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Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Suite du débat

1 février 2023


Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-11, le projet de loi sur la diffusion continue en ligne.

Après 31 ans, il est certainement temps de moderniser la Loi sur la radiodiffusion. Les médias et la technologie ont beaucoup évolué pendant cette période au Canada. Cependant, le projet de loi C-11 du gouvernement Trudeau ne vise pas vraiment à moderniser cette loi, mais plutôt à appliquer un cadre déjà désuet à un monde numérique moderne qui ne s’y prête pas. Évidemment, le gouvernement Trudeau, n’a tout simplement pas pu s’empêcher de profiter de cette occasion pour s’ingérer dans un système qui permet aux Canadiens de diffuser de l’information librement et de façon démocratique.

Lors de la législature précédente, le gouvernement libéral a présenté le projet de loi C-10, qui était perçu comme pouvant donner au CRTC le pouvoir d’encadrer la liberté d’expression en ce qui a trait au contenu diffusé sur le Web. Le projet de loi est mort au Feuilleton lorsque le premier ministre a déclenché inutilement des élections, en 2021.

Cependant, une version pratiquement identique de ce projet de loi a resurgi pendant la législature en cours : le projet de loi C-11. Dans le cadre de l’étude article par article menée par le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, j’ai participé à une réunion interminable de trois heures pendant laquelle j’ai été à même de constater à quel point ce projet de loi est désastreux.

Le gouvernement soutient que le projet de loi C-11 ne réglementera pas l’utilisation quotidienne des médias sociaux, comme le contenu amateur, laissant ainsi entendre qu’il ne s’appliquera pas aux créateurs individuels. Cependant, le gouvernement y a inséré le paragraphe 4.2(2), qui permet au CRTC de prendre des règlements concernant des émissions qui « génère[nt] des revenus » — ce qui pourrait effectivement s’appliquer au contenu des créateurs canadiens de YouTube et de TikTok.

En même temps, déléguer le pouvoir de réglementation gouvernemental au CRTC permet encore une fois au gouvernement Trudeau d’éviter de rendre des comptes pour ses actes et ses décisions. Si une controverse surgit au sujet de la réglementation « indépendante » du CRTC, le gouvernement dira que cela ne relève pas de sa compétence. Fort commodément, le CRTC lui‑même n’est pas reconnu pour sa transparence. C’est une chose qu’il a en commun avec le gouvernement Trudeau.

Pendant l’étude préalable du comité sénatorial sur le projet de loi C-11, Monica Auer, la directrice exécutive du Forum for Research and Policy in Communications, a décrit le CRTC de la façon suivante dans son témoignage :

Pour ce qui est de la responsabilisation et de la transparence, le problème en ce moment avec le CRTC, c’est qu’il ne rend pas ses décisions publiques. Chaque année, il publie des dizaines de décisions que vous ne pouvez pas voir parce qu’il n’y a pas d’hyperlien et qu’il ne publie pas. Lorsque nous disons que le CRTC est transparent, ce n’est tout simplement pas le cas. Il tient des audiences publiques sans témoins. [...] lorsque vous parlez du transfert de propriété de la moitié des stations radiophoniques de la Colombie-Britannique dans le cadre d’une décision administrative et sans audience publique, je pense que je remettrais en question la notion selon laquelle le CRTC est a) transparent, b) ouvert et c) responsable. Il ne l’est pas.

Si le gouvernement souhaite réglementer le contenu produit par les utilisateurs canadiens sur Internet, il devrait l’admettre. Les Canadiens méritent de connaître l’objectif visé ici, et le gouvernement devrait être tenu de rendre des comptes au sujet de cette décision politique. Se défiler en invoquant une mesure législative vague qui délègue la prise de décision à un conseil prétendument indépendant qui tient des réunions à huis clos et ne rend des comptes qu’au ministre n’est pas faire preuve de transparence ou de responsabilité.

Le Sénat a été saisi du projet de loi C-11 en juin dernier, mais le sénateur Dawson, qui en est le parrain, n’en a pas parlé pendant trois mois. Lorsqu’il est finalement intervenu au sujet de cette mesure, il a pris les 45 minutes de temps de parole qui lui étaient allouées, ce qui laissait très peu de possibilités à ses collègues sénateurs de lui poser des questions.

À l’étape de la deuxième lecture, le leader du gouvernement au Sénat n’a même pas fait d’intervention au sujet du projet de loi, ce qui a encore une fois empêché les sénateurs de poser des questions au gouvernement concernant cette mesure.

Honorables sénateurs, au vu de ces circonstances, force est de se demander pourquoi le gouvernement Trudeau craint tant toute forme d’examen?

Bref, le projet de loi C-11 est le moyen qu’emploie le gouvernement Trudeau pour faire indirectement ce qu’il n’a pas la volonté politique de faire directement. À l’heure actuelle, divers producteurs de contenu canadien remportent un grand succès en ligne et se font efficacement connaître directement à un auditoire mondial sans empêcheurs de tourner en rond ou intermédiaires.

Avec le projet de loi C-11, le gouvernement Trudeau cherche à s’insérer au milieu de ce processus et à imposer des règlements. C’est comme la vieille blague politique qui dit que les dix mots les plus terrifiants de la langue sont : « Bonjour, je suis du gouvernement et je viens vous aider. »

La réglementation du contenu canadien par le gouvernement aura un effet dévastateur sur les utilisateurs canadiens que le gouvernement prétend vouloir promouvoir. On craint que si le contenu canadien est mis en valeur auprès du public canadien, ce soit considéré comme un avantage injuste pour les producteurs de contenu canadien, et que les plateformes comme YouTube, par exemple, limitent alors l’exposition internationale de ces comptes canadiens par souci d’équité envers les autres utilisateurs.

En représailles, d’autres pays pourraient mettre en place des restrictions de contenu similaires pour leurs propres utilisateurs nationaux, réduisant ainsi la visibilité des Canadiens.

Un autre problème se pose pour les producteurs de contenu spécialisé. Alors que l’auditoire potentiel d’un créateur peut n’être que de quelques milliers au Canada, il peut avoir un auditoire beaucoup plus important, potentiellement des millions, aux États‑Unis ou dans le monde entier. Les dispositions du projet de loi C-11 pourraient empêcher les créateurs de contenu spécialisé d’accéder à ce marché mondial plus vaste.

