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La présence du racisme et de la discrimination au sein des institutions canadiennes

Interpellation--Ajournement du débat

27 octobre 2020


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Ayant donné préavis le 30 septembre 2020 :

Qu’il attirera l’attention du Sénat sur la présence du racisme et de la discrimination au sein des institutions canadiennes.

— Honorables sénateurs, je suis heureux d’avoir l’occasion de présenter de nouveau l’interpellation. Comme vous vous en souviendrez peut-être, en juin, j’ai longuement parlé de la question du racisme au Canada et au sein des institutions canadiennes. Il est clair qu’il s’agit toujours d’une question pressante. Je sais que plusieurs autres sénateurs souhaitaient ajouter leur voix à la discussion, mais n’ont pas pu le faire parce que le premier ministre a tenté de dissimuler un autre scandale éthique en prorogeant le Parlement. C’est pourquoi je pense qu’il est important de réinscrire l’interpellation au Feuilleton. J’ai hâte de voir l’évolution de cette discussion dans cette enceinte. Je n’en parlerai pas davantage. Je vous remercie beaucoup.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui dans le cadre de l’interpellation du sénateur Plett. J’aimerais d’abord remercier le sénateur Plett d’avoir lancé cette interpellation sur la présence du racisme et de la discrimination au sein des institutions canadiennes.

Le fait est qu’il existe toujours des préjugés à l’endroit des Noirs, des Autochtones, des musulmans, des Juifs et d’autres groupes racialisés. Malheureusement, nous en avons d’abondants exemples. Qu’on puisse penser que la Loi sur le multiculturalisme canadien suffit à nous unir montre bien le privilège des dirigeants de nos institutions.

Cela s’applique particulièrement à l’absence de consensus quant à la définition du racisme systémique au Canada. Je me permets d’ajouter que cela ne tient certes pas à un manque d’études scientifiques sur le sujet, mais plutôt à un refus de voir l’inégalité. Voici, par exemple, comment Carol Tator et Frances Henry, qui figurent parmi les grands experts canadiens de la question du racisme, ont défini le racisme systémique il y a plus d’une décennie :

[...] les lois, les règles et les normes qui font partie intégrante du système social et entraînent une répartition inégale des ressources et des possibilités économiques, politiques et sociales entre divers groupes raciaux.

La montée constante de l’islamophobie au Canada est un parfait exemple de racisme courant et des dangers liés à l’absence de mesures législatives précises. Une mosquée du centre-ville de Toronto a récemment dû être fermée après avoir été la cible de nombreux courriels de menaces violentes et injurieuses. Il ne s’agit malheureusement pas d’un cas isolé, car il y avait eu auparavant plusieurs actes de vandalisme, du harcèlement et un des bénévoles qui s’occupait de la mosquée a été harcelé et poignardé.

La montée de l’intolérance religieuse n’est pas un phénomène nouveau. En 2016, le fabricant de logiciels Cision a constaté une hausse de 600 % du nombre de discours haineux utilisant les mots-clics #banmuslims et #siegheil sur les médias sociaux. Plus récemment, les plateformes de médias sociaux ont été utilisées pour faire de la désinformation islamophobe, phénomène exacerbé par la pandémie, selon laquelle les musulmans propagent la COVID-19.

Le nombre d’actes antisémites est aussi en hausse. Depuis un an, les attaques violentes contre la communauté juive ont augmenté de 27 % au Canada et de 62,8 % seulement en Ontario. Il est important de condamner les groupes haineux, mais il faut que ce geste soit suivi par des mesures sérieuses. En tant que Canadiens, nous ne devrions pas avoir peur de fréquenter notre lieu de culte.

Il y a aussi eu une augmentation marquée du nombre de crimes haineux contre les Canadiens d’origine chinoise : 600 incidents de racisme contre les Asiatiques ont été signalés depuis le début de la pandémie de COVID-19. Selon un sondage Angus Reid, la moitié des Canadiens d’origine chinoise sondés ont été victimes de propos haineux à cause de la COVID-19, et 43 % ont signalé avoir été menacés ou intimidés.

Ces crimes haineux ne se produisent pas en vase clos. Ils sont le résultat de préjugés incontrôlés et de discrimination. Il incombe à tous les Canadiens de mettre un terme à la haine qui les entoure. Si nous intervenons uniquement quand il y a des menaces réelles ou des actes de violence, il est déjà trop tard.

Honorables sénateurs, nous avons le devoir de protéger les Canadiens avec des lois claires et précises, des lois qui doivent être mises en œuvre. Autrement, il ne s’agit que d’un document. D’expérience, nous savons qu’un manque de clarté peut être interprété comme une permission de se livrer à la violence.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de l’interpellation du sénateur Plett. Le sénateur Plett et chacun d’entre vous sont des alliés dans la lutte contre le racisme systémique dans toutes ses formes cycliques.

Sénateur Plett, je suis reconnaissante de cette interpellation. Merci de l’avoir présentée et merci de votre leadership.

