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Le Sénat

Motion tendant à encourager le gouvernement à tenir compte des objectifs de développement durable des Nations Unies dans l’élaboration des lois et l’établissement de politiques en matière de développement durable—Motion d’amendement—Suite du débat

24 mai 2018


L’honorable Sénatrice Mary Coyle :

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion no 215 de l’honorable sénateur Dawson, qui a été appuyée par l’honorable sénateur Munson. Ils en ont tous les deux parlé avec éloquence, tout comme la sénatrice Pate et la sénatrice Bellemare.

[Français]

Que le Sénat prenne note du Programme à l’horizon 2030 et des objectifs de développement durable connexes adoptés par l’Organisation des Nations Unies le 25 septembre 2015 et encourage le gouvernement du Canada à en tenir compte dans l’élaboration des lois et l’établissement de politiques en matière de développement durable.

[Traduction]

Chers collègues, je suis fort honorée de prendre la parole aujourd’hui pour prononcer mon premier discours.

Le 2 décembre 2017, le soir où le premier ministre Trudeau m’a appelée pour m’inviter à me joindre au Sénat, j’ai été très touchée qu’on m’offre cette possibilité magnifique, cette occasion d’approfondir mes connaissances et cette nouvelle tribune à partir de laquelle effectuer des changements positifs au Canada et dans le monde. Je sais que de nombreux grands sénateurs sont venus avant moi, y compris certains amis et associés, comme la sénatrice Peggy Butts, le sénateur Allan J. MacEachen, le sénateur John Stewart, le sénateur Al Graham et le sénateur Roméo Dallaire.

Je savais également que j’allais me joindre à un groupe impressionnant de dirigeants canadiens au Sénat, mais j’étais loin de m’imaginer le talent, l’intelligence, le dévouement, l’accueil chaleureux et l’engagement sincère que je retrouverais chez mes nouveaux collègues.

Je siège avec vous dans cette noble enceinte depuis 37 jours. Grâce à vos conseils, à votre esprit de collaboration et votre collégialité, je tenterai de servir le peuple canadien avec sagesse, détermination et intégrité. Je vais parler de certains éléments clés du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et je m’engage aujourd’hui à travailler de concert avec vous jusqu’à la fin de mon mandat, qui se terminera justement à la fin de 2029, afin d’atteindre les 17 objectifs énoncés dans la résolution audacieuse des Nations Unies, une résolution qui vise à faire du monde entier un endroit meilleur pour tous.

Samedi dernier, Mgr Michael Curry, un évêque primat afro-américain de l’Église épiscopale, a prononcé un sermon lors du mariage du duc et de la duchesse de Sussex, le prince Harry et Meghan Markle. Je cite un passage de son sermon :

Si l’amour est la seule voie, nous laisserons la justice couler comme un fleuve majestueux […] Si l’amour est la seule voie, la pauvreté sera reléguée au passé. Si l’amour est la seule voie, la terre deviendra un sanctuaire. Si l’amour est la seule voie, nous déposerons nos épées et nos boucliers […] Si l’amour est la seule voie, il y aura une abondance d’espace. Une abondance d’espace. Pour tous les enfants de Dieu.

Je parie que la vaste majorité des personnes qui ont assisté à ce mariage, ainsi que les millions d’autres qui ont regardé le mariage royal, ou qui ont écouté ou lu des reportages sur cet événement, n’ont jamais entendu parler du Programme à l’horizon 2030 et des objectifs en matière de développement durable. Je ne sais pas si l’évêque Curry lui-même est au courant, même si la plupart des pays du monde, dont le sien, le nôtre et celui du prince Harry, se sont engagés à travailler en collaboration pour atteindre ces objectifs. Cela n’a pas d’importance. Ce qui a de l’importance, c’est que des messages convaincants comme le sien aident à sensibiliser les gens et, je l’espère, à les motiver dans certains cas à agir.

L’évêque Curry aborde les thèmes principaux du Programme 2030, soit la justice, l’élimination de la pauvreté, la protection de notre précieuse planète, la paix et l’inclusion, une place pour tous autour de la table. L’amour est le refrain unificateur de son sermon. Les gens s’attendent évidemment à entendre parler d’amour à un mariage, mais nous n’en parlons pas souvent dans cette enceinte, du moins je n’ai pas entendu ce sujet être mentionné bien souvent.

