La Loi sur les juges
Projet de loi modificatif--Adoption du treizième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles
31 mai 2023
Propose que le rapport soit adopté.
— Honorables sénateurs, la Loi sur les juges s’applique aux juges nommés par le gouvernement fédéral, comme beaucoup d’entre vous le savent, que l’on appelle souvent les juges des cours supérieures. Il s’agit, par exemple, des juges de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse ou de la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan, de la Cour canadienne de l’impôt, des tribunaux fédéraux, de la Cour d’appel fédérale, des cours d’appel de tout le pays et de la Cour suprême du Canada. Elle ne s’applique pas aux juges des tribunaux provinciaux, qui relèvent des compétences provinciales.
Le projet de loi C-9 vise à modifier la Loi sur les juges en modernisant le régime par lequel les juges nommés par le gouvernement fédéral font l’objet d’une enquête pour inconduite conformément aux responsabilités du Conseil canadien de la magistrature. Il s’agirait d’un nouveau système pour les procédures relatives à l’inconduite des juges.
Les objectifs de ce projet de loi — et j’espère que son parrain, le sénateur Dalphond, nous en parlera un jour — consistent à améliorer l’efficacité du système et, par conséquent, à diminuer les retards et les coûts. Dans certains cas, comme vous pouvez le conclure d’après les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte lorsque ce projet de loi y a été présenté, des millions de dollars de fonds publics ont été engloutis dans des processus longs et parfois douteux menant à l’examen de l’inconduite des juges.
Les changements clés apportés au projet de loi incluent la possibilité d’imposer des sanctions autres que le simple fait de recommander la révocation, et le fait de limiter la possibilité, pour un juge, de demander un examen judiciaire. De plus, l’examen judiciaire effectué par les cours fédérales est remplacé par un mécanisme du Conseil canadien de la magistrature et le droit de présenter une demande d’appel directement à la Cour suprême du Canada.
Le nouveau processus en matière d’inconduite du Conseil canadien de la magistrature comporte cinq étapes possibles pour examiner une plainte contre un juge d’une cour supérieure. Le nouveau processus proposé — je vais tenter d’être bref — commence par un premier contrôle mené par un représentant du conseil. Toute plainte qu’on n’estime pas être dénuée de tout fondement ou qui ne devrait pas l’être sera examinée par un membre du comité d’examen, qui pourra rejeter la plainte ou la soumettre au comité d’examen. Le comité d’examen peut rejeter la plainte ou y donner suite et imposer des mesures de réparation, comme ordonner que le juge suive un cours de perfectionnement professionnel ou qu’il présente des excuses, sans toutefois aller jusqu’à la révocation.
Si un juge souhaite faire appel, il peut porter l’affaire devant un comité d’audience restreint — ou devant un comité d’audience plénier si le geste qui lui est reproché est passible de révocation. Les comités d’audience pléniers fonctionnent comme un tribunal public, avec une audience classique et une audience contradictoire. Le comité plénier détermine alors si la révocation doit être recommandée ou non.
Si le juge en cause ou l’avocat chargé de présenter l’affaire — un peu comme un procureur — souhaite faire appel de la décision du comité d’audience plénier, l’affaire est renvoyée à un comité d’appel, qui a les mêmes pouvoirs qu’une cour d’appel et qui fonctionne comme tel. Si, au bout du compte, le comité d’appel recommande la révocation du juge, le seul recours qui resterait à celui-ci, selon la version du projet de loi que le Sénat a reçue, serait de s’adresser à la Cour suprême. Si la décision recommandant la révocation est maintenue et que tous les recours sont épuisés, la recommandation est transmise au ministre de la Justice, qui peut saisir les deux Chambres du Parlement de la question. Ce processus se veut à la fois rigoureux et respectueux de l’indépendance de la magistrature.
Lors de l’étude du projet de loi C-9 au comité, six amendements ont été apportés au projet de loi C-9. Je vais essayer de les souligner brièvement afin que vous sachiez quels changements ont été apportés aux fins d’examen par le Sénat.
Tous les amendements de fond au projet de loi qui ont été adoptés s’appliquent à l’article 12. Cela semble simple. Cependant, l’article 12 comporte 81 éléments. Il est au cœur du changement.
Je ne lirai pas les 81 éléments, mais ils constituent l’essentiel du projet de loi C-9. C’est là que les changements sont établis, à une exception technique près. Le premier amendement adopté par le comité, qui figure dans votre rapport, modifie différents éléments de l’article 12 afin d’ajouter un non-juriste à chaque étape du processus décisionnel dans l’examen de l’inconduite judiciaire.
