Projet de loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire (Loi de David et Joyce Milgaard)
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
12 décembre 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-40. Mon intervention sera brève, mais j’espère qu’elle trouvera écho auprès de vous et de tous les Canadiens et Canadiennes qui suivent nos travaux.
Le projet de loi C-40 est important, et les personnes directement ou indirectement visées par ce projet de loi méritent qu’on analyse de façon non partisane toutes les possibilités qui existent pour améliorer le contenu et les effets de ce projet de loi. Il est impossible de rester insensible à l’histoire de David et Joyce Milgaard qui est à l’origine de ce projet de loi. J’ajouterais que chaque témoignage de victimes d’erreur judiciaire que j’ai eu le privilège d’entendre en tant que membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est tout simplement bouleversant. Je tiens d’ailleurs à saluer MM. Brian Anderson, Clarence Woodhouse et Guy Paul Morin, qui sont venus témoigner courageusement devant notre comité. Ce sont des personnes qui ont fait et qui font toujours preuve d’une grande résilience. Ils ont tout mon respect.
Devant ces histoires d’horreur, je me suis demandé ce que nous pouvions faire de plus pour améliorer ce projet de loi pour que des situations comme celles qui nous ont été racontées par les témoins ne se reproduisent plus. Je sais bien que notre système de justice n’est pas parfait et qu’il ne le sera jamais et que, malgré toute la bonne volonté des membres du Sénat et de l’autre endroit, aucun projet de loi ne réussira à tout corriger ou à tout prévoir. Toutefois, si une personne innocente de moins se retrouve derrière les barreaux parce qu’on a apporté une correction ou fait un ajout au projet de loi C-40, une vie de moins aura été brisée.
J’ajouterais qu’il ne faut pas oublier que le projet de loi C-40 traite des erreurs judiciaires. Par conséquent, s’il y a une erreur judiciaire, cela veut dire qu’une personne qui a réellement commis un crime est probablement en liberté. De ce fait, de quelle façon concrète pensons-nous à la victime du crime dans ce projet de loi? On peut penser que les victimes acquièrent au fil du temps une certaine forme de sérénité, puisqu’elles croient que le responsable du crime qu’elles ont subi a été condamné et que justice a été rendue.
J’ai moi-même proposé en vain des amendements au projet de loi C-40 afin que personne ne soit oublié dans ce processus. C’est la raison pour laquelle je prends la parole aujourd’hui. Mes amendements proposaient d’inclure dans le projet de loi deux groupes de personnes qui sont les grands oubliés de cette mesure législative, soit les militaires et les victimes. Je ne vous referai pas la nomenclature de chacun des huit amendements que j’ai proposés. Cependant, je vous les résumerai brièvement en deux volets.
Pour ce qui est de nos militaires, à qui nous devons le respect en raison de l’importance de leur engagement à nous protéger et de tous les sacrifices que cela représente, j’ai proposé qu’ils soient inclus dans ce projet de loi. Je proposais notamment d’incorporer l’article 130 de la Loi sur la défense nationale à la partie XXI.1 du Code criminel, afin que les militaires qui ont subi un procès militaire pour des infractions civiles puissent présenter une demande d’examen à la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire. L’objectif était donc que les droits d’un militaire soient identiques à ceux d’un civil, parce qu’ils sont tout aussi importants qu’eux.
Enfin, j’ai proposé des amendements qui auraient eu pour effet d’inclure la victime d’une façon concrète, claire et précise durant le processus de demande d’examen au motif d’erreur judiciaire. Cela aurait eu pour effet que la victime soit tenue au courant du processus à différents moments de l’examen par la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire. Ces amendements faisaient suite aux témoignages de représentants de groupes de défense des droits des victimes.
De plus, je proposais que le paragraphe 2.2(1) du Code criminel incorpore la partie XXI.1 de ce même code aux articles déjà énumérés à ce paragraphe, qui prévoit les différents endroits dans le Code criminel où un particulier peut agir pour le compte de la victime, advenant le décès de cette dernière ou son incapacité d’agir. Cela aurait eu pour effet d’élargir la liste des personnes auxquelles la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire aurait été tenue de rendre compte durant les différentes étapes du processus d’examen.
En conclusion, chers collègues, je ne peux malheureusement pas voter en faveur du projet de loi C-40, puisque celui-ci laisse délibérément de côté des personnes importantes qui doivent être comprises dans le processus de demande d’examen au motif d’erreur judiciaire. Je ne peux donner mon appui à un projet de loi qui donne des droits à une catégorie de citoyens canadiens, mais qui en exclut une autre en ne donnant pas ces mêmes droits à nos militaires. Ensuite, le projet de loi C-40 ne peut avoir mon soutien, puisque les victimes n’y sont pas incluses d’une manière qui ne laisse place à aucune ambiguïté.
Ainsi, honorables sénateurs, je vous invite à voter contre le projet de loi C-40, puisque celui-ci crée des injustices flagrantes durant le processus de demande de révision au motif d’erreur judiciaire.
Je vous remercie.
Est-ce que le sénateur Carignan accepterait de répondre à une question?
Bien sûr.
Sénateur Carignan, êtes-vous au courant que le projet de loi C-66 est actuellement à l’étude à la Chambre des communes? Ce projet de loi concerne la révision du système de justice militaire. Nous pourrions facilement y inclure une disposition qui permettrait de donner compétence à la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire.
Êtes-vous bien conscient que le projet de loi C-40 oblige la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire à donner des avis aux victimes, selon la procédure qu’elle déterminera?
Effectivement, j’ai consulté le projet de C-66, projet de loi sur la modernisation du système de justice militaire. Malheureusement, il ne traite pas du tout des erreurs judiciaires; ce n’est pas son objet. Il en est à l’étape de la deuxième lecture. Selon ce que plusieurs en disent, les risques sont élevés que ce projet de loi meure de sa belle mort. J’ai donc peu d’espoir que ce projet de loi soit adopté à l’autre endroit, et encore moins qu’il soit modifié en ce qui a trait au processus d’erreur judiciaire.
Nous avons l’occasion de le faire immédiatement. Il s’agit d’amendements faciles à faire et qui peuvent s’intégrer aisément dans le projet de loi. Malheureusement, le comité les a rejetés. Si on peut donner des droits à des civils et aux militaires au même moment, cela me semble être la manière la plus appropriée de le faire, sans créer de délai inutile.
On sait qu’au Royaume-Uni, ils ont prévu des cours martiales directement dans le projet de loi qui traite de leur commission pour les erreurs judiciaires.
Pour ce qui est du droit d’être informé, encore une fois, il serait plus puissant si l’obligation d’informer était inscrite dans une loi, plutôt que de laisser le soin à un organisme de donner de l’information aux victimes au sujet de ce processus. Ce n’est pas prévu dans le projet de loi et il n’y aurait pas d’obligation légale d’agir.
Accepteriez-vous de répondre à une question de plus?
Avec plaisir, sénatrice Patterson.
Merci.
Comme vous le savez, le projet de loi qui est à l’autre endroit en est à l’étape de la deuxième lecture et il se fonde essentiellement sur deux examens. Le premier est l’examen de la Loi sur la défense nationale qui est prévu dans la loi. Il a entraîné beaucoup de changements, mais il s’agit d’un examen exigé par la loi. Dans l’autre cas, il s’agit d’une étude spéciale réalisée par un autre ancien juge de la Cour suprême.
Croyez-vous qu’il serait possible de changer la partie du projet de loi à venir qui porte sur l’examen prescrit par la loi? Parce que la dernière chose que nous voulons, c’est de créer une disparité pour les membres des Forces armées canadiennes.
