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Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie

Deuxième lecture--Ajournement du débat

3 juin 2025


L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

Propose que le projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi que je marraine depuis plus de quatre ans et demi au Parlement : la Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique, qui porte cette fois le numéro S-209. Cette initiative, qui vise à protéger les enfants, est morte au Feuilleton deux fois déjà. Au moment de la prorogation en janvier dernier, mon projet de loi était presque en fin de course, à l’étape du rapport, juste avant la troisième lecture à la Chambre des communes. Il avait obtenu l’appui du Parti conservateur, du Bloc québécois, du NPD et de cette Chambre deux fois de suite, dont une fois sans opposition.

La déception a donc été grande pour bien des parents, de nombreux groupes et des pédiatres.

Il y a un an, 77 % des Canadiens sondés par la firme Léger étaient d’accord avec une vérification de l’âge pour empêcher les enfants d’avoir accès à la porno en ligne. C’est pour eux que je continue, pour qu’ils soient entendus au Parlement.

Je reviens à la charge, car le statu quo est intenable : des enfants de 8 ans, de 12 ans ont accès, sans aucune barrière, à des millions de vidéos pornos hardcore, souvent violentes et traumatisantes.

L’âge moyen de la première exposition est de 11 ans. La réalité de la porno en ligne a changé il y a une quinzaine d’années, quand les plateformes ont modifié leur modèle d’affaires pour permettre à n’importe qui de téléverser des vidéos sur leur site et de rendre ce contenu gratuit et accessible à tous. Toutes les barrières à l’accès ont disparu.

Le gouvernement canadien a laissé faire, alors que la recherche montre des corrélations inquiétantes entre l’usage de la porno chez les mineurs et des croyances et comportements sexuels préjudiciables, une croyance erronée selon laquelle les femmes et les filles sont toujours disponibles sur le plan sexuel, des attitudes et des croyances néfastes concernant le consentement sexuel et une banalisation des comportements violents.

De plus, toujours selon le réputé Centre canadien de protection de l’enfance, la consommation de pornographie chez les mineurs normalise ces images à leurs yeux, et les enfants sont ainsi plus susceptibles d’être victimes de prédateurs sur Internet. Voici un exemple troublant : la moitié des jeunes filles et garçons âgés de 16 à 21 ans interrogés dans une enquête de la commissaire britannique à l’enfance affirment que les filles s’attendent à ce que la sexualité inclue des agressions physiques, comme l’étouffement ou les claques.

Dans un documentaire français sur l’usage problématique de la pornographie, une jeune femme raconte ce qui suit :

À neuf ans, je pourrais clairement dire que je regardais de la porno tous les jours [...] Comme mon père ne m’aimait pas [...] ça m’a poussé à me dire qu’en fait, j’avais un sentiment d’être aimé en regardant les vidéos pornographiques.

Un jeune homme ajoute qu’à partir de 14 ans, il prenait du plaisir à regarder des choses qui le dégoûtaient.

Dans une entrevue-choc accordée en 2021, la chanteuse américaine Billie Eilish a raconté qu’à 11 ans, elle a commencé à regarder de la pornographie, et que cela l’a tellement perturbée qu’elle n’osait pas dire non à certaines pratiques sexuelles dans ses premières relations amoureuses. « La porno a vraiment détruit mon cerveau », a-t-elle conclu.

C’est peut-être cela le plus triste : on vole aux jeunes la découverte de leur sexualité en les inondant de performances irréalistes et souvent malsaines qu’ils perçoivent comme normales. Un visionnement fréquent de porno peut créer chez les jeunes de la peur et de l’anxiété, nuire à leur estime de soi en altérant la perception qu’ils ont de leur propre corps et entraîner des symptômes de dépression.

La sexologue québécoise Marie-Christine Pinel, quant à elle, a fait des constats troublants chez les jeunes dans sa pratique. Je la cite :

Je vois émerger des tendances destructrices : une recrudescence des relations de dominance, une anxiété de performance qui entraîne des douleurs à la pénétration et un dysfonctionnement érectile, une explosion dans la demande de chirurgie esthétique génitale; tous ces problèmes sont dus à l’influence de la porno.

