux l’appliquer. Cela exige beaucoup de manœuvres diplomatiques discrètes. Un certain nombre d’États jouent sur les deux tableaux, et je pense que c’est la façon dont on peut présenter les choses. Comme je l’ai dit, il faut mener des opérations diplomatiques en toute discrétion pour essayer de maintenir ce soutien.
Les pays du Sud souffrent également de la guerre, en raison des pénuries alimentaires et de la flambée des prix des aliments. À moins que l’Occident non géographique n’intervienne pour atténuer cette souffrance, les pays du Sud ne pourront maintenir cette position.
Enfin, il y a un peu d’hypocrisie. Il est assez facile — le ministre Lavrov le fait — de revenir, par exemple, à la première guerre en Irak et de dire : « Comment pouvez-vous parler de l’illégitimité de l’invasion et invoquer le principe de l’État de droit? Regardez ce que vous avez fait lors de la première guerre en Irak. » C’est un argument facile, pas tout à fait juste, mais partiellement vrai. Je pense donc qu’il est important d’aborder cette diplomatie avec humilité et de comprendre qu’il y a des guerres dans les pays du Sud auxquelles l’Occident ne prête pas suffisamment attention. Il y a une géométrie injuste ou inéquitable en ce qui concerne les invasions qui nous préoccupent. Je pense qu’il est important d’envoyer des messages, d’envoyer du soutien et de comprendre la position des pays du Sud. Encore une fois, c’est une question de diplomatie.
[Français]
Gén Trinquand : Juste deux mots sur ce sujet, tout en approuvant tout ce qui a été dit, si vous me permettez.
En fait, il s’agit de convaincre les 40 ou 45 pays qui sont au milieu, qui n’ont pas voté ou qui se sont abstenus, du fait qu’il ne s’agit pas simplement de faire du business, mais qu’il s’agit de l’équilibre du monde.
J’ai une bonne nouvelle aujourd’hui, je ne sais pas si elle est parvenue au Canada déjà, mais l’Afrique du Sud s’est aperçue qu’elle ne pourrait pas détourner la décision de la Cour pénale internationale (CPI), donc elle a demandé à ce qu’on réétudie le lieu de la réunion de BRICS ou Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud et qu’elle ne se tiendrait, en tout cas, pas en Afrique du Sud. C’est donc un bon début.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins de leur présence.
J’ai deux questions, qui s’adressent à la fois au général Trinquand et à l’ambassadrice Buck. Je m’intéresse à la solidarité européenne par opposition à celle des pays du Sud. Je reviens à l’Europe. Je m’intéresse particulièrement à votre analyse des faiblesses potentielles de l’Europe en matière de solidarité avec l’Ukraine. J’aimerais savoir ce que vous en pensez, surtout pour l’avenir. Madame l’ambassadrice Buck, vous avez dit qu’il faudra un effort soutenu de la part de l’Occident. Bien sûr, les Européens sont au cœur du continent et de l’OTAN. Je ne parle même pas pour l’instant des États-Unis, mais plutôt de l’Europe. J’aimerais savoir si vous pensez qu’il y a des faiblesses potentielles au sein de la coalition et des intérêts européens à l’OTAN.
Mme Buck : L’OTAN fonctionne par consensus absolu, alors ce qui se passe à l’OTAN reste à l’OTAN jusqu’à ce qu’il y ait consensus, un peu comme pour ce qui se passe à Fort Lauderdale pendant la semaine de relâche.
Lorsque j’étais là-bas après 2014, ce consensus a été atteint pour condamner l’invasion de la Crimée par la Russie en 2014. Ce n’était pas un consensus instantané. Il a fallu environ un an de négociation. Nous avons condamné l’invasion très tôt. C’était une condamnation instantanée. Mais il faut comprendre que nous avons dû renforcer la dissuasion de l’OTAN sur le flanc est, et il a fallu pour cela négocier pendant environ un an. C’est parce que certains pays se concentraient davantage sur leurs voisins, c’est-à-dire la partie sud de l’alliance, et n’étaient peut-être pas aussi directement concernés que les pays baltes, par exemple, en 2014. Votre action dépend en partie de la menace que vous percevez.
Maintenant, depuis l’invasion d’il y a un an et demi, cette menace est beaucoup plus visible. La condamnation est très ferme à cet égard. La réponse de l’OTAN a été vraiment très bonne et assez cohérente, mais il y a des alliés de l’OTAN qui vont poser des problèmes. Je vais nommer la Hongrie publiquement parce que c’est clair. C’est en partie parce que ce pays a de petits problèmes transfrontaliers avec l’Ukraine, des problèmes de droits des minorités. Je le dis parce que cela a été rendu public avant qu’ils ne retardent les réunions de la Commission OTAN-Ukraine et ce genre de choses. Je pense qu’il y aurait lieu d’exercer une certaine pression sur la Hongrie. Je remarque qu’il y a certains types de liens politiques qu’il serait intéressant d’utiliser au-delà de la diplomatie, pour essayer de faire pression sur la Hongrie, par exemple, pour qu’elle maintienne la ligne de l’OTAN en ce qui concerne le soutien à l’Ukraine.
Le deuxième point faible potentiel est l’élection américaine de 2024. Je ne sais pas ce qu’entend le candidat Trump lorsqu’il dit qu’il pourrait mettre fin très rapidement à la guerre en Ukraine. Je crains qu’il ne veuille simplement dire qu’il mettrait fin à l’appui des Américains. L’Amérique est l’épine dorsale de l’OTAN. Que se passerait-il alors? Je suis convaincue que le président Poutine a décidé d’aller en Ukraine à fond parce qu’il pensait que l’Occident était faible. Comme l’a dit le général Trinquand, il pensait que l’Ouest ne réagirait pas. C’est en partie parce que le président Trump a réduit l’alliance et qu’il a été beaucoup plus amical que tout autre dirigeant américain ne l’avait jamais été envers le président Poutine. Si l’ancien président Trump ou un dirigeant sympathique à Trump entre en fonction en 2024, je m’inquiète beaucoup de ce qui pourrait arriver.
Sur cette note positive, je vais m’arrêter.
[Français]
Gén Trinquand : Je voulais dire un petit mot sur l’Europe, parce que l’OTAN, ce n’est pas vraiment l’Europe, c’est l’Europe plus les États-Unis.
Je voudrais simplement rappeler que l’Europe m’a beaucoup impressionné par ses réactions. Lorsqu’on parle des problèmes avec la Hongrie, la Hongrie a toujours voté toutes les décisions prises, alors cela ne se passe pas sans discussion.
Chaque fois, l’ensemble de l’Union européenne prend les décisions. Ce sont 27 pays qui prennent les décisions et, en particulier, ils ont pris des décisions extrêmement rapides, ce qui a surpris tout le monde. Tout le monde s’attendait à ce que l’Europe ait des difficultés et elle prend chaque fois des décisions très rapidement, et ce, à 27 pays.
[Traduction]
La sénatrice R. Patterson : Ma question s’adresse à M. Lanoszka et peut-être au général Trinquand. Elle concerne d’autres États qui entourent l’Ukraine. Nous avons parlé de l’Europe, de l’Ukraine et de la Chine, mais nous devons parler du Bélarus. C’est en train de devenir l’État par procuration, une gouvernance autocratique à laquelle on pourrait confier des armes nucléaires. Nous savons que les alliés de la Russie ont tendance à faire des crises cardiaques, ce qui crée un vide de pouvoir, surtout si nos prédictions se réalisent en ce qui concerne la capacité de la Russie de soutenir le combat en Ukraine. Je suis très intéressée par votre point de vue à tous les deux. Comment l’OTAN et nous-mêmes considérons-nous des endroits comme le Bélarus, surtout à mesure que la guerre progresse? L’autre État qui présente certainement un risque, c’est la Moldova, et c’est elle qui est le substitut en attente de la Russie. J’aimerais savoir ce que vous pensez de l’avenir.
M. Lanoszka : Je suis plus à l’aise de parler du Bélarus que de la Moldova.
Je pense qu’il y a une tendance erronée à considérer le Bélarus simplement comme un substitut de la Russie, en ce sens qu’il n’a aucune capacité d’agir dans la façon dont il mène sa politique de défense étrangère. Ce point de vue a été bien résumé par un sénateur américain quand il a dit que Loukachenko devait obtenir l’approbation de Poutine pour aller aux toilettes.
En fait, les événements de la dernière année ont montré qu’en fait, Loukachenko peut manœuvrer d’une façon qui ne correspond pas nécessairement aux préférences de Poutine. Nous le voyons clairement dans le refus du Bélarus de participer aux opérations terrestres en Ukraine. Oui, le Bélarus est un lieu de rassemblement pour de multiples formes d’attaques contre l’Ukraine. Oui, des entraînements s’y déroulent, et oui, une certaine aide militaire est fournie aux forces armées russes par le Bélarus.
