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La Loi sur les mesures économiques spéciales

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

24 septembre 2024


L’honorable Leo Housakos [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-278, Loi modifiant la Loi sur les mesures économiques spéciales (disposition des biens d’un État étranger).

Je tiens d’abord à remercier la sénatrice Omidvar d’avoir présenté cette mesure législative. Je la remercie aussi de tout ce qu’elle fait dans ce dossier très important. D’entrée de jeu, je tiens aussi à dire que j’appuie sans réserve ce projet de loi, bien que je sois porte-parole de l’opposition — un porte-parole tout à fait sympathique, cela dit.

Il s’agit selon moi de la suite naturelle de certaines mesures que prend le Sénat pour combattre les graves violations des droits de la personne et les intimidateurs comme Vladimir Poutine. Selon les habitudes de vote, toutefois, je dois dire qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour ce qui est du choix des violations des droits fondamentaux que certains sénateurs décident de dénoncer.

Quoi qu’il en soit, même si on ne sait trop la quantité de biens toujours au Canada que ce projet de loi permettrait de saisir, j’estime que les modifications apportées à la Loi sur les mesures économiques spéciales seraient tout de même utiles — ne serait-ce que modestement — aux Ukrainiens. Cette mesure législative pourrait aussi permettre au Canada de donner l’exemple aux autres démocraties occidentales quant à la façon de traiter avec les États voyous qui cherchent à bouleverser l’ordre mondial fondé sur des règles, ce que notre pays ne fait pas nécessairement depuis un certain temps.

Comme l’a dit la sénatrice Omidvar dans son discours, le projet de loi :

[...] vise à modifier la Loi sur les mesures économiques spéciales afin de mettre en place un mécanisme juridique permettant de saisir et de réaffecter les biens appartenant à un État étranger qui trouble la paix et la sécurité internationales et de rediriger ces biens vers les victimes dont la vie a été brisée.

Je ne vois pas comment on pourrait considérer cela autrement que comme une approche juste et raisonnable.

D’ailleurs, ces mesures ne s’appliqueraient pas seulement à cette situation en particulier. Non seulement ce projet de loi permettrait au gouvernement de saisir des actifs russes pour aider à la reconstruction de l’Ukraine, mais il nous fournirait aussi un mécanisme juridique pour répondre à d’autres violations des droits de la personne.

C’est extrêmement important, car nous continuons de voir la montée de l’autoritarisme et des violations flagrantes des droits de la personne dans le monde, alors que des tyrans et des despotes sont de plus en plus enhardis par ce qu’ils perçoivent comme une faiblesse et une hésitation à agir de la part des démocraties occidentales. Cette agressivité croissante est carrément une façon de nous narguer. Soyez assurés qu’ils agissent de façon coordonnée. Ils cherchent ainsi à détourner notre attention et à mettre notre courage et notre détermination à l’épreuve. C’est ce qu’on voit avec Erdogan, Xi et le Corps des Gardiens de la révolution islamique. Ils cherchent à alimenter les conflits sur le plus grand nombre de fronts possible, et même si ces gestes ne doivent pas rester impunis, nous avons la responsabilité morale et existentielle de maintenir l’ordre en mettant en œuvre des mesures comme celles qui sont proposées ici.

Quant à la manière dont ces mesures seront utilisées relativement à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, comme je l’ai mentionné plus tôt, l’importance de ce projet de loi ne se résume pas nécessairement à la valeur des actifs qui se trouvent au Canada. En 2021, avant l’invasion par la Russie, les comptes publics de la Russie déclaraient environ 16 milliards de dollars d’actifs au Canada. Or, depuis, la Russie en a transféré une bonne partie ailleurs, si bien qu’on ne connaît pas avec certitude la valeur des actifs russes qui se trouvent toujours au Canada. À plusieurs reprises, les médias nous ont appris que des activités russes ont toujours lieu en catimini au Canada et que des oligarques interviennent dans des industries névralgiques au Canada, notamment l’exploitation minière.