Pour les producteurs de contenu canadien qui comptent sur des publics étrangers — ceux qui offrent du contenu touristique, par exemple — le projet de loi C-11 peut avoir pour effet d’orienter le contenu vers le mauvais public cible. C’est là l’un des plus gros problèmes du projet de loi C-11 : en dirigeant le contenu canadien vers les utilisateurs canadiens plutôt que de permettre un choix naturel, on peut générer une discordance pour un utilisateur de médias sociaux, ce qui rend plus probable qu’il ignore le contenu, l’abandonne ou l’évalue défavorablement. Cela nuira à l’algorithme, et la vidéo du créateur canadien sera donc moins susceptible d’être montrée à nouveau. À cet égard, la création de restrictions relatives au contenu canadien, qui visent à promouvoir le travail canadien, pourrait finir par avoir l’effet contraire.

Pourquoi le gouvernement Trudeau insiste-t-il pour limiter les créateurs canadiens de cette façon, honorables sénateurs? Les producteurs de contenu canadien réussissent assez bien en ligne. C’est comme si le gouvernement essayait de trouver des solutions à un problème qui n’existe pas.

Même pour les créateurs canadiens dont la carrière est bien établie, les plateformes de médias sociaux offrent d’autres occasions de commercialiser leurs œuvres, longtemps après que ces créateurs aient percé. Par exemple, grâce à des plateformes comme TikTok, des artistes canadiens ont vu certaines de leurs vieilles chansons à succès connaître un regain de popularité. Le tube Die For You de The Weeknd, qui a d’abord été un succès en 2016, figure actuellement en tête du palmarès, grâce à sa diffusion sur TikTok. L’application a aussi permis au groupe rock Mother Mother de Vancouver de faire lui aussi un tabac en 2020 avec son tube de 2008 Hayloft. De telles situations peuvent aider à soutenir les artistes canadiens sur un marché saturé et compétitif. Mais surtout, ce succès n’est pas le résultat d’une manipulation algorithmique, mais plutôt d’une utilisation naturelle de l’application.

La démocratisation de l’espace en ligne actuel permet à de nouveaux artistes et créateurs de contenu du Canada issus de divers horizons de réussir. Pour accéder à cet espace, il suffit d’avoir une connexion Internet et une imagination foisonnante.

Au palmarès des meilleurs youtubeurs au Canada, on trouve notamment Evan Fong, de Toronto, un créateur d’origine asiatique dont la chaîne YouTube compte plus de 25,8 millions d’abonnés. Lilly Singh, résidante de Scarborough d’origine pendjabie, figure au troisième rang dans la liste des youtubeurs les mieux payés au monde publiée par Forbes. Elle a actuellement 14,6 millions d’abonnés. Lauren Riihimaki, de LaurDIY, est d’origine finlandaise, ukrainienne et japonaise. Sa chaîne compte plus de 8,42 millions d’abonnés. Shina Novalinga, une jeune interprète de chant guttural originaire du Nunavik installée à Montréal, a plus de 4,1 millions d’abonnés sur TikTok. Stef Sanjati, une personne trans, partiellement sourde et atteinte du syndrome de Waardenburg, a des racines croates et françaises. Plus d’un demi-million de personnes sont abonnées à sa chaîne YouTube.

Je pourrais continuer longtemps. Bon nombre des créateurs de contenus en ligne canadiens qui remportent le plus de succès viennent de communautés diverses. Ils exportent des contenus uniques en leur genre partout sur la planète, et ce, sans aide ni ingérence du gouvernement. Ce dont les créateurs canadiens ont besoin, en fait, c’est que le gouvernement les laisse tranquilles.

Dans ma ville, Regina, se trouve l’exemple parfait de modèle de réussite canadienne qui n’aurait peut-être jamais eu lieu si les dispositions du projet de loi C-11 avaient été en vigueur. La célébrité sur TikTok bien de chez nous, Hitesh Sharma, un musicien et créateur en nomination aux prix Juno mieux connu sous le nom de Tesher, a bâti sa carrière musicale en ligne. Il a commencé à partir de la maison de ses parents, à Regina, alors qu’il n’était qu’un enfant. Il est maintenant une vedette internationale, et ses chansons ont été vues des centaines de millions de fois sur TikTok. L’automne dernier, il a rédigé une chronique pour expliquer l’incidence que le projet de loi C-11 aurait eue sur la trajectoire de sa carrière, et je tenais à vous la lire aujourd’hui.

Tesher a écrit ceci :

TikTok a donné à ma musique un auditoire mondial; le projet de loi C-11 menace cette voie d’accès.

Il y a un moment du gala des prix Juno de cette année que je n’oublierai jamais.

Je chantais Jalebi Baby avec Simu Liu, et le public chantait avec nous. Environ une minute après le début de la chanson, nos regards se sont croisés, nous nous sommes tournés vers le public, puis nous avons commencé à danser le bhangra. Le sourire sur mon visage reflétait bien ce que je ressentais : de la joie à l’état pur.

Cette joie s’est tempérée quand j’ai entendu parler du projet de loi C-11, qui sera bientôt mis aux voix au Sénat. S’il est adopté dans sa forme actuelle, ce projet de loi pourrait empêcher les artistes numériques canadiens de remporter le même succès et de ressentir la même joie que moi.

Mon parcours musical a commencé vers 2008 dans ma ville d’origine, Regina. Le jeune que j’étais s’amusait alors sur son ordinateur à mixer les chansons des films de Bollywood avec des chansons de hip-hop. J’ai appris le métier de musicien en essayant des choses et en faisant des erreurs, car je n’avais ni l’argent ni les contacts pour m’ouvrir les portes du milieu. Tout ce que j’avais, c’était ma détermination et une connexion Internet.

Puis un jour, j’ai découvert TikTok. J’ai tout de suite aimé cette plateforme. J’aimais que des gens de partout dans le monde diffusent, remixent et fusionnent des trucs. Il n’y a personne pour te surveiller sur TikTok. Si ton contenu est bon et invitant, il va trouver son public.

Non seulement je pouvais faire connaître ma musique au reste du monde, mais je pouvais créer une communauté avec qui parler de moi et de ma musique. Pour un jeune Indien de la Saskatchewan qui avait tout appris par lui-même et qui n’avait aucun contact dans le milieu, TikTok a complètement changé la donne.

