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Projet de loi sur le vote à seize ans

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

6 novembre 2025


L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum.

Je remercie la sénatrice McPhedran pour son engagement envers les jeunes et pour avoir présenté ce projet de loi. Tout comme elle, je crois profondément en l’importance de susciter l’intérêt des jeunes pour la démocratie et la participation civique ou politique. Cependant, je pense que traiter une question aussi importante ne devrait pas se faire au détriment de la légitimité démocratique.

C’est précisément pour cette raison, chers collègues, que je ne peux pas appuyer ce projet de loi.

Derrière cette proposition apparemment simple — ramener l’âge du droit de vote à 16 ans — se cachent deux problèmes fondamentaux. Le premier concerne la légitimité de la modification par la Chambre non élue des règles qui déterminent qui peut élire la Chambre élue, et le second concerne la maturité civique des jeunes de 16 ou 17 ans.

Chers collègues, rien dans la Constitution n’empêche le Sénat de présenter un projet de loi concernant la Loi électorale du Canada, mais la question ici n’est pas constitutionnelle; elle est politique et institutionnelle. Autrement dit, le Sénat peut le faire, mais il devrait s’en abstenir. Faire preuve de retenue dans ce domaine n’est pas une faiblesse, chers collègues, mais une tradition démocratique fondée sur le sens commun. Le Sénat ne représente pas directement la population, et il serait paradoxal que la Chambre non élue redéfinisse qui peut voter pour élire les députés.

Dès 2008, lors de l’étude du projet de loi C-29, qui visait à modifier la Loi électorale du Canada, le ministre de la Réforme démocratique, Peter Van Loan, a lancé un appel clair au respect du rôle de la Chambre élue :

C’est avec optimisme que j’espère que, lorsque le projet de loi aboutira au Sénat dominé par les libéraux, les sénateurs respecteront l’importance d’une décision prise par la Chambre des communes relativement à l’élection des députés et aux règles qui les régissent. J’espère que les sénateurs ne saisiront pas cette occasion pour faire de l’obstruction et pour retarder le projet de loi au profit de leurs intérêts partisans, mais qu’ils respecteront une décision de la Chambre des communes relative à l’élection des députés.

Puis, 10 ans plus tard, en 2018, lors de l’étude du projet de loi C-76, qui visait à réformer en profondeur la Loi électorale du Canada, le député néo-démocrate Daniel Blaikie a critiqué le choix du gouvernement d’attribuer au Sénat, plutôt qu’à la Chambre des communes, la responsabilité d’apporter certains amendements au projet de loi. Il a ensuite rappelé ceci à la Chambre :

Pourquoi devons-nous dépendre d’une Chambre non démocratique pour apporter des modifications à nos instruments de démocratie, ici, au Canada?

Comme l’a dit notre collègue le sénateur Dalphond lors du débat sur une version antérieure de ce projet de loi :

[...] il serait très délicat que des personnes qui ne sont pas élues décident ce qui est bon pour les élus et décident qui devraient être les élus. [...]

C’est à l’autre endroit de lancer ce type de réforme importante.

Depuis l’adoption de la version actuelle de la Loi électorale du Canada en 2000, 21 projets de loi émanant du Sénat visaient à la modifier. Un seul d’entre eux a reçu la sanction royale : le projet de loi S-4, en 2022, qui a été adopté dans le contexte de la pandémie. Son objectif n’était pas de réformer le système électoral, mais d’apporter une modification au paragraphe 175(9) de la Loi électorale du Canada afin d’autoriser l’utilisation générale des télécommunications pour demander ou délivrer des brefs, une mesure purement administrative et accessoire.

En revanche, le projet de loi S-222 est une mesure qui vise un pilier central du droit électoral. Ce faisant, il franchit une ligne que le Sénat a toujours respectée : celle de la retenue institutionnelle. Si nous commençons à redéfinir unilatéralement le droit de vote, nous risquons non seulement de miner notre légitimité, mais aussi de créer un dangereux précédent. Ce précédent risquerait de justifier, à l’avenir, de nouvelles interventions du Sénat dans des domaines qui relèvent directement de la compétence de la Chambre élue. Une fois cette ligne franchie, il serait très difficile de revenir en arrière.

Le Sénat s’attire déjà le scepticisme de la population. Nul besoin d’exacerber le doute en nous substituant à la Chambre des communes sur des questions fondamentales en lien avec le suffrage universel.

Il ne s’agit pas d’une question partisane. Il s’agit de respecter le mandat démocratique de l’autre endroit. La Chambre des communes représente les citoyens parce qu’elle est élue par eux. Si les députés, après consultation, décidaient d’abaisser l’âge de voter, cela relèverait de leur responsabilité et de leur droit légitime. Mais le Sénat, chambre nommée, ne peut imposer une telle réforme d’en haut. Cela reviendrait à usurper le pouvoir du peuple.

Il convient de rappeler que la question de l’âge de voter n’est ni nouvelle ni négligée par la Chambre des communes. Ce débat y a déjà eu lieu à plusieurs reprises. Depuis la 42e législature, au moins six projets de loi ont été présentés à la Chambre des communes en vue d’abaisser l’âge de voter à 16 ans. Au cours de la 44e législature, deux projets de loi presque identiques ont été présentés : le projet de loi C-210 du député Taylor Bachrach et le projet de loi C-227 du député Don Davies. Le projet de loi C-210 a été rejeté à l’étape de la deuxième lecture le 28 septembre 2022, lors d’un vote par appel nominal : 77 voix pour, 246 contre. Près des trois quarts des députés s’y sont opposés. Le projet de loi C-227 n’a même pas franchi l’étape de la deuxième lecture, chers collègues.

Autrement dit, la Chambre des communes s’est clairement et démocratiquement — et sans équivoque — prononcée contre la mesure.

C’est le nœud du problème. Il ne s’agit pas simplement d’un projet de loi électorale présenté par une Chambre non élue, mais d’une mesure législative que la Chambre élue a déjà débattue et rejetée catégoriquement. Rouvrir ce débat au Sénat reviendrait à contourner la volonté des Canadiens, qui a été exprimée par leurs représentants légitimes.

Ce n’est pas le rôle du Sénat de revenir sur une décision déjà prise démocratiquement à plusieurs reprises dans l’autre endroit. Comme nous l’a rappelé sir John A. Macdonald, notre rôle est d’être une Chambre de second examen objectif, et non une Chambre d’initiative populaire.

