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Projet de loi sur la Journée internationale de la langue maternelle

Deuxième lecture--Ajournement du débat

30 mars 2021


L’honorable Mobina S. B. Jaffer [ + ]

Propose que le projet de loi S-211, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-211, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle, que j’ai présenté.

Cette journée internationale aurait lieu le 21 février.

Le projet de loi vise à désigner une journée internationale de la langue maternelle. Précisons que cette journée n’est pas une fête légale ni un jour non juridique. Ce n’est pas la première fois que je présente ce projet de loi, honorables sénateurs. La dernière fois, il avait été renvoyé au Comité des affaires sociales.

Honorables sénateurs, je souhaite dire, d’entrée de jeu, qu’il s’agit d’un projet de loi important pour bon nombre d’entre nous.

Notre langue maternelle fait partie de notre identité. Elle nous donne des racines. Je dois vous dire que mes petits-enfants ne parlent malheureusement pas notre langue maternelle aussi bien que nous l’aurions souhaité. Il arrive toutefois souvent, pendant un repas, que notre petite de sept ans parle notre langue maternelle quand elle cherche à exprimer quelque chose avec émotion. Nous sommes tous vraiment touchés de voir que sa langue maternelle est souvent, pour elle, la meilleure façon d’exprimer ce qu’elle ressent.

Ce projet de loi instituera officiellement la Journée internationale de la langue maternelle, une initiative qui reflète à merveille ces valeurs profondément canadiennes que sont l’inclusion, l’ouverture, l’équité et le respect de tous.

S’il y a une jeune femme dont l’histoire nous rappelle à tous l’immense privilège et les grandes responsabilités qui incombent aux sénateurs canadiens en matière de diversité linguistique, c’est bien Heeba. Aujourd’hui dans la fin vingtaine, Heeba a quitté le Bangladesh en 1992 pour immigrer au Canada. Quand on lui a demandé ce qu’elle pensait du projet de loi S-211, elle a expliqué que le multilinguisme était devenu son identité culturelle.

Voici ses mots exacts :

C’est extrêmement important pour moi de parler ma langue maternelle, le bengali, avec ma famille. Quand j’étais à l’université, j’ai toujours eu des colocataires allemands et français et je profitais de chacune des occasions qui s’offraient à moi de parler avec eux dans leur langue.

J’ai remarqué que les gens sont très reconnaissants quand je fais l’effort de m’adresser à eux dans leur langue maternelle. Les yeux de mes amis brillent quand je leur parle en bengali, en népalais, en hindi ou en espagnol. Je parle aussi parfaitement le français et l’anglais.

Le goût des langues court dans ma famille : mon père parle italien et mandarin, tandis que ma mère parlement couramment l’allemand. Je suis incroyablement fière de parler ma langue maternelle, le bengali.

J’ai suivi des cours de bengali à l’université pour être capable de lire des ouvrages plus savants et de la poésie. Le Bangladesh m’a légué un extraordinaire bagage culturel, et j’aimerais tant que mes enfants parlent eux aussi le bengali, en plus de nombreuses autres langues.

J’ai beaucoup de mal à m’attacher à une seule langue. Je suis plusieurs langues à la fois, comme de nombreux autres Canadiens.

Cela fait partie de l’identité canadienne.

Désigner le 21 février comme la Journée internationale de la langue maternelle serait une occasion de célébrer les langues maternelles tout en soulignant l’importance de pouvoir communiquer librement, ouvertement et fièrement dans sa langue maternelle.

La Journée internationale de la langue maternelle a été proclamée pour la première fois en novembre 1999 dans le cadre d’une résolution adoptée à l’unanimité lors de la 30e Conférence générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. La proclamation était considérée comme l’un des volets d’une plus vaste stratégie internationale visant à « encourager la conservation et la défense de toutes les langues parlées par les peuples du monde entier ».

Avec l’adoption de la version finale de la résolution 56/262, le 15 février a été désigné à l’échelle internationale comme la Journée internationale de la langue maternelle.

La résolution symbolise aussi la commémoration et la promotion de la diversité linguistique et culturelle ainsi que du multiculturalisme et de toutes les langues maternelles.

Depuis ce temps, cette journée est célébrée dans le monde entier chaque année, le 21 février. Ce projet de loi vise essentiellement à rendre hommage aux gens de toutes les régions du Canada qui parlent avec fierté leurs langues maternelles; on en compte plus de 200, dont l’espagnol, le gujarati, le pendjabi, le tagalog et bien d’autres encore.