Le projet de loi C-66 est plus complet et vise tout le processus disciplinaire. Évidemment, les infractions qui touchent les militaires concernent aussi la discipline. Il s’agit d’un code et d’un projet de loi vraiment différents de ce qui nous est présenté dans le projet de loi C-40, qui vise les erreurs judiciaires commises pour des infractions criminelles. Le Code criminel est inclus par référence dans le code disciplinaire des militaires.
Il serait laborieux de l’inscrire dans le projet de loi C-66. Étant donné qu’il n’est inscrit ni dans le projet de loi C-40 ni dans le projet de loi C-66, je considère que nos militaires ont été oubliés.
Honorables sénateurs, c’est à titre de porte-parole de l’opposition que je parlerai aujourd’hui du projet de loi C-40, Loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire, aussi connu sous le nom de Loi de David et Joyce Milgaard. Même si l’idée de créer une commission chargée de se pencher sur les erreurs judiciaires a été évoquée à de nombreuses reprises au fil des ans, il a fallu attendre beaucoup de temps avant qu’un projet de loi en ce sens soit présenté.
Je trouve tout à fait pertinent que cette loi honore à jamais la mémoire de l’une des victimes des pires erreurs judiciaires du Canada, David Milgaard, et de sa mère Joyce, qui a lutté bec et ongles pour prouver son innocence. Encore adolescent, David Milgaard a été reconnu coupable du viol et du meurtre d’une étudiante en soins infirmiers de Saskatoon, Gail Miller. Il a passé 23 ans en prison pour des crimes qu’il n’a pas commis. Le verdict de culpabilité de Milgaard a été annulé et son innocence a été prouvée hors de tout doute par la génétique, qui a permis d’établir que c’est plutôt le violeur en série Larry Fisher qui était derrière ces crimes.
Ce cas a fait beaucoup de bruit dans ma province, la Saskatchewan, et il a touché une corde sensible chez beaucoup de gens. Je l’ai étudié pendant ma première année en droit pénal, en plein dans la ville où le meurtre a été commis. En 2003, le gouvernement de la Saskatchewan a lancé une enquête officielle sur la condamnation injustifiée de David Milgaard. Des années plus tard, quand le ministre Don Morgan a rendu les résultats de l’enquête publics, j’étais cheffe de cabinet pour M. Morgan, fonction que j’ai occupée jusqu’à l’automne 2018. J’ai même eu l’honneur de rencontrer Joyce Milgaard avant la conférence de presse qui a été organisée ce jour-là.
Vous avez entendu les sénateurs Cotter et Arnot parler de leur intervention directe dans certains aspects de l’affaire. Le sénateur Arnot avait poursuivi Larry Fisher lors d’un précédent procès, et le sénateur Cotter, en tant que sous-ministre de la Justice de la Saskatchewan, a joué un rôle dans la décision de procéder à l’examen provincial de l’affaire Milgaard et dans l’approbation de la nouvelle analyse des preuves qui finirait par blanchir le nom de Milgaard et par mener la police au véritable assassin, Larry Fisher. La sénatrice Pate, amie de David Milgaard, a parlé de ses expériences personnelles avec lui alors qu’il essayait de rebâtir sa vie après sa condamnation injustifiée, et elle a parlé de son engagement inébranlable à veiller à ce que justice soit rendue aux autres personnes qui ont été traitées de la même manière par le système de justice.
Tant de Canadiens ont été touchés par l’histoire de David Milgaard. Au cours de l’étude du projet de loi C-40 par le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, nous avons eu la chance d’entendre l’ancienne première ministre Kim Campbell, qui était la ministre fédérale de la Justice à l’époque où Joyce Milgaard se battait pour appeler de la condamnation injustifiée de David. Mme Campbell nous a expliqué qu’en réalité, c’est elle, et non le premier ministre de l’époque, Brian Mulroney, qui a eu l’idée de porter l’affaire David Milgaard devant la Cour suprême du Canada. Cette action a déclenché le processus qui a finalement abouti à l’annulation de la condamnation de David Milgaard. Elle a dit :
La raison pour laquelle j’ai soumis ce renvoi à la Cour suprême du Canada — et, soit dit en passant, cela remonte à l’affaire Steven Truscott. Quand j’étais jeune, mon père avocat avait un livre d’Isabel LeBourdais intitulé The Trial of Steven Truscott, et je n’étais qu’une jeune femme quand je l’ai lu. À l’époque, Jean Chrétien était ministre de la Justice et il a renvoyé la cause devant la Cour suprême du Canada. Il lui a demandé de l’examiner comme si elle avait accueilli un appel — je crois qu’elle a rejeté l’appel. Je me suis donc demandé ce que je pouvais faire. J’ai soumis un renvoi à la Cour suprême du Canada pour lui demander si, après avoir examiné tout ce que j’avais sous les yeux et plus encore, elle était d’avis qu’il y avait probablement eu une erreur judiciaire. Ce qui a rendu cela possible, c’est la diffusion publique de tous les témoignages que j’avais devant moi. La question n’était donc pas de savoir pourquoi Kim Campbell ne faisait pas ceci ou cela. Ce n’était pas à propos de moi. C’était à propos de ce cas très difficile, et cela a donné ce genre d’ouverture.
Si une commission a la capacité de faire connaître publiquement les éléments de preuve et de permettre aux gens de voir ce qui est examiné — il faut déterminer quelle est la meilleure mesure à prendre —, cela aide à créer une certaine confiance que rien n’est caché et qu’on répond aux affirmations. Ce processus est très prometteur.
Mme Campbell a ajouté que l’affaire Milgaard a été « [...] l’un des cas les plus difficiles que j’aie jamais rencontrés [...] parce que les preuves circonstancielles [pointant vers Milgaard] étaient écrasantes [...] » Voici ce qu’a déclaré l’ancienne première ministre et ancienne ministre de la Justice en songeant à l’aspect émouvant de l’affaire Milgaard :
C’est une affaire qui m’a hantée. Je dois dire que, lorsque j’ai trié mes papiers après que l’électorat canadien m’a imposé ma retraite politique à l’automne 1993, j’ai découvert une très jolie carte de Noël de Joyce Milgaard. Je pense qu’elle a compris que j’avais fait tout ce que je pouvais. Elle se souciait beaucoup de moi. J’étais heureuse pour elle lorsque David a finalement été clairement exonéré.
Le Comité sénatorial des affaires juridiques a entendu des récits déchirants de la part d’autres témoins qui ont eux aussi été condamnés à tort. L’un d’entre eux est Guy Paul Morin, qui a été condamné pour un meurtre qu’il n’a pas commis, celui de sa voisine Christine Jessop, âgée de neuf ans. La rencontre avec Guy Paul Morin et son témoignage resteront à jamais gravés dans ma mémoire comme un moment clé de mon mandat de sénatrice.
Le dossier de M. Morin était truffé d’erreurs. Le juge québécois qui a supervisé l’enquête sur l’erreur judiciaire a qualifié l’affaire de « vision étroite aux proportions ahurissantes ». M. Morin a été disculpé en 1995 grâce à des éléments de preuve provenant de l’analyse de l’ADN, mais ce n’est qu’en 2020 que l’identité du véritable assassin, Calvin Hoover, un ami de la famille Jessops, a été révélée. Il s’était suicidé cinq ans plus tôt.
