La Loi sur les douanes—La Loi sur le précontrôle (2016)
Projet de loi modificatif--Adoption du troisième rapport du Comité de la sécurité nationale et de la défense
16 juin 2022
Propose que le rapport soit adopté.
— Honorables sénateurs, le 13 juin 2022, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a terminé son étude du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).
Dans le cadre de cette étude, le comité a entendu le ministre de la Sécurité publique, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, des fonctionnaires, des experts universitaires ainsi que des représentants d’organisations juridiques et de la société civile.
Le comité a adopté le projet de loi S-7 avec des propositions d’amendements dans les trois grands domaines suivants : premièrement, les critères juridiques pour la fouille des appareils numériques personnels à la frontière; deuxièmement, la connectivité réseau de ces appareils; et troisièmement, les règlements relatifs au secret professionnel de l’avocat. Je vais aborder brièvement chacun de ces points.
Premièrement, en ce qui concerne la norme juridique, le projet de loi S-7 aurait introduit un nouveau critère juridique pour l’examen des appareils numériques personnels par l’Agence des services frontaliers du Canada, ou l’ASFC, les agents des douanes et les contrôleurs américains. Cette norme constitue « une préoccupation générale raisonnable ».
Pour contextualiser les changements proposés dans le projet de loi, en 2020, la Cour d’appel de l’Alberta a jugé inconstitutionnel le recours à l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes pour examiner les appareils numériques personnels. Les agents de l’ASFC se basent actuellement une multitude d’indicateurs pour fouiller les appareils numériques, conformément à leurs politiques internes. La cour a jugé qu’il fallait modifier la loi pour y inclure un critère juridique, et que c’était le rôle du Parlement d’établir un critère pour l’examen des appareils numériques personnels par les agents frontaliers.
Quand il a comparu devant le comité, le ministre a affirmé que le critère proposé par le gouvernement du Canada dans le projet de loi S-7 était nécessaire pour donner aux agents de l’ASFC les pouvoirs dont ils ont besoin pour intercepter les appareils numériques personnels faisant l’objet de contrebande.
En outre, des représentants du gouvernement ont expliqué que le projet de loi S-7 instaurerait le premier critère juridique pour que les contrôleurs américains puissent fouiller un appareil numérique personnel.
Cependant, plusieurs témoins ont exprimé des préoccupations au sujet du critère proposé dans le projet de loi. Selon eux, sa mise en œuvre pourrait avoir les résultats suivants : un traitement arbitraire à la frontière, l’infraction du droit à la vie privée des individus, un risque accru de discrimination, un manque de clarté quant à la signification de la norme proposée, et, enfin, une autre contestation devant les tribunaux.
Le comité a amendé le projet de loi S-7 pour remplacer le nouveau critère de « préoccupation générale raisonnable » par un critère plus élevé, celui des « motifs raisonnables de soupçonner », une norme juridique qui est déjà présente dans la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).
Le comité a convenu, avec dissidence, que ce critère juridique plus élevé pourrait atténuer certaines des préoccupations que je viens d’énumérer. Sous leur forme actuelle, la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016) prévoient qu’un agent de l’ASFC ou un contrôleur américain doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner qu’un voyageur pourrait enfreindre la loi avant de procéder à d’autres types de fouille, par exemple, dans le cas de la Loi sur les douanes, pour ouvrir du courrier que transporte un voyageur, ou, dans le cas de la Loi sur le précontrôle (2016), pour procéder à une fouille à nu.
Les amendements apportés par le comité au projet de loi S-7 feraient en sorte que l’examen des appareils numériques personnels à la frontière soit soumis à un critère qui est déjà connu des agents des services frontaliers du Canada et des États-Unis.
En ce qui concerne la connectivité des réseaux, les représentants du gouvernement ont souligné que la Loi sur les douanes donne aux agents des services frontaliers du Canada le droit d’examiner les documents qui sont stockés sur un appareil numérique personnel, mais pas ceux qui sont stockés sur un serveur d’infonuagique, par exemple. Le projet de loi S-7 maintiendrait ce rôle pour les agents des douanes canadiennes et l’introduirait officiellement pour les contrôleurs des États-Unis. Toutefois, pour plus de clarté, le comité a amendé le projet de loi S-7 pour indiquer explicitement que les agents des services frontaliers du Canada ou des États-Unis seraient tenus de désactiver la connectivité réseau des appareils numériques personnels qu’ils examinent.
Enfin, plusieurs témoins du comité ont soulevé des préoccupations concernant le privilège du secret professionnel de l’avocat, suggérant que le critère juridique proposé par le projet de loi S-7 pour l’examen des appareils numériques personnels — soit une « préoccupation générale raisonnable » — pourrait faire en sorte que les agents des services frontaliers du Canada et les contrôleurs des États-Unis aient un accès non autorisé à des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. Pour répondre à ces préoccupations, le comité a modifié le projet de loi afin que la Loi sur les douanes et la Loi de 2016 sur le précontrôle permettent au gouverneur en conseil de prendre des règlements concernant les mesures à prendre par ces agents si un document sur un appareil numérique personnel est assujetti au secret professionnel ou à d’autres protections connexes.
En conclusion, chers collègues, tout au long de l’étude du projet de loi S-7, le comité a tâché de trouver un équilibre approprié entre le fait de donner aux agents des services frontaliers canadiens et aux contrôleurs américains les outils dont ils ont besoin pour assurer la sécurité publique et l’intégrité des frontières, tout en protégeant le droit à la vie privée des particuliers.
Au nom du comité, je soumets à votre considération le projet de loi S-7, tel qu’il a été amendé. Merci.
