
Projet de loi concernant la cybersécurité, modifiant la Loi sur les télécommunications et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
23 octobre 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-26, Loi concernant la cybersécurité, modifiant la Loi sur les télécommunications et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.
Ce projet de loi comporte deux parties. La première modifie la Loi sur les télécommunications afin d’ajouter la sécurité aux objectifs de la politique et d’accroître la sécurité du système canadien de télécommunications. Cette mesure permettrait au gouvernement d’interdire aux fournisseurs de télécommunications d’utiliser des produits ou des services provenant de fournisseurs à haut risque et d’établir un système de sanctions en cas d’infraction.
La deuxième partie édicte la Loi sur la protection des cybersystèmes essentiels, qui oblige les exploitants désignés des systèmes critiques relevant de la compétence fédérale — les finances, les télécommunications, l’énergie et les transports — à protéger les cybersystèmes essentiels du Canada des menaces qui pèsent sur eux. Elle établit en outre des exigences de signalement des incidents de cybersécurité.
Ce projet de loi est attendu depuis longtemps. Le gouvernement Trudeau a organisé les premières consultations publiques à son sujet en 2016. C’était il y a si longtemps que le gouvernement parlait encore des voies ensoleillées. Aujourd’hui, on a l’impression d’être à mille lieues de tout cela. La réunion du caucus libéral est‑elle terminée? Je m’écarte du sujet.
En 2018, le gouvernement Trudeau a publié la Stratégie nationale de cybersécurité, et il lui a fallu quatre années supplémentaires, donc jusqu’en 2022, pour rédiger et présenter ce projet de loi au Parlement. Pourquoi le gouvernement Trudeau a-t-il mis tant de temps à rédiger ce projet de loi? Voici ce que nous savons au sujet de ce délai. Durant deux de ces années, Bill Blair était ministre de la Sécurité publique et nous savons qu’il ne lit pas les notes d’information cruciales sur la sécurité. Nous savons également que pendant ces deux années, sa cheffe de cabinet a eu tendance à perdre des documents importants sur son bureau.
Quelle qu’en soit la raison, une fois que le projet de loi C-26 a finalement été présenté, il a fallu deux années supplémentaires pour qu’il fasse son chemin à la Chambre des communes. Même après son adoption par le Sénat, il lui faudra encore deux ans pour franchir la phase de la réglementation avant que la majeure partie de son incidence commence à se faire sentir. En fait, le cheminement du projet de loi C-26 jusqu’au Sénat a été tellement long que certaines de ses dispositions sont maintenant dépassées, bien qu’il n’ait même pas encore été adopté.
En juin, nous avons adopté le projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère, qui comprenait des dispositions sur les instances sécurisées de contrôle des décisions administratives. Ces dispositions prévaudront sur celles qui figurent dans le projet de loi C-26. Même après avoir mis huit ans à élaborer le projet de loi C-26, le gouvernement Trudeau n’a toujours pas produit une analyse comparative entre les sexes Plus sur cette mesure. Vous souvenez-vous de la promesse concernant l’analyse comparative entre les sexes Plus? C’est un autre des grands succès du gouvernement libéral. Elle était censée être obligatoire pour tous les projets de loi présentés au Parlement. Lorsque j’ai demandé si le projet de loi C-26 avait fait l’objet d’une analyse comparative entre les sexes Plus, le gouvernement m’a finalement répondu ceci : « Si le projet de loi est adopté, une ACS Plus sera effectuée dans le cadre du processus d’élaboration du règlement. »
Ainsi, au cours des six années qui ont précédé la présentation de ce projet de loi à la Chambre des communes, le gouvernement n’a pas trouvé le temps de rédiger une analyse comparative entre les sexes Plus à son sujet parce que, comme vous le savez, il a des priorités. Il était également trop occupé au cours des deux dernières années, alors que la Chambre des communes était saisie du projet de loi, car il est difficile de gouverner. Toutefois, ils jurent que nous en aurons une après l’adoption du projet de loi. C’est curieux, cela ne semble pas être le moment idéal pour examiner les répercussions d’une loi sur les minorités, mais cela permet au gouvernement Trudeau d’éviter des questions parlementaires ennuyeuses.