M. Morin a raconté au comité à quel point les préjugés persistent après une condamnation criminelle, même si cette condamnation est annulée pour cause d’erreur judiciaire. M. Morin a raconté que quelqu’un avait dit que son nom était celui d’un « tueur » longtemps après qu’il ait été disculpé. M. Morin a expliqué qu’il doit vivre avec le déshonneur associé à sa condamnation injustifiée, ce qui n’a jamais été le cas pour Calvin Hoover, le véritable tueur. À propos du véritable coupable, M. Morin a déclaré :
[Calvin Hoover] n’a eu qu’une semaine peut-être de couverture médiatique. J’ai eu dix ans. Encore aujourd’hui les gens me disent : « Je suis au courant de ton cas. » Ce à quoi je réponds : « Savez-vous qu’ils ont trouvé le vrai meurtrier de Christine Jessop? » Ils me disent alors : « Tu te moques de moi? » Ils sont tellement surpris. Je dis : « Vous avez donc manqué la fois dont on en a parlé dans les nouvelles. » À ce jour, c’est encore un problème pour moi. Je suis déçu de la façon dont cela s’est passé.
J’aime la vie, mais je n’aime pas ce que la vie m’a donné.
Voici ce que j’ai répondu :
Monsieur Morin, votre nom est synonyme de persévérance et pas de meurtrier. Vous êtes le symbole pour moi de quelqu’un qui a persévéré malgré d’énormes défis, et j’espère que vous repartirez d’ici aujourd’hui en vous rappelant de cela.
Le comité a également entendu le témoignage de deux hommes autochtones qui ont été condamnés à tort. Ils ont témoigné de la discrimination systémique qu’ils ont subie dans le système de justice pénale et qui a contribué à l’erreur judiciaire dont ils ont été victimes. Brian Anderson et Clarence Woodhouse étaient deux des quatre jeunes Autochtones condamnés à tort pour le meurtre de Ting Fong Chan, un chef cuisinier, au centre-ville de Winnipeg en 1973. Les deux hommes, ainsi qu’un troisième, Allan Woodhouse, ont été récemment acquittés, plus de 50 ans plus tard. Le frère de Clarence, Russell Woodhouse, le quatrième homme condamné pour le même crime, est décédé en 2011 alors qu’il était incarcéré, avant que son dossier ne puisse être réexaminé.
Brian Anderson a déclaré au comité :
La police a profité de notre jeune âge, de notre méconnaissance du système de justice pénale et du fait que nous étions des Anishinabes et que nous ne parlions pas bien l’anglais. Lorsque j’ai été questionné par la police, on m’a menacé et on a utilisé la force. Il était facile pour la police de forger des aveux. Ces faux aveux sont la raison pour laquelle nous avons été condamnés.
[…] Il y a une forte population d’Autochtones et de Noirs dans le système carcéral. Je le sais d’expérience. Le racisme et la corruption ont mené à ma condamnation injustifiée. Le projet de loi C-40 peut aider à faire entendre la voix d’autres personnes innocentes comme moi, qui ont besoin de cela parce que personne ne les écoute.
Les gouvernements aiment parler de réconciliation. Agissons concrètement. Donnez-moi des preuves de la réconciliation. J’ai lutté toute ma vie pour cela. Je ne veux plus que cela arrive à des gens comme moi.
Clarence Woodhouse est venu témoigner devant le Comité sénatorial des affaires juridiques, mais il n’a pas pu s’exprimer en raison de problèmes de traduction. Bien que l’on ait assuré à notre comité qu’un interprète saulteaux serait présent, nous avons découvert peu avant la réunion que ce n’était pas le cas. M. Woodhouse a donc enregistré une déclaration après la réunion, qui a été traduite et distribuée aux membres du comité. Je crois fermement que sa déclaration mérite une plus grande importance dans la discussion sur le projet de loi C-40. On a déjà volé la voix de M. Woodhouse; je ne veux pas que cela se reproduise au Sénat. Voilà pourquoi je tiens à lire la version traduite de sa déclaration pour le compte rendu aujourd’hui.
Clarence Woodhouse a commencé ainsi:
Boozhoo! Je m’appelle Clarence Woodhouse, et je vous remercie de cette occasion de vous parler de l’importance de la Loi de David et Joyce Milgaard, qui chargerait un groupe indépendant d’examiner les condamnations injustifiées. Ce groupe est nécessaire parce qu’il sera distinct du système judiciaire, ce système qui m’a condamné et m’a mis en prison, ainsi que bien d’autres personnes innocentes au Canada.
Je suis un Anishinaabe de la Première Nation de Pinaymootang, au Manitoba.
Mon frère Russell, maintenant décédé, mon cousin Brian Anderson, A. J. Woodhouse — qui n’a pas de lien de parenté avec moi malgré notre nom de famille identique — et moi avons été condamnés à tort, quand j’avais seulement 19 ans, pour le meurtre de M. Tin Fong Chang, une personne que ni mes coaccusés ni moi-même ne connaissions. Nous n’avions rien à voir avec la mort de M. Chang. Nous étions tous des nouveaux venus à Winnipeg et notre maîtrise de l’anglais était très faible, voire nulle. On ne nous a pas fourni d’interprète lorsque la police nous a interrogés. Je ne comprenais rien à ce qui se passait, et personne ne m’a rien expliqué. J’étais sous le choc. Je ne comprenais pas quels étaient mes droits; j’essayais seulement de me sortir de ce cauchemar.
Aucun de nous n’avait la moindre expérience du système de justice pénale; nous étions donc des proies faciles pour la police et le procureur George Dangerfield.
La police m’a brutalisé pour que je signe une fausse confession. Le procureur a dit que j’avais fait cette confession en anglais, alors que je ne savais ni parler, ni lire, ni écrire cette langue. C’est ce que j’ai dit au procès, mais personne ne m’a cru.
Mes années en prison, je les ai passées dans la peur et une grande solitude. Je n’avais plus de repères dans ce monde du pénitencier, où personne ne devrait être jeté au risque de sa vie.
En effet, ma période d’emprisonnement a été un véritable enfer, surtout parce que les gardiens étaient déterminés à me faire avouer un meurtre que je n’avais pas commis et dans lequel je n’avais joué aucun rôle.
Lorsque je suis sorti de prison après 12 ans, en 1983, j’avais subi une si longue incarcération que j’ai eu énormément de difficulté à m’intégrer à la société. Je n’ai reçu aucune aide et personne ne m’a encadré. Il m’a été très difficile de fonctionner dans ce monde que je ne reconnaissais pas et où je ne me sentais pas à l’aise.
Enfant, j’avais souvent été expulsé de l’école parce que j’avais un trouble d’apprentissage. Donc, vu mon manque d’instruction, et parce que je ne parlais toujours pas bien l’anglais et qu’en plus on me considérait comme un meurtrier, je n’ai pas réussi à me trouver du travail permanent. J’ai donc survécu en faisant des petits boulots par-ci par-là.
Depuis que je ne suis plus dans la population active, et jusqu’à ce jour, je vis de l’aide sociale. Je n’arrive pas à joindre les deux bouts, et ma vie est un combat de tous les jours dont je ne vois pas la fin.
Je crois que la création d’un nouveau groupe indépendant chargé d’examiner les condamnations injustifiées évitera à d’autres personnes innocentes les souffrances qui ont été les miennes et celles de mes coaccusés
Si le projet de loi C-40 est adopté, il existera un groupe qui pourra entendre les appels à l’aide des personnes condamnées à tort, et elles n’auront pas, comme mes accusés et moi, à attendre 50 ans que leur innocence soit reconnue — 50 ans de doute, de revers et de souffrance inimaginable, sans qu’on en voie la fin.
Merci de m’avoir écouté.
Meegwetch.
