Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
27 avril 2023
Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence (matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels).
Je tiens d’abord à remercier des députés de l’autre endroit, Frank Caputo et Mel Arnold, qui sont respectivement l’auteur et le parrain du projet de loi. Je remercie également notre collègue la sénatrice Batters de parrainer le projet de loi au Sénat. Je pense que les gens vous diront que c’est un projet de loi important.
Les abus et l’exploitation pédosexuels peuvent être des sujets traumatisants pour une personne, comme nous l’avons vu aujourd’hui, et la réaction peut varier selon le vécu de chaque personne. Par conséquent, si des sénateurs, des membres du personnel du Sénat ou même d’autres personnes qui nous écoutent sont trop bouleversés, je les invite à partir, à prendre une pause ou à demander de l’aide.
Le projet de loi C-291 est un projet de loi relativement simple que je suis prête à appuyer. Il vise à modifier le Code criminel pour remplacer le terme « pornographie juvénile » par un terme plus adéquat, soit « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels ».
Pourquoi est-ce important? Après tout, le débat ne porte pas sur l’imposition de peines plus sévères pour le crime en question, et on ne peut pas non plus garantir que changer ce terme aura un effet dissuasif sur ceux qui commettent ce genre de crime. Cependant, honorables sénateurs, les mots sont importants, tant sur le plan structurel que sur le plan culturel. Avec ce projet de loi, on nous demande d’apporter un changement structurel à un terme entré dans les normes culturelles.
Je ne vais pas ressasser toutes les statistiques et les anecdotes présentées par les intervenants précédents dans le cadre du débat sur ce projet de loi. Je ne me concentrerai pas non plus sur l’application de la loi ou les enquêtes, deux sujets qui ont été adéquatement couverts par mes honorables collègues. Je vais plutôt attirer votre attention sur l’importance du langage utilisé.
Comme la sénatrice Batters l’a souligné dans son discours initial, le terme « pornographie » peut impliquer un élément de consentement. De plus, comme la sénatrice Miville-Dechêne l’a expliqué, il peut aussi impliquer une valeur artistique. Soyons clairs, du matériel sexuellement explicite impliquant des enfants n’est jamais consensuel et n’a aucune valeur artistique.
Adopté à l’origine en 1892, le Code criminel du Canada a évolué au fil des décennies, en particulier en 1993, lorsque la pornographie juvénile est devenue une infraction criminelle. Mais déjà, à cette époque, l’expression « pornographie juvénile » était quelque peu inadéquate, car, en 1991, l’article 34 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant stipulait : « Les États parties s’engagent à protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle. »
Encore plus tôt, en 1987, le département de la Justice des États-Unis avait créé la Section de l’obscénité et de l’exploitation des enfants afin d’enquêter sur les cas d’exploitation et d’obscénité impliquant des enfants et d’en poursuivre les auteurs.
Comme mes collègues le constateront, il s’agit encore et toujours d’exploitation et de victimisation.
Un enfant ne peut consentir à son exploitation. Il y a toujours un déséquilibre de pouvoir, même chez les jeunes, mais surtout entre un enfant et un adulte. L’acte de créer du matériel pornographique axé sur un enfant est à la fois un acte d’exploitation et d’abus de la victime et cela lui inflige des préjudices ineffaçables.
Chers collègues, vous comprendrez qu’il n’existe pas de terme mondialement accepté pour décrire l’acte criminel dont nous débattons présentement. Toutefois, le Guide de terminologie pour la protection des enfants contre l’exploitation et l’abus sexuels, également appelé Luxembourg Guidelines, parle de « matériels d’exploitation sexuelle d’enfants ».
Comme je l’ai mentionné, la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant parle à la fois d’« exploitation sexuelle » et de « violence sexuelle ». De plus, le Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, auquel le Canada participe, demande aux États parties d’ériger l’« exploitation sexuelle » en infraction criminelle.