C’est donc un enjeu véritable de santé publique dont on parle trop peu en raison des tabous entourant la pornographie. Cette idée que seuls les parents peuvent contrôler les écrans de leurs enfants est complètement dépassée depuis l’arrivée des téléphones intelligents. Là-dessus, je tiens à mentionner le tout récent rapport très étoffé de la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes. Cette commission québécoise recommande sans réserve d’imposer aux sites pornographiques des vérifications d’âge fiables, non contournables et respectueuses de la vie privée.

Depuis quatre ans, il y a eu des progrès un peu partout par rapport à cet enjeu, sauf au Canada. Des avancées technologiques ont diminué les risques à la vie privée des clients. Les préjudices de la pornographie sur les enfants sont mieux documentés. Plusieurs gouvernements — notamment ceux de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Union européenne et d’une vingtaine d’États américains — sont passés à l’action. Pour ma part, j’ai retenu les suggestions et les critiques durant le long processus législatif du projet de loi S-210.

Là-dessus, je tiens à remercier le légiste Marc-André Roy de m’avoir aidée à reformuler et à préciser le libellé du texte et d’avoir pris le temps d’en discuter. Cela fait quatre ans et demi que je profite de son aide inestimable.

En politique, les perceptions l’emportent souvent sur la réalité. Bien que je sois féministe et progressiste, et que je sois en faveur d’une éducation sexuelle rigoureuse, j’ai été accusée d’essayer de censurer les scènes de nudité dans les émissions diffusées sur des plateformes comme Netflix ou HBO. Cette critique est née du fait que j’introduisais une infraction criminelle qui reflétait la définition du Code criminel du matériel sexuellement explicite.

Afin de désamorcer la controverse, j’ai choisi, dans cette version du projet de loi, le projet de loi S-209, un terme plus clair et moins ambigu, à savoir « matériel pornographique » plutôt que « matériel sexuellement explicite ». Le projet de loi définit ce nouveau terme comme suit, en reprenant la partie la plus pertinente de la définition actuelle du Code criminel :

Matériel pornographique s’entend de toute représentation photographique, filmée, vidéo ou autre [...] dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, des seins, des organes génitaux ou de la région anale d’une personne, à l’exclusion [de la] pornographie juvénile [...]

Il est important de comprendre que l’expression « dans un but sexuel » est essentielle. Il ne s’agit pas de simples scènes de nudité.

Il est également essentiel de rappeler que, dès le départ, le projet de loi prévoit une exception pour le matériel pornographique utilisé à des fins légitimes liées à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts, comme une série diffusée sur HBO, par exemple.

Il ne s’agit pas de censure, mais de protéger les enfants de la même manière qu’une société le fait dans le cas de l’alcool et de la drogue : en exigeant des détaillants qu’ils vérifient l’âge des acheteurs.

Soyons clairs : le projet de loi S-209 n’aura aucune incidence sur la capacité des adultes à accéder à la pornographie. Il ne s’agit pas d’une atteinte à la liberté d’expression, comme certains le prétendent. En Europe, les sites pornographiques qui ont contesté les lois sur la vérification de l’âge n’ont pas réussi à avoir gain de cause. Aux États-Unis, un pays réputé pour sa protection passionnée de la liberté d’expression, les sites pornographiques qui ont contesté les lois des États ont échoué jusqu’à présent. Une décision de la Cour suprême des États-Unis sera rendue sous peu.

Le deuxième amendement majeur apporté au projet de loi S-209 porte sur la vérification de l’âge des utilisateurs au moyen de récentes avancées technologiques. La version précédente du projet de loi exigeait une vérification de l’âge, c’est-à-dire authentifier l’identité de l’utilisateur. Cela soulevait des questions en matière de protection de la vie privée.

Pour tenir compte de cet enjeu, nous avons suivi l’exemple du Royaume-Uni en autorisant des dispositions relatives à l’estimation de l’âge. Je dis bien « estimation de l’âge » et non « vérification de l’âge ».

