Aller au contenu

Le Code criminel - La Loi sur le ministère de la Justice

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Adoption de la motion de renonciation aux amendements du Sénat

11 décembre 2018


L’honorable Sénateur Colin Deacon :

Honorables collègues, j’avais espéré ne plus devoir intervenir à propos de l’amendement que la sénatrice Pate avait proposé au projet de loi C-51.

Tout comme elle et beaucoup d’entre nous, j’étais fier du travail accompli au Sénat à cet égard, en particulier de l’étude menée par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles ainsi que de notre examen réfléchi des amendements de la sénatrice Pate. Je me félicite également des commentaires faits un peu plus tôt par le sénateur Harder à cet égard.

Certes, je suis déçu que l’autre endroit n’ait pas accepté ces amendements, mais j’apprécie le débat approfondi que la Chambre a tenu la semaine dernière. Comme je l’ai mentionné dans mon discours précédent sur le sujet, je crois fermement que notre société doit approfondir le débat sur la question du consentement. D’autres exemples prouvent que le fait d’attirer l’attention sur ce genre de question peut, en fait, aboutir à des changements.

Le mois dernier, Statistique Canada a fait état d’une augmentation considérable du nombre d’agressions sexuelles rapportées à la police au Canada.

Les données fournies par les services de police du Canada révèlent une augmentation marquée du nombre de victimes d’agression sexuelle fondée au cours d’octobre 2017, le mois où le mouvement #MoiAussi est devenu viral, le nombre de victimes d’agression sexuelle déclarée par la police s’étant établi à près de 2 500. Le nombre d’agressions sexuelles déclarées par la police en octobre et en novembre 2017 était plus élevé que celui observé pendant tout autre mois civil depuis que des données comparables sont devenues disponibles en 2009.

On a pris soin d’indiquer dans le rapport que l’on ne présume pas que les chiffres indiquent une augmentation du nombre d’incidents : ils indiqueraient plutôt une augmentation du nombre de signalements.

Cette hausse marquée du nombre d’agressions sexuelles déclarées par la police à la suite du mouvement #MoiAussi ne reflète pas nécessairement une augmentation de la prévalence des agressions sexuelles au Canada. Au contraire, la hausse est probablement attribuable à une combinaison de facteurs, y compris le fait que les victimes étaient davantage disposées à signaler un incident à la police à la suite de l’émergence du mouvement. Parmi les autres facteurs figurent la sensibilisation accrue des Canadiens à ce qui constitue une agression sexuelle et les messages publics des services de police visant à encourager les victimes à signaler les incidents.

C’est encourageant. Je soulève ce point parce qu’il montre qu’une discussion autour d’un problème peut contribuer à améliorer les choses. J’espérais que les amendements de la sénatrice Pate permettraient d’entamer une telle discussion.

Honorables sénateurs, vous m’avez entendu citer des statistiques dans mon discours. Je dois dire que je ne suis pas arrivé à me les sortir de la tête. Chaque jour, il y a plus de 150 cas d’agressions sexuelles autodéclarées où la victime n’était pas en mesure de consentir parce qu’elle était droguée, intoxiquée ou manipulée d’une autre façon que par la menace ou la force physique.

C’est inadmissible : une moyenne de plus de 150 personnes par jour au Canada. J’ai parlé de ce problème avec de nombreuses personnes à l’extérieur de cette enceinte. J’ai été particulièrement étonné par la réaction des milléniaux. Ils semblaient littéralement estomaqués d’apprendre que l’on n’avait pas encore inscrit dans la loi des explications claires au sujet du consentement.

Le Canada est aux prises avec un réel problème en ce qui concerne le consentement. Beaucoup trop de femmes — puisqu’il s’agit surtout de femmes — sont victimes d’agressions sexuelles. Beaucoup trop peu de victimes signalent ces agressions — seulement 1 personne sur 20 le fait —, parce qu’un manque de confiance envers le système judiciaire en retient plusieurs. Nous avons besoin d’une stratégie globale qui permettra de réduire considérablement le nombre d’agressions sexuelles et d’augmenter le pourcentage d’agressions qui sont signalées et portées devant les tribunaux. J’avais espéré que les amendements de la sénatrice Pate marqueraient un premier pas dans cette direction.

J’ai été ravi d’entendre certaines des observations de la ministre de la Justice au sujet du consentement, et de constater qu’elle était généralement d’accord avec le travail accompli par le Sénat. Elle a notamment dit ceci :

Je tiens à être bien claire. Je conviens qu’il pourrait être utile d’établir des critères pour aider les tribunaux à déterminer les cas où une plaignante est incapable de donner son consentement lorsqu’elle est consciente. Les amendements proposés soulèvent certains aspects cruciaux du consentement. Je conviens également que l’intoxication, qui s’approche de la perte de conscience, représente une question complexe pour les décisions rendues dans les affaires d’agressions sexuelles.

C’est là une déclaration importante, chers collègues. Je me réjouis que la ministre de la Justice ait tenu ces propos à la Chambre des communes.

Elle a aussi dit espérer que le projet de loi « sera adopté rapidement ». Le sénateur Harder nous a informés, depuis, que le Sénat devrait donner suite à ce message de la Chambre des communes dans les plus brefs délais.