Le projet de loi C-40, dont nous sommes saisis aujourd’hui, propose la création d’une commission sur les condamnations injustifiées pour enquêter sur des cas comme ceux que je viens de décrire. En tant que porte-parole pour le projet de loi, je suis en faveur de la création de cette commission, mais j’ai de sérieuses inquiétudes quant à sa mise en œuvre. Le professeur de droit Kent Roach s’est fait l’écho de certaines de mes préoccupations quand il a affirmé ceci :
[…] nous pensons que le projet de loi C-40 est loin de garantir que la commission proposée sera vraiment indépendante du gouvernement, qu’elle représentera réellement les populations à risque et qu’elle disposera de pouvoirs et de fonds suffisants pour accomplir le travail nécessaire.
Le Comité des affaires juridiques a mené une étude approfondie et entendu de nombreux et excellents témoins afin d’examiner la législation actuelle sur les erreurs judiciaires. Certains témoins nous ont fait part d’amendements importants qui devraient être apportés pour améliorer le projet de loi, y compris le juge LaForme, l’un des architectes du rapport original pour le gouvernement. Je le cite :
Premièrement, ce qui me préoccupe le plus, c’est l’indépendance. Je ne pense pas que cette structure personnelle permettra à la commission d’être indépendante. Je suis inquiet à l’idée que le commissaire en chef doive assumer deux responsabilités, celle d’un administrateur et celle d’un commissaire en chef. J’en ai fait l’expérience et cela ne fonctionne tout simplement pas. Les exigences du gouvernement sont tout simplement trop importantes pour que ces deux fonctions puissent être exercées de manière adéquate.
Les détails relatifs à la commission, tels qu’ils sont décrits dans le projet de loi C-40, sont également préoccupants. Dans le système actuel, où le ministre décide du sort d’une affaire, le comité qui examine les erreurs judiciaires possibles et qui conseille le ministre se compose exclusivement d’avocats du ministère de la Justice. Cependant, le projet de loi C-40 prévoit qu’à la commission au moins le tiers, mais moins de la moitié des commissaires doivent être des avocats qui comptent au moins 10 ans d’expérience dans l’exercice du droit pénal. En raison des exigences de quorum, il est donc possible qu’il n’y ait qu’un avocat parmi les commissaires qui examinent une affaire donnée.
Les témoins qui ont comparu devant le Comité sénatorial des affaires juridiques ont déclaré qu’imposer un tel plafond n’était pas idéal du point de vue de la composition de la commission, mais ils craignaient que le projet de loi ne survive pas à un amendement.
La Criminal Lawyers’ Association a indiqué que le projet de loi C-40 devrait être amendé pour que la commission soit majoritairement composée d’avocats :
D’après ce que je vois des demandes en vertu de l’article 696, il faut bien connaître le droit pénal pour comprendre de quoi il retourne. Il est nécessaire de comprendre le processus de fond en comble. Il faut aussi bien saisir le processus de libération conditionnelle qui s’applique à ces personnes. C’est la définition même de la formation juridique, et je pense que la commission profiterait de la présence de ce genre de personnes à sa tête.
De nombreux témoins, dont l’Association des avocats noirs du Canada et l’Association du Barreau autochtone, ont déclaré préférer que la représentation des Noirs et des Autochtones au sein de la commission soit obligatoire, surtout compte tenu de la surreprésentation de ces communautés au sein de la population carcérale. En 2021, une consultation menée par deux juges à la retraite, l’honorable Harry S. LaForme et l’honorable Juanita Westmoreland-Traoré, a recommandé qu’au moins un poste au sein de la commission soit obligatoirement occupé par des Noirs ou des Autochtones. L’un des témoins entendus par le Comité des affaires juridiques qui a exprimé son soutien à la représentation obligatoire est le professeur de droit Kent Roach. Il a déclaré :
[...] une commission de cinq personnes sans représentants autochtones et noirs est manifestement inadéquate pour le Canada. C’est d’autant plus vrai que la Nouvelle-Zélande, un pays bien plus petit que le nôtre, dispose d’une commission de sept personnes où la représentation des Maoris est garantie. C’est particulièrement vrai si nous voulons que la commission soit proactive et systémique.
Tout au long de l’étude du projet de loi C-40, de nombreux sénateurs du Comité juridique ont exprimé le souhait que la commission s’attaque aux inégalités systémiques. C’est pourquoi j’ai trouvé curieux qu’ils n’aient pas tenté d’amender le projet de loi pour rendre obligatoire la représentation des Noirs et des Autochtones au sein de la commission. Le projet de loi C-40 dit seulement que le ministre « tient compte » de facteurs comme la surreprésentation lorsqu’il nomme les commissaires.
Les représentants de l’Association canadienne des policiers ont déclaré au Comité juridique du Sénat que parmi les membres non juristes de la commission ils aimeraient voir l’inclusion d’un représentant de la police. Le président de l’Association canadienne des policiers, Tom Stamatakis, a suggéré qu’un représentant de la police pourrait apporter une contribution précieuse aux travaux de la commission. Il a déclaré ceci :
Étant donné que de nombreux cas examinés se fonderont sur les éléments précis des méthodes et techniques d’enquête, il serait bon de s’assurer que des agents de l’application de la loi soient membres de la commission. Leur point de vue peut apporter un éclairage précieux sur les aspects pratiques des enquêtes, depuis le traitement des éléments de preuves jusqu’aux subtilités liées à l’interrogation des témoins et des suspects.
Si la commission compte parmi ses membres des gens qui ont une compréhension professionnelle des techniques d’enquête, les examens seront complets et toutes les recommandations formulées seront fondées sur les réalités du travail des policiers de première ligne. Leur participation renforcerait la crédibilité de la commission et favoriserait une approche équilibrée dans le cadre de son important mandat.
M. Stamatakis a également fait part de ses inquiétudes quant à l’absence de délai clair pour le processus employé par la commission, mentionnant que tout prolongement des délais risquait d’avoir un impact sur les enquêtes et sur la preuve. Voici son explication :
Comme vous le savez tous, les enquêtes reposent en grande partie sur les dossiers détaillés conservés et sur les souvenirs des enquêteurs qui ont participé à ces enquêtes. Avec le temps, les dossiers peuvent devenir incomplets ou il peut être difficile de les retrouver, et les souvenirs des témoins s’estompent. Bon nombre de nos membres ont une lourde charge de travail et peuvent avoir pris leur retraite ou accepté d’autres fonctions au moment où une ancienne affaire est réexaminée. Il est essentiel que cette commission mène ses travaux conformément à un échéancier clair, dans la mesure du possible, afin de veiller à ce que les affaires soient examinées dans les plus brefs délais, pour limiter l’impact du temps sur les éléments de preuves et faire en sorte que la justice soit rendue de manière efficace.
Malheureusement, de nombreux détails n’ont pas été réglés dans le projet de loi C-40, et ils seront décidés par un règlement ou par le Cabinet, ou encore après la création de la commission. Cela est d’autant plus préoccupant que moins de la moitié, et peut-être seulement le tiers, des commissaires chargés des enquêtes et des affaires complexes seront des juristes qualifiés. Laisser les détails au Cabinet signifie laisser le pouvoir entre les mains de l’exécutif, ce qui contredit l’intention derrière le projet de loi : faire en sorte que les décisions relatives aux erreurs judiciaires ne relèvent plus d’une seule personne — le ministre de la Justice — et confier ce pouvoir à une commission.
Le projet de loi C-40 accorde au Cabinet le pouvoir d’établir le salaire du commissaire en chef et des autres commissaires. Lorsque j’ai demandé à une représentante du gouvernement quelle serait la rémunération de ces nouveaux commissaires, elle n’a répondu que par une fourchette extrêmement large allant de 180 000 $ à 464 800 $. Elle a précisé que le gouvernement s’attend à ce que la rémunération se situe entre le milieu et le haut de cette fourchette, quelque part entre 300 000 $ et 500 000 $. Le gouvernement devrait être en mesure de donner ces détails dès maintenant, non seulement pour des raisons de clarté, mais aussi pour l’indépendance de la commission.