J’ai beau être Canadien, c’est à l’extérieur du Canada que ma musique a d’abord été remarquée. On retrouve dans mon premier succès mondial, Jalebi Baby, les sonorités indiennes de mon enfance, mais aussi des touches de reggaeton et de salsa, de percussions du Moyen-Orient et de synthétiseurs de l’Europe de l’Est.

Je chante en hindi, en pendjabi et en anglais. Ma musique puise dans les influences et les traditions musicales de partout, alors elle a été d’autant plus populaire aux quatre coins du monde.

Mon parcours est moins traditionnel que si j’avais fait mon chemin dans le milieu de la musique, comme les autres. En fait, peut-être que je n’aurais pas eu de parcours du tout sans l’accès et la liberté dont jouissent ceux qui créent avant tout du contenu numérique, car ces deux choses — l’accès et la liberté — étaient interdites aux artistes comme moi, qui ne correspondent à aucun modèle prédéfini.

Et je suis loin d’être le seul. Certaines des nouvelles voix qui m’ont fait le plus vibrer ces dernières années, des artistes canadiens comme Jessia et Johnny Orlando, ont acquis une renommée mondiale et signé des contrats record parce qu’ils ont été capables de joindre un énorme auditoire sur TikTok.

Le projet de loi C-11 menace ce parcours à faibles obstacles — fondé sur le talent et les préférences de l’auditoire plutôt que sur les quotas établis par le gouvernement — en soumettant des plateformes comme TikTok et les créateurs qui l’utilisent à des règles désuètes en matière de radiodiffusion et de contenu canadien.

Je bâtis une carrière et j’exporte du contenu canadien partout sur la planète malgré ces règles, et non grâce à elles. C’est la voie que nous devrions tous vouloir que les artistes canadiens suivent. Nous voulons qu’ils puissent avoir la liberté de présenter partout dans le monde notre culture canadienne diversifiée et authentique.

Le projet de loi C-11 limiterait cette possibilité en exigeant que les créateurs accordent la priorité aux critères gouvernementaux en matière de distribution intérieure plutôt qu’à la création de contenu optimisé pour un auditoire mondial.

Moins d’un an après sa production, Jalebi Baby était diffusée en continu sur de nombreuses plateformes, y compris les radios canadiennes. J’ai collaboré avec la mégastar Jason Derulo pour la vidéo, j’ai été mis en nomination comme découverte de l’année aux prix Juno, puis je me suis retrouvé sur la scène, à chanter en direct.

Ma nomination a été un immense honneur, mais cette danse bhangra à la télévision nationale pendant la soirée musicale la plus importante du pays a été un moment vraiment inoubliable. Quand j’étais enfant, jamais je n’aurais pu imaginer une personne ayant mon apparence et ma voix monter sur scène.

C’est pourquoi je suis impatient de protéger les débouchés et d’offrir de l’inspiration à la prochaine génération de Canadiens qui font de la musique, des tutoriels d’art ou des sketches comiques. Les créateurs en herbe devraient avoir la même chance que moi de vivre leur rêve.

Là devrait être toute la question, honorables sénateurs : donner aux artistes, aux musiciens, et aux journalistes canadiens la possibilité de partager leurs dons avec le monde. C’est ce que nous voulons tous. Le monde a besoin de plus de Canada, mais nous n’y parviendrons pas en nous comportant comme des parents hélicoptères avec les talents canadiens. Nous ne donnons pas aux producteurs de contenu canadien la possibilité de prospérer parce que nous les étouffons par des règlements. Le projet de loi C-11 non seulement place nos producteurs canadiens de contenu numérique dans une situation nettement désavantageuse, mais risque de mettre un terme à la carrière de bon nombre d’entre eux. Il pourrait empêcher de jeunes enfants comme Hitesh Sharma — ou Tesher — qui s’amusent avec de la musique sur leur ordinateur, chez eux, dans des lieux comme Regina, et partout au pays, de réaliser un jour leurs rêves.

C’est pourquoi je vais voter contre le projet de loi C-11 et que je vous encourage à faire de même. Donnons à nos producteurs de contenu canadien la liberté de rivaliser, la liberté de réaliser leurs projets et la liberté d’exceller. Donnons au monde plus de Canada tout en donnant aux Canadiens plus de liberté.

Merci.

L’honorable Pamela Wallin [ - ]

Honorables sénateurs, après des semaines d’audiences du comité et après avoir entendu des heures et des heures de témoignages au sujet du projet de loi C-11, je suis plus que jamais convaincue que ce projet de loi très mal conçu va beaucoup trop loin. Ce projet de loi — l’idée même qui en est à l’origine — est déconnecté de la réalité et des gens qui utilisent cette technologie pour apprendre, enseigner, communiquer, se divertir et gagner leur vie.

Le gouvernement continue d’affirmer, malgré toutes les preuves du contraire, qu’il vise simplement à moderniser la Loi sur la radiodiffusion. Ce projet de loi n’a rien de simple et rien d’une petite mise à jour. Internet n’est certainement pas un service de radiodiffusion traditionnel; c’est pourquoi essayer de lui imposer une réglementation en matière de radiodiffusion, y compris sur le contenu — qu’il soit canadien ou autre — est une mauvaise approche qui entraînera des conséquences inattendues.

Internet et ses diverses plateformes sont des entités et des structures mondiales qui n’ont pas de limites physiques ou temporelles et qui n’ont, par conséquent, rien à voir avec les stations de radio ou de télévision, dont la programmation est linéaire et fixée dans le temps et auxquelles il est possible d’imposer des pourcentages ou des quotas par rapport au contenu. Par exemple, il est possible de calculer 30 % de 24 heures et d’en faire un règlement applicable. Comment imposer des quotas à un système qui transcende toutes les frontières, y compris celles du temps et de l’espace?

Eh bien, on se sert du concept de découvrabilité. Celui-ci obligera les plateformes de faire en sorte que certains contenus soient plus faciles à trouver — qu’ils soient plus découvrables — alors que d’autres le seront moins. Il ne s’agit pas là d’une mise à jour des règles de la radiodiffusion. Il s’agit du gouvernement qui décide, par l’entremise de ses agences, comme le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ce qui est le plus important, et décide ensuite que c’est aussi ce qui est le plus important pour vous et moi. Je ne peux imaginer que les utilisateurs d’Internet du monde entier seraient plus heureux que moi que les choix de contenu canadien sélectionnés et promus par le gouvernement du Canadien se substituent à leurs choix personnels.

