Le Sénat
Recours au Règlement--Report de la décision de la présidence
18 février 2020
Votre Honneur, j’invoque le Règlement.
L’honorable sénateur Housakos invoque le Règlement.
Votre Honneur, je comprends que nous avons assoupli certaines dispositions du Règlement au cours des dernières années afin de nous adapter au gâchis créé par la décision politique de l’actuel premier ministre de retirer les sénateurs de son caucus national afin de se protéger contre les conséquences du rapport du vérificateur général qui se sont faites sentir au Sénat il y a quelques années. De plus, je suis conscient que d’autres mesures du même genre pourraient être prises à l’avenir. Je suis également conscient que j’ai souvent dit que le Sénat est maître de ses affaires. Nous sommes une Chambre indépendante dans notre système bicaméral de type Westminster, ce qui nous donne le privilège d’établir et d’appliquer notre propre Règlement. Toutefois, chers collègues, il existe des limites claires. À la page 15 de La Procédure du Sénat en pratique, on peut lire ceci :
Le Sénat est maître de ses propres procédures, sous réserve des limites de la Constitution et du droit.
Dans le Document d’accompagnement du Règlement du Sénat, Gary O’Brien, le greffier de l’époque, dit ceci :
Le Règlement du Sénat découle de sources constitutionnelles et législatives, de conventions, traditions et usages parlementaires [...] L’origine des divers articles est importante afin de comprendre leurs conséquences juridiques et la procédure à suivre pour les modifier.
Chers collègues, parlons d’abord de la Constitution et de notre Règlement. Toutes les règles qui régissent le Sénat ainsi que les représentants du gouvernement et de l’opposition au Sénat sont celles qui sont prévues dans la Constitution et reconnues dans notre Règlement et nos principes directeurs. Dans la fédération canadienne, le Sénat représente les régions et les provinces du pays à l’échelon fédéral, une fonction qui est fondamentale au Sénat. Si le Sénat ne peut pas accomplir cette fonction, Votre Honneur, alors sa raison d’être est vraiment remise en question. Le rôle joué par les sénateurs du parti au pouvoir et de l’opposition est indispensable pour que le Sénat puisse accomplir adéquatement ses fonctions essentielles.
Selon nos règles, il y a ceux qui proposent et ceux qui s’opposent. Il n’y a pas meilleur exemple que les rôles respectifs de parrain et de porte-parole, qui, à ce jour, constituent la façon de faire dans toutes les institutions fondées sur le modèle de Westminster. Dans tout organe législatif de ce type, ce qui se reflète dans notre Règlement, une opposition efficace est essentielle non seulement pour qu’elle puisse poser des questions au gouvernement, mais aussi pour qu’elle puisse parler au nom des Canadiens tout au long du processus législatif. Pour ce faire, il faut un caucus de l’opposition organisé et reconnu capable de soulever des questions à l’étape de la deuxième lecture, de suivre cette approche en convoquant des témoins et en posant des questions lors de l’étude en comité et de mobiliser des appuis pour présenter des amendements potentiels.
Une opposition efficace peut aussi avoir recours à des procédures législatives pour attirer l’attention sur de grandes questions litigieuses. Pour ce faire, elle doit faire preuve de cohérence et être disposée à mettre le gouvernement au défi. En effet, la volonté de mettre le gouvernement au défi doit faire partie de la raison d’être d’un tel caucus. Le rôle des leaders du gouvernement et de l’opposition doit être protégé et séparé des rôles des leaders des autres caucus et groupes parlementaires afin de préserver cette dichotomie, qui fait partie intégrante du système de Westminster. C’est un principe essentiel de toutes les assemblées législatives régies par le système de Westminster dans le monde entier. Qu’on ne s’y trompe pas : le Sénat du Canada n’est pas habilité à tenir des votes de confiance, mais il partage le rôle et l’obligation qui consistent à demander des comptes au gouvernement. Pour que le Sénat puisse remplir cette obligation, la Constitution lui confère les pouvoirs nécessaires à cet égard, comme ceux dont bénéficie la Chambre des communes régie par le système de Westminster.
Chers collègues, il s’agit d’un point important. Pour que le Sénat puisse remplir cette obligation, la Constitution — qui nous régit — lui confère les pouvoirs nécessaires à cet égard, comme ceux dont bénéficie la Chambre des communes régie par le système de Westminster.