Le projet de loi prévoit qu’un non-juriste peut être l’un des trois membres d’un comité d’examen et l’un des cinq membres d’un comité d’audience plénier et que les non-juristes sont désormais inclus dans le processus décisionnel concernant les plaintes anonymes et dans ce que l’on appelle un « comité d’audience restreint ».
Initialement, il était prévu que le comité d’appel serait composé de cinq juges. L’amendement modifie la composition de ce comité d’appel de sorte qu’il compte trois juges, un avocat et un non‑juriste.
Le deuxième amendement porte sur la diversité. Le texte original de l’article 84 disait ceci :
Dans la mesure du possible, le Conseil inscrit sur la liste de juges et la liste de non-juristes des personnes qui reflètent la diversité de la population canadienne.
Deux bassins de candidats seront créés, un pour les juges et un pour les non-juristes, et c’est dans ces bassins que l’on ira puiser les personnes qui devront instruire les plaintes visant les juges. Or, le syntagme « dans la mesure du possible » a été jugé contraignant, inutile et pas à sa place. D’aucuns étaient d’avis qu’il diluait la promesse de diversité, et c’est pourquoi cet amendement le supprime du texte.
Le troisième amendement porte sur la publication des décisions. Selon l’amendement adopté par le comité, le Conseil canadien de la magistrature est tenu de publier le plus rapidement possible les décisions rendues. Le projet de loi exige déjà du conseil qu’il publie les décisions des comités d’audience restreints et pléniers ainsi que leurs motifs, mais notre amendement va plus loin en exigeant qu’il publie aussi toutes les décisions par lesquelles les agents de contrôle, les examinateurs et les comités d’examen rejettent une plainte de même que leurs motifs.
Le quatrième amendement porte sur les inconduites sexuelles. Selon la version initiale du projet de loi C-9, les plaintes pour harcèlement ou pour discrimination fondée sur un motif de distinction illicite ne peuvent pas être rejetées au début du processus et doivent obligatoirement passer à l’étape suivante. Les membres du comité estimaient que l’expression « harcèlement sexuel » était trop pointue et n’englobait pas nécessairement les autres formes d’inconduite sexuelle. L’expression « inconduite sexuelle » a donc été ajoutée aux dispositions de l’article 12 où sont énumérés les types de plaintes qui ne peuvent être rejetés d’emblée.
Le cinquième amendement porte sur la collecte de données désagrégées. Le comité a adopté une série d’amendements afin que les données que recueille le Conseil canadien de la magistrature, et au sujet desquelles il fait rapport, portent aussi sur l’origine ethnique et nationale, l’identité autochtone, la race, la religion, le sexe, le genre et les limitations fonctionnelles et afin que le rapport annuel du conseil fasse état de ces données en les regroupant par catégories.
Enfin, le comité a adopté un amendement pour rétablir la capacité du juge ou de l’avocat chargé de présenter l’affaire — c’est-à-dire, le procureur — d’interjeter appel directement auprès de la Cour d’appel fédérale avant d’avoir recours à la Cour suprême. Le projet de loi avait limité la capacité du juge à interjeter appel à l’extérieur du processus du Conseil canadien de la magistrature : il ne pouvait que présenter une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada. Un niveau supplémentaire a été rétabli. Avec l’amendement, les décisions du Conseil canadien de la magistrature pourraient d’abord être entendues à la Cour d’appel fédérale, puis le juge ou l’avocat chargé de présenter l’affaire pourrait demander d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada.
De plus, il y a un petit amendement de coordination pour harmoniser l’article 16 avec ce que prévoit cet amendement, qui réintègre la Cour d’appel fédérale dans le processus.
En conclusion, permettez-moi de dire que le comité a apporté une longue série d’amendements à la mesure législative. Le projet de loi vise la modernisation d’un processus vieux d’environ 40 ans qui a été la cible de nombreuses critiques. Je pense qu’il mérite l’attention du Sénat dans le but de moderniser le processus en cas d’inconduite judiciaire.
Merci.
J’ai quelques questions à poser au sénateur, s’il le veut bien.
Je les accueille avec plaisir.
Sénateur Cotter, je vous remercie du rapport. Nous l’attendions tous avec impatience, et le voici.