À Vancouver seulement, plus de la moitié des enfants en âge d’aller à l’école apprennent une langue autre que le français et l’anglais. De la même manière, 25 % des habitants de Vancouver indiquent que leur langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais.

En plus, c’est dans ma province d’origine, la Colombie-Britannique, qu’on trouve plus de la moitié des langues autochtones du Canada. Malheureusement, seul un Autochtone sur 20 dans la province parle couramment sa langue maternelle et presque tous ces Autochtones sont des aînés.

Nous savons tous que beaucoup — bien trop, en fait — de langues autochtones ont disparu. Chaque fois qu’une langue disparaît, c’est un peu de l’identité de notre pays qui disparaît.

En dépit des efforts louables du gouvernement pour s’attaquer au problème avec le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, seules 4 des 60 langues autochtones recensées sont considérées aujourd’hui comme ne risquant pas de disparaître.

Voici ce que disait l’honorable René Cormier, le président du Comité sénatorial permanent des langues officielles :

[...] ce projet de loi nous invite aussi à réfléchir aux grands enjeux touchant la disparition, la préservation et la réappropriation des langues autochtones. Le colonialisme et le projet d’expansion de l’État canadien ont eu des effets dévastateurs sur ces peuples. Victimes des pensionnats autochtones, les communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits ont vu leurs langues maternelles et leurs cultures décimées par les gouvernements canadiens successifs.

Au recensement de 2011, plus de 60 langues autochtones étaient recensées, mais seulement 14,5 % des membres des Premières Nations avaient encore comme langue maternelle une langue autochtone. En 2016, le nombre de langues recensées se chiffrait à plus de 70, dont plus de 33 de ces langues autochtones étaient parlées par au moins 500 individus, tandis que d’autres étaient parlées par aussi peu que 6 personnes.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-211 ne vise aucunement à remettre en question le statut du français et de l’anglais en tant que langues officielles du Canada, comme le garantit la Charte canadienne des droits et libertés. Je sais que la reconnaissance de la valeur du bilinguisme est un pilier de notre grand pays et de l’identité canadienne, que l’on pense au passé, au présent ou à l’avenir. Le projet de loi S-211 soutient le bilinguisme et notre multilinguisme riche et diversifié. Il me semble qu’il est plus que temps.

De nombreux Canadiens parlent de multiples langues, ce qui enrichit la culture du Canada et le pays dans son ensemble. C’est pourquoi la Journée internationale de la langue maternelle, le 21 février, est une occasion de célébrer sa langue maternelle avec fierté. Elle vise à amplifier les droits de tous les Canadiens de célébrer et de mettre en valeur leur langue maternelle.

Peu importe leurs origines, tous les sénateurs canadiens ont intérêt à défendre fermement le bilinguisme canadien ainsi que le multilinguisme canadien. Le projet de loi S-211 soutient le bilinguisme et reconnaît de façon plus officielle le multilinguisme. En fait, en plus du français et de l’anglais, toutes les langues maternelles des Canadiens méritent d’être honorées et célébrées.

Quand j’étais jeune, on m’a enseigné à être fière de parler ma langue maternelle, et j’en tire toujours de la force. C’est un fondement de ma personnalité, et ma langue me définit. En tant que mère et grand-mère, je continue cette lutte pour la reconnaissance de toutes les langues maternelles pour que les jeunes, y compris mes petits-enfants, sachent que leur langue maternelle fait partie de leur identité.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-211 ne reconnaît pas clairement ce fait. En raison de la présente pandémie mondiale de COVID-19, le besoin des Canadiens de se rapprocher et de se comprendre les uns les autres devrait être considéré comme plus important que jamais.

Ce qui est peut-être le plus important, c’est que la reconnaissance officielle de la Journée internationale de la langue maternelle nous permet de sensibiliser davantage tous les Canadiens et d’élargir leurs horizons. Les langues représentent sans contredit une stratégie d’unité nationale. Elles permettent à tous les peuples d’établir des relations uniques fondées sur la confiance, la compréhension et l’histoire. C’est notre fondement. C’est notre identité.

Honorables sénateurs, je tends la main à chacun d’entre vous et je vous demande de m’aider à appuyer le projet de loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle. Cela fait partie de nos valeurs canadiennes.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à propos du projet de loi S-211, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle.

Le projet de loi S-211 est une mesure législative visant à désigner le 21 février Journée internationale de la langue maternelle, en tenant compte du fait que le français et l’anglais sont les deux langues officielles du Canada, comme le garantit la Charte canadienne des droits et libertés.