L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
Sénateur Dean, merci beaucoup de votre travail au comité et de ce rapport très étoffé.
Mes chiffres sont peut-être inexacts, mais, outre le ministre et des fonctionnaires, je crois que le comité a entendu 12 témoins indépendants. Ne convenez-vous pas qu’aucun témoin n’a suggéré que le critère de « préoccupation générale raisonnable » était une bonne idée, mais que tous les témoins ont plutôt suggéré le critère de « motif raisonnable de soupçonner »? Êtes-vous d’accord avec moi là-dessus?
Merci, sénatrice Jaffer. Ce serait sans doute le cas, à l’exception de la protection de la jeunesse. Tous les autres étaient nettement en faveur d’un critère plus élevé.
Sénateur Dean, je parlerai bientôt de cette question et je ne veux pas insister outre mesure, mais même Mme St. Germain a dit qu’elle accepterait le critère parce que c’est le critère général prévu dans la Loi sur les douanes. Seriez-vous d’accord là-dessus?
Sénatrice Jaffer, je vais vérifier le compte rendu. C’est mon souvenir, parce que cela m’a frappé qu’elle ait été la seule témoin à soutenir le projet de loi initial tel que rédigé. J’en ai donc conclu qu’elle penchait vers le critère de « préoccupation générale raisonnable ». Nous vérifierons tous les deux le compte rendu et nous aurons la réponse lorsque vous prononcerez votre allocution la semaine prochaine.
Je vous remercie pour ce rapport, sénateur Dean. Je suis très satisfaite du travail approfondi effectué par le comité.
Je me demande si vous pourriez nous dire si d’autres messages ou communications ont été échangés avec le personnel du Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada en ce qui concerne d’éventuelles préoccupations ou la façon dont ces préoccupations auraient pu être levées si on avait employé le critère légal existant bien connu et éprouvé.
Je vous remercie de votre question, sénatrice Lankin. Je crois que nous avons reçu des mémoires du commissaire à la protection de la vie privée, et ils ont été reçus avant que cette préoccupation soit soulevée. Le Bureau du commissaire à la protection de la vie privée souhaitait qu’une norme plus claire et plus précise soit employée.
La prochaine question sera peut-être plus difficile pour vous, et il pourrait être plus judicieux d’attendre que le parrain du projet de loi prenne la parole, mais avez-vous des indications quant à la possibilité que le gouvernement voie ces amendements d’un œil positif?
Je vais avancer une réponse simplement fondée sur ce que j’ai constaté ici. En ce qui a trait à la clarification et au renforcement de l’exigence qu’un appareil numérique soit déconnecté du réseau, les fonctionnaires nous ont dit que cela serait couvert dans la réglementation et que c’était la pratique actuelle.
Je n’ai pas entendu de préoccupations quant à la possibilité de renforcer cette exigence au moyen d’un amendement. De plus, les fonctionnaires nous ont dit que des dispositions existent concernant le secret professionnel, mais, encore une fois, je n’ai pas entendu de préoccupations concernant la possibilité de répéter ces dispositions en vue de plus de certitude. Il y avait par contre des différences marquées dans les avis concernant le critère légal.
Sénateur Dean, je vous remercie du rapport que vous avez présenté à titre de président du comité.
J’aimerais comprendre l’amendement que le comité a adopté. Dans la décision de la Cour d’appel de l’Alberta, on disait qu’il fallait remplir un critère, qu’il ne fallait pas nécessairement que ce soit celui qui figure actuellement dans la loi et que cela pourrait être un critère un peu moins exigeant pour l’Agence des services frontaliers du Canada que celui qui se trouve déjà dans la loi.
Si je comprends bien, l’amendement qui a été adopté par le comité consiste à décider du critère, à élargir l’application du critère actuel — que l’agence connaît très bien et qu’elle est habituée à mettre en œuvre — et, donc, d’élargir la question des fouilles des appareils aux téléphones portables et aux tablettes. Est-ce que j’ai bien compris?
Merci de votre question, sénatrice Dupuis. Oui, effectivement, c’est exactement l’approche que les membres du comité ont adoptée : le passage à une norme déjà établie — l’existence de « motifs raisonnables de soupçonner » — à d’autres fins, en vertu de la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle de 2016. D’après ce que j’ai cru comprendre, c’est le prochain critère le plus élevé au-delà de ce nouveau concept de « préoccupations générales raisonnables ». Vous avez bien compris l’amendement.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape du rapport du projet de loi S-7.
Je veux d’abord remercier le comité de sa nature collégiale; le sénateur Dean d’avoir mené une étude article par article bien organisée, sa première comme président du comité; et le sénateur Wells d’avoir accepté d’être porte-parole pour le projet de loi.
Tel qu’il a été indiqué dans le rapport, le projet de loi S-7 a été amendé à certains égards pour inscrire dans la loi l’obligation que le réseau soit déconnecté avant qu’un appareil numérique personnel puisse être fouillé. Cette obligation était initialement censée être incluse dans le règlement.
D’autres amendements portaient sur la protection de l’information, comme le secret professionnel de l’avocat, par l’entremise d’un décret. On a aussi proposé un amendement au projet de loi pour que la prise de notes figure dans le règlement. Cependant, le projet de règlement fourni au comité a prouvé que cette exigence était déjà respectée, ce qui a satisfait le comité, et l’amendement a donc été retiré.
Comme vous vous en doutez, l’amendement dont j’aimerais parler pour le reste du temps dont je dispose porte sur le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Permettez-moi de citer le mandat de l’ASFC :
L’Agence a la responsabilité de fournir des services frontaliers intégrés à l’appui des priorités liées à la sécurité nationale et à la sécurité publique et de faciliter la libre circulation des personnes et des marchandises, y compris les animaux et les végétaux, qui respectent toutes les exigences de la législation frontalière.