Il est devenu évident au comité que bien des détails du projet de loi C-40 sont négligés dans l’intérêt de l’opportunisme politique du gouvernement Trudeau.
Comme je l’ai souligné dans mon discours sur le projet de loi C-26 la semaine dernière, cette pratique est devenue trop courante sous le gouvernement Trudeau : présenter un projet de loi vague et complexe en ne précisant pas les détails ou en les laissant hors du cadre législatif, puis pousser le Sénat à se dépêcher de l’adopter, sans amendement. Cette façon de faire avantage le gouvernement, qui évite ainsi l’examen parlementaire et la reddition de comptes, mais cela se fait au détriment des Canadiens.
Étant donné que le gouvernement essayait de précipiter le renvoi du projet de loi C-40 au Comité sénatorial des affaires juridiques, il a encouragé le parrain du projet de loi, le sénateur Arnot, à prononcer son discours abrégé de 15 minutes à l’étape de la deuxième lecture avant même d’avoir eu l’occasion de recevoir une séance d’information sur le projet de loi de la part de représentants du gouvernement. Cette attitude est inappropriée et injuste à l’égard du parrain du projet de loi. En outre, il n’a ainsi pas été en mesure de répondre à un grand nombre de mes questions après son discours ce jour-là.
Je l’ai déjà dit et je le répète : le gouvernement Trudeau doit assumer ses responsabilités et faire son travail au Sénat. Une fois de plus, le leader du gouvernement, le sénateur Gold, a omis de prononcer un discours aux étapes des deuxième et troisième lectures du projet de loi C-40, ce qui prive les sénateurs de l’occasion de poser des questions au gouvernement sur le projet de loi au Sénat.
Le sénateur Gold affirme qu’il n’a pas d’observations à faire sur les projets de loi qui ne peuvent pas être faites par leurs parrains qui « [...] s’y connaissent beaucoup plus sur le sujet dont traite le projet de loi et le comprennent beaucoup mieux que moi ». C’est une dérobade. En tant qu’ancien professeur de droit, le sénateur Gold sait que les discours du leader du gouvernement sur un projet de loi peuvent jouer un rôle important dans l’interprétation judiciaire de l’intention du gouvernement à l’égard d’un projet de loi dans le cadre de poursuites judiciaires.
Le sénateur Gold a également souligné que la comparution des ministres devant les comités était suffisante pour expliquer le point de vue du gouvernement sur un projet de loi. Les ministres font généralement une déclaration liminaire de cinq minutes et ils restent au comité pendant environ une heure pour répondre aux questions. Jusqu’à 15 sénateurs doivent se partager ce temps de parole pour poser leurs questions, ce qui est insuffisant.
Un de ces jours, sénateur Gold, j’aimerais bien que vous me prouviez que j’ai tort et que vous prononciez un discours sur un projet de loi du gouvernement, mais c’est toujours la même chose avec vous. Ce n’est pas ainsi que l’on fait preuve de leadership, que l’on rend des comptes et, honorables sénateurs, que l’on veille au bon fonctionnement du Parlement.
Après le discours à l’étape de la troisième lecture du parrain du projet de loi, j’ai demandé au sénateur Arnot comment il avait réagi, en tant qu’ancien juge, au rapport du Comité sénatorial des affaires juridiques sur ce projet de loi. Dans ce rapport, le comité a joint une observation contenant un lien vers le rapport de la sénatrice Pate concernant les 12 femmes qui, selon le document, auraient été accusées à tort. C’est peut-être le cas, mais l’orientation donnée par le comité à la commission était, à mon avis, trop contraignante et inappropriée. Le rapport du comité se lit comme suit :
Le comité tient à souligner que son étude du projet de loi C-40 s’est appuyée sur des mémoires et des témoignages, y compris une lettre du ministre de la Justice qui éclairera l’interprétation du projet de loi C-40 et guidera le mandat de la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire, en particulier en ce qui concerne l’importance vitale de reconnaître et de corriger de manière significative et proactive les inégalités sexistes, racistes et autres inégalités systémiques, en particulier pour les femmes autochtones, en commençant par les cas identifiés dans le rapport intitulé Injustices et Erreurs Judiciaires Subies par 12 Femmes Autochtones.
Cette directive indique que le mandat de la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire est de « [commencer] par les cas identifiés » dans le rapport Pate. À mon avis, il n’est pas approprié que le Comité des affaires juridiques fournisse ce genre d’orientation normative, mais, encore une fois, ma motion a été rejetée au comité.
J’ai demandé au sénateur Arnot son point de vue sur la question, étant donné qu’il a été juge. Je suis à peu près certaine qu’il n’aurait pas accepté de telles directives dans ses fonctions de juge indépendant. Je suis consternée qu’il ait tenté de justifier cette façon de faire en qualifiant la directive du Comité sénatorial des affaires juridiques de simple « suggestion ».
Comme c’est souvent le cas maintenant, le rapport du comité contenait d’autres longues observations présentant de nobles pensées philosophiques, mais peu de mesures concrètes. Certaines de ces observations sont essentiellement les mêmes, répétées dans tous les rapports sur toutes les études que nous faisons. Le gouvernement n’y a jamais donné suite auparavant, alors pourquoi le ferait-il maintenant? Les sénateurs doivent réaliser que, s’ils veulent que le gouvernement en prenne note et y réponde, ce sont des amendements, et non des observations, qu’ils devraient présenter au sujet d’un projet de loi.
Cependant, le gouvernement Trudeau a fait peur aux sénateurs indépendants en leur faisant croire que s’ils amendent un projet de loi et le renvoient à la Chambre des communes, cela va essentiellement torpiller le projet de loi, comme cela semble avoir été le cas avec le projet de loi C-234. Il s’agissait cependant d’un projet de loi d’initiative parlementaire. Il y a une différence entre un tel projet de loi et un projet de loi du gouvernement. Le gouvernement exerce un contrôle total sur un projet de loi gouvernemental. C’est lui qui détient le plus de sièges à la Chambre des communes et qui détermine le programme législatif, et seul le gouvernement décide quels amendements il accepte ou il rejette lorsque le Sénat lui renvoie un projet de loi amendé. Le gouvernement Trudeau tente de berner les sénateurs en insistant sur le fait qu’ils doivent adopter les projets de loi le plus rapidement possible, sans amendement. Le leader du gouvernement au Sénat veille à assister aux réunions des comités lorsqu’ils procèdent à l’étude article par article afin de bien faire comprendre aux sénateurs indépendants qu’ils ne doivent pas oser apporter des amendements.
La Chambre des communes a été saisie du projet de loi C-40 pendant deux ans. Le Sénat en est saisi depuis moins de trois mois. Même si le projet de loi est adopté maintenant, le ministre de la Justice estime qu’il faudra probablement encore un an, peut-être plus, avant que la commission voie le jour. Nous avons tout le temps d’adopter des amendements pour améliorer le projet de loi, mais le gouvernement Trudeau tente constamment de faire peur aux sénateurs indépendants pour qu’ils précipitent l’adoption du projet de loi au Sénat.
Au cours de son étude, le comité de la Chambre des communes a apporté de nombreux amendements au projet de loi C-40. Le Sénat devrait faire de même pour renforcer le projet de loi. Pourquoi la Chambre des communes peut-elle amender ce projet de loi, mais pas nous? Pourquoi les sénateurs acceptent-ils que le gouvernement leur dicte quoi faire? Honorables sénateurs, si nous continuons de tout approuver sans discussion, le gouvernement Trudeau continuera à nous traiter comme des laquais. Il ne s’agit pas d’un second examen objectif.
