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Modernisation du Sénat

Dixième rapport du comité spécial—Suite du débat

29 mai 2018


L’honorable Sénateur Leo Housakos :

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du dixième rapport du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat sur la « nature » du Sénat.

J’ai osé espérer que nous sortions enfin de la période passée à se regarder le nombril, ce qui a occupé le temps de certains de mes collègues au cours des dernières années, et c’est très certainement le cas du leader du gouvernement. Après tout, les choses ont tendance à revenir à la case départ dans cette enceinte. Si certains voient cette capacité comme un défaut, je crois que c’est la meilleure preuve de la résilience du modèle de Westminster hybride que les pères fondateurs ont adopté à la naissance de notre grand pays. Cela dit, malgré la formidable résilience de notre système, nous ne devons pas le tenir pour acquis. Il ne faut pas le traiter à la légère dans le simple but de construire l’héritage souhaité par un premier ministre.

La volonté de réformer le Sénat d’une façon ou d’une autre est aussi vieille que l’institution elle-même. Après tout, la création du Sénat et l’établissement de son rôle et de sa composition ont presque fait dérailler la Confédération. Sans la création du Sénat, le Québec et les Maritimes auraient refusé de signer l’accord. Le Canada comme nous le connaissons aujourd’hui n’existerait pas.

À la Conférence de Québec, en 1864, on faisait valoir que la Chambre haute devait faire contrepoids à la Chambre basse en matière de représentation. En effet, la Chambre des communes assure une représentation de la population alors qu’au Sénat les sénateurs représentent les régions. Cet élément est très important pour la protection des minorités. Ainsi, les provinces moins peuplées ne sont pas désavantagées par rapport aux provinces plus peuplées et les minorités culturelles et linguistiques sont protégées. Soulignons, par ailleurs, un fait très important : le Sénat protège également les groupes minoritaires sur le plan électoral. Cette question semble avoir été négligée, délibérément ou non, dans les récents débats sur le rôle du Sénat.

Par exemple, il n’y a pas de députés conservateurs des provinces de l’Atlantique à l’heure actuelle. Si ce n’était des sénateurs de cette région, les Canadiens qui n’ont pas voté libéral ou pour le NPD aux dernières élections ne seraient pas représentés au Parlement. Le vote tenu récemment sur le projet de loi C-49 illustre parfaitement cette facette de la réalité.

Le sénateur Mitchell ne sait que trop bien à quel point cela compte. Il n’y a pas si longtemps, il était le seul parlementaire libéral de l’Alberta, à l’exception de la sénatrice Tardif. Après les élections de l’an prochain, le sénateur Mitchell pourrait être le seul.

Certes, les pères fondateurs ont voulu établir un équilibre en matière de représentation, mais ne vous y trompez pas : ils ont aussi voulu équilibrer les pouvoirs. Le Sénat est censé assurer une protection contre la tyrannie d’une majorité à l’autre endroit. Comme l’a déclaré nul autre que Justin Trudeau en 2014, « si le Sénat a un rôle à jouer, c’est assurément de servir de contrepoids au pouvoir extraordinaire que détiennent le premier ministre et son Cabinet, surtout dans le cas d’un gouvernement majoritaire ». Ce sont là des paroles de Justin Trudeau.

George-Étienne Cartier décrivait le Sénat comme un « pouvoir de résistance à opposer à l’élément démocratique ». Sir John A. Macdonald, pour sa part, le considérait comme une assemblée prête à faire « un second examen attentif » afin de contenir les « excès démocratiques » des élus de la Chambre des communes.

Dans cette optique, les Pères de la Confédération ont donné aux deux Chambres des pouvoirs pratiquement identiques. Le Sénat peut amender ou rejeter toute mesure législative. Il peut également prendre l’initiative de présenter des projets de loi, à la condition que ceux-ci n’imposent pas de taxe ni d’impôt et n’affectent pas de fonds publics.

