Aller au contenu

Projet de loi sur le cadre national sur la maladie falciforme

Deuxième lecture

12 juin 2025


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui comme porte-parole bienveillante pour le projet de loi S-201, Loi concernant un cadre national sur la maladie falciforme, qui a été présenté par la sénatrice Mégie.

Avant d’aborder le fond du projet de loi, je voudrais prendre un moment pour rendre hommage à la sénatrice Mégie, qui se prépare à prendre sa retraite en septembre prochain. Depuis son arrivée au Sénat, elle s’est battue sans relâche pour améliorer l’accès aux soins de santé, en particulier pour les communautés sous-représentées. Sa contribution aux travaux parlementaires, notamment dans le domaine de la santé, a été significative et très appréciée. Sa voix réfléchie nous manquera certainement au sein des comités et dans cette enceinte.

Je tiens également à souligner le travail de notre collègue maintenant retraitée, la sénatrice Jane Cordy, qui a sensibilisé la population à la maladie falciforme en parrainant avec succès le projet de loi S-211 en 2017. Cette mesure a désigné le 19 juin comme Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose. Grâce au leadership de la sénatrice Cordy, cette maladie chronique et douloureuse a commencé à obtenir l’attention qu’elle mérite dans le débat national sur la santé.

N’ayant aucune formation médicale, je laisse à nos estimés collègues compétents en la matière le soin de décrire cette maladie et toutes les complications qui y sont liées. Je ne répéterai pas ce que la sénatrice Mégie et le sénateur Ravalia ont déjà expliqué de manière on ne peut plus éloquente. C’est plutôt en tant qu’ardente défenseure des droits de la personne que j’aimerais parler de ce projet de loi, car il offre une voix aux Canadiens atteints de la maladie falciforme, dont les souffrances sont trop longtemps passées inaperçues.

Quand j’étais enfant, au Pakistan, nous ne parlions à peu près jamais de la maladie falciforme. Même si j’ai grandi dans une famille de médecins — mon grand-père, ma belle-mère et de nombreux membres de ma famille exerçaient cette profession —, je n’avais jamais entendu parler de cette maladie jusqu’à ce que la sénatrice Mégie en parle et m’incite à me renseigner. À ma grande surprise, j’ai découvert que la maladie falciforme n’est pas rare au Pakistan et que le trait dépranocytaire est présent chez 0,9 % de la population pakistanaise, soit plus de 2 millions de personnes. J’ai toutefois été encore plus étonnée d’apprendre qu’on le trouve aussi dans ma propre province et parmi la population d’où je viens, le Khyber Pakhtunkhwa et le Balouchistan. J’ai appris beaucoup de choses et j’en remercie la sénatrice Mégie.

Avec le projet de loi S-201, nous ne nous contentons pas d’étudier une mesure législative. Nous braquons les projecteurs sur des enjeux liés aux droits de la personne, à la justice sociale et à la dignité humaine.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, toute personne, quels que soient son statut socioéconomique, son origine ethnique ou son lieu de résidence, a « le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible ». Pourtant, les personnes atteintes de maladie falciforme demeurent enfermées dans un cycle de douleur, de préjugés et d’indifférence. Un projet de loi qui vise à créer un cadre national de soutien aux Canadiens atteints de maladie falciforme constitue notre réponse morale et constitutionnelle à cette injustice.

La justice est au cœur de ce cadre : pour la mère qui enterre son enfant avant son 5e anniversaire parce que celui-ci n’a pas été soigné à temps; pour les adultes dont on ne prend pas les douleurs chroniques au sérieux parce qu’elles ressemblent au comportement d’une personne en manque de drogue et au résultat d’une maladie incurable; pour ceux et celles qui vivent dans le dénuement parce que leurs souffrances les empêchent d’occuper un emploi susceptible de les aider à gravir les échelons socioéconomiques.

L’adoption d’un tel projet de loi serait notre moyen à nous d’affirmer que la santé n’est pas un privilège, mais un droit.