Même quand les documents sur l’analyse comparative entre les sexes plus sont produits pour un projet de loi, souvent, ils ne sont ni publiés en ligne ni distribués aux gens lors de l’étude parlementaire de la mesure législative. Je ne compte plus le nombre de fois où le Comité sénatorial des affaires juridiques a dû demander l’analyse comparative entre les sexes plus une fois qu’un projet de loi a atteint l’étape de l’étude en comité au Sénat, même après qu’il a été adopté par la Chambre des communes et que le ministre a comparu devant notre comité. C’est inacceptable. Ce n’est qu’une promesse libérale non tenue de plus sur la voie de leur incompétence totale. Cette réalité met en évidence le manque de sérieux avec lequel le gouvernement Trudeau gouverne.
À ce sujet, je souligne que, une fois de plus, ni le leader du gouvernement Trudeau au Sénat ni aucun membre du caucus du gouvernement Trudeau n’a pris la parole au sujet de ce projet de loi. Par conséquent, encore une fois, les sénateurs n’ont pas eu la possibilité de poser de questions au gouvernement sur ce projet de loi important et complexe. Le discours du parrain a été relativement bref, et j’ai dû attendre plus de trois semaines que le gouvernement réponde aux questions que j’ai posées au parrain ce jour-là.
Il semble que le gouvernement Trudeau adopte la même attitude cavalière à l’égard de la cybersécurité. Vous rappelez-vous combien de temps il a fallu à ce gouvernement fédéral pour enfin se joindre à nos alliés et rejeter la participation de Huawei au réseau 5G? Il lui a fallu trois ans, beaucoup plus longtemps que ce qui était nécessaire. Au cours des quelque 10 années qu’il aura fallu pour mettre en œuvre le projet de loi C-26, les infrastructures essentielles du Canada ont été exposées à un risque considérable de cyberattaques, et cette vulnérabilité est alarmante.
Caroline Xavier, cheffe du Centre de la sécurité des télécommunications — l’organisme gouvernemental qui s’occupe de la cybersécurité —, a qualifié les attaques contre les infrastructures essentielles du Canada de « menaces stratégiques les plus importantes pour le Canada ».
Elle a dit :
[...] le cybercrime est la menace la plus courante et la plus répandue contre les Canadiens et les entreprises canadiennes. Des cybercriminels cherchent à s’infiltrer dans les systèmes canadiens. Ils proviennent, entre autres, de la Russie, de la Chine et de l’Iran. Ces auteurs de menace s’appuient sur diverses techniques, comme le rançongiciel [...]
Selon l’Évaluation des cybermenaces nationales 2023-2024 du gouvernement, les rançongiciels sont la cybermenace la plus courante et la plus persistante à laquelle sont confrontés les Canadiens et les organisations canadiennes. Pourtant, le projet de loi C-26 est étrangement silencieux à ce sujet, ne faisant aucune référence explicite à ce type de cybercriminalité. Les conséquences des cyberattaques peuvent être non seulement financières, mais aussi existentielles. Le pire des scénarios pourrait constituer une menace pour les infrastructures énergétiques essentielles du Canada — les pipelines, par exemple, ou le réseau électrique en plein cœur d’un hiver canadien rigoureux.
Les Canadiens forment une petite population disséminée sur un vaste territoire et sont vulnérables aux menaces pouvant perturber les infrastructures de télécommunications et de transport qui sont essentielles non seulement aux économies de nos grandes villes, mais également à la survie des régions rurales et éloignées de notre pays.
Vingt-cinq pour cent de toutes les entreprises canadiennes ont été victimes d’une cyberattaque. Caroline Xavier a déclaré au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes que les petites et moyennes entreprises représentent 98 % de l’économie canadienne, mais que, étonnamment, 44 % d’entre elles n’ont aucune protection en cas de cyberattaque. Cela vulnérabilise la chaîne d’approvisionnement canadienne et nos systèmes d’infrastructure essentiels.
Par conséquent, il est indéniablement nécessaire d’adopter une loi visant à régler les problèmes de cybersécurité et à protéger le Canada contre les perturbations que les cyberattaques causent à notre société et à notre économie. C’est pourquoi il est crucial de bien faire les choses.