J’en viens maintenant au second volet de mon intervention : la question de la maturité et de la responsabilité dans la vie citoyenne. C’est sur cet élément que je fonde mon raisonnement pour considérer que l’âge du vote devrait rester fixé à 18 ans.

La Commission Lortie, à qui l’on a confié en 1989 le mandat d’examiner en profondeur notre système électoral, s’était déjà penchée sur cette question fondamentale. Elle avait conclu que la fixation de l’âge électoral doit correspondre au moment où les individus atteignent la maturité citoyenne, c’est-à-dire lorsqu’ils sont capables de comprendre les enjeux collectifs, de juger avec discernement et d’assumer les conséquences de leurs choix.

Cette même approche a été confirmée par le juge Lefsrud dans l’affaire Fitzgerald c. Alberta, lorsqu’il a souligné que l’objectif du législateur, en fixant une limite d’âge pour le droit de vote, était d’assurer que les électeurs disposent de la maturité nécessaire pour exercer ce droit de manière réfléchie et informée.

Ainsi, chers collègues, selon le juge et la commission, la ligne de démarcation pour le droit de vote repose sur une certaine maturité : la compréhension des enjeux de la vie civique, la capacité de juger et l’aptitude à assumer les conséquences de ses choix démocratiques.

La deuxième question est donc la suivante : pourquoi 18 ans et non 16 ans? À 18 ans, l’âge de la majorité, les jeunes Canadiens commencent à prendre leurs propres décisions, à comprendre la portée de leurs choix et à participer activement à la vie économique et sociale du pays.

Le juge Lefsrud l’a illustré comme suit :

En général, les jeunes de 18 ans [...] assument la responsabilité de voter en même temps qu’ils assument une plus grande responsabilité quant à l’orientation de leur vie.

Chers collègues, je sais que déterminer l’âge de voter n’est pas une question simple. Les arguments avancés par la sénatrice McPhedran et ceux qui appuient la proposition d’abaisser cet âge à 16 ans sont sincères et ils méritent d’être pris en considération. Néanmoins, je pense que certains points de repère dans notre société nous aident à déterminer plus précisément à quel moment la maturité civique se manifeste pleinement, et ils nous ramènent clairement à 18 ans.

Sur le plan fiscal, par exemple, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2025, seuls 3,1 % des jeunes de 16 ans ou 17 ans paient l’impôt fédéral sur le revenu, contre 96,9 % qui ne le paient pas. Cette proportion est en baisse constante depuis 2021, alors que 15,3 % de ces jeunes payaient de l’impôt. Autrement dit, moins d’un jeune sur trente participe actuellement au financement de l’État.

En revanche, parmi les jeunes de 18 ans, qui viennent d’atteindre l’âge de la majorité, la participation à la vie économique augmente fortement, puisque 43,3 % d’entre eux paient de l’impôt fédéral sur le revenu. Cette forte augmentation illustre la transition qui se produit à 18 ans, lorsqu’une proportion importante des jeunes Canadiens commence à contribuer de manière tangible au financement des services publics et à prendre des responsabilités liées à la citoyenneté.

Cependant, pour la grande majorité des moins de 18 ans, la participation à la vie économique et la contribution citoyenne demeurent largement théoriques.

Légalement, en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, les jeunes âgés de 16 et 17 ans ne sont pas jugés comme des adultes. Ils ne peuvent pas exercer les fonctions de juré ni signer certains types de contrats sans le consentement de leurs parents.

Même au sein des Forces armées canadiennes, l’enrôlement à 16 ans nécessite un consentement explicite, et aucun déploiement actif n’est autorisé avant l’âge de 18 ans.

Aussi, l’âge minimum pour acheter de l’alcool ou du cannabis est de 18 ou 19 ans, selon la province, et la conduite automobile est régie par un système de permis de conduire par étapes progressives qui limite la conduite entièrement indépendante jusqu’à l’âge de 18 ans, voire 20 ans à certains endroits.

Honorables sénateurs, voter n’est pas un exercice pédagogique, c’est un geste responsable. Voter, c’est choisir le gouvernement qui fixera les taux d’imposition, adoptera un budget et définira les politiques de sécurité et de défense du pays.

Chers collègues, il n’y a aucun mépris dans ma position. Les jeunes Canadiens sont brillants, curieux et mobilisés. Leur engagement devrait continuer à s’exprimer par d’autres moyens : le bénévolat, les conseils de jeunes, les campagnes communautaires et, bien sûr, le militantisme politique.

Fixer l’âge du droit de vote à 18 ans n’est donc pas de l’exclusion, mais une question de cohérence. Cela reflète une démocratie solide fondée sur la cohérence et sur le lien indissociable entre les droits et les devoirs.

Évidemment, remettre en question l’âge du droit de vote n’est pas problématique en soi. Au contraire, dans toute démocratie, il est sain de remettre en question les pratiques démocratiques, à condition de s’en tenir aux limites établies, en particulier celles que nos deux Chambres parlementaires doivent respecter.

La commission Lortie a recommandé que le Parlement réévalue périodiquement cette question. Cette réévaluation est déjà en cours là où elle doit avoir lieu, c’est-à-dire à la Chambre des communes.

Des élus ont débattu de cette question à plusieurs reprises et ont choisi, avec toute la légitimité démocratique nécessaire, de maintenir le seuil actuel. Pour le moment, rien n’indique qu’il faille changer ce seuil, et l’initiative ne devrait certainement pas venir d’une Chambre non élue. J’en suis fondamentalement convaincu. Préserver la cohérence et la légitimité de nos institutions est notre responsabilité première.

Honorables collègues, je tiens également à dire que, comme nous le savons tous, le cynisme à l’égard de la politique, de la vie politique et du processus électoral commence à prendre une ampleur importante.

Alors, sénatrice McPhedran, pourquoi diable voudrions-nous que les jeunes, qui sont naturellement optimistes et ouverts d’esprit, se précipitent pour participer à un processus politique qui engendre invariablement un certain cynisme? Laissons ces jeunes continuer à être libres, à s’épanouir et à réfléchir sans stress, sans pression et sans le cynisme que le processus électoral engendre invariablement après un certain temps.

Par conséquent, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, chers collègues, je ne peux pas appuyer ce projet de loi. Merci.

L’honorable Marilou McPhedran [ - ]

Merci beaucoup, sénateur Housakos, pour ce discours très intéressant. Je voudrais faire une remarque, puis poser une question.

Il est fascinant de vous entendre qualifier ce processus de réforme imposée d’en haut...

Son Honneur le Président intérimaire [ - ]

Sénatrice McPhedran, je veux m’assurer de bien comprendre. Allez-vous poser une question?