Notre comportement en ligne est ce qui apprend aux algorithmes à nous offrir plus de ce que nous aimons. Les plateformes détectent nos intérêts, nos préférences et nos habitudes de navigation, puis ils nous montrent plus de ce que nous avons choisi — et non pas ce que le gouvernement a choisi. C’est l’aspect qui est au cœur même du projet de loi : la question fondamentale de la manipulation des algorithmes. À mon avis, on peut se poser la question suivante : dans une démocratie, un gouvernement ou un organisme devrait-il avoir le pouvoir de substituer ses choix aux miens ou à ceux de tous les utilisateurs?

Nous savons que le projet de loi C-11 donne au CRTC le pouvoir de manipuler les algorithmes, puisque le président l’a lui-même admis. Ce n’est tout simplement pas aux gouvernements de forcer les plateformes à manipuler des algorithmes dans le but d’atteindre des quotas, de promouvoir un certain contenu ou d’en rendre un autre moins visible. Si vous êtes amateur de musique country ou de balados qui parlent de philosophie, vous préférerez sûrement avoir accès à ces contenus sans ingérence. Rappelons que l’ingérence dont on parle ici va au-delà des raisons qui, selon le consensus social, justifient une censure, comme les cas de discours haineux, d’incitation à la violence ou de diffamation.

Par ailleurs, il y a une arrogance fondamentale dans cette notion. J’invite les honorables sénateurs et les Canadiens qui écoutent ou regardent le débat chez eux à se demander qui serait en mesure d’être le censeur en chef, celui qui décidera ce que vous devriez regarder ou écouter. Donneriez-vous ce super pouvoir au gouvernement du moment, qui aura ses propres intérêts politiques et partis pris? Vous partagez peut-être le point de vue d’un parti particulier, mais qu’arrivera-t-il s’il y a un changement de gouvernement? Aimeriez-vous qu’un gouvernement dont vous ne partagez pas les points de vue ait un tel pouvoir?

Comme le dit Christopher Hitchens, l’un de nos grands écrivains :

[C]haque fois que vous violez ou proposez de violer la liberté d’expression de quelqu’un d’autre [...] vous créez une arme qui pourra se retourner contre vous [...]

Tout ce concept est l’antithèse de la liberté d’expression. La liberté d’expression ne concerne pas seulement nos droits; c’est aussi le droit des autres de s’exprimer, même ceux avec qui nous sommes en désaccord. Il est question de mon droit de ne pas être d’accord avec eux, de les aborder ou de les ignorer, mais pas de leur refuser le droit d’exprimer leurs opinions. Beaucoup de nos grands penseurs ont évoqué l’importance fondamentale de la liberté d’expression. Le linguiste Noam Chomsky a été très clair : « Si nous ne croyons pas à la liberté d’expression pour les gens que nous méprisons, nous n’y croyons pas du tout. »

Ce projet de loi pose exactement le même problème. En utilisant la découvrabilité pour promouvoir une musique, un art, une langue ou une idée qui a été avalisé, on réduit les autres au silence. Laissez-moi choisir ce que je veux entendre, écouter, débattre ou désapprouver, voire découvrir. L’une des caractéristiques les plus attrayantes d’Internet est la découverte fortuite : en recherchant quelque chose que vous aimez, vous tombez sur quelque chose d’inconnu ou de spécial. Le gouvernement ne peut pas régir ou réglementer la curiosité.

Je suis reconnaissante au comité d’avoir reconnu l’importance de la liberté d’expression et de l’indépendance journalistique à l’article 3.1 en adoptant mon amendement. Il est fondamental, étant donné que ce projet de loi donne de nouveaux pouvoirs extraordinaires au CRTC, et au gouvernement lui-même. Il doit à tout le moins garantir explicitement la protection de notre droit à une expression libre et ouverte. Espérons qu’il sera accepté.

Comme on l’a déjà dit, les répercussions de ce projet de loi sur les producteurs de contenu, en particulier sur les jeunes Canadiens qui bâtissent leur carrière en ligne dans le cadre de l’économie numérique, s’avèrent très préoccupantes. De TikTok à YouTube en passant par les balados, il existe un espace numérique florissant qui fournit de nouvelles avenues pour diffuser de l’information et des idées, pour se forger un avenir professionnel et pour gagner sa vie. Ce projet de loi est vraiment contre-intuitif, parce qu’en choisissant ses favoris, le gouvernement nuit aux personnes qu’il prétend aider, à savoir la nouvelle génération de créateurs de contenu canadien et leur public. Leur rayonnement et leur succès seront diminués si des plateformes, voire des pays, décident que nos règles sont injustes.

Il y a eu des témoignages, appuyés par des représentations directes et fortes du gouvernement étatsunien, selon lesquels la découvrabilité et les exigences de promotion d’un certain contenu canadien violent les dispositions de nos accords commerciaux et qu’elles seraient considérées comme une ingérence dans la conduite d’une entreprise nationale dans la zone de libre-échange. Nos partenaires commerciaux pourraient chercher à exercer des recours ou des représailles. En tant que nation commerçante, voulons-nous devenir les protectionnistes que nous décrions?

Votre comité a proposé des amendements qui, nous l’espérons, contribueront à protéger les producteurs de contenu et les entrepreneurs des conséquences de ce projet de loi. L’amendement apporté à l’article 4.2 donne une certaine assurance aux petits créateurs amateurs en éliminant le critère de revenu et en précisant la définition d’« émission », ce qui leur permettra, pour le moment, d’échapper à certaines des exigences administratives coûteuses qui sont imposées aux autres. Même si le CRTC n’a pas l’intention d’encadrer les petits créateurs de contenu, il disposera tout de même du pouvoir de le faire s’il le décide ou s’il en reçoit l’ordre. Encore une fois, c’est ce qu’a admis le président du CRTC dans son témoignage.