J’aimerais remercier la sénatrice Jaffer de présenter à nouveau ce projet de loi au Sénat et de me donner encore une fois l’occasion de parler de l’importance de la diffusion des langues maternelles. En tant que pays ayant le multiculturalisme comme élément central, nous devons reconnaître et comprendre l’importance de la préservation de toutes les langues maternelles. Le professeur Wade Davis l’a exprimé avec plus d’éloquence que moi quand il a affirmé dans le magazine Canadian Geographic :

Une langue, il va sans dire, n’est pas qu’un simple ensemble de règles grammaticales ou un vocabulaire. C’est un éclair de l’esprit humain, le véhicule par lequel l’âme d’une culture s’arrime au monde matériel. Chaque langue est une forêt ancienne de l’esprit, un bassin versant de la pensée, un écosystème de possibilités sociales, spirituelles et psychologiques. Chaque langue est une fenêtre sur un univers, un monument à la culture qui l’a vue naître et dont elle exprime tout l’esprit.

Je connais très bien la corrélation entre ma langue maternelle et mon identité. Pour moi, parler pachtoune est plus qu’un moyen de communication. Écouter cette langue et converser dans elle me rendent heureuse, me réconfortent et me rappellent mon enfance. Plus encore, cela me relie à mes ancêtres et me permet de comprendre la littérature, l’art et la poésie de ma patrie.

Pour ces raisons, je me suis fixé comme priorité d’enseigner ma langue maternelle à mes deux filles, Anushka et Shaanzeh. Cela m’a permis de partager avec elles une part de mon identité, de mon histoire et de ma culture. Notre langue maternelle a renforcé nos liens familiaux.

En outre, sur le plan de l’éducation et de l’emploi, le multilinguisme a amélioré considérablement les débouchés professionnels de mes filles, tant au Canada qu’à l’étranger. L’aisance de ma fille aînée Anushka en pachtoune, la même langue parlée par des villageois dans un coin isolé du Pakistan, lui a permis d’obtenir de précieuses connaissances et d’apprendre des histoires intéressantes en vue de mener à bien sa thèse de doctorat.

Par ailleurs, ma benjamine Shaanzeh, qui est avocate, a pu se rapprocher de ses clients en communiquant avec eux en pachtoune. Il s’agit là d’expériences uniques que peuvent seulement vivre les personnes ayant pu obtenir la confiance d’autrui grâce au pouvoir de la langue.

Même en tant que sénatrice, je reviens souvent à ma langue maternelle dans le cadre de mon travail. Lorsque je prends la parole lors d’activités communautaires, il n’est pas rare que je passe de l’anglais au pachtoune et à l’ourdou. Dans mon travail à l’international, le fait de parler de nombreuses langues m’a permis de resserrer les liens entre le Canada et de nombreux pays. Être multilingue est un atout, autant au Canada qu’à l’étranger.

Le fait de pouvoir communiquer dans notre langue maternelle a eu une influence positive sur la vie de filles et la mienne, ce qui vaut la peine d’être célébré chaque année, le 21 février. C’est quelque chose qu’il faut encourager, car il arrive souvent que la langue maternelle soit perdue à partir de la troisième génération. D’ailleurs, selon les Nations unies, une langue disparaît toutes les deux semaines.

Évidemment, nous ne pouvons pas parler de l’importance de préserver les langues maternelles au Canada sans penser aux populations autochtones, dont beaucoup ont été dépouillées de leur langue maternelle. En 2016, seulement 16 % de la population autochtone, par rapport à 21 % en 2006, affirmaient être en mesure d’avoir une conversation dans une langue autochtone. Des plus de 60 langues autochtones au Canada, seulement 3 — le cri, l’inuktitut et l’ojibwé — sont considérées comme stables.

Pour autant, il y a de l’espoir. Hier encore, l’Université de la Colombie-Britannique annonçait la création du tout premier programme de baccalauréat en langue autochtone au Canada. La revitalisation des langues est toujours possible et ce doit être notre objectif.

Honorables sénateurs, on ne peut sous-estimer l’importance des langues maternelles, car nous savons que lorsqu’une langue meurt, le savoir et le patrimoine qu’elle contient meurent avec elle, dévalorisant à jamais notre société dans son ensemble. En tant que parlementaires, nous devons encourager les Canadiens à célébrer et à préserver notre diversité linguistique. Le projet de loi S-211 concrétise ces aspirations en sensibilisant la population à l’importance des langues maternelles et en faisant la promotion de leur enseignement.