Loukachenko a toutefois beaucoup à perdre en élargissant la participation de son pays, notamment parce que la guerre, selon certaines enquêtes menées par Chatham House, par exemple, a montré que les répondants bélarussiens n’appuient pas du tout l’effort de guerre, que le régime marche sur des œufs depuis les élections frauduleuses d’août 2020 et que les activités partisanes qui ont été observées touchant les réseaux ferroviaires et d’autres parties des chaînes logistiques d’approvisionnement qui passent par le Bélarus demeurent également menacées par ces réseaux partisans.
Je pense que nous devrions voir le Bélarus comme un acteur à part entière. Le pays est entre l’arbre et l’écorce. Évidemment, je n’ai aucune sympathie pour le président Loukachenko. J’ai de la difficulté à croire qu’il est dans l’intérêt de Poutine de déloger Loukachenko, justement parce que cela pourrait envoyer une dynamique du matériel roulant qui pourrait être très difficile à contrôler pour lui. En fait, il a déjà entamé ce processus en Ukraine, et voyez où cela l’a mené. Je pense que Loukachenko est la pire option, à l’exception de toutes les autres pour le moment. À certains égards, c’est une bonne nouvelle pour le président Loukachenko, malgré les problèmes qu’il a pu avoir depuis sa visite à Moscou il n’y a pas si longtemps.
[Français]
Le vice-président : J’aurais une question pour le Gén Trinquand. Général Trinquand, je suis toujours impressionné quand on fait le décompte du nombre de missiles que les Russes ont pu lancer en direction de l’Ukraine. Savez-vous si tous ces missiles sont de fabrication soviétique ou s’ils sont acquis auprès de fournisseurs extérieurs?
Gén Trinquand : Concernant les missiles, il s’agit de missiles soviétiques. Ce sont les drones qui viennent d’ailleurs, en particulier d’Iran, comme le drone de type Shahed. En fait, les frappes importantes qui tombent sur Kiev depuis quelques semaines sont toujours un mélange de ces drones Shahed et de missiles.
Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse encore au Gén Trinquand. Je voudrais vous questionner au sujet de l’intérieur de la Russie. Il y a des divergences assez marquées avec le chef de la milice Wagner. Vous l’avez dit, il y a des opérations militaires qui se font maintenant à l’intérieur de la Russie.
Quelle est votre perception quant à cette solidarité apparente du peuple russe ou des éléments autour de Poutine pour tenir longtemps? Quelle est votre perception quant à ce qui se passe à l’intérieur de la Russie?
Gén Trinquand : C’est une question très intéressante et extrêmement difficile. Je suis fréquemment sur des plateaux de télévision français avec des gens qui ont des connaissances extrêmement pointues sur le Kremlin, la Russie, etc. Personne n’est capable de répondre. La propagande russe depuis 25 ans a fait en sorte que les Russes ne disent rien. Je dis souvent que les frappes qui ont eu lieu sur Moscou, il y a quelques jours — 22 drones qui ont été envoyés sur Moscou —, avaient pour objet de dire aux Russes : « Sortez de la bulle dans laquelle vous êtes enfermés, dans laquelle vous croyez être en sécurité. » Ils disent que la guerre ne les concerne pas et qu’elle est loin. Elle les concerne.
Un de mes anciens élèves était professeur à Moscou au cours des deux derniers mois. Il me disait que les élèves qu’il rencontrait en tête à tête lui disaient volontiers que la guerre était absurde et qu’il ne fallait pas cette guerre. Dès qu’ils étaient à trois, ils arrêtaient d’en parler. La chape de plomb sur la population russe par rapport à notre perception à nous, qui avons l’habitude de la liberté de parole et d’expression, est extrêmement difficile à comprendre. Comment peuvent-ils rester enfermés dans cette bulle?
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Je veux simplement dire, madame Buck, que j’ai vraiment apprécié votre commentaire. Compte tenu de votre expérience au sein de l’OTAN, il a été extrêmement instructif de comprendre comment tout cela fonctionne.
J’aimerais revenir au général Trinquand et vous demander ce que vous pensez de la situation mondiale, des ambitions de la Chine et de la Russie et de la façon dont tout cela est lié à ce qui se passe actuellement en Ukraine.
[Français]
Gén Trinquand : Merci beaucoup. Je ne reviendrai pas sur la situation qui a été donnée concernant la position de la Chine relativement à la Russie et le fait que la Russie devient plus ou moins un vassal de la Chine.
Deux points sur la Chine : la Chine observe beaucoup ce qui se passe en Ukraine. Elle comprend qu’une opération militaire directe à Taïwan est impossible pour elle. Une opération militaire ne peut pas rater. Les détroits de 120 kilomètres, nous sommes le 6 juin, en France du moins, si vous voulez, l’opération du 6 juin est un marquant pour nous. Les Chinois savent très bien qu’ils ne peuvent pas faire la même chose à Taïwan. L’opération militaire est risquée, les Chinois ont compris.
Sur le plan géopolitique, j’ai participé à un think tank chinois la semaine dernière. J’ai été frappé par le fait que les Chinois étaient assez ignorants au sujet de nos opinions. Le directeur du think tank m’a dit : « Mais finalement, la Crimée, c’est russe. On ne voit pas très bien pourquoi l’Ukraine la reprendrait. » Je lui ai dit : « Monsieur, voulez-vous que je vous parle de Taïwan? » D’un seul coup, il s’est tu. Je lui ai dit : « Je peux vous parler de Kaliningrad aussi, c’est un sujet intéressant. » Il est devenu fermé. Il a compris que nous étions sur deux planètes différentes. Nous n’avons pas les mêmes référentiels en ce qui concerne l’application des accords internationaux.
[Traduction]
La sénatrice R. Patterson : Ma question s’adresse à l’ambassadrice Buck. Nous savons que le président Poutine est l’une des personnes clés dans tout cela. Selon vous, quel est son potentiel pour obtenir le soutien durable du peuple russe? Nous commençons à entendre parler d’attaques internes, qu’il essaie de rejeter sur l’Ukraine. Tout cela provient de sources ouvertes. À votre avis, quelle sera sa longévité, surtout à mesure que les victimes commenceront à augmenter et que l’information sera diffusée dans le pays et qu’on commencera à en voir les répercussions? Merci.
Mme Buck : C’est la question à 6 millions de dollars.
On ne peut pas faire confiance aux sondages russes. Nous avons déjà entendu quelques exemples montrant à quel point il est dangereux de répondre de la mauvaise façon.
Le président Poutine fait certains gestes qui vont ébranler ses appuis. Il prend beaucoup de soldats — pas techniquement des conscrits, mais presque — des régions de minorités ethniques et pas tellement de Moscou. À un moment donné, je me demande s’il ne risque pas de trop puiser dans ces régions. Alors que les sacs mortuaires et les jeunes hommes blessés commencent à rentrer chez eux, Poutine ne peut pas se permettre de vivre des troubles dans ces régions. Pensez à la Tchétchénie. Les résultats de la guerre peuvent commencer à provoquer une certaine division ou une érosion des appuis.
L’autre observation que je ferai, c’est que le peuple russe a l’habitude d’endurer beaucoup de choses et de vivre sous une succession de dirigeants autocratiques, alors il ne s’attend pas à avoir confiance en l’État. Il en faut beaucoup pour que le peuple se soulève. Je pense donc qu’il sera là pendant un certain temps. Vraiment.
Je m’inquiète beaucoup de ce qui pourrait se passer après, parce que, comme vous l’avez dit, il a empoisonné, défenestré — si je peux m’exprimer ainsi — et a maquillé en suicide le meurtre d’un si grand nombre de ses successeurs éventuels — la politique de la terre brûlée — que je ne sais pas à quoi pourrait ressembler sa relève. Non pas que la situation est gérable sous Poutine, mais je ne pense pas que ce sera nécessairement mieux après.
[Français]
Le vice-président : Cela nous amène à la fin de notre panel. Je remercie Mme l’ambassadrice Buck, le Gén Trinquand et M. le professeur Lanoszka d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd’hui. Nous sommes reconnaissants de votre volonté de partager votre expertise.
Passons maintenant à notre dernier panel de la réunion d’aujourd’hui. Nous aurons un aperçu de la situation actuelle en Ukraine. Nous avons à nouveau une belle série de témoins devant nous et je leur souhaite la bienvenue. D’Affaires mondiales Canada, Alison Grant, directrice générale, Relations de sécurité et de défense; Kati Csaba, directrice générale, Bureau de l’Ukraine; du ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes, le Mgén Paul Prévost, directeur de l’état-major, État-major interarmées stratégique. Je vous remercie de votre présence.
Nous commencerons ce panel avec le Mgén Prévost; la parole est à vous.
Major-général Paul Prévost, directeur de l’état-major, État-major interarmées stratégique, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Monsieur le président, chers membres du comité, je vous remercie de l’occasion de vous fournir une mise à jour sur la situation en Ukraine.
Comme vous l’avez dit, je suis le Mgén Paul Prévost, directeur de l’état-major interarmées au quartier général de la Défense.
Mon rôle est de fournir un soutien décisionnel au chef d’état‑major de la Défense, le Gén Eyre, en tout ce qui concerne les opérations des Forces canadiennes, la stratégie, la planification opérationnelle, ainsi que le soutien logistique d’un point de vue stratégique.