La sécurité nationale et la sécurité publique sont au cœur du mandat de l’agence. Dans mes discussions avec nombre de sénateurs, il a été question d’établir un équilibre entre les droits de l’individu d’une part et le droit à la sécurité collective d’autre part dans le contexte des personnes et des biens qui traversent nos frontières.
Les agents frontaliers sont dans une situation opérationnelle unique. Ils se fondent sur une interaction extrêmement brève pour déterminer s’il y a eu une infraction possible à une mesure frontalière. La sécurité frontalière est une affaire complexe. L’ASFC est chargée d’appliquer plus de 90 lois, règlements et ententes internationales dans le cadre de la législation frontalière.
C’est dans ce contexte que je vous rappelle la question pertinente de la sénatrice Dupuis à l’étape de la deuxième lecture et à laquelle elle a donné suite tout à l’heure. Voici ce qu’elle a dit au sujet des « préoccupations générales raisonnables » :
Le problème n’est pas que ce soit un nouveau concept, parce que c’est la Cour d’appel qui l’a elle-même introduit. Quand la Cour d’appel dit que le concept existant est peut-être trop sévère pour la situation qu’on veut couvrir, le législateur pourrait privilégier un concept moins sévère et qui crée moins d’obligations pour les agents des douanes.
Le fait que ce soit un nouveau concept est donc dans l’ordre des choses. Ne devrait-on pas plutôt tenter de savoir si le concept retenu par le gouvernement dans son projet de loi est approprié sur le plan juridique pour la situation qu’on veut couvrir?
C’est une importante question. Mon opinion, comme vous le savez, a été très clairement énoncée dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture.
Comme nous l’avons entendu dans le cadre des travaux du comité, l’intention du gouvernement est d’établir un critère qui est raisonnable, qui repose sur les faits objectifs et vérifiables, qui est de nature générale et ne renvoie pas à une infraction précise pour l’une des dispositions législatives — plus de 90 au total — que l’ASFC met en application, et qui concerne une préoccupation devant viser précisément une personne en particulier ou son appareil.
L’ASFC a contrôlé près de 19 millions de voyageurs en 2021 et elle a procédé à environ 1 800 examens d’appareils numériques personnels. En 2021, le fonctionnement de l’ASFC reposait sur des politiques internes pour déterminer quand l’examen d’un appareil devait avoir lieu; l’objectif du projet de loi S-7 est de donner force de loi à ces politiques internes.
Comme l’a dit Scott Millar, vice-président, Politique stratégique à l’Agence des services frontaliers du Canada lorsqu’il a comparu devant le comité, « la politique qui existe en ce moment sera inscrite dans la loi ». Il s’agit donc de créer un critère juridique à partir des politiques de l’agence. C’est d’ailleurs à cause de l’absence de critère que la cour a conclu, dans l’affaire R. c. Canfield, que l’alinéa 99(1)a) était inconstitutionnel.
Voici un extrait de l’arrêt Canfield, paragraphe 109 :
Les politiques mises en place par l’ASFC reconnaissent, dans une certaine mesure, que de telles mesures de protection sont nécessaires, mais les politiques ne sont pas prescrites « par une règle de droit », comme l’exige l’article 1 [...]
L’arrêt Canfield fait ici référence à l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Essentiellement, pour qu’une restriction soit conforme à la Charte, elle doit être prescrite par une règle de droit. Les politiques internes de l’ASFC ne sont pas prescrites par la loi parce qu’elles ne se trouvaient pas, à ce moment-là, dans la loi. La cour n’a pas rejeté les politiques internes de l’ASFC parce qu’elles ne satisfaisaient pas à un critère approprié. En fait, ces politiques internes n’ont été créées qu’en 2015 et ne s’appliquaient donc pas en 2014, quand les fouilles qui ont mené à l’affaire Canfield ont eu lieu.
Lorsqu’il a rédigé le projet de loi S-7, le gouvernement croyait que l’affaire Canfield avait ouvert la voie à une baisse du critère autorisant la fouille d’appareils numériques personnels, et seulement ces fouilles.
Au paragraphe 75, la cour dit ceci :
Vu le contexte unique des services frontaliers, c’est au Parlement qu’il reviendra de décider si le critère approprié est le soupçon raisonnable ou quelque chose d’inférieur, et les détails seront peaufinés dans d’autres affaires judiciaires […]
Cet aspect était au cœur des délibérations du comité. Ce sera la première fois qu’une loi portant expressément sur les appareils numériques personnels sera appliquée à nos frontières. Les circonstances particulières de l’application de l’article 8 à la frontière ont été établies en droit depuis un certain temps. En effet, la Cour suprême du Canada s’est prononcée à ce sujet dans l’affaire R. c. Simmons, et cette position a été réaffirmée dans les décisions R. c. Jacques et R. c. Monney. En ce qui concerne la protection de la vie privée à un poste frontalier, le paragraphe 51 de la décision Simmons dit que « [l]a nécessité d’assurer sa propre protection devient un élément déterminant du calcul effectué ».
Ensuite, on dit ceci, au paragraphe 52 :
J’accepte la proposition de la poursuite que les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations. En effet, les gens ne s’attendent pas à traverser les frontières internationales sans faire l’objet d’une vérification. Il est communément reconnu que les États souverains ont le droit de contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans leur territoire.
La décision Monney apporte des précisions supplémentaires en disant, au paragraphe 43, que :
[...] les arrêts de notre Cour [...]
