Affaires juridiques et constitutionnelles
Motion tendant à autoriser le comité à examiner certains événements liés à l'ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada et à inviter des témoins--Motion d'amendement--Recours au Règlement--Report de la décision de la présidence
19 mars 2019
Votre Honneur, j’invoque le Règlement au sujet de l’amendement que le sénateur Harder propose d’apporter à la motion du sénateur Smith.
Votre Honneur, l’amendement dépasse la portée de la motion proposée par le sénateur Smith. Il viendrait vider la motion de sa substance, puisqu’il propose de supprimer tous les mots qui suivent le premier mot de la motion. On aboutit donc à une nouvelle proposition que n’envisageait pas le sénateur Smith dans sa motion.
La motion du sénateur Smith vise clairement à autoriser le Comité des affaires juridiques à examiner les allégations selon lesquelles le Cabinet du premier ministre aurait exercé des pressions sur l’ancienne procureure générale et à permettre au comité de produire un rapport à ce sujet. Elle contient une liste de témoins que le comité pourrait inviter. Le Comité des affaires juridiques est un comité sénatorial permanent. Il relève donc du Sénat.
L’amendement proposé par le sénateur Harder aurait pour effet de retirer complètement le dossier des mains du Sénat puisqu’il précise que le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, qui est nommé par la Chambre des communes comme mandataire indépendant, a lancé une enquête sur le même sujet.
Les paragraphes (1) et (2) du commentaire 437 de la cinquième édition du Beauchesne prévoient ceci :
(1) L’amendement énonçant une proposition qui porte sur une question étrangère à la proposition comprise dans la motion principale n’est pas pertinent et ne peut être présenté.
(2) On ne doit pas, dans un amendement, soulever une question nouvelle qui ne saurait être considérée comme motion distincte que s’il en a été régulièrement donné avis.
On peut lire ce qui suit à la page 533, du chapitre 12 de la deuxième édition de l’ouvrage d’O’Brien and Bosc :
Un amendement doit porter sur la motion qu’il vise à modifier. Il ne doit pas déborder de son cadre mais plutôt viser à en préciser le sens et l’objectif.
Un amendement est irrecevable dans les cas suivants :
- s’il ne se rapporte pas à la motion principale (c’est-à-dire s’il porte sur une question étrangère à la motion principale, s’il déborde du sujet de la motion ou s’il introduit une nouvelle proposition qui devrait plutôt faire l’objet d’une motion de fond avec préavis);
- s’il est complètement contraire à la motion principale ou s’il entraînerait le même résultat que le rejet de la motion principale;
L’amendement propose un mécanisme différent de celui de la motion initiale. Il est incompatible avec la motion principale parce qu’il exclut complètement le Sénat. Il s’oppose directement à la motion principale.
Pour toutes ces raisons, Votre Honneur, je vous demande de déclarer que l’amendement que le sénateur Harder a présenté est irrecevable.
Honorables sénateurs, je suis, évidemment, en faveur du rappel au Règlement soulevé par le sénateur Plett. Je pense qu’il est important de relire le mandat de la proposition originale. Celle-ci consiste à donner un mandat au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour étudier les comportements qui ont porté atteinte à l’indépendance et à l’administration de la justice. C’est le mandat proposé, c’est le but de la motion : demander à un comité du Sénat de faire enquête.
Dans l’amendement proposé par le sénateur Harder, on enlève tout ce qui se trouve après le mot « Que », et je vais revenir sur ce que la doctrine entend par une motion qui supprime tout ce qui suit le mot « Que ».
Lorsqu’on regarde la motion qui est proposée par le sénateur Harder, il s’agit de reconnaître que le commissaire à l’éthique a un pouvoir en vertu de la loi et qu’il va remplir son mandat. Cela n’a absolument rien à voir avec une demande du Sénat de donner un mandat à un comité pour faire enquête. Il nous propose de remplacer ce mandat par une simple action déclaratoire qui dit : « Dans les faits, savez-vous, le commissaire à l’éthique est en train de faire enquête. » Point. Cela a pour effet de rejeter la motion d’enquête au Sénat.
Je n’étais pas en Chambre lorsque l’amendement a été déposé, mais je vous invite à relire l’argument du sénateur Harder. Il commence en disant, et je résume pour ne pas prendre trop de temps : « Vous savez, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est pas mal occupé; il a des projets de loi à étudier, voici lesquels. Donc, je ne suis pas sûr qu’il a le temps d’étudier cette question, il devrait se concentrer sur les projets de loi. » Il nous dit : « La Chambre des communes est en train de regarder cela; le commissaire à l’éthique est en train d’examiner cela ». Et il va plus loin en disant : « Est-ce que cela vaut vraiment la peine de faire une troisième enquête? A-t-on besoin de s’embarquer dans une troisième enquête? »
Manifestement, dès le début, il se prononce contre la motion, en disant : « Le Comité des affaires juridiques n’a pas le temps d’étudier cela; la Chambre des communes l’étudie déjà; le commissaire à l’éthique a déjà le mandat de faire cela en vertu de la loi; donc, je ne suis pas d’accord pour que le Sénat mandate le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour faire une étude. »
À la fin, il arrive avec son amendement. Donc, il se prononce contre la motion, et, manifestement, il veut défaire cette motion par son amendement. C’est là son intention.