Comme l’a fait remarquer la sénatrice Batters dans son discours, la version originale du projet de loi C-291 visait à remplacer le terme « pornographie juvénile » par « matériel d’abus pédosexuels ». Or, le Comité de la justice et des droits de la personne de l’autre endroit a amendé le projet de loi pour inclure l’exploitation et ainsi remplacer plutôt le terme par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels ».
Lorsqu’elles ont témoigné devant le comité de l’autre endroit, les représentantes du ministère de la Justice ont souligné qu’en ajoutant le terme « exploitation » au projet de loi, le Parlement engloberait plus d’éléments, en particulier les éléments fictifs, et que le projet de loi ainsi amendé refléterait plus fidèlement la nature de l’acte criminel.
J’ajouterais qu’il est question des droits des victimes, car cela leur indique que le Parlement et les parlementaires comprennent mieux la violence et l’exploitation dont elles font l’objet.
Bien que le Règlement du Sénat m’interdise de citer une intervention d’un député, j’aimerais partager le point de vue qu’a exprimé le député de Saint-Hyacinthe—Bagot lors d’un débat à l’autre endroit. Pas plus tard qu’en 2019, un juge de première instance a déclaré qu’une mineure aurait dû être flattée d’avoir attiré l’attention d’un homme plus âgé qu’elle. Cela reflète un point de vue archaïque, démontre le déséquilibre de pouvoir qui existe entre les enfants et les adultes, et représente précisément le type de malentendus culturels que le projet de loi C-291 cherche à résoudre.
Encore une fois, je voudrais rappeler à mes collègues que ce projet de loi est sans effet sur le plan structurel, c’est-à-dire qu’il ne cherche à modifier ni la définition de l’acte criminel ni la sanction. Il met plutôt l’accent sur les aspects culturels de ces crimes en mettant à jour la terminologie afin de mieux décrire l’acte criminel et de mieux refléter les conséquences permanentes de celui-ci chez la victime.
Chers collègues, le Parlement a le devoir de clarifier la terminologie juridique et d’en éliminer toute ambiguïté. En tant que parlementaires, nous devons dénoncer les mauvais traitements et l’exploitation des enfants. Si le législateur ne le fait pas, qui le fera?
En parlant de clarté, je m’en voudrais de ne pas aborder le point soulevé par la sénatrice Miville-Dechêne concernant l’utilisation de « pédosexuels » dans la traduction française. Je suis d’accord avec elle pour dire qu’il existe peut-être des termes plus larges et plus couramment utilisés et j’encourage le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles à se pencher sur la question.
Au début de mon intervention, j’ai mentionné que je ne voulais pas revenir sur les statistiques ou partager des histoires de victimes ou d’enquêteurs, mais je dois conclure avec certaines d’entre elles.
La COVID-19 a changé le monde. La pandémie nous a peut-être éloignés physiquement, mais la technologie a rapproché de nombreuses personnes, mais pas toujours pour le mieux. Hélas, cette même technologie facilite l’échange de contenu montrant de l’exploitation sexuelle d’enfants.
Selon le Centre canadien de protection de l’enfance, la possession et l’accès à la pornographie juvénile sont à la hausse. Elle a augmenté exactement de 21 % entre 2020 et 2021 et de 74 % par rapport à la moyenne quinquennale précédente. C’est une honte.
Le projet de loi est peut-être de portée limitée, mais il pourrait avoir une grande incidence, car nous savons tous que les mots sont importants.
À titre d’exemple, mardi dernier, j’ai eu le privilège de rencontrer, en compagnie d’autres parlementaires, des membres du Centre national contre l’exploitation des enfants de la GRC. Nous avons été informés du travail effectué par le centre à l’échelle mondiale pour arrêter ceux qui maltraitent et exploitent les enfants.
Les agents de la GRC sont des chefs de file dans les technologies et les méthodes d’enquête pour de tels crimes. Ils sont sollicités de par le monde pour renforcer les efforts de notre pays dans ce secteur d’investigation criminelle. Toutefois, je dois avouer quelque chose d’un peu embarrassant. On nous a fait remarquer — et les homologues internationaux de nos agents de la GRC l’ont également soulevé — que, dans le droit criminel canadien, ce crime est considéré comme une forme de pornographie. Il serait plus juste d’utiliser le terme « abus et exploitation sexuels », qui est plus large et plus approprié. C’était un peu embarrassant.
