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Le Code canadien du travail

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Motion de renonciation aux amendements du Sénat—Ajournement du débat

30 mai 2017


L’honorable Sénateur Peter Harder :

Honorables sénateurs, le Sénat a reçu un message de l'autre endroit en réponse à sa proposition d'amender le projet de loi C-4 dans le but de conserver les dispositions sur le scrutin secret adoptées dans le projet de loi C-525.

Cet amendement va directement à l'encontre de l'engagement électoral d'abroger les dispositions du projet de loi C-525, qui a été pris par le gouvernement envers les Canadiens. Par conséquent, l'autre endroit a rejeté l'amendement.

Trois choix s'offrent au Sénat en réponse à ce message : il peut accepter la décision de rejeter l'amendement, il peut insister pour que l'amendement soit adopté ou il peut faire une nouvelle proposition pour résoudre le désaccord.

Je propose au Sénat de souscrire à la décision communiquée dans le message de l'autre endroit afin que le projet de loi C-4 entre en vigueur dès que la sanction royale lui sera accordée. Permettez-moi de situer un peu le contexte et de vous expliquer pourquoi le Sénat devrait souscrire à la décision communiquée dans le message qu'il a reçu.

À l'heure de la modernisation du Sénat, une question relative à cette institution — et aussi ancienne qu'elle — a repris de l'importance : jusqu'où le Sénat peut-il aller, en sa qualité d'assemblée complémentaire composée de personnes qui ont été nommées, et non élues, lorsque vient le temps de s'opposer aux mesures législatives adoptées par les représentants élus des Canadiens? Depuis 150 ans, les sénateurs ne sont jamais parvenus à apporter une réponse simple à cette question, et pour cause. Chacun des projets de loi envoyés à la Chambre rouge est le fruit d'une politique et d'un contexte politique particuliers. Le cas du projet de loi C-4 est très clair : les Canadiens souhaitent, à juste titre, que la réponse du Sénat respecte le choix qu'ils ont fait en allant aux urnes.

Honorables sénateurs, tout en exhortant le Sénat à faire preuve de déférence dans ce cas particulier, je demeure fermement convaincu que cette Chambre, bien qu'elle soit nommée, doit contribuer de façon dynamique à l'élaboration des politiques publiques canadiennes.

Pas plus tard que vendredi dernier, dans le cadre du formidable symposium sur le 150e anniversaire du Canada organisé dans cette enceinte, le professeur Smith a parlé du rôle crucial du Sénat dans la démocratie parlementaire canadienne.

Pour ceux d'entre vous qui ne le sauraient pas, le professeur Smith est l'une des sommités canadiennes sur le bicaméralisme canadien en général, et sur le Sénat du Canada en particulier. Le professeur Smith qualifie à juste titre le Sénat de « partenaire fondamental de la bonne gouvernance », ajoutant :

[...] Le Sénat du Canada semble se diriger vers un bicaméralisme de principe qui deviendra peut-être fonctionnel et robuste.

À mes yeux, il est crucial, pour le solide partenariat bicaméral décrit vendredi dernier par le professeur Smith, que le Sénat détermine les circonstances justifiant le plus haut respect à l'égard de l'autre endroit. Le bicaméralisme canadien doit être robuste, mais aussi fonctionnel. Voilà pourquoi, lorsqu'il est question d'engagements électoraux, il est depuis longtemps d'usage que le Sénat s'incline devant la Chambre des communes.

En proposant le projet de loi C-4, le gouvernement tient une promesse électorale. Il avait en effet promis aux Canadiens que, s'il était élu, il abrogerait le projet de loi C-525. Puisqu'il a été élu, il a l'intention de donner suite à sa promesse et demande au Sénat de lui permettre de la tenir.

Examinons les faits. Le 22 avril 2015, Justin Trudeau, qui était alors chef du troisième parti à l'autre endroit, a envoyé une lettre aux leaders du Sénat, les exhortant à ne pas adopter les projets de loi C-377 et C-525. En sa qualité de chef du Parti libéral, M. Trudeau a écrit ce qui suit :

[...] nous nous engageons à abroger ces deux mesures, si le Parti libéral forme le prochain gouvernement.

Quelques mois plus tard, l'élection fédérale de 2015 a été déclenchée. L'abrogation du projet de loi C-525 se situait au cœur de la plateforme électorale du gouvernement. En effet, dans le volet de sa plateforme électorale portant sur les organisations syndicales, le Parti libéral s'engageait à faire ce qui suit, et je cite :

Nous rétablirons des lois du travail justes et équilibrées qui reconnaissent le rôle important des syndicats au Canada et nous respecterons le rôle qu'ils jouent dans la croissance et la prospérité de la classe moyenne. Nous commencerons par abroger [le projet de loi] C-525, [...] qui [diminue] et [affaiblit] le mouvement syndical canadien.

Pour souligner son engagement à respecter cette promesse électorale, lors du discours qu'il a prononcé à la fête du Travail, M. Trudeau a choisi de déclarer de nouveau son intention d'abroger le projet de loi C-525 s'il était élu.

Par conséquent, personne ne devrait être surpris que, une fois élu, le gouvernement, muni d'un mandat clair de la population canadienne, ait respecté sa promesse d'abroger le projet de loi C-525. C'est justement ce que fait le projet de loi C-4.