À la suite d’innombrables morts d’hommes, de femmes et d’enfants noirs en Amérique, de manifestants de partout dans le monde ont provoqué un niveau sans précédent d’unification. Des hommes, des femmes et des enfants de toute race sont enfin solidaires. Ils sont unis par leur vision collective d’un avenir meilleur pour tous nos enfants et petits-enfants. Un avenir où aucune fille ne demandera à sa mère : « Pourquoi disent-ils que je ne suis pas Canadienne? » après être revenue à la maison en larmes et bouleversée parce qu’une autre personne a remis en question son identité canadienne et l’a promptement dénigrée.

J’ai travaillé toute ma vie sur cette question et j’ai constaté que les plus grands obstacles aux actions véritables et concrètes sont dus à une mauvaise compréhension du problème qu’est le racisme systémique. Je crois fermement que, pour changer les choses, il faut passer par l’éducation, par l’enseignement, le réapprentissage et le « désapprentissage » des comportements et des croyances racistes qui sont profondément ancrés en nous.

Pendant la pandémie de COVID-19, vous avez peut-être vu mes blogues et ma série de balados sur le racisme systémique. Avec l’aide de mes employés exceptionnels, Gavin Jeffray, Seema Rampersad, Rana Allam et Madison Pate-Green, j’ai créé une brochure et un projet d’animation intitulés « L’invisible minorité visible : Une étude parlementaire de la nature cyclique du racisme systémique dans les institutions canadiennes ».

Honorables sénateurs, vous devriez avoir reçu aujourd’hui une vidéo d’animation préparée par mon bureau. Je vous invite à la visionner lorsque vous en aurez l’occasion. Mon bureau vous fera parvenir sous peu une brochure dans laquelle je décris la nature cyclique du racisme systémique et les expériences subies par les Canadiens racisés, notamment les Noirs, les Autochtones, les Premières Nations, les Inuits et les Métis, partout au pays.

J’ai divisé mon analyse de ce problème et des ses répercussions en six sections. Premièrement, je présente une définition du racisme systémique. Ensuite, je parle des domaines où le racisme systémique se manifeste le plus, c’est-à-dire l’emploi, le logement, l’éducation, l’institutionnalisation et la représentation politique.

Honorables collègues, en consultant cette documentation, vous devez comprendre que cette forme cyclique de racisme ne trouve pas nécessairement sa source dans une institution raciste en particulier. En fait, les Canadiens racisés doivent faire face à de la discrimination systémique dans tous les secteurs que j’ai mentionnés. Par exemple, le fait d’occuper un emploi inadéquat et peu avantageux limite de façon fondamentale les options de logement pour les personnes racisées et leurs familles. De la même façon, le lieu de résidence d’une personne détermine l’accessibilité de services sociaux essentiels comme l’éducation, les soins de santé et les soins en santé mentale.

En outre, à cause des lacunes dans les services de garde, les enfants et les jeunes sont souvent contraints de fréquenter des écoles sous-financées et négligées, ce qui leur laisse très peu d’options d’études supérieures. En raison des faibles perspectives de réussite, il devient presque impossible pour les gens de briser le cycle de la pauvreté dans lequel ils sont coincés depuis leur naissance. Par conséquent, bien trop souvent, les parents n’ont pas beaucoup la possibilité d’offrir de meilleures perspectives d’avenir à leurs enfants que celles dont eux ou même leurs parents bénéficiaient.

Enfin, comme notre collègue, la sénatrice Pate, n’a pas cessé de le souligner, il y a un nombre disproportionné de personnes noires, autochtones et musulmanes dans nos pénitenciers et nos prisons. Elles finissent par s’y retrouver généralement après des rencontres apparemment sans gravité avec les forces de l’ordre, ce qui mène souvent à leur placement dans une institution ou les amène à être privés de leurs droits et de leurs libertés uniquement parce qu’ils sont considérés comme étant interchangeables.

J’espère que, en lisant les expériences réelles des personnes racialisées au Canada et en en prenant connaissance, tous les Canadiens auront une compréhension plus approfondie des façons dont le racisme se manifeste, sous de nombreuses formes, dans presque tous les aspects de notre société.

Mes chers collègues, le Sénat, le Caucus des parlementaires noirs et les sénateurs Ravalia, Moodie, Mégie et Bernard n’ont jamais manqué de me rappeler l’importance de la collaboration pour réaliser nos visions collectives. Ils sont de fidèles alliés alors que nous reconnaissons que les objectifs et les idées ne manquent pas pour concrétiser la vision ultime d’un Canada où le racisme a été éradiqué, un Canada où les membres du Caucus des parlementaires noirs n’ont jamais à s’inquiéter de la sécurité de leurs petits-enfants, un Canada où tous sont convaincus que tous les enfants, les petits-enfants et ceux qu’ils aiment peuvent vraiment vivre en toute liberté et atteindre tous les objectifs qu’ils se fixent, peu importe leur identité.

Par ailleurs, en ce qui concerne les discours réfléchis et émouvants du sénateur Cormier, de la sénatrice McPhedran et de beaucoup d’autres de nos collègues, qui ont souligné la nécessité d’appliquer des analyses et des données fondées sur la race à l’ensemble des interventions policières et à la société en général, je suis tout à fait d’accord.