Sénateur Cotter, je constate que le comité a décidé de ne pas adopter un amendement au projet de loi concernant l’inclusion d’une suspension sans traitement dans la liste de mesures disciplinaires possibles, même si cela a été recommandé par les témoins. Le projet de loi C-9 inclut d’autres mesures disciplinaires moins sévères, par exemple, une réprimande nécessitant des excuses, mais il saute ensuite à la pénalité très grave de la révocation du juge en cause, sans aucune autre mesure entre les deux. Étant donné que selon le Conseil de la magistrature de l’Ontario, la suspension sans traitement semble bien fonctionner en Ontario, et que d’autres témoins l’ont aussi demandée, pourquoi le comité aurait-il finalement décidé de ne pas l’inclure dans le projet de loi?
Comme on peut lire sur la pierre tombale d’une personne, « Je m’y attendais ». Sénateur Plett, je m’attendais à cette question, alors je vous remercie. Bien que je sois tenté de dire que le sénateur Dalphond pourrait fournir une réponse plus complète, permettez-moi de partager avec vous — au nom du comité — les délibérations et ce que je pense être, peut-être, les facteurs déterminants qui ont conduit le comité à voter contre l’adoption de l’amendement. L’amendement a été soigneusement étudié et considéré à l’avance par la sénatrice Batters et le comité.
Il est vrai qu’un certain nombre de provinces ont inclus cette sanction dans leurs procédures relatives à l’inconduite de juges des tribunaux provinciaux; vous avez raison sur ce point. Certains des témoins les plus éloquents l’ont suggéré. En fait, le professeur Richard Devlin, de l’école de droit Schulich de l’Université Dalhousie, est probablement le spécialiste universitaire le plus éminent sur le sujet, et c’est l’une des recommandations qu’il a formulées.
On a exprimé des réserves au sujet de l’amendement en avançant deux arguments. L’un d’eux est d’ordre pratique : si la sanction est la suspension d’un juge avec salaire, cela signifie généralement que ce juge prend des vacances gratuites. C’est embarrassant pour le juge, mais cela impose un fardeau aux autres juges, qui doivent assumer la charge de travail de ce juge. On n’a pas l’impression que c’est une véritable sanction.
De son côté, le deuxième argument est un peu plus subtil, c’est un élément que les représentants du ministère de la Justice ont soulevé et que, je peux le dire sans me tromper, le sénateur Dalphond a défendu avec vigueur : la rémunération des juges est assujettie à un processus de révision enchâssé dans la loi et qui a lieu tous les quatre ans. Autrement dit, le fait de réduire le salaire d’un juge pourrait être considéré comme un acte inconstitutionnel. Si l’on inflige une période de suspension à un juge, même à titre de sanction, et que cela entraîne une réduction de sa paie, cela donne lieu à un argument de poids — je ne dirais pas un argument déterminant — pour établir qu’il y a entrave inconstitutionnelle à l’indépendance de la magistrature.
Pour donner suite à ce que la sénatrice Batters a si bien expliqué, je crois qu’il n’y a aucun doute sur les lacunes dans l’échelle des sanctions. Toutefois, pour ce qui est de la magistrature, cette question présentait des problèmes différents par rapport à d’autres secteurs qui nous sont plus familiers à vous et à moi-même, entre autres en ce qui concerne les avocats et les policiers.
C’est la meilleure réponse que je peux vous fournir pour décrire le processus de réflexion du comité pour en arriver à la décision de ne pas adopter cet amendement.
J’espère pouvoir poser une autre question. Ce n’est pas la première fois que l’on m’accuse d’être prévisible, je ne m’en offusquerai donc pas non plus dans ce cas-ci.
Sénateur Cotter, j’ai également remarqué que le ministre Lametti a été invité à comparaître une deuxième fois devant le comité pour répondre à des questions des membres du comité, bien sûr, lorsque vous avez commencé à examiner les amendements lors de l’étude article par article. Le ministre a décliné l’invitation. Il me semble que le ministre aurait dû être ravi de comparaître s’il était invité par le comité à contribuer à ce qui s’est avéré être un processus assez difficile concernant un projet de loi très difficile — je ne veux pas utiliser le mot « alambiqué ». Pourquoi le ministre a-t-il refusé de témoigner?
Étant donné que je peux difficilement lire dans les pensées des gens, j’ignore les raisons qui ont poussé le ministre Lametti à décliner l’invitation. C’était une requête formulée par le comité, car nous pensions que ce serait l’occasion d’engager un dialogue sur d’éventuels amendements que le comité pourrait envisager. Nous aurions aimé qu’il comparaisse avant l’examen article par article du projet de loi. Je n’ai pas d’explication. Je pense que son intervention nous aurait été utile et qu’il aurait pu nous donner une raison de refuser ou d’accepter ces amendements. J’ignore pourquoi il a refusé l’invitation.