La sénatrice McPhedran [ - ]

Oui, merci.

Son Honneur le Président intérimaire [ - ]

Sénateur Housakos, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Housakos [ - ]

Absolument, avec plaisir.

La sénatrice McPhedran [ - ]

C’est très intéressant que vous qualifiiez cela de réforme imposée d’en haut. Je suppose que cela signifie que vous considérez le Sénat comme une instance supérieure à la Chambre des communes. Je suis loin d’avoir votre expertise en matière d’histoire et de procédure au Sénat. D’après ce que je comprends — et je voudrais vous demander si c’est également votre interprétation —, avant d’entrer en vigueur, les dispositions contenues dans un projet de loi doivent être adoptées par les deux Chambres. J’espère donc que vous pourrez m’aider à comprendre pourquoi vous qualifiez cela de réforme imposée d’en haut.

En outre, connaissez-vous une règle de procédure qui empêche un sénateur de présenter un projet de loi? Nous avons fait des recherches approfondies à ce sujet et nous n’avons rien trouvé, mais peut-être que, grâce à votre grande expérience, vous connaissez une règle de procédure qui empêche cela.

Le sénateur Housakos [ - ]

Merci. Chers collègues, il ne fait aucun doute que nous sommes ici dans la Chambre haute. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle ainsi. Elle jouit de certains droits et privilèges dont l’autre Chambre ne dispose pas, même si, en réalité, les deux Chambres ont été créées par la Constitution sur un pied d’égalité totale. Je pense que c’est l’article 18 de la Constitution qui confère au Sénat les mêmes droits, autorités et pouvoirs que ceux dont dispose la Chambre, sénatrice McPhedran.

Cela dit, nous reconnaissons également que, dans le système parlementaire britannique, nous ne fonctionnons pas uniquement selon les règles écrites, de sorte que vous vous méprenez dans votre perspective. Nous fonctionnons également, et même beaucoup, sur la base des précédents. Par exemple, en vertu de la Constitution, nous avons le droit de rejeter un budget. Nous avons le droit de présenter des projets de loi qui nous permettent de dépenser de l’argent. Rien dans le Règlement ne nous en empêche. Cependant, nous avons appris au fil du temps que nous sommes une institution démocratique et qu’entre 1875 et 2025 — je dirais même 1995 —, la perception des parlements a évolué.

Nous devons être très conscients et prudents quant aux droits inhérents, aux droits démocratiques que possède la Chambre élue et que nous cédons. Je n’ai jamais dit que ces droits ne figuraient pas dans la Constitution. Toutefois, comme je l’ai mentionné dans mon discours, nous les cédons en faisant preuve de bon sens et en adoptant une approche modérée, conscients de ce que nous pouvons faire et justifiant ce que nous ne pouvons pas faire.

Par exemple, nous avons fini par accepter le principe selon lequel il ne peut y avoir de taxation sans représentation. Par conséquent, il y a certaines choses que nous ne faisons pas ici. Ce n’est pas une règle écrite. De plus, je pense que c’est une question de bon sens quand il s’agit de modifier la Loi électorale et d’imposer à l’autre Chambre des règles qui déterminent la façon dont elle est gouvernée. Je pense que cela dépasse les limites et que la plupart des sénateurs le reconnaîtront.

Dans quelle mesure veillons-nous, dans le cadre des principes de notre système, à ce qu’il y ait une séparation claire entre les deux Chambres? À mon avis, il s’agit clairement d’une violation des droits fondamentaux de l’autre endroit par la Chambre haute.

Je pourrais parler longtemps des raisons pour lesquelles nous sommes perçus comme étant — et sommes en réalité — la Chambre haute. Il suffit de consulter la liste protocolaire du pays, où le Président du Sénat occupe le quatrième rang, tandis que le Président de la Chambre des communes occupe le cinquième rang. Le Président du Sénat ne représente pas uniquement la Couronne, mais aussi le gouvernement. Sa nomination se fait par décret, tandis que le Président de l’autre endroit est élu et représente la Chambre des représentants élus.

Je pourrais parler encore longtemps de ce qui, en réalité, fait du Sénat la Chambre haute et des raisons pour lesquelles un tel projet de loi risque d’être perçu comme étant déplacé de notre part dans un système parlementaire démocratique.

La sénatrice McPhedran [ - ]

Merci beaucoup, sénateur Housakos. J’ai une autre question et une énigme que j’espère que vous pourrez m’aider à résoudre.

Au cours des 20 dernières années, ce qui comprend toutes vos années en tant que sénateur — je sais que vous n’êtes pas ici depuis 20 ans; vous êtes beaucoup trop jeune pour cela —, 15 projets de loi modifiant la Loi électorale du Canada ont été présentés au Sénat. Vous ne vous êtes jamais prononcé contre cette idée et vous n’avez jamais voté contre le fait qu’elle soit présentée au Sénat, alors qu’il s’agissait d’une modification de la Loi électorale du Canada; dans un cas, la proposition était faite par un sénateur conservateur.

Pourriez-vous m’aider à comprendre en quoi ce projet de loi visant à étendre le droit de vote aux jeunes de 16 et 17 ans est à ce point différent des propositions précédentes que vous vous y opposez?

Le sénateur Housakos [ - ]

Sénatrice McPhedran, vous faites référence à l’unique projet de loi sur Élections Canada que j’ai appuyé. Je ne me souviens pas des détails, mais je me souviens que c’était il y a de nombreuses années. Je suis au Sénat depuis plusieurs années.

En réponse à votre question, je dirais que tout évolue ici, y compris notre façon d’aborder certains dossiers. À l’époque, j’étais jeune, naïf et moins expérimenté qu’aujourd’hui. Cela montre qu’avec le temps et l’expérience, on devient plus sage et plus modéré dans sa façon d’aborder les choses.

L’honorable Paulette Senior [ - ]

Le sénateur Housakos accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Housakos [ - ]

Oui.

La sénatrice Senior [ - ]

Sénateur Housakos, je m’interroge sur les autres pays parmi nos pairs, dont le Royaume-Uni, qui étendent le droit de vote aux jeunes de 16 et 17 ans. Je suppose qu’ils ont mené un travail approfondi avant de prendre cette décision qui vise à promouvoir la démocratie dans leur pays.

Croyez-vous que le niveau de maturité et les capacités des jeunes du Canada sont différents de ceux des jeunes du Royaume-Uni et d’autres pays similaires?