Pour ce qui est d’imposer des sanctions à leurs membres, le Sénat et la Chambre des communes ont le même pouvoir que la Chambre des communes de Westminster. Il est très révélateur, chers collègues, que le pouvoir accordé au Sénat soit semblable à celui de la Chambre des communes plutôt qu’à celui de la Chambre des lords.

Bien que le Sénat ait connu des embûches et des tourmentes, c’est toujours, dans l’ensemble, l’institution que les Pères de la Confédération ont imaginée il y a 150 ans, et nous pouvons nous en réjouir. Il ne faudrait pas croire pour autant que je ne vois aucune possibilité d’amélioration. Après tout, j’ai siégé au Comité de la régie interne, un comité qui a travaillé en consultation et en coopération avec tous les sénateurs pour ouvrir la voie à une nouvelle ère de transparence, d’efficacité et de reddition de comptes, portant ces qualités à un niveau inégalé dans l’histoire de cet endroit, et probablement dans l’histoire de tous les Parlements.

Nous avons adopté un nouveau modèle de divulgation proactive plus détaillé pour les dépenses des sénateurs. Nous avons complètement transformé notre façon de communiquer; non seulement nous avons rendu les séances du Comité de la régie interne accessibles au public, nous les diffusons même à la télévision.

Si nous avons pu poser tous ces gestes, c’est parce que, à titre de parlementaires, nous avons le privilège d’établir et de faire respecter les règles qui régissent le Sénat, tant qu’elles ne changent pas le caractère constitutionnel de notre institution. Nous avons choisi de miser sur le consensus au lieu d’adopter des tactiques autoritaires et unilatérales. Nous n’avons pas agi à la hâte dans le seul but de servir un programme politique ou de remplir une promesse électorale.

Cela fait deux ans et demi que le Sénat tente de régler les problèmes découlant d’une décision politiquement commode, prise il y a quelques années par celui qui était à l’époque le leader du troisième parti, M. Trudeau.

Nous avons changé le libellé de certaines règles pour accommoder les titres et les noms souhaités; nous avons donc maintenant des représentants, des agents de liaison et des groupes parlementaires. Nous avons aussi dû apporter des changements budgétaires qui ont fait augmenter en flèche les dépenses de fonctionnement du Sénat. Cependant, aucune de ces mesures n’a exigé ni provoqué de changements dans la nature de l’institution, et c’est très bien ainsi. Changer la nature fondamentale du Parlement est une entreprise beaucoup plus considérable que de changer la composition de comités ou reconnaître des groupes parlementaires, et il faut la traiter comme telle.

Comme le prévoit la décision de 2014 de la Cour suprême du Canada, toute tentative d’un premier ministre particulier pour changer fondamentalement la nature de cette institution sans avoir consulté les provinces serait inconstitutionnelle. Par le passé, les premiers ministres le savaient d’instinct et, en cas de doute, ils ont eu le bon sens et le courage de demander au plus haut tribunal du pays de trancher. Notre premier ministre actuel devrait faire de même.

De plus, avant de prendre des mesures pour changer de manière fondamentale une institution et un système parlementaire qui ont si bien servi le Canada depuis si longtemps, nous devons nous demander quel changement serait souhaitable et quelles seraient les répercussions d’un tel changement. S’il sert à affaiblir le Sénat ou les sénateurs d’une quelconque manière, surtout sur le plan de notre responsabilité et de notre capacité à demander des comptes au gouvernement, nous devons nous demander à qui cela profite.

Un Parlement faible profite au gouvernement et au premier ministre en poste. Il ne profite pas aux Canadiens.

De plus, bien que le premier ministre actuel essaie de faire croire qu’au Sénat, sous sa gouverne, les sénateurs ont plus de pouvoirs que jamais auparavant, il n’y a rien de moins vrai.

L’ancien leader des libéraux au Sénat, le sénateur James Cowan, dans un discours prononcé en décembre 2015, a cité l’entrée en matière de la décision de la Cour suprême du Canada en 2014, qui dit ceci :

Le Sénat est une des institutions politiques fondamentales du Canada.