Ces dernières années, l’estimation de l’âge à partir du visage, rendue possible avec l’intelligence artificielle, est devenue beaucoup plus précise, avec une marge d’erreur considérablement réduite. Cette technique ne nécessite aucune preuve d’identité, donc moins de données personnelles sont collectées. De plus, une nouvelle technologie de la France permet d’estimer l’âge d’une personne à partir d’une simple vidéo de sa main en mouvement, réduisant ainsi davantage les risques liés à la confidentialité.

Oui, la technologie évolue. C’est parfois un peu effrayant.

Ce ne sont là que quelques exemples des progrès réalisés. Soyons clairs, les mesures législatives décrivent uniquement les grands types de méthodes de vérification et d’estimation de l’âge. Elles ne précisent pas quel mécanisme au juste sera autorisé. Nous laissons le gouvernement prendre ces décisions pendant la phase réglementaire, soit le moment approprié pour évaluer les détails techniques. D’autres gouvernements adoptent la même approche, reconnaissant la nécessité de s’adapter aux progrès technologiques en cours et d’apporter les ajustements nécessaires.

On a également soulevé des inquiétudes quant à la manière dont ce projet de loi garantira que les renseignements personnels des consommateurs de pornographie seront bien protégés, puis détruits le plus rapidement possible.

Nous nous sommes inspirés du témoignage du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Philippe Dufresne, devant le comité de la Chambre afin de renforcer et de clarifier les principes directeurs énoncés au paragraphe 12(2) du projet de loi.

Avant de choisir le bon mécanisme dans le cadre de la phase réglementaire :

le gouverneur en conseil vérifie [...]

— au lieu de « examine » afin d’avoir une formulation plus stricte —

[...] que le mécanisme envisagé :

a) est très efficace;

— l’autre version disait seulement « fiable » —

b) est l’œuvre d’une organisation tierce indépendante de toute organisation qui rend accessible sur Internet du matériel pornographique à des fins commerciales;

Puis, plus loin :

e) ne recueille que les renseignements personnels qui sont absolument nécessaires à la vérification ou à l’estimation de l’âge [...]

Je souligne qu’avant son témoignage devant le comité de la Chambre des communes au printemps dernier, le commissaire Dufresne avait lancé des consultations à l’échelle du Canada sur la vérification de l’âge et avait participé à un groupe de travail international sur la question. C’est dire qu’il est bien renseigné.

Au-delà des modifications mentionnées, l’essence du projet de loi demeure, en particulier, l’infraction criminelle prévue à l’article 5 du projet de loi :

Toute organisation qui rend accessible à un jeune du matériel pornographique sur Internet à des fins commerciales est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible, a) pour une première infraction, d’une amende maximale de 250 000 $ [...]

Dans la pratique, cependant, il est peu probable qu’une telle amende soit imposée, étant donné que la plupart des sites pornographiques sont établis à l’étranger.

C’est pourquoi le projet de loi S-209 prévoit également une procédure administrative. Un organisme désigné pourrait demander au tribunal fédéral d’ordonner le blocage des sites non conformes au Canada. Cette procédure ne serait appliquée qu’après l’émission d’un avis et l’expiration d’un délai de 20 jours.

Cela signifie que les sites pornographiques non conformes pourraient être bloqués même s’ils sont établis à l’étranger.

Il est important de souligner que le projet de loi ne vise que les organisations et non les individus.

Il y a une autre amélioration dans le projet de loi : nous avons ajouté deux articles pour préciser sa portée. À l’article 6, on exclut les organisations qui, de façon incidente et non délibérée, ne font que transmettre du matériel pornographique. Cela veut dire, par exemple, que les fournisseurs de services Internet, comme Vidéotron et Bell, ne sont pas visés par la loi.

La portée du projet de loi est une préoccupation légitime, car il y a de plus en plus de médias sociaux, en dehors des plateformes consacrées à la porno, qui autorisent la diffusion de matériel pornographique sur les comptes de leurs abonnés. C’est le cas notamment de X, qui s’appelait auparavant Twitter, où l’on estime que 13 % des contenus sont pornographiques. Il y en a beaucoup d’autres, et la recherche indique que les mineurs en consomment autant, sinon plus sur les réseaux sociaux que sur les plateformes des géants de la porno comme Pornhub.