[Traduction]
Aujourd’hui, je suis accompagné de mes collègues d’Affaires mondiales Canada et, ensemble, nous tenterons de répondre à vos questions concernant cette terrible crise qui se déroule devant nous.
Mais d’abord, permettez-moi de commencer par quelques remarques préliminaires où je parlerai brièvement de l’évolution de la situation sur le terrain au cours de la dernière année. Je ferai ensuite le point sur ce que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes ont fait jusqu’à maintenant et vous ferai part de considérations pour l’avenir.
Comme vous vous en souviendrez, l’invasion injuste et non provoquée de l’Ukraine par Vladimir Poutine a rapidement échoué à atteindre ses objectifs et s’est transformée en une guerre d’usure acharnée. Les Forces de sécurité de l’Ukraine ont fait preuve d’une capacité d’adaptation et d’une détermination impressionnantes pour contrer les avancées russes et reconquérir leur territoire souverain.
Comme je l’ai mentionné lors de notre rencontre en juin de l’année dernière, à partir d’avril 2022, les Forces de sécurité de l’Ukraine ont mené une série de contre-offensives qui ont libéré le nord de l’Ukraine et poussé la ligne de contact vers les oblasts de Donetsk et de Louhansk à l’est, et vers le fleuve Dniepr dans l’oblast de Kherson au sud-est, où la ligne de contact s’est depuis stabilisée, malgré les tentatives d’offensives russes au début de 2023. Depuis lors, les combats les plus intenses ont eu lieu autour de Bakhmout, mais des combats similaires ont été observés le long de la ligne de contact.
Après la stabilisation de la ligne de contact en novembre, les deux parties ont lancé des programmes visant à reconstituer et à mobiliser de nouvelles forces pour les phases futures des combats. Cette période du conflit armé a également vu la Russie lancer une campagne aérienne contre l’infrastructure civile ukrainienne afin d’affaiblir la détermination du peuple ukrainien. Le soutien multinational dirigé par l’Occident face à ces développements a été essentiel pour la résilience continue de l’Ukraine au cours de cette phase.
[Français]
Le soutien multinational s’est regroupé sous la direction du Security Assistance Group-Ukraine (SAG-U) dirigé par les États-Unis, officiellement établi en novembre 2022 à Wiesbaden, en Allemagne. Le Canada a maintenu une représentation à ce quartier général en Allemagne depuis le début.
Ce groupe existe pour coordonner l’équipement et l’instruction à court et à long terme des forces de sécurité de l’Ukraine. La fourniture d’armes et de munitions de l’ère soviétique, ainsi que de systèmes occidentaux avancés et de munitions connexes, telles que l’artillerie de 155 mm, de systèmes de roquettes d’artillerie à grande mobilité HIMARS et les systèmes de défense aérienne, a été cruciale pour la défense de l’Ukraine.
Les alliés et les partenaires ont mis en place des mécanismes de coordination pour consolider et prioriser les besoins ukrainiens. Les Forces armées canadiennes ont apporté une contribution considérable à cet effort en matière de matériel et d’instruction dans le cadre de l’opération Unifier, la mission d’instruction et de renforcement des capacités militaires du Canada à l’appui de l’Ukraine.
[Traduction]
Depuis février 2022, le Canada s’est engagé à verser plus de 1 milliard de dollars en dons d’aide militaire à l’Ukraine. Cet engagement comprend les dons provenant des stocks des FAC et les achats d’équipement auprès de l’industrie canadienne et des alliés. Certains des principaux équipements donnés à ce jour comprennent des chars de combat principaux Leopard 2 et un véhicule blindé de dépannage, des canons d’artillerie M777 et 40 000 munitions d’artillerie, des missiles de défense aérienne pour les systèmes ukrainiens existants, des véhicules blindés de modèle commercial, des véhicules blindés d’appui tactique, des caméras de drones, des armes légères et des munitions, et de l’aide non létale comme de l’équipement de protection, des vêtements d’hiver et des emballages de repas individuels. Nous sommes également en train de fournir un système de défense aérienne NASAMS avec des missiles associés.
[Français]
À l’appui des dons d’aide militaire canadiens et multinationaux à l’Ukraine, les Forces armées canadiennes ont déployé un détachement aérien composé de trois aéronefs CC-130H Hercules.
Depuis le 28 février 2022, le détachement aérien a effectué plus de 388 missions fournissant plus de 9,8 millions de livres, soit 4,5 millions de kilogrammes d’aide militaire à l’Ukraine. Ce sont des dons faits par d’autres nations que le Canada aide à transporter vers l’Ukraine.
[Traduction]
En ce qui concerne les contributions à l’instruction et la formation, le Canada était déjà bien établi en tant que pays contributeur pour l’aide militaire à l’Ukraine avant l’invasion de 2022, ayant formé plus de 33 000 soldats ukrainiens de 2015 à 2022.
[Français]
Bien que l’opération Unifier ait été suspendue immédiatement avant et après l’invasion à grande échelle de la Russie en 2022, les Forces armées canadiennes ont agi rapidement pour rétablir les opérations de la mission ailleurs en Europe. Depuis la reprise de l’opération Unifier, en avril 2022, les Forces armées canadiennes ont formé plus de 3 000 membres des forces de sécurité de l’Ukraine. À l’heure actuelle, plus de 300 membres des Forces armées canadiennes sont déployés à l’étranger pour former et soutenir les Ukrainiens dans le cadre de l’opération Unifier.
[Traduction]
Depuis l’invasion, plus de 3 000 membres des forces de sécurité ukrainiennes ont été formés par notre contingent depuis que nous avons relancé nos efforts en la matière.
L’aide militaire canadienne et multinationale a considérablement amélioré les capacités défensives de l’Ukraine, fournissant à l’Ukraine un soutien indispensable pour défendre sa souveraineté. Une offensive ukrainienne très attendue devrait inaugurer une nouvelle phase de ce conflit armé difficile. Et bien qu’il y ait des raisons d’espérer, le conflit armé continuera probablement de se prolonger, ce qui obligera le Canada à demeurer inébranlable dans sa coopération avec ses partenaires internationaux et ses alliés afin de fournir à l’Ukraine le soutien dont elle a besoin aujourd’hui et à l’avenir.
[Français]
Nous avons beaucoup fait pour aider l’Ukraine depuis le début du conflit armé, et le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes poursuivra son travail intensif et important afin d’aider l’Ukraine du mieux que nous le puissions. Afin d’assurer le maintien de l’ordre international fondé sur des règles, qui sous-tend la stabilité mondiale depuis des générations, nous devons continuer à soutenir l’Ukraine alors qu’elle lutte contre l’une des plus grandes menaces à la paix et à la sécurité internationales de notre époque.
Je vous remercie. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci beaucoup, major-général Prévost.
Je crois savoir que Mme Kati Csaba va faire une présentation au nom d’Affaires mondiales Canada.
Madame Csaba, vous pouvez commencer quand vous serez prête.
[Traduction]
Kati Csaba, directrice exécutive, Direction générale de l’Ukraine, Affaires mondiales Canada : Bonsoir, mesdames et messieurs les membres du comité. Mon collègue de la Défense nationale a fait le point sur la situation vue du champ de bataille et sur l’opération Unifier, et je vais tâcher de vous informer d’autres enjeux cruciaux touchant l’Ukraine.
Les attaques de la Russie contre les civils et les infrastructures civiles se poursuivent. Il s’agit d’une guerre existentielle; l’Ukraine se bat pour sa survie. Le courage, la résilience et les aspirations démocratiques des Ukrainiens continuent de résonner chez les Canadiens.
Le Canada a réagi en offrant un soutien sans précédent. Depuis l’invasion, nous avons engagé plus de 8 milliards de dollars en soutien militaire, financier, humanitaire, en aide au développement, à la stabilisation et à l’immigration. Les objectifs du Canada sont de renforcer la sécurité, la résilience et la stabilité à long terme de l’Ukraine tout en imposant de lourds coûts à la Russie.
[Français]
Parmi les nombreux échanges de haut niveau entre nos deux pays, le Canada a accueilli en avril le premier ministre Denys Shmyhal, pour une visite qui s’est concentrée sur le renforcement de la sécurité, de la résilience et du rétablissement de l’Ukraine et sa prospérité.
La visite a été marquée par deux accords bilatéraux renforçant notre partenariat dans la perspective d’un avenir stable. Ces accords comprennent l’Accord de libre-échange Canada-Ukraine sur la mobilité des jeunes et une déclaration signalant la conclusion des négociations de fond sur la modernisation de l’Accord de libre-échange Canada-Ukraine.
Le rétablissement et la reconstruction de l’Ukraine demeurent un objectif essentiel pour la communauté internationale. L’agression de la Russie a entraîné le déplacement de millions de personnes, tué ou blessé des dizaines de milliers d’autres, détruit ou gravement endommagé les infrastructures civiles, les terres agricoles, les systèmes énergétiques, les écoles, les hôpitaux et les habitations de l’Ukraine. La deuxième évaluation rapide des dommages et des besoins en Ukraine a permis d’estimer les besoins de reconstruction au 23 mars 2023 à plus de 411 milliards de dollars américains.