Ce projet de loi se fait non seulement attendre depuis longtemps, mais il a aussi dû être remanié en profondeur à l’étape de l’étude en comité de la Chambre des communes.
Certains amendements qui ont été adoptés à l’étape de l’étude en comité de la Chambre des communes ont heureusement rendu le projet de loi plus acceptable. Or, une question demeure : pourquoi le gouvernement Trudeau a-t-il présenté un projet de loi comportant d’énormes lacunes? Plusieurs amendements ont été proposés par les députés libéraux siégeant au comité, qui savaient que la mesure législative du gouvernement aurait autrement été en difficulté. Le gouvernement Trudeau, malgré le très long laps de temps qui s’est écoulé avant qu’il ne présente ce projet de loi sur la cybersécurité, a tout de même dû réparer son propre gâchis une fois que le comité de la Chambre en a été saisi, comme c’est aussi souvent le cas à l’étape des comités sénatoriaux.
Une aussi mauvaise gouvernance est une honte.
Un des principaux aspects problématiques du projet de loi est qu’il accorde de vastes pouvoirs au Cabinet, au pouvoir exécutif. En tant que parrain, le sénateur McNair a dit dans son discours à l’étape de la deuxième lecture que le projet de loi C-26 autorise le gouverneur en conseil — soit le Cabinet — à ordonner à l’industrie des télécommunications « de faire ou de s’abstenir de faire toute chose » si le ministre le juge nécessaire. Ce sont des pouvoirs extrêmement vastes. Même si le libellé a été atténué par le comité de la Chambre pour exiger que le ministre ait des « motifs raisonnables » pour pouvoir exercer ce pouvoir, nous devons rester vigilants face aux interventions ministérielles excessives — un des passe-temps favoris du gouvernement Trudeau.
Les détracteurs de cette mesure législative ont également déploré que le projet de loi C-26 ne prévoit qu’une surveillance limitée. Même si des amendements adoptés par le comité obligent le ministre à aviser les comités de la sécurité nationale du Canada — le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement ainsi que l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement — en cas d’ordonnances de confidentialité, la reddition de comptes et la transparence assurées par ces organes sont très limitées. Les deux comités relèvent du premier ministre, le chef de l’exécutif. Comme je l’ai déjà dit, le premier ministre nomme tous les membres qui y siègent. Tous les sénateurs qui sont actuellement membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement ont été nommés au Sénat par le premier ministre Trudeau et ont des liens significatifs avec les libéraux et avec la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau. Le travail des deux comités se déroule dans le secret : les parlementaires et la population canadienne n’ont accès qu’à des renseignements limités. Comme ma collègue la députée conservatrice Raquel Dancho, la porte-parole en matière de sécurité publique, l’a dit à la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-26 :
« [...] plus on a de pouvoirs, plus on doit rendre des comptes. Or, le projet de loi octroie beaucoup de pouvoirs au gouvernement, mais celui-ci n’a guère de comptes à rendre. »
Pour essayer de renforcer la reddition de comptes dans le projet de loi, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a adopté des amendements qui prévoient l’obligation pour le ministre de déposer un rapport annuel dans les deux Chambres du Parlement. D’autres amendements détaillaient le type de renseignements à inclure dans ces rapports.
J’ai de nombreuses interrogations au sujet des infractions quasi criminelles prévues dans le projet de loi C-26. J’ai posé quelques questions au parrain du projet de loi au Sénat après son discours. Trois semaines plus tard, il a présenté les réponses que le gouvernement avait données à mes questions, mais je dois dire qu’elles ne m’ont pas satisfaite. Elles portaient surtout sur les peines prévues dans le projet de loi plutôt que sur les infractions quasi criminelles qui pourraient potentiellement être utilisées sous ce régime.