Étant donné que la Banque mondiale estime le coût de la guerre en Ukraine à 600 milliards de dollars américains, l’Ukraine aura besoin de chaque dollar qu’on puisse lui offrir. Trouver des moyens novateurs d’accroître la capacité en matière d’aide financière va changer la donne dans ce conflit ainsi que dans d’autres. De plus, même si nous ne sommes pas les premiers à le faire, nous devons emboîter le pas à nos alliés et prendre des mesures de cette nature, en particulier à l’heure actuelle, alors que nous sommes de plus en plus perçus comme étant déphasés par rapport à nos alliés.

Il y a des mesures législatives comparables à ce projet de loi aux États-Unis et au Royaume-Uni. Si l’on a des doutes à savoir si le Canada a le droit de saisir les actifs d’un gouvernement étranger, il faut savoir que le droit international nous oblige à prendre le genre de mesures qui est proposé dans ce projet de loi.

En fait, selon l’article 41 du texte Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, les États doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave d’une norme impérative.

Je crois que nous convenons tous que les actions de la Russie contre l’Ukraine sont illégales et enfreignent les normes impératives.

Au risque de tomber dans la redondance, mais à l’intention de ceux qui ont raté le discours de la sénatrice Omidvar et qui pourraient encore avoir des inquiétudes sur ce point particulier, je voudrais une fois de plus citer son discours, car elle a très bien expliqué le principe :

Le principe qui sous-tend les contre-mesures permet à un État, en l’occurrence le Canada, de suspendre une obligation qu’il a en vertu du droit international dans le but de forcer l’État contrevenant à respecter de nouveau ses obligations internationales légales. Dans ce cas-ci, la Russie a violé le droit international en envahissant l’Ukraine et en n’offrant aucune indemnisation pour la dévastation qu’elle a causée. S’il s’agit d’une contre-mesure valable, alors en soi, la saisie des actifs de l’État ne constitue pas une infraction au droit international. Au contraire : il s’agit d’une réponse valable et respectueuse des lois à la violation, par la Russie, des normes fondamentales interdisant à un État de monter une attaque armée contre un autre État.

Chers collègues, nous pouvons avoir des divergences politiques dans cette enceinte — et en dehors, d’ailleurs —, mais je pense pouvoir parler en notre nom à tous en disant que l’ordre mondial semble beaucoup moins stable ces derniers temps, moins qu’il ne l’a été depuis de nombreuses années.

Nous savons que Pékin affiche une attitude belliqueuse à l’égard de Taïwan; que l’Iran a participé aux attaques du 7 octobre contre Israël et à la guerre qui s’en est suivie; qu’Erdoğan a participé au nettoyage ethnique des Arméniens du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan; et que Poutine a commis des atrocités à l’encontre du peuple ukrainien. Chacune de ces régions représente une poudrière qui nous oblige à agir de manière responsable.

Il faut agir. L’heure n’est pas à l’apaisement. La communauté internationale a essayé la méthode de l’apaisement lors le conflit entourant l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Cela n’a pas fonctionné à l’époque, et cela ne fonctionnera certainement pas aujourd’hui. Nous savons que l’apaisement n’a jamais fonctionné face aux tyrans et aux despotes.

Les principes qui sous-tendent ce projet de loi sont nobles. Il s’inspire de la justice dans sa forme la plus pure. En adoptant ce projet de loi et en mettant en œuvre les mesures qu’il contient, nous affirmons que nous utiliserons tous les outils à notre disposition pour lutter contre les menaces qui pèsent sur notre mode de vie.

Il est de notre devoir et de notre obligation de défendre la liberté et la démocratie, non seulement chez nous, mais aussi partout où elles sont menacées dans le monde.

Depuis trop longtemps, la Russie et d’autres États voyous se cachent derrière les mesures de protection du droit international, qui font partie de l’ordre fondé sur des règles et dont ils se servent contre nous. C’est ce qu’ils tentent de faire quand ils affirment que nous ne pouvons pas saisir leurs biens légalement. Ce n’est pas sérieux, chers collègues. En fait, ils se moquent complètement d’organisations comme les Nations unies ainsi que de nos fondements démocratiques occidentaux d’ailleurs.