[Traduction]
L’Ukraine Recovery Conference de cette année, organisée conjointement par le Royaume-Uni et l’Ukraine à la fin du mois de juin, réunira la communauté internationale pour soutenir une Ukraine plus moderne, plus ouverte et plus résiliente. Des hauts fonctionnaires canadiens y assisteront, de même que des dirigeants du secteur privé. La conférence de cette année visera à renforcer le rôle du secteur privé afin de mobiliser les investissements nécessaires. Dans le cadre de ces efforts, la conférence se concentrera sur les catalyseurs de l’investissement pour renforcer le climat des affaires en Ukraine, y compris la stabilité macroéconomique, l’assurance contre les risques de guerre, les réformes de la gouvernance, le financement des banques de développement et les possibilités d’investissement visibles.
Parallèlement, l’Ukraine s’est engagée à continuer les réformes, à poursuivre le processus d’adhésion à l’Union européenne et à l’OCDE et à veiller à ce que sa reconstruction soit transparente et responsable, tant envers les donateurs qu’envers les Ukrainiens. L’Ukraine poursuit ses réformes de décentralisation, en sollicitant les collectivités pour l’établissement des priorités pour la reconstruction et en leur donnant les moyens de gérer leur propre reprise. Le gouvernement s’est fixé des échéances ambitieuses, et les progrès ne sont peut-être pas constants, mais l’Ukraine a fait preuve d’un élan fort en peu de temps.
[Français]
Par exemple, l’Ukraine a obtenu des avancées en matière d’égalité entre les sexes. Elle met également l’accent de plus en plus sur la santé mentale et cherche à combattre la violence sexuelle et fondée sur le genre.
Dans son projet de réforme, l’Ukraine fait un réel effort pour cibler non seulement ce qui sera nécessaire aujourd’hui, mais aussi les besoins d’un pays d’après-guerre. Le Canada compte l’accompagner sur ce chemin.
[Traduction]
La récente couverture médiatique des scandales de corruption en Ukraine souligne à quel point la transparence et la responsabilité sont essentielles pour assurer l’avenir de l’Ukraine. Nous continuons d’exhorter l’Ukraine à approfondir les réformes de lutte contre la corruption et à renforcer les institutions et les systèmes de gouvernance. Les scandales continueront peut-être de faire surface, mais ces événements démontrent la force des institutions de lutte contre la corruption de l’Ukraine, même en temps de guerre. Les investissements du Canada et d’autres donateurs dans la lutte contre la corruption, dans la primauté du droit et dans les institutions de gouvernance portent leurs fruits, mais il faudra continuer de veiller à ce qu’un règlement de paix juste et global tienne réellement.
[Français]
La conclusion des négociations pour la modernisation de l’Accord de libre-échange Canada-Ukraine témoigne clairement du soutien sans équivoque du Canada. Le Canada et l’Ukraine ont conclu un accord de haut niveau qui sera utile à la reprise économique à long terme de l’Ukraine et à ses intérêts en matière de politique commerciale internationale.
Les représentants canadiens et ukrainiens ont ajouté de nouveaux chapitres consacrés aux services, à l’investissement, aux services financiers et au commerce inclusif. Ils ont également amélioré les chapitres existants sur le commerce numérique, le travail, l’environnement, la transparence et la lutte contre la corruption.
[Traduction]
Passons maintenant à la paix. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de pourparlers de paix connus entre Moscou et Kiev, et chacun a exclu un cessez-le-feu pour l’instant. Cependant, nous devons continuer de rechercher une paix juste et durable en Ukraine. Comme vous le savez, le président Zelenski a lancé une formule de paix en 10 points lors du dernier sommet du G20. Le Canada et le G7 appuient la formule de l’Ukraine tandis qu’elle continue d’évoluer vers une approche qui place celle-ci au premier plan des discussions sur la paix. Cette formule peut être largement appuyée par les pays du Sud et elle est fondée sur des principes conformes à la Charte des Nations unies.
D’autres acteurs ont également commencé à présenter leurs idées. Cependant, peu partent du principe que la Russie doit d’abord retirer ses forces militaires de l’Ukraine. Parmi ceux-ci, la Chine, le Brésil, le Saint-Siège et, plus récemment, une délégation de chefs d’État de six pays africains ont formulé des propositions pour mettre fin à cette guerre.
[Français]
Le Canada, ainsi que ses partenaires du G7, est favorable à un plan élaboré en Ukraine et collabore avec ses alliés pour apporter un soutien à l’Ukraine afin d’en assurer le succès.
[Traduction]
L’agression de la Russie ne doit pas être tolérée ni imitée. Nous continuerons de travailler avec l’Ukraine et avec le G7, l’OTAN et d’autres partenaires et alliés dans le cadre de plusieurs types d’efforts : sanctions, enquêtes judiciaires, saisie et confiscation de biens et lutte contre la désinformation. Soutenir l’Ukraine et tenir la Russie responsable sont des investissements dans la stabilité mondiale, la démocratie et la responsabilisation. Le Canada continuera d’appuyer l’Ukraine et les Ukrainiens.
Je vous remercie de votre attention.
[Français]
Le vice-président : Je vous remercie de votre témoignage, madame Csaba. Nous passons maintenant à la période de questions. Comme nous l’avons fait pendant les panels précédents, nous ferons de notre mieux pour qu’au moins un membre de chaque groupe puisse poser des questions.
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Ma question s’adresse au Mgén Prévost. Le premier ministre canadien a confirmé il y a quelques semaines que le Canada n’atteindrait pas la cible de 2 % pour sa contribution à l’OTAN. Est-ce que cet engagement du premier ministre à ne pas atteindre cette cible handicapera les Forces armées canadiennes à soutenir adéquatement la guerre en Ukraine?
Mgén Prévost : Évidemment, la manière dont les Forces armées canadiennes soutiennent l’Ukraine s’appuie sur l’équipement qu’on donne aux Ukrainiens. Cela est fait selon deux mécanismes. Tout d’abord, celui de l’équipement qu’on a déjà en surplus dans les Forces armées canadiennes et dont on n’a pas besoin nous-mêmes. Je peux vous donner quelques exemples. Il y a la question des missiles de défense aérienne qu’on a donnés; c’est du matériel dont on n’a pas besoin dans les Forces armées canadiennes. Ensuite, il y a d’autre matériel qu’on donne qui est dans notre inventaire effectif et dont on a besoin; il s’agit d’atteindre un équilibre — ce que le Canada et les alliés font aussi — entre ce qu’on peut se permettre de donner à l’Ukraine et ce qu’on doit garder en notre possession pour nos propres besoins.
Le sénateur Boisvenu : Parmi les dépenses que le Canada fera au cours des 30 prochaines années, il y a les F-35 qui n’iront pas se battre en Ukraine, il y aura NORAD pour protéger l’Arctique et il y aura les navires. À part cela, il n’y a pas d’autres engagements financiers en ce qui concerne les Forces armées canadiennes.
Outre les équipements qu’on a fournis ou desquels on s’est délestés pour l’Ukraine, quels autres engagements prend-on pour soutenir l’Ukraine? C’est une guerre qui risque d’être longue si on n’investit pas plus qu’on le fait aujourd’hui.
Mgén Prévost : Le ministre de la Défense nationale soumettra au gouvernement la mise à jour de la politique de la défense qui sera présentée au gouvernement dans les mois à venir. Il y a plusieurs options dans la mise à jour de la politique de la défense et ce sera au gouvernement de prendre une décision, à savoir à quel niveau les Forces armées canadiennes seront capitalisées.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : J’aimerais vous poser une question que j’ai posée à nos témoins précédents. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions sur la façon dont cette guerre s’inscrit dans les grands changements mondiaux, les changements géopolitiques et les défis posés par la Russie et la Chine, et pouvez-vous nous dire un mot des intentions de ces deux pays? Je pense à ce qui se passe en Inde et en Afrique, à la façon dont la Russie et la Chine s’y installent et à ce qui se passe à Cuba et à Taïwan. Qu’en pensez-vous et comment vous préparez-vous à relever le défi que nous lancent ces deux grandes puissances pour l’avenir? Vous pourriez peut-être tous les deux nous répondre, du point de vue de la diplomatie et de celui des forces armées.
Mgén Prévost : C’est une question très vaste dont nous pourrions débattre pendant de nombreuses heures, j’en suis sûr. Kati Csaba ou Alison Grant veulent peut-être commencer.
Alison Grant, directrice exécutive, Relations de sécurité et de défense, Affaires mondiales Canada : Honorables sénateurs, c’est un plaisir d’être parmi vous ce soir.
Sénateur, c’est une excellente question. Nous y réfléchissons tous les jours dans le cadre de notre travail à Affaires mondiales Canada. Je suis la directrice des Relations de sécurité et de défense, je suis donc bien placée pour vous répondre. Bon nombre des changements dont vous parlez sont attribuables à une concurrence stratégique accrue, mais aussi à ce que nous voyons comme étant de la part de nos adversaires des perturbations majeures du système international et des contestations frontales de l’ordre international fondé sur des règles que nous avons mis des décennies à bâtir.