Puis, comme se plaît à le dire le sénateur Cowan : « Nous sommes tous des politiciens. Nous prenons tous des décisions politiques. »

Dans son discours, il a dit ceci :

La partisanerie excessive au Sénat ne constitue pas un échec de notre institution. L’esprit partisan est un choix personnel; c’est donc un échec personnel.

Je n’ai rien contre le fait que des sénateurs ne souhaitent pas siéger comme membres d’un caucus et je n’ai rien à redire à ce que des sénateurs ne souhaitent pas se réunir par affiliation politique. Je blâme toutefois quiconque nie ou dénigre le désir et le privilège que j’ai de le faire. Je vous assure que je ne suis pas moins indépendant que mon collègue d’en face. J’ai toutefois l’avantage de pouvoir participer au processus décisionnel et législatif dès le début.

Lorsque nous assistons aux réunions du caucus et aux conventions, nous pouvons exprimer nos préoccupations et nos opinions au stade embryonnaire et tout au long de la maturation de la politique et, plus tard, de la mesure législative.

Il y a quelques semaines, j’ai eu le privilège de participer au congrès des membres québécois du Parti conservateur, qui avait lieu à Saint-Hyacinthe. Cette activité a permis à tous les membres du parti, et pas seulement aux parlementaires, de se réunir pour discuter ensemble et proposer des idées que nous pourrons présenter lors du congrès national, cet été.

Le fait de prendre part, sur le terrain, au débat public — une occasion que n’ont malheureusement pas les sénateurs qui ont été nommés par l’actuel premier ministre — nous permet de prendre connaissance des préoccupations et des idées des gens que nous représentons et de participer aux premières étapes du processus de création des projets de loi.

Nous n’assistons pas aux congrès pour recevoir des consignes d’en haut. Au contraire, nous, les membres du caucus, avons alors l’occasion de faire connaître nos attentes à la direction du parti. Je peux vous dire que c’est la direction qui doit rendre des comptes aux membres du caucus, et non le contraire. À tout le moins, c’est ainsi que les conservateurs fonctionnent. Les choses sont peut-être différentes dans un « groupe parlementaire » ou dans le caucus ministériel.

Je sais que, si les sénateurs nommés par M. Trudeau avaient pu participer aux congrès ou faire partie de son caucus national, le gouvernement qu’il dirige aurait mieux réussi à faire adopter des projets de loi. Vous voyez, contrairement à ce qu’on entend souvent, ce n’est pas l’opposition qui retarde les projets de loi ministériels au Sénat. Non, le problème vient en bonne partie du fait que les sénateurs nommés par M. Trudeau ne peuvent pas prendre part au processus législatif avant ses dernières étapes. Ce n’est qu’alors qu’ils peuvent poser des questions; tout aurait pourtant été plus efficace s’ils avaient pu le faire auparavant, lors du caucus national, et c’est sans compter le fait que certains se sentent obligés de faire étalage de leur indépendance. C’est ce que nous avons souvent pu constater, même si, bien souvent, toute cette démonstration, c’est beaucoup de bruit pour rien. Le sénateur Pratte en sait quelque chose.

Mon collègue, le sénateur Pratte, parle souvent des amendements que le Sénat Trudeau a présentés comme un objet de fierté, comme s’il s’agissait de quelque chose de nouveau ou d’une sorte de preuve que les sénateurs nommés par M. Trudeau n’en sont pas redevables au premier ministre. Pourtant, même pour son propre amendement concernant la Banque de l’infrastructure du Canada, le projet de loi d’exécution du budget qu’il a menacé de scinder, l’honorable sénateur nous en a mis plein la vue au Sénat. Cependant, lorsque tout a été dit et fait, il a voté contre sa propre motion.

Chers collègues, les Pères de la Confédération n’y comprendraient rien. Tout le temps que nous avons passé, au cours des dernières années, à parler de procédure et à débattre de nos propres budgets et de nos propres titres au lieu de débattre de projets de loi comme tels les laisserait aussi perplexes. C’est le nombrilisme dont j’ai parlé plus tôt.