Le comité a également voté en faveur du retrait du paragraphe 7(7) pour tenter de limiter l’emprise du gouvernement sur le CRTC et ses politiques. Cette institution indépendante a été conçue pour être un organisme de réglementation, et non un organisme politique, et la surveillance de celle-ci ne devrait pas être à la merci des considérations politiques du moment. Nous devons maintenant attendre de voir si l’indépendance du CRTC est un principe irréfutable ou une simple question de commodité. Étant donné que ce projet de loi confère de nouveaux pouvoirs au gouvernement et au CRTC, dont les membres sont nommés par le gouvernement, le président du CRTC et le ministre devraient être appelés à comparaître régulièrement devant des comités parlementaires des deux endroits, afin que nous puissions évaluer la mise en œuvre et les effets de cette mesure législative.

En fin de compte, la folie de cette entière démarche, c’est que notre monde numérique n’est nullement comparable aux médias traditionnels. L’espace est complètement différent. On y produit du contenu et y fait circuler l’information à un rythme sans précédent. Les Canadiens ont à cœur la liberté d’expression. Ils ne veulent pas qu’on leur dicte quoi consommer et n’ont pas besoin que l’État providence leur présente du matériel qu’ils sont parfaitement capables de trouver eux-mêmes s’ils le désirent.

L’ancien président des États-Unis Harry S. Truman avait émis cette mise en garde :

Une fois qu’un gouvernement a décidé de réduire la voix de l’opposition au silence, il s’engage sur une voie bien précise, celle des mesures de plus en plus répressives [...]

Voilà ma crainte à l’égard du projet de loi C-11 : un contrôle accru du flux d’information.

Je crois que l’objet de ce projet de loi n’est pas du ressort du gouvernement et ne doit pas l’être. Il limite les marchés, l’innovation et la créativité, et je ne peux l’appuyer.

Ainsi, pour l’instant, nous attendons des preuves que le gouvernement a entendu les témoins qui ont comparu devant nous pour suggérer des solutions afin de bâtir la voie de l’avenir dans le nouveau monde numérique. J’espère que le gouvernement entendra leurs appels, car le bilan du gouvernement pour ce qui est de suivre les conseils réfléchis du Sénat n’est pas encourageant. Nous espérons que cette fois, ce sera différent, mais je suis peu optimiste. Merci, chers collègues.

L’honorable Andrew Cardozo [ - ]

Honorables sénateurs, c’est un plaisir de prendre la parole au sujet du projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne, qui vise à mettre à jour la Loi sur la radiodiffusion de 1991.

Même si c’est la première fois que je prononce un discours au Sénat, j’espère avoir l’occasion de faire un réel discours inaugural dans un avenir proche lorsque nous ne serons pas aussi pressés par le temps. Je crois que tous conviendront qu’il était temps que la Loi sur la radiodiffusion soit mise à jour, notamment en raison des avancées qu’ont connues les technologiques réglementées par cette loi dans les 32 dernières années.

Je dois d’abord vous dire que j’ai eu la chance d’être commissaire du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, pendant six ans au tournant du siècle — ce siècle-ci, pas l’autre d’avant.

À cette époque, mon travail était régi par cette loi, et je peux vous dire que, même à cette époque, elle commençait à montrer des signes de vieillesse, alors qu’Internet commençait à peine à s’imposer. C’était quand même une loi exhaustive assez flexible qui nous permettait de réglementer l’environnement en évolution.

La chose que je trouve extraordinaire de la Loi sur la radiodiffusion est qu’elle est typiquement canadienne.

La loi régit une société unique : la société canadienne. Il n’y a aucun autre pays qui possède toutes nos qualités uniques. D’autres pays peuvent avoir certaines de nos principales caractéristiques, mais nous sommes les seuls à les avoir toutes. Je dirais que, dans l’ensemble, la Loi sur la radiodiffusion a bien fonctionné pendant toutes ces années.

Juste pour me rajeunir, je tiens à préciser qu’en fait, j’ai comparu devant le comité de la Chambre des communes qui travaillait sur la Loi sur la radiodiffusion sous le gouvernement Mulroney, en 1991, alors que j’étais encore un très jeune homme. Je suis heureux de dire que certains des changements que nous avions préconisés à l’époque concernant la définition du « peuple canadien » ont effectivement été ajoutés au projet de loi à ce moment-là. J’étais loin de me douter que, six ans plus tard, je serais au CRTC pour mettre en œuvre cette loi, ou alors que j’interviendrais sur l’examen de cette loi au Sénat 32 ans plus tard.

J’aimerais me concentrer sur l’article 3 de la loi, c’est-à-dire sur les aspects uniques du peuple canadien que la Loi sur la radiodiffusion vise à mettre en valeur. Voici quelques-unes des principales caractéristiques qui sont au cœur de notre société.

Nous avons deux langues officielles, et le CRTC veille constamment à ce que nous ayons une richesse de programmes dans les deux langues. Lorsque je travaillais au CRTC, j’ai eu le plaisir de prendre part aux décisions qui ont permis de rendre TVA accessible partout au Canada, de rendre la Société Radio-Canada — la télévision et la radio — accessible dans toutes les capitales provinciales et d’augmenter considérablement le nombre de chaînes spécialisées en français. De fait, grâce aux progrès de la technologie numérique, le CRTC a pu enrichir la diffusion de programmes dans les deux langues, en offrant notamment un grand nombre de chaînes francophones d’un océan à l’autre.

Le Canada possède aussi un secteur de la radiodiffusion multilingue bien développé, qui rivalise avec tous les autres secteurs comparables dans le monde. On y trouve du contenu produit pour et par diverses communautés ethnoculturelles du pays. Le légendaire Johnny Lombardi a été un pionnier de la radiodiffusion multilingue. C’était à Toronto, dans les années 1960. Petit à petit, le nombre d’émissions de radio et de télévision a augmenté au Canada, alors que le CRTC accordait des licences à davantage de services multilingues.

Le plus récent ajout au paysage télévisuel a été le Réseau de télévision des peuples autochtones, ou APTN. L’audience relative à l’octroi de sa licence a certes été l’une des audiences les plus importantes ayant eu lieu durant mes six années au CRTC. C’était quelque chose de mémorable. Nous avons entendu les témoignages de certaines figures de proue dans le domaine. Abraham Tagalik, du Nunavut, présidait le conseil d’administration de ce qui était alors Television Northern Canada. La grande dame du cinéma autochtone, la très douée Mme Alanis Obomsawin, nous a rappelé nos obligations, et Adam Beach, un acteur primé, a souligné tout le talent qui existe au sein de la communauté culturelle autochtone.

