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Le Sénat
Motion tendant à réaffirmer l’importance des deux langues officielles comme fondement de notre fédération compte tenu des coupes faites par le gouvernement de l’Ontario aux services en français—Ajournement du débat
22 novembre 2018
L’honorable Sénatrice Julie Miville-Dechêne :
Honorables sénatrices et sénateurs, « Le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux [...] ».
C’est ce que la motion rappelle. C’est ce que notre Constitution établit. C’est l’un des fondements de notre fédération.
Le Sénat et le principe du fédéralisme sont intimement liés. Le Sénat a pour objectif d’accommoder les différences profondes entre les régions et les provinces. Il a été créé pour faire contrepoids à la représentation démographique de l’autre endroit. Le pacte fédératif dépendait de l’obtention expresse de l’égalité dans la Chambre haute pour représenter les intérêts régionaux et minoritaires.
La Cour suprême du Canada, dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, rappelle d’ailleurs que le respect et la protection des minorités représentent un principe constitutionnel non écrit du Canada.
Le Sénat est donc l’institution par excellence pour représenter toutes les composantes de la société, notamment les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Comme l’a décidé unanimement le plus haut tribunal du pays, le Sénat sert de tribune nationale aux groupes minoritaires, et je cite :
[...] auxquels le processus démocratique populaire n’avait pas toujours donné une opportunité réelle de faire valoir leurs opinions.
Historiquement, ce manque de tribune a défavorisé les francophones en situation minoritaire, mais également les peuples autochtones, qui n’ont même pas fait partie de ce pacte de la Confédération. Ces peuples ont, eux aussi, des langues traditionnelles menacées de disparition, et le reconnaître n’enlève rien aux autres minorités.
Aujourd’hui, le Sénat se voit à nouveau interpellé constitutionnellement afin de réclamer haut et fort la protection des droits linguistiques de la communauté franco-ontarienne. En effet, elle vit une série de coups durs : abolition du poste de commissaire aux services en français et abandon d’une institution phare, l’Université de l’Ontario français.
De plus, on a appris hier qu’une des salles majeures du théâtre franco-ontarien, La Nouvelle Scène, ne recevra pas la subvention promise pour éponger sa dette. On apprenait ce matin que le Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques perdait la subvention lui permettant de publier trois magazines jeunesse.
La motion que je présente ne doit pas être perçue comme une ingérence dans les décisions d’un gouvernement provincial. Il est indéniable cependant que le message envoyé par ces compressions budgétaires est déroutant pour la communauté franco-ontarienne. Or, c’est là-dessus que nous devons nous concentrer.
Mettons les choses au clair : le gouvernement du Canada a la responsabilité de se porter à la défense de ce demi-million de francophones. Il s’agit là de la plus grande majorité francophone minoritaire au pays. Cette responsabilité est claire : le gouvernement fédéral s’est doté, dans la Loi sur les langues officielles — une loi quasi constitutionnelle —, d’engagements précis pour favoriser l’épanouissement et le développement des communautés de langue officielle. Parmi ceux-ci, on retrouve ce qui suit :
(1650)
[Traduction]
Encourager et aider les gouvernements provinciaux à favoriser le développement des minorités francophones et anglophones, et notamment à leur offrir des services provinciaux et municipaux en français et en anglais et à leur permettre de recevoir leur instruction dans leur propre langue.
Encourager et aider ces gouvernements à donner à tous la possibilité d’apprendre le français et l’anglais.
[Français]
Ce qui en découle, c’est que le gouvernement du Canada doit prendre des mesures qualifiées de positives pour aider les provinces en matière de langues officielles. Cela peut, par exemple, prendre la forme d’une contribution financière par le truchement d’ententes, dans le respect de ses compétences constitutionnelles et de celles des provinces.
La Charte canadienne des droits et libertés prévoit d’ailleurs que les pouvoirs du Parlement et des législatures ne sont pas limités en matière de mesures qu’ils peuvent prendre pour « favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais ».
À titre de sénatrice du Québec, j’estime qu’il est de mon devoir de présenter cette motion en solidarité avec mes consœurs et confrères qui vivent en français dans le reste du pays.
En parcourant les provinces et en rencontrant ces communautés, j’ai été à même de constater leur force de caractère, mais aussi les défis et les obstacles qui se dressent devant ces citoyens qui veulent vivre en français dans un milieu anglophone. Il faut être fait fort pour conserver sa langue face à l’immense pression de l’anglicisation. Il faut être fait fort pour transmettre cette belle langue à ses enfants, dans un univers mondialisé où les jeunes vivent dans des réseaux virtuels où tout est en anglais. Notre langue est ainsi malmenée au Québec, où nous sommes pourtant dans un milieu majoritaire francophone. Il est donc facile de constater qu’ici, à Ottawa, dans la capitale nationale, et à travers l’Ontario, les menaces d’anglicisation sont mille fois plus grandes.
C’est la raison de l’importance, pour les Franco-Ontariens, d’avoir des institutions « par et pour » les francophones afin d’éviter l’assimilation. Au chapitre scolaire, cela va de la garderie aux institutions d’enseignement supérieur. Vivre en français et conserver sa langue quand on étudie en anglais ou même dans une université bilingue est nettement plus difficile.
Les comparaisons sont imparfaites, mais donnent des indices des écarts entre les services dont bénéficient les minorités linguistiques partout au pays. En matière d’institutions d’enseignement supérieur, il y a au Québec trois universités anglophones pour servir une communauté de 657 000 Québécois de langue maternelle anglaise. En Ontario, où il y a 530 000 francophones, l’Université de l’Ontario français, celle-là même qui passe au couperet, aurait été la seule université actuelle « par et pour » les francophones.
Par ailleurs, les conséquences de l’abolition du poste de commissaire aux services en français sont potentiellement graves. Il s’agit du chien de garde des services en français, d’un ombudsman, donc indépendant, qui se consacrait à une seule cause. Les Franco-Ontariens pouvaient compter sur lui pour faire valoir leurs droits et veiller au respect des obligations du gouvernement à leur endroit.
Nous devrions tous être interpellés par le sort de ces communautés d’un océan à l’autre. Je souhaite donc que mes collègues sénatrices et sénateurs appuient cette motion afin que nous puissions démontrer notre unité à l’égard d’un enjeu identitaire aussi fondamental, celui de la langue.
Merci.