Ainsi, le leader du gouvernement continue d’écrire des articles et de donner des entrevues, et il se lamente sur la nécessité d’un soi-disant comité des travaux en prétendant malhonnêtement que c’est l’unique façon de faire adopter la mesure législative du gouvernement dont il fait partie. À chaque étape, il pointe l’opposition du doigt en l’accusant d’utiliser des tactiques dilatoires.

En fait, comme nous le savons, le sénateur Harder est, jusqu’ici, demeuré muet par rapport à l’offre de l’opposition de travailler ensemble sur un plan visant à donner la priorité à des mesures législatives d’initiative ministérielle à l’approche de la fin de la session.

Soyons clairs : il existe déjà un comité des travaux. Il existe depuis longtemps, et ses membres se réunissent quotidiennement, chers collègues. C’est ce qu’on appelle le plumitif.

Ce n’est qu’un exemple de plus de la manière dont M. Trudeau et le leader du gouvernement au Sénat veulent qu’on leur soit reconnaissants de réparer quelque chose qui n’est pas brisé et d’inventer quelque chose qui existe déjà. C’est comme appeler un whip un agent de liaison ou un leader un représentant, pour ensuite déclarer fièrement avoir fait quelque chose de nouveau.

Tout cela ne change rien. Rien de cela n’est nouveau. Nous n’avons pas besoin d’un comité des travaux. Ce dont nous avons besoin, c’est que le leader du gouvernement passe un peu moins de temps à rédiger des documents stratégiques et qu’il prenne plus de temps et d’énergie à utiliser les outils qui sont à sa portée, comme la négociation, à l’instar de tous les autres leaders du gouvernement avant lui.

Je me pose la question suivante : est-il plus important pour le leader du gouvernement et ses collègues sénateurs nommés par M. Trudeau que le Sénat fonctionne rondement ou que le premier ministre, qui les a nommés, récolte les honneurs pour le bon fonctionnement du Sénat? S’il faut que ce soit la deuxième option, le Sénat doit être considéré comme étant dysfonctionnel.

À cette fin, le premier ministre et le leader du gouvernement ont tout fait pour convaincre les Canadiens que le Sénat, en tant qu’organe législatif, ne fonctionne pas adéquatement. Toutefois, c’est n’est tout simplement pas le cas. C’est de la politicaillerie à son meilleur ou, bien franchement, à son pire.

Cette situation remonte à l’époque où M. Trudeau était chef du troisième parti. Les autres chefs avaient un point de vue sur le Sénat, alors M. Trudeau devait aussi en avoir un. Il a expulsé les sénateurs libéraux du caucus national en faisant valoir que la partisannerie était la source de tous les maux au Sénat. C’était aussi une tactique intelligente pour se dégager de toute responsabilité par rapport à ce que la vérification des dépenses des sénateurs pourrait révéler.

Maintenant qu’il est premier ministre, M. Trudeau double la mise sur son discours fallacieux, mais bien pratique, au sujet de la partisannerie en l’utilisant afin de centraliser le pouvoir et de laisser durablement sa marque. En dépit de la tentative du premier ministre de s’attribuer le mérite d’avoir accordé au Sénat son indépendance, ce sont les pères fondateurs qui la lui ont accordée lorsqu’ils l’ont créé, et non Justin Trudeau.

Les pères fondateurs ont également accordé l’indépendance aux sénateurs lors de la création du Sénat. Cette indépendance vient de l’inamovibilité que suppose le fait d’être nommé sénateur.

Les sénateurs n’ont pas à se demander comment ils vont convaincre un chef de parti de signer leur déclaration de candidature ou à s’inquiéter de courtiser des groupes d’intérêts spéciaux pour obtenir leur nomination. Cela n’a rien à voir avec le fait d’avoir ou non une affiliation politique. Le tout premier Sénat, sous le gouvernement de sir John A. Macdonald, était organisé selon les lignes de parti du gouvernement et de l’opposition. L’opposition était composée de 25 fervents libéraux nommés par le premier ministre Macdonald, un fervent conservateur.