Sénateur Woo, je n’invente rien. C’est écrit noir sur blanc. Lisez l’article 18 de la Constitution, qui dit ceci :
Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du...
J’ai invoqué le Règlement, Votre Honneur.
Honorables sénateurs, le sénateur Housakos a invoqué le Règlement. À moins que vous souleviez la question de privilège concernant les propos qu’il tient, je dois le laisser terminer. Si vous souhaitez vous aussi invoquer le Règlement, vous pourrez le faire à ce moment-là.
Je vous remercie, Votre Honneur. Je me permets de citer l’article 18 :
Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu’aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande et par les membres de cette Chambre.
La motion du sénateur Woo vise à modifier les pouvoirs du Sénat et des sénateurs, notamment ceux du gouvernement et de l’opposition. Puisque la Loi sur le Parlement du Canada porte sur les éléments de l’article 18, il appert que seule une modification de la loi permettrait de modifier les pouvoirs en question, et cela inclut les responsabilités accordées aux dirigeants du parti ministériel et du parti de l’opposition. Une simple modification du Règlement est insuffisante et même illégale. Il est évident que la loi doit être modifiée, et cela va plus loin que le rôle du gouvernement et de l’opposition. Comme le soulignait un rapport du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, certains changements au Règlement du Sénat nécessitent une modification de la Loi sur le Parlement du Canada et d’autres lois fédérales en ce qui a trait au rôle constitutionnel et réglementaire de certains sénateurs.
Disons-le carrément, aux termes de la loi, les sénateurs et les leaders ne sont pas tous égaux. La Loi sur le Parlement du Canada accorde des rôles et des responsabilités supplémentaires à certains sénateurs. Cette reconnaissance vient avec des allocations supplémentaires pour les rôles des leaders, comme le leader du gouvernement et le leader de l’opposition.
Si cette motion était adoptée et que le Règlement était modifié, le rôle des titulaires de ces postes serait amoindri sans que les modifications nécessaires soient apportées à la loi, chers collègues. Simplement, je le répète, cela est contraire à la loi et à la Constitution.
Puisque notre Règlement est assujetti aux limites de la loi, cette motion laisse place à tout changement législatif futur.
Il a clairement été dit que le gouvernement avait l’intention d’apporter des changements à plusieurs lois, dont la Loi sur le Parlement du Canada. Par conséquent, Votre Honneur, cette motion, dans son libellé actuel, présente des lacunes tant sur le fond que sur l’applicabilité. Je vous demande donc respectueusement de la déclarer irrecevable et de la rayer du Feuilleton.
Sénateur Woo, voulez-vous répondre?
Oui, j’aimerais répondre.
Honorables sénateurs, même s’il semblait que quelqu’un d’autre voulait faire un recours au Règlement — et c’était peut-être bien le cas —, la règle veut que l’on termine le débat sur le recours au Règlement du sénateur Housakos avant de passer au suivant.
Honorables sénateurs, le recours au Règlement que je m’apprêtais à faire, et qui sera ma réponse, fait valoir que le sénateur Housakos n’invoque pas le Règlement. Il est en train de débattre de ma motion avant même que j’aie l’occasion de la présenter. Selon moi, son argument est boiteux. S’il me laissait parler de la motion, j’expliquerais à tous les sénateurs pourquoi son interprétation est erronée.
Votre Honneur, je demande humblement que vous rejetiez le recours au Règlement, que vous me donniez l’occasion d’expliquer la motion et que vous invitiez le sénateur Housakos et les autres collègues qui souhaitent répondre aux arguments du sénateur Housakos à présenter leurs points de vue, pour que nous en débattions de manière constructive. Je suis tout à fait contre l’idée que la motion est invalide, qu’elle vise à éliminer l’opposition ou viole de quelque manière que ce soit les règles et les lois du pays.
Honorables sénateurs, j’aimerais prendre quelques minutes pour dire qu’aux pages 14 et 15 de La procédure du Sénat en pratique, au même endroit où le sénateur Housakos a tiré sa citation, on peut aussi clairement lire ce qui suit :
Le Sénat a adopté peu de temps après la Confédération son premier Règlement, qu’il a depuis modifié régulièrement afin de tenir compte de l’évolution des circonstances et des besoins. Le Sénat doit approuver toute modification du Règlement.
