Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation
Deuxième lecture--Suite du débat
27 avril 2023
Honorables sénateurs, nous en sommes déjà au projet de loi C-29. Nos travaux progressent à la vitesse de l’éclair.
J’ai quelques observations à formuler au sujet du projet de loi C-29. Dans le préambule, on peut lire ce qui suit :
[...] que le gouvernement du Canada s’est engagé à mener à bien la réconciliation avec les peuples autochtones grâce à des relations renouvelées de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuits et la Couronne qui reposent sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat; [...]
Chers collègues, c’est très beau tout cela. Ces mots sont agréables à entendre, mais je les ai déjà entendus trop souvent.
Si l’on saute à l’article 10 du projet de loi, il est indiqué que les administrateurs au sein du conseil d’administration de cette nouvelle organisation seront des représentants de l’Assemblée des Premières Nations, de l’Inuit Tapiriit Kanatami, du Ralliement national des Métis et de l’Association des femmes autochtones du Canada.
Chers collègues, aux dernières nouvelles, le Canada compte cinq organisations autochtones nationales reconnues et financées. Je ne sais pas si c’est voulu ou un simple oubli, mais il n’est nulle part fait mention d’inclure les représentants du Congrès des peuples autochtones — dont j’ai déjà été le chef national — au sein du conseil d’administration.
Comme je l’ai mentionné, l’article 35 de la Constitution énonce la définition de peuples autochtones du Canada. Il est indiqué que « peuples autochtones du Canada s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada ». Cela signifie que cette liste n’est pas exhaustive.
J’attire votre attention sur le fait qu’il n’est pas énoncé que les Autochtones doivent être représentés par des organismes autochtones en particulier.
Honorables collègues, pour ceux qui ne seraient pas au courant, le 11 juin 2008, l’ancien gouvernement et l’ancien premier ministre ont présenté des excuses à la Chambre des communes. J’ai pu être présent à ce moment-là, en compagnie de quatre autres leaders autochtones.
Le lendemain, soit le 12 juin 2008, des leaders autochtones devaient présenter des discours au Sénat, dans l’enceinte sénatoriale d’origine. Honorables collègues, j’ai dû me battre pour pouvoir prendre la parole le lendemain, car je n’étais pas sur la liste. À ce moment-là, le Sénat a dû présenter une motion pour autoriser le Congrès des peuples autochtones à prendre la parole.
Je ne sais pas ce qui se passe dans les partis politiques, mais ils font de la politique partisane avec les peuples autochtones. À un certain moment, je parlerai plus en détail des rapports politiques que les peuples autochtones entretiennent avec le gouvernement fédéral depuis la Confédération. Cependant, honorables collègues, lorsque ce projet de loi sera renvoyé à un comité, je pense qu’il faudra absolument que le ministre des Affaires autochtones, et non des bureaucrates, témoigne au comité pour nous dire pourquoi une organisation autochtone nationale qui existe depuis 1971 a été exclue.
Pour ceux qui ne le savent pas, nous parlons souvent des trois principales organisations : l’Inuit Tapiriit Kanatami, l’Assemblée des Premières Nations et le Ralliement national des Métis. Eh bien, chers collègues, le Ralliement national des Métis provient de ce qui était initialement appelé le Conseil des autochtones du Canada, qui est aujourd’hui le Congrès des peuples autochtones. Beaucoup de personnes qui font partie du Ralliement national des Métis aujourd’hui ont quitté le Conseil des autochtones du Canada dans les années 1980.
En tant qu’ancien dirigeant autochtone élu d’une organisation dans ce pays, je vais simplement vous rappeler, chers collègues, qu’il y a cinq organisations, et il revient au ministre de nous dire pourquoi il en a exclu une. Si une organisation autochtone reconnue a été exclue, je ne vois pas comment on peut parler de respect, de coopération ou de partenariat.
Au bout du compte, ces organisations ne négocieront pas des partenariats de nation à nation avec le gouvernement du Canada. Elles n’en ont pas le mandat. Ce sont des organisations autochtones : le concept de nation à nation ne s’appliquera donc pas à elles. Ces négociations auront lieu avec la nation algonquine, la nation mi’kmaq, etc.