Je pense que la guerre en Ukraine en est une illustration directe. Nous avons vu la Russie violer complètement le droit international, abroger la Charte des Nations unies et elle doit rendre des comptes. Je pourrais répondre à de nombreux points, mais je pense que l’idée de la responsabilité est très importante, compte tenu des changements apportés au système international. Lorsqu’un pays comme la Russie, qui est membre permanent du Conseil de sécurité, a violé de façon aussi flagrante non seulement les règles, mais aussi le droit international et la Charte des Nations unies, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour exiger qu’il rende des comptes. Nous le faisons par un certain nombre de moyens légaux, c’est-à-dire que nous travaillons avec d’autres pays pour trouver des mécanismes juridiques permettant d’amener la Russie à rendre des comptes, mais aussi par notre soutien à l’Ukraine pour qu’elle puisse se défendre conformément à ses propres droits en vertu de la Charte des Nations unies.
Voilà ma réponse brève à une question très pertinente. Je vais demander à mes collègues s’ils ont quelque chose à ajouter.
Mme Csaba : Pour ajouter quelques réflexions à celles de ma collègue, le rôle que la Russie jouera à l’avenir est une autre question existentielle que nous devons examiner. Ce pays restera notre voisin circumpolaire. Nous devrons poursuivre le dialogue avec la Russie sur certaines questions qui sont importantes pour le Canada et pour notre prospérité et notre sécurité futures. Il n’y a pas de réponse facile quant au rôle que pourrait jouer la Russie à cet égard, mais nous devons garder cela à l’esprit lorsque nous planifions la nature de notre réaction.
J’aimerais également souligner que l’impact de cette crise sur les pays du Sud a été frappant. L’inflation a augmenté et les pressions alimentaires se sont aggravées et ainsi de suite. Nous devons également réfléchir à la façon dont nous continuons de collaborer avec les pays du Sud. On sait que la Russie et la Chine profitent de cette situation pour répandre leur désinformation afin de faire des percées sur d’autres continents. Nous savons que la Russie est aussi observée de très près par d’autres dirigeants despotiques qui s’intéressent au genre d’invasion que la Russie a menée pour voir s’ils pourraient s’en inspirer, et c’est pourquoi il est si important que nous ne laissions pas la Russie gagner.
Le sénateur Cardozo : Avez-vous des commentaires à faire sur l’incident survenu dans le détroit de Taïwan, par exemple, au cours des derniers jours?
Mgén Prévost : C’est un bon corollaire à ce dont mes collègues ont parlé. Si nous sommes présents dans le détroit de Taïwan, c’est parce que nous avons dû passer du sud au nord. Le détroit de Taïwan est un détroit international dans lequel nous avons le droit de naviguer. Notre présence là-bas est conforme à la loi, et nous nous conformions à la loi. La réaction de la Chine à cette situation illustre ce dont Alison Grant et Kati Csaba ont parlé, à savoir que nos concurrents stratégiques ne sont pas satisfaits de l’ordre international fondé sur des règles et qu’ils essaient de changer ces règles à l’avenir. C’est notre rôle de nous assurer de maintenir le climat de sécurité dans lequel nous vivons depuis 60 ou 75 ans.
La sénatrice Dasko : Merci d’être ici et de nous éclairer sur la situation.
Mes questions s’adressent à Mme Csaba et à Mme Grant. Lorsque l’ambassadrice de l’Ukraine était ici tout à l’heure, elle exhortait le Canada à expulser les diplomates russes. Pourriez‑vous nous dire où vous en êtes et ce que le gouvernement en pense? Quels sont les facteurs à prendre en considération?
Mme Csaba : C’est une question qui intéresse beaucoup de gens. Nous comprenons qu’il est important de maintenir un lien suffisant pour que nous puissions dialoguer, au besoin, avec nos collègues russes, alors nous continuons d’utiliser l’ambassade russe au Canada pour transmettre un certain nombre de messages. Nous avons eu l’occasion d’appeler l’ambassadeur de Russie pour lui parler très fermement de certaines des actions de la Russie, tout comme nous utilisons notre ambassade à Moscou pour transmettre certains messages. De notre point de vue, ce sont des voies de communication importantes. En même temps, toute activité entreprise par des diplomates russes qui ne correspond pas à leur rôle entraînera l’expulsion.
La sénatrice Dasko : Il faudrait donc qu’ils fassent quelque chose à titre individuel pour que nous les expulsions. Est-ce ainsi que cela fonctionne?
Mme Csaba : En termes généraux, oui. Il faudrait qu’ils se comportent de façon inappropriée et contraire à la Convention de Vienne, et cela peut comprendre diverses actions.
La sénatrice Dasko : En les expulsant, nous perdrions quelque chose.
Mme Csaba : Eh bien, nous pourrions perdre quelque chose, mais en même temps, tant que les deux ambassades demeureront ouvertes, nous continuerons d’avoir des voies de communication.
La sénatrice Dasko : Merci.
Vous avez souligné que nous disposons d’un certain nombre d’outils — juridiques et autres. Vous avez parlé de saisies d’actifs, mais nous avons maintenant la possibilité de les réattribuer. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Certains pensent que le Canada n’est peut-être pas aussi agressif qu’il pourrait l’être maintenant que nous disposons de ce merveilleux outil juridique que nous n’avions pas auparavant. Pouvez-vous également nous parler des projets et des possibilités concernant l’utilisation de ce nouvel outil?
Mme Csaba : Merci. En effet nous avons ces outils à notre disposition, et le Canada est fier d’être le premier pays du G7 à avoir mis en place une loi sur la saisie et la confiscation qui nous permet d’aller de l’avant. Comme vous le savez, un premier cas est déjà en cours.
Je dirais que le processus est très complexe sur le plan juridique. Nous devons veiller à ce que toutes les mesures que nous prenons soient conformes aux lois canadiennes et ne permettent pas au destinataire de cette saisie de réagir d’une manière qui nous désavantagerait. De plus, comme nous sommes le premier pays à avoir adopté cette loi, nous voulons nous assurer que nos premiers recours à cette loi sont des exemples de réussite susceptibles de montrer à d’autres pays comment ils pourraient utiliser une législation semblable. C’est un processus lent et très minutieux que les avocats examinent à chaque étape pour s’assurer que ce que nous faisons nous maintiendra dans une position favorable et que nous respectons toutes les lois entourant cette question.
La sénatrice Dasko : Avez-vous identifié d’autres actifs russes au Canada en dehors de ceux sur lesquels vous avez pris des mesures? Y en a-t-il d’autres?
Mme Csaba : Il pourrait y en avoir, oui. Notre ministère, de concert avec d’autres ministères, continue d’explorer ce que pourraient être ces biens et comment nous pourrions choisir de les saisir, si c’est approprié. Il doit y avoir suffisamment de traces juridiques claires pour que nous puissions déterminer qu’il s’agit bien d’actifs russes.
J’aimerais également souligner que, compte tenu des sanctions que le Canada a imposées à la Russie dès le début de l’invasion de la Crimée, il n’y a pas beaucoup de biens russes au Canada en ce moment. Il y a d’autres pays où le nombre d’actifs est beaucoup plus élevé.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence.
Un engagement de 8 milliards de dollars dans cet effort, ce n’est pas rien, mais au fur et à mesure que la guerre se poursuivra, ce montant augmentera. Le Canada a répondu à la plupart des demandes de l’Ukraine jusqu’à maintenant. Cependant, il n’y a aucune perspective de fin dans cette guerre. Dans le contexte de la préparation aux efforts en cours, vous déterminez les secteurs dans lesquels nous devons investir sur le plan militaire, comme les avions de chasse et les munitions qui sont nécessaires sur le terrain. Bien sûr, les chars de combat seront à l’avant-garde. En même temps, il y a un nombre important d’Ukrainiens au Canada qui ont également besoin d’un soutien continu.
De façon plus générale, lorsque vous regardez ce que nous faisons, pensez-vous qu’il y a des domaines où notre pays pourrait intervenir et en faire davantage? Concernant l’équipement militaire, les Ukrainiens nous font beaucoup de demandes, et nous avons besoin de temps pour déterminer où nous pouvons trouver cet équipement s’ils en ont besoin à court terme, et nous pouvons le leur fournir en même temps.
Mon dernier point est que pour être efficace tout cela exige beaucoup de coordination, non seulement de notre part, mais aussi de la part de nos alliés partout dans le monde. En quoi consiste cet effort? Vous êtes en première ligne pour coordonner les choses au quotidien. Quelle est votre impression générale à ce sujet? À votre avis, sommes-nous forts et unis dans cet effort visant à soutenir l’Ukraine, à faire en sorte qu’elle gagne la guerre et à être présents pour l’aider à reconstruire le pays?
Mgén Prévost : Je vous remercie de la question.
Nous en avons fait beaucoup, mais nous devons continuer de le faire. Le Canada en a fait beaucoup. Nous nous classons parmi les principaux donateurs de matériel existant, mais nous sommes également en mesure de travailler avec l’industrie pour fournir ce que les Ukrainiens demandent.