Comme vous le savez probablement, il s’agit d’un projet qui s’est déroulé sur plusieurs années, et qui vise à mettre en place un système moderne qui fait intervenir le Conseil canadien de la magistrature, l’Association canadienne des juges des cours supérieures, le ministère de la Justice, et le ministre de la Justice. Il s’agit d’une démarche délicate qui consiste à mettre en place un régime moderne et efficace d’examen des cas d’inconduite de la part des juges.
Bien que je ne cherche pas à défendre le ministre Lametti, sa comparution au comité a été remarquable, et il a peut-être estimé qu’il était suffisant de comparaître une seule fois par projet de loi.
Sénateur Cotter, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?
Oui.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Merci. Je l’apprécie.
Tout d’abord, je vais donner une explication solide de mon amendement, qui prévoyait une suspension avec ou sans solde — la suspension sans solde n’aurait duré que 30 jours. Nous en discuterons prochainement, et vous obtiendrez une explication complète de ma position à ce sujet.
Sénateur Cotter, je voulais vous poser quelques questions très générales. Je vous remercie pour l’explication concernant le nombre d’amendements, mais je ne pense pas que les renseignements suivants figuraient dans votre rapport: combien de réunions notre comité a-t-il tenues et combien de témoins a-t-il entendus?
Beaucoup. Je vous communiquerai les détails dès que possible.
J’ai commencé à préparer mon discours pour l’étape de la troisième lecture, alors je crois connaître la réponse. Je pense que sept réunions entières ont été consacrées à des témoignages et que l’étude article par article a ensuite duré pendant trois réunions. Il y a donc eu pas mal de réunions. Je ne crois pas avoir fait le calcul du nombre de témoins encore, mais nous aurons la réponse. En comparaison, le Comité de la justice de la Chambre des communes n’a tenu que trois réunions pour étudier le projet de loi et une seule pour l’étude article par article, alors on peut dire que le Sénat a fait du bon travail.
Il y a une autre chose que je voulais vous demander, sénateur Cotter. Même si le projet de loi a obtenu beaucoup d’attention médiatique depuis qu’il a été présenté pour la première fois au Sénat, bien des sénateurs ne savent peut-être pas ceci. Il y a présentement une affaire très médiatisée concernant des procédures disciplinaires visant un juge de la Cour suprême. À ma connaissance — c’est également ce que le ministre de la Justice Lametti a indiqué —, le projet de loi à l’étude ne s’appliquerait pas dans cette affaire, parce qu’il n’a pas encore été adopté. Est-ce bien le cas? Seules les affaires qui surviendront après l’entrée en vigueur du projet de loi C-9 devront suivre le nouveau processus disciplinaire et toutes les affaires en cours continueront d’être traitées dans le système actuel; est-ce exact?
Je crois que vous avez raison, sénatrice Batters. C’est d’ailleurs une bonne raison pour agir assez rapidement afin qu’un régime moderne soit mis en place avant que de nouvelles plaintes soient déposées au sujet de juges des cours supérieures. Au sujet de l’affaire à laquelle vous faites référence, c’est l’ancien système qui s’appliquera.
Ma question est fort simple, sénateur Cotter. Je n’aime pas le fait qu’un ministre ait refusé de comparaître. Nous avons en quelque sorte un principe qui dit « pas de ministre, pas de projet de loi ». Je comprends que nous ne puissions pas toujours tous les faire comparaître. Cela dit, sénateur Cotter, de quelle manière devrions-nous gérer ce genre de situation à l’avenir? Que devrions-nous faire lorsqu’un comité, et plus particulièrement le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, a des questions à poser à un ministre, mais que celui-ci refuse de comparaître?
Merci, sénateur Plett. Je vais répondre brièvement. La présidence de comité est un rôle assez récent pour moi, donc je n’ai pas toute l’expérience que vous possédez concernant la comparution de ministres ou leur refus de comparaître devant un comité. Je suis convaincu qu’à un moment donné, il devient excessif de demander à un ministre de comparaître plus d’une fois au sujet d’un même projet de loi. Les questions étaient importantes. Ces éléments ont tous été abordés avec le ministre la première fois qu’il a comparu. Nous avions peut-être des questions plus pointues à l’approche de l’étude des amendements, mais ce n’est pas comme si nous n’avions pas entendu le ministre concernant les aspects litigieux.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée avec dissidence, et le rapport est adopté.)
Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi modifié pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Dalphond, la troisième lecture du projet de loi modifié est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)