— c’est-à-dire la Cour suprême du Canada —
[...] portant sur le caractère raisonnable d’une fouille ou d’une perquisition pour l’application de l’art. 8 en général ne sont pas nécessairement pertinents pour l’appréciation de la constitutionnalité d’une fouille effectuée par des agents des douanes aux frontières canadiennes.
Il est essentiel d’établir un juste équilibre et un seuil approprié pour l’examen des appareils numériques personnels aux frontières. Dans l’affaire Canfield, la cour, qui a fait un travail magistral, a conclu qu’un seuil inférieur aux soupçons raisonnables pourrait être nécessaire pour les fouilles d’appareils. La cour tient compte à la fois des préoccupations à l’égard des renseignements personnels et du contexte frontalier au paragraphe 66 :
La question fondamentale est de savoir à quel degré de protection de la vie privée il est raisonnable de s’attendre à un poste frontalier international. Dans un contexte national, il est généralement admis que les personnes peuvent s’attendre raisonnablement à ce que la confidentialité du contenu de leurs appareils numériques personnels soit protégée : voir Morelli, Vu, Fearon. Cependant, les attentes raisonnables en matière de protection de la vie privée à une frontière internationale diffèrent de celles dans d’autres lieux.
L’explication se poursuit au paragraphe 67 :
Il faut atteindre un équilibre entre les attentes élevées en matière de respect de la vie privée qu’ont généralement les personnes en ce qui concerne leurs appareils numériques personnels et les faibles attentes en matière de respect de la vie privée qu’elles ont lorsqu’elles traversent des frontières internationales. Compte tenu des circonstances propres au contexte frontalier en ce qui concerne le caractère raisonnable des fouilles et des saisies prévues à l’article 8 [...] les attentes raisonnables en matière de respect de la vie privée pour les voyageurs internationaux en ce qui concerne leurs appareils numériques personnels doivent être examinées à nouveau et en tenant compte du contexte.
Au paragraphe 34, la cour a reconnu qu’on ne peut pas classer toutes les fouilles d’appareils numériques personnels dans une seule grande catégorie de considérations liées à la protection de la vie privée, car différentes considérations entrent en jeu en fonction des informations dont dispose l’agent des services frontaliers. Le fondement constitutionnel sera finalement déterminé par des cas particuliers. Cependant, ce n’est pas parce qu’une chose est nouvelle sur le plan juridique, comme c’était le cas dans la version originale, qu’elle est inconstitutionnelle. Chaque cas a un niveau de preuve différent pour déterminer si les critères requis ont été satisfaits. Il varie en fonction des biens faisant l’objet d’une fouille.
Par exemple, les critères à satisfaire pour fouiller les envois ont souvent été utilisés à titre comparatif au comité, comme ils l’ont été au Sénat et à juste titre. Selon la Loi sur les douanes, aucun motif n’est requis pour examiner les envois; les « motifs raisonnables de soupçonner » s’appliquent lorsque les envois sont ouverts. Beaucoup d’informations peuvent être tirées d’un envoi non ouvert. On peut le prendre dans ses mains et le palper; il se peut qu’une adresse ou une adresse de retour y soit inscrite et les deux peuvent être fouillées; des tests peuvent être menés sur l’enveloppe pour détecter la présence de drogues ou de matières organiques; et, surtout, il est possible de passer l’envoi aux rayons X pour voir si quelque chose se trouve à l’intérieur.
Il est possible de faire tout cela sans avoir de motif. Ce sont les preuves recueillies ainsi qui permettent de développer le soupçon raisonnable nécessaire pour ouvrir l’envoi. Elles permettent à l’agent des services frontaliers de citer plus facilement une transgression précise nécessaire pour atteindre un seuil de suspicion raisonnable.
Chers collègues, dans de petits pots arrivent aussi de mauvais onguents. Dans le cadre d’un article publié dans le Calgary Herald, Benjamin Perrin, ancien conseiller principal en matière de justice pénale du premier ministre Harper, a interviewé des fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada et a appris que 1,9 million d’envois postaux entrent au Canada en provenance de la Chine chaque mois, et que du fentanyl a été trouvé dans des colis aussi petits que des cartes de vœux.
Pour le courrier, il existe de nombreuses méthodes, mais c’est plus difficile pour les appareils numériques personnels, d’où le recours à des critères plus généraux pour fouiller un appareil — c’est-à-dire des critères qui ne pointent pas vers une infraction en particulier. Cela a contribué à l’efficacité opérationnelle.
En même temps, on a fait valoir à juste titre que la quantité de données sur le dispositif est si importante et si personnelle que les critères devraient être plus sévères. Mais ce n’est pas parce que le fentanyl est tangible qu’il est plus dangereux que ce que l’on peut trouver sur un appareil électronique. C’est là le nœud du problème.
Le ministre a dit à notre comité qu’on ne trouve pas que de la pornographie juvénile sur des appareils numériques personnels à nos entrées frontalières, mais aussi des choses comme de la propagande haineuse ou des preuves d’importation de drogues, qui sont toutes également extrêmement nuisibles.