Le sénateur Housakos [ - ]

Non, je ne le crois pas. Je pense que les jeunes de toutes les régions du monde partagent des traits communs. Encore une fois, je ne vois pas en quoi c’est pertinent dans le cadre de mon argumentation.

Ce que je veux dire, c’est qu’il ne nous revient pas de débattre de toutes les choses dont vous avez parlé. Elles doivent être débattues à l’autre endroit. J’ai également souligné dans mon discours qu’au cours des dernières années l’autre endroit les a examinées de près dans le cadre de deux projets de loi distincts portant sur l’âge du droit de vote. Je suppose qu’elle a également examiné ce qui se passe au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde.

Ce qui me préoccupe, ce n’est pas de savoir pourquoi un pays a choisi une limite d’âge différente de celle des autres. Là n’est pas le débat. Le débat porte simplement sur la question suivante : devrions-nous le faire? Plus important encore : devrions-nous avoir notre mot à dire en tant que sénateurs nommés par les premiers ministres? Je ne pense pas que ce soit une bonne façon de prendre une décision au sujet de la Loi électorale du Canada.

L’honorable Andrew Cardozo [ - ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Housakos [ - ]

Avec plaisir.

Le sénateur Cardozo [ - ]

Je ne discute pas du bien-fondé de la question. Je comprends les avantages et les inconvénients de l’abaissement de l’âge légal. Soit dit en passant, lorsque je prends part à des activités du programme S’ENgage avec des jeunes de 15 et 16 ans, je les invite souvent à débattre de cette question. Je constate qu’il y a parmi eux des jeunes qui sont pour et d’autres qui sont contre.

Votre allégation selon laquelle le Sénat ne devrait pas intervenir dans ce débat est, selon moi, problématique, car cela reviendrait à dire, pour la première fois, qu’il y a certaines choses auxquelles le Sénat ne devrait pas toucher, mais dont la Chambre des communes devrait s’occuper.

Par ailleurs, si on pousse votre argument jusqu’au bout, si l’autre endroit adoptait un tel projet de loi, vous diriez que nous ne devrions pas nous en occuper et que nous ne devrions pas le mettre aux voix, car nous ne devrions pas intervenir sur une question relative à la démocratie et à l’abaissement de l’âge. Est-ce que je comprends bien votre approche?

Le sénateur Housakos [ - ]

C’est le Sénat qui décide ce que nous pouvons ou ne pouvons pas faire. Nous prenons ces décisions à l’issue de débats et de discussions collectives. Par exemple, il y a de nombreuses années, le Sénat a décidé en se fondant sur un précédent que nous n’étions pas une Chambre de confiance, que nous ne modifierions pas les budgets et que nous ne les rejetterions pas. Nous étions d’avis que c’était une question de bon sens.

Si on examine les droits et les obligations constitutionnels du Sénat, on constate que ce dernier peut rejeter un budget s’il le souhaite. Si je comprends bien, vous dites que nous devrions exercer cette fonction. Nous avons fait un choix. Nous ne l’avons pas fait aujourd’hui. Le Sénat fait ce genre de choix depuis des décennies.

Tout ce que je dis, c’est que la Loi électorale ne relève pas de notre compétence, car nous n’avons rien à voir avec elle, tout comme lorsque nous tenons un vote de confiance sur le budget. Savez-vous ce qui se passe lorsqu’il y a un vote de confiance? Les travaux parlementaires prennent fin, et les politiciens se présentent devant les Canadiens pour se faire élire.

Savez-vous ce qui se passe lorsqu’on modifie la Loi électorale? Je vais vous le dire. On peut proposer et apporter toutes les modifications que l’on veut à cette loi, mais, le lendemain des élections, savez-vous ce que vous entendrez en entrant dans votre bureau? « Bonjour, monsieur le sénateur. »

Je suis conscient de nos droits et privilèges. Nous devons les protéger, les exercer avec sagesse et faire preuve de prudence lorsque nous sommes dans une position où nous pourrions dépasser les limites, car cela ne serait pas perçu positivement par la population canadienne. Surtout, cela ne serait pas perçu positivement par l’autre endroit.

À titre d’exemple, la Loi de 2014 instituant des réformes, a été adoptée en 2015 sans l’apport des sénateurs. L’autre endroit nous avait demandé de délibérer au Sénat et de voter en faveur de ces mesures législatives parce que, constitutionnellement, nous avons l’obligation et le droit de veiller à ce que les lois soient adoptées par les deux Chambres.

Tous les partis politiques avaient accepté ce projet de loi à l’unanimité — je ne sais pas combien d’entre vous étaient là à l’époque; très peu, je crois —, mais nous avions reçu la directive claire de ne pas participer aux caucus du côté de la Chambre des communes en ce qui concernait les travaux sur la Loi de 2014 instituant des réformes. Nous devions approuver ce projet de loi sans proposer d’amendement, car il touchait aux principes fondamentaux du processus électoral à la Chambre des communes. Le Sénat s’est toujours conformé à ce principe au cours des 25 à 35 dernières années.

Le sénateur Cardozo [ - ]

Pour clarifier les choses, vous ne soutenez pas que nous devrions rester en dehors des questions électorales?

Le sénateur Housakos [ - ]

Ce que je veux dire, c’est que nous ne devrions pas modifier la loi électorale, car elle a une incidence directe sur la Chambre des communes, et aucune sur le Sénat. Voilà ce que je veux dire.

La sénatrice McPhedran [ - ]

Sénateur Housakos, à mes yeux, vous êtes éternellement jeune. La référence à votre maturité n’est peut-être pas la plus pertinente dans la présente discussion.

Je vais revenir en arrière, parce qu’une partie de ma question n’a pas été répondue.

J’aimerais que vous m’aidiez à comprendre pourquoi, bien que 15 projets de loi visant à modifier la Loi électorale du Canada aient été présentés au Sénat, votre argument n’a jamais été utilisé par les conservateurs, ou par tout autre sénateur, pour dire que ces modifications n’auraient pas dû être présentées ici. En quoi le projet de loi sur l’élargissement du droit de vote est-il si différent pour vous? Qu’est-ce qui le distingue à ce point des 15 autres projets de loi? Pendant votre mandat, vous ne vous êtes jamais opposé à aucun d’entre eux.

Le sénateur Housakos [ - ]

Je répondrai par une question. Voulez‑vous dire que nous avons été saisis de 15 projets de loi traitant spécifiquement de l’âge de voter au cours des 17 ans de mon mandat?

La sénatrice Martin [ - ]

La Loi électorale.