L'amendement subséquent du Sénat qui visait essentiellement à rétablir le projet de loi C-525 a été rejeté.

Lorsque le Sénat a examiné le projet de loi C-4, de nombreux sénateurs ont parlé de la question séculaire concernant la limite des pouvoirs du Sénat à titre d'assemblée nommée et complémentaire. Je vous rappelle que, lors de l'étude en comité, la sénatrice Lankin a affirmé ceci :

Le gouvernement donne suite à l'engagement pris pendant la campagne électorale. À moins que nous ayons des motifs régionaux, constitutionnels ou autres, je ne vois pas pourquoi nous interviendrions de cette manière.

Pendant le débat à l'étape de la troisième lecture, le sénateur Pratte a réitéré ce point lorsqu'il a dit ceci :

[...] le projet de loi C-4 vise à remplir un engagement électoral du Parti libéral. C'est une raison de plus pour nous convaincre, en tant que parlementaires non élus, de ne pas nous y opposer ou l'amender [...]

Si nous critiquons le gouvernement pour avoir abandonné l'une de ses promesses électorales, alors il serait certainement malvenu de notre part de rejeter un projet de loi qui lui permettrait d'en remplir une.

Honorables sénateurs, tout récemment, dans le cadre de notre débat intense sur l'amendement proposé par le sénateur Lang au projet de loi C-6, le sénateur Eggleton a clairement décrit la longue tradition du Sénat :

Traditionnellement, lorsqu'un parti est élu et forme un gouvernement, il remplit ses promesses, car elles sont reconnues comme l'expression de la volonté de la population [...] Conformément à la tradition, si des promesses font partie du programme électoral du parti élu, elles devraient être respectées comme telles.

Je remarque également que, lorsqu'il a témoigné devant le Comité sur la modernisation du Sénat l'an dernier, le sénateur Carignan — alors leader de l'opposition — s'est référé à l'ouvrage du sénateur Joyal, intitulé Protéger la démocratie canadienne : le Sénat en vérité.

Plus précisément, le leader a cité aussi plusieurs passages de l'essai rédigé par l'éminent constitutionnaliste et ancien ministre de la Justice du Québec Gil Rémillard, intitulé La réforme du Sénat : le nécessaire retour aux sources. J'aimerais, à mon tour, vous citer un passage de ce texte qui est particulièrement pertinent en l'espèce :

[...] lorsque le projet de loi à l'étude relève clairement du mandat électoral du gouvernement, le Sénat doit reconnaître la volonté démocratique.

Honorables sénateurs, l'un des ouvrages universitaires les plus remarquables sur le Sénat est la monographie du professeur Andrew Kunz, publiée en 1965, qui s'intitule The Modern Senate of Canada. Dans cet ouvrage classique, le professeur Kunz souligne que :

 

[...] le Sénat a toujours eu pour principe de respecter ce qu'on pourrait appeler un mandat ouvert et clair [...] le Sénat n'empêche pas l'adoption de projets de loi une fois que la population a clairement exprimé son opinion.

Le fil conducteur de toutes les observations, c'est la reconnaissance que le bicaméralisme canadien exige que le Sénat adopte certaines pratiques exemplaires. Si, toutefois, les paroles de sénateurs et de commentateurs de l'époque contemporaine n'arrivent pas à vous faire changer d'avis, laissez-moi vous rappeler les propos de sir John A. Macdonald, qui a dit que le Sénat ne s'opposerait jamais aux souhaits délibérés et compris du peuple.

Nous avons reçu le message de l'autre endroit, et les souhaits délibérés et compris du peuple ne sauraient être plus clairs. Le peuple a fait savoir à trois reprises que le projet de loi C-525 devait être abrogé, tout d'abord par le biais des boîtes de scrutin, puis indirectement à deux reprises par des votes tenus à l'autre endroit, où les députés sont choisis par la population.

Il convient de souligner que le projet de loi a reçu à l'autre endroit l'appui de quatre partis, qui représentent ensemble 67 p. 100 des Canadiens qui ont voté des élections de 2015. Pour ce qui est du message reçu de la Chambre en réponse à l'amendement proposé par le Sénat, il a reçu l'appui de 73 p. 100 des députés qui ont voté.

Le temps est maintenant venu pour le Sénat de s'en remettre au gouvernement, afin que celui-ci puisse donner suite à son engagement clair et sans équivoque à l'égard des Canadiens. En agissant autrement, le Sénat créerait, à mon avis, un précédent dangereux, puisqu'il s'éloignerait de son rôle en tant que Chambre complémentaire de second examen objectif.

Nous partageons tous la responsabilité institutionnelle de favoriser une forme robuste, saine et fonctionnelle de bicaméralisme. Je fais confiance à la sagesse collective et au jugement de tous les groupes du Sénat. Je crois à notre engagement commun de sauvegarder le rôle du Sénat à titre de Chambre complémentaire de second examen objectif et de partenaire et non de rival de l'autre endroit.

Dans un cas comme celui-ci, les Canadiens s'attendent à ce que nous fassions preuve de jugement et à ce que nous respections la volonté des femmes et des hommes qu'ils ont désignés par leur vote. Nous nous devons de répondre à cette attente. Pour cette raison, honorables sénateurs, je vous demande d'accepter le message de l'autre endroit concernant le projet de loi C-4.

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