Techniquement, il est tout à fait possible d’estimer l’âge des clients sur les comptes porno d’un média social sans empêcher les clients d’avoir accès librement aux autres contenus sur ces plateformes. Pourquoi? Parce que ce contenu porno est déjà identifié. Les réseaux sociaux ajoutent automatiquement une page d’accueil qui indique qu’il s’agit de matériel pour adulte. Donc, l’estimation de l’âge serait ciblée.

Dans leur loi sur les préjudices en ligne, les Britanniques exigent l’estimation ou la vérification de l’âge pour tous les comptes qui diffusent de la porno, que ce soit sur les médias sociaux ou les sites pornos, de manière à protéger les enfants de la porno en ligne, où qu’elle soit diffusée. C’est logique. Il s’agit toutefois d’un exercice délicat que de déterminer exactement la portée du projet de loi dans son application concrète.

Nous avons encore là choisi de laisser une importante marge de manœuvre au gouvernement. À l’alinéa 12(1)a), on indique donc que le gouverneur en conseil a le pouvoir de préciser les circonstances dans lesquelles du matériel pornographie rendu accessible gratuitement vise ou non des fins commerciales. Cela relève donc encore une fois de l’étape de la réglementation, car Internet est un espace en constante évolution.

Les projets de loi d’intérêt public servent notamment à mettre en lumière des angles morts du gouvernement. Pour être bien franche, je croyais que le dernier gouvernement inclurait en 2024, dans son vaste projet de loi C-63 sur les préjudices en ligne, l’obligation pour les sites pornos de vérifier l’âge de leur client. Il ne l’a pas fait, ce qui est évidemment son choix. Tout ce qui est mentionné dans le texte législatif mort au Feuilleton, en termes vagues, est ce qui suit : les exploitants des sites doivent protéger les enfants avec des caractéristiques de conception adaptées à l’âge. C’est vague; une commission décidera de la suite. J’ai suivi les débats dans les autres pays. Il me semble que la volonté politique doit s’exprimer clairement dès l’étape du projet de loi, plutôt que de laisser les choix difficiles aux organismes de réglementation en raison de la puissance des adversaires, particulièrement l’industrie pornographique.

Prenons le cas de l’Union européenne, qui vient d’ouvrir une enquête sur Pornhub, Stripchat, XVideos et XNXX, parce que ces sites sont soupçonnés de ne pas avoir bloqué l’accès aux mineurs. Pourtant, une loi en vigueur depuis deux ans interdisait un tel accès à la porno aux jeunes âgés de moins de 18 ans. Pas plus tard qu’aujourd’hui — parce que cette guerre continue —, Pornhub et les autres sites d’Ethical Capital Partners, une entreprise d’Ottawa, viennent d’annoncer qu’ils cessent de diffuser en France justement parce qu’on les oblige à vérifier l’âge des clients. Selon la ministre française déléguée chargée du Numérique, Mme Clara Chappaz, c’est carrément du chantage et des mensonges que de prétendre que les mécanismes de vérification de l’âge français ne garantissent pas la vie privée. Il est vrai que la France a travaillé plusieurs années sur ce qu’on appelle le double anonymat pour s’assurer que ce qu’elle demandait aux sites pornos avait du sens. Je trouve que cette attitude, c’est-à-dire de prétendre que les lois adoptées par les gouvernements démocratiques nous déplaisent et que nous quittons donc le pays, est un peu difficile à accepter.

Il faut dire que l’industrie de la porno n’a jamais cru bon de s’autoréglementer. La première enquête de fond qui a été publiée récemment au Québec sous le titre L’empire du sexe a révélé que les anciens patrons de Pornhub ne reculaient devant rien pour attirer les clients, notamment en choisissant des titres accrocheurs, en laissant entendre qu’on mettait en scène des filles mineures et en faisant preuve d’aveuglement et de lenteur à retirer des vidéos d’exploitation sexuelle de jeunes filles mineures.