Comme l’a cité le sénateur Housakos, la politique ajoute ceci :
Le Sénat est maître de ses propres procédures, sous réserve des limites de la Constitution et du droit.
La Constitution et le droit ne tiennent pas compte des procédures du Sénat. Comme nous le savons, il y a eu de nombreux changements aux règlements depuis le début de la Confédération. Les circonstances ont changé et ont évolué et elles continueront de changer et d’évoluer. Le Sénat doit chercher à se moderniser afin de s’adapter cette évolution.
Je suis d’accord avec le sénateur Woo pour dire que cette question semble être une façon de mettre fin au débat. Les points soulevés par le sénateur Housakos méritent toute l’attention du Sénat, mais ils ne peuvent pas faire l’objet d’un rappel au Règlement.
Honorables sénateurs, je souhaite intervenir brièvement pour appuyer le rappel au Règlement du sénateur Housakos.
Votre Honneur, j’aimerais attirer votre attention sur certains passages de la décision unanime que la Cour suprême du Canada a rendue, en 2014, dans l’affaire du Renvoi relatif à la réforme du Sénat. Le paragraphe 48 dit ceci :
Les art. 44 et 45 [...] accordent au Parlement fédéral et aux législatures provinciales la capacité de modifier unilatéralement certains éléments de la Constitution qui concernent leur propre ordre de gouvernement, mais qui ne mettent pas en cause les intérêts des autres ordres de gouvernement. Ce pouvoir limité d’effectuer des changements unilatéralement reflète le principe selon lequel le Parlement et les provinces sont des acteurs égaux dans la structure constitutionnelle canadienne. Aucun des ordres de gouvernement, agissant seul, ne peut modifier les nature et rôle fondamentaux des institutions créées par la Constitution. Toutefois, ces institutions peuvent être maintenues et même changées jusqu’à un certain point en vertu des art. 44 et 45, à condition que leur nature et leur rôle fondamentaux demeurent intacts.
Par ailleurs, le paragraphe 77 de cette décision dit ceci :
Le Sénat constitue un élément essentiel de la structure fédérale canadienne de gouvernement. En conséquence, les changements qui touchent ses nature et rôle fondamentaux mettent en cause les intérêts des parties prenantes dans notre structure constitutionnelle — c.-à-d. le gouvernement fédéral et les provinces — et le Parlement ne peut, à lui seul, réaliser ces changements.
Votre Honneur, je soutiens aujourd’hui que peu de choses sont plus fondamentales pour le Sénat du Canada — cette institution politique particulière fondée sur le modèle Westminster et les éléments constitutionnels que le sénateur Housakos a énoncés — que le système gouvernement-opposition qui est en place en cet endroit depuis plus de 150 ans. Par conséquent, j’estime que, pour cette raison supplémentaire, la motion est irrecevable parce qu’elle va à l’encontre de ces paragraphes.
Votre Honneur, j’aimerais ajouter que la sénatrice Lankin a lu, en toute pertinence, le Règlement et signalé que, depuis le fondement de cette institution, les règles et la procédure font l’objet de débats, évoluent et sont modifiées. Toutefois, jamais cette institution n’a modifié de façon unilatérale des éléments du Règlement qui figurent dans la Loi sur le Parlement du Canada. Cela nécessite une modification de la loi, ce qui, comme nous le savons tous, ne se fait pas de façon unilatérale par la voie d’un projet de loi d’initiative parlementaire présenté à la Chambre haute.
Je tiens à être clair : c’est le noyau du problème. Il n’est pas question d’une simple modification de règle de procédure que nous renvoyons au Comité du Règlement afin qu’il l’étudie et que nous adoptons pour que cet endroit continue d’évoluer comme il le fait depuis toujours. Il est question de la gouvernance fondamentale de notre pays. La Constitution et la Loi sur le Parlement du Canada ne sont pas définies par les sénateurs Housakos, Lankin ou Woo. Il existe une procédure pour modifier la Loi sur le Parlement du Canada et elle doit être respectée; autrement, c’est l’anarchie totale.