Les analyses fondées sur la race aideraient à établir une approche pangouvernementale qui assurerait une analyse critique des processus parlementaires au Canada. Je suis consciente que dans l’analyse comparative entre les sexes plus qui est appliquée en ce moment, le « plus » représente les autres facteurs comme la race, l’origine ethnique, la religion, l’âge et les handicaps mentaux ou physiques. Si la reconnaissance de ces enjeux est louable, je crois qu’une surveillance des politiques fondée explicitement sur la race est requise pour s’assurer que la réponse aux injustices raciales dans le processus législatif ne soit pas reléguée au second rang.

Honorables sénateurs, je prends la parole devant vous parce que beaucoup de personnes ont éliminé des obstacles pour moi. Je suis arrivée au Canada comme réfugiée. Le Barreau de la Colombie-Britannique a refusé de me donner un formulaire pour que je puisse lui présenter une demande. Pendant plusieurs mois, je suis allée cogner à la porte, mais on a refusé de me donner le formulaire de demande. En fait, on s’est mis à manquer de politesse envers moi.

J’ai commencé à travailler comme bonne à tout faire dans le cabinet de l’honorable Thomas Dohm, un avocat bien connu en Colombie-Britannique. Il s’est rendu au bureau du Barreau et a obtenu un formulaire pour moi, ce qui m’a permis de devenir avocate en Colombie-Britannique. Il a éliminé un obstacle pour moi.

Dans les tribunaux, les juges remettaient souvent en question mon statut d’avocate. En tant que première avocate canadienne d’origine sud-asiatique, j’ai eu beaucoup d’ennuis. On s’adressait à moi en pensant que j’étais une interprète. Souvent, les juges me faisaient taire en me disant que l’accusée ne parle pas dans les tribunaux canadiens, que c’est l’avocat qui doit prendre la parole. L’accusé était parfois un criminel notoire, mais les juges pensaient que c’était lui l’avocat. M. Dohm s’est souvent présenté en cour simplement pour s’asseoir avec moi. Ainsi, il a éliminé un autre obstacle pour moi.

Je suis devenue membre du Parti libéral et j’y suis restée pendant longtemps. Ensuite, j’ai fait campagne pour être vice-présidente. Le sénateur Ross Fitzpatrick et sa femme Linda m’ont aidée. Ils ont éliminé un obstacle pour moi.

Mon fils et moi sommes les premières personnes racialisées à siéger à l’exécutif national du Parti libéral. Nous avons eu à relever beaucoup de défis. Notre collègue, le sénateur Mercer, nous a pris sous son aile. Encore aujourd’hui, nous disons à la blague que nous avons tous les deux élevé mon fils. Je crois encore fermement que si le sénateur Mercer n’avait pas été là, s’il n’avait pas supprimé des obstacles pour nous, mon fils et moi ne serions pas demeurés membres du Parti libéral.

Imaginez-vous que je suis arrivée au Sénat la semaine après les événements du 11 septembre 2001. C’est la sénatrice Carstairs et notre Président, le sénateur Furey, qui ont été les premiers à éliminer des obstacles pour moi, la première sénatrice musulmane.

Vous m’aidez tous quotidiennement à éliminer les obstacles. Je me sens très aimée dans cet endroit. Je sais que vous serez là pour m’aider s’il y a un obstacle que je n’arrive pas à contourner.

Pour mettre fin au racisme systémique, nous devons nous assurer d’adopter des mesures législatives qui ne créeront pas d’obstacles et qui seront axées sur les moyens de les éliminer. Aujourd’hui, je vous demande de nous aider à mettre en œuvre une analyse fondée sur la race afin de faire disparaître les obstacles que doivent surmonter tous les Canadiens racialisés.

Notre rôle en tant que sénateurs consiste à créer l’harmonie dans la société. Que signifie l’harmonie? Quand j’étais jeune, ma mère souhaitait que je devienne pianiste et mon père souhaitait que je devienne politicienne. Vous pouvez constater qui a gagné. Ma mère me demandait de m’exercer au piano, alors pour l’ennuyer, parfois, je m’exerçais en me servant uniquement des touches noires. Je pourrais vous demander de jouer du piano en vous servant uniquement des touches noires; cela ne crée pas l’harmonie. Parfois, pour ennuyer ma mère, je m’exerçais en me servant uniquement des touches blanches. Cela non plus ne créait pas l’harmonie.

Plus tard dans ma vie, je me suis souvenue de ce que ma mère m’a enseigné. Pour créer une véritable harmonie dans un pays, il faut que participent à la fois les Noirs et les Blancs.

Honorables sénateurs, je suis ici devant vous parce que de nombreuses personnes ont éliminé des obstacles pour moi. Au fil des ans, j’ai eu beaucoup d’aide. Malheureusement, bien des personnes racialisées n’ont pas cette chance. Je crois que, en tant que législateurs, nous devons trouver des moyens de faire en sorte que les lois soutiennent toutes les personnes au Canada et n’érigent pas d’obstacles supplémentaires. Merci beaucoup.

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