Le sénateur Housakos [ - ]

Exactement. Pour être clair, je précise que nous avons examiné beaucoup de projets de loi techniques qui n’avaient rien à voir avec quelque chose d’aussi important que la détermination de l’âge minimum des électeurs. Il s’agit d’une décision importante.

Il y a eu tellement de projets de loi techniques que je ne me souviens plus de la plupart d’entre eux. Il y en a toutefois un pour lequel je me souviens d’avoir voté. Encore une fois, j’attribue cela au fait que je ne pensais pas qu’il allait assez loin pour avoir une incidence sur le processus électoral.

Nous étudions ici de nombreux projets de loi qui sont de nature technique. Nous avons tous vu ces projets de loi. Je serais prêt à parier que, si je passais en revue les 15 projets de loi en question, je découvrirais que la grande majorité d’entre eux étaient de nature technique.

Encore une fois, s’il y a des cas — et je ne suis pas toujours parfait, même si je m’en approche autant que possible dans cette enceinte —, ma façon de voter n’est peut-être pas complètement exempte d’incohérences. Il y a ici un certain nombre de sénateurs qui, au fil des ans, ont voté en faveur de projets de loi, et, après coup, ces votes ne semblent pas toujours très judicieux. Avec le recul, on y voit toujours plus clair.

Dans le cas présent, je crois sincèrement que mon argumentaire repose sur le bon sens.

La sénatrice McPhedran [ - ]

Encore une fois, j’ai besoin de votre aide pour répondre à une question qui me laisse perplexe. Vous êtes certainement au courant du référendum écossais et de la décision prise par le Royaume-Uni d’étendre le droit de vote aux jeunes de 16 et 17 ans lors des prochaines élections fédérales dans les quatre pays.

Je me permets de vous poser une question en lien avec le très honorable Damian Green, un conservateur britannique, qui a dit que l’idée d’accorder le droit de vote aux jeunes de 16 ans avait été rejetée au motif qu’ils n’étaient pas suffisamment matures. Comme ils ne paient pas d’impôts, ils ne ressentiraient pas les conséquences de leur choix, ce qui correspond en substance à certains arguments que vous avez avancés aujourd’hui.

Toutefois, il a ajouté :

[...] nous étions convaincus de pouvoir transmettre nos arguments à une nouvelle génération [...]

 — c’est-à-dire la raison pour laquelle le Parti conservateur a changé sa position —

[...] Nous pourrions leur inculquer non seulement la bonne habitude de voter lors des élections [...]

 — et vous aimerez ceci —

[...] mais aussi l’habitude encore plus louable de voter pour les conservateurs.

C’est une citation du très honorable Damien Green.

Une autre voix conservatrice, Ruth Davidson, l’ancienne cheffe des conservateurs écossais — qui a également changé sa position —, a déclaré ceci :

Cependant, après avoir observé les jeunes de 16 et 17 ans et avoir débattu avec eux tout au long du référendum [...] ma position a évolué. Nous considérons que les jeunes de 16 ans sont suffisamment matures pour s’enrôler dans l’armée, avoir des relations sexuelles, se marier, quitter le domicile familial et travailler à temps plein. Les résultats du référendum indiquent clairement qu’ils sont aussi suffisamment matures pour voter.

Voici ma question. Vous êtes un sénateur conservateur estimé. Comment se fait-il que vous-même et vos collègues vous apprêtiez à vous prononcer contre ce projet de loi et que vous ne soyez même pas prêts à envisager ce qu’il propose, alors que vos collègues conservateurs du Royaume-Uni ont changé leur position d’une manière très éloquente et très logique?

Le sénateur Housakos [ - ]

Je ne veux pas faire d’amalgame entre l’expérience des Canadiens et celle des Britanniques, du Royaume-Uni, de l’Irlande ou d’autres pays. Je ne connais pas très bien le processus qui a mené à leurs conclusions.

Je ne sais pas, par exemple, si la Chambre des lords a participé à la modification de la loi électorale là-bas, ce qui aurait une incidence sur la Chambre des communes. Je l’ignore. Si c’est le cas, c’est à elle de justifier sa position.

Tout ce que je sais — et je l’ai dit clairement dans mon discours — c’est qu’au Canada, un jeune qui reçoit un permis de conduire à 16 ans est en probation; il ne peut pas obtenir son « vrai » permis de conduire avant 18 ans. Par ailleurs, il faut avoir au moins 20 ans pour faire partie d’un jury. Les activités des jeunes qui font partie des cadets sont aussi encadrées par certains paramètres. Au Canada, les tribunaux ne jugent pas les jeunes de la même façon que les adultes.

Si vous voulez, nous pouvons examiner tous ces éléments et déterminer l’âge auquel nous considérons qu’une personne est suffisamment mature pour s’acquitter de ces diverses tâches. Bien entendu, c’est subjectif, et les opinions varient. Prenons le nombre de jeunes âgés de 15 ans ou de 16 ans qui paient des impôts, assument entièrement leurs responsabilités, sont jugés dans un tribunal pour adultes, sont considérés comme des adultes au regard de la loi ou s’enrôlent comme militaires. Selon moi, nous ne considérons pas ces jeunes comme étant suffisamment matures pour s’adonner à ces activités. Pourtant, nous devrions leur donner le droit de voter, un droit qui, selon moi, doit être réservé aux actionnaires de l’entreprise qui participent à l’assemblée annuelle des actionnaires?

Comme vous le savez, madame la sénatrice, ce n’est pas une question partisane pour moi. Le Parti conservateur du Royaume-Uni peut avoir l’opinion qu’il souhaite. Je sais que certains ont fait valoir, il y a de nombreuses années au Canada, que les conservateurs ne voulaient pas abaisser l’âge de voter parce que les jeunes ne votaient pas pour eux et que leur base électorale était constituée de personnes âgées de 55 ans et plus. Nous avons vu lors de la dernière campagne électorale que ce n’est pas tout à fait le cas. Mon opinion n’a pas changé simplement parce qu’il est aujourd’hui plus opportun pour le Parti conservateur que les jeunes de 17 ans votent. En effet, nous avons fait un tabac auprès des 18 à 25 ans lors des dernières élections. Pour moi, cet argument n’est pas pertinent, car j’essaie d’être indépendant et ouvert d’esprit dans mon examen du projet de loi.