Je me souviens avoir pensé, à l’époque, qu’il était paradoxal que les membres des Premières Nations soient les dernières personnes à avoir leur propre réseau de télévision. Aujourd’hui, 23 ans plus tard, APTN continue de prendre de l’ampleur et d’étendre ses services partout au pays, surpassant toutes les attentes, même s’il existe maintenant de nombreux autres services de radiodiffusion et de télédiffusion autochtones.

Depuis le début des années 2000 environ, le CRTC s’intéresse également à la question de la diversité dans la programmation des radiodiffuseurs d’expression française et anglaise afin que le contenu à la radio et à la télévision grand public auquel nous sommes exposés reflète la diversité raciale, culturelle et autochtone de notre pays.

Maintenant, il faut ajouter à cette spécificité ce qui suit. Contrairement à de nombreux autres pays, nous avons comme voisin la machine culturelle la plus dominante du monde, le mastodonte culturel que sont les États-Unis. Contrairement aux autres pays, même ceux dont les habitants consomment énormément de produits hollywoodiens, nous partageons non seulement une langue, mais également une certaine culture, un accent. Nous suivons les mêmes sports, comme le football et le hockey. Nous avons des expressions en commun. Ainsi, il est plus difficile de distinguer la musique et les émissions canadiennes du contenu américain, et les consommateurs canadiens ont moins de raisons d’être loyaux aux produits d’ici.

Du côté francophone, la radiodiffusion est confrontée à des défis uniques. Il est vrai que notre nation francophone vit au sein d’une anglosphère en Amérique du Nord, mais l’avantage de cette situation est que les consommateurs francophones sont particulièrement loyaux aux émissions en français produites au Québec et dans le reste du Canada. Le vedettariat québécois est bien vivant, florissant, et il peut compter sur de nombreux admirateurs et un vaste auditoire. L’industrie canadienne-anglaise ne peut que souhaiter d’avoir le même genre de public au Canada.

Cependant, vu l’énorme popularité de la musique et des émissions américaines, il est nécessaire pour l’État d’aider les émissions de langue française. Pensons au gouvernement fédéral, au gouvernement du Québec ou aux autres gouvernements provinciaux. C’est pourquoi le projet de loi C-11 est si populaire au Québec. Il apporte plus de revenus pour le contenu réalisé au Canada et diffusé de manière traditionnelle et en ligne.

Maintenant, l’article 3, particulièrement le sous-alinéa 3(1)d)(iii) proposé, ordonne au CRTC de réglementer et d’accommoder cette diversité de façon claire et contemporaine.

Dans un autre ordre d’idées, il y a eu toutes sortes de commentaires récemment sur le fonctionnement du CRTC, et je considère que certains de ces commentaires sont un peu gratuits. Je peux vous dire, d’après mon expérience, que j’ai trouvé que c’était l’un des organismes les plus ouverts et les plus transparents du gouvernement fédéral. Certes, il n’est pas parfait et, à l’occasion, il est tenu à la confidentialité parce que des questions commerciales et concurrentielles sont en jeu. Je vous dirais que toutefois c’est l’un des organismes qui travaille dur pour entendre une grande variété de voix et qui s’efforcera toujours de trouver un équilibre entre les intérêts des puissantes sociétés et des Canadiens ordinaires.

Il était aussi parfaitement ouvert à l’idée que soient remises en question ses façons de mener des audiences et des consultations. Je dirais que cet organisme mène des audiences publiques aussi bien, sinon mieux, que n’importe quel autre agence ou commission fédérale.

Hier, on a parlé de ce qu’on appelle la « politique identitaire » et du fait que ce genre de politique s’est introduite dans les affaires culturelles. J’étudie et j’enseigne constamment l’histoire et la politique canadiennes, et selon mon interprétation, l’identité a toujours fait partie de l’histoire du Canada. Certains parleront de politique identitaire. On y retrouve bien des aspects positifs, et certains aspects négatifs.

Depuis le début de notre histoire, les premiers peuples, c’est‑à‑dire les Autochtones, ont toujours été diversifiés, et ils étaient fiers de leurs diverses identités. Ils nous ont d’ailleurs appris à reconnaître leurs territoires ainsi que l’histoire qui se rattache à ces territoires et aux peuples qui ont habité les différents territoires traditionnels de l’Île de la Tortue où nous nous trouvons, et nous leur rendons hommage. Cependant, rappelons qu’après l’arrivée des colons venus d’Angleterre et de France, ceux-ci se sont livré une lutte basée sur des considérations identitaires, c’est-à-dire les Anglais contre les Français, d’où la bataille des plaines d’Abraham en 1759. Comme on dit, on connaît la suite.

Pendant de nombreuses années, les colonisateurs ont imposé leur identité, leur langue et leur religion sur cette terre et ils ont passé des siècles à essayer de noyer l’identité des peuples autochtones, allant même parfois, comme nous le savons, jusqu’à utiliser des moyens plutôt malheureux.

Dans une affaire historique connexe, permettez-moi de parler des Pères de la Confédération. En effet, ce sont les pères et pas les mères. Il n’y avait que des hommes d’origine britannique et française. Il n’y avait surtout pas d’Autochtones, même si la Proclamation royale de 1763 reconnaissait les Autochtones et leurs droits fonciers. Leur identité autochtone n’a pas été incluse dans la Confédération, et les Autochtones n’ont certainement pas été reconnus comme des fondateurs de l’État canadien.

Il y avait aussi beaucoup de Noirs. Il s’agissait de loyalistes qui avaient quitté les États-Unis pour venir s’installer ici — notamment les ancêtres de l’ancien sénateur Don Oliver et de la sénatrice Wanda Thomas Bernard — et qui se trouvaient déjà au Canada depuis plus d’un siècle, mais qui, encore une fois, ne faisaient pas partie des Pères de la Confédération.

Permettez-moi de parler de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Souvenez-vous de cette désignation. De quelle Amérique du Nord était-il question? De celle qui était d’origine britannique. Un document fondateur se résume à une question d’identité. Les Anglais et les Français avaient obtenu des garanties à l’égard d’écoles protestantes et catholiques, qui étaient absolument conditionnelles à la signature du document. Si ces identités n’avaient pas été enchâssées dans notre Constitution, le Canada n’aurait pas existé.