Dans la Loi sur les douanes, le critère des « motifs raisonnables de soupçonner » n’est pas utilisé seulement dans les cas où les éléments de preuve permettent aux agents des services frontaliers de satisfaire à ce critère juridique pour examiner des biens. C’est aussi le critère à satisfaire pour réaliser des fouilles corporelles, y compris des fouilles à nu. Dans l’arrêt Canfield, la Cour précise ce qui suit, au paragraphe 75, en ce qui a trait à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Fearon :
Nous sommes d’accord avec la conclusion dans les paragraphes 54 à 55 de l’arrêt Fearon, c’est-à-dire que, même si l’examen d’un ordinateur ou d’un téléphone cellulaire n’est pas semblable à la saisie de substances corporelles ou à la fouille à nu, il peut néanmoins représenter une intrusion considérable sur la vie privée. Pour être raisonnable, une telle fouille doit être permise seulement à l’atteinte d’un critère. Comme l’indique le paragraphe 28 de l’arrêt Simmons, « plus l’empiétement sur la vie privée est important, plus sa justification et le degré de protection constitutionnelle accordée doivent être importants ». Ainsi, à notre avis, le critère pour justifier la fouille d’appareils électroniques peut être inférieur au critère de « motifs raisonnables de soupçonner » nécessaire pour une fouille à nu en vertu de la Loi sur les douanes.
La Cour suprême, dans l’arrêt Fearon et la Cour d’appel de l’Alberta, dans l’arrêt Canfield , ont convenu que la fouille des appareils numériques personnels n’était « pas semblable à [...] une fouille à nu » et, pourtant, voilà où nous en sommes aujourd’hui.
Honorables sénateurs, il y a différents types de fouilles possibles lorsqu’on traverse la frontière, en fonction de ce que recherche l’agent des services frontaliers. Il peut décider de fouiller les bagages, les sacs, les manteaux et les mallettes, sans avoir à respecter de critères. Pour la fouille à nu, il faut qu’il ait des soupçons raisonnables. Cet amendement met au même niveau la fouille d’une personne et celle d’un dispositif numérique personnel. Si ce projet de loi modifié est adopté, les agents des services frontaliers devront soupçonner qu’une infraction particulière a été commise selon plus de 90 lois, règlements et accords internationaux pour fouiller un dispositif numérique personnel.
Depuis le début du mois de mai, l’Alberta et l’Ontario s’appuient sur les critères les plus élevés de soupçons raisonnables à leurs points d’entrée, après l’expiration de la déclaration d’inconstitutionnalité. Les statistiques sur les répercussions de ce changement sont préliminaires et générales, mais elles nous donnent un aperçu de ce qui pourrait arriver aux services de sécurité frontalière et à leurs activités. Dans un document déposé devant le comité, on peut lire qu’en mai 2021, le nombre de voyageurs s’élevait à 606 000 pour l’Alberta et l’Ontario; en mai 2022, il y en avait 2 595 000. C’est quatre fois plus par rapport à la même période l’an dernier. En mai 2021, on a fouillé 63 dispositifs numériques personnels en Alberta et en Ontario; en mai 2022, seuls 18 ont fait l’objet d’une fouille.
Sénateurs, cela correspond à un taux d’examen des appareils de 1 voyageur sur 10 000 en mai 2021, et de 1 voyageur sur 144 000 en mai dernier. Cela représente une modification considérable du taux de fouille, peu importe l’angle sous lequel on aborde la question. Oui, nous pouvons tenir compte de l’incidence de la COVID, des habitudes de déplacement et des niveaux de dotation à nos points d’entrée, et j’espère que les prochaines données désagrégées nous permettront de mieux comprendre la véritable incidence de ce changement relativement aux fouilles d’appareil, mais le fait d’instaurer un critère plus rigoureux aura manifestement une incidence sur le fonctionnement des services frontaliers.
En terminant, je signale que le projet de loi modifie également la Loi sur le précontrôle (2016), laquelle est fondée sur l’accord entre le Canada et les États-Unis. Par conséquent, il faudra également former les contrôleurs américains à l’égard du nouveau critère. Il est important de souligner que, lorsque les agents frontaliers du Royaume-Uni, de l’Australie et des États-Unis se trouvent sur le territoire de leur propre pays, ils n’ont aucun critère à respecter pour fouiller des appareils numériques personnels.
Je tiens à remercier sincèrement tous les sénateurs qui ont réfléchi à ce projet de loi et y ont accordé un grand intérêt, notamment tous les membres du comité qui l’a étudié. Sénateurs, l’arrêt Canfield a laissé au Parlement le soin de déterminer quel devrait être le critère à respecter avant de procéder à la fouille d’appareils numériques personnels. Le comité a fait son travail et je suis impatiente d’entendre les discours à l’étape de la troisième lecture de même que la suite de cet important débat à la Chambre des communes. Merci, meegwetch.
Honorables sénateurs, je veux remercier le sénateur Dean pour l’agilité avec laquelle il gère les réunions du comité. Il y a eu beaucoup de témoins, d’opinions et de débat et le sénateur a fait de l’excellent travail. Je veux également remercier la sénatrice Boniface, la marraine du projet de loi, de sa contribution à ce titre et de la présentation du point de vue du gouvernement. En tant que porte-parole pour le projet de loi, j’ai aussi un travail à faire.
Pendant la réunion du comité, comme on l’a dit, huit amendements ont été présentés et ils ont tous été adoptés. De nombreux enjeux ont été soulevés, mais il y en avait trois plus importants. D’abord, il y avait la question de la connectivité, sur laquelle portait mon amendement — en fait trois amendements ont été adoptés par le comité. Le sénateur Dean, entre autres, a mentionné la question des « motifs raisonnables de soupçonner », sur laquelle portait l’amendement de la sénatrice Jaffer. Je souligne que le sénateur Dalphond aussi a présenté un amendement similaire qui a été facilement adopté et qui concernait également des éléments comme le profilage racial et la sélection possible d’individus en raison du pays d’où ils arrivent, par exemple, dont il sera certainement question dans les discours à l’étape de la troisième lecture. Le dernier élément visé par un amendement concerne le secret professionnel, amendement qui a été présenté par le sénateur Dalphond. Dans certains cas, il y avait deux amendements, parce que certains concernaient la Loi sur les douanes et d’autres, la Loi sur le précontrôle (2016).