L’honorable Scott Tannas [ - ]

Nous parlons beaucoup de l’expérience du Royaume-Uni, et vous avez mentionné que vous ne la connaissiez pas très bien. Seriez-vous d’accord pour dire qu’il pourrait être utile à votre argumentaire de savoir que le Royaume-Uni est passé à 16 ans à la suite d’une promesse électorale du gouvernement? L’initiative viendra du gouvernement — ce n’est pas encore le cas, mais ses représentants sont en train de préparer un projet de loi —, et non d’un membre indépendant de la Chambre des lords. L’étape sera franchie après que la population se sera exprimée.

Les référendums sont également un moyen pour la population de s’exprimer. Nous ne parlons pas au nom de la population. Pensez-vous que cette information soutient votre argumentaire, monsieur le sénateur?

Le sénateur Housakos [ - ]

Oui, en effet. Je vous remercie pour toutes ces informations, car je vais me pencher sur la question. Je suis certain qu’autour d’une tasse de café, la sénatrice McPhedran et moi-même examinerons en détail la manière dont les choses se passent là-bas. Cela me semble tout à fait logique. Comme je l’ai mentionné, ma première réaction aurait été la surprise si cette initiative avait été prise par la Chambre des lords, par exemple, ou même si la Chambre des communes l’avait prise à la légère. Il s’agit d’idées très importantes qui influent sur le processus démocratique.

La sénatrice McPhedran [ - ]

Sénateur Housakos, il y a quelque temps, je vous ai envoyé un courriel avec une pièce jointe contenant une liste assez longue de travaux de recherche universitaires sur l’incidence de l’élargissement du droit de vote aux jeunes de 16 ans et de 17 ans et sur l’accueil favorable réservé à cette mesure par un certain nombre de dirigeants conservateurs, et pas seulement ceux dont nous avons parlé ici aujourd’hui. J’espère que vous avez lu cette pièce jointe. Dans ma question, je vais partir du principe que vous avez lu ce que je vous ai envoyé.

Vous savez que, selon ces travaux de recherche universitaire crédibles qui ont été publiés, notamment une étude longitudinale menée en Autriche depuis l’élargissement du droit de vote en 2007 jusqu’à aujourd’hui, la conclusion générale ou l’évaluation finale, c’est qu’il ne s’est rien passé de mauvais.

Ma question est la suivante : vous appuyez-vous sur d’autres études que vous avez trouvées ailleurs? Le cas échéant, pourriez-vous nous en parler?

Le sénateur Housakos [ - ]

La recherche n’a rien à voir là-dedans. C’est une question d’expérience. Pour moi, ce n’est pas une question partisane. J’ai lu tous les rapports qui disent qu’il est aujourd’hui dans l’intérêt du Parti conservateur d’abaisser l’âge du droit de vote. Cependant, comme je l’ai déjà dit dans ma réponse, et je le répète, cela ne fait pas partie de mes considérations dans la prise de cette décision. Vraiment pas.

Je le crois sincèrement, d’après mon expérience en tant que personne impliquée dans sa collectivité. J’ai moi-même élevé deux enfants. Pour dissiper tout malentendu, je vous dirais que, s’il y a quelqu’un ici qui défend la politisation et l’engagement politique des jeunes, c’est bien moi. J’ai commencé à militer au sein du mouvement conservateur à l’âge de 15 ans, en tant que membre officiel du parti et militant participant aux congrès. Croyez-le ou non, Peter Harder et moi étions présents au même congrès à l’époque. Nous soutenions d’ailleurs le même candidat.

Je pense que l’engagement politique est important. C’est quelque chose qu’il faut commencer dès le plus jeune âge. Cependant, je pense aussi que la citoyenneté canadienne confère certains privilèges et droits dont on peut profiter, mais qu’elle implique également certaines obligations et responsabilités. Je ne pense tout simplement pas qu’une personne de 15, 16 ou 17 ans ait suffisamment d’obligations ou de responsabilités pour se voir attribuer le privilège et le droit de voter. C’est une opinion personnelle. Elle ne repose pas sur des données ou des preuves scientifiques.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui, à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-222, qui a été présenté par la sénatrice McPhedran et qui vise à faire passer l’âge requis pour voter aux élections fédérales canadiennes de 18 ans à 16 ans.

La sénatrice McPhedran est une fervente défenseure de cette proposition de changement à la loi électorale. Depuis 2017, elle en a fait la promotion dans diverses versions antérieures du projet de loi à l’étude. Je salue sa passion et sa détermination à faire participer les jeunes au processus démocratique. Cependant, je ne pense pas que l’âge requis pour exercer le droit de vote, qui est un acte démocratique très important, doive être abaissé, ni que l’abaissement de l’âge électoral puisse avoir les effets espérés par la sénatrice McPhedran.

Généralement, la loi reconnaît qu’une personne atteint la maturité à 18 ans. C’est pourquoi, par exemple, il existe une loi distincte, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui traite des accusations criminelles visant les jeunes âgés de 12 à 17 ans. C’est également la raison pour laquelle les adolescents de moins de 18 ans n’ont pas le droit d’acheter de l’alcool ou des cigarettes. La plupart des salons de tatouage refusent de tatouer les jeunes de moins de 18 ans sans le consentement parental et, dans certains cas, sans la présence physique d’un parent.

Dans de nombreux domaines de la vie, les législateurs canadiens ont déterminé que l’âge minimum de 18 ans était approprié pour prendre des décisions de manière indépendante. Dix-huit ans est un âge raisonnable, et plus naturel pour prendre des décisions indépendantes sur des questions importantes ou juridiques. Cet âge coïncide généralement avec la fin — ou presque — des études secondaires. Pour de nombreux jeunes, c’est l’âge auquel ils commencent à s’éloigner physiquement de leurs parents et de leur foyer pour poursuivre des études postsecondaires, suivre une formation ou occuper un emploi. Il s’agit d’une transition naturelle entre l’enfance, où l’on dépend de ses parents pour sa stabilité émotionnelle et financière, et une indépendance naissante où l’on peut prendre des décisions pour déterminer son propre avenir.

Y a-t-il des jeunes qui sont mentalement et émotionnellement capables de prendre ce genre de décisions pour eux-mêmes à 16 ans? Manifestement, oui. Et y a-t-il des jeunes qui restent immatures et prennent régulièrement de mauvaises décisions jusqu’à la mi-vingtaine ou la trentaine? C’est aussi vrai, jusqu’à la quarantaine dans certains cas. Cependant, pour garantir la sécurité et l’organisation de la société, il est nécessaire de fixer une limite d’âge minimum. Il est donc logique que 18 ans soit considéré comme une limite raisonnable.