Lors des travaux du comité, j’ai proposé un amendement sérieux et réfléchi au projet de loi C-40. Il aurait empêché le renouvellement du mandat des commissaires afin d’assurer l’indépendance de la commission. Mon amendement s’appuyait sur les témoignages que nous avons entendus lors de l’étude et sur les renseignements contenus dans le rapport des juges LaForme et Westmoreland-Traoré, qui disaient que le renouvellement du mandat des commissaires par le gouvernement pouvait nuire à l’indépendance de la commission. Leur rapport suggérait que la commission soit « soumise au même traitement indépendant du gouvernement que l’appareil judiciaire ».
Ce point de vue a été repris par le professeur de droit Kent Roach, qui a présenté un mémoire au comité conjointement avec le juge LaForme. Il a déclaré :
[...] le mandat renouvelable des commissaires est une mauvaise idée qui nuit à l’indépendance des commissaires par rapport au gouvernement. Nous n’accepterions pas de mandats renouvelables pour les juges [...]
Dans leur mémoire qu’ils ont soumis au comité, le juge LaForme et le professeur Roach écrivent ceci :
La population canadienne n’accepterait jamais, à juste titre, de tels arrangements pour les juges. Nous ne devrions pas l’accepter pour une commission.
Nous avons recommandé que les mandats des commissaires ne soient pas renouvelables pour assurer leur indépendance par rapport au gouvernement. Nous attirons également l’attention du Comité sur les problèmes que la Criminal Cases Review Commission (CCRC) d’Angleterre a éprouvés lorsque le gouvernement a refusé de nommer à nouveau un commissaire qui s’était opposé aux tentatives du gouvernement visant à rendre la CCRC plus efficace, le budget de l’organisme était largement considéré comme inadéquat [...]
La nature renouvelable des nominations et le différend anglais sur l’ingérence du gouvernement dans le renouvellement d’une nomination risquent de miner l’indépendance de la nouvelle Commission, laquelle indépendance est essentielle pour que les demandeurs aient confiance dans la Commission. Personne n’accepterait des mandats de sept ans renouvelables pour les juges, et des mandats de ce genre ne devraient pas être acceptables pour une commission qui aurait le pouvoir d’infirmer des décisions judiciaires et d’exiger que de nouveaux procès et appels soient tenus devant les tribunaux.
Mark Knox, du Conseil canadien des avocats de la défense, appuie lui aussi cette idée. Il a dit :
[...] J’ai tiré ma position du rapport dont vous avez parlé, celui des juges LaForme et Westmoreland-Traoré et de M. Roach. Oui, je pense, comme ils l’ont dit, que ces commissaires devraient être indépendants du gouvernement. Ils devraient occuper un poste quasi judiciaire et, par conséquent, ils ne devraient pas faire l’objet d’un examen gouvernemental. [...]
Mon amendement était raisonnable, réfléchi et non partisan. En outre, il portait sur le même sujet qu’une observation annexée plus tard au rapport du Comité par la sénatrice Simons. Malheureusement, une fois de plus, les membres du Comité ont voté massivement selon leurs allégeances politiques : neuf sénateurs contre, seulement deux sénateurs conservateurs pour et deux abstentions, dont celle de la sénatrice Simons.
Si les commissaires peuvent voir leur nomination renouvelée, et que ces nominations sont faites par le Cabinet, comme le prévoit le projet de loi C-40, il y aura atteinte à l’indépendance. Les sénateurs Arnot et Dalphond, tous deux anciens juges et défenseurs de l’indépendance de la magistrature, n’auraient jamais accepté cette méthode pour contrecarrer leur indépendance. Je note que le plus récent membre du Comité sénatorial des affaires juridiques, le sénateur Moreau, a déposé au Sénat cette semaine son projet de loi d’intérêt public sur la Journée de l’indépendance de la magistrature. J’espère qu’il s’adressera à ses collègues au sein du Comité pour qu’ils célèbrent l’indépendance de la magistrature non seulement par une journée marquée sur le calendrier, mais aussi en mettant cette indépendance en pratique.
J’ai décidé de ne présenter que ce que je considérais comme l’amendement le plus important au comité. Il était solidement appuyé par des témoignages clés, et pourtant, il est loin d’avoir obtenu suffisamment d’appuis lors du vote au comité. Pourquoi prendrions-nous la peine d’entendre tous ces excellents témoins venus s’adresser au comité qui nous disent comment améliorer des projets de loi importants si nous ne les écoutons pas?
Malheureusement, ce n’est pas la première fois que je vois cette situation sous le gouvernement Trudeau. L’année dernière, j’ai proposé et fait adopter deux amendements importants au projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, qui étaient solidement appuyés par des témoignages entendus en comité et par des témoins clés au Comité sénatorial des affaires juridiques et à la Chambre. Lorsque le projet de loi a été renvoyé à la Chambre des communes, le ministre de la Justice de l’époque, David Lametti, a rejeté les amendements, nous obligeant ainsi à adopter le projet de loi malgré ses lacunes et sans mes amendements, juste avant la pause estivale.
Je me demande donc à quoi sert tout notre travail si, de toute façon, le gouvernement finit par rejeter nos propositions. C’est pour cette raison que j’ai décidé de ne pas proposer mon amendement de nouveau à l’étape de la troisième lecture.
Les sénateurs indépendants nommés par Trudeau qui siègent au Comité des affaires juridiques ont également voté contre les victimes à cinq reprises au cours d’une même réunion lorsqu’ils ont rejeté les amendements du sénateur Carignan qui auraient permis de respecter les droits des victimes d’actes criminels en cas d’erreur judiciaire. Lors de l’étude en comité, nous avons entendu plusieurs témoins parler des répercussions néfastes que le processus de la commission d’examen des erreurs du système judiciaire prévu dans ce projet de loi pourrait avoir sur les victimes d’actes criminels.
Parfois, les conséquences sur les victimes de la criminalité se perdent au cours de la discussion. J’ai été renversée lorsque le sénateur Arnot, durant son discours à l’étape de la deuxième lecture, a minimisé les droits des victimes de la criminalité dans le cadre de ce projet de loi. Il a dit :
Le projet de loi C-40 a été conçu en réponse à une situation particulière, celle des personnes qui ont été condamnées injustement; ces personnes sont au cœur du projet de loi [...] Les condamnations injustifiées sont sans contredit source d’une terrible déception pour les victimes du crime commis à l’origine [...]
Nous devrions tous reconnaître sans réserve qu’il faut accroître et améliorer le soutien offert aux victimes de crimes. Ces changements sont vraiment nécessaires, mais ils devront faire l’objet d’une autre mesure législative que celle-ci.
Je ne suis pas d’accord. Les condamnations injustifiées font de nombreuses victimes, non seulement la personne dont la vie et la liberté ont été gravement limitées par une telle condamnation et par la stigmatisation qui s’ensuit, mais aussi les victimes du crime commis à l’origine qui peuvent maintenant se retrouver une fois de plus sans savoir qui est l’auteur de leurs souffrances ni où il se trouve. Il y a aussi l’horreur de la réouverture de vieilles blessures et de la revictimisation par un système de justice pénale froid et indifférent.
Sarah Crawford, directrice générale du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, a dit à notre comité :
Ce projet de loi représente une étape importante dans la lutte contre les condamnations injustifiées. Cependant, pour les survivants d’actes criminels et leur famille, la justice ne se limite pas à la punition, mais comprend aussi la responsabilisation, la validation et le sentiment de résolution. Les survivants qui apprennent que la mauvaise personne a peut-être été tenue responsable d’un crime commis contre eux peuvent perdre confiance à l’égard du système de justice pénale. Cela peut créer un sentiment de trahison et de malaise.