Cependant, quand je pense au Sénat ainsi qu’au devoir et à la chance que nous avons tous de donner le meilleur de nous-mêmes et de faire de notre mieux avec ce dont nous disposons, je crois que l’amour est une motivation puissante. Il est au cœur de la majorité des religions, ainsi que des croyances et valeurs de la plupart des sociétés.

Puisque nous parlons d’amour, permettez-moi de parler un peu de moi et des raisons pour lesquelles j’appuie la motion du sénateur Dawson.

Est-ce que certains d’entre vous se rappellent le brillant film Les Commitments, qui est sorti en 1991, et qui est tiré du roman de l’écrivain irlandais Roddy Doyle? Lorsqu’il interviewe des candidats pour son groupe soul, Jimmy Rabbitte, le protagoniste principal, leur demande qui les a influencés. Eh bien, voici les personnes qui m’ont influencée.

Je suis l’aînée d’une famille catholique qui compte sept enfants. Voilà pourquoi je m’appelle Mary. J’ai appris et je continue d’apprendre à aimer et ce qu’est l’amour grâce à ma famille immédiate, à savoir ma mère, Betty, qui a 91 ans, mon défunt père, Bernard Charles Patterson, et ma grande famille élargie, qui comprend des membres d’origines irlandaise, écossaise, galloise et, dans la présente génération, d’origines crie de la baie James, philippine, chinoise, italienne et arménienne. Je suis fière d’avoir trois filles — Emilie, Lauren et Lindelwa — qui sont toutes de bonnes personnes qui ont de l’expérience dans les domaines de l’éducation, de l’environnement, du droit, de l’immigration et des questions relatives aux réfugiés et qui ont enrichi encore plus notre famille en y ajoutant trois hommes formidables et six précieux petits-enfants.

Comme je suis une femme privilégiée, je sais bien que l’amour est comme d’autres bonnes choses. Ce n’est pas un jeu à somme nulle, mais un sentiment qui grandit sans cesse et qui nous aide tous à nous épanouir.

Dans notre jeune enfance, on nous a enseigné que Dieu et le bien existent en chacun et qu’il faut aimer son prochain comme soi-même. C’est la règle d’or. J’ai vécu et travaillé à beaucoup d’endroits, en Indonésie, en France, en Inde, en Bolivie, en Afghanistan, dans la réserve indienne de Wikwemikong, au Botswana, en Haïti et ailleurs. Je me suis aperçue que, partout, les gens avaient ces mêmes croyances, qu’ils appartiennent à une religion ou une autre ou alors qu’ils soient croyants ou non.

Lors d’Expo 67, à une époque où j’étais encore une jeune fille impressionnable de 12 ans, j’ai découvert le monde vaste et fascinant qui existait au-delà des petites villes et des banlieues canadiennes fraîchement érigées où j’avais grandi. Un an plus tard, à l’âge de 13 ans, j’ai pris part au Rallye tiers monde, organisé par Oxfam pour recueillir de l’argent afin de financer des programmes destinés à ce que nous appellerions aujourd’hui les pays du Sud. C’est à cette époque que j’ai commencé à m’intéresser au monde et que j’ai voulu y mettre en pratique les enseignements de mon enfance sur l’amour de son prochain.

À l’école secondaire, deux professeurs ont eu une influence importante sur moi. M. Gibson, mon professeur de biologie et animateur du club des aventuriers, a su éveiller en moi un intérêt pour la nature et l’environnement. Mme Thibault, la première personne que j’ai connue qui employait l’abréviation « Mad. », était une féministe. Elle m’a inculqué le désir de repousser mes limites en tant que femme et m’a appris à aimer profondément la langue et la culture françaises.

Plus tard, j’ai étudié l’existentialisme et Albert Camus, qui a écrit cette phrase célèbre : « Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance […] » Il a aussi écrit : « Je ne connais qu’un seul devoir, et c’est celui d’aimer. »

J’ai entrepris ma vie professionnelle et, un jour, j’ai eu l’occasion de rencontrer la militante torontoise June Callwood, qui a dit : « Dès que vous êtes témoin d’une injustice, vous n’êtes plus un simple observateur, mais un participant. »

J’ai eu la chance de travailler au Canada et à l’étranger dans les domaines de la microfinance, du communautaire, du développement rural et économique, du leadership chez les femmes, les jeunes et les Autochtones, et j’ai appris de collègues et amis très sages.