Les jeunes de 16 ans ne sont pas autorisés à participer à de nombreuses activités réservées aux adultes en raison de leur âge. Dans de nombreuses provinces, y compris la mienne, la Saskatchewan, ils ne peuvent pas conduire sans condition. Ils ne peuvent pas acheter de cannabis ni, comme je l’ai déjà mentionné, d’alcool ou de cigarettes. Les jeunes de 16 ans ne peuvent pas signer de contrat légal. De plus, ils doivent obtenir le consentement de leurs parents pour se marier avant l’âge de 18 ans. Dans certaines provinces, dont le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et l’Ontario, les adolescents ne peuvent pas abandonner leurs études avant l’âge de 18 ans.

Dans certains cas, l’âge minimum de 18 ans peut être levé avec le consentement des parents. En effet, même si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un adolescent de moins de 18 ans ait une certaine capacité à prendre des décisions, l’avis d’un parent ou d’un tuteur est toujours nécessaire pour s’assurer que la situation — et les risques potentiels qui y sont associés — a été examinée sous tous les angles.

C’est pourquoi, au Canada, il faut être âgé de 18 ans pour s’enrôler dans les forces militaires régulières, mais il est possible de présenter une demande dès l’âge de 17 ans, avec le consentement parental. La sénatrice McPhedran a fait valoir ici que les adolescents peuvent s’enrôler dans la Force de réserve à 16 ans, là encore avec le consentement parental. Cependant, comme l’a précisé la sénatrice Patterson lors du débat dans cette enceinte, les jeunes de 16 ans ne sont pas autorisés à participer à des combats.

La sénatrice McPhedran a également mentionné « 16 ans et moins » comme âge minimum pour se joindre aux cadets. Les jeunes peuvent devenir cadets dès l’âge de 12 ans, mais là encore, ils doivent obtenir le consentement de leurs parents s’ils ont moins de 18 ans. Cependant, le simple fait qu’un enfant puisse se joindre aux cadets à l’âge de 12 ans ne le rend certainement pas apte à déterminer la meilleure voie à suivre pour l’avenir du pays au moyen d’un vote.

Le fait est que nous devons fixer un âge minimum à partir duquel les Canadiens peuvent voter. Pour la grande majorité des décisions qui nécessitent un certain niveau de capacité, cet âge est fixé à 18 ans, et lorsqu’il est abaissé à 16 ans, c’est généralement sous réserve du consentement des parents.

Si la capacité est le critère déterminant pour fixer l’âge de voter, il est assez évident que 18 ans est préférable à 16 ans. La sénatrice McPhedran a longuement parlé de la différence entre les tâches neurologiques nécessitant une « cognition froide » — une prise de décision pouvant se faire en l’absence d’émotion — ou une « cognition chaude », c’est-à-dire les processus dans lesquels l’émotion exerce une influence négative sur la prise de décision. La sénatrice McPhedran soutient que le vote est une activité de « cognition froide » et que les jeunes de 16 ans sont donc capables de prendre des décisions à ce niveau.

Je ne suis pas d’accord pour dire que voter est une tâche immune à l’influence de l’émotion. Nous votons souvent dans cette enceinte, honorables sénateurs. Pouvez-vous honnêtement affirmer que votre vote n’a jamais été influencé par les vives émotions que suscitait en vous la question soumise? Nous ne sommes pas des robots, c’est évident.

Marcus Roberts, chercheur principal à l’institut Maxim en Nouvelle-Zélande, a décrit les recherches comme suit :

[…] d’autres études suggèrent qu’il n’est pas possible de diviser aussi clairement la prise de décision chez les adolescents de cette manière [entre cognition « chaude » et « froide »]. Notre cerveau se développe de manière inégale : notre « système socio-émotionnel » (« traitement rapide et automatique ») arrive à maturité vers l’âge de la puberté, mais notre « système de contrôle cognitif » (délibératif, contrôlé et réfléchi) n’atteint pas sa maturité avant le milieu de la vingtaine […] Ainsi, bien que les adolescents aient la capacité de prendre des décisions rationnelles et intelligentes, « il n’est pas judicieux de conclure qu’ils prennent toujours leurs décisions en utilisant les mêmes processus cognitifs que les adultes. »

En revanche, les adultes sont plus à même de résister aux influences sociales et émotionnelles et de prendre de meilleures décisions lorsque les enjeux sont élevés.

On pourrait dire que, lorsqu’il s’agit de voter, donc essentiellement d’établir l’orientation de la gouvernance du pays, les enjeux ne pourraient pas être plus élevés. Je pense que le meilleur équivalent cognitif de l’acte de voter serait l’acte de signer des contrats légaux. Fondamentalement, lorsqu’un électeur vote aux élections fédérales, il embauche quelqu’un pour représenter ses intérêts au Parlement. La cognition d’un jeune de 18 ans est supérieure à celle d’un jeune adolescent. C’est évidemment la raison pour laquelle l’âge légal pour signer des contrats au Canada est l’âge de la majorité — 18 ans dans certaines provinces, 19 ans dans d’autres — plutôt qu’un âge plus jeune, par exemple 16 ans.

Comme je l’ai déjà dit, Connor Bedard, ancien premier choix au repêchage de la Ligue nationale de hockey, et encore très jeune joueur professionnel de hockey qui fait sensation, n’avait que 17 ans lorsqu’il a signé son premier contrat de la Ligue nationale, il y a quelques années. Son père a donc dû signer son premier contrat pour lui.

Les adolescents sont désavantagés lorsqu’ils doivent prendre ce type de décision, car leur cognition tend à privilégier l’instant présent plutôt que la vision à long terme, sans nécessairement tenir compte des conséquences éventuelles ou des solutions de rechange. De plus, comme ces capacités décisionnelles continuent à se développer jusqu’à ce qu’une personne atteigne la mi-vingtaine, certains pourraient soutenir qu’il serait préférable d’augmenter l’âge minimum pour voter, plutôt que de le baisser à 16 ans.

C’est peut-être pour cette raison que la Constitution fixe à 30 ans l’âge minimum pour être nommé au Sénat, honorables sénateurs. L’âge minimum pour devenir député est 18 ans. Il est donc logique que les personnes qui élisent ces députés doivent également avoir 18 ans.

Une autre considération semble être que tout gain démocratique résultant de l’octroi du droit de voter à des jeunes de moins de 18 ans semble modeste. Lorsqu’un jeune de 16 ans ou de 17 ans obtient le droit de vote, il est en effet plus susceptible de voter tant qu’il vit encore chez ses parents et n’est pas encore indépendant. Bien que les preuves soient quelque peu limitées, des études montrent que cet enthousiasme tend à s’estomper à mesure que ces électeurs vieillissent.