Honorables sénateurs, je vous remercie de me permettre de prendre la parole au sujet de ce recours au Règlement. Je tiens d’abord à souligner le fait que le sénateur Housakos n’a pas renvoyé à la règle selon laquelle cette motion en particulier serait irrecevable.
Rien dans la motion du sénateur Woo n’est irrecevable. Le sénateur Housakos n’a pu s’appuyer sur aucune règle actuelle, qu’elle relève du Règlement, du document d’accompagnement ou d’une pratique du Sénat. Il n’a parlé que de la Loi sur le Parlement du Canada. Cette loi ne prévoit que des fonds spéciaux ou additionnels pour les gens qui occupent un poste en particulier. Elle n’a rien à voir avec le Règlement du Sénat. En fait, encore une fois, il est clairement indiqué à la page 14 de l’ouvrage La Procédure du Sénat en pratique que le Sénat « fixe le cadre dans lequel s’inscrivent la plupart des travaux du Sénat » et, plus loin, que le « Sénat est maître ». Il nous revient donc, et non à l’opposition officielle ni au représentant du gouvernement, de déterminer les règles que nous voulons suivre. C’est ce que nous voulons examiner à l’aide de la motion du sénateur Woo : une autre option, qui serait probablement meilleure. Merci.
Votre Honneur, j’appuie l’intervention du sénateur Housakos au sujet de l’appel au Règlement.
La sénatrice Ringuette se demande quel article du Règlement a été enfreint, exactement. J’aurais quelques observations à propos des recours au Règlement fondées sur mes quelques années d’expérience au Sénat; je suis ici depuis un peu plus de 10 ans, et d’autres sénateurs siègent ici depuis plus longtemps encore. Pour ce qui est du Règlement, le Sénat peut, avec le consentement du Sénat, faire preuve d’une souplesse considérable et laisser de la latitude aux orateurs qui s’éloignent du sujet. Votre Honneur nous a rappelé qu’il existe une certaine latitude pour attendre un peu et faire preuve de patience. Je le comprends. Pendant mes 10 dernières années au Sénat, j’ai dû suivre et respecter le Règlement pour accomplir ma tâche de leader adjointe.
Dans le cas présent, il s’agit certes d’une motion, mais je vous invite à réfléchir à la nature inhabituelle de cette motion, qu’on pourrait qualifier de « motion omnibus » étant donné sa vaste portée et l’effet qu’elle aurait sur presque toutes les facettes du fonctionnement du Sénat et des comités sénatoriaux. Nous avons un Comité du Règlement qui a justement pour mandat d’examiner avec soin le Règlement ou un article particulier. Il m’est arrivé de participer à des rencontres du Comité du Règlement où nous arrivions à un consensus après des discussions approfondies en vue de modifier un seul article. Nous présentions ensuite le changement proposé au Sénat.
Tous les sénateurs peuvent présenter une motion. Or, nous ne savons pas quelles conséquences imprévues ce genre de motion pourrait avoir et si des constitutionnalistes qui comprennent parfaitement les quelque 152 ans d’histoire du Sénat ont été consultés, compte tenu de l’ampleur de cette motion et de l’incidence qu’elle pourrait avoir sur cette Chambre, puisqu’il y est vraiment question de tous les aspects de notre fonctionnement. Je ne comprends vraiment pas pourquoi tout cela se retrouve dans une unique motion sur laquelle nous devons voter. Je pense que cette intervention était nécessaire et j’espère que tous les sénateurs vont bien y penser. Je vous demande, Votre Honneur, de penser à la nature sans précédent de cette motion à la portée très large.
Tout cela me laisse un peu perplexe. Nous débattons d’une motion qui n’a pas encore été débattue, et mes très respectables collègues sur ma gauche semblent déjà en être arrivés à des conclusions dont nous n’avons pas été informés. Je vous demanderais de rejeter le rappel au Règlement pour que nous puissions suivre le processus normal et débattre de la question à fond.
J’aimerais remercier tous les sénateurs de leurs avis sur cette question. Comme le savent les sénateurs, cette motion est très longue, et le rappel au Règlement semble assez complexe.
Sénateur Woo, je sais que vous aimeriez passer au débat, mais je vais malheureusement devoir prendre la question en délibéré.