Au Canada, la maladie falciforme touche surtout les personnes d’ascendance africaine, caribéenne, moyen-orientale et sud-asiatique. Quand les personnes racisées portent le fardeau d’une maladie chronique grave qui retient peu l’attention nationale, on peut y voir le signe d’un profond mépris pour leur santé et leur dignité. On peut aussi y voir une tendance aux inégalités systémiques à l’égard des personnes dont les souffrances et la dignité nous laissent indifférents.

La riche diversité du Canada est renforcée par l’immigration. Avec la croissance de la population de nouveaux arrivants provenant de régions où la maladie falciforme est très répandue, le nombre de Canadiens touchés par cette maladie augmente également. Pourtant, le système de santé n’a pas suivi le rythme. Sans un cadre national, nous risquons de ne pas être en mesure de fournir à des milliers de familles des soins adaptés à la culture, un dépistage précoce et un accès équitable aux traitements. Il s’agit clairement d’un problème de santé publique croissant qui touche à la fois l’immigration, l’équité raciale et la planification des soins de santé.

On observe une autre triste réalité au Canada : l’accès au traitement de la maladie falciforme dépend trop souvent du code postal ou du salaire. Alors qu’on a accès, dans certaines zones urbaines, à des soins spécialisés et des thérapies plus récentes, de nombreux patients, en particulier dans les petites provinces, les zones rurales ou les ménages à faible revenu, sont confrontés à de longs délais d’attente, à des frais de déplacement importants et à des coûts prohibitifs pour les médicaments essentiels et la prise en charge de la douleur. Les traitements de pointe restent financièrement inaccessibles pour beaucoup. Il s’agit clairement d’une crise pour un système de santé public qui laisse le revenu ou la situation géographique déterminer l’accès à des soins vitaux.

L’établissement d’une stratégie nationale de lutte contre la maladie falciforme n’est pas seulement une mesure visant à améliorer la santé, mais aussi un acte de justice et d’inclusion nécessaire pour ceux que nos systèmes ont historiquement laissés pour compte. Il s’agit d’empêcher une maladie génétique d’aggraver les inégalités en matière de santé dans notre pays. Il s’agit de montrer à tous les Canadiens que nous accordons la même valeur à tous nos concitoyens, sans complexe et sans réserve.

Du point de vue des droits de la personne, un cadre national sur la maladie falciforme est une évidence. Cependant, en tant que porte-parole pour le projet de loi, je m’en voudrais de ne pas parler de quelques aspects qu’il pourrait être utile d’examiner plus en profondeur lors de l’étude par le comité.

L’un des principaux champs de réflexion concerne la manière dont le projet de loi S-201 s’aligne sur d’autres initiatives fédérales déjà en cours. Par exemple, le gouvernement fédéral a lancé la Stratégie nationale visant les médicaments pour le traitement des maladies rares, annoncée en mars 2023, qui prévoit un financement de 1,5 milliard de dollars sur trois ans. Bien que la maladie falciforme n’y soit pas nommée explicitement, elle remplit les critères pour être incluse dans ce cadre. Des provinces comme l’Ontario et la Colombie-Britannique ont déjà signé des accords bilatéraux dans le cadre de cette stratégie. En tant que tel, il pourrait être utile que le comité examine comment le cadre proposé interagirait avec les initiatives existantes, les soutiendrait ou en tirerait parti pour garantir l’efficacité et la cohésion.

Par ailleurs, nous pourrions nous demander si un cadre consacré à une maladie précise est la voie la plus efficace, ou si l’intégration de la maladie falciforme dans la grande stratégie nationale de lutte contre les maladies rares ne constituerait pas une approche plus inclusive et plus évolutive. De nombreuses maladies rares — dont la maladie falciforme — se heurtent à des obstacles fréquents tels qu’un diagnostic tardif, une formation insuffisante des professionnels de la santé et un accès inégal aux traitements. Un modèle intégré pourrait contribuer à prévenir la fragmentation des soins et permettre un investissement plus complet dans des infrastructures communes.