Néanmoins, ils ont tort. En utilisant le droit national pour faire respecter le droit international, on ajoute une arme à l’arsenal dont dispose la démocratie occidentale pour maintenir la paix et la primauté du droit dans le monde. Nous ne pouvons pas attendre la fin de cette guerre illégale pour décider comment nous allons obliger la Russie à dédommager l’Ukraine. Bonne chance pour forcer Poutine à faire ce qui est juste. En nous joignant à nos alliés pour prendre des mesures de ce type dès maintenant, peu importe l’ampleur des actifs russes encore présents au Canada, nous contribuons à garantir la disponibilité de fonds qui seront indispensables, le moment venu, pour reconstruire l’Ukraine et réparer les dégâts causés par Poutine. Chaque sou comptera.

Chers collègues, le Canada a l’obligation de faire ce qui est juste. Nous ne le faisons pas toujours. Récemment, nous avons choisi les moments où nous avons fait preuve de grandeur morale. Nous disons souvent ce qu’il faut, mais nous ne passons pas à l’action. Par exemple, nous savons qu’une dictature voyou comme le régime de Pékin s’infiltre dans notre pays et s’ingère dans ses affaires, mais le gouvernement traîne les pieds. Si le gouvernement agit de la sorte, ce n’est pas parce que le premier ministre aime notre pays plus ou moins que les conservateurs ou que les autres Canadiens. Je pense que le gouvernement traîne les pieds parce que nous laissons toujours des considérations économiques s’immiscer dans les discussions. Essentiellement, nous sommes prêts à troquer nos valeurs et nos principes lorsqu’il s’agit d’États comme la Chine, la Russie, Cuba et la Türkiye, ou encore du Corps des Gardiens de la révolution islamique. Nous laissons les considérations économiques l’emporter sur la nécessité de faire ce qui est juste, de soutenir les fondements et les principes sur lesquels notre pays a été construit.

L’an passé, le gouvernement canadien a fermé les yeux et permis la vente de la technologie LR3 au régime d’Erdoğan, en Türkiye. Bien sûr, cette même technologie a ensuite été envoyée en Azerbaïdjan, où elle a été utilisée pour mener un nettoyage ethnique dans le Haut-Karabakh. Cette approche du gouvernement revenait essentiellement à dire qu’un accord de quelques centaines de millions de dollars allait déterminer s’il fallait dénoncer un nettoyage ethnique ou pas.

Ensuite, nous fermons les yeux. Pendant qu’ailleurs dans le monde, ceux qui en ont le courage dénoncent la situation au Haut-Karabakh pour ce qu’elle est, nous hésitons. Quand il y a des motions qui reconnaissent que ce qu’endurent les musulmans ouïghours en Chine est un nettoyage ethnique et un génocide, la Chambre des communes adopte la position qui s’impose. Nous votons en faveur d’une motion, mais le gouvernement fait comme si de rien n’était, et rien ne change parce qu’on ne veut pas offenser le tyran.

Je rappelle à mes collègues la journée honteuse que nous avons connue dans cette enceinte. Nous n’avons même pas eu la décence d’appuyer une motion élémentaire de sens moral ni de qualifier de nettoyage ethnique ce qu’enduraient les Ouïghours. Je ne l’ai pas digéré et je ne m’en remets pas : le Sénat est la seule Chambre démocratique du monde occidental à avoir rejeté une telle motion. C’est une honte et une souillure dont je crois que cette institution ne se remettra jamais.