Par exemple, une étude menée en Autriche a montré que les jeunes de 16 ans et de 17 ans qui pouvaient voter ont initialement voté à un taux de 65 %, alors que cinq ans plus tard seulement, ce taux était tombé à 60 %, soit bien en dessous du taux de participation officiel de 75 %.

Bien que je ne sois pas d’accord avec l’abaissement de l’âge du vote à 16 ans, je crois sincèrement qu’on devrait encourager les jeunes à participer à la vie politique. Je parle ici par expérience, car j’étais moi-même très intéressée par la politique durant mon enfance et mon adolescence. Dès mon plus jeune âge, je regardais l’émission « This Week in Parliament » le samedi soir pour me tenir au courant des questions politiques d’actualité et écouter les meilleures réparties de Brian Mulroney et de ses progressistes-conservateurs lors de la période des questions. Dès l’âge de 12 ans, je savais déjà que je voulais devenir sénatrice un jour, et oui, je sais que ce n’est pas normal. En grandissant, j’attendais avec impatience le jour où j’aurais 18 ans et où je pourrais voter pour la première fois. Je comprenais et j’acceptais alors, comme la plupart des enfants d’aujourd’hui qui seraient probablement d’accord avec moi, que voter n’est pas une tâche qu’un jeune de 14 ou de 16 ans soit suffisamment compétent pour faire ni qui intéresse suffisamment la plupart d’entre eux.

Dans mon cas, je n’ai adhéré au Parti progressiste-conservateur du Canada qu’à l’âge de 18 ans, lors de ma première semaine à l’Université de Regina, au début des « élections référendaires sur le libre-échange » de 1988. Lors de cette élection, j’ai fait du bénévolat pour les candidats locaux et j’ai même aidé le progressiste-conservateur Larry Schneider à battre Ralph Goodale dans cette campagne.

J’ai ensuite été élue à différents postes pour les jeunes au sein de la Fédération des jeunes progressistes-conservateurs de la Saskatchewan et du Parti progressiste-conservateur fédéral. J’ai fait partie de la délégation jeunesse aux congrès nationaux du Parti progressiste-conservateur en 1989 et 1991.

À la mi-novembre 1989, à Saskatoon, il y a 36 ans la semaine prochaine, j’ai rencontré mon futur mari, Dave Batters, alors que je traversais la rue lors du congrès du Parti progressiste-conservateur de la Saskatchewan. Nous avions alors 19 et 20 ans. Dave était lui aussi un jeune mordu de la politique et il est devenu plus tard député. Comme on dit, on connaît la suite.

Bien que le niveau de cognition d’un jeune de 16 ans ne lui permette pas de voter aux élections, il existe de nombreuses autres façons pour les jeunes de cet âge de s’impliquer politiquement. Ils peuvent faire du bénévolat et assister à des événements politiques, ou encore se porter volontaires pour aider un candidat ou une campagne. Ils peuvent organiser des pétitions ou des campagnes de lettres ou de courriels pour des causes qui leur tiennent particulièrement à cœur. Les jeunes ont de nombreuses occasions de se livrer à des activités politiques, notamment dans le cadre de la gouvernance étudiante, des conseils, des parlements fictifs, des clubs de débats et des concours d’éloquence.

Comme l’a mentionné la sénatrice Senior dans son discours, de nombreuses écoles organisent pour les élèves du primaire et du secondaire des simulations d’élections, comme Vote étudiant, qui coïncident avec les élections fédérales.

Ces exercices permettent aux élèves de découvrir les positions politiques, les candidats et les chefs des principaux partis fédéraux, et de réfléchir aux questions qui leur tiennent à cœur. Toutefois, le plus important, c’est qu’ils permettent aux jeunes d’exercer leur engagement politique sans avoir à subir les conséquences réelles de leurs choix politiques. C’est la grande différence entre les électeurs de 16 ans et ceux de 18 ans.

Un adolescent de 16 ans vit généralement chez ses parents, n’est pas responsable des dépenses ou des factures familiales et ne gagne probablement pas assez d’argent pour payer des impôts qu’il ne récupérera pas. Il n’a pas grand-chose à perdre s’il fait le mauvais choix lors d’une élection générale, car il n’a pas beaucoup d’intérêts personnels en jeu.

En revanche, un jeune de 18 ans est plus susceptible de prendre des décisions concrètes concernant son logement, son emploi et ses études supérieures, et il doit souvent jongler entre ces priorités concurrentes avec un revenu très limité. Le choix qu’il fait dans l’isoloir a une incidence très réelle sur sa vie et son avenir.

Honorables sénateurs, même si nous devrions encourager les jeunes à s’engager en politique et à poursuivre cet engagement, il est également important que leur niveau d’engagement politique reflète leur âge. À mon avis, 16 ans, c’est trop tôt pour assumer les lourdes responsabilités — et les conséquences — qui viennent avec le droit de vote. Autrement dit, voter est un geste qui implique un certain degré de compétence, d’aptitude et de maturité.

C’est pour ces raisons que je vous encourage à voter contre le projet de loi S-222 et contre l’abaissement de l’âge du vote à 16 ans.

Merci.

L’honorable Marilou McPhedran [ - ]

Sénatrice Batters, accepteriez-vous de répondre à une question?

Oui.

La sénatrice McPhedran [ - ]

Sénatrice Batters, est-ce que vous vous êtes fondée sur les travaux de la commission Lortie pour préparer votre discours? Je sais que vous ne les avez pas cités, mais j’aimerais savoir si vous vous êtes penchée sur ces travaux.

Non.

La sénatrice McPhedran [ - ]

Je veux aussi poser une question au sujet de la recherche que vous avez citée. Vous avez dit, je crois, que c’était une étude autrichienne qui remettait en question le large consensus selon lequel les jeunes de 16 ou 17 ans sont bien outillés et qualifiés pour voter. Je me demandais si vous pourriez fournir les références de cette étude.

J’ai le privilège d’être entourée d’un groupe extraordinaire de jeunes qui sont des chercheurs — ils m’envoyaient des textos pendant que vous parliez —, et ils ne trouvent pas votre étude. Si vous pouviez en fournir les références, nous vous en serions reconnaissants.

Oui. J’ai fait retirer les références du discours que je prononce ici. Je ne les ai donc pas avec moi, mais nous vous les ferons parvenir sans faute avant la fin de la journée.

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