En conclusion, ces cinq organisations autochtones — quatre, en particulier — ont été créées en raison du livre blanc de 1969, qui a été présenté par le père du premier ministre actuel. Nous ne devons pas oublier que ces organisations sont aussi financées par le gouvernement du Canada. Cela m’attriste de devoir le dire, mais si elles décident de ne pas coopérer avec le gouvernement au pouvoir, elles peuvent être punies. J’espère que ce n’est pas ce qui se passe dans le cas du Congrès des peuples autochtones. C’est l’une des organisations reconnues, et il mérite d’être à la table. S’il ne l’est pas, j’espère que le ministre nous expliquera exactement pourquoi cet organisme, qui existe depuis 1971, n’a pas été inclus. Merci.
Merci, sénateur Brazeau, d’avoir expliqué clairement la situation.
Ai-je bien compris : parmi les cinq organisations autochtones dont vous avez parlé, quatre sont incluses dans ce projet de loi prévoyant la constitution du conseil, mais la cinquième — le Congrès des peuples autochtones — ne l’est pas? Je crois également que leur insertion découlait d’un amendement apporté par la Chambre des communes, amendement qui a soudainement été retiré, je crois. Je vous saurais gré si vous pouviez m’éclairer un peu à ce sujet.
Par ailleurs, pourriez-vous nous dire combien de personnes approximativement le Congrès des peuples autochtones représente? Merci.
Merci beaucoup pour ces questions. En ce qui concerne le nombre de membres — contrairement à l’Assemblée des Premières Nations qui n’a pas de membres individuels et au Ralliement national des Métis qui compte des membres individuels et des organisations —, le Congrès des peuples autochtones est composé d’organisations provinciales affiliées qui sont surtout présentes dans l’Est du Canada à l’heure actuelle. Quant au Ralliement national des Métis, il est plus présent dans l’Ouest pour des raisons historiques et autres.
Je vais essayer de répondre à votre question en me basant sur mon expérience. Au début des années 2000, l’ancien gouvernement Martin avait décidé, avant les négociations qui ont abouti à l’accord de Kelowna — qui n’a jamais été mis en œuvre —, de ne traiter qu’avec l’Assemblée des Premières Nations, le Ralliement national des Métis et l’Inuit Tapiriit Kanatami parce qu’à l’époque ces organisations examinaient également notre Constitution et affirmaient que selon la définition, elles avaient le monopole de la représentation.
Tous les Autochtones du Canada ne s’associent pas forcément à ces organisations. Cela dit, il y en a beaucoup qui le font. Il y a 20 ans, je devais me frayer un chemin jusqu’aux réunions du conseil ou de la fédération. À un moment donné, j’ai même dû faire irruption dans ces réunions parce qu’on nous en excluait. Pourquoi en étions-nous exclus?
Je dis « nous » en tant que peuples autochtones, collectivement. Nous avons cinq organisations, pas trois, pas quatre, pas deux, pas une. Cinq. Est-ce si difficile à comprendre? Cinq organisations que le gouvernement a également contribué à créer.
Sénateur Brazeau, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui.
J’ai eu le privilège, dans mon ancienne vie, de travailler avec le Congrès de peuples autochtones, surtout au sujet d’enjeux urbains qui comptaient beaucoup pour les Autochtones qui vivent dans des villes. Je dois dire que nous avions une relation très productive pour régler certains des vrais défis auxquels les Autochtones des régions urbaines doivent faire face au Canada, par exemple en matière de logement ou d’enjeux sociaux, entre autres.
Je comprends le point que vous soulevez aujourd’hui. Peut-être pourriez-vous nous en dire plus, au bénéfice de ceux qui ne sont peut-être pas au courant, au sujet de l’important travail mené au pays pour soutenir les Autochtones, en particulier dans le contexte des défis auxquels ils doivent faire face en région urbaine.
Je vous suis très reconnaissant de votre question. Ce que vous dites est tout à fait vrai. L’Association nationale des centres d’amitié assure la prestation de services directement auprès des Autochones qui vivent en dehors des réserves, en milieu urbain. Toutefois, l’organisation « politique » a toujours été et demeure le Congrès des peuples autochtones.