Je note également que d’autres points importants n’ont pas été inclus dans des amendements. Ils le seront peut-être dans le règlement. Le sénateur Yussuf a parlé des préoccupations soulevées au comité par le Commissariat à la protection de la vie privée. Il avait quatre points clés : la tenue de dossiers par les agents de l’ASFC; la vérification limitée à ce qui se trouve dans l’appareil, ce qui a un lien avec mon amendement sur la connectivité; les règles concernant la collecte de mots de passe; et les mécanismes de plainte et de recours. En ce moment, chers collègues, il n’existe aucun mécanisme de ce genre. Cela revient à hurler à la lune pour une organisation qui souhaite maintenant avoir carte blanche pour fouiller nos appareils numériques personnels.
On a aussi demandé pourquoi on réduit considérablement les amendes pour entrave au travail d’un agent des services frontaliers. À mon avis, cette question est aussi importante que les éléments clés du projet de loi. Je ne vois pas comment cette importante réduction sera plus dissuasive.
Je vais parler brièvement des catégories d’amendements qui ont été mentionnés. L’un d’eux est d’informer le voyageur et lui faire comprendre que son appareil peut faire l’objet d’une vérification en mode non connecté. Bien entendu, dans mon discours, à l’étape de la deuxième lecture, j’ai abordé cette question. Je n’avais pas été informé que c’était conforme à la politique en vigueur et que l’appareil pouvait être mis en mode non connecté. Par conséquent, parce que je n’étais pas au courant de ces éléments et que je ne connaissais pas mes droits à cet effet, l’agent des services frontaliers a eu tout le loisir voulu de consulter mes relevés bancaires, mes relevés de cartes de crédit et de me poser des questions sur mes finances. Même si c’est la politique en vigueur, je crois qu’il est important de reconnaître que la politique n’est pas respectée. Encore une fois, comme je l’ai mentionné dans mon discours lors de la deuxième lecture — ou était-ce en réponse à une question de la sénatrice Boniface après son discours —, la télésérie Douanes sous haute surveillance, qui met en vedette l’ASFC, montre que les agents des services frontaliers font souvent des vérifications des appareils personnels des voyageurs, notamment en expliquant à la caméra ce qu’ils découvrent en faisant défiler le contenu.
L’amendement du sénateur Dalphond sur le secret professionnel de l’avocat est vraiment important. Nous sommes tous conscients de ce qui peut se trouver dans nos appareils numériques personnels — dossiers médicaux, correspondance personnelle avec nos conjoints et partenaires, photos de notre famille ou toute autre photo personnelle que l’on peut avoir — et la question que nous pourrions vouloir examiner en troisième lecture est de savoir si cela devrait également s’étendre à la confidentialité des rapports entre médecins et patients, qui est évidemment aussi importante que le secret professionnel de l’avocat, les secrets industriels ou toute autre chose qui pourrait avoir un degré élevé de confidentialité et qui pourrait ne pas intéresser l’Agence des services frontaliers du Canada dans sa recherche de documents de contrebande.
Le comité a adopté un amendement dont on a parlé, qui a été proposé par la sénatrice Jaffer et qui est équivalent à l’amendement que le sénateur Dalphond s’apprêtait à proposer, selon lequel on passerait de la proposition de « préoccupations générales raisonnables » aux « motifs de soupçonner ». Honorables sénateurs, les préoccupations générales raisonnables constituent essentiellement un critère peu élevé, voire inexistant si l’agent des services frontaliers n’a pas à justifier ses préoccupations. Évidemment, tous les agents des services frontaliers devraient avoir des préoccupations générales raisonnables au sujet de toute personne qui traverse la frontière. Il faut toutefois qu’il y ait un certain seuil à satisfaire avant qu’ils puissent fouiller dans les documents, les messages et les photos les plus privés des Canadiens qui traversent la frontière.
Pendant nos discussions à ce sujet, le sénateur Dalphond a souligné — comme l’ont fait tous nos juristes, y compris la sénatrice Jaffer — que la notion de « motifs raisonnables de soupçonner » est un concept juridique bien compris et éprouvé, qui a été soumis à l’épreuve des tribunaux. Il est bien défini et permet, dans une certaine mesure, de réduire le profilage racial qui se produit, comme on le sait, à la frontière, un enjeu dont nous avons abondamment discuté au comité.
Finalement, chers collègues, je tiens à mentionner aussi les témoins qui ont participé à la réunion. Le sénateur Dean en a nommé quelques-uns, mais j’ai la liste complète ici. Il m’apparaît important que les sénateurs sachent que les organismes suivants pensent à ces questions chaque jour : la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, l’Association canadienne des libertés civiles, l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, l’Association du Barreau canadien, et l’École Munk des affaires internationales et des politiques publiques de l’Université de Toronto. Un professeur agrégé de la Faculté de droit de l’Université de Calgary a aussi présenté un excellent témoignage. L’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC, était évidemment présente, tout comme le ministère de la Justice, instigateur du projet de loi.
Honorables sénateurs, il faut se rappeler que mardi, M. Dufresne, le candidat au poste de commissaire à la protection de la vie privée, était avec nous et qu’il a répondu à mes questions sur le critère des préoccupations générales raisonnables. Nous avons tous entendu ces réponses durant le comité plénier.
Je rappelle que le sénateur Dean a souligné qu’une témoin n’avait pas d’opinion sur le sujet et qu’elle avait répondu qu’elle n’avait pas envisagé cette possibilité, mais, parmi tous les autres témoins experts indépendants, aucun ne considérait que le critère des préoccupations générales raisonnables était une bonne idée ou qu’il réussirait l’épreuve des faits.
