
Projet de loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu
Deuxième lecture—Suite du débat
29 novembre 2018
L’honorable Sénatrice Pamela Wallin :
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi C-71, Loi modifiant la Loi sur les armes à feu, à l’étape de la deuxième lecture.
Nous savons tous que les armes à feu peuvent causer des dégâts sérieux, prendre une vie, sauver une vie ou protéger des gens ou des biens. Cela dépend du doigt qui est sur la détente.
Les citoyens respectueux des lois et les criminels ont pareillement recours à des armes à feu tous les jours au Canada. Un Torontois n’a pas besoin d’un fusil pour empêcher des coyotes d’entrer dans sa grange, mais un fermier de la Saskatchewan, si. Aucun des deux n’a besoin d’un AK-47, ni d’un Uzi, ni d’un Glock.
(1450)
On ne peut nier l’augmentation du nombre de crimes violents commis avec une arme à feu. Il y a donc de quoi être perplexe lorsqu’on voit le gouvernement accorder la priorité à un projet de loi qui vise à resserrer les règles s’appliquant aux propriétaires d’armes à feu respectueux des lois. En effet, la violence commise à l’aide d’une arme à feu est perpétrée par des membres de gangs, des criminels, des terroristes en puissance ou des personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Ce sont eux qui font des ravages dans nos villes à l’heure actuelle.
Ce sont eux que nos efforts et les mesures législatives devraient viser.
Le nombre d’homicides commis avec une arme de poing a augmenté de 60 p. 100 l’an dernier. La plupart d’entre eux ont été commis par des criminels ou des membres de gangs.
En 2016, la violence des gangs — rites d’initiation, actes de vengeance, revente de drogue ou d’armes ayant mal tourné — a causé 115 morts. Les victimes n’étaient pas seulement des membres de gangs, mais aussi des passants innocents et même des enfants en train de s’amuser au parc.
La perpétration de crimes au moyen d’armes à feu illégales est, de toute évidence, un problème.
Depuis les années 1990, les armes de poing sont devenues les plus employées pour commettre un homicide. Selon Statistique Canada, les fusils de chasse et les carabines étaient les armes de choix avant 1990, et de loin. De nos jours, les armes de poing sont en cause dans 6 homicides sur 10. Voilà qui, selon moi, nous éclaire sur la véritable nature du problème.
Ma province, la Saskatchewan affiche le taux de criminalité le plus élevé au pays, que ce soit dans les régions urbaines ou rurales, une distinction peu glorieuse. On compare son taux de criminalité en région rurale à celui de Toronto. Si le taux est semblable, les chiffres révèlent autre chose. En 2017, 37 homicides ont été commis en Saskatchewan, dont le tiers au moyen d’une arme à feu. À Toronto, le chiffre est de 91 à l’heure actuelle, dont 47 par arme à feu.
Il va sans dire que certains cas de violence conjugale et de suicide impliquent des propriétaires légitimes d’armes à feu légales, bien qu’on enregistre au moins une diminution du nombre de suicides commis avec une arme à feu. Il faut cependant savoir que ce genre de violence est déclenché par différents facteurs.
Rick Ruddell, un professeur de l’Université de Regina, a écrit un ouvrage fort instructif sur la criminalité en milieu rural au Canada. Il dit ceci :
En ce qui concerne les homicides, il y a parfois des années qui sont tout à fait différentes des autres, surtout dans les endroits peu peuplés. Il y a des années où il y a des pics, mais où le nombre de tentatives de meurtre reste le même, ce qui pourrait être une question de chance ou de qualité des soins médicaux. Quand on habite à la campagne à une heure, ou à deux ou trois heures, d’un centre de traumatologie, le risque de mortalité augmente [...]
Il dit, en outre, qu’il faut tenir compte de facteurs économiques. Il mentionne que le taux d’homicides dans les régions rurales de l’Alberta a connu un sommet il y a plusieurs années, ce qui coïncidait avec le ralentissement de l’industrie pétrolière et le chômage qui en a résulté.