J’estime que le projet de loi de la sénatrice Omidvar est raisonnable et juste. Il est conforme aux valeurs et aux principes que les gouvernements canadiens doivent en tout temps aspirer à suivre, alors je l’appuie. Selon moi, le gouvernement aurait avantage à écouter ce conseil sensé qui relève du bon sens et il doit adopter et appliquer ce projet de loi. Il ne faut pas simplement adopter ce projet de loi d’initiative parlementaire pour faire bonne impression. Il faut également l’examiner attentivement. Le gouvernement doit retrousser ses manches et adopter ces mesures comparables à celles que les États-Unis et le Royaume-Uni ont adoptées et ainsi faire preuve de leadership moral en ce qui a trait aux droits de la personne. Merci beaucoup, chers collègues.

Sénateur Housakos, je vous remercie de votre discours et de votre appui au projet de loi. Quand la sénatrice Omidvar a fait son discours à l’étape de la deuxième lecture à ce sujet l’automne dernier, j’ai exprimé mon appui à cette mesure puisque je fais partie des 1,4 million de Canadiens d’origine ukrainienne. Je veux que les actifs russes qui se trouvent toujours au Canada soient rapidement saisis en bonne et due forme afin qu’ils ne puissent pas servir à financer la guerre illégale et brutale que Poutine continue de mener en Ukraine.

Après son discours, j’avais posé une question à la sénatrice Omidvar parce qu’une loi d’exécution du budget venait d’être présentée et que le gouvernement y avait inclus certaines dispositions concernant cet enjeu. Je lui avais demandé d’expliquer quelles mesures supplémentaires son projet de loi prévoyait à ce sujet. Elle m’avait répondu que, à son avis, il apportait une importante précision au sujet des mesures.

Comme il s’agit d’une précision importante, pourquoi le gouvernement ne l’a-t-il pas reprise, comme l’a souligné la sénatrice Omidvar? Je ne connais pas la date exacte de la présentation du projet de loi; c’était il y a un an peut-être, voire plus, mais le gouvernement a eu tout le temps voulu. Est-ce que ces mesures pourraient être incluses dans une éventuelle loi d’exécution du budget ou un projet de loi omnibus, que le gouvernement affectionne particulièrement?

Le sénateur Housakos [ + ]

Je vous remercie, sénatrice Batters. Je ne peux que deviner la raison pour laquelle le gouvernement traîne la patte dans les dossiers de ce genre. Selon moi, c’est une question d’argent. Comme je l’ai dit tout à l’heure, le gouvernement fait toujours passer les considérations économiques avant le respect des droits de la personne. Nous faisons de beaux discours, mais quand il est temps de faire les sacrifices nécessaires, nous ne sommes pas prêts à agir.

Plusieurs lois et règlements empêchent les dictateurs et les autocrates de venir cacher et blanchir de l’argent au Canada. Les médias ont révélé de nombreux cas de proches des membres du Corps des Gardiens de la révolution islamique qui sont venus s’établir au Canada. Les médias ont aussi découvert qu’ un certain nombre d’oligarques ont toujours des intérêts commerciaux au pays.

Depuis qu’Erdoğan est au pouvoir, la Türkiye compte plus de journalistes emprisonnés que tout autre pays du monde, y compris Cuba. Pourtant, le Canada continue d’encourager les opérations financières et commerciales avec ces pays. Affaires mondiales Canada organise plus de cocktails dînatoires avec le dictateur cubain ou les représentants de Pékin qu’avec certains alliés démocratiques du Canada. Il y a de quoi se demander ce qu’est devenu notre pays, qui s’est toujours fait le défenseur des plus nobles principes.

Il doit y avoir une volonté politique de mettre en application certaines des lois déjà en place. Ils doivent donner des directives à l’Agence du revenu du Canada, aux douanes et autres organisations pour mettre en œuvre certaines des mesures qui existent déjà. Le régime de Pékin utilise les Ouïghours du Xinjiang pour effectuer ce qui est essentiellement des travaux forcés. Nous avons des lois en place qui permettent de confisquer les marchandises importées au Canada qui sont issues de travaux forcés et de prendre des mesures. Il n’y a pas de volonté politique pour faire appliquer ces lois. Il faut une volonté politique et le leadership vient toujours d’en haut.

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