Les dispositions de la Loi sur la protection des cybersystèmes essentiels — la partie 2 du projet de loi C-26 — prévoient plusieurs infractions mixtes et infractions punissables par procédure sommaire en cas de violation de la loi. D’après la réponse du gouvernement :
Cela comprend des infractions mixtes pour contravention à une directive de cybersécurité, pour communication de renseignements au sujet de l’existence ou du contenu d’une directive de cybersécurité et pour communication de renseignements confidentiels dans des circonstances interdites par la Loi. Ces infractions seraient punissables d’une amende et d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans moins un jour sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et de cinq ans sur déclaration de culpabilité par mise en accusation.
Si un contrôle judiciaire est possible, les exigences pour qu’il soit accepté sont plus contraignantes que dans le cas d’un processus d’appel.
La partie 1 du projet de loi — la modification de la Loi sur les télécommunications — crée des sanctions administratives pécuniaires et des peines pour les cas de violation. Toujours d’après la réponse du gouvernement :
La sanction maximale pour les personnes physiques est de 25 000 $, ou de 50 000 $ en cas de récidive. Dans tous les autres cas, la peine maximale est de 10 millions de dollars, ou de 15 millions de dollars en cas de récidive [...] Pour les personnes physiques, les infractions peuvent être punies d’une peine d’emprisonnement (jusqu’à deux ans moins un jour) ou d’une amende, ou aux deux, selon la décision du tribunal.
Les groupes d’entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises, ont également exprimé des réserves au sujet du projet de loi C-26. Le délai limité et le coût de la mise en œuvre des mesures nécessaires pour se conformer à la loi pourraient être particulièrement onéreux pour les petites entreprises. La députée Raquel Dancho a demandé au ministre si des fonds seraient disponibles ou fournis aux petites et moyennes entreprises pour les aider à se mettre en conformité, mais elle n’a pas reçu de réponse à sa question. Le gouvernement dépense des dizaines de millions de dollars pour la cybersécurité, mais il est évident qu’il ne fait pas des petites entreprises une priorité.
Nous savons tous qu’à mesure que le gouvernement Trudeau impose toujours plus de règlements et d’obligations aux entreprises et aux fournisseurs de services — au moyen des projets de loi C-11, C-18 et maintenant C-26 —, les coûts que doivent assumer les entreprises pour se conformer augmentent. La semaine dernière, le service d’écoute de musique en continu Spotify a annoncé qu’il augmentait ses tarifs au Canada, en partie en réponse aux contraintes réglementaires imposées par le projet de loi C-11.
Les dispositions relatives à la protection de la vie privée, ou leur absence, sont un autre aspect du projet de loi qui suscite beaucoup d’inquiétudes. Plusieurs experts en la matière clés ont souligné que ces dispositions étaient inadéquates dans le projet de loi C-26. Le commissaire à la protection de la vie privée a dit :
Selon le projet de loi, tel qu’il est rédigé, ces pouvoirs sont larges. Afin d’assurer que les renseignements personnels sont protégés et que la vie privée est traitée comme un droit fondamental, je recommanderais au Comité d’envisager de resserrer les seuils qui encadrent l’exercice de ces pouvoirs et d’imposer des limites plus strictes à l’utilisation de ces pouvoirs.
Pour ce faire, on pourrait exiger que toute collecte, utilisation et communication de renseignements personnels respecte les principes de nécessité et de proportionnalité. Il s’agit de principes de base du traitement des renseignements personnels qui sont reconnus à l’échelle internationale.
Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a adopté des amendements qui définissent explicitement les renseignements personnels et dépersonnalisés comme « confidentiels », ce qui est utile. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour répondre aux graves préoccupations en matière de protection des renseignements personnels que suscite le projet de loi.
Le mémoire de l’Association canadienne des libertés civiles décrit l’une des améliorations nécessaires :
Le libellé doit également préciser que les renseignements personnels comprennent les renseignements dépersonnalisés, car la définition de « renseignements personnels » comporte d’importantes protections en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En outre, il faut toujours considérer les renseignements personnels, y compris les renseignements dépersonnalisés, comme confidentiels au lieu de laisser cette décision à l’entité qui les fournit.
Les groupes de défense des libertés civiles souhaitent également que des limites soient imposées à la durée pendant laquelle les autorités peuvent conserver les données des Canadiens. L’un de ces amendements a été adopté par le comité de la Chambre des communes, mais a été inexplicablement retiré du projet de loi sans débat à l’étape du rapport. Pourquoi? Je n’en ai aucune idée. J’aurais aimé pouvoir poser cette question au sénateur Gold, mais il ne nous en a malheureusement pas donné l’occasion.