En conclusion, je demande aux honorables sénateurs de tenir compte des questions posées par le professeur Wade Davis :

Toutefois, qu’en est-il de la poésie, des chansons et du savoir encodé dans les autres voix, ces cultures qui sont les gardiens et les intendants de 98,8 % de la diversité linguistique du monde? La sagesse d’un aîné autochtone est-elle moins importante simplement parce que celui-ci la communique à un auditoire composé d’une seule personne?

Sénatrice Jaffer, merci de votre travail infatigable à l’égard de ce projet de loi ou, comme nous le disons dans notre langue maternelle, manana.

Honorables sénateurs, merci.

L’honorable Ratna Omidvar [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi S-211 de la sénatrice Jaffer qui vise à désigner le 21 février Journée internationale de la langue maternelle.

Aux commentaires des sénatrices Jaffer et Ataullahjan, j’ajouterai que la langue est après tout l’âme d’une culture et d’un peuple. Notre âme canadienne est mue par le multilinguisme. Nous sommes nombreux à parler plus d’une langue. Au Sénat, nous passons souvent de l’une à l’autre des deux langues officielles du Canada, le français et l’anglais. Mais, comme nous l’ont dit d’autres intervenants, le français et l’anglais ne sont pas les seules langues parlées au Canada. Il existe en effet plus de 70 langues autochtones, mais bon nombre d’entre elles risquent malheureusement de sombrer dans l’oubli.

Par ailleurs, la langue maternelle de près du quart des Canadiens n’est pas le français ou l’anglais. Après l’anglais et le français, les six langues les plus couramment parlées au Canada sont le mandarin, le cantonais, le pendjabi, l’espagnol, le tagalog et l’arabe. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les Canadiens parleraient en tout 215 différentes langues maternelles. Cette variété représente bien l’incroyable diversité des Canadiens, car le Canada est une nation aux nombreuses cultures qui ont essaimé ici des quatre coins du monde.

Étant moi-même une immigrante, je peux témoigner du rôle important que les langues ont joué tout au long de ma vie. Je suis née en Inde, un autre pays multiculturel, où j’ai naturellement appris le pendjabi, l’anglais, l’hindi et un peu d’ourdou. J’ai aussi appris d’autres langues, comme l’allemand, en suivant des cours. J’ai également appris d’autres langues sur le tas, en en glanant des bribes ça et là pour survivre dans un nouveau pays, comme pour le farsi en Iran. À mon arrivée au Canada, il était normal pour moi de m’exprimer dans une langue et de réfléchir dans une autre.

J’ai compris que selon la langue qu’elle choisit d’utiliser, une personne exprime un aspect différent de sa personnalité. Par exemple, lorsque je parle ourdou, mon discours devient automatiquement plus soigné, plus respectueux et plus courtois, à cause de la nature de cette langue. Lorsque je parle allemand — de moins en moins couramment, je dois le reconnaître — je dois m’efforcer d’être précise. Quand je parle persan, je me rappelle que certaines langues expriment une tradition d’hospitalité profondément ancrée et je sais qu’on m’offrira incessamment une tasse de thé. Malheureusement, et je le regrette fort, je ne parle pas français, mais je sais que si c’était le cas, j’y trouverais une élégance de style que je note lorsque les sénateurs Gagné, Cormier et d’autres collègues du Sénat s’expriment. Quoi qu’il en soit, c’est lorsque je parle hindi à la maison avec ma mère que je redeviens enfant et que je retrouve mes origines, notamment lorsqu’elle corrige les nombreuses erreurs que je fais.

Alors que de plus en plus d’entre nous parlons une langue autre que notre langue maternelle, j’estime que c’est une idée formidable d’instaurer une journée pour réfléchir à l’identité, aux racines et à la culture véhiculée par la langue maternelle. Qu’on soit arrivé au Canada l’an dernier ou que nos ancêtres vivent sur ce territoire depuis des temps immémoriaux, il est essentiel de reconnaître que la langue maternelle est au cœur de l’identité de chacun.

Que nous soyons aussi nombreux à parler plus d’une langue est effectivement un sujet de célébration. Je vous remercie, sénatrice Jaffer, de tout ce que vous faites pour défendre la diversité linguistique dans notre pays. Je presse tous les honorables sénateurs de renvoyer ce projet de loi au comité le plus rapidement possible. Je vous remercie.

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