Chers collègues, nous savons que le gouvernement étudie la violence liée aux gangs. Les ministres Ralph Goodale et Bill Blair ont récemment annoncé que le gouvernement prévoit octroyer 86 millions de dollars au cours des cinq prochaines années à la GRC et à l’Agence des services frontaliers pour une installation de formation pour les chiens détecteurs, l’élargissement de la technologie à rayon X aux centres postaux et d’autres mesures.
Or, la plupart des armes à feu illégales n’entrent pas au Canada aux points de passage frontalier réguliers ni par la poste. Nous savons que la contrebande et le trafic constituent un problème. Ces armes n’entrent pas au pays par les points d’entrée légaux. Nous savons que les vols dans les magasins d’armes à feu et les résidences constituent un problème. Autrement dit, nous savons que le crime est un problème.
Le maire de Toronto a récemment prôné l’adoption d’un règlement municipal interdisant complètement les armes de poing dans sa ville. Le gouvernement fédéral est en train de consulter les Canadiens au sujet d’une interdiction semblable à l’échelle nationale. Débattons-en plutôt que de nous concentrer uniquement sur les règles suivies par les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois.
Je sais que le projet de loi C-71 est un moyen facile pour les politiciens de dire à la population qu’ils prennent des mesures et interviennent dans le dossier de la violence liée aux gangs, alors que ce n’est pas le cas.
Pourquoi, pour résoudre le problème de la violence commise à l’aide d’armes à feu illégales, nous intéressons-nous seulement aux permis de transport, à la tenue obligatoire de dossiers et à la reclassification de certaines carabines, mesures qui s’appliquent aux propriétaires d’armes à feu légales?
S’agit-il réellement des problèmes les plus graves que causent les armes à feu au Canada? Est-il logique de se concentrer sur les agriculteurs qui transportent leur carabine d’un lopin de terre à un autre alors que, dans nos villes, des gens se font abattre en pleine rue? Peut-on même imaginer que les policiers puissent être en mesure de faire respecter efficacement les mesures proposées, alors qu’ils manquent déjà de ressources?
Selon certaines sources, lorsque des résidants de régions rurales de la Saskatchewan ont composé le 911 pour signaler un crime, on leur aurait dit de verrouiller leurs portes, de trouver un endroit où se cacher et de téléphoner à leur assureur. Accepteriez-vous de tels conseils si votre famille était en danger? C’est inadmissible. Une réponse de ce genre serait tout à fait inacceptable en milieu urbain.
Pourquoi n’étudions-nous pas la possibilité d’augmenter le nombre de policiers, particulièrement dans les régions rurales, ou peut-être d’imposer des peines minimales obligatoires plus sévères lorsqu’un délinquant utilise une arme à feu volée ou illégale pour commettre un crime? Penchons-nous sur les façons de décourager les malfaiteurs.
Chers collègues, les Canadiens qui utilisent des armes légalement font déjà l’objet de vérifications concernant leur santé mentale et leurs antécédents criminels. On propose maintenant d’examiner tous leurs antécédents. C’est possible, mais il faudra des ressources supplémentaires pour y arriver.
Les lois canadiennes contiennent déjà de solides dispositions afin d’empêcher que les armes à feu se retrouvent entre de mauvaises mains. Malgré cela, des malfaiteurs réussiront toujours à contourner le système, quel qu’il soit. Leurs antécédents seront peut-être irréprochables, jusqu’au jour où ils ne le seront plus.
Les magasins tiennent déjà des registres, et la majorité les conserve. La plupart des magasins accepteraient volontiers de les fournir aux forces de l’ordre, et ils le font. Ce ne sont généralement pas les propriétaires légitimes d’armes à feu qui abattent leurs ennemis et des passants innocents dans la rue.
Je sais qu’il s’agit d’une question complexe, mais le projet de loi C-71 s’attaque seulement à une infime partie du problème.
Pour conclure, le projet de loi me préoccupe parce qu’il vise à pénaliser les propriétaires légitimes et certifiés d’armes à feu, surtout ceux qui se servent de leurs carabines comme outils au lieu d’armes. Le problème, ce n’est pas que le fardeau administratif imposé par le projet de loi est impossible à gérer. Plusieurs feront ce qu’il exige. Le problème, c’est que le projet de loi ne contribue guère au problème très réel des criminels en possession d’armes illégales qui tuent des gens dans les rues au Canada. Merci.