Je m’attends à ce que le commissaire à la protection de la vie privée soit invité à donner son avis sur ce projet de loi pendant que le Sénat en est saisi. J’ai hâte de savoir s’il estime que les amendements adoptés par la Chambre des communes tiennent suffisamment compte des réserves qu’il a initialement émises à l’égard de cette mesure législative. En outre, il pourrait être utile d’envisager que le commissaire à la protection de la vie privée joue un rôle dans la détermination de la manière dont les renseignements de nature délicate seront traités et divulgués aux termes de cette loi.
Certaines organisations ont souligné le manque de transparence de la mesure législative. Le Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, ou CIGI, s’inquiète de la capacité du gouvernement à donner des ordres directs en secret au titre du projet de loi C-26, alors qu’il existe un vide législatif en ce qui concerne la protection adéquate des droits à la vie privée.
Comme le souligne le professeur de droit Matt Malone dans un article récent publié par le CIGI :
L’étendue des pouvoirs secrets que prévoit le projet de loi C-26 est d’autant plus préoccupante que le gouvernement fédéral n’a pas encore adopté de mesures législatives concrètes sur la vie privée, la protection des données ou l’utilisation des technologies d’intelligence artificielle. Certains de ces éléments ne sont donc encadrés que par une prolifération de « directives » et de « principes directeurs » non contraignants pour ce qui est de la conduite du gouvernement. Soulignons que ces textes ne prévoient pas de sanctions significatives en cas de non-respect.
Le professeur Malone a également déclaré que le manque de transparence est en contradiction directe avec la loi régissant la création du Centre de la sécurité des communications. Selon lui, le projet de loi C-26 :
[...] permettrait un secret presque total lors de l’émission de directives de cybersécurité destinées à certaines entreprises. Une fois reçues, ces directives ne seraient presque jamais divulguées publiquement. De plus, elles ne feraient pas l’objet d’une autorisation ou d’un examen préalable avant d’être émises.
Cela s’écarte nettement de l’orientation de la loi d’habilitation du CST, qui cherche à imposer une reddition de comptes accrue à l’égard de certaines conduites en exigeant des autorisations et des examens préalables. Par exemple, en vertu de cette loi habilitante, lorsque les activités d’espionnage du CST contreviennent à la loi fédérale ou portent atteinte aux attentes raisonnables en matière de protection de la vie privée des personnes au Canada, il doit obtenir l’approbation du Bureau du commissaire au renseignement. L’année dernière, le commissaire a accepté la moitié de ces demandes (trois sur six) dans leur intégralité. Les pouvoirs en matière de directives de cybersécurité que prévoit le projet de loi C-26 ne sont pas soumis à un examen similaire.
Plusieurs organisations de défense des libertés civiles, dont l’Association canadienne des libertés civiles, ont adressé une lettre ouverte au ministre de la Sécurité publique en 2022 pour lui faire part de leurs préoccupations concernant ce projet de loi. Les dispositions relatives au secret dans ce projet de loi ont suscité l’inquiétude de ces organisations, qui disent dans leur lettre que « [l]a confidentialité affaiblit la responsabilité et la régularité de la procédure ». Ce mémoire aborde également la question des éléments de preuve secrets devant les tribunaux en vertu de ce projet de loi :
[M]ême si les arrêtés relatifs à la sécurité font l’objet d’un contrôle judiciaire, le projet de loi C-26 pourrait restreindre l’accès des demandeurs aux éléments de preuve. La loi ne prend pas en compte les avocats spéciaux détenteurs d’une cote de sécurité désignés au nom des demandeurs, comme c’est le cas dans d’autres affaires liées à la sécurité nationale. Si ces dispositions constituent une solution imparfaite pour le respect d’une procédure équitable, elles offrent au moins une protection minimale des droits des demandeurs. Le projet de loi C-26 autorise même les juges à rendre des décisions selon des éléments de preuve secrets qui ne sont pas fournis, même sous forme de résumé, aux demandeurs ou à leur équipe juridique. Le projet de loi oblige même la personne visée par l’arrêté relatif à la sécurité à intenter une instance avec les coûts que cela implique.