Tant qu’il n’y a pas d’exploitation sexuelle d’enfants, la pornographie est un divertissement pour adulte tout à fait légal et ce n’est pas mon combat. Quand elles sont consommées par des enfants, toutefois, ces millions de scènes hardcore peuvent démolir leur vie intime et, par extension, leur perception de l’égalité entre les femmes et les hommes. On peut certainement diverger d’opinion sur les moyens de protéger les enfants de ces préjudices. L’éducation sexuelle à l’école et le rôle des parents sont effectivement essentiels, mais pas suffisants pour endiguer ce flot d’images pornos qui occupent le tiers de la bande passante sur Internet.

Le processus législatif qui s’enclenche, je l’espère, nous permettra d’améliorer encore le texte législatif, mais le réel défi, à mon avis, sera de trouver la volonté politique d’agir — même avec une loi imparfaite — et de protéger nos enfants, comme nous le demandent les parents. D’autres pays qui nous ressemblent l’ont fait.

Comme vous vous en souviendrez peut-être, j’ai appuyé ce projet de loi au cours de la dernière législature, avant qu’il ne soit renvoyé à la Chambre des communes, et je crois comprendre que certains changements y ont été apportés à l’étape de l’étude du comité. Je vous remercie infiniment de votre discours exhaustif qui a mis en évidence les questions que nous examinons ici. Parmi les changements que vous avez mentionnés dans votre discours d’aujourd’hui et qui ont été apportés à la nouvelle version de votre projet de loi, y en a-t-il qui découlent de changements apportés par la Chambre des communes, ou s’agit-il de changements supplémentaires?

La sénatrice Miville-Dechêne [ + ]

Si vous me le permettez, je vais répondre en français parce que c’est un peu technique.

On ne s’est pas rendu à l’étape de la présentation d’amendements au comité de la Chambre des communes. En fait, le débat a été très court et il y a eu des objections. Vous savez, à la Chambre des communes, il y a un délai de 90 jours; il y a des délais très prescriptifs. Quand on dépasse ces délais, le projet de loi s’en va tout de suite à l’étape du rapport et à la troisième lecture. C’est ce qui est arrivé à mon projet de loi, malheureusement.

Cela dit, dans les changements que j’ai faits, j’ai tenu compte des brèves allocutions qui ont été prononcées à la Chambre des communes et aussi de certaines suggestions qui ont été faites par les différents partis politiques. J’ai donc vraiment essayé, dans cette nouvelle version, de tenir compte des inquiétudes.

Toute la question de la vie privée, par exemple, est une inquiétude bien réelle que je comprends. Cependant, vous voyez ce qui se passe en ce moment en France. C’est l’entreprise Pornhub elle-même qui a dit qu’aucune solution ne trouvait grâce à ses yeux, parce qu’il y avait un problème sur le plan de la vie privée. Cette attitude encourage ce manque de confiance dans différents systèmes. Or, la technologie progresse et ces vérifications se font de plus en plus avec la plus petite quantité d’information possible. Je ne vous dis pas que c’est sûr à 100 %.

Aucune technologie n’est sûre à 100 %, mais je dirais qu’il faut mesurer l’écart qui existe entre la protection des enfants et l’idée que tout un chacun peut entrer sur des sites pornos sans prendre 10 ou 20 secondes pour s’identifier. Je ne considère pas qu’il s’agit ici de parler de liberté d’expression, et je crois que nous avons ici un choix de société à faire.

Le gouvernement fédéral précédent était contre ce projet de loi. Je demande à présent que cet enjeu qui est particulièrement grave soit abordé et que l’on fasse quelque chose. Que ce soit en présentant un projet de loi privé, un projet de loi gouvernemental ou autre, je crois qu’il faut aller de l’avant.

J’ai une autre question. Je suis d’accord avec vous, il faut effectivement veiller à ce que des mesures considérables soient prises pour lutter contre un problème aussi grave. À cet égard, j’ai également aimé la partie de votre discours où vous avez parlé de l’ancien projet de loi C-63 du gouvernement; je crois qu’on l’appelait la Loi sur les préjudices en ligne. Ce projet de loi n’a jamais été renvoyé au Sénat, il est mort au Feuilleton à la Chambre des communes au moment de la prorogation, puis de la dissolution.

Je me demande si, au cours de la dernière campagne électorale, le Parti libéral — qui est maintenant au pouvoir — a fait des promesses à ce sujet ou si cela faisait partie de son programme électoral.