Je dois dire que, même si j’apprends encore à m’orienter en cet endroit, les différents points de vue relatifs au délai me laissent quelque peu perplexe. La sénatrice Pate a présenté ses amendements le 16 octobre. Après un débat complet, le Sénat a adopté ces amendements le 30 octobre, soit deux semaines plus tard. Cela fait à peine cinq semaines. Maintenant, le Sénat doit étudier et accepter sur-le-champ le message de l’autre endroit, sans quoi nous risquons de retarder l’adoption d’un projet de loi du gouvernement. Je n’ai pas l’intention de faire de l’obstruction ou de contribuer à quelque manœuvre dilatoire perçue, mais j’ai certainement l’impression que le Sénat a fait son travail rapidement.

Dans son discours, la ministre de la Justice a également indiqué que l’adoption des amendements sans étude détaillée supplémentaire comporte un risque de conséquences imprévues. Je ne suis toujours pas certain de souscrire à cette analyse. Ce n’est en tout cas pas l’avis des juristes que j’ai consultés. Quoi qu’il en soit, je crois que l’excellent Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles aurait très bien pu s’acquitter de cette tâche si nous avions reçu un message plus tôt.

(1530)

L’idéal, comme l’a souligné la sénatrice Pate, aurait évidemment été que les principaux intéressés puissent être entendus avant que la ministre de la Justice ne fasse connaître les dispositions du projet de loi C-51 portant sur le consentement.

Je terminerai en rappelant aux sénateurs que les gens écoutent ce que nous disons et regardent ce que nous faisons. Je n’étais pas encore ici quand l’honorable George Baker a atteint l’âge de la retraite obligatoire, mais j’ai entendu dire que, même si c’est difficile à croire, il prenait plaisir à lire les décisions rendues par les tribunaux du pays et qu’il informait régulièrement le Sénat du fruit de ses lectures. Il insistait souvent sur la fréquence à laquelle le Sénat et ses comités étaient cités dans ces décisions, c’est-à-dire beaucoup plus souvent que la Chambre des communes. Il a déjà calculé que le Sénat figure trois fois plus souvent dans la jurisprudence que les Communes, et il n’incluait pas seulement les tribunaux en bonne et due forme là-dedans, mais aussi les organismes quasi judiciaires.

Nous faisons un travail important, chers collègues, et même si je suis déçu du sort qui a été réservé aux amendements que nous avions proposés au projet de loi C-51, je demeure immensément fier de nos débats sur ce sujet d’importance.

Par ailleurs, la ministre de la Justice m’a tout de même quelque peu rassuré en disant ceci :

[...] je me suis engagée à étudier la question de l’incapacité, dans l’intention de trouver un juste équilibre. Je suis reconnaissante envers les témoins qui ont comparu devant le comité sénatorial d’avoir suggéré un examen plus approfondi de cette question. Je suis impatiente de les consulter davantage dans le cadre de cette étude à venir.

C’est un engagement important. Je vais surveiller le dossier de près pour vérifier si ce travail permet de réaliser de véritables progrès, et je suis sûr que je ne serai pas le seul à le faire.

Plus tôt cet après-midi, j’ai parlé avec Glen Canning, le père de Rehtaeh Parsons. Il est régulièrement invité à parler aux forces de police et aux écoliers partout au pays. Selon lui, il est alarmant de constater que nombre de garçons et de filles du secondaire ne sont tout simplement pas informés au sujet des questions fondamentales qui touchent le consentement sexuel et l’agression sexuelle. On peut donc s’attendre à des graves conséquences. Je conviens, comme lui, que les discussions proposées par la ministre de la Justice doivent inclure non seulement la magistrature, mais aussi les éducateurs, car je crois que nos systèmes d’éducation peuvent et doivent jouer un rôle important pour enseigner aux élèves à prendre de meilleures décisions en ce qui concerne le consentement sexuel, une étape importante si on veut réduire considérablement le nombre d’agressions sexuelles. Par ailleurs, le système de justice doit redoubler d’efforts pour amener un plus grand nombre de personnes à dénoncer les abus et gagner la confiance de la population. Dans les deux cas, il faudra que le Code criminel fournisse les balises appropriées. Nous devons faire les choses comme il faut.

Honorables sénateurs, selon moi, se contenter d’attendre que les cours d’appel corrigent des erreurs flagrantes ne contribue guère à accroître la confiance de la population, bien au contraire.

Ceux d’entre vous qui ont participé à des réunions de comité avec moi savent que je mets l’accent sur les points de référence et les résultats concrets. Je suis heureux d’apprendre que la ministre de la Justice a maintenant l’intention de consulter les personnes qui abordent les questions liées aux agressions sexuelles au quotidien. Je l’encourage à ne pas se limiter à l’appareil judiciaire et à nouer le dialogue aussi avec les milieux de l’éducation. J’espère que cette démarche sera menée rapidement.

Nous avons tous entendu les histoires. Nous avons pris connaissance des faits. Nous connaissons les conséquences dévastatrices. À présent, il nous faut voir des mesures concrètes.

Merci, chers collègues.

 

Haut de page