L’énoncé concernant la Charte préparé par le gouvernement Trudeau pour accompagner le projet de loi C-26 affirme que « [...] le principe de transparence judiciaire n’est pas absolu et peut être limité s’il existe des objectifs d’État plus urgents ».
Des tribunaux secrets, qui ne fournissent même pas les preuves aux demandeurs pour qu’ils puissent se défendre? Au Canada? C’est potentiellement très effrayant. Je serai curieuse — lors de l’examen de ce projet de loi par le comité — d’apprendre comment les États-Unis, qui ont une tendance plus marquée pour l’ouverture des tribunaux, traitent des scénarios similaires dans le cadre de leur propre système législatif.
Le fait que les ordres puissent être donnés en secret crée également de l’incertitude et de la confusion pour les entreprises qui tentent de se conformer à la loi, car les décisions réglementaires sont publiques, alors que les ordres de sécurité ne le sont pas. Selon le mémoire de l’Association canadienne des libertés civiles, cela « [...] menace l’intégrité et l’accessibilité des cadres réglementaires du Canada et rend les règles relatives à la sécurité actuellement en vigueur inconnues du public ».
Les organismes de défense des libertés civiles s’inquiètent également de l’absence de responsabilité dans le projet de loi C-26, même s’il a été amendé pour que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement soient désormais avisés lorsqu’un ordre confidentiel est donné. Un mémoire mis à jour de l’Association canadienne des libertés civiles souligne en particulier que le Centre de la sécurité des télécommunications Canada a refusé à maintes reprises dans le passé de se conformer aux directives de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. L’Association canadienne des libertés civiles a écrit ceci :
Dans son libellé actuel, le projet de loi C-26 risque de perpétuer une situation où le Centre de la sécurité des télécommunications interprète ses mandats— maintenant surchargés de renseignements personnels sur un nombre encore plus grand de Canadiens — d’une manière qui a été jugée non conforme à la Loi sur la protection des renseignements personnels par son l’organisme de révision. Le Sénat a le rôle et l’obligation d’empêcher une telle mauvaise manipulation des informations souvent les plus sensibles des Canadiens, surtout si l’on tient compte du fait que le Centre de la sécurité des télécommunications a toujours refusé de coopérer avec ses organismes d’examen.
Une autre préoccupation concernant la partie 2 du projet de loi C-26 est le fait qu’elle permet au Centre de la sécurité des télécommunications d’utiliser les données des organisations qui détiennent les renseignements personnels les plus sensibles des Canadiens, y compris les banques, les fournisseurs de services de télécommunications et les agences de transport en commun. Le Centre de la sécurité des télécommunications ne serait pas limité à utiliser ces renseignements uniquement aux fins de son mandat en matière de cybersécurité. En effet, les renseignements pourraient être communiqués à ses partenaires internationaux pour la production de renseignement électromagnétique ou de renseignement étranger.
Comme l’a dit l’Association canadienne des libertés civiles : « Bien que nos alliances soient importantes, les renseignements personnels des Canadiens ne devraient pas servir de monnaie d’échange pour maintenir ces relations. »
De plus, une telle utilisation ne ferait l’objet d’une surveillance qu’après coup, et non au moment où elle se produit.
En conclusion, le projet de loi C-26 se fait attendre depuis longtemps, mais il reste encore beaucoup à faire. D’importantes préoccupations subsistent concernant des questions fondamentales, comme le droit à la vie privée des Canadiens, les répercussions financières pour les entreprises et le respect de nos normes démocratiques, notamment des tribunaux ouverts et l’équité devant la loi. Il est primordial de protéger les cyberinfrastructures essentielles du Canada, mais il est tout aussi primordial de protéger les libertés civiles et les droits des Canadiens. J’attends avec impatience l’étude approfondie de ce projet de loi par le comité afin que nous puissions examiner plus en détail ces questions complexes et essayer de trouver un juste équilibre entre ces priorités concurrentes. Merci.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)