Comme je l’ai dit plus tôt, j’aborderai la question plus en profondeur dans un avenir rapproché.
L’arrêt Daniels, une décision rendue par la Cour suprême du Canada en 2016, porte le nom d’un ancien dirigeant du congrès, Harry Daniels. Harry Daniels a poursuivi le gouvernement du Canada jusqu’à la Cour suprême, soutenant essentiellement que le gouvernement du Canada est responsable de tous les Autochtones au Canada, car la pratique du gouvernement fédéral — sans égard à son affiliation politique — a toujours été de considérer tout Autochthone vivant en dehors d’une réserve comme relevant de la compétence provinciale. Telle est la position du gouvernement fédéral.
Or, de toute ma vie, jamais je n’ai rencontré un premier ministre provincial qui acceptait cette position. Par conséquent, qu’est-ce qui arrive? Ces gens sont abandonnés à leur sort.
Cependant, l’arrêt de la Cour suprême a confirmé qu’en raison du grand nombre d’étiquettes créées par le gouvernement du Canada pour désigner les Autochtones — visés par un traité, non assujettis à un traité, inscrits, non inscrits, résidant dans la réserve, résidant hors réserve, Inuits, Métis —, la Cour suprême a statué en 2016 que tous les Autochtones relevaient de la compétence et de la responsabilité du gouvernement fédéral. Or, dans la pratique, cela ne s’applique qu’aux Autochtones qui résident dans les réserves. C’est pourquoi, il y a encore 20 ans — et j’ignore quels sont les chiffres aujourd’hui —, mais jusqu’à il y a 10 ans, pour chaque tranche de 8 $ que le gouvernement fédéral dépensait dans les réserves, il ne dépensait que 1 $ hors des réserves, et ce, alors que la majorité des membres des Premières Nations et de la population autochtone du Canada vivent à l’extérieur des réserves.
Voici un parfait exemple, à mon avis, de la façon dont le gouvernement essaie de se décharger de ses responsabilités sur les provinces. Cependant, une décision rendue en 2016 par la Cour suprême confirme que la responsabilité du gouvernement. C’est peut-être pour cette raison que le congrès a été exclu du conseil d’administration, ou peut-être parce que le Congrès des peuples autochtones — en raison de cette question d’exclusion —, a accordé son appui au Parti conservateur du Canada lors des élections de 2006. Peut-être s’agit-il d’une forme de représailles envers le congrès, qui s’était impliqué politiquement à l’époque, parce qu’il avait été exclu par le gouvernement de Paul Martin.
Les gens ont des opinions et des points de vue différents sur les organisations autochtones, mais comme je l’ai dit, il s’agit d’une organisation autochtone qui existe depuis 1971. Et vous savez quoi? C’est l’organisation qui est à l’origine de l’arrêt Powley concernant les droits de récolte des Métis.
Il y a beaucoup de bonnes choses à dire sur notre organisation, mais il semble que le gouvernement veuille limiter ses échanges avec celle-ci, probablement en raison de la décision de la Cour suprême. L’avenir nous le dira.
Merci beaucoup de votre présentation, sénateur. Êtes-vous d’accord pour dire que nous sommes maintenant assez mûrs, dans cette Chambre, pour que le comité puisse justement se réunir afin d’étudier des sujets importants, comme la question de la Cour suprême? Peu de gens savent que, à une certaine époque, on ne reconnaissait que cinq organisations. À travers la diversité des premiers peuples, les Premières Nations, je veux que ce soit ma communauté qui me représente. Toutefois, je ne veux pas faire de l’ombre à qui que ce soit. Notre diversité est distincte et certaines choses nous appartiennent. Les décisions que nous prendrons ici auront un impact sur les organisations importantes qui travaillent avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
Je suis tout à fait d’accord. Bien sûr, les honorables sénateurs savent maintenant qu’il existe cinq organisations. L’important est de s’assurer que le ministre des Relations Couronne-Autochtones, M. Miller, comparaisse devant le comité et indique clairement pourquoi le Congrès des peuples autochtones, l’une des cinq organisations nationales reconnues et financées par le gouvernement fédéral, a été exclu. C’est tout.