Les besoins des Ukrainiens ont évolué depuis le début du conflit. Les dons que nous faisions au début sont différents de ceux d’aujourd’hui, ce qui explique pourquoi nous sommes passés de l’artillerie à la défense aérienne et que nous abordons maintenant la question des avions de chasse.
Les exigences de l’Ukraine continueront d’évoluer, et nous avons des liens très étroits avec les Ukrainiens pour identifier leurs besoins. Ils nous ont donné des listes. Nous validons ces listes entre alliés. Il s’agit d’un effort de la part du Canada, mais aussi d’un effort dans le cadre duquel les alliés se complètent selon leurs dotations et fournissent du matériel en conséquence.
Je pense que vous avez également abordé un sujet dont il est peu question. Nous devons poursuivre ces aides, et nous devons rester unis dans notre façon de le faire. Comme ce conflit s’installe dans la durée, nous entrons peut-être dans une nouvelle phase. Nous comprenons que comme le conflit se poursuit, nous devons rester unis pour aider l’Ukraine à gagner cette guerre. Ces exigences vont évoluer.
Vous avez entendu le chef d’état-major de la défense en parler, ainsi que notre ministre. L’industrie a un rôle à jouer, non seulement au Canada, mais partout dans le monde, au-delà de ce que le chef d’état-major a appelé le fait d’être sur le pied de guerre, pour prévoir ce dont les Ukrainiens auront besoin et ce dont l’Occident aura besoin à l’avenir. Je pense que tout le monde doit mettre la main à la pâte, non seulement dans notre quartier général, mais aussi avec nos alliés et avec l’industrie, pour être en mesure de fournir aux Ukrainiens ce dont ils auront besoin et ce dont nous aurons besoin à l’avenir.
Mme Csaba : J’aimerais ajouter que j’appuie entièrement les propos de mon collègue. Tous nos partenaires et alliés se coordonnent au sein de divers forums. Nous avons utilisé le G7 de façon très efficace, par exemple, pour coordonner l’aide apportée par ses membres à l’Ukraine et la façon dont nous réagissons à l’évolution de la situation. Une plateforme de coordination des donateurs a été établie et, je le répète, le Canada y siège à titre de membre du G7. Ces occasions nous permettent de vérifier que nous fournissons le soutien dont l’Ukraine a besoin, qu’il n’y a pas de doublons, que nous nous entraidons et que nous réaffirmons les mêmes messages de soutien à ce pays.
Mme Grant : J’allais ajouter quelque chose au sujet de la coordination de l’OTAN, parce que nous y faisons actuellement beaucoup de choses sur le plan politique et militaire. L’important, c’est la façon dont nous renforçons et maintenons le soutien que nous offrons à l’Ukraine. Comme le général l’a souligné, l’accent mis sur l’unité et la régularité vise à permettre à l’Ukraine de se défendre et de faire le nécessaire pour reprendre le territoire et le garder. C’est une priorité majeure. À l’heure actuelle, il se fait énormément de coordination au sein de l’OTAN à l’approche du sommet de l’Organisation qui se tiendra à Vilnius, en Lituanie, en juillet. Nous avons travaillé à un ensemble très important d’aides politiques et pratiques que nous pouvons offrir à l’Ukraine par l’entremise de l’OTAN. C’est selon nous un aspect clé de la coordination. Merci.
Le sénateur Oh : Merci, général, merci Alison Grant et Kati Csaba.
L’Ukraine est aux prises avec un grave problème de corruption. Nous avons beaucoup entendu parler des armes militaires qui sont apparues sur le marché noir en Afrique. Les États-Unis ont parlé d’améliorer la situation. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?
Mgén Prévost : Je vous remercie de la question.
Lorsque nous faisons des dons à l’Ukraine, nous vérifions que ces dons sont conformes au Traité sur le commerce des armes et que tous les aspects juridiques de ces dons sont examinés en détail. Nous concluons également une entente avec le gouvernement de l’Ukraine, c’est-à-dire une entente avec l’utilisateur final, pour nous assurer que les armes que nous donnons seront réellement utilisées aux fins du conflit en Ukraine. Nous respectons nos obligations à cet égard.
De plus, nous avons des mécanismes en place pour nous assurer que nos dons, qui partent du Canada ou que nous achetons auprès de l’industrie, et qui sont livrés au centre en Europe, parviennent effectivement jusqu’au gouvernement de l’Ukraine. Nous ne suivons pas tout ce qui se passe en Ukraine. Personne ne le peut, car c’est un conflit très dynamique, mais nous nous assurons que les armes que nous fournissons sont données de façon légale. Il existe une entente avec le gouvernement ukrainien qui garantit que ces armes sont intégrées à leur système militaire. Nous avons la preuve que ces armes entrent dans le système militaire ukrainien, et nous espérons qu’elles parviennent aux soldats auxquels elles sont destinées. Il y a des limites à ce que nous pouvons contrôler.
Mme Csaba : Il est vrai que récemment les médias ont révélé plusieurs scandales de corruption. Même si, d’une part, ils pointent du doigt certains systèmes enracinés, en même temps, ils sont le signe que les mesures de lutte contre la corruption qui sont en place commencent à fonctionner et permettent d’identifier les personnes impliquées à différents niveaux et de les retirer de leur poste. C’est un domaine dans lequel le Canada a beaucoup investi depuis près de 30 ans dans le cadre des réformes de la gouvernance et de la primauté du droit en Ukraine. Ce sujet reste très important. Certes, la situation n’est pas parfaite, mais nous sommes heureux de voir que ces systèmes de lutte contre la corruption produisent des effets.
Le sénateur Ravalia : Merci aux témoins d’être ici et merci, major-général, d’être au service de notre pays.
Pour revenir à la question du sénateur Yussuff, pouvez-vous nous parler de la capacité de l’OTAN de continuer à réapprovisionner l’armée ukrainienne et à lui fournir de nouvelles munitions face à un effort de guerre en perpétuelle augmentation? J’ai récemment assisté à une réunion de l’OTAN à Bruxelles au cours de laquelle ce sujet a été soulevé. Compte tenu de la forte demande, certains pays se sentaient vulnérables et ont exprimé des inquiétudes quant à leur propre capacité de se protéger, par exemple, ou à préserver l’intégrité de leurs propres frontières. De plus, estimez-vous que le retard dans l’adhésion de la Suède à l’OTAN a aussi une incidence sur cette question?
Mgén Prévost : Merci. Je vais répondre à la première partie de la question et laisser Alison Grant répondre à la deuxième.
C’est un défi en ce qui concerne la capacité de l’Occident de réapprovisionner l’Ukraine en armes et d’appuyer militairement ce pays. C’est une priorité pour nous tous, non seulement pour la Défense ici au Canada, mais aussi pour tous les alliés avec lesquels nous dialoguons. Nous n’en avons pas beaucoup parlé ici, mais la ministre de la Défense nationale rencontre ses homologues dans de nombreux pays, presque tous les mois, sous la présidence du secrétaire à la Défense des États-Unis, le général Austin. C’est un sujet qui revient régulièrement sur la table. Nous avons des tables de discussion à l’OTAN pour discuter de la façon de renforcer la capacité des pays occidentaux de produire des armes, non seulement pour réapprovisionner l’Ukraine, mais aussi pour reconstituer les stocks que nous avons donnés à l’Ukraine. C’est une priorité. Il s’agit d’une approche dans laquelle tout le monde met la main à la pâte pour galvaniser la capacité de notre industrie de la défense afin de nous assurer que nous sommes prêts pour l’avenir et pour soutenir l’effort de guerre là-bas. C’est une priorité pour tout le monde et nous y travaillons, mais ce n’est pas si simple.
La puissance militaire et la puissance industrielle des pays aux vues similaires sont nettement supérieures à ce que la Russie peut produire. Nous n’avons pas encore de boule de cristal, mais si vous faites une analyse comparative, nous avons probablement plus de capacité ici que la Russie. La Russie joue un jeu dangereux.
Le sénateur Ravalia : S’il est question de réapprovisionnement continu, sommes-nous arrivés à un point de bascule où, pour maintenir un ordre mondial fondé sur des règles, nous devons en quelque sorte passer à un semi-état de guerre en canalisant d’autres forces industrielles pour garantir que les munitions continuent d’être produites de façon à ce que l’Ukraine obtienne sa juste part?
Mgén Prévost : Oui. C’est ce que nous disons depuis déjà quelques mois, et nous travaillons fort avec l’industrie au Canada.
Il ne s’agit pas seulement de l’Ukraine, mais aussi de la capacité de production de l’industrie de la défense des pays occidentaux. Le monde devient de plus en plus complexe, non seulement en ce qui concerne l’Ukraine, non seulement vis-à-vis de la Russie, mais de façon générale. La situation n’est pas celle d’il y a 20 ans, et nous devons maintenant nous pencher sur ce sujet. C’est une question de dissuasion.
La sénatrice R. Patterson : Je vais entrer un peu plus dans le détail, et vous allez probablement tous les trois avoir un commentaire à formuler.