En réalité, même si le projet de loi C-40 est conçu pour prévenir les injustices pour les personnes condamnées à tort, il risque également de rouvrir de profondes blessures émotionnelles pour les victimes et les survivants d’actes criminels. La révocation d’une condamnation signifie que les survivants, qui croyaient que leur cas avait été réglé, peuvent être confrontés à un nouveau traumatisme en revivant des souvenirs douloureux. Il est essentiel que ce projet de loi protège non seulement contre les condamnations injustifiées, mais aussi le bien-être mental et émotionnel des survivants et des familles touchées par ces décisions.
Le CCRVC estime que ce projet de loi doit accorder la priorité aux ressources visant à soutenir les victimes tout au long de ces examens et garantir l’accès à des services de soutien, à des mises à jour de cas et à des ressources supplémentaires qui pourraient être nécessaires pour les aider à s’y retrouver dans ces processus difficiles.
Benjamin Roebuck, l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, a affirmé que le projet de loi C-40 ne va pas assez loin pour protéger les victimes et leur droit d’avoir accès aux renseignements sur leur cas. Il a suggéré qu’on énonce ces obligations dans le projet de loi à des fins de clarté. Voici ce qu’a dit l’ombudsman Roebuck :
Le projet de loi C-40 exige que la commission établisse des politiques pour assurer la communication avec les victimes, mais il ne respecte pas leurs droits à la protection et à la participation.
En vertu de la Charte canadienne des droits des victimes, la commission sera tenue de se doter d’un processus de traitement des plaintes pour les victimes d’actes criminels, à l’instar de tous les organismes de justice pénale à l’échelle fédérale. Si une victime n’est pas satisfaite de la réponse, elle peut déposer une plainte auprès de notre bureau. Ces éléments devraient être énoncés dans le projet de loi pour que ce soit clair.
Puis, il a ajouté :
J’ai quelques recommandations. Premièrement, il faut veiller à ce que la commission ait le pouvoir législatif de divulguer des renseignements aux victimes. Le projet de loi C-40 pourrait nécessiter une modification de coordination visant l’article 26 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour autoriser le Service correctionnel du Canada, ou SCC, à communiquer aux victimes des informations sur les travaux de la commission.
Le gouvernement Trudeau a essayé de nous promettre qu’un poste de coordonnateur des services aux victimes serait créé une fois que la commission d’examen des erreurs du système judiciaire aura été établie. Cependant, aucune précision n’a été fournie à savoir s’il s’agira d’un poste à temps plein, à temps partiel ou contractuel. Des fonctionnaires m’ont dit que cette décision serait prise par le commissaire en chef. Le poste de coordonnateur des services aux victimes n’est même pas mentionné dans le projet de loi. Une fois de plus, le gouvernement Trudeau s’attache davantage à montrer ostensiblement son soutien aux victimes qu’à prendre des mesures concrètes pour l’étayer.
Même le propre document du gouvernement Trudeau sur l’analyse comparative entre les sexes plus du projet de loi C-40 ne mentionne pas les victimes féminines. Bien sûr, il ne dit pas grand-chose non plus à propos des femmes en général, mais cela semble être la norme pour le gouvernement Trudeau ces derniers temps. J’ai demandé au ministre de la Justice pourquoi l’analyse comparative entre les sexes plus ne contient presque rien au sujet des victimes féminines de crimes violents, étant donné qu’un grand nombre des condamnations injustifiées qu’évaluera cette commission concerneront probablement ce type de crime. Il y a eu beaucoup de discussions et d’agitation, mais pas vraiment de réponse de la part du ministre. Quelle surprise.
La réticence du gouvernement à donner des réponses directes est évidente dans tout le projet de loi C-40 qui, étant donné son manque de clarté, laisse beaucoup de place à l’interprétation. Prenons l’exemple du paragraphe 696.3(1) du projet de loi. Il dit :
La Commission traite la demande le plus rapidement possible et fournit régulièrement au demandeur des mises à jour concernant sa demande.
Le projet de loi ne définit pas l’expression « le plus rapidement possible » et il ne la clarifie pas. Il ne précise pas non plus ce qui est considéré comme « régulièrement » pour les mises à jour sur l’état de la demande. Actuellement, le traitement des demandes peut prendre de 20 mois à 6 ans. La commission s’occupera des condamnations éventuellement injustifiées de personnes qui ont peut-être déjà passé des années de leur vie en prison, privées de liberté pour un crime qu’elles n’ont pas commis. Pourquoi le gouvernement ne préciserait-il pas dans le projet de loi les paramètres précis de l’expression « le plus rapidement possible »? Le caractère nébuleux de ces termes semble indiquer que le gouvernement n’a pas l’intention de s’attaquer sérieusement au problème.
Le manque de clarté du projet de loi C-40 s’étend également aux critères de recevabilité des demandes. En effet, pour que la commission examine une requête, il faudra qu’elle ait :
[...] des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire a pu être commise et qu’elle estime que cela servirait l’intérêt de la justice [...]
C’est très vague comme libellé. Que signifie « dans l’intérêt de la justice » dans ce contexte? En quoi pourrait-il ne pas être dans l’intérêt de la justice de réparer une erreur judiciaire?
J’ai posé la question à diverses reprises, mais je n’ai jamais obtenu de réponse satisfaisante, ni du ministre de la Justice au comité ni du parrain du projet de loi au Sénat. Dans leurs témoignages, plusieurs témoins ont reconnu devant le comité que cette expression est vide de sens et qu’elle devrait être supprimée, y compris le juge LaForme, qui a affirmé ce qui suit :
La dernière chose que je souhaite dire est que j’ai été juge pendant 25 ans, dont 15 ans en tant que juge d’une cour d’appel. En tant que juge, je me souviens particulièrement des mots « dans l’intérêt de la justice », qui représentent pour moi le mystère le plus complet. Je ne sais toujours pas ce qu’ils signifient. Je sais à quoi ils peuvent servir et je les ai utilisés dans des décisions, mais je ne sais pas ce qu’ils signifient et j’ose dire qu’aucun de mes collègues ne le sait non plus.
Il a ajouté ceci :
Je savais quand m’en servir pour appuyer une décision ou quelque chose du genre. Là, je l’employais. C’est une expression fourre-tout, et aucun juge n’aime l’admettre, mais nous ne savons pas ce qu’elle veut dire. On peut essentiellement lui donner le sens que l’on veut.
Elle peut aussi être dommageable, je dirais, et c’est ce qui m’inquiète. Je ne crois pas que ce devrait être dans le test.
J’ai dit: « Merci. Proposez-vous de simplement la retirer de cette disposition? » Il a répondu : « Oui. »
Le Barreau du Québec a aussi exprimé des réserves quant à l’inclusion de l’expression. Une représentante de l’organisation a affirmé :
Le Barreau du Québec s’interroge également sur la pertinence d’inclure le critère de l’intérêt de la justice afin de justifier l’octroi d’une mesure de redressement. En effet, nous craignons que ce critère risque de désavantager certains demandeurs, notamment les Autochtones, les Noirs et d’autres demandeurs marginalisés. Parallèlement, les demandeurs qui ont été reconnus coupables de crimes graves ou qui peuvent simplement sembler dangereux aux yeux du public pourraient ne pas obtenir justice, même si une erreur judiciaire a été commise. Le Barreau du Québec considère que le critère de l’intérêt de la justice devrait plutôt être un motif additionnel utilisé au profit des demandeurs, lorsque la commission n’arrive pas à conclure qu’une erreur judiciaire a pu être commise, mais que les circonstances justifient l’imposition d’une mesure de redressement.