Honorables sénateurs, il faut savoir que si la barre est placée si bas qu’il ne réussirait pas l’épreuve des faits, il reviendra aux tribunaux de décider. Deux témoins ont suggéré que cela pourrait prendre jusqu’à cinq ou dix ans. Nous savons à quel point bon nombre de ces dossiers prennent du temps devant les tribunaux.
Chers collègues, ces amendements sont tous proposés pour protéger les droits fondamentaux des Canadiens, tel qu’ils figurent dans la Charte canadienne des droits et libertés. Bien que nous sachions qu’il est important d’avoir des mesures de protection à la frontière pour empêcher l’entrée au pays de marchandises ou de documents illégaux, nous devons décider de ce qui l’emporte sur la Charte canadienne des droits et libertés.
Honorables sénateurs, j’ai hâte à l’étape de la troisième lecture, qui arrivera au début de la semaine prochaine, ainsi qu’aux autres discussions que nous aurons sur ce projet de loi. Merci beaucoup.
Je voudrais prendre la parole pour appuyer l’adoption du rapport. Je veux juste mentionner que l’article 99 de la Loi sur les douanes, dont nous discutons actuellement, s’intitule « Visite des marchandises ». Il dit ce qui suit :
99 (1) L’agent peut : […]
b) tant qu’il n’y a pas eu dédouanement, examiner les envois d’origine étrangère et, sous réserve des autres dispositions du présent article, les ouvrir ou faire ouvrir s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’ils contiennent des marchandises visées dans le Tarif des douanes ou des marchandises d’importation prohibée […]
d) examiner les marchandises au sujet desquelles il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il y a eu une erreur de classement tarifaire […]
d.1) examiner les marchandises au sujet desquelles il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il y a eu une erreur sur leur origine dans la déclaration en détail ou la déclaration provisoire […]
e) examiner les marchandises dont il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’elles ont donné ou pourraient donner lieu à une infraction soit à la présente loi, soit à toute autre loi fédérale à l’égard de laquelle il a des fonctions d’exécution ou de contrôle d’application […]
f) s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’un moyen de transport ou que les marchandises se trouvant à son bord ont donné ou pourraient donner lieu à une infraction […]
— à la loi ou aux lois dont il est responsable de l’application.
Pour inspecter un colis, un autobus, ou pour s’assurer que ce sont les bons tarifs, l’agent doit avoir des motifs raisonnables de croire. Je serais plus convaincu si le gouvernement modifiait ces autres articles de la loi pour dire que, pour tous ces autres articles, il faut avoir des préoccupations raisonnables de croire, mais non. Pour ce qui est de l’ordinateur, qui est l’objet de plus proche de votre intimité, celui qui contient toutes les données et qui vous décrit de façon plus précise que vous pouvez le faire vous-même, on ne peut pas décider que le seuil est plus bas que pour tous ces éléments qui sont des formalités nécessaires pour empêcher qu’une arme soit importée au Canada.
On nous parle de pédophilie; c’est important. C’est grave, mais il ne faut pas permettre de fouiller des ordinateurs sous prétexte qu’on veut contrer la pédophilie en acceptant un seuil plus bas que le seuil qui permet d’ouvrir des paquets pour vérifier s’il y a des armes à l’intérieur. Le gouvernement fait fausse route. S’il veut nous convaincre qu’un seuil plus bas est possible — comme le suggère l’arrêt Canfield, de la Cour d’appel de l’Alberta —, j’invite le gouvernement à modifier les autres parties de la loi pour que le nouveau test proposé s’applique partout. S’il n’y a pas de cohérence dans un texte législatif, on ne peut pas justifier des mesures devant un tribunal. Merci.
Monsieur le sénateur, accepteriez-vous de répondre à une question?
Avec plaisir.
J’ai écouté le débat. Au risque de paraître ignorante, j’aimerais vous demander ce qui arrive quand une personne racisée se présente à la frontière et que son téléphone est examiné. Le seuil appliqué est plus bas. Qu’arrive-t-il? En tant que musulmane, j’ai parfois une prière en arabe sur mon téléphone. Qu’arrive-t-il si l’agent frontalier n’arrive pas à comprendre de quoi il s’agit? Quelles sont les répercussions pour une personne racisée ou, dans ce cas-ci, un musulman?
Je vous remercie de votre question, sénatrice Ataullahjan.
Je ne suis pas un expert sur ce sujet, mais il y a une personne au Sénat qui l’est. C’est la sénatrice Jaffer. Elle a fait une déclaration importante au comité où elle a parlé de ce type précis d’expérience et de la raison pour laquelle elle est toujours choisie pour les vérifications « au hasard » et envoyée à la deuxième ligne. Lorsqu’elle montre son passeport vert, on lui présente des excuses et on lui dit : « Désolé, c’est une erreur. Nous n’aurions pas dû vous demander de subir une deuxième inspection. »
Il ne fait aucun doute que le système n’est pas parfait. Le système actuel est, selon certains témoins et l’expérience personnelle de la sénatrice Jaffer, certainement déficient parce qu’il semble cibler certaines personnes plus que d’autres, en particulier depuis le 11 septembre. En ce qui concerne le seuil qui est proposé, les témoignages devant le comité ont montré qu’il est conçu pour codifier les pratiques actuelles des agents frontaliers.