Comme nous le savons, il s’agit d’une guerre d’usure qui touche l’Ukraine et la Russie, mais nous nous soucions de l’Ukraine. Nous avons beaucoup parlé du matériel militaire qui est fourni. Je sais que le Comité des chefs des services de santé militaires au sein de l’OTAN, le COMEDS, s’est réuni pour essayer de moderniser le système médical ukrainien, qui sert à soigner les soldats. Qu’allons-nous faire maintenant du point de vue des dons canadiens, pour aider l’Ukraine à maintenir ce système de soins de santé, en particulier pour appuyer les forces combattantes?
Deuxièmement, dans le cadre du rétablissement à long terme de l’Ukraine après la victoire, nous savons que les conséquences pour la santé mentale de tous les Ukrainiens seront graves. L’ambassadrice a parlé de santé mentale. Pourriez-vous également nous parler un peu de la façon dont le Canada envisage sa participation à la reconstruction, à la santé mentale et au système de soins de santé en Ukraine? Bonne chance.
Mgén Prévost : Merci.
Je vais peut-être commencer par ce que nous faisons ici et maintenant pour appuyer les forces de sécurité de l’Ukraine. À l’heure actuelle, nous formons des techniciens médicaux en Pologne avec nos techniciens médicaux très compétents et le système que la sénatrice connaît très bien. Nous avons commencé il y a quelques mois, et cela continue. En fait, nous venons tout juste d’accroître notre soutien à l’Ukraine pour ce qui est de la capacité de former ses propres soldats afin qu’ils puissent fournir des premiers soins sur le terrain. C’est l’une des façons dont nous procédons actuellement. Nous sommes l’un des principaux contributeurs à ce titre. De plus, il y a des réunions militaires pour discuter de la gestion des pertes. Notre médecin‑chef participe à certaines de ces conversations en Europe à ce sujet. Le Canada a un rôle à jouer là-bas, tout comme il le faisait avant l’invasion.
Je sais qu’il y a encore beaucoup de choses à dire, peut-être que les représentantes d’Affaires mondiales voudront le faire, au sujet de la santé mentale et de ce que nous ferons à l’avenir.
Mme Csaba : Monsieur le président, je suis en mesure de parler de la santé mentale.
Nous savons que pour les Ukrainiens, c’est devenu une priorité très importante. Mme Zelenska, l’épouse du président, a mis en place un projet spécial pour soutenir la santé mentale des Ukrainiens, reconnaissant que chaque Ukrainien a été touché par ce conflit, y compris les enfants, les femmes, les soldats et les anciens combattants.
Nous avons déjà mis en place plusieurs initiatives de soutien dans ce domaine. Par exemple, nous finançons le Fonds des Nations unies pour la population afin de veiller à ce que les besoins en matière de services de santé sexuelle et génésique, y compris pour les victimes de violence sexuelle, soient comblés. Cela comprend non seulement le soutien en santé physique, mais aussi le soutien en santé mentale. Nous avons également d’autres initiatives, notamment par l’entremise du Fonds d’affectation spéciale pour la prévention des violences sexuelles commises en période de conflits de l’ONU, et il offre également des services holistiques. C’est un domaine dans lequel nous sommes déjà engagés. Nous continuons d’explorer les possibilités de soutien futur dans ce secteur. Merci.
[Français]
Le vice-président : Nous passons au deuxième tour et je vais poser une question qui s’adresse à Mme Csaba et une autre qui s’adresse au Mgén Prévost.
Madame Csaba, dans quelle mesure les Ukrainiens accueillis par le Canada depuis le début de la guerre, qui sont ici de façon permanente, ont-ils l’intention de retourner dans leur pays lorsque la paix sera revenue?
[Traduction]
Mme Csaba : Monsieur le président, oui, le Canada a été très généreux en accueillant des Ukrainiens au Canada dans le cadre du programme AVUCU qui a été géré par IRCC. Nous savons qu’un certain nombre d’Ukrainiens ont l’intention de retourner en Ukraine. En fait, il sera important pour les Ukrainiens de retourner en Ukraine pour participer à la reconstruction et au rétablissement de leur pays. Il y en aura peut-être d’autres, bien sûr, qui choisiront de rester au Canada. Le programme d’IRCC vise précisément à soutenir également ces derniers.
[Français]
Le vice-président : Merci beaucoup.
Major-général Prévost, je vous ai écouté attentivement. Au sujet des équipements que nous fournissons à l’Ukraine, on dit que l’aide est peut-être limitée. Vous avez envoyé de l’équipement que nous avions en trop, vous avez envoyé de l’équipement dont vous ne vous serviez pas et qui était déjà en stock. Cependant, combien de temps le Canada sera-t-il encore utile ou capable d’aider l’armée ukrainienne? Nous savons bien que la guerre ne se terminera pas demain matin.
Mgén Prévost : Merci pour la question. Nous allons continuer aussi longtemps que nous le pourrons. Comme je le disais un peu plus tôt, les besoins évoluent. Cela ne veut pas que dire que les Forces armées canadiennes ont terminé de vérifier dans les tiroirs. Comme le conflit évolue, chaque fois qu’il y a de nouvelles demandes, nous tentons de voir ce que nous pouvons fournir dans le cadre du conflit, plutôt que d’envoyer tout ce que nous pouvons envoyer aujourd’hui. C’est vraiment fondé sur les besoins des Ukrainiens.
Pensons aux chars d’assaut que nous avons envoyés, il n’était pas question au début du conflit de chars d’assaut, mais, en raison de la préparation d’une contre-offensive, la demande en matière de chars d’assaut est arrivée, nous avons examiné ce que nous pouvions faire à ce sujet et nous avons donné des chars d’assaut. Il n’est pas dit que le conflit pourrait évoluer d’une certaine manière qui ferait en sorte qu’on ne pourrait plus donner également. Il y aura toujours une capacité pour les Forces armées canadiennes d’examiner la façon dont le conflit évolue et ce qu’on peut donner dans le cadre de ce conflit.
Ce que nous tentons également de faire, c’est de regarder un peu plus loin que ce que nous avons actuellement en stock, mais aussi ce que l’industrie canadienne peut fournir. Le gros du travail reste à faire et nous sommes à travailler en collaboration avec l’industrie afin de voir ce que cette capacité de production canadienne, conjointement avec notre expertise, peut donner pour répondre aux besoins actuels et futurs.
Cela se fait sur deux plans. Les Forces armées canadiennes vont continuer de surveiller quels équipements nous avons, parce qu’il y aura toujours la possibilité de reprendre nos équipements en achetant de l’industrie, mais nous étudions aussi ce que l’industrie canadienne peut fournir en ce qui a trait aux équipements que nous ne comptons pas au sein des Forces armées canadiennes.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Ma question s’adresse au major-général Prévost. Merci d’être ici. Merci à vous tous de servir notre pays.
Quelle est la capacité de production au Canada? Nous semblons très songeurs à l’égard de nos militaires. Beaucoup de gens partent. Les effectifs ne sont pas aussi élevés qu’ils pourraient l’être. Dans l’ensemble, quelle est la capacité d’expédier des armes en Ukraine? Devons-nous nous travailler là-dessus? Devrions-nous le faire?
Mgén Prévost : Quelle que soit la capacité des Forces armées canadiennes, nous savons que nous devons reconstituer nos effectifs. Nous n’avons pas les effectifs nécessaires pour être là où nous sommes censés être en ce moment. Il nous manque environ 15 000 membres. Je dirais 10 000, et certains d’entre eux ne sont pas formés.
Pour ce qui est de la capacité du Canada de continuer à fournir des armes à l’Ukraine, nous avons une capacité. Nous avons une industrie, peu importe ce dont les Forces armées canadiennes ont besoin. Nous avons une grande capacité industrielle au Canada. Nous produisons déjà des armes et de la technologie pour d’autres pays. La capacité existe. Nous avons accru cette capacité en discutant avec l’industrie depuis le début du conflit. Il y a eu la question des obus d’artillerie pour lesquels la demande était forte au début, et cette capacité a été augmentée au Canada et ailleurs dans le monde également. Il s’agit de savoir comment l’industrie peut se mobiliser pour le faire. Il y a beaucoup d’industries au Canada qui produisent de la technologie militaire qui n’est pas destinée aux Forces armées canadiennes et qui est vendue à d’autres pays.
La capacité existe, nous avons cette connaissance, et nous avons cette propriété intellectuelle. Je ne pense pas que ce soit là le problème. La question est de savoir comment nous pouvons les mobiliser, indépendamment des difficultés que peuvent rencontrer les Forces armées canadiennes pour s’acquitter de leurs fonctions.
Le sénateur Richards : Eh bien, je suis optimiste, j’espère que les Forces armées canadiennes seront en mesure d’atteindre le nombre prévu de militaires. Ce serait formidable pour le Canada, n’est-ce pas?
Mgén Prévost : Nous travaillons fort dans ce dossier.
Le sénateur Richards : Je connais un infirmier qui se trouve en Ukraine. Il est de Miramichi, d’où je viens. Est-il là de son propre chef? Le Canada appuie-t-il les gens qui vont en Ukraine et qui y servent comme personnel médical ou peut-être comme soldats? Je ne pense pas que ce soit le cas, n’est-ce pas? Ces gens sont livrés à eux-mêmes. Je pense que cet infirmier est isolé. Je pense qu’il a été blessé. Il est de retour sur la ligne de front. Je crois qu’il était à Bakhmut à un moment donné. Ces gens sont-ils livrés à eux-mêmes, même s’il s’agit de personnel médical?