Quelle que soit la voie choisie, il est clair que l’expérience vécue par les personnes atteintes de la maladie falciforme au Canada exige une plus grande attention. Les patients se débattent depuis déjà trop longtemps dans un système de santé qui, souvent, ne reconnaît pas leurs symptômes et retarde les interventions essentielles.

Pour trouver des façons de renforcer les soins aux personnes atteintes de la maladie falciforme, il peut être instructif d’examiner le succès de la communauté de la fibrose kystique au Canada. Comme la maladie falciforme, la fibrose kystique est une maladie génétique grave qui touche une population de patients relativement restreinte, mais qui nécessite des soins multidisciplinaires tout au long de la vie. Au fil du temps, la communauté de la fibrose kystique a mis en place un solide réseau national de centres de soins agréés, soutenu par des protocoles de traitement normalisés, une collecte de données complète grâce au Registre canadien sur la fibrose kystique et une défense active des intérêts des patients.

Ces efforts se sont traduits par des améliorations mesurables de l’espérance de vie, de la qualité des soins et de l’accès en temps voulu aux nouvelles thérapies. Une approche similaire pour la maladie falciforme, fondée sur des centres de soins coordonnés, un registre national des patients et des lignes directrices cliniques communes, pourrait contribuer à garantir des normes cohérentes d’une province à l’autre et à réduire les inégalités en matière de diagnostic et de traitement. En outre, l’exemple de la fibrose kystique met en évidence la valeur d’une collaboration fédérale-provinciale, d’un suivi des résultats et d’un engagement communautaire fort, autant d’éléments qui pourraient être soigneusement adaptés pour répondre aux besoins spécifiques de la population atteinte de la maladie falciforme, particulièrement en ce qui concerne les compétences culturelles et l’équité en matière de santé.

À ce jour, la plupart des activités de défense des droits et des mesures de soutien destinées aux personnes atteintes de la maladie falciforme ont été menées par des organismes communautaires dévoués, comme l’Association d’anémie falciforme du Canada, le Sickle Cell Awareness Group of Ontario, l’Association d’anémie falciforme du Québec, la Sickle Cell Foundation of Alberta, ainsi que par des dirigeants communautaires et des professionnels de la santé en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse. Ces groupes ont été le pilier de la défense des droits des patients et ils ont fait preuve d’une détermination sans faille. Tout cadre national doit reconnaître et intégrer leur expertise et leur leadership afin que les solutions stratégiques reflètent les réalités sur le terrain.

Lorsqu’ils sont bien conçus et soutenus, les cadres nationaux peuvent jouer un rôle important dans l’établissement des priorités et la promotion de la collaboration entre les différentes administrations. Ils contribuent à définir des objectifs communs, à mettre en lumière les problèmes de santé négligés et à fournir une structure qui permet d’harmoniser les efforts fédéraux, provinciaux et communautaires. Surtout, un cadre national sur la maladie falciforme pourrait donner une voix aux personnes et aux familles qui se sentent depuis longtemps négligées par le système de santé. En mettant l’accent sur leurs expériences vécues, nous pouvons garantir que les politiques qui découleront du cadre seront non seulement inclusives, mais aussi adaptées aux défis réels auxquels elles sont confrontées chaque jour.

Alors que le projet de loi S-201 est renvoyé au comité, j’ai hâte qu’il fasse l’objet d’un examen attentif et approfondi et que divers intervenants, notamment des cliniciens, des défenseurs des droits, des chercheurs et, surtout, des personnes atteintes de la maladie falciforme puissent se prononcer à son sujet. Leurs témoignages seront essentiels pour orienter l’élaboration du cadre afin qu’il apporte des changements concrets et durables.

Merci à la sénatrice Mégie d’avoir présenté ce projet de loi opportun et nécessaire, et d’avoir contribué à garantir que la maladie falciforme bénéficie de l’attention nationale qu’elle mérite.

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Haut de page