Comme le sénateur Cowan l’a évoqué, il appartient à chaque sénateur de prendre garde à ne pas manquer d’impartialité, que ce soit sur le plan ethnique, linguistique, professionnel, économique, politique ou du genre. C’est pour cette raison que nous prêtons serment, et nous prêtons tous le même serment. Peu importe le côté du Sénat où nous siégeons ou encore le groupe ou le caucus auquel nous appartenons, ce serment a été prêté exactement de la même façon par chacun d’entre nous.

Chers collègues, ce n’est rien de nouveau. Justin Trudeau n’est pas le premier premier ministre à essayer de dicter aux sénateurs qu’il a nommés comment traiter les projets de loi d’initiative ministérielle. À un certain degré, l’autre endroit a toujours souhaité s’ingérer dans les délibérations du Sénat ou influer sur ses décisions, ou a tenté de le faire. Tout ce qui change d’un gouvernement à l’autre, c’est le degré auquel il tente de s’ingérer dans les délibérations ou d’influer sur les décisions ou les tactiques employées.

Ce qu’il y a de nouveau dans les tentatives de M. Trudeau de s’ingérer dans les délibérations du Sénat, c’est qu’il tente de contrôler à la fois les sénateurs du gouvernement et de l’opposition. M. Trudeau peut forcer autant qu’il le veut les sénateurs qu’il a nommés à se comporter et à voter comme il le souhaite, mais ses tentatives de forcer l’opposition à agir de même sont sans précédent et, franchement, très dangereuses.

Soyons parfaitement clairs : le Sénat a le pouvoir de modifier et de rejeter un projet de loi d’initiative ministérielle, même un projet de loi qui a fait l’objet d’une promesse électorale du gouvernement au pouvoir. Comme l’a indiqué le professeur David Smith dans son témoignage au comité : « Si le Sénat est censé jouer le rôle d’un sonar qui détecte et qui communique les points de vue et les opinions qui échappent au système représentatif de la Chambre des communes, on ne peut que nuire à son rendement en concluant qu’il ne peut jamais rejeter de projet de loi. »

Comme le sénateur Serge Joyal l’a souligné à juste titre, le Sénat a le pouvoir de consentir. Or, si nous avons le pouvoir de consentir, de dire oui, nous avons aussi le pouvoir de dire non.

Quant à savoir si le Sénat pourrait être tenu de donner la sanction royale à un projet de loi après un certain temps, et ce, peu importe s’il n’a pas été adopté à la Chambre haute, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit — et j’espère que personne ne remettra en question la légitimité de la Cour suprême du Canada :

Une disposition de la nature de celle que l’on envisage affaiblirait beaucoup la position du Sénat dans le système législatif parce qu’elle permettrait que des lois soient édictées en vertu de l’art. 91 sans le consentement du Sénat […] nous croyons que le Parlement ne peut, en vertu du par. 91(1), affaiblir le rôle…

[…] nous croyons que le Parlement ne peut, en vertu du par. 91(1), affaiblir le rôle du Sénat dans ce système. Nous sommes d’avis de répondre à cette question par la négative.

Par conséquent, même si cela déplaît au leader du gouvernement et au premier ministre actuel et que cela a aussi déplu à tous les premiers ministres qui l’ont précédé, le Sénat a bel et bien le pouvoir de rejeter des projets de loi d’initiative ministérielle.

Depuis 150 ans, les sénateurs, qu’ils soient d’allégeance conservatrice ou libérale, connaissent parfaitement leur rôle et leurs responsabilités ainsi que les conséquences des décisions qu’ils prennent dans cette enceinte.