Comme le sénateur Plett l’a évoqué, lorsqu’on regarde la doctrine, et j’ai ici le livre de Bosc, l’édition de 2017, à la page 541, on nous rappelle ce qu’est un amendement qui doit être considéré comme irrecevable. On nous dit ceci :
Un amendement devrait être rédigé de façon que, si la Chambre l’accepte, la motion principale soit intelligible et cohérente.
On nous dit également ceci :
[Il] introduit une nouvelle proposition qui devrait plutôt faire l’objet d’une motion de fond distincte avec préavis.
Dans le fond, c’est une nouvelle motion qui nous est proposée. C’est une motion déclaratoire qui dit que le conseiller en éthique est en train de faire son étude et qu’on devrait reconnaître cela. C’est une nouvelle proposition, une motion déclaratoire plutôt qu’une motion qui donne à un comité le mandat de faire enquête.
Donc, cela, c’est considéré comme irrecevable, et il y a des décisions dans les débats qui sont citées dans la note 31.
Toutefois, il y a pire que cela — ou mieux, selon de quel côté on se place :
Il est complètement contraire à la motion principale ou il entraînerait le même résultat que le rejet de la motion principale.
J’attire votre attention sur ce passage, parce qu’il dit « entraînerait le même résultat que le rejet de la motion principale ». Si l’amendement est adopté, il entraînerait le même résultat que le rejet de la motion principale, puisque cela équivaudrait à ne pas donner le mandat au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles de faire son enquête. C’est exactement le résultat recherché. Encore une fois, plusieurs décisions sont citées dans l’ouvrage de Bosc et elles précisent la façon de procéder.
À la note 33, on dit ceci :
Ces amendements équivalent à un rejet général supprimant tous les mots après « Que ».
Revoyez l’amendement; il suggère de supprimer tous les mots après « Que ». C’est exactement la formulation adoptée dans l’amendement et qui est citée comme étant inacceptable, c’est-à-dire qu’elle amène le rejet complet dans la motion principale.
Monsieur le Président, il m’apparaît assez évident que le sénateur Harder est contre la motion principale. Il s’est exprimé contre, il a présenté une motion qui, en voulant amender la motion, entraîne le rejet complet de la motion principale, et il remplace un mandat d’enquête à un comité du Sénat par une simple reconnaissance du pouvoir d’un mandataire du Parlement, pouvoir qui, de toute façon, serait complètement vide selon la loi, car sans effet juridique supplémentaire accordé par celle-ci.
Pour ces motifs, monsieur le Président, vous devriez déclarer irrecevable l’amendement proposé par le sénateur Harder.
J’ai un argument à ajouter. Le Robert’s Rules of Order indique :
Un amendement modifie le libellé d’une motion, mais il rend une bonne idée meilleure ou une mauvaise idée plus acceptable. Il sert à améliorer une motion avant un vote, et il doit donc être pertinent à la motion. Un amendement qui fait que la motion améliorée équivaut au rejet de la motion originale n’est ni approprié ni recevable.
Or, c’est exactement ce que fait l’amendement du sénateur Harder.
D’autres sénateurs aimeraient-ils intervenir au sujet du recours au Règlement soulevé par le sénateur Plett?
Je vais avoir besoin de votre aide, monsieur le Président. Lorsqu’un rappel au Règlement amène une discussion sur une situation complexe et pas nécessairement aussi évidente qu’on semble vouloir l’indiquer, le Président prend alors la question en délibéré?
Oui, c’est exact.
Puis-je poursuivre, puisque votre réponse me confirme que j’ai bien compris?
Oui.
Je considère que la motion qui a été déposée, il y a quelques instants, mérite une réflexion. Je vous invite à considérer cette situation comme étant suffisamment complexe pour justifier qu’elle soit prise en délibéré par vous. Merci.
Je tenais à faire quelques commentaires en réponse à l’affirmation de la sénatrice Dupuis, selon laquelle il s’agirait d’une question complexe. Quand j’examine la question et que je lis cette motion, cela ne me semble pas complexe du tout. C’est clair que le leader du gouvernement au Sénat propose une motion d’amendement qui vide complètement la motion principale de sa substance.
Voilà tout ce qui resterait de la motion originale du sénateur Smith : Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Smith, appuyée par l’honorable sénatrice Martin...
Tout le reste, qui représente presque une page entière de texte, est supprimé. Il ne reste plus rien.
Je tenais également à attirer l’attention des sénateurs sur une chose dont ils n’ont peut-être pas pris connaissance, ayant été en réunion toute la journée. Les députés libéraux qui siègent au Comité de la justice de la Chambre des communes ont aujourd’hui clos leur enquête sur le scandale de SNC-Lavalin, le jour du budget, tandis que les journalistes étaient au huis clos des médias. Ainsi, aucun autre témoin qui pourrait être soupçonné d’ingérence dans l’administration de la justice ne sera appelé, et il n’y aura pas d’autre témoignage de Jody Wilson-Raybould ni de réponse pour les Canadiens, qui en méritent pourtant. C’est pour ces raisons que j’appuie le recours au Règlement du sénateur Plett à ce sujet. Merci.
Je remercie les sénateurs de leur contribution, et le sénateur Plett d’avoir invoqué le Règlement. Je prendrai la question en délibéré.