Mgén Prévost : Nous ne permettons pas aux membres actifs des FAC de se rendre en Ukraine. Nous déconseillons aux Canadiens de se rendre en Ukraine. Les gens prennent des décisions personnelles, mais en ce qui concerne les membres des Forces armées canadiennes, nous ne permettons pas...
Le sénateur Richards : C’est un ancien membre, et je pense qu’il est extrêmement courageux. C’est ce que je voulais dire. Merci.
Le sénateur Cardozo : J’ai deux questions, et j’espère qu’elles seront brèves.
J’ai été vraiment intrigué, madame Csaba, par ce que vous avez dit au sujet des pourparlers de paix possibles. Pourriez-vous nous dire si cela pourrait mettre fin à cette guerre?
Ma deuxième question porte sur l’appui du public. Mes collègues s’interrogent sur l’appui du public à l’échelle internationale, mais je me demande ce que vous pensez du maintien de soutien qu’apportent les Canadiens à cet effort et de son évolution future.
Mme Csaba : En ce qui concerne les négociations de paix, à notre connaissance, il n’y a pas eu de négociations entre Moscou et Kiev depuis le début de la guerre. Chaque partie a écarté un cessez-le-feu dans les circonstances actuelles du champ de bataille. Cela tient au fait que les deux parties ont mis en place des conditions préalables très difficiles à atteindre avant d’être prêtes à entamer des pourparlers de paix. Nous savons que, du côté de l’Ukraine, la condition préalable est que toutes les troupes russes doivent quitter le territoire de l’Ukraine, en respectant les frontières de 1991. Il est donc peu probable que des pourparlers de paix aient lieu de sitôt tant que les deux parties se tiennent à leurs conditions préalables très claires et fermes.
Cela dit, nous sommes tout à fait déterminés à instaurer une paix juste et durable en Ukraine. Avec l’annonce de la formule de paix en 10 points du président Zelenski l’an dernier, nous avons travaillé avec nos partenaires, nos alliés et l’Ukraine pour voir comment nous pourrions appuyer ce processus à l’avenir.
Je signale que d’autres acteurs sont en train de lancer des pourparlers de paix, y compris la Chine, le Brésil, le Saint-Siège et maintenant un groupe de six pays africains. Nous devons continuer d’examiner quels sont les éléments les plus prometteurs de ces propositions de paix et comment nous pouvons aider l’Ukraine à se retrouver dans une position de force pour pouvoir négocier. Nous verrons où cette voie nous mènera, mais il est loin d’être évident que nous serons en mesure de participer à des pourparlers de paix à court terme.
Le sénateur Cardozo : Avez-vous quelque chose à dire au sujet du maintien de l’appui du public à cet égard au Canada?
Mme Csaba : C’est une question difficile, disons. Les Canadiens continuent d’appuyer largement nos efforts en Ukraine. Avec le temps, il faudra tenir compte de l’évolution de la situation, au vu des autres pressions nationales. Il nous faudra montrer à l’Ukraine que nous continuons de l’appuyer tout au long de ce processus et nous devrons trouver le juste équilibre. De toute évidence, cela nécessitera des décisions difficiles.
Mgén Prévost : J’aimerais ajouter quelque chose. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est important que nous soyons ici aujourd’hui; il est crucial que nous maintenions l’appui du public vis-à-vis de cet important combat que mène l’Ukraine. Je remercie le comité de nous avoir invités à discuter de cette question. Chaque sénateur au Canada a un rôle à jouer. Chaque député a un rôle à jouer. Les médias ont un rôle à jouer. Nous avons tous un rôle à jouer pour maintenir l’appui du public dans cette lutte importante.
La sénatrice R. Patterson : Dans ce conflit, nous avons constaté que l’Ukraine a intégré les femmes à tous les niveaux, depuis les combats de première ligne jusqu’à l’ambassadrice qui est assise devant nous. Mme Zelenski a exercé une influence mondiale. C’est un fait peu connu ou peu reconnu qu’il faut inclure la voix des femmes, non seulement dans le processus de guerre, mais aussi dans le processus de paix. Je vais être partiale et dire que, selon mon opinion personnelle, nous sommes en avance au Canada sur la façon dont nous opérationnalisons les femmes dans la paix et la sécurité, surtout dans le cadre de l’OTAN. Quelle place prendront d’après vous les voix des femmes, des filles, des garçons et de ceux qui ne participent pas normalement au processus décisionnel, dans l’établissement futur de la paix? Comment le Canada peut-il aider dans ce domaine?
Mme Grant : Je vous remercie, sénatrice, de votre question. C’est une question très importante.
Il n’y a pas de réponse courte. Nous dialoguons de façon quotidienne et hebdomadaire avec des femmes ukrainiennes qui participent au gouvernement, à la poursuite de la guerre et qui participeront à terme aux négociations de paix. Nous constatons qu’en Ukraine, de notre point de vue au ministère des Affaires étrangères, il y a un certain nombre de femmes ukrainiennes haut placées au ministère des Affaires étrangères avec qui nous travaillons exactement sur ces questions. Nous travaillerons avec elles une fois que les combats auront cessé pour examiner les questions d’après-conflit et le rôle que le Canada peut jouer. Ce sont elles qui conçoivent ces programmes. Nous allons à la rencontre de ces femmes.
Dans le cadre de l’OTAN également, dont nous avons déjà parlé, les femmes, la paix et la sécurité sont au cœur de nos préoccupations. Cela inclura également l’Ukraine et le soutien que l’OTAN a apporté, apporte et apportera à l’Ukraine. Nous aimerions que l’on tienne compte de ce soutien à l’Ukraine par l’entremise de l’OTAN. Nous essayons non seulement d’intégrer la priorité accordée aux femmes, à la paix et à la sécurité dans tous les secteurs d’activité de l’OTAN, mais aussi de fournir un soutien très concret et pratique à des pays vulnérables comme l’Ukraine, mais aussi la Géorgie, la Moldavie et la Bosnie‑Herzégovine.
Voilà quelques éléments de réponse à une question très importante.
Mgén Prévost : Je pense que nous avons tous quelque chose à dire. Je vais laisser Kati Csaba parler en premier. C’est une question importante.
Mme Csaba : Merci. Je ne voulais pas vous passer devant.
Les questions de l’égalité entre les sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles sont au cœur de l’intégralité de l’aide au développement que nous apportons à l’Ukraine depuis le tout début. Cela est conforme à notre actuelle Politique d’aide internationale féministe et à notre politique étrangère féministe. Nous croyons fermement que l’autonomisation des femmes est extrêmement importante pour l’avenir de l’Ukraine. Nous avons toujours fait de notre mieux pour appuyer le rôle des femmes, que ce soit comme parlementaires, juges ou dans toutes les sphères de la vie, comme la gouvernance locale, etc.
Mgén Prévost : Oui, c’est une question très importante.
Nous croyons fermement au Canada en la place des femmes, à la paix et à la sécurité. Nous avons été des chefs de file. La sénatrice a peut-être remarqué que, lorsque nous avons formé des soldats ukrainiens de 2015 à 2022, nous avions commencé à intégrer à leur formation et à leurs entraînements des mesures visant les femmes, la paix et la sécurité. Nous mettons en avant l’égalité des sexes et la façon dont ils prennent cela en compte dans leurs opérations. Les Ukrainiens se battaient encore dans le Donbass, alors nous avions commencé à cette époque-là.
Depuis le début de l’invasion, nos entraînements portent évidemment sur ce dont les Ukrainiens ont le plus besoin en ce moment, et nous recevons les stagiaires que nous recevons. À mesure que notre instruction évolue, nous allons continuer à donner aux soldats les compétences de base pour qu’ils puissent poursuivre, mais nous réfléchissons à la façon dont nous allons passer de la formation des soldats à la formation du leadership — ce que nous faisions avant — afin de pouvoir nous remettre sur la bonne voie et transformer la façon dont l’Ukraine se verra à l’avenir. Nous y réfléchissons. Comment pouvons-nous intégrer notre expérience de 2022 dans nos formations futures? Merci.
[Français]
Le vice-président : Cela nous amène à la fin de notre réunion. Je tiens à remercier Mmes Grant et Csaba et le Mgén Prévost ainsi que tous les témoins que nous avons reçus aujourd’hui.
Ces discussions sont extrêmement importantes et nous vous sommes reconnaissants de votre participation aujourd’hui.
La prochaine réunion aura lieu le lundi 12 juin à 16 heures. Au cours de cette réunion, nous entendrons les témoins au sujet du projet de loi C-224, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur la prévention et le traitement de cancers liés à la lutte contre les incendies. Si le comité est prêt, nous passerons immédiatement à l’étude article par article. Je vous invite à contacter le légiste si vous souhaitez des amendements. Sur ce, je vous souhaite à tous une bonne soirée.
(La séance est levée.)