Je comprends la situation difficile dans laquelle se trouvent les sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants. On vous a dit que vous étiez nommés à titre de sénateurs indépendants, mais, maintenant, le premier ministre qui vous a nommés vous dit que cette indépendance comporte des limites. La réalité, c’est que le premier ministre qui vous a nommés l’a fait pour les mêmes raisons que le premier ministre qui m’avait nommé à l’époque. C’est la même chose pour tous les sénateurs; nous sommes ici parce qu’un premier ministre a vu en nous quelque chose qui justifiait de nous demander de venir servir les Canadiens. Lorsque les premiers ministres nomment des sénateurs, ils choisissent des gens qui partagent leurs objectifs et leurs valeurs. Ce n’est rien de nouveau et je suis convaincu que, d’une façon ou d’une autre, nous avons tous ressenti un devoir de loyauté.

Je comprends les inquiétudes du sénateur Gold quand il dit ne pas vouloir se faire traiter d’expérience ratée. J’ajouterais même que nous ne voulons pas être accusés de n’être que des valets du parti.

Au bout du compte, peu importe qui nous a nommés, il y aura toujours deux groupes au Sénat : ceux qui, fondamentalement, partagent l’idéologie du gouvernement en place et ceux qui ne la partagent pas. Peu importe le nom que nous nous donnons et la façon dont le premier ministre nous qualifie, cette réalité est constante, et c’est très bien ainsi.

Les premiers ministres nomment des gens au Sénat afin de combler les lacunes en raison du processus électoral à l’autre endroit. Ils le font en accord avec le système de Westminster, qui comprend un caucus gouvernemental et un caucus de l’opposition. Si vous ne savez pas exactement de quel côté de la clôture vous vous trouvez, vous n’avez qu’à regarder de quelle façon vous votez habituellement. Les chiffres parlent. Les conservateurs votent pour les projets de loi ministériels beaucoup plus souvent que les sénateurs nommés par Trudeau ne votent contre eux, et c’est très bien. Ce qui est important, c’est que le gouvernement doit rendre des comptes. C’est le rôle du Parlement; le travail des parlementaires est d’exiger du gouvernement qu’il rende des comptes.

Je suis farouchement en désaccord avec le sénateur Gold lorsqu’il dit que cela n’est pas l’affaire du Sénat. Le Sénat est une Chambre du Parlement. C’est parfaitement clair dans la Constitution. Les sénateurs sont des parlementaires. Le Sénat a donc une responsabilité.

De plus, contrairement à ce qu’a dit le sénateur Gold, ce n’est pas la partisannerie qui ne cadre pas avec le rôle constitutionnel du Sénat. Ce qui va à l’encontre de la Constitution, c’est la tentative du premier ministre actuel en vue de court-circuiter notre système en diminuant l’opposition et en réduisant le Sénat à rien de plus qu’une Chambre d’écho au lieu de l’assemblée législative forte et responsable envisagée par les Pères de la Confédération, avec tous les droits et privilèges de l’autre endroit, dans notre régime bicaméral de type Westminster.

Une opposition forte reconnue dans les deux Chambres de notre Parlement fait en sorte que le gouvernement de l’heure soit l’objet de l’examen minutieux auquel les Canadiens s’attendent et qu’ils méritent. Toute tentative en vue de contrecarrer cette responsabilité est inconstitutionnelle et un affront à notre démocratie.

Pour l’instant, je me console en sachant que nous, l’opposition, continuerons d’exiger des comptes du gouvernement avec la protection qui nous est accordée en tant que voix minoritaire au Parlement. Le leader du gouvernement peut se consoler en sachant que le premier ministre a nommé suffisamment de sénateurs aux vues similaires pour obtenir un nombre de voix majoritaire et faire adopter ses projets de loi. Les Canadiens peuvent se consoler en sachant que, lorsque quelque chose nuira à leurs intérêts de manière monumentale, les sénateurs s’acquitteront de façon réfléchie de leur responsabilité constitutionnelle, qui consiste à faire obstacle à la tyrannie d’un gouvernement majoritaire, conformément à la vision des Pères de la Confédération pour le Sénat. Merci beaucoup.

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