Ela Bhatt, fondatrice de la Self-Employed Women’s Association, un organisme de l’Inde, ne mâche pas ses mots lorsqu’elle dit : « Le fait que nous tolérions encore la pauvreté est un échec moral. » Elle poursuit ainsi : « Ce sont les femmes qui dirigent le changement et, sans leur participation, la pauvreté ne pourra jamais être éliminée. »

Un autre ami et mentor, Muhammad Yunus, fondateur de la banque Grameen et lauréat du prix Nobel, a dit : « Nous devons nous défaire de l’idée que les riches font des affaires et les pauvres reçoivent des dons de charité. »

La première fois que j’ai entendu John McKnight, fondateur de l’Asset-Based Community Development Institute, ou institut ABCD, un organisme de Chicago, c’était pendant l’émission Ideas, de CBC, au début des années 1990. Ses collègues et lui, dont le jeune Barack Obama, avaient observé que les quartiers déshérités se portent mieux lorsque les habitants déterminent et mobilisent leurs propres avoirs, c’est-à-dire leurs forces et leurs ressources, définissent leurs propres priorités et dirigent leur propre développement.

(1550)

Plus tard, à l’institut Coady, Alison Mathie, Gord Cunningham et Brianne Peters ont jumelé ces travaux de l’institut ABCD à l’approche de « Masters of Their Own Destiny, » du mouvement d’Antigonish.

L’approche Coady est fondée sur le respect fondamental des capacités et des droits des gens dans tous les secteurs afin de favoriser leur autodéveloppement et sur la conviction que toutes les personnes et toutes les communautés peuvent apporter une contribution.

Jusqu’à tout récemment, Bibi Gul, une veuve afghane qui a un fils à sa charge, était une réfugiée en Iran. Je l’ai rencontrée dans les montagnes près de Kaboul, où elle avait littéralement creusé sa demeure à flanc de montagne. Elle gagnait sa vie en brodant les badges des policiers et d’autres représentants de l’État. Elle se servait de microprêts pour acheter le matériel et les fils spécialisés qu’elle importait d’Iran. Bibi est une force da la nature et elle était fière de la demeure et de l’entreprise qu’elle avait bâties.

Comme vous le voyez, avec des mentors et des personnalités influentes aussi extraordinaires — des gens comme Bibi, qui sont des exemples de l’ingéniosité humaine, d’autres qui nous montrent la valeur de l’amour ou du respect des obligations internationales, des féministes, des écologistes, des défenseurs des droits de la personne, des chefs de file de l’innovation, des gens qui sensibilisent leurs semblables à la nécessité de respecter les forces de chacun —, je n’avais d’autre choix que de parler du Programme à l’horizon 2030.

Dans l’impressionnant ouvrage intitulé Protéger la démocratie canadienne : Le Sénat en vérité, notre collègue, le sénateur Joyal, affirme ce qui suit :

Le Parlement, c’est aussi une affaire de pouvoir. Il n’a qu’une raison d’être : il exprime la souveraineté du peuple […]

Au sujet du pouvoir, je vais nommer une autre personnalité influente : M. John Gaventa, d’IDS Sussex. Sans vouloir trop entrer dans les détails, je dirai que John fait une distinction importante entre les différentes facettes du pouvoir : qui le détient, sur qui ou sur quoi il s’opère, et cetera. Ce sont là des concepts essentiels dont il faut tenir compte dans nos démarches en vue de mobiliser, d’outiller et d’appuyer le gens, les collectivités et les institutions pour réaliser le Programme à l’horizon 2030.

La résolution de l’ONU établissant le Programme à l’horizon 2030 dit ceci :

Nous sommes résolus à libérer l’humanité de la tyrannie de la pauvreté et du besoin, à prendre soin de la planète et à la préserver.

Par extension, nous, parlementaires, avons l’obligation de contribuer au respect de nos engagements nationaux et mondiaux découlant de cette résolution.

Plutôt que d’énumérer les 17 objectifs de développement durable et de parler de chacun d’eux, permettez-moi d’aborder brièvement ceux qui sont les plus étroitement liés au puissant sermon de l’évêque Curry :

Si l’amour est la seule voie, la pauvreté sera reléguée au passé.

L’objectif numéro un du Programme à l’horizon 2030 est d’éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde. Il est important de signaler que cet objectif n’est pas seulement de réduire la pauvreté, mais plutôt de l’éliminer complètement, d’en faire une chose du passé. Comme le dit le professeur Yunus, « un jour, nos petits-enfants iront dans les musées pour voir ce qu’était la pauvreté ».