Par conséquent, j’exhorte tous les sénateurs à appuyer ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture. Merci.
Sénatrice Patterson, acceptez-vous de répondre à une question?
Oui.
Merci, sénatrice Patterson, de votre discours convaincant et poignant. J’appuie la modification dans la terminologie. J’aimerais par contre vous demander si supprimer le terme « pornographie juvénile » entraînerait la conséquence imprévue de suggérer qu’il y a des formes de pornographie juvénile qui sont acceptables. Dans les faits, cette modification crée une catégorie qui, nous sommes tous d’accord, est de l’exploitation. Toutefois, en disant que l’ancien terme est inadéquat, n’y a-t-il pas un risque de dire qu’il est acceptable?
Je vous remercie de votre question. Je pense que vous soulevez un excellent point.
Au Canada, la pornographie n’est pas illégale. Si vous conservez ce terme, vous vous concentrez sur lui et pas nécessairement sur l’enfant.
Voilà pourquoi je pense qu’il est très important que ce projet de loi soit renvoyé à un comité afin d’explorer soigneusement la terminologie utilisée et d’examiner ce que, dans mon ancienne vie, j’aurais appelé les conséquences de deuxième et de troisième ordre d’une modification de ce libellé. Je pense que votre remarque est très pertinente. Merci.
Je voudrais simplement poursuivre dans cette veine en posant une demi-question. J’espère que ce même comité pourra préciser qu’il n’existe aucune forme de pornographie juvénile qui soit acceptable. Je vois que vous acquiescez. Merci.
Merci beaucoup pour votre discours, madame la sénatrice. Je pense que vous avez fait mouche et je vous félicite. J’avais la même question. C’est ce qui me préoccupe.
Je vous demande simplement si vous êtes d’accord. Je sais, sénatrice Patterson, que nous avons besoin d’entendre les enquêteurs de la police nous dire que cela ne change rien à la façon dont ils envisagent les enquêtes à l’avenir. La dernière chose que nous voulons faire, c’est créer la notion qu’il y a deux instruments alors que nous travaillons depuis toujours avec un seul.
Je viens d’une organisation qui, comme vous le savez, est très impliquée dans ce domaine, sur le plan des enquêtes, depuis longtemps, et c’est pourquoi je m’inquiétais des conséquences imprévues. Je ne peux que supposer que vous avez la même préoccupation. Ai-je raison?
Vous avez raison. C’est pourquoi je pense qu’il est très important que ce projet de loi soit examiné en comité. Je pense que nous voudrions qu’il soit consigné que cette question doit faire l’objet d’un rapport au fur et à mesure des travaux du comité.
Merci beaucoup, sénatrice Patterson, pour cet important discours, et en particulier pour avoir parlé de tous ces contextes internationaux et pour avoir précisé que le Canada est en quelque sorte en retard sur ce changement de formulation. De nombreux autres partenaires internationaux de ces travaux importants ont modifié ces termes il y a longtemps ou ils n’ont peut-être même jamais utilisé l’expression « pornographie juvénile », qui est tellement dépassée et incorrecte.
Je tiens à ce qu’il soit bien clair que ce projet de loi sera traité de la façon la suivante : l’intention et l’objectif du projet de loi consistent à modifier l’expression « pornographie juvénile » chaque fois qu’elle est utilisée dans le Code criminel et dans les lois connexes.
Je peux certainement constater, d’après mes estimés collègues chargés de l’application de la loi, que nous voulons nous assurer que tout cela n’a que de bonnes intentions. Je tiens également à préciser au public canadien que, partout où on voit l’expression « pornographie juvénile », celle-ci sera remplacée par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels », afin de confirmer que c’est bien de cela qu’il s’agit.
Bien sûr, sénatrice Batters. Je suis entièrement d’accord avec vous sur ce point.