Le sénateur Dagenais a posé une question importante. Il a demandé combien d’employés supplémentaires seront nécessaires pour enseigner ces nouveaux critères parce qu’il s’agit d’un nouveau seuil. Par conséquent, il faudra l’expliquer avec soin parce qu’il n’a pas encore été appliqué. Il ne s’agit pas des critères raisonnables qui ont été interprétés et précisés par les tribunaux. Il faudra du temps pour l’étoffer.
Combien d’agents de plus faudra-t-il? Combien d’autres séances de formation? De combien d’heures disposeront les agents pour comprendre ce nouveau concept? Voici la réponse donnée par le représentant de l’agence des services frontaliers : « Ce n’est pas un problème. Nous offrons déjà la formation nécessaire. Nous n’avons pas besoin d’autres agents. C’est déjà ce que nous faisons. »
Le gouvernement veut que ce nouveau critère s’inscrive dans la pratique actuelle. Or, cette dernière se trouve dans les lignes directrices, mais pas dans la loi. Le gouvernement soutient maintenant qu’elle figure dans la loi et qu’elle est donc valide. Cependant, je crains que, dans la pratique, ce nouveau seuil ne change pas la situation aux douanes. Les anciennes pratiques se poursuivront sous un nouveau nom.
Il est important pour moi que nous définissions mieux et que nous étoffions le concept de soupçons raisonnables ou de motifs raisonnables de soupçonner, plutôt que d’introduire un nouveau critère. C’est un concept qui a été reconnu ailleurs dans la loi. Il faut donc faire preuve de cohérence. Le gouvernement doit soit modifier la loi au complet, soit la modifier uniquement pour les ordinateurs, ce que je trouve très peu convaincant.
Sénateur Dalphond, que signifie l’expression « soupçons raisonnables »? Est-ce qu’elle aurait un sens différent pour chaque agent? Qui prend cette décision?
Je m’attendais à parler seulement brièvement, mais je vous remercie de vos questions. Pour ce qui est des soupçons raisonnables, les tribunaux ont défini le terme « raisonnable » comme un terme objectif. Cela signifie donc que l’agent a assez d’indices pour raisonnablement soupçonner qu’il y a anguille sous roche.
C’est intéressant parce que, lorsque le représentant de l’agence des douanes a abordé ce point, il a donné l’exemple d’une personne qui revient d’un pays où l’exploitation sexuelle des enfants est notoire. Cette personne a été absente pendant longtemps. Elle a du mal à répondre aux questions, semble être nerveuse et transpire. L’agent décide de l’envoyer à la deuxième ligne.
Beaucoup d’entre nous ont estimé qu’il y avait des motifs raisonnables d’agir ainsi. Si c’est le type de personne qu’ils souhaitent cibler, le critère du « soupçon raisonnable » sera le critère à appliquer. Je ne suis pas convaincu qu’il deviendra inefficace.
Nous avons des renvois à des déclarations de l’Ontario et de l’Alberta selon lesquelles les chiffres sont en baisse depuis le jugement de la Cour d’appel de l’Alberta. Il n’a pas été renouvelé. Par conséquent, depuis le mois d’avril, le critère du « soupçon raisonnable » s’applique à tous les voyageurs arrivant en Ontario ou en Alberta. On affirme que les chiffres ont baissé de façon spectaculaire. C’est vrai que les chiffres ont baissé de façon spectaculaire, mais qui sait pourquoi? Est-ce parce qu’on est plus prudent? C’est peut-être une bonne chose. Est-ce parce qu’on ne veut pas appliquer la loi juste pour obtenir des chiffres requis pour dire : « Est-ce que vous voyez où nous en sommes? C’est un critère différent et nous effectuons moins de contrôles qu’avant. »
Tout cela nécessite plus d’explications. Je pense qu’il nous a manqué des renseignements lorsque nous avons posé des questions sur le taux de réussite et le nombre plus restreint de personnes contrôlées. Quels types de contenu sont trouvés? Est-ce du contenu illégal? On ne nous a pas fourni beaucoup de renseignements à ce sujet. Je ne dis pas qu’il n’y aura pas d’incidence opérationnelle sur la façon dont ils font les choses. Bien sûr, si nous appliquons le critère des « soupçons raisonnables », cela changera les choses par rapport à ce qu’ils font maintenant, car ils ont l’intention de continuer à faire ce qu’ils font maintenant.
Sénateur Dalphond, comme nous le savons tous, nous avons également dans les aéroports des contrôleurs américains. Je pense que le sénateur Boehm a posé cette question presque chaque fois : comment allons-nous former les fonctionnaires américains à l’application de ce critère plus faible?
Quel est votre avis? Ils appliquent un critère plus sévère. Alors comment les choses se passent-elles? Maintenant, nous devons les former à l’application d’un critère dont le seuil est plus bas alors que leurs douaniers trouvent déjà leur formation suffisante.
Je ne veux pas voler la vedette au sénateur Boehm. Il a posé d’excellentes questions au comité à ce sujet, mais nos critères de « soupçons raisonnables » et de « motifs raisonnables de soupçonner » sont connus au Canada comme aux États-Unis. Je crois que si nous utilisons ces critères, les douaniers américains sauront ce qu’ils signifient. Il est évident qu’il s’agit d’un seuil plus élevé qu’aux États-Unis, car il n’y a pas de cas précis dans ce pays en ce moment. Il y a une certaine confusion juridique là-bas.
Il faudra manifestement leur fournir une certaine formation, mais si cette formation est en lien avec un concept juridique qui leur est familier, ce sera plus facile que s’il s’agit d’un concept juridique qui leur est inconnu.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée avec dissidence, et le rapport est adopté.)
Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi modifié pour la troisième fois?
(Sur la motion de la sénatrice Boniface, la troisième lecture du projet de loi modifié est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)