L’un des principaux problèmes posés par le projet de loi C-40 est qu’il assouplit les critères de recevabilité des demandes, ce qui pourrait entraîner un déluge que la commission n’est pas prête à gérer et pour lequel elle ne dispose pas de ressources suffisantes. Selon les exigences actuelles, le ministre de la Justice peut prescrire une mesure de redressement s’il est « [...] convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite [...] » Dans le projet de loi C-40, ces exigences ont été allégées. Comme je l’ai dit, le projet de loi stipule maintenant que la commission devra déterminer ce qui suit :
[...] si elle a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire a pu être commise et si elle estime qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire;
La Criminal Cases Review Commission du Royaume-Uni applique un seuil de « possibilité réelle » pour le renvoi d’une affaire, ce qui signifie que la possibilité d’une erreur judiciaire est raisonnable, et non pas une simple possibilité. J’ai demandé à John Curtis, avocat au service du gouvernement de la Criminal Cases Review Commission, s’il pensait que le seuil plus bas fixé par le Canada dans le projet de loi C-40 puisse entraîner un nombre élevé de demandes. Voici ce qu’il m’a répondu :
La réponse courte à cette question est oui [...]
Notre cour d’appel a clairement indiqué qu’il est pratiquement impossible de s’assurer qu’une information n’aurait peut-être rien changé au verdict du jury. C’est pourquoi les cas où les chances de réussite sont fantaisistes, théoriques ou une simple possibilité ne justifient pas un appel fructueux. La cour a clairement indiqué qu’elle avait besoin d’un fondement plus solide et de possibilités réelles. Le terme privilégié est une « perspective raisonnable ». Il y a une disposition correspondante en droit civil. Si vous rédigez un contrat, que le mot « raisonnable » y figure ou non, les parties sont tenues de se comporter raisonnablement. En pratique, la cour au Canada devrait privilégier les cas raisonnables et significatifs plutôt que des possibilités très faibles et fantaisistes.
M. Curtis a déclaré au comité qu’en 27 ans, la commission britannique a examiné plus de 32 000 cas et fait 850 renvois. Il estime que la commission reçoit environ 1 500 demandes par année.
Quand j’ai demandé aux représentants du gouvernement ce que le Canada prévoyait comme nombre de demandes annuelles pour la commission d’examen des erreurs du système judiciaire, ils m’ont répondu qu’ils s’attendaient à environ 250 demandes par an. Toutefois, dans un rapport volumineux et détaillé, M. Myles Frederick McLellan, de l’Association canadienne de justice pénale, a utilisé les chiffres des commissions internationales pour prévoir ceux de la commission canadienne. Il estime que la nouvelle commission d’examen des erreurs du système judiciaire recevra environ 1 333 demandes par an, dont probablement environ 400 provenant d’Autochtones condamnés. Étant donné que le gouvernement a prévu les ressources de la commission en fonction d’un nombre annuel nettement plus bas, il se pourrait bien que le seuil inférieur pour présenter une demande entraîne une avalanche de demandes qui submergera le système.
Le pays vit déjà une crise des délais judiciaires. Pouvez-vous imaginer l’état de la situation une fois qu’il y aura un afflux d’ordonnances de nouveaux procès ou d’appels pour condamnation injustifiée dans des centaines de cas par année? Si l’on ajoute à cela le piètre bilan du gouvernement Trudeau en matière de nominations à la magistrature, alors qu’il reste des dizaines de postes de juge vacants en date du 1er décembre, il est facile d’imaginer le chaos qui en résulterait. Bien sûr, c’est particulièrement grave si l’on considère qu’en raison de l’arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada, de nombreuses affaires sont rejetées par les tribunaux parce qu’elles n’ont pas été jugées dans les délais prescrits. La confiance du public dans le système de justice pénale pourrait être sapée à mesure que les délais judiciaires augmentent, que des criminels dangereux sont libérés et que la crise s’aggrave.
En plus du seuil global plus bas d’acceptabilité prévu dans le projet de loi C-40, un autre facteur qui viendra compliquer les choses, c’est que le projet de loi élimine l’exigence selon laquelle tous les appels doivent avoir été épuisés avant que la demande ne soit présentée. Cette exigence a été supprimée par un amendement lors de l’étude du projet de loi par le Comité de la justice de la Chambre des communes.
Lorsqu’il a présenté le projet de loi C-40, le ministre de la Justice de l’époque, M. Lametti, a déclaré ceci :
Il est important de souligner que le processus d’examen des erreurs du système judiciaire n’est pas une solution de rechange au système judiciaire ni un autre niveau d’appel. Il prévoit plutôt un mécanisme permettant d’examiner après l’appel de nouveaux renseignements ou éléments de preuve que les tribunaux n’ont pas initialement pris en compte et d’enquêter sur ces renseignements ou éléments.
L’exigence d’épuiser les possibilités d’appel constituait une protection contre les demandes frivoles ou sans fondement. Cet obstacle a été supprimé, ce qui risque d’aggraver encore la crise des retards judiciaires.
Plusieurs sénateurs et témoins ont demandé que la commission dispose de recours supplémentaires, au-delà de la recommandation d’annuler une condamnation ou de lancer un nouvel appel. Une option permettant d’ordonner une réhabilitation ou une suspension du casier a été suggérée comme autre recours possible. C’était l’une des recommandations du rapport LaForme/Westmoreland-Traoré. Lorsqu’il a témoigné devant notre comité, le juge LaForme a indiqué qu’il ne savait pas pourquoi le gouvernement Trudeau avait choisi de ne pas suivre cette recommandation dans le projet de loi C-40. Lorsque les circonstances d’une affaire de condamnation injustifiée sont défavorables à la tenue d’un nouveau procès ou d’un appel, cette recommandation donnerait à la commission la souplesse nécessaire pour continuer à rendre justice.
Honorables sénateurs, la création d’une commission d’examen des erreurs judiciaires se fait attendre depuis longtemps. Pour les personnes qui ont été condamnées à tort, les enjeux ne pourraient être plus élevés. Néanmoins, c’est aussi pour cette raison qu’il est essentiel que nous fassions ce qui s’impose : la vie des gens, leurs libertés et la sécurité de la société sont en jeu.
Notre rôle au Sénat est de perfectionner les projets de loi, et le projet de loi C-40 est loin d’être parfait. Ce projet de loi est assurément imparfait. Il risque d’enfreindre le principe essentiel de l’indépendance, il manque de clarté, et je crains qu’il n’aggrave une crise de retards judiciaires déjà ingérable dans ce pays.
J’aimerais que le gouvernement Trudeau et ceux d’entre vous qui votent comme le gouvernement soient ouverts aux amendements qui sont nécessaires à cette mesure législative afin qu’elle rende justice comme il se doit aux personnes qui ont été condamnées à tort et à tous les Canadiens. Toutefois, je suis aussi consciente que cela ne se produira pas ici ce soir.
En tant que porte-parole de cette mesure législative, j’ai tenté de l’améliorer, en vain. Chers collègues, nous devrions exiger mieux, car nous pouvons faire mieux, et j’espère qu’un jour — bientôt — c’est ce que nous recommencerons à faire. Merci.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les oui l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
La sonnerie retentira pendant une heure. Le vote aura lieu à 19 h 2. Convoquez les sénateurs.
La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté :
POUR
Les honorables sénateurs
CONTRE
Les honorables sénateurs
ABSTENTION
L’honorable sénateur