Cet objectif n’a pas de solution simple. Les objectifs numéros deux, trois, quatre et huit, qui traitent de la faim, de la santé, de l’éducation et du travail, sont intimement liés à cet objectif d’éliminer la pauvreté.

Albert Camus nous met en garde :

[...] la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée.

Ainsi, comprendre les complexités de la pauvreté sous toutes ses formes est essentiel, tout comme il est important de considérer les personnes vivant dans la pauvreté comme des citoyens qui ont des intérêts, qui ont voix au chapitre et qui ont la capacité de diriger le changement.

Je dirais également que l’élimination de la pauvreté est le domaine exigeant le plus grand investissement dans l’innovation.

[...] nous laisserons la justice couler comme un fleuve majestueux [...] nous déposerons nos épées et nos boucliers [...]

L’objectif numéro 16 est de promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives aux fins du développement durable, d’assurer l’accès de tous à la justice et de mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous.

La justice est ce qui caractérise les sociétés bien gouvernées et en bonne santé. Je ne vous apprendrai rien si je dis que la paix dans le monde est impossible sans justice. Comme l’a déjà dit Ela Bhatt, la pauvreté et la paix ne peuvent cohabiter.

Si l’amour est la seule voie, la terre deviendra un sanctuaire.

En rentrant chez moi, la semaine dernière, je me suis arrêtée à mon lac préféré pour me rafraîchir en faisant ma première baignade de l’année. Je suis un peu folle, je sais. Que ce soit individuellement ou collectivement, tous les êtres qui dépendent de notre magnifique planète pour vivre ont une obligation suprême.

Les objectifs numéros 13 — lutte contre les changements climatiques —, 14 — vie aquatique — et 15 — vie terrestre — nous rapprochent du sanctuaire évoqué par l’évêque Curry.

Je dois dire que les témoignages les plus saisissants qu’il m’a été donné d’entendre depuis ma très récente nomination au Sénat sont ceux des Autochtones et des scientifiques décrivant les effets des changements climatiques sur l’Arctique canadien. J’ai de plus en plus l’impression que les Autochtones du Nord sont en train de devenir les canaris des mines de charbon.

Si l’amour est la seule voie, il y aura une abondance d’espace. Une abondance d’espace. Pour tous les enfants de Dieu.

L’objectif numéro 10 traite des inégalités réduites, et plus particulièrement des inégalités de revenu dans les pays et entre ceux-ci.

L’objectif numéro 5 parle de l’égalité entre les sexes et de l’autonomisation de toutes les femmes et de toutes les filles.

Si tous les Canadiens, les femmes, les hommes, les jeunes, les aînés, les Autochtones, les personnes qui ont un handicap physique ou des problèmes de santé mentale, les personnes ayant une déficience intellectuelle, les membres de la communauté LGBTQ, les habitants des régions rurales et éloignées, les nouveaux arrivants, bref tout le monde, quelle que soit leur origine ethnique, pouvaient participer pleinement à tous les aspects de la citoyenneté, la plénitude serait à leur portée, et elle serait aussi à la portée de notre pays et du monde. L’inclusion est à la fois une fin et le moyen d’atteindre les objectifs de développement durable. Tout ce qui manque, c’est un véritable esprit de collaboration.

Alors que je termine mon discours sur le Programme à l’horizon 2030 et que je réfléchis à notre rôle de parlementaires, j’aimerais citer un autre prêtre. Dans les années 1930, le révérend Moses Coady a écrit ce qui suit :

Nous ne pouvons ni parler de l’esprit de coopération des catholiques ou des protestants, ni du savoir économique des bouddhistes, des mahométans, des shintos ou des Hébreux, pas plus d’ailleurs que nous pouvons parler des connaissances chimiques des quakers ou des connaissances mathématiques des mormons. La vérité est œcuménique et à la disposition de tous.

Nous privilégierons la quête collective de la vérité, la recherche de solutions avec un respect sincère, l’obtention de réponses grâce à un partage mutuel des pouvoirs et l’atteinte des objectifs du programme à l’aide d’une bonne dose d’ingéniosité, d’énergie et de leadership conjoint. Voilà l’approche bienveillante et durable que nous devons adopter alors que nous cherchons de toute urgence à atteindre les objectifs du Programme 2030.

N’oubliez pas que je siégerai seulement ici jusqu’en 2029. Merci. Wela’lioq.

 

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