La sénatrice Miville-Dechêne [ + ]

Malheureusement non, mais je pense que le gouvernement a surtout dû s’occuper d’autres crises, à commencer par les crises économiques et les relations avec notre pays voisin. Je souhaite seulement que, même s’il y a beaucoup d’autres priorités, ce dossier, où il est question de protéger les enfants, soit pris en considération, et que si un autre projet de loi sur les préjudices causés aux enfants en ligne est présenté, cette question en fasse partie. Je vous remercie.

L’honorable Marilou McPhedran [ + ]

Je tiens d’accord à vous féliciter de la ténacité et du courage indéniables dont vous faites preuve dans ce dossier. Je vous remercie aussi d’être prête à ne pas céder devant l’intimidation.

Les changements que vous avez accepté d’apporter à ce projet de loi n’enlèvent rien, selon moi, au fait qu’il s’agit d’une mesure législative sur les préjudices et le tort causés aux enfants. Il ne s’agit peut-être pas de mauvais traitements physiques comme on les conçoit habituellement, mais il s’agit tout de même d’agressions.

Je me demande si vous pourriez nous parler de l’opposition que vous n’avez pas mentionnée dans la présentation du projet de loi, mais avec laquelle vous avez dû composer, puisque vous refusez de baisser les bras.

La sénatrice Miville-Dechêne [ + ]

Merci, madame la sénatrice McPhedran.

Il est évident que la pornographie est un sujet controversé. J’ai reçu de nombreuses critiques sur Internet; plusieurs n’étaient pas particulièrement polies ou cordiales, on me décrit souvent comme une personne prude et on a essayé de m’associer aux chrétiens évangélistes américains qui, pour toutes sortes de raisons, n’aiment pas la pornographie. On a également tenté de faire croire que j’étais manipulée par d’autres gens.

Je crois que la qualité de ce projet de loi lui permet de recueillir l’appui tant des conservateurs que des milieux plus progressistes, mais il ne fait jamais l’unanimité. Dans les milieux politiques, j’ai en effet constaté que le fait de demander que les enfants ne regardent pas de la porno est vu comme une entrave à la liberté sexuelle. Cela me semble particulièrement odieux, car les deux ne sont pas équivalents. Je réponds souvent à ces parlementaires en leur demandant s’ils ont visionné ces plateformes pornos. Je ne parle pas des magazines Playboy ou Penthouse; je parle de matériel difficile à regarder. Après avoir rédigé ce projet de loi et avoir visionné une tonne de matériel, j’ai encore des images dans la tête, et ce, malgré mon âge. Imaginez donc ce que cela fait aux enfants. Une femme m’a d’ailleurs écrit aujourd’hui pour me dire que son enfant était devenu complètement agressif après avoir visionné de la porno et qu’il s’en est pris à ses frères et sœurs.

Il ne faut donc pas prétendre que cela n’arrive jamais et qu’il ne s’agit que de simples anecdotes. Je sais que la recherche n’est pas complète sur le sujet, car il est difficile d’asseoir des enfants devant des images pornos et de mesurer l’impact que ces images ont sur eux. On ne peut que faire des corrélations. Il y a maintenant tellement de liens à faire entre les préjudices et la dépendance induite par le visionnement de pornographie par les enfants que cela nous oblige à agir. Bien sûr, on n’en entend pas parler tous les jours, car plusieurs d’entre nous sont des grands-parents, mais pour les parents, l’Internet tout entier est problématique, et ce dont je vous parle aujourd’hui l’est encore davantage.

Donc, oui, j’ai dû faire face à des arguments et des critiques qui m’ont complètement sidérée, mais c’est le propre de beaucoup de projets de loi, alors je ne m’en plains pas et je continue mon travail pour et au nom des enfants.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) [ + ]

Je tiens seulement à dire, à titre de porte-parole de l’opposition, que j’appuie ce projet de loi. Vous avez fait un très bon discours et vos collègues ont posé d’excellentes questions. J’espère donc que le Sénat voudra bien accélérer le processus législatif, parce qu’il s’agit d’une question très importante et très grave. Je promets de revenir très rapidement sur le sujet.

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