Ce n’est pas tout. Pendant les années 1800 et au début des années 1900, le gouvernement s’appropriait les terres des peuples autochtones pour les donner aux colons anglais et français et aux Européens de l’Est. Quant aux enfants autochtones, ils étaient enlevés par l’État et par l’Église et soumis à des conditions épouvantables.

Et voilà qu’aujourd’hui, nous nous demandons pourquoi il y a des riches et des pauvres et pourquoi il y a des puissants et des démunis. À l’extérieur de cette salle, il y a des gens qui demandent à certains groupes de cesser de s’étendre sur le sujet de leur identité, de passer à autre chose et de se contenter d’être comme les autres.

C’est ce qui m’amène au sous-alinéa 3(1)d)(iii). Cette disposition est nécessaire parce que c’est de cette façon, en respectant tous les Canadiens, quelle que soit leur identité ou leur origine, que nous ferons du Canada un grand pays.

J’aimerais parler brièvement de la Charte canadienne des droits et libertés. Le paragraphe 15(1) dit que nous sommes tous égaux. Le paragraphe 15(2), de son côté, précise que les programmes gouvernementaux inégalitaires sont autorisés s’ils ont l’égalité pour but ultime. Ce qui veut dire que l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones tombe directement sous le coup des pouvoirs prévus au paragraphe 15(2) de la Charte des droits et libertés. Aujourd’hui, nous avons la preuve que le projet de loi C-11 respectera aussi la déclaration de l’ONU.

En terminant, j’aimerais dire que la réduction de l’inégalité et la promotion de l’égalité pour l’ensemble des Canadiens comptent parmi les raisons fondamentales de la gouvernance, qu’il s’agisse de politiques culturelles, sociales ou économiques. C’est ce que vise le projet de loi C-11. Il fait progresser un peu plus notre grand pays. Il favorise la présence de plus de contenu canadien dans le monde des médias en ligne dans l’avenir. Le monde a besoin de plus de Canada, et l’augmentation des revenus permettra de diffuser davantage de contenu canadien sur la planète.

Pour cette raison et bien d’autres qui ont été expliquées par mes collègues, je serai honoré de voter en faveur du projet de loi C-11.

Merci.

L’honorable Leo Housakos [ - ]

Le sénateur Cardozo accepterait-il de répondre à une question?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénateur Cardozo, il reste un peu plus d’une minute. Acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Cardozo [ - ]

Oui.

Le sénateur Housakos [ - ]

Sénateur Cardozo, félicitations. Je crois qu’il s’agit de votre premier discours au Sénat. Il contient de nombreux éléments, mais j’aimerais me concentrer sur un d’entre eux. Vous avez parlé de la popularité du projet de loi C-11 au Québec. Je crois que ce projet de loi y est populaire parmi les amateurs de la télévision par câble et du modèle de radiodiffusion traditionnel. Il est très impopulaire parmi les diffuseurs en continu, les blogueurs, les utilisateurs de Twitter et les jeunes Québécois qui vivent sur ces nouvelles plateformes.

Si ces nouvelles plateformes sont si populaires parmi les francophones, c’est parce que ces derniers ne restent pas cantonnés aux quelques millions de francophones qui écoutent ce qu’ils font pour développer leur art et leur culture. Ils peuvent diffuser partout dans le monde à des dizaines et des centaines de millions de francophones.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Avez-vous une question?

Le sénateur Housakos [ - ]

Ma question est la suivante : pourquoi voulez-vous faire une diffusion ciblée de la culture francophone et faire en sorte que ces personnes ne fournissent leurs services qu’à quelques millions de francophones alors qu’il y en a des centaines de millions dans le monde?

Le sénateur Cardozo [ - ]

Merci, sénateur, de votre question. Je me serais senti ignoré si vous ne m’aviez pas posé de question, alors je vous remercie beaucoup.

En effet, la question que vous soulevez est importante. Je n’utilise pas le terme « diffusion ciblée ». J’utilise le terme « diffusion ». Je pense que ce que fait ce projet de loi, c’est de fournir plus de revenus pour la création de contenu québécois — de contenu canadien — afin qu’il puisse être diffusé partout dans le monde. Je pense que ce projet de loi fait exactement ce que vous aimeriez qu’il fasse. Il fournira assurément plus de revenus provenant de tous les Canadiens pour le contenu canadien et le contenu québécois, car nous voulons que le Canada soit plus présent dans le monde entier.

L’honorable Percy E. Downe [ - ]

Honorables sénateurs, je félicite le sénateur Cardozo de son excellent premier discours. Il est bon d’avoir franchi cette étape personnelle et votre discours d’aujourd’hui illustrait votre expérience non seulement en tant qu’historien, mais aussi en tant qu’ancien conseiller du CRTC. Compte tenu de votre expérience, vous apportez une grande contribution à ce débat. Je vous remercie de votre discours.

Chers collègues, aujourd’hui, je présente un amendement qui vise à améliorer le projet de loi C-11 en remédiant à certaines des lacunes de la Loi sur la radiodiffusion. Par exemple, à l’Île-du-Prince-Édouard, la CBC est un service essentiel qui doit être entièrement financé et soutenu et mon amendement aidera à atteindre cet objectif. Mon amendement permettra également d’améliorer le radiodiffuseur et de tenir la CBC responsable de l’annulation, au début de la pandémie, en mars 2020, du journal télévisé de la CBC à l’Île-du-Prince-Édouard.

Comme vous vous en souviendrez, au début de la pandémie, on manquait de connaissances au sujet de la COVID, notamment sur sa propagation et sur la façon de se protéger soi-même et de protéger ses proches. À l’Île-du-Prince-Édouard, une province dont la population compte un très haut pourcentage d’aînés et qui a un des pires services Internet du pays, le bulletin télévisé de nouvelles locales de la CBC — le seul journal télévisé produit dans la province — était un service essentiel qui a été annulé du jour au lendemain par la direction de la CBC à Toronto. Cette décision a directement enfreint les conditions liées à l’octroi de la licence de radiodiffusion de la CBC parce que le radiodiffuseur n’a donné aucun préavis et a, par surcroît, omis de justifier sa décision lors d’audiences publiques. La CBC n’a respecté ni l’une ni l’autre de ces conditions liées à l’octroi de sa licence. Qui plus est, nous avons par la suite appris que le CRTC ne disposait d’aucun moyen pour exiger que la CBC soit tenue responsable de ses décisions.

Advenant qu’une telle situation se reproduise, l’amendement que je présente imposerait une amende de 2 millions de dollars par jour à la CBC, qui serait payable à une bibliothèque locale dans la collectivité lésée.

Chers collègues, comme vous le savez, le Sénat a trois grandes priorités, dont l’une est de représenter les régions du Canada. Ainsi, il est particulièrement bien placé pour corriger ce problème en adoptant cet amendement et en veillant à ce que les Canadiens, peu importe où ils vivent, puissent s’attendre au même niveau de service de la part de leur radiodiffuseur national. L’importance de cet amendement pour les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard se reflète dans le fait qu’il a reçu l’appui de l’autre sénateur de la province, le sénateur Brian Francis.

La deuxième partie de mon amendement concerne le personnel de CBC/Radio-Canada. En effet, la Loi sur la radiodiffusion accorde à la société le droit de rémunérer ses employés au taux que le conseil d’administration juge adéquat. En tant que radiodiffuseur public financé par les contribuables, CBC/Radio-Canada a une plus grande obligation que les radiodiffuseurs privés de faire preuve de transparence quant à la façon dont elle dépense ses fonds, notamment pour la rémunération de ses cadres supérieurs et de son personnel en ondes. CBC/Radio-Canada fournit certains renseignements sur la rémunération qu’elle verse, mais de façon très limitée et générale. Il convient de comparer cela à la transparence dont fait preuve la British Broadcasting Corporation. Pendant des années, la BBC, comme CBC/Radio-Canada, refusait de divulguer les salaires et utilisait l’environnement compétitif dans lequel elle fonctionne pour se justifier. Cependant, depuis 2017, la BBC est contrainte de révéler le nom et le salaire des personnes les mieux payées de son personnel. À l’heure actuelle, elle donne le nom de l’employé, l’émission à laquelle il participe et son salaire, à 5 000 £ près.

En comparaison, CBC/Radio-Canada n’est pas tenue de donner que le salaire moyen qu’elle verse à l’ensemble de ses employés, à 50 000 $ près. Par exemple, alors que nous savons que Nick Robinson gagne entre 295 000 £ et 300 000 £ pour être à la barre de l’émission Today à la BBC, nous savons seulement que cinq présentateurs de CBC/Radio-Canada gagnent plus de 300 000 $ et que leur salaire moyen est de 342 000 $, mais nous ne savons pas de quelle personne ou de quelle émission il s’agit et nous ne connaissons pas le sexe de ces présentateurs.

La comparaison avec la BBC est importante et je ne suis pas le premier à la faire. Il y a neuf ans, le Comité sénatorial des transports et des communications a entrepris une étude au sujet de CBC/Radio-Canada. Au cours de son étude, le comité a examiné la rémunération des employés de renom de la société. Je peux dire ceci aux sénateurs qui n’étaient pas parmi nous à l’époque. Dire que le comité n’avait pas été impressionné par le niveau de coopération et de transparence de CBC/Radio-Canada est un euphémisme. Devant les estimations ridiculement basses des salaires présentées par CBC/Radio-Canada, le président du Comité sénatorial des transports de l’époque avait affirmé ceci :

On arrive à la conclusion, en voyant ce document, que Peter Mansbridge gagne 88 000 $. Tout le monde sait que ce n’est pas vrai. Ne m’insultez pas, comme membre du Sénat, comme président d’un comité, en me donnant de l’information qui est fausse.

Il a poursuivi en disant :

[...] on veut avoir, comme dans la majorité des conventions publiques et des corporations traitées à la bourse, une grille qui indique combien gagnent les dirigeants [...] Il est difficile d’obtenir de l’information de Radio-Canada concernant les opérations. Mais, si je veux connaître le salaire de tous les employés de la BBC, je vais sur son site Internet et je l’ai.

Il a ajouté :

[...] les contribuables, pour répéter ce que disent mes collègues, savent combien gagne le président de Postes Canada [...]

Ils savent ce que je peux gagner comme sénateur, combien gagne un député ou un ministre, mais nous ne pouvons pas obtenir une grille comparable de la SRC.

Le désir de transparence et la déception face à l’absence d’une telle transparence de la part de Radio-Canada est un point de vue qu’ont également exprimé d’autres membres du Comité sénatorial des transports, et qui est reflété dans le rapport du comité, qui recommandait ceci :

Le comité recommande que CBC/Radio-Canada soit plus transparente dans son fonctionnement, et tout particulièrement en matière de divulgation de ses données financières, de ses approvisionnements et de ses contrats, ainsi que de ses salaires, et qu’elle s’assure que l’information divulguée soit facilement accessible au public.

Chers collègues, rien de cela n’a été fait, mais cet amendement corrigera cette omission.

Je tiens à souligner que cet appel à la transparence ne découle pas d’une simple curiosité. Lorsque la BBC a été contrainte de publier les salaires de ceux qui gagnent plus de 150 000 £, cela a révélé un écart de salaire flagrant entre les sexes. Je ne peux pas prétendre que le même écart existe au sein de la CBC, mais je ne peux pas non plus affirmer qu’il n’existe pas. En l’absence d’informations supplémentaires de la part du radiodiffuseur, nous ne pouvons tout simplement pas le savoir.

En toute franchise, les Canadiens devraient savoir combien ils paient les employés les plus hauts placés d’une organisation financée par des fonds publics, ne serait-ce que pour s’assurer qu’ils sont payés équitablement. La BBC a publié de nombreux articles concernant des personnalités féminines de l’antenne que l’on s’est empressé de rencontrer pour leur accorder une augmentation instantanée avant que l’information publique sur les salaires ne soit rendue publique. Bien évidemment, elles ont découvert qu’elles étaient sous-payées depuis des années.

Je demande le même degré de transparence que celui que CBC/Radio-Canada exige à juste titre des autres ministères et organismes d’État, mais qui devrait également s’appliquer à cette organisation. Ce qui vaut pour les uns vaut aussi pour les autres. Cet amendement fait suite à la demande du Comité sénatorial des transports.

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